Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 12 octobre 2004

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 06.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, nous allons reprendre

6 les débats et poursuivre aujourd'hui la présentation des moyens à décharge.

7 M. KAY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Avant de commencer,

8 j'aimerais évoquer une question préliminaire s'agissant du témoin à venir.

9 Il s'appelle Franz Hutsch.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Apparemment, est-ce que c'est

11 l'interprétation qui pose problème ou est-ce que c'est autre chose ?

12 Veuillez reprendre, Maître Kay.

13 M. KAY : [interprétation] Il y a une question d'ordre préliminaire,

14 s'agissant du premier témoin, Monsieur le Président.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il y a toujours un problème. De

16 quelle nature est-il ?

17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il y a une interférence au niveau des

18 canaux, avec le canal anglais.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame la Greffière, il va falloir

20 combien de temps pour régler le problème ?

21 M. KAY : [interprétation] Je ne vais pas parler français. Je vous rassure,

22 je vais parler anglais.

23 Il y a une question préliminaire, c'est celle qui concerne un témoin qui

24 devrait être cité ce matin, M. Hutsch. C'est un journaliste et

25 correspondant de guerre qui a travaillé dans beaucoup de contrés du monde

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1 où il y a des problèmes, des points chauds. Il devrait déposer aujourd'hui

2 pour parler surtout de questions qui se sont produites au Kosovo de 1998 à

3 1999. A cette époque-là, il faisait office de correspondant de guerre et

4 travaillait pour des journaux allemands. S'agissant de ses activités, des

5 renseignements lui ont été fournis par des sources dont il ne se souhaite

6 pas donner l'identité. Cela ne concernera sans doute quelques éléments de

7 sa déposition. Ceci est important à ses yeux, car il est journaliste, et il

8 tient à pouvoir déposer, mais s'agissant de certains points, il aimerait se

9 taire quant à la source des renseignements qu'il a reçus.

10 J'en ai discuté avec M. Hutsch à l'occasion d'une réunion que nous avons

11 eue. Si nous avions un huis clos ou un huis clos partiel, c'est clair, ceci

12 ne permettrait pas de répondre aux impératifs de sécurité et

13 confidentialité qu'il requiert. Car les gens à qu'il parle, les gens qu'il

14 interroge en tant que journaliste qui fait des enquêtes, ces sources de ces

15 personnes doivent avoir confiance en lui. Ils doivent être sûrs qu'il ne va

16 jamais en aucun cas dévoiler quoi que ce soit. C'est un journaliste

17 toujours actif, c'est son métier, c'est son gagne-pain. A bien des égards,

18 des gens comme lui ont un rôle important aujourd'hui, et, notamment, pour

19 des tribunaux tels que celui-ci, pour d'autres tribunaux car le travail que

20 ces gens font, les renseignements qu'ils fournissent, que ce soit au moment

21 des conflits, font qu'ils demandent le sceau de la confidentialité.

22 Il y a un corollaire. Il a un avocat allemand. C'est un ressortissant

23 allemand que son avocat, et il est arrivé aujourd'hui, et il a demandé

24 l'autorisation, je parle ici du témoin, il a demandé l'autorisation d'avoir

25 son avocat présent dans le prétoire pendant qu'il dépose manifestement pour

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1 protéger ses intérêts en tant que de besoin.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est par rapport avec la question

3 de la confidentialité ou c'est de façon générale ?

4 M. KAY : [interprétation] C'est pour la confidentialité. Il a demandé

5 l'avis d'un expert juridique en Allemagne --

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] La question de la confidentialité,

7 je suppose qu'elle ne va pas se poser lorsque vous, vous allez procéder à

8 l'interrogatoire principal.

9 M. KAY : [interprétation] Non. Mais il est probable ou il est possible que

10 cette question se pose au moment du contre-interrogatoire. Il arrive que

11 les parties, qui sont conscientes de la question, fassent un exercice

12 d'équilibrage, et lorsqu'ils sont arrivés au bout du chemin, ils ne vont

13 pas nécessairement vouloir aller plus loin. Je ne sais pas ce que va faire

14 l'Accusation.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous verrons, à ce moment-là, si la

16 question se pose, et nous réglerons le problème à ce moment-là, s'il se

17 pose.

18 M. KAY : [interprétation] Vous savez ce témoin, ce journaliste, se dit que

19 si la Chambre voulait le forcer à divulguer telle ou telle source, il se

20 trouverait dans une situation de conflit personnel. Il ne voudrait pas

21 avoir de conflit avec vous, Messieurs les Juges de la Chambre. Il est

22 facile d'anticiper --

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qu'est-ce que cela veut dire ? Si

24 nous réglions la question maintenant avant sa déposition, et si nous

25 disions qu'il n'y a pas de confidentialité, qu'est-ce que ceci aurait pour

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1 répercussion sur sa déposition ?

2 M. KAY : [interprétation] Je pense que M. Hutsch devrait revoir sa

3 position. En effet, son travail -- sa profession exige son intégrité de

4 journaliste. Je sais qu'il est tout près du prétoire en ce moment même,

5 mais je me demande si la Chambre pense qu'il conviendrait de le faire

6 entrer pendant que nous avons ce débat.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons délibérer sur le siège.

8 [La Chambre de première instance se concerte]

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si la question se pose lors du

10 contre-interrogatoire, nous règlerons la question.

11 Monsieur Nice, s'agissant de la question de la présence de l'avocat

12 allemand, qu'avez-vous à dire ?

13 M. NICE : [interprétation] Je ne pense pas qu'il soit nécessaire qu'il soit

14 présent ici. Je sais que certains avocats ont été autorisés à le faire,

15 mais ils furent très peu nombreux. Je pense qu'au moment de la présentation

16 des moyens à charge, certains étaient inclus nonobstant la requête. Pour

17 moi, ce n'est pas nécessaire d'avoir cet avocat ici.

18 Puisque je vous parle, permettez-moi d'évoquer une question d'ordre général

19 pour dire simplement ceci. Me Higgins, il y a un demi-heure de cela, m'a

20 avisé de la possibilité que soit abordée cette question, mais sans

21 pratiquement de détail quant aux modalités. Si on laisse entendre que ce

22 témoin peut dire simplement : "X m'a dit ceci, mais je ne suis pas prêt à

23 dire qui est X," à ce moment-là, bien sûr, nous allons contester et

24 déclarer cet élément de preuve irrecevable car il n'aura pas la moindre

25 ombre de vérité. Qui est

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1 M. X ? Vous ne le savez pas. Nous, ce ne serait pas logique que nous ne

2 puissions pas contester ceci.

3 Si le témoin produit des documents d'une sorte ou d'une autre, ou il dit :

4 "Voilà un document, mais je ne vais pas vous dire qui l'a fourni," il se

5 peut que la donne soit différente. Si nous sommes en mesure de procéder à

6 une vérification indépendante et de nous prononcer sur ce document, ce

7 serait peut-être différent.

8 Ce problème et d'autres vont peut-être surgir au moment de l'interrogatoire

9 principal aussi, pas seulement lors du contre-interrogatoire.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. Oui, Maître Kay, vous avez la

11 parole.

12 M. KAY : [interprétation] Une première chose, Monsieur le Président. Il y a

13 eu communication des pièces à l'Accusation. Nous parlons ici des pièces

14 dont va se servir le témoin. Il s'agit de deux photographies. Lorsqu'on

15 parle des renseignements, il s'agit de questions susceptibles de surgir

16 lors du contre-interrogatoire.

17 Le témoin est vivement préoccupé par cette question. Je pense qu'il faudra

18 discuter avec lui -- que j'en discute avec lui en présence de son avocat.

19 Il connaîtra ainsi la position de la Chambre. Je pense qu'il faut en

20 discuter avec ce témoin, il le souhaiterait. Puisque je lui ai déjà parlé,

21 je sais l'importance qu'il accorde à ces éléments.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous nous dites que vous

23 voulez une brève suspension pour parler avec le témoin ?

24 M. KAY : [interprétation] Oui.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] De quelle durée ?

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1 M. KAY : [interprétation] Dix minutes, tout au plus.

2 [La Chambre de première instance se concerte]

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, nous allons permettre à

4 l'avocat du témoin d'être présent si cette question se pose, mais cette

5 question ne peut pas se poser dans le vide. On ne pourra l'aborder que si

6 une objection est soulevée. Si le cas de figure que vous envisagez ce

7 produit pendant le contre-interrogatoire, à ce moment-là, on procédera de

8 cette façon.

9 Nous pourrions faire entrer le témoin dans le prétoire pour lui expliquer

10 la situation. Suite à cette explication, si vous le souhaitez toujours, on

11 pourra vous accorder une pause.

12 M. KAY : [interprétation] Je n'ai pas d'objection à cette manière de

13 procéder. Il me semble que l'avocat est dans la partie du bâtiment qui se

14 trouve derrière moi. Nous n'avons pas le pouvoir de faire venir ou partir

15 des gens dans ce bâtiment. J'ai quand même demandé à ce qu'on essaie de le

16 placer dans une salle qui lui permette d'avoir accès au prétoire.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais demander à la Greffière

18 d'audience de faire venir le témoin dans le prétoire et de prendre les

19 dispositions nécessaires pour que l'on fasse également venir son avocat.

20 M. KAY : [interprétation] Merci.

21 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais demander au témoin de

23 prononcer la déclaration solennelle.

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

25 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

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1 LE TÉMOIN: FRANZ-JOSEF HUTSCH [Assermenté]

2 [Le témoin répond par l'interprète]

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez vous asseoir.

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Il n'y a pas de cas.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais essayer de faire mon mieux

6 pour prononcer votre nom correctement. Je vois, cependant, que vous parlez

7 anglais.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Un tout petit peu.

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je dois dire pour commencer que l'on

10 m'a fait savoir -- la section d'Interprétation m'a fait savoir qu'une

11 interprétation va être assurée à partir de l'allemand et vers l'allemand.

12 Etant donné que nous ne disposons pas de suffisamment de cabines pour

13 assurer la traduction avec cinq langues, le témoin va bénéficier de ce

14 qu'on appelle une interprétation chuchotée de l'anglais vers l'allemand

15 grâce à un interprète qui sera assis à côté de lui dans le prétoire. Pour

16 garantir la qualité de l'interprétation assurée, il faudra que les parties

17 en présence attachent une importance, encore plus importante qu'ils ne le

18 font d'ordinaire, aux conditions qui doivent être respectées pour permettre

19 une bonne interprétation, c'est-à-dire qu'il ne faudra pas parler trop vite

20 et qu'il ne faudra pas parler en même temps.

21 Monsieur Hutsch, Me Kay a soulevé en votre nom une question devant nous. Il

22 s'agit de la confidentialité des sources que vous utilisez en tant que

23 journaliste. Me Kay a demandé à la Chambre de bien vouloir trancher à ce

24 sujet avant que vous n'entamiez votre déposition. Cependant, la Chambre

25 estime qu'il ne s'agit pas d'une question qu'il convient de trancher de

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1 manière théorique, dans le vide. C'est une question à laquelle il

2 conviendra de répondre si elle se pose. Effectivement, si c'est le cas, ce

3 sera fort probablement au cours du contre-interrogatoire mené par

4 l'Accusation. C'est dans cet esprit que la Chambre va procéder.

5 Nous allons écouter votre déposition. C'est Me Kay qui va procéder à

6 votre interrogatoire principal. Il est peu probable que la question que je

7 viens d'évoquer se pose au cours de cet interrogatoire principal. Mais si

8 cette question -- cette même question se pose pendant le contre-

9 interrogatoire, la Chambre statuera, à ce moment-là. C'est pour ce faire

10 que la Chambre a accepté la présence de votre avocat dans le prétoire.

11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Il est déjà là d'ailleurs.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Il est là.

13 M. KAY : [interprétation] M. Louschneider est assis de l'autre côté de la

14 pièce. Je pense, en fait, qu'il vaudrait mieux qu'il soit assis plus près

15 de moi, afin que nous puissions nous parler si jamais il y a un problème

16 qui se pose, si jamais il souhaite que j'intervienne dans un sens ou dans

17 un autre.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien. Je pense qu'il convient qu'il

19 quitte le prétoire pendant l'interrogatoire principal, et s'il y a un

20 problème ou que la question que nous avons évoquée se pose pendant le

21 contre-interrogatoire, à ce moment-là, il pourra venir.

22 M. KAY : [interprétation] Oui. Cela nous agrée tout à fait.

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Poursuivez, s'il vous plaît.

24 Interrogatoire principal par M. Kay :

25 Q. [interprétation] Pouvez-vous décliner votre identité à l'intention des

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1 Juges de la Chambre ?

2 R. Franz-Josef Hutsch.

3 Q. Vous êtes de nationalité allemande, n'est-ce pas ?

4 R. Oui. C'est exact.

5 Q. Pouvez-vous dire à la Cour --

6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne pense pas que nous ayons la

7 traduction en anglais des propos du témoin. Essayons encore une fois.

8 M. KAY : [interprétation]

9 Q. Pouvez-vous dire en quelques mots à la Chambre quel a été votre

10 parcours professionnel, à commencer par votre carrière d'officier dans

11 l'armée allemande ?

12 R. Après le baccalauréat, je suis entré dans l'armée allemande. J'ai eu

13 une carrière d'officier et, au bout de 14 ans et trois mois, au sein de

14 l'armée allemande, j'ai quitté les rangs de cette armée et je suis devenu

15 correspondant de guerre.

16 Q. Pouvez-vous dire à la Chambre à partir de quel moment vous avez

17 commencé à travailler comme journaliste ?

18 R. C'est en mai 1995 que j'ai commencé à travailler comme journaliste. Le

19 3 mai 1995, j'ai commencé à travailler sur la guerre en Bosnie. J'ai été

20 envoyé à Sarajevo pour y faire mon travail de journaliste.

21 Q. Est-ce que vous travailliez pour les médias écrits, pour la télévision,

22 pour la radio ?

23 R. J'ai commencé par travailler pour les journaux écrits, mais maintenant

24 je travaille aussi pour la radio, pour la télé ainsi que pour des journaux.

25 Q. Quand vous avez quitté l'armée allemande, vous aviez quel grade ?

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1 R. J'avais le grade de commandant, et je suis toujours membre des forces

2 de réserve.

3 Q. C'est sur les territoires de l'ex-Yougoslavie que vous avez commencé à

4 travailler comme journaliste. Vous avez passé un certain temps à couvrir la

5 guerre qui avait lieu en Bosnie; est-ce bien le cas ?

6 R. Oui. C'est exact. De mai 1995 jusqu'à mars 1996, sans interruption, je

7 suis resté en Bosnie.

8 Q. J'aimerais que nous passions à une période ultérieure de votre

9 carrière. Il s'agit du moment où vous vous êtes rendu au Kosovo en 1998

10 afin de couvrir les événements qui s'y déroulaient. Quand êtes-vous allé au

11 Kosovo en 1998 ?

12 R. C'est en septembre 1998 que je suis allé au Kosovo, et je suis parti en

13 décembre 1999.

14 Q. En septembre 1998, pouvez-vous nous dire où vous vous êtes rendu en

15 tout premier lieu au Kosovo ?

16 R. Bien entendu, je suis d'abord allé à Pristina. Après, à partir de

17 Pristina, j'ai commencé à prendre les contacts dont j'avais besoin en tant

18 que journaliste pour travailler en tant que correspondant de guerre dans

19 une zone qui pourrait être touchée par une guerre.

20 M. KAY : [interprétation] Il serait bon que l'atlas du Kosovo, la pièce 83,

21 soit utilisée maintenant. Nous avions signalé aux Juges de la Chambre qu'il

22 conviendrait de l'utiliser. Il serait bon également que le témoin se voit

23 remettre un exemplaire de ce document. J'ai un exemplaire en plus si

24 quelqu'un n'en a pas.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] J'aimerais savoir quel âge a le

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1 témoin.

2 M. KAY : [interprétation]

3 Q. Monsieur Hutsch, quel âge avez-vous ?

4 R. J'ai 41 ans.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Hutsch, il faut absolument

6 que vous vous rapprochiez du micro quand vous parlez.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Comme cela c'est mieux.

8 M. KAY : [interprétation] On trouve Pristina à la page 7 de l'atlas du

9 Kosovo, afin qu'on fasse un gros plan sur cette page.

10 Q. Vous êtes arrivé à Pristina. Quelle était la situation quand vous êtes

11 arrivé à Pristina au cours du mois de septembre 1998 ? Je pense que cela

12 peut être intéressant pour les Juges.

13 R. Pristina même était une ville où régnait une grande tension, mais pas

14 une tension extrême. Enfin, je vous dirais, il n'y avait pas une violence

15 extrême dans la ville. Il n'y avait de trouble, disons, à ce stade. C'est

16 vrai qu'il y avait beaucoup de policiers, beaucoup de membres du MUP dans

17 les rues. On ne voyait pas toute suite qu'il y avait des combats, qu'il y

18 avait des confrontations dans la ville, comme c'était le cas à Sarajevo en

19 1995. Enfin, l'atmosphère était quand même très tendue, mais cela n'avait

20 pas encore donné lieu à des affrontements violents, ou à des manifestations

21 de violence.

22 Q. Après avoir examiné un peu la situation, fait le bilan de la situation

23 à Pristina, vous êtes, ensuite, allé dans une autre région pour vous rendre

24 compte de la situation sur le terrain; est-ce exact ?

25 R. Oui, c'est exact.

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1 Q. Est-ce que vous êtes allé à Prizren ?

2 R. Oui, je suis également allé à Prizren, mais, en premier lieu, je suis

3 allé à Malisevo parce que j'avais eu des contacts avec les membres de

4 l'Uceka, qui me paraissaient très prometteurs. On m'avait fait l'offre de

5 rencontrer ou d'accompagner de manière prolongée, les membres de l'Uceka.

6 C'est une perspective qui me paraissait très intéressant du point de vue

7 journalistique. Cela me paraissait très prometteur pour la poursuite de mon

8 travail au Kosovo. En allant à Malisevo, je suis passé également par

9 Prizren.

10 M. KAY : [interprétation] Malisevo se trouve à la page 10 de l'atlas, page

11 de droite. Au-dessus du numéro 19, M-19.

12 Q. Quelle était la situation à Malisevo quand vous y êtes arrivé ? On se

13 trouve toujours, je le rappelle, en septembre 1998, n'est-ce pas ?

14 R. A l'époque à Malisevo, il y avait un QG de l'Uceka dans cette zone de

15 défense, sous le commandement d'Ekrem Rexha, avec le commandant Drini.

16 C'était un professionnel qui parlait couramment sept langues, un véritable

17 intellectuel, un homme qui avait été également très professionnel au sein

18 de la JNA, un homme qui avait une grande expérience et qui était là au

19 centre du Kosovo pour organiser l'Uceka grâce à toute cette expérience.

20 Q. Pour vous, ce déplacement avait pour objectif de rencontrer les gens de

21 l'Uceka, d'avoir un premier contact. Ensuite, vous nous dites que vous êtes

22 allé jusqu'à Prizren, qu'on trouve à la page 10 également de l'atlas.

23 J'aimerais que vous nous parliez de la situation à Prizren, à ce moment-là.

24 R. Prizren, comme Pristina, était une ville qui était calme, mais quand

25 même tendue. Ma première impression qui m'est restée, c'est qu'après les

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1 premiers accords Holbrooke-Milosevic, les forces de sécurité serbes étaient

2 restées dans leurs casernes, comme cela avait été décidé par cet accord.

3 Très vite, l'Uceka a commencé à envahir ce vide pour prendre position là ou

4 le JNA n'était plus là et pour s'installer, pour prendre la place de la

5 JNA, qui s'était retirée dans ses casernes.

6 Q. Là, on parle d'octobre 1998.

7 R. Oui.

8 Q. C'est à ce moment que vous êtes allé là. Vous nous dites que l'Uceka

9 occupe un certain nombre de positions. De quel type de positions

10 s'agissaient-ils ? La page 10 de notre atlas nous montre la zone de

11 Prizren. Pouvez-vous également consulter cette page pour nous dire dans

12 quelle zone vous avez pu les observer ? Quelles zones occupaient-ils ?

13 Peut-être pourrait-on placer l'atlas sur le rétroprojecteur.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Pour répondre à cette question, il est

15 absolument essentiel de dire que la zone de Prizren, du point de vue

16 militaire surtout, est dominée par le col de Dulje, ce qu'on appelle le col

17 de Dulje. Cela se trouve ici, à l'endroit où je vous indique sur la carte.

18 M. KAY : [interprétation]

19 Q. Vous regardez la page 11, n'est-ce pas, au-dessus de Suva Reka ?

20 R. Oui, le col de Dulje avait une importance stratégique indéniable qui a

21 été utilisée, ensuite, par la JNA -- par la VJ, en décembre 1998 et en

22 janvier 1999 parce qu'à partir de ce col, l'artillerie peut toucher toute

23 la zone de Prizren, mais cela peut aller même jusqu'à la Macédoine. Cette

24 position a d'abord été occupée par l'Uceka, en octobre et en novembre.

25 Ensuite, suite à l'éruption, des actes de violence de janvier et de février

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1 n'ont pas été en mesure de conserver cette position.

2 Q. Revenons à Prizren, page 10 -- oui, c'est de l'autre côté, un petit peu

3 plus en haut, de l'autre côté.

4 La région que nous voyons sur l'écran avec Prizren en bas à droite, est-ce

5 que c'est une région vous avez pu observer quoi que ce soit au sujet des

6 positions relatives de l'Uceka, de la VJ à cet endroit ?

7 R. A Prizren, la situation était la suivante. Ekrem Rexha s'était distancé

8 des autres intervenants parce que Prizren était une vieille ville. Ekrem

9 Rexha pensait qu'il était absolument important de garantir la cohabitation

10 après la guerre. C'est sans doute une des raisons pour laquelle il a été

11 assassiné par l'Uceka ultérieurement.

12 Prizren était caractérisée par le fait suivant, c'est-à-dire que le MUP et

13 les Unités du MUP et de la VJ sont rentrés dans les casernes après l'accord

14 Milosevic-Holbrooke. Il y a eu des colonnes qu'on a vu venir pour

15 s'installer à Prizren, pour se retirer sur Prizren. L'Uceka avait lancé des

16 patrouilles de reconnaissance vers le sud de Prizren. Au sud de Prizren,

17 des patrouilles essuyaient des tirs. D'après mes observations, ceci

18 n'entraînait pas des pertes importantes du côté des forces de sécurité

19 serbe. On s'est concentré sur la zone située entre Prizren, Suva Reka et

20 Orahovac, dans ce triangle pour y établir des positions pour des commandos,

21 qui, ensuite, auraient été en mesure d'attaquer les forces de sécurité

22 serbes, ou les patrouilles serbes. Il faut également préciser qu'avec

23 l'intervention de la KFOR, avec l'augmentation de la présence de la KFOR

24 qui était très lente, on a vu se conclure des accords locaux qui, parfois,

25 ont été conclus grâce à la KFOR, et selon lesquels les patrouilles serbes

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1 pouvaient, par exemple, traverser un lieu tenu par l'Uceka. L'Uceka se

2 retirait en dehors de ce lieu. C'était traversé par les Serbes. Ensuite,

3 l'Uceka revenait une fois que le lieu avait été traversé par les Serbes.

4 C'est ainsi qu'on a vu se créer un corridor de cinq kilomètres qui

5 permettait d'éviter une escalade de la violence. Je ne sais pas si cet

6 accord était également en vigueur en dehors de la zone de la défense de

7 Pastrik. Je ne sais.

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay, revenons maintenant à

9 la première partie de la réponse donnée. Il a parlé de quelqu'un qui était

10 parvenu à une espère ce cohabitation. En tout cas, je n'ai pas entendu le

11 nom de cette personne.

12 M. KAY : [interprétation]

13 Q. Monsieur le Témoin, vous avait parlé, je pense, d'un commandant de

14 l'Uceka. Vous nous avez dit qu'il avait servi dans la VJ. Le Président

15 voudrait connaître son nom. Pourriez-vous l'épeler ?

16 R. Ekrem, E-K-R-E-M, Rexha, R-E-X-H-A, son nom de combat était

17 Drini, D-R-I-N-I.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.

19 M. KAY : [interprétation]

20 Q. Vous avez parlé d'accords locaux dont vous avez pu voir l'application

21 dans certaines zones là où, à différents moments, l'une de notre parti

22 voulait s'emparer du territoire. Pourriez-vous nous montrer sur la carte,

23 quelles sont, à votre connaissance, ces zones.

24 R. Je me suis trouvé surtout à Malisevo. C'est là que se trouvait ma base,

25 et j'en partais avec des éléments de l'Uceka. Il s'agit du triangle

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1 Karlovac, Suva Reka, qui se trouve sur l'autre page, et Prizren. J'ai vu

2 que cet accord fonctionnait à Oblaca, au col de Dulje, à peu près à 15 ou

3 20 kilomètres nord de Suva Reka. A plusieurs reprises, j'ai pu être, moi-

4 même, témoin de l'application de ces accords locaux.

5 Q. Vous venez de mentionner une zone qui se trouve sur la droite de la

6 carte 10, du côté de Malisevo, et à gauche on voit Suva Reka.

7 R. Oui.

8 Q. C'est à la page 11 ?

9 R. Oui. Oui, parce c'est la 122e Brigade de l'Uceka qui était engagée au

10 col de Dulje, du côté de Suva Reka. C'est là qu'on avait le 2e bataillon et

11 vous aviez la 121e brigade. La 123e était à Malisevo, et la 125e était au

12 nord de Prizren. Ce sont ces zones d'engagement qui sont concernées.

13 Q. Vous avez parlé de la 121e, qui se trouvait dans cette zone, laquelle

14 est située à l'ouest de Stimlje.

15 R. Oui.

16 Q. Nous parlons maintenant de la période qui va du mois d'octobre à Noël;

17 trois mois en tout. Est-ce qu'au cours de cette période, vous avez constaté

18 qu'il y aurait eu des violations de l'accord de cessez-le-feu, lequel avait

19 mis en place au moins d'octobre ?

20 R. Ce fut souvent le cas, dans la mesure où la tactique de l'Uceka c'était

21 "hit-and-run", se cacher et partir. Il s'agissait d'attaquer des

22 patrouilles de l'armée, des patrouilles serbes, de provoquer des réactions

23 des forces de sécurité serbes, après avoir tendu des traquenards à ces

24 patrouilles. Il était courant qu'on attaquait de derrière ces patrouilles.

25 On tuait des policiers; c'était coutumier. On savait, en tout cas, que ceci

Page 32911

1 allait provoquer de la part des forces de sécurité serbes des réactions

2 tout à fait radicales, sans doute, démesurées.

3 Mais, dans ce vide de pouvoir qu'il y avait, puisqu'il y avait eu

4 retrait des forces de sécurité serbes, l'Uceka essayait de s'implanter,

5 essayait de combler ce vide, il lui était important d'avoir notamment comme

6 poste stratégique, le col de Dulje, qu'il voulait contrôler. Je ne

7 comprenais pas tellement parce que je ne pouvais pas, en tant que

8 commandant, accepter que précisément lorsqu'il y a application d'un accord

9 de cessez-le-feu, on essaie de conquérir, d'emparer des postes stratégiques

10 importants. En fait, on aurait dû avoir des activités de maintien de la

11 paix. Il y aurait été plus logique d'avoir ces postes occupés par des

12 Casques bleus.

13 Q. Vous avez décrit ce qui se passait. Vu la façon dont vous avez décrit

14 cette région, il est aisé de comprendre que vous vous êtes déplacé dans

15 cette zone qu'on trouve aux pages 10 et 11 de l'atlas; est-ce que c'est

16 juste ?

17 R. Oui.

18 Q. Au cours de cette période, est-ce que vous vous êtes attaché à l'une ou

19 l'autre des parties au conflit ? Ce temps, est-ce que vous l'avez passé

20 avec la VJ, avec l'Uceka, ou est-ce les deux ?

21 R. J'ai passé beaucoup de temps avec l'Uceka. Comment dire, même si en

22 tant que journaliste, je rejetais cette procédure, vous pourriez dire que

23 j'étais un peu un journaliste embarqué auprès de l'Uceka. J'ai passé

24 beaucoup de temps au moment de l'attaque de l'OTAN. Je suis resté au Kosovo

25 et j'étais auprès de l'Uceka.

Page 32912

1 Q. Restons-en à l'examen de cette période qui précède la Noël. L'Uceka à

2 laquelle vous avez participée, pourriez-vous nous dire si elle était armée,

3 quels étaient les moyens, quelle était la capacité militaire de l'Uceka ?

4 R. A l'époque, à partir de l'été 1998 jusqu'au printemps 1999,

5 l'Uceka a procédé à une réorganisation militaire. En d'autres termes,

6 l'impression que cela m'a laissée, c'était qu'on a constitué des brigades

7 et on a placé ces brigades d'unités dans des zones de défense où il y avait

8 une structure de commandement. Il devient de plus en plus clair qu'à

9 l'époque, l'Uceka a reçu des renforcements, pas seulement en armes et en

10 munitions, qui sont sensés être de plus en plus modernes, mais aussi en

11 effectifs, en recrues, en personnel militaire. Cela venait surtout de

12 l'Europe occidentale. Les Albanais du Kosovo sont rentrés chez eux.

13 Venant de l'Europe occidentale, on a reçu une formation militaire

14 très courte, que moi, je trouvais insuffisante, surtout en Albanie mais

15 dans d'autres centres d'instruction du Kosovo aussi. C'est là qu'ils ont

16 été formés et constitués en compagnies, en bataillons, en brigades. Ils ont

17 commencé systématiquement à s'employer à occuper ces espaces.

18 Sur le plan militaire, je dirais qu'il s'est agi là d'une

19 réorganisation des forces armées et qu'il s'est agi d'une constitution d'un

20 établissement organique de forces de combat cohérentes.

21 Q. Vous avez longtemps servi dans l'armé, je suppose, dès lors que

22 vous connaissez la différence ou que vous reconnaissez le bruit que font

23 les détonations d'armes différentes. Est-ce que vous avez été à même de

24 faire la différence entre le bruit que font telles ou telles munitions

25 d'armes ?

Page 32913

1 R. Oui. Parce qu'en plus, j'ai été formé en tant qu'observateur militaire

2 des Nations Unies, et cela faisait partie de notre cursus quotidien

3 d'apprendre à faire la différence.

4 Q. Je tiens à préciser aux fins du dossier d'audience, où avez-vous fait

5 cette formation d'observateur militaire ?

6 R. En Georgie.

7 Q. Parlant des armements, des armes dont disposait l'Uceka, pourriez-vous

8 nous dire de façon sommaire ce dont, d'après vos observations, l'Uceka

9 disposait avant la Noël ?

10 R. C'était surtout l'infanterie, vous aviez chaque soldat qui avait une

11 Kalachnikov, d'origines diverses et cela c'était classique pour chaque

12 combattant. Il y avait aussi le RPG-7, c'était un lance-roquettes, arme

13 très efficace, et une des plus efficaces pour ce qui est des anti-blindés.

14 Il y avait aussi des roquettes de type spider et spengler, armes très

15 modernes, et qui ont une portée utile de trois kilomètres et demi ou quatre

16 kilomètres. De plus en plus, il y a eu des systèmes d'artillerie, des

17 howitzers de plusieurs calibres, mais aussi des obusiers de terrain, des

18 petits obusiers de petits calibres. Il y a eu de plus en plus de véhicules

19 utilitaires, surtout des Toyota qui sont arrivés et qui permettaient le

20 déplacement rapide d'effectifs en faible nombre. Les mouvements pouvaient

21 être rapides, mais de façon concrète. On a vu arriver des officiers formés,

22 qui sont en mesure de diriger à partir du sol des attaques aériennes, par

23 contrôle laser et qui permettent d'identifier les cibles, et de sécuriser

24 des zones face aux attaques aériennes.

25 Vous aviez aussi des véhicules blindés de terrain, des systèmes

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1 d'artillerie qui n'étaient pas disponibles à moins qu'ils n'aient été

2 capturés. Mais, en général, l'Uceka n'en disposait pas.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur le Témoin, vous dites que

4 l'Uceka -- l'armée de l'Uceka était organisée en brigades.

5 LE TÉMOIN : [Le témoin opine]

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous pensez là à

7 l'organisation du type classique d'une brigade ? Quelle était la taille

8 d'une brigade ?

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce n'est pas une brigade comme nous, nous la

10 connaissons qui aurait eu un nombre fixé d'effectifs. En général, vous avez

11 7 000 soldats dans une brigade quand on voit les normes de l'OTAN, mais

12 ici c'était très divers. Dans un cas ou l'autre on pouvait avoir des

13 petites brigades. Dans le sud-est du Kosovo, vous pouvez avoir 700 soldats

14 dans une brigade, mais il était tout à fait possible qu'elle soit plus

15 grande. Par exemple, la

16 121e Brigade, d'après ce que je sais en octobre, novembre, décembre, avait

17 jusqu'à 8 000 soldats. Ce n'était pas des brigades de même taille. On

18 n'aurait pas pu dire : voilà une brigade va nécessairement avoir les mêmes

19 effectifs qu'une autre.

20 Mais la structure était la même, c'est-à-dire qu'on avait une structure

21 avec trois bataillons d'infanterie. On avait une autre structure avec un

22 appui-feu, avec des systèmes d'artillerie, notamment, avec les mortiers. Il

23 y avait aussi une section d'artillerie dans chaque brigade et, au fil du

24 temps, à partir de 1999, pour chaque zone de défense, il y avait des unités

25 spéciales, ce qu'on appelait les "special operation forces".

Page 32915

1 M. KAY : [interprétation]

2 Q. Nous sommes toujours avant la Noël et je vais procéder en deux étapes.

3 Avant la Noël, est-ce que vous avez été à même de déterminer s'il y avait,

4 parmi les éléments de l'Uceka, d'autres ressortissants que des Albanais du

5 Kosovo ?

6 R. J'ai vu qu'il y avait des personnes d'origine arabe. Surtout des

7 officiers. Je l'ai raconté dans un article qui a été publié. J'ai fait des

8 recherches. C'est surtout du côté de Zenica en Bosnie qu'on avait recruté

9 ces personnes. Je crois qu'on peut parler ici d'une entreprise, une

10 entreprise américaine MPRI et c'étaient des officiers qui venaient de la

11 Brigade de Moudjahiddines de l'ABiH, qu'on avait recrutée moyennant des

12 sommes importantes d'argent.

13 Ces officiers ont été formés en Turquie et, au printemps 1999, plus

14 précisément en février, ils étaient envoyés au Kosovo auprès de l'Uceka en

15 tant qu'officiers chargés de diriger des attaques aériennes ou d'assurer la

16 défense antiaérienne. C'étaient des officiers chargés du contrôle aérien.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Hutsch, d'après ce que vous

18 nous dites, ceux qui étaient d'autres origines que les Albanais du Kosovo,

19 c'étaient des officiers, ce n'était pas des fantassins, de simples soldats.

20 Est-ce que vous faites une différence entre les officiers et les simples

21 soldats ?

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait. Il s'agissait là d'officiers

23 recrutés qui avaient été formés en anglais, et qui avaient pour mission --

24 qui avaient été formés afin d'organiser des attaques aériennes. Sous

25 l'angle de la quantité, il y avait d'abord chaque brigade qui avait un de

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1 ces officiers particulièrement protégé. Au cours de la guerre, ces

2 officiers étaient de plus en plus disponibles au niveau des bataillons. On

3 a pu ainsi les répartir en descendant la chaîne de constitution

4 hiérarchique.

5 Je l'ai dit dans un article. Un processus d'asile, Almedin Almic est un

6 homme qui est passé par cette procédure. A-l-m-e-d-i-n et son nom de

7 famille Almic se trouve, pour le moment, au Pays-Bas à Amsterdam. Il

8 demande l'asile au Pays-Bas et il invoque cette situation.

9 En 1998, cet homme a déserté, à travers bien des détours, est arrivé

10 finalement au Pays-Bas. Il dispose de documents qui démontrent, par cette

11 entreprise américaine MPRI, les documents portent tous la signature de

12 Clark Campbell.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous dites qu'il n'y avait que des

14 officiers parmi les étrangers. Est-ce que cela veut dire qu'ils étaient peu

15 nombreux ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Je dirais qu'il y avait de 80 à 120

17 hommes.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Kay.

19 M. KAY : [interprétation]

20 Q. Pour ce qui est de l'Uceka, d'après vos contestations, est-ce qu'il

21 portait la tenue régulière officielle ou est-ce qu'il y avait toutes sortes

22 de vêtements portés par ces hommes ?

23 R. Ils étaient habillés de toute sorte de façon. Il y avait, notamment,

24 certains qui portaient un pantalon d'uniforme allemand, mais avaient une

25 vareuse noire. D'autres étaient en jeans avec un parka noir. Au fond, ce

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1 qui a unifié, au niveau de l'uniforme, l'Uceka, c'est que surtout, à partir

2 du mois de décembre, ils portaient cet écusson que nous connaissons tous de

3 l'Uceka. C'est ce qui caractérisait chaque combattant de l'Uceka en tant

4 que soldat au bout du compte.

5 Q. C'est cet écusson en peu rouge, orange ?

6 R. Oui, il est rouge et l'inscription est en jaune, avec l'aigle albanais.

7 Q. Parlons des activités de l'Uceka. Nous avons évoqué des questions

8 d'ordre militaire, mais est-ce qu'il y en avait d'autres que vous auriez

9 constatées ? Je parle d'activités de ces unités que vous avez rencontrées

10 et auprès desquelles vous avez passé un certain temps ?

11 R. Oui, c'était clair. C'était en fait une interaction entre la

12 criminalité organisée et les dirigeants de ces opérations. Je peux vous

13 dire que, lorsqu'il y avait transport de munitions, il y avait aussi des

14 marchandises de contrebande qui sortaient du Kosovo. Surtout au sud du

15 Kosovo, on avait une route de transit, et c'est par là que passaient les

16 femmes qu'on forçait à la prostitution en Europe. On transportait en plus

17 des munitions, des stupéfiants dans l'autre direction. Pour ainsi dire, le

18 Kosovo était une voie de transit pour toutes formes de trafic. L'Uceka

19 s'est ainsi vue obtenir de l'argent, ce qui lui permettait de se doter en

20 équipements matériels et militaires des plus sophistiqués.

21 Q. Quels dirigeants avez-vous rencontré ? Vous avez rencontré les simples

22 soldats, mais jusqu'à quel niveau de la voie hiérarchique, êtes-vous allé ?

23 Quels officiers de l'Uceka avez-vous rencontrés ?

24 R. Il y a Ramush Haradinaj, Hashim Thaci, et Hasim Ceku également.

25 Q. Mais comment se présentait la structure ? Avez-vous pu voir comment les

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1 structures de commandement étaient établies et fonctionnaient au sein de

2 l'Uceka ?

3 R. J'ai fait des recherches, par la suite, mais j'ai fait aussi des

4 constations d'abord en juin 1997, en 1998. Il y avait moins de couches de

5 commandement. Il y avait des actions menées de façon viscérale contre les

6 forces de sécurité. C'étaient plutôt des actes individuels isolés de

7 terrorisme.

8 Mais, à partir de l'été, à partir du moment où Holbrooke va voir

9 l'Uceka à Jonic, il y a restructuration de l'Uceka. Tout d'un coup, de

10 façon mystérieuse et soudaine, apparaît Hasim Ceku sur la scène de l'Uceka.

11 Il y a la transformation et on commence à reconnaître une armée. Cette

12 progression -- cette évolution, elle s'est accélérée au jour le jour.

13 Q. Parlons de la période de la Noël, qui intervient avant un incident qui

14 s'est produit à Racak; est-ce que l'ampleur du conflit a changé vers la

15 Noël ?

16 R. Il y a eu ce qu'on a appelé l'offensive de la Noël, mais ce n'est pas

17 tout à fait exact de l'intituler ainsi, parce qu'il y a eu du côté de

18 Podujevo une opération qu'il ne faut pas trop dramatiser, mais il y a eu ce

19 qu'on a appelé l'offensive de la Noël, qu'on peut reconnaître tout d'abord

20 au fait que les officiers serbes ont commencé à perdre patience.

21 Examinons d'abord la zone qui est concernée.

22 Q. Est-ce qu'on la voit à la page 10 ?

23 R. Prenez plutôt la page 7, dirais-je. Ici, au-dessus, on ne voit pas très

24 bien, mais vous avez Podujevo, ici en bas, Pristina. Ce qu'on voit

25 distinctement, c'est que d'un côté de cette artère de communication entre

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1 Podujevo et Pristina, vous avez de l'autre côté, la voie ferrée. En

2 décembre, voici comment se présentait la situation. D'un côté entre

3 Mitrovica et Pristina, il y a eu de très courts combats. L'Uceka avait

4 réussi à interrompre, à couper la route entre Mitrovica et Pristina. Si on

5 voit la situation militaire qui prévalait au Kosovo, on peut dire que ce

6 sont les deux principales voies d'approvisionnement que pouvaient utiliser

7 les forces de sécurité serbes pour alimenter, pour renforcer leurs

8 effectifs. On peut aussi passer par Vitina et Gnjilane pour entrer au

9 Kosovo, mais pour diverses raisons, il ne faut pas utiliser cette autre

10 voie.

11 C'est ainsi que dans cette zone-ci, entre Banido et Libano [phon], l'Uceka

12 avait réussi à couper plus exactement, tant la voie routière que la voie

13 ferrée et, depuis les hauteurs boisées vers l'est, elle avait commencé des

14 tirs d'artillerie, mais aussi des roquettes anti-blindées.

15 Les forces de sécurité serbes - et je pense ici surtout à la VJ - ces

16 forces serbes avaient ouvert cette route de nouveau par une contre-

17 offensive. J'estime, sur le plan militaire, que c'était pour ne pas se

18 couper de toutes possibilités d'approvisionnement.

19 Cette opération, d'après les rumeurs que j'ai entendues, elle avait été

20 soutenue par une compagnie de chars qui étaient venus de la Serbie au

21 Kosovo, mais je n'ai pas trouvé de preuve dans ce sens, notamment pas dans

22 les rapports de la situation du ministère des Affaires étrangères allemand

23 et, notamment, aussi du ministère de la Défense allemand, documents que

24 j'ai pu consulter en ma qualité de journaliste.

25 Q. Vous vouliez que nous regardions la page 7, où l'on voit cette voie

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1 d'approvisionnement, la voie ferrée. Mais, si vous prenez la page

2 précédente, la page 6, vous voyez l'autre voie ferrée, qui se trouve à

3 l'est de Pristina, qui va de Kosovo Polje jusqu'à Mitrovica, en passant par

4 Vucitrn.

5 R. Oui. A l'époque, et ceci est resté vrai jusqu'à la fin du printemps

6 1999, c'était la deuxième voie qui avait été interrompue, et qui n'a cessé

7 d'être attaquée par l'Uceka pour, effectivement, empêcher

8 l'approvisionnement des forces serbes. Du côté d'Obilic, il y a encore de

9 grands champs de mines qui d'abord avaient été nettoyés. Mais ceci montre

10 aussi la réalité de cette opération, que la VJ s'était trouvée forcée de

11 poser des mines des deux côtés de la voie ferrée, pour établir une

12 situation tactique, statique et pour empêcher la progression de l'Uceka,

13 empêcher aussi que celle-ci n'essaie de couper ces voies

14 d'approvisionnement.

15 Q. Nous venons de voir ces voies d'approvisionnement, la voie ferrée, les

16 deux voies ferrées. Est-ce que cela concernait ces actions, uniquement les

17 voies ferrées, ou est-ce que les routes étaient concernées aussi ?

18 R. Oui. Des deux côtés, aussi bien la voie ferrée que la voie routière.

19 S'agissant des forces de sécurité serbes, la mobilité des forces serbes

20 était entravée, parce que vous avez un terrain difficile, et il n'est pas

21 facile de se déplacer aisément, notamment, en voiture tout terrain. Je

22 pense que c'est ce qui a poussé ces forces, à mon avis, à essayer d'ouvrir

23 la route qui va de Podujevo à Pristina.

24 Q. La circulation qui emprunte cette voie, Mitrovica à Kosovo Polje et

25 Pristina, cette circulation le long de cette voie consistait en quoi ? Vous

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1 avez dit que c'était la principale artère d'approvisionnement vers le

2 Kosovo. Est-ce qu'on y voyait de la circulation commerciale ou plutôt

3 militaire ?

4 R. Les deux. C'est normal, dans toute voie d'approvisionnement militaire,

5 il y a un élément civil qui s'y jouxte puisqu'il y a des vivres qu'il faut

6 apporter au Kosovo, des biens commerciaux qui viennent de la Serbie, des

7 marchandises commerciales. C'était aussi l'artère qui permettait d'apporter

8 les carburants, les combustibles pour les forces de sécurité serbes pour

9 assurer leur réapprovisionnement. Il y avait aussi l'échange de soldats

10 lorsqu'il y avait des relèves de personnel. On y avait aussi des munitions.

11 On envoyait du réapprovisionnement de toute sorte en suivant cette artère.

12 Q. Il s'agirait des fournitures de première nécessité pour la population;

13 c'est cela ?

14 R. Oui, on pourrait l'interpréter comme cela.

15 Q. Vous venez de dire à la Chambre de première instance que cette période

16 qui a précédé Noël, et ce que vous avez pu voir pendant cette période-là,

17 où vous étiez très proche et bien implanté au sein de l'Uceka, vous avez

18 décrit cette période. Est-ce qu'il y a quelque chose que vous souhaitez

19 ajouter à ce que vous avez dit ?

20 R. Il y avait une différence très claire par rapport à ce que j'avais vu

21 en Bosnie. J'ai vu la guerre là-bas six ou sept mois avant les accords de

22 Dayton. Mon impression était qu'il y avait beaucoup de mise en scène ici.

23 L'Uceka semblait être conseillé par un excellent conseiller. Il y avait des

24 situations où on gardait les réfugiés dans les bois jusqu'à ce que les

25 journalistes occidentaux se rendent dans les camps des réfugiés.

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1 Il y avait des situations où la population civile était gardée dans les

2 villages qui étaient attaqués par les forces de sécurité serbes, et on

3 empêchait les civils de quitter les villages.

4 On avait l'impression qu'il s'agissait plus d'une mise en scène de la

5 guerre que ce qu'on avait vu en Bosnie. C'était une grande différence.

6 C'est ce qui différenciait les deux cas de figure.

7 Q. Vous nous avez décrit les différentes activités. Est-ce qu'il y a une

8 zone particulière dans laquelle vous avez travaillé ?

9 R. Dans la zone de Drenica, au centre de Kosovo, Stijmlje, Obrenovac, puis

10 vers l'ouest Kacanik plus tard, puis ce qu'on appelle la patte d'éléphant.

11 Q. Kacanik, on peut le voir page 12 de l'atlas.

12 Passons maintenant à la période qui suit le Noël. La Chambre a déjà entendu

13 parler, ou a déjà entendu des preuves au sujet de l'incident qui s'est

14 produit à Racak. Est-ce que vous étiez à Racak le jour où l'ambassadeur

15 Walker s'y est rendu ?

16 R. Le 16 janvier, un samedi, je suis allé en effet à bord d'un véhicule à

17 Racak avec Walker. La situation était nouvelle parce que, pour la plupart

18 des journalistes, les foyers de crise, les zones de combat importantes se

19 situaient entre Mitrovica et Pristina. C'est là qu'il y avait des combats

20 intenses. Il y avait des attaques qui étaient systématiquement lancées sur

21 des villages. Par conséquent, il n'y avait guère de journalistes qui

22 s'intéressaient au combat dans la zone de Racak. Nous avons reçu

23 l'information qu'il y avait eu un massacre qui s'était produit à Racak.

24 Q. Racak se trouve en page 11 de l'atlas, je le précise. C'est au sud-est

25 de Stimlje, à une petite différence.

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1 Etiez-vous à Prizren dans la matinée du 16 janvier ?

2 R. J'étais à Pristina, et ce, parce que j'ai passé Noël avec mes collègues

3 allemands à Pristina. Pendant la première semaine de janvier, j'étais parti

4 de Kosovo tout simplement pour me changer les idées. Je suis allé en

5 Macédoine, et j'étais de retour au Kosovo depuis le 10 janvier.

6 Q. Y avait-il avec vous d'autres journalistes et des observateurs de

7 l'OSCE ce jour-là dans la matinée lorsque le convoi est parti pour Racak ?

8 R. Je n'étais pas seul; j'étais là avec plusieurs collègues. On a pris le

9 petit déjeuner ensemble. On ne peut pas dire que c'était vraiment organisé

10 par le OSCE, mais ils voulaient emmener quelques journalistes à Racak parce

11 qu'il y avait eu quelques indices qu'un massacre s'était produit. Je pense

12 que nous étions 40 à 50 journalistes. On est parti à Racak ensemble. Il y

13 avait en plus des équipes de l'OSCE, et il y avait Walker.

14 Ce n'était pas vraiment organisé. On ne peut pas parler d'organisation. On

15 ne devait pas se rencontrer à tel ou tel endroit et partir ensemble, mais

16 tout simplement, cela s'est organisé spontanément. On est parti après

17 Walker. Il avait un convoi qui s'est constitué, qui est arrivé à Racak.

18 Q. Vous aviez déjà connu la zone de Racak auparavant lorsque vous étiez

19 dans la zone de Stimlje ?

20 R. Non, pas du tout. Pour ce qui est de Racak, pour le commandement

21 opérationnel de la zone de défense, Racak n'avait aucune importance.

22 C'était là qu'il y avait le 2e Bataillon qui était déployé, le 2e Bataillon

23 de la 122e Brigade. La zone qui était plutôt importante, c'était Stimlje.

24 C'était sur cela que le commandement s'était concentré. Ici, c'était un

25 endroit d'intérêt secondaire. Je ne m'étais jamais rendu à Racak

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1 précédemment.

2 Q. Nous savons quelle était la taille de ce convoi que vous avez décrit.

3 Il y avait combien de personnes, combien de véhicules qui sont arrivés à

4 Racak avec l'ambassadeur Walker ?

5 R. Je dirais environ 20 véhicules, 20 à 25 véhicules peut-être et environ

6 60 personnes qui sont arrivées en la compagnie de Walker. A ce moment-là

7 précis, il y avait des équipes de la Mission de vérification. Sur place, il

8 y avait d'autres journalistes qui étaient déjà sur place lorsque nous

9 sommes arrivés. Nous sommes arrivés vers midi.

10 Q. Lorsque vous êtes arrivés à Racak, quelle était la situation à Racak ?

11 Pourriez-vous nous dire où vous êtes vous rendus à Racak, et qu'avez-vous

12 vu là-bas ?

13 L'INTERPRÈTE : Le microphone pour le témoin, s'il vous plait.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous voyez cette route en rouge, tracez en

15 rouge. Nous sommes arrivés de Stimlje. On a emprunté cette route-là pour

16 nous rendre à Racak. Nous sommes entrés depuis le nord, et nous nous sommes

17 arrêtés. Nous avons arrêté les véhicules aux premières maisons de la

18 bourgade.

19 Qu'elle était la situation ? L'Uceka était sur les pentes. On voit

20 des pentes qui surplombent la ville au nord-ouest et à l'est. Dans la ville

21 même, j'au vu dix combattants de l'Uceka. Moi-même, je les ai vus. Certains

22 portaient un uniforme. Plusieurs éléments de leurs tenues vestimentaires

23 étaient de nature militaire. Mais il y avait des combattants de la police,

24 donc la police de l'Uceka, qui eux portaient des vêtements noirs avec des

25 brassards blancs. Ils avaient des insignes indiquant PU.

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1 Je ne suis pas rentré dans la ville moi-même. Le groupe de

2 journalistes est divisé. Certains étaient déjà rentrés dans l'agglomération

3 avec les combattants de l'Uceka parce qu'on avait dit -- on disait qu'il y

4 avait des corps qui ont été trouvés.

5 Je suis allé moi-même dans la partie sud de la ville avec Walker. On

6 a monté la pente, là où il y a des buissons. Là, nous sommes tombés sur des

7 corps, un tas de corps.

8 Q. Vous avez vu beaucoup de photos de cette scène à Racak; est-ce

9 exact ?

10 R. Oui.

11 Q. C'est dans une crevasse qu'a été trouvée la principale pile de

12 corps. C'est la zone que vous êtes en train de montrer ?

13 R. Oui, c'était à-peu-près de la taille d'un homme, jusqu'aux

14 épaules d'un homme. C'était un lit d'un cours d'eau asséché. C'est

15 précisément ce que nous avons vu; il y avait des corps qui gisaient à

16 différents endroits.

17 M. KAY : [interprétation] La Chambre a vu la pièce à conviction 156, qui

18 représente ces corps. Je ne voudrais pas qu'on les revoie à ce stade, mais

19 je voulais simplement citer la référence pour aider les Juges.

20 Q. Vous avez décrit les forces de l'Uceka près de la ville, dans la ville.

21 Vous avez dit qu'il y en avait dix; est-ce que vous les avez reconnues

22 grâce aux moments que vous avez passés parmi eux ?

23 R. C'était pour le plupart des combattants jeunes. Parmi les plus âgés, il

24 n'y en avait pas vraiment que je connaissais. Il y en avait un ou deux que

25 j'avais vus, qui étaient membres de la

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1 121e Brigade lorsque je m'étais rendu dans cette brigade. Je ne peux vous

2 citer des noms.

3 Il y avait un commandant. Le commandant que j'avais vu qui avait organisé

4 sa base d'approvisionnement dans la ville, il était connu comme ex-membre

5 de la Légion étrangère.

6 Q. Vous nous avez dit qu'il y avait un groupe de membres de l'Uceka à

7 l'extérieur de la ville, sur les hauteurs. Est-ce que vous pouvez nous dire

8 à peu près combien il y en avait, où étaient-ils déployés ?

9 R. De toute évidence, la tâche de ces unités était de sécuriser la zone

10 autour de Racak et de fournir une sorte d'anneau de sécurité de défense

11 autour de l'agglomération. Je pense qu'il y en avait une centaine, mais il

12 est difficile d'évaluer leur nombre. Il y en avait peut-être 30, plus ou

13 moins. C'était un terrain accidenté assez difficile. Je pense qu'on

14 pourrait dire qu'il y en avait à peu près une compagnie.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je pense que le moment est venu de

16 faire une pause.

17 M. KAY : [interprétation] Nous pouvons nous arrêter.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Hutsch, nous allons

19 suspendre l'audience pendant 20 minutes.

20 --- L'audience est suspendue à 10 heures 30.

21 --- L'audience est reprise à 10 heures 54.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous en prie, veuillez

23 poursuivre, Maître Kay.

24 M. KAY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

25 Q. Avant la suspension de l'audience, Monsieur Hutsch, on parlait Racak,

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1 de votre arrivée à Racak. Vous nous avez dit qu'il y avait peut-être

2 jusqu'à cent membres de l'Uceka sur les hauteurs, autour de la ville. Est-

3 ce que vous pouvez nous dire si vous saviez à quelle brigade appartenaient

4 ces hommes ? Est-ce que vous aviez d'autres éléments d'information sur

5 eux ?

6 R. Comme je l'ai entendu par la suite, ces soldats ont dit qu'ils étaient

7 membres du 2e Bataillon de la 121e Brigade. Dans une situation qui était

8 très complexe, la situation qui prévalait à Racak et dans les environs,

9 cela n'aurait eu aucun sens de changer de troupes, de les déplacer, de

10 verser une autre brigade d'un autre bataillon à la place. Ceci, d'un point

11 de vue militaire, n'aurait fait aucun sens et aurait pu être difficilement

12 organisé, de toute façon, pas du jour au lendemain.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, vous avez dit qu'ils

14 étaient de toute évidence membres du 2e Bataillon de la 121e Brigade. De

15 combien d'hommes comptaient cette brigade ?

16 R. Il y avait 1 800 hommes dans cette 121e Brigade à l'époque et elle

17 avait une structure organique classique. Elle était composée de trois

18 bataillons, il y avait ce 2e Bataillon, le bataillon en question qui

19 comptait environ 600 hommes.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] : Oui, Maître Kay.

21 M. KAY : [interprétation]

22 Q. Pour ce qui est de leurs uniformes, est-ce que les membres de cette

23 brigade de l'Uceka portaient un uniforme distinct ou est-ce qu'ils avaient

24 des tenues vestimentaires variées ?

25 R. En principe, pour ce qui est de l'Uceka, à l'exception des forces

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1 spéciales, les forces d'opération spéciales et la police militaire, ceux

2 qu'on appelait la PU, ils n'avaient pas toujours un même uniforme pour tout

3 le monde et cela concernait aussi la 121e Brigade.

4 Q. Les soldats que vous avez vus à Racak, les soldats de l'Uceka, ce jour-

5 là, ils avaient des uniformes différents ?

6 R. Différents éléments d'uniforme, parfois c'étaient des vêtements civils

7 mais ils avaient toujours un badge qui montrait qu'ils étaient membres de

8 l'Uceka.

9 Q. Est-ce qu'ils avaient des armes ?

10 R. Oui. Ils avaient des Kalachnikov. Ce que j'ai vu parfois, c'était aussi

11 des fusils à lunettes très sophistiqués, des Dragunov. Ils avaient des

12 armes russes, des fusils à lunettes italiens, aussi quelques modèles

13 américains et je ne suis pas tout à sûr parce que cela n'était pas tout à

14 fait visible, tout à fait clair. Lorsqu'on entrait dans la ville et

15 lorsqu'on regardait en haut, sur la droite, je pense que j'ai vu un lance-

16 roquette mais c'était peut-être autre chose.

17 Q. Pour ce qui est de la situation qui prévalait sur le terrain ce jour-

18 là, vous nous avez dit qu'il y avait des observateurs de l'OSCE. Il y en

19 avait combien à Racak?

20 R. En tout et pour tout, il y avait 10 membres de la mission de

21 vérification de l'OSCE. C'est ce que j'ai vu moi-même et il y en avait

22 probablement plus que cela. Un autre point que j'ai remarqué, qui était

23 intéressant pour l'endroit où des combats importants auraient eu lieu,

24 c'est qu'il y avait très peu de traces de combat intense. Par exemple, peu

25 de douilles par terre.

Page 32929

1 Q. Nous avons entendu dire que les observateurs de l'OSCE étaient déployés

2 sur les hauteurs qui surplombent Racak. Est-ce que vous les avez vus ?

3 R. J'ai vu des jeeps qui étaient peintes en orange et il y avait des

4 combattant de l'Uceka à bord de ces jeeps. Ils avaient des contacts là-bas.

5 Je ne sais s'ils surveillaient ces forces, ou quoi.

6 R. Le premier endroit où vous avez vu des corps à Racak, c'était dans

7 cette espèce de dépression, est-ce que vous pouvez nous décrire sa

8 taille? Il y avait combien de personnes dans votre groupe ? Ce groupe était

9 composé de quel genre d'individus ? Nous avons vu le film pendant le

10 procès. Nous savons comment ce groupe a vu les corps.

11 R. Tout d'abord, il y avait des corps qui étaient peut-être à dix ou 15

12 mètres l'un de l'autre, et il y avait plusieurs corps à un endroit et ces

13 corps étaient partiellement mutilés de manière atroce. Il y avait des

14 traces de balles, certains avaient des traces de balles à la tête, avaient

15 été touchés à la tête. Je me rappelle le corps d'un vieil homme qui portait

16 toujours le bonnet traditionnel albanais et la partie gauche de son visage

17 était complètement arrachée et aussi la partie arrière de sa tête avait

18 explosé.

19 Il y avait aussi, parmi ces corps, des corps de beaucoup d'hommes

20 âgés. Je n'ai pas pu vérifier pour chacun des corps, mais je dirais qu'ils

21 étaient dans leur quarantaine, cinquantaine, à peu près les deux tiers de

22 ces hommes avaient plus de 50 ans. Pour ma part, je pensais que c'était

23 assez clair que ce n'était pas des membres de l'Uceka.

24 Ce qui était surprenant, c'est qu'il y avait très peu de douilles, en

25 particulier, par rapport aux blessures qu'on voyait, des traces de

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1 blessures sur ces corps, c'est cela qui m'a frappé.

2 Une chose que j'ai remarquée, on pouvait se déplacer librement parmi

3 ces corps et certains de mes collègues les ont même déplacés pour pouvoir

4 prendre de meilleures photos. L'ambassadeur Walker n'a pas essayé de

5 l'empêcher. D'un point de vue médecine légale, je ne suis pas un

6 spécialiste, je ne suis pas membre de la police ou rien de la sorte, mais

7 je pensais que cela était très étrange que l'on traite ainsi un lieu du

8 crime. M. Walker nous a dirigés dans un endroit, où d'un point de vue de

9 médecine légale, on était en train de détruire les éléments de preuve.

10 Q. Par rapport à l'ambassadeur Walker, où vous trouviez-vous sur le site

11 où il y avait des corps ? Où se trouvait-il par rapport au groupe qui

12 avançait vers cette dépression ?

13 R. Avec un collègue, j'étais à la fois membre du groupe mais aussi, je

14 suis sorti à l'extérieur parce que je voulais voir de l'extérieur la scène,

15 en particulier, lorsque nous nous engagions de plus en plus vers

16 l'intérieur. C'est ce que je fais d'habitude lorsqu'on arrive sur ce genre

17 d'endroit. Je reviens à mes expériences précédentes, lorsque j'étais

18 militaire de carrière, je veux me faire une idée précise, je veux pouvoir

19 évaluer la situation d'un point de vue militaire. Après tout, c'est mon

20 travail.

21 Je pense que c'était à 30 ou 40 mètres du groupe, du groupe où se

22 trouvait Walker. Mais je ne peux pas vous dire exactement, par rapport à la

23 ville. Je ne peux pas vous dire mètre par mètre où c'était.

24 Q. Ce groupe qui trouvait des corps était composé de combien de

25 personnes ?

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1 R. Il y avait entre 25 et 40 personnes. Il y avait M. Walker, son

2 interprète albanais; certaines personnes disaient que c'était à la fois son

3 conseiller politique. Il y avait d'autres personnes de l'OSCE et il y

4 avait des journalistes.

5 Q. Vous étiez présent lorsque l'ambassadeur Walker a trouvé les corps ?

6 R. Oui. J'ai vu moi-même comment il a avancé parmi les corps. J'étais moi-

7 même très près de ces corps.

8 Q. Quelle a été sa réaction ?

9 R. Il disait que c'était inconcevable que c'était l'un des plus grands

10 crimes contre l'humanité. Il a plusieurs fois utilisé le terme "massacre."

11 Q. Est-ce qu'il y avait quelqu'un qui était en charge de cette zone où

12 gisaient les corps, de la scène du crime ?

13 R. Il y avait des observateurs qui se trouvaient en bordure. Mais il n'y

14 avait personne qui sécurisait la zone comme je m'y serais entendu, donc la

15 scène du crime. C'est ce qui se passait par la suite lorsqu'il y avait des

16 fosses communes qu'on a découvertes au Kosovo et en Bosnie. Je l'ai vu sur

17 place. Il y a une bande spéciale qui délimite la scène du crime. Là, il n'y

18 avait absolument rien du genre. Personne ne sécurisait le site pour qu'on

19 ne détruise pas les traces. On n'a pas pris de photos, fait des croquis. Je

20 n'ai vu rien, rien de ce genre.

21 Q. Vous nous avez dit qu'on a touché les corps. Est-ce que vous avez vu

22 d'autres gestes par lesquels on aurait dérangé le site ?

23 R. Certains collègues ont mis dans leurs poches des douilles plus ou moins

24 comme un souvenir. Certains collègues, comme je l'ai dit, ont touché les

25 corps, les ont déplacés pour leur faire prendre des positions différentes.

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1 Dès le départ pour moi, c'était assez clair que les corps tous gisaient en

2 contrebas. Par la suite, il y avait en fait une espèce d'enchevêtrement des

3 corps.

4 Q. A quel moment est-ce que vous avez vu ces corps dans la dépression ?

5 R. C'était à peu près à midi. Vers midi.

6 Q. Le 16 janvier ?

7 R. C'est exact.

8 Q. Pour ce qui est de l'ambassadeur Walker, l'avez-vous vu faire autre

9 chose que prononcer ces commentaires ? Est-ce qu'il a fait autre chose

10 d'après ce que vous avez vu ?

11 R. Il a beaucoup téléphoné. Je ne sais pas à qui il a parlé. Lorsqu'il

12 passait des coups de fil, il s'éloignait du groupe un petit peu. Cependant

13 il a beaucoup appelé, et parmi nous les journalistes, on en a parlé, on en

14 a discuté, parce que nous pensions qu'avec ce type de gestion de la crise,

15 c'était surprenant qu'il ne gère pas cette crise.

16 Q. Qui était son adjoint ? Pour le compte rendu d'audience, pouvez-vous le

17 préciser ?

18 R. Bien. Je pense que c'est le général Drewienkiewicz. Du moins, la

19 plupart des journalistes estimaient que cela aurait été mieux que ce soit

20 lui qui s'en charge, parce que M. Walker n'étant pas un militaire, il ne

21 pouvait pas répondre aux questions militaires

22 Q. Où êtes-vous allé après avoir vu cette scène dans cette dépression ?

23 Pouvez-vous nous dire quelle a été votre itinéraire et comment vous êtes

24 passé par Racak, à partir de ce moment-là ?

25 R. C'était vers 14 heures que je suis parti, que j'ai quitté la scène du

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1 crime, j'ai retraversé la ville et je suis parti pour Pristina. Au fond,

2 c'est parce que mon propre journal m'avait confié une autre mission, mais

3 une autre raison était aussi parce que je voulais rédiger mon rapport parce

4 que je travaillais à l'époque, en tant que "freelance," et je voulais

5 vendre cela à différents médias. J'en avais vu suffisamment pour pouvoir

6 apprécier la situation.

7 J'ai parlé à différents membres de l'Uceka dans la ville même et je suis

8 retourné à Pristina pour pouvoir envoyer mon rapport.

9 Q. Mise à part cette scène dans la dépression, est-ce que vous vous êtes

10 rendu à d'autres sites où on a retrouvé des corps ?

11 R. Non. Je n'ai pas vu les corps dans la ville même. Je ne me suis pas

12 rendu sur ce site-là. A vol d'oiseau directement vers l'est depuis cet

13 endroit vers le cours d'eau asséché, il y avait des corps mais je ne m'y

14 suis pas rendu. Des collègues m'en ont parlé, des collègues qui y étaient

15 allés. Ce qu'on disait généralement à l'époque, et ce qui a été confirmé

16 par la mission de médecine légale finlandaise, à la tête de laquelle se

17 trouvait le Dr Runta, c'était qu'aucun de ces corps n'avait été profané

18 d'aucune manière. Il y avait des journaux allemands dont les journalistes

19 n'avaient pas fait partie de ce groupe et qui ne sont pas rendus à Racak

20 avec nous, et qui disaient que ces corps avaient été mutilés. Les

21 journalistes qui étaient au Kosovo nous ont dit autre chose, en

22 particulier, lorsqu'on devait traverser à un poste de contrôle serbe. Ils

23 nous ont vraiment fouillés, vérifiés de manière très approfondie. Certains

24 ont dû s'agenouiller à côté de nos véhicules ou s'allonger par terre, donc

25 il n'y avait plus de liberté de circulation. Cela concerne les journalistes

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1 allemands, c'était 10 à 14 jours plus tard.

2 Q. Pour ce qui s'est passé à Racak, vous étiez toujours basé dans la

3 région que vous nous avez décrite aujourd'hui ou vous êtes passé à un autre

4 endroit ?

5 R. Particulièrement pour ce qui est des mesures de répression dont j'ai

6 été victime, compte tenu du fait que je ne pouvais pas me déplacer

7 librement au Kosovo, mon accréditation ne m'aidait pas. J'ai décidé de

8 rejoindre l'Uceka dans la zone de Malisevo. C'était début janvier, je suis

9 parti de Kosovo pour aller en Macédoine, d'une part pour me reposer un

10 petit peu mais aussi pour avoir de nouveaux éléments et pour avoir des

11 informations plus fiables au sujet de ce qui était censé se passer à

12 Rambouillet. C'était à la mi-février que je suis retourné au Kosovo en

13 passant par ce qu'on appelait la patte d'éléphant.

14 Q. Pendant cette période-là, après Racak, vous êtes allé en Macédoine, et

15 avant que vous ne retourniez au Kosovo, quelle était la situation en

16 Macédoine pour ce qui est de l'Uceka ?

17 R. Il y avait deux possibilités de partir du Kosovo pour se rendre en

18 Macédoine. Il y avait les deux principales routes d'approvisionnement de

19 l'Uceka vers le Kosovo. Je voudrais vous montrer cela. Je voudrais que l'on

20 regarde cette carte-ci.

21 Q. Page 12 ?

22 R. Oui. C'est celle-ci. C'est la zone de Kacanik. C'est la patte

23 d'éléphant, c'est comme cela qu'on l'appelle. Cela ressemble effectivement

24 à la forme d'une patte d'éléphant. C'est l'une des principales routes

25 d'approvisionnement que l'Uceka utilise toujours. Il y des mines ici. C'est

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1 du côté kosovar. Il y a un passage souterrain. On peut passer par les

2 vieilles mines, et partir vers le côté macédonien. Vous devez savoir que

3 les gens se servent souvent d'ânes pour transporter des marchandises à dos

4 d'ânes, et on les envoie par ces mines. Il y a toujours eu des passages

5 clandestins ici de la frontière.

6 Il y a une deuxième route pour quitter le Kosovo dans la zone de

7 Vitina, Panovcervci [phon], en particulier, en 2001. C'est un endroit qui a

8 joué un rôle-clé pendant la crise macédonienne.

9 C'étaient les deux routes principales. Je les ai empruntées pour

10 partir et pour revenir au Kosovo. Ce sont les routes principales

11 d'approvisionnement pour l'Uceka, parce que les forces de sécurité serbes

12 avaient coupé principalement les routes, mis à part la route de Dragas, et

13 défendaient la frontière à d'autres endroits, aux postes frontière. C'était

14 de toute évidence des endroits très importants.

15 Ce que beaucoup de gens ont vu en Macédoine, et j'ai passé beaucoup

16 de temps moi-même en Macédoine occidentale, dans la zone de Tetovo. C'est

17 qu'il y avait beaucoup de recrues, de jeunes soldats, mais aussi des

18 approvisionnements, des armes de point, en particulier, des M16 américains

19 pour des forces spéciales ou des groupes de reconnaissance.

20 Q. Quand vous avez quitté le Kosovo et que vous êtes allé en

21 Macédoine, vous êtes pas resté un certain temps avec ce qu'on pourrait

22 qualifier de chaîne d'approvisionnement, de ravitaillement de l'Uceka.

23 Pouvez-vous décrire aux Juges de la Chambre le fonctionnement du système de

24 ravitaillement à l'époque, est-ce qu'il fonctionnait bien ?

25 R. C'était un système qui était parfaitement pensé, qui fonctionnait

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1 bien. De ce fait, à partir de Kacanik, de Vitina, de Gnjilane, à partir de

2 mars; donc, il n'y avait pratiquement pas de combats. Dans cette zone de

3 défense numéro 6, Strpce, Urosevac, Kacanik, le nombre des brigades avait

4 été réduit à une. Il n'y avait plus que la 126e Brigade qui tenait la zone.

5 Dans l'autre zone, il n'y avait que trois brigades qui comptaient à peine

6 800 hommes.

7 L'objectif était manifeste. On voulait ne pas provoquer plus les

8 forces serbes. Il fallait que la situation soit calme pour qu'on puisse se

9 concentrer sur la zone de Prizren, Pec, et Drenica.

10 Q. Vous nous parlez des équipements qui venaient de Macédoine au

11 Kosovo. Est-ce qu'il y en avait beaucoup ? Quel était le volume ? Avez-vous

12 été en mesure de le quantifier ?

13 R. J'ai vu un document de l'Uceka qui montrait que pour le

14 ravitaillement quotidien, il s'élevait à 2,5 tonnes, 2,5 à 3 tonnes, et que

15 ce ravitaillement était assuré.

16 Q. Vous parlez du ravitaillement en marchandises. Les hommes, est-ce qu'il

17 y avait des nouveaux soldats qui venaient se joindre aux rangs de l'Uceka,

18 qui se sont venus s'y joindre après cette période ?

19 R. D'abord, il y avait un système d'instruction, de formation au sein même

20 du Kosovo. Ainsi, par exemple, si vous me le permettez de vous le montrer.

21 Page 16.

22 Q. Oui.

23 R. Il y avait un camp entre Kotlina et Pustanik, un camp de formation de

24 l'Uceka qui était encore actif en 2001, quand l'Uceka a commencé à

25 intervenir en Macédoine. C'était un immense centre d'instruction qui

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1 comptait environ 200 recrues en moyenne. Dans la localité de Zelino, à côté

2 de Tetovo, il y avait également un camp de formation, un camp

3 d'entraînement. C'était un point de regroupement des recrues qui, ensuite,

4 passaient par la patte de l'éléphant pour entrer au Kosovo, donc par

5 l'itinéraire que je vous montre, c'est-à-dire, en allant à l'est de

6 Jegunovce. Ils passaient par la patte de l'éléphant pour rentrer au Kosovo.

7 De nombreuses interviews ont été réalisées, de nombreux films ont été

8 réalisés à ce sujet, de nombreuses images ont été prises par d'autres

9 collègues journalistes. Ceci a été rendu public. Ces journalistes se sont

10 entretenus avec des recrues qui sont rentrées au Kosovo. D'après ce que

11 m'ont raconté mes collègues journalistes, pour le mois d'avril et mai, je

12 dirais que le nombre minimum s'élevait à 2 000 ou 3 000, au moins 3 000, en

13 tout cas.

14 Q. On voit la carte 16. Au nord-est de Skopje, c'est la patte de

15 l'éléphant, n'est-ce pas ? Je veux que ce soit bien clair. On la voit

16 délimitée par une ligne jaune, n'est-ce pas ?

17 R. Oui.

18 Q. Est-ce que l'Uceka, à partir de cette position, a lancé des offensives

19 vers le printemps 1999 ?

20 R. Au début février, l'Uceka a préparé une offensive de la 161e Brigade et

21 de la 162e Brigade dans la zone à l'ouest de Kacanik. On a pu se rendre

22 compte de cette offensive, parce que ces brigades ont augmenté leurs

23 effectifs ainsi que les équipements dont ils disposaient. On a constaté

24 cela. D'autre part, ces brigades avaient une tactique très mise au point,

25 qui fonctionnait très bien, d'embuscades dans la zone de l'ouest, à l'ouest

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1 de la route allant de Kacanik à Pristina. Ils provoquaient les forces

2 serbes en lançant des attaques contre les patrouilles provoquant ainsi des

3 contre-attaques.

4 Q. Passons de la carte 16 à la carte 12, au sud de Kacanik vers Urosevac.

5 On a parlé du niveau de l'appui militaire qui était disponible à Noël.

6 Maintenant, parlons de l'autre période, la période qui va des événements de

7 Racak à la mi-janvier jusqu'au début des frappes aériennes de l'OTAN. Avez-

8 vous remarqué quoi que ce soit au niveau de l'approvisionnement matériel de

9 l'Uceka à ce moment-là ?

10 R. Le ravitaillement s'est intensifié. C'était manifeste. Au début 1999,

11 il y avait également des jumelles de nuit de deuxième ou troisième

12 génération, des équipements de visée de nuit, nocturne, à fonctionnement

13 thermique. Il y avait également des armes antichars, et des armes de type

14 Strelovac russes, des missiles solaires. On peut parler également de

15 marchandise ou d'équipement à caractère médical; des poches de sang, des

16 analgésiques, des pansements, et cetera, enfin, toutes sortes de ce genre

17 de fournitures médicales sont également apparues.

18 Q. Précédemment, vous avez parlé de Rambouillet. Cela nous mène à la

19 période de février, mars 1999. Est-ce qu'il y a eu une offensive

20 importante ? Vous avez parlé d'une incursion, mais est-ce qu'il y a eu des

21 offensives importantes venant du sud vers Urosevac ?

22 R. Dans la zone de défense 6, ici, là où je vous l'indique, on a reçu de

23 la part de l'état-major de l'Uceka l'ordre de lancer une offensive vers

24 Urosevac. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Cela voulait dire du côté de

25 l'Uceka qu'il fallait augmenter le nombre d'embuscades, de coups de mains

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1 et, éventuellement, d'attaquer de manière plus conséquente certains

2 villages, en particulier, dans les villages où il y avait une majorité de

3 la population qui était serbe jusqu'à mars de cette année. Ces attaques ont

4 été préparées. Elles ont commencé le 28 février avec l'attaque contre le

5 chef de la police de Kacanik. Il est tombé dans cette embuscade; il a été

6 tué. L'objectif, manifestement, c'était de maintenir, de clouer au sol les

7 forces serbes, de les maintenir à cet endroit, de les provoquer dans le

8 cadre des négociations de Rambouillet, pour renforcer l'image que l'on

9 connaissait à l'époque, pour créer ces espèces d'images qui pouvaient être

10 utilisées; l'image des forces serbes qui ouvraient le feu sur les villages

11 albanais du Kosovo.

12 Q. Cette stratégie militaire de l'Uceka dont vous nous parlez, qui partait

13 du sud vers Kacanik. Pouvez-vous nous en parler dans la perspective de

14 l'enquête que vous avez réalisée sur place, de la période de temps que vous

15 avez passé, puis de vos connaissances militaires ?

16 R. Il était évident qu'on peut comparer cette tactique à la suivante. Cela

17 consiste à jeter une pierre dans l'eau, ainsi pour créer -- et ceci

18 entraînerait une vague, une vague disproportionnée. C'est ce qui s'est

19 passé à Kacanik. Je n'ai pu suivre les combats qu'à l'oreille, et les

20 combats qui ont eu lieu au sud de Kacanik. Après cette attaque, on a vu des

21 forces très importantes serbes, de la sécurité serbe d'à peu près 200

22 hommes qui ont mené une attaque sur Gajraj; ils ont détruit ce village. Il

23 était, évidemment, qu'il était dans l'intérêt de l'Uceka, à cette époque,

24 d'encourager les populations à fuir leurs villages. On essayait d'augmenter

25 le sentiment de peur en disant aux gens que, par exemple, ici, près de

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1 Straza, Ivaja, Picevac, dans toute cette zone, on a dit aux gens qu'il

2 fallait qu'ils quittent leurs villages pour aller se réfugier dans les

3 forêts. Ensuite, on a empêché ces personnes de retourner dans leurs

4 villages.

5 Parce que, d'après mes observations, quand les forces serbes avaient

6 attaqué un village et se retiraient, généralement, les populations

7 réintégraient leurs maisons et s'accommodaient de la situation plus ou

8 moins, même si c'était difficile. Mais là, on a obligé les villageois en

9 question à rester à l'extérieur de leurs villages, ce qui a créé un

10 problème de réfugiés.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Hutsch, pouvez-vous, s'il

12 vous plaît, nous expliciter un petit peu plus cette métaphore que vous avez

13 employée pour décrire la tactique de l'Uceka, où vous nous dites que cela

14 revient à jeter un galet dans une mare, cela crée une vague

15 disproportionnée. On n'a pas très bien compris.

16 LE TÉMOIN : [interprétation] La réaction s'est présentée de la manière

17 suivante. Il suffisait d'attaquer une patrouille serbe. Généralement,

18 c'étaient des patrouilles du MUP. Dès qu'il y avait une attaque, à ce

19 moment-là, dès qu'on se rendait compte du côté serbe d'où venait cette

20 attaque, de quelle localité cela venait, à ce moment-là, on passait

21 directement à l'attaque de cette localité.

22 Ces attaques se passaient de la manière suivante, c'est-à-dire que tout au

23 petit matin, des forces très importantes occupaient la zone, créaient un

24 cordon autour -- deux cordons intérieur et extérieur. S'agissant du cordon

25 intérieur, il était toujours constitué par des hommes du MUP, alors que le

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1 cordon extérieur était constitué également en partie d'hommes de la VJ.

2 A ce moment-là, par haut-parleur qui était monté sur des voitures, on

3 disait à la population qu'il fallait quitter le village en passant par un

4 certain nombre de points de contrôle. On donnait un certain temps à la

5 population. Cela dépendait. On donnait un certain temps à la population

6 pour atteindre tel ou tel point de contrôle. C'était d'une demi-heure à une

7 heure.

8 Enfin, ce n'était pas quelque chose d'unifié; cela variait. Des

9 menaces également étaient lancées. On disait que le village serait attaqué

10 si l'Uceka ne quittait pas ses positions. Ceci était diffusé dans ces haut-

11 parleurs montés sur ces voitures, afin de dire très clairement à la

12 population et aux combattants de l'Uceka, qu'il fallait qu'ils se rendent à

13 ces points de contrôle. Au bout d'une heure environ, on attaquait le

14 village d'une manière que j'estimais moi-même complètement

15 disproportionnée. Il y avait toujours des tirs de mortier. Il y avait

16 souvent des tirs d'artillerie. Souvent, pendant des heures, avec des Spraga

17 [phon]. C'était un canon antiaérien qui est monté sur un char. On tirait

18 sur le village en question.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Merci, merci. Ce que je n'ai

20 pas bien compris, c'est votre métaphore, qui lançait ce feu, ce galet ?

21 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est l'Uceka qui faisait cela en attaquant

22 une patrouille. La vague disproportionnée qui en résultait, c'était celle

23 des Serbes qui ripostaient. D'un côté, il y avait provocation et de l'autre

24 côté, il y avait réaction à cette provocation.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay.

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1 M. KAY : [interprétation]

2 Q. Vous nous parlez des mouvements des populations sous la direction de

3 l'Uceka. Vous dites que cela changeait de ce qu'on voyait précédemment,

4 n'est-ce pas ?

5 R. Depuis septembre, depuis ce mois de septembre où j'étais au Kosovo,

6 c'était une provocation qui était systématique, mais pas toujours aussi

7 perfide. Parce que c'est devenu beaucoup plus systématique, beaucoup plus

8 cynique, même si on a mis -- on a updaté si je puis dire, comme on dit

9 maintenant. Enfin, on a mis cela à jour.

10 Q. Il y a eu quelque chose qu'on n'a pas bien compris dans la traduction.

11 La traduction où il y a un petit problème. Je parlais des mouvements des

12 populations.

13 R. Je vois. S'agissant des populations des villages, la situation était la

14 suivante; ce comportement s'est intensifié en

15 mars 1998. J'ai vu des exemples isolés où on a empêché les gens de

16 retourner dans leurs villages respectifs, ou même on leur a dit, on leur a

17 ordonné de quitter leurs villages. Au printemps 1999, cela est devenu

18 quelque chose d'absolument systématique; on l'a bien vu.

19 Q. Ces gens que l'Uceka empêchait de revenir dans leurs maisons, ces gens

20 qui quittaient leurs villages, d'après ce que vous avez vu, où allaient-

21 ils ?

22 R. Ils sont restés dans les forêts, dans le cadre de l'offensive de

23 Kacanik de l'Uceka, ce que j'appellerais ainsi. Il y avait un camp de

24 réfugiés qu'on trouvait dans cette forêt qui se trouve au nord ou au sud-

25 ouest de Kacanik. Dans cette zone, il y avait une sorte de camp de réfugiés

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1 où se trouvaient ces gens. Il y en avait un également au sud de Kotlina

2 dans la direction de Pustanik. Là, on trouvait 800 à 1 000 civils qui

3 venaient de toute la région. Il y avait aussi un camp de réfugiés au niveau

4 de la zone frontalière à côté de Straza, où les gens étaient confinés.

5 Q. Au cours de cette période de février à mars jusqu'au -- aux attaques

6 aériennes de l'OTAN, est-ce que pour vous, ce qui vous intéressait

7 essentiellement, c'était la zone au sud d'Urosevac vers la patte de

8 l'éléphant. Est-ce que c'est dans cette zone que vous avez travaillé ?

9 R. Comme je l'ai dit, jusqu'à la mi-mars, je suis resté dans cette zone

10 jusqu'à la mi-mars environ. Vers le 10 ou vers le 11 mars, je me suis de

11 nouveau rendu vers Malisevo en empruntant cet itinéraire, Kacanik,

12 Urosevac, vers Stimlje Racak, en passant par les forêts, en passant le col

13 de Dulje vers Malisevo, que j'ai vu pendant ces deux semaines et demie que

14 j'ai passées sur zone. C'est exactement cela que j'ai à vous décrire.

15 Q. Ces gens qui se voyaient donner l'ordre de quitter leurs villages pour

16 se réfugier dans les bois ou ailleurs, combien étaient-ils ? Est-ce que

17 vous êtes en mesure de nous donner une estimation du nombre de personnes

18 concernées ?

19 R. Je préfère vous parler de ce que j'ai vu dans les camps de réfugiés,

20 parce que là, on peut se faire une idée du nombre de réfugiés. Disons au

21 sud de Kacanik et à l'est de Kacanik, on peut dire qu'il y avait environ 5

22 000 réfugiés, mais il faut ajouter à cela tous les réfugiés du reste du

23 Kosovo, si bien qu'on en arriverait, en fait, c'est une estimation, une

24 estimation qui est tout à fait personnelle. Je pense qu'on en arrive au

25 moins à un nombre à six chiffres.

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1 Q. Quelle a été l'évolution de la situation s'agissant de ces gens ?

2 R. On a vu augmenter l'agressivité dans les deux camps. C'est ce qui a

3 transparu des nombreuses discussions que j'ai eues avec les gens de

4 l'Uceka. C'est qu'ils attendaient à ce que le Kosovo soit libéré. Je

5 reprends les termes qu'ils utilisaient dans des nombreuses discussions que

6 j'ai eues. Je pense que c'était représentatif des sentiments qui régnaient

7 au sein de l'Uceka.

8 A l'époque, déjà à partir de la mi-mars, en tout cas le 16 mars, cela je le

9 sais parfaitement, c'est à ce moment-là qu'il y avait la 123e Brigade qui

10 était au col de Dulje, et il y a des soldats britanniques en uniforme qui

11 ont pris position au niveau du col de Dulje pour observer la 15e Brigade

12 serbe d'artillerie.

13 Q. Cela, c'est l'époque de Rambouillet. On a dit que c'était de février à

14 mars. Ces officiers de l'Uceka, avec qui vous aviez des contacts, quelles

15 étaient leurs opinions de l'impact des négociations de Rambouillet sur ce

16 qui était en train de se passer au Kosovo ? Quelle était leur attitude ?

17 M. NICE : [interprétation] A ce sujet, Monsieur le Président, avant de

18 poursuivre --

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice.

20 M. NICE : [interprétation] Je pense qu'il serait bon de savoir s'il s'agit

21 des noms que le témoin a l'intention de révéler ou pas, parce qu'ici, on

22 commencer a cerner un peu plus la question. On devient plus précis.

23 M. KAY : [interprétation] Je vais poser la question au témoin.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

25 M. KAY : [interprétation]

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1 Q. Est-ce que vous êtes en mesure de nous dire qui sont les chefs de

2 l'Uceka avec qui vous avez eu des discussions au sujet de Rambouillet ?

3 R. Oui, tout à fait. Je pense que vous les connaissez déjà. Cela figure

4 dans les documents que j'ai vus, vos documents, on voit ces noms. Il s'agit

5 de Saban Sala, il s'agit de Ramush Haradinaj, il s'agit d'Ali Ahmeti.

6 Q. Je vous ralentis parce qu'il s'agit là de noms absolument essentiels.

7 Il faut qu'on les ait bien à l'esprit. Vous les connaissez, bien entendu,

8 par la perfection, mais nous on veut être sûrs de bien savoir de qui on

9 parle, afin que tout le monde parte des mêmes informations.

10 Le premier --

11 R. Saban Sala, c'est quelqu'un qui joue encore aujourd'hui au sein de la

12 KPC, un grand rôle. Il y a également Ali Ahmeti, quelqu'un qui a utilisé,

13 du point de vue logistique, toute cette zone. Il y a Ramush Haradinaj

14 également. En fait, je vois à l'écran que ces noms ne sont pas

15 orthographiés correctement. Shaban Shala est bien écrit. Le deuxième nom,

16 c'est Ali et, ensuite, Ahmeti, A-h-m-e-t-i. Pour Ramush, l'orthographe est

17 le suivant : R-a-m-u-s-h et pour Haradinaj, H-a-r-a-d-i-n -- voilà, tout à

18 fait. C'est exactement comme cela.

19 Mais il y a également Gezimostreni --

20 Q. Pouvez-vous l'épeler ? Je suis désolé, M. Hutsch, mais il faudrait que

21 cela figure correctement au compte rendu d'audience.

22 R. G-e-z-i-m-o-s-t-r-e-n-i. Il y a un autre nom qui a une grande

23 importance ici, c'est Tahir Sinani;, T-a-h-i-r S-i-n-a-n-i.

24 Q. Est-ce qu'il y a d'autres noms que vous souhaiteriez ajouter à cette

25 liste dans ce contexte, c'est manifestement très important ?

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1 R. Il y en a énormément, mais comme je l'ai dit, ces noms figurent déjà

2 dans les documents dont vous disposez. Tous ces noms y figurent. Ce sont

3 les personnes les plus importantes. Bien entendu, on pourrait entrer dans

4 les détails.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je pense que ça suffira, Monsieur

6 Nice, pour un début.

7 M. KAY : [interprétation] Je pense que ces détails nous suffisent pour

8 l'instant.

9 Q. Pouvez-vous nous dire quelle était la façon dont ils voyaient le

10 processus de Rambouillet ?

11 R. Il était manifeste que l'Uceka attendait une offensive, une attaque de

12 l'OTAN. Ils ont fait tous les préparatifs logistiques pour se préparer,

13 pour occuper des positions stratégiques, pour définir des objectifs clés.

14 Ils ont tout fait pour utiliser cette période pour se réorganiser, pour

15 s'organiser.

16 Q. Est-ce que vous avez été en mesure d'observer, à cette période, s'ils

17 bénéficiaient d'un soutien militaire étranger avant les bombardements de

18 l'OTAN ?

19 R. En dehors de l'aide permanente qui leur était fournie par la MPRI dans

20 les camps d'entraînement, ainsi que par d'autres groupes de mercenaires, à

21 l'exception de ces soldats britanniques au col de Dulje, je n'ai pas pu

22 constater, sur le terrain, d'autres signes d'un appui qu'on leur aurait

23 apporté. Je n'ai pas vu d'officiers de liaison de l'OTAN ou autres, qui

24 auraient été présents à ce moment-là au Kosovo déjà.

25 Q. Avez-vous quoi que ce soit à ajouter au sujet de la structure militaire

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1 de l'Uceka ? Est-ce qu'ils ont bénéficié des renforts en soldats, et si

2 oui, d'où ?

3 R. Le flux des nouvelles recrues était considérable, qui venait de trois

4 origines; par les deux itinéraires que j'ai déjà décrits, qui passait par

5 la Macédoine. Il y avait aussi un autre flux qui venait à travers la

6 frontière albanaise. On a vu arriver un très grand nombre de nouvelles

7 recrues, nouvellement formées, au sein de l'Uceka, exactement à cette

8 période. Ces gens ensuite ont été repartis entre les différents bataillons

9 de l'Uceka, où ils ont ensuite combattus.

10 Q. Avant de passer à la date du 24 mars, c'est-à-dire le début des frappes

11 aériennes de l'OTAN, est-ce qu'il y a quoi que ce soit d'autre qui s'est

12 passé ? Un autre évènement qui vous semble important dans ce contexte ?

13 R. Pas avant les frappes aériennes, ou dans le cas des préparatifs. J'ai

14 simplement constaté qu'on attendait. Il y avait eu une atmosphère

15 d'attente, on attendait ce qui allait se produire.

16 Q. Les frappes aériennes de l'OTAN ont commencé le 24 mars 1999. Où vous

17 trouviez vous à peu près, à ce moment-là, afin que nous ayons une idée de

18 la situation ?

19 R. Pendant la journée du 24, j'étais avec les membres de l'Uceka, un

20 peloton de reconnaissance en direction de Prizren, pour voir quelle serait

21 la réaction des forces de sécurité serbe, qui y avaient un gros contingent.

22 Je voulais voir comment ces forces allaient réagir.

23 Q. Est-ce que vous aviez auparavant ces informations, précisant qu'il

24 allait y avoir des frappes aériennes de l'OTAN le, 24 mars ?

25 R. Des informations quant à début de l'attaque aérienne, c'était arrivé

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1 dans la zone militaire 2 au quartier général vers 14 heures ce jour-là.

2 Q. Qu'avez-vous vécu ce jour-là, le 24 mars ?

3 R. Au quartier général de la zone de défense 2, on a commencé à mettre en

4 place un plan opérationnel pour les jours à venir, c'est-à-dire qu'on a

5 arrêté les objectifs clés, voir quels étaient les sites à engager, on

6 pensait surtout à cette position dominante au col de Dulje avec une brigade

7 d'artillerie. Il y avait déjà sur place un système d'artillerie. Il était

8 déjà clair qu'il avait fallu un plan d'évacuation. On allait évacuer de

9 façon systématique les villages albanais afin de les protéger avant

10 l'attaque des forces de sécurité serbes.

11 Q. Avez-vous été en mesure de constater qu'il y avait une augmentation du

12 nombre de personnes qui se trouvaient éloignées de leurs foyers, de leurs

13 villages, de leurs villes et qui se rassemblaient.

14 R. On a dit aux commandants des brigades de l'Uceka qu'il fallait établir

15 une liste de priorités pour l'évacuation de villes et de villages. Il

16 fallait désigner ces lieux, les annoncer et, comment dire, on a établi un

17 service du quartier général de l'Uceka. Il faut comprendre la situation.

18 Les officiers du commandement de l'Uceka avaient établi des liaisons par

19 téléphone satellite entre l'Uceka et l'Albanie et ces officiers avaient des

20 pièces d'identité, ce qui leur permettait, à titre temporaire, de prendre

21 le commandement des différentes zones de défense.

22 Il y avait un système de communication qui s'appuyait sur un réseau

23 électronique mais il y avait aussi tout un réseau de communication directe

24 entre les différents officiers qui avaient été désignés d'un coté et de

25 l'autre, les commandements des régions respectives. Ces officiers sont

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1 allés dans ces régions et ont indiqué où il fallait évacuer.

2 La population a été enjointe de partir en direction de l'Albanie ou

3 de la Macédoine et de quitter ainsi les villages.

4 Q. Nous voulons nous faire une idée de la situation. Dites-nous, vous avez

5 pu déterminer où se trouvaient ces régions dans l'atlas, je parle ici des

6 régions où vous avez constaté ces événements. Agissez lentement pour que

7 les Juges vous suivent et que ceci soit consigné au dossier de l'audience.

8 R. Par exemple, il y a le village de Malusha, près de Malisevo; cela a été

9 un des premiers villages où la population a reçu l'ordre de partir pour la

10 Macédoine. Vous avez le village de Gajre, ici en bas, pareil. L'objectif

11 militaire était simple; autour de Malisevo, il fallait avoir un domaine,

12 une zone qu'on pouvait utiliser pour une opération militaire et il y a eu

13 des combats sanglants très rapidement du côté de Malisevo et la population

14 civile a été évacuée de la zone de combat mais on avait aussi la

15 possibilité d'utiliser ce lieu, ces villages, je parle ici de la

16 possibilité pour l'Uceka de se servir de ces villages dans les combats.

17 Q. Nous sommes en train d'examiner la page 10. Y a-t-il d'autres régions

18 où vous avez pu constater ce genre de choses, après le début des frappes

19 aériennes de l'OTAN, le 24 ?

20 R. Entre Orahovac and Suva Reka, c'était aussi un point marquant pour

21 l'Uceka dans ce domaine. On a établi des listes de priorités désignant les

22 villages qu'il fallait évacuer, où il fallait enjoindre la population à

23 quitter les villages.

24 Q. Les bombardements de l'OTAN ont duré près de cent jours. Nous

25 parcourons cette période. Où avez-vous constaté ce type d'opération

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1 systématique où l'Uceka demandait à la population de quitter l'endroit ?

2 R. Je vous parle de ce j'ai constaté dans les rangs de l'Uceka où ceci

3 s'est passé exactement, mais, en fait, il y a eu un panachage, c'est-à-dire

4 qu'il y avait cette opération et en parallèle, des villages ont été

5 attaqués par les forces serbes, ce qui a provoqué un mouvement de fuite

6 dans la population civile. Si vous voulez, on a un peu des deux, c'est

7 clair. Les deux parties ont mis en branle ce mouvement, mais après le 23

8 mars, il faut le préciser.

9 Q. Pendant la campagne de bombardement de l'OTAN, est-ce que vous, vous

10 êtes resté au Kosovo ou est-ce que vous êtes parti en Macédoine ou en

11 Albanie, où étiez-vous ?

12 R. Au cours de cette période, j'ai souvent emprunté les deux itinéraires;

13 je suis allé en Macédoine pour diverses raisons. Je pense que pendant les

14 deux tiers de la guerre j'étais au Kosovo, pendant un tiers de la guerre,

15 j'étais en Macédoine et surtout dans la région de Tetovo.

16 Q. Est-ce que vous avez été le témoin de combats pendant cette période, le

17 témoin d'opérations militaires ?

18 R. Des forces paramilitaires serbes ont attaqué Velika Gruza, cela je l'ai

19 vu.

20 Q. Page 10, n'est-ce pas, de l'atlas ? Ceci aidera les Juges. Pourriez-

21 vous nous indiquer où se trouve ce lieu ? C'est au sud, directement par

22 rapport à Orahovac, le long de la voie ferrée que vous avez indiquée déjà.

23 R. Personnellement, pendant cette attaque, je me trouvais à l'ouest de

24 Velika Gruza, dans les bois et je pense que l'attaque a commencé par des

25 préparatifs, le 25, à l'aube, enfin vers 7 heures. Des tireurs d'élite et

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1 des éléments de reconnaissance, il y a tout près de la voie ferrée un

2 château d'eau et ces forces ont occupé ce château d'eau, cela leur donnait

3 vraiment un point d'où ils pouvaient voir Velika Kruza. Il y a eu des tirs

4 d'artillerie en appui et dans l'après-midi, sur ce terrain ici, dans ce

5 champ, on a eu une position de mortier. Ensuite dans l'après-midi, beaucoup

6 de femmes, d'enfants, de vieillards ont quitté le village pour partir vers

7 les bois. Ce qui était frappant, c'est qu'il y avait peu d'hommes, peu de

8 jeunes hommes. A ce moment-là, Velika Kruza n'était pas du tout défendue

9 par l'Uceka. Il n'y avait pas de combattants, étant armés de l'Uceka dans

10 le village, et vers 15 heures, 15 heures 30, l'assaut a été donné.

11 Q. Vous dites qu'il y a eu des tirs. Vu votre expérience militaire, que

12 pouvez-vous en dire, tirs de quelle arme ?

13 R. C'est ce que j'ai pensé à l'époque. J'ai fait des recherches par la

14 suite qui l'ont confirmé. C'était une Unité d'Infanterie paramilitaire avec

15 très peu de tirs préparatoires. Je ne peux vous jurer cela, mais je dirais

16 qu'il y avait peut-être 3 ou 4 mortiers qui ont été tirés. Les

17 paramilitaires ont pénétré dans le village. D'abord, j'ai entendu des tirs

18 isolés, ensuite, j'ai entendu des salves systématiques qui venaient du

19 village.

20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourriez-vous nous donner davantage de

21 détails à propos de ces paramilitaires; quel était leur aspect, que

22 portaient-ils ?

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que leur uniforme, c'était l'uniforme

24 américain de campagne, un tissu brun beige avec des tâches vertes ou brunes

25 ou noires. Les paramilitaires avaient des cagoules; taille d'une compagnie,

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1 environ une centaine de paramilitaires. Ils portaient cette espèce de

2 chapeau de campagne. Après, grâce à mes recherches, j'ai pu comprendre que

3 c'étaient les hommes de Frenki, c'est-à-dire qu'ils se trouvaient sous le

4 commandement de Frenki Simatovic.

5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

6 M. KAY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

7 Q. S'agissant du conflit, on a entendu des éléments de preuve parler d'une

8 certaine opération, intitulée Fer à cheval. Vous la connaissez ?

9 R. Ce plan du Fer à cheval, j'en ai entendu parler pour la première fois

10 dans les publications de la Presse internationale suite à une conférence de

11 presse donnée par Rudolf Scharping, qui était ministre de la Défense

12 allemand, conférence qui s'est tenue le 17 avril. Tout d'abord, j'ai cru

13 que c'était peu digne de foi, car j'ai vu les mouvements des forces serbes.

14 Je peux vous dire qu'elle ne semblait pas suivre un plan militaire conçu à

15 l'avance. J'ai fait des recherches à partir du mois d'octobre 1999 jusqu'au

16 mois de mars 2000. Elles m'ont fait comprendre que ce plan opérationnel

17 dont avait parlé M. Scharping, le 7 avril, il n'avait pas vu le jour à

18 Belgrade, mais bien au ministère de la Défense allemand.

19 M. NICE : [interprétation] Je pense qu'ici nous sortons du domaine qui est

20 de la compétence du témoin dont il devrait parler. Il parle de recherches

21 effectuées d'octobre 1999 à mars 2000. Je pense que, sans doute, ces

22 éléments vont être abordés par d'autres témoins retenus dans la liste des

23 témoins à défense. Ceci fait l'objet d'une certaine controverse en

24 Allemagne. Je ne sais pas si le témoin a effectué lui-même ces recherches.

25 Si ce n'est pas le cas, je crois que ces observations de seconde main ne

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1 seront pas utiles.

2 M. KAY : [interprétation] Attendez, parce que c'est précisément la série de

3 questions que je souhaite poser. C'est la raison pour laquelle j'ai abordé

4 la question en premier lieu.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Poursuivez.

6 M. KAY : [interprétation]

7 Q. Est-ce que vous avez parlé à quelqu'un au ministère de la Défense

8 allemand de ce plan mentionné par M. le Ministre Scharping ? Dans

9 l'affirmative, pourriez-vous nous dire à qui vous avez parlé, et quelles

10 étaient les fonctions des personnes qui vous ont parlé de ce plan du Fer à

11 cheval ?

12 R. Ce plan du Fer à cheval, pour moi, cela a été vraiment un moment

13 décisif, c'est ce que vous savez parce que j'ai publié des articles à ce

14 propos, un responsable d'un service, colonel von Kajdacsy --

15 Q. Un instant, s'il vous plaît. Epelez-nous ce nom.

16 R. S-U umlaut -- S-S, II -- chiffre romain II, 3 -- chiffre romain II, et

17 chiffre arabe 3. En mars 2000, j'ai aussi parlé avec le colonel von

18 Kajdacsy. Auparavant, plusieurs membres du ministère de la Défense allemand

19 l'avaient accusé, accusation selon laquelle il aurait lui-même concocté ce

20 nom de plan du Fer à cheval. C'est le ministre personnellement qui lui a

21 donné des consignes, des consignes qu'il a exécutées. Ceci contredit ce que

22 dit le ministère ou le service du renseignement allemand BND, le 5 avril

23 2000. On avait dit qu'il fallait se méfier et éviter d'appliquer ce plan.

24 Q. Avez-vous parlé à quelqu'un qui affirme être l'auteur du plan, plan

25 dont s'est servi le ministre Scharping ?

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1 R. J'ai d'abord parlé avec von Kajdacsy, qui a conformé ceci de façon

2 directe. Je le cite d'ailleurs dans l'article que j'ai écrit. Je m'explique

3 lorsque je lui ai demandé si c'était lui qui était l'auteur de ce plan.

4 Kajdascy m'a dit : "Je ne parle pas serbe. Je ne parle pas non plus croate.

5 Vous savez qu'on se demande, s'il s'agit du terme "Potkova" ou "Potkovica".

6 Là-dessus, je lui ai dit : "M. Kajdascy, est-ce que c'est vous qui êtes à

7 l'origine de ce plan ? Est-ce que c'est vous l'artisan de ce plan présenté

8 par Scharping ?" Il m'a répondu une fois de plus qu'il ne parlait ni

9 croate, ni serbe. Je lui ai dit que j'allais écrire ce qui m'avait vraiment

10 préoccupé, à savoir qu'on aurait dit que c'était lui qui était l'auteur du

11 plan. Il m'a répondu : "Faites ce que votre conscience vous dicte."

12 Q. Vous parlez de deux façons de dire ce nom du Fer à cheval. En croate,

13 pourriez-vous nous épeler ce nom ? Il y a la version serbe du terme "Fer à

14 cheval". Pourriez-vous nous donner ces deux noms ?

15 R. A l'occasion de cette conférence de presse, Scharping l'a répété après

16 beaucoup de fois. Il a parlé de "Potkova". C'est le nom en croate du Fer à

17 cheval, alors que la version serbe, c'est "Potkovica", apparemment.

18 Q. Avez-vous d'autres renseignements directs que vous êtes en mesure de

19 donner s'agissant de l'opération du Fer à cheval ? Vous nous avez parlé de

20 Kajdascy. Est-ce que vous avez parlé à quelqu'un de ce plan s'agissant de

21 la réalité ou de la validité de ce plan en tant que tel?

22 R. D'une part, j'ai parlé avec le général Naumann. Je le cite aussi dans

23 un de mes articles. Il m'a dit, de façon très claire, que l'OTAN n'aurait

24 pas attaqué si Scharping n'avait pas dit cela parce que, d'abord, il

25 voulait qu'il y ait confirmation de la part des alliés, mais aussi parce

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1 que -- et là, je cite le général Naumann, cela aurait été davantage un

2 document d'analyse. J'ai discuté avec

3 Mme Arbour, qui a précédé Mme Del Ponte, qui a fait - et M. Scharping a

4 fourni ces documents à l'Accusation - et je cite Mme Arbour. Elle dit

5 qu'elle serait intervenue s'il y avait eu un plan qui avait pour intitulé

6 ou un plan qui aurait conservé un sceau. C'était vraiment la pièce montrant

7 qu'il y avait flagrant délit. En fait, comme ce n'était pas le cas pour

8 elle, c'était simplement devenu une espèce de livre de chevet.

9 Q. Vous avez eu diverses conversations. Dans ce cadre, j'aimerais revenir

10 à un autre point. Je vais d'abord terminer le sujet du Kosovo.

11 Vous nous avez relaté ce que vous avez fait au cours de cette période au

12 Kosovo. Est-ce que vous avez interviewé des réfugiés dans des camps en

13 Macédoine ?

14 R. Lorsque je suis allé en Macédoine, mais, après le début de l'exode,

15 j'ai discuté avec plusieurs réfugiés. Effectivement, des gens ont vu des

16 choses incroyables, ont souffert des choses incroyables. Une différence

17 qu'il y avait avec la Bosnie, c'est que les jeunes femmes ont monté en

18 épingle l'histoire de leur viol, ont vendu ces histoires à des

19 journalistes. Cela ne s'est pas passé en Bosnie. En Bosnie, les femmes

20 étaient beaucoup plus réservées, ne tenaient pas à parler des viols

21 qu'elles avaient subis. Parfois, elles n'ont pas dit un mot. Je sais que,

22 pendant deux semaines, en Bosnie, j'ai rencontré chaque jour une femme pour

23 essayer de la convaincre à m'en dire davantage, me parler davantage de ce

24 qu'elle avait vécu. J'ai raconté l'histoire de cette femme.

25 C'était tout à fait différent au Kosovo. Il y a eu des cas isolés de femmes

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1 qui m'ont fait la même impression, puisque j'ai vu en Bosnie. Vraiment,

2 c'était là un cas isolé ou des cas isolés, alors que c'était la situation

3 générale en Bosnie.

4 Q. Autre caractéristique sur laquelle j'aimerais vous poser une question.

5 Est-ce qu'il y a eu des tracts qui auraient été largués par avion pendant

6 la campagne ou même avant ? Est-ce que vous avez rencontré des cas où on

7 avait lancé, on avait jeté des tracts ?

8 R. D'après ce que j'ai vu, on a, à plusieurs reprises, jeté des tracts en

9 fonction du groupe ciblé. Les forces de sécurité serbe ont été informées de

10 ce qui se passait. Au parlement allemand, j'ai vu aussi qu'on a discuté

11 très sérieusement, et qu'on a demandé à la presse de ne pas relayer les

12 images de la télévision serbe, mais qu'il fallait les remplacer par des

13 reportages réalisés par le ministère allemand de la Défense. Là, on a

14 essayé finalement de brouiller les réseaux de communication serbe de façon

15 électronique.

16 Je sais qu'il y a eu des discussions et des plans visant à réaliser ce

17 genre de chose.

18 Q. Est-ce que vous, vous avez lu des tracts qui auraient été rédigés par

19 des membres de l'Uceka ?

20 R. Non. Je n'ai pas constaté de situation où on aurait eu un Hashim Thaci

21 ou Hashim Ceku, qui aurait signé des tracts qui auraient été jetés de

22 l'air, que ce soit un de ces deux hommes ou quelqu'un du quartier général

23 de l'Uceka.

24 L'INTERPRÈTE : Ces reportages avaient été réalisés par le ministère

25 allemand de la Défense en se servant d'avions sans pilote.

Page 32957

1 M. LE JUGE ROBINSON : Encore cinq minutes.

2 M. KAY : [interprétation]

3 Q. Au cours des bombardements de l'OTAN, vous avez dit que vous aviez

4 réparti votre temps entre la Macédoine et le Kosovo. Est-ce qu'au cours de

5 cette période vous avez régulièrement envoyé des reportages, des articles à

6 votre journal ?

7 R. Oui, je l'ai fait régulièrement. Les articles ont été publiés,

8 notamment à propos de ce qui s'était passé à Velika Kruza. J'en ai beaucoup

9 parlé. J'ai aussi montré comment se passait la vie au Kosovo, dans cette

10 boîte noire dont personne ne voulait rien connaître, ou personne ne voulait

11 savoir comment s'y passait la vie.

12 Q. A la fin de cette campagne de bombardement qui s'est terminée le 10

13 juin 1999, qu'est-ce que vous avez fait ? Est-ce que vous êtes resté dans

14 la région ?

15 R. Oui. J'ai terminé mon séjour à Kosovo par une série de sept articles

16 qui ont été publiés en décembre 1999. J'essaie de répondre à la question de

17 savoir ce qui s'était passé en six mois au Kosovo, ce qui avait été

18 changé, et quelles étaient les possibilités de cohabitation au Kosovo après

19 tout cela.

20 Q. Je voulais aborder un autre sujet, mais il est sans doute préférable de

21 le faire après la pause.

22 M. KAY : [aucune interprétation]

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Fort bien. Pause de

24 20 minutes.

25 --- L'audience est suspendue à 12 heures 12.

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1 --- L'audience est reprise à 12 heures 35.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez poursuivre, Maître Kay.

3 M. KAY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

4 Q. Monsieur Hutsch, il ne me reste que quelques questions à vous poser, et

5 votre avocat, M. Louschneider nous a rejoint pour le contre-interrogatoire

6 qui va suivre.

7 Vous nous avez parlé du temps que vous passé en Bosnie. Je change de sujet

8 par rapport au Kosovo. Je voudrais vous poser des questions au sujet d'une

9 conversation que vous avez eu avec le général Mladic. Est-il exact que vous

10 avez interviewé le général Mladic en sujet de Srebrenica ?

11 R. Oui, c'est exact.

12 Q. Pouvez-vous préciser la date à l'attention de la Chambre, la date de

13 cette interview ?

14 R. C'était en mars 1996.

15 Q. Où l'avez-vous interviewé ?

16 R. A Sarajevo, là où il se trouve aujourd'hui.

17 Q. Lui avez-vous posé des questions au sujet des évènements qui s'étaient

18 produits à Srebrenica ?

19 R. Je lui ai demandé ce qui s'était produit à Srebrenica, et de la manière

20 dont il a répondu à ma question, c'est que les enclaves de Bosnie orientale

21 devaient tomber pour qu'un plan de paix soit possible pour la Bosnie.

22 Q. Avez-vous évoqué avec lui la question de la planification de l'attaque

23 sur Srebrenica ?

24 R. J'ai parlé du plan d'attaque avec lui. En particulier, ce que j'ai

25 essayé d'aborder avec lui, c'était dans quelle mesure il a reçu, ou il

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1 aurait pu recevoir, des instructions de Belgrade.

2 M. Mladic a répondu de manière catégorique qu'il n'a reçu aucun ordre de la

3 part de Milosevic, que son homme de contact, c'était Radovan Karadzic.

4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pourquoi lui avez-vous posé cette

5 question ?

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Parce que moi-même, ainsi que plusieurs de mes

7 collègues, nous avions tenté d'analyser ce qui s'était passé à Srebrenica

8 par rapport aux liens qui auraient pu exister entre Belgrade et Pale, à

9 l'époque.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, veuillez poursuivre.

11 M. KAY : [interprétation]

12 Q. Vous a-t-il parlé de la manière dont il percevait ses relations avec M.

13 Milosevic ?

14 R. Dans cet entretien, il n'est pas allé au-delà de ce que je vous ai déjà

15 dit, mais il a dit qu'il n'aurait accepté aucun ordre de la part de

16 Belgrade. Nous avons évoqué plusieurs scénarios théoriques et, pendant

17 l'entretien, il finissait par répondre par des ouis ou des nons. C'était

18 une espèce de jeu qui ne me fournissait plus aucune information. La seule

19 déclaration sur laquelle j'aurais pu m'appuyer, la seule déclaration qu'il

20 a fait, c'était celle disant qu'il n'aurait accepté aucun ordre.

21 Q. Pour le compte rendu d'audience, vous avez publié cet entretien ?

22 R. Oui, cet entretien a été publié dans la presse, et il est disponible

23 sur le Web.

24 Q. Est-ce que c'est le seul entretien que vous avez eu avec le général

25 Mladic ? En avez-vous eu d'autres ?

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1 R. C'est le seul entretien que j'ai eu avec lui.

2 Q. Pour le compte rendu d'audience, est-il exact que vous avez eu -- que

3 vous avez, à une occasion, interviewé M. Milosevic ?

4 R. Oui. C'était en 1998. Nous avons eu un entretien qui portait sur la

5 situation en Serbie. C'était un entretien de 20 minutes. Mais nous n'avons

6 évoqué que la situation en Serbie, à l'exception de tous les autres sujets.

7 Q. Les conflits qui nous intéressent ici aujourd'hui n'ont pas fait

8 l'objet de cet entretien ?

9 R. C'est exact.

10 Q. Je n'ai pas d'autres questions. Je vous remercie.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Kay.

12 Monsieur Milosevic, avez-vous des questions à poser ?

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] [Hors micro]

14 L'INTERPRÈTE : Microphone, s'il vous plaît.

15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vais essayer cet autre microphone. Peut-être

16 fonctionne-t-il. Voilà. Ce microphone fonctionne.

17 J'ai écouté avec beaucoup d'attention. Cette manière de conduire

18 l'interrogatoire fournie un argument de plus, Monsieur Robinson, à ma

19 requête que vous me rendiez mon droit à me défendre. Ce témoin connaît

20 beaucoup de choses. Par exemple, il sait que des --

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, si vous avez des

22 questions à poser au témoin, des questions supplémentaires, ceci est

23 occasion à saisir. Je ne voudrais pas que vous réitériez des arguments que

24 nous avons déjà entendus. Il ne faut pas se répéter. Il ne faut pas dire

25 des choses qui ont déjà été couvertes. La question de la commission du

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1 conseil est une autre chose.

2 Avez-vous des questions à poser ?

3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, la seule chose que je

4 souhaite, c'est vous exposer des arguments qui étayent mon affirmation car,

5 par exemple, ce témoin sait parfaitement --

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Posez des questions. Posez des

7 questions, adressez des questions à ce témoin.

8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, je ne veux pas me servir des

9 miettes d'un droit que vous m'avez enlevé. Ce serait une compensation, une

10 sorte de compensation de ce droit dont vous m'avez privé.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je suppose que vous n'avez pas de

12 questions à poser.

13 Monsieur Nice.

14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Quand vous m'aurez restitué mon droit, je

17 demanderais que l'on cite de nouveau ce témoin à la barre, pour que je

18 puisse l'interroger.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice.

20 Contre-interrogatoire par M. Nice :

21 Q. [interprétation] Monsieur Hutsch, nous avons beaucoup de sujets à

22 aborder, et comme vous le savez, nous ne connaissons pas en détail ce sur

23 quoi vous allez déposer. J'ai pu trouver certains de vos textes sur

24 Internet, mais je ne les ai pas tous lu. Je ne sais pas si vous avez des

25 exemplaires des textes que vous avez publiés sur vous.

Page 32962

1 R. Il y a trois caisses au moins que je n'ai pas pu déplacer, parce que je

2 viens de rentrer d'Afghanistan.

3 Q. Vous n'avez pas des exemplaires des textes importants sur vous ?

4 R. J'ai transmis à la Défense un certain nombre de mes articles, mais,

5 bien entendu, pas tout ce que j'ai rédigé parce que je ne pense pas que je

6 sois l'instrument de l'une ou de l'autres des parties. Si je ne suis qu'un

7 observateur, venu ici déposer sur ce que j'ai vu -- et je veux que ce soit

8 tout à fait clair, que je n'appartiens ni à l'une, ni à l'autre des

9 parties.

10 Q. Il faudra probablement que vous reveniez demain, puisqu'on n'en aura

11 pas terminé aujourd'hui. Je vous demanderais, à ce moment-là, de ramener --

12 de nous apporter, demain, les articles que vous avez sur vous, parce que je

13 n'ai pas pu tout trouver sur Internet.

14 Commençons directement, en enchaînant sur la dernière question qui

15 vous a été posée au sujet de parler à Général Mladic. Vous dites que cela

16 est disponible sur Internet. Sous quel titre ? Puisque nous ne l'avons pas

17 trouvé pour le moment ?

18 R. Ceci devrait être possible de le trouver si vous cherchez Mladic sous

19 Google parce que c'est un entretien qui a été traduit en anglais et qui a

20 été publié en anglais.

21 Q. En allemand aussi, on le trouvera; est-ce que vous avez des notes

22 manuscrites que vous auriez rédigées pendant l'entretien ?

23 R. Oui.

24 Q. Les avez-vous vues sur vous aujourd'hui ?

25 R. Non. Comme je l'ai déjà dit, je n'ai apporté aucun document avec moi, à

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1 l'exception de quelques notes que j'ai faites depuis huit jours, depuis une

2 semaine pour moi.

3 Q. Il vous aurait deux choses qu'il n'aurait pas accepté des ordres de

4 Belgrade.

5 R. C'est exact.

6 Q. Mais que les enclaves de Bosnie orientale devaient tomber pour qu'ils

7 puissent y avoir un plan de paix.

8 R. C'est exact.

9 Q. Poursuivons là-dessus. Le fait que ces enclaves devaient tomber, est-ce

10 qu'il vous a expliqué ce qu'il entendait par là ?

11 R. C'est exactement ce que j'ai essayé de lui demander pour avoir plus de

12 détails, plus de précisions, mais il n'est pas rentré dans les détails pour

13 me préciser ce que cela signifiait. C'est uniquement de manière plus

14 générale qu'il a dit qu'on n'avait pas besoin de patchwork pour faire un

15 plan de paix ou la paix pour la Bosnie.

16 Q. Je reviendrais probablement à cela lorsque j'aurais lu l'entretien, je

17 ne voudrais pas perdre de temps, maintenant, et je ne voudrais pas devoir

18 me répéter, mais, s'il vous plaît, d'après vos souvenirs, vous a-t-il dit

19 d'une manière ou d'une autre qu'il avait eu un contact avec Milosevic --

20 qu'il était en contact avec Milosevic autant qu'il nous intéresse ou est-ce

21 qu'il l'a nié ?

22 R. Non. Il a tout simplement dit qu'il n'aurait accepté aucun ordre. Il

23 n'a rien mentionné au sujet des contacts qu'il aurait eus avec M.

24 Milosevic.

25 Q. Très bien. On reviendra à cela lorsque j'aurais trouvé l'entretien, si

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1 j'y arrive cette nuit.

2 Je vais vous poser des questions au sujet de la déposition que vous avez

3 faite ici et je voudrais aussi aborder plus en détail certains sujets. Je

4 voudrais couvrir ces sujets de manière approfondie.

5 Vous avez parlé des choses que des dirigeants de l'Uceka vous auraient

6 dites, en utilisant le terme "impression." Est-ce que vous avez rafraîchi

7 vote mémoire ? Est-ce que vous avez consulté vos notes ou vos articles pour

8 dire cela ?

9 R. J'ai eu des conversations très brèves avec Me Kay, et suite à ces

10 conversations, il y avait des questions qui se sont posées, j'ai essayé de

11 vérifier, mais je dois dire que nous avons passé à peu près six heures

12 ensemble et, au fond ce que j'ai dit, c'est en me basant sur ma mémoire,

13 sur mes souvenirs des événements. Je ne suis pas revenu à mes notes, mes

14 archives, je n'ai pas revu les photos que j'ai prises, par exemple, Velika

15 Kruza ou au Kosovo de manière générale. Je ne l'ai pas fait.

16 Q. Pour ce qui est des dirigeants de l'Uceka, lorsque vous avez dit que

17 certains d'entre eux vous ont dit telle ou telle chose, en fait, vous

18 n'avez pas eu le temps de vérifier cela dans les notes, vous vous êtes

19 fondé sur vos souvenirs ?

20 R. C'est exact. Pendant quatre ou cinq années, je me suis vraiment

21 intéressé -- j'étais en contact vraiment très proche avec ces gens-là.

22 Q. Pendant quatre ou cinq ans, avec l'Uceka ?

23 R. Oui. C'est quelque chose qui nous occupe encore, et je pense que dans

24 les années à venir ce sera encore le cas.

25 Q. Pour commencer à parler du conflit, lorsque vous étiez sur place en

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1 1998, vous étiez en contact avec l'Uceka -- vous êtes en contact avec

2 l'Uceka, depuis ce moment-là.

3 R. C'est exact.

4 Q. Si nous faisions des recherches plus poussées sur Internet, on pourrait

5 retrouver davantage d'articles que vous avez rédigés au sujet de l'Uceka

6 pendant ces dernières années.

7 R. Oui.

8 Q. Sous votre nom.

9 R. Oui. Mon nom, signé par moi. Samedi prochain, je vais pouvoir me

10 prononcer pendant huit minutes, par exemple, à la radio allemande, NDR, au

11 sujet de la situation au Kosovo, mais j'ai continué à parler de l'Uceka, du

12 Kosovo, et tout ce qui concerne l'Uceka.

13 Q. Pour ce qui est de votre feuilleton, cet épisode, c'était pour qui ?

14 R. Hamburger Abendblatt.

15 Q. Vous avez parlé des soldats de l'Uceka qui ont suivi une formation ou

16 un entraînement en Turquie. Est-ce que c'était de manière officielle par le

17 gouvernement turque ou par l'armée, ou simplement sur le territoire

18 turque ?

19 R. Ils étaient entraînés sur le territoire turc par l'entreprise MPRI.

20 Pour ce qui est de cette période qui va, du 16 décembre 1997 au 16 mars

21 1998, Ahmeti Ali a été entraîné en Turquie.

22 Q. Lorsque vous dites : "Qu'il était entraîné en Turquie," il n'y a

23 personne, aucun responsable turque qui pourrait nous aider là-dessus.

24 R. Non, il n'y a personne du côté turc -- officiellement du côté turc.

25 Q. D'accord. Vous avez dit qu'il n'y avait entre 80 et 120 officiers

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1 étrangers. De quelles nationalités ?

2 R. Des Musulmans de Bosnie, Algériens. Des Saudiens, des Egyptiens, des

3 gens qui avaient servi dans les rangs des brigades de Moudjahiddines.

4 Q. Lorsque vous nous citez ce chiffre, est-ce que vous en avez vu 120,

5 reconnus 120, ou vous en avez vu un certain nombre dans cette zone où vous

6 étiez, est-ce que vous extrapolez ? Comment est-ce que vous arrivez à ce

7 chiffre ?

8 R. Pour ce qui est de ce que j'ai écrit pour la NDR, il y a d'autres -- ce

9 que j'ai écrit pour NDR, il y a d'autres auteurs qui en ont parlé aussi,

10 j'ai fait des recherches au Kosovo, en Macédoine. De nouvelles recherches.

11 A cette occasion, j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup d'approvisionnement,

12 de ravitaillements pour ces brigades. En d'autres termes, toute brigade

13 avait l'un de ces contrôles au sol, contrôle aérien. Plus tard, un

14 bataillon important. J'en ai déduit les chiffres, et ce serait entre 80 et

15 120, en mon sens, mais je n'ai jamais publié cela parce qu'il s'agit de mon

16 évaluation personnelle.

17 Q. Même si -- on a parcouru cet atlas -- les différentes pages de cet

18 atlas, en fait, ce que vous avez vus personnellement c'est le sud du

19 Kosovo.

20 R. Le centre Malisevo et au sud de Malisevo, puis le sud-est aussi.

21 Q. C'est uniquement une portion du Kosovo que vous avez connu

22 personnellement.

23 R. Absolument. Je suis un reporter et, en fait, je n'ai qu'une vue très

24 modeste. Je ne peux pas évaluer l'ensemble de la situation. Cela me

25 dépasse. Je n'ai pas une vue générale. Je ne peux pas parler que des cas de

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1 figure que j'aie connus. Je ne peux pas juger de l'ensemble des événements

2 qui se sont produits au Kosovo.

3 Q. Pour ce qui est du Kosovo et de l'analyse du Kosovo comme vous l'avez

4 faite, il y a eu des violations de droit de l'homme et des organisations

5 humanitaires qui ont fait des rapports là-dessus.

6 R. Oui. J'ai remarqué qu'il y a eu des violations des droits de l'homme

7 et, bien entendu, si vous regardez cela d'un angle -- sous un angle

8 occidental -- de l'Europe occidentale, vous considérez que ce n'est pas

9 acceptable. S'il y a un poste de contrôle qui est dressé par le MUP et s'il

10 y a des personnes que l'on fouille d'une manière disproportionnée, brutal,

11 on viole leurs droits de l'homme, par exemple, et, lorsqu'il n'y a pas de

12 liberté d'information, c'est ce qu'on a toujours évoqué et, moi aussi, je

13 l'ai vu.

14 Q. Oui, je vous remercie d'avoir dit cela mais avez-vous vous-même des cas

15 de violation des droits de l'homme depuis le moment où vous êtes arrivé en

16 1998 ?

17 R. Je ne l'ai pas vu avant septembre; cependant, quand je suis arrivé à

18 Pristina, comme je l'ai déjà dit, il y avait une situation très tendue sur

19 place. J'ai vu beaucoup de postes de contrôle qui ont été dressés par le

20 MUP et il y avait des actes commis à l'encontre de la population civile.

21 Q. Précisons la chronologie des événements. Vous arrivez après le massacre

22 du complexe de la Jashari où des femmes et des enfants ont été tués, vous

23 vous en souvenez certainement, n'est-ce pas ?

24 R. Je savais ce qui s'était passé à Srebrenica et après Srebrenica, j'ai

25 essayé de venir mais je ne suis allé que jusqu'à Tuzla.

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1 Q. Je ne vous parle pas Srbrenica, mais je vous parle du complexe, de la

2 propriété de Jashari.

3 R. Oui. Excusez-moi, j'avais compris Protocari. En fait, c'est comme cela

4 a été traduit. Non l'attaque, contre le clan Jashari, non, non, je n'étais

5 pas présent au moment où cela s'est passé.

6 Q. Je passe en revue ce que vous nous avez dit par ordre, c'est à ce

7 moment-là que vous nous avez parlé d'une guerre mise-en-scène. Vous avez

8 utilisé ce terme de "mise-en-scène", pouvez-vous vous souvenir et nous

9 indiquer le premier article de presse que vous ayez écrit et dans lequel

10 vous parlez de mise-en-scène.

11 R. C'était dans le Hamburger Abendblatt lorsque j'ai parlé du plan du Fer

12 à cheval, c'était moi qui avais trouvé cette histoire. J'avais fait 6 mois

13 de recherche à ce sujet et j'avais eu affaire à des semi vérités -- des

14 demi vérités. J'ai parlé de cette situation en collaboration avec mon

15 rédacteur en chef et j'ai ainsi présenté dans cet article les recherches de

16 plusieurs mois de travail, dans le cas de deux articles.

17 Q. Cela était en 2000 ?

18 R. Oui, en l'an 2000.

19 Q. Parlons de ce plan du Fer à cheval. Avez-vous suivi ce procès ?

20 R. Non.

21 Q. J'imagine qu'après les investigations que vous avez faites au sujet du

22 soi-disant plan du Fer à cheval, quoi, non seulement Louise Arbour y a

23 réagi comme elle a réagi avec vous, mais vous savez également que ce plan

24 ne figure nulle part dans l'acte d'accusation.

25 R. Oui, je sais cela.

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1 Q. Le gouvernement britannique en a parlé dans un rapport produit par un

2 comité; est-ce que vous l'avez lu ?

3 R. Non, je ne l'ai pas lu.

4 Q. Ce rapport ne se prononce pas, sur l'existence ou non d'un plan

5 intitulé "Fer à cheval". Ce plan du Fer à cheval, c'est quelque chose qui

6 intéresse surtout les Allemands, qui touche aux intérêts allemands, n'est-

7 ce pas ?

8 R. Oui, c'est important, pour deux raisons. D'abord, il y a eu une analyse

9 des services secrets bulgares qui, ensuite, ont été examinés par l'OSCE

10 dans des rapports. D'autre part, il y a des écoutes qui ont été réalisées

11 par les services de Renseignements autrichiens, à partir de l'un de leurs

12 postes d'écoute. Il y a eu des communications téléphoniques qui ont été

13 écoutés au Kosovo, en Serbie, par ce poste d'écoute. Les résultats de tout

14 cela ont été remis au gouvernement et c'est à ce moment-là que est apparu

15 en Allemagne le concept de l'opération Fer à cheval. Voilà où j'en arrivé à

16 la suite de mes investigation. C'est ce que j'ai affirmé et j'estime

17 toujours que c'est cela, qui fait partie de l'histoire de l'Allemagne.

18 J'invoque ici la déclaration du général Naumann qui m'a dit que, dans le

19 cas de l'évaluation de l'OTAN de la situation au Kosovo, on n'a pas tenu

20 compte de ce plan du Fer à cheval, qui avait été présenté par l'Allemagne.

21 Q. Dans ce prétoire, nous avons entendu des témoins nous dire qu'il est

22 possible que ce terme de "Fer à cheval" ait été connecté à un plan

23 militaire complètement différent dont l'objectif était la défense contre

24 une attaque venant du sud.

25 R. Oui, je suis tombé là-dessus également mais, comme vous l'avez déjà

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1 dit, à ce moment-là, l'objectif de ce plan était complètement différent.

2 Cela n'aurait pas été le nettoyage ethnique du Kosovo, mais il aurait

3 s'agit d'une opération de défense avec des forces bien différentes du point

4 de vue de leurs effectifs et il y aurait eu des défis bien autres du point

5 de vue tactique, du point de vue opérationnel.

6 Q. Peu importe que ce nom de Fer à cheval ait été ou non rattaché à un

7 autre plan qui a été, ensuite, utilisé d'autres manières en Allemagne, ce

8 qui a entraîné une controverse rattachée à M. Sharping, en fait, tout cela

9 est germano-allemand, on peut l'oublier, n'est-ce pas ?

10 R. Cela, c'est votre façon de voir les choses, indéniablement. Mais, bon.

11 Q. Pour en terminer avec ceci, serait-il possible qu'il y ait d'autres

12 témoins à ce sujet ? Ceci a fait l'objet d'une émission allemande, enfin de

13 plusieurs émissions. Cela a fait l'objet d'une émission Panorama, ce qui a

14 entraîné des réactions du gouvernement. Je crois que le ministre Blume

15 [phon] a réagi, et cetera, et cetera.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Passons, maintenant, au sujet

17 suivant que vous avez abordé brièvement dans le cas de votre déposition.

18 Moi-même, je serai bref dans mes questions à ce sujet. Vous nous avez parlé

19 de l'opération de Noël, d'une opération qui a eu lieu en hiver. On nous a

20 dit qu'il y a eu des exercices, des manœuvres de grande envergure avec la

21 VJ, n'est-ce pas ?

22 R. Oui. Je n'ai pas parlé de manœuvre, j'ai parlé d'une offensive,

23 l'offensive de Noël. Pour moi, si on parlait d'exercice, cela renvoierait à

24 l'idée de manœuvre, d'exercices, or c'était vraiment pas du tout l'idée.

25 Là, il y a des gens qui sont morts, on ne peut plus parler de manœuvres,

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1 d'exercices militaires dans ces conditions.

2 Q. C'est, par exemple, les cas où la vigie est intervenue à Podujevo à

3 faire intervenir des hommes en grand nombre et où il y a eu des morts,

4 n'est-ce pas ?

5 R. Il y a eu des combats qui ont touché directement l'Uceka, il y a des

6 combattants de l'Uceka qui ont été tués. A ce moment-là,b c'est une

7 question philosophique que de savoir si tuer des soldats de cette manière

8 peut être justifié, peut être calculé, mais, à ma connaissance, aux termes

9 des conventions de Genève de la convention de La Haye, il s'agissait de

10 soldats en uniforme. Malheureusement, la population civile aussi a été

11 touchée dans le cas de cette offense Noêl.

12 Q. Vous connaissez vraisemblablement la publication de la SCE qui

13 s'appelle "As Seen As Told". Vous savez que ce document a été préparé avec

14 une grande rigueur. Il n'est pas question de dire que tout ce qui figure

15 dans ce rapport est totalement véridique puisque, nul n'est infaillible

16 mais vous n'avez aucune raison de douter des conclusions qui sont celles de

17 ce rapport, n'est-ce pas ?

18 R. Pour certains points, si, parce que quand il y a des conclusions un peu

19 trop hâtives qui ne me paraissent pas avoir des justifications

20 scientifiques mais s'agissant des conclusion générales de "As Seen As

21 Told", cela correspond à ce que j'ai vu. Je l'ai dit à plusieurs reprises,

22 il y a eu effectivement souvent des épisodes de violences disproportionnées

23 par rapport des événements qui les avaient causés, mais toujours provoqués

24 par des provocations qui, le plus souvent, d'après ce que j'ai vu, venaient

25 de l'Uceka.

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1 Q. Nous allons venir sur ce que vous dites à ce sujet dans la

2 plupart des cas. Si on parle de ces exercices militaires d'hiver, cela

3 ressort des déclarations de Ciaglinski, un témoin ainsi que du rapport de

4 l'OCSE. Est-ce que vous seriez d'accord avec la conclusion suivante, à

5 savoir que ces exercices militaires menés en hiver signifiaient que quelque

6 chose se préparait, qu'on se préparait à une offensive ou à des opérations

7 futures ?

8 R. Non, je ne dirais pas cela. D'abord, les rapports de situation du

9 ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères disent

10 clairement -- nous montrent clairement que, suite à cette offensive ou à

11 ces offensives de l'hiver, on n'a pas vu de renforcements nets des forces

12 de sécurité au Kosovo, un renforcement venu de l'extérieur.

13 Deuxièmement, il faut prendre en compte une analyse de la situation du

14 ministère de la Défense allemand publiée le 17 mars, qui arrive à la même

15 conclusion, à savoir qu'il n'est pas possible de constater, on ne peut pas

16 dire que les forces de sécurité serbes, au Kosovo, ont connu un

17 renforcement. D'autre part, on part du principe que l'Uceka allait

18 poursuivre sa technique de coup de main pour entraîner les frappes de

19 l'OTAN. Ceci figure dans des rapports du ministère de la Défense et du

20 ministère des Affaires étrangères allemand, qui en arrive à la même

21 conclusion pour ce 17 mars.

22 Q. Nous avons entendu des témoins nous dirent qu'au cours de ces exercices

23 d'hiver, des hommes ont été déployés en dehors de leurs casernes. Est-ce

24 que vous êtes d'accord ?

25 R. Oui, bien sûr. Il y avait des blindés qui sont sortis. Il y a des

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1 troupes d'infanterie aussi qui sont sorties des casernes.

2 Q. Les conscrits avaient l'interdiction de retourner dans leurs foyers, de

3 retourner en permission. Ils devaient rester sur place, n'est-ce pas ?

4 R. Oui, les recrues et les soldats de la VJ ont vu suspendre toutes leurs

5 permissions. D'autre part, --

6 Q. On a vu arriver des munitions à bord de trains, des chars, et ceci, à

7 Kosovska Mitrovica. Ces armements ont aussi été déployés dans tout le

8 Kosovo. Est-ce que vous l'acceptez ? Cela a été déclaré par des témoins qui

9 sont venus ici le dire ?

10 R. Oui.

11 Q. On a constaté une augmentation de la présence du MUP sur le terrain, et

12 on a constaté que les membres du MUP disposaient d'équipement de bien

13 meilleure qualité. Est-ce que vous le reconnaissez ? Est-ce que vous

14 l'acceptez ?

15 R. Absolument.

16 Q. Sur la base de tous ces événements que l'on prend en compte

17 globalement, au moment de Noël, est-ce que vous n'acceptez pas la

18 possibilité que ce à quoi on assiste, à ce moment-là, ce sont les

19 préparatifs de quelque chose qui va se produire ultérieurement ?

20 R. Vous me demandez quelle est mon évaluation personnelle de la situation.

21 Oui, cela, effectivement, c'est une variante. C'est une interprétation que

22 l'on peut avoir de la situation, mais c'est différent si on prend

23 l'opinion, si on interprète ceci du point de vue d'un témoin militaire,

24 d'un observateur militaire. Quand on voit son adversaire se retirer, on

25 essaie d'en profiter pour renforcer ses positions, c'est-à-dire que, quand

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1 on a la responsabilité de ces soldats, de ces hommes, quand on est celui

2 qui doit écrire à la famille si l'un de vos hommes a perdu la vie, à ce

3 moment-là, on agit de manière différente. Je ne pense pas, qu'à ce moment-

4 là, si on place dans ce cas de figure, on aurait la même interprétation de

5 la situation. C'est une question d'interprétation, mais si vous me demandez

6 quelle est la mienne.

7 Q. Vous avez parlé de M. Klaus Naumann, un officier -- le général Klaus

8 Naumann, un officier que vous connaissez, que vous respectez, n'est-ce pas

9 ? Il a donné son évaluation de ce qu'il a vu se produire au Kosovo. Pour

10 lui, ce qui s'est passé, c'est que l'opération de la VJ a nécessité une

11 planification à l'avance et des préparatifs. Il a estimé qu'il aurait fallu

12 pour cette opération, plusieurs mois de préparations, trois à quatre mois

13 de préparations.

14 Vous, vous vous trouviez dans une partie bien précise du Kosovo, limitée du

15 Kosovo. C'est là que vous êtes resté, et vous savez ce qui s'est passé à

16 cet endroit. Est-ce que vous avez des raisons de douter de l'évaluation du

17 général Naumann qui nous dit qu'il a fallu trois à quatre mois de

18 préparations pour l'opération qu'il a vue, ensuite, réaliser par la VJ ?

19 R. Je n'ai pas connaissance que le général Naumann se soit rendu

20 personnellement au Kosovo. Indépendamment de ce fait, les forces de

21 sécurité serbes au Kosovo, quand j'y étais moi-même en septembre, quand je

22 suis arrivé, les forces de sécurité serbes étaient extrêmement bien

23 équipées, formées. On était en état d'alerte au maximum. Je doute fortement

24 que ces forces qui avaient lutté depuis des mois contre l'Uceka, je doute

25 qu'elles aient eu besoin d'un temps de préparatifs supplémentaires pour

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1 entamer une autre opération. Ils étaient déjà en état de préparations, en

2 état suffisant. Il est inutile d'ailleurs, du point de vue militaire à un

3 soldat, de faire de longs préparatifs, de poursuivre des préparations. Pour

4 le soldat, cela entre dans le cadre de ses fonctions habituelles. Ce temps

5 de préparations de trois à quatre mois me paraît un peu douteux.

6 Le ministère de la Défense allemand, dans toutes ses analyses

7 secrètes que j'ai pu consultées, a estimé qu'à partir de janvier,

8 l'objectif principal de la VJ et du MUP, c'était de compenser leurs

9 faiblesses dans le domaine de l'infanterie. Pour cela, on n'a pas besoin de

10 trois à quatre mois; d'autant plus, que pour continuer à former des hommes

11 en Serbie et aussi en partie au Kosovo.

12 Q. Je vais passer à un autre sujet. Je ne vais peut-être pas passer

13 dans la chronologie de ce que vous nous avez dit, mais je vais parler du

14 sujet suivant maintenant.

15 A la fin de cet événement malheureux, on comptait des milliers de

16 réfugiés au Kosovo. Vous savez qu'ils ont été interrogés de manière très

17 rigoureuse, très systématique par ceux qui ont préparé le rapport "As Seen,

18 As Told" ainsi que par le rapport de Human Rights Watch "Under Orders."

19 Cette façon de procéder est bien différente de la manière que vous aviez de

20 procéder, qui consistait à interroger un petit nombre de gens de temps en

21 temps ?

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, il n'a pas

23 répondu à la première partie de votre question; il faudrait lui laisser y

24 répondre.

25 M. NICE : [interprétation] Non, mais il a opiné du chef. C'est pour

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1 cela ce que je n'ai pas demandé à ce qu'il y réponde.

2 Q. A la fin de ces événements, il y avait des milliers de réfugiés en

3 dehors du Kosovo, n'est-ce pas ?

4 R. Oui.

5 Q. Vous savez qu'ils ont été interrogés pour les deux ouvrages que je

6 viens de mentionner. Ils ont été interrogés. On s'est entretenu avec eux de

7 manière systématique, n'est-ce pas ?

8 R. Il faut que je dise quelque chose de bien clair. J'ai décrit Velika

9 Krusa suite aux réponses qui m'ont été posées par le conseil de la Défense.

10 A Velika Krusa, j'ai vu des crânes. J'ai vu un enfant qui avait été pendu.

11 J'ai senti l'odeur du sang. J'ai vu des os calcinés. Pratiquement dans

12 chaque maison, j'ai vu des morts. Voilà ce que cela voulait dire. Voilà ce

13 dont on est en train de parler.

14 Je répète encore une fois que je ne suis pas là pour servir d'instrument à

15 une partie quelle qu'elle soit.

16 Q. Je vous interromps.

17 R. Je voulais le dire très clairement.

18 Q. J'entends bien, je l'accepte. Vous constaterez à la fin de mon

19 interrogatoire que nous ne sommes peut-être pas si éloignés l'un que

20 l'autre dans nos positions. J'ai besoin que vous m'aidiez en répondant à

21 mes questions.

22 Vous vous êtes entretenu avec des gens en Macédoine ou ailleurs, ce qui

23 n'entrait pas dans le cadre de vos fonctions, de votre travail de parler à

24 ces témoins avec la méthode rigoureuse, systématique, l'utilisation d'un

25 formulaire, par exemple, qui a été celle de ceux qui ont préparé "Under

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1 Orders" et "As Seen, As Told", ces deux rapports dont j'ai parlé.

2 R. Je pense que ma façon d'interviewer les gens, comporte toujours une

3 certaine responsabilité par rapport à la personne que j'interviewe. Quand

4 on est correspondant de guerre, on a un petit peu thérapeute, parce qu'on

5 ne peut pas simplement demander aux gens de raconter leur histoire. Il y a

6 toujours une implication émotionnelle quand on interviewe des gens dans ce

7 contexte. Ces gens m'ont raconté beaucoup de choses atroces, des choses

8 complètement inimaginables. Il y a autre chose, c'est que ces gens souvent

9 manquaient énormément de précision. Dans les camps de réfugiés de

10 Macédoine, on m'a souvent dit qu'il y avait tel ou tel endroit où il y

11 avait tel ou tel groupe paramilitaire. Quand je me suis rendu sur place, je

12 suis tombé sur d'autres paramilitaires, et pas les Tigres d'Arkan dont on

13 m'avait parlé. Cela montre bien comment se déroule ce type d'interview.

14 Je pense qu'il est toujours important de trouver une deuxième source en

15 dehors de celle des témoins immédiats.

16 C'est très, très difficile, bien entendu, de vérifier ces choses atroces,

17 ces atrocités, par une autre source. C'est pour cela qu'on est là nous, les

18 journalistes.

19 Q. La raison pour laquelle je pose cette question, et je vous demande de

20 réfléchir à la différence entre votre façon de procéder et celle des

21 personnes qui préparent les rapports dont j'ai parlé, la raison est la

22 suivante : c'est que si la conclusion de ces entretiens réalisés avec un

23 très grand nombre de réfugiés, bien entendu, ce sera aux Juges d'en décider

24 au bout du compte. Si la conclusion au bout du compte, c'est qu'on avait

25 établi un plan, on avait dicté un plan pour faire partir les Albanais du

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1 Kosovo, qu'on avait mis en place des transports en train, en autocar, on

2 leur avait systématiquement pris leurs papiers d'identité, que tout cela

3 avait été fait de manière très organisée à la frontière par les hommes de

4 la VJ, si on en arrive à cette conclusion, cela suppose une plus longue

5 période de préparation que celle que vous envisagez dans votre réponse.

6 M. KAY : [interprétation] Je ne pense pas que le témoin soit à même de

7 répondre à cette question. On lui demande de prendre en compte d'autres

8 documents, de dire si, à son avis, ces documents disent la vérité ou pas.

9 Cela n'entre pas dans le cadre de l'expérience du témoin, ni de ce qu'il

10 est venu dire aux Juges de la Chambre. Je ne suis pas sûr que cela soit

11 très utile pour les Juges de la Chambre.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Nice, je suis

13 d'accord. Passez à autre chose.

14 M. NICE : [interprétation] J'aimerais simplement vous expliquer quelle est

15 ma position. Ce témoin nous dit qu'il n'y a pas eu de planification du côté

16 de la VJ. C'est lui qui nous l'a dit spontanément. Nous, nous ne sommes pas

17 d'accord, nous estimons que ce n'est pas la vérité. Je pense que sur la

18 base des réponses qu'il nous a déjà été donnée, sur la base d'un autre

19 présupposé, il arriverait certainement à différentes conclusions. C'est

20 pourquoi je lui posais cette question, avec tout le respect que je vous

21 dois. Je peux passer à autre chose.

22 M. KAY : [interprétation] Je ne souhaite pas que nous nous lancions dans de

23 longs discours à ce sujet, parce que nous en avons trop fait dans ce sens

24 avec ce témoin. Il faut lui poser des questions directement. Son temps en

25 précieux. Il faut lui poser des questions auxquelles il puisse répondre vu

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1 sa déposition.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Nice. Veuillez passer,

3 s'il vous plaît, à un autre sujet.

4 M. NICE : Oui, certainement. Puis-je seulement vérifier une autre chose et

5 voir si j'ai la date.

6 Q. Vous avez parlé du fait qu'au cours des derniers mois de 1999 [comme

7 interprété], on avait accumulé les forces sur le terrain suite à l'accord

8 Holbrooke.

9 R. [Le témoin opine du chef]

10 Q. Vous étiez là au mois de septembre. Au début de cette période, est-ce

11 que vous seriez d'accord pour dire que l'armée de la VJ aurait pu détruire,

12 éliminer l'Uceka telle qu'elle était à cette période, au début de cette

13 période ? Elle l'aurait pu faire très rapidement ?

14 R. Non, parce qu'elle n'avait pas pour cela les forces nécessaires, les

15 forces d'infanterie. L'Uceka avait mené des combats très mobiles. Comprenez

16 une chose. Dans ces voitures utilitaires, on pouvait mettre au maximum cinq

17 personnes, et on pouvait tendre des pièges et surprendre par des attaques

18 en embuscade. Les forces de sécurité pouvaient bien attaquer des maisons

19 d'une agglomération; elles pouvaient tirer sur ces maisons avec des succès

20 divers. Mais ces forces n'auraient pas été en mesure d'anéantir l'Uceka. A

21 cela s'ajoute le fait que dans un des premières interviews que j'ai eue

22 avec M. Adem Thaci [phon], il m'a dit qu'il y avait déjà deux tiers du

23 territoire du Kosovo qui était occupé. Par conséquent, vous avez une armée

24 clandestine qui est en mesure de contrôler déjà, d'après ce qu'elle dit

25 elle-même, deux tiers du territoire. Peut-être que vous allez dire que

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1 c'est de la propagande, mais ceci montre clairement quelles sont les

2 capacités de cette armée clandestine.

3 Les observations que j'ai faites sont les suivantes : les forces de

4 sécurité serbes ne pouvaient se déplacer que dans des gros convois avec une

5 force de sécurité. Souvent, ils ont été la victime d'attaques menées en

6 embuscade par l'Uceka.

7 M. NICE : [interprétation] Monsieur les Juges, la thèse que je présentais

8 venait de la déposition du général Naumann. Vous en souviendrez, il y a eu

9 un entretien, une discussion que M. le général Naumann a eue avec l'accusé.

10 Q. Vous dites qu'il y a eu une augmentation des ressources de l'Uceka.

11 C'est quelque chose que vous avez vu, mais quiconque suivait le conflit,

12 l'aurait vu également, n'est-ce pas ?

13 R. Je crois qu'un des plus gros problèmes qui se pose, c'est que l'OTAN

14 était plutôt -- avait des sympathies plutôt pour l'Uceka, et l'aidait dans

15 une certaine mesure. On a intérêt à présenter la situation. En plus,

16 l'OTAN, officiellement, n'avait personne au Kosovo. Il y a un lieutenant

17 allemand qui a écrit un rapport à propos de Racak. Le titre était

18 invariablement : "Manipulation et massacre." C'étaient toujours les termes

19 utilisés, les mêmes vocables. Je pense que l'OTAN avait pour intérêt de

20 présenter son rôle de façon différente. Cela ne fait pas l'ombre d'un

21 doute. Je pense qu'on en arrive à un point où il y a une organisation, si

22 je vais à Globocica, et si je vois des images, vous avez là --

23 Q. Je ne veux pas vous interrompre. Il se peut que vous n'ayez pas bien

24 compris l'objet de ma question. J'ai dit que d'autres, dont la VJ, auraient

25 pu comprendre qu'il y avait renforcement des ressources du côté de l'Uceka.

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1 R. Je suis sûr que des forces de sécurité serbes ont suivi cette

2 évolution. Ils l'ont vu cette évolution au sein de l'Uceka. Lorsque vous

3 avez un fusil à lunettes, un Draganov qui est un des fusils les plus

4 modernes, qui a été livré par l'Europe occidentale ou par les Etats-Unis;

5 il y a une différence entre cela et un autre fusil. Il y a une modification

6 de la technique, mais aussi ceci entraîne une modification du comportement.

7 Q. Vous avez ensuite parlé de Racak. J'aurais peut-être des questions

8 supplémentaires à vous poser à propos de Racak demain, mais j'ai sans doute

9 le temps d'évoquer un point qui m'intéresse.

10 Vous êtes arrivé à Racak. Vous vous êtes rendu sur place avec M.

11 l'ambassadeur Walker. Est-ce que pour y aller vous avez dû passer à

12 l'entrée du village devant un corps décapité ? Est-ce que vous avez dû voir

13 sur votre route des cadavres isolés d'hommes âgés, à gauche et à droite

14 lorsque vous êtes allé vers cette dépression ?

15 R. J'ai entendu parler d'un corps décapité à proximité de la mosquée, mais

16 je ne l'ai pas vu de mes propres yeux. Apparemment, il y avait dans les

17 cours de fermes, des corps décapités. J'ai vu la photo prise par un

18 collègue où on voit un cadavre qui a été recouvert des planches. La

19 photographie, je ne l'ai pas vue de mes propres yeux, non plus. Je suis

20 d'abord allé dans le lit de ce cours d'eau, et là, j'ai vu ces corps que je

21 vous ai décrits.

22 Q. Quelques questions à propos de ces corps. Vous avez déjà expliqué en

23 effet qu'ils ne présentaient pas l'aspect d'être le corps de personnes

24 faisant partie de l'Uceka.

25 R. Oui, c'est certain. Je n'ai vu aucun uniforme en partie ou uniforme

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1 complet, pas de chaussures non plus ni de brodequins. Je n'ai pas vu de

2 signe de l'Uceka. Je n'ai pas vu non plus d'armes qui pourraient m'amener à

3 conclure que c'étaient des armes appartenant à l'Uceka. Je dirais deux

4 tiers, je n'en suis pas tout à fait sûr, je ne peux plus m'en souvenir, je

5 ne peux plus vous dire combien il y en avait, mais deux tiers, sans aucun

6 doute, avaient la quarantaine, approchaient de la cinquantaine ou avaient

7 cinquante-cinq ans.

8 Q. Vous dites que certains de vos collègues auraient déplacé des corps.

9 Nous avons entendu un élément de preuve montrant qu'on avait bougé la tête

10 pour voir le visage de cette personne. Vous pensez qu'on a simplement

11 retourné des corps pour qu'on puisse voir les visages, ou est-ce qu'on les

12 a déplacés davantage ?

13 R. Ce qui est certain c'est qu'on les a déplacés, effectivement. Par

14 exemple, ceux qu'on déplacés, on les mis en position assise. On les adossés

15 sur le talus de cette pente pour leur donner un peu d'ombre, ou pour faire

16 un peu d'ombre de façon à pouvoir prendre une photo, aussi pour qu'on ne

17 voit pas trop les blessures faites à la tête. On les a changés de position.

18 Q. Fort bien. On a trouvé des douilles dans cette dépression ?

19 R. Oui.

20 Q. Des blessures ont été constatées, des blessures mortelles ont été

21 faites à la tête dans la plupart des cas, n'est-ce pas ?

22 R. [Signe affirmatif du témoin]

23 Q. S'il y avait des blessures au corps, à travers les vêtements, il y

24 avait concordance entre le lieu de la blessure et l'endroit, l'orifice

25 qu'on constatait sur les vêtements ?

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1 R. Je n'ai pas procédé à une analyse médico-légale; ce n'est pas mon

2 boulot de journaliste. Je peux vous confirmer que j'ai vu qu'il y avait eu

3 plusieurs blessures à la tête. Je ne suis pas d'accord avec mon collègue

4 français qui dit qu'il y a eu vraiment la cervelle qui avait été expulsée,

5 qui a publié ce genre de chose.

6 Je ne peux pas vous dire qu'il y aurait eu des parties de la cervelle qui

7 manquaient. Il y a des photos qui ont été prises. Je me souviens tout

8 particulièrement de ce monsieur assez âgé qui avait ce couvre-chef albanais

9 et qui avait la moitié du visage, la partie gauche du visage, arrachée.

10 Cela a laissé trace indélébile. C'est important de le dire pour l'opinion

11 publique internationale pour montrer ce qui s'est passé.

12 Q. Vous vous êtes dit inquiet du fait qu'on n'avait pas essayé de

13 préserver les traces; ce qu'on devrait faire pour une enquête sur les

14 lieux. Vous avez parlé de la façon dont M. l'ambassadeur Walker s'était

15 comporté. J'essaie de savoir si vous vouliez en dire davantage.

16 Tout ce que vous dites, c'est que M. Walker a trouvé le site comme vous

17 l'avez décrit lorsqu'il est arrivé là la première fois ?

18 R. On n'avait pas du tout sécurisé l'endroit; il n'y avait pas eu

19 d'enquête. Ce qui m'a étonné, c'est que M. Walker, déjà à ce moment-là, au

20 moment où il entre sur les lieux, qu'il parle déjà de violation des droits

21 de l'homme, de massacres, qu'il ait parlé de façon si catégorique, alors

22 qu'on ne savait pas finalement ce qui s'était passé à Racak, à ce moment-

23 là.

24 J'ai parlé à des collègues qui s'y étaient trouvé la veille. Ils ont parlé

25 de ces combats, combats qu'on pourrait qualifier de "normaux" au Kosovo.

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1 Tout le monde s'est étonné d'entendre parler de cette façon-là de Racak.

2 Notre mission principale entre Mitrovica et Pristina, c'était là qu'elle se

3 concentrait, là où il y avait des combats très intenses. Le fait de se

4 retrouver à Racak était un peu étonnant.

5 Q. A la fin de votre intervention, mais je reviens à Racak, si vous pouvez

6 nous aider. Vous avez parlé de ces deux cercles concentrés de la VJ et du

7 MUP lorsque ceux-ci attaquaient un village, que ce soit une attaque menée

8 par le MUP ou les paramilitaires, c'était sous la protection de la VJ;

9 c'est bien cela ?

10 R. Oui.

11 Q. Ce que vous avez vu à Racak, je parle ici de façon générale, est-ce que

12 cela s'inscrivait dans la même logique d'attaque ?

13 R. A Racak, on pouvait voir des traces de balles sur certains bâtiments.

14 On avait tiré à une distance de 20 ou 30 mètres; c'étaient des armes de

15 poing, des armes légères. On pourrait effectivement penser, que le MUP a

16 utilisé la même méthode. Quant à savoir si le 15, le MUP avait reçu le

17 renforcement ou l'appui de la VJ ou de paramilitaires, c'est quelque chose

18 que je ne connais pas puisque je n'étais pas là pour le voir.

19 Q. Vous êtes parti ce jour-là. Vous avez écourté votre visite ou votre

20 inspection. Vous avez envoyé un article à quel journal, si on le trouve ce

21 soir ?

22 R. A ce moment-là, j'ai envoyé ce reportage au Velt -- Divelt.

23 Q. Vous n'avez pas un exemplaire sur vous ?

24 R. Je répète, cela se trouve dans des cartons de déménagement. Je ne

25 savais pas ce que vous vouliez avoir comme documents. Parce que vous savez,

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1 qu'en neuf ans, un journaliste écrit beaucoup, il publie beaucoup.

2 Q. --

3 M. NICE : [interprétation] Je vous doit une explication, Messieurs les

4 Juges. J'ai reçu pour la première fois des informations détaillées, mais

5 j'aimerais vous dire avant d'en terminer aujourd'hui, ce que nous n'allons

6 pas du tout contester. C'était impossible de le faire à l'avance, mais je

7 pourrais vous le dire demain. Je serai mieux à même de vous préciser ce que

8 nous ne contestons pas du tout. Je pense que ceci à terme vous aidera.

9 Q. Parlons d'expulsions, de déportations ou transferts forcés. Vous nous

10 avez raconté comment on avait demandé à des gens d'aller dans les bois et

11 de revenir. Ceci concerne uniquement certains endroits dans votre zone.

12 R. Oui, ceux dont je peux parler.

13 Q. Divers chiffres ont été mentionnés, de transferts forcés de population.

14 Ces chiffres, vous les tenez de diverses sources et concernent le Kosovo à

15 divers moments de 1998. Pouvez-vous nous aider, s'agissant de ces

16 chiffres ? Nous les tenons d'autres témoins, mais, si vous n'êtes pas en

17 mesure de répondre, j'en parlerais avec d'autres témoins que vous-même.

18 R. J'ai essayé de faire des évaluations. Je vous ai parlé de nombres de

19 six chiffres parce que j'ai parlé avec des collègues de ce qu'ils ont vu

20 lorsqu'ils étaient sur place. On parle de centaine de milliers, et je vous

21 l'avais déjà dit. Il y a eu des expulsions de part et d'autre. Les

22 réfugiés, ils ne sont pas devenus réfugiés simplement parce que l'Uceka

23 leur aurait dit : "Vous devez quitter votre maison." Il y a eu des combats,

24 et les personnes ont pris la fuite à cause de ces combats. Il y a eu toute

25 sorte d'actions. Cela, je vous l'ai dit. C'est le comportement des deux

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1 parties belligérantes qui a provoqué ce nombre important de réfugiés.

2 Q. Vous comprendrez que le procès intenté au présent accusé comprend

3 également que ces mouvements -- ces expulsions étaient provoquées en tout

4 ou en partie par les forces serbes.

5 R. Quant à savoir si c'est en tout ou en partie par les Serbes, c'est

6 difficile de le dire. Je ne peux pas me prononcer là-dessus. Je peux vous

7 parler de ce que j'ai vu dans la zone où j'étais, et là pratiquement,

8 c'était "fifty-fifty." Des habitants kosovars étaient amenés à quitter leur

9 village à cause d'une attaque des forces serbes qui s'approchaient, mais

10 ils revenaient le soir, et on continuait à vivre dans ces villages. Cela,

11 c'était le cas le plus courant.

12 Q. Certains témoins nous ont parlé, et ce serait une chose tout à fait

13 raisonnable de faire, si vous voyez les forces serbes arrivées, vous

14 partez.

15 R. Tout à fait.

16 Q. Je vais simplement évoquer certains des lieux mentionnés dans l'acte

17 d'accusation pour voir si vous pouvez nous aider. Orahovac, vers le 25, le

18 26, le 27 et le 28 mars.

19 R. Il y a eu une attaque des forces serbes de sécurité depuis le sud à

20 Orahovac ou en direction d'Orahovac. Il y a un homme qui s'est beaucoup

21 occupé de la question, c'est Erich Ratfelder, un correspondant du journal

22 TAZ. Je ne sais pas s'il a été témoin oculaire, mais je sais qu'il s'est

23 beaucoup occupé de la question. Personnellement, j'en ai entendu parler de

24 cette attaque à Orahovac. J'en ai souvent parlé avec mon collègue, mais je

25 pense qu'il faudra en parler avec lui de façon plus détaillée. Je parle ici

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1 de mon collègue, Erich Ratfelder.

2 Q. Est-ce que vous avez vu le convoi de réfugiés venant d'Orahovac ?

3 R. Il y avait cette affection entre Velika et Orahovac, au nord de

4 Velihoca [phon]. Cela allait vers Suva Reka, en passant par Prizren et

5 Strpce. Il franchissait le col. Oui, j'ai vu un convoi de réfugiés. Je

6 crois que c'était le 27 ou le 28.

7 Q. Environ 4 000 personnes ?

8 R. Oui, à peu près.

9 Q. Escorté tant par l'armée que par la police ?

10 R. Oui.

11 Q. En passant, est-ce que vous vous êtes trouvé à une frontière où on

12 confisquait des pièces d'identité des personnes, on leur confisquait aussi

13 les plaques d'immatriculation ?

14 R. C'est ce que je voulais dire au moment où vous m'avez interrompu. A

15 Glogocica, au passage frontière, oui. Il y avait - comment dire - une

16 espèce de cimetière de tracteurs, qui fait comme surface six ou huit

17 terrains de football. Là, j'ai vu ce tracteur rouge. Il y en avait beaucoup

18 en fait. C'était le 9 voire le 10, le 10 juin. Là, j'ai vu tout un tas de

19 pièces d'identité qui avaient confisquées aux gens, c'est vrai, et qui

20 avaient été brûlées. On en voyait les restes. Avant que les gens ne

21 franchissent la frontière - vous savez, qu'au départ, le gouvernement

22 macédonien avait fermé ces frontières, avant que ces gens ne puissent

23 passer la frontière. C'était manifeste, il y avait des gens qui avaient été

24 repoussés et qui faisaient des fils de plusieurs kilomètres en direction du

25 Kosovo.

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1 Q. Excusez-moi de vous avoir interrompu, mais vous comprendrez que nous

2 essayons de bien ramasser nos questions en vous interrompant. Cela se fait

3 dans ce genre de procès. Vous avez pu nous parler de ceci. Est-ce que vous

4 avez vu que la VJ avait pour habitude de confisquer des pièces d'identité

5 de gens, ou de le faire en convoi ?

6 R. Je vous parle de Glogocica. Je peux vous en parler parce que je m'en

7 suis vraiment occupé. Il y avait des membres de la

8 248e Brigade mécanisée qui était de service. Je pense que c'était le 3e

9 Bataillon, mais je ne pourrais pas m'en mettre ma main au feu. Je pense

10 qu'ils avaient mené une opération de sécurisation de la frontière à cet

11 endroit, un contrôle des réfugiés, en d'autres termes, effectué par des

12 unités du MUP. Ce qui frappait surtout à cet endroit c'est qu'il y avait un

13 bâtiment de l'école de Glogocica et qu'il y avait une Mercedes blanche qui

14 faisait des allées et venues très surveillées, et qu'on recevait avec

15 beaucoup d'honneur militaire. Cette Mercedes blanche donnait des consignes

16 suivies d'effet, à ce poste frontière. L'homme qui se trouvait dans cette

17 Mercedes, je ne peux pas vous dire qui c'était. J'ai uniquement observé

18 ceci à plusieurs reprises à la jumelle -- aux jumelles.

19 Q. Est-ce que vous avez parlé à des policiers ou à d'autres personnes du

20 fait qu'ils auraient confisqué des pièces d'identité de réfugiés ?

21 R. J'en ai parlé avec des soldats, et ils m'ont dit qu'ils étaient soldats

22 et qu'ils n'avaient pas à exécuter de missions de policiers. J'ai trouvé

23 plus tard, à Glogocica, des lettres que des soldats n'avaient pas encore

24 envoyées, les soldats de la VJ. Mais des policiers du MUP qui menaient une

25 double vie assez mystérieuse, de jour, ils étaient policiers, et de nuit,

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1 ils étaient membres d'unité paramilitaire, et ils ont toujours,

2 effectivement, confirmé cela, qu'ils avaient confisqué des documents, mais

3 ils ont également confirmé ou avoué qu'ils s'étaient livrés à des

4 violations des droits de l'homme.

5 Vous avez aussi le bâtiment du MUP à Prizren. Si je me souviens bien, le

6 14, le 15 ou le 16 juin, ils s'étaient emparés -- des forces armées

7 allemandes s'étaient emparées de ce bâtiment, et on voit qu'à cet endroit,

8 il y avait une unité de la police la PU, unité de la police de l'Uceka, qui

9 s'était installée -- qui avait installé une espèce de chambre de torture

10 dans ce bâtiment.

11 Q. La confiscation --

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous pourrons travailler jusqu'à 14

13 heures.

14 M. NICE : [interprétation]

15 Q. Je parle, maintenant, de la confiscation des pièces d'identité. Vous

16 dites que des policiers du MUP l'ont reconnu par écrit. Est-ce qu'ils ont

17 dit avoir, là, exécuté des ordres qui leur avaient été donnés ?

18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic.

20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je ne sais pas ce qui se passe. Mais le

21 microphone est bien branché. Les interprètes signalent qu'il y a un

22 grésiment [sic] terrible.

23 On interprète de manière totalement déformée. J'entends, par rapport à ce

24 que dit M. Hutsch, parce que je lui ai parlé pendant deux jours. Lorsque

25 les Allemands sont rentrés dans le MUP de Prizren, ils ont découvert les

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1 salles de tortures qui avaient été mises en place par l'Uceka, et non pas

2 par le MUP. Il y a une inversion de thèse constante. Il y a des

3 manipulations sans cesse. C'est de cela qu'il a parlé.

4 L'INTERPRÈTE : Le grésiment ne s'arrête pas, il est terrible.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, dans le cadre

6 des questions supplémentaires, vous pouvez revenir sur ces questions.

7 Monsieur Nice, c'est à vous.

8 M. NICE : [interprétation] Merci.

9 Q. Vous n'avez pas encore répondu à ma question, à cause de cette

10 interruption, et qui était de savoir si les officiers du MUP, ces policiers

11 du MUP, agissaient sur une instruction, consigne ?

12 L'INTERPRÈTE : Hors micro.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Imaginez qu'un petit policier de banlieue

14 fasse ce genre de choses sans instructions. Ce n'est pas possible. Tout

15 était manifestement bien organisé.

16 M. NICE : [interprétation]

17 Q. Passons au sujet suivant. Est-ce que vous savez personnellement ce qui

18 s'est passé à Prizren du 25 mars 1999 au 11 avril ?

19 R. Non. Non, pas personnellement.

20 Q. Skenderaj, 25 mars au 2 mai, est-ce que vous savez ce qui s'y est passé

21 ?

22 R. Non. Non, non, j'étais en déplacement. J'étais à pied d'ailleurs.

23 Q. Suva Reka, du 25 au 27 mars ?

24 R. J'ai vu les effets de ce qui s'était passé à Suva Reka vers le 28. Il

25 était évident qu'il y avait eu des offensives venues du nord, venues de la

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1 zone de collines autour du col de Dulje. Il y avait eu des offensives qui

2 venaient de cette direction vers Suva Reka. Il était manifeste. D'ailleurs,

3 je l'avais entendu. Il était manifeste que les positions d'artillerie du

4 col de Dulje avaient fourni un appui feu dans le cadre d'une offensive

5 menée contre Suva Reka. Il était manifeste, à ce moment-là, que des maisons

6 ont été incendiées -- étaient en train de brûler, à la périphérie du

7 village ainsi que dans le village lui-même.

8 J'ai également, à ce moment-là, entendu des tirs qui venaient de Suva

9 Reka. C'est pour cette raison que nous avons fait un grand détour pour

10 éviter de passer par Suva Reka, à cause de ces tirs.

11 Q. Est-ce que vous avez vu un convoi qui aurait compté quelques 5 000

12 personnes et qui était escorté par la police ?

13 R. J'ai vu un convoi qui venait de d'Orahovac, parce que pendant un

14 certain temps, on était parallèle à la route dans les bois. J'ai vu de

15 nombreux convois qui empruntaient cet itinéraire qui passaient par la

16 bifurcation de Glogocica. Vous dire d'où venaient exactement ces convois et

17 pourquoi ces gens partaient, prenaient la fuite, pourquoi ces gens étaient

18 expulsés, étaient transférés de Zvor [phon], je ne peux pas vous dire.

19 Tout ce que je peux vous dire, c'est que c'était des milliers de personnes,

20 des colonnes qui s'étendaient sur plusieurs kilomètres, et qui traversaient

21 cette zone et qui étaient insultées par la population serbe. Dans certains

22 villages, on leur lançait des tomates. Cela, personne ne saurait le

23 contester.

24 Q. Vous nous avez parlé de maisons qui étaient en feu. Est-ce qu'à cet

25 endroit ou ailleurs, vous avez vu des indices vous permettant de déterminer

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1 que les forces serbes s'étaient livrées à des pillages ?

2 R. A Suva Reka, je n'ai pas vu cela de mes yeux, mais je peux cependant

3 vous donner une confirmation d'une telle opération pour ce qui concerne

4 Stagovo. Stagovo, vous trouverez cette localité à la page 12 de l'atlas.

5 Cela se trouve au nord de Kacanik.

6 Q. Quels actes de pillage avez-vous pu voir à cet endroit ?

7 R. J'ai vu qu'au moment du retrait de la VJ, il y a eu des pillages. J'en

8 ai fait des photographies que j'ai d'ailleurs publiées. Sur ces

9 photographies, on voit une voiture civile. D'ailleurs, c'est assez amusant

10 parce qu'à l'arrière, il y avait le drapeau albanais encore sur cette

11 voiture. On voit que cette voiture est emmenée, ainsi que des appareils

12 électroménagers, des télévisions, et cetera. Tout ceci est emporté à bord

13 de véhicules blindés, de chars. J'ai pu voir qu'on emportait des jouets de

14 ce village qui n'était plus habité par aucun albanais.

15 Q. Est-ce que vous savez quoi que ce soit au sujet de Pec ? Je parle

16 toujours de la même période, le 27, 28 mars.

17 R. Comme je l'ai dit, j'ai vu des réfugiés de Djakovica vers Prizren, mais

18 je n'ai pas fait d'observations personnelles à Pec, parce que je ne suis

19 pas allé à Pec. Pec se situait dans une autre zone de défense, si bien, que

20 je ne me suis jamais rendu dans cette localité.

21 Q. Mitrovica ?

22 R. Non.

23 Q. Djakovica ?

24 R. Non. Comme je vous l'ai déjà dit, j'ai vu des réfugiés qui venaient de

25 Djakovica, des files de réfugiés -- des colonnes de réfugiés, mais je n'ai

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1 pas assisté aux événements eux-mêmes.

2 Q. Gnjilane ?

3 R. Gnjilane, non. Mais j'ai vu Vitina. Je pense plus particulièrement à la

4 localité de Kabas.

5 Q. Pouvez-vous nous indiquer où on trouve cette localité sur la carte ?

6 R. Page 12, coordonné 30 : 80, au sud de Vitina, à Kabas. A Kabas se

7 trouvaient les forces de réserve de la VJ, avec des blindés V-80. C'est une

8 imitation du char T-72. Là, j'ai pu moi-même assister à des actions de

9 pillages au moment du retrait des forces de sécurité serbes de la VJ.

10 Q. Orahovac, 25 mars au 16 avril ?

11 R. Non.

12 Q. Kacanik ?

13 R. Tout ce que je peux vous dire au sujet de Kacanik, c'est que, lors de

14 plusieurs randonnées, si on peut dire, dans le Kosovo, j'ai vu des maisons

15 en flammes dans cette zone. J'ai entendu des tirs et j'ai vu des réfugiés

16 qui allaient vers Djeneral Jankovic. Il y avait aussi un camp de réfugiés

17 qui se trouvait directement au sud-ouest ou plutôt sud-est de Kacanik.

18 C'est un camp où je me suis rendu, entre Djurdjev Dol et Nikovce, un camp

19 de réfugiés qui se trouvait dans un bois. Il y avait environ 10 000 à

20 15 000 Albanais du Kosovo qui étaient réfugiés dans ce camp, un camp qui a

21 existé pendant toute la guerre.

22 Q. Decani ?

23 R. Non.

24 Q. Enfin, j'ai fini de passer en revue la liste qui figure dans l'acte

25 d'accusation. Vucitrn ?

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1 R. Non.

2 M. NICE : [interprétation] Je sais, Monsieur le Président, que vous m'avez

3 indiqué que nous pouvions continuer jusqu'à 14 heures. Si l'on peut

4 suspendre l'audience, je vous en serais reconnaissant parce que je dois

5 procéder à un certain nombre de vérifications afin de rationaliser mon

6 contre-interrogatoire pour demain.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien. Monsieur Nice, vous avez dit

8 que vous alliez essayer de mettre la main sur l'interview de Mladic.

9 M. NICE : [interprétation] Oui, oui, je vais m'efforcer de le faire. Bien

10 entendu, si j'arrive à le trouver, je le mettrai à la disposition de la

11 Chambre.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, est-ce que vous pouvez

13 nous apporter votre assistance pour ce faire ?

14 M. KAY : [interprétation] Nous ferons tout ce qui est dans notre possible.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Hutsch, nous allons

16 suspendre l'audience jusqu'à demain.

17 M. NICE : [interprétation] Avant de suspendre l'audience, Monsieur le

18 Président, une chose. Si, dans le cadre des recherches que nous allons

19 mettre en œuvre cet après-midi, nous constatons que nous sommes perdus --

20 nous n'arrivons pas à trouver le document, est-ce que nous pouvons prendre

21 contact avec Me Kay pour qu'il puisse lui-même prendre contact avec le

22 témoin afin qu'il nous donne des indications pour nous permettre de trouver

23 le document ?

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, d'accord. Mais uniquement pour

25 cela.

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre, mais je ne

2 m'étais préparé à devoir rester une journée de plus. On m'avait -- je ne

3 devais rester qu'aujourd'hui. Or, j'ai des engagements très importants, des

4 engagements journalistiques, et je devrais d'ailleurs partir dès ce soir.

5 Des engagements qui devraient commencer dès ce soir.

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous n'étiez pas au courant Maître

7 Kay ?

8 M. KAY : [interprétation] Non. Non, je n'étais pas au courant. Je ne sais

9 pas si le témoin peut prendre des dispositions, peut passer des coups de

10 téléphone pour modifier cette situation, parce qu'il -- cela ne serait

11 vraiment pas dans son intérêt de devoir revenir un autre jour, sans oublier

12 tous les arrangements, toutes les dispositions qui doivent être prises pour

13 procéder à son interrogatoire.

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous entendez bien Me Kay, Monsieur

15 le Témoin. Si vous ne pouvez venir demain, il faudra vous faire revenir à

16 une date ultérieure, et il serait préférable que vous puissiez essayer de

17 faire en sorte d'être là demain.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais faire tout mon possible. Il faudra

19 peut-être que je parte pour ce rendez-vous cet après-midi et que je

20 revienne demain très tôt. Je pense que ce serait la meilleure façon de

21 résoudre la situation. Parce que, moi, on m'avait dit très clairement que,

22 normalement, je devais déposer demain, que -- ensuite cela avait été

23 déplacé à aujourd'hui. J'ai des engagements professionnels très importants.

24 Il serait possible que je m'en occupe ce soir et que je revienne demain

25 matin, et que je poursuive ma déposition demain après-midi.

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1 [La Chambre de première instance se concerte]

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Hutsch, est-ce que

3 vendredi, cela vous irait mieux ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, ce serait encore pire, parce que je dois

5 avoir -- j'ai une réunion très importante avec deux collègues. Nous voulons

6 publier un livre sur Srebrenica l'an prochain, donc on avait prévu une

7 réunion très importante vendredi. Je préférerais aller à ce rendez-vous

8 professionnel cet après-midi afin que je puisse revenir demain main.

9 Ensuite, cela nous laisserait demain après-midi si cela vous va.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, cela est acceptable. Merci.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Suspension d'audience.

13 --- L'audience est levée à 13 heures 59 et reprendra le mercredi 13 octobre

14 2004, à 9 heures 00.

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