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1 Le mercredi 26 janvier 2005
2 [Audience publique]
3 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 03.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur le Juge Robinson est absent
7 aujourd'hui. Le Juge Bonomy et moi-même avons décidé de tenir audience en
8 application de l'Article 15 bis du Règlement de procédure et de preuve.
9 M. NICE : [interprétation] Merci. Je suis aujourd'hui en compagnie de M.
10 Saxon, et c'est M. Saxon qui va poser les questions au témoin aujourd'hui.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie. Nous avons déjà le
12 témoin. Nous allons lui demander de faire sa déclaration solennelle.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
14 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
16 LE TÉMOIN: BO ADAM [Assermenté]
17 [Le témoin répond par l'interprète]
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous avez la parole.
19 Vous pouvez entamer l'interrogatoire principal de ce témoin.
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Kwon.
21 Interrogatoire principal par M. Milosevic :
22 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Adam. Veuillez décliner votre
23 identité.
24 R. Je m'appelle Adam. C'est mon nom de famille. Mon prénom est Bo.
25 Q. Votre date de naissance ?
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1 R. Je suis né en 1945.
2 Q. Quelle est votre profession et qu'avez-vous fait au cours de votre
3 carrière professionnelle, en quelques mots ?
4 R. Je suis journaliste depuis 28 ans à peu près. Auparavant, j'ai étudié à
5 l'université. En tant que journaliste, je me suis surtout intéressé aux
6 questions internationales, mais aussi des questions de droit. Il y a eu
7 l'assassinat de M. le premier ministre Palme et Lockerbie. J'étais reporter
8 et j'ai été rédacteur en chef, dirait-on. Depuis 2002, je ne travaille plus
9 étant donné que je souffre de cancer, et que je dois me ménager.
10 Q. Vous vous êtes trouvé au Kosovo et Metohija, et plus précisément à
11 Racak, n'est-ce pas ?
12 R. C'est exact.
13 Q. Dites-moi quand est-ce que ceci s'est passé ?
14 R. En 2000. Au mois de mars plus exactement, si je me souviens bien. Il
15 faudrait que je vérifie pour être plus précis. Dans mon passeport j'ai un
16 tampon -- excusez-moi, je suis un petit peu confus parce que j'entends --
17 Est-ce que je peux enlever le casque quand je parle allemand, parce que
18 sinon, j'entends l'interprétation en anglais. Est-ce que c'est possible ?
19 Oui, parce que je suis un petit peu perturbé. J'entends la traduction qu'on
20 fait en anglais de mes propos en allemand. Voulez-vous que je parle
21 l'anglais un peu, et pour passer à l'allemand au cas que cela se complique
22 un peu trop pour moi ?
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pas de problème, Monsieur. Comme vous
24 voulez.
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Fort bien. Donc, cela s'est passé en l'an
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1 2000, au mois de mars. Plus exactement, le 21 mars. A Racak, je me suis
2 trouvé à Racak le 23 mars. Il faut que je vérifie mon passeport pour voir
3 ce qui est inscrit. Oui, c'était le 21 mars, le jour où Mme Ranta s'est
4 trouvé aussi à Racak en vue d'une enquête.
5 M. MILOSEVIC : [interprétation]
6 Q. Pourquoi ? Dites-moi, où vous êtes-vous trouvé à Racak ? Est-ce que
7 vous pourriez nous donner quelques explications ?
8 R. Deux raisons principales à cela. La première raison, bien entendu,
9 c'est que Racak a suscité beaucoup d'émois dans tout le monde, le monde
10 occidental, ou plutôt, les nouvelles qui ont été diffusées à propos de
11 Racak. Ce fut un moment fort, un élément décisif dans la crise du Kosovo.
12 Beaucoup d'hommes politiques ont dit et beaucoup de médias l'ont dit
13 également à l'époque que cela avait été un tournant, que Racak avait
14 transformé le tout en guerre. Racak a aidé à briser la résistance qu'il y
15 avait à l'idée de la guerre dans l'opinion occidentale. Ce fut une des
16 raisons.
17 Je pourrais peut-être vous citer ce qu'a dit une personnalité politique.
18 Maintenant -- cela marche, il n'y a plus de traduction.
19 M. Clinton, il était alors président américain à l'époque, et au moment de
20 la guerre --
21 M. NICE : [interprétation] Je ne veux pas interrompre le témoin, il n'en
22 demeure pas moins que le moment va arriver où la question de la
23 recevabilité du témoignage de ce témoin va devoir être examiné. Je voudrais
24 vous le dire maintenant pour ne pas le redire plus tard.
25 Nous avons vu certains documents et nous avons effectué quelques recherches
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1 qui nous poussent à croire que ce témoin s'est trouvé à Racak un an après
2 les événements, et il y aura peut-être des problèmes de recevabilité ou de
3 pertinence. Attendons de voir ce que ce témoin va nous dire. C'est une
4 forme de ouï-dire que la Chambre ne serait recevoir.
5 Dans la mesure où il cherche à apporter un commentaire ou à faire des
6 références à des déclarations publiques qu'ont fait les personnalités,
7 comme l'ex-président Clinton, je suis un peu interloqué. J'ai du mal à voir
8 la pertinence de telle déclaration surtout venant de la bouche de ce
9 témoin. Apparemment, c'est un rapport avec toute la question de la volonté
10 de l'opinion publique internationale de faire ce qu'elle a voulu faire,
11 mais un journaliste peut dire quelque chose, mais de toute façon, il ne
12 peut pas s'occuper de ce genre de questions. Pour autant que ce soit
13 pertinent, il faut que ce soit les témoins qui sont à même d'en parler
14 qu'ils viennent nous le dire.
15 J'aimerais ajouter ceci : nous comprenons, bien entendu, que la thèse de
16 l'accusé comprend l'allégation de complots par toutes sortes de puissances
17 pour terminer la Serbie et aussi pour s'appuyer sur Racak, mais j'hésite à
18 faire des objections parce qu'il se peut que ce soit là un des éléments
19 soulevé par M. Milosevic dans sa défense. Je soulèverais une objection
20 manifestement si cela est bien admissible. Mais si l'accusé décide
21 d'employer le temps qui lui est accordé pour présenter des éléments de
22 preuve sans aucune valeur au bout du compte, c'est un choix qu'il aura fait
23 lui, et il ne pourra pas vous supplier de lui donner d'autres journées
24 d'audience une fois que ses 150 jours seront épuisés. C'est à lui qu'il
25 revient de décider, et je pense qu'ici il faudra procéder avec beaucoup de
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1 prudence pour les questions de recevabilité.
2 Mme HIGGINS : [interprétation] Monsieur le Président.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
4 Mme HIGGINS : [interprétation] Réponse rapidement. Je pense que s'agissant
5 de ce qui vient M. Nice d'être plus prudent pour voir comment évoluer ce
6 témoignage avant que les Juges ne prennent une décision. J'ai l'impression
7 que ce témoin est appelé en tant que témoin des faits. Il a dès lors le
8 droit d'apporter à votre connaissance des éléments qu'il a lus, qui ont été
9 portés à sa connaissance à lui, et qui ont peut-être donné lieu à son
10 enquête. Cela est une intervention très brève de ma part.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
12 [La Chambre de première instance se concerte]
13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Nice, cette intervention ne
14 m'a aucunement aidé. Ce serait bien plus utile si cette intervention
15 intervenait au moment qu'il y a une question qui, de votre avis, mérite
16 objection. Vous dites qu'il y en aura, sans doute, si je vous ai bien
17 compris, mais on a simplement demandé à ce témoin pourquoi il était aller à
18 Racak. Il est en train de vous fournir la deuxième raison de son
19 déplacement à Racak, et ce serait utile pour moi de savoir pourquoi il est
20 allé à Racak.
21 M. NICE : [interprétation] Si, je suis intervenu au moment où je l'ai fait
22 --
23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il a dit qu'il allait donner deux
24 raisons. Il venait de terminer la première, pas encore la deuxième.
25 M. NICE : [interprétation] Si j'ai bien compris la remarque, l'observation
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1 qu'il a fait au début de sa réponse, "Je le cite," il parlait d'une
2 déclaration faite par une personnalité politique. Il a mentionné alors M.
3 Clinton, et si s'est un rapport avec ce qu'il a dit auparavant, à savoir
4 que Racak avait suscité beaucoup d'émois, ou les nouvelles à propos de
5 Racak, l'avait fait dans le monde occidental, et à savoir que Racak avait
6 été un moment décisif pour entrer sur le sentier de la guerre, je pensais
7 que c'était quelque chose tout à fait inadmissible venant de ce témoin.
8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Un instant, un instant Monsieur Nice.
9 C'est avec beaucoup de soin qu'il a porté une correction à cette
10 déclaration, celle que vous venez de cité. Il a dit que ce sont les
11 nouvelles transmises à propos de Racak qui ont transformé tout cela en
12 guerre. Dès que vous dites cela, vous forcément posez la question de savoir
13 quelles ont été ces nouvelles et si ce sont les nouvelles transmissent qui
14 ont transformé tout ceci en guerre. C'est très patinant.
15 M. NICE : [interprétation] Bien, j'ai dit ce que j'avais à dire.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Inutile de poursuivre, de nous attarder
17 sur ce point.
18 M. NICE : [interprétation] De façon plus fondamentale, je ne veut pas être
19 agressif dans mes objections. Je fais état de ma position générale. Je ne
20 suis pas agressif pour la raison que j'ai déjà donnée.
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] En règle général, le ouï-dire est
22 recevable dans ce Tribunal, et il revient aux Juges de se prononcer sur le
23 poids ou la valeur probante accordée à ces éléments par la suite.
24 M. NICE : [interprétation] Tout à fait.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Poursuivez, Monsieur Milosevic.
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1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur Kwon.
2 M. MILOSEVIC : [interprétation]
3 Q. Vous avez été interrompu au moment où vous nous expliquiez quelles
4 étaient les nouvelles que vous aviez entendues. Quelles étaient les
5 informations que vous aviez à votre disposition, ce qui vous avait poussé à
6 la Racak.
7 R. Je peux peut-être terminer la citation qui avait été commencée; celle
8 de M. Clinton. Dans son message à la nation juste à la veille de la guerre,
9 il a uniquement parlé de Racak, de ce qui s'était passé. A ce propos, il a
10 dit qu'à Racak des hommes et des femmes, si je me souviens bien, innocents,
11 des enfants innocents, avaient été forcés de s'agenouiller dans la boue
12 pour être abattus, fauchés par des armes. Je pense que c'est la bonne
13 citation.
14 C'est là une accusation des plus graves, ce qui est une bonne raison pour
15 des journalistes de se rendre sur place même si c'est un an plus tard.
16 Puisque M. Nice a dit que j'y étais allé un an, et que c'est donc dépourvu
17 d'intérêt, mais c'est précisément à ce moment là que s'y trouvait Mme Ranta
18 en même temps. Donc, on pourrait utiliser de la même façon mes conclusions
19 que la sienne. Bon, peut-être évidemment pas de la même façon, mais d'une
20 façon analogue.
21 Cela a été la première raison principale. Tous journalistes qui
22 s'intéressent au journalisme d'enquête voudraient aller à Racak.
23 Deuxième raison, c'est que d'emblée la version officielle des événements de
24 Racak nous l'avions mis en cause. Elle avait suscité des doutes. J'étais
25 alors journaliste depuis plus un quart de siècle, et tout d'un coup on se
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1 dit, il y a quelque chose de louche dans cette histoire.
2 Ces tranchées, par exemple, à Racak, il y en avait des tranchées. D'autres
3 journalistes, je le pensais, en parlaient, de l'existence de ces tranchées.
4 Une tranchée, elle n'est pas creusée pour s'échapper; c'est pour combattre,
5 pour lutter, qu'on creuse des tranchées. C'est à cela que cela sert. Il y a
6 d'autres aspects qui pouvaient faire mettre le doute dans notre esprit.
7 Par exemple, le fait que les responsables officiels Serbes avaient invité
8 une équipe de télévision à aller sur les lieux enregistrer ce qui s'était
9 passé, ce qui était tout à fait inhabituel. Autres facettes, c'est que
10 s'ils avaient commis un crime, pourquoi est-ce qu'ils n'avaient pas emporté
11 les corps pour les cacher ? Pourquoi est-ce qu'ils les auraient présentés
12 de la façon dont on les a trouvés ?
13 Autant de questions qu'elles nous ont poussées à dire, bon, essayons de
14 voir quel est le fin fond de l'histoire, quelle est la véritable vérité,
15 pour insister à la vérité objective. Nous avons essayé d'obtenir des
16 documents, notamment de l'OSCE, qui étaient semi-officiels. En tout cas,
17 c'est sur ces documents que s'était fondé l'OSCE pour faire son travail de
18 relations publiques.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Adam, essayez d'être concis
20 dans vos réponses.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Fort bien. Ce document que je viens de
22 mentionner c'est un rapport spécial consacré à Racak, qui était déposé le
23 17 janvier par l'OSCE, et l'on y trouve la déclaration de M. Walker. Je
24 suppose que vous êtes parfaitement au courant.
25 Lorsque nous avons reçu ce document, nous avons été surpris. C'était un
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1 document qui nous semblait des plus étranges. En effet, il n'y avait aucune
2 mention, pas la moindre mention de combat qui aurait opposé l'UCK et les
3 forces yougoslaves ou serbes à Racak.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous avez déjà suffisamment répondu à la
5 question qui consistait à vous demander quels étaient les motifs de votre
6 visite. C'est l'accusé qui doit maintenant vous poser d'autres questions.
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien.
8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur Kwon. Avant de poursuivre,
9 j'aimerais attirer votre attention sur le fait qu'en intercalaire 1 des
10 pièces que j'ai présentées, on trouve la déclaration de Clinton à laquelle
11 a fait référence le témoin. Ce fut là une des raisons pour lesquelles il a
12 décidé de faire une enquête, le journaliste. Je vais me contenter de citer
13 le passage mentionné par le témoin. Je le répète, c'est à l'intercalaire 1,
14 5e paragraphe.
15 "Nous devrions nous souvenir des milliers de personnes en proie à la faim
16 et au froid dans les collines du Kosovo, l'automne dernier. La fermeté a
17 mis fin à cela aussi. Nous devrions nous souvenir de ce qui s'est passé
18 dans le village de Racak en janvier. Des hommes, des femmes et des enfants
19 innocents furent emmenés de chez eux, dans un chemin creux, ont été forcés
20 de s'agenouiller dans la boue, ont reçu des rafales de tirs, non pas pour
21 quelque chose qu'ils auraient fait, mais uniquement en raison de qui ils
22 étaient."
23 Voilà donc la déclaration. Je demande le versement de ce document en tant
24 que pièce à conviction. Avant de poursuivre, je précise que vous avez
25 l'intercalaire 2, c'est le rapport spécial de la Mission de vérification du
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1 Kosovo, MVK de l'OSCE. Je vais me contenter de citer la première ligne du
2 rapport.
3 "Résumé le 15 janvier 1998," oui, il y a une erreur ici, on dit 1998, mais
4 cela devrait être 1999, peu importe "dans le village de Racak," disais-je,
5 "45 civils Albanais ont été tués." C'est ce qu'on a affirmé.
6 Q. Monsieur Adam, les explications --
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous allons d'abord donner une cote à ce
8 classeur.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce D273.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
11 Poursuivez, Monsieur Milosevic.
12 M. MILOSEVIC : [interprétation]
13 Q. Monsieur Adam, permettez-moi de tirer certaines conclusions de vos
14 propos. C'est le doute qui vous a poussé à aller à Racak.
15 R. C'est vrai.
16 Q. Y avait-il d'autre chose qui avait fait naître le doute dans votre
17 esprit ? Si c'est le cas, quelles étaient ces raisons ?
18 R. Je crois que j'en ai parlé, c'est terminé bien sûr, je pourrais vous en
19 parler pendant des heures de mes doutes, parce que j'en avais beaucoup.
20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Poursuivez.
21 Monsieur Milosevic, posez d'autres questions.
22 M. MILOSEVIC : [interprétation]
23 Q. Est-ce que vous aviez à l'esprit cette première déclaration, de Walker
24 ? Là, je vais vous citer ce qu'il déclarait à l'époque, il a dit que :
25 "C'était surtout des hommes âgés."
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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est manifestement une question qui
2 guide le témoin, et qui ne m'aide aucunement. Une telle hypothèse ne sert à
3 rien. Le témoin tient à nous parler de l'enquête qu'il a menée, nous savons
4 qu'il y est allé parce qu'il avait des doutes, alors parlons de l'enquête
5 directement, qu'a-t-il apparemment découvert ?
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Essayez de poser des questions plus
7 pointues, plus précises.
8 M. MILOSEVIC : [interprétation]
9 Q. Vous vouliez ajouter quelque chose en guise d'explication, si je vous
10 ai bien compris, pour ce qui est de vos doutes, de vos soupçons ?
11 R. Finalement, qu'est-ce que j'ai mené comme enquête, et si je veux vous
12 le dire, je dois vous dresser le décor, la toile de fond. Vous avez parlé
13 de ce rapport de l'OSCE. Un document officiel ou presque, qui vient d'une
14 organisation internationale payée par les contribuables européens. Cette
15 organisation a donc un devoir de vérité et de neutralité.
16 Dans ce rapport, nous avons une description très précise et très grave. On
17 parle d'exécutions. On parle de personnes âgées donc pas d'hommes en âge de
18 combattre, est expliqué. On parle de femmes, d'enfants, ainsi de suite. Des
19 personnes qui ont été exécutées, comme l'a dit M. Walker, on les a abattues
20 à bout portant, a-t-il dit.
21 Cela c'était le tout début de mon enquête. Je voulais savoir si cela était
22 vrai ou pas.
23 On s'est alors demandé comment nous, et quand je dis nous, je parle de
24 journalistes --
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, c'est qui nous ?
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce sont les journalistes du Berliner Zeitung.
2 Nous sommes une petite équipe de trois journalistes qui faisaient ce
3 travail, j'étais peut-être le chef de l'équipe.
4 Nous avons alors discuté de la possibilité d'obtenir les protocoles établis
5 par Mme Ranta, car cette méthode nous semblait la plus objective, à savoir
6 chercher à déterminer s'il y avait, ou s'il n'y avait pas eu de massacre.
7 Nous étions totalement neutres à cet égard. Nous n'avions aucune
8 information pour commencer. Or selon mon expérience, il arrive souvent que
9 des fuites se produisent, et que ces documents parviennent entre les mains
10 de journalistes.
11 Or ces protocoles n'ont pas fait l'objet d'une fuite à destination de la
12 presse. Parce qu'on aurait pu penser que quelqu'un aurait voulu montrer
13 qu'il y avait eu un massacre, donc que la fuite de ce document aurait été
14 organisée. Cela n'a pas été le cas, et lorsque nous avons fouillé tous
15 azimuts, à l'est, à l'ouest, au nord, au sud, pour essayer de les découvrir
16 et que nous avons reçu ces documents de Mme Ranta, je parle des protocoles
17 utilisés par les légistes, il est devenu tout à fait clair que les
18 allégations faisant état d'exécutions, de tirs à bout portant dans la tête,
19 et cetera, étaient contraires à la vérité, en tout cas, selon le résultat
20 de ces protocoles.
21 Bien sûr, nous n'avons pas effectué notre travail tout seul, nous avons
22 demandé l'évaluation d'un certain nombre de médecins légistes, et nous
23 avons notamment interviewé pour le Berliner Zeitung, un expert allemand qui
24 nous a dit de la façon la plus précise qu'il soit qu'il n'y avait aucun
25 fondement à ces allégations.
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1 Ceci a été l'étape suivante de mon enquête, parce que je ne travaille pas
2 uniquement sur le terrain, j'enquête également à base de documents. En tant
3 que journaliste, c'est mon travail.
4 M. MILOSEVIC : [interprétation]
5 Q. Est-ce que vous avez enquêté sur le comportement des autorités serbes
6 par rapport à Racak ? Est-ce qu'au sein de votre équipe quelqu'un a analysé
7 l'événement de Racak, pour essayer de découvrir, par exemple, à qui pouvait
8 profiter cet incident qui a obtenu une publicité si importante dans les
9 médias internationaux.
10 R. Si nous parlons de Racak, il était tout à fait clair qu'il y avait au
11 moins 40 personnes qui étaient mortes, c'est un drame. Parlez davantage est
12 un peu difficile dans une telle situation, mais bien entendu en dernière
13 analyse, si l'on réfléchi en termes politiques, il est tout à fait clair
14 que c'est l'UCK qui a bénéficié de l'affaire de Racak et certainement pas
15 les Serbes.
16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Adam, est-ce que vous
17 pourriez vous pencher sur l'intercalaire 2 des documents que vous avez
18 produits.
19 Est-ce bien le rapport de l'OSCE dont vous parliez précisément tout à
20 l'heure ?
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur, oui, Monsieur le Juge.
22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourriez-vous me montrer où il est
23 question de femmes, d'enfants, ou d'hommes d'un âge supérieur à l'âge de
24 porter les armes ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui. S'agissant des hommes d'un âge
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1 avancé vous trouvez cela à la page -- voyons 1, 2, 3, 4, -- 4 dans la
2 déclaration de M. Walker. Puis, il y a mention de trois femmes et d'un
3 enfant. Effectivement, c'est M. Clinton qui parle des enfants et pas M.
4 Walker.
5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous verrez qu'au début de ce rapport,
6 il y a un récapitulatif, c'est le passage qui a été lu par M. Milosevic, il
7 est question de 45 civils Albanais qui ont été tués. Il est dit qu'au
8 nombre des victimes se trouvent une femme et un petit garçon. Ceci est-il
9 exact. Après l'enquête que vous avez menée, avez-vous déterminé que c'était
10 exact ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai jamais déterminé le nombre exact de
12 personnes qui ont perdu la vie.
13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais y avait-il une femme et un petit
14 garçon parmi ces personnes ?
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Un petit garçon c'est exact. Un petit garçon,
16 oui. M. Clinton en a parlé. Il y avait deux femmes ce qui signifie --
17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est tout ce dont j'avais besoin pour
18 le moment. M. Milosevic va poursuivre l'interrogatoire.
19 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Bonomy, j'espère que vous avez bien
20 compris dans quel but le témoin s'est exprimé comme il l'a fait. Ce à quoi
21 pensait le témoin c'était la déclaration de Clinton dans laquelle ce
22 dernier déclare que : "Des femmes, des enfants et des personnes âgées ont
23 été contraintes de se mettre à genoux avant d'être exécutés," phrase qui ne
24 pouvait reposer que sur les mensonges créés de toute pièce par M. Walker.
25 C'est cela qui a fait l'objet de l'enquête de ce journaliste
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1 d'investigation.
2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Un instant, Monsieur Milosevic. Je ne
3 sais pas ce qu'il en est des autres, mais dans mon cas, il me suffit
4 d'entendre une chose une fois pour l'enregistrer. Merci.
5 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, mon objection venait du
6 fait que l'accusé tire profit de l'occasion qui lui est donné de répondre à
7 un Juge pour proférer une allégation au sujet de ce qu'a dit le témoin,
8 témoin dont la crédibilité doit encore être évaluée par la Chambre. Nous
9 avons déjà eu ce genre de problèmes par le passé.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ayant entendu cela, je vous demande de
11 poursuivre, Monsieur Milosevic.
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Fort bien.
13 Q. [interprétation] Monsieur Adam, qu'avez-vous fait pour préparer votre
14 voyage à Racak ?
15 R. Nous avons, bien sûr, essayé de contacter Mme Ranta pour qu'elle nous
16 parle du document que nous avions obtenu. Notamment, parce que nous avions
17 le sentiment qu'elle avait attisé les émotions, qu'elle avait essayé
18 d'influer sur l'auditoire à la conférence de presse de mars 1999,
19 lorsqu'elle avait parlé des gens de Racak en prononçant une phrase
20 d'ailleurs très compliquée. Mais une phrase dans laquelle elle disait qu'il
21 n'y avait rien d'autre parmi les gens morts à Racak que des civils, des
22 civils sans arme, sur qui on tirait sans qu'ils aient pu répliquer. Ce
23 n'est peut-être pas la phrase mots pour mots, mais enfin c'était plus ou
24 moins ce qu'elle voulait dire. Je parle de sa déclaration à cette
25 conférence de presse.
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1 Nous l'avons contacté, elle n'avait pas très envie de parler avec nous,
2 mais elle nous a dit au moins qu'aucune tentative n'avait jamais été faite
3 pour découvrir si ces personnes tuées portaient des traces de poudre sur
4 les mains. Au cours de la conférence de presse, ce qui avait été dit
5 tendait à faire croire que c'était le cas. Je peux parler également de M.
6 Vollebaek qui était, si je ne m'abuse, à l'époque président de l'OSCE ou,
7 en tout cas, du groupe de ministres membres de la présidence de l'OSCE, qui
8 a dit à un certain moment que sa conclusion c'est qu'il n'y avait pas eu de
9 tirs à Racak, que ces allégations étaient contraire à la vérité, qu'elles
10 étaient tout simplement contraire à la vérité.
11 L'équipe de Mme Ranta, après son enquête --
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Adam, encore une fois --
13 LE TÉMOIN : [interprétation] -- avait recherché des traces --
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] La Chambre n'est pas aidée par des
15 réponses aussi longues. La question qui vous était posée consistait à vous
16 demander ce que vous aviez fait pour préparer votre voyage ? Vous avez
17 répondu à cette question. Quant à M. Milosevic, c'est à lui qu'il
18 appartient de vous poser des questions au fur et à mesure de
19 l'interrogatoire.
20 M. MILOSEVIC : [interprétation]
21 Q. Veuillez jeter un coup d'œil, Monsieur Adam, à l'intercalaire 3, qui
22 est le rapport d'activités quotidien de la MCCM, la Mission des
23 observateurs européens, pour la période du 15 au 17 janvier 1998. Je vous
24 renvoie à une phrase particulièrement qui se trouve en page 2. Vous avez
25 dit que : l'OSCE n'avait rien dit au sujet de l'UCK. Dans ce document de la
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1 MCCE, il est stipulé à la deuxième ligne de la page.
2 Je cite : "L'UCK a dit à la KDOM de l'Union européenne cependant que six de
3 ses combattants avaient été tués, et six autres blessés."
4 R. C'est exact. Ceci est très intéressant car nous avons reçu ce document
5 à peu près en même temps que le rapport de l'OSCE, et pratiquement de la
6 même source. Ces deux structures étant parallèles, il y a la structure de
7 la KDOM d'une part, et la structure de la MCCE de l'autre. Ces deux
8 structures rendaient compte à leur gouvernement et ceci est un des
9 documents de la KDOM produit en parallèle à peu près au même moment que le
10 document de l'OSCE. Contrairement au rapport de l'OSCE, dans ce rapport de
11 la KDOM, on a une mention très claire de la présence de l'UCK à Racak, en
12 page 2. Présence qui a été laissée de côté dans le rapport de l'OSCE.
13 Lorsque vous examinez le rapport de l'OSCE, vous voyez qu'il y est
14 uniquement question de Serbes qui sont allés dans le village de Racak pour
15 tirer sur les gens.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Adam, d'après vous, la mention
17 de la date, de l'année, est-elle encore une erreur typographique ? Ici,
18 nous lisons 1998.
19 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est une faute de frappe, je suppose, parce
20 qu'on est au mois de janvier. Il arrive souvent durant le mois de janvier
21 que les gens se trompent dans le dernier chiffre de l'année en oubliant de
22 l'augmenter d'une unité. Je suppose que c'est dû à cela.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bien. Il est question de Racak en page
24 1, mais la date devrait être 1999.
25 Veuillez poursuivre, Monsieur Milosevic.
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1 M. MILOSEVIC : [interprétation]
2 Q. Monsieur Adam, ce qui est clair, compte tenu du fait que le rapport de
3 la MCCE avait déjà paru --
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Milosevic, contrairement aux
5 instructions qui vous ont été données par M. le Juge Robinson, vous avez
6 commencé votre question par les mots, "Est-il clair que," et je pense que
7 la question qui suit sera une question directrice. Donc, veuillez
8 reformuler.
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien. Je vais reformuler.
10 M. MILOSEVIC : [interprétation]
11 Q. Etait-il possible, Monsieur Adam, compte tenu du fait que le rapport
12 officiel de la MCCE existait déjà, était-il possible que les autorités
13 compétentes n'aient pas eu connaissance du fait que l'UCK était présente
14 sur les lieux ?
15 R. Manifestement, les responsables politiques concernés savaient que l'UCK
16 était présente à Racak, car ils avaient obtenu ce document qui était l'un
17 des rapports publié dans cette période.
18 Q. Avez-vous, à l'époque, entendu ne serait-ce qu'un seul élément
19 d'information venant des médias qui aurait fait mention de l'UCK ou de la
20 réalité de combat sur les lieux ?
21 R. Et bien, il était tout à fait clair depuis le début qu'il y avait eu
22 des combats et des personnes tuées au combat, car Reuters en a parlé dès le
23 15. Dans un rapport de cette agence de presse, il est question de combat
24 très dur dans la région de Stimlje, mais dans le rapport de l'OSCE, le
25 silence est fait sur cette affaire. Il n'est pas question d'action de l'UCK
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1 ou de combat entre les Serbes et les forces albanaises. Je veux parler du
2 rapport de l'OSCE, bien sûr, parce que dans le rapport de la KDOM,
3 l'existence des combats est mentionnée.
4 Q. Dans le rapport de la Mission de vérification de l'OSCE, il n'en est
5 pas fait état. C'est ce que vous êtes en train de dire ?
6 R. Tout à fait, selon les documents que j'ai pus recevoir.
7 Q. Je vous demanderais maintenant de passer rapidement en revue le
8 document suivant : un article de journal du 17 mars 1999, un rapport des
9 légistes sur l'incident de Racak. Je ne m'appesantirai pas sur ce document
10 très longtemps, mais nous y reviendrons peut-être plus tard. Ce que
11 j'aimerais pour le moment c'est appeler votre attention sur un paragraphe
12 qui se trouve en page 3, ou plutôt qui commence en page 2, et se poursuit
13 en page 3. J'espère que Monsieur l'Huissier pourra nous le mettre sous les
14 yeux.
15 R. Je vois. Est-ce que je peux utiliser mon exemplaire de ce document ?
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Parce que j'y ai apposé certaines annotations.
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous avez le même exemplaire ?
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non. J'ai plus de facilités à retrouver
20 les passages sur mon document.
21 M. MILOSEVIC : [interprétation]
22 Q. C'est le rapport du groupe d'experts légistes qui ont travaillé sur
23 l'incident de Racak datant du 17 mars.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Que la page 3 soit placée sur le
25 rétroprojecteur, le haut de la page.
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1 M. MILOSEVIC : [interprétation]
2 Q. Monsieur Adam, j'espère que vous pouvez me suivre, donc à la fin de ce
3 paragraphe qui commence en page 2 et se poursuit en page 3, autrement dit,
4 en haut de la page 3, nous lisons ce qui suit, je cite : "Rien n'indiquait
5 que d'autres personnes que des civils sans arme aient été présentes."
6 R. Oui.
7 Q. Pour gagner du temps, je vous demanderais maintenant de lire un passage
8 dans le document suivant : article de presse, numéro 22/9, "Commentaires du
9 président en exercice de l'OSCE sur le rapport émanant de l'équipe
10 d'experts légistes de l'Union européenne" donc les deux documents font un
11 tout. Le président de l'OSCE de l'époque," Knut Vollebaek, dans le
12 paragraphe qui m'intéresse, dit ce qui suit, je cite : "Le Dr Ranta a
13 conclu à l'assassinat de civils sans arme à Racak à peu près au même
14 moment," et cetera, et cetera.
15 R. C'est que je m'efforçais d'expliquer il y a quelques minutes, à savoir
16 que Mme Ranta n'a pas, dans le cadre de son enquête sur place, recherché
17 des traces de poudre sur les mains des personnes tuées. Les pathologistes
18 serbes et biélorusses l'ont fait, mais leurs analyses n'ont pas obtenu la
19 reconnaissance internationale, donc nous n'avons rien qui prouve que des
20 armes aient été utilisées, mais nous n'avons pas non plus la même preuve
21 que des armes n'aient pas été utilisées. Il n'y a de preuve ni dans un
22 sens, ni dans l'autre.
23 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, excusez-moi. Je vais
24 laisser finir le témoin.
25 LE TÉMOIN : [interprétation] On aurait pu s'attendre à ce que Mme Ranta
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1 dise exactement cela lors de la conférence de presse. Mais elle a dit les
2 choses d'une façon très compliquée. Elle a un peu déformé les choses de
3 sorte que, lors de la conférence de presse, les gens qui l'écoutaient
4 pouvaient avoir l'impression que la présence de traces de poudre avait fait
5 l'objet d'une enquête de sa part et que des armes n'avaient pas été
6 utilisées par ces personnes, ce qui n'était pas exact.
7 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président.
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur Nice. Encore une phrase.
9 Dans ce cas, il y a eu y compris malentendu parmi les journalistes et dans
10 le monde des médias, parce que les observations de M. Vollebaek à la presse
11 disaient de façon tout à fait précises que ceci n'était pas vrai, autrement
12 dit, qu'elle n'avait pas apporté la preuve de ces dires.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Nice.
14 M. NICE : [interprétation] Je répète que je ne souhaite surtout pas élever
15 trop d'objections par rapport à la déposition de ce témoin, compte tenu des
16 inquiétudes que ce témoin nourrit au sujet de Racak, mais il est de mon
17 devoir de rappeler à la Chambre que le problème de savoir dans quelles
18 mesures les éléments de preuve par ouï-dire sont admissibles a été discuté
19 en rapport avec Racak. La Chambre se rappellera qu'on a établi une
20 différence entre le fait de relater des événements survenus à d'autres
21 comme le font les représentants et employés de l'OSCE ou de "Human Rights
22 Watch" et quelque chose de tout à fait différent, à savoir, par exemple, le
23 fait pour un enquêteur de relater, de parler des mêmes événements.
24 D'ailleurs, ceci a fait l'objet d'une audience devant la Chambre d'appel,
25 et à aucun moment il n'a été proposé que des témoins dénués de toute
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1 expertise, de tout savoir faire particulier pouvait proposer leur avis
2 personnel sur des questions qui manifestement relèvent de la compétence de
3 la Chambre. Les Juges remarqueront, qu'il y a quelques instants, la
4 question a commencé par, "…est-ce que vous pourriez examiner ceci et nous
5 donner votre avis au sujet de cela." Bien entendu, je vois que le témoin
6 est tout à fait capable de nous dire un certain nombre de choses au sujet
7 de ce que Mme Ranta a fait ou n'a pas fait, a dit ou n'a pas dit, qui
8 pourrait être admissible. Je ne tiens surtout pas à élever des objections
9 par rapport à quelque chose qui pourrait être utile pour la Chambre, mais
10 ceci est tout simplement un avis personnel sur des réalités tout à fait
11 matérielles. Je ne crois pas que ceci puisse aider les Juges en quoi que ce
12 soit. Il est de mon devoir de porter à votre attention le fait qu'ici nous
13 dépassons les limites fixées par nous, quant à l'admissibilité de l'ouï-
14 dire.
15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je m'exprime en mon nom personnel,
16 mais en tant que journaliste d'investigation, il peut donner son
17 appréciation même si par la suite la valeur probante sera déterminée par la
18 Chambre. Nous avons entendu parler de la pertinence ou de la crédibilité
19 d'un texte cherchant à démontrer la présence de poudre, nous nous en
20 souvenons très bien, et c'est à l'accusé de présenter sa défense.
21 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Juge, j'entends bien ce que vous
22 venez de dire, mais si telle est la conclusion de la Chambre de première
23 instance, je me limiterai à l'objection déjà présentée, mais je pense qu'il
24 faut considérer cela comme un écart assez important par rapport à la
25 pratique de ce Tribunal dans son ensemble si nous disons que des éléments
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1 de preuve constitués par des avis personnels d'un journaliste entrent dans
2 la catégorie admissible des éléments de preuve relatifs au fait, et ne sont
3 plus simplement des expressions d'opinion. Nous connaissons bien l'avis des
4 experts, mais ici, je pense que nous sommes dans une autre catégorie. Cela
5 dit, si tel est l'avis de la Chambre, je n'irai pas plus loin.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne pense pas que ce soit l'avis
7 personnel du témoin que l'accusé cherche à obtenir de sa bouche, mais
8 plutôt l'appréciation d'un journaliste qui a enquêté sur la question.
9 M. le Juge Bonomy a d'autre chose à vous dire.
10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Nice, dans votre objection,
11 je crois qu'il y en a deux, en effet. Il y en a une qui porte sur l'ouï-
12 dire, mais l'autre concerne les avis exprimés par le témoin, et cela c'est
13 quelque chose de tout à fait différent. Je ne pense pas que le témoin
14 propose son avis personnel sur la validité d'une analyse légiste. Ce qu'il
15 nous dit c'est que les médias ont parlé de ces événements et que ce qu'ils
16 ont rapporté n'était peut-être pas suffisamment précis. Alors, il peut y
17 avoir une question, quant à la deuxième proposition, à savoir, est-ce que
18 leur récit était précis ou valable, ou il ne me semble pas que nous
19 dépassions les limites de notre mission professionnelle pour le moment.
20 Cependant, je dois dire que moi aussi je trouve assez peu de valeur à la
21 présentation des éléments de preuve réalisés de cette façon.
22 M. NICE : [interprétation] Et bien, Monsieur le Juge, ceci me stimule pour
23 évoquer la question devant la Chambre quand j'entends le témoin dire, "Elle
24 a déformé les choses…" et cetera, parce que là nous entrons dans un domaine
25 qui dépend entièrement de vous. Je n'abuserais pas de votre temps, mais je
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1 m'inquiète par rapport à la création éventuelle d'un précédent qui serait
2 très regrettable.
3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pense que vous auriez tort de ne
4 pas élever d'objection, puisque ceci semblait être un écart par rapport à
5 la pratique du Tribunal, eu égard aux questions qui ont été posées. Mais ce
6 qui m'aiderait c'est que quelque chose de précis émane des éléments qui
7 font l'objet de vos objections.
8 M. NICE : [interprétation] Je répondrai.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous pourrions poursuivre, mais je
10 m'inquiète du temps car le témoin ne peut pas rester demain.
11 Combien de temps pensez-vous que va durer l'interrogatoire principal ?
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'espère qu'il sera très court. Je m'attends à
13 en terminer avant la pause, mais compte tenu des interventions constantes
14 de M. Nice, un certain temps est perdu tout simplement.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez poursuivre.
16 M. MILOSEVIC : [interprétation]
17 Q. Monsieur Adam, puisque vous avez parlé de la présentation au public et
18 du fait qu'en tant que journaliste vous étiez compétent pour parler de ces
19 questions, veuillez, s'il vous plaît, nous dire pourquoi ce mot "déformé" a
20 utilisé par vous lorsque vous parlez de la conférence de presse ? Vous
21 dites que les événements ont été présentés de façon un peu déformée à
22 l'auditoire. Sur quelle base fondez-vous votre propos ?
23 R. C'est peut-être un peu compliqué à expliquer, mais je vais essayer de
24 le faire.
25 Selon les protocoles dont j'ai parlé, dans ces protocoles il n'était pas
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1 question d'analyse de la présence de poudre. Or à la conférence de presse,
2 Mme Ranta a déclaré, elle a prononcé cette fameuse phrase, "selon laquelle
3 rien n'indiquait," et cetera, qui a été mal comprise par 99 % de la presse
4 mondiale. Je crois pouvoir le dire, je n'ai pas compté, mais c'est ma
5 supposition. Elle a déclaré avoir découvert que les personnes tuées étaient
6 des civils sans arme, mais elle ne présente aucune preuve dans son enquête
7 à ce sujet.
8 On peut appeler cela une déformation. On peut appeler cela la création d'un
9 malentendu, très certainement un malentendu. Elle a appelé cela un
10 malentendu lorsque nous lui en avons parlée.
11 Cela est similaire à une déformation, dès lors que M. Vollebaek dans la
12 presse, lorsqu'il répond immédiatement à la conférence de presse
13 précédente, déclare qu'au moins 40 civils sans arme ont été tués.
14 Vous savez, les journalistes sont parfois des gens très paresseux, et ils
15 se saisissent de la phrase la plus facile pour eux, sans se compliquer la
16 vie, et c'est donc celle qui est publiée.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Milosevic, essayez de poser des
18 questions au sujet d'événements précis, si vous le pouvez, en demandant au
19 témoin ce qu'il a entendu ou vu. Car ce genre d'analyse ne nous aide pas
20 beaucoup. N'importe qui peut raconter des choses de ce genre.
21 Veuillez procéder.
22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vais procéder immédiatement, Monsieur Kwon,
23 mais ne perdez pas de vue que c'est précisément l'incident de Racak qui a
24 été grossièrement exploité à des fins de propagande d'une façon tout à fait
25 inacceptable et malhonnête.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Non, pas de commentaire, veuillez
2 procéder.
3 M. MILOSEVIC : [interprétation]
4 Q. Monsieur Adam, dans l'une des réponses que vous avez apportées il y a
5 quelques instants, vous dites que vous avez, au cours de votre enquête,
6 consulté des légistes allemands. Qui étaient ces légistes allemands
7 consultés par vous ?
8 R. C'était un professeur de Hambourg. Il s'appelle le
9 Pr Pueschel. Nous l'avons contacté et nous avons discuté avec lui. Il a
10 déclaré qu'il n'y avait aucun fondement aux accusations qui avaient été
11 faites. Aucun fondement à certaines de ces accusations, pour être tout à
12 fait précis. Je veux parler des accusations faisant état d'exécutions.
13 Q. Ceci figure à l'intercalaire 9, extrait de Berliner Zeitung, n'est-ce
14 pas. Son prénom est Klaus. C'est bien à cet article que vous faites
15 référence ?
16 R. Oui, je vous remercie.
17 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je demande au dossier de ce document, Monsieur
18 Kwon.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Quelle était la question ?
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] La question était : qui était ce légiste
21 allemand, parce que M. Adam avait dit qu'il avait consulté des légistes et
22 pathologistes allemands. Il a parlé d'un entretien qu'il a eu avec un
23 pathologiste allemand, dont le nom figure dans ce document. Ce pathologiste
24 allemand explique que les rapports de la presse ne correspondent pas à la
25 vérité. Le pathologiste allemand dit ce qui suit, je cite : "Il n'est pas
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1 vrai que de nombreuses personnes aient été abattues à bout portant." Voilà
2 ce qu'il dit.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Un instant, je vous prie. Monsieur Adam,
4 est-ce que vous avez conduit cet entretien, ou est-ce que c'est vous qui
5 avez écrit l'article ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Nous travaillions en équipe, donc il est
7 difficile de le dire précisément.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais qui est Roland Heine ?
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Roland Heine est l'un de mes collègues qui
10 fait partie de l'équipe. Il faisait officiellement partie de l'équipe qui
11 est allée à Racak.
12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Nice, est-ce qu'il ne
13 s'agisse pas justement du moment où vous devriez intervenir à moins que je
14 ne comprenne pas votre prise de position.
15 M. NICE : [interprétation] Tout à fait. Justement c'est le genre de
16 questions au sujet desquelles j'ai des objections à faire. Mais je
17 repensais à ce qu'avait dit, M. le Juge Kwon, au sujet de l'admissibilité
18 de ce type d'enquêtes et du poids qu'il convient de leur accorder.
19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si ce document est versé au dossier,
20 en fait ce document représente les opinions de quelqu'un qui s'est exprimé
21 à titre professionnel et qu'on pourrait citer à la barre. Et on pourrait
22 lui poser des questions au sujet des informations dont il disposait pour
23 s'exprimer de la sorte. Mais actuellement, il me semble que cela n'a aucun
24 intérêt d'entendre ce qu'un journaliste a à dire au sujet d'une interview
25 réalisée auprès d'un légiste.
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1 [La Chambre de première instance se concerte]
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je partage le sentiment du Juge Bonomy.
3 Question suivante, je vous prie, Monsieur Milosevic.
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bien.
5 M. MILOSEVIC : [interprétation]
6 Q. Monsieur Adam, quand vous avez mené votre enquête, quand vous avez
7 interviewé ces médecin légistes allemands, est-ce que vous disposiez du
8 résultat des travaux de l'équipe médico-légale finlandaise, qui se trouve
9 au point 17, et qui est la pièce à conviction 156. Ceci se trouve à
10 l'intercalaire 17 de notre liasse de documents, et porte la cote 156,
11 "c'est une pièce à conviction de l'Accusation."
12 Je voudrais savoir si vous avez travaillé sur la base de ces documents, si
13 vous les avez présentés aux personnes que vous avez interviewées ?
14 R. Oui, tout à fait. Nous avons présenté tous ces protocoles aux experts.
15 Q. Si bien que les experts, n'est-ce pas, ont conclu qu'ils n'avaient pas
16 trouvé dans ces documents, ils ne les avaient pas trouvé parce que cela
17 n'existait pas. Que tout le reste s'y trouvait, mais pas cela. Est-ce que
18 j'ai bien compris ?
19 R. Oui. Oui, étant donné que moi je me suis appuyé sur leur connaissance
20 particulière, vu leur niveau d'expérience et leur expertise.
21 Q. Bien. Passons à autre chose. Est-ce que vous avez essayé de prendre
22 contact avec Mme Ranta pour qu'elle vous donne des explications au sujet
23 des contradictions entre la version officielle, ce qui a fait l'objet d'une
24 annonce officielle d'une part et le rapport de l'équipe d'experts, d'autre
25 part ?
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1 R. Nous avons essayé de le faire. J'ai essayé moi-même de le faire. Nous
2 avons essayé de faire intervenir d'autres personnes, notamment des
3 journalistes néerlandais. Mais au bout du compte, il est apparu que Mme
4 Ranta n'était pas désireuse de coopérer avec nous.
5 Q. Est-ce que vous êtes en train de nous dire qu'elle vous a opposé une
6 fin de non recevoir, qu'elle a refusé de s'exprimer à ce sujet ?
7 R. Effectivement.
8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que c'est une attitude qui est
9 répréhensible ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, pas du tout. Je ne suis nullement là pour
11 la critiquer. Enfin, elle a un peu joué à la cache- cache.
12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] On ne peut pas savoir pourquoi, peut-
13 être, est-ce parce qu'elle avait eu une expérience assez désagréable avec
14 les journalistes par le passé. On ne sait pas, on ne peut pas le savoir.
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Oui, mais on nous avait dit que Mme Ranta
16 était allée à Racak. Etant donné les doutes qui étaient nés dans notre
17 esprit, toutes les questions qui se posaient à nous, j'ai décidé d'essayer
18 de la rencontrer sur place. C'était notre idée de départ, le 21 mars.
19 M. MILOSEVIC : [interprétation]
20 Q. Très bien. Merci. Monsieur Adam, nous avons établi que vous aviez
21 décidé d'aller à Racak, et comme vous venez de le dire, vous y êtes rendu
22 le 21 mars. Que s'est-il passé ensuite ? Est-ce que vous avez rencontré Mme
23 Ranta sur place ? Ou veuillez nous expliquer ce qui s'est passé à Racak, à
24 partir du moment de votre arrivée ?
25 R. Comme je l'ai dit, la raison pour laquelle nous avions décidé d'aller à
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1 Racak, ce n'était pas uniquement pour parler avec Mme Ranta. Moi, c'était
2 ce que j'étais là pour faire, mais cela n'a pas fonctionné, parce qu'elle a
3 refusé encore une fois de nous parler. Mais nous avions également une autre
4 raison, enfin j'avais une autre raison. C'était pour moi, en tant que
5 journaliste d'investigation, d'essayer de découvrir ce qui s'était passé,
6 de me faire une idée des lieux.
7 Donc, quand je suis allé à Racak, il faut savoir que, quand on arrive, on
8 voit à gauche le cimetière, c'est là que j'ai décidé de me rendre en
9 premier lieu. Il y avait quelqu'un qui était en train de désherber le
10 cimetière. J'ai oublié son nom maintenant. Mais son frère était l'une des
11 victimes de ceux qui étaient morts à Racak. Azemi, c'était son nom. Je lui
12 ai demandé de bien vouloir me faire visiter les lieux où tout s'était
13 déroulé à Racak. Il y a consenti et nous nous sommes mis en route. Nous
14 nous sommes arrêtés la première fois parce qu'un soldat de l'UCK a voulu
15 m'empêcher de poursuivre. Il a dit que lui pouvait me raconter tout ce
16 qu'il y avait à savoir de l'incident, que je n'avais pas besoin d'aller me
17 faire une idée par moi-même. Mais finalement j'ai insisté et il a fini par
18 céder.
19 Dix mètres plus loin, nous sommes arrivés auprès de soldats finnois, qui
20 avaient escorté Mme Ranta, et qui bloquaient la zone. Je me suis approché,
21 je me suis présenté et je leur ai dit que j'aurais souhaité parler à Mme
22 Ranta. Ils ont pris contact avec elle par talkie-walkie, mais elle a refusé
23 de me parler, donc voilà. Elle était à ce moment-là dans ce chemin creux.
24 Q. Bien. Vous n'avez pas pu entrer en contact avec Mme Ranta, est-ce que
25 vous êtes allé ailleurs, à Racak ?
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1 R. Etant donné qu'il n'était pas possible de s'approcher de ce chemin
2 creux, il a bien fallu que j'aille ailleurs à Racak. Je savais que mon
3 temps était limité sur place, donc il y avait deux choses qui étaient
4 prioritaires pour moi et sur lesquelles je me suis concentré. La première
5 chose, c'était de déterminer comment la femme était morte, parce que ceci
6 était essentiel pour déterminer s'il y avait effectivement eu un massacre,
7 s'il y avait eu exécution ou pas. La deuxième priorité, c'était de
8 déterminer comment le jeune garçon avait trouvé la mort, parce que bien
9 entendu c'était là quelque chose de tragique, c'était une véritable
10 tragédie, on peut le dire, mais il s'agissait pour moi de déterminer et
11 c'était extrêmement important, il s'agissait pour moi de déterminer donc si
12 la phrase prononcée par M. Clinton dans la déclaration qu'il avait faite,
13 ainsi que les déclarations d'autres hommes politiques correspondaient à la
14 réalité, à savoir est-ce que les gens avaient été contraints de
15 s'agenouiller dans la boue, avant d'être fauché par des rafales de tirs.
16 C'est donc ce que j'ai essayé de déterminer.
17 Et les villageois m'ont apporté leur concours.
18 Q. Qu'avez-vous découvert ? Vous souhaitiez trouver les réponses à cette
19 question et qu'avez-vous découvert ?
20 R. J'ai insisté pour qu'on me montre les lieux où les gens avaient trouvé
21 la mort. Je ne me suis pas contenté de ce que l'on me racontait. Ces gens,
22 ces villageois qui nous accompagnés, c'étaient des témoins de ce qui
23 s'était passé.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pouvez-vous nous donner leurs noms ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y avait M. Azemi. Il y en avait d'autres
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1 pendant qu'on a déambulé dans le village, qu'on a fait le tour du village,
2 et il y a d'autres personnes qui se sont jointes à nous, j'ai leurs noms,
3 mais je ne souhaiterais pas divulguer ces noms parce que ce n'est peut-être
4 pas souhaitable.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous souvenez-vous du prénom de M.
6 Azemi ?
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Il faudrait que j'examine mes papiers.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Allez-y.
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Son frère comptait au nombre de victimes. Je
10 vous prie de m'excuser, je m'étais trompé. Il s'appelait Shabani, Nesret
11 Shabani. Oui, c'est cela.
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Shabani. Oui. Nous trouvons ce nom de
13 Shabani dans la liste des victimes.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous ne souvenez plus de son prénom ?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Nesret. Nesret.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nesret.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est ce qu'il a écrit lui-même ici.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez continuer, Monsieur Milosevic.
20 M. MILOSEVIC : [interprétation]
21 Q. Bien. Il y a quelques instants vous nous avez expliqué que vous vous
22 êtes concentré, au moment de cette visite, sur une priorité, à savoir
23 découvrir la manière dont la femme et le jeune garçon avaient trouvé la
24 mort. Vous avez expliqué que vous vouliez que non seulement qu'on vous
25 raconte ce qui s'était passé, mais vous vouliez surtout voir les lieux où
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1 tout cela s'était déroulé.
2 Maintenant, sans que je vous interrompe, veuillez nous relater comment vous
3 êtes parvenu à déterminer les conditions du décès de cette femme et de ce
4 jeune garçon ainsi que d'autres personnes sur lesquelles vous avez
5 enquêtées.
6 R. A partir de la route, parce qu'il faut savoir que Racak se trouve à
7 flanc de montagne. Avant d'arriver à Racak, il y a une vallée, qui est
8 assez large, et vous avez une route qui court. C'est la route principale au
9 bas de la colline, c'est la route principale qui se trouve au niveau de la
10 partie la plus ancienne du village de Racak. Au moment de faire le tour du
11 village, nous nous sommes arrêtés à un carrefour sur cette route principale
12 entre deux maisons. Je ne me souviens pas si le carrefour était entre ces
13 deux maisons ou après, mais en tout cas, c'est là que nous nous sommes
14 arrêtés. C'est là qu'on m'a dit que la femme avait trouvé la mort. J'ai
15 demandé comment elle était morte ? A ce moment-là, ils se sont tournés et
16 ils ont indiqué une direction de l'autre côté de la vallée, à quelques cent
17 mètres, où on voit une autre colline, enfin c'est l'autre versant de la
18 vallée, disons, et c'est là qu'ils ont indiqué, ils m'ont dit, c'est à
19 partir de là qu'on a tiré.
20 Bien entendu, c'est une véritable tragédie. C'est quelque chose de
21 regrettable qui n'aurait jamais dû se produire, mais on ne peut pas parler
22 d'exécution. On ne peut pas dire que cette femme a été abattue à bout
23 portant. On ne peut pas dire qu'on l'a contrainte à s'agenouiller et qu'on
24 l'a ensuite abattue, donc voici le premier élément.
25 Ensuite, nous avons poursuivi notre chemin le long de cette route. Nous
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1 sommes allés de l'autre côté du village, parce que j'ai insisté pour que
2 l'on me montre l'endroit où le jeune garçon avait trouvé la mort, parce que
3 ceci serait très parlant. Cela aurait été un élément essentiel pour
4 déterminer s'il y avait effectivement une exécution dans son cas.
5 D'abord, nous sommes allés vers la maison de cette famille, dans la
6 cour de leur maison. J'ai rencontré la mère de ce jeune garçon, je lui ai
7 exprimé toutes mes condoléances. Bien entendu, cela n'intéresse pas à la
8 Chambre, mais c'est que je ressentais moi, c'était nécessaire pour moi.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Un instant. Est-ce que c'est tout
10 cela, M. Shabani Nesret vous l'a raconté ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Pour la femme ?
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Non. C'est ce que vous a dit Nesret
13 Shabani, parce qu'il est venu ici déposé en tant que témoin.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est un homme. Il faut dire comme je vous
15 l'ai dit, je l'ai d'abord rencontré au cimetière, et ensuite, il y a
16 d'autres personnes qui se sont jointes à nous. Nous constituons un petit
17 groupe. Et moi, mon idée, c'était d'obtenir des informations. Peu
18 m'importait finalement de savoir qui me disait quoi dans ce groupe.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je reviens aux propos que vous avez
20 tenus et selon lesquels cette femme a été abattue par des tirs qui
21 provenaient d'un versant qui se situait à quelques 300 mètres. Est-ce que
22 cela c'est M. Shabani qui vous l'a dit ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne peux pas vous affirmer que c'est M.
24 Shabani qui m'a dit cela. En tout cas, il y a une personne dans ce groupe
25 qui me l'a dit, et qui avait été un témoin oculaire de ces événements.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] M. Shabani était là ?
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Nice.
4 M. NICE : [interprétation] Je pense que ce type de situation où on reçoit
5 des informations d'une personne non identifiée qui appartient à un groupe,
6 cela va à l'encontre des limites qui ont été établies par la Chambre de
7 première instance et la Chambre d'appel pour déterminer la fiabilité
8 d'éléments de preuve.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il s'agira d'apprécier les éléments de
10 preuve présentés.
11 M. NICE : [interprétation] Oui, mais cela peut avoir également un impact
12 sur l'admissibilité même de ces éléments.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cependant, si on peut déterminer qu'il
15 y avait quelqu'un de présent, ceci peut nous donner une indication sur la
16 crédibilité et la fiabilité du témoin, par exemple, si ce témoin n'a pas
17 contredit ses dires. Donc, il faudrait explorer la situation un peu plus
18 avant plutôt que de refuser d'emblée d'admettre ces éléments de preuve.
19 M. NICE : [interprétation] Oui, peut-être, mais il aurait fallu demander
20 cela au témoin. Il aurait fallu l'interroger à ce sujet quand il était là.
21 Il faudrait vérifier, mais je ne suis pas sûr que cela a été fait.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous allons demander à l'accusé de
23 continuer son interrogatoire principal.
24 M. MILOSEVIC : [interprétation]
25 Q. Bien. Donc vous avez tout d'abord pu déterminer la manière dont cette
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1 femme avait été tuée, et ces villageois qui vous accompagnaient vous ont
2 expliqué qu'il y avait des tirs qui provenaient de l'autre versant de la
3 vallée, et que c'est à partir de ce versant qu'on a tiré sur cette femme,
4 n'est-ce pas, Monsieur Adam ? Bien. Et si j'ai bien compris également c'est
5 ce qui vous a permis de déterminer que ceci allait complètement à
6 l'encontre de l'idée que cette femme avait trouvé la mort dans le cas d'une
7 exécution.
8 R. Oui, tout à fait.
9 Q. Bien. Pouvez-vous nous dire ce qu'on vous a expliqué quand vous êtes
10 allé sur les lieux, ou si vous y êtes allé où ce jeune garçon a trouvé la
11 mort ?
12 R. Oui, j'étais en train de vous expliquer que nous étions allés dans la
13 cour de la maison de la famille de ce jeune garçon et j'ai rencontré sa
14 mère, et je lui ai fait part de mes condoléances. Ensuite, j'ai demandé à
15 ce qu'on m'emmène sur les lieux exacts où ce jeune garçon avait trouvé la
16 mort, et j'ai voulu qu'on me dise également comment cela s'était passé.
17 Nous sommes sortis de la cour de la maison, et nous nous sommes retrouvés
18 sur la route, et là, nous avons emprunté une route qui montait sur le flanc
19 de la colline. Au bout de dix à 20 mètres, 30 mètres environ, je ne peux
20 pas être plus précis, ils se sont arrêtés et ils m'ont indiqué un endroit,
21 et ils m'ont dit que c'est là que le jeune garçon a été tué.
22 C'était une autre sorte de chemin creux, pas celui dont on a souvent parlé
23 mais c'était une espèce de chemin creux avec des buissons, des arbres des
24 deux côtés. Bien entendu, on était en mars, donc il n'y avait pas de
25 feuilles sur les arbres, mais c'est la même chose en janvier, bien entendu.
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1 Ensuite, je leur ai demandé qui avait tiré et de quelle manière. Là, une
2 fois encore, ils se sont tournés, ils ont indiqué l'autre versant de la
3 vallée, et ils m'ont dit, c'est de cet endroit que l'on avait tiré, à
4 partir de cette direction. Une fois encore on avait tiré d'une distance de
5 quelque 100 mètres, et il ne s'agissait pas d'une exécution à bout portant.
6 Plus tard, nous avons poursuivi notre chemin et nous avons continué à
7 monter le long de ce chemin, et au bout de dix mètres environ, ils se sont
8 arrêtés et ils m'ont dit, c'est ici que M. Beqiri est mort. Voilà. Une fois
9 encore, j'ai insisté pour qu'on m'explique, ou qu'on me montre comment il
10 était mort.
11 A cet endroit, il y avait une sorte de déclivité dans les fourrées, c'est
12 difficile à expliquer. On avait eu l'impression qu'ils avaient été coupés,
13 qu'ils avaient -- enfin il y avait un creux dans les buissons, disons. J'ai
14 pris une photographie de cet endroit. Ensuite, j'ai demandé comment le père
15 était mort. Un de ceux qui m'accompagnaient s'est placé à cet endroit, dans
16 cette espèce de creux, en prenant la pause que je suis en train de prendre
17 moi-même comme s'il tenait un fusil dans les mains -- il s'est installé
18 dans ce creux et ensuite il a fait le geste que je fais et il m'a dit voilà
19 comment il a été tué.
20 Enfin, ce n'est pas tout à fait ce qu'ils ont dit parce que M. Beqiri a été
21 touché ici
22 L'INTERPRÈTE : Le témoin indique son thorax.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien entendu ici, c'est une information que je
24 tire des rapports d'autopsie.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Adam, qui vous a relaté tout
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1 cela ? Est-ce que vous avez un nom ?
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je n'ai pas de nom. Mais j'ai fait une
3 photographie --
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous avez fait une photographie, vous
5 avez pris en photo cette personne ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'ai pris une photographie de cette
7 personne dans ce creux.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce qu'il vous a dit que c'était
9 l'endroit, ou qu'il était sur place au moment où le jeune garçon a été
10 tué ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, ce n'est pas ce qu'il a dit.
12 Non, je ne peux pas dire que c'est ce qu'il a dit.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais comment pouvait-il savoir s'il
14 n'était pas là ?
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Le problème c'est que j'ai souvent eu affaire
16 à des témoins qui disaient une chose et une autre, les habitants du
17 village, et moi, en tant que journaliste, la seule possibilité pour moi de
18 découvrir ce qui s'était passé c'était d'interroger tous les villageois. A
19 ma connaissance, il n'y avait personne d'autre dans ce chemin creux au
20 moment où ces personnes ont été touchées par ces balles. Mais je ne sais
21 pas vraiment. Je n'en suis pas sûr.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Continuez, Monsieur Milosevic.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Ensuite, il faut savoir qu'il y a un oncle qui
24 est mort 10 mètres plus loin. Mais cela c'est autre chose.
25 M. MILOSEVIC : [interprétation]
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1 Q. Vous avez pu déterminer les circonstances de la mort de plusieurs
2 personnes. Vous venez de nous expliquer comment Beqiri, dont vous avez
3 parlé, vous venez de nous dire qu'il avait expliqué où se tenait cet homme
4 quand il a été tué, qu'il avait un fusil entre les mains quand il a été
5 tué. Qu'est-ce que cela veut dire, ce qu'il vous a montré, ce qui vous a
6 été décrit ainsi par cet homme ? Que faut-il en déduire ?
7 R. La chose que l'on peut en déduire c'est qu'on n'était pas dans une
8 situation où ceux qui ont été abattus fuyaient mais où il y avait des
9 combats. Mais d'autre part, il faut savoir que M. Beqiri ne figurait pas
10 dans les listes des soldats de l'UCK. On ne l'a pas désigné comme étant un
11 soldat de l'UCK. Il était désigné comme un civil. Quand ce villageois m'a
12 expliqué cela, moi, bien entendu, j'étais choqué, très surpris parce que
13 c'était complètement à l'opposé de la version officielle des événements.
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Comment saviez-vous que M. Beqiri
15 appartenait à l'UCK; est-ce que quelqu'un vous l'a dit ?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais justement c'est ce qui m'a déconcerté.
17 Parce qu'ils m'ont dit qu'il avait un fusil, donc il s'agissait d'une
18 situation de combat. Mais il n'avait pas été nommé dans la version
19 officielle des événements en tant que combattant de l'UCK. Je dois dire que
20 j'ai repensé à cela à de très nombreuses reprises. Bien entendu, quand
21 j'étais là-bas, j'ai rencontré un autre journaliste. Bon, bien sûr, M.
22 Nice, va peut-être me dire que ce n'est pas suffisant, il appartiendra aux
23 Juges d'en décider plus tard.
24 En tout cas, il faut savoir que parmi les journalistes, circulait la rumeur
25 de l'existence d'une milice villageoise à Racak, qui ne faisait pas partie
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1 officiellement de l'UCK, qui n'avait pas d'uniformes, mais qu'il s'agissait
2 cependant d'une milice qui avait combattu aux alentours de Racak dans les
3 jours qui ont précédé les événements. Ces rumeurs, ces informations
4 circulaient. Plus tard, effectivement, il a été confirmé qu'il y avait eu
5 une milice à Racak, une milice villageoise qui n'avait pas d'uniformes et
6 qui n'appartenait pas officiellement à l'UCK.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bien, encore une question, M. Milosevic
8 et nous suspendrons l'audience. Mais je dois dire que la Chambre ne trouve
9 pas forcément utile qu'on lui communique des informations de caractère
10 aussi général, qui ont un caractère de ouï-dire aussi général. Essayez
11 d'être beaucoup plus précis.
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bien, Monsieur Kwon, moi, d'après ce que j'ai
13 compris, M. Adam a eu des informations précises au sujet des circonstances
14 du décès aussi bien de la femme que du jeune garçon ainsi que du père de
15 Beqiri. Il a, me semble-t-il, également mentionné un autre membre de cette
16 famille. C'est sur la base de ces informations détaillées qu'il a pu
17 déterminer que ces personnes avaient été tuées dans le cadre de tirs qui
18 provenaient de positions situées à une centaine de mètres. Là, nous avons
19 un homme qui est mort avec un fusil à la main. Il n'est pas mort alors
20 qu'il s'enfuyait. Il est mort alors qu'il combattait. Le témoin a été a
21 suffisamment donné de détails.
22 Maintenant passons à la pièce numéro 6, il s'agit de photographies. M. Adam
23 souhaitait que ces photographies restent confidentielles afin de protéger
24 l'identité des personnes qui y figurent. Etant donné que ces déclarations
25 vont en sens inverse de ce qui a été dit officiellement, à savoir qu'il
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1 s'agissait de civils.
2 M. Adam veut protéger l'anonymat de ces personnes pour garantir leur
3 sécurité.
4 Je souhaiterais que cette pièce soit placée ou soit diffusée, mais pas en
5 utilisant le rétroprojecteur, mais le système Sanction. Il s'agira de la
6 pièce 8.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, mais si c'est confidentiel, je ne
8 vois pas très bien l'utilité de placer ce document sous le rétroprojecteur
9 ou d'utiliser le logiciel Sanction ? Il faudrait le fournir au témoin, cela
10 suffirait.
11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Mais j'espère que le témoin dispose de ses
12 propres photographies. Moi, ce que je voulais faire c'était de montrer ces
13 photographies à ceux qui sont dans ce prétoire. S'il n'y a pas transmission
14 vers l'extérieur de ces photographies, à ce moment-là, l'anonymat de ces
15 personnes sera préservé.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous souhaitez que ces photographies
17 restent confidentielles ?
18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Moi, mon intention, c'est de respecter le désir
19 du témoin qui est de protéger l'identité de l'homme qu'il a pris en photo,
20 je pense qu'il faut respecter cette demande. Cela n'a pas à rester secret
21 pour ceux qui sont ici dans ce prétoire, mais il ne faut pas que le reste
22 du public en ait connaissance parce qu'il s'agit de protéger la sécurité de
23 cet homme.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Présentez ces photos au témoin sans les
25 placer sous le rétroprojecteur.
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1 M. MILOSEVIC : [interprétation]
2 Q. Vous les avez, n'est-ce pas ?
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ce qui veut dire que ce sont là les
4 photos que vous avez prises des personnes avec qui vous vous êtes
5 entretenu ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie. Je crois que l'heure
8 de la pause est venue. Nous reprendrons nos travaux dans 20 minutes.
9 Monsieur Adam, vous savez que vous n'êtes pas censé parler avec des
10 représentants de la Défense pendant cette pause.
11 --- L'audience est suspendue à 10 heures 33.
12 --- L'audience est reprise à 10 heures 59.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Milosevic, j'espère que vous
14 allez terminer votre interrogatoire principal en l'espace d'une demi-heure.
15 M. MILOSEVIC : [interprétation]
16 Q. Monsieur Adam, parlons très rapidement de cette question de
17 l'identification des personnes que vous avez mentionnées.
18 Est-ce que Nesret Shabani faisait partie des personnes du premier groupe ?
19 R. Oui, cela devait être lui.
20 Q. La mère de ce jeune garçon avec qui vous avez parlée, est-ce que c'est
21 la personne qui a été identifiée ?
22 L'INTERPRÈTE : Signe affirmatif du témoin.
23 M. MILOSEVIC : [interprétation]
24 Q. La troisième personne que nous voyons sur la photo ici, est-ce que
25 c'est la personne qui explique dans quelle circonstance Beqiri a été tué ?
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1 R. Je suppose que vous parlez de cette personne où on voit la déclivité de
2 ce chemin creux.
3 Q. Oui, bien sûr.
4 R. Oui, c'était bien cette personne.
5 Q. Oui, dans le coin inférieur gauche. Par conséquent, autres ces trois
6 personnes qu'il nous est possible de voir, est-ce que toutes les autres
7 personnes du groupe ont confirmé ce que ces trois personnes ont dit ?
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Nice.
9 M. NICE : [interprétation] [hors micro] Ceci est -- on demande une
10 confirmation générale. Or, il a simplement dit que ces personnes venaient
11 de ce groupe. La dernière question est tout à fait irrecevable, qu'on
12 n'aurait dû poser sous cette forme.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, je suis d'accord. Reformulez votre
14 question, Monsieur Milosevic.
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Est-ce que je peux dire quelque chose ? Il
16 faut que je me corrige, car j'ai pris une photo, celle de M. Azemi. C'est
17 donc M. Azemi que j'ai dû d'abord voir. Vous voyez qu'il est agenouillé
18 près de la tombe de son frère. Ensuite, j'ai rencontré M. Shabani. J'ai
19 rencontré beaucoup de personnes qui ont été des témoins oculaires, mais le
20 premier que j'ai vu, c'est
21 M. Azemi. Cette photo me permet de m'en souvenir.
22 Dans le coin droit, vous voyez en haut la photo de la mère de ce garçon qui
23 a été tué, et vous voyez ensuite un des membres de la famille de Sadik
24 Osmani.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] En bas à gauche, c'est ce même homme ?
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1 C'est toujours M. Azemi ?
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. C'est un autre individu. Là je ne peux
3 pas vous donner son nom. Il nous a rejoints. Il faisait partie du groupe de
4 témoins oculaires. J'ai demandé aux personnes d'intervenir au cas où
5 c'était des témoins oculaires.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous pourriez donner son nom en audience
7 publique ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je l'ai fait, mais je vais vous dire
9 qu'il ne m'est pas possible de vous donner l'identité de cet homme. J'en
10 suis désolé.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais vous vouliez que ces photos restes
12 confidentielles.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Il ne m'est pas possible de vous donner les
14 identités parce que j'ai pris note de beaucoup de noms --
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais je parle de
16 M. Azemi, de la mère de ce garçon, et d'une troisième personne.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'en suis désolé, mais vous savez, j'ai
18 pris des photos, j'ai pris des notes, mais je n'ai pas corroboré tout cela.
19 Il y a un certain temps que cela s'est passé.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Poursuivez, Monsieur Milosevic.
21 M. MILOSEVIC : [interprétation]
22 Q. Vous ai-je bien compris, Monsieur Adam ? Vous voulez tout simplement
23 éviter de montrer la photo de cet homme qui montre de quelle façon M.
24 Beqiri a été tué ? Est-ce cela la seule chose que vous voulez garder
25 confidentielle ?
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1 R. Oui. Oui, c'est le seul élément que je voudrais garder confidentiel.
2 Q. Très bien. Ce groupe, combien de personnes comptait-il ? Je parle du
3 groupe de personnes qui vous ont montré plusieurs endroits ?
4 R. Deux, trois, quatre, cinq personnes. La route était longue. Les gens
5 étaient curieux, bien sûr. Ils nous ont rejoints, se sont rejoint à nous,
6 d'autres sont repartis. Je n'étais pas enquêteur au nom du Tribunal,
7 j'étais journaliste. C'est dans cette qualité que j'agissais. Il était
8 important que j'obtienne les éléments d'informations, les faits, et bien
9 sûr les noms des personnes mais pas pour fins de recrutement ou faire une
10 corroboration des faits du sens stricte du terme, comme le ferait un
11 tribunal.
12 Q. Les personnes qui vous ont fourni les informations n'étaient jamais
13 seules. C'était plusieurs personnes, n'est-ce pas ?
14 Et les autres ont confirmé ces informations que vous étiez en train de
15 recevoir ?
16 R. De la façon dont j'ai compris les choses, ce qui m'a été relaté c'était
17 là l'opinion générale de ces gens. Personne n'a dit non, n'a dit autre
18 chose. Justement quand j'ai insisté pour qu'on me montre de quelle façon
19 cela s'était passé, les gens étaient là sur place. L'un m'a dit quelque
20 chose, m'a montré quelque chose, les autres étaient dans les barrages et
21 n'ont rien dit et n'ont pas dit que c'était faux.
22 Q. Ayez l'obligeance, Monsieur Adam, s'agissant de la photo de l'homme qui
23 montre de quelle façon Beqiri a été tué, ayez l'obligeance de nous décrire
24 cette topographie, la topographie de ce lieu où il se trouve et la
25 provenance des tirs.
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1 R. Je voulais dire Racak se trouve à flan de collines. Il y a donc une
2 vallée et il y a l'autre versant de la colline à quelque cent mètres de là.
3 C'est là que se trouvaient les observateurs de l'OSCE et les forces
4 yougoslaves ou serbes à ce moment là, au moment des faits. Beqiri, qu'est-
5 ce qui s'est passé à sont propos ? Cela s'est passé vers l'arrière de
6 Racak, dans un virage de la route se poursuivant à flan de colline, mais
7 c'était tout à fait claire si on se retournait et on voyait l'autre flan de
8 colline de l'autre coté. De l'autre côté on avait un champ de vision tout à
9 fait dégagé sur le lieu où on était. C'était important pour moi de le
10 constater ce que me disaient ses gens était tout à fait plausible.
11 Q. Monsieur Adam, vous avez parlé d'une milice villageoise. Avez-vous des
12 sources en ce qui concerne ces informations relatives à une milice
13 villageoise ?
14 R. Il y a ce magazine "Der Spiegel", mais ce n'était pas un article qui
15 était publié. On a l'impression que c'était une source semblable à celle
16 qu'a décrite l'Accusation. Il y a manifestement un enregistrement effectué
17 par les services de renseignement français qui montre qu'il y a une
18 conversation entre la ministre de ce village et l'UCK. Je ne pense pas que
19 ceci a été présenté dans ce procès, dans ce prétoire. Je n'en suis pas sûr,
20 bien entendu, mais je ne peux pas vous parler des sources, mais il
21 semblerait qu'il peut être utile de poser la question à l'Accusation ou de
22 poser directement la question à ces gens.
23 M. NICE : [interprétation] Je pense qu'il convient que je vous informe d'un
24 échange de courrier récent entre Me Kay et moi-même. En prévision de ce que
25 pouvait dire ce témoin au moment de sa déposition, Me Kay a envoyé une
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1 lettre au bureau du Procureur. Elle porte la date du 27 octobre. Il demande
2 des réponses à des questions concernant les sources du renseignement dont
3 vient de parler, ou du type dont vient de parler le témoin. Le bureau du
4 Procureur a effectué une recherche dans tous ces dossiers. Elle l'avait
5 déjà fait aux fins de la communication prévue par l'Article 68, et elle a
6 mis à jour toutes ses recherches pour répondre à la lettre de Me Kay mais
7 aussi aux associés juridiques de l'accusé dans une lettre qui porte la date
8 au début de décembre 2004. Dans cette lettre on explique la nature des
9 recherches effectuées, et cette lettre montre qu'il n'y a avait aucune
10 information de ce type à la disposition du bureau du Procureur.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Fort bien. Poursuivez, Monsieur
12 Milosevic.
13 M. MILOSEVIC : [interprétation]
14 Q. Monsieur Adam, revenons à ce que vous avez vu après avoir terminé cette
15 visite d'inspection. Qu'avez-vous fait ?
16 R. A ce moment là, j'ai décidé d'aller dans le petit village de
17 Malopoljce, qui se trouvait à quatre ou cinq kilomètres de Racak.
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourriez vous répéter le nom du
19 village ?
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Malopoljce.
21 M. MILOSEVIC : [interprétation]
22 Q. Pourquoi avoir décidé d'aller dans ce village de Malopoljce.
23 R. C'est parce que dans ce rapport de l'OSCE que nous avons mentionné, on
24 y trouve un chiffre. On parle de cinq civils tués à Racak qui auraient été
25 emmenés à Malopoljce par des membres de leur famille. Cinq parmi les 45
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1 personnes qui avaient été au départ mentionnées dans leur rapport. Je
2 tenais à savoir comment s'était passé l'enterrement de ces personnes à
3 Malopoljce, ce qui s'était passé dans ce village.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ceci figure à la page 3 de
5 l'intercalaire 2.
6 M. MILOSEVIC : [interprétation]
7 Q. Très bien. Lorsque vous êtes arrivé dans ce village de Malopoljce,
8 qu'avez-vous constaté ?
9 R. On voit tout de suite un cimetière à l'entrée du village. Le drapeau
10 albanais y ait tissé, le drapeau rouge avec l'aigle, et ce cimetière était
11 gardé par des soldats de l'UCK. Je me suis approché du cimetière. J'étais
12 avec le chauffeur de taxi qui me conduisait, il était Albanais, il parlait
13 un peu d'anglais, ce qui nous permettait de nous comprendre. Je me suis
14 approché et nous avons d'abord été arrêtés, puis on nous a laissé entrer,
15 et un soldat de l'UCK a dit à mon chauffeur, que c'était des soldats de
16 l'UCK qui étaient morts à Racak.
17 Je suis allé voir les tombes et j'ai noté le nom des personnes qui avaient
18 été enterrées, j'étais tout à fait interloqué, parce que dans la
19 déclaration de l'OSCE, on parle de civils. Alors qu'ici, d'après ce que me
20 disait le soldat de l'UCK dans ce cimetière, il s'agissait de soldats de
21 l'UCK. Cela ne saurait être vrai, on ne peut pas dire que c'était des
22 civils.
23 Q. Dites-moi, s'il vous plaît, est-ce que vous souvenez de noms que vous
24 auriez vus ? D'après les informations dont moi je dispose, cela concerne
25 des membres de la famille Mujota, j'espère que je prononce bien.
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1 R. Oui, si vous le permettez, Messieurs les Juges, est-ce que je peux
2 consulter mes notes ?
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ce sont des notes que vous avez prises
4 spontanément.
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je les ai saisies bien sûr dans mon
6 ordinateur après, mais il s'agit uniquement de noms.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, allez-y.
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Voici le nom des personnes enterrées à
9 Malopoljce, d'après les noms que j'ai vus sur les pierres tombales. Shaqir
10 Berisha, et Rashita Simoni [phon], un autre Skender Simoni [phon], Nasim
11 Kokolari [phon], Ismail Luma, Shefqet. Je ne parle pas albanais, je ne
12 prononce dès lors peut-être pas bien, Sadik Mujota, Hanumshahe Mujota,
13 Mehmet Mustafa et Kadri Syla. Voilà le nom des personnes enterrées à
14 Malopoljce, mais qui ont trouvé la mort le 15 à Racak.
15 M. MILOSEVIC : [interprétation]
16 Q. Est-ce que ces noms sont répertoriés dans le rapport qui parle des
17 personnes tuées à Racak ?
18 R. A ma connaissance non. Ils ont été biffés, comme tout ce qui concerne
19 l'UCK et les combats de l'UCK étaient biffés, le rapport de l'OSCE n'en
20 parle pas du tout.
21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous venez de donner sept noms, c'est
22 cela ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce sont les noms que j'ai notés.
24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous en avez donné sept ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Dix.
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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Dix, merci.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce sont les noms que j'ai écrits, il y avait
3 plus de tombes bien sûr, mais je n'avais pas beaucoup de temps. Quand j'ai
4 vu, Syla et Mujota, parce que je les connaissais ces noms, je savais qu'ils
5 étaient à Racak, j'ai arrêté mon enquête, parce que pour moi je ne voulais
6 pas être tout à fait exhaustif, c'était le principe qui m'intéressait.
7 M. MILOSEVIC : [interprétation]
8 Q. Partant de cela, qu'avez-vous conclu ? Quelle fut votre conclusion,
9 après avoir établi que c'était là les tombes de soldats de l'UCK qui
10 n'étaient pas répertoriés comme étant des victimes de l'incident de Racak,
11 et que pourtant ces personnes s'étaient trouvées à Racak ? Qu'est-ce que
12 ceci vous a poussé à conclure ?
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourquoi poser cette question. Nous
14 avons déjà tout entendu, nous pouvons passer à autre chose. Il convient à
15 la Chambre --
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pourrai peut-être ajouter quelque chose ?
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Quand je parle du rapport de l'OSCE du 17
19 janvier, et lorsque j'y vois qu'il y est dit que cinq personnes, cinq
20 civils ont été emmenés par leur famille à Malopoljce, et lorsque je
21 découvre qu'il s'agissait en fait de soldats, de combattants de l'UCK, il y
22 a deux choses qui ne sont pas contestées, j'en conclus qu'il y a eu des
23 combats, or ceci avait été contesté ou nié par l'OSCE. Deuxième conclusion,
24 c'est que si on pense au fait que ce sont des membres de la famille, peut-
25 être qu'ils ont été emmenés par des membres de la famille, mais ce n'était
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1 pas quelque chose de classique, de caractéristique, il y avait d'autres
2 membres de la famille à Racak, mais en fait ce sont des soldats de l'UCK. A
3 ce moment-là, on veut dissimuler quelque chose.
4 C'est cela que je veux dire à propos du rapport de l'OSCE, ce rapport a
5 dissimulé l'identité de combattants de l'UCK dans ce rapport pour continuer
6 à donner l'impression qu'il n'y avait que des civils.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Fort bien. Nous avons entendu.
8 Poursuivez, Monsieur Milosevic.
9 M. MILOSEVIC : [interprétation]
10 Q. Sur quoi vous êtes-vous appuyé pour établir à votre arrivée à
11 Malopoljce que c'était un cimetière de l'UCK, et pas un cimetière
12 ordinaire ?
13 R. C'est ce que ce soldat de l'UCK m'a dit, celui qui surveillait le
14 cimetière. En tout cas, cela été dit à mon chauffeur, qui faisait office
15 d'interprète en même temps. Je veux être précis. Il y avait bien sûr ce
16 drapeau albanais qui avait été hissé, ce n'était pas quelque chose de
17 courant. Par exemple à Racak, vous avez deux cimetières. Le cimetière
18 traditionnel autour de la mosquée, il y en a un autre pour les gens qui
19 sont morts à Racak le 15. Là, c'est pareil, vous avez le même genre de
20 cimetière qu'à Malopoljce, avec un drapeau.
21 A Malopoljce, on m'a dit que c'était un cimetière de l'UCK.
22 Q. Fort bien. Brièvement, tirons certaines conclusions. Vous êtes arrivé à
23 Racak ayant certains doutes par rapport à certaines allégations formulées
24 dans la version officielle des événements, version présentée dans le monde
25 occidental ?
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1 R. Oui.
2 Q. J'ai suivi avec beaucoup d'attention votre déposition, dites-moi, dans
3 quelle mesure vous avez pu, soit confirmer ces doutes que vous aviez, ou
4 les dissiper grâce à l'enquête que vous avez menée sur le terrain ? Mes
5 questions porteront sur cinq points, l'exécution cela a été le leitmotiv. A
6 ce propos quel a été votre point de départ, et qu'avez-vous pu établir
7 grâce à votre enquête ?
8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Avec une telle question, il va répéter
9 ce qu'il a déjà dit, c'est une pure perte de temps.
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Bon, je peux être bref.
11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous l'avons déjà entendu, inutile de
12 le répéter.
13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien.
14 M. MILOSEVIC : [interprétation]
15 Q. Je vais maintenant énumérer les cinq questions que je voulais vous
16 poser.
17 Ces doutes que vous aviez ont-ils été dissipés ou confirmés ? Ils avaient
18 trait en tout cas à l'exécution, à l'allégation selon laquelle des femmes
19 et des enfants avaient été tués et que c'était des villageois non armés qui
20 avaient été tués. Cela porte aussi sur les activités de l'UCK, cela porte
21 aussi sur ce que vous avez pu établir à propos de la famille Mujota.
22 Vous aviez des soupçons ou des doutes. Ils concernaient les allégations
23 reprises dans les annonces et les publications officielles. Dites-nous dans
24 quelle mesure vous avez pu confirmer ou infirmer ces doutes que vous aviez
25 à propos d'exécutions de civils non armés, de femmes et d'enfants ?
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Comme vient de le dire le Juge Bonomy,
2 ceci n'est que des répétitions. Passez à autre chose, à une autre question.
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Si c'est comme cela, je vais simplement passer
4 à plusieurs pièces que nous n'avons pas encore examinées. Je vous ai déjà
5 parlé du journal le Berliner Zeitung, intercalaire 9. "Il est faux de dire
6 que plusieurs personnes ont été tuées à bout portant." C'est ce qu'on
7 trouve à cet intercalaire.
8 Puis un autre article du Berliner Zeitung qui a paru le 13 mars : "Des
9 représentants de l'OSCE infirment ce qu'a dit Walker."
10 Puis intercalaire 11. Nous avons là des nouvelles de l'agence Reuters.
11 Intercalaire 12, un article du Figaro : "Les zone d'ombre d'un massacre."
12 Intercalaire 13, autre article du Berliner Zeitung : "Les Européens
13 exhortent le chef de la Mission du Kosovo à démissionner."
14 Intercalaire 14 : "Les morts de Racak qui ont disparus."
15 J'aimerais en parler brièvement.
16 M. MILOSEVIC : [interprétation]
17 Q. Que savez-vous à propos des morts de Racak qui ont disparus ?
18 M. NICE : [interprétation] Avant que le témoin ne réponde, et j'espère que
19 je ne vais pas le perturber ce faisant, je ne sais pas si l'accusé demande
20 ainsi le versement de ces articles de presse; et s'il le fait, sur quoi il
21 se base.
22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous allons nous en occuper dans un
23 instant.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je pense que l'accusé va maintenant
25 aborder l'intercalaire 14.
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1 Poursuivez, Monsieur Milosevic.
2 M. MILOSEVIC : [interprétation]
3 Q. Intercalaire 14, il y a un article qui concerne "Les morts de Racak qui
4 ont disparus." Que savez-vous à ce propos, Monsieur Adam ?
5 R. L'article parle de ce que je vous ai déjà dit de façon précise, à
6 savoir que certains des combattants de l'UCK de Racak avaient été emmenés
7 dans un autre village pour y être enterrés de façon à dissimuler le fait
8 que c'était autre chose qu'une exécution, qu'il y avait eu des combats à
9 Racak.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] C'est vous qui avez rédigé cet article.
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien. Monsieur Kwon, je demande le
13 versement de ces documents, ces documents présentés par le truchement du
14 témoin. J'ai entendu ce qu'a dit, M. Nice, à savoir qu'il ne faudrait pas
15 verser au dossier des articles de presse. Or lui-même l'a fait lorsqu'il a
16 présenté ses témoins. Je trouve qu'il est tout à fait raisonnable puisqu'on
17 parle ici de recherches de journalistes d'investigation occidentaux ici, en
18 l'occurrence, venant d'Allemagne qui n'avait pas la moindre raison de faire
19 preuve d'un parti pris quelconque pour les Serbes. Je trouve qu'il est tout
20 à fait normal de verser ces articles au dossier.
21 Ceci dit, je n'ai plus qu'une question à poser à M. Adam, la voici.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Attendez, nous avons déjà décidé que
23 l'intercalaire 9 ne serait pas déclaré recevable pour les motifs que le
24 Juge Bonomy et moi-même nous avons donnés, je parle en mon nom personnel.
25 J'aurais tendance à accepter l'intercalaire 14, mais pour ce qui est des
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1 autres articles, je ne vois aucun intérêt à les verser au dossier de façon
2 si globale. Mais nous en parlerons plus tard. Après avoir entendu votre
3 dernière question.
4 M. MILOSEVIC : [interprétation]
5 Q. Monsieur Adam, vous êtes journaliste de carrière, vous êtes, je
6 suppose, tout à fait à même de répondre à une question qui porte sur cette
7 enquête que vous avez menée. Est-ce qu'ici c'est une question de propagande
8 exploitée contre les Serbes et les autorités serbes vu ce que vous avez
9 découvert à Racak ?
10 M. NICE : [interprétation] Je ne pense pas franchement qu'il faudrait
11 grever le dossier de ce procès par de telles questions. Vraiment ce sont
12 des conclusions des plus générales. C'est la Chambre qui devra statuer sur
13 la pertinence éventuelle de ce genre de chose. Le témoin n'a pas à
14 répondre.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] La Chambre est d'accord.
16 Vous avez ainsi terminé votre interrogatoire principal, Monsieur
17 Milosevic ?
18 [La Chambre de première instance se concerte]
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] La Chambre envisage d'admettre les
20 intercalaires 1 à 6, ainsi que l'intercalaire 11 et l'intercalaire 14,
21 parce que ces documents ont été mentionnés pendant l'interrogatoire
22 principal.
23 Y a-t-il d'autres observations de l'Accusation ? Monsieur Nice ? Monsieur
24 Saxon, excusez-moi.
25 M. SAXON : [interprétation] Merci.
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1 Contre-interrogatoire par M. SAXON :
2 Q. [interprétation] Monsieur Adam, il y a quelques instants au cours de
3 l'interrogatoire principal, vous avez dit que Racak était un événement
4 décisif dans la crise du Kosovo et que c'était une des raisons pour
5 lesquelles finalement vous avez décidé de vous rendre à Racak. C'est bien
6 cela ?
7 R. Oui. En rapport avec les doutes que j'avais.
8 Q. Lorsque vous êtes allé à Racak, vous avez parlé à plusieurs témoins des
9 événements survenus le 15 janvier 1999, parce que, comme vous l'avez dit
10 vous-même, ceci était très important pour vous ?
11 R. Dans le cadre de mon enquête, en effet.
12 Q. Conviendriez-vous que s'agissant d'un événement aussi décisif que
13 Racak, pour reprendre le mot utilisé par vous, il serait important pour les
14 autorités de mener une enquête globale, et complète --
15 R. De quelles autorités parlez-vous ?
16 Q. Bien, des autorités de la Serbie à l'époque.
17 R. Oui, bien sûr.
18 Q. Une partie d'une enquête aussi complète pourrait consister, par
19 exemple, à parler avec les survivants de l'événement survenu à l'époque,
20 n'est-ce pas ?
21 R. Bien sûr.
22 Q. Une autre partie de l'enquête pourrait consister à parler avec des
23 membres de la police ou d'autres unités armées qui, peut-être étaient
24 présents ou peut-être n'étaient présents à Racak, ce jour-là, vous êtes
25 d'accord avec cela ?
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1 R. Oui, bien sûr.
2 Q. Elle pourrait même consister à parler avec des membres de l'UCK, si
3 possible, vous êtes d'accord ?
4 R. Dans le cadre de mon travail de journaliste, bien sûr, je parle à tout
5 le monde.
6 Q. Bien sûr. Une enquête qui ne serait pas efforcée d'organiser des
7 entretiens avec les survivants ou éventuellement avec la police, qui aurait
8 pu être impliquée dans ces événements, ne serait pas une enquête complète,
9 n'est-ce pas ?
10 R. Absolument pas.
11 Q. En fait, ce serait une enquête insuffisante, n'est-ce pas ?
12 R. Oui, on peut le dire comme cela.
13 Q. J'aimerais tirer un point au clair : le 15 janvier 1999, à savoir, le
14 jour des événements de Racak, vous souvenez-vous de l'endroit où vous vous
15 trouviez ?
16 R. Oui, absolument. J'étais à la maison parce que c'était vendredi -- en
17 fait, non. J'étais au travail et le samedi, lorsque les nouvelles nous sont
18 parvenues, je m'en souviens très bien parce que j'ai dit à ma femme ce
19 jour-là, qu'au cas où ces informations correspondaient à la réalité, il y
20 aurait une guerre. Donc, j'ai su depuis le début que c'était un point tout
21 à fait capital.
22 Q. Puis-je partir du principe que votre domicile se trouve dans la région
23 de Berlin ?
24 R. Oui.
25 Q. Donc, ce jour-là, vous étiez à plusieurs milliers de kilomètres de
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1 Racak ?
2 R. Bien entendu.
3 Q. Ce jour-là, vous n'avez eu aucun contact direct par téléphone ou par
4 radio, par exemple, avec des personnes habitant Racak, n'est-ce pas ?
5 R. Bien sûr que non.
6 Q. Tout ce que vous avez dit à la Chambre aujourd'hui se fonde sur ce que
7 vous aviez lu ou ce que vous avez entendu de la bouche de tierces
8 personnes, n'est-ce pas ?
9 R. Oui, c'est de cette façon que travaillent les journalistes et nous
10 découvrons beaucoup de choses de cette façon.
11 Q. Je suis d'accord. Vous avez parlé de Mme Ranta en réponse aux questions
12 de l'interrogatoire principal. A un certain moment, vous avez dit que vous-
13 même et vos collègues journalistes aviez reçu tous les protocoles établis
14 par le Dr Ranta et son équipe. Mais j'aimerais tirer un point au clair.
15 Lorsque vous utilisez le mot "protocole," vous parlez des rapports
16 d'autopsie qui ont été établis suite à l'examen des cadavres de Racak,
17 n'est-ce pas ?
18 R. Oui. Ces documents, on les appelle des protocoles, donc, nous avons
19 reçu les protocoles. Pour être tout à fait précis, j'ajouterais que deux ou
20 trois éléments qui font partie de ces protocoles, nous ne les avons pas
21 reçus, mais c'est un détail. Je n'entrerai pas dans ces détails si vous ne
22 le souhaitez pas.
23 Q. Mais après avoir examiné ces protocoles, vous-même et vos collègues
24 sont arrivés à la conclusion que les allégations antérieures du président
25 Clinton, au sujet d'exécutions et cetera, étaient manifestement contraire à
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1 la vérité. C'est bien ce que vous avez dit dans votre déposition,
2 aujourd'hui, n'est-ce pas ?
3 R. Bien, si on raccourcit les choses à l'extrême, on peut s'exprimer
4 ainsi, mais je dois dire avant tout que, bien sûr, lorsque nous avons
5 obtenu ces protocoles, nous nous sommes adressés à des experts.
6 Q. D'accord. Oui, très bien.
7 R. C'est très important parce que je dirais qu'aujourd'hui, je suis un
8 quasi expert sur la question. Mais bien sûr, il y a de vrais experts.
9 Q. D'accord.
10 R. Evidemment, ma conclusion finale ou plutôt notre conclusion finale a
11 consisté à penser que ce que M. Clinton a dit et que j'ai cité, à savoir,
12 le fait que ces personnes avaient été contraintes de s'agenouiller dans la
13 boue, et qu'elles avaient été abattues par des armes à feu, n'avait aucun
14 fondement.
15 Q. D'accord. J'aimerais maintenant vous soumettre une pièce à conviction
16 si je puis me le permettre.
17 M. SAXON : [interprétation] J'aimerais que l'on soumette au témoin la pièce
18 à conviction 156 de l'Accusation, intercalaire 11.
19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Avant qu'une autre question ne vous
20 soit posée, j'aimerais vérifier que j'ai bien compris ce que vous avez dit.
21 J'ai compris que vous estimiez que les éléments de preuve ne confirmaient
22 pas la déclaration du président Clinton, et que ceci provenait du fait,
23 qu'à votre avis, une attention insuffisante avait été consacrée à cette
24 partie de l'enquête qui aurait pu permettre de tirer tous ces problèmes au
25 clair. Mais de la même façon, je n'ai pas compris ce que vous avez dit
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1 comme signifiant que ce que le président Clinton avait déclaré était
2 erroné. Simplement, vous dites que ces affirmations ne sont pas avérées.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne peux, bien sûr, pas vous dire ce qui
4 s'est exactement passé à Racak. Ce que je dis, c'est ce qui ne s'est pas
5 passé ou probablement pas passé à Racak. Je ne peux pas recueillir tous les
6 éléments de preuve nécessaires comme le fait la police, je suis
7 journaliste, mais je peux mettre le doigt sur une absence de cohérence.
8 Voilà ce que je peux faire.
9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.
10 M. SAXON : [interprétation] Nous avons cette pièce à conviction sur le
11 système Sanction me dit Mme Dicklich.
12 Q. Monsieur Adam, je vais vous soumettre une pièce à conviction qui a été
13 produite par le Dr Ranta dans ce prétoire. Le titre de ce document est
14 "Récapitulatif opérationnel" et il résume le travail effectué par l'équipe
15 d'experts légistes de l'Union européenne au Kosovo dans la République
16 fédérale de Yougoslavie de 1998 allant à l'an 2000. Ce rapport a été soumis
17 à l'Union européenne le 22 juin 2000.
18 Manifestement, lorsque vous-même et vos collègues avez examiné les
19 protocoles émanant des experts légistes, vous n'aviez pas encore lu ce
20 récapitulatif, n'est-ce pas ?
21 R. Qui vient du lieu de l'enquête ?
22 Q. En effet.
23 R. Non. Ceci était un document confidentiel.
24 Q. Tout à fait. J'aimerais appeler votre attention sur la page 9 ou plutôt
25 -- non, excusez-moi, la page 19 de cette pièce à conviction.
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1 M. SAXON : [interprétation] Je pense que nous avons besoin de la page
2 suivante, Monsieur l'Huissier.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, en fait c'est la page 18.
4 M. SAXON : [interprétation] Mais nous avons besoin de deux pages. Est-ce
5 qu'on peut améliorer l'image sur l'écran ? J'aimerais que le témoin puisse
6 lire le texte en même temps que moi.
7 LE TÉMOIN : [interprétation] L'an 2000 ?
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Le témoin voit ce qui figure à l'écran,
9 mais je ne sais pas s'il peut lire ce document.
10 M. SAXON : [interprétation] J'ai l'original en ma possession et si l'on
11 peut en remettre une copie au témoin, nous pourrons lire ensemble.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vois une page à l'écran. Je peux la lire.
13 M. SAXON : [interprétation]
14 Q. Vous pourrez la lire ?
15 R. Oui. Le texte commence par mars 2000.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
17 M. SAXON : [interprétation]
18 Q. Très bien. Monsieur Adam, j'aimerais appeler votre attention sur le
19 dernier paragraphe que l'on voit sur cette page qui commence par les mots,
20 je cite : "Eléments de preuve de médecine légale," et dans le corps du
21 texte, il est dit que, "lorsque la scène du crime a été fouillée par les
22 membres de l'équipe et que des documents ont été établis suite à cela avec
23 l'aide logistique du Bataillon finlandais de KFOR à Lipjan Kosovo. En
24 novembre 1999, des détecteurs de métal, ajustés pour sonder une profondeur
25 de 30 centimètres dans le sol, ont été utilisés et une superficie totale de
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1 170 mètres sur 30 à 60 mètres a été fouillée pour y rechercher des objets
2 métalliques." Ensuite, il est question de la ravine de Racak dans ce même
3 paragraphe.
4 Je cite : "Plusieurs balles et fragments de balles ont été découverts
5 à une profondeur de 0 à 15 centimètres. L'emplacement des victimes, tel que
6 vérifier par l'OSCE le 16 janvier 1999, ainsi que les sites où ont été
7 retrouvées les balles et fragments de balles coïncident. Les balles n'ont
8 pas été découvertes ailleurs dans la ravine ou à son voisinage. Par
9 ailleurs, des cartouches ont été découvertes à la surface du sol, parfois
10 sous des feuilles ou de la terre. La majorité des cartouches ont été
11 découvertes par l'équipe dans les buissons qui longeaient la ravine. Dans
12 certains cas, d'autres éléments d'origine humaine ont été découverts en
13 même temps que les balles."
14 Manifestement, vous ne disposiez pas de cette information lorsque vous-même
15 et vos collègues ont lu les protocoles d'autopsie établis sur place. Si
16 vous aviez disposé de ces renseignements au sujet de l'emplacement des
17 victimes dans la ravine et de l'emplacement des balles sur le sol, et de la
18 coïncidence entre les deux, est-ce que vous auriez éventuellement changé
19 d'avis quant à l'existence ou non d'une exécution à Racak ?
20 R. Bien, avant tout, je dirais qu'il faut attendre la fin d'une enquête de
21 ce genre pour se prononcer, n'est-ce pas ? Comme je l'ai dit, je suis allé
22 à Racak et Mme Ranta était en train de terminer son enquête. Or, les
23 recherches avec détecteurs de métal avaient été effectuées en novembre, et
24 lorsqu'elle est partie, après quoi, j'ai pu me rendre sur place dans la
25 ravine. J'ai découvert des traces de peinture qui résultait du travail de
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1 l'équipe d'enquêteurs, et qui indiquaient les lieux où les enquêteurs
2 avaient trouvé quelque chose. Mais ce que j'ai découvert, une demi-heure
3 après Mme Ranta, c'étaient ces cartouches. J'aurais pu en emporter une
4 demie douzaine avec moi. D'ailleurs, j'en ai emporté une. Je l'ai ici dans
5 la main. Ce qui m'a fait douter, alors que je ne connaissais pas les
6 résultats de l'enquête, en tout cas -- cela m'a grandement étonné pour
7 employer un mot neutre, j'ai été étonné de constater qu'une enquête avait
8 été réalisée et que quelques instants après la fin de l'enquête, des
9 personnes aussi peu habilitées que moi-même pouvaient se rendre sur le site
10 et emporter des cartouches.
11 Voilà ce que peut dire de l'enquête. Je peux remettre la cartouche
12 aux Juges de la Chambre s'ils le jugent utile. Cela ne représente pas un
13 souvenir très agréable.
14 Q. Monsieur Adam, pouvez-vous répondre à ma question, je vous prie ? Ma
15 question était très simple.
16 R. Oui, je vous ai compris.
17 Q. Bien, je vais répéter --
18 R. Très bien.
19 Q. -- parce que je n'ai pas reçu de réponse. Ma question était la suivante
20 : si vous aviez disposé de ce renseignement que je vous ai lu il y a
21 quelque instant, lorsque vous examiniez les protocoles d'autopsie est-ce
22 que cela aurait pu modifier votre point de vue quant à l'existence ou non
23 d'une exécution à Racak ?
24 R. D'accord. Tout ce que je lis laisse une impression sur moi, et j'essaie
25 toujours d'en comprendre le sens. J'ai répondu à votre question parce que
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1 cette expérience que j'ai vécue au sujet des cartouches a, bien sûr, influé
2 sur mon avis quant à l'enquête menée par Mme Ranta. Cependant, l'enquête de
3 Mme Ranta est assurément intéressante.
4 Mais avant d'en arriver à une conclusion, et peut-être que cela peut
5 se faire ici dans ce prétoire, ce qui me fait défaut, c'est une coïncidence
6 entre l'emplacement des fragments de balles et l'emplacement des trous qui
7 résultent de ces balles dans la ravine sachant que des personnes ont été
8 blessées dans la ravine. Pour autant que je le sache, il n'y avait pas
9 coïncidence entre les deux.
10 Q. Mais s'agissant --
11 R. -- jusqu'au jour d'aujourd'hui.
12 Q. Pour autant que vous le sachiez; ceci est-il exact ?
13 R. Pour autant que je le sache.
14 Q. Pour autant que vous le sachiez.
15 R. Je le dis pour autant que je le sache. Cela fait partie de ma réponse.
16 Lorsque vous essayez de rechercher ces invraisemblables impacts de balles,
17 nous savons tous que dans le film JFK, il y a une balle magique qui
18 franchit l'espace, et qui fait demi-tour à un certain moment. Mais si l'on
19 essaie de faire coïncider les impacts de balles de Racak avec l'emplacement
20 des balles dans la ravine, et bien, il y a des gens qui, apparemment,
21 auraient été abattus 15 fois, et derrière eux, il y aurait eu des gens qui
22 auraient tiré trois fois en même temps. Ces impacts ne permettent de
23 corroborer absolument rien. Bien sûr, si vous découvrez des balles --
24 enfin, je ne vous dis pas qu'il y en avait -- mais cela ne prouve pas que
25 des gens ont été tués quel que soit leur nombre. Il y a eu des personnes
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1 tuées, bien sûr. Mais de quelle façon elles ont été abattues, c'est cela
2 qui importe.
3 Q. Monsieur Adam --
4 R. Dans une situation où des combats ont lieu ou dans une situation où il
5 n'y a pas de combat. C'est important de le déterminer.
6 Je peux vous dire une chose, à savoir que j'ai à un spécialiste sur cela.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Cela suffit, Monsieur Adam.
8 M. SAXON : [interprétation]
9 Q. Monsieur Adam, c'est à moi qu'il convient de mener l'interrogatoire.
10 Vous n'avez aucune formation universitaire en médecine légale, n'est-ce pas
11 ?
12 R. J'ai discuté avec des gens de Racak.
13 Q. Vous n'avez aucune formation universitaire dans ce domaine ?
14 R. Non, pas universitaire, mais j'ai tellement travaillé sur la question
15 cette année que j'ai tout de même appris quelques petites choses. Une
16 partie du travail du journaliste consiste à apprendre des choses; on
17 commence à travailler sur un sujet, et au bout d'une semaine, on est
18 capable de parler à un professeur d'université spécialiste de telle ou
19 telle question, et on peut lui poser les bonnes questions. Voilà les
20 capacités que l'on a en tant que journaliste.
21 Q. Fort bien. Dans cette affaire, par exemple, l'affaire de Racak, vous
22 êtes parti de zéro, n'est-ce pas ?
23 R. Bien, au début oui, bien sûr, comme nous le faisons toujours.
24 Q. Cela vous surprendrait-il d'apprendre, par exemple, que dans cette
25 affaire un cadavre a été découvert et il y avait un impact de balles dans
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1 le corps de ce cadavre et il était à côté d'une molaire qui venait de la
2 mâchoire de la victime dont le corps avait été découvert à cet endroit ?
3 R. Non. J'ai entendu parler de cela, mais je n'ai rien vu de mes yeux.
4 Q. Est-ce que cela vous paraîtrait au moins un signe, relativement
5 parlant, dans le cadre de l'enquête légale ?
6 R. Oui, bien sûr. Cela fait partie de cette enquête.
7 Q. Vous avez également parlé dans votre déposition des renseignements que
8 vous avez obtenus de la bouche d'un certain nombre de personnes lorsque
9 vous êtes à Racak en mars 2000. Vous avez dit ce que vous aviez appris du
10 décès d'une femme et d'un enfant, et je pense que la femme dont vous
11 parliez était une femme dont le nom était Mehmeti ?
12 R. Muso.
13 Q. Et je crois que le nom de l'enfant était Halim Beqiri.
14 R. Oui.
15 Q. Vous avez rencontré un groupe de personnes à Racak et ces personnes
16 vous ont parlé de cette femme et cet enfant, de leur mort, et apparemment,
17 vous avez appris que cette femme et cet enfant avait été abattus à une
18 certaine distance, à une distance approximative de 100 mètres, n'est-ce pas
19 ?
20 R. C'est ce qu'ils m'ont dit, effectivement.
21 Q. Par conséquent, vous vous êtes formé l'opinion qu'il n'y avait pas eu
22 "exécution à bout portant," en tout cas, s'agissant de ces deux personnes,
23 n'est-ce pas ?
24 R. Oui, exactement. C'est ce que j'ai découvert et dans ces deux cas, il
25 est impossible de parler d'exécution à bout portant.
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1 Q. J'aimerais vous poser une autre question --
2 R. A moins que cela ne concerne trois personnes parce qu'il y avait un
3 oncle sur la colline.
4 Q. Monsieur Adam, puis-je vous poser la question suivante : est-il
5 possible que cette femme et cet enfant soient morts suite à une exécution à
6 distance ?
7 R. Encore une fois, je dois vous dire qu'en tant que journaliste, je ne
8 suis pas dans la situation de quelqu'un qui mène une investigation
9 détaillée. Je dois me concentrer sur un certain nombre de choses, sur ce
10 qui est dit, je dois comparer ce qui est dit par les responsables officiels
11 à ce que j'entends dire par d'autres. Je dois comparer un certain nombre de
12 détails et essayer de découvrir s'il y a correspondance. Puisque M. Clinton
13 parlait d'un enfant contraint de s'agenouiller, il faut que j'établisse
14 clairement la coïncidence entre la phrase en question et la réalité des
15 faits.
16 Q. D'après vous, il n'y a pas coïncidence manifestement n'est-ce pas ?
17 R. Il n'y a pas de coïncidence.
18 Q. Très bien. Je comprends tout à fait votre point de vue, mais je vais
19 vous poser une autre question très simple. Est-il possible que Hanumshah
20 Mehmeti et Halim Beqiri, un jeune garçon de 13 ans aient été victimes d'une
21 exécution à distance; par exemple, d'une balle tirée par un tireur embusqué
22 placé à une centaine de mètres de distance. Cela est-il possible oui ou
23 non ?
24 R. Bien sûr, c'est possible. Le problème, c'est de déterminer dans quelle
25 situation les choses se sont passées. Est-ce qu'il y avait des combats, ou
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1 est-ce qu'il n'y avait pas combats dans la région à l'époque ? Est-ce qu'il
2 y avait des hommes qui tiraient dans tous les sens ou est-ce qu'il y avait
3 invasion par certaines forces armées du village qui, jusqu'à ce moment-là,
4 étaient totalement pacifiques ? Je ne saurais dire quel était la nature de
5 ce tir, mais ce que je peux dire, c'est que s'il n'y avait pas de combats
6 dans la région, alors bien sûr, il y a dû y avoir une forme d'exécution.
7 Mais ceci ne correspond pas à la vérité, car il y avait des combats dans la
8 région ce jour-là, comme nous l'a dit M. Shukri Buja.
9 Q. Puis-je vous poser une autre question dans le même ordre d'idée.
10 Lorsque des combats font rage, selon votre expérience, est-ce que des
11 civils sont délibérément pris pour cible ? Selon votre expérience en tant
12 que journaliste ?
13 R. Si vous me posez une question générale de ce genre, je dois répondre
14 oui, bien sûr.
15 Q. Seriez vous d'accord que si des civils sont délibérément pris pour
16 cible par l'une ou l'autre des forces belligérantes en présence il s'agit
17 d'un crime, vous êtes d'accord avec cela ?
18 R. Bien sûr.
19 Q. J'aimerais --
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre, vous
21 avez parlé de M. Shukri Buja.
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Cela signifie-t-il que vous avez
24 rencontrez cet homme personnellement ou bien que vous parlez de son
25 témoignage ?
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je parle de son témoignage.
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que ceci est autorisé devant ce
4 tribunal. Je peux parler des dépêches d'agence Reuters ou autre.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci. Monsieur Saxon à vous.
6 M. SAXON : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge.
7 Q. Est-ce que vous savez que dans un rapport au moins, en date du 17
8 janvier, Mme Hanumshah Mehmeti est évoquée comme étant venu à l'aide de son
9 frère blessé juste avant sa mort.
10 R. Oui. C'est une des versions que j'ai entendues, en effet.
11 Q. C'est une des versions. Fort bien. J'aimerais vous soumettre une
12 séquence vidéo Monsieur Adam, une séquence d'une émission de la BBC, si je
13 ne m'abuse, qui est intitulée : La Chute de Milosevic. Voici une
14 transcription de cette séquence qui va vous être diffusée dans quelques
15 instants.
16 [Diffusion de cassette vidéo]
17 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
18 "Narrateur: Au début de janvier 1999, l'UCK a abattu trois policiers
19 Serbes. La réaction Serbe dans le village de Racak allait tout changer.
20 "Officier de police : Nous avons reçu des informations qu'en au fait qu'une
21 famille de Racak avait tué trois policiers. Ensuite, nous avons reçu des
22 ordres nous intimant de nous préparer à l'action. Nous avons démarré à deux
23 heures du matin. Il faisait très froid. La nuit était très noire. Nous
24 savions que si un seul chien aboyait notre action serait réduite à néant.
25 Heureusement, les quelques chiens qu'il y avait encore dans le village
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1 étaient sans doute endormis bien au chaud. Nous avons avancé dans les bois
2 et nous avons atteint les tranchées. Nous avons réussi à tuer les hommes
3 qui gardaient les tranchées. A ce moment là, le jour s'était levé et le
4 combat a commencé.
5 "Narrateur : Pendant six heures la police paramilitaire a tiré dans le
6 village à partir d'une extrémité du village, alors que les unités de
7 l'armée le bombardaient à l'autre extrémité. Puis, le major est entré dans
8 le village avec ses policiers.
9 "Officier de police : L'armée Yougoslave a commencé la chasse aux
10 terroristes.
11 "Narrateur : Les forces Serbes ont dit avoir découvert les cadavres de 15
12 hommes Albanais dans le village. Le major Serbe déclare qu'après avoir
13 fouillé le village maison par maison, il y a laissé une unité restreinte
14 chargée d'assurer la garde de nuit. "Officier de police : Pendant la nuit
15 l'unité a quitté ses positions, nous avons entendu qu'elle avait été prise
16 pour cible par des tirs et que les hommes avaient eu peur."
17 [Fin de la diffusion de cassette audio]
18 MR. SAXON: [interprétation] Merci.
19 Q. Monsieur Adam, je suppose que durant votre enquête vous n'avez pas
20 interviewé Goran Radosavljevic, commandant de la police dont nous voyons
21 l'image dans cette séquence vidéo.
22 R. Non.
23 Q. Il était surnommé Guri. Ces renseignements que vous avez reçus, en tout
24 cas, la version des événements que vous venez de voir sur ces images, si
25 trois policiers avaient été tués et que certains hommes avaient été
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1 identifiés en tant que suspects, normalement il est logique de penser que
2 ces suspects auraient fait l'objet d'une enquête et auraient peut-être été
3 traduits en justice dans la société dont ils font partie. Est-ce qu'on
4 pourrait s'attendre à cela ?
5 R. Pouvez-vous répéter votre question ?
6 Q. Excusez-moi. Comme les journalistes, les avocats sont parfois trop
7 paresseux pour être aussi concis qu'ils le devraient.
8 Si nous partons de l'hypothèse que ce que dit le chef de la police est
9 vrai, à savoir que des informations prouvent que des habitants de Racak
10 étaient responsables du meurtre de trois policiers. Pensez-vous que ceci
11 aurait permis aux autorités du système judiciaire de la République de
12 Serbie de mener une enquête sur ce qui s'était passé ?
13 R. Ce n'est pas à moi de porter cette appréciation.
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Kwon.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic.
16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je pense que la question est inacceptable car
17 l'officier de police que l'on voit dans la séquence de vidéo parle d'un
18 groupe terroriste à Racak et d'une attaque menée par la police contre un
19 groupe terroriste à Racak et pas contre les habitants de Racak. C'est ce
20 qui ressort des propos de l'officier de police que l'on voit sur les
21 images. Par conséquent, la question est inacceptable.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne pense pas que votre intervention
23 soit justifiée. Car le témoin est sûrement capable de répondre à la
24 question.
25 MR. SAXON : [interprétation] En fait, Monsieur le Juge, je tiens à tirer un
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1 point au clair. Ce que dit le chef de la police, c'est que des informations
2 existaient selon lesquelles une famille de Racak avait tué trois policiers.
3 Q. Je me demandais simplement si vous ne trouveriez pas un peu étonnant
4 que des autorités locales aient entrepris des actions puisqu'une famille du
5 village était censée s'être rendue responsable d'un tel acte. Est-ce qu'il
6 était bizarre de mener une opération de police de grande envergure ?
7 R. C'est l'une des chose qui m'a étonné à Racak, parce que si le groupe de
8 combattants de l'UCK était un groupe restreint, comment est-ce qu'on peut -
9 - si on peut les appeler des combattants de l'UCK, pourquoi était-il
10 nécessaire d'envoyer sur place une unité aussi importante de militaires ou
11 de paramilitaires, ou de policiers. On voit bien les chars sur la séquence
12 vidéo, pas sur celle-ci, mais sur d'autres images. On voit des chars. Ce
13 qui m'a étonné, ce que j'ai eu du mal à comprendre, c'est l'importance de
14 ces forces.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez poursuivre, veuillez
16 poursuivre, je vous prie.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Pour moi, selon les dires de M. Shukri Buja,
18 ces forces étaient censées procéder à quelque chose qui était bien plus
19 important qu'une enquête criminelle résultant du meurtre d'un policier.
20 C'était beaucoup plus important que cela.
21 M. SAXON : [interprétation]
22 Q. Merci. Merci d'être si clair. Conviendriez-vous avez moi qu'une fois
23 que le village a été bombardé, comme le dit le journaliste sur cette
24 séquence vidéo, pendant près de six heures, il est possible que certains
25 villageois, femmes, hommes ou enfants, aient essayé de fuir ? Est-ce que
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1 vous admettez cette possibilité ?
2 R. Absolument. Mais encore une fois, nous savons de la bouche de M. Buja
3 qu'ils avaient demandé à la population de Racak de partir avant les
4 combats. C'est ce que dit cet homme.
5 En deuxième lieu, je dois corriger ce que vous avez dit, il a été dit à
6 plusieurs reprises que ce village a été bombardé, or, c'est là, qu'à mon
7 avis, les choses ne correspondent pas à la vérité selon les éléments dont
8 je dispose. Dans le rapport de l'OSCE du 17 janvier, il est question de
9 bombardements du village et de trois maisons incendiées. De ces trois
10 maisons, deux maisons auraient pu constituer le QG de l'UCK quant à la
11 troisième, je n'ai pas pu identifier la troisième, mais de toute façon, il
12 ne s'agit pas du bombardement d'un village tout entier.
13 Q. Permettez-moi de --
14 R. Selon les éléments dont je dispose, comme je l'ai dit.
15 Q. J'aimerais rebondir sur ce que vous venez de dire. Vous avez évoqué le
16 témoignage de Shukri Buja, selon lequel des membres de l'UCK avaient
17 demandé aux habitants civils de quitter le village. Vous connaissez
18 également le témoignage de cet homme, où il dit que de nombreux civils ont
19 décidé de rester dans le village.
20 R. Oui, certains d'entre eux l'ont fait.
21 Q. Vous parlez également, dans votre déposition, de l'existence de
22 tranchées à Racak ?
23 R. Oui.
24 Q. Vous décrivez le fait que ces tranchées n'ont pas été utilisées pour
25 permettre à la population de fuir, mais utilisées pour des combats ?
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1 R. Oui.
2 Q. Pendant le temps que vous avez passé à Racak, vous êtes allé dans cette
3 fameuse ravine, je suppose. Vous n'avez pas vu de tranchées le long de la
4 ravine, n'est-ce pas ?
5 R. En effet, j'en ai vues. Il y a une tranchée qui se trouve à une
6 certaine distance du village et qui va jusqu'à la ravine. Donc on peut dire
7 que la ravine est reliée directement à la tranchée et qu'elle fait
8 naturellement partie de la tranchée, parce que la ravine ressemble beaucoup
9 à une tranchée. Il y a des trous de renard dans cette ravine. Je crois que
10 c'est le mot qu'on utilise pour décrire ce genre de trous. En fait, on a
11 depuis cette ravine un endroit idéal pour regarder l'ensemble de la vallée.
12 C'est un point d'un intérêt militaire certain.
13 Q. Est-ce qu'une ravine peut être utilisée pour fuir ? Est-ce que les gens
14 auraient pu fuir grâce à cette ravine ?
15 R. Bien sûr, les gens peuvent fuir partout.
16 Q. Merci. J'aimerais vous soumettre un article que vous avez écrit, je
17 crois.
18 M. SAXON : [interprétation] Monsieur le Juge, je demanderais que la vidéo
19 que nous venons de voir reçoive une cote et qu'elle soit versée au dossier.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Maître Higgins.
21 Mme HIGGINS : [interprétation] Monsieur le Juge, quelques observations. Le
22 témoin a été interrogé au sujet de cette séquence vidéo. Il a dit très
23 clairement qu'il n'avait pas interviewé l'homme dont on voit l'image à
24 l'écran. Il ne peut dire ce qu'a dit cet homme et la pratique générale de
25 ce Tribunal consiste à ne pas admettre ce genre de séquences de
Page 35774
1 documentaires. Il s'agit d'un film monté qui utilise des extraits de
2 plusieurs documentaires et qui s'intitule : La chute de Milosevic. J'élève
3 une objection par rapport à l'admission de cette séquence vidéo sur ces
4 bases.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Fort bien. Puis-je entendre l'accusé sur
6 cette question. Est-ce que vous êtes opposé à l'admission de cette séquence
7 vidéo ?
8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Kwon, je suis opposé pour plusieurs
9 raisons à l'utilisation de ces documents de propagande de la BBC qui sont,
10 en fait, un montage de plusieurs éléments, de plusieurs déclarations
11 émanant de plusieurs personnes. Comme nous l'avons vu dans cet extrait, les
12 déclarations se superposent. On a des commentaires également qui déforment
13 la description des choses. Si l'on prend la déclaration complète de cet
14 officier de police, alors je n'ai rien contre à l'admission de sa
15 déclaration complète. Mais ces commentaires montés par la BBC, je crois
16 qu'ils constituent quelque chose de tout à fait inacceptable.
17 Quant à la déclaration de l'officier de police, si vous en disposer, et
18 bien utilisez-la, mais pas des segments, des fragments en spaghetti de
19 cette déclaration.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je suppose que M. Saxon voudrait verser
21 au dossier la déclaration intégrale.
22 M. SAXON : [interprétation] Nous pourrons le faire, Monsieur le Juge,
23 absolument.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Déclaration intégrale de l'officier de
25 police.
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1 M. SAXON : [interprétation] Nous le ferons dès que nous le pourrons.
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je pense que l'Accusation dispose de la
3 transcription complète de l'émission : La chute de Milosevic.
4 M. SAXON : [interprétation] En effet, Monsieur le Juge.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais pas de la déclaration complète de
6 l'officier de police ?
7 M. SAXON : [interprétation] Je vais vérifier, Monsieur le Juge. Je ne peux
8 pas vous répondre avec une certitude à 100 %.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Nice.
10 M. NICE : [interprétation] L'Accusation estime que nous avons déjà des
11 interviews de certaines des personnes que l'on voit dans le film : Vie et
12 mort de l'ex-Yougoslavie, ainsi que dans l'émission : La chute de
13 Milosevic. Nous devons être sélectif compte tenu de la logistique et des
14 coûts impliqués. Rien ne s'oppose à ce que nous versions au dossier la
15 transcription complète de ce que dit Radosavljevic, par exemple. Je crois,
16 cela dit, que nous ne disposons pas de sa déclaration intégrale, mais nous
17 allons nous efforcer de la retrouver.
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
19 [La Chambre de première instance se concerte]
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Compte tenu de la position de
21 l'Accusation et de la pertinence de l'extrait qui a été soumis au témoin,
22 je pense que nous devons admettre cette séquence vidéo.
23 Veuillez poursuivre, Monsieur Saxon.
24 M. SAXON : [interprétation] J'aimerais soumettre un article à M. Adam.
25 Monsieur le Juge, dites-moi, si je me trompe la pause est bien prévue pour
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1 12 heures 15 ?
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, 12 heures 15.
3 M. SAXON : [interprétation] Donc, 12 heures 15. Pour ne pas perdre de temps
4 avant la pause, j'aimerais demander que soit distribuée une déclaration. Je
5 vous demande quelques instants, Monsieur le Juge.
6 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez, s'il vous plaît, me dire de
8 combien de temps que vous avez encore besoin.
9 M. SAXON : [interprétation] Quelques minutes. Il est possible que j'arrive
10 à en terminer à 12 heures 15, ou à peu près à cette heure.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien. De cette manière, nous
12 pourrons finir l'audition du témoin que nous avons entamé hier.
13 M. SAXON : [interprétation] Je souhaiterais vous présenter au témoin un
14 article intitulé : Racak, comment le jeune Halim Beqiri âgé de 13 ans est-
15 il mort ?
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que cela ne se trouve pas à l'un
17 des intercalaires ?
18 Mme HIGGINS : [interprétation] Oui, intercalaire 15.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Effectivement.
20 M. SAXON : [interprétation]
21 Q. Il s'agit d'un article que vous avez, vous-même, rédigé, qui a été
22 publié le 24 mars de l'an 2000, dans le Berliner Zeitung, je souhaiterais
23 simplement vous demander de vous rapporter au tout dernier paragraphe de
24 cet article. Tout dernier paragraphe qui commence par ces termes, "Notre
25 guide," qui se lit comme suit, je cite : "Notre guide nous explique 25
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1 hommes s'étaient cachés dans une petite grange au bas de la colline, mais
2 qu'ils avaient été découverts par les Serbes. La majorité de ces Albanais
3 avaient commencé à courir pour gagner le haut de la colline où ils sont
4 rencontrés des Serbes. Ils sont tombés sur des Serbes qui les ont tués."
5 Je ne sais pas si vous avez eu le temps de prendre connaissance de l'acte
6 d'accusation en l'espèce, et en particulier de ce qui a trait à Racak.
7 R. Bien sûr que oui.
8 Q. Il y a un paragraphe 66(A).
9 R. Là je suis un petit peu perdu avec tous ces papiers.
10 Q. Je peux vous fournir mon exemplaire, si vous le souhaitez. Je souhaite
11 simplement vous lire une ou deux phrases. Page 26 de l'acte d'accusation du
12 Kosovo, paragraphe 66(A), on peut lire la chose suivante, milieu du
13 paragraphe, en bas de la page 26 : "Des villageois qui tentaient de fuir
14 les forces de la RFY et de la Serbie ont été abattus partout dans le
15 village." Ensuite on peut lire, je cite : "Un groupe d'environ 25 hommes
16 qui tentait de se cacher dans un bâtiment a été découvert par les forces de
17 la RFY et de la Serbie. Ces hommes ont été battus puis emmenés vers une
18 colline proche où ils ont été exécutés."
19 Conviendrez-vous avec moi que cette dernière phrase que je viens de vous
20 lire correspond à la version des événements qui est donnée par votre guide,
21 le guide dont vous parlez dans votre article du 24 mars de l'an 2000 ?
22 R. Tout d'abord, on peut voir dans cet article que je reprends les propos
23 de plusieurs personnes. J'ai fait preuve d'une totale impartialité comme la
24 manière dont j'ai rapporté ce qui était arrivé à Mme Mehmeti et M. Beqiri.
25 J'ai demandé aux rédacteurs de Koha Ditore de Pristina de venir avec moi.
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1 Q. Est-ce que vous pouvez répondre à la question ?
2 R. Excusez-moi, mais il faudrait qu'on ait le temps de répondre de manière
3 détaillée. Que m'avez-vous demandé ? Vous -- m'avez-vous demandé si la
4 dernière phrase correspondait à quoi --
5 Q. Avec ce que vous avez décrit.
6 R. Ce qu'a dit le guide ou ce que j'ai écrit ?
7 Q. Oui.
8 R. En fait, vous me demandez si cela correspond à ce que moi j'ai écrit.
9 Q. Dans cet article.
10 R. Non, cela ne concorde pas tout à fait, parce que vous vous utilisez le
11 terme --
12 Q. Ma question était de savoir si globalement cela concordait.
13 R. En allemand on dit que c'est dans le détail que l'on trouve le diable,
14 littéralement.
15 Q. Je parle anglais, Monsieur le Témoin, et j'utilise le terme de
16 "général", global. Je voudrais savoir si globalement ceci correspond à
17 l'acte d'accusation dont je viens de vous donner lecture en partie.
18 R. Mais non. Sur un point essentiel, ce n'est pas la même chose. Vous,
19 vous parlez de personnes que l'on a emmenées. Je ne dis pas du tout la même
20 chose. Je dis que ces personnes ont pris la fuite, se sont dirigées vers le
21 haut de la colline. Cela ne correspond pas à ce que vous m'ayez lu. Vous me
22 dites qu'on les a emmenées.
23 Q. Bien, merci.
24 M. SAXON : [interprétation] Je n'ai plus de questions, Monsieur le
25 Président.
Page 35779
1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que vous estimez que cet article
2 qui figure dans cet intercalaire de la liasse doit être versé au dossier ?
3 M. SAXON : [interprétation] Tout à fait.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il sera ainsi.
5 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Pièce 825.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ceci va être considérée comme une pièce
7 à conviction de la Défense. On peut prendre le document qui figure à
8 l'intercalaire 15 également, parce que c'est le même article, mais la
9 traduction d'une des versions parait un peu différente. Ce que nous allons
10 faire, c'est que nous allons verser au dossier la pièce produite par
11 l'Accusation, et cela sera une pièce à conviction de l'Accusation. Une
12 cote, s'il vous plaît ?
13 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] 825.
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Milosevic, avez-vous des
15 questions supplémentaires à poser au témoin ?
16 L'ACCUSÉ : [interprétation] [hors micro] Oui.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous allons poursuivre en tablant sur
18 l'indulgence des interprètes. De combien de temps avez-vous besoin pour vos
19 questions supplémentaires ? Si vous avez besoin de plus de cinq minutes,
20 nous suspendrons l'audience maintenant.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'espère que je n'aurais pas besoin d'autant de
22 temps.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Fort bien. Allez-y.
24 Nouvel interrogatoire par M. Milosevic :
25 Q. [interprétation] Monsieur Adam, vous-même et M. Saxon pendant le
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1 contre-interrogatoire avaient à plusieurs reprises parlé de Shukri Buja, un
2 témoin que nous avons entendu ici même. Savez-vous qui était Shukri Buja ?
3 R. D'après ce qu'il a dit lui-même, il était commandant d'une brigade,
4 celle de la région de Stimlje ou Racak. Je ne me souviens pas exactement.
5 Il commandait, je crois, 800 à 1 000 hommes. Enfin, je ne suis pas trop
6 sûr. Je ne connais pas le nombre exact des hommes qui étaient sous ses
7 ordres.
8 Q. Savez-vous qu'au moment où il a été contre-interrogé ici même, il a
9 confirmé que c'était effectivement l'UCK qui avait ouvert le feu en premier
10 sur les policiers qui entraient dans le village, et qu'ils ont tiré au
11 moyen d'une mitrailleuse lourde. On pouvait le vérifier en se rapportant au
12 compte rendu d'audience.
13 R. A ma connaissance, oui, autant je m'en souviens oui.
14 Q. En plus de ce que ce fait nous indique, vous souvenez-vous ce qu'il a
15 confirmé s'agissant de la présence de l'UCK à Racak au moment où ont eu
16 lieu les combats ? Il était leur chef.
17 R. Ce qu'il a dit c'est qu'il y avait une garnison, enfin, quel que soit
18 le terme que l'on souhaite employer, enfin, il y avait une quarantaine de
19 combattants de l'UCK à Racak, dans la petite vallée qui suit ce grand
20 fossé, ou cette ravine. Il y avait là une espèce de camp où se trouvaient
21 des soldats de l'UCK. C'était une garnison.
22 Mais globalement, dans toute la région il y avait beaucoup plus d'hommes.
23 Enfin, c'est ce qu'il nous a dit; beaucoup plus de soldats de l'UCK. C'est
24 de cela que je parle.
25 Q. J'ai présenté une vidéo qui porte sur ces événements ici même. Savez-
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1 vous que la police a invité des représentants de la Mission de vérification
2 à se rendre sur place juste avant les combats de Racak, et qu'on voit sur
3 cet enregistrement deux jeeps oranges de la Mission de vérification qui
4 surveillent tous ces événements.
5 M. NICE : [interprétation] Je ne vois pas très bien comment ceci découle du
6 contre-interrogatoire. D'autre part, il s'agit d'une question des plus
7 directrices qui soit.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je suis d'accord. Veuillez je vous prie,
9 Monsieur Milosevic, reformuler votre question.
10 M. MILOSEVIC : [interprétation]
11 Q. Savez-vous que la Mission de vérification a été informée de l'opération
12 menée par la police à Racak ?
13 R. Cela je ne dispose pas d'information à ce sujet. En fait, je veux dire
14 -- je ne sais pas, j'ignore l'existence d'une invitation officielle à se
15 rendre sur les lieux. Mais il est évident qu'effectivement il y avait des
16 véhicules de l'OSCE qui étaient au sommet de la colline. On peut les voir
17 sur les enregistrements vidéo réalisés.
18 Q. Toutes les informations que vous avez recueillies, tous les éléments
19 que vous avez obtenus au sujet de Racak, est-ce que tout cela indiquait que
20 l'on avait affaire à des combats, un conflit entre les forces de police et
21 l'UCK ?
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Voici une question directrice une fois
23 encore. Vous n'avez plus de questions Monsieur Milosevic ?
24 L'ACCUSÉ : [interprétation] Non. Non, je n'ai plus de questions.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Adam, nous en sommes arrivés au
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1 terme de votre déposition. Je vous remercie d'être venu déposer devant le
2 Tribunal pénal international. Vous pouvez maintenant disposer.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Avant que nous ne suspendions
5 l'audience, deux ou trois questions. Oui, effectivement vous pouvez partir,
6 Monsieur.
7 [Le témoin se retire]
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne suis pas sûr si la Chambre avait
9 vraiment reçu la pièce 825. Je pensais mais en fait je me trouve face à un
10 document qui est différent, parce que j'ai là une liste de noms figurant
11 sur des stèles dans le cimetière. J'aimerais que la Greffière vérifie cela
12 durant la pause.
13 D'autre part, le classeur produit par le truchement du précédent témoin, M.
14 Markovic, la Greffière d'audience m'a signalé que les documents figurant
15 aux intercalaires 18 et 53 avaient été examinés pendant la déposition du
16 témoin, mais qu'ils n'avaient pas encore été versés au dossier
17 officiellement. A l'intercalaire 18 nous avions une décision de la Cour
18 constitutionnelle. A mon avis, il n'y a aucune difficulté d'accepter cet
19 élément de preuve, mais à l'intercalaire 53, il s'agissait d'un article de
20 "Newsweek" de
21 M. Kissinger qui avait été présenté au témoin et qu'il avait confirmé.
22 Monsieur Nice, avez-vous des objections ?
23 M. NICE : [interprétation] Je ne me souviens pas tout à fait de cet article
24 de Kissinger et de son importance dans la thèse de l'accusé [comme
25 interprété]. Mais, je ne m'oppose pas vu la manière assez flexible dont la
Page 35783
1 Chambre a décidé d'admettre les éléments de preuve. Je ne m'oppose pas à
2 son admission. Il s'agira en ensuite à la Chambre d'apprécier sa valeur
3 probante.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Dans ces conditions, nous allons
5 accepter le versement au dossier de ces documents.
6 Mme HIGGINS : [interprétation] Je souhaitais, simplement s'agissant du
7 témoin qui vient de partir, Bo Adam, que le document qui figure à
8 l'intercalaire numéro 6 doit être versé au dossier sous pli scellé. Il
9 s'agit d'une pièce confidentielle.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. En particulier, le numéro 3.
11 Mme HIGGINS : [interprétation] Tout à fait.
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Il s'agit surtout du numéro trois,
13 de la photographie numéro 3.
14 Mme HIGGINS : [interprétation] Oui. Ainsi d'ailleurs que la photographie
15 numéro 4. Tout ceci devrait être confidentiel.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Dans ces conditions, par mesure de
17 sûreté, nous allons verser au dossier la totalité du document figurent à
18 l'intercalaire numéro 6. Pouvez-vous répéter ce que vous aviez à dire au
19 sujet du numéro 4 ?
20 Mme HIGGINS : [interprétation] L'intercalaire numéro 4 a déjà été versé au
21 dossier. C'est une pièce portant cote C-123 [comme interprété].
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Dans ces conditions, inutile d'admettre
23 ce document à nouveau.
24 M. NICE : [interprétation] Permettez moi d'intervenir brièvement.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Allez-y, Monsieur Nice.
Page 35784
1 M. NICE : [interprétation] Lorsque j'ai dit que d'après ce que je savais
2 nous disposions pas de la totalité de l'interview de Radosavljevic, en
3 fait, je me trompais, parce qu'il s'agit d'une des interviews dont nous
4 disposons dans leur intégralité. Il s'agit, bien entendu, d'éléments qui
5 nous ont été communiqués assez tard parce que cette émission de télévision
6 est assez récente. Je crois qu'à ce moment-là nous en avions terminé du
7 volet Kosovo de la présentation des moyens à charge. Je m'en remets au Juge
8 pour savoir ce qu'il convient de faire s'agissant de ce témoin. En tout
9 cas, il s'agit d'éléments sur lesquels je reviendrais, qu'ils soient versés
10 au dossier aujourd'hui ou plus tard.
11 [La Chambre de première instance se concerte]
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous recommande de communiquer cette
13 déclaration aux autres parties.
14 M. NICE : [interprétation] Tout à fait.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] A ce moment-là, nous nous pencherons sur
16 la question --
17 M. NICE : [interprétation] Je vous remercie. Donc, il s'agit de la vidéo
18 qui a été présentée. Je ne sais pas si on va y revenir ou s'il faut lui
19 attribuer une cote.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous avons pris une décision à ce sujet.
21 Il n'y aura pas d'admission de cette pièce. Cette pièce sera rendue à
22 l'Accusation.
23 M. NICE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pause de 20 minutes.
25 --- L'audience est suspendue à 12 heures 29.
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1 --- L'audience est reprise à 12 heures 53.
2 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Nice, on m'a informé
4 indirectement que la traduction de l'intercalaire 15 du témoin précédent
5 est une traduction faite par le CLSS qui est de meilleure qualité que la
6 traduction fournie par l'Accusation, et admis sous la cote 825 puisque
7 cette traduction-là n'est qu'une traduction temporaire, une espèce de
8 projet de traduction. Dans ces conditions, nous allons verser au dossier le
9 document tel qu'il se présente à l'intercalaire 15 de la liasse de
10 documents présentée par la Défense.
11 M. NICE : [interprétation] Bien.
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous pouvez poursuivre l'interrogatoire
13 principal. Je me tourne vers le témoin pour vous signaler, Monsieur
14 Balevic, que vous êtes toujours sous serment.
15 Vous avez la parole, Monsieur Milosevic.
16 LE TÉMOIN: MITAR BALEVIC [Reprise]
17 [Le témoin répond par l'interprète]
18 Interrogatoire principal par M. Milosevic : [Suite]
19 Q. [interprétation] Monsieur Balevic, étiez-vous présent lors des
20 célébrations organisées à l'occasion du 600e anniversaire de la bataille du
21 Kosovo qui a eu lieu à Gazimestan, le 28 juin 1989 ?
22 R. Monsieur le Président, avant de répondre à votre question, et avec la
23 permission de M. Kwon, je souhaiterais ajouter quelque chose à une réponse
24 que j'ai donnée hier, quand j'ai été interrompu. Nous parlions du
25 nationalisme albanais. Je ne pense pas que vous bénéficierez d'une idée
Page 35786
1 assez précise de la situation si je ne peux pas finir ma réponse. Bien
2 entendu, avec la permission de M. Kwon.
3 [La Chambre de première instance se concerte]
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne pense pas que cela nous sera d'une
5 grande utilité. Pourquoi ne posez-vous pas la question à M. Milosevic de
6 vous reposer la question si cela est nécessaire.
7 A vous, Monsieur Milosevic.
8 M. MILOSEVIC : [interprétation]
9 Q. Bien, Monsieur Balevic. Que souhaitiez-vous dire au sujet de la montée
10 du nationalisme albanais ?
11 R. Monsieur Milosevic, vous m'avez interrompu au moment où j'ai parlé de
12 la mort de Boro et Ramiz qui étaient communistes. Ils ont été tués en tant
13 que communistes et secrétaires. Ils ont été tués parce qu'ils étaient
14 communistes, mais ils ont été dénoncés par le père de --
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Non, non, Monsieur le Témoin. Je vous
16 interromps. Nous avions déjà décidé et précisé que ceci n'était pas
17 pertinent.
18 Autre question, Monsieur Milosevic.
19 M. MILOSEVIC : [interprétation]
20 Q. Monsieur Balevic, je vais répéter la question que je vous ai posée au
21 tout début. Je voudrais savoir si vous avez assisté aux célébrations
22 organisées à l'occasion du 600e anniversaire de la bataille du Kosovo, le
23 28 juin 1989 à Gazimestan ?
24 R. Oui, j'y ai assisté. J'étais là en tant que président de la Ligue des
25 Communistes de Kosovo Polje. J'étais un petit peu l'hôte de cette
Page 35787
1 cérémonie. J'ai accueilli tous les invités à la gare ferroviaire de Kosovo
2 Polje à partir de laquelle ils ont été transportés en autocar jusqu'au lieu
3 même des cérémonies.
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Kwon, avant de poursuivre, je
5 souhaiterais vous rappeler que M. Nice, dans sa déclaration liminaire, page
6 26 du compte rendu d'audience de la déclaration liminaire de M. Nice, au
7 tout début du procès, lorsqu'il a parlé de ces événements, je vais en citer
8 un bref extrait, page 26, ligne 12 : "Pour revenir à la montée en puissance
9 de l'accusé au Kosovo, nous en arrivons maintenant au 28 juin 1989. Avec
10 une séquence vidéo qui est très connue également et que nous nous devons de
11 présenter et qui devra être versée au dossier de cette affaire. Ce jour-là,
12 il y a eu des manifestations organisées à l'occasion du 600e anniversaire
13 de la bataille du Kosovo. Je ne vais pas donner à la Chambre tous les
14 détails qui expliquent pourquoi cette bataille, qui a été perdue par les
15 Serbes, a été célébrée de la manière dont elle l'a été. Ceci s'est passé à
16 Kosovo Polje, un lieu du Kosovo. Une multitude de gens ont assisté à cette
17 célébration."
18 Ensuite, M. Nice nous montre une séquence vidéo qui a trait à cette
19 manifestation et il souhaite que ce soit versé au dossier. Moi, maintenant,
20 je souhaiterais que nous passions la séquence vidéo de ce discours prononcé
21 à Gazimestan. L'enregistrement a été préparé. Nous disposons du discours
22 prononcé, de sa transcription ainsi que de la traduction.
23 Je demande à ce que l'on lance la vidéo.
24 [Diffusion de cassette vidéo]
25 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
Page 35788
1 "Camarades. Camarades, c'est ici, ici au cœur de la Serbie, à Kosovo Polje,
2 qu'il y a 600 ans, six siècles, s'est déroulée une des plus grandes
3 batailles de l'époque. Comme c'est le cas pour tous les événements
4 marquants, cet événement a soulevé de nombreuses questions, est entouré de
5 nombreuses zones d'ombre et a fait l'objet de très nombreuses recherches
6 scientifiques, a suscité beaucoup de curiosité. Du fait des circonstances
7 sociales, ce grand anniversaire qui commémore le 600e anniversaire de la
8 bataille du Kosovo se déroule pendant une année au cours de laquelle la
9 Serbie, après de très nombreuses années, après des dizaines d'années, a
10 retrouvé son intégrité en tant qu'Etat, son intégrité nationale et
11 spirituelle. Dans ces conditions, il n'est pas difficile pour nous de
12 répondre à cette question si ancienne, cette question millénaire : comment
13 allons-nous faire face à Milos ? Il semble que la Serbie, autour de son
14 histoire, ait retrouvée, cette année justement 1989, sa dignité et célèbre
15 un événement qui s'est déroulé dans un passé très lointain, mais qui a une
16 importance symbolique et historique extrêmement grande pour son avenir.
17 Aujourd'hui, il est difficile de dire quelle est la vérité historique de la
18 bataille du Kosovo, et s'il s'agit ou non d'une légende. Mais ceci n'est
19 plus important aujourd'hui. Opprimé et à la fois rempli d'espoir, le peuple
20 se souvient et pardonne comme tous les peuples du monde, et son héroïsme.
21 C'est pourquoi il est difficile de dire aujourd'hui si la bataille du
22 Kosovo a été une défaite ou une victoire pour le peuple serbe. Cependant, à
23 cause de cette victoire, nous sommes tombés dans l'esclavage. Grâce à elle,
24 nous avons survécu à cet esclavage. Les réponses à cette question, on va
25 constamment les chercher, on les cherche dans les domaines scientifiques.
Page 35789
1 Tout le monde les cherche. Ce qui est certain, ce qui est apparu clairement
2 au cours des siècles, c'est ce qui s'est passé il y a 600 ans au Kosovo. Si
3 nous avons perdu cette bataille, ce n'était qu'à cause de la supériorité de
4 l'Empire ottoman, mais c'était également à cause de la désunion tragique et
5 de la discorde qui régnait au niveau des dirigeants de l'Etat serbe de
6 l'époque.
7 "En cette distante année de 1389, l'Empire ottoman non seulement était plus
8 fort que les Serbes, mais avait plus de chance que le royaume Serbe. Ce
9 manque d'unité va continuer à manifester ses conséquences dans toute
10 l'histoire de la Serbie. Même au cours de la guerre qui vient de se
11 produire, sa discorde continue à surgir, et on en voit les conséquences
12 historiques et morales. Même plus tard quand on a mis en place une
13 Yougoslavie socialiste, la division a continué à exister et a compromis le
14 bien du peuple. Les concessions faites par de nombreux dirigeants serbes
15 aux dépens de leur peuple sont inacceptables historiquement ou
16 ethniquement, et ceci dans n'importe quel pays du monde, en particulier,
17 parce que les Serbes n'ont jamais dans leur histoire conquis ou exploité
18 d'autres peuples. Leur histoire a toujours été marquée par les notions de
19 libération, comme pendant deux guerres mondiales, comme c'est le cas
20 aujourd'hui. Ils se sont libérés eux-mêmes. Lorsque cela a été possible,
21 ils ont également aidé d'autres pays à se libérer eux-mêmes. Le fait que
22 dans cette région, ils soient une des principales nations n'est pas quelque
23 chose dont on doit avoir honte. C'est un avantage qu'ils n'ont pas mis à
24 profit contre d'autres. Mais je dois dire, ici et aujourd'hui, à Kosovo
25 Polje, lieu historique et légendaire que les Serbes n'ont pas tiré profit
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1 de cela pour leur bien à eux-mêmes.
2 "C'est à cause des dirigeants et des hommes politiques ainsi que de leur
3 mentalité de vassaux qu'ils ressentent un sentiment de culpabilité face à
4 eux-mêmes et face autres également. La discorde parmi les responsables
5 serbes a entraîné le retard du peuple serbe et a humilié la Serbie.
6 "Cette situation s'est poursuivie pendant des dizaines années,
7 pendant de très nombreuses années. Nous nous retrouvons ici dans ce champ
8 de Kosovo Polje pour dire que ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il n'y a
9 aucun lieu de la Serbie qui soit mieux approprié pour y prononcer ces
10 paroles que ce champ de Kosovo Polje. Il n'existe pas en Serbie d'endroit
11 mieux approprié pour dire que l'unité du peuple Serbe va amener la
12 prospérité au peuple Serbe en Serbie ainsi qu'à chacun de ces citoyens
13 quelle que soit sa religion ou sa nationalité.
14 "Aujourd'hui, la Serbie est unie et égale aux autres républiques et
15 elle est prêtre à faire tout ce qui est en son pouvoir pour améliorer sa
16 situation sociale et sa situation financière ainsi que la situation de tous
17 ses citoyens. S'il y a unité, sérieux et coopération, la Serbie y
18 parviendra. C'est pourquoi l'optimisme qui règne en Serbie aujourd'hui au
19 sujet de l'avenir est un optimisme réaliste car il repose sur la liberté
20 qui permet à tous d'exprimer leurs compétences, leurs capacités créatrices,
21 et autres, afin de se réaliser au niveau privé et au niveau social.
22 "Nous avons des membres d'autres nationalités qui vivent en Serbie
23 aujourd'hui. Ceci ne représente nullement un handicap pour la Serbie. Je
24 suis convaincu que c'est un avantage au contraire. La composition nationale
25 de pratiquement de tous les pays du monde en particulier les pays
Page 35791
1 développés changent dans le même sens. On assiste à la cohabitation de
2 citoyens venant d'origines différentes dans une démocratie. Si bien, qu'il
3 ne serait y avoir de division religieuse ou nationale. Il faut simplement
4 faire la différente entre les gens malhonnêtes et les autres, entre les
5 gens travailleurs et les paresseux. Donc les habitants de la Serbie qui
6 vivent ici sur la base d'un travail honnête et qui respectent les autres
7 doivent pouvoir continuer à y vivre. Notre pays, en effet, a été basé sur
8 ces principes.
9 "La Yougoslavie est une communauté multinationale et elle ne peut
10 survivre que dans ces conditions avec égalité de toutes les nations qui s'y
11 trouvent. La crise qui touche la Yougoslavie est due à des divisions
12 nationales mais aussi des divisions sociales, culturelles, religieuses, et
13 cetera, ainsi que d'autres divisions moins importantes. Les divisions les
14 plus importantes sont les divisions à caractère national qu'il va falloir
15 résoudre.
16 "Depuis l'existence de communautés multinationales leur point faible
17 a toujours été la relation entre les différentes nations qui les
18 composaient. Il y a une sorte d'épée de Damoclès qui se trouve au-dessus de
19 ces communautés, celle de voir une nation en menacer une autre, ceci peut
20 déclancher une vague de soupçons, d'accusations et d'intolérance, à
21 laquelle il est difficile de mettre un terme. Cette menace, cette épée de
22 Damoclès est au-dessus de toutes nos têtes avec la menace de conflits
23 internationaux. En ce moment, nous nous comportons en Yougoslavie comme si
24 nous n'étions absolument pas au courant de cela et comme si, dans notre
25 passé récent ou plus ancien, nous n'avions jamais vécu la tragédie la plus
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1 grave que représente un conflit national dans une société. La tragédie la
2 plus grave à laquelle un peuple puisse éventuellement survivre.
3 "Des rapports équitables et harmonieux entre les peuples Yougoslaves
4 sont la condition nécessaire pour l'existence de la Yougoslavie et pour
5 qu'elle trouve une issue à la crise. Notamment, il faut que règnent des
6 conditions de prospérité économique et sociale. A cet égard, la Yougoslavie
7 ne fait pas exception au milieu social de ses contemporains notamment dans
8 le monde développé. Ce monde est de plus en plus marqué par la tolérance
9 nationale, par la coopération et même par l'égalité nationale.
10 "L'économie et la technologie moderne ainsi que le développement
11 politique et culturel ont guidé un certain nombre de peuples les uns vers
12 les autres, les ont rendus interdépendants et de plus en plus égaux les uns
13 aux autres. C'est l'égalité et l'unité des peuples qui est une partie
14 intégrante de la civilisation vers laquelle nous nous dirigeons. Si nous ne
15 pouvons pas être au premier rang de ce mouvement vers la civilisation,
16 alors nous n'avons certainement pas besoin en tout cas d'être parmi les
17 derniers dans ce mouvement.
18 "Au moment où la bataille historique et si connue de Kosovo avait
19 lieu, le peuple regardait dans les étoiles et attendait de l'aide du ciel.
20 Aujourd'hui, six siècles plus tard, le peuple regarde à nouveau vers les
21 étoiles dans le but de les conquérir. Pour la première fois le peuple peut
22 se permettre d'être désuni et de ressentir de la haine, de trahir parce
23 qu'il vit dans un milieu de petite taille et avec de très faibles
24 interconnections. Aujourd'hui, ce peuple qui vit sur cette planète ne peut
25 conquérir ne serait-ce que sa propre planète dans la désunion, et il peut
Page 35793
1 encore moins conquérir d'autres planètes à moins de vivre dans la
2 solidarité et l'harmonie mutuelle.
3 "Par conséquent, les mots consacrés à l'unité, à la solidarité, à la
4 coopération parmi le peuple ne peuvent avoir plus d'importance qu'en cet
5 endroit du sol de notre patrie, à savoir sur le champ de Kosovo, qui est le
6 symbole de la désunion et de la trahison. En mémoire du peuple serbe, cette
7 désunion a joué un rôle décisif dans la perte de la bataille et dans le
8 sort que la Serbie a vécu avec d'énormes difficultés pendant plus de cinq
9 siècles. Même si tel n'était pas le cas du point de vue historique, il
10 demeure certain que le peuple a considéré la désunion comme la plus grande
11 catastrophe. Par conséquent, c'est une obligation pour le peuple de
12 supprimer la désunion de façon à se défendre contre la défaite, l'échec, et
13 la stagnation à l'avenir.¸
14 "Cette année le peuple de Serbie a pris conscience que l'harmonie
15 mutuelle était une condition indispensable pour sa vie actuelle et pour son
16 essor à l'avenir. Je suis convaincu que cette conscience du fait que
17 l'harmonie et l'unité sont la seule possibilité pour la Serbie pour que
18 celle-ci fonctionne en tant qu'Etat mais également en tant qu'Etat allant
19 vers le succès existent. Par conséquent, je pense qu'il est raisonnable de
20 dire qu'ici au Kosovo où la désunion a créé le danger et a ramené la Serbie
21 dans l'arriération, et bien, que cette nouvelle unité peut aller de l'avant
22 et peut lui rendre sa dignité. C'est la conscience du fait que les rapports
23 mutuels constituent une nécessité fondamentale pour la Yougoslavie
24 également, ainsi que pour son destin à l'avenir que nous avons tous, alors
25 que nous nous tenons la main dans la main.
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1 "La bataille du Kosovo comporte également un autre symbole d'importance, à
2 savoir le symbole de l'héroïsme. Les poèmes, la danse, la littérature et
3 l'histoire y ont consacré un grand nombre de voix. L'héroïsme du Kosovo
4 s'inspire de notre créativité depuis six siècles. Il nourrit notre fierté
5 et ne nous permet pas d'oublier, car un certain moment nous étions grands,
6 braves et fiers. Nous étions des soldats qui n'avaient pas été défaits en
7 dépit des pertes subies.
8 "Six siècles plus tard, à savoir, aujourd'hui, nous sommes engagés dans des
9 combats et d'autres combats nous attendent encore. Il ne s'agit pas de
10 combat armé, même si des batailles de ce genre ne sont pas exclues;
11 cependant, indépendamment de la nature de ces combats, il sera impossible
12 d'emporter la victoire en l'absence de résolution, de bravoure et de
13 sacrifice. En l'absence, des qualités nobles qui étaient présentes ici, sur
14 le champ du Kosovo dans le passé. Notre combat principal concerne
15 aujourd'hui le champ économique, politique, culturel et de façon générale
16 la prospérité sociale, concerne la nécessité de découvrir une démarche
17 allant vers le succès du point de vue de la civilisation, dans ce XXIe
18 siècle, où notre peuple existe. Pour ce combat, nous avons certainement
19 besoin d'héroïsme, mais d'héroïsme d'une nature un peu différente, et ce
20 courage sans lequel rien d'important ne peut-être atteint, demeure inchangé
21 et sera toujours nécessaire.
22 "Il y a six siècles, la Serbie se défendait sur le champ du Kosovo, mais
23 elle défendait également l'Europe. La Serbie était à l'époque le bastion
24 qui défendait la culture, la religion et la société européenne de façon
25 générale. Par conséquent, aujourd'hui cela apparaît non seulement comme
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1 injuste, mais même contraire à l'histoire et totalement absurde de la
2 parler de la Serbie comme ne faisant pas partie de l'Europe. La Serbie n'a
3 cessé de faire partie de l'Europe. Elle en fait partie aujourd'hui tout
4 autant qu'elle le faisait par le passé, bien entendu à sa façon, mais d'une
5 façon qui sur le plan historique est inséparable de la dignité de la
6 Serbie. Dans cet esprit nous devons nous efforcer de construire une société
7 égale et démocratique, et contribuer de cette façon à la prospérité de ce
8 beau pays, qui a souffert de façon injuste. Nous devons également
9 contribuer aux efforts de tous les peuples progressistes de notre époque
10 pour un avenir plus heureux et meilleur.
11 "Il y a six siècles, la Serbie se défendait sur le champ du Kosovo, mais
12 elle défendait également l'Europe -- dans cet esprit que vive le souvenir
13 de l'héroïsme du Kosovo à jamais. Vive la Serbie, vive la Yougoslavie. Vive
14 la paix et la fraternité entre les peuples. Vive le renforcement de la
15 Serbie, visant à ce que la Serbie surmonte cette période de crise, et se
16 dirige vers le progrès véritable."
17 "La narrateur : Une émission culturelle suivra consacrée au prince Lazar,
18 avec la participation du cœur de la radio télévision de Belgrade, et
19 l'orchestre de Belgrade sous la direction de Darinka Markic."
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Milosevic, pourriez-vous poser
21 votre question.
22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Un mot d'avertissement avant de poursuivre mes
23 questions. Dans la transcription anglaise, il y a de nombreuses erreurs. Je
24 suppose que ce n'est qu'un problème technique, car la traduction fidèle
25 existe, elle est tout à fait exacte, et j'espère qu'en temps utile ce
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1 problème technique sera surmonté. Je répète qu'il s'agit à mon avis,
2 uniquement d'un problème technique.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous avons cette transcription à
4 l'intercalaire 3, mais deux traductions se trouvent à cet intercalaire.
5 L'une étant la transcription émanant de la BBC et l'autre la traduction
6 proposée, fournie par votre équipe de -- par vos collaborateurs, qui
7 s'occupent de votre défense. Nous lisons c'est bien cela, n'est-ce pas, que
8 les lacunes dans la traduction de la BBC ont été comblées par les
9 collaborateurs de M. Milosevic ?
10 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, c'est ainsi que les choses devraient être,
11 mais de toute façon puisque c'est une émission filmée, une émission de
12 télévision, il doit être très facile de comparer la traduction et
13 l'original mot pour mot.
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Puis-je me rappeler que nous avons admis
15 au dossier cette séquence vidéo sous la code D251, oui, mais puisqu'il
16 fallait encore combler les lacunes, nous avons l'intention d'effectuer une
17 nouvelle admission au dossier de cette pièce.
18 Veuillez poursuivre.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Kwon.
20 M. MILOSEVIC : [interprétation]
21 Q. Monsieur Balevic, quelles ont été vos impressions suite à cet
22 événement ?
23 R. Les impressions que j'ai tirées de cet événement, sont semblables aux
24 impressions que j'ai tirées de tous les événements dont vous avez parlé.
25 Concernant Polje, dans la maison de culture de Kosovo Polje, un discours a
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1 été prononcé, il y en a eu un à Rocevac [phon] et tous ces discours m'ont
2 fait la même impression que celui-ci. Dans tous ces discours, il est
3 question de fraternité, il est question de paix, d'ailleurs vous le
4 confirmez dans le dernier slogan que vous prononcez, au moment où vous
5 dites : "Vive la paix et la fraternité entre les peuples." La Serbie, parce
6 qu'elle est grande --
7 Q. Vous ne devez pas répéter, tout le monde a entendu le discours.
8 R. Ils ont tous entendu, mais, apparemment, il y a des choses qui sont
9 difficiles à entendre ou à comprendre ici parce qu'on ne cesse de parler
10 ici de nationaliste, alors que dans aucun de ces discours on ne trouve un
11 seul mot, ni une seule phrase traitant du nationalisme serbe, mais bien au
12 contraire de l'union, de la fraternité, de la paix, de l'amitié, et tous
13 les discours relatifs au Kosovo et Metohija, prononcés par vous ou relatifs
14 au reste de la Yougoslavie, ne traitent que de cela.
15 Q. Très bien. Monsieur Balevic, peut-être que cette séquence vidéo vous a
16 rafraîchi la mémoire, mais, en tout état de cause, vous avez une bonne
17 mémoire et vous vous souvenez des événements de l'époque. Ce jour-là,
18 dites-moi : qui était les invités de marque à cet événement, est-ce que
19 vous vous en souvenez ?
20 R. Oui, je me rappelle certains d'entre eux car j'étais chargé de les
21 accueillir ceux qui venaient au salon officiel, et cetera. Il y avait
22 Drnovsek,je n'en souviens, il y avait Ante Markovic, il y avait Budimir
23 Loncar, il y avait Momir Bulatovic, il y avait Patriarch German, il y avait
24 Veljko Kadijevic, il y avait des représentants du monde diplomatique, qui
25 sont venus les uns en train, les autres à bord de leur véhicule personnel,
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1 je ne peux les citer tous, mais il y avait des représentants du corps
2 diplomatique, il y avait de nombreux journalistes étrangers, et voilà pour
3 l'essentiel quelles étaient les personnalités dont je m'en souviens.
4 Q. Janez Drnovsek était l'époque --
5 R. Président de la présidence.
6 Q. Président de la présidence de la Yougoslavie ?
7 R. Je crois qu'il y avait aussi Janez Drnovsek qui dirigeait la délégation
8 slovène parce qu'une délégation slovène était présente. Il y avait dans le
9 public des habitants de tous les coins de la Yougoslavie, de toutes les
10 républiques, personnes seulement des Serbes, il y avait des Serbes de
11 Roumanie, il y avait même des Bulgares qui sont venus, sans parler des
12 Serbes de toutes les régions de l'ex-Yougoslavie.
13 Q. Mais dites-moi : puisque vous avez une bonne mémoire, des événements de
14 cette époque, et vous étiez présent et vous avez parlé avec beaucoup de
15 monde. Je vous demande si vous-même ou l'un quelconque de vos
16 interlocuteurs a eu suite à cet événement, une impression allant dans le
17 sens d'un danger de guerre, d'un danger d'affrontement, d'un danger de quoi
18 que ce soit qui serait agressif ?
19 R. Bien au contraire, et je répéterais une citation, même si cela a déjà
20 été lue, lorsque vous dites, qu'il faut la prospérité pour tous les
21 habitants, à ce moment-là, 1 million 500 milles, et même davantage de
22 citoyens du pays ont applaudi de toute leur force. On dit c'est ainsi que
23 les choses sont. Donc ils ont confirmé et applaudi votre discours, qui
24 était un discours de paix, autrement dit, j'ai eu de nombreux contacts et
25 tous ceux avec qui j'ai eu des contacts, ou plutôt aucun d'entre eux n'a
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1 prononcé un mot belliqueux, ou agressif, bien au contraire ils ont prononcé
2 des mots qui allaient dans le sens de la coexistence au Kosovo et Metohija
3 entre les Serbes, les Albanais, les Rom, les Egyptiens, les Goranis, et
4 autres. Ils ont prononcé ces mots pour que la Yougoslavie continue à
5 exister car ce soit bien le sens de ce discours.
6 Q. Vous avez parlé de cette ovation qui s'est produite au moment où il a
7 été question de la prospérité pour tous les habitants indépendamment de
8 leur religion, et cetera ?
9 R. Oui, Monsieur le Président, j'ai dû revenir sur cette phrase car c'est
10 le symbole même de votre discours, c'est la confirmation de la justesse de
11 ce que vous avez dit, s'agissant de défendre notre avenir et notre vie aux
12 côtés des uns, des autres.
13 Q. Fort bien. Mais suite aux transformations constitutionnelles de cette
14 année-là qui avait eu lieu un peu plus tôt au mois de mars, puisque là nous
15 sommes au mois de juin. Est-ce que de quelques points de vue que ce soit ?
16 Est-ce que vous avez le moindre souvenir dans quelques domaines que ce
17 soit, qui traduisent la suppression de quelques droits que ce soit pour les
18 Albanais du Kosovo ou leurs violations ?
19 R. Hier, Monsieur le Président, j'ai abordé déjà ce sujet, et je peux dire
20 avec une certitude pleine et entière, et de façon tout à fait catégorique,
21 pas un seul droit des Albanais n'a été violé par le moyen de ces
22 transformations, de ces amendements à la constitution.
23 Q. Je ne vous interroge pas au sujet des amendements à la constitution. Je
24 vous demande si, dans votre vie personnelle, dans les expériences que vous
25 avez vécues, vous trouvez le moindre souvenir de quelque chose qui ait
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1 constitué une violation du droit des Albanais ?
2 R. J'affirme de la façon la plus catégorique qui soit, que pas un seul des
3 droits des Albanais, n'ait été violé.
4 Q. Pourquoi les Albanais ont-ils refusé d'aller aux urnes ?
5 R. Je pense, Monsieur le Président, que c'est de leur part une erreur tout
6 à fait fondamentale. Une délégation de l'Etat de Serbie est venue, je ne
7 sais pas si c'est 16 fois ou 17 fois, pour discuter avec des représentants
8 albanais de la paix, de la vie à l'avenir, et des élections à l'avenir. En
9 dépit de cela, les Albanais ont refusé d'aller voté parce qu'ils
10 boycottaient l'Etat Serbe et que s'ils allaient voté, or ils vivaient sur
11 le territoire du Kosovo, donc ils vivaient dans la République de Serbie.
12 Encore aujourd'hui, d'ailleurs, ils vivent sur le territoire de la Serbie,
13 d'une certaine façon, même s'il y a des forces étrangères.
14 Mais en tout cas ils ont refusé d'aller voter, ils ont eu tort parce que
15 s'ils l'avaient faits, un consensus aurait pu être trouvé entre Veton,
16 Surroi, Ibrahim Rugova, et d'autres représentants albanais, mais on peut se
17 demander dans ces conditions, si la direction du parti aurait pu l'emporter
18 comme l'a fait, s'ils étaient aller voter.
19 Q. Ne rentrons pas dans ces détails. En tout cas, il y avait un certain
20 nombre de députés qui représentaient les diverses couches de la
21 population ?
22 R. Oui. Compte tenu de leur nombre, ils auraient sans doute représenté le
23 2e Parti au parlement.
24 Q. Fort bien. Je ne vous interroge donc, je le répète, que sur votre
25 expérience personnelle, sur ce que vous avez vécu, personnellement.
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1 Mais que diriez-vous des besoins des habitants albanais du Kosovo et
2 Metohija, s'agissant de l'enseignement, de la santé, de la presse en langue
3 albanaise, donc d'une façon générale, de tout ce qui importait pour la
4 définition de leur identité nationale ?
5 R. Monsieur le Président, je vais commencer par le dernier élément cité
6 par vous, et si j'oublie quelque chose, je vous reposerai la question.
7 Sur la base des informations dont je dispose, il y avait 25 publications en
8 langue albanaise sur le territoire de Kosovo et Metohija. Il y en a même
9 qui affirme qu'il y en avait 60. Et en Serbie, il existait simplement une
10 publication en langue serbe qui était intitulée Jedinstvo, unité, et un
11 certain nombre de quotidiens, deux ou trois, je crois. Donc voilà ce qu'il
12 en est de la presse. Ceci pour montrer qu'il n'y a eu aucune violation de
13 leurs droits.
14 Quant au domaine de l'enseignement. Pour boycotter l'Etat de Serbie et
15 attirer sur eux l'attention de la communauté internationale, les Albanais
16 ont cessé d'envoyer leurs enfants à l'école et ils se sont débrouillés
17 comme ils ont pu pour organiser l'éducation de leurs enfants à la maison.
18 Mais il y avait de nombreuses écoles à Pristina là où j'habitais où
19 allaient des enfants serbes et des enfants albanais, qui étaient séparés
20 dans l'espace, par exemple, il y avait d'un côté une entrée pour les
21 enfants albanais, de l'autre pour les enfants serbes, ou séparés dans le
22 temps, c'est-à-dire, que les cours étaient donnés pour les enfants albanais
23 le matin, et pour les enfants serbes l'après-midi, ou vice versa, par
24 exemple.
25 Pendant l'année qui a précédé la guerre, c'était encore Papovic qui
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1 dirigeait, qui était le recteur de l'université de Pristina. Probablement,
2 à la demande des Albanais, une délégation de Rom a rendu visite à cette
3 université. Mais, en tout cas, pendant l'année qui a précédé la guerre, les
4 facultés ont reçu des meubles, de l'équipement, et cetera, pour donner des
5 cours à des étudiants de groupes ethniques albanais. Il y a même des
6 étudiants de groupes ethniques serbes qui se sont demandés pourquoi des
7 équipements aussi haute gamme étaient fournis aux étudiants albanais et pas
8 à eux. Donc ils ont toujours eu la possibilité de suivre des cours aussi
9 bien au niveau de l'enseignement primaire et secondaire, qu'au niveau d'un
10 enseignement supérieur.
11 Q. Fort bien. Mais revenons à cette question des élections. Je vous
12 demande de vous fonder toujours sur ce que vous savez, ou ce que vous avez
13 pu apprendre personnellement. Je vous demande si un certain nombre
14 d'Albanais ont tout de même participé aux élections, même s'ils n'étaient
15 pas la majorité ?
16 R. Oui, il y a eu des Albanais qui ont voté lors des élections organisées
17 par la Serbie. Mais j'ajouterais ce qui suit : les Albanais qui ont accepté
18 de voter ont eu toutes les conditions nécessaires. Ils ont pu organiser des
19 opérations de votes à l'endroit qu'ils souhaitaient et personne ne les a
20 empêchés de se rendre aux urnes. J'en ai même rencontré quelques uns
21 pendant qu'ils allaient voté, et on a échangé quelques plaisanteries. Donc
22 toutes les conditions nécessaires leur ont été proposées. Effectivement, il
23 y a eu un certain nombre d'Albanais qui ont voté aux élections organisées
24 par la République de Serbie.
25 Q. Est-ce que d'après ce que vous connaissiez, vous pouvez nous dire à
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1 quel moment l'UCK a commencé à installer sa présence dans la république ?
2 R. D'après ce que je sais, et j'étais membre du parti SBS au Kosovo et
3 Metohija, l'UCK a commencé ces attaques en 1995.
4 Q. Avant de vous demander ce que vous savez personnellement de cette
5 période qui commence en 1995 et qui se poursuit jusqu'au moment où la
6 guerre a éclaté, et au moment où a commencé l'agression de l'OTAN en 1999,
7 je vais vous demander d'examiner l'intercalaire 4.
8 Monsieur Kwon, une partie de cet intercalaire a été traduite en anglais.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, je pense que nous l'avons.
10 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'espère que vous l'avez. Il s'agit d'un livre
11 qui répertorie les crimes commis par les terroristes albanais. Et pour être
12 le plus rationnel possible dans notre emploi du temps, je ne vais pas vous
13 demander de verser au dossier la totalité du livre, même si ce serait fort
14 utile. S vous en êtes d'accord, nous pourrions verser la partie qui a été
15 traduite uniquement.
16 M. MILOSEVIC : [interprétation]
17 Q. Monsieur le Témoin, je vais vous lire une partie de cette partie
18 traduite, plusieurs extraits en fait. Après quoi, je vais vous poser
19 quelques questions relatives à ces événements. Je vous lis maintenant --
20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que nous pouvons d'abord
21 demander au témoin s'il connaît ce livre, et qui en est l'auteur, pour un
22 peu mieux comprendre et la signification que ceci risque d'avoir ?
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vais vous le dire. Je pense que cette
24 partie-là n'a pas été traduite. Cependant, je peux vous dire ce qui est dit
25 en serbe.
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Est-ce que nous pouvons le confirmer ? J'ai le
2 document ici. Je ne l'ai pas présenté parce que je ne savais pas si ceci
3 était déjà devenu une pièce à conviction.
4 Le titre est celui-ci : Crimes des terroristes albanais de 1995 à 1998. A
5 la fin, oui, je vois 1999. Ce sont des documents publiés par la maison
6 d'édition Panorama, c'est ce magazine qui s'appelle Jedinstvo.
7 M. MILOSEVIC : [interprétation]
8 Q. Ce magazine, il est publié à Pristina en serbe ?
9 R. Exact. Il est publié par la maison d'édition Panorama. C'est un
10 magazine spécialisé. Le directeur de l'entreprise s'appelle Milorad
11 Vujovic. Puisque la question a été posée, il me faut fournir tous les
12 détails. Il s'agit ici de documents officiels publiés par ce magazine.
13 Q. Fort bien. Je vais vous en lire plusieurs extraits. Page 4, dans la
14 version en anglais.
15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] La partie qui a été traduite n'a
16 vraiment pas l'air d'un document officiel. On dirait que c'est un récit
17 d'événements établis par quelqu'un qui a pris le point de vue contraire, et
18 c'est peut-être que la traduction n'est que partielle. C'est la seule
19 partie que je peux lire, puisque c'est la seule traduite. Il se peut qu'il
20 y ait ailleurs un document officiel.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Excusez-moi, oui.
22 M. MILOSEVIC : [interprétation]
23 Q. Un instant, Monsieur Balevic.
24 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Bonomy, vous avez tout à fait raison.
25 Effectivement, c'est un livre et ce n'est pas un document officiel.
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1 Cependant, vous trouverez dans ce livre des faits, des citations provenant
2 de documents officiels que nous pouvons consulter, documents qui ont été
3 publiés par des organes officielles, et tous les chiffres que vous allez y
4 voir proviennent d'archives officielles. Afin de poser des questions au
5 témoin, je vais en lire plusieurs extraits, et afin de montrer la véracité
6 de tout ce qui y est dit, nous allons fournir les documents à l'appui de
7 ces faits, ce qui a déjà été fait en partie.
8 Je vous rappelle que j'ai versé au dossier six livres blancs donc des
9 publications officielles du gouvernement de Yougoslavie à propos des
10 événements du Kosovo et des crimes qui ont été commis année après année.
11 J'ai versé tous ces documents officiels du gouvernement yougoslave avec
12 tous ces chiffres, tous ces faits. Mais ceci est déjà au dossier. Il s'agit
13 de six livres blancs.
14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] La dernière fois que j'ai entendu une
15 référence à cela, c'est au moment de votre présentation liminaire. J'essaie
16 de retrouver ces documents, en vain jusqu'à présent, tout du moins je n'ai
17 pas réussi à comprendre à quoi ils font référence. Apparemment, je n'ai pas
18 reçu ces documents pour autant qu'ils aient été versés au dossier.
19 Je voulais simplement ajouter ceci puisque nous parlons de la question, des
20 archives officielles seraient bien plus utiles en tant que moyens de
21 preuve, plus utiles que ce type de commentaires sur lesquels vous allez
22 peut-être appeler notre attention. Vous comprendrez qu'un Juge a notamment
23 pour devoir d'exclure de son esprit toutes les prises de position
24 politiques quelles qu'elles soient, un Juge doit se concentrer sur les
25 faits de la cause, et au bout du compte, ce sont les détails qui
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1 compteront.
2 M. NICE : [interprétation] Pour vous aider, je dirais ceci. Les livres
3 blancs figuraient dans la liste de l'accusé s'agissant des pièces qu'il
4 voulait proposer. Si j'ai bien compris Mme Dicklich, nous avons des
5 exemplaires mais ils n'ont pas encore été versés au dossier. C'est pour
6 cela que vous n'avez pas réussi à les trouver.
7 En ce qui concerne cet intercalaire 4, il faut rester cohérent ou essayer
8 de le rester, je vous rappellerais que des livres comme les livres de
9 l'OSCE ou de Human Rights Watch ce sont des livres qui ont été versés au
10 dossier mais que, chaque fois, ces livres sont préfacés par une
11 méthodologie qui précise quelle est la matière brute qu'on a utilisé et sur
12 quelle forme elle est présentée, et puis, il y a des paragraphes de
13 conclusion.
14 Pour le moment, je ne sais même pas faire de correspondance entre les pages
15 que nous avons et qui ont été traduites en anglais avec les pages du texte
16 original. Je suis sûr que l'accusé pourra nous aider sur ce point.
17 Manifestement, nous n'avons reçu aucune explication quant à la méthode
18 utilisée dans ce livre pour savoir comment il est structuré. Pour rester
19 cohérent, comme cela a été fait ailleurs avec des documents analogues, cela
20 semble être un minimum comme condition.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Bonomy, je suis ravi de voir que M.
22 Nice nous a donné des informations. Je n'étais pas au courant de cela
23 jusqu'à présent. J'étais convaincu que dans ces livres blancs qui sont les
24 documents officiels du gouvernement yougoslave, on y trouve des
25 statistiques, des photographies, les noms de certains individus, et que
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1 tout ceux-ci avaient déjà été versés au dossier. Maintenant, je ne sais pas
2 comment vous allez vous sortir de l'ornière et je ne sais pas comment ces
3 documents font finir par être inclus si ce n'est que je demande de les
4 verser au dossier. Sinon, ces livres ont été imprimés en anglais et en
5 serbe, j'ai remis des exemplaires de ces livres en anglais, ceci devrait
6 vous permettre de les lire et de comprendre sans difficulté, sans qu'il y
7 ait interprétation ou traduction préalable.
8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ceci ne vous conviendra peut-être pas
9 comme suggestion. Mais peut-être que là Mme Higgins pourrait vous aider
10 grandement, parce que ce sont là des documents techniques qu'il serait
11 possible de présenter selon des modalités pour lesquelles elle peut vous
12 conseiller, pour les replacer dans leur contexte dans le cadre de la
13 présentation de vos moyens à décharge, j'en suis sûr. Il ne faut pas
14 nécessairement étudier avec soin, ici dans ce prétoire, ces documents, mais
15 si nous avions un dépôt d'écriture à ce propos, ceci pourrait nous aider.
16 C'est une démarche qui est peut-être assez différente que celle adoptée
17 pour la présentation d'autres documents, mais ceci devrait vous permettre
18 de présenter le plus grand nombre possible de documents dans le peu de
19 temps qui vous est imparti pour la présentation de votre défense.
20 Mme HIGGINS : [interprétation] Permettez-moi de relever une chose. La pièce
21 D136, cote provisoire, c'est un extrait de ces livres blancs, cela a été
22 produit par le truchement du témoin Milan Kucan, d'après mes notes.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ce n'est qu'un extrait, n'est-ce pas ?
24 Mme HIGGINS : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge.
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Kwon, dans ma déclaration liminaire,
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1 j'ai fourni les six livres blancs du gouvernement yougoslave avec tous les
2 documents, le jeu complet des documents.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Effectivement, vous en avez parlé, mais
4 ils n'ont pas été versés au dossier. Vous pouvez poser une question au
5 témoin. On verra comment on va faire. Posez d'abord une question au témoin.
6 L'ACCUSÉ : [interprétation] C'était bien ce que j'avais l'intention de
7 faire, de reprendre quelques extraits, plusieurs extraits de ce livre, vous
8 les citer. Vous avez déjà ces extraits qui ont été traduits et que vous
9 trouverez à l'intercalaire 4.
10 M. MILOSEVIC : [interprétation]
11 Q. Monsieur Balevic, je vous demande de vous reporter à la page 4, et
12 c'est une page 4 en anglais aussi, enfin, donc, en version B/C/S c'est la
13 page 3, et en anglais, c'est le troisième paragraphe à partir du haut, et
14 en B/C/S, le troisième à partir du bas.
15 En réponse à une question que je vous ai posée il y a quelques instants,
16 vous avez dit que les activités de la soi-disant UCK se sont manifestées
17 pour la première fois en 1995, et puis on cite
18 ceci : "Du début 1995 à la fin de 1998, des gangs de terroristes albanais
19 ont organisé en tout 1 845 attaques armées dirigées contre des membres et
20 des installations du ministère de l'Intérieur serbe, et contre des citoyens
21 de toutes appartenances ethniques ainsi qu'à leurs biens. Des membres de la
22 police ont été la cible de 1 075 attaques terroristes, des citoyens, leurs
23 domiciles, et commerces, ont été des victimes au nombre de 745, et 25
24 attaques ont été dirigées contre des zones et des installations habitées
25 par des réfugiés des ex-républiques yougoslaves."
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1 Paragraphe suivant : "Les hordes de terroristes albanais, en ayant recours
2 à la trahison et de façon très brutale, ont tué 364 personnes au cours de
3 ces campagnes criminelles, dont 122 membres de la police et 242 citoyens du
4 Kosovo et Metohija. Nous relevons que 97 de ces personnes étaient
5 albanaises. Parallèlement, 605 personnes ont été blessées, blessures graves
6 ou légères, 426 de ces personnes étaient des membres du MUP serbe, il y
7 avait aussi 179 citoyens d'autres appartenances ethniques."
8 Paragraphe suivant :
9 "On parle d'enlèvements, de tortures, et cetera --
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Posez votre question et après cela nous
11 allons suspendre l'audience.
12 M. MILOSEVIC : [interprétation]
13 Q. Monsieur Balevic, vous connaissez bien ces chiffres, ces faits, n'est-
14 ce pas ?
15 R. Oui.
16 Q. Avez-vous des connaissances personnelles vous permettant de parler de
17 certains de ces événements de façon plus précise ? Vous auriez pu vous
18 faire une idée plus personnelle ? Répondez simplement par oui ou par non.
19 R. Oui.
20 Q. Etes-vous au courant, avez-vous eu connaissance des attaques dirigées
21 contre la police, notamment le 2 août 1995 ?
22 R. C'était un poste de police, le premier poste de police de Pristina, qui
23 avait attaqué. C'est un des postes de police le plus moderne, le mieux
24 équipé. J'étais sur place, après l'attaque. J'ai jeté un coup d'œil et puis
25 j'ai poursuivi mon chemin.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ce sera tout pour aujourd'hui, Monsieur
2 Milosevic.
3 Monsieur Balevic, nous allons suspendre l'audience, et elle reprendra la
4 semaine prochaine, mardi, 9 heures, 1er février. Au cours de la suspension,
5 vous n'êtes censé avoir aucun contact avec l'accusé ou ses collaborateurs.
6 L'audience est levée.
7 --- L'audience est levée à 13 heures 48 et reprendra le mardi, 1er février
8 2005, à 9 heures 00.
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