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1 Le mardi 16 novembre 2004
2 [Audience publique]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 19.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous allez
6 appeler votre premier témoin, mais avant de le faire, je dois vous dire
7 quelque chose à propos d'une question administrative. Nous allons siéger de
8 14 heures 15 à 15 heures 45, nous ferons après cela une pause de 20
9 minutes, après quoi, nous allons siéger de 16 heures 05 à 17 heures 30,
10 ensuite à nouveau une nouvelle pause de 20 minutes, après quoi, nous allons
11 siéger de 15 heures 50 à 19 heures, et nous suspendrons l'audience à cette
12 heure-là.
13 Monsieur Milosevic, pour autant que je le sache, c'est la première fois que
14 vous allez mener un interrogatoire principal. Par conséquent, c'est quelque
15 chose comme un nouveau monde pour vous et je souhaite vous rappeler
16 certaines règles de base. Je réitère en d'autres termes ce qui avait été
17 déjà dit lors de la présentation de la Conférence préalable de la Défense
18 le 17 juin, de façon générale, je dois dire que l'approche que je souhaite
19 adopter eu égard à la conduite de votre interrogatoire principal, je
20 souhaite que les éléments de preuve se déroulent ou soient entendus de la
21 façon la plus ininterrompue possible. Nous avons déjà perdu suffisamment de
22 temps dans cette affaire et je souhaite que les éléments de preuve soient
23 présentés aussi rapidement que possible et de façon fluide.
24 L'interrogatoire principal n'est pas forcément plus facile que le contre-
25 interrogatoire. Je dirais simplement qu'il diffère du contre-
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1 interrogatoire. Je crois que c'est la meilleure définition que l'on puisse
2 en donner. Tout d'abord, vous ne pouvez pas poser des questions directrices
3 au témoin. Le témoin doit faire sa déposition, ce n'est pas à vous de le
4 faire. Comme je l'ai dit auparavant, vous ne devez pas faire de discours.
5 Ce qui est encore plus important, c'est que les éléments de preuve doivent
6 être pertinents, autrement dit, ils doivent être liés à l'acte d'accusation
7 et aux chefs d'accusation qui figurent dans l'acte d'accusation de façon
8 précise et de façon à confirmer ou à infirmer les allégations qui s'y
9 trouvent. Dans votre cas, ceci aurait tendance à infirmer les allégations.
10 Il est important de pouvoir évaluer la valeur probante de ces éléments de
11 preuve, c'est ce qui compte pour nous.
12 Comme je vous l'ai dit le 17 juin, les documents doivent être produits dans
13 un ordre bien distinct. Si vous remettez des documents qui n'ont pas déjà
14 été présentés, il faut vous assurer qu'il y ait un nombre suffisant
15 d'exemplaires pour mettre à la disposition des Juges de la Chambre, de
16 l'Accusation et du témoin.
17 Je vous demande de bien vouloir vous rappeler que les documents qui n'ont
18 pas été traduits en anglais devront être traduits en anglais. Par
19 conséquent, il faut donner un préavis ou prévoir suffisamment de temps pour
20 faire traduire ces documents.
21 Cela étant dit, votre premier témoin, Monsieur Milosevic. Vous allez
22 appeler votre premier témoin.
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je cite à comparaître mon témoin, le Pr Mihailo
24 Markovic.
25 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je demande de bien vouloir demander
2 au témoin de lire la déclaration solennelle.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
4 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
5 LE TÉMOIN: MIHAILO MARKOVIC [Assermenté]
6 [Le témoin répond par l'interprète]
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez vous asseoir.
8 Vous pouvez commencer, Monsieur Milosevic.
9 Interrogatoire principal par M. Milosevic :
10 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Markovic.
11 Vous êtes professeur, membre de l'Académie des sciences. Je me propose de
12 vous donner lecture à présent de quelques éléments importants dans votre
13 biographie. Vous allez en somme me dire que cela est exact ou pas.
14 Professeur de la faculté de philosophie, membre de l'Académie des sciences
15 et des arts. Vous avez enseigné à l'Université de Pennsylvanie, vous êtes
16 également membre de l'Institut international de philosophie à Paris. Vice-
17 président de l'Union humaniste et éthique au Pays-Bas, vous êtes vice-
18 président pour l'Europe de la Fédération mondiale chargée des recherches
19 relatives à l'avenir. Vous êtes professeur honorifique à Londres. Vous êtes
20 membre du Comité principal chargé de la paix à Vienne, et ce qui est dans
21 d'autre localité vous êtes rédacteur en chef de bon nombre de revues et
22 vous enseignez aux Etats-Unis, vous êtes secrétaire du département des
23 sciences sociales à l'Académie des sciences et des arts de Serbie.
24 Depuis 1998, vous êtes membre du Comité de la défense de la liberté de
25 discours public. Vous avez été éloigné de l'université en 1990. Vous avez
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1 été vice-président du Parti socialiste de Serbie, et vous êtes l'un des
2 auteurs du mémorandum de l'Académie serbe des sciences et des arts. Est-ce
3 que tout ceci est exact ?
4 R. Tout est exact.
5 Q. Merci. Peut-on constater que vous faites partie des membres éminents de
6 la vie sociale et des événements politiques au fil de plusieurs décennies
7 de cet ex-Yougoslavie ?
8 R. Oui, on pourrait le dire. Mais si je puis apporter une petite
9 explication, j'aimerais le faire. Lorsqu'on dit que quelqu'un est un
10 intellectuel engagé, cela signifie qu'il est engagé en termes pratiques et
11 en théorie en faveur de valeurs humaines fondamentales, telles que
12 l'égalité des droits, les droits sociaux, économiques, politiques, la
13 justice sociale et la solidarité humaine.
14 Lorsque l'on s'engage sur le plan théorique, c'est ce que j'ai précisément
15 fait toute ma vie durant, cela signifie que l'on est un homme de science,
16 un critique, un philosophe qui ne fait pas que décrire et expliquer la
17 réalité sociale, mais qui procède à une approche critique et essaie de
18 découvrir les limites qu'il convient de dépasser. Lorsqu'on est engagé en
19 termes pratiques, cela signifie plus ou moins une participation à la vie
20 politique active. Dans certaines parties de ma vie, quoique m'engageant
21 tout le temps sur le plan théorique, je dirais que, pendant certaines
22 périodes, j'ai également participé à la vie politique. Mais s'agissant des
23 valeurs éthiques, il y a toujours eu conflit de celles-ci avec la politique
24 pragmatique, c'est la raison pour laquelle j'ai dû me retirer vers des
25 activités théoriques d'homme de science, mais j'ai également été éloigné de
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1 différentes institutions. Cela est arrivé à plusieurs reprises.
2 Je vais, sans parler des motifs, vous énoncer quelques exemples. La
3 première fois, cela a été dans mon lycée, avant la Deuxième guerre
4 mondiale. La deuxième fois dans les années 50, après la Deuxième guerre
5 mondiale. Une troisième fois, oui, excusez-moi, oui, je dois ralentir. La
6 troisième fois, pendant une période assez prolongée de 20 ans, lorsque je
7 me suis employé en faveur de la publication d'une revue théorique qui
8 s'appelait Praxis. J'ai été rédacteur en chef de Praxis international par
9 la suite. Cela a duré pendant 20 ans. C'est à cette époque-là que j'ai été,
10 pour des raisons politiques, éloigné de la faculté. On m'a privé, on m'a
11 dépossédé de mon passeport, je n'ai pas pu publier mes livres, je n'ai pas
12 pu intervenir dans les médias, et s'agissant de ce groupe de Belgrade
13 appelé Praxis, il en a également été question assez souvent dans le New
14 York Times et le Washington Post, nous étions qualifiés de dissidents.
15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Professeur.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais en terminer. Une dernière fois en
17 1990, lorsque j'ai été libéré de mes fonctions au sein du Parti socialiste.
18 M. MILOSEVIC : [interprétation]
19 Q. La crise yougoslave qui s'est soldée par une sécession et une guerre
20 civile a des racines qui prennent leur naissance assez loin dans
21 l'histoire, n'est-ce pas ?
22 R. En effet. Si vous le permettez, j'aimerais, pendant que nous y sommes,
23 expliquer quelque chose de très important pour ce qui est du reste de ce
24 dont nous parlerons ultérieurement.
25 Cette crise a des raisons politiques internes et externes; internationales
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1 parce que la position politique de ce territoire est très importante. Il
2 s'agit d'artères allant du nord vers le sud, entre l'Europe et l'Asie. Tous
3 les conquérants, au fil de l'histoire, se sont efforcés de maîtriser ces
4 territoires. Je ne vais pas les énumérer tous, on va parler du 7e siècle
5 des Avars, puis des Mongols, puis les Turcs au 14e siècle, par la suite,
6 cela venait de l'ouest de l'Europe. On s'est efforcé, depuis, de contrôler
7 ces territoires, d'abord pour ce qui est de l'Autriche-Hongrie, puis
8 l'Allemagne, et par la suite les Etats-Unis d'Amérique.
9 Maintenant, pour ce qui est de ce territoire, il convient de dire qu'y ont
10 résidé des peuples slaves du sud, très proches les uns des autres qui ont
11 exprimé le souhait de se défendre et de vivre dans un état commun, d'où
12 l'aspiration à la création d'une communauté yougoslave. L'idée avait été
13 celle de créer une fédération balkanique. D'autre part, il s'agissait de
14 peuples qui ont vécu dans des conditions historiques très différentes, les
15 uns ont vécu en Autriche-Hongrie, d'autres ont été sous l'emprise des Turcs
16 pendant l'Empire Ottoman. Ils ont eu des religions différentes, il y a eu
17 des catholiques, des orthodoxes et, par la suite, encore des musulmans.
18 Très souvent, ils ont aspiré à créer des états nationaux indépendants. D'où
19 cette aspiration constante au séparatisme et à la sécession. Cela a, en
20 réalité, conduit très souvent à bon nombre de conflits nationaux mutuels.
21 Ce qui est survenu tout dernièrement est, en réalité, une conséquence
22 lointaine de ce type-là de conflit.
23 C'est la conséquence de l'aspiration visant à créer un état propre; par
24 exemple, les Slovènes avaient un état médiéval il y a plus de 1 000 ans;
25 les Croates, également, ont eu un état il y a plus de 1 000 ans, ils ont
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1 perdu leur indépendance en 1102. Les Serbes avaient leur Etat médiéval. A
2 l'époque du romantisme national, il s'est créé de nouveaux domaines nations
3 qui ont aspiré à créer leurs propres états.
4 Ce qui fait que, de ce côté-là, vous avez des tensions permanentes parce
5 que certaines nations visaient à créer leurs propres Etats et, d'autre
6 part, vous aviez une ingérence des puissances étrangères qui, elles,
7 aspiraient à exercer un contrôle à l'égard de ces territoires en suscitant
8 ces conflits interethniques. Ces deux facteurs, d'une part, les
9 séparatistes et les sécessionnistes et, d'autre part, les ingérences
10 permanentes de l'extérieur ont occasionné directement la crise dont nous
11 parlons.
12 Q. Merci, Professeur. Nous allons, maintenant, essayer de centrer votre
13 témoignage sur une période plus récente.
14 Cette crise, que vous avez mentionnée, s'est manifestée de façon ouverte et
15 manifeste après la mort de Josip Broz Tito, suite à quoi, il y a eu
16 escalade du mouvement nationaliste albanais, il y a eu l'organisation de
17 manifestations massives. Je vais vous poser la question pour ce qui est de
18 mars 1981, moment où il y a eu aggravation des tensions et où il a été
19 organisé des manifestations visant à créer une république au Kosovo, faire
20 sécession du Kosovo, et annexion du Kosovo à l'Albanie ?
21 R. C'est exact. Il y a eu avant cela un soulèvement en 1968, Tito a envoyé
22 là-bas deux divisions pour calmer la situation. Une autre insurrection a eu
23 lieu à la fin de la Deuxième guerre mondiale lorsque les Albanais ont
24 refusé de participer aux combats au front de Srem pour libérer le pays des
25 Allemands. Ce qui fait que c'est ce contexte-là, dans lequel il y a eu ces
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1 événements au Kosovo.
2 Q. Mais il est une question particulièrement douloureuse qui est celle de
3 la pression --
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, je voudrais que
5 le témoin nous étoffe son propos au sujet de 1968. Il a parlé d'une
6 insurrection. Il a parlé du caractère analogue lorsque Tito a fait venir
7 des divisions pour calmer la situation.
8 Pouvez-vous nous étoffer votre propos à ce sujet et expliquer davantage ce
9 que Tito a fait pour traiter de cette crise ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Les Albanais --
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Dites-moi d'abord, en 1968, de quel
12 type de crise s'est-il agit ?
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y a eu un soulèvement, une insurrection,
14 parce que les Albanais avaient réclamé la création d'une république à part
15 alors que la position adoptée était celle de dire qu'une minorité qui
16 dispose d'un état mère, à savoir l'Albanie, ne serait à se voir octroyer un
17 autre état. Tito a refusé et ils sont sortis dans les rues en masse. Ils
18 ont exigé ces changements, la création d'une république et tout simplement
19 Tito a envoyé là-bas deux divisions qui par leur arrivée même ont calmé la
20 situation. Il n'y a pas eu de combat du tout. La population s'est retirée
21 immédiatement.
22 Tito n'a jamais voulu être d'accord pour ce qui est de faire en sorte
23 que les Albanais du Kosovo doivent se voir attribuer une république à eux.
24 Ils avaient une région autonome. Ils ont disposé de tous les droits de
25 minorité ethnique, non seulement culturels, mais également politiques, mais
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1 il n'a jamais été d'accord pour ce qui est de la création d'une république
2 à part, parce qu'une république est en sorte un état à part, et il n'a pas
3 été d'accord pour leur attribuer un état distinct.
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. Monsieur Milosevic,
5 continuez.
6 M. MILOSEVIC : [interprétation]
7 Q. Professeur Markovic, il est une question assez douloureuse qui
8 est celle des pressions exercées par les séparatistes albanais au Kosovo et
9 Metohija, exercées à l'encontre des Serbes et des Monténégrins pour les
10 chasser de cette province. Que sauriez-vous nous dire à ce sujet ? Soyez
11 bref, je vous prie.
12 R. En terme bref, il s'agissait d'une revendication qui visait à
13 leur faire vendre leurs maisons et leurs terres et s'en aller. Lorsque ces
14 derniers refusaient de le faire, certains l'ont fait et se sont enfuis,
15 mais ceux qui ont refusé de le faire, et eux se voyaient abattre leur
16 bétail. On leur volait leur récolte. On les menaçait. Il y a eu des cas de
17 viol et c'est ce qui a contraint des dizaines de milliers de Serbes à cette
18 période là de s'en aller du Kosovo.
19 Il s'agit d'une période qui suit le départ de Rankovic, en 1966, qui
20 avait gardé sous une poigne forte le Kosovo. Cela occasionnait une grande
21 quantité de mécontentement dans la population. Lorsqu'en 1968, il a été mis
22 à l'écart, les Albanais se sont vus attribuer tout le pouvoir au Kosovo et
23 ceci est une période qui marque un début, début ou il y a départ en masse
24 de Serbes et où toutes ces mesures sont appliquées qui ont conduit à une
25 épuration ethnique, parce qu'il y a des dizaines de milliers de gens qui
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1 s'en sont allés.
2 Q. Bien, Professeur Markovic. Maintenant, pour ce qui est de ce
3 "nettoyage ethnique" ou de la "purification ethnique", n'est-il pas juste
4 de dire que c'est un terme qui a été utilisé pour la première fois,
5 notamment au sujet de l'expulsion des Serbes, des Monténégrins et autres
6 non-albanais du Kosovo et de la Metohija ?
7 R. Oui. Il est exact de dire que c'est précisément à partir de ce
8 moment-là que ce terme a été utilisé. Il y a eu des expulsions auparavant,
9 mais on n'a pas qualifié cela de la sorte. C'est à partir de ce moment-là
10 que le terme de purification ethnique a été utilisé.
11 Q. Est-il exact de dire qu'il était apparent que bon nombre de
12 carences se sont manifestées au niveau de la constitution de 1974 et
13 essentiellement quant à la position de la Serbie, étant donné que de facto
14 et de jure les provinces ont été mises à l'écart des attributions de la
15 république ?
16 R. Oui. On peut dire que cette constitution là a scellé le sort de
17 la Yougoslavie, parce qu'elle a introduit un système impossible où les lois
18 de certaines parties du pays avaient la priorité vis-à-vis de la
19 législation du pays tout entier. S'agissant maintenant du Kosovo lui-même,
20 le Kosovo est resté une province autonome, mais il s'est vu attribuer tous
21 les attributs, toutes les compétences d'une république. Ils avaient leur
22 parlement ou le parlement serbe ne pouvait rien faire, ne pouvait pas
23 intervenir. Ils avaient leur gouvernement et vous aviez, par exemple, le
24 parlement de la Serbie toute entière qui englobait le Kosovo et la
25 Vojvodine et la Serbie au sens restreint de ce terme.
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1 Dans cette assemblée, dans ce parlement, il y avait des députés de
2 toutes ces trois parties, de tous ces trois territoires. Or, dans les
3 assemblées des différentes provinces, il n'y avait pas de représentant de
4 la Serbie. Il ne pouvait pas s'ingérer dans les affaires de ces provinces,
5 donc le Kosovo avait plus de droit que la Serbie, au sens restreint, et la
6 Serbie, au sens restreint, ne pouvait pas se mêler de ce qui concernait le
7 Kosovo.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Milosevic, même sans
9 avoir entendu les plaintes, je crois pouvoir remarquer la difficulté des
10 interprètes. Etant donné que vous parlez la même langue, faites des petites
11 pauses entre vos questions et vos réponses, je vous prie.
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Fort bien, Monsieur Kwon.
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Avant que de reprendre
14 Monsieur Milosevic, je voudrais savoir au sujet de ces événements de 1968.
15 Professeur, combien de temps ces événements ont-ils duré, à savoir,
16 ce soulèvement, cette insurrection ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] L'insurrection a duré trois jours, et
18 dès que l'armée a fait son apparition, lorsque deux divisions ont fait leur
19 apparition, les Albanais se sont retirés vers leurs maisons et la paix a
20 été réinstallée. Il n'y a pas eu diffusion de sang du tout à l'occasion de
21 cette insurrection. L'insurrection a eu lieu, mais Tito a constaté qu'il
22 fallait recourir à la force pour calmer la situation et il a envoyé là-bas
23 deux divisions. On sait peu de choses à ce sujet là. Il en a été peu
24 question dans la littérature mais cela a été ainsi.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, continuez.
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1 M. MILOSEVIC : [interprétation]
2 Q. Vous avez décrit la position des provinces. Je ne veux pas perdre
3 davantage de temps à ce sujet, mais je tiens à préciser que la Serbie avait
4 pour obligation de veiller aux droits des citoyens sur tout son territoire,
5 à veiller au respect des droits de l'homme et des autres droits, n'est-ce
6 pas ?
7 R. Exact.
8 Q. Sur le territoire de ces provinces autonomes, elle ne pouvait
9 exercer ni des attributions exécutives, ni ses compétences juridiques, et
10 pour pouvoir protéger ses citoyens, il fallait qu'elle puisse intervenir.
11 R. Elle ne pouvait rien faire. S'il y avait, par exemple, un crime
12 de perpétrer à l'encontre d'un non-albanais au Kosovo, le gouvernement
13 serbe ne pouvait pas du tout se mêler de ce qui se passait. C'est la
14 Constitution qui le disait.
15 Q. Cela s'est avéré exact lorsqu'il s'agissait de protéger la
16 population non albanaise au Kosovo qui était exposée à des expulsions, et
17 il s'agissait également de la protection de la population albanaise qui ne
18 voulait pas apporter son soutien à ce mouvement séparatiste ?
19 R. En effet. Il y a eu bon nombre d'Albanais qui ont voulu continuer
20 à vivre dans des relations de bon voisinage avec les Serbes et les autres
21 non-albanais. Ils ont également fait l'objet de sanctions dramatiques,
22 étant donné qu'ils s'écartaient de ce qui avait été la politique générale
23 du Kosovo.
24 Q. Les choses sont claires. Dans les années 1980, ou plutôt en
25 automne 1985, vous avez dû faire face à une autre tendance séparatiste qui
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1 a été moins connue mais qui s'est exprimée sous la forme d'un mouvement
2 séparatiste slovène en 1985.
3 R. C'est exact. En 1985, j'ai été convié à une réunion en Slovénie,
4 et tout à coup, à ma grande surprise, j'ai constaté que mes amis slovènes,
5 mes collègues, des intellectuels slovènes disaient que la Yougoslavie, à
6 leurs yeux, était défunte et qu'ils souhaitaient quitter celle-ci.
7 La Slovénie, mis à part ce fait --
8 Q. -- gagnons du temps et je voudrais vous demander s'il est exact
9 de dire que les Serbes et les Slovènes avaient connu une expérience
10 conjointe datant de la Deuxième guerre mondiale, époque à laquelle en
11 Serbie il y a eu un grand nombre de Slovènes expulsés. Ils ont chassé les
12 Slovènes de leur territoire et ils ont peuplé cette Slovénie d'une
13 population -- enfin moyennant une population allemande et --
14 R. Exact. Il est notoirement connu le fait que, Monsieur le Juge, que
15 Kucan a également été accueilli en Serbie. Avant cette guerre, les Serbes
16 et les Slovènes avaient été en bon terme parce que les Serbes avaient
17 redouté le séparatisme croate. Ils avaient craint une sécession de la part
18 de la Croatie qui ferait une sécession les concernant. Ce n'est qu'avec la
19 Yougoslavie qu'ils ont eu une assemblée, un gouvernement, une académie des
20 Sciences et toutes ces institutions. C'est la première fois qu'ils avaient
21 bénéficié d'un état national. Il convient de préciser qu'à l'époque leur
22 homme politique le plus éminent était Korosec. C'est lui, ou plutôt je
23 dirais qu'en Yougoslavie, il y avait une coalition d'hommes politiques
24 serbes du parti radical et d'hommes politiques de Slovénie sous la conduite
25 de Korosec et des Musulmans à la tête desquels il y avait un dénommé Spaho.
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1 Les Croates se sont trouvés isoler et ils ont cherché des issues de façon
2 très diversifiés pour ce qui est de quitter la Yougoslavie. Mais les hommes
3 politiques serbes avaient des alliés très forts parmi les hommes politiques
4 slovènes et musulmans.
5 Q. S'agissant de la position de la Slovénie et des Slovènes en
6 Yougoslavie, je crois qu'il convient de dire que le créateur du système
7 politique après 1945, après la fin de la Deuxième guerre mondiale jusqu'à
8 sa mort, a été un Slovène, Edvard Kardelj, qui a été l'un des
9 collaborateurs les plus proches de Tito ?
10 R. C'est exact. Edvard Kardelj était l'homme numéro deux de par son
11 influence. Il y a eu d'abord Tito, puis lui. Il était très instruit et
12 c'était lui le théoricien principal, l'auteur principal du système,
13 l'auteur de la constitution et des lois. Il a été un homme extrêmement
14 influent.
15 Q. Compte tenu de ce fait, compte tenu de la position de la Slovénie, et
16 compte tenu de leur participation cruciale, pour ce qui est de
17 l'aménagement du système et la rédaction de la constitution de la
18 Yougoslavie, ne pensez-vous pas qu'il soit tout à fait naturel qu'en Serbie
19 et dans les autres régions de la Yougoslavie, que peu de gens étaient
20 censés supposer qu'il y avait des aspirations ou des tendances séparatistes
21 en Slovanie. La question se pose de savoir : Pourquoi quitterait-on une
22 communauté alors qu'on y exerce un rôle crucial pour ce qui est de la
23 création du système, du système de pouvoir et de l'économie ?
24 R. Oui, mis à part ce fait, ils se sont développés plus rapidement que les
25 autres républiques de Yougoslavie. Ils ont quintuplé leur PNB, leur produit
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1 national brut, depuis 1945 à 1985. Si l'on prend on comparaison le degré de
2 développement de la Yougoslavie et de la Slovénie, je dirais qu'en 1947 la
3 Slovénie était à 163 % de plus que la moyenne yougoslave. Cela n'a cessé de
4 croître, ce qui fait qu'en 1982, ils en étaient à 171, et ils en étaient à
5 220, lorsqu'ils ont fait sécession. Donc, ils étaient deux fois plus
6 développés que le reste de la Yougoslavie. Il en allait de même pour ce qui
7 est des investissements qui ont été bien plus grands là-bas qu'ailleurs. En
8 Slovénie en moyenne, il y avait 169 % des investissements en comparaison
9 avec la moyenne yougoslave.
10 Q. Fort bien. Il n'est point de doute qu'ils ont bénéficié dans ces
11 circonstances là d'une position, je dirais, privilégiée ?
12 R. Certes, privilégiée, parce qu'en sus du fait d'avoir eu Kardelj, et
13 qu'ils avaient détenu très souvent le poste du ministre des Affaires
14 étrangères pour ce qui est des domaines de l'économie, ils ont souvent
15 détenus les positions cruciales au sein de la Yougoslavie.
16 Q. Bien, mais pour ce qui est de la Yougoslavie toute entière et de son
17 économie, n'est-il pas exact de dire qu'il y a eu un entrelacement des
18 intérêts des républiques, où la République de Slovénie, qui était la plus
19 développée, avait des intérêts privilégiés. Mais la Yougoslavie toute
20 entière avait des intérêts entremêlés, et il y avait une interdépendance
21 mutuelle des différentes économies des républiques ?
22 R. Sans aucun doute. Je dirais que la politique des prix les avantageait
23 également, étant donné que les prix étaient quelque peu supérieurs aux prix
24 mondiaux en moyenne dans les secteurs où ils intervenaient, à savoir,
25 l'industrie, les équipements électroniques, les machines, alors que les
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1 prix des produits agricoles en provenance des parties sous développées,
2 dont faisait également partie la Serbie, ces produits agricoles étaient en
3 dessous de la moyenne mondiale. Ce qui fait que cet écart des prix a été
4 constamment aux profits des Slovènes.
5 Q. A l'occasion de cette rencontre avec les intellectuels slovènes, vous
6 vous êtes surpris ?
7 R. Très certainement.
8 Q. Ils ont voulu quitter la Yougoslavie ?
9 R. C'est ce qu'ils disaient, c'est ce que je leur ai répliqués. Je dois
10 vous dire aussi que cette rencontre a eu lieu à Ljubljana en novembre 1985.
11 De notre côté, à côté de moi, il y avait Dobrica Cosic, un écrivain
12 notoirement connu, qui a par la suite été président de la République
13 fédérale de la Yougoslavie, puis, Ljubo Tadic, un philosophe réputé, et mon
14 collègue, dont le fils se trouvait être le président de la République de
15 Serbie actuellement.
16 De leur côté, il y avait des intellectuels de grande renommée qui ont joué
17 ultérieurement un rôle important dans la politique slovène. Par exemple, il
18 y avait là-bas, Bucar, qui est devenu par la suite le président de
19 l'assemblée de la Slovénie, du parlement slovène, puis il y avait Hribar et
20 son épouse Spomenka Hribar, Niko Grafenavr, Janez Urbandic, Andrej Marinc,
21 Mare Rozaj [phon] et d'autres.
22 Dès qu'ils ont commencé à parler dans ce sens, en affirmant dont qu'à leurs
23 yeux la Yougoslavie était défunte et qu'ils étaient entravés en
24 Yougoslavie, et qu'à l'époque ils se trouvaient au niveau de l'Europe
25 centrale, alors que là ils connaissaient des retards, je leur ai montré les
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1 chiffres démontrant qu'ils avaient eu bon compte à être en Yougoslavie,
2 qu'ils se sont développés plus vite que les autres, et que s'ils désiraient
3 véritablement s'en aller, nous ne pouvions que leur souhaiter un bon
4 voyage. Ils ont exprimé une appréhension qui était celle de voir les Serbes
5 s'opposés à leur départ de la Yougoslavie, et notamment, nous, voire nous,
6 intellectuels, jouer un rôle défavorable les concernant.
7 Je leur ai dit, ne vous inquiétez pas. Si vous avez décidé de vous en
8 aller, en dépit du bon solde de votre séjour en Yougoslavie, je pourrais
9 vous dire seulement bon voyage. Ils n'ont plus alors parlé de retard les
10 concernant, mais ils ont soulevé des questions relatives à l'idéologie. Il
11 fallait à leur avis se débarrasser du bolchevisme, et ainsi de suite. Ils
12 sont passés à d'autres sujets.
13 Q. Mais il a été rédigé un livre au sujet de cette réunion dont nous avons
14 un résumé, n'est-ce pas ?
15 R. Oui.
16 Q. Nous pouvons dire et conclure que dans l'intelligentsia slovène, suite
17 à l'introduction du système pluripartite en 1990, ces hommes politiques,
18 ces hommes ont fait partie de l'élite politique, et dès l'automne 1985, il
19 y a eu une aspiration claire pour ce qui est de réaliser une sécession de
20 la Slovénie vis-à-vis de la Yougoslavie ?
21 R. Je n'ai aucun doute pour ce qui est de penser qu'ils avaient fermement
22 décidé dès lors de s'en aller. Kardelj a du reste une fois dit que la
23 Yougoslavie ne constituait pour eux qu'une phase intermédiaire.
24 Q. Je voulais juste vous demander : On a lancé une thèse qui dit que les
25 tendances séparatistes en Slovénie et en Croatie sont survenus en réaction
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1 à une politique de la Serbie, voire à des efforts déployés par moi-même
2 pour ce qui est de garder les différents peuples sous domination Serbe.
3 C'est sur une thèse de ce genre que s'est fondé l'acte d'accusation ici.
4 C'est présent dans la propagande qui a été développée par les différentes
5 républiques et à l'Occident. Qu'en pensez-vous ?
6 R. C'est dénué de sens. On sait que ces tendances séparatistes existaient
7 dans le passé et avant les événements. Dans le cas de la Slovénie, cela est
8 survenu vers les années 1980, et avant que vous n'ayez occupé quelques
9 fonctions d'importance. Cela était déjà manifeste. Lorsqu'il y a eu cette
10 réunion, vous n'étiez en aucune façon une personnalité importante au sein
11 du parti ou autres.
12 Q. Bien.
13 R. On se penche sur la Croatie depuis Ante Starcevic au 19e siècle, il y
14 avait des aspirations très fortes qui visaient à faire en sorte que la
15 Croatie crée un état indépendant, sans les Serbes. Starcevic, lui, avait
16 exprimé une thèse au terme de laquelle il fallait se débarrasser des Serbes
17 en Croatie. En disant qu'un tiers devait forcément se convertir au
18 catholicisme, un tiers devait forcément être chassé, un tiers devait être
19 tué, liquidé. Il l'a dit ouvertement.
20 Q. Bien. Prenons seulement un aspect des plus pratiques. Au point 55 de
21 l'acte d'accusation relatif à la Bosnie, il est dit, je cite : "Les
22 résultats des élections qui se sont tenues en novembre 1990 ont signifié
23 que le Parti démocratique serbe, au fil du temps, ne saurait en aucune
24 façon garder la République de Bosnie-Herzégovine dans ce qui constituait la
25 Yougoslavie et ce, sous domination serbe."
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1 Quelle Yougoslavie y avait-il en 1990 sous domination serbe ?
2 R. Il n'est pas question d'une domination quelle qu'elle soit, parce qu'en
3 Yougoslavie, par exemple, les Macédoniens avec Tupurkovski et, avant lui,
4 Kolisevski ont bien indiqué qu'en Yougoslavie de tout temps après la
5 Deuxième guerre mondiale, il y a eu une coalition dépourvue de principe,
6 ils avaient à l'esprit la coalition des Croates, des Slovènes, des
7 Macédoniens, des Musulmans de Bosnie et des deux provinces, à savoir la
8 Vojvodine et le Kosovo. Je sais très bien que la Serbie, lorsqu'on décidait
9 de quoi que ce soit au somment de la Yougoslavie, la Serbie avait toujours
10 été mise en minorité. On votait 7 par rapport à 1. Après la mort de Tito,
11 par exemple, il y avait un roulement pour ce qui est des fonctions de
12 premier ministre, c'était des représentants des différentes républiques.
13 Lorsque Ivan Stambolic devait devenir premier ministre, le vote a été 7
14 pour 1 contre sa nomination. C'est ainsi que l'on décidait. Il n'est pas
15 question d'une domination de la part des Serbes. Cette thèse de la
16 domination des Serbes date d'une période antérieure, et il y a là un rôle
17 assez inhabituel de la part du l'Internationale communiste, parce que le
18 roi de Serbie était en lien de parenté avec les Romanoff. Étant donné que
19 la Yougoslavie ne voulait pas, à l'époque, reconnaître l'existence de
20 l'Union soviétique, alors que cela était le cas des autres pays,
21 l'Internationale communiste a décidé, étant donné qu'il y avait une
22 prépondérance de Serbes en Yougoslavie qu'il fallait démanteler cet état et
23 qu'il fallait apporter leur soutien aux luttes de libération nationale des
24 différents groupes ethniques; à savoir les Croates, les Musulmans, les
25 Albanais, les Macédoniens. Il s'agissait de démanteler la Yougoslavie et
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1 créer toute une série de républiques qui viendraient s'adjoindre à l'Union
2 des républiques soviétiques.
3 Il y a eu cette idée de domination, mais la Serbie n'a pas pu dominer
4 du fait d'avoir été économiquement plus faible et d'avoir eu un essor
5 économiquement plus lent.
6 Q. Si vous le voulez bien, revenons aux années 1990. S'agissant de
7 cette prétendue domination de la Serbie, vous avez parlé du gouvernement
8 fédéral il y a quelques années, qui est-ce qui, dans les années 1990,
9 dirigeait le pouvoir fédéral ?
10 R. Il y avait Ante Markovic à la tête du pouvoir fédéral. C'était un
11 Croate.
12 Q. Qui était ministre des Affaires étrangères à l'époque ?
13 R. C'était Budo Loncar, un Croate.
14 Q. Donc le chef du gouvernement et le ministre des Affaires étrangères
15 étaient croates. Qui était ministre de la Défense ?
16 R. Je crois que c'était Kadijevic qui était également moitié croate.
17 Enfin, il se définissait comme yougoslave.
18 Q. Est-il exact que, à cette époque-là, la présidence de la Yougoslavie
19 qui exerçait des pouvoirs de chef d'état collectivement était composée de
20 représentants de toutes les républiques et de toutes les régions autonomes,
21 donc huit personnes ?
22 R. Oui, c'est cela. Collectivement le chef d'état, cette présidence était
23 composée des présidents des six républiques et des deux régions autonomes,
24 le Kosovo et la Vojvodine. Ces huit personnes prenaient les décisions. Il
25 était pratiquement toujours impossible que la décision soit automatiquement
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1 favorable à la Serbie, à moins que ce ne soit à sept contre un.
2 Q. Ici on utilise l'expression de "bloc serbe," en se référant au
3 président de la Serbie et des deux régions autonomes, est-ce que ce bloc
4 serbe aurait pu imposer sa décision au sein de la présidence ?
5 R. Il n'était pas question de bloc serbe puisque le Kosovo et la Vojvodine
6 votaient avec la Croatie et la Slovénie, et pas avec la Serbie.
7 Q. C'est pour cela que j'aimerais entendre une explication au sujet de ce
8 "bloc serbe" expression utilisée ici.
9 R. Le bloc serbe n'a jamais existé. Il est arrivé que quelquefois ils
10 votent avec les Serbes et les Monténégrins cependant.
11 Q. Au parlement yougoslave à l'époque, est-ce que les républiques étaient
12 représentées à égalité, est-ce que les régions autonomes avaient leur
13 représentant également ? Est-ce que cette assemblée et des représentants
14 des républiques et des régions autonomes prenaient des décisions sur base
15 de majorité ?
16 R. Oui.
17 Q. Donc n'importe qui pouvait empêcher de voter une décision.
18 R. A cette époque, il n'y avait pas démocratie, nous n'avions pas
19 d'assemblée représentant les citoyens, assemblée au sein de laquelle les
20 Serbes qui étaient une population plus importante que les autres auraient
21 bénéficié d'un nombre de représentants plus important. Dans ce cas, si
22 c'est la majorité des voix qui l'emportait, les Serbes auraient pu, bien
23 sûr, exercer une certaine influence. Or, nous n'avions pas de
24 représentation des citoyens. Ce n'était qu'une représentation des nations.
25 Les nations étaient représentées dans les modalités que vous avez
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1 indiquées, toutes les nations à égalité, la Serbie qui avait 10 millions
2 d'habitants et la Slovénie qui avait un nombre d'habitants bien moins
3 important étaient représentées à égalité. Il fallait qu'il y ait accord
4 entre tous ces représentants, mais chacun pouvait imposer un veto. Donc le
5 Kosovo pouvait imposer un veto, et c'est la raison pour laquelle dans les
6 années 1980, la Yougoslavie n'a plus réussi à fonctionner, ce qui a créé
7 des difficultés politiques et économiques très importantes. Aucune décision
8 ne pouvait régler ce problème.
9 Q. Il est question ici du général Aleksandar Vasiljevic, assez souvent
10 témoin de l'Accusation, qui a parlé de la direction militaire de l'époque.
11 Nous parlons ici de la moitié de l'année 1991, escalade de la crise. Il a
12 été dit que la composition de l'armée était telle qu'il y avait un
13 Yougoslave et deux Serbes représentant la Serbie et la Bosnie, huit
14 Croates, deux Slovènes, deux Macédoniens et un Musulman au sein de cette
15 direction de l'armée.
16 Est-il connu que Veljko Kadijevic est yougoslave; Blagoje Adzic serbe de
17 Bosnie; Josip Greguric, croate; Stane Brovet, slovène; Konrad Kolsek,
18 slovène; Aleksandar Spirikovski, macédonien; Andreja Silic, croate; Zivota
19 Avramovic, serbe; Bosidar Grubicic, croate; Antun Tus, croate; Zvonko
20 Jurjevic, croate; Ivan Gordanovic, croate; Ibrahim Alibegovic, musulman;
21 Tomislav Biondic, croate; et Mate Betan [phon], croate; donc 16 hommes au
22 sein desquels on trouve un Yougoslave, deux Serbes, il y en a un qui est
23 serbe, l'autre de Bosnie, huit Croates, deux Macédoniens, deux Musulmans
24 dirigeaient l'armée ?
25 R. C'est exact. Mais il faut expliquer comment on en est venu là, après la
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1 guerre --
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice.
3 M. NICE : [interprétation] Cela fait longtemps que j'hésite à interrompre,
4 mais cette déposition vraiment pose pas mal de problèmes. D'abord,
5 pratiquement toutes les questions dont la dernière peuvent faire l'objet
6 d'objection de notre part, car elles sont, soit directrices, soit
7 tendancieuses dans leur forme. Deuxièmement, le propos est vraiment très
8 rapide, et je suppose que cette rapidité atteint le maximum surmontable
9 pour nos magnifiques interprètes. Troisièmement, c'est la base de mon
10 objection, cela ne s'appuie sur aucun rapport d'expert. Bien que pas mal de
11 sujets de rapports d'expertise sont abordés dans ce propos. Il est probable
12 --que ce que dit le témoin est pertinent pour la Chambre dans sa majorité,
13 mais la présentation de ce propos sera très difficile à traiter par nous.
14 Les questions historiques sont un sujet de rapport d'expertise et si
15 nécessaire, elles peuvent être abordées par un expert. Il serait
16 préférable, je pense qu'un rapport soit déposé avant une telle déposition
17 et, de toute façon, j'incite et j'invite le témoin à parler plus lentement
18 car, réellement, les interprètes ont les plus grandes difficultés à
19 travailler.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Monsieur Nice. Il est fort
21 probable que certains des sujets abordés puissent faire l'objet d'une
22 déposition de témoins experts, mais, bien entendu, personne ne peut
23 contraindre l'accusé à soumettre ses moyens de preuve dans ces modalités.
24 J'ai été assez indulgent avec vous, Monsieur Milosevic, au sujet du
25 caractère directeur des questions. Il est tout à fait exact que les
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1 questions que vous posez sont des questions directrices. En effet, vous
2 mettez, dans la bouche du témoin, les réponses apportées aux questions que
3 vous posez. Je regarde le compte rendu d'audience à la recherche d'un
4 exemple. En tout état de cause, il faut que vous posiez des questions plus
5 générales et que le témoin apporte les réponses. Nous ne sommes pas au
6 stade du contre-interrogatoire et ce n'est pas vous qui témoignez, voyez-
7 vous. Vous devez prêter le plus grand soin à cet aspect du problème.
8 Et puis, la rapidité du débit. J'entends à la respiration des
9 interprètes qu'ils se démènent pour suivre le propos du témoin, notamment
10 en raison du fait que vos questions et les réponses du témoin se
11 chevauchent.
12 Je vous rappelle la nécessité de ménager une pause, Monsieur le
13 Témoin, à la fin de la formulation de la question de M. Milosevic. Quant à
14 vous, Monsieur Milosevic, il faut également que vous ménagiez une pause
15 après la fin de la réponse du témoin. Je vous rappelle cet aspect lié à la
16 discipline des débats que vous connaissez d'ailleurs très bien.
17 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien, Monsieur Robinson. Ici, nous
18 parlons de faits. Je demande simplement au témoin de confirmer une série de
19 faits qui sont tout à fait vérifiables. J'énumère une série de noms et je
20 demande au témoin qui était chef du gouvernement, chef de l'armée, ministre
21 des Affaires étrangères, ministre de la Défense, et cetera. Il s'agit de
22 réalité, de noms et de prénoms. Il n'y a rien de subjectif là-dedans. Ces
23 faits existent ou n'existent pas.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais cela peut, néanmoins,
25 constituer des questions directrices si, dans ces questions, sont abordés
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1 des aspects qui peuvent être contestés. Dès lors que quelque chose est
2 contesté, vous n'êtes pas en droit de guider le témoin dans ses réponses, à
3 moins que la Chambre vous y invite ou que l'Accusation soit d'accord.
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien, Monsieur Robinson.
5 M. MILOSEVIC : [interprétation]
6 Q. Voici une question : au moment de la sécession de la Slovanie et
7 de la Croatie et, plus tard, de la sécession de la Bosnie-Herzégovine et de
8 la Macédoine pouvait-il être question d'une quelconque domination serbe au
9 sein des instances gouvernementales de la Yougoslavie, y compris au sein de
10 l'armée, du pouvoir fédéral, du parlement fédéral et de toutes les
11 instances du pouvoir ? Était-il possible de parler de domination serbe ?
12 R. Ce dont j'ai parlé, ce sont des choses bien connues chez nous.
13 Tous les intellectuels les connaissent. C'est la raison pour laquelle, et
14 je m'en excuse, j'ai parlé assez vite. En effet, chacun sait que durant la
15 sécession, à la tête de l'état, donc le président était le Slovène
16 Drnovsek, le Croate Mesic, le chef d'état fédéral était le Croate Ante
17 Markovic. Le ministre des Affaires étrangères a été, jusqu'à la fin, Budo
18 Loncar. Le chef de l'état major était un homme qui se définissait comme
19 Yougoslave issu d'un couple mixte croate et serbe.
20 S'agissant de l'armée, j'ai participé personnellement à la guerre
21 populaire au moment de la Seconde guerre mondiale, donc j'ai une expérience
22 personnelle de la façon dont les choses se sont passées. A ce moment-là, la
23 majorité de ceux qui combattaient l'occupant étaient les Serbes. Ils
24 avaient une majorité écrasante, que ce soit des Serbes de Serbie ou des
25 Monténégrins qui se considèrent très souvent comme Serbes, bien que, dans
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1 la dernière période, certains réfutent cela, il y avait également parmi eux
2 des Serbes de Croatie, de Kordun, de la Banija, de Lika qui, depuis, ne
3 vivent plus en Croatie puisqu'ils ont été chassés de Croatie.
4 Par la suite, la politique de Tito et de la direction militaire à son
5 époque a consisté à promouvoir plus lentement les dirigeants militaires
6 Serbes en accélérant la promotion des Slovènes, des Croates, des
7 Macédoniens, et cetera. De sorte, qu'après 20 ou 30 ans, à la tête même de
8 l'armée, parmi les généraux, on a trouvé la parité. C'est-à-dire, que les
9 uns et les autres étaient représentés pratiquement à égalité. S'agissant de
10 la dernière question posée, il est impossible de parler de domination des
11 généraux serbes au sein des dirigeants de l'armée.
12 Q. Fort bien, Professeur. Outre cette rencontre avec les
13 intellectuels Slovènes en 1985 et la surprise que vous avez eue à entendre
14 leurs propos, le sécessionnisme croate était bien connu déjà depuis pas mal
15 de temps, n'est-ce pas ?
16 R. Chacun sait que ce sécessionnisme a commencé au XIXe siècle.
17 D'ailleurs, à l'époque, les Croates se divisaient en deux catégories.
18 Q. Mais nous ne parlons pas du XIXe siècle, ici. Nous parlons de
19 ceux qui sont arrivés au pouvoir en 1990, en Croatie, des représentants
20 politiques qui exprimaient, depuis pas mal de temps déjà, n'est-ce pas,
21 leurs aspirations sécessionnistes, c'est bien cela ?
22 R. Ceux qui sont arrivés au pouvoir, Tudjman et son entourage,
23 étaient très clairement sécessionnistes. Mais, durant mes rencontres
24 antérieures avec les intellectuels croates, j'ai pu constater qu'en dehors
25 de ces hommes, disons en 1971, par exemple, nous n'en n'avons pas encore
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1 parlé ici, mais il y a eu en 1971, ce qu'il est convenu d'appeler le
2 mouvement de masse croate qui souhaitait, avant tout, transformer la
3 fédération en une confédération très lâche qui aurait permis à la Croatie
4 d'être un état totalement souverain, d'être représentée au Nations Unies,
5 d'avoir sa propre armée. En 1971, ceci a été une première tentative de la
6 part des Croates.
7 D'ailleurs, j'ai travaillé à la publication de l'encyclopédie moderne
8 avec un certain Ivan Supek qui, plus tard, a été candidat à la présidence
9 des différentes régions croates. Du jour au lendemain pratiquement, il a
10 cessé de s'exprimer en tant que Yougoslave et s'est déclaré séparatiste
11 croate, j'ai dû cesser, à ce moment-là, ma collaboration professionnelle
12 avec lui.
13 Il y avait aussi un groupe de Croates qui avaient des aspirations un
14 peu ambivalentes. Je les rencontrais régulièrement à Zagreb. C'était des
15 intellectuels, des penseurs. Il y avait, par exemple, Eugen Pusic, un
16 juriste très connu, qui dirigeait ce groupe et, malheureusement, eux et
17 moi, nous nous sommes divisés, car ils étaient très fermement opposés à ce
18 que, dans la constitution yougoslave, on restore la notion très classique
19 de démocratie, à savoir l'idée que les citoyens soient représentés sur le
20 principe d'un citoyen une voix, et sur le principe des décisions prises à
21 la majorité des voix.
22 Ils étaient opposés à ce que l'on avance par rapport à cette chambre
23 des nationalités ou chaque nation avait droit de veto et où les votes se
24 faisaient par consensus. Ils estimaient que si ce progrès était accompli,
25 les Croates allaient perdre la position qu'ils occupaient jusqu'à ce
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1 moment-là.
2 Il y avait un troisième groupe de Croates qui étaient orientés à gauche,
3 qui étaient plutôt Yougoslaves, qui ont travaillé à la publication de la
4 revue Praxis. Leur expérience personnelle était différente, mais eux aussi
5 exigeaient que le siège de ce magazine se trouve à Zagreb et que la
6 rédaction complète se trouve à Zagreb, alors qu'il y avait d'autres
7 représentants non-croates qui travaillaient à la publication de cette
8 revue. Voilà l'expérience vécue par ces différentes catégories de Croates
9 et des contacts ont eu lieu entre nous avant que ces contacts ne cessent,
10 mais certains membres de l'Académie, donc des élus Croates à l'Académie
11 serbe des sciences et des arts, ont travaillé au sein de cette Académie
12 avant de tous démissionnés de celle-ci juste avant la guerre.
13 Q. Très bien. Que pouvez-vous dire de la direction du pouvoir croate dans
14 les années 1990 -- en 1990, que pouvez-vous dire -- y avait-il une partie
15 de ces hommes qui venaient du mouvement Oustachi, qui était des héritiers
16 de ce régime fantoche, hitlérien, et mussolinien qui a existé pendant la
17 Seconde guerre mondiale en Croatie, et des émigrés oustachi ? Avez-vous
18 quelque chose à dire à ce sujet ?
19 R. En Croatie, Tudjman est arrivé au pouvoir en 1990. Il était aussi à la
20 tête du Parti HDZ, qui était un parti très clairement nationaliste, et ce
21 Parti HDZ a tenu son congrès, congrès auquel était invité un nombre très
22 important d'anciens Oustachi venus de l'étranger.
23 Une centaine d'anciens Oustachi ont participé aux travaux de ce
24 congrès. Très rapidement, ils ont modifié la constitution dans laquelle il
25 était écrit que l'Etat croate était un Etat appartenant au peuple serbe et
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1 croate. En effet, il y avait de nombreux Serbes, 5 à 600 000 Serbes qui
2 habitaient en Croatie, à Kordun, à Lika et dans la Banja. Ils ont décidé
3 que, dans la constitution croate, il serait désormais stipulé que le peuple
4 croate était le seul peuple de la Croatie, et les Serbes n'étaient plus
5 qu'un peuple minoritaire.
6 La langue n'a plus été appelé serbo-croate, mais est devenu la langue
7 croate. Ce sont des choses qui ont pas mal dérangé les Serbes résidants en
8 Croatie et les Croates ont alors commencé à s'armer, à constituer des
9 formations paramilitaires qui ont démarré par la constitution de gardes
10 villageoises aux abords des villages et qui se sont ensuite développées
11 pour arriver à la création de la ZNG, c'est-à-dire, de la Garde patriotique
12 croate, bien armée avec des armes venant d'Allemagne et de Hongrie. Cette
13 Garde patriotique était constituée de plus de 10 000 soldats. A ce moment-
14 là, des rondins de bois ont été placés en travers des routes pour empêcher
15 la circulation et empêcher que ce reproduise les événements de 1949 qui
16 avaient causé des massacres de masse. Donc voilà tout ce qui a conduit
17 directement à la guerre.
18 Q. Très bien, Professeur. Revenons maintenant à quelque chose que vous
19 avez dit dans votre déposition. Vous avez dit quelques mots de ce qui
20 s'était passé au Kosovo, du séparatisme albanais et du séparatisme et du
21 nationalisme de ces Albanais. Vous avez dit également quelques mots du
22 séparatisme et du nationalisme croate et slovène, mais est-ce que quelque
23 chose de tout cela était dû à des actes venant de Serbie ?
24 R. Je ne pense que ceci ait été causé par quoi que ce soit que la Serbie
25 ait fait. Il n'y avait aucune possibilité de parler, à l'époque, de
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1 domination serbe de quelque forme qu'elle soit. Mais ils ont peut-être eu
2 le sentiment que la Serbie se mobilisait contre ces injustices et, donc,
3 ont eu le sentiment qu'ils risquaient de perdre certains des privilèges qui
4 étaient les leurs.
5 Q. Fort bien. Vous avez participé, n'est-ce pas, à la préparation du
6 mémorandum publié par l'Académie serbe des sciences et des arts en 1991 ?
7 R. C'est exact.
8 Q. Est-ce que la publication de ce mémorandum a été une réaction à
9 certains des événements dont je viens de parler, la situation en Kosovo, en
10 Croatie, en Slovénie, et dans toute la Yougoslavie, à l'époque. Vous êtes
11 l'un des auteurs de ce mémorandum et, Monsieur le Professeur, ce mémorandum
12 a souvent été mentionné ici comme étant l'expression du nationalisme serbe.
13 Mais j'aimerais préciser : êtes-vous bien l'un des auteurs de ce
14 mémorandum ?
15 R. Oui.
16 Q. C'était un projet de texte, n'est-ce pas ?
17 R. Oui, c'est un projet de texte qui a été présenté à l'assemblée de
18 l'Académie en mai 1985. C'était un texte dans lequel on trouvait une
19 analyse de la situation très préoccupante dans laquelle se trouvait le
20 pays, à ce moment-là, puisque le pays s'était dans les faits transformé en
21 un regroupement de six à huit Etats différents. Il y a eu, à ce moment-là,
22 un membre de l'Académie qui a proposé qu'une commission soit créée afin de
23 présenter les positions des membres de l'Académie serbe par rapport à la
24 crise. Cette commission qui comptait 16 membres, si je ne m'abuse, et qui
25 était dirigé par Dusan Mabija, biologiste, président de l'Académie, à
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1 l'époque. En juin 1985, un groupe de travail a été créé qui comptait sept
2 membres et j'étais l'un de ces membres. Ce groupe était chargé de rédiger
3 un projet de texte et d'ailleurs la rédaction de ce projet a duré toute une
4 année.
5 Mais, lors d'une des réunions de la commission, alors que le texte n'était
6 pas encore achevé, il a été discuté de ce qu'il convenait de faire. Le
7 lendemain, les journaux ont publié ce texte inachevé, ce qui a entraîné des
8 attaques très violentes de la part de la presse, en général, contre ce
9 qu'ils ont appelé le mémorandum de l'Académie serbe des sciences et des
10 arts, alors qu'il serait peut-être bon que je lise certains extraits de ce
11 mémorandum. Cela ne prendra pas très longtemps, mais je pense qu'il est
12 tout à fait capital de constater quelles sont les idées qui y sont
13 exposées.
14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est à M. Milosevic qu'il
15 appartient de déterminer si cette lecture est pertinente ou pas.
16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je pense qu'il serait très certainement
17 pertinent d'entendre cette lecture, Monsieur Robinson.
18 M. MILOSEVIC : [interprétation]
19 Q. Mais avant que la lecture de ces extraits ne soit faite, Professeur,
20 je vous demande s'il est compréhensible que ce mémorandum soit traité ici
21 comme l'expression d'une certaine forme de programme nationaliste serbe ?
22 R. Oui. C'est une chose bien connue. Il y a eu de nombreuses critiques
23 suscitées par ce mémorandum.
24 Q. Bon. Cela c'est bien connu, mais puisqu'il est question ici de
25 programme nationaliste serbe, j'aimerais vous lire une phrase et je vous
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1 demanderais ensuite de dire ce que vous en pensez ? Page 174, nous lisons
2 ce qui suit, je cite : "Dans la société moderne, toute discrimination ou
3 exploitation politique sur base nationaliste est inacceptable du point de
4 vue de la civilisation." C'est ce qui est écrit, n'est-ce pas ?
5 R. Oui. Et c'est une phrase dont je suis l'auteur.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, ce mémorandum
7 est déjà versé au dossier. Vous en demandez le versement au dossier ?
8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bien sûr. Mais j'aimerais prier le Pr Markovic
9 également, mais enfin Professeur, brièvement, je vous prie.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais est-ce que vous avez des
11 exemplaires à notre intention ?
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, nous nous en sommes occupés. Des
13 exemplaires ont été distribués et remis à l'avance.
14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Mais il faut que vous vérifiiez
15 que nous sommes bien en possession de ces documents. C'est la discipline
16 des débats.
17 Le texte n'est pas traduit. Ah, l'anglais arrive. Bon d'accord.
18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, le professeur a eu
19 l'amabilité de remettre des exemplaires du mémorandum en anglais aux
20 interprètes, de façon à ce que ces derniers se voient la tâche de
21 traduction facilitée. Nous ne ferons que quelques citations.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] M. Nice est debout.
23 Monsieur Nice, oui.
24 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, je peux peut-être
25 apporter mon aide, car il est probable que le mémorandum, en tant que pièce
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1 à conviction, soit un texte sur lequel nous reviendrons, par la volonté de
2 l'accusé, à plusieurs reprises, compte tenu des noms que l'on trouve dans
3 la liste qui vient d'être évoquée. Alors, je pense qu'une version du
4 mémorandum a déjà été versée au dossier. Mais il en existe plusieurs
5 versions qui ont paru au fil du temps. Comme le témoin le sait, aussi bien
6 que l'accusé d'ailleurs, l'académie a publié sa propre version du
7 mémorandum en anglais en 1995. C'est une brochure que l'on peut acheter
8 dans les kiosques et qui a été publiée par l'Académie des arts et des
9 sciences. Il y a une réplique à cette brochure, qui contient les critiques
10 suscitées par le mémorandum, un document qui peut également être très
11 intéressant aux yeux de certains témoins. Je dispose de cette brochure.
12 C'est un texte assez facile à lire dans la forme qu'il a, c'est-à-dire,
13 cette forme de brochure.
14 Le mémorandum - j'en ai remis un certain nombre d'exemplaires au juriste
15 hors classe. Il y a divers exemplaires en circulation. En page 95, première
16 partie du texte de la réplique aux critiques, si je comprends bien, je le
17 répète, c'est l'académie elle-même qui a présidé à la publication de ce
18 document en anglais en 1995. Donc, vous-même et l'accusé pourriez trouver
19 utile d'utiliser ce texte.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce le même document que celui
21 qui a été utilisé par le témoin ?
22 M. NICE : [interprétation] Pour autant que je le sache, oui. Cela commence
23 à la page 95. Le témoin pourra nous dire s'il y a des changements de
24 libellés entre cette version et la version parue en 1995.
25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Nice, est-ce que vous avez
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1 les numéros des pièces à conviction et est-ce que vous savez si le
2 mémorandum a été versé au dossier dans son intégralité ou en partie ?
3 M. NICE : [interprétation] Je vais retrouver les numéros des pièces dans
4 quelques instants. Excusez-moi, je ne les ai pas sous la main à l'instant.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Fort bien, Monsieur Milosevic. Je
6 n'apprécie pas beaucoup que ce soit le témoin qui choisisse les extraits
7 qu'il va citer. C'est vous qui auriez dû passer en revue la déposition du
8 témoin avec lui, en tout cas pour ce qui est de l'interrogatoire principal.
9 C'est vous qui contrôlez le témoin. Ce n'est pas au témoin qu'il appartient
10 de décider ce qu'il va nous dire. Vous êtes censé lui soumettre un extrait
11 du texte puisque vous le connaissez bien.
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il y a quelques instants, vous m'avez dit,
13 Monsieur Robinson, que si M. Markovic souhaitait lire quelques extraits du
14 texte, il pouvait le faire. En réponse à cela, j'ai dit qu'il allait très
15 certainement lire quelques extraits, les plus importants, en utilisant au
16 mieux le temps qui est imparti pour cet interrogatoire. Je pensais que
17 c'était la démarche la plus rationnelle. Mais je vais lui poser une
18 question générale.
19 M. MILOSEVIC : [interprétation]
20 Q. Professeur, est-il vrai, si nous parlons des rapports entre les
21 différents groupes ethniques au sein de la Yougoslavie, que les auteurs du
22 mémorandum de l'Académie des sciences serbe prévoyaient exclusivement
23 l'égalité entre les peuples et rien d'autre ?
24 R. Ceci est parfaitement vrai. Il est souligné à de très nombreuses
25 reprises dans le mémorandum que c'est la nécessité principale, à savoir,
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1 une égalité complète entre les différentes nations.
2 J'aimerais d'ailleurs dire que, dans les passages du texte qui portent sur
3 les rapports entre les différentes nations, l'accent est mis sur l'égalité
4 nécessaire entre les peuples, et il n'est pas question uniquement des
5 circonstances politiques et économiques.
6 Q. Veuillez lire.
7 R. Je cite : "Afin de réaliser les changements nécessaires, il importe de
8 se défaire de l'idéologie qui met au premier plan l'intégrité nationale et
9 territoriale. Lorsque, dans une société moderne, une tendance à
10 l'intégration prédomine, il importe qu'il existe un pouvoir gouvernemental
11 de décision. Dans notre système, nous voyons que des forces tournées vers
12 la désintégration gagnent du pouvoir au niveau régional et national, et
13 cela risque d'entraîner des violations des droits humains reconnus à tous
14 les niveaux."
15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Professeur, quel est le passage que
16 vous lisez ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Page 152 de la version serbo-croate. J'ai sous
18 les yeux le texte anglais avec des pages numérotées. Peut-être puis-je vous
19 le faire remettre ?
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous avons du mal à trouver la page.
21 Veuillez poursuivre, Monsieur le Témoin.
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais lire lentement.
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Professeur.
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez poursuivre, mais en donnant
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1 le numéro de la page dans le texte bosno-croate. Quant à vous, Monsieur
2 Milosevic, vous devez contrôler le témoin. Lorsqu'il en aura terminé, il
3 faut que vous lui posiez une question.
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bien sûr, Monsieur Robinson.
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Je cite ici le premier extrait. A la fin du
6 premier extrait, il sera indiqué où se trouve l'extrait suivant. Donc, au
7 milieu du premier extrait --
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Les interprètes indiquent qu'il leur
9 est impossible de trouver le passage.
10 Monsieur Milosevic, vous avez fait remettre un exemplaire de ce texte aux
11 interprètes ?
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Cela se trouve au bas de la page 105.
13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, et il leur a dit exactement à partir de
14 quel endroit démarraient les citations, de sorte qu'ils peuvent suivre en
15 anglais la citation lue par le professeur.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous avez trouvé le passage, Monsieur le Juge
17 Kwon ?
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Professeur.
19 LE TÉMOIN : [interprétation] "La tendance à la division et à la
20 fragmentation d'entités globales au sein de la société qui est, en fait,
21 une façon de résister à la création d'une fédération moderne, démocratique
22 et intégrée, s'appuie sur le mot idéologique attirant de lutte contre
23 l'unitarisme et le centralisme. Cependant, la réelle alternative à
24 l'unitarisme et au centralisme ne se trouve pas dans l'égoïsme ethnique et
25 dans le polycentrisme, qui est le fait d'économie locale nationale, (en
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1 fait, républicaine et provinciale), avec une restriction forcée de la
2 science, de la culture et de l'éducation au sein de frontières
3 territoriales, et avec la soumission de tous les aspects de la vie
4 publique, à un pouvoir des oligarchies au niveau des républiques et des
5 provinces qui ne peut être diminué. La réelle alternative est le
6 fédéralisme démocratique et intégré grâce auxquels le principe d'autonomie
7 des différentes parties s'harmonise avec le principe de coordination des
8 parties au sein d'un cadre global dans lequel les institutions politiques,
9 à tous les niveaux de la société, s'engagent dans une voie démocratique
10 cohérente dans laquelle les prises de décisions sont précédées de débats
11 libres, rationnels et publics, et non pas cachés derrière des manœuvres de
12 la part de cabales ou de champions des intérêts ethniques spécifiques
13 autoproclamés."
14 Le passage suivant --
15 M. MILOSEVIC : [interprétation]
16 Q. Parlez anglais. Tout le monde vous suit.
17 R. "Personne n'a besoin d'être convaincu que le séparatisme et le
18 nationalisme sont tous deux à l'œuvre sur la scène sociale, mais chacun est
19 suffisamment conscient de l'existence de ces tendances qui ont été rendus
20 possible sur le plan idéologique par la constitution de 1974. Le
21 renforcement constant du séparatisme et du nationalisme ont divisé les
22 groupes nationaux d'une façon qui est devenue critique. Les machinations au
23 sujet de la langue et des thèmes développés par des personnalités
24 culturelles dans les républiques et les régions autonomes sont le signe du
25 développement du particularisme. Tout cela n'est pas uniquement le fait
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1 d'un montage de toutes pièces de la part de la communauté de l'Académie qui
2 sonnerait le glas de l'égalité au niveau des idéologues régionaux, ce qui
3 serait le symptôme de la généralisation, ou en tout cas, du développement
4 d'un particularisme qui nuirait à l'avenir, et également au commun passé.
5 La situation est telle qu'on a l'impression que les peuples avaient hâte de
6 sortir d'une maison en train de s'écrouler pour tenter d'assurer sa
7 sécurité le plus loin possible et le plus vite possible. Le climat
8 intellectuel a permis de lancer un avertissement par rapport aux risques de
9 crise politique qui risquaient de déstabiliser totalement la Yougoslavie,
10 et la cause principale de cela était manifestement le Kosovo."
11 L'impression que chacun avait, c'était que la maison était en train de
12 s'écrouler. Le passage suivant commence par le mot, "démocratisation."
13 Je cite : "La démocratisation est une étape de la crise -- a été -- d'une
14 crise dans une situation où la société cherchait à la ranimer. La
15 Yougoslavie n'a pas fait que parler de démocratie. Elle agit en lançant des
16 réformes. Il faut cependant que ces réformes soient rendues publics et que
17 chacun au sein de la société en ait conscience."
18 Puis enfin, une autre citation : "En tout cas, la situation était arrivée à
19 une telle étape que les républiques et les provinces tentaient d'exercer
20 des positions de plus en plus influentes. Au niveau fédéral également, les
21 principes fondamentaux ont été battus en brèche, et des coalitions se
22 formaient pour satisfaire les intérêts de provinces et des régions
23 autonomes afin de rendre plus autonome les cliques politiques qui étaient
24 au pouvoir dans celles-ci."
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Combien d'extraits avez-vous encore
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1 à lire ?
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pensait qu'il y en avait douze, mais je
3 peux réduire --
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce n'est pas une façon acceptable de
5 mener un interrogatoire principal. Après de si nombreuses citations, tout
6 perd son sens.
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Ces citations illustrent une position qui
8 était alors défendue par l'Académie des sciences et des arts de Serbie, à
9 savoir que la désintégration de la société yougoslave posait un gros
10 problème, de même que le fait qu'un état se divise en six ou huit partis,
11 et qu'il est à se battre contre un nationalisme naissant et en train de se
12 développer au détriment de la démocratie et des droits humains. L'Académie
13 pensait que la seule solution consistait à mettre en œuvre le principe de
14 l'égalité de tous les peuples yougoslaves afin que la Yougoslavie demeure
15 intégrée et s'engage sur la voie de la démocratie avec tous les peuples
16 participant à cette avancée dans le cadre d'une coopération démocratique et
17 égalitaire.
18 Par conséquent, l'Académie a affirmé tout cela et ceux qui se sont
19 exprimés, sans avoir lu le mémorandum, ont émis une série de contre
20 vérités. Il n'est pas vrai que ceci pouvait être le programme de la Serbie
21 en vue d'un nettoyage ethnique.
22 Mon opinion personnelle est la suivante : Lorsque l'acte d'accusation
23 contre M. Milosevic a été rédigé, il y avait une partie qui n'était pas
24 encore noire sur blanc au sujet du génocide et du nettoyage ethnique. On
25 parlait simplement de motivation, d'idée, de conception et de projet. Les
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1 auteurs de l'acte d'accusation, ayant été incapables de trouver quoi que ce
2 soit ailleurs, ils ont saisi l'occasion de l'existence de ce mémorandum de
3 l'Académie serbe des sciences et des arts pour -- puisque celui-ci avait
4 déjà été critiqué en Serbie, puis en Yougoslavie, et ensuite en Allemagne,
5 pour affirmer que ce texte était une attestation de la recherche
6 systématique de domination de la part de la Serbie. Puis, un lien a été
7 établi entre les deux aspects.
8 D'une part, nous aurions Slobodan Milosevic qui aurait mis en œuvre
9 la théorie du nettoyage ethnique, et d'autre part, nous aurions une cause
10 de tout cela dans le mémorandum de l'Académie des arts et des sciences de
11 Serbie.
12 Quant à moi, je puis vous dire que je ne vois aucun lien entre le
13 nettoyage ethnique et le mémorandum. A l'époque où le mémorandum a été
14 publié, Slobodan Milosevic n'était pas un homme particulièrement célèbre.
15 Il avait même fondé un comité pour établir qui était responsable de la
16 publication du mémorandum, même s'il n'a jamais exprimé sa position
17 personnelle à ce sujet. Mais sa politique à l'égard du mémorandum était
18 plutôt négative.
19 Compte tenu du contenu du mémorandum, celui-ci n'aurait jamais pu
20 servir de programme en vue de permettre la domination d'un peuple sur les
21 autres, et notamment pas en vue de permettre le nettoyage ethnique.
22 N'importe qui s'intéresse au document verra que mon propos correspond à la
23 vérité.
24 Q. Fort bien, Professeur. Mais vous avez dit qu'il ne pouvait pas y avoir
25 de lien entre nettoyage ethnique et le mémorandum. Savez-vous si quelque
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1 dirigeant de la Serbie de l'époque, à commencer par moi, aurait mené une
2 politique de nettoyage ethnique, une politique d'intolérance nationale en
3 particulier ?
4 R. Je ne sais pas. Je ne suis pas au courant de cela car rien de tout cela
5 n'a existé. La Serbie à l'époque préconisait précisément la restauration de
6 l'égalité entre les différents peuples.
7 Avant tout, à l'époque, la Serbie ne s'était pas encore constituée en
8 tant qu'entité étatique parce qu'elle se composait encore de trois parties;
9 le Kosovo, la Vojvodine, et la Serbie à strictement parler. Puis, il
10 importe de citer ce précédent afin de préciser les choses dans le rapport
11 entre la Serbie et les autres républiques.
12 Q. Fort bien, Professeur. Je vais maintenant vous citer une partie de ce
13 qui est paru au compte rendu d'audience, déclaration liminaire prononcée le
14 12 février 2002, qui traite de ce mémorandum. Page 17, ligne 17, je cite :
15 "Des intellectuels authentiques ont pu, en 1986, apposer leurs noms au bas
16 des lignes suivantes, je cite en traduction bien sûr." Je cite ici le
17 compte rendu d'audience, n'est-ce pas, de propos liminaires de la partie
18 adverse, et donc voici une disposition du mémorandum qui est cité. Je cite
19 : "Le génocide politique, juridique et culturel de la population serbe du
20 Kosovo et Metohija signe une défaite grave de la Serbie."
21 Puis un peu plus tard, le même orateur poursuit en disant, je cite : "Ils
22 poursuivent en disant dans le mémorandum qu'en dehors de la période de
23 guerre, les Serbes et les Croates n'avaient jamais été autant menacés
24 qu'aujourd'hui." Là encore c'est la fin de ma deuxième citation.
25 Ensuite on trouve une autre mention du mémorandum à la page 17 du compte
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1 rendu d'audience. Je cite : "La réaction des intellectuels serbes de 1986
2 par rapport à ce qui commençait à se passer dans le tout petit Kosovo, et
3 bien quel était la menace que les Serbes commençaient à se voir opposer,
4 comparer à la menace que d'autres ont pu affronter plus tard. Comment est-
5 ce que tout ceci a pu être utiliser rationnellement, dans le contexte de
6 l'idée de génocide culturel, mais c'est bien le cadre culturel très
7 dominant qui a produit une telle idée. On a beaucoup parlé à l'époque de la
8 vulnérabilité des Serbes qui se sentaient menacer. Ils étaient très
9 inquiets d'une reproduction, ou d'une répétition éventuelle des massacres
10 de la Seconde guerre mondiale, au cours de laquelle ils avaient tellement
11 souffert. Ils avaient peur de souffrir à nouveau, ils se préoccupaient de
12 ce qui serait décidé par rapport aux Albanais du Kosovo, et craignaient de
13 subir une exploitation, ou une oppression politique et économique. C'est
14 seulement dans ce cadre que l'accusé a été propulsé ou plutôt s'est
15 propulsé lui-même, et il est permis de se poser la question. Lorsque nous
16 nous penchons sur cette partie historique des éléments de preuve, il est
17 permis de se demander comment cet homme, issu d'ancien dirigeant
18 communiste, a réussi à rester en place, malgré le changement de la
19 direction du parti. Comment a-t-il pu passer de l'ancien régime au nouveau
20 régime au sein du même parti ? Est-ce que c'était un dirigeant brillant et
21 particulièrement éminent, ou est-ce que c'était un homme qui avait une idée
22 très claire de la façon dont il pouvait conserver le contrôle par le biais
23 de manipulation ?"
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pouvez-vous poser la question ?
25 L'ACCUSE : [interprétation] Oui, je la pose à présent.
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1 M. MILOSEVIC : [interprétation]
2 Q. Pouvez-vous commenter ces affirmations ?
3 R. Il y a eu des séries d'assertions et je dirais que bien entendu
4 lorsqu'il est question de la Deuxième guerre mondiale, il convient de
5 préciser que des choses horribles se sont produites sur le terrain de la
6 Croatie, ainsi que sur le terrain du Kosovo, sur le territoire du Kosovo.
7 Le Kosovo a été confié à la gestion de l'Italie, l'Italie a fait venir au
8 pouvoir des gens de l'organisation Bali Kombitar, une organisation
9 albanaise, qui a renouvelé l'idée de la ligue de Prizren. J'aurais dû en
10 parler auparavant, mais j'en parle à présent. En 1888, il a été créé suite
11 à une initiative, et avec l'appui de l'Autriche-Hongrie, une organisation
12 qui s'appelait la Ligue de Prizren, dont l'objectif avait été la création
13 d'une grande Albanie, d'un grand état albanais. --
14 Q. Attendez, professeur n'allons pas trop loin. N'allons pas jusqu'à la
15 Ligue de Prizren.
16 R. Mais nous parlons de la Deuxième guerre mondiale, et dans la -- à
17 l'occasion de la Deuxième guerre mondiale, l'on reprend les idées de la
18 Ligue de Prizren au Kosovo, il s'agissait de gens qui ont estimé que ces
19 territoires devaient être réunifiés pour créer un grand état albanais, y
20 compris l'est du Monténégro, le sud de la Serbie, la Macédoine occidentale,
21 des parties de la Grèce. Cette organisation visait à chasser 30 000 Serbes
22 du Kosovo. Bon nombre d'entre eux ont été tués. Il s'agissait d'une
23 vengeance à l'égard de tout ce qui s'est passé.
24 Mais vous venez de me citer, ce passage.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Professeur -- Professeur, je vous
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1 interromps. Nous en arrivons à l'heure prévue pour la pause.
2 Monsieur Milosevic, pendant la pause que nous allons faire, il
3 convient de vous pencher sur la façon dont vous souhaitez obtenir des
4 éléments de preuve à partir du témoignage de ce témoin. Parfois les
5 questions sont trop longues, et je dirais que presque toujours les réponses
6 se trouvent être trop longues. Je ne pense pas que vous puissiez tirer
7 profit de ce type d'approche.
8 Professeur, s'agissant de vous-même, je crois que vos réponses devraient
9 être des plus succinctes, et de la façon la plus brève possible.
10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Milosevic, je crois que
11 s'agissant de la dernière des questions qui a été posée, le problème en
12 réalité est celui de dire quelle est l'assertion au sujet de laquelle vous
13 souhaitez obtenir une réponse de la part du témoin. Je crois que c'est un
14 élément pertinent de son témoignage, mais il faut que vous précisiez
15 l'assertion au sujet de laquelle vous souhaitez obtenir une réponse. Peut-
16 être pourriez-vous vous pencher sur cette question pendant la pause, et
17 revenir pour poser une question de façon claire.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, nous allons faire une pause de
19 20 minutes.
20 --- L'audience est suspendue à 15 heures 52.
21 --- L'audience est reprise à 16 heures 48.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, soit plus tard,
23 soit maintenant, nous pouvons reconnaître les passages dans le mémorandum
24 que vous avez surlignés et que vous souhaitez que le témoin lise, puisque
25 je vous ai dit qu'il n'était pas approprié qu'il les lise. Ensuite, vous
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1 pourrez dire à la Chambre si tels sont les extraits que vous souhaitez que
2 nous lisions, ou vous pouvez les lire vous-même et lui demander de faire
3 ses observations à cet égard. C'est ce que vous pouvez faire. M. Nice
4 procède de cette manière lorsqu'il interroge ses témoins. Le mémorandum en
5 lui-même ne pose pas de problème, c'est simplement la manière dont vous
6 avez essayé d'introduire ces extraits dans le témoignage par
7 l'intermédiaire du témoin. Poursuivez.
8 M. NICE : [interprétation] Avant que l'accusé ne reprenne, je pense que
9 vous avez déjà eu la réponse à la question posée par M. le Juge Bonomy. Le
10 mémorandum se trouve au numéro 446, intercalaire numéro 28, dans le
11 témoignage de M. de la Brosse. Il fait référence au témoignage d'Audrey
12 Budding, mais je n'ai pas vérifié moi-même.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Nice, j'ai pu trouver
14 l'intercalaire numéro 28 et la pièce 446. La première partie correspond,
15 mais la dernière semble un petit peu différente. Pourriez-vous nous dire de
16 quelle version il s'agit ?
17 M. NICE : [interprétation] Il peut y avoir une différence effectivement.
18 J'ai tout à fait compris qu'il pouvait y avoir une petite différence entre
19 les deux, et je vous l'expliquerai lorsque j'aurai trouvé la réponse.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je pensais qu'il était plus logique qu'un des
22 auteurs du mémorandum cite directement à partir du document, plutôt que ce
23 soit moi qui cite un extrait du document et que je lui pose la question par
24 la suite. Pour moi, cela correspondait à une question directrice. C'est
25 exactement pour cette raison, j'estime qu'il ne s'agit pas d'un contre-
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1 interrogatoire, et c'est pour cette raison-là que j'ai estimé que c'était à
2 lui de citer les extraits. M. Markovic a déjà cité un passage assez
3 important du mémorandum.
4 Simplement pour compléter ma question. Moi-même, je citais la déclaration
5 liminaire de M. Nice, et vous avez dit qu'il s'agissait d'une citation
6 assez longue, il y a peut-être un malentendu quelque part.
7 M. MILOSEVIC : [interprétation]
8 Q. Mais dans cette déclaration liminaire faite par M. Nice, il a cité un
9 extrait du mémorandum, un passage qui parle du : "Génocide politique,
10 physique et culturel contre la population serbe du Kosovo et de Metohija,
11 très grave défaite de la Serbie."
12 Ensuite, il est précisé que j'ai manipulé toute cette question. Monsieur le
13 Professeur Markovic, la question que je vous pose est comme suit :
14 s'agissait-il d'une réalité objective cette persécution des Serbes, de ce
15 mauvais traitement, au plan juridique, culturel, politique et physique,
16 jusqu'au massacre des Serbes au Kosovo et Metohija, s'agissait-il d'une
17 manipulation qui venait de moi ? Je ne dis pas qu'il s'agit de manipulation
18 du mémorandum, car cela est ridicule. S'agissait-il de la situation à
19 l'époque ?
20 R. Oui, tout à fait. Il s'agit de la situation à l'époque, et le
21 mémorandum cite les chiffres et les faits. Soixante mille Serbes, par
22 exemple, ont été chassés du Kosovo au cours de la Deuxième guerre mondiale.
23 Ensuite, après 1968, l'exode est devenu beaucoup plus important, lorsque
24 200 000 Serbes ont quitté le Kosovo, parce que chassés entre 1968 et
25 jusqu'en 1990. Par conséquent, tout ceci s'est passé sous la menace, avec
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1 beaucoup de violence; le massacre du bétail, la saisie des récoltes, comme
2 étant des moyens d'intimidation.
3 Je ne me souviens pas ce qu'ont dit les auteurs du mémorandum. Je ne me
4 souviens pas si le terme "génocide" a été utilisé, mais le génocide
5 culturel, par exemple, un bon nombre de monastères et d'églises ont été
6 détruits, des lieux de culte qui remontaient au Moyen Age, parfois au XIIIe
7 ou XIVe siècle. Certains de ces bâtiments faisaient partie du patrimoine
8 mondial. Ceci s'est poursuivi le 17 mars. Bugoradiska Jeviska [phon], par
9 exemple, qui est une œuvre d'art exceptionnelle. Il s'agit d'un bâtiment
10 extraordinaire comportant des fresques et des mosaïques qui remontent au
11 XIVe siècle. Ce bâtiment a été détruit.
12 Voilà ce qui s'est passé. Telle était la situation, et ceci est un
13 fait.
14 Q. Cela ne figure pas au compte rendu d'audience, car cela a été
15 cité rapidement. Il a parlé de Bugoradiska. Cela a été cité rapidement par
16 le professeur.
17 R. Bugoradiska Jeviska est le nom de ce monastère qui remonte au
18 XIIIe siècle. Le peintre célèbre Astroper [phon] a peint des tableaux
19 extraordinaires de la vierge et de l'enfant. Tout ceci a été détruit par le
20 feu, ou détruit.
21 Q. Très bien, Monsieur le Professeur. Pour la période qui nous
22 concerne, la fin des années 1980, le début des années 1990 et avant,
23 évidemment, cela était un fait de notoriété publique. On savait comment la
24 population serbe et monténégrine avait été expulsée du Kosovo et de
25 Metohija. Autrement dit, la population non-albanaise. S'agissait-il de
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1 quelque chose que tout le monde savait ou c'est simplement moi qui dis
2 cela ?
3 R. Non. Tout le monde savait cela, parce qu'il y avait des groupes de
4 malheureux qui venaient du Kosovo et qui venaient à Belgrade sans cesse.
5 Ils essayaient de trouver quelqu'un qui pouvait les aider, les sortir de
6 leurs difficultés, et avant 1986 ou 1987, il y avait une époque ou personne
7 ne voulait accueillir ces personnes. Lorsque Ivan Stambolic était
8 président, ils dormaient quelques jours de suite dans des parcs et dans le
9 jardin autour de l'assemblée. C'était terrible de voir ces personnes qui
10 passaient la nuit dehors, ces personnes démunies au cours de l'hiver, il
11 pleuvait, et personne ne les aidait car, à ce moment-là, on appliquait tout
12 simplement l'accord, en vertu de quoi le Kosovo était indépendant et en
13 dehors de la juridiction de la compétence juridique de la Serbie et aucun
14 gouvernement serbe ne pouvait faire quelque chose à cet égard, telle était
15 la conséquence de la rédaction de cette constitution de 1974.
16 Q. Bien. Nous allons essayer de nous comprendre maintenant. Il a écrit ce
17 mémorandum en 19 --
18 L'INTERPRÈTE : La date n'est pas précisée.
19 R. C'est exact.
20 Q. J'aimerais que vous me rappeliez qui est Ivan Kristan, Monsieur le
21 professeur. Il était Slovène, n'est-ce pas ? Je crois qu'il a écrit ceci
22 dans le journal Socialisme, où il rédigeait des articles en 1981, cinq ans
23 avant le mémorandum, il s'agit d'une publication de ce magazine. Ce n'était
24 pas un intellectuel Serbe, ensuite, je vais vous demander de recueillir vos
25 commentaires. Je vais citer ce que disait Kristan : "L'idée nationaliste
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1 albanaise était de constituer une république ethniquement pure et d'unifier
2 tous les Albanais en une seule et même république. Il s'agissait là de la
3 suite de la guerre et de la révolution, une nation de frères et de
4 nationalités en Yougoslavie qui serait le fondement même de leur vie, qui
5 leur permettrait de construire ensemble le socialisme. Le slogan portant
6 sur un Kosovo ethniquement pur parlait d'égalité, de vie communautaire
7 partagée par les différentes nations et nationalités, le chauvinisme, et on
8 comprenait et on intégrait tout le monde."
9 C'est ce qu'a écrit ce professeur cinq ans avant le mémorandum, n'est-ce
10 pas ? Vous en souvenez-vous ?
11 R. Oui, je me souviens très bien. Tous les intellectuels qui s'étaient
12 engagés parlaient de cela, mais, à l'époque, personne ne pouvait agir, et
13 le mémorandum de plus était une réaction par rapport à la situation et le
14 mal, où des événements avaient eu lieu sous nos yeux et personne ne pouvait
15 faire quelque chose. On avait mal agit.
16 Q. Merci beaucoup. Je vais attirer votre attention maintenant sur un autre
17 passage. Une citation encore une fois qui remonte à l'année 1981, le même
18 professeur Slovène. Il parlait de nations et de nationalités.
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez ralentir, s'il vous plaît.
20 M. MILOSEVIC : [interprétation]
21 Q. "Beaucoup de pression contre les nationalités et des nations et
22 certains incidents à caractère chauvin qui font que certains membres ou
23 représentants de certaines nations de groupe ethnique quittent la région."
24 Cela dure depuis un certain temps. Il est précisé qu'en 1981, ceci se
25 passait au Kosovo et un grand nombre de Serbes et de Monténégrins ont
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1 quitté la région du Kosovo, et d'après le recensement de la population en
2 1981, si on compare avec le recensement et les chiffres de 1971, les
3 représentants de ces différentes nations sont moindres en 1971, 18,3% pour
4 les Serbes, 2,5% pour les Monténégrins. En 1981, 13,2% ou 1,7% pour les
5 Monténégrins. Le chiffre en terme absolu était beaucoup plus petit, 1% par
6 rapport à 4%, 4,8% pour les Monténégrins, alors que le pourcentage
7 représentant les Albanais a augmenté de 34%.
8 Monsieur le Professeur, est-ce que cela précise que ce qui a été rédigé
9 dans le mémorandum cinq ans plus tard était un fait de notoriété publique,
10 quelque chose que tout le monde avait accepté et connaissait au sein de la
11 République socialiste fédérale de Yougoslavie ? Non seulement, ceux qui
12 vivaient en Serbie, mais ceux qui vivaient à l'extérieur ?
13 R. Pour tous ceux qui avaient des yeux et qui pouvaient entendre, oui, la
14 situation était comme cela.
15 Q. Je vais maintenant vous citer un autre extrait. Je vais passer sur un
16 passage, et Kristan continue à dire : "Les aspirations irrédentistes des
17 nationalistes albanais ne constituent pas un phénomène récent. Ceci s'est
18 produit et était, en fait, le prolongement de certains groupes fâchistes
19 qui pendant la guerre se sont battus contre les mouvements nationaux et de
20 libération des peuples yougoslaves. Les organes de sécurité de l'état ont
21 découvert un certain nombre de nationalistes hostiles et irrédentistes et
22 les groupes qui étaient actifs au Kosovo dont le but ultime est d'obtenir
23 la sécession du Kosovo et d'autres régions de la Yougoslavie habitées par
24 des Albanais." Et, entre parenthèses, il est précisé "Macédoine et
25 Monténégro" et ensuite leur attachement à l'Albanie. Leur slogan était
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1 "République du Kosovo"
2 "Des slogans nationalistes au Kosovo pouvaient être entendus aux
3 réunions du Comité central de Serbie où les slogans étaient 'République du
4 Kosovo à tout prix.' On parlait d'un Kosovo pur, dirigé contre les autres
5 nations, nationalités ou autres groupes ethniques, contre les Serbes, les
6 Monténégrins et les Turcs. Le slogan à propos d'une république du Kosovo
7 est tout aussi dangereux que des slogans qui précisent qu'il fallait
8 rattacher la République d'Albanie à la Macédoine. Il s'agit de l'intégrité
9 de la Serbie. Si l'intégrité de la Serbie est attaquée, il s'agit
10 simplement d'un pas de plus et une attaque contre la constitution de la
11 Yougoslavie."
12 C'est ce que le professeur slovène a dit cinq ans avant la rédaction
13 du mémorandum. Il ajoute qu'il s'agissait d'aspirations irrédentistes des
14 nationalistes albanais au Kosovo et qu'il s'agissait du prolongement de ces
15 organisations fascistes et de type quesling. Ceci a-t-il jamais été remis
16 en question ?
17 R. J'ai évoqué ceci il y a quelques instants.
18 M. NICE : [interprétation] Evidemment, si on parle des premiers jours où
19 l'accusé présente ses moyens, il serait utile si les pièces sont
20 identifiées avant qu'il ne commence à les lire. Il n'a pas d'avocat pour
21 l'aider. Bien sûr, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour aider
22 la Chambre de première instance, mais par rapport à ces pièces, s'il peut
23 nous prévenir à l'avance, puisque ces documents sont lus assez rapidement.
24 Si on peut les recevoir électroniquement, à ce moment là, on peut faire une
25 recherche sur notre logiciel et on peut le voir apparaître à l'écran, parce
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1 que tout ceci est lu assez rapidement.
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, je crois que
3 cette observation est bien fondée. Si vous allez continuer à mener votre
4 interrogatoire principal de la sorte, il va falloir que nous adoptions une
5 autre technique. Cela n'a pas de sens de lire à voix haute des passages si
6 longs. Nous n'avons pas le texte sous les yeux. Nous n'avons pas les
7 extraits. Je vous ai dit, au début, que si vous avez l'intention de
8 procéder ainsi, vous devez nous remettre les documents. Il faut absolument
9 que vous identifiez les documents. S'il s'agit de pièces déjà présentées,
10 dites-le. Il vous faut fournir des exemplaires à la Chambre de première
11 instance ainsi qu'à l'Accusation, car la Chambre souhaite peut-être vous
12 poser des questions à cet égard et il faut également présenter ces
13 documents au témoin. Cela ne sert à rien de lire un passage si cela prend
14 cinq minutes, parce que, si vous arrivez au milieu du texte, j'ai déjà
15 oublié ce que vous avez dit au début. Il faut le résumer et présenter ceci
16 au témoin.
17 Nous allons avoir des difficultés ou rencontrer des difficultés si vous
18 continuez à procéder de la sorte. Les éléments de preuve ne pourront pas
19 être utilisés par la Chambre, et si ces éléments ne sont pas utiles, quel
20 est le but, car les éléments de preuve que vous présentez doivent être
21 pertinents, eu égard à cette affaire et doivent être utiles. Cela nous
22 permet d'avancer dans l'examen des responsabilités ici. Je vous le dis pour
23 la dernière fois, si vous le refaites, je ne vais pas vous le permettre,
24 car ce n'est pas ainsi qu'il faut présenter ces moyens de preuve. S'il y a
25 un extrait concernant un document en particulier, vous dites en premier
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1 lieu de quel document il s'agit et si vous allez lire à partir de ce
2 document, alors il faut que vous remettiez des exemplaires de ce même
3 document aux différentes parties en présence, ainsi qu'aux Juges de la
4 Chambre. Après la journée d'aujourd'hui je vous demande de bien vouloir
5 vous reprendre, s'il vous plaît.
6 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, j'ai cité un magazine
7 intitulé Socialisme, qui aurait pu être acheté dans n'importe quel
8 république de Yougoslavie. J'ai dit il s'agissait du numéro 10, et qui
9 datait de 1981. A savoir si je l'ai cité correctement, ceci peut-être
10 vérifié aisément. Mais la question que j'ai posée, --
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il faut que vous nous remettiez des
12 exemplaires de ce document.
13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bien. Je vous remettrai des exemplaires de
14 façon à ce que vous puissiez comparer les documents et vous pourrez
15 vérifier que j'ai tout cité correctement.
16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] J'en ai besoin avant. Il vous faut
17 remettre ces exemplaires avant ces photocopies, avant si vous voulez
18 présenter vos éléments de preuve. Si vous voulez présenter vos moyens et
19 mener l'interrogatoire principal, il vous faut appliquer les règles de
20 procédure. La procédure veut que ceci soit fait ainsi pour que nous
21 puissions suivre les moyens de preuve présentés.
22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien.
23 M. MILOSEVIC : [interprétation]
24 Q. Monsieur le Professeur, est-il indéniable que pour toutes les questions
25 portant sur la persécution des Serbes et des Monténégrins de Kosovo, leur
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1 expulsion est quelque chose qui a été traitée par différents auteurs en
2 Yougoslavie avant même que vous n'ayez rédigé le mémorandum ?
3 R. Oui, il y a une littérature abondante sur le sujet. Je souhaite
4 préciser quelque chose ici. Il a été dit qu'au Kosovo il y avait des
5 fascistes et des organisations qui se lignent. Balli Kombitar est une
6 organisation, un groupe. On peut obtenir beaucoup d'informations sur
7 Internet. C'était un groupe purement fasciste. Les Allemands fournissaient
8 en arme des groupes des divisions SS au Kosovo. Skendgerbeg SS était le nom
9 de la division. Elle était composée d'Albanais kosovar. J'ai moi-même pris
10 part au combat contre cette division SOUS-SOL. Ceci est un premier point.
11 J'aimerais également savoir comment ce slogan "République de Kosovo,"
12 est arrivé sur le devant de la scène. La sécession devait se faire en deux
13 temps. Dans un premier temps, c'était une province autonome de la Serbie,
14 et la Kosovo voulait devenir une république indépendante. C'est pour cela
15 que le slogan disait "République de Kosovo."
16 Pourquoi ? Parce que d'après la constitution de la Yougoslavie, si --
17 ou plutôt, les républiques avaient le droit à l'autodétermination et le
18 droit de faire sécession. C'est la raison pour laquelle, dans la première
19 étape, si le Kosovo devait devenir une république, c'est ainsi qu'il
20 fallait agir, et ensuite il fallait faire sécession.
21 C'était des choses que tout le monde savait. Il n'y a rien de nouveau
22 ici. Tout ce qui est contenu dans le mémorandum n'est pas nouveau. C'est
23 simplement l'analyse qui en est faite et des critiques qui ont été faites
24 qui sont nouveaux.
25 Q. Très bien. Vous êtes un membre de l'Académie des sciences serbes, des
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1 sciences et des arts, et d'après vous, quelle est votre évaluation de la
2 situation ? Si on considère que ce document était le fondement même où
3 avançaient des idées de domination serbes, en particulier pour favoriser le
4 nettoyage ethnique et la persécution religieuse sur des bases ethniques,
5 est-ce que vous dites qu'il s'agit là d'une affirmation bien fondée ?
6 R. Ce document ne constitue pas en lui-même un élément aussi essentiel. Ce
7 document n'a jamais été terminé et l'Académie serbe n'a jamais réussi à
8 l'adopter. Ce document n'a pas été publié à l'époque. Il n'a été publié que
9 récemment. Ce document ne pouvait en aucun cas constituer le fondement
10 d'une quelconque politique, encore moins d'un parti politique qui le
11 condamnait.
12 Q. N'est-il pas vrai que les choses étaient plutôt dans l'autre sens; le
13 mémorandum parle du principe de l'égalité nationale. Il y a une lutte
14 contre l'hégémonie qu'il évoque, une hégémonie contre un peuple en ex-
15 Yougoslavie, dans une société qui était en crise à ce moment-là ?
16 R. Je l'ai déjà dit, et c'était des différents passages que je voulais
17 présenter. Il est tout à fait clair que ce qui est écrit ici est tout à
18 fait à l'opposé. C'était contraire aux interprétations qui ont été faites
19 par la suite. Ce mémorandum expliquait assez bien qu'il était indispensable
20 qu'il y ait une véritable égalité entre les nations en ex-Yougoslavie.
21 Q. Vous souhaitez citer un extrait de ce mémorandum ?
22 R. Je peux en citer un extrait, mais je ne sais pas très bien ce que je
23 dois faire, car la Chambre de première instance m'a demandé de ne pas citer
24 de passage.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous demande simplement de nous
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1 dire quel extrait vous souhaitez lire.
2 M. MILOSEVIC : [interprétation]
3 Q. Donc, il s'agit d'une déclaration en faveur de l'égalité en droit des
4 groupes ethniques ?
5 R. Oui. Peut-être la fin du dernier paragraphe.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelle page ?
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce sont les trois derniers passages. "Une
8 étape de développement de la communauté yougoslave et de la Serbie a, de
9 façon évidente, pris fin dans une idéologie qui avait été révolue avec une
10 stagnation et avec une régression de plus en plus manifeste sur le plan
11 historique, culturel et économique. Cet état de chose impose, de façon
12 évidente, des réformes radicales, scientifiques, et généralisées de la
13 structure de l'état et de l'organisation sociale de la communauté
14 yougoslave des peuples. Ceci dans la direction d'une démocratie socialiste
15 aux fins de s'intégrer de façon rapide dans la civilisation contemporaine.
16 Les modifications sociales doivent déployer les potentiels économiques et
17 autres du pays tout entier, afin que nous devenions une société civilisée,
18 productive, et démocratique, capable de vivre de son travail, et de
19 contribuer à l'essor de la communauté mondiale. Le préalable de cette
20 refonte constitue une modification et une mobilisation de tous les
21 potentiels de toutes les ressources intellectuelles et créatives non
22 seulement pour mettre en place des décisions politiques, mais
23 aussi --
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Page 140, au fond.
25 LE TÉMOIN : [interprétation] "Pour la première fois dans l'histoire
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1 sociale, on réunirait l'imagination, les potentiels de la société partant
2 d'un programme scientifique."
3 Je vais essayer de retrouver un passage peut-être plus explicite encore.
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Tous ces passages illustrent
5 l'égalité en droit des groupes ethniques.
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Juste avant le titre, "le statut de la Serbie
7 et du peuple serbe," il s'agit d'un passage juste avant.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que cela commence par, "Partant
9 de cette analyse, il découle de…" ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Partant de cette analyse…
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Page 119.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] "Cette analyse nous montre que la
13 démocratisation politique et le renouvellement des cadres avec une
14 véritable autodétermination et l'égalité en droit de tous les groupes
15 ethniques, y compris le peuple serbe, dans l'exercice de leur droit humain,
16 dans l'exercice des droits économiques et sociaux pour ce qui est de la
17 politique du développement social, il constitue de créer les préalables
18 pour sans lesquels il serait inconcevable de songer à une sortie à une
19 issue de la crise yougoslave."
20 Il s'agit d'une autodétermination des nations et d'une égalité en droit des
21 différents ressortissants des peuples yougoslaves en présence. Cela est
22 réitéré à plusieurs endroits. Cette exigence est citée au niveau du B :
23 "Pour ce qui est de l'autodétermination des nations. Au A, la souveraineté
24 des peuples; au B, l'autodétermination des nations; et au C, les droits de
25 l'homme."
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1 On parle d'autodétermination des peuples. "Dans une société moderne,
2 toute oppression politique et toute discrimination sur des bases nationales
3 constitue une chose inacceptable au niveau de la civilisation actuelle. La
4 solution de la question nationale au début aurait pu être considérée comme
5 un exemple de modèle de fédérations multinationales d'où au sein de
6 laquelle le principe d'un état unifié et d'une politique d'état avait été
7 de façon réussie adjoint aux principes de l'autonomie politique et
8 culturelle des groupes ethniques et nationaux.
9 "Mais au fil des deux décennies écoulées, le principe de l'unité a perdu de
10 son importance et a été supplanté par le principe de l'autonomie nationale
11 et on a vu de plus en plus s'avéré exact, tous les groupes nationaux
12 n'étaient pas égaux en droit. Le peuple serbe n'avait plus le droit à la
13 création d'un état à soi. A la différence de la Serbie, les minorités
14 nationales serbes n'avaient pas le droit de se servir de leur langue et de
15 leur alphabet. Ils n'ont plus pu procéder à la création d'organisations
16 politiques et culturelles, ce qui montre que les parties qui protégent les
17 minorités n'ont pas été appliqué lorsqu'il s'agissait de protéger les
18 minorités dans le cadre des minorités, à savoir, les Serbes, les
19 Monténégrins, les Turcs et les Romes au Kosovo. Etant donné les formes de
20 discrimination nationale actuelle, la Yougoslavie ne saurait être
21 considérée comme étant un état moderne et démocratique."
22 Je crois qu'il n'est point nécessaire d'en citer davantage.
23 Q. Je le pense aussi.
24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je crois que je pourrais peut-être
25 poser une question au professeur.
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1 Vous avez dit qu'il s'agit ici d'un projet de document qui n'a jamais été
2 publié. Savez-vous nous dire dans quelles circonstances ce document a fini
3 par être publié par la suite, il y a quelques années de cela ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Lorsque ce document a fait l'objet d'une fuite
5 vers la presse et il s'est ensuivi des attaques à l'encontre des auteurs,
6 on a demandé à ce que soit sanctionné tous ceux qui ont participé à sa
7 rédaction, toutes les personnes responsables. Je me réfère notamment à
8 l'année 1986.
9 Je dirais que dix ans plus tard, on a commencé à oublier tout ceci. La
10 situation a évolué entre-temps, et plus personne n'a prêté attention à ce
11 qui se passait au niveau de l'Académie. Deux des membres de l'Académie, à
12 savoir, deux membres du groupe qui ont travaillé sur le mémorandum, à
13 savoir, Kosta Mihajlovic, qui comparaîtra en tant que témoin ici, ainsi que
14 Vasilije Krestic, ont rédigé le document et l'ont publié. Ils ont également
15 procédé à la rédaction de commentaires à ce sujet. Cela a été publié en
16 somme une dizaine d'années plus tard.
17 Entre-temps, il n'a plus été question du mémorandum étant donné que
18 l'Académie serbe des sciences et des arts a dit que c'était un document
19 inachevé, et qu'elle ne voulait pas du tout en parler.
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce qu'on peut aller de l'avant ?
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que je peux poser une question au
22 professeur : Professeur, avez-vous connaissance du fait qu'un prêtre ou un
23 évêque appelé Mihajlo Mikic a essayé de publier ce mémorandum dès 1986 ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Ce que je sais c'est qu'en Croatie, une
25 version inachevée a été publiée à deux reprises. Les Croates ont par la
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1 suite réexpédiés cela vers l'Allemagne et ailleurs, et de toute part, on a
2 tiré des salves en direction du mémorandum. Mais cet élément, non, je n'en
3 étais pas conscient. Je n'en avais pas connaissance.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] L'Accusation va nous apporter des
5 éclaircissements à ce sujet ultérieurement.
6 Oui, Monsieur Milosevic.
7 M. MILOSEVIC : [interprétation]
8 Q. Professeur, vous venez de mentionner en répondant à ces questions, une
9 nécessité qui était évidente à l'époque, à savoir, celle de procéder à des
10 réformes. Avez-vous connaissance de ce que nous avons fait en Serbie ? Je
11 dis, nous, je pense à la direction politique et je pense à moi, en
12 personne. Savez-vous ce que nous avons fait en 1989, 1990, 1991, pour ce
13 qui est des réformes et de à quoi avons-nous au juste vaqué ?
14 R. En 1989, il a été constitué deux commissions; l'une chargée de la
15 réforme du système économique, et pour autant que je le sache, vous avez
16 participé à ces travaux; et une autre, pour la réforme du système politique
17 où j'ai été nommé pour la première fois. Jusque-là, on avait considéré que
18 j'étais un dissident et je n'avais accès nulle part. Tout à coup, on me
19 désignait membre de cette commission-là. Je n'ai pas pris part à ces
20 travaux, mais j'ai vu la version finale et j'ai fait mes observations.
21 Ces deux documents ont réformé le système social tout entier en
22 Serbie, et ce sont là les toutes premières des réformes réalisées au niveau
23 de l'Europe de l'est. C'est par la suite qu'on disait que les autres pays
24 de l'est dans le courant des années 1990 ont procédé à des réformes. C'est
25 ici que pour la première fois que l'on a adopté les conclusions suivantes :
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1 Pour ce qui est de la commission chargée de la réforme du système
2 économique, il a été dit qu'il fallait qu'en Serbie il y ait une économie
3 de marché, il fallait que toute entreprise assume des responsabilités pour
4 ce qui est des résultats de ses propres activités, et cette économie de
5 marché était censée être réglementée, et non pas anarchique comme pour ce
6 qui était des modèles du XIXe siècle, pas le laisser-faire de l'époque.
7 L'économie serbe était censée devenir une économie moderne, réglementée
8 comme cela est le cas dans les économies des pays développés.
9 Une autre commission, celle qui était chargée de la réforme du
10 système politique, a pour la première fois déterminé ou constaté qu'il ne
11 fallait pas qu'il y ait le monopole d'un seul et même parti, pour ce qui
12 est du pouvoir politique et des pouvoirs autres. Mais qu'il fallait mettre
13 en place un pluralisme politique, à savoir, une pluralité des forces
14 politiques en présence, qui se présenteraient aux élections.
15 Il a été constaté de façon très ferme qu'on venait de respecter les
16 droits de l'homme, les droits politiques, les droits sociaux et économiques
17 de tout un chacun. En guise de résultante, je vais citer une conséquence,
18 conséquence qui a profondément influé sur les relations des intellectuels,
19 entre les intellectuels serbes et les autorités. Les intellectuels serbes
20 avaient toujours été critiques à l'égard du régime. Il importait de
21 mentionner la suppression du délit d'opinion, ce crime d'opinion qui
22 existait auparavant et qui interdisait de poursuivre qui que ce soit pour
23 les opinions qu'il aurait exprimées. On a supprimé les internements
24 politiques pour des motifs politiques, et cela a conduit à des libertés
25 plus grandes des libertés d'expression.
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1 Je vais maintenant répondre à la question que vous avez posée avant
2 la pause. Ce qui vous a conféré le statut de leader incontesté des Serbes,
3 pour ce qui est du charisme de vos aptitudes à la manipulation, ce n'est
4 pas cela, c'est plutôt le fait que les gens ont compris et ont cru qu'il
5 arrivait quelque chose de nouveau, qu'il se passait véritablement une
6 réforme du système, et que l'on était en train de poser les fondations d'un
7 aménagement d'un système véritablement démocratique de la société qui
8 prévoyait une économie de marché réglementée, avec une liberté d'expression
9 et liberté de la presse, avec le respect de tous les droits. C'est cette
10 conviction qui vous a conféré un grand soutien des masses, comme on l'a vu
11 à l'occasion des meetings. C'est cela, ce n'est pas autre chose.
12 Q. Bien, Professeur. Je vous remercie. J'aimerais que nous revenions
13 maintenant au mémorandum. Pouvons-nous constater de façon - et je vous pose
14 la question de façon tout à fait précise - s'agissant maintenant de la
15 question nationale, les auteurs du mémorandum, s'étaient-ils employés
16 précisément en faveur de l'égalité en droit ethnique et non pas en faveur
17 de l'ethnocentrisme et de nationalisme, chose qui constituait un préalable
18 pour une vie conjointe dans un Etat ?
19 R. Pour ce qui est de formuler la substance du mémorandum, c'est en effet
20 une revendication en faveur de la démocratisation et d'une égalité en droit
21 des groupes ethniques.
22 Q. Ne pensez-vous pas que ceux qui parlent du mémorandum en disant que
23 c'est un programme nationaliste serbe, ne l'ont pas lu ou l'ont lu, mais
24 s'en sont servis pour manipuler ?
25 R. J'ai estimé que les gens ont exprimé des opinions au sujet d'une chose
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1 qu'ils n'ont pas eu entre les mains et qu'ils n'ont pas lue, mais il n'est
2 pas exclu l'autre élément, à savoir, le plus grand de mal apporté aux
3 hommes ce sont les gens qui sont éduqués, instruits, mais qui ont de
4 mauvaises intentions.
5 Il se peut que la chose ait été faite de façon délibérée, délibérée
6 parce qu'il s'agissait d'une période de satanisation de la Serbie. Je crois
7 que la Serbie a été satanisée essentiellement pour sa désobéissance. Il
8 s'agissait d'exercer un contrôle à l'égard de ce territoire des Balkans. Il
9 y avait une Serbie rebelle qui n'acceptait pas de se soumettre. Il
10 convenait de la sataniser. La chose a été faite de façon systématique dans
11 les médias allemands. Un certain nombre de personnalités, Reissmueller,
12 qui ont écrit pour le journal Frankfurter Allegemeine ou le
13 Suddeutsche Zeitung, ils ont satanisé systématiquement la Serbie, ses
14 institutions politiques, son armée, et ceci a été placé au service de
15 telles intentions.
16 Q. Bien. Passons maintenant à un autre événement. Essayons d'évaluer de
17 quelle façon il a été procédé à des manipulations avec celui-ci. Vous
18 souvenez-vous de la célébration du 600e anniversaire de la bataille du
19 Kosovo au Saint-Vide à Gazimestan au Kosovo ?
20 R. Je m'en souviens. C'était un grand événement, et une masse de monde
21 très grande. Les médias étrangers ont estimé qu'il y avait plus d'un
22 million de personnes. Vous avez tenu un discours très réputé que l'on a
23 d'abord vanté, et que les mêmes médias ont, par la suite, attaqué.
24 Q. Ceux qui l'ont loué et qui l'ont attaqué par la suite l'ont fait
25 pourquoi et sur la base de quoi ?
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1 R. J'ai un peu plus de documentation à ce sujet. Ce qu'il convient de
2 noter, ce qui est intéressant, c'est de se pencher sur la teneur du
3 discours. Mais s'il convient de fournir une description auparavant, je
4 dirais que ceux qui l'ont vanté, l'ont vanté le lendemain, à savoir, la
5 BBC, le journal Independent, qui avait deux journalistes de présent. J'ai
6 même ici leurs noms, si besoin est. Eux ont exprimé leur surprise pour dire
7 que cela a été un discours pacifique, empreint de tolérance, qui a même
8 déçu certaines personnes présentes qui s'attendaient à des attaques de
9 votre part à l'encontre du terrorisme albanais et des mesures déployées au
10 Kosovo. Mais vous n'avez pas parlé de cela. Vous avez parlé d'ententes
11 nationales. Vous avez dit que la mésentente avait conduit à la défaite au
12 Kosovo à l'époque.
13 Q. Mais, Professeur, pour ne pas tout redécrire --
14 R. Je vais finir en disant ce qui suit : C'est les premières descriptions
15 qu'on en a obtenues.
16 Dix ans plus tard, lorsque la période de satanisation battait son
17 plan, il a été dit qu'il s'agissait d'un discours enflammé, passionné,
18 hystérique, qui a galvanisé cette masse totale, qui a suscité les pires des
19 sentiments chauvinistes. Cela a été la réaction du New York Times, du Times
20 du Londres, du Washington Post. Je peux même vous citer ici la façon dont
21 on en a parlé par la suite. Peut-être devrions-nous nous pencher sur ce que
22 vous avez dit là-bas --
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Permettez à M. Milosevic de vous
24 poser les questions, et veuillez répondre de la façon la plus brève
25 possible. Il sait quel est le type d'élément de preuve qu'il souhaite
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1 entendre de votre bouche.
2 Monsieur Milosevic.
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, conformément à la suggestion
4 que vous venez de faire tout à l'heure, je dirais que l'on sait fort bien à
5 combien de reprises ce discours a été utilisé dans les propos liminaires de
6 M. Nice et dans d'autres interventions, pour ce qui est de la satanisation
7 de ma personne et des circonstances de l'époque. Je dirais qu'il s'agit ici
8 de la pièce numéro 5. C'est une pièce que vous avez en votre possession.
9 J'espère que vous avez en surligné ce que je voulais citer pour ma part.
10 J'aimerais que vous m'indiquiez si vous voulez que je cite.
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous félicite, Monsieur
12 Milosevic, de cette correction en matière de la procédure.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je crois que nous avons ici affaire à la
14 pièce à conviction de l'Accusation, 446, intercalaire 30, et je demande à
15 être rectifié si je me trompe.
16 M. NICE : [interprétation] Nous sommes en train de vérifier si ces versions
17 sont identiques.
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] On m'a dit que ce que nous avons sous
19 les yeux ne constitue qu'une partie de la pièce.
20 M. NICE : [interprétation] L'intercalaire 30 est la version publiée par les
21 journaux. Je crois qu'il s'agissait du journal Politika. Je ne sais pas
22 d'où viennent les autres versions.
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez continuer, Monsieur
24 Milosevic.
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai sous les yeux le texte en langue serbe. Je
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1 vous demande de le verser au dossier en tant qu'élément de preuve. Je me
2 propose, à présent, de citer quelques passages qui vous ont été traduits en
3 anglais, et vous avez les passages surlignés au feutre. J'espère que vous
4 avez ce texte. Je pensais poser ces questions à l'intention du professeur,
5 mais si vous préférez que je cite mon discours, je le ferai avec plaisir.
6 Donc, il s'agit d'une citation --
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Plutôt que de citer, dites-nous
8 plutôt pourquoi vous le citez. Que cherchez-vous à illustrer ?
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Ce que je veux illustrer, c'est qu'on a
10 manipulé, avec la teneur de ce discours, et quand je dis manipuler, c'est
11 un terme assez gentil. Parce qu'on a dit que c'était un discours qui a
12 incité à la guerre. Je dirais donc que l'on a proféré des mensonges
13 s'agissant de sa teneur, comme on l'a dit, dirigé contre d'autres nations
14 et d'autres peuples, qui a détérioré et aggravé la situation politique à ce
15 moment-là. Donc, j'aimerais que quelconque s'en rende compte à sa lecture.
16 Ce que je voudrais, c'est que le professeur nous commente ce qui s'est
17 passé à l'époque.
18 Je me propose, à cet effet, de citer quelques éléments -- quelques
19 fragments de ce discours. Je le ferais de façon, non pas complètement à
20 l'écart du reste du texte, mais afin de présenter la teneur.
21 Je vais vous dire que vous avez la chose dans le texte, dans la traduction.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je voudrais vérifier une chose. La
23 version serbe a été prise sur le Yahoo! La version anglaise a été présentée
24 par une organisation s'appelant Slobodan Milosevic. Je suppose donc que
25 c'est eux qui ont traduit la version B/C/S vers l'anglais ?
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1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je ne pense pas que ce soit le cas. Je pense
2 qu'ils ont pris une traduction anglaise à partir du site anglais de la BBC
3 et ils n'ont fait que le rediffuser. Mais ce qui est authentique, c'est ce
4 que les journaux ont publié le lendemain. Je tiens à préciser que j'ai
5 joint également une bande télévisée -- un enregistrement télévisé de ce
6 discours que vous avez à votre disposition. Je ne veux pas perdre votre
7 temps pour ce qui est de la présentation de cette cassette vidéo, mais si
8 vous le souhaitez, nous pouvons le faire. J'avais voulu gagner du temps en
9 citant des passages. Mais je voudrais que vous preniez comme élément de
10 preuve la bande -- l'enregistrement vidéo complet.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il n'y a pas de problème puisque nous
12 avons le texte serbe complet.
13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Vous avez le texte complet sur l'enregistrement
14 vidéo du début à la fin. Ce que je veux citer, c'est ce qui suit : "Il n'y
15 a pas de place plus propice en Serbie si ce n'est le champ de Kosovo, pour
16 dire que l'entente en Serbie permettra la prospérité du peuple serbe en
17 Serbie et de chacun de ses citoyens, quelque soit son appartenance ethnique
18 ou religieuse."
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Où est-ce que cela se trouve ?
20 Quelle page ?
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Vous avez la chose en surligner. Les
22 interprètes ont le texte dans leur cabine, et je pense que vous devez
23 forcément avoir votre exemplaire à vous.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je n'ai rien de surligner dans ma
25 version.
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1 M. NICE : [interprétation] Il s'agit du fond de la deuxième page. Peut-être
2 l'accusé ne sait-il pas que, lorsque quelque chose est surlignée en jaune,
3 cela n'est pas visible sur une photocopie.
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Continuez, Monsieur Milosevic.
5 M. MILOSEVIC : [interprétation]
6 Q. Indépendamment de l'appartenance ethnique ou religieuse.
7 Citation suivante : "Il n'y a jamais eu que les Serbes à vivre en Serbie.
8 De nos jours, plus que de par le passé, il y réside des peuples des
9 nationalités autres. Cela n'est pas un handicap pour la Serbie. Je suis
10 véritablement convaincu que cela est tout à son avantage. Cela -- nous
11 voyons la composition ethnique de tous les pays évolués, et notamment dans
12 les pays développés. De plus en plus, on voit vivre côte à côte des
13 citoyens de nationalités, de religions et de races différentes, avec de
14 plus en plus de succès.
15 "Le socialisme, en sa qualité de société progressiste et démocratique, ne
16 devrait surtout pas autoriser une division des gens sur des bases
17 nationales et religieuses. Les seules différences qui doivent être permises
18 dans le socialisme sont celles qui font la différence entre les gens qui
19 travaillent et ceux qui ne travaillent pas, des gens honnêtes et ceux qui
20 ne le sont pas. Donc, tous ceux qui, en Serbie, vivent honnêtement de leur
21 travail, dans le respect des autres gens, des autres nations, se trouvent
22 être des gens -- des personnes vivant dans leur propre république.
23 "C'est sur ces bases-là que notre pays tout entier doit être édifié.
24 La Yougoslavie est une communauté multinationale et elle ne peut survivre
25 que dans des conditions de pleine égalité en droit de toutes les nations
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1 qui y résident.
2 "La crise qui a frappé la Yougoslavie a engendré des divisions
3 nationales, mais aussi des divisions sociales, culturelles,
4 confessionnelles et autres, moins importantes. Mais pour ce qui est de
5 toutes ces divisions, les plus sensibles et les plus dramatiques sont les
6 divisions nationales. Leur élimination facilitera l'élimination des autres
7 et nous aidera à remédier à leurs séquelles.
8 "Depuis la création de communautés multinationales, il y a eu la
9 difficulté de ces relations. Il y a eu constamment une épée de Damoclès
10 pesant sur les suspicions, les accusations, les intolérances qui, de façon
11 invariable, ne faisaient que croître et qu'il est difficile de stopper. Les
12 ennemis de ce type de communauté le savent, et c'est la raison pour
13 laquelle leurs activités à l'encontre de communautés multinationales visent
14 à créer des conflits sur des bases nationales.
15 "Et nous, en Yougoslavie, sommes en train de nous comporter comme si
16 nous n'avions pas l'expérience de tels cas, et comme si, de par le passé,
17 nous n'avions pas ressenti la pire des tragédies et des conflits nationaux
18 qu'une société saurait connaître.
19 "Des relations d'égalité en droit, des relations d'entente entre les
20 peuples yougoslaves sont plus qu'indispensables pour la survie de la
21 Yougoslavie et sa sortie de la crise. Notamment, cela constitue un
22 préalable pour sa prospérité économique et autre. La Yougoslavie ne se
23 dissocie pas de ce qui constitue le monde contemporain, le monde développé.
24 Ce monde est caractérisé par la tolérance, par la coopération et par
25 l'égalité en droit des nations. Le développement contemporain -- le
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1 développement moderne incite les peuples à coopérer, à dépendre les uns des
2 autres, et à le faire dans l'égalité en droit. La direction dans laquelle
3 se dirige l'humanité est celle des hommes égaux en droit. Si nous ne
4 pouvons pas nous trouver à la tête de ce qui se dirige dans cette
5 direction, il ne faut pas non plus que nous soyons à la queue."
6 Maintenant, je vais citer un paragraphe qui a servi à M. Nice pour
7 extraire une phrase dans le but de démontrer que ce discours était
8 belliqueux.
9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, non, non. Monsieur Milosevic,
10 ce n'est pas vous qui déposez, c'est le témoin. Vous venez de citer un
11 passage très long donc il importe, qu'à présent, vous posiez une question à
12 ce sujet au témoin, de façon à ce que nous déterminions quelle est la
13 teneur de la déposition. Car la déposition vient du témoin. Souhaitez-vous
14 demander au témoin s'il convient que, dans ce long extrait que vous venez
15 de citer, il n'y a rien qui ait pu l'inciter, lui, ou peut-être inciter
16 d'autres personnes, à promouvoir des affrontements raciaux ?
17 C'est cela que je tiens à vous dire : Ce n'est pas vous qui témoignez. Si
18 vous voulez que quelqu'un d'autre que vous témoigne, il faut que vous lui
19 posiez une question. Sinon, la déposition en question n'a aucune valeur.
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Fort bien.
21 M. MILOSEVIC : [interprétation]
22 Q. Professeur, ce que je viens de lire, est-il un extrait authentique du
23 discours que vous avez relu il y a peu de temps, que vous avez vu également
24 sur la séquence vidéo, que vous avez pu vérifier d'ailleurs à la diffusion
25 de la vidéo qui a été déposée ici en tant que pièce à conviction ?
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1 R. Ce texte est tout à fait authentique. J'ajouterais que, pour des gens
2 qui vivent depuis plusieurs décennies en Serbie, ceci est, en fait, la
3 suite d'une politique bien connue, initiée par Tito, sur la base du
4 principe bien connu de fraternité et d'unité. Donc, c'est Tito qui a initié
5 et mis en place ce principe, et M. Milosevic, pour sa part, a poursuivi en
6 disant que les différentes nations devaient exister aux côtés les unes des
7 autres dans un climat de fraternité et d'unité. Il n'a pas utilisé
8 l'expression "fraternité et unité," mais c'est bien ce qu'il voulait dire.
9 Il estimait que ceci devait être la base sur laquelle s'appuyait la
10 Yougoslavie, qui avait été fondée sur ces bases.
11 Malheureusement, ces notions ne se sont pas suffisamment enracinées
12 au sein de diverses nations, et ce sont des idées séparatistes qui l'ont
13 emporté. Mais telles étaient bien les idées fondamentales, les idées de
14 base sur laquelle la Yougoslavie a été créée et a vécu pendant toute la
15 guerre -- la Deuxième guerre mondiale et après la Deuxième guerre mondiale,
16 jusqu'à cette crise majeure qui a ébranlé le pays dans les années 70.
17 Q. Y a-t-il le moindre doute que ce qui vient d'être lu est authentique ?
18 R. Il n'y en a aucun, pas du tout. C'est authentique.
19 Q. Vous souvenez-vous de la fin de cette allocution, de la dernière phrase
20 qui parle de : "Longue paix et de longue fraternité entre les peuples."
21 R. Quelqu'un qui se prépare à un génocide dans le cadre d'une guerre et à
22 un nettoyage ethnique n'appellerait jamais personne à crier des slogans de
23 fraternité et de paix entre les peuples. Or, c'est toujours cette
24 expression qui a été utilisée, depuis Tito jusqu'à nos jours, l'expression
25 fraternité et unité, et c'est le concept qui incarnait le fondement de
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1 l'existence de la Yougoslavie.
2 Q. Fort bien, Professeur. Mais comment expliquez-vous le fait que, dix ans
3 après cette allocution, donc en 1999, une théorie a vu le jour selon
4 laquelle cette allocution a servi à enflammer le nationalisme serbe, à
5 inciter au nationalisme serbe ?
6 R. Les nécessités politiques étaient devenues différentes. A l'époque où
7 ce discours a été prononcé, nous parlons donc de 1988 --
8 Q. N'est-ce pas en 1989, en fait ?
9 R. Oui, oui, en 1989. À ce moment-là, il n'y avait aucune tension. Il n'y
10 avait pas de problème au niveau des rapports interethniques. Les relations
11 entre la Serbie et les autres groupes ne posaient pas de problème. Plus
12 tard, l'idée a été émise que la Serbie ne devait pas être soumise, et
13 voilà, c'est le seul argument que l'on peut trouver, cette volonté pour la
14 Serbie de ne pas se soumettre aux autres et l'idée que la Serbie était
15 devenue le dernier bastion du communisme. Donc, voilà ce qui explique les
16 réformes qui ont été réalisées en Serbie, dans une société qui ne
17 présentait pas les caractéristiques du communisme, tel que l'occident
18 l'interprétait. S'il s'était agi réellement de communisme, la Serbie
19 n'aurait pas été ce qu'elle était, c'est-à-dire l'expression d'un
20 socialisme démocratique humain, en fait, qui pouvait servir d'argument
21 propagandiste en faveur du communisme. Mais, encore une fois, je répète que
22 la Serbie était considérée comme le dernier bastion du communisme. La
23 Serbie, pour sa part, avait pris une voie différente, une voie médiane, une
24 voie démocratique sur le plan social, à l'image de la Suède, de la Norvège
25 et d'autres pays du même genre. Voilà donc la voie qui avait été adoptée
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1 par la Serbie. La Serbie souhaitait poursuivre sur cette voie, mais cela
2 n'a pas suffi. Cela n'a pas suffi à ces esprits agressifs, à ces idéologues
3 militants, et donc ils ont proclamé la Serbie comme étant, avant tout, un
4 ennemi sur le plan idéologique, et par ailleurs, ils ont prétendu que la
5 Serbie souhaitait soumettre les autres groupes ethniques à sa volonté.
6 Mais il y a un passage du discours que vous n'avez pas lu. J'ai le texte
7 ici sous les yeux, quand vous parlez des combats qu'il importe de mener au
8 niveau politique, culturel, économique. Vous dites : "Notre principale
9 bataille aujourd'hui consiste à atteindre la prospérité sociale," et
10 cetera, et cetera. Donc, lorsque vous dites qu'il ne s'agit pas d'une
11 bataille par les armes, "même si celles-ci ne sont pas exclues," comment
12 est-ce que cela pourrait servir à expliquer une position militante de votre
13 part en faveur d'une quelconque guerre ou d'un quelconque nettoyage ou
14 d'une quelconque domination sur les autres nations ?
15 J'ai dit, au début de mon propos, que cette région du monde, ce
16 territoire a toujours été soumis à d'autres qui l'avaient conquis, et que
17 c'était une région où les gens étaient toujours prêts à se défendre, y
18 compris par les armes.
19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Milosevic, il me semble que
20 vous posiez des questions très précises, très directes en ce moment, et que
21 vous obtenez des réponses très longues qui ne portent pas directement sur
22 les questions posées. Donc, si nous tenons compte du temps qui est compté,
23 il me semble que ce serait une bonne idée que vous demandiez au témoin
24 peut-être de limiter la longueur de ses réponses aux questions posées par
25 vous.
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1 J'aimerais également vous poser une question très précise : est-ce que vous
2 allez nous soumettre les coupures de presse de cette période qui va, en
3 fait, de 1989 à 1999, pour nous montrer les différences, les contradictions
4 entre les différents commentaires de presse ?
5 L'ACCUSÉ : [interprétation] En 1989, les médias occidentaux ont couvert
6 cette allocution de façon tout à fait correcte. En 1999, je l'ai dit dans
7 mon propos liminaire, mais de façon incomplète, les commentaires de presse
8 par rapport à ce même discours étaient totalement inexacts. Ils étaient
9 faux, car nulle part dans le discours, vous ne trouverez la moindre
10 attitude belliqueuse, belliciste ou la moindre attitude nationaliste
11 extrémiste. Bien au contraire.
12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'ai tout à fait bien compris cela, et
13 d'ailleurs je l'ai compris au moment de vos propos liminaires. Mais j'ai
14 quelques difficultés à retrouver les articles de presse cités par vous,
15 dans les années 99 et suivantes. Donc, est-ce que vous pourriez nous guider
16 dans notre recherche ? Car, pour le moment, nous n'avons pas ces articles à
17 notre disposition.
18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je le ferai.
19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci beaucoup.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pourrais répondre à cette question ? J'ai,
21 en ma possession, les extraits qui vous intéressent.
22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais le problème, Professeur, c'est
23 que ce n'est pas -- c'est à M. Milosevic qu'il convient de s'occuper de
24 cela. C'est à lui de soumettre à la Chambre les documents qu'il souhaite
25 lui soumettre. Ce n'est pas au témoin d'organiser ce travail. Mais M.
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1 Milosevic vient de répondre de façon satisfaisante à ma question donc je
2 n'ai pas besoin d'autre assistance.
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Fort bien.
4 M. MILOSEVIC : [interprétation]
5 Q. J'aimerais adopter l'attitude qui convient donc nous revenons
6 maintenant sur ce que le professeur a dit il y a quelques instants. Il a
7 cité la fin de mon allocution. Donc, je lirai l'intégralité du passage pour
8 le restituer dans son contexte. Je cite :
9 "Six siècles plus tard, aujourd'hui, nous sommes à nouveau engagés dans des
10 batailles et nous avons à affronter des batailles. Ce ne sont pas des
11 batailles armées. Même si ce genre de chose ne peut être exclu. Toutefois,
12 indépendamment de la nature de ces batailles, elles ne peuvent être
13 emportées sans une détermination, sans du courage et des sacrifices,
14 autrement dit, sans de nobles qualités qui sont présentes ici sur le champ
15 de bataille du Kosovo depuis des jours passés. Notre bataille principale
16 aujourd'hui concerne la mise en œuvre de la prospérité économique,
17 politique, culturelle et générale sur le plan social. Elle concerne la
18 nécessité de trouver une démarche plus rapide et plus fructueuse vers la
19 civilisation dans laquelle notre peuple vivra au XXIe siècle. Pour la
20 réussite de cette bataille, nous aurons certainement besoin d'héroïsme,
21 d'une autre forme héroïsme. Bien entendu, mais ce courage nous sera
22 nécessaire, courage sans lequel aucune grande œuvre sérieuse ne peut être
23 réalisée, courage qui demeure le même et qui est nécessaire de façon
24 urgente."
25 Cette phrase montre bien que les batailles évoquées n'étaient pas des
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1 batailles par les armes, même si cette éventualité n'était pas exclue, et
2 que notre bataille principale se menait sur le front économique, culturel,
3 et cetera, et cetera; politique également. C'est ce passage, précisément,
4 par contre, qui a été pris comme base pour parler d'esprit belliqueux, ce
5 qui constitue un mensonge grossier et une tentative formelle à la
6 manipulation.
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous n'êtes pas celui qui
8 dépose.
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est le témoin qui doit témoigner.
11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Fort bien.
12 M. MILOSEVIC : [interprétation]
13 Q. Je demande au témoin si le fait d'extraire cette phrase de son contexte
14 ne constitue pas une manipulation flagrante.
15 R. Tout pays, dans la mesure où il souhaite atteindre l'égalité,
16 doit être en mesure de se défendre. Donc, si vous vivez sur un territoire
17 comme celui dont nous parlons, dans une région comme celle dont nous
18 parlons, si vous vivez dans une région qui est au carrefour entre le nord
19 et le sud, entre l'Europe et l'Asie, vous devez aussi être prêt à vous
20 défendre, d'abord, face à un agresseur étranger, et si vous vivez dans un
21 pays où l'irrédentisme apparaît, où le sécessionnisme et la guerre
22 menacent, vous devez également être en mesure de vous défendre et de réagir
23 par rapport aux forces qui se regroupent. Ceci est à la base même du
24 concept d'autodéfense, qui doit être affirmé avec respect de tous les
25 aspects humains.
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1 Q. Professeur, est-ce que vous vous souvenez, est-ce que vous l'avez vu en
2 rediffusant la cassette qui vous a servi à vous rafraîchir la mémoire, qu'à
3 l'époque, la direction yougoslave, dans son ensemble, était présente sous
4 la direction de M. Drnovsek, le président de la présidence de l'Etat
5 yougoslave, et en présence également des présidents de toutes les
6 républiques et de toutes les régions autonomes yougoslaves ?
7 R. C'est exact. Tout le monde était présent, ainsi d'ailleurs que les
8 représentants de l'armée bosniaque à Gazimestan.
9 Q. Est-ce que quelqu'un dans une république, suite à cette allocution, a
10 fait le moindre commentaire, critique, en disant qu'il ne correspondait pas
11 aux objectifs les plus progressistes sous-tendus par la vie en commun au
12 sein de la Yougoslavie ?
13 R. Non, pas en Yougoslavie, pas plus d'ailleurs dans le reste du monde.
14 Aucun commentaire de ce genre, aucun commentaire négatif, aucune critique
15 négative de ce genre n'a été formulée à l'époque.
16 Q. Fort bien, merci. Je n'ai plus besoin du texte de l'allocution.
17 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'aimerais demander le versement au dossier de
18 cette pièce à conviction. C'est la pièce numéro 5. J'en demande le
19 versement dans sa version écrite ainsi que dans la version vidéo sous forme
20 de cassette intégrale dont la diffusion prend à peu près 20 minutes. Elle
21 n'est pas très longue.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Une seconde.
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Mais --
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il s'agit de la pièce numéro 5 ?
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je pense que nous avons d'abord le
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1 mémorandum. Il devrait être versé au dossier avant. Est-ce que vous
2 demandez le versement au dossier du mémorandum, Monsieur Milosevic ?
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, absolument. J'ai déjà un numéro de pièce à
4 conviction. Je ne le retrouve pas à l'instant, mais je suis sûr que vous
5 l'avez en anglais.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne parle qu'en mon nom personnel,
7 mais j'aimerais que le mémorandum soit versé au dossier d'abord, car il
8 comporte celui dont il vient d'être question, car il comporte des
9 annotations par le Pr Markovic.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, oui, qu'il soit versé au
11 dossier. Quelle est la cote.
12 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Le mémorandum sera la pièce D250. Après
13 quoi, le numéro D251 sera affecté au texte de l'allocution de Gazimestan et
14 à la cassette vidéo.
15 M. NICE : [interprétation] J'aimerais vérifier avant la prochaine question,
16 la pièce D250, c'est ce volume relié de grande importance qui contient le
17 commentaire et le texte ? Merci beaucoup.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, un instant, je
19 vous prie.
20 [La Chambre de première instance se concerte]
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'aimerais préciser un point. Puis-je préciser
22 un point ? M. Nice vient de parler de quelque chose qui n'est pas une pièce
23 à conviction. Je vous l'ai remis pour vous aider. C'est une traduction.
24 C'est un texte qui vient de la BBC et qui était destiné à la presse.
25 L'original est en langue serbe. Vous avez également la cassette vidéo de
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1 l'intégralité de l'allocution. Vous pouvez utiliser, néanmoins, cette
2 traduction pour aider. Bien sûr, vous pouvez également donner l'ordre que
3 la cassette soit traduite et vous pouvez comparer les deux pour voir s'il y
4 a des différences. La cassette est une cassette qui vient de la télévision
5 et qui, à mon avis, est une pièce à conviction suffisamment authentique qui
6 ne laissera aucun doute quant à l'authenticité de chacun des mots qui a été
7 prononcé ce jour-là.
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] M. Nice parlait du mémorandum, pas de
10 votre discours.
11 [La Chambre de première instance se concerte]
12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous avez les cassettes, Madame la
13 Greffière ? Très bien. Monsieur Milosevic, est-ce que vous souhaitez la
14 diffusion de ces cassettes ou d'un extrait ?
15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Non, ceci n'est pas nécessaire. Cela prendrait
16 trop de temps. Je vous ai dit que cette pièce à conviction, vous l'avez, la
17 cassette de télévision originale, l'enregistrement donc. Vous pouvez
18 demander une nouvelle traduction de cette cassette afin de comparer avec le
19 texte qui vient de vous être remis pour voir qu'il n'y a aucune divergence,
20 ne serait-ce qu'au niveau d'un seul mot.
21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Pause de 20 minutes.
22 --- L'audience est suspendue à 17 heures 31.
23 --- L'audience est reprise à 17 heures 55.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous avez la
25 parole.
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1 L'INTERPRÈTE : Microphone, s'il vous plait.
2 M. MILOSEVIC : [interprétation]
3 Q. Monsieur le Professeur Markovic, si nous abordons de façon concrète la
4 question de l'égalité des droits, savez-vous que cela a toujours été ma
5 position tout au cours de la crise yougoslave et jusqu'à la fin ?
6 R. Je pense qu'à partir de ce moment-là, vous avez toujours eu cette
7 position. Ceci s'explique par vos origines et les différents postes que
8 vous avez occupés, et vous avez vécu dans une société qui mettait en avant
9 ses différents principes, et vous les avez appliqués jusqu'à la fin.
10 Q. Aussi, on ne peut pas nier qu'en 1998 on a vu l'escalade du terrorisme
11 au Kosovo et dans la région de Metohija, n'est-ce pas ?
12 R. Oui.
13 Q. A ce moment-là, vers la mi-1998, précisément à l'époque où il y a eu
14 l'escalade de ce séparatisme albanais et du terrorisme au Kosovo, je me
15 suis entretenu avec les dirigeants politiques, n'est-ce pas ?
16 R. Oui.
17 Q. Ce que j'ai dit à ce moment-là, malgré le fait que le nationalisme et
18 le terrorisme albanais étaient en plein essor, est-ce que cela ne confirme
19 pas pour autant le fait que je prône l'égalité nationale ?
20 R. J'ai des notes sténographiques --
21 M. NICE : [interprétation] Pardonnez-moi, je n'aime pas interrompre lorsque
22 l'accusé commence à interroger les témoins, mais la Chambre peut s'en
23 préoccuper également. Je crois qu'il ne faut pas lui permettre de poser les
24 questions ainsi. Je crois qu'il y a un malentendu. Je crois que les quatre
25 premières questions sont tout à fait directrices.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] En tout cas, la dernière.
2 M. NICE : [interprétation] Je crois qu'en réalité, Monsieur le Président,
3 toutes les questions ont été directrices. La première, qui est une approche
4 concrète à la question de l'égalité des droits des différentes nations,
5 savez-vous que ma position a été la même tout au long de la crise
6 yougoslave ? Une question, je crois, de cette nature, quelle que soit la
7 réponse, conduit à une réponse qui aura une valeur moindre, puisqu'il
8 s'agit d'une question directrice. La question est là.
9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Nice.
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Puis-je dire quelque chose ?
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, pour ce qui est
12 du dernier exemple -- par exemple, pour ce qui est de la dernière question
13 : "Malgré le fait que le nationalisme et le terrorisme albanais étaient en
14 vigueur, est-ce que cela confirme le fait que je prônais l'égalité des
15 nations ?" Je crois qu'il s'agit d'une question qui est véritablement
16 directrice. Il faut poser la question de façon plus générale au témoin.
17 Qu'est-ce que cela signifie pour lui.
18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien.
19 M. MILOSEVIC : [interprétation]
20 Q. Monsieur le Professeur Markovic, pourquoi pensez-vous que je prônais
21 l'égalité nationale déjà en 1998 ?
22 R. J'aimerais tout d'abord dire que M. Milosevic ne peut me diriger en
23 aucune manière. Je suis tout à fait indépendant de lui, car nos chemins se
24 sont écartés en 1995, lorsque je l'ai critiqué sur le plan politique.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur le Professeur, je dois vous
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1 arrêter. Je vous arrête. Ce n'est pas une question à laquelle vous devez
2 répondre. C'est une question à laquelle doit répondre la Chambre de
3 première instance. Une question "directrice" fait partie de notre métier.
4 Lorsqu'une question vous est posée et que la réponse est incluse dans la
5 question, alors, M. Nice a dit que cela n'avait que très peu de valeur
6 probante, parce que cela n'a pas été présenté par vous dans votre
7 témoignage. Donc, le terme de question "directrice" est un terme sur lequel
8 la Chambre de première instance est en mesure de prendre une décision. Je
9 ne souhaite pas que vous fassiez des commentaires à cet égard.
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je peux simplement dire que la situation
11 n'était pas ainsi. Je peux toujours dire cela. Il peut me poser une
12 question directrice, mais cela ne signifie pas que je vais donner la
13 réponse dans ce sens, n'est-ce pas ? Je peux dire non, ceci n'est pas
14 exact.
15 M. MILOSEVIC : [interprétation]
16 Q. Monsieur le Professeur, je vous pose une question maintenant tout à
17 fait neutre. Vous avez les preuves qu'en 1998 je prônais l'égalité des
18 droits.
19 R. J'ai ici des notes sténographiques de la 16e session du conseil
20 principal du comité central du Parti socialiste de Serbie. Ceci s'est tenu
21 le 10 juin 1998. Je vais en parler brièvement.
22 Encore une fois, vous avez dit : "Notre politique consiste à résoudre
23 la question du Kosovo par des moyens politiques." A ce moment-là, il y
24 avait déjà des combats. Et vous dites : "Nous avons abordé une solution qui
25 émanait de nos convictions et de notre programme et qui sous-entend le
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1 principe de l'égalité des droits des nations. Nous ne voulons pas faire du
2 tort aux Albanais. Nous ne voulons pas qu'il s'agisse de citoyens de
3 deuxième rang. Il nous faut établir une distinction claire entre - et nous
4 avons précisé à plusieurs reprises - entre les Albanais qui vivent au
5 Kosovo et les terroristes. Certains de nos propres gens pensent que --"
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie de bien vouloir nous
7 aider à retrouver le passage en question. Je crois que vous citez ici la
8 pièce de la Défense portant le numéro D142.
9 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai ce document ici sous les yeux. Je ne sais
10 pas si vous l'avez vous-même. J'ai simplement cité un extrait en réponse à
11 la question qui m'a été posée. C'est ce que j'ai sous les yeux. Vous
12 souhaitiez que je réponde à la question, et j'ai répondu à la question.
13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il s'agit de la pièce portant le numéro 142.
14 Vous l'avez sous les yeux. Le texte en serbe est à la page 52. Il s'agit de
15 notes sténographiques de la 16e session où il y a eu un débat sur la
16 question.
17 M. MILOSEVIC : [interprétation]
18 Q. Monsieur le Professeur, je vous en prie, poursuivez et citez le passage
19 que vous souhaitiez citer.
20 R. "Quelle que soit la manière dont les choses nous apparaissaient, il
21 nous faut adopter cette approche, trouver une solution politique non
22 violente et affirmer le principe de l'égalité des droits des nations."
23 M. NICE : [interprétation] Nous devons essayer de retrouver les passages en
24 question. Je crois que les Juges de la Chambre ont les mêmes difficultés
25 que nous. Malheureusement, dans la version anglaise, les pages ont été
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1 coupées. Si l'accusé veut bien nous identifier les pages en question, parce
2 que nous n'avons pas pu les retrouver dans le document.
3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous avez
4 entendu ce qui vient d'être dit. C'est tout à fait exact. Il faut que vous
5 nous donniez les numéros des pages pour les versions, à la fois en B/C/S,
6 et la version en anglais.
7 L'ACCUSÉ : [interprétation] Malheureusement, je n'ai pas la version
8 anglaise. Je demande à quelqu'un de bien vouloir me remettre la version
9 anglaise, et je vais retrouver le passage en question. J'espère que je ne
10 vais pas y consacrer trop de temps.
11 Il n'y a pas de numéros des pages dans la version anglaise.
12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il n'y a pas de pagination.
13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vais vous dire --
14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Milosevic, si vous allez à la
15 fin du texte anglais et que trois pages avant la fin, vous voyez le titre
16 où c'est indiqué "Président," c'est en bas de cette page où vous avez le
17 titre, "Président."
18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, oui, c'est exact. Là où on peut lire
19 "Président," sous le titre "Président." Ensuite, il a cité un passage en
20 particulier. Il a parlé : "du Kosovo en utilisant des moyens politiques.
21 Notre attitude a consisté à trouver une solution fondée sur notre croyance
22 et notre programme politique, qui comprend le principe de l'égalité des
23 nations."
24 M. MILOSEVIC : [interprétation]
25 Q. Poursuivez, Monsieur le Professeur, étant donné que nous savons
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1 maintenant où se trouve le passage en question dans le texte anglais.
2 R. "Il nous faut nous rappeler les éléments suivants : que certaines
3 personnes ont été manipulées de cette façon. Ce sont des gens malheureux
4 qui ont été manipulés comme toutes les personnes démunies du monde. Il
5 s'agit de personnes qui sont à la tête de leur pays ou d'autres
6 manipulateurs qui tentent de les déstabiliser, donc de déstabiliser le sud
7 de l'Europe, puisqu'il leur faut toujours trouver un alibi pour maintenir
8 une force militaire sur le terrain, en tout cas, une force militaire des
9 grandes puissances. Il ne s'agit pas des personnes -- ce ne sont pas eux
10 qui organisent ces différentes activités. Il s'agit simplement de leurs
11 instruments. Il y a des gens comme Bukoshi, qui est en Allemagne et qui est
12 devenu milliardaire grâce aux fonds qu'il a levés.
13 "Il y a beaucoup de choses à faire. Donc, pour ce qui est du Kosovo,
14 il nous faut adopter un principe politique et respecter le principe de
15 l'égalité des nations. Ceci doit s'appliquer dans les activités politiques,
16 non seulement pour le peuple du Kosovo, mais il faut adopter le dialogue,
17 le dialogue qui n'est pas seulement réservé aux membres des comités
18 d'Etats, qui siégeaient ici au Kosovo et qui attendaient, jour après jour,
19 les représentants albanais qui ne sont jamais venus." Ils ont ensuite cité
20 le nom de Ratko Markovic. Il dirigeait cette délégation. D'un autre côté,
21 cela ne leur était pas réservé. Le dialogue n'était pas seulement important
22 pour eux. Par dialogue, je n'entends pas seulement du dialogue entre les
23 Serbes et les Albanais, mais du dialogue entre les Albanais, entre les
24 Turcs, entre les Romes et les Serbes, et les Monténégrins. Il devrait y
25 avoir à tous les niveaux, aux niveaux des municipalités, des communes
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1 locales, que ce soit de façon officieuse ou officielle. Car tout un chacun
2 devrait être encouragé à vivre --
3 Q. Cela suffit. Merci, Monsieur le Professeur.
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je souhaite verser ce document au dossier. La
5 question que je pose, sur la base de votre croyance, la position est restée
6 inchangée, en respectant le principe de l'égalité nationale. Donc, il
7 s'agit de la citation d'une allocution faite à la mi-1998.
8 M. MILOSEVIC : [interprétation]
9 Q. Vous savez, Monsieur le Professeur, qu'il y avait une escalade du
10 terrorisme à ce moment-là ?
11 R. Oui.
12 Q. Malgré cela, notre position consistait à respecter l'égalité nationale.
13 Autrement dit, qu'il ne fallait pas faire du mal aux Albanais et qu'il ne
14 fallait pas les traiter comme des citoyens de second rang.
15 R. Oui. Il y avait déjà des combats à Drenica. Le ALK avait déjà organisé
16 leurs différentes activités. La police avait réagi. Mais au milieu de ces
17 combats, c'est la position que vous avez adoptée lors de la réunion tenue
18 par le comité central du Parti socialiste serbe.
19 Q. Nous allons maintenant revenir à Gazimestan pendant quelques instants.
20 Nous avons conclu que l'ensemble des dirigeants de Yougoslavie et les
21 représentants des différentes républiques étaient présents à Gazimestan;
22 est-ce exact ?
23 R. Oui.
24 Q. Et qu'il est vrai que personne n'a jamais critiqué -- décrit en termes
25 négatifs l'allocution faite à Gazimestan ?
Page 33453
1 R. C'est exact.
2 Q. Au paragraphe 88 de l'acte d'accusation, il y a une description des
3 événements qui ont eu lieu trois mois auparavant. Page 81. "L'assemblée du
4 Kosovo s'est réunie à Pristina au Kosovo et a adopté les amendements à la
5 constitution, mais la plupart des délégués des Albanais kosovars se sont
6 abstenus et n'ont pas voté. Bien qu'il n'y ait pas eu les deux tiers du
7 vote à la majorité à l'assemblée, l'assemblée a néanmoins déclaré que les
8 amendements avaient été adoptés. Le 28 mars 1999, l'assemblée a voté en
9 faveur des amendements constitutionnels. Ils ont ainsi l'autonomie accordée
10 lors de la constitution de 1974."
11 La question que je vous pose est la suivante : je prétends qu'il s'agit là
12 -- que ce qu'il y a dans l'acte d'accusation est un mensonge. Parce que si
13 cela avait été vrai, tous les représentants des républiques yougoslaves
14 auraient été présents, et l'ensemble de la Yougoslavie --
15 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, il ne s'agit pas là d'une
16 question. C'est une manière de faire une suggestion et de lui accorder un
17 temps supplémentaire. Je suis sûr que l'accusé comprend la différence qu'il
18 y a entre poser une question et faire un commentaire. Je dois prier la
19 Chambre de s'assurer qu'il obéisse aux règlements en présentant ses moyens.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je pense que cela se situe entre un
21 commentaire et une question. Je vais permettre au témoin de répondre sur la
22 partie qui correspond à la question.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Je n'avais pas l'intention de répondre
24 sur le nombre de gens qui sont venus. J'allais répondre sur les faits, sur
25 ce que je sais. Il y avait, en tout, 190 délégués à cette réunion de
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1 l'assemblée. Il y avait, en tout, 180 délégués présents. Il y avait dix
2 votes contre, quatre abstentions et 166 voix en faveur de ces amendements.
3 Donc, cela n'est pas exact -- il n'est pas exact de dire que la majorité
4 des Albanais se sont abstenus. Deuxièmement, il n'est pas exact de dire,
5 non plus, qu'il n'y avait pas une majorité à deux tiers. Car deux tiers de
6 180 correspond à 127, et 166 ont voté en faveur de cette proposition. Et
7 pour finir, et troisièmement, il n'est pas exact de dire que l'autonomie
8 avait été abrogée de cette façon-là. L'autonomie n'est pas abrogée si nous
9 entendons par autonomie certains droits qui sont appliqués dans cette
10 région, c'est-à-dire que cette région ait une assemblée propre et qu'elle
11 puisse prendre des décisions concernant certains points.
12 Ce qui a été rejeté était certains éléments faisant partie de la
13 souveraineté. Car, dans la constitution de 1974, en plus de l'autonomie,
14 Kosovo on lui a accordé certaines marques de souveraineté. Par exemple, le
15 Kosovo avait le pouvoir de veto concernant certaines décisions prises par
16 les institutions fédérales, bien que faisant partie de la Serbie. Mais
17 néanmoins, elle pouvait prendre ses propres décisions au niveau fédéral. Le
18 Kosovo était représenté au niveau fédéral. Le représentant du Kosovo, à un
19 moment donné, était le président de l'Etat tout entier, et tels sont les
20 éléments liés à la souveraineté du pays qui ont été rejetés.
21 Le Kosovo n'a maintenu que l'autonomie en tant que telle. C'est comme cela
22 que l'on entend le terme aujourd'hui. C'est ainsi que c'est -- je crois que
23 des conclusions erronées ont été présentées ici à cet égard, à propos de
24 ces trois éléments. Donc, il n'est pas exact de dire qu'il n'y avait pas
25 une majorité des deux tiers. Il n'est pas exact de dire non plus que ceci
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1 ait représenté un rejet de l'autonomie. Et il n'est pas vrai non plus que
2 les délégués albanais se sont abstenus.
3 Q. Comment la Serbie était-elle définie -- se définissait-elle à
4 l'époque ?
5 R. Comme l'Etat de tous les citoyens.
6 Q. Cela suffit. Merci beaucoup. Autrement dit, tous les citoyens qui y
7 vivent ?
8 R. Oui.
9 Q. Il s'agit de l'Article 1 de la constitution ?
10 R. Oui.
11 Q. Etait-ce le cas également pour les autres républiques en Yougoslavie ?
12 R. L'Etat croate, par exemple, était l'Etat du peuple croate. Avant, il
13 s'agissait de l'Etat des peuples croates et serbes, et ensuite, on a mis de
14 côté les Croates. Tel était le cas dans d'autres régions également.
15 Ce qui était important, c'est qu'il s'agissait ici de l'Etat de tous
16 les citoyens, tous les citoyens qui y vivaient.
17 Q. Très bien. Vous souvenez-vous de l'adoption de l'amendement à la
18 constitution le 28 mars 1998. Lors de cette réunion, vous souvenez-vous qui
19 était assis à côté de moi au premier rang ?
20 R. Je ne m'en souviens pas. Je ne peux pas répondre à cette question. Je
21 ne sais pas.
22 Q. Alors, qui était le président de la présidence yougoslave à l'époque ?
23 Sinan Hasani ?
24 R. Oui. C'était le représentant du Kosovo.
25 Q. Est-il un Albanais de souche ?
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1 R. Oui, il est Albanais. Il était représentant du Kosovo. C'était un
2 exemple de ce que je disais précédemment, qu'en tant que représentant du
3 Kosovo et de l'Albanais, il était représentant de l'Etat.
4 Q. Nous pouvons voir ceci au niveau de la vidéo. Nous avons --toute cette
5 séance a été filmée. Mais votre réponse est suffisante. Merci.
6 Monsieur le Professeur, en 1990, étant donné que vous étiez vice-président
7 du Parti socialiste et un des participants et auteurs de ce programme du
8 Parti socialiste, pourriez-vous me dire si vous vous souvenez combien,
9 parmi les membres du Parti socialiste, étaient des non-Serbes, combien de
10 membres non-serbes y avait-il au sein du Parti socialiste ?
11 R. Cinquante mille environ étaient non-Serbes.
12 Q. Très bien. Pourriez-vous me dire quelle a été l'attitude, ou que
13 pouvait-on dire à propos de la question de l'égalité nationale en lisant le
14 programme du Parti socialiste ?
15 R. Vous souhaitez que je vous cite des extraits, que je vous réponde sur
16 le principe ? Je peux le faire très brièvement.
17 Q. Très brièvement.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur le Professeur, pourriez-
19 vous nous dire quel document vous citez, s'il vous plaît.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je lis ici un ouvrage intitulé Principes
21 fondamentaux, ou la plateforme politique du Parti serbe dont j'ai été
22 l'auteur. Il s'agissait de la plateforme politique utilisée par le Parti
23 socialiste, bien que je n'aie pas été membre pendant très longtemps.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous en êtes l'auteur. J'ai rédigé
25 un premier jet de ce programme politique, ensuite quelques corrections
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1 mineures y ont été apportées.
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous en prie, poursuivez.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y a un passage intitulé "Égalité
4 nationale."
5 "Les droits de l'homme sont les droits dont jouissent les citoyens de
6 certaines minorités. Les maîtres et les individus ont les mêmes droits
7 qu'une population majoritaire. De plus, les minorités nationales ont
8 également un certain nombre de droits collectifs reconnus sur la scène
9 internationale. Il s'agit de droit culturel, le droit de parler sa propre
10 langue, le droit de maintenir ses traditions, le droit de publier des
11 ouvrages de façon indépendante et d'autres activités dans leur propre
12 langue, y compris des événements culturels. Il ne s'agit pas ici
13 d'autonomie politique. Pour les minorités nationales, la représentation est
14 particulièrement importante au sein du gouvernement et au niveau local,
15 plus particulièrement, si on se repose sur les principe démocratiques
16 internationaux qui ont prévalu pendant des siècles et sur la base d'une
17 expérience de coexistence pacifique, les socialistes de Serbie s'engagent à
18 respecter le principe d'égalité entre les nations pour les citoyens de
19 Yougoslavie. Le Parti socialiste est un parti qui englobe tous les citoyens
20 de Yougoslavie qui acceptent ce programme, quelle que ce soit leur
21 appartenance ethnique."
22 Je passe maintenant à la page 75. J'y suis. "Dans les conditions de
23 démantèlement de l'ex Etat yougoslave, la partie socialiste de Yougoslavie
24 a opté en faveur d'une position de principe, disant que tous ses peuples et
25 tous ses citoyens se devaient d'être égaux en droit. En vertu du même droit
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1 à l'autodétermination des peuples, en vertu duquel les Slovènes, les
2 Croates, les Musulmans de Bosnie et les Macédoniens ont décidé de faire
3 sécession vis-à-vis de la Yougoslavie, le peuple serbe sur les territoires,
4 là où il est majoritaire, peut décider de sa volonté de rester dans un état
5 yougoslave commun."
6 Juste encore un passage, page 82. "La substance de notre politique au
7 Kosovo et Metohija se traduit par une égalité pleine et entière des
8 citoyens et des groupes ethniques. Les Albanais de là-bas ainsi que les
9 membres des autres minorités nationales se voient garantir tous les droits
10 politiques et culturels qui se trouvent être reconnus sur le plan
11 international. Entre autres, leur recours à leur propre langue, la
12 fréquentation de leurs écoles dans une langue maternelle, la culture des
13 traditions, le développement des institutions culturelles, des maisons
14 d'édition, des entreprises de presse, et cetera."
15 M. MILOSEVIC : [interprétation]
16 Q. Excusez-moi, Monsieur le Professeur, mais nous devons gagner du
17 temps et aller de l'avant.
18 Avez-vous connaissance, s'agissant de toute cette crise ayant
19 commencé en 1991 et s'étirant jusqu'à la fin des guerres en Bosnie et en
20 Croatie, il n'y a qu'en Serbie qu'il n'y a pas eu de changement de la
21 structure ethnique de la population ? Savez-vous, maintenant je vais
22 soulever cette question-là, savez-vous si quiconque, sur des bases
23 nationales, aurait persécuté en Serbie pendant tout le temps de cette crise
24 et tout le temps des guerres en Bosnie et en Croatie ?
25 R. Cela peut sembler être paradoxal compte tenu de toutes ces
Page 33459
1 accusations portant sur les persécutions des Croates de leur territoire,
2 les persécutions d'Albanais au niveau de leur territoire, mais personne n'a
3 été persécuté sur le territoire de la Serbie. La Serbie a la même structure
4 ethnique de nos jours que cela était le cas dans les années 1970 ou 1980.
5 Aucune autre république, par exemple, la Croatie qui a chassé les Serbes.
6 Le Kosovo où on a chassé les Serbes pratiquement en entier, il ne reste
7 plus que 3 ou 4 % de Serbes là-bas, à présent.
8 Il n'y a que très peu de Serbes qui sont restés dans les autres
9 républiques, alors que la Serbie a gardé la même structure ethnique.
10 Personne n'a été chassé. Très souvent il est venu des réfugiés en
11 provenance de Bosnie-Herzégovine, ainsi que de d'autres républiques. C'est
12 une chose qu'il importe de constater.
13 Q. Est-ce que les réfugiés étaient des réfugiés serbes ou des
14 Musulmans ?
15 R. Ils venaient également des Musulmans. Par exemple, là il y a eu
16 des régions en Bosnie-Herzégovine qui ont connu des conflits entre les
17 Croates et les Musulmans, et les Musulmans ont été nombreux à venir se
18 réfugier sur le territoire de la Serbie où ils ont pu rester là autant
19 qu'ils le voulaient. Certains sont allés au-delà vers l'Europe, certains
20 sont restés.
21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, puis-je
22 vous demander de combien de temps pensez-vous avoir besoin avec ce témoin-
23 ci.
24 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'espère terminer d'ici la fin de cette
25 session. Je vais me dépêcher, Monsieur Robinson.
Page 33460
1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, allez-y.
2 M. MILOSEVIC : [interprétation]
3 Q. Je vais citer. On m'accuse ici d'avoir été à la tête d'une entreprise
4 criminelle commune qui avait, dit-on, pour objectif la mise en place d'une
5 grande Serbie. Je vais vous citer le point 16 de l'acte d'accusation
6 portant sur le Kosovo. On dit que : "L'objectif de cette entreprise
7 criminelle commune était, entre autres, celui de chasser une grande partie
8 de la population albanaise du Kosovo, du territoire de cette province du
9 Kosovo, et ceci dans l'objectif d'assurer une maîtrise durable des Serbes
10 vis-à-vis de cette province."
11 Dans l'alinéa 6, pour ce qui est de l'acte d'accusation croate, on dit que
12 : "L'objectif de cette entreprise criminelle commune avait été celui
13 d'éliminer une partie de la population croate, d'un tiers de la population
14 du territoire croate, territoire qu'il avait envisagé faire partie d'un
15 nouvel état sous domination serbe et ceci par la perpétration de crimes
16 violant les dispositions," et cetera. "Il s'agit de territoires où les
17 autorités serbes sont mentionnées ou appelées district autonomes serbes, à
18 savoir SAO de la Krajina, SAO de la Slavonie occidentale, SAO de la
19 Slavonie, de la Baranja et du Srem occidental." Et ainsi de suite. On
20 mentionne aussi : "La République de la Krajina serbe, puis la République de
21 Dubrovnik." Attendez, écoutez bien, la République de Dubrovnik.
22 Pour finir du paragraphe 6 de l'acte d'accusation bosnien, on dit que
23 : "La finalité de cette entreprise était celle d'éliminer les non-Serbes à
24 savoir, les Musulmans et les Croates de grandes parties des territoires de
25 la Bosnie-Herzégovine," et cetera. "Ceci par la perpétration de crimes
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1 constituant des violations," et cetera.
2 Maintenant Professeur, --
3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, les interprètes
4 vous ont demandé de ralentir votre débit. Je vous prie de veiller à cela à
5 l'avenir.
6 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, je veillerai à la nécessité de lire plus
7 lentement.
8 M. MILOSEVIC : [interprétation]
9 Q. Professeur, vous avez entendu tout ceci. Avez-vous, à ce propos, une
10 position à formuler ?
11 R. De fait, tout ceci est faux. Pourquoi les Serbes chasseraient-ils des
12 Croates de Croatie s'ils ne les chassent pas de Serbie ? Pourquoi les
13 Serbes chasseraient-ils des Albanais du Kosovo s'ils ne chassent de
14 Belgrade ou d'autres parties de la Serbie ? Vous avez à Belgrade et dans
15 d'autres parties de Serbie beaucoup d'Albanais qui y résidaient et qui
16 travaillaient et qui n'ont souffert de rien. Cela est un fait. Ces
17 affirmations sont absurdes.
18 Q. Très bien, Professeur. La Serbie devrait constituer --
19 M. NICE : [interprétation] Je me permets d'interrompre encore une fois.
20 Deux commentaires. Le document que le témoin a lu, il a dit qu'il avait été
21 amendé par la suite, est, peut-être, la pièce 469, intercalaire 3 ou
22 intercalaire 4, mais il faudrait lui demander de remettre un exemplaire de
23 son texte pour vérifier que c'est bien cela.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il a dit qu'il était l'auteur de ce
25 document ?
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1 M. NICE : [interprétation] Oui. Il a dit qu'il en était l'auteur. Il a dit
2 qu'il a été amendé par la suite, mais je pense que ce sont ces deux
3 documents dont je parle, pièce 469, intercalaires 3 et 4 qui sont, peut-
4 être, une version identique ou des dérivés de la version lue par le témoin.
5 En tout cas, ceci peut être vérifié et on peut, au moins, jeter un coup
6 d'œil à ces documents.
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Nous demanderons au témoin de
8 remettre son texte.
9 Veuillez répondre à la question qui vous a été posée, Monsieur, je vous
10 prie.
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais quelle a été la question, excusez-moi ?
12 M. MILOSEVIC : [interprétation]
13 Q. Je vous ai donné lecture de certaines parties de ces actes
14 d'accusations disant que je me trouvais à la tête de l'entreprise
15 criminelle commune visant à chasser des Croates de Croatie, des Musulmans
16 de Bosnie, des Albanais du Kosovo, donc d'essayer de mettre en place une
17 Grande Serbie.
18 Si vous ne perdez pas de vue le fait qu'une grande partie de cette Grande
19 Serbie serait constituée par la République de Serbie elle-même, où il n'y a
20 pas eu d'expulsions du tout pendant toute la durée de la crise, comment
21 pouvez-vous pouvoir être logique que la Serbie soit l'instigateur de ces
22 expulsions pour ce qui est des territoires extérieurs à la Serbie ?
23 R. Cela me semble illogique et plutôt absurde. Pourquoi chasserait-on des
24 Albanais du Kosovo alors qu'on ne les chasse pas de la Serbie, et ainsi de
25 suite ? Je crois vous avoir déjà répondu à cette question.
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1 Q. Fort bien. S'agissant maintenant du Parti socialiste, Professeur
2 Markovic.
3 R. Oui.
4 Q. S'agit-il là d'un parti qui a été créé et qui est intervenu uniquement
5 sur le territoire de la République de Serbie ?
6 R. C'est exact.
7 Q. Y avait-il eu des tentatives d'enregistrer ce parti sur le territoire
8 de la Yougoslavie entière et quelle a été ma position ?
9 R. Oui. Cela s'est manifesté et j'ai estimé personnellement qu'il fallait
10 créer un Parti socialiste au Monténégro. J'ai été en corrélation avec des
11 personnes qui le souhaitaient là-bas, sur le territoire de la Republika
12 Srpska et de Krajina serbe. Vous avez été, de façon déterminée, contre ce
13 fait et je n'ai, d'ailleurs, jamais compris pourquoi vous avez été contre.
14 Il aurait été bon de créer un Parti socialiste là-bas aussi. Il s'est avéré
15 ultérieurement que cela aurait été bon.
16 Q. Attendez, le parti du SDA, le Parti de l'action démocratique d'Alija
17 Izetbegovic avait-il des ramifications en Serbie ?
18 R. Bien entendu que oui; dans le secteur de Raska, de Sandzak, de Novi
19 Pazar, là où il y a des Musulmans de Bosnie, cela s'est organisé également.
20 Q. Attendez, est-ce que le Parti démocratique serbe qui s'est créé dans la
21 Krajina et, notamment, en Bosnie-Herzégovine, avait, en Serbie, également
22 une organisation du SDS ?
23 R. Oui. Il en avait une et à la tête de cette branche-là, il y avait un
24 écrivain, un ami à moi, Smiljanic et Milos Miljanic qui est un professeur
25 de l'université.
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1 Q. Ont-ils pris part aux élections ?
2 R. Oui, ils ont pris part aux élections.
3 Q. Est-ce que leur position avait été celle de dire qu'ils se trouvaient
4 en opposition vis-à-vis du Parti socialiste de Serbie ?
5 R. Ils étaient dans l'opposition, c'est vrai.
6 Q. Ce soi-disant acte d'accusation essaye de placer une thèse disant qu'à
7 l'époque où j'étais président--
8 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président.
9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Nice.
10 M. NICE : [interprétation] Je demanderais à la Chambre de prendre en
11 considération si l'accusé interroge de façon appropriée ce témoin.
12 Pendant que je suis encore debout, je tiens à indiquer que j'ai
13 hésité avant de le faire, mais je convie la Chambre à réétudier dans quelle
14 mesure il est approprié d'autoriser à l'accusé de poser des questions en
15 donnant lecture de l'acte d'accusation et poser des questions de la sorte.
16 Je pense que cela ne saurait être admis.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous avez
18 entendu, M. le Procureur. Je vous demande de reformuler la question qui a
19 fait l'objet de cette objection et, à l'avenir, je vous demanderais
20 d'essayer de trouver une formulation, un langage autre. Je sais que vous
21 saurez le faire afin que cela soit approprié à ce procès. Gardez cela à
22 l'esprit, je vous prie.
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, vous m'avez suggéré, dans la
24 présentation de mes éléments de preuve, de me référer à l'acte
25 d'accusation.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non. Je ne me référais pas du tout à
2 cela. Je pensais et j'avais à l'esprit la manière suivant laquelle vous
3 faites référence à l'Accusation, vous dites : "le soi-disant acte
4 d'accusation" ou "le prétendu bureau du Procureur." Ce sont des
5 formulations qui ne sauraient être acceptables et je crois que les choses
6 doivent être absolument claires.
7 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien, Monsieur Robinson.
8 M. MILOSEVIC : [interprétation]
9 Q. On dit ici, d'une certaine façon, que j'avais exercé une sorte de
10 dictature. J'aimerais qu'on dise ici à combien de reprises, à quelle
11 fréquence, j'ai fait réexaminer, j'ai mis à l'épreuve ma légitimité en
12 organisant des élections. Savez-vous combien de fois j'ai organisé des
13 élections avant l'expiration de mon mandat ?
14 R. Je pense que jamais telle chose n'est arrivée nulle part. Nous avions,
15 à tout moment, des élections. Sans compter les élections préalables, parce
16 que je n'ai pas suivi cela moi-même pour ce qui est de la Ligue des
17 communistes de Serbie, mais vous avez été élu en 1990, puis en 1992 déjà,
18 en dépit du fait que vous auriez pu attendre quatre ans.
19 Q. Cinq ans.
20 R. Oui, cinq ans. Vous avez organisé en 1992 de nouvelles élections où M.
21 Panic a essayé de reprendre de vos mains les fonctions de président et il a
22 perdu avec une grande majorité. En 1996, il y a eu de nouvelles élections
23 et, par la suite, vous êtes devenu président de la République fédérale. Une
24 fois de plus, en l'an 2000, vous avez procédé à des élections avant le
25 délai imparti, le délai prévu.
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1 Q. Mais avez-vous connaissance de quelqu'un qui aurait exercé un pouvoir
2 autoritaire et qui aurait organisé des élections à cette fréquence ?
3 R. Bien non. Bien sûr que non. Tito était un dictateur un peu, en quelque
4 sorte, humaniste et il était bien plus humain pour ce qui est des
5 dictateurs tels que Staline, sans parler de Hitler, mais Tito, de sa vie, a
6 intégré à la constitution une disposition aux termes de laquelle il était
7 président de la République à vie. Partant d'une tradition où il n'y avait
8 pas d'élections aux fonctions de président du tout, on en est venu à
9 procéder à des élections pour la présidence de la République à tout bout de
10 champ. Il n'est point à s'étonner de voir le peuple en avoir assez des
11 élections. Ils sont bien nombreux à sortir, à voter, à sortir, enfin, à se
12 présenter aux urnes pour voter qu'avant. Mais vous, vous vous êtes adressé
13 à la population pour une confirmation à votre poste ou pas.
14 Q. Mais savez-vous nous dire, si oui ou non, le Parti socialiste avait
15 disposé d'une majorité au sein du parlement de la Serbie ?
16 R. Non, il n'avait pas la majorité. C'était le parti le plus grand, mais
17 il n'avait pas 50 % des votes et il fallait faire des coalitions. Il a été
18 procédé à des coalitions avec la Démocratie populaire de Dusko Mihajlovic.
19 Puis avec le Parti radical serbe par la suite, ensuite, il y a eu une sorte
20 de coalition, au niveau fédéral, avec le SPO, le Mouvement du renouveau
21 serbe, puis avec le Parti monténégrin. Mais cela, c'est déjà conforme à
22 l'organisation fédérale et il fallait que le parti le plus puissant du
23 Monténégro y prenne part. Il y avait une coalition avec le Parti populaire
24 serbe.
25 Q. Bien. Dites-moi, est-ce que j'avais toujours pour position de convier
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1 les autres partis parlementaires y compris l'opposition, pour ce qui est
2 d'essayer de créer un gouvernement d'union nationale ?
3 R. Oui. Il y a eu des situations difficiles où des propositions de cette
4 nature ont été faites, et où vous vous êtes entretenu avec les dirigeants,
5 avec Draskovic, Djindjic, et autres. Cela je le sais, par contre, il n'a
6 jamais été créé un gouvernement de la sorte, du moins, n'en aie-je pas été
7 au courant.
8 Q. Bon. Est-il exact de dire qu'au niveau fédéral, quoi que la majorité au
9 parlement revenait au parti socialiste et au DPS du Monténégro, le premier
10 gouvernement de la RFY était constitué par des membres qui étaient opposés
11 au parti socialiste et il était présidé, notamment, par Milan Panic ?
12 R. Oui. Milan Panic était le premier ministre. C'est vous qui l'avez
13 convié à venir pour essayer ou tenter sa chance aux élections, et il est
14 devenu par la suite premier ministre.
15 Mais j'ai mentionné Vuk Draskovic qui est actuellement ministre des
16 Affaires étrangères. A un moment donné, il a été membre de ce gouvernement
17 de coalition au niveau fédéral.
18 Q. Bien. Comme vous le savez, certains événements ont eu lieu au sein du
19 parti socialiste de Serbie que je présidais, et il ne fut aucun doute que
20 j'étais la personnalité la plus en vue du parti, à une certaine époque,
21 mais est-ce que je me suis mêlé de la solution interne, de ces problèmes
22 internes du parti socialiste de Serbie, et si oui, dans quelle mesure ?
23 Comment est-ce qu'étaient élus les dirigeants du parti socialiste de
24 Serbie ? Dans quelle mesure est-ce que j'influais sur ces décisions ?
25 Avions-nous entre nous des relations démocratiques, ou était-il uniquement
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1 question d'un comportement autoritaire ? Vous le savez bien à l'époque.
2 R. Voilà comment cela se passait. En 1990, au moment du premier congrès,
3 il y a déjà eu des élections au sein du parti pour le comité central, et
4 une certaine influence a été exercée par les membres du comité central qui
5 venaient des instances locales. Mais en 1992, et moi j'étais encore
6 présent, les élections ont été beaucoup plus démocratiques car les
7 propositions de candidatures venaient des organisations de base, des
8 organisations locales. C'est à partir de ces propositions de candidatures
9 que des élections avaient lieu au congrès, et ce sont ces élections qui
10 permettaient de nommer les dirigeants. Donc je ne sais quelle a été la
11 situation par la suite, mais à l'époque c'était ainsi.
12 Maintenant, s'agissant d'une éventuelle ingérence de votre part, et bien,
13 vous aviez confiance, d'ailleurs quelquefois trop à mon avis, vous aviez
14 confiance dans vos collaborateurs, et vous ne vous mêliez absolument pas de
15 leur travail. Je dirais également qu'il est arrivé parfois que certaines
16 choses se fassent qui étaient contraire à votre volonté. Par exemple, vous
17 vouliez que le maire de Belgrade soit Perucic, or c'est Slobodanka Gruden
18 qui a été élu. Vous n'en avez pas été satisfait, mais c'est ce qui s'est
19 passé. Vous souhaitiez également que l'hymne de la Serbie soit Hej Sloveni.
20 Le comité central estimait qu'il ne fallait pas que l'hymne soit le même
21 pour la Yougoslavie et pour la Serbie, et a décidé que ce soit Marche de la
22 Drina qui devienne l'hymne de la Serbie. Donc il y a eu des occasions de ce
23 genre --
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. La réponse est
25 suffisante. Pouvez-vous poser une autre question, Monsieur Milosevic, je
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1 vous prie.
2 M. MILOSEVIC : [interprétation]
3 Q. Professeur, avez-vous eu l'occasion de lire l'intégralité de l'acte
4 d'accusation qui a été dressé contre moi en cette enceinte ?
5 R. J'ai lu les trois volets de l'acte d'accusation, et je dois dire, et je
6 le dis de la façon la plus catégorique qui soit, que bien entendu chacun
7 peut avoir quelques faiblesses et peut être critiquable. En 1992,
8 d'ailleurs, je vous ai critiqué au comité central, mais je pense que vous
9 n'êtes nullement responsable de la guerre qui a éclaté sur le territoire de
10 l'ex-Yougoslavie. Je pense que vous n'avez absolument aucune responsabilité
11 vis-à-vis de cela.
12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je crois que la question qui vous
13 était posée, Professeur, était très simple : Avez-vous lu l'acte
14 d'accusation ?
15 Pouvez-vous répondre à cette question.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien entendu, je l'ai lu. Je ne saurais rien
17 en dire si je ne l'avais pas lu.
18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] On ne vous demandait pas de
19 commentaires au sujet de ce texte. On vous demandait simplement si vous
20 l'aviez lu.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai cru comprendre qu'il me demandait ce que
22 j'en pensais, pas seulement si je l'avais lu.
23 M. MILOSEVIC : [interprétation]
24 Q. Vous m'avez répondu en disant que vous l'aviez lu, n'est-ce pas ?
25 R. Oui.
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1 Q. Maintenant répondez à la question suivante : Y a-t-il un seul mot de
2 vrai dans l'acte d'accusation dressé par l'Accusation ?
3 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, ceci doit absolument être
4 considéré comme une question absolument inacceptable. M. LE JUGE ROBINSON :
5 [interprétation] Veuillez poser une autre question --
6 M. NICE : [interprétation] Imaginez si moi j'avais posé une question de ce
7 genre à l'un quelconque des témoins de l'Accusation. Avec cette question,
8 il dépasse les limites et empiète sur les compétences des Juges.
9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Question suivante, Monsieur
10 Milosevic.
11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson --
12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] -- je crois que vous arrivez à la
13 fin de vos questions en ce moment.
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'arrive tout à fait aux termes de mes
15 questions. Je vous pose la question suivante, Professeur.
16 M. MILOSEVIC : [interprétation]
17 Q. Y a-t-il quelque chose dans cet acte d'accusation dont vous pourriez
18 confirmer qu'il s'agit d'une vérité ?
19 R. Je ne peux pas confirmer cela et je considère que vous n'êtes pas
20 responsable de l'éclatement de la guerre. En dehors de tout ce que j'ai
21 déjà évoqué en présence notamment de toutes ces tensions irrédentistes --
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous ai coupé la parole,
23 Professeur.
24 Monsieur Milosevic, avez-vous atteint le terme de votre interrogatoire ?
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je dois --
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si vous n'avez pas d'autres
2 questions acceptables à poser, M. Nice entamera son contre-interrogatoire.
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Mais j'ai quelque chose à vous demander. Vous
4 rappelez-vous combien de fois ici nous avons entendu la question suivante
5 adressée à un témoin, y a-t-il un mot de vrai dans ce qu'affirme l'accusé ?
6 Vous rappelez-vous cela ?
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce n'est pas à vous de me poser des
8 questions. Posez une autre question.
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Si vous n'autorisez pas que réponse soit faite
10 à cette question, je vais poser une autre question au témoin.
11 M. MILOSEVIC : [interprétation]
12 Q. Professeur, d'après vous, quelle est la motivation qui a présidé à la
13 rédaction de cet acte d'accusation ?
14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, et absolument non. Je vais vous
15 interrompre. Si vous poursuivez des objectifs qui n'ont rien à voir avec le
16 procès, ces objectifs ne seront pas servis par l'interrogatoire principal.
17 Il va vous falloir trouver d'autres moyens de servir ces fins.
18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bien. Bien. Merci, Professeur.
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice.
20 M. NICE : [interprétation] Si je suis autorisé --
21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Avant que vous ne procédiez,
22 Monsieur Nice, je crois que des questions liées aux pièces à conviction
23 doivent être réglées.
24 M. NICE : [interprétation] Oui. D'ailleurs je souhaitais simplement appeler
25 l'attention du témoin [comme interprété] à moins qu'il ne s'en soit pas
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1 rendu compte que certains documents qui nous avaient été distribués à
2 l'avance n'ont pas été utilisés au cours de sa déposition.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous demande un instant, si vous le
4 voulez bien.
5 M. NICE : [interprétation] Certainement.
6 [La Chambre de première instance se concerte]
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous nous occuperons des pièces à
8 conviction à la fin de l'intégralité de la déposition, car il est possible
9 que vous vous serviez de certaines de ces pièces. M. NICE :
10 [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne pense pas que ce soit bon que
12 vous commenciez le contre-interrogatoire ce soir.
13 En revanche, j'aimerais poser une question au professeur. Dans la
14 première partie de l'interrogatoire principal, on vous a interrogé au sujet
15 de la Slovénie. On vous a demandé ce qui avait provoqué le mouvement de la
16 Slovénie vers la sécession, et vous avez répondu en comparant le niveau de
17 développement de la Slovénie à celui des autres républiques. Si je vous ai
18 bien compris, vous avez déclaré que la Slovénie était la république la plus
19 développée, mais il y a un point que je n'ai pas tout à fait bien compris.
20 Est-ce que vous souhaitiez entendre que ceci constituait un facteur
21 expliquant l'aspiration à la sécession de la part de la Slovénie, ce fait
22 que la Slovénie était plus développée que les autres républiques ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y a deux raisons qui ont motivé leurs
24 désirs de sécession : D'abord, le fait que la Yougoslavie était devenue un
25 état de plus en plus chaotique grâce à la Constitution de 1974, puisque
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1 plus rien ne pouvait se résoudre au niveau fédéral en raison du fait que
2 chacune des républiques et chacune des régions autonomes bénéficiaient du
3 droit de veto. Par exemple, le représentant slovène au niveau fédéral était
4 Krajger, et il a mis en place une commission censée régler la crise
5 économique, la crise politique et la crise intégrale de système qui était
6 l'attente. Or, les conclusions de cette commission ont été adoptées sans
7 problème. Mais lorsque l'examen de ce texte a été fait par l'Assemblée au
8 côté d'un certain nombre de lois, tous ces projets de lois ont été refusés
9 parce que chaque fois l'une ou l'autre des républiques usait de son droit
10 de veto, on a bien constaté que plus rien ne fonctionnait. J'ai parlé de la
11 maison qui s'écroulait. Il n'y a aucun état qui aurait pu survivre s'il
12 avait eu la constitution mise en place par Tito en 1974.
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] La deuxième raison, maintenant, je
14 vous prie.
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. La deuxième raison est la suivante : Il
16 existait un fonds de développement destiné aux régions les moins
17 développées du pays, et cela signifiait que les républiques les plus
18 développées, à savoir, la Slovénie, la Croatie, et la Serbie devaient sans
19 arrêt mettre de côté certaines sommes d'argent qu'il convenait d'investir
20 dans les régions les moins développées du pays, à savoir, la Bosnie-
21 Herzégovine, le Monténégro, la Macédoine, et le Kosovo. Donc, la Slovénie
22 devait dépenser des sommes importantes tous les ans pour financer ce fonds
23 destiné aux régions les moins développées. La Slovénie était très
24 mécontente à cet égard et a décidé tout simplement de partir.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien. Donc une raison était
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1 politique et l'autre économique.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est cela.
3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous suspendons jusqu'à demain
4 matin. Nous reprendrons nos débats demain, à 9 heures.
5 --- L'audience est suspendue à 18 heures 50 et reprendra le mercredi 17
6 novembre 2004, à 9 heures 00.
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