Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 11 janvier 2005

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 03.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, je vous demande

6 de citer votre témoin pour entamer cette année.

7 Monsieur Nice.

8 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, juste deux petites choses

9 que je voudrais dire. Tout d'abord, la Chambre doit forcément se rappeler

10 au sujet de deux témoins, que l'Accusation a soulevé un argument potentiel

11 au terme duquel ils ne devraient pas à être cités tous les deux, étant

12 donné que l'un constitue la répétition de l'autre, et je ne sais pas si la

13 Chambre a déjà annoncé sa décision à ce sujet.

14 Le deuxième point que je voulais soulever c'est que ces témoins vont parler

15 français, et compte tenu de ces circonstances, ils seront contre-interrogés

16 par le Procureur en chef. Je vous en informe.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci Monsieur Nice. Nous allons

18 traiter de la question soulevée plus tard.

19 Monsieur Milosevic à vous.

20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je cite à comparaître le témoin suivant, Eve

21 Crépin.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que le témoin est en train de

23 voyager depuis la France à ici ? Est-ce que le Greffier d'audience peut

24 aller voir ce qui se passe ?

25 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Que le témoin nous prononce sa

2 déclaration solennelle.

3 LE TÉMOIN : Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la

4 vérité et rien que la vérité.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez vous asseoir.

6 Vous pouvez y aller Monsieur Milosevic.

7 LE TÉMOIN: EVE CRÉPIN [Assermentée]

8 Interrogatoire principal par M. Milosevic :

9 Q. [interprétation] Bonjour, Mademoiselle Crépin. Je voudrais que vous

10 nous disiez quelles sont vos qualifications professionnelles et les

11 activités auxquelles vous avez vaqué, mais je vous demande aussi d'être

12 brève.

13 R. [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président.

14 [en français] J'ai un diplôme d'infirmière. C'est un métier que j'ai

15 choisi d'exercer par vocation. J'ai choisi de l'exercer dans l'armée afin

16 de participer à des missions dans l'urgence et dans l'action humanitaire.

17 En effet, toute ma carrière, je l'ai consacrée à des services d'urgence et

18 de réanimation.

19 J'ai également d'autres passions qui sont la littérature et l'histoire.

20 J'ai une maîtrise de lettres modernes et je suis actuellement en docte

21 d'histoire. J'ai rédigé deux ouvrages sur l'ex-Yougoslavie, et je prépare

22 actuellement un mémoire sur la République serbe de Krajina.

23 Q. Comment en êtes-vous venue à vous trouver sur le territoire de l'ex-

24 Yougoslavie ?

25 R. J'ai tout d'abord été amenée à intervenir avec les Casques bleus en ex-

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1 Yougoslavie, une première mission en 1994 en Bosnie et à Sarajevo, puis une

2 deuxième mission la même année en Krajina. Ensuite, je suis retournée à

3 plusieurs reprises en Croatie et en Krajina, en Bosnie et au Kosovo en tant

4 que membre d'associations humanitaires. En effet, je me suis engagée auprès

5 de deux associations humanitaires : l'association humanitaire Krajina,

6 fondée par Bucan, et l'association Téléobjectif, fondée par Marica Mathei.

7 Je suis allée aider ces populations en tant qu'infirmière, mais j'étais

8 consciente que l'aide matérielle que je pouvais apporter était

9 insuffisante. Aussi, j'ai voulu, dès 1994 et tout au long de l'année,

10 témoigner de ce que j'avais vu. J'ai participé à deux types

11 d'organisations, l'organisation de soins et d'aide humanitaire,

12 organisation humanitaire Krajina, et également des organisations

13 d'évaluation des besoins d'informations et de recueils de témoignages,

14 comme l'association Téléobjectif. J'ai également été membre du bureau de

15 représentation de la République serbe de Krajina. J'ai écrit, comme je

16 disais précédemment, deux ouvrages : "On assassine un peuple, les Serbes de

17 Krajina" et "Le témoignage sur la Serbie," et plusieurs articles.

18 J'ai également participé à divers voyages avec la télévision nationale

19 française FR3, qui ont effectué avec moi divers reportages en Bosnie. J'ai

20 participé à beaucoup de réunions d'information en France, notamment, au

21 centre culturel yougoslave et à la mairie du

22 9e Arrondissement. J'ai participé enfin à différentes manifestations de

23 protestation contre l'indifférence vis-à-vis des souffrances du peuple

24 serbe qui étaient constamment diabolisées. Alors tous ces voyages m'ont

25 emmenée en ex-Yougoslavie à divers moments-clés de la guerre en ex-

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1 Yougoslavie, donc la Croatie, la Bosnie en 1994 et 1995, le Kosovo juste

2 avant les frappes de l'OTAN en 1998, et la Serbie durant les frappes de

3 l'OTAN en 1999.

4 Q. Merci. Vous avez fait partie de ces effectifs des forces de paix des

5 Nations Unies en 1994 déjà; et si j'ai bien compris partant de ce que vous

6 avez dit, cela n'a pas été la première fois où vous avez été appelée à

7 intervenir dans le cadre de la FORPRONU.

8 R. Tout à fait. J'ai tout d'abord effectué une mission en Bosnie en 1994 à

9 Sarajevo. Je suis arrivée, en fait, à Sarajevo juste après le bombardement

10 du marché Markale. Le commandement de la FORPRONU était alors sous le

11 commandement du général Sir Michael Rose. Nous avions en charge les forces

12 françaises et, en outre, nous devions également prendre en charge les

13 besoins sanitaires de la population. Je me suis en particulier investie

14 dans le soutien logistique d'un orphelinat sous la forme d'actions

15 concrètes de collecte de produits de première nécessité dont il manquait

16 cruellement. J'ai également effectué le convoyage de malades vers les

17 hôpitaux notamment vers des centres d'hémodialyses. Voilà ce qui m'a

18 conduite de prendre en charge les populations de Sarajevo.

19 Q. Veuillez m'indiquer, je vous prie, qu'est-ce qui a laissé les

20 impressions les plus profondes s'agissant de vous-même, pendant votre

21 séjour en Bosnie-Herzégovine.

22 R. Les attaques des Musulmans contre la force FORPRONU avaient beaucoup

23 marqué les militaires et les inquiétaient beaucoup. En effet, nous savions

24 que beaucoup de Casques bleus avaient été tués par des snipers musulmans et

25 beaucoup de militaires à Sarajevo parlaient du caporal Marot et du sergent

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1 Verdet, qui avaient été tués en 1992 par des snipers musulmans. Tous les

2 militaires sur le terrain savaient qu'il s'agissait de tirs musulmans, et

3 ce qui m'a donc le plus frappé, c'est ce qu'en ont dit les médias; les

4 médias qui faisaient porter la responsabilité de ces morts aux Serbes,

5 alors que tous les militaires qui soient français ou étrangers sur le

6 terrain au regard des statistiques balistiques savaient pertinemment que

7 les tirs provenaient des Musulmans. De la même manière, le marché Markale 1

8 était le fait des Musulmans selon les officiers en place sur le terrain et

9 tous les militaires sur le terrain.

10 De la même manière, quand je suis arrivée dans la poche de Bihac,

11 lors de ma deuxième mission, les Casques bleus étaient tout aussi indignés

12 des tirs musulmans. Le brigadier chef du brûlis venait d'être tué en mars

13 1994 et cela avait profondément marqué les militaires.

14 Q. Dites-moi maintenant quelque chose au sujet de votre mission dans le

15 cadre des Casques bleus de la Krajina. Quelles sont les impressions qui ont

16 été les vôtres pendant vos séjours dans la Krajina ?

17 R. En 1994, j'ai été affectée au 1er Bataillon d'Infanterie de la force de

18 protection des Nations Unies basé à Drina, au sein de l'antenne

19 chirurgicale. Comme l'activité, au profit du Bataillon français été peu

20 importante, j'ai participé à des consultations médicales itinérantes au

21 profit des villages et des fermes isolées de la région. J'ai participé

22 également à l'activité anesthésique du bloc opératoire de l'hôpital de

23 Drina, à la demande du médecin-chef, le Dr Chinevic [phon], avec l'accord

24 de ma hiérarchie, bien sûr. J'ai en outre participé à toutes ces réunions

25 d'information qui étaient organisées par la FORPRONU à cette époque, ce qui

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1 m'a permis de rencontrer beaucoup de militaires français et étrangers et

2 qui avaient notamment été témoins des actions précédentes notamment dans la

3 poche de Medak en 1993.

4 Q. Veuillez m'indiquer sur quoi se fondent les connaissances qui sont les

5 vôtres au sujet de la Krajina à l'époque ?

6 R. J'ai effectué, durant ce temps, beaucoup de déplacements sur toute la

7 République serbe de Krajina, mais également en Bosnie dans la poche de

8 Bihac, à Velika Kladusa, notamment, avec une amie de Fikret Abdic. J'ai

9 effectué également des déplacements dans tout le reste de la Croatie. J'ai

10 rencontré beaucoup de réfugiés serbes chassés des régions de Croatie,

11 beaucoup de gens qui avaient pu fuir les exactions des forces croates et

12 j'ai pu discuter avec énormément de militaires qui organisaient des

13 réunions et qui connaissaient parfaitement bien la situation en Krajina

14 depuis 1992.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, puis-je dire que

16 la façon dont le témoignage est fourni n'est pas très utile pour le procès

17 qui est le vôtre ? Vous devriez essayer de lui demander de centrer sur des

18 faits, des situations spécifiques et essayer de procurer un témoignage de

19 sa part qui serait pertinent concernant votre affaire. Là, il est question

20 d'attaques générales de la part de Musulmans contre les Serbes, mais il n'y

21 a pas de faits spécifiques affairant à cette situation concernant les

22 témoignages qui devraient se faire pertinents au sujet de votre affaire.

23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Le témoin a déjà mentionné les noms des membres

24 des forces françaises qui ont été tuées par des snipers musulmans. Je

25 suppose que la chose est tout à fait concrète mais je m'efforcerai, pour ma

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1 part, conformément à ce que vous venez de me dire, de centrer mes questions

2 sur les points qui nous intéressent.

3 M. MILOSEVIC : [interprétation]

4 Q. Dites moi : Mademoiselle, comment la population de la Krajina a-t-elle

5 vécue les difficultés auxquelles elle a dû faire face ?

6 R. Les Serbes de Krajina étaient véritablement terrorisés. Ils étaient

7 épuisés, découragés de ce qu'ils vivaient depuis de nombreuses années. Ils

8 étaient très inquiets de la situation qui s'était aggravée au fils du

9 temps. Ils se sentaient abandonnés de tous. Personne ne venait à leur

10 secours. Ils avaient également tous en mémoire, la Seconde guerre mondiale,

11 qui avait une importance considérable pour eux. Ils parlaient quasiment

12 quotidiennement du massacre de Dinac, qui avait eu lieu dans l'église de

13 Dinac, par les Oustachi. C'était vraiment quelque chose qui les

14 terrorisait. Ils étaient vraiment très inquiets, ils étaient épuisés et se

15 sentaient abandonnés par la toute la communauté internationale.

16 M. NICE : [interprétation] Messieurs les Juges, permettez-moi d'enchaîner

17 sur ce que vous avez dit tout à l'heure. Le temoin, à mon avis, est en

18 train de relater de rumeurs dont elle a eu vent suite à des événements

19 concrets mais de façon assez générale. Nous estimons que cela ne peut

20 influer sur le jugement que vous allez porter. Elle est entrain de parler

21 des gens qui ont parlé de certains événements. Il n'y a pas de règles

22 interdisant la narration d'événements de deuxième main, mais il faudrait

23 des bases concrètes pour étayer ce que le témoin a dit.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Monsieur Nice. J'ai déjà dit

25 à M. Milosevic de demander au témoin de se centrer sur des situations de

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1 faits spécifiques. Il est vrai que nous admettons ici des récits de

2 deuxième main concernant des événements qui se sont produits mais il ne

3 peut être attribué un très grand point à ce type de témoignage au sujet des

4 événements relatés de deuxième main.

5 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, je tiens à vous dire que le

6 témoin n'est pas en train de témoigner au sujet d'événements de deuxième

7 main. Elle est en train de nous parler de la façon dont la population a

8 vécu certains événements et de nous dire comment elle a vu les choses. Elle

9 est en train de parler de la situation, des circonstances et des peurs

10 qu'elle a constaté personnellement et des appréhensions qui ont leurs

11 origines dans le passé. Mais je vais poser des questions concrètes, certes.

12 M. MILOSEVIC : [interprétation]

13 Q. Veuillez m'indiquer, je vous prie, Mademoiselle, ce qui a laissé

14 entendre à cette population là-bas que des événements analogues aux

15 événements de Glina pourraient se réitérer.

16 R. Arrivé au pouvoir en mai 1990, Franjo Tudjman a repris les aspirations

17 du régime fasciste. Il déclara notamment que l'état de Pavelic n'était pas

18 le fruit de la guerre, mais l'expression des aspirations séculaires du

19 peuple Croatie. Il multiplia les événements pour terroriser les Serbes. Les

20 criminels de guerre du régime oustachi sont revenus à Zagreb. Les honneurs

21 leur ont été rendus. Le ministère de l'Intérieur créa des milices pour

22 semer la terreur dans les différentes régions peuplées majoritairement de

23 Serbes. Il multiplia vraiment les événements qui pouvaient terroriser les

24 Serbes.

25 Q. Avez-vous eu vous-même l'occasion de vous rendre compte de certains

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1 événements qui traduiraient des comportements violents à l'égard de

2 Serbes ?

3 R. La population croate, notamment, à Zagreb, où je suis allée à plusieurs

4 reprises, était très agressive envers les Serbes. Elle était également

5 agressive envers les Casques bleus qui étaient accusés d'empêcher

6 l'invasion de la Krajina. Nos voyages étaient vraiment faits avec beaucoup

7 de prudence en tant que Casques bleus, et nous étions vraiment pris à

8 partie comme les ennemis du peuple croate, empêcher que -- enfin les

9 Croates que nous empêchions d'envahir à nouveau la Krajina. Il y avait

10 vraiment une agressivité que je ne comprenais vraiment pas au vu de la

11 situation de la Krajina où Serbes et Croates vivaient tout à fait

12 sereinement ensemble.

13 Q. De quelles attaques de la part des Croates êtes-vous en train de nous

14 parler ? Quel type d'attaques ?

15 R. Je parle des exactions croates qui ont eu lieu en 1992 et 1993 en

16 Krajina, alors que la Krajina était zone de protection de l'ONU. Les

17 attaques notamment sur la place de Biljevaca, en juin 1992, Ravni Kotor,

18 Rima [phon] et Zenica en janvier 1993, et la poche de Medak en septembre

19 1993, là où des Serbes ont été torturés et exécutés par les forces croates,

20 alors que cette zone était sous protection de l'ONU. Les Serbes de Krajina

21 avaient évidemment en mémoire tous ces massacres. Les militaires en

22 parlaient également beaucoup lors des réunions. D'ailleurs, ils espéraient

23 que leur présence empêcherait de nouveaux massacres, ce qui n'a pas été le

24 cas, nous le verrons peut-être plus tard.

25 Q. Vous avez travaillé à l'hôpital. Pouvez-vous nous donner des exemples

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1 pour illustrer quelle a été l'attitude adoptée à l'égard de la population

2 non-serbe dans la Krajina ?

3 R. D'abord, les Serbes et les Croates travaillaient ensemble comme ils le

4 faisaient depuis des années, et comme ils l'avaient fait avant la guerre.

5 Il n'y avait rien changé à ces habitudes. Leur amitié et leur respect

6 mutuel n'avaient absolument pas été modifiés par la guerre. Tous

7 travaillaient de concert dans l'hôpital, et tous travaillaient également de

8 concert au profit de toutes les populations. Qu'ils soient Serbes, Croates

9 ou Musulmans, tous ces patients étaient pris en charge avec la même

10 disponibilité, le même professionnalisme et le même dévouement.

11 Je me souviens d'un jour où une femme enceinte musulmane bénéficia de tout

12 le stock restant de sang, alors que sous embargo, l'hôpital de Glina était

13 vraiment en manque de beaucoup de choses, notamment de poches de sang. Ce

14 jour-là, je pense que les Serbes ont fait la preuve de leur soutien à

15 toutes les populations qui venaient à l'hôpital. Beaucoup de Musulmans de

16 la poche de Bihac venaient à l'hôpital de Glina se faire soigner, et tous

17 ont été reçus de la même manière et soignés de la même manière. Il n'y a

18 jamais eu de la discrimination envers quiconque.

19 Q. De quel hôpital sommes-nous en train de parler ici ?

20 R. L'hôpital de Glina en Krajina.

21 Q. Combien de temps avez-vous travaillé dans cet hôpital ?

22 R. J'ai travaillé trois mois lors de ma mission en tant que Casque bleu.

23 Je suis retournée ensuite tous les deux à trois mois, environ une quinzaine

24 de jours, jusqu'à la chute de la Krajina en août 1995. J'ai vraiment

25 travaillé très longtemps dans l'hôpital. J'ai vraiment vécu au sein de la

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1 population. J'ai participé à beaucoup d'événements de leur vie quotidienne,

2 et j'ai vraiment vécu ce qu'eux vivaient durant la guerre.

3 Q. Veuillez m'indiquer, étant donné que vous êtes en train de parler d'une

4 expérience assez longue, avez-vous eu connaissance d'un cas de

5 discrimination quelconque vis-à-vis de la population non-serbe, ou quelques

6 cas où des Serbes de la Krajina auraient chassé un Croate ou un Musulman

7 par un non-Serbe. D'une manière générale, vous avez vécu avec ces gens-là.

8 Avez-vous quelque exemple que ce soit de ce type, quelque exemple de

9 discrimination que ce soit auquel vous auriez assisté ?

10 R. Jamais, jamais. Tout ce qu'on a pu dire sur la haine des Serbes envers

11 les populations non-serbes est un pur mensonge. Ils ont -- je répète, ils

12 ont soigné, ils ont hébergé des Croates comme des Musulmans, enfin des

13 Croates qui étaient chez eux et des Musulmans de la poche de Bihac, de la

14 même manière que les patients serbes. D'ailleurs, à ce propos, le président

15 Milan Martic avait donné des consignes très, très claires à tous les

16 policiers. Tout acte de violence, même minime envers un Croate ou un

17 Musulman, devait être puni sévèrement. Même au sein du gouvernement de la

18 République serbe de Krajina, les consignes étaient claires. Il n'y avait

19 aucune possibilité d'être -- de ce type d'événements. Vraiment, je le

20 répète, je n'ai jamais, jamais, jamais assisté, même dans les propos qui

21 étaient tenus par les Serbes, à de la violence quelconque. Jamais. Leur

22 amitié n'avait pas été modifiée par la guerre. Ils étaient amis avant. Les

23 couples étaient mixtes. Il y avait des couples mixtes croates et serbes.

24 Les Serbes de Krajina avaient beaucoup d'amis dans la poche de Bihac parmi

25 les Musulmans. Tout cela n'a pas été modifié. Nous avons même continué à

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1 aller dans la poche de Bihac pour aider justement les amis des Serbes de

2 Krajina, qui étaient en Krajina, et pour leur apporter de l'aide dont ils

3 avaient besoin.

4 Q. Veuillez m'indiquer à présent ce qui suit. Lorsque votre mission dans

5 le cadre des Casques bleus a pris fin, pourquoi avez-vous décidé de

6 retourner dans la Krajina ? Vous venez de le mentionner, vous avez terminé

7 votre mission, et vous êtes revenue là-bas. Pourquoi ?

8 R. J'ai passé plusieurs mois en tant que Casque bleu en Krajina. A

9 l'issue, j'avais vraiment la sensation que la situation allait s'aggraver.

10 En effet. Premièrement, la diabolisation des Serbes était croissante quand

11 je suis rentrée en France. Les médias continuaient à donner une vision

12 manichéenne de la situation, avec les Serbes dans le camp du mal et tous

13 les autres dans le camp du bien. Cela ne correspondait évidemment pas à ce

14 que j'avais vu en Krajina.

15 D'autre part, l'agressivité des Croates envers les Serbes était croissante.

16 Les ministères de la FORPRONU avaient également cette analyse. Eux-mêmes

17 disaient qu'ils croyaient à une attaque prochaine de l'armée croate envers

18 la Krajina, d'autant qu'en 1992 et 1993, comme je l'ai déjà dit, diverses

19 attaques avaient été perpétrées contre les Serbes, bien que la zone a été

20 sous protection de l'ONU. Donc, ils n'excluaient absolument pas une

21 nouvelle attaque de la part des forces croates.

22 J'ai décidé de retourner là-bas pour poursuivre mon action. Je me suis mise

23 en contact -- en plus -- bon, il n'y avait aucune organisation humanitaire.

24 Au vu de l'aggravation dont je viens de parler, j'étais certaine qu'aucune

25 organisation humanitaire n'irait dans la zone pour aider la population. Je

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1 me suis mise en contact avec l'association humanitaire Krajina, et un peu

2 plus tard avec l'association de Téléobjectif. C'est dans ces conditions que

3 je suis retournée à plusieurs reprises jusqu'en août 1995 en Krajina.

4 Q. Dites-moi : quelles ont été vos activités dans cette période de juin

5 1994 à août 1995 ? Autrement dit, dans quelles conditions avez-vous rempli

6 ces activités ?

7 R. De juin 1994 à août 1995, j'ai travaillé régulièrement à l'hôpital de

8 Glina, au sein du bloc opératoire. J'ai également visité à plusieurs

9 reprises en tant que membre d'organisation humanitaire l'hôpital de Saint-

10 Sava de Knin, où les médecins et les équipes avaient dû justement faire

11 identification des corps mutilés du plateau de Miljevac. Il y avait encore

12 des rescapés de tous ces massacres. Il y avait beaucoup de réfugiés. J'ai

13 pu, à ces occasions, recueillir beaucoup de témoignages de réfugiés et de

14 rescapés des exactions. J'ai encore une fois effectué beaucoup de

15 déplacements sur tout le territoire où j'ai vraiment pu discuter avec

16 beaucoup de Serbes de la situation qui était la leur depuis de nombreuses

17 années. J'ai vraiment vécu avec la population au quotidien et recueilli

18 beaucoup de témoignages de tous ces gens.

19 Q. Que disaient ces témoignages, et qu'est-ce que vous avez vu

20 personnellement de vos yeux ?

21 R. Ces témoignages relataient toutes les exactions croates des années

22 passées. Ils relataient tous les -- ce qu'ils avaient même pu subir avant

23 le début de l'exaction dès l'année 1990, 1991 pour les réfugiés qui avaient

24 été chassés de Croatie, le harcèlement dont ils avaient été victimes. Ils

25 perdaient leur emploi, ils étaient chassés de leur appartement. On leur

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1 demandait de quitter la Croatie. La perte de leur emploi était bien souvent

2 non justifiée. Ils n'avaient aucune indemnité de chômage. Ils étaient

3 humiliés. Ils étaient persécutés, et on les poussait vraiment à quitter la

4 Croatie pour ne plus jamais y revenir.

5 C'est vrai que la réapparition de tous les signes, je n'ai pas parlé

6 de tous les signes tout à l'heure du pouvoir de Franjo Tudjman. Il y a

7 beaucoup de choses. Il y avait beaucoup de criminels de guerre. Il y avait

8 également l'introduction dans les programmes scolaires des -- du programme

9 politique de Mile Budak [phon]. Il y avait l'idéologie Oustachi. Il y avait

10 le changement des rues, notamment, à Zagreb, où la place des victimes du

11 fascisme devenait la place des camps croates. Il y avait le changement des

12 grades dans l'armée pour reprendre les grades Oustachi. Il y avait

13 également l'apparition sur les édifices publics, sous les uniformes, sous

14 les drapeaux, de l'ancien blason de l'état Oustachi, le damier à carrés

15 rouges et blancs. Tous ces signes-là les terrorisaient, parce qu'ils

16 avaient vécu la Seconde guerre mondiale pour certains, et qu'ils

17 craignaient une réapparition plus les actions des forces croates,

18 notamment, des troupes commandées par Tomislav Mercep qui avait sévi un peu

19 partout dans les régions peuplées dans les régions de Serbes. Tout cela les

20 inquiétait beaucoup.

21 J'insiste. Ils restaient horrifiés de ce qu'ils avaient vu. Les

22 médecins de l'hôpital de Knin étaient horrifiés de ce qu'ils avaient pu

23 voir lorsque les corps des gens sont venus à l'hôpital pour être

24 identifiés.

25 Q. Combien de réfugiés avez-vous vu en Krajina, des gens venus de diverses

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1 régions ? Combien y en avait-il de réfugiés que vous avez vus vous-même ?

2 R. J'ai vu des dizaines de réfugiés. Je n'ai pas absolument pas compté le

3 nombre de réfugiés que j'ai vus. J'ai vu des dizaines de réfugiés. Il y

4 avait environ 120 000 à venir en Krajina. Evidemment, je n'ai pas vu tous

5 ces réfugiés, mais j'ai vu des dizaines de réfugiés au cours de mes

6 voyages.

7 Q. Pendant votre séjour en Krajina, vous avez été en contact avec des

8 réfugiés musulmans. Quel était le rapport du gouvernement et de la

9 population de Krajina vis-à-vis de ces réfugiés musulmans ? Combien

10 étaient-ils d'ailleurs, et quel était le rapport à leur égard ?

11 R. Ces réfugiés musulmans avaient été chassés de la poche de Bihac lors

12 des combats entre Fikret Abdic et le 5e Corps bosniaque. Ces Musulmans

13 étaient restés fidèles à Fikret Abdic, et ils avaient été accueillis en

14 Krajina entre août 1994 et janvier 1995. Les Serbes de Krajina ont fait

15 comme ils avaient toujours fait jusque-là, ils les ont accueillis. Malgré

16 le dénuement dans lequel eux se trouvaient déjà, ils leur ont emporté toute

17 l'aide dont ils avaient besoin en nourriture, en médicaments, en soutien

18 médical. Tous les réfugiés ont peu être accueillis à l'hôpital de Glina

19 pour des urgences obstétricales, médicales ou chirurgicales. Il y avait une

20 cellule de Crise à Topusko qui fonctionnait jour et nuit. Les boulangeries

21 fonctionnaient également jour et nuit pour fournir du pain à ces réfugiés.

22 Ils ont vraiment été aidés et soutenus durant plus de six mois sans aucune

23 discrimination. Ils ont vraiment fait -- les Serbes ont agi comme ils

24 avaient toujours agi. Ils ont soutenu les Musulmans comme s'ils avaient été

25 Serbes ou Croates sans aucune discrimination.

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1 Q. Que savez-vous des événements que l'on appelle de façon générale

2 l'opération Eclair ?

3 R. L'opération Eclair, c'est l'opération qui a eu lieu au début du mois de

4 mai 1995 en Slavonie occidentale. Les forces croates ont chassé et ont

5 bombardé les villes de Pakrac, Okucani et Jasenovac. Les populations ont

6 fui pour rejoindre la Bosnie. D'ailleurs, elles ont été bombardées quand

7 elles passaient le pont de Stara Gradiska pour aller à Nova Popola et Banja

8 Luka par les nids croates. Elles sont arrivées à Banja Luka, où je les ai

9 rencontrées, à ce moment-là, fuyant les bombardements de l'armée croate.

10 De la même manière, ces réfugiés avaient été terrorisés par ces

11 bombardements et par le nombre de morts que cela avait fait parmi les

12 civils. Là encore, je tiens à préciser que la Slavonie occidentale, en mai

13 1995, était sous la protection de l'ONU, ce qui n'a pas empêché le

14 bombardement de ces populations, ce qui n'a pas empêché l'exode de 5 000

15 Serbes qui ont fui à travers la Bosnie, et ce qui n'a pas empêché le

16 bombardement lorsqu'ils fuyaient. Là, encore, on a laissé faire et ces

17 populations ont dû quitter définitivement leurs maisons. Ils étaient quand

18 même des civils.

19 Q. Bien. Vous faisiez partie de ces forces de protection des Nations

20 Unies. Je vous demande comment il peut se faire que la FORPRONU n'ait pas

21 réussi à remplir cette mission de protection qui était la sienne ? Qu'avez-

22 vous appris à partir des contacts que vous avez pu avoir avec vos

23 collègues, avec des représentants des forces françaises ou des forces

24 d'autres pays qui faisaient partie de la FORPRONU ? Qu'avez-vous appris à

25 ce sujet ?

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1 R. En Slavonie occidentale, les forces croates ont bloqué les Casques

2 bleus dans leurs casernes, les empêchant ainsi de protéger la population. A

3 partir de là, il était très simple d'effectuer l'épuration ethnique qu'ils

4 avaient projetée, et de faire partir tous ces civils dans la mesure où vous

5 empêchez les forces qui sont présents sur le terrain, de protéger la

6 population par la force physique. Il est impossible pour ces Casques bleus

7 de protéger les civils.

8 Q. Les représentants des Casques bleus avec lesquels vous avez discutés,

9 que vous ont-ils dit ?

10 R. Les Casques bleus étaient persuadés de l'injustice à l'encontre du

11 peuple serbe. Ils savaient pertinemment que toutes ces opérations avaient

12 été planifiées en haut lieu, organisées, et qu'ils n'avaient absolument pas

13 pu exécuter ces bombardements, ces exactions sans que ce soit décidé en

14 haut lieu. Cela a quand même duré plusieurs années, il y a eu plusieurs

15 attaques. Les forces croates n'auraient pas pu continuer à épurer la

16 Croatie de la population serbe si cela n'avait pas été décidé et accepté en

17 haut lieu, avec l'accord tacite de la communauté internationale qui n'a

18 jamais, jamais, jamais réagi.

19 Q. Dites-moi : où vous trouviez-vous pendant l'opération Tempête, et que

20 savez-vous personnellement de cet événement ?

21 R. L'opération Tempête qui a eu lieu en août 1995 a chassé les Serbes de

22 Krajina. Je me trouvais à Banja Luka en Bosnie pour évaluer les besoins en

23 aide humanitaire des réfugiés de Slavonie occidentale, un ordre de

24 l'opération Eclair qui avait eu lieu en mai 1995.

25 En août 1995, la Krajina était bombardée durant quelques jours par l'armée

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1 croate. Cela a chassé environ 200 000 Serbes de Krajina. Les MiG 21 ont

2 bombardé les colonnes de réfugiés. La population croate a participé

3 également pour des actions, notamment, des réfugiés ont été lapidés dans

4 les régions de Petrinja et Sisak. Les camps de réfugiés ont été bombardés.

5 Cela a fait environ mille morts, 200 000 expulsés et beaucoup de disparus.

6 En août 1995, le 22 août 1995, une dépêche de l'AFP annonçait le chiffre de

7 10 000 disparus. Ce chiffre n'a jamais été confirmé par la suite, mais ce

8 chiffre a quand même été annoncé à l'époque. Les habitations ont été

9 bombardées, les biens des Serbes ont été confisqués et ils ont dû fuir dans

10 le dénuement le plus total vers la Bosnie pour s'y réfugier et espérer de

11 l'aide.

12 Là encore, la communauté internationale n'a rien fait, les médias n'ont

13 rien vu des souffrances des Serbes. Cela a été le silence le plus total.

14 Cela n'a absolument pas ému les diverses organisations des droits de

15 l'homme qui ont soudainement oublié ce qui était des populations civiles

16 bombardées dans les zones de protection. Evidemment, cet exode, ces

17 bombardements et cette épuration ethnique ont été oubliés très rapidement

18 dans les semaines qui ont suivi.

19 J'ai même vu des journalistes crier à la victoire lors de ces bombardements

20 et ainsi oublier les femmes, les enfants et les vieillards qui avaient, non

21 seulement, péris sous les bombes, mais qui avaient également péri des

22 exactions croates et musulmanes, puisque le 5e Corps avait profité de

23 l'attaque pour pénétrer le territoire de Krajina. Tout cela a réduit

24 énormément de monde et les bombardements des civils n'ont ému personne.

25 Q. Vous étiez sur place, à ce moment-là, et vous avez vu tout cela de vos

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1 yeux.

2 R. J'ai vu l'exode des populations serbes qui arrivaient sur des tracteurs

3 sans rien, dans la terreur la plus totale, en Bosnie, oui. J'ai vu les

4 blessés également arriver des bombardements. J'ai vu --

5 Q. Qu'avez-vous fait après la chute de la Krajina en 1995 ?

6 R. Après la chute de la Krajina en 1995, j'ai continué à chercher tous ces

7 réfugiés avec les organisations humanitaires que j'ai citées précédemment.

8 J'ai effectué de nombreux déplacements en Bosnie, au Kosovo et dans le

9 reste de la Serbie, dans les hôpitaux et camps de réfugiés où ils avaient

10 pu être évacués.

11 J'ai visité en particulier, à partir d'août 1995, les régions de Bosnie.

12 J'ai visité les villes de Banja Luka, de Prijedor, de Derventa, de Brcko,

13 de Bijeljina. Egalement, en Bosnie orientale, les villes de Pale, de

14 Zvornik, de Bratunac, de Srebrenica. J'ai cherché ces réfugiés. J'ai

15 rencontré également des autorités religieuses ou politiques qui pouvaient

16 m'aider à évaluer les besoins en aide humanitaire de la population serbe,

17 de tous ces réfugiés.

18 J'ai rencontré le patriarche Pavle, j'ai rencontré le président Milan

19 Martic, le président Radovan Karadzic, le général Ratko Mladic et, un peu

20 plus tard, Mme Plavsic et M. Krajisnik.

21 Q. Vous venez d'énumérer un nombre important de localités où vous êtes

22 allée. Mais dites-nous rapidement : quelle était la situation de la

23 population avec laquelle vous avez été en contact lors de tous ces

24 voyages ?

25 R. La population serbe de Bosnie souffrait évidemment de la guerre.

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1 L'embargo qui avait été imposé à ces régions se voyait dans tous les actes

2 de la vie quotidienne. Il manquait de tout, du strict nécessaire, de

3 produits d'hygiène. Il manquait évidemment de médicaments ce qui était le

4 plus dramatique pour les hôpitaux qui, de ce fait, fonctionnaient très

5 difficilement. Il manquait d'anesthésiques, d'antalgiques, de matériel

6 médical. Il n'y avait quasiment pas de travail. Il n'y avait évidemment pas

7 d'argent. Le plus dramatique, c'est qu'il n'y avait, non plus, pas d'aide

8 humanitaire. Tous ces gens, qui étaient abandonnés et qui le savaient, qui

9 étaient également diabolisés et qui le savaient, étaient fort inquiets pour

10 l'avenir parce qu'ils savaient que cette diabolisation était responsable de

11 l'absence d'aide humanitaire et que la situation n'allait pas s'arranger

12 pour eux.

13 Evidemment, sur le plan psychologique, ils étaient très marqués par la

14 guerre, comme toutes les populations peuvent l'être, puisque beaucoup de

15 familles avaient perdu des enfants, des parents, des frères et des sœurs,

16 que les familles avaient été séparées, que beaucoup n'avaient aucune

17 nouvelle de leurs proches.

18 D'aucune population serbe qui souffrait également, comme toutes les

19 populations en guerre, la population serbe souffrait. Ce qui n'apparaissait

20 pas dans les médias, mais ce qui était flagrant quand on travaillait sur le

21 terrain avec ces populations.

22 Q. Vous avez parlé des médias un certain nombre de fois. Dites-moi, je

23 vous prie, quelle est votre impression au sujet de ce que les médias

24 écrivaient en France, par exemple, et, de façon plus générale, en Europe

25 occidentale, si vous les avez suivis, au sujet de la réalité des événements

Page 34811

1 que vous avez suivis au cours de toute cette période qui fait l'objet de

2 votre déposition ?

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, la question que

4 vous venez de poser indique précisément le problème qui se pose dans le

5 cadre de cette déposition de façon générale. "Quelle impression avez-vous

6 de ce qu'on écrit les médias ?" Le témoin est, en fait, en train de fournir

7 des impressions. Or, nous ne sommes pas particulièrement intéressés à des

8 impressions. J'aimerais que vous vous efforciez, si la chose est possible,

9 de cadrer un peu le témoin pour qu'il parle de choses allant légèrement au-

10 delà des impressions générales, car les impressions générales ne sont pas

11 très utiles pour les Juges.

12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Le témoin a dit que les médias n'avaient

13 accordé aucune attention au crime commis contre les Serbes et ce de façon

14 massive. Par conséquent, j'ai demandé au témoin comment la chose se situait

15 dans la réalité qu'elle a observée de ses yeux. En effet, le témoin est

16 quelqu'un qui a travaillé dans l'aide humanitaire. Elle était sur les

17 lieux, elle a rencontré des milliers de personnes, elle a travaillé dans

18 des hôpitaux, elle a aidé les populations, elle a participé à tous ces

19 événements et, par ailleurs, elle a dit à l'instant même d'ailleurs et à

20 plusieurs reprises que les médias ont fait le silence sur cette réalité.

21 M. MILOSEVIC : [interprétation]

22 Q. Je lui demande quel est le rapport direct entre la situation sur le

23 terrain et l'activité des médias ?

24 R. Ce ne sont pas des impressions. C'est ce qui était déclaré dans la

25 presse, c'est ce que les médias déclaraient. Les médias déclaraient quelque

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1 chose de très simple. C'était un schéma bien manichéen avec deux camps; le

2 camp du mal, les Serbes qui avaient été agresseurs et avaient déclenché la

3 guerre qui ne souffraient évidemment pas de la guerre. Parmi les Serbes,

4 les médias étaient très clairs là-dessus. Il n'y avait pas de morts, il n'y

5 avait pas de souffrances, pas de réfugiés, il n'y avait pas de camps de

6 détention. En face, les victimes, dans le camp du bien, qui étaient, toutes

7 les autres ethnies croates et musulmanes. Donc un schéma très simple. A

8 partir de là, tous les articles allaient dans le même sens, niaient

9 totalement les souffrances des Serbes, les populations civiles, les

10 bombardements, les exactions, les camps de détention, les morts, les

11 mutilés, les torturés. En face, des populations qui n'étaient que victime

12 de ces Serbes barbares, égorgeurs et criminels.

13 A partir de là, tout était permis, les mensonges les plus énormes sont

14 passés dans la presse, sans que personne ne s'interroge sur le reste des

15 propos, et le silence le plus total sur les souffrances des Serbes.

16 Q. Mais, dites-moi : avez-vous obtenu des renseignements au sujet du sort

17 vécu par les Serbes qui se sont retrouvés dans des prisons croates ? Avez-

18 vous obtenu de tels renseignements pendant votre séjour sur place, et de

19 quoi s'agissait-il exactement, si vous en avez obtenus ?

20 R. J'ai rencontré des familles dont certains membres avaient été

21 emprisonnés dans des prisons en Croatie. En Croatie, il y a des dizaines de

22 camps de détention qui ont été créés dès 1991. Je viens d'en citer que

23 quelques uns. En Slavonie occidentale notamment, dès octobre 1991, des

24 Serbes ont été exécutés. En Slavonie occidentale, dans les villages

25 environnant le bout de Kutina, notamment, à Marino Selo et Pakracka

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1 Poljana. Des camps de détention ont été créés dont les pires étaient Stara

2 Ciglana, à Pakracka Poljana, et Rivaska Poljana [phon] à Marino Selo, où

3 des centaines de Serbes ont été emprisonnés, maltraités et torturés.

4 Egalement dans le camp de Lora à Split, dès 1992 et jusqu'à 1997,

5 environ un millier de détenus ont été emprisonnés à Lora. Selon des

6 journalistes qui ont écrit beaucoup d'articles sur la prison, environ 70

7 personnes sont mortes dans ce camp. Tous les fonctionnaires de l'ONU, le

8 CICR, les organismes de droit de l'homme étaient au courant de ces camps de

9 détention, mais visiblement rien n'a été fait.

10 Beaucoup ont travaillé. Toni Manic [phon], qui est actuellement

11 président des Droits de l'homme de Dalmatie, a beaucoup travaillé avec

12 l'ONG Veritas de Belgrade, et également avec Vojin Babic, qui a beaucoup

13 travaillé sur ces camps, et qui ont fourni au Tribunal pénal international

14 de nombreux dossiers sur les victimes, avec les comptes rendus d'autopsies,

15 avec tous les documents nécessaires, à établir les preuves de l'existence

16 de ces camps et des victimes qui ont été maltraitées dans ces camps.

17 Je tiens à souligner que pour le camp de Lora, le Tribunal avait ces

18 dossiers, mais les ex-geôliers du camp n'ont pas été jugés par le TPI, mais

19 ils ont été jugés par la justice croate à Split, ils ont tous été

20 acquittés.

21 Q. Dites-moi, je vous prie : en Krajina vous avez vu de nombreux réfugiés

22 serbes et musulmans, n'est-ce pas ? D'où venaient tous ces réfugiés ?

23 R. Beaucoup de réfugiés de Croatie avaient été chassés dès 1990, 1991.

24 Comme je vous ai dit tout à l'heure, que les Serbes avaient été harcelés,

25 humiliés et forcés de quitter leurs maisons. Ils ont dû fuir pour beaucoup

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1 les exactions des troupes spéciales du ministre de l'Intérieur, et

2 notamment celles de Tomislav Mercep. Dans certaines régions, notamment, en

3 Slavonie orientale, les Serbes ont dû quitter leurs maisons dès avril 1991,

4 puisque dans certains villages les maires croates affichaient un ultimatum

5 sur toutes les maisons des Serbes, leur demandant de quitter sous 48

6 heures, leur domicile sans prendre aucune affaire. La plupart ont quitté,

7 ceux qui n'ont pas pu partir ont été emprisonnés, et tous quand même ont

8 souffert de ces expulsions, puisqu'ils ont quand même tous dû quitter leurs

9 maisons, sans aucun bien, sans argent. Ils se sont majoritairement tournés

10 vers la Krajina où les Serbes étaient déjà en majorité.

11 Dès l'été 1991, à Zagreb, autour de Zagreb, et dans toutes les régions

12 peuplées majoritairement de Serbes, les Serbes ont dû quitter et se sont

13 réfugiés en Krajina.

14 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

16 M. NICE : [interprétation] Je ne peux m'empêcher d'observer, même si cela

17 peut être dit au cours du contre-interrogatoire, que ces événements se

18 déroulent des années avant que le témoin ne se trouve sur le territoire

19 dont elle parle. La valeur de ce témoignage, à notre avis, avec le respect

20 que nous devons à la Chambre, ne peut être que limité, sinon, nul.

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous venez

22 d'entendre ce qui a été dit.

23 [La Chambre de première instance se concerte]

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, une grande

25 partie de cette déposition s'avérera incapable d'être d'un point important

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1 pour les Juges. Le procès ne tourne pas autour de la détention des Serbes,

2 ou du décès de certains Serbes, à moins que la détention ou le décès de ces

3 Serbes ne soit lié directement à l'un ou l'autre des chefs d'accusation. Si

4 tel n'est pas le cas, vous vous soumettez vous-même, au risque de vous voir

5 opposer l'argument du tu quoque, à savoir un argument invoquant l'absence

6 de pertinence. Je ne vous ai pas arrêté, car il est possible d'arguer de la

7 pertinence d'une partie de cette déposition. Je tiens absolument à être de

8 la plus grande équité à votre égard, mais je dois dire que la majeure

9 partie de cette déposition est tout à fait limitée, et ne peut être que

10 d'une valeur très faible pour la Chambre. J'espère que ceci n'est pas un

11 exemple de la façon dont les autres témoins vont témoigner à partir de

12 maintenant. La majeure partie de cette déposition nous arrive comme une

13 espèce de conversation dans le cadre d'un thé pris à plusieurs dans une

14 véranda. Je ne trouve pas cela très utile. Je ne vous ai pas arrêté, car il

15 y a tout de même un lien général avec votre affaire. Je ne pense que vous

16 tirerez une aide importante de dépositions de ce genre. Il nous faudra

17 répondre à la question posée par l'Accusation, au sujet des autres témoins

18 à venir, si leur déposition devait être d'une nature semblable à celui-ci.

19 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, l'objection soulevée par M.

20 Nice ne tient pas debout, parce que le fait est, que quelqu'un est devenu

21 réfugié avant que le témoin ne soit arrivé à Krajina. Cela ne signifie pas

22 que le témoin, en arrivant, n'a pas trouvé ces réfugiés sur place, et n'a

23 pas pu constater la façon dont ces réfugiés ont abouti là-bas. Elle n'a pas

24 témoigné au sujet d'événements survenus auparavant, mais elle parle de

25 cause de certains phénomènes.

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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous interromps. Je n'ai pas

2 appuyé le commentaire fait par M. Nice. Cela a été fait de façon tout à

3 fait indépendante de ce que vous venez de dire.

4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je n'ai pas entendu dire cela, mais toujours

5 est-il.

6 M. MILOSEVIC : [interprétation]

7 Q. Vous avez été au Kosovo, un peu avant les bombardements de l'OTAN,

8 Mademoiselle, quelle a été la situation prévalant au Kosovo avant que vous

9 n'arriviez, au moment où vous êtes arrivée ? Veuillez nous donner un

10 descriptif assez bref.

11 R. J'étais effectivement au Kosovo en 1998 où j'ai séjourné longuement à

12 Pristina et à Pec. Le climat était particulièrement tendu, puisqu'il était

13 notamment à Pristina impossible pour les Serbes et les occidentaux suspects

14 d'aider les Serbes de circuler librement et sans crainte. A Pec, il était

15 plus aisé de circuler le jour, mais la nuit il était fortement déconseillé

16 de circuler et de quitter le domicile. La situation était particulièrement

17 tendue à l'encontre des Serbes.

18 Q. Combien de temps avez-vous passé à Pristina et à Pec, respectivement,

19 quand y êtes-vous allée ?

20 R. Je me suis rendue à Pristina au mois de juin 1998, où j'ai rencontré le

21 recteur Papovic, qui m'a fortement déconseillé d'aller à Pec à ce moment-là

22 puisque l'UCK menait des combats dans la région et bloquait les routes, et

23 donc rendait les déplacements très dangereux. Ensuite, durant l'été 1998,

24 j'ai travaillé plusieurs semaines à Pec, à l'hôpital de Pec. J'avais appris

25 la situation qui était celle du Kosovo. A ce moment-là, je voulais apporter

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1 mon aide en tant qu'infirmière, donc je me suis mise en contact avec

2 l'Eglise orthodoxe, qui elle seule pouvait circuler à peu près sans

3 difficulté dans la région. J'ai rencontré le patriarche Pavle qui m'a donné

4 une lettre de recommandation pour les dispensaires à Pec, et j'ai pu me

5 rendre à Pec. Les besoins médicaux étaient de plus en plus importants au vu

6 des combats menés par l'UCK.

7 Q. Veuillez m'indiquer quelle était la situation qui prévalait à l'hôpital

8 de Pec ?

9 R. L'hôpital de Pec, comme à l'hôpital de Glina, toutes les communautés

10 travaillaient ensemble. Il y avait beaucoup de médecins et d'infirmières

11 albanais, comme c'était le cas avant la guerre. Tous travaillaient

12 ensemble. Tous travaillaient également ensemble de la même manière avec les

13 blessés serbes et les blessés albanais. Ils travaillaient en tout respect,

14 en toute amitié, sans difficulté et sans tension particulière.

15 Q. A Pec, dans cet hôpital, il y avait des médecins, des infirmières

16 serbes et albanaises et autres. C'est bien ce que vous avez vu, n'est-ce

17 pas ?

18 R. Tout à fait.

19 Q. S'agissant des patients, y avait-il des blessés parmi eux ? Si c'est

20 bien le cas, qui est-ce qui les a blessés ? Qu'avez-vous appris à ce

21 sujet ? Qu'avez-vous pu voir, étant donné que vous avez de tout temps

22 travaillé là ?

23 R. Nous recevions beaucoup de blessés quotidiennement, notamment des

24 victimes serbes qui avaient été blessées par les milices d'UCK. C'était des

25 plaies par balle, des plaies par poly criblage, des plaies par brûlure

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1 notamment. Il y avait également des blessés albanais. Des Albanais modérés

2 qui avaient été bien souvent attaqués et battus par des terroristes de

3 l'UCK, uniquement parce qu'ils s'étaient liés d'amitié avec des Serbes, ou

4 qui étaient suspectés d'être liés à des Serbes; c'étaient des contusions,

5 des hématomes, des fractures, des blessés en fait qui avait été battus par

6 les milices albanaises.

7 Q. Veuillez m'indiquer à présent --

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mademoiselle Crépin, y avait-il des

9 patients musulmans qui ont été victimes de Serbes ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Jamais. Je n'ai jamais vu un seul Musulman

11 victime de Serbes. Jamais. Les Musulmans que j'ai vus, qui étaient blessés,

12 amenés à l'hôpital, évacués, l'avaient été par les milices albanaises qui

13 terrorisaient même les Albanais dans la population civile, parce qu'ils

14 s'étaient liés avec des Serbes. Mais je n'ai jamais vu un seul Musulman

15 agressé par un Serbe. Jamais. Il n'y avait aucune haine des Serbes envers

16 les Albanais, contrairement à ce qu'on a pu dire.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Comment avez-vous pu affirmer que

18 des patients musulmans ont été attaqués par des membres de l'UCK ?

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Parce qu'eux-mêmes le disaient.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vois. Bien. Continuez, Monsieur

21 Milosevic, je vous prie.

22 M. MILOSEVIC : [interprétation]

23 Q. Etant donné que vous êtes allée à Pec et à Pristina, veuillez

24 m'indiquer quelle a été la présence policière dans ces deux villes où vous

25 avez séjourné ? Ce sont des grandes villes, Pristina et Pec. Quelle a été

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1 donc la présence policière là-bas ?

2 R. Ce qui était frappant, c'est qu'à Pec comme à Pristina, la présence

3 policière ou militaire n'était pas plus importante qu'à Paris. Dans

4 certains cas, notamment dans le plan Vigie Pirate, qui est un plan qui est

5 censé intervenir dans certains cas de risque terroriste, la présence

6 policière et militaire n'était pas plus importante qu'à Paris en certains

7 moments.

8 Q. Dites-nous : quelles sont vos expériences au sujet des relations

9 interethniques à Pec ? Vous avez quand même passé assez longtemps à

10 l'hôpital, pas mal de temps à l'hôpital. Vous avez travaillé avec des

11 médecins de groupes ethniques différents, et des patients de groupes

12 ethniques différents. Quelles sont vos observations au sujet des relations

13 prévalant entre les deux différents groupes ethniques à Pec ?

14 R. A l'hôpital, il n'y avait pas de problèmes de relations entre Serbes et

15 Albanais. Comme à Glina, en fait, l'activité médicale et chirurgicale

16 protégeait de ce genre de relations difficiles. En revanche, dans les rues

17 et dans les magasins à Pec, les Albanais étaient très agressifs envers les

18 Serbes, alors que les Serbes ne l'étaient pas. Les Albanais l'étaient, ce

19 qui était étonnant, puisque d'après ce que j'ai vu, d'après de nombreuses

20 semaines que j'ai passées là-bas, les Albanais vivaient dans des conditions

21 satisfaisantes, sans discrimination évidente. Ils n'étaient pas écartés des

22 emplois administratifs. Ils tenaient la majorité des commerces mais

23 l'agressivité était constante. Lorsque je quittais des commerces et que je

24 disais au revoir en serbe, on me reprenait brutalement, en me disant qu'au

25 Kosovo on parlait albanais et pas serbe.

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1 Donc, c'est vrai que la tension et la violence étaient vraiment à

2 l'encontre des Serbes, et les Serbes étaient très inquiets de cette

3 agressivité; elle se traduisait bien souvent par des violences physiques.

4 Contrairement aux Serbes qui vivaient tout à fait normalement avec les

5 Albanais, les Albanais étaient vraiment très agressifs, ce qui était

6 incompréhensible pour moi.

7 Q. A Pec ou à Pristina, de tout le temps que vous avez passé là-bas, vous

8 a-t-il été possible de voir une intervention de la police ou de l'armée à

9 l'encontre d'Albanais ?

10 R. Jamais. Je n'ai jamais assisté à un acte de maltraitance,

11 d'agressivité, d'arrestation, ni de policiers, ni de militaires serbes à

12 l'encontre des Albanais. Jamais durant toutes ces semaines.

13 Q. Avez-vous pu voir des violences de la part de militants albanais à

14 l'encontre de Serbes, toujours pendant vos séjours à Pec et à Pristina ?

15 R. Dans les rues, il n'y avait pas de violence physique. Il y avait une

16 agressivité constante, mais pas de violence physique. La violence physique,

17 je l'ai vue mais à l'hôpital quand les Serbes venaient à l'hôpital et

18 s'étaient blessés. Mais dans les rues, il n'y avait que de l'agressivité.

19 Je n'ai jamais assisté à un acte de violence dans les rues.

20 Q. Au Kosovo et Metohija, vous a-t-il été donné la possibilité de voir des

21 réfugiés originaires de la Krajina que vous auriez eu éventuellement

22 l'occasion de contacter auparavant, lorsque vous étiez dans la Krajina ?

23 R. A Pec avait été créé, lors de l'offensive d'août 1995, un centre de

24 réfugiés pour Serbes de Krajina. Effectivement, je les ai rencontrés. Comme

25 tous les autres réfugiés serbes, ils étaient dans le dénuement le plus

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1 total. Ils n'avaient aucune aide. Ils n'avaient bien souvent pas de choses.

2 Ils n'avaient pas d'argent et survivaient dans ces camps de réfugiés. En

3 plus, ils étaient fréquemment agressés et violentés par des terroristes

4 albanais. Ce qu'ils craignaient par-dessus tout. Ils souhaitaient pour

5 beaucoup partir du Kosovo, mais ils n'avaient pas d'argent pour cela. Ils

6 n'avaient aucun visa, et personne en Europe n'était prêt à les accueillir.

7 Donc, ils ne pouvaient pas quitter ces camps dans lesquels ils survivaient.

8 Q. Vous vous trouviez en Serbie pendant les bombardements de l'OTAN. Quand

9 étiez-vous en Serbie, au juste ?

10 R. Je me suis trouvée en Serbie en mars et avril 1999, lors des

11 bombardements de l'OTAN. Des milliers de tonnes de bombes ont été déversées

12 sur la population civile de Serbie, ce qui a provoqué de nombreux dommages

13 collatéraux, comme ils ont été appelés à l'époque, c'est-à-dire les

14 bombardements des quartiers résidentiels, de maisons d'habitations. Ils ont

15 été également responsables de la mort de population civile, notamment dans

16 le bâtiment de la télévision serbe ou 16 civils sont morts en exerçant leur

17 métier. Les bombardements ont également endommagé et détruit de nombreux

18 sites industriels chimiques et pétrochimiques : Poncevo [phon], Novi Sad,

19 Kragujevac, où là les conséquences sont dramatiques pour les populations de

20 la région puisque l'environnement est pollué pour des décennies. Tout

21 l'environnement était pollué, les nappes phréatiques, les sols, donc ceci

22 est grave pour la population. Personnellement, je pense que ces

23 bombardements, qui ont été pourtant décidés au nom des droits de l'homme,

24 de la liberté, de la démocratie et d'humanitarisme, pour moi sont des

25 crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Ils ont avant tout touché

Page 34822

1 des civils.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous n'avons pas besoin d'entendre

3 tout ceci, Mademoiselle Crépin, de votre part à vous, pour ce qui est de la

4 qualification que vous faites de la nature des crimes.

5 Oui, Monsieur Milosevic.

6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mademoiselle Crépin, vous dites que

7 vous vous êtes trouvée à Pristina en 1998, et quand est-ce que vous vous

8 trouviez à Pec, parce que vous aviez indiqué que vous vous trouviez déjà en

9 Serbie en mars 1999. Est-ce qu'entre les deux, vous avez séjourné à Pec ou

10 pourriez-vous nous indiquer la période de temps que vous avez passé à Pec ?

11 LE TÉMOIN : J'étais à Pec durant l'été 1998.

12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourriez-vous nous donner les mois que

13 vous avez passés là-bas, de quel mois à quel mois ?

14 LE TÉMOIN : En juillet et août 1998.

15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez continuer, Monsieur Milosevic.

16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur Kwon.

17 M. MILOSEVIC : [interprétation]

18 Q. Mademoiselle, vous avez été témoin de cet exode des Serbes de la

19 Krajina. Vous avez été témoin oculaire de cet exode des Serbes du Kosovo en

20 1999, n'est pas ?

21 R. Tout à fait. Je rappelle à cette occasion que les Serbes ont été

22 victimes des deux plus grands exodes de la guerre en ex-Yougoslavie. Le

23 premier en Krajina, en août 1995 où 200 000 Serbes ont été chassés de chez

24 eux en quelques jours; le second, l'exode des Serbes du Kosovo, mais je

25 tiens à dire, les bombardements de l'OTAN ont provoqué l'exode d'environ un

Page 34823

1 million de personnes; 800 000 Albanais ont dû fuir leurs maisons et 200 à

2 250 000 Serbes ROM et tsiganes ont dû fuir également les bombardements de

3 l'OTAN. La majorité des Albanais sont revenus au Kosovo, et seuls quelques

4 milliers de Serbes sont revenus au Kosovo. Au total, plus de 400 000 Serbes

5 sur toute l'ex-Yougoslavie ont été chassés définitivement de leurs maisons.

6 Q. Vous avez, du temps des activités déployées par vos soins, été en

7 contact avec des organisations non gouvernementales. Pouvez-vous nous dire

8 quelque chose au sujet des expériences concrètes, qui sont les vôtres, au

9 sujet des activités déployées par ces organisations non gouvernementales.

10 Je vais être plus précis, avez-vous eu des contacts avec des organisations

11 non gouvernementales occidentales ?

12 R. Non, je n'ai jamais rencontré aucune organisation non gouvernementale

13 occidentale aux cotés des Serbes. La majorité des organisations non

14 gouvernementales occidentales ce sont, dès le début de la guerre, mises au

15 service des Croates et des Musulmans. D'ailleurs durant l'hiver en 1992-

16 1993, Médecins du monde a mené une campagne de diabolisation contre le

17 peuple serbe et contre vous-même, Monsieur Milosevic, durant laquelle vous

18 étiez comparé à Hitler. Ensuite, Médecins du monde s'est consacré à l'aide

19 des populations croates de Dubrovnik. Médecins sans frontières est allé à

20 Vukovar du coté des populations croates et je n'ai rencontré aucune

21 organisation aux côtés des Serbes.

22 En Bosnie, de la même manière les organisations non gouvernementales

23 occidentales ont complètement nié et passé sous silence les souffrances des

24 Serbes mais pour cause, puisqu'elles n'étaient pas à leurs cotés mais se

25 trouvaient exclusivement aux cotés des Musulmans et des Croates, notamment

Page 34824

1 en Bosnie orientale où ils ont aidé les populations musulmanes de

2 Srebrenica, de Gorazde, de Tuzla, où ils ont également exagéré les

3 souffrances des Musulmans. Non pas que je les nie mais que j'insiste sur le

4 fait qu'ils ont exagéré de manière absolument absurde, en parlant de famine

5 dans les enclaves, de cannibalisme, d'hôpitaux qui étaient débordés par les

6 cadavres et les blessés, alors la FORPRONU, quand elle entrée dans ces

7 enclaves a crié au scandale en disant que tout et n'importe quoi avait été

8 dit et que c'était la guerre, bien évidemment, mais que les gens ne

9 vivaient ni dans la famine et que les rues n'étaient pas jonchées de

10 cadavres comme cela avait été dit. De la même manière, Médecins sans

11 frontières a exercé une pression importante pour qu'une commission

12 parlementaire soit créée sur Srebrenica.

13 Enfin au Kosovo, Médecins du monde a relayé des témoignages

14 invérifiables, des rumeurs en exagérant le nombre de morts et de réfugiés.

15 Cela a quand même été le moyen de justifier les bombardement; des

16 conséquences quand même assez importantes et Médecins du monde, Grèce, a

17 été exclu de l'organisation internationale, donc MSF international, parce

18 qu'ils avaient osé aider les Serbes alors que la majorité, l'ensemble des

19 organisations non gouvernementales se trouvaient en Albanie et en Macédoine

20 pour aider les populations musulmanes qui arrivaient. Durant toute cette

21 guerre, les Serbes n'ont vu aucune organisation non gouvernementale

22 occidentale leur venir en aide.

23 Q. Aucune organisation non gouvernementale occidentale, du temps de toutes

24 ces souffrances, n'est venue en aide des Serbes. Qui a aidé les Serbes

25 alors, partant de votre expérience à vous, j'entends ?

Page 34825

1 R. Du coté des Serbes, on a pu trouver et on peut en retrouver maintenant,

2 le Diocèse orthodoxe, aide humanitaire qui était coordonné par Milica

3 Mathei, qui a toujours aidé les populations serbes sans faire de

4 prosélytismes et en faisant le maximum pour ces population. La Serbie ayant

5 été sous embargo avait fait des dons maximums pour les réfugiés et pour les

6 blessés, mais il était très difficile de venir en aide à tous. Il manquait

7 de médicaments et des matériels donc le diocèse a fait tout son possible

8 pour venir en aide à ces gens.

9 La Croix Rouge yougoslave a également aidé les Serbes mais elle

10 n'avait évidemment pas les moyens qu'avaient les organisations comme

11 Médecins du monde ou Médecins sans frontières. L'association humanitaire

12 Krajina fondée par Bucan, qui n'existe plus maintenant, a aidé durant de

13 nombreuses années les Serbes, notamment de Krajina. Elle fonctionne avec

14 des bénévoles, des Serbes de France et des amis qui donnaient ce qui était

15 nécessaire pour ces populations. Enfin, le comité international de la Croix

16 Rouge aide, depuis la fin des bombardements de l'OTAN, les réfugiés donc en

17 Serbie et au Monténégro, mais en 2002 --

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous interromps, à présent. Je

19 crois que nous en avons entendu suffisamment. Je ne suis pas satisfait de

20 la question posée au sujet de l'aide apportée aux Serbes. Je ne pense pas

21 que cela soit pertinent et je vous demanderais de passer à une autre

22 question.

23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mademoiselle Crépin, vous avez dit que

24 les bombardements de l'OTAN ont causé l'exode d'à peu près un million de

25 personnes. Je m'attendais à ce que Monsieur Milosevic aille plus dans le

Page 34826

1 détail à ce sujet, mais il ne l'a pas fait, et vous posez la question et

2 vous demandez ce qui vous incite à affirmer cela, et pour ce qui est du

3 nombre de personnes et pour ce qui est des causes de l'exode en question.

4 L'INTERPRÈTE : L'interprète se corrige. Pour ce qui est du terme utilisé,

5 je ne suis pas satisfait de la question tout à l'heure. Il faut entendre,

6 je ne suis pas convaincu.

7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Avez-vous entendu la question,

8 Mademoiselle ?

9 LE TÉMOIN : Vous me demandez si j'ai bien compris ce qui me permet

10 d'annoncer des chiffres et les raisons de l'exode ?

11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, en effet. Comment avez-vous pu

12 affirmer quelles ont été les causes du déplacement de ces personnes pour en

13 faire des réfugiés, et vous avez cité un chiffre, un million de personnes ?

14 Comment l'avez-vous fait ?

15 LE TÉMOIN : Concernant les causes, je me base sur le rapport qui a été

16 effectué par l'OSCE, puisqu'à partir d'octobre 1998, une mission

17 d'observation, la MVK a été installée au Kosovo. Elle a quitté en mars

18 1999, quatre jours avant le début des bombardements. Ce rapport en deux

19 tomes a été publié en décembre 1999, et stipule très clairement et très

20 explicitement qu'aucune épuration ethnique n'avait eu lieu avant les

21 bombardements, et que l'exode et les violences qui ont suivi ont bien

22 démarré au moment des bombardements. Le rapport est très clair sur le

23 sujet, rapport de l'OSCE publié fin 1999.

24 Concernant les chiffres des réfugiés, je me base sur tous les

25 chiffres annoncés par le comité de réfugiés l'UNHCR et le CICR, qui ont

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1 annoncé ces chiffres et qui n'ont, à ce jour, étaient contestés par

2 personne.

3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] La cause, d'après ce que vous avez

4 compris, est une supposition que vous présentez vous-même ? Vous êtes en

5 train de nous dire qu'étant donné - je ne suis pas certain de vous avoir

6 compris - étant donné que vous avez indiqué que personne n'a parlé de

7 nettoyage ethnique et de discrimination avant le début des bombardements de

8 l'OTAN, il en découle que la cause de ce départ de personnes doit forcément

9 être le bombardement de l'OTAN, n'est-ce pas ? Ai-je raison de supposer la

10 chose de la sorte ?

11 LE TÉMOIN : Non, pas du tout. Je cite le rapport de l'OSCE. Ce n'est ni une

12 impression, ni une compréhension de ma part. Je cite le rapport de l'OSCE

13 qui dit que l'exode a débuté au moment des bombardements, et que durant

14 toute la mission d'observation de l'OSCE, il n'avait ni exode, ni épuration

15 ethnique, ni violence. Au cas, je cite purement et simplement le rapport de

16 l'OSCE, et ce n'est absolument pas une interprétation de ma part.

17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bien. Je crois que le Procureur en

18 parlera tout à l'heure.

19 Veuillez continuer, Monsieur Milosevic.

20 M. MILOSEVIC : [interprétation]

21 Q. Mademoiselle Crépin, je sais que vous êtes retournée en Yougoslavie

22 même après les bombardements. Vous avez parlé de minorité non-albanaise au

23 Kosovo et d'organisations humanitaires. En votre qualité de membre

24 humanitaire, avez-vous pu constater quelle a été la situation de ces

25 membres de communauté ethnique non-albanaise toujours au Kosovo ?

Page 34828

1 R. Oui. Tout à fait. Les minorités non-albanaises au Kosovo subissent,

2 depuis de nombreuses années, depuis la fin des bombardements, agression et

3 humiliation. La majorité des Albanais sont retournés au Kosovo depuis la

4 fin des bombardements. Or, à ce jour, seulement 3 % du nombre de personnes

5 appartenance des minorités sont de retour au Kosovo. Beaucoup ont fait le

6 voyage pour voir ce qu'il se passait.

7 Notamment, Samir Rifati, qui est président de Voice of Roma, qui

8 s'occupe des réfugiés ROM dans le monde entier, et qui a été scandalisé du

9 fossé qu'il y avait entre ce qu'il voyait sur place et ce qui était dit par

10 la communauté internationale. Alors que les instances internationales se

11 glorifiaient de vouloir construire un Kosovo multiethnique libre et

12 démocratique. Les ROM continuaient à vivre dans la misère et à fuir leurs

13 maisons sous l'attaque, sous le coup d'une attaque albanaise. Leurs maisons

14 ont été détruites. Ils ont dû les fuir. Ceux qui sont restés ou ceux qui

15 sont retournés vivent dans des enclaves avec une aide minime de la part des

16 Nations Unies, donc de la misère la plus totale. Rien n'est fait à l'heure

17 actuelle ni par la MINUK, ni par la KFOR pour protéger ces populations.

18 Cela est le sort des ROM au Kosovo.

19 Q. Veuillez m'indiquer, pour finir, je vous prie, rien que ce qui suit :

20 êtes-vous en train de parler de ROM seulement, ou de Serbes, de

21 Monténégrins, de Musulmans et autres groupes ethniques non-albanais qui ont

22 vécu au Kosovo et Metohija ?

23 R. J'ai parlé des ROM, mais les Serbes sont dans la même situation. Depuis

24 l'entrée de la KFOR le 12 juin 1999, les Serbes vivent dans la terreur.

25 Depuis la fin des bombardements, l'installation de la KFOR et de la MINUK,

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1 environ [imperceptible] Serbes ont été tués, 1 500 tués -- 1 500 blessés,

2 et à peu près un millier de kidnappés. Il y a eu des dizaines de milliers

3 d'actes criminels envers les Serbes. Environ 50 000 maisons serbes ont été

4 incendiées, plus d'une centaine de monastères ont été détruits, et beaucoup

5 d'Albanais sont arrivés de manière illégale au Kosovo, attirés par tous les

6 trafics qui ont eu lieu sur place. La MINUK et la KFOR sont à l'heure

7 actuelle complètement impuissante à cette agression. D'ailleurs, les

8 événements de mars 2004 l'ont bien prouvé puisque l'ONG, "Human Rights

9 Watch", a publié un rapport de 66 pages intitulé : "Absence de protection

10 violence contre la minorité, mars 2004," où ils accablent la MINUK et les

11 accusent de ne pas protéger les Serbes. Ils accusent également la MINUK de

12 dénier leur échec concernant cette protection.

13 Pour le moment, les Serbes ne sont pas protégés, et peu de Serbes vont

14 revenir au Kosovo. Il faut quand même savoir que le service de protection

15 du Kosovo est composé à majorité Albanais, et bien souvent d'anciens de

16 l'UCK. On peut imaginer l'impartialité qui est la leur lorsqu'il s'agit de

17 violence interethnique. Les événements de mars 2004 nous ont remontré que

18 les Serbes étaient livrés aux terroristes sans qu'aucune protection ne soit

19 exercée en leur faveur.

20 Je tiens quand même à terminer sur un événement que je trouve moins

21 dramatique. A Orahovac, le dernier des 12 Serbes qui vivaient encore là-bas

22 - ils étaient quand même 10 000 avant la guerre - est mort de faim le 15

23 octobre 2003, dans l'hôpital de Kiskovgel Mitrovica [phon]. Ils n'avaient

24 plus de manger depuis un mois. Ces voisins albanais qui l'aidaient ne

25 pouvaient plus le faire car ils étaient terrorisés par les milices

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1 albanaises.

2 Voilà comment terminent les Serbes du Kosovo. Je crains simplement qu'on en

3 arrive à une situation égale à celle de la Krajina où la communauté

4 internationale va laisser faire l'épuration ethnique des Serbes et ne

5 bougera pas quand ce genre d'événements de violence contre les Serbes,

6 qu'on arrivera à la situation identique de la Krajina, c'est-à-dire qu'elle

7 va être dans quelques temps épurée de tous les Serbes qui y vivent.

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Mademoiselle Crépin.

9 Nous allons faire une pause de 30 minutes à présent.

10 Monsieur Milosevic ?

11 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai encore une question pour en terminer avec

12 mon interrogatoire principal.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Allez-y.

14 M. MILOSEVIC : [interprétation]

15 Q. Quelles sont les raisons, Mademoiselle, qui vous ont poussé à décider

16 de venir témoigner ici ?

17 R. Vous voulez avant tout témoigner de la justice qui a été faite à

18 l'encontre du peuple serbe et de son président. J'ai promis à tant de gens

19 d'exprimer et de témoigner de leur souffrance, et c'est ce que j'ai fait

20 aujourd'hui. J'espère que je l'ai bien fait.

21 Q. Merci, Mademoiselle Crépin.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons à présent faire une

23 pause de 20 minutes.

24 --- L'audience est suspendue à 10 heures 33.

25 --- L'audience est reprise à 10 heures 57.

Page 34831

1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame le Procureur, c'est à vous.

2 Contre-interrogatoire par Mme Del Ponte :

3 Q. Mademoiselle Crépin, je voudrais pour moi-même et pour les Juges savoir

4 un peu exactement les périodes et l'année que vous étiez en ex-Yougoslavie

5 et surtout si c'était toujours en tant qu'infirmière.

6 Alors, en commençant par mars 1994, vous étiez là jusqu'en juin 1994, à

7 Glina, à l'hôpital militaire de Glina ?

8 R. A l'antenne chirurgicale de Topusko.

9 Q. Oui. Si j'ai bien compris ce matin, vous étiez d'abord à Sarajevo,

10 toujours FORPRONU.

11 R. Tout à fait, en février et mars.

12 Q. Attendez, il faut que je mette mes écouteurs, parce qu'en ce moment je

13 ne vous entends pas assez.

14 En tout c'était combien de mois ?

15 R. En tout quatre mois, les deux missions.

16 Q. D'accord. C'était officiellement pour l'ONU ?

17 R. Tout à fait.

18 Q. Après vous y alliez souvent et de nouveau en ex-Yougoslavie, mais en

19 tant que privé.

20 R. Tout à fait.

21 Q. Vous vous souvenez -- c'est surtout les périodes, parce que j'ai

22 octobre 1994, vous retournez à l'hôpital de Glina pour un court séjour,

23 cela veut dire quoi, un court séjour ?

24 R. J'y retourne environ tous les deux à trois mois, environ

25 15 jours. En général, c'était aux 15 jours ou trois semaines, sauf pour le

Page 34832

1 Kosovo, où je suis restée bien plus longtemps, mais sinon c'était des

2 séjours de 15 jours à trois semaines.

3 Q. Voilà. C'est toujours dans l'hôpital de Glina. Puis vous faites aussi

4 une visite à l'hôpital de Topusko, c'est juste.

5 R. Non. En tant que militaire, j'étais basée à Topusko --

6 Q. Oui.

7 R. J'ai travaillé à l'hôpital de Glina, et quand je suis retournée en

8 Krajina à titre individuel et non plus en tant que Casque bleu, j'allais

9 travailler à l'hôpital de Glina.

10 Q. Voilà, 15 jours ?

11 R. Entre 15 jours et trois semaines à chaque voyage.

12 Q. Là vous travaillez en tant que --

13 R. Infirmière.

14 Q. En tant qu'infirmière.

15 R. Hm-hm.

16 Q. Vous faisiez quoi en tant qu'infirmière ?

17 R. Au bloc --

18 Q. Infirmière anesthésiste, infirmière en opération ou --

19 R. Au bloc opératoire.

20 Q. Au bloc opératoire, hm-hm. Cela jusqu'en 1995 ?

21 R. Jusqu'à la chute de la Krajina en août 1995.

22 Q. En 1995. Vous avez aussi obtenu la nationalité de la République de la

23 Krajina ?

24 R. La Krajina, les gens de Krajina reconnaissant effectivement de l'aide

25 que je pouvais apporter, m'ont accordé à titre de remerciements une carte

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1 nationale effectivement de la Krajina.

2 Q. Ce n'est pas vous et votre ami le Dr Barriot qui avez demandé la

3 nationalité --

4 R. Pas du tout --

5 Q. En tant que solidarité pour --

6 R. Non --

7 Q. -- les Serbes de Krajina ?

8 R. Non. Cela a été une sorte de remerciements de gens qui étaient

9 tellement surpris qu'on puisse venir les aider, qu'ils ont estimé normal de

10 nous accueillir en quelque sorte en tant que citoyens serbes de Krajina.

11 Q. Hm-hm. Vous étiez là aussi une fois pour la télévision française.

12 R. A plusieurs reprises avec la télévision française.

13 Q. A plusieurs reprises. Parce que j'ai vu dans la documentation, que vous

14 aviez une autorisation ou une représentation comme FR3.

15 R. FR3.

16 Q. Voilà. Là, vous faisiez quoi alors, ce n'était pas en tant

17 qu'infirmière ?

18 R. Si, bien sûr que si. J'allais être dans le gîte [phon] parce qu'on

19 était plusieurs. J'allais travailler. Puis, sur place on allait voir les

20 gens comme je l'ai cité tout à l'heure, des représentants qui pouvaient

21 nous aider à travailler avec les réfugiés, et qui ont permis dans le même

22 temps à des journalistes d'effectuer des reportages, d'occuper deux

23 actions. L'objectif premier était de travailler en tant qu'infirmière ou

24 d'aller voir les réfugiés, et second temps, nous allions voir ces gens qui

25 donnaient, bien souvent, des interviews aux journalistes. C'était

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1 l'occasion pour ces journalistes de rencontrer ces gens.

2 Q. Ces victimes serbes.

3 R. Les victimes ou les dirigeants, comme je l'ai dit tout à l'heure.

4 Q. Oui. La télévision française faisait des documentaires sur la situation

5 réelle. Parce qu'avant, vous avez dit que, n'est-ce pas, les Serbes étaient

6 pratiquement --

7 R. Ils étaient --

8 Q. -- pratiquement méconnus ou inconnus ou n'étaient pas considérés. Mais

9 là justement, vous nous dites le contraire --

10 R. Non, je ne --

11 Q. -- c'est-à-dire, vous nous dites que là, la télévision venait avec

12 vous et filmait, filmait les victimes, les réfugiés.

13 R. Les cassettes sont restées dans les placards parce que les rédactions

14 n'ont pas voulu les passer.

15 Q. Alors --

16 R. Effectivement, les réfugiés ont été filmés --

17 Q. Oui --

18 R. -- mais les cassettes sont restées dans les placards.

19 Q. Sont restées dans les placards. Trois fois, quatre fois, parce que vous

20 dites ce n'était pas seulement une fois.

21 R. Non, non, à plusieurs reprises --

22 Q. Oui --

23 R. -- à plusieurs reprises, les documents ne passaient pas.

24 Q. Hm-hm.

25 R. De la même manière que parmi les quelques articles que j'ai écrits et

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1 qui sont passés dans la presse, il y a des dizaines, des centaines

2 d'articles qui ont été refusés --

3 Q. Hm-hm.

4 R. Sur dix ans où ces articles sont passés. Mais sur des centaines

5 d'articles, ils ont été refusés.

6 Q. Oui. A propos des victimes, vous nous parlez des victimes serbes. Est-

7 ce que vous avez eu l'occasion de connaître aussi des victimes d'autres

8 groupes ethniques, des Croates, des Musulmans ? Il y avait aussi des

9 victimes.

10 R. Je n'ai jamais nié qu'il y avait des victimes dans les trois

11 communautés puisque c'était une guerre civile. Par définition, toutes les

12 populations civiles souffrent. J'ai bien été placée pour le voir, puisque

13 j'étais à Sarajevo pendant plusieurs semaines. Toutes les populations

14 civiles, c'est bien malheureux, ont souffert de la guerre, bien sûr, mais

15 je ne l'ai jamais nié. Je n'ai jamais dit le contraire. J'ai simplement dit

16 que les Serbes souffraient eux aussi. Ce que par contre, personne ne le

17 dit.

18 Q. Sauf que, quand je vous ai entendue ce matin, c'était surtout les

19 victimes serbes. Mais je n'ai pas entendu parler des victimes, même des

20 victimes albanaises au Kosovo, parce qu'il y avait aussi des victimes

21 albanaises. C'est-à-dire il y a des victimes comme vous avez dit --

22 R. J'ai parlé des décès albanais ce matin, à l'hôpital de Pec.

23 Q. Vous étiez en ex-Yougoslavie 1994 jusqu'à, n'est-ce pas, 1998 ? 1999,

24 même. Vous avez lu l'acte d'accusation contre Milosevic. Vous savez que

25 pour ce qui concerne la Croatie, on parle de faits de 1991, 1992. Mais là

Page 34836

1 vous n'étiez pas en Croatie, dans la Krajina à cette époque; est-ce exact ?

2 R. Tout à fait.

3 Q. Tout ce que vous dites, parce que vous avez fait des flashs-back sur le

4 1992 et 1993. Là, c'est simplement l'avoir entendu.

5 R. Ce sont les réfugiés qui l'ont vécu.

6 Q. Voilà. Mais ce n'est pas votre, disons, ce que vous avez vu vous-même,

7 en tant qu'infirmière.

8 R. Sauf l'agressivité des Croates, qui était bien présente.

9 Q. Cela, c'est votre évaluation.

10 R. Non, c'est du vécu, Madame, c'est du vécu. J'y ai passé des semaines et

11 des mois en Croatie. C'était du vécu. L'agressivité des Croates, c'est du

12 vécu.

13 Q. Vous avez dit que le président Milan Martic avait dit ou avait écrit,

14 de punir sévèrement tout acte de violence. Cela veut dire qu'il y en avait

15 d'actes de violence.

16 R. C'était une -- on appelait cela de la prévention.

17 C'est-à-dire qu'il prévenait tous les policiers que s'ils commettaient un

18 acte de violence, ils seraient punis. C'était pour prévenir.

19 Q. Si on le fait pour prévenir, c'est que cela arrive, n'est-ce pas ?

20 R. Non.

21 Q. On le fait comme cela ?

22 R. Oui, pour prévenir, oui. C'est un conflit interethnique, avec quand

23 même des comportements agressifs de la part de Croates, qui auraient pu

24 légitimement entraîner de la part des Serbes des réactions, qui auraient

25 été agressés à priori, aurait pu --

Page 34837

1 Q. Vous vous souvenez certainement, qu'en mai 1995, le président Milan

2 Martic a attaqué Zagreb, c'est-à-dire, il y avait eu des coups sur Zagreb.

3 Vous vous souvenez de cela ?

4 R. Je me souviens de la Slavonie occidentale en mai 1995, qui a fait des

5 centaines de morts, qui a vu se déverser des --

6 Q. Je parle de Zagreb.

7 R. -- oui, mais Zagreb s'explique par Slavonie occidentale. La Slavonie

8 occidentale, mai 1995, les forces croates bombardent sans relâche pendant

9 plusieurs jours les civils sous protection de l'ONU de Slavonie

10 occidentale. Il y a des centaines de morts, et le président Milan Martic

11 appelle au secours la communauté internationale qui ne réagit pas. C'est

12 dans ce contexte qui, en désespoir de cause, réagit effectivement, en

13 demandant effectivement le bombardement de Zagreb qui a fait quatre ou cinq

14 morts.

15 D'un côté on a l'attaque de civils désarmés dans une zone de

16 protection de l'ONU, protégée par l'ONU, qui fait des centaines de morts,

17 et en face on a une réaction de désespoir d'un président qui a appelé la

18 communauté à l'aide. La communauté internationale n'a pas répondu, et qui

19 en tout état de cause, effectivement, fait bombarder Zagreb, et qui fait

20 quatre ou cinq morts.

21 Q. D'accord. De juin 1994 en août 1995, vous avez dit que vous étiez de

22 nouveau à l'hôpital à Glina, mais sur une base régulière. Cela veut dire

23 que vous étiez toujours là, ou seulement les quinze jours dont vous

24 mentionnez ?

25 R. La régularité se situait dans la répétition des voyages. Tous les deux

Page 34838

1 à trois mois durant quinze jours approximativement.

2 Q. Voilà. Juste pour savoir exactement, parce qu'autrement on comprend

3 trop bien. Opération Eclair et opération Tempête. Alors, là vous n'étiez

4 pas comme FORPRONU mais privé.

5 R. Tout à fait.

6 Q. Vous étiez où là ?

7 R. En Bosnie, à Banja Luka.

8 Q. En Bosnie et à Banja Luka. Vous avez parlé de la population serbe. Est-

9 ce que vous vous souvenez des autres minorités qui étaient, à l'époque,

10 encore à Banja Luka. Il y avait encore des Croates, il y avait encore des

11 Musulmans. Qu'est-ce qu'il en était ?

12 R. J'ai essentiellement vu les réfugiés qui quittaient la Slavonie

13 occidentale pour l'opération Eclair, et la Krajina pour l'opération

14 Tempête. Je me suis occupée des réfugiés serbes qui avaient fui

15 précipitamment ces deux zones.

16 Q. Voilà. A Banja Luka il y avait aussi des Croates et des Musulmans qui

17 ont aussi dû fuir et s'en allaient; vous le savez cela ?

18 R. En Slavonie occidentale ?

19 Q. J'ai dit à Banja Luka.

20 R. Ils ont dû fuir en Slavonie occidentale --

21 Q. Je ne sais pas où ils ont -- mais ils ont dû fuir Banja Luka parce

22 qu'il y avait les Serbes qui arrivaient.

23 R. Comme je l'ai dit durant tout mon témoignage ce matin, les deux

24 communautés croates et musulmanes ont été soutenues et aidées par les

25 organisations non gouvernementales. Je me suis occupée des gens dont

Page 34839

1 personne ne s'occupait.

2 Q. Ne s'occupait.

3 R. Non, je ne le dis pas, je l'affirme. C'est la stricte réalité. Je me

4 suis occupée, et j'ai fait mon possible pour les gens que personne

5 n'aidait. Ce n'est pas la peine d'être à dix organisations pour un groupe,

6 alors qu'en face, il y a un groupe dont personne ne s'occupe. Autant

7 répartir les aides et le soutien, que tout le monde puisse être aidé de

8 manière égale.

9 Q. Vous avez dit qu'en août 1995, vous avez rencontré Martic, Karadzic,

10 Plavsic, Krajisnik --

11 R. A partir de la chute de la Krajina.

12 Q. Est-ce que vous êtes resté en contact avec Karadzic ?

13 R. Non.

14 Q. Surtout pas maintenant, je suppose.

15 R. Non, ce n'est pas lié à cela. C'est que je n'ai plus eu l'occasion de

16 le rencontrer.

17 Q. Vous avez parlé de Mladic, vous l'avez rencontré ou pas aussi ?

18 R. Oui.

19 Q. Parce que vous avez écrit -- un des livres que vous avez écrit avec le

20 Dr Barriot : "On assassine un peuple" --

21 R. Les gens de Krajina.

22 Q. Oui. Vous avez laissé de l'espace pour Karadzic qui a écrit un

23 chapitre, pour Mladic qui a écrit un chapitre, pour Martic qui vous a fait

24 l'introduction, et nous, on a le plaisir de tout lire ce que vous avez

25 écrit. Mais dans ce livre, il n'y a absolument pas les indications d'où

Page 34840

1 viennent les informations que vous avez. Ma question est : vous les avez

2 eues où ? Parce que ce que vous avez fait, c'est un livre historique,

3 disons, on peut dire comme cela, un commentaire historique. Mais on ne sait

4 pas, il n'y a pas un bas de page où on trouve les indications de vos

5 informations.

6 R. Il y a une bibliographie à la fin de l'ouvrage.

7 R. Oui, il y a la bibliographie.

8 R. Avec les ouvrages utilisés.

9 Q. Oui, mais il n'y a pas les indications. Nous, nous pouvons, mais je ne

10 vais pas entrer dans les détails, nous pouvons --

11 R. Si vous prenez la bibliographie, vous avez tous les ouvrages.

12 Q. Justement pas, parce que si je reprends la bibliographie, je ne trouve

13 pas là où -- je ne suis pas d'accord avec vous. Mais on ne va pas rentrer

14 là-dedans.

15 Dans vos rencontres avec Mladic, Karadzic et tous les autres, est-ce qu'on

16 est en août 1995, est-ce que vous avez parlé de Srebrenica, de ce qui s'est

17 passé à Srebrenica ?

18 R. Nous avons beaucoup parlé des réfugiés. Avec Patrick Barriot, ils ont

19 parlé effectivement de Srebrenica, tout à fait.

20 Q. Parce que j'étais un peu étonnée, ici, je ne vois rien de Srebrenica.

21 Srebrenica, n'est-ce pas, c'est vraiment un des actes les plus graves, et

22 avec Mladic vous en avez parlé ? Parce que --

23 R. Oui, on a parlé un petit peu de Srebrenica, oui.

24 Q. Oui, un petit peu. 8 000 Musulmans ?

25 R. Les preuves n'ont pas été apportées, et les enquêteurs en l'espace de

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1 dix ans, dans leur rapport parlent de 2 500 maximums des corps exhumés à

2 Srebrenica. Au jour d'aujourd'hui, les preuves ne sont pas apportées, donc

3 je ne peux pas vous répondre. C'est quelque chose qui n'est pas encore jugé

4 et --

5 Q. Je ne veux pas discuter avec vous de Srebrenica. Je voulais simplement

6 que vous me disiez si vous avez parlé de Srebrenica avec ces gens que vous

7 avez rencontrés, Karadzic et Mladic. Vous les considérés des héros ?

8 R. Des héros, vous voulez dire ?

9 Q. Oui.

10 R. Je les considère comme des gens qui ont pris soin de leur peuple et qui

11 ont fait en sorte de les maintenir en vie face à des agresseurs qui

12 faisaient tout pour les éliminer, et face à une communauté internationale

13 qui faisait tout pour diviser et pour aggraver le conflit qu'il y avait en

14 ex-Yougoslavie. Je les considère comme étant des gens qui se sont occupés

15 de leur peuple et qui en ont pris soin, qui ont fait leur possible, qui ont

16 essayé.

17 Q. Vous savez que nous les considérons comme criminels de guerre ?

18 R. Oui, vous les considérez --

19 Q. En état d'accusation ?

20 R. Je sais, je sais.

21 Q. Mais vous savez aussi que dans les opérations Eclair et Tempête ont a

22 mis en état d'accusation d'autres accusés qui ne sont pas des Serbes. Vous

23 le savez cela ?

24 R. Franjo Tudjman est mort sans avoir été inculpé.

25 Q. Je ne parle de Tudjman, je ne veux pas de nom ici. Mais j'ai tout

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1 simplement --

2 R. Les généraux responsables n'ont pas été, n'ont pas été -- Tomislav

3 Mercep, je crois qu'il a même été élu, en Slavonie orientale.

4 Q. Je suis en train de vous dire que je ne suis pas en train de faire des

5 noms, Mademoiselle. Je suis en train de vous dire qu'on a mis en état

6 d'accusation des responsables, des responsables des opérations Eclair et

7 Tempête en 1994.

8 Kosovo. Vous êtes restée combien de temps au Kosovo ?

9 R. Le mois de juin 1998 et l'été --

10 Q. A Pristina ?

11 R. A Pristina.

12 Q. Vous étiez là comme infirmière ?

13 R. Tout à fait, tout à fait.

14 Q. Vous travailliez où comme infirmière ?

15 R. Non, je suis infirmière et j'étais membre du bureau de représentation

16 des Serbes de Krajina. J'ai fait un premier voyage, espérant pouvoir aller

17 à Pec en tant qu'infirmière. Comme je l'ai expliqué ce matin, je n'ai pas

18 pu, puisque le recteur Rade Popovic m'a déconseillé d'y aller, l'UCK menant

19 des combats et bloquant les routes. J'y ai été comme infirmière, je n'ai

20 pas pu travailler, aller à Pec comme infirmière. Ensuite, à Pec durant

21 l'été 1998, juillet et août, où là j'ai travaillé comme infirmière.

22 Q. Donc, si vous travaillez comme infirmière, vous travaillez dans un

23 hôpital ?

24 R. Tout à fait.

25 Q. C'était dans quel hôpital ?

Page 34843

1 R. A Pec.

2 Q. Ah, il y en a un seul ?

3 R. Oui, l'hôpital de Pec.

4 Q. Non, non, je ne sais pas. J'ai été à Pec, mais, naturellement, je ne

5 sais pas combien il y a d'hôpitaux.

6 R. A l'hôpital, à l'hôpital de Pec.

7 Q. Vous parlez de l'exode des Serbes. Est-ce que vous avez pu constater

8 aussi l'exode d'autres communautés ethniques du Kosovo ?

9 R. J'étais en Serbie durant les bombardements, mais durant les

10 bombardements, les Albanais ont fui le Kosovo comme les Serbes, les ROM,

11 les tsiganes et les autres personnes, bien sûr. Les bombardements de l'OTAN

12 ont provoqué l'exode de toutes les populations. Cela n'a protégé aucune

13 personne. D'ailleurs, dans les morts dus au bombardement, il y a des Serbes

14 comme des Albanais. Des convois de réfugiés albanais ont été bombardés dans

15 le sud de la Serbie puisqu'ils s'y étaient réfugiés. Dans les Albanais, il

16 y a quand même 100 000 Albanais accueillis par la Serbie, qui est au jour

17 d'aujourd'hui le seul pays multiethnique à accueillir ces Albanais. Des

18 convois de réfugiés albanais ont été malheureusement pris pour cible comme

19 les Serbes quand les bombes ont tombées.

20 Q. Vous êtes sûre, il n'y avait pas de distinction ?

21 R. Les bombardements de l'OTAN n'ont fait aucune distinction. A 5 000

22 mètres d'altitude vous savez --

23 Q. Absolument, les bombardements de l'OTAN. Tous les bombardements, tous

24 les conflits. Mais, ce que j'aimerais bien vous demandez, est-ce que vous

25 avez visité aussi des camps de réfugiés qui n'étaient pas seulement Serbes.

Page 34844

1 Parce que nous ont sait qu'il y avait des camps de réfugiés aussi d'autres

2 ethnies. Ce que je veux essayer de savoir, si vous étiez vraiment

3 indépendante ou simplement attirée par la situation de victimisation des

4 Serbes ?

5 R. En Krajina, 40 000 réfugiés musulmans ont été accueillis.

6 Q. Vous avez visité ces camps ?

7 R. Bien sûr.

8 Q. Bien.

9 R. A Sarajevo, j'ai quand même risqué ma vie, Madame, pour les Musulmans

10 de Sarajevo. J'ai assuré le convoyage en véhicule blindé de populations qui

11 devaient être démobilisées, ils étaient Serbes comme Musulmans. Tous

12 ensemble, j'ai risqué ma vie pour ces gens.

13 Q. Vous avez visité aussi des camps des Croates ?

14 R. Non, non. Mais j'ai risqué ma vie durant ces missions pour les Serbes

15 comme pour les Musulmans.

16 Q. Oui.

17 R. J'étais sur le terrain et j'ai --

18 Q. Aucun, aucun ne met en doute, vous savez.

19 R. Non, mais je tiens à le dire quand même.

20 Q. On sait, on sait.

21 R. C'est du vécu et c'est des prises de risque. Je n'ai pas regardé à ma

22 vie à moi pour aider les autres, qu'ils soient Serbes, Musulmans ou

23 Croates.

24 Q. Justement, ce que je voulais savoir de vous, c'est que vous ne vous

25 êtes pas seulement pointée sur les victimes Serbes. Il y a des victimes

Page 34845

1 dans tous les camps.

2 R. Je suis humanitaire avant tout.

3 Q. Très bien.

4 R. L'humanitaire ne fait pas de politique.

5 Mme DEL PONTE : Très bien. Rapport au OSCE, Monsieur le Président,

6 Messieurs les Juges. Le rapport au OSCE est "exhibit" dans les actes. Je

7 veux simplement mentionner, à la page 6, c'est "l'exhibit" 145. Je veux

8 simplement citer une seule phrase. Je pourrais en citer, vous voyez,

9 plusieurs.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quel est le document ?

11 Mme DEL PONTE : [interprétation] C'est le rapport de l'OSCE. Pièce à

12 conviction 145.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, oui, d'accord, sous les ordres.

14 Veuillez poursuivre.

15 Mme DEL PONTE : [interprétation] Page 6.

16 Q. Je cite : "Tuerie délibérée et illégale de civils, exécutions

17 extrajudiciaires, tout cela faisait partie et était au cœur de la campagne

18 d'épuration dans toute la province. Les civils, bien entendu, n'étaient pas

19 des combattants, on y trouvait des femmes et quelques enfants qui ont été

20 assassinés par la police serbe. Les soldats de l'armée yougoslave et les

21 forces paramilitaires qui leur étaient associées ont participé à des

22 tueries qui revêtaient l'allure d'exécutions."

23 [en français] Je vous ai cité seulement cette phrase simplement pour

24 contester ce que vous venez dire sur le rapport OSCE. Naturellement, vous

25 vous avez dit : je cite le rapport OSCE, alors je vous dis, le rapport OSCE

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1 est tout à fait différent de la conclusion que vous tirez de ce rapport.

2 R. Cette phrase ne dit pas à quel moment ces actes ont été commis.

3 Q. Oui oui. Il y a tout dedans.

4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame le Procureur, est-ce un rapport

5 de l'OSCE ou est-ce un rapport de "Human Rights Watch" ? Je parle de ce

6 document intitulé : "Sous les ordres." Est-ce un rapport de l'OSCE ou de

7 "Human Rights Watch" ?

8 Mme DEL PONTE : [interprétation] J'espère. Ah, non. C'est un texte d'Human

9 Rights Watch. Je suis désolée. Ce n'était pas le rapport de l'OSCE.

10 J'ai ici le rapport OSCE, mais non, c'était le rapport "Human Rights

11 Watch". Je m'excuse. Mais on me l'avait donné comme si c'était le rapport

12 d'OSCE.

13 J'ai aussi un autre rapport. J'espère que ce soit celui de l'OSCE. Oui.

14 Mission de l'OSCE au Kosovo, juin-octobre 1999.

15 [en français] Je n'ai pas eu le temps de le revoir.

16 Q. Une autre question, Mademoiselle Crépin. Vous avez vu, vous avez

17 eu des contacts avec les autorités. C'était qui les autorités nationales

18 avec qui vous avez eu des contacts ?

19 R. Le président Milan Martic de la République serbe de Krajina; le

20 président Radovan Karadzic de la République serbe; le général Ratko Mladic.

21 Q. Vous l'avez dit oui. Cela, c'était à l'occasion de quel événement ?

22 R. A l'occasion de voyages durant lesquels nous essayions de retrouver des

23 réfugiés, de savoir quelle était leur prise en charge, quels étaient leurs

24 besoins. Nous nous sommes trouvés également à la fête du Vidovdan, le 28

25 juin 1995, avec Radovan Karadzic et Ratko Mladic, puisque nous étions là et

Page 34847

1 nous avons été invités. Vous savez, il y avait tellement peu de gens qui

2 aidaient les Serbes, l'ex-Yougoslavie étant de tout petits pays, cela se

3 savait et nous étions effectivement invités lors de certains événements.

4 Q. Là, on parle politique aussi ?

5 R. On parle aux réfugiés, on parle de politique, on parle de la situation,

6 on parle de l'abandon de la France, de l'abandon des Serbes par la France.

7 On parle de tout cela, oui. On parle du regret qu'il y a à ne plus voir de

8 Français aider les Serbes qui souffrent. On parle de tout cela.

9 Q. L'expérience que vous avez vécue, c'est une expérience qui vous a,

10 comme vous avez dit, vous a motivé de demander à M. Milosevic d'apparaître

11 comme témoin.

12 R. Ce témoignage, pour moi, était important pour enfin pourvoir exprimer

13 les souffrances des Serbes. J'ai promis à tous ces gens de témoigner.

14 C'était pour moi une occasion de témoigner de la réalité du terrain, et de

15 ce qui a été vécu sur le terrain.

16 Q. Très bien. Vous témoignez pour la souffrance des Serbes, n'est-ce pas ?

17 R. Tout à fait.

18 Q. Naturellement, vous n'êtes pas à même de témoigner sur la culpabilité

19 ou pas de M. Milosevic.

20 R. Je témoigne pour dire ce que j'ai vu réellement sur le terrain en

21 Krajina, au Kosovo, les bombardements de l'OTAN, et tout ce que j'ai pu

22 voir.

23 Q. Alors, j'ai ici un autre rapport OSCE, qui est la pièce à conviction

24 106

25 Mme DEL PONTE : Monsieur le Président, à la page 6, qui est un

Page 34848

1 paragraphe qui parle toujours, mais je n'ai pas eu le temps de le lire :

2 [interprétation] "Les autorités serbes ont fait venir des forces de

3 sécurité spéciale en janvier 1998."

4 [en français] Qu'ils ont répondu aux attaques de l'UCK et qu'ils ont

5 procédé à des arrestations -- en tout cas, je ne vais pas le lire, Monsieur

6 le Président. Je veux simplement citer le paragraphe ici à la page 6. C'est

7 le deuxième paragraphe de ce rapport OSCE juste pour les dates que c'est

8 différent des conclusions de Mme le Témoin.

9 Je n'ai pas d'autres questions. Merci, Monsieur le Président.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Madame le Procureur.

11 Y a-t-il des questions supplémentaires, Monsieur Milosevic ?

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame Crépin, une question

13 simplement. Avant 1993, est-ce que vous étiez déjà allée en Serbie ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Jamais.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mademoiselle Crépin, ceci met fin à

17 votre déposition. Vous pouvez maintenant vous retirer.

18 [Le témoin se retire]

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, nous nous sommes

20 penchés sur votre requête au sujet du témoin suivant, et nous estimons

21 qu'il nous faudrait entendre son témoignage. Dans le cours de ce

22 témoignage, au cas où il y aurait des éléments au sujet desquels vous

23 souhaiteriez présenter des commentaires, vous aurez, bien entendu, la

24 liberté de le faire.

25 Monsieur Milosevic, quel est votre témoin suivant ?

Page 34849

1 L'ACCUSÉ : [interprétation] M. Patrick Barriot.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si j'ai bien compris, le

3 témoin suivant avait été prévu pour témoigner à 11 heures 45. Nous sommes

4 un peu en avance. Peut-être pourrions-nous à présent faire la pause de 20

5 minutes, et revenir pour reprendre.

6 --- L'audience est suspendue à 11 heures 29.

7 --- L'audience est reprise à 12 heures 01.

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Que le témoin prononce la

9 déclaration solennelle, je vous prie.

10 LE TÉMOIN : Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la

11 vérité et rien que la vérité.

12 LE TÉMOIN: PATRICK BARRIOT [Assermenté]

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez vous asseoir.

14 A vous, Monsieur Milosevic.

15 Interrogatoire principal par M. Milosevic :

16 Q. [interprétation] Je vous prie. Bonjour, Monsieur Barriot. D'abord,

17 veuillez nous indiquer brièvement quel a été votre cursus professionnel

18 jusqu'à ce jour ?

19 R. [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président.

20 [en français] Mon nom est Patrick Barriot. J'ai le grade de colonel dans

21 l'armée française. Je suis docteur en médecine, spécialiste en anesthésie

22 en réanimation en médecine de catastrophe et en toxicologie d'urgence. J'ai

23 effectué une carrière de 25 ans dans l'armée française. J'ai été affecté

24 successivement à la Brigade de Sapeurs-pompiers de Paris, à la 11e Division

25 parachutiste, aux Unités d'intervention de la Sécurité civile, et à une

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1 antenne chirurgicale avancée en ex-Yougoslavie.

2 Lorsque j'ai quitté, j'ai terminé ma carrière militaire aux portes de

3 médecin-chef de la Sécurité civile. J'étais médecin-chef des unités

4 militaires d'intervention de la Sécurité civile, et j'ai été conseillé du

5 préfet directeur de la Sécurité civile et du ministre de l'Intérieur.

6 J'avais le grade de colonel. Lorsque j'ai quitté l'armée française en 1998,

7 j'ai été nommé spécialiste des hôpitaux, et je fus charger de cours dans

8 plusieurs facultés de médecine, instituts, et grandes écoles. Je fais

9 partie de plusieurs sociétés savantes, françaises et internationales. J'ai

10 écrit une dizaine d'ouvrages scientifiques de médecine d'urgence et de

11 catastrophes. J'ai écrit plusieurs centaines d'articles publiés dans les

12 revues internationales, en particulier, dans "The New England Journal of

13 Medicine". Je suis également expert pour les questions liées aux systèmes

14 d'armement non conventionnels et au terrorisme.

15 J'ai à la fois une spécialité de sécurité civile et de protection des

16 populations civiles. Comme je vous le disais, j'étais médecin-chef de la

17 sécurité civile française. J'ai suivi la formation du Haut-commissariat aux

18 Réfugiés, d'expert pour l'évaluation des situations de catastrophe à

19 Lausanne, et j'étais chargé à cette époque de coordonner les secours avec

20 les organisations non gouvernementales au sein des cellules de Crise et des

21 cellules d'urgence.

22 Je suis également spécialiste des questions d'armement non

23 conventionnel. Je suis intervenu sur plusieurs conflits militaires en

24 Afrique, en Extrême-Orient, enfin un peu partout dans le monde. Je viens

25 d'écrire un ouvrage sur les armes de destruction massive, ouvrage préfacé

Page 34851

1 par le général Pierre-Marie Galois, le père de la dissuasion nucléaire

2 française.

3 Enfin, je suis également spécialiste pour les questions liées au

4 terrorisme. Je suis intervenu lors des attentats terroristes en France en

5 1986, en particulier, l'attentat de la rue de Reine. Dans les années 1995,

6 en particulier, l'attentat sur la ligne B du RER, l'attentat de la station

7 Saint-Michel. J'ai fait partie d'un groupe d'experts de la Sécurité civile

8 française qui s'est rendu à Tokyo lors de l'attentat au gaz ferron [phon]

9 dans le métro de Tokyo. Je fais partie de plusieurs groupes d'experts et de

10 recherches travaillant sur le risque terroriste, en particulier, le

11 programme bioterrorisme scénario et réponse, qui est porté par la fondation

12 pour la recherche stratégique dans le cadre du plan français de lutte

13 contre le terrorisme Biotops.

14 Je voudrais terminer pour dire que je n'ai jamais été inculpé ni

15 suspect de quoi que ce soit, que je suis chevalier de l'ordre national du

16 Mérite. J'ai reçu quatre médailles pour actes de courage et de dévouements

17 décernés par le préfet de police de Paris, ainsi que trois lettres de

18 félicitations du ministre de la Défense, du chef d'état-major des armées du

19 ministre de la Coopération pour des actions menées à l'étranger dans le

20 cadre de la protection de population civile.

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pour quelle raison vous a-t-on

22 décerner l'ordre du Mérite, et qui est-ce qui vous l'a décerné ?

23 LE TÉMOIN : J'ai reçu l'ordre de national du Mérite, signé par le président

24 François Mitterand, en particulier, pour les actions menées à l'étranger,

25 aussi bien en Albanie, au Kurdistan iraquien, et dans diverses régions du

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1 monde.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quel âge avez-vous ?

3 LE TÉMOIN : J'ai 49 ans, Monsieur le Président.

4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous avez 49, et vous avez été

5 médecin avant de rejoindre les rangs de l'armée, n'est-ce pas ?

6 LE TÉMOIN : J'ai fait mes études de médecine aux fins de l'armée. J'étais

7 militaire dès l'âge de 18 ans, et donc j'ai fait mes études de médecine

8 alors que j'étais militaire.

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

10 Monsieur Milosevic, veuillez continuer.

11 M. MILOSEVIC : [interprétation]

12 Q. Docteur Barriot, je vous demanderais de nous dire brièvement : quelles

13 sont vos expériences au sujet des conflits survenus sur le territoire de

14 l'ex-Yougoslavie et de nous indiquer où est-ce que vous avez été sur ce

15 territoire-là ?

16 R. Oui. Je vais brièvement vous détailler les trois volets. Concernant la

17 Croatie, tout d'abord, j'ai été Casque bleu en ex-Yougoslavie, en Krajina,

18 plus exactement à Topusko, près de Glina, dans le secteur sud de la

19 FORPRONU pendant plusieurs mois. Je me suis déplacé sur les régions de

20 Banja Luka, de Kordun, Velika, de Dalmatie du nord, mais également sur le

21 reste de la Croatie, en particulier, à Zagreb, également dans la poche de

22 Bihac, plus précisément à Velika Kladusa, puisque c'était tout près de la

23 région de Glina et de Topusko.

24 Ensuite, je suis revenu tout au long des années 1994 et 1995, en Krajina,

25 au sein de deux organisations humanitaires, en particulier, l'organisation

Page 34853

1 Humanitaire Krajina, qui était fondée parmi le Bucan et l'organisation

2 humanitaire Téléobjectif, qui a été fondée par Marica Mathei. J'étais, en

3 particulier, dans la région lors des Opérations tempêtes et des Opérations

4 éclairs lancées par les forces croates.

5 J'ai été nommé, en 1995, par M. le président, Milan Martic, représentant

6 officiel de la République serbe de Krajina à Paris. J'ai écrit un ouvrage

7 qui s'intitule : "On assassine un peuple, les Serbes de Krajina", ouvrage

8 préfacé par le président Milan Martic, qui également a écrit tout un

9 chapitre sur l'histoire de la Krajina.

10 Par ailleurs, j'ai accompagné à plusieurs reprises des équipes de la

11 télévision nationale française de la chaîne FR3, en particulier, M. Mourad

12 Ay Tabouche, et M. Christian de Garnet [phon], qui souhaitaient réaliser

13 des interviews de Milan Martic. C'est moi qui leur suis permis de réaliser

14 ces interviews. Par ailleurs, j'ai écrit plusieurs dizaines d'articles sur

15 l'histoire de la Krajina.

16 Voilà pour le volet de la Croatie. Pour ce qui est de la Bosnie, je me suis

17 rendu de très nombreuses fois en Bosnie en 1994 et 1995. D'une part, en

18 tant que représentant de la République serbe de Krajina, et chargé

19 d'évaluer les besoins des réfugiés, j'ai rencontré plusieurs fois le

20 président Radovan Karadzic. J'ai également rencontré d'autres personnalités

21 politiques et militaires, en particulier, le général Ratko Mladic que j'ai

22 rencontré plusieurs fois en 1995.

23 J'ai écrit de nombreux témoignages sur ces années-là, en particulier, qui

24 ont été publiés dans deux livres, "Les Diables sont déchaînés", puis

25 l'autre édition, "L'Âge d'Homme", et un autre témoignage sur la Serbie,

Page 34854

1 également publié à l'édition, "L'Âge d'Homme", dans l'ouvrage que j'ai cité

2 précédemment : "On assassine un peuple, les Serbes de Krajina." J'ai publié

3 un texte du président Radovan Karadzic et un texte du général Ratko Mladic.

4 J'ai également permis à une équipe de télévision de la chaîne nationale

5 française FR3 de réaliser des interviews avec le président Radovan Karadzic

6 ainsi qu'avec le général Ratko Mladic, en particulier, une interview qui a

7 eu lieu au mois de septembre 1995 et qui a été diffusée en France début

8 octobre 1995.

9 Concernant le troisième volet du Kosovo et de la Serbie, j'étais au Kosovo

10 en 1998, en particulier, au cours de l'été 1998, où j'ai sillonné le Kosovo

11 du nord au sud. J'ai été en Serbie, à Belgrade, et dans la région de

12 Belgrade lors des frappes de l'OTAN au mois de mars et d'avril 1999.

13 Voilà, j'ai été présent sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, au niveau de

14 la Croatie, de la Bosnie, du Kosovo et de la Serbie, à des dates charnières

15 des événements de 1994 à 1999.

16 Q. Quelles sont les motivations de votre témoignage de ce jour ?

17 R. La motivation essentielle est née de la -- du fossé de la plus grosse

18 fracture qu'il y avait entre ce que j'ai pu observer sur le terrain en tant

19 que militaire, en tant que membre d'association humanitaire, ou en tant que

20 représentant des Serbes de Krajina, l'immense fracture qu'il y avait entre

21 la réalité sur le terrain et ce que les médias pouvaient en dire dans nos

22 journaux, dans nos télévisions. Je voudrais témoigner d'une grande

23 injustice que j'estime avoir été faite au peuple serbe. Je voudrais

24 témoigner de ce qu'ont vécu et de ce qu'ont souffert les Serbes durant

25 toute cette guerre, des souffrances qui, en général, ont été totalement

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1 occultées. Donc, je viens témoigner pour le peuple serbe, car j'estime

2 qu'aujourd'hui c'est le peuple qui, assis à votre place, je le dis sans

3 emphase mais avec beaucoup d'émotions. Je voudrais témoigner de ce que j'ai

4 vu et vécu tout au long, tout au long de ces années.

5 Alors je tiens à dire que je n'ai aucune appartenance politique à aucun

6 parti politique, ni en France, ni à l'étranger. Je tiens à préciser cela,

7 parce qu'en général, les militaires qui ont pris le parti ou la défense des

8 Serbes, ont été accusés de faire partie de groupes extrémistes, en

9 particulier, lorsque le général Jean-René Bachelet, en décembre 1995, a été

10 pris de compassion pour les Serbes de Sarajevo, des quartiers d'Ilidza, de

11 Grbavica et de Vogosca, en disant qu'il avait le choix entre la valise ou

12 le cercueil, il a été accusé par le journal "Le Monde" de prendre le Parti

13 des extrémistes serbes.

14 Je tiens à dire que, globalement, l'extrême droite française est beaucoup

15 plus proche des Croates que des Serbes, et que le général Ante Gotovina a

16 beaucoup plus d'amis --

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie. Je vous remercie.

18 Je crois que vous avez répondu à la question portant sur les motivations.

19 Question suivante.

20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Barriot, pendant que vous étiez

21 dans les Balkans, avez-vous toujours été accompagné par Mlle Crépin ?

22 LE TÉMOIN : Dans la grande majorité des cas, nous étions effectivement

23 ensemble. Je ne pourrais pas vous dire toujours, mais dans la grande,

24 grande majorité des cas, oui.

25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourriez-vous me dire, s'il vous plaît,

Page 34856

1 ce que signifie que de dire représentant de la Krajina serbe ? C'est le

2 même concept qui a été cité par Mlle Crépin. Vous êtes tous les deux

3 représentants de cette entité-là. Qu'avez-vous au juste fait en cette

4 qualité-là en France ?

5 LE TÉMOIN : En la qualité de représentants de la République serbe, j'ai

6 mené plusieurs actions. D'une part, j'ai tenté de mobiliser les médias.

7 C'était un de nos objectifs prioritaires, la tâche que nous avait confiée

8 le président Milan Martic, de faire en sorte que les médias connaissent

9 réellement la situation sur le terrain et les souffrances du peuple serbe

10 de Krajina et des Serbes de Croatie, qui étaient occultées par les médias.

11 C'était dans un premier temps essentiellement de faire connaître la

12 situation réelle sur le terrain et non ce qui était diffusé dans les

13 médias. C'était le premier objectif.

14 Le deuxième objectif était l'objectif humanitaire de coordonner l'aide

15 humanitaire dans la mesure où personne ne s'intéressait aux Serbes de

16 Krajina, personne n'est venu à leur secours. Ils étaient dans un état de

17 détresse totale, sans la moindre aide extérieure. Notre rôle était à la

18 fois d'évaluer les besoins, et dans la mesure du possible de leur apporter

19 une aide humanitaire essentiellement matérielle, médicale et en

20 médicaments.

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qui est-ce qui vous a nommé

22 représentant de cette Krajina ?

23 LE TÉMOIN : Le président Milan Martic. Je pense avoir mis dans les pièces

24 la lettre de nomination signée par le président

25 Milan Martic. Elle est dans les pièces que j'ai fournies au Tribunal, que

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1 je peux éventuellement vous présenter si vous le désirez.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Où cela se trouve-t-il dans la

3 documentation, Monsieur Milosevic ?

4 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'essaie justement de le retrouver. Cela figure

5 à l'intercalaire 4. Intercalaire 4. Il y a une coïncidence des

6 intercalaires. Il y a une décision signée par le président Milan Martic,

7 "Pour ce qui est de l'ouverture de l'émission de représentation de la

8 Krajina serbe."

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] A cette époque vous étiez encore

10 membre, ou plutôt vous étiez encore membre de l'armée -- vous aviez des

11 fonctions au niveau de l'armée.

12 LE TÉMOIN : Oui. Oui, j'étais officier supérieur de l'armée française.

13 Cependant, j'ai été nommé par le président Milan Martic, représentant

14 officiel de la République serbe de Krajina. Cette nomination a fait l'objet

15 d'une dépêche de l'agence France Presse, et a déclenché également la colère

16 à l'époque de M. Mate Granic, qui était le ministre des Affaires étrangères

17 croate et qui a porté plainte officiellement contre moi pour cette

18 nomination, qui a également été reprise par la presse, en particulier par

19 la presse croate, où j'ai été insulté par le journal le quotidien

20 "Vjesnik", qui m'a traité de fasciste pour cette représentation, en disant

21 que la République serbe de Krajina n'existait pas. Mais, pour moi, elle

22 existait et elle existe toujours.

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il n'y a pas eu de conflits

24 d'intérêt. Ne pensez-vous pas que de vous voir faire partie de l'armée

25 française et en même temps vous pouvez être représentant de la Krajina ?

Page 34858

1 LE TÉMOIN : Effectivement, il y a eu un conflit qui a débuté à ce moment-

2 là. Les autorités, ma hiérarchie militaire, m'a demandé de me rétracter et

3 de signer un document par lequel je déclarais que j'avais été manipulé par

4 les autorités serbes. Mais ce n'était absolument pas le cas, bien entendu.

5 J'ai refusé de me rétracter et j'ai refusé de signer ce document, parce que

6 je le faisais en toute connaissance de cause et en toute franchise. C'est

7 vrai que de ce fait là, j'ai été emmené à quitter l'armée quelque temps

8 après.

9 Si je m'étais rétracté, j'aurais pu rester dans l'armée avec mon grade de

10 colonel, mais j'ai préféré perdre ces avantages plutôt que de perdre, on va

11 dire plutôt que de perdre l'honneur dans cette affaire.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic. Continuez

13 je vous prie.

14 M. MILOSEVIC : [interprétation]

15 Q. Avez-vous décrit toutes les difficultés que vous avez eu à vous

16 prononcer pour ce qui est du conflit yougoslave, mis à part celle dont vous

17 avez parlé ? Y a-t-il eu d'autres difficultés de votre part ?

18 R. Oui, je crois. Je voudrais souligner à ce propos toutes les difficultés

19 qu'ont eues les gens qui ont voulu fournir d'autres interprétations du

20 conflit, et surtout même exprimer ce qu'ils avaient vu sur le terrain mais

21 qui étaient en contradiction avec ce que disaient les médias. C'est vrai

22 que les militaires ont été au premier plan de ses mesures répressives. J'ai

23 cité ce qui m'est arrivé. J'ai eu beaucoup d'autres problèmes, en

24 particulier, bien sûr, mes lignes téléphoniques ont été mises sur écoute,

25 j'ai eu des menaces de mort. Je ne suis pas le seul, parce que tous les

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1 militaires qui ont essayé, j'allais dire de comprendre ce qui se passait

2 sur le terrain, dès lors qu'ils tentaient d'établir des relations avec les

3 Serbes, ont été entravés. Je pense au général Sir Michael Rose qui,

4 également, a été mis sur écoute, qui a dit clairement que toutes ses

5 tentatives auprès des Serbes avaient été sabotées. Il y a beaucoup d'autres

6 militaires français qui ont été exclus de l'armée et que je pourrais vous

7 citer. Je vous ai cité également le cas du général Jean-René Bachelet, qui

8 avait été insulté pour avoir pris la défense des Serbes des quartiers de

9 Sarajevo en décembre 1995. D'une façon générale, tous les militaires

10 français ou étrangers qui ont tenté d'expliquer ce qu'ils avaient vu sur le

11 terrain, ont été réduits au silence d'une façon plus ou moins violente, et

12 en général, plus violente que moindre. Mais ce n'est pas le propre des

13 militaires, c'est également -- cela s'est posé pour des diplomates. Je

14 pense en particulier lors de l'offensive contre la Krajina, lors de

15 l'opération Tempête, lorsque M. Carl Bildt a dit que le saccage de Knin

16 était quelque chose d'excessivement grave, qui pourrait amener à

17 l'inculpation de M. Franjo Tudjman. Il a été également réduit au silence

18 par Zagreb et Washington, ou lorsque

19 M. Gerry Bisbier [phon] a critiqué la MINUK, l'action de M. Kouchner au

20 Kosovo, M. Kouchner a été odieux avec lui. Il l'a fait taire en lui disant

21 : "Monsieur Bisbier, fermez-la," qui est un langage de voyou. C'est bien

22 pour insister sur le fait que chaque fois que quelqu'un a essayé de donner

23 une vision différente, mais surtout une vision qui était objective à partir

24 de constatations fait sur le terrain, tous ces gens-là ont été réduits au

25 silence. Je voudrais citer, par exemple, pour finir, le cas de M. Régis

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1 Debre en France, un intellectuel, qui a été traité de révisionniste en

2 temps réel ou d'un journaliste comme Jacques Merlinot, qui a quasiment

3 perdu son travail pour avoir dit ce qu'il avait vu.

4 J'insiste beaucoup. Je suis heureux de pouvoir m'exprimer librement

5 aujourd'hui devant ce Tribunal, parce que c'est quelque chose

6 d'exceptionnel, et qu'on a toujours été bâillonné dès lors qu'on voulait

7 dire la vérité sur ce qui se passait sur le terrain.

8 L'INTERPRÈTE : Monsieur le Témoin, les interprètes vous seraient

9 reconnaissants de ralentir votre débit.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous pouvez exprimer librement vos

11 opinions, mais de façon pertinente, je vous prie.

12 Monsieur Milosevic, continuer.

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, j'espère que ce que le

14 témoin a dit tout à l'heure, se trouve être assez pertinent, ma foi.

15 M. MILOSEVIC : [interprétation]

16 Q. Je voudrais dire ce qui suit. Monsieur Barriot, vous avez été haut

17 gradé de l'armée française. Vous avez fait des missions à l'étranger. Je

18 vous poserai pour cette raison-là, la question suivante : avez-vous eu quoi

19 que ce soit à faire avec les services secrets français ?

20 R. Effectivement, j'ai été en contact étroit avec les services de

21 Renseignement français. D'une part du fait que le poste que j'occupais en

22 1994, médecin-chef de la sécurité civile française en perpétuel déplacement

23 à l'étranger dans des zones sensibles, faisait que j'étais en contact avec

24 des agents de la DGSE, donc de la directions générale de la sécurité

25 extérieure, qui correspond au Renseignements militaires en France. A partir

Page 34861

1 de 1995, j'ai été également en contact avec des agents de la DST, de la

2 direction de la Sûreté du territoire, qui correspond aux Renseignements

3 civils en France.

4 Je vais vous préciser dans quelle condition. A la fin de l'année

5 1995, alors que me trouvais à Pale, avec M. Rajda Tabouche, le reporter de

6 la chaîne de télévision française, j'ai été accosté par M. Jugoslav

7 Petrusic, connu également sous le pseudonyme de Dominic. M. Jugoslav

8 Petrusic m'a accosté. A l'évidence, il me connaissait bien, ou du moins il

9 avait beaucoup de renseignements sur ma vie privée et professionnelle. Il

10 m'a déclaré travailler pour la DST française, donc pour la direction de la

11 Sécurité du territoire, en me donnant le nom et le numéro de téléphone de

12 son employeur à la DST. Il m'a précisé également qu'un projet

13 d'élimination physique de ma personne avait été constitué. Un contrat avait

14 été mis sur ma personne afin de m'éliminer. Lors de cette discussion, M.

15 Rajda Tabouche le reporter de la télévision française était présent. Il

16 pourra confirmer ces dires. C'est important, parce que c'est également la

17 première fois que M. Rajda Tabouche a rencontré Jugoslav Petrusic. Je

18 signale ce fait, parce que cela a une importance pour la suite, puisque M.

19 Rajda Tabouche a fait des reportages par la suite en Bosnie, grâce à l'aide

20 de M. Jugoslav Petrusic.

21 Q. Veuillez m'indiquer, s'il vous plaît, si vous savez quoi que ce soit au

22 sujet de la libération des pilotes français en 1995 ?

23 R. Oui, c'est un sujet important et sensible. Précisément,

24 M. Jugoslav Petrusic a joué un rôle important dans cette libération. Je

25 tiens à dire que M. Rajda Tabouche a réalisé un reportage télévisé qui

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1 s'appelle "le prix d'une poignée de main", sur la libération des pilotes

2 français en 1995. Il se trouve que ce reportage a été censuré par les

3 autorités françaises, parce qu'il apparaît dans ce reportage qu'une

4 importante somme d'argent qui était censée servir de rançon, et je précise

5 que cette rançon n'avait pas été réclamée par les autorités, donc il

6 apparaît dans ce reportage qu'une importante somme d'argent a été détournée

7 par des politiciens français à cette occasion. Je m'explique. Alors que nos

8 deux pilotes étaient prisonniers des Serbes de Bosnie, la DST française,

9 donc la direction de la Sécurité du territoire, a envoyé au mois de

10 novembre 1995, deux missions de négociation pour faire libérer les pilotes.

11 Ce que je veux dire est très important. La première mission de négociation

12 a été confiée par la DST, donc par M. Raymond Martre au général

13 Pierre-Marie Galois. Le général Pierre-Marie Galois s'est rendu en Bosnie

14 où il a rencontré le général Ratko Mladic, le

15 17 novembre 1995. De retour à Paris, le général Pierre-Marie Galois a rendu

16 compte de sa mission, et a précisé l'exigence modeste du général Mladic,

17 puisque le général Mladic ne demandait aucune rançon. Tout ce que demandait

18 le général Mladic, c'était une poignée de main de la part du chef d'état-

19 major de l'armée de l'air française, le général Dwynne [phon], en échange

20 de la libération des pilotes.

21 Curieusement, une deuxième mission de négociation a été engagée

22 quelques jours plus tard, toujours par la DST, mission confiée à

23 M. Jean-Charles Marchiani, qui est Académie de marquois [phon], qui a

24 rencontré ces deux personnes, qui ont rencontré le général Mladic le

25 25 novembre 1995, soit huit jours après la rencontre avec le général

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1 Pierre-Marie Galois. De retour en France, ils ont dit : le général Mladic

2 veut bien libérer les pilotes, mais, en échange d'une rançon de quelques

3 millions d'euros

4 Donc, en définitive nos pilotes ont été libérés le 12 décembre 1995, après

5 que le général Mladic ait serré la main du chef d'état-major de l'armée de

6 l'air française. Mais je précise et j'insiste sur le fait que le général

7 Mladic n'a pas reçu un euro, donc une importante somme d'argent --

8 M. NICE : [interprétation] Excusez-moi d'interrompre. J'aurais sans doute

9 dû le faire plus tôt. Je sais que cette déposition va sans doute faire

10 partie de la procédure et il est possible qu'il y ait un autre témoin qui

11 abordera directement ces éléments et dont le nom figure sur la liste des

12 témoins de l'accusé. Je ne suis pas tout à fait sûr de cela

13 personnellement. Je ne sais pas si ce que relate le témoin en ce moment est

14 quelque chose qu'il sait personnellement ou qui émane d'une tierce

15 personne. Il est peut être utile à la Chambre, avant d'approfondir le

16 sujet, de découvrir quelle est la source des connaissances du témoin sur ce

17 point car je ne suis pas très certain à cet égard

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous avez guidé le temoin

19 sur ce sujet ?

20 M. NICE : [interprétation] Il y a des éléments de preuve qui ont été

21 fournis qui portent sur les pilotes français et leur histoire. Ceci n'est

22 pas sans importance mais ce n'est pas non plus particulièrement important.

23 Cela dit, ce n'est pas dépourvu totalement d'importance. Vous vous

24 rappellerez que la chose a été mentionnée pour la première fois par Lilic,

25 je crois. Peut-être pas pour la première fois mais en tout cas, il en a

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1 parlé mais il a donné son interprétation. Je ne voudrais pas rentrer dans

2 les détails, mais il serait bon d'abord de déterminer la source.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Barriot vous m'entendez ?

4 L'information que vous venez de fournir, comment l'avez-vous obtenu,

5 Monsieur Barriot ?

6 LE TÉMOIN : Les informations que je viens de fournir m'ont été révélées

7 directement par plusieurs sources, qu'il s'agisse aussi bien de services de

8 Renseignement français que du général Pierre-Marie Galois, que de M.

9 Jugoslav Petrusic, que j'ai rencontré personnellement à plusieurs reprises,

10 ou que ce soit de M. Mourad Ay Tabouche. Je n'ai pas très bien compris les

11 réserves et les remarques de Monsieur Nice. Je pense que c'est un problème

12 très très important parce qu'il souligne, encore une fois de plus, la façon

13 dont les informations sont manipulées et la façon aussi dont on a salit

14 l'honneur du général Mladic en prétendant qu'il avait exigé une rançon

15 alors qu'il n'avait jamais exigé de rançon. Je précise encore que le

16 reportage de Mourad Ay Tabouche a été censuré par les autorités françaises

17 et que ce n'est pas sans raison. J'estime donc que nous sommes au cœur de

18 la discussion et que ce problème est important.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Barriot.

20 Monsieur Milosevic à vous.

21 M. MILOSEVIC : [interprétation]

22 Q. Etes-vous resté en contact avec Jugoslav Petrusic ?

23 R. J'ai rencontré, il y a quelques mois, M. Jugoslav Petrusic, qui vit à

24 Paris où il dit qu'il avait été encore interviewé longuement par des

25 représentant du TPIY, donc j'ai rencontré M. Jugoslav Petrusic, qui est

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1 venu me voir à l'issue d'une réunion publique où l'on parlait de la Serbie.

2 Il m'a abordé, il m'a parlé à nouveau longuement de ce reportage sur la

3 libération des pilotes français auxquels il avait participé avec M.

4 Tabouche et il m'a donné son numéro de téléphone et de portable en me

5 demandant de le rappeler. Ce que je n'ai pas fait. Je n'ai pas repris

6 contact avec lui depuis cette date.

7 Q. Fort bien. Je vais m'efforcer à ce que nous abordions toute une série

8 de questions de la façon la plus efficace qui soit. Vous avez dit vous-

9 même, n'est-ce pas, que vous dirigiez le secteur médical de la protection

10 civile et qu'aujourd'hui vous faites partie de ce groupe d'experts

11 conseillers de l'état qui s'occupe des conséquences éventuelles d'une

12 éventuelle attaque terroriste sur la France, n'est-ce pas. Je suppose que

13 le thème du terrorisme vous est bien connu ?

14 R. Oui, Monsieur le Président.

15 Q. Sans perdre cela de vue, grâce à ces jours prolongés sur le territoire

16 de l'ex-Yougoslavie, vous avez obtenu de nombreux renseignement au sujet de

17 la situation dans cette région. Mais avez-vous des renseignements plus

18 particulièrement relatifs à l'activité et aux actes des groupes terroristes

19 en Bosnie-Herzégovine ?

20 R. Oui, bien entendu. Dès 1994, les services de Renseignement occidentaux,

21 même s'ils ont sous-estimé cette menace, étaient parfaitement au courant

22 sur le territoire bosniaque, de groupes terroristes, liés à la fois au GIA

23 algérien, donc au groupe islamique armé algérien et à al-Qaeda. Ces groupes

24 --

25 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, avec le respect que je

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1 dois à la Chambre, je proposerais, avant que cette partie de la déposition

2 soit autorisée, de vérifier la pertinence du sujet et d'établir la source

3 des connaissances du témoin à ce sujet. La Chambre se souviendra que

4 certains témoins ont parlé de documents liés aux services de Renseignement

5 et ils se sont dits inaptes à lever le secret qui pesait sur ces documents.

6 Parfois ceci a rendu leurs dépositions inacceptables.

7 Mais j'aimerais être sûr de déterminer de quoi parle le témoin --

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] A moins que la déposition n'ait eu

9 dans ce cas qu'une valeur assez faible.

10 M. NICE : [interprétation] Ou qu'elle n'ait eu une valeur assez faible

11 effectivement. Je suis sûr que le témoin ne s'appuie pas sur des rumeurs,

12 qu'il parle de ce qu'il a entendu lui-même ou de ce que lui ont dit des

13 généraux mais il faudrait tout de même identifier les services de

14 Renseignement qui sont à la source de ces connaissances.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Barriot, pourriez-vous, je

16 vous prie, nous aider en nous disant quels sont les sources de ces

17 renseignements dont vous disposez, de la part de "services de Renseignement

18 occidentaux," comme vous avez dit. Quelle est la source précise que vous

19 évoquez ?

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je tiens à redire une fois, je l'avais dit à

21 l'introduction lorsque je me suis présenté, précisément pour ne pas avoir à

22 le redire sans arrêt, et je précise à Monsieur Nice que les connaissances

23 que j'ai des ces problèmes ne sont pas des connaissances que j'ai apprises

24 dans les journaux mais que j'ai apprises du fait de mon activité. Je

25 rappelle que le poste de médecin-chef de la sécurité civile en France est

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1 attaché au ministère de l'Intérieur et que lorsqu'on est médecin-chef de la

2 sécurité civile, on est conseillé du préfet directeur de la sécurité civile

3 et conseillé du ministre de l'Intérieur. Je rappelle que j'ai été envoyé à

4 l'étranger en particulier à Tokyo comme spécialiste des questions de

5 terrorisme. Je rappelle que je suis, une nouvelle fois et je regrette

6 d'avoir à le redire, que je suis intervenu lors de nombreux attentats

7 terroristes à Paris et en France, que je fais partie de plusieurs groupes

8 d'études sur ce sujet et je crois avoir fait la preuve des contacts que

9 j'avais au plus haut niveau des services de Renseignement. Il faudrait

10 peut-être attendre d'avoir entendu ce que j'ai à dire avant de le mettre en

11 doute.

12 [La Chambre de première instance se concerte]

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Barriot, quelle est la

14 source précise de ces informations ?

15 LE TÉMOIN : Monsieur le Président, je le répète, j'ai passé des années au

16 sein de cellules de Crise d'urgence, au sein de cellules de Crise

17 spécialisées dans l'analyse du terrorisme, et j'ai collecté tous les

18 éléments dont je dispose à cette occasion. Je ne vais pas vous rapporter un

19 papier signé du directeur des services de Renseignement pour habiliter à

20 vous raconter cela.

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il s'agit dans ce cas-là

22 d'informations que vous avez simplement recueillies dans le cadre de

23 l'accomplissement de vos fonctions.

24 LE TÉMOIN : Oui, précisément, dans l'accomplissement de mes fonctions en

25 tant que de personne qu'officier supérieur chargé de la sécurité publique

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1 en France.

2 M. NICE : [interprétation] Il est peu probable que ceci est la moindre

3 valeur. Il y a fort peu de chances que nous ayons des documents sous les

4 yeux, et que nous puissions mener un contre-interrogatoire sur la base de

5 documents. Il est fort peu probable que le témoin puisse nous dire que de

6 tels documents ont été reçus par lui en première main. Par ailleurs, en

7 tout état de cause, de tels documents seraient sans doute non pertinents.

8 J'invite la Chambre à demander à ce que le témoin veuille passer à un

9 autre sujet.

10 [La Chambre de première instance se concerte]

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, j'aimerais vous

12 entendre sur ce sujet avant de rendre une décision.

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, nous avons constaté que le

14 colonel Barriot dirigeait le secteur médical de la sécurité civile en

15 France, et qu'encore aujourd'hui, il est membre d'un groupe d'experts au

16 niveau de l'état qui sont chargés d'étudier les conséquences éventuelles

17 d'attaques terroristes sur la France. Il était, ou il est en tout cas

18 aujourd'hui, en position de recevoir des informations qui font l'objet de

19 sa déposition ici.

20 La seule question que M. Nice peut poser éventuellement c'est de

21 savoir si ce témoin dit la vérité ou s'il ment.

22 Tout ce que je lis, au sujet de ce témoin dans tous ces

23 Documents, confirme sans aucun doute que ce témoin dit la vérité en tout

24 état de cause. Il est question ici d'un homme d'honneur, d'un homme qui,

25 d'une part est entièrement honnête et qui d'autre part dispose

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1 d'informations qu'il n'a pas reçues, par des rumeurs selon le mot employé

2 par M. Nice ou par la presse, mais en remplissant les fonctions que j'ai

3 évoquées, à savoir chef du secteur médical de la sécurité civile et membre

4 d'un groupe d'experts chargé de l'étude des attaques terroristes.

5 Je suppose que si quelqu'un fait partie de la sécurité civile et

6 travaille au niveau d'un groupe d'experts au niveau de l'état, je suppose

7 qu'il peut s'occuper en bonne et due forme des tâches qui sont les siennes.

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelle peut être la pertinence de

9 telles informations ?

10 L'ACCUSÉ : [interprétation] La pertinence vient du fait qu'il ne fait

11 absolument aucun doute que les gouvernements occidentaux ont soutenu le

12 terrorisme en Bosnie-Herzégovine et qui entraînaient des conséquences

13 fatales.

14 Lors de l'audition du témoin précédent, vous avez parlé du tu quoque

15 comme étant un argument utilisable. Mais ce n'est pas cela. Il est

16 impossible de justifier un crime par un autre crime. Ce dont il est

17 question ici, c'est de l'établissement des relations, des rapports existant

18 entre la cause et la conséquence. Conséquence qui sans aucun doute a été

19 tragique pour toutes les parties. Dans un contexte déterminé, il faut bien

20 étudier le lien de cause à effet qui a existé au cours des événements

21 survenus sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. Je suppose que l'image va

22 devenir de plus en plus claire à vos yeux, après l'audition des témoins,

23 pas seulement de ce témoin bien sûr, mais de toute une série de témoins qui

24 vous aideront à voir la totalité des choses et pas à vous limiter à cette

25 vision déformée qui est la vôtre jusqu'à présent, dans un cadre où tout est

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1 mis sans dessus dessous.

2 M. KAY : [interprétation] Monsieur le Président, si je puis me permettre.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

4 M. KAY : [interprétation] Le témoin est tout à fait en droit de dire ce qui

5 fait partie de ses connaissances personnelles. Il peut citer la source de

6 sa connaissance pour étayer son propos, source qui peut être documentaire

7 ou qui peut être simplement son expérience personnelle en raison du rôle

8 qui était le sien. Le témoin peut être contre-interrogé au sujet de la

9 validité de la source de sa connaissance, et en dernière analyse, il est

10 fort possible que la question du poids accordé à cette déposition se pose,

11 à savoir que la Chambre de première instance se demande quel est l'appui

12 qu'elle a obtenu ou si elle est convaincue de la validité de la déposition

13 du témoin sur un certain nombre d'éléments qui figurent dans son

14 témoignage.

15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous avez des observations au sujet de

16 la pertinence ?

17 M. KAY : [interprétation] Il semble que dans ce procès, il soit permis de

18 discuter du fait que l'accusé, en toute bonne foi, contredit un certain

19 nombre de choses dites par le Procureur dans cette affaire. Nous savons que

20 l'argument opposé au Procureur par l'accusé consiste à dire que ce procès a

21 été monté de toutes pièces à son encontre, qu'il y a des sources qui ont

22 participé au travail de l'Accusation et qui sont opposées à lui et à son

23 pays ou qu'ils l'ont été pendant une certaine période, et qui ont agi en

24 vue de l'abattre. Par conséquent, si de telles sources, de telles

25 influences, si vous préférez, sont révélées comme ayant eu un pouvoir sur

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1 les événements et un rapport avec l'Accusation, il est fort possible que

2 l'accusé soit capable d'établir l'un ou l'autre des points forts de sa

3 défense dans la présente affaire.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Kay, si tel est le cas, il est

5 d'autant plus important que la déposition permette à la Chambre de première

6 instance de déterminer le poids accordé à tel ou tel élément. Ma façon de

7 comprendre la réponse du témoin jusqu'à présent, c'est que je l'entends

8 dire : "Ces gens n'ont pas besoin de s'occuper de la source de ma

9 connaissance, je suis un homme d'honneur, j'ai une très grande expérience.

10 Nous sommes en 2005 aujourd'hui, et par conséquent, plus j'ai accumulé

11 d'informations, plus je suis fiable." Lorsque nous entendons ce que le

12 témoin vient de dire sur la connaissance des services de Renseignement

13 occidentaux à un moment déterminé, ce moment déterminé est déjà très

14 éloigné de nous. Il me semble que le témoin devrait pouvoir une indication,

15 au moins, ne serait-ce qu'une indication très générale sur la source de

16 cette partie de sa déposition. Voilà, la difficulté qui se pose à moi.

17 M. KAY : [interprétation] Je comprends tout à fait cela et à bien des

18 égards les parties risquent de perdre leurs repères, si les dépositions, en

19 tout cas, des témoins sur les faits ne se situent dans un cadre bien

20 déterminé. Cela ne réduit pas pour autant le poids accordé par les Juges de

21 la Chambre à ce que disent les témoins. C'est quelque chose que toute

22 personne comparaissant devant un Tribunal doit garder à l'esprit

23 lorsqu'elle veut convaincre tel ou tel point particulier.

24 J'espère que ces observations vous seront utiles.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Là, il est question de poids et pas

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1 d'admissibilité.

2 M. KAY : [interprétation] Oui.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous ne pourrons peut-être pas

4 attacher un poids important à l'ensemble de cette déposition si la source

5 n'est pas révélée et si le Procureur notamment ne peut pas contre-

6 interroger le témoin sur ce point.

7 M. KAY : [interprétation] Je suis sûr, cela a déjà été dit, et c'est utile

8 pour les Juges que la déposition leur soit fournie car il y a un certain

9 nombre de choses qu'ils leur est utile d'entendre, mais il faut peut-être

10 que ce soit plus étayé.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Barriot, je vous pose la

12 question pour la dernière fois. Pouvez-vous nous donner des détails plus

13 précis sur la source de vos informations en dehors du fait que vous ayez

14 obtenu ces informations dans le cadre de l'accomplissement de vos fonctions

15 de façon générale ?

16 LE TÉMOIN : Enfin, vous me répétez la question une nouvelle fois, mais je

17 vous fais la même réponse. J'ai été militaire colonel de l'Armée française.

18 J'ai été Casque bleu en ex-Yougoslavie. J'ai été responsable de la sécurité

19 civile en France. J'ai participé à toutes les réunions concernant les

20 cellules de Crise et concernant le terrorisme dans les années 1994 et 1995.

21 Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Cela me semble quand même

22 évident que j'avais des renseignements de première main et que j'ai été

23 impliqué directement dans ces événements. Là encore, je vous le redis les

24 attentats terroristes, j'y étais. J'étais sur place. Je les ai vécus. Je

25 suis intervenu à la fois sur le terrain avec les blessés, à la fois dans

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1 les cellules de Crise et les groupes d'experts. Je suis parmi les gens qui

2 ont le plus écrit et publié sur les techniques non-conventionnelles et de

3 bioterrorisme. Si cela ne vous suffit pas, effectivement, mais à ce moment-

4 là vous pouvez mettre en doute ma crédibilité.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Docteur Barriot, nous nous rapprochons

6 du but sans doute, mais, lorsque vous dites avoir participé à toutes les

7 réunions au sujet de la lutte antiterroriste en 1994 et 1995, vous dites

8 qu'au moment des attaques terroristes vous étiez là, vous étiez sur

9 terrain. Est-ce que vous parlez d'attaques terroristes dans les Balkans ?

10 LE TÉMOIN : Je parle d'attaques terroristes en France et dans les Balkans.

11 En France dans les années 1995, je vous rappelle qu'il y a eu l'attentat

12 contre la ligne B du RER au niveau de la station Saint-Michel, et je vous

13 précise au passage qu'à l'époque le ministère de l'Intérieur français avait

14 évoqué une piste serbe à l'origine de cet attentat. Donc on est en plein

15 dans le sujet, on est en plein dans les problèmes d'attentats terroristes

16 en France avec des réseaux terroristes liés aux GIA algériennes et liés à

17 al-Qaeda et des groupes qui étaient en Bosnie, des attentats pour lesquels

18 on a accusé trop hâtivement une fois de plus les Serbes. Donc, il me semble

19 qu'on est vraiment au cœur du sujet.

20 [La Chambre de première instance se concerte]

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous vous autoriserons à poursuivre

22 sur ce point. Mais Monsieur Milosevic, finalement, la question qui se

23 posera en dernière analyse sera la question du poids accordé au témoignage

24 et pas un problème d'amissibilité, à savoir que nous nous demanderons si

25 nous pourrons attacher une grande validité, un point important à ce

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1 témoignage. Ceci est très peu probable, notamment après le contre-

2 interrogatoire.

3 M. MILOSEVIC : [interprétation]

4 Q. Vous avez parlé, Colonel Barriot, de ce qu'avait dit le ministre de

5 l'Intérieur français lors de cette attaque terroriste sur Paris. Il était

6 question que des Serbes aient pu y participer. Mais qu'a-t-il été établi

7 finalement ? Qui était l'auteur de cet acte ?

8 R. Oui, donc nous faisons référence ici à la vague d'attentats de 1995 en

9 France, en particulier à l'attentat du 25 juillet 1995, sur la ligne B du

10 RER à Paris.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je me dois de vous arrêter.

12 L'INTERPRÈTE : [Hors micro]

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ceci n'est pas pertinent par rapport

14 à l'affaire. Posez une autre question.

15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bon. Bon. Bon. Ce n'est pas pertinent. Mais

16 cela illustre une partie de la propagande de l'époque parce que dès que

17 quelque chose se passait, on disait cela doit être les Serbes et, ensuite,

18 on établit les faits et on se rend compte qu'il n'y a aucun rapport avec

19 les Serbes. Mais bon.

20 M. MILOSEVIC : [interprétation]

21 Q. Dites-moi, Colonel Barriot, avez-vous la moindre connaissance sur le

22 point suivant : Dans quelle mesure ces cellules terroristes ancrées en

23 Bosnie-Herzégovine grâce à -- dans quelle mesure elles se sont ancrées en

24 Bosnie-Herzégovine grâce à l'hospitalité et à l'ouverture d'esprit

25 d'Izetbegovic ?

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1 R. Oui, donc ces cellules terroristes étaient parfaitement implantées en

2 Bosnie. Puisque vous ne m'avez pas laissé parler des attentats de 1995, je

3 parlerai du deuxième groupe terroriste qui est passé à l'œuvre en France en

4 1996. Je fais référence au gang de Roubaix. Ce gang de Roubaix, qui a été

5 démantelé après l'attaque contre le commissariat de Lille, ce gang de

6 Roubaix était dirigé par M. Christophe Caset. Christophe Caset a combattu

7 dans la légion islamiste de Zenica.

8 Il y avait deux autres membres de ce gang de Roubaix, qui s'appellent

9 Lionel Dumont et Mouloud Bouguela. Lionel Dumont et Mouloud Bouguela ont

10 combattu également en Bosnie dans la légion des combattants islamistes. Ils

11 ont même été emprisonnés en Bosnie pour avoir attaqué une station d'essence

12 dans le but de financer leur groupement terroriste. L'agenda électronique

13 de Christophe Caset a bien montré qu'il était en liaison aussi bien avec le

14 GIA algérien qu'avec al-Qaeda.

15 Donc, il y a un lien évident entre les groupes terroristes à l'œuvre en

16 France en 1995 et 1996, et les combattants islamistes en particulier de la

17 Bosnie centrale et de la région de Zenica. Cela me semble quand même un

18 problème crucial et évident qui montrait que le terrorisme bosniaque

19 nourrissait des tentacules, des avant-postes, en particulier vers la

20 France, comme cela a été le cas en 1995 et en 1996. On ne peut pas ignorer

21 ce fait.

22 Le problème c'est que les pays européens se sont rendus compte du problème

23 du terrorisme bosnien qu'uniquement lorsqu'ils ont été frappés comme les

24 américains. D'ailleurs jusqu'au 11 septembre 2001, cela ne gênait pas les

25 troupes de la SFOR, qui détendent d'entraînements terroristes bosniaques à

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1 l'œuvre. Ce n'est que le 11 septembre qu'on a dépêché des équipes de

2 surveillance où on a fait des perquisitions dans des organisations

3 caritatives islamiques, comme la Saudi Aid Commission Relief où la Third

4 World Relief Agency, des structures, des organisations caritatives

5 islamistes dont on a aujourd'hui la certitude qu'elles ont soutenu et

6 alimenté le terrorisme. Mais même après les accords de Dayton, toutes ces

7 structures sont restées parfaitement actives parce qu'elles nuisaient

8 uniquement aux --

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je me dois de vous arrêter. Je vous

10 arrête.

11 Monsieur Milosevic, expliquez la pertinence de tout ceci. Si nous partons

12 de l'hypothèse que ce que dit le témoin est vrai, quelle est la pertinence

13 de cette forme de terrorisme par rapport à l'un ou l'autre des chefs

14 d'accusation retenus contre vous ?

15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il s'agit de toute une série de conclusions

16 tirées, pour me servir de se terme, tirées par la communauté

17 internationale, actes en série pour lesquels on accusait les Serbes et qui

18 ont été réalisés par de tels groupes en Bosnie-Herzégovine, et non

19 seulement des groupes de cette nature, mais aussi des forces et des

20 effectifs réguliers de l'armée musulmane de Bosnie-Herzégovine --

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous arrête, je vous arrête. Pour

22 répondre à ce que je viens de vous demander, vous êtes en train de me dire

23 c'est que l'un des crimes qui figure à votre encontre dans l'acte

24 d'accusation a en réalité été quelque chose de commis, de perpétrer par ces

25 terroristes ?

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1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je ne sais pas ce que vous me reprochez en tout

2 et pour tout ici parce que tout cela est assez nébuleux. Ces terroristes,

3 voire même ces forces régulières ont réalisé, ont perpétré toute une série

4 de crimes, et quand il s'agit de tir de tireurs isolés qui ont frappé les

5 civils, et quand il s'agit de bombes à Markale 1, Markale 2, et quand il

6 s'agit d'une explosion dans la queue que les gens faisaient pour le pain,

7 on a prononcé, on a proclamé des sanctions contre la Yousgolavie, mais cela

8 n'a pas été dit dans les rapports présentés par les représentants des

9 forces internationales sur place, pour ce qui est de la réalité des faits.

10 Donc toute une série de crimes ont été perpétrés pour faire tomber la

11 responsabilité sur les Serbes, et pour les démonisés. Donc c'est un

12 contexte de diabolisation des Serbes, bien plus large que le territoire de

13 l'ex-Yougoslavie. Partant de cette satellisation, il a été créé toute une

14 série d'accusations, y compris ce que la partie adverse ici s'efforce de

15 démontrer, sans pour autant avoir suffisamment de preuves à l'appui.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay.

17 L'ACCUSÉ : [interprétation] Toute une série de crimes.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay, je vous demande un peu

19 d'aide de votre part, pour ce qui est de cette question. Je crois que nous

20 allons nous retrouver dans cette même situation dans le courant de la

21 présentation toute entière des éléments de preuve de la Défense, comment

22 l'accusé se propose t-il de démontrer que ce qu'il affirme doive être versé

23 au dossier, notamment s'agissant des souffrances des Serbes et des

24 détentions de Serbes, s'il n'y a pas d'éléments de preuve catégorisés, et

25 du type de ce que l'on désigne par tu quoque.

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1 M. KAY : [interprétation] S'agissant des attaques lancées ou réalisées par

2 des parties autres, le témoin précédent nous a dit qu'elle a séjourné à

3 Sarajevo et qu'elle avait connaissance du fait que les Musulmans s'étaient

4 attaqués aux forces des Nations Unies en ouvrant le feu en leur direction,

5 avec des snipers, et on a parlé également à ce sujet du massacre perpétrés

6 à Markale. Si l'on prend en considération le fait que l'expert de

7 l'Accusation a affirmé que l'on pouvait reprocher ou faire tomber la

8 culpabilité de ces événements sur la partie serbe, il y a un continuum

9 d'allégations et de contre-allégations au sujet de certains incidents

10 figurant dans l'acte d'accusation.

11 Je sais que depuis la fin de la présentation des éléments de preuve à

12 charge, et depuis la décision adoptée en vertu du 98 bis, il a été décidé

13 de ne plus présenter d'éléments de preuve au sujet de ces événements de

14 Sarajevo, étant donné que l'Accusation n'a pas présenté ces éléments là

15 dans le courant de la présentation de ces éléments contre l'accusé.

16 Ce qui, à bien des égards, signifie que ces développements sont bien

17 moindres à l'encontre de l'accusé. Maintenant, il s'agit de voir en quoi

18 cela concerne l'accusé, et en quoi ces affirmations appuient les

19 affirmations présentées par l'accusé.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais pour être au sens strict du

21 terme, pour qu'une déclaration soit pertinente, il faut qu'il y ait un lien

22 matériel avec l'un quelconque des éléments de l'acte d'accusation.

23 M. KAY : [interprétation] S'il venait à être établi qu'il y avait eu des

24 forces réalisant des attaques pour lesquelles les Serbes ont été tenus

25 responsables, et que les attaques font l'objet des éléments de preuve à

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1 charge, alors dans ce cas-là l'accusé tentera d'avancer des éléments de

2 preuve positifs qui abondent dans ce sens. Il faut, bien entendu, voir où

3 cela va nous conduire, mais à bien des égards, ceci peut constituer des

4 déclarations de nature générale. Mais si par la suite dans le courant de la

5 présentation des éléments à décharge, il vient à être présenté des

6 déclarations et des éléments de preuve au sujet de l'acte d'accusation, il

7 en sera autrement. Par conséquent, nous envisageons, nous disons que ce

8 témoin n'a pas été protagoniste dans certains événements. Il a obtenu des

9 informations partant de sources du renseignement. Par conséquent, il doit y

10 avoir un lien entre le témoignage de ce témoin et les événements sur le

11 terrain.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, mais M. Milosevic doit savoir

13 que nous n'avons aucun, nous ne sommes intéressés par l'audition de son

14 récit à moins que ce récit ne soit pertinent eu égard à l'acte

15 d'accusation. S'il souhaite nous relater une histoire qui ne serait pas

16 pertinente vis-à-vis de l'acte d'accusation, ceci n'est pas le forum où il

17 convient de présenter ce récit. Les éléments de preuve doivent être

18 strictement en corrélation avec les éléments de preuve à charge dans l'acte

19 d'accusation. Je vais être tout à fait strict. Je vais vous demander

20 d'expliquer lorsque vous faites venir ici les témoins de fait, de nous

21 démontrer de quelle façon leur témoignage va se référer aux chefs

22 d'accusation, de l'acte d'accusation, parce que c'est un test de

23 pertinence.

24 Donc -- le Juge Bonomy veut prendre la parole.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Kay, lorsque M.

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1 Milosevic avait critiqué votre implication pour ce qui est de votre

2 représentation de ses intérêts, et il est parti d'une chose disant d'une

3 supposition qui serait celle d'affirmer que vous ne savez quels sont les

4 postulats de sa défense. Partant de là, la Chambre de première instance ne

5 peut pas s'attendre de sa part à l'identification des éléments pertinents

6 de ces témoignages; en d'autres termes, de l'identification des éléments de

7 l'acte d'accusation auxquels il va se référer dans la présentation de ses

8 éléments de preuve.

9 M. KAY : [interprétation] Oui, justement. Ce sont les questions qui

10 sont posées.

11 Je me sers de mes connaissances et de mon expérience au sujet de ce

12 qui s'est passé auparavant afin de rassembler, de collecter tous ces

13 détails, parce que voyez-vous j'ai vaqué à ce type de détails pendant assez

14 longtemps, et à des niveaux différents. J'ai réussi à me rendre compte de

15 bon nombre de choses. Pour être concret, ce témoignage se rapporte à la

16 période où le témoin a été présent dans la région de Bosnie et de la

17 Krajina.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais je crois que vous êtes peut-être

19 un peu trop généreux lorsque vous dites attendons de voir jusqu'où va nous

20 mener ce témoignage. Je crois que l'accusé doit forcément savoir lorsqu'il

21 interroge son témoin, où le témoignage doit nous mener.

22 M. KAY : [interprétation] Oui, je comprends cela. Merci.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, continuez.

25 L'ACCUSÉ : [interprétation] Juste une petite remarque, Monsieur le

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1 Président, Monsieur Robinson. Il s'agit ici non seulement du tu quoque,

2 comme vous le dites vous-même. Ici il est question de démontrer le fait que

3 les Serbes se défendaient, et c'est là la différence substantielle.

4 Vous disposez de faits, disant que ces formations paramilitaires,

5 appelées Ligue patriotique en Bosnie, créée le 31 mars 1991, et ils fêtent

6 de nos jours encore cette date-là. Cela s'est passé un an avant le début de

7 la guerre. Au tout début de la guerre, ils avaient 120 000 hommes en armes.

8 Vous avez des éléments de preuve à ce sujet-là. Ensuite, vous allez dans le

9 détail, mais il s'agit d'un fait, et exclusivement d'un fait, disant que

10 les Serbes se défendaient. Tous les éléments de preuve disent que les

11 Serbes se défendaient, tant en Croatie qu'en Bosnie. C'est là la substance,

12 et ce n'est pas du tu quoque. Bien entendu, lorsqu'il y a conflit, par la

13 suite il a été commis bon nombre de crimes de toute part, mais la substance

14 ici c'est de dire que les Serbes se défendaient.

15 C'est à partir de certains éléments que l'on crée une mosaïque qui

16 vise à jeter une lumière véritable sur des éléments ou des événements qui

17 ont été interprétés de façon erronée, ou présentés sous un éclairage

18 déformé. Mais allons de l'avant --

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais permettez-moi, Monsieur

20 Milosevic, de dire quelque chose. Vous êtes là sur terre ferme si vous

21 arrivez à démontrer que les Serbes se sont défendus. Il faut le faire au

22 sujet de tel ou tel chef d'accusation. Là il y a effectivement terre ferme

23 ou fondement pour ce qui vous concerne. Il y a là donc certitude qu'il ne

24 s'agit pas d'éléments de preuve tu quoque.

25 Mais si en répondant à certains éléments spécifiques de l'acte

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1 d'accusation vous répondez que cela ne s'est passé comme le dit le

2 Procureur, mais que les Serbes se sont défendus, et en se défendant il y a

3 eu par exemple 100 Serbes de tués, dans ce cas là, les éléments de preuve

4 sont pertinents, ou, si vous dites une centaines de Serbes ont été placés

5 en détention, ces éléments de preuve peuvent être pertinents et peuvent

6 être présentés de la sorte.

7 Continuez.

8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, vous aviez ici votre expert,

9 ou plutôt l'expert de M. Nice, l'expert militaire, et vous qui saviez très

10 bien que ce qui s'est passé et ce qui figure dans l'acte d'accusation n'a

11 rien à voir du tout avec moi. Je m'efforce de faire en sorte que la vérité

12 totale apparaisse sur l'histoire toute entière, maintenant, on me reproche

13 à moi --

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien. Nous sommes à présent en un

15 procès -- dans une affaire. Je vous demande de continuer.

16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien.

17 M. MILOSEVIC : [interprétation]

18 Q. Colonel Barriot, avez-vous des connaissances au sujet de la corrélation

19 entre ces violences au Kosovo et les mouvements terroristes intervenant

20 dans les Balkans et en Europe, d'une manière générale ?

21 R. Oui. J'ai des éléments effectivement concernant à nouveau les liens

22 entre les réseaux terroristes à l'œuvre en Bosnie. Je l'ai dit. Les réseaux

23 liés à la fois à al-Qaeda et au GIA algérien, réseau également lié au

24 réseau terroriste du Kosovo et en Albanie. Puisqu'en fait, il s'agit d'un

25 groupe terroriste albano-bosnien, que d'une filière albano-bosniaque qui

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1 parte de Tirana et qui va jusqu'à Sarajevo en passant par Pristina. Il

2 s'agit là d'un réseau terroriste, je le répète. Réseau terroriste lié à al-

3 Qaeda et au GIA algérien et, en particulier, financé en grande partie grâce

4 au trafic de drogues qui passent par la frontière albanaise. D'ailleurs,

5 M. Guerin Javier [phon] a bien montré que le trafic de drogues qui est

6 passé de plus de deux tonnes par an à cinq tonnes par an après le départ

7 des forces serbes. Je pense que nous reviendrons sur ce sujet. J'insiste

8 sur la présente des camps d'entraînement terroriste dans le nord de

9 l'Albanie tout près de la frontière avec la Serbie, en particulier, dans

10 l'ancienne demeure du président -- de l'ancien président albanais Sali

11 Berisha. Tous ces camps terroristes au nord de l'Albanie qui entraînaient

12 des intrusions fréquentes à travers la frontière et vers le Kosovo, en

13 particulier, dans les années 1998, 1999. Je souligne également qu'on a eu

14 la certitude de la présence d'Osama bin Laden dans le nord de l'Albanie au

15 mois d'octobre à l'automne 1998 au moment même où Richard Holbrooke et

16 Madeleine Albright soutenaient l'UCK et armaient l'UCK au Kosovo. On sait

17 où se situent ces camps. On connaît leurs financements. On connaît leurs

18 filières, et on voit le lien, en particulier.

19 Grâce aux organisations charitables islamistes -- j'en ai cité deux et je

20 tiens à les réciter parce que c'est très important. L'affaire Olifajanti

21 [phon] et le "Saudi High Commission", qui ont organisé la logistique de

22 tous ces réseaux terroristes dans les Balkans, je souligne à nouveau qu'au

23 niveau de la Bosnie, c'est le SDF d'Alija Izetbegovic qui coordonnait tout

24 ce trafic et ces réseaux terroristes puisque, dès l'année 1992, les

25 combattants islamistes sont arrivés en Bosnie non seulement au but du

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1 [imperceptible] dans un premier temps, ils sont venus essentiellement de

2 Sandzak, mais après, on en a la preuve de l'arrivée des Moudjahiddines

3 afghans, des combattants iraniens; tous ces combattants islamiques qui

4 étaient soutenus aussi bien par la Turquie, par l'Iran que par l'Arabie

5 saoudite, le Pakistan ou le Soudan.

6 Je veux dire que ces réseaux sont parfaitement cohérents efficaces, et le

7 problème majeur est qu'il a fallu attendre les attentats du 11 septembre

8 2001 aux Etats-Unis pour qu'on se mette à regarder un peu de plus près et,

9 en particulier, les perquisitions de l'automne 2001 en Bosnie qui ont

10 permis d'arrêter un dizaine de terroristes, dont six terroristes du GIA

11 algérien, en particulier, M. Bensaya Belkassem, qui était un des membres

12 d'al-Qaeda. Je ne sais pas quelle preuve de plus qu'on veut. On peut

13 demander, effectivement, M. Osama bin Laden de nous signer un papier pour

14 nous le prouver. Je pense que c'est assez clair et qu'on ne peut pas douter

15 de la présente et de l'organisation de ces réseaux terroristes.

16 Je le répète, des camps d'entraînement comme ceux de Terry Bosilja [phon],

17 qui sont restés ouverts à l'heure même que la force de stabilisation de

18 l'OTAN en Bosnie, était sur place avec 18 000 soldats de l'OTAN; ces camps

19 n'ont pas été fermés. Les terroristes pouvaient avoir la nationalité

20 bosniaque sans problème. Ils jouissaient de faux papiers, de l'argent, de

21 la drogue, de camps d'entraînement, d'organisations charitables islamistes,

22 qui les finançaient et qui les soutenaient. Si vous mettez en doute cela,

23 je pense que vous mettez en doute al-Qaeda, en général, et le terrorisme

24 islamiste, en particulier.

25 Q. Monsieur Barriot, s'agissait des connaissances directes que vous vous

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1 êtes procurées au sujet d'événements, et là, je m'efforcerai d'être

2 efficace.

3 Procédons dans l'ordre chronologique. Tout d'abord, la Krajina et la

4 Croatie en 1994 et 1995. Je tiens à souligner une chose parce que l'on pose

5 tout de suite un point d'interrogation sur ce qui est de vous voir

6 connaître des événements précédents. Les connaissances que vous avez

7 obtenues concernant les événements précédents, vous avez certainement dû en

8 savoir ou en avoir quelques-unes de ces informations en votre qualité

9 d'officier avant que d'arriver en 1994 en mission officielle pour

10 participer à des réunions. Vous avez probablement été informé de façon

11 qualifié et compétente avant que d'être arrivé en votre qualité d'expert

12 pour prendre part à des événements dans la situation qui a été celle que

13 vous avez vécue par la suite.

14 R. Je crois qu'il faut bien distinguer les idées que je pouvais avoir

15 avant d'arriver comme Casque bleu en l'ex-Yougoslavie et donc j'avais

16 essentiellement les notions qui étaient diffusés par la presse avec des

17 schémas assez maniqués [phon] et simplistes, donc du style, les Serbes sont

18 les agresseurs et les Croates les agressés. Une fois que je suis arrivé en

19 tant que Casque bleu donc au Bataillon français de Glina et que j'ai vu

20 d'une part la situation sur place et d'autre part que j'ai pu entendre les

21 Casques bleus d'autres nationalités, en particulier, les Casques bleus

22 canadiens qui avaient été dans l'approche de Medac en 1993 et de nombreux

23 canadiens qui étaient également à Sarajevo ou dans d'autres régions. Tous

24 les jours, on avait des réunions d'informations au sein de FORPRONU, où

25 chaque militaire -- chaque officier évoquait son expérience propre, et

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1 faisait par de leur analyse. Au fil des jours et des semaines et des mois

2 où j'ai vécu en Krajina, je me suis rendu compte, mais tous les militaires

3 sur place se rendaient compte que la situation n'avait rien à voir avec

4 celle qui était décrite dans la presse et dans les journaux.

5 Est-ce que vous souhaitez que je relate afin que je décrive la situation

6 telle qu'elle était en 1994 ?

7 Q. Ce n'est pas nécessaire. Nous y viendrons. Il ne s'agit pas seulement

8 de la presse, mais il s'agit aussi de positions prises officiellement au

9 sujet des conflits survenus en ex-Yougoslavie. Par conséquent, ce que vous

10 témoignez ici c'est de dire que les officiers sur le terrain étaient très

11 au courant des faits, mais que l'image qu'on a fournie à l'opinion publique

12 s'est vue déformer. C'est bien ce que vous voulez nous dire.

13 R. Oui. Oui. Sans contexte, c'est exactement ce que je dis, et je l'avais

14 dit en préambule de mon témoignage. C'est que les militaires faisaient une

15 analyse radicalement différente de celle qui était diffusée, mais qui ne

16 pouvait pas l'exprimer ou la diffuser sauf à prendre le risque de sanction

17 grave et parce que ce n'était pas le consensus politique à l'époque. Je le

18 répète, les militaires globalement faisaient tous la même analyse telle

19 qu'elle a d'ailleurs été bien décrite par des généraux, comme le général

20 Lewis MacKenzie, ou le générale Sir Michael Rose, et d'autres généraux

21 français.

22 Je crois que l'opinion des militaires ne fait aucun doute sur ces

23 évènements.

24 Q. Bien, soyons pratiques. Je ne sais pas si tout a été traduit. Vous nous

25 avez décrit tout à l'heure une chose. Vous avez dit qu'ultérieurement, vous

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1 étiez devenu représentant de la République de Krajina serbe en France. Je

2 suppose que vous avez expliqué en France ce qui s'y est passé dans le

3 courant de ces premières années 1990-1991, partant de quoi vous avez

4 présenté ses informations dans le courant de l'accomplissement de votre

5 mission en France, alors que vous n'y étiez pas avant 1994 ?

6 R. Effectivement, je tenais toutes mes informations de plusieurs origines,

7 tout d'abord la rencontre, les discutions, les réunions d'informations au

8 sein de la FORPRONU puisque tous les jours il y a des réunions

9 d'information au cours desquelles était bien retracé tout le conflit depuis

10 ses origines en 1994.

11 Q. Excusez-moi de vous interrompre. A l'occasion de ces réunions, il a été

12 question du conflit tel qu'il s'est déroulé depuis le début à combien de

13 réunions avec les autres officiers de la FORPRONU avez-vous pris part,

14 vous-même ?

15 R. J'ai pris part, personnellement, à plusieurs dizaines de réunions au

16 sein de la FORPRONU, donc qui retraçait toute l'histoire du conflit et qui

17 en plus anticipait ce qui allait arriver puisque, dès 1994, je me souviens

18 très bien, dans les réunions de la FORPRONU, il était clair que tous les

19 militaires disaient que les combats vont reprendre en Croatie, en

20 particulier, en Krajina, et l'armée croate va repasser à l'attaque dans les

21 mois à venir. Donc l'analyse des militaires, à mon sens, était très bonne

22 et exacte parce que non seulement ils faisaient l'analyse du passé, mais

23 cela leur permettait de prévoir ce qui allait se passer ce qui a été

24 confirmé quelque mois plus tard. Donc, d'autre part, en tant que médecin

25 ayant parcouru toute la Krajina, la poche de BH et la Croatie, j'ai

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1 rencontré de nombreuse victimes des événements de 1990-1991, donc je suis à

2 même de rapporter ce qu'ils ont vécu et enfin j'ai été représentant

3 officielle de la République serbe de Krajina. J'ai été en relation avec les

4 autorités de la République serbe de Krajina, d'où je tenais l'essentiel des

5 informations et je rappelle que j'ai écrit l'un des rares livres publiés

6 sur l'histoire des Serbes de Krajina.

7 Donc, pour toutes ces raisons, et j'espère que M. Nice ne mettra pas en

8 doute mon témoignage, je suis amène et en même capable d'évoquer les

9 événements de 1990 et de 1991, qui ont précédé mon arrivé sur le sol de la

10 Krajina. Si vous ne voyez pas d'objection, je vais commencer par évoquer ce

11 premier volet qui, en essayant d'être bref, tout en se rappelant des

12 mentionnés certains points importants rappelant ce qui s'est passé

13 ultérieurement.

14 Donc depuis l'arrivée du président Franjo Tudjman au pouvoir, au mois de

15 mai 1990, avec le HDZ qu'il avait crée --

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Barriot, cette façon

17 d'entendre un témoignage est tout à fait nouveau pour moi. Il vous

18 appartient à répondre aux questions posées par M. Milosevic. Donc, si je

19 vous ai bien compris, Monsieur Milosevic, le témoin va nous parler

20 maintenant des années 1990-1991 et des événements survenus, à l'époque, en

21 Croatie, ceci partant des informations qu'il a collecté. Mais je voudrais

22 maintenant que vous lui posiez des questions plutôt que d'écouter un long

23 récit de la bouche du témoin sans qu'il ait eu une direction donnée

24 concrètement.

25 M. NICE : [interprétation] Outre question fondamentale, ce récit du temoin

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1 est un récit fait à partir des récits de bon nombre d'autres personnes, et

2 cela n'a aucune de ce qui est de la chambre

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, mais nous pouvons également

4 prendre en considération les témoignages par où y dire et il nous

5 appartiendra de décider du poids qu'il faudra lui accorder.

6 Continuez, Monsieur Milosevic

7 M. MILOSEVIC : [interprétation]

8 Q. S'agissant de ce que vous savez nous dire au sujet des événements datant

9 du début du conflit à savoir le déploiement de la FORPRONU dans la Krajina,

10 cela se forme sur des faits qui ont été présentés officiellement à

11 l'occasion des réunions de la FORPRONU auxquelles vous avez vous-même pris

12 part, n'est pas ?

13 R. Effectivement.

14 Q. En sus de tous les autres faits que vous avez collectés, il y a eu des

15 analyses, faites de manière compétente, qui ont été présentés aux réunions

16 de la FORPRONU ?

17 R. C'est exact.

18 Q. Je vous pris maintenant de me dire, en votre qualité de représentant

19 habilité par la Krajina, vous vous êtes efforcé d'informer l'opinion

20 publique en Occident. Dites moi : qui, a vos yeux, était responsable de

21 l'effusion de sang qui s'est produit, à l'époque ? Qui aviez-vous désigné

22 comme responsable et partant de quoi ?

23 M. NICE : [interprétation] Ceci est tout à fait différent de ce qui

24 consiste ou peut être qualifier comme information par ouï-dire. On demande

25 au témoin une appréciation et il appartiendra à la Chambre de faire cette

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1 appréciation. On demande au temoin de la faire partant d'un récit, anonyme

2 par ouï-dire. Il n'est pas convié ici de parler de la responsabilité de qui

3 que ce soit, mais il peut dire de son coté ce qui lui a été rapporté et il

4 appartiendra aux Juges de la Chambre de déterminer quelle valeur et quels

5 poids attribuer à ce témoignage.

6 L'ACCUSÉ : [interprétation] D'accord.

7 M. MILOSEVIC : [interprétation]

8 Q. Dites moi maintenant, très brièvement, sans entrer dans quelques

9 considérations politiques que ce soit : quelles sont les connaissances

10 auxquelles vous avez abouties en participant à ces réunions ? Quelles sont

11 les connaissances qui sont devenues les autres ? Brièvement, s'il vous

12 plaît.

13 R. Oui, certainement. Les connaissances sont claires. Pour tous les

14 officiers de la FORPRONU, il était clair que les événements ou les

15 premières agressions ont commencé en 1990 de la part des autorités croates,

16 puisque la marginalisation des Serbes de Croatie faisait partie du

17 programme de Franjo Tudjman, que dès 1990.

18 Le président Franjo Tudjman et le HDZ ont sorti tous les emblèmes de l'Etat

19 indépendant croate de la Deuxième guerre mondiale, ont rappelé les

20 criminels de guerre à Zagreb, ont glorifié Ante Pavelic, ont réintroduit

21 les travaux de Mile Budak, ont changé les noms des rues, ont repris la kuna

22 à la place du dinar, ont réintroduit les grades de l'armée Oustachi dans

23 l'armée croate. Donc tout cela pourrait être vérifié, ce qui démontre la

24 volonté de terroriser les Serbes de Croatie par des symboles et, ensuite,

25 il y a une mise en place des outils qui ont permis leurs agressions

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1 civiles. Je pense aux unités spéciales du ministère de l'Intérieur, en

2 particulier, de la 1ère Unité qui s'appelaient Jesenje Kise, les pluies

3 d'automne, dirigées par Tomislav Mercep qui a, ensuite, eu les Unités de la

4 Garde nationale, donc de la Police militaire de la Garde nationale. Donc

5 mise en place de structures illégales puisqu'à l'époque la Croatie n'était

6 pas indépendante et n'avait pas le droit d'avoir des effectifs militaires.

7 Il y avait une armée fédérale, point. Donc mise en place de --

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais j'aimerais poser une question à

9 M. Milosevic. Monsieur Milosevic, n'avez-vous pas l'intention de présenter

10 des témoignages d'autres témoins au sujet de cette période en Croatie ?

11 Est-ce que vous n'avez pas l'intention de faire comparaître des témoins qui

12 pourront témoigner plus directement au sujet de ces événements. Parce que

13 si tel est le cas, pourquoi est-ce que vous vous efforcez d'obtenir ce

14 genre d'éléments de ce témoin alors que sa déposition en la matière n'a

15 guère de chance d'être d'une grande valeur ?

16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, sauf votre respect, il faut

17 que vous ne perdiez pas de vue le fait que ce témoin est également un

18 témoin qui vient du cœur même de la FORPRONU. Il parle de choses qu'il

19 connaît en vous disant qu'il n'y avait pas le moindre doute dans l'esprit

20 des officiers de la FORPRONU sur le terrain que les choses se sont passées

21 comme il le dit. Cela est propre à supprimer toute forme de confusion, car

22 la confusion a été créée. Elle l'a été délibérément, car il est clair que

23 ce témoin comme tous les autres officiers a tiré des conclusions qui sont

24 contraires à ce qui a été dit. Il est donc tout à fait clair --

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. Merci. Je pense que vous avez

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1 proposé ce que vous considérez être une explication. Le témoin parle en

2 tant qu'officier de la FORPRONU, oui, oui, sur la base des informations

3 qu'il a recueillies.

4 M. MILOSEVIC : [interprétation]

5 Q. Monsieur le Témoin, veuillez nous dire à présent quelles sont vos

6 connaissances au sujet des événements de 1992 et 1993 ?

7 R. Je voudrais quand même en quelques mots, vraiment quelques mots, finir

8 ce que j'avais débuté, c'est-à-dire qu'après la mise en place des outils de

9 répression physique, il y a eu en décembre la modification de la

10 constitution, et dès le mois de mars 1992, j'insiste sur cette date les

11 agressions en particulier à Pakrac, à Plitvice, à Borovo Selo, des

12 agressions physiques des troupes du ministère de l'Intérieur contre les

13 Serbes. Ensuite, dès l'été 1992, les agressions des milices de Mercep à

14 Vukovar.

15 Je crois que c'est très, très important de souligner ce point là parce

16 qu'on a la fâcheuse manie au cours de cette guerre à tronçonner les

17 événements et à faire en sorte qu'il n'y ait plus de logique. Si on prend

18 le cas de Vukovar, le drame de Vukovar n'a pas commencé au mois de novembre

19 1992 par la chute -- 1991 -- pardon par la chute de Vukovar, il a commencé

20 dès l'été 1991, par les exactions de Tomislav Mercep à Vukovar. Il faut

21 quand même -- on ne peut pas débuter l'histoire au moment où cela nous

22 arrange, il faut quand même la prendre dans l'intégralité et une certaine

23 cohérence.

24 Tout cela pour dire qu'il était clair, je le répète, pour tous les

25 officiers de la FORPRONU que les Serbes de Croatie avaient été victimes

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1 d'une agression constitutionnelle parce qu'on leur avait retiré leurs

2 droits constitutionnels et d'agressions physiques, après les agressions

3 symboliques par les troupes du ministère d'Intérieur qui étaient illégales.

4 Cela pour le volet des années 1991, 1992.

5 Pour continuer sur le deuxième volet des années 1992 et 1993. En 1992, la

6 FORPRONU est arrivée. Le conseil de Sécurité a décidé de créer des zones de

7 protection. S'il a décidé des zones de protection, c'est bien parce que les

8 Serbes étaient agressés et il s'agissait bien de les protéger, dont ont été

9 créées ces zones de protection.

10 Pourtant au cours des années 1992 et 1993, ces zones de protection en

11 particulier le secteur sud dans lequel je me trouve en 1994, ont été

12 agressées à plusieurs reprises par les forces croates et la FORPRONU n'a

13 pas été en mesure de les protéger comme elle s'y était engagée.

14 Je pense essentiellement aux attaques des forces croates contre le plateau

15 de Miljevac en juin 1992, aux attaques croates contre Ravni Kotor et

16 Maslenica en janvier 1993, et aux attaques contre la poche de Medak en

17 septembre 1993. Là, j'insiste beaucoup concernant la poche de Medak parce

18 qu'on en parlait très souvent au sein de la FORPRONU. Parce que d'une part,

19 il y avait des observateurs canadiens à cette époque qui étaient toujours

20 en 1994 dans la région de Glina. D'autre part, parce que le général Janko

21 Bobetko, lui-même, a reconnu que cette opération avait été planifiée et il

22 a écrit noir sur blanc dans son livre "Toutes mes batailles". Cela tous les

23 militaires le savaient et étaient au courant. Ce qui veut dire que durant

24 les années 1992 et 1993, par trois fois au moins les zones de protection

25 des Nations Unies qui étaient sensées protéger les Serbes qui étaient

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1 désarmés dans ces régions ont été agressés sans que la FORPRONU ne puisse

2 les défendre efficacement.

3 Je crois que c'est très important de le souligner que dès 1992, 1993,

4 ces multiples attaques contre des zones de protections de Nations Unies.

5 Q. Mais dans cette période est-il arrivé à quelque moment que ce soit que

6 les Serbes attaquent une zone située en dehors des zones de protection ?

7 R. Non. C'est vraiment un point très, très important à souligner parce que

8 quand on parle de la guerre en Croatie qui a duré de 1990, 1991 à 1995 et

9 qui s'est terminée en gros par l'opération Tempête à laquelle j'ai assisté.

10 En gros, cette guerre qui a duré cinq ans, les Serbes ne se sont battus que

11 pendant six mois, c'est-à-dire pendant le deuxième semestre de l'année

12 1991. Alors qu'ils ont été attaqués et martyrisés pendant cinq ans par les

13 forces croates. Cela, c'est le premier point.

14 Le deuxième point qui est très, très important à souligner, c'est que les

15 Serbes ne se sont battus pendant ces six mois, le deuxième semestre 1991,

16 ils ne se sont pas battus à Zagreb, ils ne se sont pas battus à Rijeka, ils

17 ne se sont pas battus en Croatie. Ils se sont battus uniquement en Krajina

18 sur leur terre ethnique et surtout sur les terres où ils avaient été

19 martyrisés pendant la Deuxième guerre mondiale par les Oustachi de l'Etat

20 indépendant croate d'Ante Pavelic. On peut très bien comprendre que quand

21 ces Serbes ont vu réapparaître les emblèmes oustachis sur ces régions où

22 ils avaient été victimes d'un génocide pendant la Deuxième guerre mondiale,

23 qu'ils aient pris peur et qu'ils se soient défendus. Mais je le répète, ils

24 ne se sont battus et ils se sont défendus en état de légitime défense que

25 sur les terres ethniques serbes, mais nulle part ailleurs en Croatie. Cela

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1 c'est un point capital à souligner qui était là encore constamment souligné

2 par les militaires de la FORPRONU.

3 Q. Merci, Monsieur Barriot. Dites-moi maintenant quelques mots de ce qui

4 s'est passé en Krajina et en Bosnie en 1994 et 1995, notamment, et le plus

5 brièvement possible je vous prie, veuillez parler des opérations Eclair et

6 Tempête contre la Slovanie occidentale et contre la Krajina. Que pouvez-

7 vous en dire rapidement de l'opération Tempête, notamment ?

8 R. Oui. Pour ce qui concerne 1994 et 1995, en 1994, alors que j'étais

9 casque bleu en Krajina. Les combats avaient lieu essentiellement dans la

10 poche de Bihac qui était toute proche, entre le 5e Corps d'armée bosniaque

11 commandé par Avdic Vidakovic et les Musulmans modérés fidèles à Fikret

12 Abdic. J'étais d'ailleurs en contact étroit avec un ami proche de Fikret

13 Abdic.

14 Pour ce qui concerne l'année 1995, effectivement, les combats ont

15 essentiellement eu lieu à deux reprises. Là encore, cela a été deux

16 agressions supplémentaires des forces croates contre les zones de

17 protection des Nations Unies. J'ai parlé des trois agressions de 1992 et

18 1993. En 1995, il y en a eu deux supplémentaires. La première début mai

19 1995, qui est l'opération Eclair où les forces croates soutenues par

20 l'armée américaine ont attaqué la Slavonie occidentale et, en particulier,

21 ont attaqué les villes de Pakrac, Okucani et Jasenovac. Il y a eu vraiment

22 un déluge de feu sur cette région à peu près de l'ordre de 5 000 réfugiés

23 enfuis vers le pont de Stari Gradiska où ils ont été mitraillés par les MiG

24 21 croates et ils se sont ensuite dirigés vers la Bosnie, en particulier,

25 Nova Topola et Banja Luka.

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1 Je répète qu'à cette occasion, plusieurs centaines de Serbes sont

2 morts. A cette occasion, le président Milan Martic m'avait demandé de

3 transmettre des appels au secours à l'agence France presse. J'ai transmis

4 ces appels au secours, mais ils n'ont pas été diffusés par la SP. Ceci pour

5 l'opération Eclair.

6 Concernant l'opération Tempête, là encore, je répète que j'ai

7 été témoin direct de ces événements. Concernant l'opération Tempête, elle a

8 débuté début août 1995. Je tiens à souligner qu'elle a débuté par des

9 frappes de l'aviation américaine contre les batteries antiaériennes et les

10 positions serbes autour de Knin, donc il y a eu implication directe de

11 l'armée américaine à ce sujet. L'opération Tempête a été effroyable

12 puisqu'elle a causé la mort de plus de mille Serbes et surtout causé le

13 plus grand exode de la guerre en ex-Yougoslavie puisqu'elle a chassé plus

14 de 200 000 Serbes de Krajina. J'insiste sur le fait que c'est une épuration

15 ethnique accomplie puisque ces Serbes de Krajina ne sont jamais retournés

16 chez eux.

17 Il y a eu des massacres de masse, des destructions de quasiment de

18 toutes les fermes serbes, expulsions de ces 100 000 Serbes alors que la

19 Krajina était totalement désarmée.

20 Là, je tiens à souligner un point important, début mai, j'étais à

21 Knin où j'ai rencontré le général Loncar, le général serbe Loncar qui m'a

22 dit : "Nous vous remercions d'être aux côtés de ceux qui vont être

23 vaincus." Les Serbes de Krajina au mois de mai, au moment de l'opération

24 Eclair contre la Slavonie occidentale savaient très bien que leur tour

25 allait venir et que, de toute façon, ils n'étaient pas en mesure de se

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1 défendre parce qu'ils étaient désarmés, et qu'ils étaient face à une armée

2 croate très puissante et bien armée par les Etats-Unis et la communauté

3 internationale. Ils n'avaient aucune chance.

4 Quand je dis qu'ils étaient désarmés, cela a été confirmé d'ailleurs

5 puisque quand les troupes croates sont arrivées en Krajina, ils ont trouvé

6 quelques chars qui étaient en panne d'essence. Il y avait quelques lance-

7 roquettes Orkan [phon] du côté de Blinje et [imperceptible], mais il y

8 avait quasiment aucun armement lourd et aucun moyen, de toute façon, de se

9 défendre contre l'armée croate telle qu'elle avait été équipée, en

10 particulier, par les Etats-Unis et la société militaire privée, "Military

11 Professional Resources Incorporated."

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'aimerais vous demander un

14 éclaircissement, car cela n'est pas apparu au compte rendu d'audience en

15 anglais, alors qu'apparemment, la chose a été dite. Est-ce que vous avez

16 dit, Monsieur, que c'est en rapport avec l'opération Eclair que l'armée

17 croate a reçu le soutien de l'armée des Etats-Unis ?

18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Au compte rendu d'audience en anglais,

19 nous lisons, que cet appui a été apporté par l'armée croate. Il faut qu'il

20 y ait éclaircissement. Nous vous demandons, Monsieur le Témoin, de bien

21 vouloir tirer cela au clair.

22 LE TÉMOIN : Oui. J'ai parlé d'une part de l'opération Eclair contre la

23 Slavonie occidentale au mois de mai 1995, et là, j'ai dit, que l'armée

24 croate avait été équipée par les Américains, en particulier, par la société

25 privée MPRI; concernant l'opération Tempête du mois d'août 1995 contre la

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1 Krajina, j'ai précisé, d'une part, que les forces croates avaient été

2 équipées par les Américains. J'ai souligné que l'armée américaine était

3 intervenue directement hors des cadres de l'ONU, de l'OTAN en frappant

4 directement les positions près de Knin au premier jour pour permettre à

5 l'aviation croate d'intervenir en toute sécurité.

6 Je tiens à souligner que des militaires de la société militaire

7 privée américaine, "Military Professional Resources Incorporated" sont

8 intervenus directement même sur le territoire de la Krajina. Des officiers

9 canadiens de l'ONU ont dit clairement avoir vu ces militaires américains à

10 Knin au mois d'août 1995.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Monsieur Milosevic, il nous

12 faut suspendre à présent --

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'aurais simplement un point. Je comprends que

14 l'heure est venue de suspendre l'audience mais il y a une chose que

15 j'aimerais mieux comprendre. Car j'écoute l'interprétation serbe et je ne

16 sais pas ce qu'a dit exactement le témoin. Au contre rendu d'audience en

17 anglais, il s'agit des lignes que l'on trouve entre 14:49 et 14:18. Je lis

18 les mots, "Outside the framework of NATO." Est-ce que le témoin a dit cela

19 ? Est-ce qu'il a parlé de quelque chose qui se situe en dehors de l'OTAN ou

20 en dehors des Nations Unies ? L'interprétation que j'ai reçue parlait d'une

21 action sans l'accord des Nations Unies. Je ne sais pas ce que le témoin a

22 dit effectivement.

23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous pourriez nous donner le numéro des

24 lignes et de la page parce que les indications d'heures et de minutes ne

25 suffisent pas.

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1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Nous l'avons maintenant sur le compte rendu sur

2 l'écran devant nous, 14:13. Non, l'heure a encore changé. Je crois que

3 c'était 14:13:49 et 14:18. Dans l'interprétation que j'ai reçue, il était

4 question de Nations Unies, 14:13:49, 13 à 18.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais vous lire ce qui est à

6 l'écran. Monsieur le témoin, voilà ce que M. Barriot est censé avoir dit.

7 Je cite : "Je souligne enfin que l'armée américaine est intervenue

8 directement en dehors du cadre de l'OTAN en attaquant les positions serbes

9 de Knin, et cetera, et cetera." Est-ce bien ce que vous avez dit, Monsieur

10 le Témoin ?

11 LE TÉMOIN : Je tenais à préciser que c'était une initiative totalement

12 délibérée des Etats-Unis hors d'une décision --

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Simplement, est-ce que vous avez dit

14 en dehors du cadre de l'OTAN ? C'est bien ce que vous avez dit ?

15 LE TÉMOIN : Des Nations Unies.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Des Nations Unies.

17 LE TÉMOIN : D'accord.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] L'erreur est corrigée. Nous allons

19 maintenant suspendre et reprendre nos travaux demain à 9 heures dans cette

20 même salle.

21 --- L'audience est levée à 13 heures 52 et reprendra le mercredi 12 janvier

22 2005, à 9 heures 00.

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