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1 (Mardi 16 avril 2002.)
2 (Audience publique.)
3 (L'audience est ouverte à 9 heures 02.)
4 (Ouverture du procès.)
5 (Lecture du quatrième Acte d'accusation modifié.)
6 M. le Président (interprétation): Je souhaite le bonjour à tout le monde.
7 Madame la Greffière d'audience, veuillez annoncer l'affaire.
8 Mme Dahuron: Bonjour, Monsieur le Président, affaire IT-97-24-T, le
9 Procureur contre Milomir Stakic.
10 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Je vais d'abord me
11 tourner vers le principal protagoniste de ce procès.
12 Monsieur Stakic, êtes-vous en mesure de suivre dans une langue que vous
13 comprenez?
14 M. Stakic (interprétation): Oui.
15 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Je ne vais pas vous
16 poser cette question chaque jour, mais si un problème surgit quel qu'il
17 soit, n'hésitez pas à nous en faire part, en ce qui concerne la traduction
18 par exemple, des problèmes de santé ou ce qui se passe au quartier
19 pénitentiaire. N'hésitez pas à prendre l'initiative à chaque fois qu'un
20 problème se pose.
21 M. Stakic (interprétation): Merci.
22 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir. Je vais demander
23 aux parties de se présenter. Commençons par le Bureau du Procureur.
24 Mme Korner (interprétation): Je m'appelle Mme Korner et je suis en
25 présence de M. Nicholas Koumjian, et nous avons notre assistante à
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1 l'audience.
2 M. le Président (interprétation): Merci.
3 M. Lukic (interprétation): Merci. Je m'appelle Branko Lukic, et je suis
4 assisté de John Ostojic pour assurer la défense de M. Stakic.
5 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.
6 Soit dit en passant, au cours de la conférence préalable au procès, il
7 était resté une question en suspens du fait de votre absence, Maître
8 Ostojic. Par conséquent, je vous pose la question maintenant: est-ce que
9 vous êtes prêt et préparé à défendre M. Stakic même en l'absence de Me
10 Lukic et êtes-vous prêt à assurer la défense de M. Stakic ou veillez à ce
11 que celle-ci soit assurée en votre absence par M. Lukic?
12 M. Ostojic (interprétation): Merci.
13 M. le Président (interprétation): Merci de cette précision. Je vais vous
14 présenter maintenant mes deux nouveaux collègues qui ont été affectés à la
15 présente affaire. A ma droite se trouve le Juge Mohamed Fassi Fihri qui
16 vient du Maroc, et à ma gauche se trouve le Juge Vassylenko qui vient de
17 l'Ukraine.
18 Nous avons tous été élus par un vote qui s'est déroulé à l'assemblée
19 générale des Nations Unies en 2001. Notre mandat consiste à connaître de
20 cette affaire en tant que Juges indépendants du TPIY. Le présent Tribunal
21 n'est pas qu'une cour pénale, il est en même temps une instance chargée
22 d'une mission de maintien de la paix. En vertu de la résolution 827 de
23 1993, ce Tribunal doit contribuer à la restauration et au maintien de la
24 paix.
25 Quant à nous, nous devons faire de notre mieux pour rompre ce cercle
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1 vicieux de vengeance, d'intolérance et de haine.
2 Il ne faut jamais oublier ce mandat qui est le nôtre, ce mandat
3 supplémentaire au cours de ce procès. Cela veut dire que nous devons
4 éviter tout ce qui est susceptible de provoquer des atteintes physiques
5 inutiles et superflues aux personnes se trouvant sur le territoire de
6 l'ex-Yougoslavie. Il faut éviter tout ce qui est de nature à rouvrir les
7 plaies. Cela veut dire qu'il faut éviter toute aigreur inutile au cours
8 des débats, toute animosité; ne serait-ce que par respect pour les
9 victimes qui sont tombées pendant la guerre, quels que soient les
10 responsables de leur destinée.
11 Respecter les victimes et les témoins, cela veut dire aussi en premier
12 lieu, respecter les mesures de protection qui sont accordées à certains de
13 ces témoins, surtout aux plus exposés, aux plus vulnérables. Je rappelle
14 ce devoir qui incombe à tous, y compris aux Juges, car il semble aisé de
15 blesser encore davantage des témoins, ne serait-ce que par négligence, si
16 par exemple nous citions leur nom en audience publique.
17 Parallèlement, il faut veiller à la protection de la dignité personnelle
18 de l'accusé contre lequel des charges sont portées. Sa présomption
19 d'innocence prévaudra jusqu'au moment où les Juges termineront leurs
20 délibérations quant à son éventuelle culpabilité. Monsieur Stakic
21 bénéficie de tous les droits fondamentaux qui sont ancrés dans les
22 instruments internationaux, ainsi que la convention européenne des droits
23 de l'homme et notre Statut. C'est seulement en respectant les droits de
24 l'homme d'un accusé que ce Tribunal trouvera sa force.
25 Agir dans cet esprit devrait encourager d'éventuels auteurs de crimes à
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1 l'avenir à eux-mêmes respecter les droits de l'homme. En tout cas les
2 droits de ce qu'ils considèrent comme leurs ennemis. Tous ces auteurs
3 potentiels devraient savoir que s'ils s'agissent, ils devront répondre de
4 leurs crimes devant une juridiction internationale qui cherche à
5 l'administration de la justice en respectant et en appliquant les droits
6 de l'homme.
7 Nous, que nous soyons Procureur, Juge ou conseil de la défense, nous
8 sommes privilégiés dans la mesure où nous pouvons assister de l'extérieur
9 à ce qui s'est passé en ex-Yougoslavie, mais nous devons être conscients
10 des limites de nos pouvoirs. En tant qu'êtres humains, jamais nous ne
11 découvrirons la seule vérité. Ce qu'il nous faut essayer de faire, c'est
12 de nous en approcher le plus possible grâce aux instruments que nous donne
13 un procès équitable.
14 Les romains déjà, les pères de ce que nous avons en commun dans nos
15 systèmes juridiques différents, déjà les romains le savaient "non est
16 Justitia", "il n'y a pas de justice". Mais ces savoirs, cette connaissance
17 devraient nous pousser à essayer de nous approcher le plus possible de la
18 justice, et ceci ne peut se faire que dans un esprit de respect mutuel, de
19 reconnaissance mutuelle; gardant à l'esprit de chacun notre mission de
20 paix qui ne permet pas une attitude manichéenne trop simplifiée. Ceci
21 devrait encourager toutes les personnes présentes dans cette salle
22 d'audience à coopérer dans la mesure du possible et de le faire de façon
23 pacifique et paisible pour arriver à un procès qui soit à la fois
24 équitable et rapide.
25 La base de ce procès sera maintenant sans aucun contexte le quatrième Acte
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1 d'accusation modifié qui a été publié en l'an 2002 comme nous avons parlé
2 à la conférence préalable au procès.
3 Madame la Greffière, je vais vous demander de donner lecture de l'Acte
4 d'accusation dans une langue officielle du Tribunal.
5 Mme Dahuron: Quatrième Acte d'accusation modifié.
6 Le Procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, en
7 vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 18 du Statut du
8 Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (le "Statut du
9 Tribunal") accuse:
10 Milomir Stakic de génocide, crimes contre l'humanité et violations des
11 lois et coutumes de la guerre, tels qu’exposés ci-dessous:
12 Contexte.
13 1. La municipalité de Prijedor se trouve au nord-ouest de la Bosnie-
14 Herzégovine. Lors du recensement de 1991, elle comptait environ 112 543
15 habitants, dont 49 351 se sont déclarés musulmans (soit 43,9 %), 47 581
16 serbes (soit 42,3 %), 6 316 croates (soit 5,6 %), 6 459 yougoslaves (soit
17 5,7 %), et 2 836 ont choisi la mention « autre » (soit 2,5 %).
18 2. En novembre 1990, des élections démocratiques ont été organisées en
19 Bosnie-Herzégovine, y compris dans la municipalité de Prijedor. Elles
20 opposaient trois grands partis, s’identifiant chacun à l’un des trois
21 principaux groupes de population. Le Parti d’action démocratique ("SDA")
22 était, de manière générale, considéré comme le parti des Musulmans de
23 Bosnie, le Parti démocratique serbe ("SDS") comme le principal parti
24 serbe, et l’Union démocratique croate ("HDZ") comme le parti croate. Le
25 SDA a remporté le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée de la
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1 République, suivi, par ordre décroissant, du SDS, du HDZ, et des autres
2 partis. Dans la municipalité de Prijedor, sur les 90 sièges de l’Assemblée
3 municipale, le SDA en a gagné 30, le SDS 28, et le HDZ 2. Les autres
4 partis se sont partagé les 30 sièges restants.
5 3. À l’époque des élections de 1990, il est devenu probable que la
6 Slovénie et la Croatie puissent proclamer leur indépendance et quittent la
7 République fédérative socialiste yougoslave ("RFSY"). Au cours de l’année
8 1991, il est apparu possible que la Bosnie-Herzégovine puisse elle aussi
9 proclamer son indépendance, contrairement aux souhaits du SDS. Les
10 résultats des élections de 1990 ne permettaient pas à ce parti d’empêcher,
11 par des moyens démocratiques, la Bosnie-Herzégovine de faire sécession.
12 Les dirigeants du SDS ont cependant déclaré que les Serbes de Bosnie-
13 Herzégovine ne pouvaient être contraints à quitter la Yougoslavie.
14 Certaines zones de Bosnie-Herzégovine où les Serbes étaient relativement
15 majoritaires ont commencé à s’organiser en structures régionales
16 nouvelles, en tirant parti des dispositions constitutionnelles permettant
17 la création d’"associations de municipalités". Parmi celles-ci figurait
18 l’Association des municipalités de Bosanska Krajina, basée à Banja Luka et
19 créée le 25 avril 1991.
20 4. Après les déclarations d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie
21 le 25 juin 1991, on pouvait de plus en plus s’attendre à ce que la Bosnie-
22 Herzégovine proclame à son tour son indépendance. Au cours de l’été et de
23 l’automne 1991, les "associations de municipalités" à majorité serbe ont
24 été transformées en quatre districts autonomes serbes et une région
25 autonome serbe. Le 16 septembre 1991, l’Association des municipalités de
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1 Bosanska Krajina a été remplacée par la Région autonome de Krajina
2 ("RAK"). À cette époque, la municipalité de Prijedor n’a pas rejoint la
3 RAK. Une Assemblée des Serbes de Bosnie-Herzégovine, distincte, a été
4 établie le 24 octobre 1991, dominée par le SDS.
5 5. Le 19 décembre 1991, le Comité central du SDS a adopté une "Directive
6 relative à l’organisation et à l’activité des institutions du peuple serbe
7 de Bosnie-Herzégovine dans des circonstances extraordinaires" (ci-après la
8 "Directive"), établissant un plan directeur pour la prise de contrôle par
9 ses propres membres des municipalités telles que Prijedor. L’un des
10 aspects de ce plan était la création de "cellules de crise" du SDS dans
11 chacune des municipalités. La cellule de crise avait seule le pouvoir
12 d’organiser et de superviser la mise en place d’institutions parallèles au
13 sein de la municipalité (comité exécutif, organes administratifs,
14 tribunal, poste de sécurité publique, police). La structure de la cellule
15 de crise de Prijedor a été définie le 27 décembre 1991, durant la réunion
16 de la section municipale du SDS. La Directive du 19 décembre 1991
17 prévoyait également de "convoquer et proclamer une assemblée des Serbes de
18 la municipalité, composée des représentants serbes de l’Assemblée
19 municipale et des présidents des sections locales du SDS".
20 6. Le 9 janvier 1992, l’Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine
21 ("l’Assemblée des Serbes de Bosnie-Herzégovine") a adopté la "Déclaration
22 de proclamation de la République serbe de Bosnie-Herzégovine". Le
23 territoire de cette république y était décrit comme incluant "les
24 territoires des régions et districts autonomes serbes et d’autres entités
25 ethniquement serbes de Bosnie-Herzégovine, y compris les régions où la
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1 population serbe est restée minoritaire suite au génocide qui l’a visée
2 lors de la Deuxième Guerre mondiale…", et comme partie intégrante de
3 l’État fédéral yougoslave. (Le 12 août 1992, la "République serbe de
4 Bosnie-Herzégovine" a été rebaptisée "Republika Srpska".)
5 7. Dans la municipalité de Prijedor (comme dans toutes les municipalités
6 dont la population n’était pas majoritairement serbe), un organe parallèle
7 et distinct, appelé « Assemblée des Serbes de la municipalité de Prijedor
8 », a été mis en place en vertu de la Directive. La première session de
9 cette assemblée s’est ouverte le 7 janvier 1992. Le 17 janvier 1992,
10 l’Assemblée des Serbes de la municipalité de Prijedor a déclaré que les
11 territoires serbes de la municipalité de Prijedor avaient rejoint la RAK.
12 8. Créer un État avec des frontières sûres impliquait, à terme,
13 l’évacuation définitive de quasiment toute la population musulmane et
14 croate de Bosnie vivant dans la municipalité de Prijedor. À cette fin, les
15 dirigeants du SDS de Prijedor et d’ailleurs ont promu et diffusé une
16 propagande décrivant les Musulmans et les Croates de Bosnie comme des
17 fanatiques ayant l’intention de commettre un génocide contre le peuple
18 serbe pour prendre le contrôle de la Bosnie-Herzégovine.
19 9. Les cellules de crise du SDS, créées sur le modèle d’entités ayant
20 existé dans le cadre du système de défense de la RFSY, étaient conçues
21 pour assumer l’ensemble des fonctions des assemblées municipales et autres
22 organes en temps de guerre ou après proclamation de l’état d’urgence,
23 lorsque ces institutions n’étaient plus en mesure de fonctionner. Les
24 cellules de crises du SDS ont été créées à l’échelon régional et
25 municipal, pour jouer le rôle d’organes de coordination et d’exécution de
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1 l’essentiel de la phase opérationnelle du plan visant à l’évacuation des
2 non-Serbes (principalement les Croates et les Musulmans de Bosnie), et
3 pour prendre le pouvoir dans les régions et les municipalités.
4 10. Le 4 avril 1992, Radovan Karadzic, Président du Conseil pour la
5 défense nationale de l’Assemblée des Serbes de Bosnie-Herzégovine, a
6 ordonné l’activation des cellules de crise dans des circonstances
7 particulières. Le 26 avril 1992, le Gouvernement de la République serbe de
8 Bosnie-Herzégovine a diffusé des extraits de la directive relative à
9 l’activité des cellules de crise du peuple serbe dans les municipalités.
10 Cette directive prévoyait que les cellules de crise assument l’ensemble
11 des prérogatives et des fonctions dévolues aux assemblées municipales
12 lorsque celles-ci n’étaient pas en mesure de se réunir. Le 27 avril 1992,
13 à la réunion du Conseil pour la défense nationale et du Gouvernement de la
14 République serbe, il a été décidé que des directives plus détaillées
15 seraient rédigées à l’attention des cellules de crise, précisant entre
16 autres les méthodes politiques à mettre en œuvre sur le terrain, ainsi que
17 l’organisation du fonctionnement des autorités.
18 11. À l’aube du 30 avril 1992, la police et l’armée ont pris de force le
19 contrôle de la ville de Prijedor. Cette prise de pouvoir a ouvert la voie
20 à une série d’événements organisés et dirigés dans un premier temps par la
21 cellule de crise, puis par l’Assemblée des Serbes de la municipalité. À la
22 fin de 1992, ces événements avaient entraîné la mort ou le départ forcé de
23 la majeure partie de la population non serbe de la municipalité de
24 Prijedor.
25 12. Immédiatement après la prise par la force de Prijedor, la cellule de
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1 crise a imposé des restrictions rigoureuses sur tous les aspects de la vie
2 des non-Serbes, principalement des Musulmans et des Croates de Bosnie,
3 s’agissant notamment du travail et de la liberté de circulation. Ces
4 restrictions se sont traduites par le confinement des non-Serbes dans les
5 villages et zones des municipalités où ils habitaient. À la fin du mois de
6 mai 1992, l’armée de la République serbe ("VRS"), des groupes
7 paramilitaires, la Défense territoriale ("TO"), des unités de la police,
8 ainsi que des civils armés par ces forces (ci-après les "forces serbes de
9 Bosnie") ont lancé des attaques violentes et à grande échelle contre ces
10 zones. De nombreux Musulmans et Croates de Bosnie ayant survécu aux
11 premières attaques d’artillerie et d’infanterie ont été arrêtés par les
12 forces serbes de Bosnie et transférés dans des centres de détention
13 établis et administrés sous la direction de la cellule de crise.
14 13. Le 18 mai 1992, la cellule de crise de la RAK a déclaré que les
15 cellules de crise municipales constituaient les plus hautes instances
16 locales. Le 26 mai 1992, la cellule de crise de la RAK s’est proclamée
17 organe d’autorité suprême de la RAK et a déclaré que ses décisions
18 s’imposaient à toutes les cellules de crise dans les municipalités.
19 14. Au cours de la séance du 20 mai 1992, l’Assemblée municipale de
20 Prijedor a adopté une décision relative à l’organisation et à l’activité
21 de la cellule de crise municipale de Prijedor (la "Cellule de crise de
22 Prijedor"). Aux termes de cette décision, la compétence de la cellule de
23 crise s’étendait notamment à la coordination des organes gouvernementaux,
24 à la défense du territoire de la municipalité, à la sécurité de la
25 population et des biens, et à l’organisation de tous les autres aspects de
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1 la vie et du travail. La décision conférait également à la Cellule de
2 crise de Prijedor le pouvoir de régler toutes les questions relevant de la
3 compétence de l’Assemblée municipale lorsque celle-ci n’était pas en
4 mesure de se réunir. Les nominations des membres de la Cellule de crise de
5 Prijedor ont été officiellement annoncées ce jour-là, dont celle de
6 Milomir Stakic en tant que Président de la cellule de crise.
7 15. Étaient officiellement membres de la Cellule de crise de Prijedor : le
8 Président et le Vice-Président de l’Assemblée municipale, le Président du
9 Comité exécutif de l’Assemblée municipale, le chef de l’état-major de la
10 TO, le chef de l’état-major de la défense civile municipale, le chef du
11 poste de sécurité publique, le Secrétaire municipal à la défense
12 nationale, le Secrétaire municipal à l’économie et aux affaires sociales,
13 le Secrétaire municipal à l’urbanisme, au logement, aux services publics
14 et aux titres de propriété, le responsable de la santé et de la sécurité
15 sociale au sein du Secrétariat municipal à l’économie et aux affaires
16 sociales. Des membres de la VRS assistaient également aux réunions de la
17 Cellule de crise de Prijedor. Le Président signait les décisions et les
18 ordres.
19 16. Président de la Cellule de crise de Prijedor et chef du conseil
20 municipal pour la défense nationale de Prijedor, Milomir Stakic a été
21 l’instigateur du lancement d’offensives militaires, au début de mai 1992,
22 contre des lieux situés dans la municipalité de Prijedor, où habitaient
23 essentiellement des Musulmans et des Croates de Bosnie. En surveillant et
24 en coordonnant le soutien logistique fourni à l’armée et à la police pour
25 la mise en œuvre de leurs mesures et de leurs actions, la Cellule de crise
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1 de Prijedor a coopéré avec la VRS et la police, leur apportant par là même
2 son aide et ses encouragements.
3 17. La Cellule de crise de Prijedor a exercé son autorité sur les forces
4 de la TO et de la police dans la municipalité de Prijedor. Grâce à cette
5 autorité et aux pouvoirs définis ci-dessus au paragraphe 14, la Cellule de
6 crise de Prijedor, sous la présidence de Milomir STAKIC, a mené à bien les
7 actions suivantes dans la municipalité de Prijedor:
8 a) créé des cellules de crise locales au sein de la municipalité de
9 Prijedor chargées, entre autres, d’assurer une défense efficace et de
10 veiller à ce que soient réunies toutes les conditions essentielles au
11 succès des combats armés, d’assurer la sécurité du territoire, de
12 coordonner les actions de l’armée et de la police, et de faire rapport à
13 la Cellule de crise de Prijedor et de la tenir informée;
14 b) pris le contrôle des médias à Prijedor et organisé une campagne de
15 discrimination à l’encontre des non-Serbes;
16 c) ordonné la mobilisation des conscrits;
17 d) ordonné le licenciement des détenus auparavant employés dans les
18 secteurs public ou privé;
19 e) coordonné le soutien logistique fourni à l’armée et à la police pour
20 mener à bien leurs actions;
21 f) organisé l’approvisionnement de base de l’armée et de la police;
22 g) donné des ordres à la TO, à la police militaire et au poste de sécurité
23 publique de Prijedor;
24 h) créé et administré des centres de détention;
25 i) arrêté et détenu des non-Serbes, principalement des Musulmans de Bosnie
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1 et des Croates de Bosnie;
2 j) interrogé, arrêté et jugé des personnes;
3 k) expulsé et transféré de force des non-Serbes, principalement des
4 Musulmans de Bosnie et des Croates de Bosnie, hors de la municipalité de
5 Prijedor;
6 l) interdit le retour des détenus à Prijedor.
7 18. Le 30 mai 1992 ou vers cette date, après qu’un petit groupe de
8 résistants, composé principalement de Musulmans et de Croates de Bosnie,
9 eut tenté de reprendre Prijedor aux Serbes de Bosnie, les autorités serbes
10 de Bosnie ont accéléré la campagne en cours, qui visait à débarrasser
11 définitivement Prijedor de la majorité des Musulmans et des Croates de
12 Bosnie qui la peuplaient. Dans les toutes premières heures qui ont suivi
13 l’attaque, des milliers de non-Serbes – hommes, femmes et enfants – ont
14 été arrêtés à leur domicile et ont été emmenés en autocar dans des centres
15 de détention situés aux alentours de la municipalité de Prijedor,
16 notamment dans les camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje. Un grand
17 nombre de non-Serbes ont été tués à Prijedor immédiatement après
18 l’attaque. Par la suite, de nombreuses maisons appartenant à des non-
19 Serbes et situées sur les rives de la Sana, que le groupe de résistants
20 avait traversée pour entrer dans Prijedor, ont été endommagées ou
21 détruites. "Stari Grad" (ou la "Vieille ville"), un quartier de Prijedor
22 presque exclusivement peuplé de Musulmans, a été en grande partie détruit.
23 19. Dans les centres de détention, les forces serbes de Bosnie, ou des
24 personnes placées sous leur responsabilité, ont tué un grand nombre de
25 prisonniers ou leur ont infligé des tortures ou d’autres traitements
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1 inhumains, s’en prenant tout particulièrement aux notables, comme les
2 intellectuels, les membres des professions libérales, les hommes
3 d’affaires et les dirigeants politiques et religieux. De la fin mai 1992
4 au début d’août 1992, des centaines au moins de détenus sont morts.
5 Lorsque la communauté internationale a découvert l’existence des camps de
6 détention, les autorités serbes de Bosnie ont fermé les camps d’Omarska et
7 de Keraterm, en août 1992, et ont transféré les survivants dans d’autres
8 centres de la municipalité de Prijedor et au camp de Manjaca, dans la
9 municipalité de Banja Luka. Finalement, presque tous les survivants de ces
10 centres ont été expulsés ou transférés de force hors de la région.
11 20. Le 31 mai et le 10 juin 1992, sur ordre de Radovan Karadzic agissant
12 en sa qualité de Président de la présidence de la République serbe de
13 Bosnie-Herzégovine, les cellules de crise ont été rebaptisées présidences
14 de guerre, puis commissions de guerre dans les municipalités. Les
15 présidences de guerre/commissions de guerre avaient pour l’essentiel la
16 même structure et la même autorité que les cellules de crise, appellation
17 que la population a d’ailleurs continué à utiliser couramment.
18 L'accusé.
19 21. Milomir Stakic est né le 19 janvier 1962 à Marika, dans la
20 municipalité de Prijedor, en Bosnie-Herzégovine. Il est médecin. En tant
21 que membre éminent du SDS à Prijedor, Milomir Stakic a été élu Vice-
22 Président de l’Assemblée municipale de Prijedor le 4 janvier 1991.
23 22. Le 11 septembre 1991, Milomir Stakic a été élu Vice-Président de la
24 section municipale du SDS à Prijedor. Milomir Stakic était également
25 Président d’un organe parallèle appelé "Assemblée des Serbes de la
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1 municipalité de Prijedor", fonction qu’il a exercée dès le 17 janvier
2 1992. Le 30 avril 1992, après que le SDS a pris le contrôle de la ville de
3 Prijedor, Milomir Stakic est devenu Président de l’Assemblée municipale de
4 Prijedor et a dirigé le Conseil municipal pour la défense nationale. Le 30
5 avril 1992 ou vers cette date, Milomir Stakic est devenu Président d’une
6 cellule de crise du SDS au sein de la municipalité de Prijedor, par la
7 suite appelée "présidence de guerre". Le 20 mai 1992, Milomir Stakic a été
8 officiellement nommé Président de la Cellule de crise de Prijedor.
9 Responsabilité pénale individuelle.
10 23. L’accusé Milomir Stakic a participé à la planification et à la mise en
11 place du gouvernement parallèle serbe, de la cellule de crise et des
12 forces de police à Prijedor, en vue de préparer la prise de contrôle de la
13 ville par la force. Milomir Stakic, dans l’exercice des fonctions évoquées
14 au paragraphe 22 (supra), a incité à commettre, ou de toute autre manière,
15 aidé et encouragé à commettre les crimes perpétrés dans la municipalité de
16 Prijedor. Milomir Stakic a organisé et soutenu les organes de
17 l’administration municipale qui ont mené une campagne de persécutions
18 contre la population non serbe. Cette campagne s’est notamment traduite
19 par la création de conditions d’existence telles que la population non
20 serbe a été contrainte de quitter la région, ainsi que par des expulsions
21 et des transferts forcés.
22 24. Milomir Stakic a participe au fonctionnement de la cellule de crise et
23 s’est consacré activement a ses fonctions de président. Il a préside les
24 réunions de la cellule de crise et en a signé la majorité des ordres et
25 décisions. Parmi ceux-ci, figuraient notamment l’ordre de créer les camps
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1 de détention d’Omarska et de Keraterm, dont l’objectif principal était la
2 persécution de la population non serbe, l’ordre de licencier toutes les
3 personnes détenues aux camps d’Omarska et de Keraterm, et celui
4 d’interdire la libération de détenus. Les forces locales de la police et
5 de la TO étaient chargées d’exécuter les décisions et les ordres de la
6 cellule de crise et rendaient compte auprès de celle-ci.
7 25. Par les déclarations qu’il a faites dans les médias, Milomir Stakic a
8 aidé et encouragé la réalisation de l’entreprise criminelle commune
9 décrite ci-dessous, et a incité les membres de la police et de la TO de
10 Prijedor a commettre des crimes. En sa qualité de membre de la cellule de
11 crise de Prijedor, Milomir Stakic a coopéré pleinement avec la VRS, la
12 défense civile et le poste de sécurité publique, par l’intermédiaire des
13 responsables ou des organes de ces institutions. Bien que n’appartenant
14 pas a la chaîne de commandement de l’armée, la cellule de crise
15 synchronisait et coordonnait les mesures et actions nécessaires aux
16 combats, et fournissait un soutien logistique. Les attaques contre les
17 villes, les rafles, les départs forcés pour les camps, ainsi que les
18 expulsions et les transferts forcés ont eu lieu a l’instigation et sur
19 ordre de la cellule de crise de Prijedor, avec son soutien et son
20 assistance, ou toute autre forme d’aide et d’encouragement de sa part,
21 ainsi qu’au su de ses membres. Milomir Stakic a joué un rôle central dans
22 les évènements qui se sont produits dans la municipalité de Prijedor et il
23 savait que les décisions de la cellule de crise de Prijedor auraient pour
24 conséquence les meurtres et les actes de persécutions décrits ci-après.
25 26. Milomir Stakic, de par ses fonctions, telles que définies ci-dessus au
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1 paragraphe 22, a participé a une entreprise criminelle commune, dont le
2 but était de chasser définitivement et par la force les habitants
3 musulmans et croates de Bosnie du territoire de l’Etat serbe prévu, en
4 menant pour ce faire une campagne de persécutions marquée par les crimes
5 rapportés aux chefs 1 à 8. L’accusé Milomir Stakic et les autres
6 participants a l’entreprise criminelle commune étaient tous animés de
7 l’intention requise pour perpétrer chacun de ces crimes, tout en sachant
8 que leurs agissements s’inscrivaient dans le cadre d’un conflit armé et
9 participaient d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une
10 population civile.
11 27. Cette entreprise criminelle commune a vu le jour dés la création de
12 l’assemblée des Serbes de Bosnie-Herzégovine, le 24 octobre 1991, et s’est
13 prolongée pendant toute la période du conflit qui s’est déroulé en Bosnie-
14 Herzégovine, jusqu’a la signature des accords de Dayton en 1995. La
15 campagne a été marquée ou s’est intensifiée jusqu’a être marquée par des
16 actes commis avec l’intention de détruire, en partie, les habitants
17 musulmans et croates de la municipalité de Prijedor, comme tels. De
18 nombreux individus ont participe a ladite entreprise, notamment Milomir
19 Stakic, Milan Kovacevic, Simo Drjlaca, d’autres membres de la cellule de
20 crise de Prijedor, des membres de l’assemblée des Serbes de la
21 municipalité de Prijedor et du comite exécutif de l’assemblée, Radoslav
22 Brdanin, le général Momir Talic et Stojan Zupljanin, d’autres membres de
23 la cellule de crise de la RAK, les dirigeants de la république serbe et du
24 SDS, notamment Radovan Karadzic, Momcilo Krajisnik et Biljana Plavsic, des
25 membres de l’assemblée de la RAK et du comite exécutif de l’assemblée, des
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1 cellules de crise serbes des municipalité de la RAK, des membres de la
2 VRS, des forces paramilitaires serbes et serbes de Bosnie, et d’autres
3 individus.
4 28. À défaut, l’accusé est individuellement responsable des crimes
5 énumérés aux chefs 1 à 8, au motif que ces crimes ont été la conséquence
6 naturelle et prévisible de la réalisation du but commun de l’entreprise
7 criminelle. Milomir Stakic savait que ces crimes étaient la conséquence
8 possible de la réalisation de cette entreprise.
9 29. Bien qu’il ait été au fait des conséquences possibles, Milomir Stakic
10 a sciemment et intentionnellement participé à cette entreprise criminelle
11 commune. À ce titre, il est pénalement responsable de ces crimes, en vertu
12 de l’Article 7 1) du Statut, en sus de sa responsabilité aux termes dudit
13 article pour avoir planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de
14 toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter
15 ces crimes.
16 30. En vertu de l’Article 7 3) du Statut du Tribunal, Milomir Stakic est
17 aussi pénalement responsable des actes ou omissions de ses subordonnés
18 pendant qu’il était leur supérieur hiérarchique. En sa qualité de
19 Président de la Cellule de crise de Prijedor et de chef du Conseil
20 municipal pour la défense nationale de Prijedor, Milomir Stakic exerçait
21 son contrôle et son autorité sur les forces de la police et de la TO qui
22 ont participé aux crimes rapportés dans l’acte d’accusation.
23 31. Milomir Stakic savait ou avait des raisons de savoir que ses
24 subordonnés s’apprêtaient à commettre ces crimes, ou l’avaient fait, et il
25 n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que
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1 lesdits actes ne soient commis ou en punir les auteurs. En conséquence,
2 l’accusé est tenu pénalement responsable en application de l’Article 7 3)
3 du Statut du Tribunal.
4 Allégations Générales
5 32. Tous les actes ou omissions qualifiés de génocide ou de complicité
6 dans le génocide ont été commis dans l’intention de détruire, en tout ou
7 en partie, les Musulmans et les Croates de Bosnie en tant que groupes
8 nationaux, ethniques, raciaux ou religieux, comme tels.
9 33. Tous les actes ou omissions qualifiés de crimes contre l’humanité
10 faisaient partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre
11 les populations civiles musulmane et croate de la municipalité de
12 Prijedor.
13 34. Pendant toute la période couverte par le présent acte d’accusation, la
14 municipalité de Prijedor était le théâtre d’un conflit armé.
15 35. Milomir Stakic était tenu de respecter les lois et coutumes régissant
16 la conduite des conflits armés, y compris les Conventions de Genève de
17 1949 et leurs Protocoles additionnels.
18 36. Dans cet acte d’accusation, le terme "non combattants" se réfère aux
19 personnes ne prenant pas une part active aux hostilités, notamment les
20 membres des forces armées qui ont déposé les armes, ainsi que les malades,
21 blessés, internés, ou ceux mis hors de combat pour toute autre cause.
22 37. L’article 7 1) du Statut du Tribunal engage la responsabilité pénale
23 individuelle de Milomir Stakic pour les crimes qui lui sont reprochés dans
24 le présent acte d’accusation. La responsabilité pénale individuelle
25 comporte notamment les faits de planifier, inciter à commettre, ordonner,
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1 commettre ou de toute autre manière aider et encourager à planifier,
2 préparer ou exécuter tout crime visé aux articles 2, 3, 4 et 5 du Statut
3 du Tribunal international. Par le terme "commettre", le Procureur n’entend
4 pas suggérer dans le présent acte d’accusation que l’accusé a
5 personnellement perpétré physiquement les crimes visés.
6 38. En vertu de l’article 7 3) du Statut du Tribunal, Milomir Stakic est
7 aussi pénalement responsable des actes de ses subordonnés pendant qu’il
8 était leur supérieur hiérarchique, comme exposé plus haut. Un supérieur
9 est responsable des actes de son/ses subordonné(s), s’il savait ou avait
10 des raisons de savoir que ce(s) dernier(s) s’apprêtai(en)t à commettre de
11 tels actes ou l’avai(en)t fait, et s’il n’a pas pris les mesures
12 nécessaires et raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient
13 commis, ou en punir les auteurs.
14 Chefs d'accusation.
15 Chefs 1 à 5: Génocide, Complicité dans le génocide, Assassinat/Meurtre et
16 Extermination.
17 39. Les allégations générales figurant aux paragraphes 23 à 38 ci-dessus
18 sont reprises et incorporées dans les chefs d’accusation 1 à 5.
19 40. Du 30 avril 1992 ou vers cette date au 30 septembre 1992, Milomir
20 Stakic agissant individuellement ou de concert avec d’autres dirigeants
21 serbes de Bosnie, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou, de
22 toute autre manière, aidé et encouragé la planification, la préparation ou
23 l’exécution d’une campagne visant à détruire en tout ou en partie les
24 Musulmans et les Croates de Bosnie en tant que groupes nationaux,
25 ethniques, raciaux ou religieux, comme tels, dans la municipalité de
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1 Prijedor.
2 41. À la suite de la prise du contrôle de la municipalité, l’exécution de
3 cette campagne a compris :
4 1) le meurtre de Musulmans et de Croates de Bosnie non combattants par les
5 forces serbes de Bosnie (notamment des unités du 5e Corps/1er Corps de la
6 Krajina), dans des villages et des zones non serbes, dans des camps et
7 autres centres de détention, et pendant l’expulsion ou le transfert forcé
8 de Musulmans et de Croates de Bosnie, le fait de causer des atteintes
9 graves à l’intégrité physique ou mentale de Musulmans et de Croates de
10 Bosnie non combattants pendant leur emprisonnement dans les camps et
11 autres centres de détention, ainsi que lors de leurs interrogatoires dans
12 les commissariats de police et les casernes militaires, où les détenus
13 étaient constamment soumis à des actes inhumains, notamment des meurtres,
14 viols, violences sexuelles, tortures et passages à tabac, ou contraints
15 d’en être les témoins,
16 2) le fait de détenir des Musulmans et des Croates de Bosnie non
17 combattants dans des conditions de vie ayant pour objet d’entraîner la
18 destruction physique d’une partie de ces groupes, plus précisément en leur
19 faisant subir des passages à tabac ou autres sévices corporels décrits ci-
20 dessus, et en leur imposant des conditions d’existence où la nourriture
21 était insuffisante, l’eau polluée, les soins médicaux insuffisants ou
22 inexistants, les conditions d’hygiène déplorables et où l’espace manquait.
23 42. Du 30 avril 1992 ou vers cette date au 30 septembre 1992, Milomir
24 Stakic, agissant individuellement ou de concert avec d’autres dirigeants
25 serbes de Bosnie, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou, de
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1 toute autre manière, aidé et encouragé la planification, la préparation ou
2 l’exécution d’une campagne visant à exterminer des membres des populations
3 musulmanes de Bosnie et croate de Bosnie dans la municipalité de Prijedor.
4 43. Dans le cadre de la campagne susmentionnée, un nombre important de
5 Musulmans et de Croates de Bosnie ont été tués par les forces serbes de
6 Bosnie, dans des villages et des zones non serbes, dans des camps et
7 autres centres de détention, ainsi que pendant les expulsions ou
8 transferts forcés.
9 Meurtres
10 44. Les meurtres de Musulmans et de Croates de Bosnie non combattants par
11 les forces serbes de Bosnie comprennent notamment:
12 1) le meurtre, entre mai et juin 1992, d’un certain nombre de personnes à
13 Kozarac et dans ses environs;
14 2) le meurtre, le 26 mai 1992 ou vers cette date, d’un certain nombre de
15 personnes dans la maison de Mehmed Sahoric à Kamicani;
16 3) le meurtre, entre mai et juillet 1992, d’un certain nombre de personnes
17 dans le village de Hambarine et ses environs;
18 4) le meurtre, le 14 juin 1992 ou vers cette date, d’un certain nombre
19 d’hommes dans le village de Jaskici;
20 5) le meurtre, en juillet 1992, d’un certain nombre d’hommes dans le
21 village de Biscani;
22 6) le meurtre, en juillet 1992, d’un certain nombre de personnes dans le
23 village de Carakovo et ses environs;
24 7) le meurtre, le 24 juillet 1992 ou vers cette date, d’un certain nombre
25 de personnes dans le village de Brisevo;
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1 8) le meurtre, le 25 juillet 1992 ou vers cette date, d’un certain nombre
2 d’hommes au stade de football de Ljubija;
3 9) le meurtre, le 25 juillet 1992 ou vers cette date, d’un certain nombre
4 d’hommes à la mine de fer de Ljubija (également connue sous le nom de
5 "Redak" ou de "Kipe").
6 Camps
7 45. Des camps militaires et civils, ainsi que des centres de détention,
8 ont été établis par les autorités serbes de Bosnie dans la municipalité de
9 Prijedor. À la suite des attaques contre la municipalité, les forces
10 serbes de Bosnie ont procédé à la rafle de milliers de civils musulmans de
11 Bosnie et croates de Bosnie non combattants, et les ont contraints à
12 marcher jusqu’à des points de rassemblement, en vue de leur transfert dans
13 les camps et les centres de détention où ils ont été internés. Les
14 conditions de vie dans ces camps et ces centres de détention étaient
15 souvent inhumaines et empreintes de brutalité.
16 46. Ces camps et ces centres de détention, pourvu en personnel et gérés
17 par des membres de l’armée et la police aux ordres de la cellule de crise
18 et de la VRS, comprenaient notamment :
19 1) La caserne de la JNA à Prijedor;
20 2) Le camp de Keraterm;
21 3) Le centre communautaire de Miska Glava;
22 4) Le camp d’Omarska;
23 5) Le bâtiment du SUP à Prijedor;
24 6) Le camp de Trnopolje.
25 47. Les meurtres de Musulmans et Croates de Bosnie commis par les forces
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1 serbes de Bosnie dans ces camps et centres de détention ou à la suite de
2 leur transfert de ces endroits, comprennent :
3 1) Le meurtre, à la fin mai 1992, d’un certain nombre de personnes à la
4 caserne de Benkovac;
5 2) Le meurtre/exécution à la mitraillette, le 24 juillet 1992 ou vers
6 cette date, de 100 à 150
7 hommes de la région de "Brdo" détenus dans la "Pièce 3" du camp de
8 Keraterm;
9 3) L’exécution, le lendemain du massacre de la "Pièce 3" ou vers cette
10 date, d’une vingtaine d’hommes à Keraterm;
11 4) Le meurtre, fin juillet 1992, d’une centaine de prisonniers au camp
12 d’Omarska à la suite du nettoyage du secteur de "Brdo";
13 5) Le meurtre d’une cinquantaine d’hommes et de femmes emmenés en autocar
14 du camp d’Omarska, fin juillet 1992, et dont les restes, tout du moins
15 pour certains d’entre eux, ont été exhumés à Jama Lisac (municipalité de
16 Bosanska Krupa);
17 6) Le meurtre d’environ 120 hommes emmenés dans deux autocars des camps de
18 Keraterm et d’Omarska, le 5 août 1992 ou vers cette date, et dont les
19 restes, tout du moins pour certains d’entre eux, ont été exhumés à
20 Hrastova Glavica (municipalité de Sanski Most);
21 7) Le meurtre d’un certain nombre d’hommes transférés du camp d’Omarska,
22 le 6 août 1992 ou vers cette date, juste devant le camp de Manjaca;
23 8) Le meurtre, le 21 août 1992 ou vers cette date, près du lieu-dit
24 Koricanske stijene, dans le secteur du Mont Vlasic, d’environ 200 hommes
25 faisant partie d’un convoi, et dont certains
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1 venaient du camp de Trnopolje;
2 9) Le meurtre, entre le 27 mai et le 21 août 1992 approximativement, d’un
3 certain nombre de personnes au camp d’Omarska;
4 10) Le meurtre, entre le 24 mai et le 5 août 1992, d’un certain nombre de
5 personnes au camp de Keraterm;
6 11) Le meurtre, entre le 25 mai et le 30 septembre 1992 approximativement,
7 d’un certain nombre de personnes au camp de Trnopolje.
8 Atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale
9 48. Dans les camps et les centres de détention, les forces serbes de
10 Bosnie et d’autres individus autorisés à entrer dans les camps ont soumis
11 des détenus musulmans et croates de Bosnie non combattants venant des
12 municipalités à des violences physiques et mentales, notamment en les
13 torturant, en les frappant avec des armes, en leur infligeant des
14 violences sexuelles, et en les contraignant à être témoins d’actes
15 inhumains, dont des meurtres, attentant gravement à leur intégrité
16 physique ou mentale. Pendant la période allant du 30 avril 1992 au 30
17 septembre 1992, un grand nombre de Musulmans et de Croates de Bosnie sont
18 morts dans ces centres de détention, du fait de ces actes inhumains.
19 49. Parmi les atteintes graves portées à l’intégrité physique ou mentale
20 de nombreux Musulmans et Croates de Bosnie, on citera notamment:
21 1) Entre mai et septembre 1992, des milliers de Musulmans et de Croates de
22 Bosnie non combattants ont été détenus par la police et les forces
23 militaires (régulières et irrégulières) au camp d’Omarska, au camp de
24 Keraterm, au camp de Trnopolje, au centre communautaire de Miska Glava, au
25 stade de football de Ljubija, dans des locaux de la police (SUP) de
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1 Prijedor et à la caserne de la JNA à Prijedor;
2 2) A Omarska, les détenus étaient roués de coups à leur arrivée au camp,
3 et ils étaient battus et torturés régulièrement et durant les
4 interrogatoires avec des câbles électriques, des crosses de fusils, des
5 matraques et des gourdins. Les sévices étaient infligés pendant la journée
6 et durant la nuit. Les détenus étaient humiliés et torturés. Des Musulmans
7 de Bosnie, en vue et instruits, étaient soumis à des sévices et à des
8 humiliations graves. Parfois, les sévices étaient si sévères que des
9 blessures graves, une défiguration permanente et la mort s’ensuivaient.
10 Les sévices et les humiliations étaient souvent infligés en présence
11 d’autres détenus. Les femmes étaient violées et victimes de violences
12 sexuelles;
13 3) A Keraterm, les détenus étaient battus à leur arrivée au camp, ainsi
14 qu’au cours des interrogatoires et pendant qu’ils attendaient leur
15 nourriture. Les sévices étaient infligés avec des gourdins, des battes de
16 base-ball, des câbles électriques, des matraques et des crosses de fusils.
17 Ils avaient lieu de jour comme de nuit. Les détenus étaient humiliés et
18 torturés. Des traitements particulièrement cruels étaient réservés à
19 certains. Parfois, les sévices étaient si sévères que des blessures
20 graves, une défiguration permanente et la mort s’ensuivaient. Les sévices
21 et les humiliations étaient souvent infligés en présence d’autres détenus.
22 Les femmes étaient violées;
23 4) au camp de Trnopolje, les détenus étaient majoritairement des femmes,
24 des enfants et des personnes âgées. Mais il y avait également des hommes
25 plus jeunes. Les hommes étaient interrogés et battus. Les détenus étaient
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1 battus en présence d’autres prisonniers. Les femmes étaient violées;
2 5) des personnes étrangères aux camps d’Omarska, de Keraterm et de
3 Trnopolje étaient autorisées à y entrer. Ces personnes battaient et
4 humiliaient également les détenus ;
5 6) au centre communautaire de Miska Glava et au stade de football de
6 Ljubija, une centaine d’hommes musulmans de Bosnie ont été frappés à coups
7 de haches, de couteaux, de matraques et de crosses de fusils. Bon nombre
8 d’entre eux sont morts des suites de ces sévices, et les survivants ont
9 été contraints de charger les victimes dans un véhicule ;
10 7) dans les locaux de la police (SUP) de Prijedor et dans la caserne de la
11 JNA, des membres éminents des communautés musulmane et croate de Bosnie
12 ont été interrogés, battus et torturés.
13 Conditions de vie ayant pour objet d’entraîner la destruction physique
14 50. Les conditions d’existence dans les camps et dans les centres de
15 détention étaient terribles et inhumaines. Ainsi, la nourriture était
16 insuffisante, l’eau polluée, les soins médicaux insuffisants ou
17 inexistants, les conditions d’hygiène déplorables et l’espace manquait.
18 51. Par sa participation à ces actes ou omissions, Milomir Stakic s’est
19 rendu coupable de:
20 Chef 1: génocide, sanctionné par les articles 4 3) a), 7 1) et 7 3) du
21 Statut du Tribunal;
22 Ou subsidiairement,
23 chef 2: complicité dans le génocide, sanctionnée par les articles 4 3) e),
24 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal;
25 et/ou
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1 chef 3: Assassinat, un crime contre l'humanité, sanctionné par les
2 articles 5 a), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal;
3 Chef 4: Extermination, un crime contre l'humanité, sanctionné par les
4 articles 5 b), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal et;
5 Chef 5: Meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre,
6 sanctionnée par les articles 3, 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal, telle
7 que reconnue par l’article 3 1) a) des Conventions de Genève.
8 Chef 6: Persécutions.
9 52.Les allégations générales figurant aux paragraphes 23 à 50 ci-dessus,
10 et aux paragraphes 57 et 58 ci-dessous, sont reprises et incorporées dans
11 le chef d’accusation 6.
12 53. Entre le 30 avril 1992 et le 30 septembre 1992 environ, Milomir
13 Stakic, agissant individuellement ou de concert avec d’autres dirigeants
14 serbes de Bosnie, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou, de
15 toute autre manière, aidé et encouragé la planification, la préparation ou
16 l’exécution de persécutions pour des raisons politiques, raciales ou
17 religieuses contre la population musulmane et croate de Bosnie de la
18 municipalité de Prijedor.
19 54. La planification, la préparation ou l’exécution des persécutions
20 susmentionnées ont comporté notamment:
21 1) le meurtre de Musulmans et de Croates de Bosnie dans des villages et
22 dans des zones non serbes ainsi que dans des camps et autres centres de
23 détention, par des forces serbes de Bosnie (notamment des unités du 5e
24 Corps/1er Corps de la Krajina);
25 2) la torture, la violence physique, les viols et violences sexuelles,
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1 l’humiliation et la dégradation constantes des Musulmans et des Croates de
2 Bosnie ;
3 3) (a) la destruction, l’endommagement délibéré et le pillage
4 d’habitations et de locaux commerciaux dans des quartiers des villes, des
5 villages et d’autres zones dans la municipalité de Prijedor peuplés
6 majoritairement de Musulmans et de Croates de Bosnie, dont:
7 i) Ville de Prijedor
8 ii) Briševo
9 iii) Kamicani
10 iv) Carakovo
11 v) Kozarac
12 vi) Kozarusa
13 vii) Bisjani
14 viii) Hambarine
15 ix) Rakovcani
16 x) Rizvanovici
17 xi) Donja and Gornja Ravska
18 xii) Kevljani
19 xiii) D’autres hameaux ou zones musulmans et croates de Bosnie rattachés à
20 ces villages ;
21 (b) la destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices religieux et
22 culturels musulmans ou croates de Bosnie, dont:
23 i) la mosquée de Donja Ljubija, en mai 1992;
24 ii) la mosquée de Hambarine, le 24 mai 1992 ou vers cette date;
25 iii) la mosquée de Kozarusa, fin mai 1992;
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1 iv) la mosquée de la ville ou mosquée "Carsijska", à Prijedor, le 30 mai
2 1992 ou vers cette date;
3 v) la mosquée "Mutnik" à Kozarac, fin mai ou début juin 1992;
4 vi) la mosquée du quartier Stari Grad à Prijedor, entre le 30 mai et le 20
5 juin 1992;
6 vii) la mosquée de Kamicani, en juin 1992;
7 viii) la mosquée de Biscani, le 20 juillet 1992 ou vers cette date;
8 ix) l’église catholique de Brisevo, le 29 juillet 1992 ou vers cette date;
9 x) l’église catholique de Prijedor, le 28 août 1992 ou vers cette date;
10 xi) la mosquée du quartier Puharska à Prijedor, le 28 août 1992 ou vers
11 cette date.
12 Pendant et après les attaques de cette municipalité, les forces serbes de
13 Bosnie ont systématiquement détruit ou endommagé les villes et les
14 villages peuplés de Musulmans et de Croates de Bosnie, et d’autres zones
15 non serbes, ainsi que des biens, notamment les maisons, les entreprises et
16 les lieux de culte musulmans et catholiques énumérés ci-dessus. Les
17 bâtiments ont été bombardés, incendiés ou dynamités. Les habitations et
18 les commerces ont été pillés avant d’être endommagés ou détruits;
19 4) l’expulsion ou le transfert par la force de Musulmans et de Croates de
20 Bosnie de la municipalité de Prijedor vers des zones sous le contrôle du
21 gouvernement légitime de Bosnie-Herzégovine (Travnik), et vers la Croatie
22 (Karlovac). Le transfert par la force et organisé des populations
23 musulmane et croate de Bosnie a commencé fin mai 1992. Les transferts
24 forcés et les expulsions étaient organisés par les forces de la police
25 serbe de Bosnie et d’autres organes municipaux serbes de Bosnie agissant
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1 sur les instructions des cellules de crise. Fréquemment, pour que les
2 autorités serbes de Bosnie autorisent leur départ ou leur libération des
3 centres de détention, les non-Serbes ont dû signer des documents déclarant
4 qu’ils cédaient tous leurs biens à la République serbe de Bosnie ;
5 5) le déni des droits fondamentaux aux Musulmans et aux Croates de Bosnie,
6 notamment le droit à l’emploi, la liberté de déplacement, le droit à une
7 bonne administration de la justice, ou le droit à des soins médicaux
8 convenables.
9 55. Par sa participation à ces actes ou omissions, Milomir Stakic s’est
10 rendu coupable de:
11 Chef 6: Persécutions, un crime contre l’humanité, sanctionné par les
12 Articles 5 h), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal.
13 Chefs 7 et 8: Expulsion, Actes inhumains
14 56. Les allégations générales figurant aux paragraphes 23 à 38 et 53 et 54
15 ci-dessus sont reprises et incorporées dans les chefs d’accusation 7 et 8.
16 57. Entre le 30 avril 1992 et le 30 septembre 1992 environ, Milomir
17 Stakic, agissant individuellement ou de concert avec d’autres dirigeants
18 serbes de Bosnie, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou, de
19 toute autre manière, aidé et encouragé la planification, la préparation ou
20 l’exécution d’une campagne visant à évacuer les populations musulmane et
21 croate de Bosnie de la municipalité de Prijedor.
22 58. L’exécution de la campagne susmentionnée a comporté notamment
23 l’expulsion ou le transfert par la force d’une grande partie de la
24 population musulmane et croate de Bosnie des zones se trouvant dans la
25 municipalité de Prijedor, vers des zones sous le contrôle du gouvernement
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1 légitime de Bosnie-Herzégovine (Travnik), et vers la Croatie (Karlovac).
2 Le transfert par la force et organisé des populations musulmane et croate
3 de Bosnie a commencé fin mai 1992. Les transferts forcés et les expulsions
4 ont été organisés par les forces de la police serbe de Bosnie et d’autres
5 organes municipaux serbes de Bosnie agissant sur les instructions des
6 cellules de crise. Fréquemment, pour que les autorités serbes de Bosnie
7 autorisent leur départ ou leur libération des centres de détention, les
8 non-Serbes ont dû signer des documents déclarant qu’ils cédaient tous
9 leurs biens à la République serbe de Bosnie.
10 59. Par sa participation à ces actes ou omissions, Milomir Stakic s’est
11 rendu coupable de :
12 Chef 7 : Expulsion, un crime contre l’humanité, sanctionné par les
13 articles 5 d), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal.
14 Chef 8 : Actes inhumains (transferts forcés), un crime contre l’humanité,
15 sanctionné par les articles 5 i), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal."
16 (Fin de lecture.)
17 M. le Président: Merci. (interprétation): Je me tourne maintenant vers M.
18 Stakic, je vais lui demander de se prononcer s'agissant de la déclaration
19 de la culpabilité au regard de ce nouvel Acte d'accusation; ce que
20 j'appelle une nouvelle comparution initiale en vertu de l'Article 62.
21 Vous le savez parce que vous avez déjà comparu précédemment, vous avez le
22 droit de garder le silence et ce silence ne peut pas être retenu contre
23 vous. Par ailleurs, je dois vous mettre en garde: tout propos que vous
24 êtes susceptible de tenir maintenant ou plus tard dans ce prétoire pourra
25 être retenu comme élément de preuve contre vous.
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1 Ces informations ne seraient pas complètes si, en même temps, je ne vous
2 faisais pas part de l'autre aspect des choses, du revers de la médaille.
3 Tout type de coopération que vous manifesteriez, non seulement dans le
4 cadre du prononcé de culpabilité mais ailleurs, pourra être considéré
5 comme un élément vous étant favorable, au moment du procès parce qu'il
6 l'aurait accéléré, ou à autre moment si ce procès arrive au moment du
7 prononcé de la sentence.
8 Est-ce que vous avez compris ce que je viens vous dire.
9 M. Stakic (interprétation): Oui, Monsieur le Président.
10 M. le Président (interprétation): Que dites-vous au regard du chef 1:
11 Génocide, sanctionné par les Articles 4 3) a), 7 1) ou 7 3) du Statut de
12 ce Tribunal?
13 M. Stakic (interprétation): Je ne suis pas coupable.
14 M. le Président (interprétation): Ou à défaut, chef 2: Complicité dans le
15 génocide, sanctionnée par les articles 4 3) e), 7 1) et 7 3) du Statut du
16 Tribunal.
17 M. Stakic (interprétation): Non coupable, Monsieur le Président.
18 M. le Président (interprétation): Et ou chef 3: Assassinat, un crime
19 contre l’humanité, sanctionné par les articles 5 a), 7 1) et 7 3) du
20 Statut du Tribunal.
21 M. Stakic (interprétation): Non coupable, Monsieur le Président.
22 M. le Président (interprétation): Chef 4: Extermination, un crime contre
23 l’humanité, sanctionné par les articles 5 b), 7 1) et 7 3) du Statut du
24 Tribunal.
25 M. Stakic (interprétation): Non coupable, Monsieur le Président.
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1 M. le Président (interprétation): Ou chef 5: Meurtre, une violation des
2 lois ou coutumes de la guerre, sanctionnée par les articles 3, 7 1) et 7
3 3) des Conventions de Genève de 49, sanctionnée également par les articles
4 3, 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal.
5 M. Stakic (interprétation): Non coupable, Monsieur le Président.
6 M. le Président (interprétation): Chef 6: Persécutions, un crime contre
7 l’humanité, sanctionné par les articles 5 h), 7 1) et 7 3) du Statut du
8 Tribunal.
9 Monsieur Stakic?
10 M. Stakic (interprétation): Non coupable, Monsieur le Président.
11 M. le Président (interprétation): Chef 7: Expulsion, un crime contre
12 l’humanité, sanctionné par les Articles 5 d), 7 1) et 7 3) du Statut du
13 Tribunal.
14 M. Stakic (interprétation): Non coupable, Monsieur le Président.
15 M. le Président (interprétation): Enfin, Chef 8: Actes inhumains
16 (transferts forcés), un crime contre l’humanité, sanctionné par les
17 articles 5 i), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal.
18 Monsieur Stakic?
19 M. Stakic (interprétation): Non coupable, Monsieur le Président.
20 M. le Président (interprétation): Monsieur Stakic, je vous remercie. Vous
21 pouvez vous vous rasseoir.
22 (L'accusé se rassoit.)
23 Je vois que le temps nous permet d'examiner l'Article 84. Il reste encore
24 trois petits points à évoquer.
25 Je vous rappelle que nous n'avions pas mis un terme à nos délibérations
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1 s'agissant du nombre de témoins au moment de la conférence préalable au
2 procès. Nous n'avions pas terminé la discussion sur la façon dont nous
3 allions utiliser l'Article 71 concernant les dépositions.
4 La Chambre de première instance a abordé la question de témoin par témoin
5 et convie les parties à se préparer à une discussion finale sur le sujet
6 demain, au début de l'audience de la journée. Est-ce bien exact? Est-ce
7 que ceci vous convient, Madame Korner?
8 Mme Korner (interprétation): Oui, difficile de vous dire combien de temps
9 va prendre ma présentation liminaire. Le seul problème que nous avons
10 demain…. est-ce que nous siégions le matin ou l'après-midi?
11 M. le Président (interprétation): Le matin.
12 Mme Korner (interprétation): Ce sera possible, je pense, par conséquent.
13 M. le Président (interprétation): Merci. Est-ce que la défense est prête à
14 discuter desdits témoins figurant sur la liste pour lesquels
15 l'intervention de l'Article 71.
16 M. Lukic (interprétation): Oui, nous sommes prêts.
17 M. le Président (interprétation): Deuxième point: nous avons reçu la
18 signification d'admission du compte rendu d'audience en vertu du 92bis de
19 la part de l'accusation. Nous nous attendons à ce que les objections
20 soient formulées et étayées par la défense qui dispose de la date butoir
21 du 23 avril pour ce faire. C'est le jour de la plénière, le 23.
22 Le résultat, la décision devrait tomber au plus tard le 24 avril. Il ne
23 reste plus qu'un sujet à aborder. La Chambre de première instance a
24 discuté de plusieurs sujets dont un des plus importants était le suivant:
25 nous avons pour mandat de statuer sur la responsabilité pénale
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1 individuelle, c'est ce qu'on nous demande de faire. En vertu de l'Article
2 98, nous invitons les parties à présenter leur contribution s'agissant de
3 la personnalité individuelle de M. Stakic, du milieu dans lequel il
4 vivait, de sa jeunesse, de son éducation, de sa socialisation; et nous
5 serions gré aux deux parties d'apporter leur écho à cette question.
6 Mais je pense que le moment se prête à une pause maintenant. En l'absence
7 d'autres questions d'intendance à aborder, nous pourrons commencer par
8 l'Article 84 vos propos liminaires.
9 Mme Korner (interprétation): S'agissant du compte rendu d'audience de la
10 déposition du Dr Donja dans le procès Brdjanin-Talic, si ce transcript
11 n'est pas accepté, nous allons avoir la déposition de M. Donja demain.
12 Pour le moment, il n'allait intervenir que sur la partie supplémentaire de
13 son rapport qui avait trait à Prijedor. Cependant, si la défense estime
14 qu'elle n'est pas en mesure d'accepter du tout ce transcript de sa
15 déposition antérieure, la déposition ne devra pas trop tarder; peut-être
16 nous allons devoir revenir sur certains aspects de la déposition qu'il
17 avait faite dans ce procès-là dès demain.
18 M. le Président (interprétation): Si je vous ai bien compris et si j'ai
19 bien compris la défense correctement jusqu'à présent, nous convenons tous
20 du fait que l'intervention de M. Donja demain devrait se limiter à cette
21 partie précise de son rapport. Dans celle où il parle de la situation qui
22 prévalait à Prijedor. Je ne vois pas d'objection de la part de la défense.
23 Vous avez déjà informé M. Donja qu'il allait devoir se limiter à cette
24 zone-là. Et je pense que le transcript de sa déposition est accueilli.
25 Mme Korner (interprétation): Oui, le transcript qui a été déposé
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1 officiellement en vertu de l'Article 92; ce transcript parle du cadre plus
2 général du conflit en Bosnie. Nous parlons ici des éléments qui ont mené
3 aux événements qui ont débouché sur la déclaration de la République serbe
4 de Bosnie, mais ceci n'est pas couvert de façon expresse par le rapport
5 élaboré par M. Donja pour Prijedor.
6 C'est toutefois pertinent et important. D'ailleurs, je vais revenir sur
7 certains éléments de contexte dans ma présentation liminaire. Si le
8 transcript n'est pas accepté en vertu des dispositions de l'Article 92,
9 que ce soit demain ou le mercredi qui va suivre, nous avons décidé que
10 nous allions faire preuve gentillesse envers les avocats de la défense en
11 leur donnant jusqu'à mercredi pour mener leur contre-interrogatoire. Et
12 puis nous devrions présenter certains témoins concernant cet aspect-là
13 mais c'est la seule chose qui reste en suspens.
14 M. le Président (interprétation): Fort bien. Nous allons faire une pause
15 de 20 minutes et nous reprendrons disant à 10 heures 35.
16 L'audience est suspendue.
17 (L'audience, suspendue à 10 heures 14, est reprise à 10 heures 40.)
18 M. le Président (interprétation): Nous reprenons les débats. Nous nous
19 intéressons maintenant à la déclaration liminaire en application de
20 l'Article 84. Je vous rappelle que nous ferons une pause toutes les heures
21 vingt ou heure trente. A vous d'en juger.
22 Mme Korner (interprétation): Avant de commencer, permettez-moi de revenir
23 à la question de l'admission des dépositions par transcript. J'aurais dû
24 le dire clairement, je l'avais d'ailleurs déjà dit à la partie adverse
25 pendant la pause, il leur est loisible de procéder à un contre-
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1 interrogatoire. Nous demandons simplement l'admission de façon générale.
2 Avant de commencer, j'ai reçu une demande de la part de l'un de vos
3 assistants hier. Est-ce que je peux remettre copie des documents dont je
4 vais me servir dans le cadre de mon propos liminaire, même si je vais les
5 placer sur le rétroprojecteur; ce sont des documents qui ont été
6 communiqués, qui ont reçu des cotes qui se trouvent en haut de la page.
7 Vous saurez ainsi où se situent les documents dans les classeurs.
8 En sus, il y a des cartes que vous allez peut-être vouloir recevoir, car
9 là aussi je vais y faire référence.
10 (Intervention de l'huissier.).
11 Les interprètes ont, je pense, reçu copie dudit document, déjà. C'est vrai
12 pour la défense également.
13 (Propos liminaires de l'accusation.)
14 (La Greffière distribue les documents en question aux Juges.)
15 Mme Korner (interprétation): Messieurs les Juges, je voudrais commencer ma
16 présentation en évoquant de façon générale les allégations retenues par le
17 Procureur contre l'accusé Milomir Stakic, en l'espèce. Ces allégations
18 sont le résultat des événements qui ce sont déroulés dans la municipalité
19 de Prijedor, qui se trouve dans le nord-ouest de la Bosnie, d'avril à
20 septembre 1992.
21 Au cours des 10 années qui se sont écoulées depuis le début du conflit en
22 Bosnie, Prijedor est déjà devenue tristement célèbre parce que c'est là
23 qu'on trouve, de la façon la plus grave et de la façon la plus concentrée,
24 tous les crimes qui ont été commis dans le cadre de ce qui est,
25 maintenant, devenu la campagne de purification ou nettoyage ethnique. Et
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1 je le répète, le crime de nettoyage ethnique n'existe pas en tant que tel.
2 Ce que cette notion décrit, c'est un comportement, une conduite
3 criminelle, répréhensible.
4 Les événements ont déjà en partie fait l'objet de procès antérieurs. Le
5 tout premier procès qu'a connu ce Tribunal étant concerné, à savoir celui
6 de Tadic. Il y a eu également le procès Kvocka et autres, connus sous le
7 nom de procès Omarska, le procès Sikirica qui portait sur le camp de
8 Keraterm. Il y a aussi le procès Kovacevic. Ce procès, s'il s'était
9 poursuivi jusqu'à son terme, aurait porté sur les mêmes événements, sur la
10 même question de l'autorité. Mais étant donné que Kovocevic est décédé, ce
11 procès ne s'est jamais terminé.
12 Vous l'apprendrez, Messieurs les Juges, il y avait entre Kovacevic et le
13 présent accusé des liens très étroits. Les crimes et infractions sous leur
14 forme les moins graves consistaient à nier aux non-Serbes leur droit à
15 l'emploi, la liberté de circulation, le droit à des soins de santé et le
16 droit aux garanties prévues par la loi.
17 Le déni de ces droits n'a été que le début, l'enclenchement d'un processus
18 qui a connu une escalade par des attaques menées sur des villages, sur des
19 zones qui étaient occupés des non-Serbes, et ceci a entraîné la perte de
20 vies humaines, la destruction de propriétés et de biens, et, en
21 particulier, la destruction délibérée de lieux de culte.
22 Ceux qui n'ont pas été tués aux cours de ces attaques ont été victimes de
23 rafles, ont été incarcérés, internés dans ce qu'on a appelé -et là on
24 utilise un nouvel euphémisme- dans des centres de détention ou des centres
25 d'accueil, des centres de rassemblement. Dans ces camps, parce qu'au fond
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1 c'est ce que ces endroits étaient, on a commis des meurtres de façon
2 massive. Les gens étaient roués de coups, en but à des sévices entraînant
3 parfois la mort. La torture était monnaie courante, les sévices sexuels
4 étaient réguliers.
5 Les conditions qui prévalaient dans ces camps -je pense ici au fait de
6 donner de la nourriture, de l'eau, des soins médicaux-, ces dispositions
7 -et c'est le moins qu'on puisse dire- étaient insuffisantes. Ceux qui ont
8 été libérés de ces camps et d'autres ont été expulsés par milliers,
9 transférés par la force. Ils ont dû quitter des régions où leurs familles
10 ont vécu pendant des décennies, voire des siècles, des générations
11 entières. Et de l'avis de l'accusation, c'était là l'objectif ultime que
12 recherchaient tous ces crimes, qui cherchaient, en d'autres termes, à
13 faire évacuer, à expulser la population non serbe de la municipalité de
14 Prijedor par l'exécution de tous ces crimes.
15 Ceux qui ont été les auteurs physiques de ces crimes, c'étaient des
16 membres de l'armée serbe de Bosnie. Ces forces reprennent les forces de la
17 Défense territoriale, les forces de police, et à toutes fins utiles des
18 Serbes de Bosnie ordinaires, des civils qui se sont affublés d'un
19 uniforme, ont constitué des groupes paramilitaires petits ou plus
20 importants et se sont retournés contre leurs voisins non serbes avec qui
21 ils avaient vécu en toute harmonie et avec lesquels il y avait eu aussi
22 plusieurs mariages pendant des décennies. Ils l'ont fait avec une férocité
23 qui ne s'explique par le climat de peur et de haine qui avait été
24 sciemment créé par ceux qui étaient -de par leur position- en mesure
25 d'instiguer ce climat, d'inciter à ce type d'atmosphère qui leur
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1 permettait de contrôler ces événements.
2 Qui étaient ces gens? Dans la municipalité de Prijedor à proprement
3 parler, de l'avis de l'accusation, ces personnes étaient les dirigeants
4 politiques et militaires qui étaient en situation d'autorité au sein de
5 ladite municipalité. Je pense à des gens tels que le présent accusé,
6 Milomir Stakic.
7 Je pense aux co-accusés qui étaient au départ retenus dans l'Acte
8 d'accusation. Il y avait Milan Kovacevic, dont j'ai déjà parlé, qui, lui,
9 était président du conseil exécutif de l'assemblée municipale au moment où
10 elle existait, il était également membre de la cellule de crises de
11 Prijedor. Je pense aussi à Simo Drljaca, un autre nom couvert d'infamie. A
12 l'époque, Simo Drljaca était le chef de la police de Prijedor. On le sait,
13 il a été tué lorsqu'il s'est opposé à l'arrestation qu'on essayait de
14 faire à son encontre, il y a quelques années de cela. On pense aussi à des
15 hommes comme le lieutenant-colonel, qui est devenu par la suite colonel
16 Arsic, et à son second, le commandant Zeljaja. Tout deux étant les
17 représentants de la présence militaire dans la zone de Prijedor.
18 Les ailes militaires et politiques des Serbes de Bosnie étaient
19 inextricablement liées, l'aile politique, la branche politique fournissait
20 les objectifs. Les militaires et la police qui, en fait, enjambaient ces
21 deux partis, je disais que la police et les militaires ont aussi joué leur
22 rôle pour l'accomplissement de ces objectifs. Ils l'ont fait en lançant
23 des attaques et en fournissant le personnel de guerre de ces camps dont
24 j'ai déjà parlé.
25 Quant au rôle de la police, il englobait aussi bien des activités civiles
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1 en exécution d'ordres politiques donnés visant à désarmer les non-Serbes,
2 à l'arrestation du personnel appelé indésirable, et se chargeait aussi de
3 l'interrogatoire de ceux qui avaient été placés en détention. Mais la
4 police a joué aussi un rôle militaire puisqu'ils ont organisé des
5 bataillons d'hommes destinés au combat.
6 Cependant l'accusé et les autres déjà mentionnés, en ce qui concerne les
7 municipalités de Prijedor, tous ceux qui étaient titulaires de poste
8 d'autorité, ils n'ont pas agi de façon isolée. La cellule de crise de
9 Prijedor, qui avait à sa tête le présent accusé, avait des liens étroits
10 avec la cellule de crise régionale de la région autonome de Krajina. Elle
11 avait à sa tête Radoslav Brdanin qui est en train d'être traduit en
12 justice devant ce présent Tribunal.
13 Le commandant Zeljaja, le lieutenant-colonel Arsic, eux, rendaient compte
14 au général Talic qui était le commandant du 1er Corps de la Krajina
15 cantonné à Banja Luka. C'était le camp militaire responsable de la zone.
16 Le général Talic est aujourd'hui traduit en justice avec Radoslav Brdanin.
17 Simo Drljaca, lui, rendait compte au chef du CSB; c'est le sigle en
18 bosniaque qui signifie "quartier régional de la police, centre des
19 services de sécurité" qui se trouvait à Banja Luka. Le chef du CSB c'était
20 Stojan Zupljanin, lui aussi mis en accusation, mais pas encore arrêté.
21 Aussi bien Momir Talic que Zupljanin faisaient partie de la cellule de
22 crise qui avait sous sa compétence le territoire de la région autonome de
23 Krajina.
24 De surcroît, les événements qui se sont produits à Prijedor, ils n'étaient
25 pas des événements uniques pour cette municipalité. Sous une forme ou sous
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1 une autre, les mêmes caractéristiques, les mêmes infractions se sont
2 produites dans d'autres municipalités, surtout dans celles où il n'y avait
3 pas de majorité serbe nette parmi la population, mais où il y avait un
4 nombre important de Serbes.
5 De l'avis de l'accusation, ce n'est pas une coïncidence et c'est quelque
6 chose de délibéré. Les éléments de preuve démontreront que les dirigeants
7 serbes de Bosnie ont commencé par le niveau suprême, celui de la
8 République, à savoir Karadzic, Krajisnisk, Plavsic jusqu'aux dirigeants de
9 ce qu'on a commencé à connaître sous "région autonome serbe". Il y avait
10 notamment parmi celle-ci la région autonome de Krajina pour descendre
11 jusqu'au moins au niveau des dirigeants de municipalité. Tous ces gens
12 agissaient de concert pour mettre en oeuvre une entreprise, un plan, un
13 projet commun quelle que soit l'appellation que vous allez vouloir
14 retenir.
15 Quel était cet objectif, ce plan? L'accusation soutient à partir de ce qui
16 s'est dit, de ce qui s'était écrit, de ce qui s'est fait, que l'objectif,
17 l'entreprise c'était l'intention d'évacuer de façon permanente la
18 population non serbe des zones qui avaient été sélectionnées comme faisant
19 partie d'un Etat serbe au sein de la Bosnie-Herzégovine. Cette évacuation
20 définitive devait être effectuée par les crimes repris dans l'Acte
21 d'accusation.
22 Nous insistons sur ce fait. Il est important de ne pas faire de confusion
23 entre les motifs ou les mobiles qui ont poussé à la création de cet Etat
24 serbe. Il ne faut pas faire de confusion entre cette création et
25 l'intention dont j'ai déjà parlé, à savoir cet Etat serbe devait être créé
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1 par la perpétration de crimes.
2 Les Musulmans et les Croates de Bosnie ont été en but à ces crimes, ont
3 été les cibles de ces actions, ne serait-ce que par la seule raison de
4 leur ethnicité. A Prijedor, il y avait davantage de Musulmans que de
5 Croates. Par conséquent, la plupart des témoins viendront vous parler des
6 crimes qui ont été commis contre les Musulmans qui représentaient la
7 partie la plus importante des victimes.
8 Dès le mois d'octobre 1991, on a compris clairement quelle était
9 l'intention des Serbes de Bosnie. Karadzic l'a dit de façon limpide dans
10 un discours qu'il a adressé au SDS, et je vais demander à la régie qu'un
11 extrait de ce discours vous soit diffusé.
12 (Diffusion d'un extrait de cassette vidéo.)
13 "Je vous avertis, vous aller entraîner la Bosnie en enfer. Vous,
14 Musulmans, vous n'êtes pas prêt à la guerre."
15 (Fin de la diffusion de la cassette vidéo.)
16 Vous n'êtes pas prêts à la guerre. Vous, Musulmans, vous pourriez être en
17 proie à l'extermination. Ce sont là les mots de Karadzic en octobre 1991.
18 Au cours de l'année 1992, c'est ce que les Serbes de Bosnie se sont
19 attelés à faire. De l'avis de l'accusation, une fois que vous aurez
20 entendu tous les éléments de preuve, vous serez convaincus, Messieurs les
21 Juges, que le crime de persécution, repris au chef 6, a bien été commis
22 par l'accusé agissant de concert avec d'autres.
23 Cependant, nous allons plus loin que cela. Au vu des moyens de preuve
24 présentés, la férocité des méthodes utilisées à Prijedor pour expulser la
25 population non serbe, l'ampleur des assassinats qui ont été commis, le
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1 fait de cibler, de sélectionner les personnes destinées à être internées
2 et tuées, des personnes dont on pensait que c'étaient des dirigeants, les
3 attaques perpétrées contre des villages, des foyers, des lieux de culte et
4 leur destruction, le niveau et le degré de violence connus à l'intérieur
5 mais aussi à l'extérieur des camps; tout cela, de l'avis de l'accusation
6 est la preuve de l'intention dont ils étaient animés pour détruire, du
7 moins en partie, la population croate et musulmane de Bosnie à Prijedor.
8 En d'autres termes, le crime le plus grave parmi tous: celui de génocide…
9 (Interruption d'interprétation du fait d'un problème technique.)
10 Mme Korner (interprétation): Donc, Monsieur le Président, je disais qu'il
11 pouvait y avoir un autre motif. Si Messieurs les Juges concluent qu'il y
12 avait une entreprise criminelle, la conséquence logique et prévisible de
13 cette entreprise était la conduite d'un génocide intentionnel. Donc
14 effectivement, l'accusé était tout à fait conscient que cela serait la
15 conséquence logique de l'entreprise mais néanmoins a poursuivi à jouer son
16 rôle de cette entreprise.
17 Autre motif. En tant que supérieur hiérarchique, au sens de l'Article 7
18 3), Milomir Stakic savait ou avait des raisons de savoir que cette
19 entreprise génocidaire allait être poursuivie avec intention génocidaire
20 et n'a pas pris les mesures qui auraient permis de prévenir ou de
21 sanctionner cette entreprise. Ou il a également planifié, incité à
22 commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière, aidé et encouragé à
23 planifier cette entreprise génocidaire intentionnelle.
24 Mais nous pensons que les deux premiers motifs sont la base qui institue
25 le fondement de nos accusations.
Page 1633
1 Monsieur le Président, voilà les allégations en termes généraux.
2 Avant d'en venir aux détails, j'aimerais souligner brièvement l'objectif
3 de ma déclaration liminaire. Bien entendu, je ne vais pas passer en revue
4 l'ensemble des preuves ou des moyens versés au dossier de l'accusation.
5 Vous avez tous vu le rapport préliminaire au procès qui définit les
6 preuves.
7 Votre décision bien sûr sera prise sur la base des preuves qui vous auront
8 été montrées et non pas sur la base de ce qui sera dit par avance ou sur
9 la base de ce que la défense aura à dire. Et c'est sur la base des preuves
10 que vous prendrez cette décision, mais surtout -outre ce que j'ai déjà dit
11 sur le génocide- il n'est que justice que l'accusé entende la manière dont
12 nous présentons l'affaire.
13 Ce que nous avons l'intention de faire à ce stade, c'est de présenter un
14 tableau d'ensemble des preuves que nous allons verser au dossier, et je
15 souligne le mot: des preuves anticipées. Messieurs les Juges savent que
16 quelles que soient les déclarations des témoins dans leur déposition, très
17 souvent les comptes rendus et les récits diffèrent.
18 Et certainement, Messieurs les Juges, vous vous souviendrez que pour
19 chacun de ces témoins, les victimes, ces événements se sont déroulés il y
20 a 10 ans et c'étaient des événements bien entendu d'une nature
21 traumatique, et le souvenir a pu se dissiper ou au contraire être amplifié
22 et amplifier les événements pour les rendre différents de ce qu'ils
23 étaient à l'époque. Mais il y aura d'autres témoins qui viendront déposer
24 et qui relèvent de la catégorie des experts, parfois des personnes
25 extérieures qui se sont rendues sur les lieux à l'époque.
Page 1634
1 La description que je vais faire donc des preuves a dû impliquer un
2 certain choix dans la documentation massive qui accompagne cette affaire
3 et dans les dépositions des témoins tout à fait volumineuses; nous avons
4 dû procéder à un choix. Et dans la mesure où je peux ne pas tenir compte
5 d'un aspect particulier de tel ou tel élément de preuve, cela ne veut pas
6 dire que j'en néglige l'importance ou que je le considère comme non
7 important. Donc mes déclarations liminaires doivent être un guide en
8 matière de preuves qui seront montrées.
9 J'aimerais maintenant parler du contexte dans lequel ces événements se
10 sont déroulés, de la chronologie, et de plusieurs thèmes et aspects, des
11 tueries dans les camps, des attaques, et enfin du rôle de Stakic lui-même
12 dans tous ces événements.
13 Je vais commencer donc par le contexte.
14 La municipalité de Prijedor se trouve au nord-ouest de la Bosnie. Je vous
15 renvoie ici à la carte que l'on pourrait peut-être montrer sur le
16 rétroprojecteur.
17 (Intervention de l'huissier.)
18 Messieurs les Juges, vous pouvez voir ici Prijedor marquée en vert et le
19 reste des municipalités avoisinantes.
20 Banja Luka qui était l'une des municipalités de plus grande taille et
21 limitrophe de la municipalité de Prijedor, Banja Luka était en fait le
22 siège du gouvernement serbe pour la partie nord-ouest de la Bosnie.
23 Sanski Most que vous pouvez voir également à proximité abritait une part
24 significative de Musulmans, et comme Prijedor, a été le théâtre de
25 violences extrêmes, de tuerie et de camps. Bosanski Novi, limitrophe à la
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1 Croatie comme Bosanska Dubica et une autre municipalité. Toutes ces
2 municipalités étaient limitrophes de Prijedor. Et Prijedor avait donc une
3 importance du fait de son emplacement, Messieurs les Juges. Vous
4 l'apprendrez notamment au cours des conflits en Croatie, c'est par cette
5 voie que les troupes arrivaient de Banja Luka pour atteindre les zones de
6 conflits armés en Croatie.
7 Le recensement de 1991, et je vous renvoie ici au document 7 qui est le
8 premier des documents que nous vous fournissons… Ce document n'a pas été
9 traduit dans la mesure où les données sont relativement claires. Vous
10 voyez les chiffres de la municipalité de Prijedor; en bas de la page dans
11 la première colonne, vous avez le nombre total d'habitants pour chacune
12 des municipalités; dans la colonne suivante, vous avez la population
13 croate. La troisième colonne, les Musulmans; ensuite les Serbes, les
14 personnes qui se décrivaient yougoslaves et les autres dont des Hongrois
15 et d'autres Européens de l'est ou nationalité d'Europe de l'est.
16 Si l'on se réfère aux chiffres pour Prijedor, on voit que pour la
17 population totale, on a des chiffres pour les recensements de 1971, 1981
18 et 1991. La population totale de la municipalité était de 112.543
19 habitants. Sur ce chiffre total, 6.316 environ étaient croates, 49.351
20 étaient musulmans ou se sont déclarés en tout cas pour le recensement
21 Musulman. 47.581 se sont déclarés comme étant serbes; 6549 Yougoslaves et
22 un peu moins de 3.000, autres nationalités.
23 Donc les Musulmans détenaient une légère majorité et l'emportaient sur les
24 Serbes. Avec les Croates, les Musulmans et les Croates détenaient une
25 claire majorité sur les Serbes.
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1 Et je vous renvoie maintenant à la carte qui s'intitule "Composition
2 ethnique de Prijedor", ou plutôt "Prijedor composition ethnique". C'est
3 une carte qui en fait a été établie par l'accusation et qui vous permet de
4 voir... On pourrait peut-être le mettre sur le rétroprojecteur, même si
5 elle n'apparaît pas entièrement, tout du moins on peut essayer.
6 (Intervention de l'huissier.).
7 Donc, si on peut aller sur le côté de la carte… vous avez ici la
8 répartition en fonction de groupes ethniques en 1991 et les chiffres pour
9 1995, en fait, sont tirés d'un document d'origine serbe. Et l'on voit donc
10 la répartition par groupe ethnique.
11 Excusez-moi, je vous demande de replacer la carte. On peut voir la
12 répartition par groupe ethnique, on voit les villages musulmans,
13 Hambarine, Ljubija, et les villages serbes autour d'Omarska, Petrova… Nous
14 reviendrons à ces noms et ces noms vous sont peut-être déjà connus après
15 la lecture de l'Acte d'accusation, mais nous y reviendrons au moment de la
16 description des événements.
17 Au mois de novembre 1990, les premières élections multipartites ont été
18 organisées dans l'ensemble de la Yougoslavie. En Bosnie, trois parties ont
19 émergé de ces élections: le SDS qui était le parti serbe, le SDA qui était
20 le parti musulman et le HDZ qui était le parti croate.
21 Il y avait d'autres partis de moindre importance qui ont gagné quelques
22 sièges. Dans la municipalité de Prijedor, c'est le SDA qui l'a emporté et
23 a remporté le plus grand nombre de sièges à l'assemblée municipale.
24 L'assemblée municipale était l'instance suprême de la municipalité,
25 l'instance gouvernementale suprême au sein de la municipalité.
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1 Néanmoins, déjà à ce stade précoce, le SDS, en fait, remit en question la
2 répartition des sièges telle qu'elle découlait de ces élections
3 municipales. En 1991, le démantèlement de la Yougoslavie commence à
4 s'amorcer. Le 25 juin 1991, la Slovénie et la Croatie, à la suite d'un
5 référendum organisé dans chacune de leur république respective, déclarent
6 leur indépendance. En Slovénie, la JNA quitte l'armée populaire yougoslave
7 après un conflit armé de 10 jours. Mais en Croatie, le conflit entre la
8 JNA, assisté de plusieurs organisations paramilitaires et les forces
9 croates durent jusqu'au mois de janvier 1992. En conséquence, par la suite
10 de pressions internationales, la JNA se retire et atteint la Bosnie. La
11 guerre en Croatie a eu un impact tout à fait significatif dans la
12 municipalité de Prijedor. En septembre 1991, les organisations
13 territoriales de Prijedor qu'on appelait à l'époque la 5e Brigade de
14 Kozarac, de Partizan Kozara, qui par la suite a été absorbée dans l'armée
15 serbe de Bosnie, la VRS, est mobilisée et déployée vers la Slovénie
16 occidentale, la partie de Croatie proche de la frontière.
17 En outre -comme je l'ai déjà dit-, des troupes qui se déplaçaient d'un
18 lieu vers l'autre passaient par la municipalité de Prijedor. Le SDA en
19 Bosnie ne soutenait pas de manière générale la mobilisation qui a eu lieu.
20 Mais néanmoins, dans la municipalité de Prijedor, un certain nombre de
21 Musulmans ont répondu à l'appel à la mobilisation et ont rejoint les rangs
22 de l'armée.
23 Et le démantèlement, de toute évidence inévitable, de la République
24 fédérale de Yougoslavie était totalement inacceptable pour les Serbes,
25 notamment les Serbes de Bosnie. Et en 1991, sinon plutôt, les Serbes de
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1 Bosnie ont commencé à planifier l'établissement des territoires contrôlés
2 par les Serbes en Bosnie-Herzégovine, dans la région du nord-ouest de la
3 Bosnie qui devait devenir la région autonome de Krajina par la suite et
4 qui incluait la municipalité de Prijedor.
5 En avril 1991, une organisation qui s'appelait "association des
6 municipalités de la Krajina de Bosnie" a été constituée. A première vue,
7 c'était une association dont l'objectif essentiel était la coopération
8 économique et qui était dotée de sa propre assemblée. Mais les
9 municipalités qui ont fait partie de cette association étaient en fait
10 dirigées par une population essentiellement serbe.
11 La décision de rejoindre l'association devait être prise par chacune des
12 assemblées municipales. Or, l'assemblée municipale de Prijedor n'avait pas
13 de majorité serbe et donc n'a pas fait partie de cette association des
14 municipalités à stade, en 1991.
15 En septembre 1991, les objectifs de cette association étaient devenus
16 beaucoup plus clairs dans la mesure où cette association s'est transformée
17 en "région autonome de la Krajina" et en "assemblée de la région autonome
18 de la Krajina".
19 Le 24 octobre 1991, les Serbes de Bosnie, par le truchement de leurs
20 dirigeants, ont mis en place l'assemblée du peuple serbe de la Bosnie-
21 Herzégovine. Et l'une des premières mesures mise en place par cette
22 assemblée a constitué à convoquer un plébiscite des Serbes en Bosnie pour
23 leur poser la question de savoir s'ils voulaient demeurer dans l'Etat
24 fédéral yougoslave.
25 Ce plébiscite a eu lieu les 9 et 10 novembre 1991. Les résultats de ce
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1 plébiscite publiaient par le SDS étaient majoritairement favorable à
2 l'idée qu'ils demeureraient dans l'Etat fédéral yougoslave. Et le 21
3 novembre 1991, l'assemblée adopte une résolution déclarant que tous les
4 territoires où des Serbes s'étaient prononcés en faveur du maintien au
5 sein de la Yougoslavie faisaient partie de la fédération yougoslave.
6 Et à cette date, on peut également vérifier que les cinq régions autonomes
7 serbes –bon, là encore c'est un titre en langue de Bosnie-, donc que ces
8 cinq régions autonomes qui avaient été déclarées incluaient la Krajina. Et
9 je dois rajouter ici que Krajina veut dire simplement "frontière" en
10 langue de Bosnie. Et donc il y avait la Krajina en Bosnie et il y avait
11 aussi la Krajina en Croatie que l'on connaît sous le sigle RSK.
12 Le 9 janvier 1992, l'assemblée proclame la République serbe de Bosnie-
13 Herzégovine. Cette entité consistait en régions autonomes, une série de
14 régions autonomes et d'autres régions ethniques serbes.
15 Comment ces autres régions ethniques serbes étaient-elles définies? Eh
16 bien, comme les régions où les Serbes s'étaient prononcés en faveur du
17 maintien dans la Yougoslavie et les régions où les Serbes étaient
18 minoritaires en conséquence du génocide qui avait été perpétré à leur
19 rencontre au cours de la Deuxième Guerre mondiale.
20 Et cela semble avoir un impact sur la municipalité de Prijedor qui a fait
21 l'objet d'atrocités au cours d'une guerre qui s'était achevée près de 50
22 ans plus tôt. Dans la municipalité de Prijedor, à la suite des élections
23 multipartites organisées en 1990, Musulman, Muhamed Cehasic, membre du SDA
24 -je ne sais pas si je prononce son nom correctement-, est élu président de
25 l'assemblée, l'accusé et élu vice-président de l'assemblée, et Milan
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1 Kovacevic devient président du comité exécutif de l'assemblée, comité
2 exécutif doté de pouvoirs considérables. D'autres nominations, notamment
3 celles liées aux fonctions de police, étaient des sources de frictions
4 constantes entre le SDS et le SDA.
5 Au mois de septembre 1991, un homme dont le nom est Simo Miskovic est élu
6 président du SDS à Prijedor, et Stakic est nommé vice-président. Le 20
7 septembre, le SDS publie une déclaration dans laquelle le SDA est accusé
8 de collusion avec le MUP, le ministère de l'Intérieur, à Sarajevo. Donc de
9 collusion pour faire passer des armes dans Kozarac au moment où le SDA
10 détenait un contrôle provisoire sur toutes les positions de police. Et
11 Kozarac étant définie, en fonction de cette thèse, comme une zone
12 musulmane particulière. Stakic, lui-même, prétendait qu'il y avait une
13 majorité serbe, si l'on tenait compte de la municipalité de Prijedor et
14 des trois municipalités avoisinantes.
15 L'accusation montrera au moyen de preuves que l'engagement de Stakic vis-
16 à-vis des Serbes, du SDS, de leur idéologie et de leur plein (phon) était
17 total. Le 19 décembre 1991, le SDS publie un document qui s'intitule
18 "Instruction pour l'organisation et l'activité des organes du peuple serbe
19 de Bosnie-Herzégovine". Et ce document est connu par la suite sous le nom
20 d'option A et option B.
21 Et cela vaut la peine de se pencher sur ce document, je vous renvoie au
22 document 201… non excusez-moi, Messieurs les Juges, excusez-moi, c'est un
23 document que j'ai oublié mais j'aimerais vous dire la chose suivante et
24 j'y reviendrai après la pause, je crois que c'est important que vous
25 examiniez ce document.
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1 Il y a un nombre de versions différentes de ce document particulier. Avez-
2 vous le document 39? Fort bien. Il avait dû sortir de mon dossier. Il y a
3 un certain nombre de versions différentes de ce document, versions qui ont
4 été acquises par le Bureau du Procureur, et le document qui a été
5 communiqué, et qui est d'ailleurs contenu dans le rapport du docteur
6 Donia, est en fait le document 96. Mais l'exemplaire 100 est de meilleure
7 qualité, enfin dans sa traduction.
8 Et les raisons pour lesquelles il y a plusieurs versions, c'est que ces
9 documents étaient de toute évidence distribués -et je vais expliquer les
10 raisons pour lesquelles c'était le cas dans un moment- aux différents
11 conseils locaux du SDS.
12 Messieurs les Juges, si vous regardez la première page de ce document,
13 vous verrez qu'au paragraphe 2, on parle des tâches et mesures et autres
14 activités décrites dans cette instruction qui doivent être mises en place
15 pour accroître l'état de préparation du peuple serbe et le rendre prêt à
16 défendre ses intérêts. Les tâches, mesures et autres activités décrites
17 dans ces instructions doivent être mises en œuvre sur l'intégralité du
18 territoire de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire dans
19 l'ensemble des municipalités habitées par la population serbe.
20 C'est-à-dire dans leur intégralité, les municipalités où les Serbes sont
21 une majorité -option A-, et partiellement dans des municipalités où les
22 Serbes ne sont pas majoritaires -option B-; et la municipalité de Prijedor
23 relevait de l'option B.
24 Paragraphe 4: "Afin de veiller à la mise en oeuvre uniforme et opportune,
25 les tâches, mesures et autres activités seront mises en oeuvre le cas
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1 échéant selon l'option A ou l'option B en deux étapes."
2 Et puis, je vous renvoie donc à l'option B dont la description commence à
3 la page 5 de ce document. Il y est défini "La première étape de la mise en
4 oeuvre des activités avec nomination d'effectifs qui fonctionnent en
5 équipe 24 heures sur 24 au sein des conseils municipaux du SDS."
6 3. "Le conseil municipal du SDS constituera immédiatement une cellule de
7 crise des peuples serbes dans la municipalité; cellule de crise qui sera
8 composée de…" Puis, vous avez ensuite la composition de la cellule de
9 crise, et vous voyez: "Le président du conseil municipal du SDS sera
10 commandant de la cellule de crise."
11 Par la suite, il est dit: "Le commandant nommera un membre de la cellule
12 de crise qui sera chargé de coordonner les relations avec les dirigeants
13 municipaux du SDA et du HDZ". (Fin de citation.)
14 Il semble que cela ne s'est jamais produit.
15 Paragraphe 4, des instructions: convoquer et proclamer une assemblée du
16 peuple serbe de la municipalité, composée des membres de l'assemblée serbe
17 au sein de l'assemblée municipale et de présidents des conseils du SDS
18 locaux. Puis, il y est décrit la mise en place des organes d'état au sein
19 de la municipalité au paragraphe 5; préparer le remplacement du personnel
20 et l'équipement des services de sécurité.
21 Au point 6: mettre en place des entrepôts et des zones de stockage et des
22 dépôts dans les communautés locales, secrets, des endroits peuplés d'une
23 majorité serbe. On peut supposer que ce sont des entrepôts d'armes
24 secrets.
25 Ensuite à la fin du paragraphe 6: "La cellule de crise aura autorité
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1 exclusive sur l'organisation et le contrôle de ses tâches." (Fin de
2 citation.)
3 Si l'on en vient ensuite à la deuxième étape de ces activités et mesures:
4 Convoquer une session de l'assemblée municipale serbe.
5 Au paragraphe 2: "Mobiliser tous les membres serbes des forces de police
6 et, en coopération avec le commandement et l'état-major de la JNA, assurer
7 leur mise en place progressive ou leur remise en place progressive". (Fin
8 de citation.)
9 Puis paragraphe 6: "A l'approche d'endroits habités par des Serbes,
10 organiser une surveillance secrète et mettre en place un système
11 permettant de donner l'alerte sur toutes les menaces qui pourraient planer
12 sur la population serbe." (Fin de citation.)
13 En ce sens, planifier des mesures de protection adéquates et se préparer à
14 un transfert éventuel de la population et de biens matériels vers des
15 régions plus sûres.
16 Enfin, au paragraphe 7: "Mesures de défense spécifiques à être mises en
17 place dans les municipalités où les Serbes ne sont pas une majorité
18 relèvent de la municipalité de la cellule de crise qui devra maintenir un
19 contrôle constant sur la situation au sein de la municipalité, tout en
20 suivant de près les évolutions politiques militaires et les évolutions en
21 matière de sécurité à plus vaste échelle. La cellule de crise mettra aussi
22 en place des activités. Comment interpréter ce terme? La cellule de crise
23 devrait également mettre en place et mener des activités appropriées en
24 fonction de toute situation et de son évolution.
25 Comment cela a été interprété à Prijedor? Messieurs les Juges, vous le
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1 verrez, cela veut dire la prise de contrôle par le SDS de tous les organes
2 d'autorité au sein de la municipalité.
3 Comme je l'ai dit, Messieurs les Juges, ce document donc a été distribué à
4 différents conseils municipaux du SDS et vous le verrez clairement sur le
5 document suivant, le document 40 qui est, en fait, un extrait d'un recueil
6 de comptes rendus des réunions des conseils municipaux du SDS. Ce conseil
7 municipal-là a eu lieu le 27 décembre 1991.
8 Et l'on peut y voir sur ce document que l'ordre du jour fixé pour la
9 réunion avait pour premier point la mise en oeuvre des décisions et des
10 positions adoptées par l'assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine.
11 Et au point 1.1), président du conseil municipal de Prijedor du SDS, on
12 peut voir: "Le président Miskovic a ensuite donné lecture des instructions
13 transmises au conseil municipal de Prijedor du SDS par l'assemblée serbe".
14 Ensuite on voit la liste des instructions, établissement d'une assemblée
15 du peuple serbe à Prijedor, mobilisation de la police de la police, de la
16 TO, sécurité pour les installations importantes. Là-dessus, il n'y a aucun
17 doute, et je le dis, Messieurs les Juges, dans la mesure où ce point a
18 fait l'objet d'arguments dans d'autres lieux de cette auguste enceinte.
19 L'option 2b) est ensuite biffée. Première option, donc après la
20 présentation des instructions, Miskovic a résumé ce qui a été fait dans ce
21 domaine et l'on voit à la page suivante: "L'objectif de la constitution
22 d'une cellule de crise et de cellule de crise locale a été expliqué ainsi
23 que son sens." Il est dit plus loin: "Composition de la cellule de crise".
24 Il est dit également: "Le Président du conseil municipal du SDS est le
25 commandant de la cellule de crise." Et enfin: "On prévoit la date de la
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1 session de l'assemblée du peuple serbe de Prijedor et, Stakic" -donc c'est
2 clair il était là- "suggère le 3 janvier…" Visiblement il y a divergence
3 de vue sur les dates, et en bas de la page, on voit donc: "Les personnes
4 qui doivent mettre en place des comités, comités des affaires sociales,
5 Milomir Stakic.".
6 Alors Monsieur le Président, la question de la discussion concernant la
7 date à laquelle cela devait avoir lieu pour nous rapprocher de la solution
8 de M. Pucac (phon) puisqu'on a parlé ensuite d'une proclamation le 7
9 janvier, la première réunion de l'assemblée serbe de Prijedor s'est réunie
10 le 7 janvier 1992. Il est nécessaire de souligner que cela n'était pas une
11 assemblée élue; elle s'est constituée en parallèle et en opposition au
12 conseil municipal, à l'assemblée municipale qui était élue.
13 L'assemblée serbe a élu Stakic comme son premier président. On ne sait pas
14 très bien pourquoi cela n'était pas Miskovic, on le verra plus tard. Et
15 l'une des premières choses que l'assemblée fait le 17 janvier -ceci figure
16 dans le document 69- était de rendre une décision visant à s'unir avec la
17 région autonome de la Krajina Bosanska. L'assemblée du peuple serbe de la
18 municipalité de Prijedor prend à l'unanimité la décision d'unir les
19 territoires serbes de la municipalité de Prijedor à la région autonome de
20 Bosanska Krajina. Et c'est signé -sur l'original, il y avait un tampon-,
21 c'était signé par l'accusé.
22 A partir de là, c'est-à-dire janvier 1992, les tensions ethniques à
23 Prijedor ont commencé à monter, ces tensions étaient alimentées par des
24 discours prononcés par des policiers du SDS, y compris Stakic. Et la
25 propagande était diffusée sur la télévision et sur la radio. Or, au mois
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1 d'août 1991, les émetteurs de la télévision sur Kozara avaient été saisis
2 par des Serbes bosniens, des extrémistes bosniens serbes qui comprenaient
3 une figure relativement connue, un groupe de criminels paramilitaires qui
4 s'appelaient les "Loups de Vucak, appelé Milankovic.
5 A la suite de cette saisie de l'émetteur, aucune émission ne pouvait plus
6 être reçue dans le secteur de Prijedor ainsi que dans de nombreux autres
7 secteurs, y compris Banja Luka, de Sarajevo, ou que ce soit ailleurs,
8 autrement que dans les zones contrôlées par les Serbes telles que
9 Belgrade, Banja Luka proprement dite, et Novi Sad. Et ce qui était tiré de
10 la télévision et de la radio était de la propagande visant à ce que les
11 Serbes ordinaires étaient sous la menace d'un génocide et de tuerie par
12 leurs voisins non serbes.
13 Les témoins vous diront, Messieurs les Juges, que la montée en puissance
14 d'activités militaires dans ce secteur… des armes, des armements ont été
15 fournis à des villages serbes et des secteurs serbes dans la municipalité.
16 Un référendum a eu lieu en février 1992 dont l'objet était d'obtenir un
17 assortiment concernant la déclaration d'un Etat serbe indépendant. Le SDS
18 avait donné pour instruction aux Serbes de boycotter ce référendum, et
19 pour la plupart ils l'ont fait, et le résultat de ce référendum a été un
20 vote en faveur de cette déclaration d'indépendance. Et ceci a encore
21 alimenté les foyers qui étaient attisés dans la zone de Prijedor.
22 En mars et en avril 1992, des points de vérification, des check-points
23 serbes ont commencé à se constituer dans la municipalité, et l'étincelle
24 finale qui a mis le feu aux poudres -et on sait le contenu- concernait la
25 reconnaissance de cette indépendance de la Bosnie le 6 avril 1992. Il n'a
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1 pas fallu longtemps pour que cette étincelle conduise à des activités en
2 plein développant. Le 3 avril 1992, les Serbes se sont emparés du pouvoir
3 à Prijedor. Les policiers non serbes ont été obligés de rendre leurs armes
4 à leurs collègues serbes, les drapeaux serbes ont été placés sur les
5 bâtiments officiels et Radio Prijedor a transmis la nouvelle que les
6 Serbes avaient pris la municipalité, un peu comme les fous qui prendraient
7 leur asile.
8 Stakic, accompagné par des hommes en uniforme, s'est rendu à la station
9 radio pour expliquer que le SDS s'était emparé du pouvoir, et le même
10 jour, il a été annoncé qu'une cellule de crises avait été formée à
11 Prijedor et serait responsable de toutes les activités. Ceci n'était
12 qu'une déclaration, une annonce formelle d'un événement qui, en fait,
13 avait déjà eu lieu plus tôt mais qui, à ce moment-là, avait été confiné au
14 SDS.
15 Alors, parce que le fait qu'une cellule de crise revêt une telle
16 importance, il faudrait donner quelques explications pendant quelques
17 minutes, expliquer ce que c'est une cellule de crise et je ne sais pas,
18 Messieurs les Juges, à quel moment vous souhaiteriez faire une suspension.
19 Maintenant peut-être maintenant.
20 M. le Président (interprétation): Hors micro.
21 Je vous remercie. Je pense que nous pouvons maintenant suspendre la séance
22 pendant 20 minutes et nous pourrons reprendre à 12 heures 05. je vous
23 remercie.
24 (L'audience, suspendue à 11 heures 45, est reprise à 12 heures 08.)
25 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, j'allais traiter de la
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1 question des cellules de crise, ce qu'elles représentaient ou ce qu'elles
2 semblaient être. Nous avons vu que les options A et B donnaient pour
3 instruction au conseil du SDS de constituer les cellules de crises et nous
4 avons vu la mise en oeuvre de cela à Prijedor.
5 En fait, ces instructions étaient suivies par les chefs SDS dans toutes
6 les municipalités de la RAK, ainsi qu'au niveau régional de la région
7 autonome de la Krajina.
8 A divers stades, ces cellules de crise ont été renommées "cellules de
9 guerre" ou "présidence de guerre" mais l'organe était le même, et nous
10 parlerons essentiellement de la cellule de crise de Prijedor. La notion de
11 cellule de crise semble être dérivée des lois concernant la défense
12 nationale qui avait été promulguée à la fois dans la République fédérale
13 de Yougoslavie et dans la Bosnie elle-même. Et ceci permettait qu'un tel
14 organe, ou qu'une présidence, puisse accomplir toutes les fonctions, tous
15 les actes nécessaires qu'une assemblée aurait normalement rencontrés
16 pendant -je cite-: "Un état de guerre ou dans l'éventualité d'un danger de
17 guerre immédiat". (Fin de citation.)
18 Alors, une fois que l'état d'urgence ou de guerre prenait fin par exemple
19 -un exemple que les témoins connaissent comme un tremblement de terre dans
20 la région de Banja Luka en 1969-, c'était donc une question d'urgence
21 nationale, une cellule a été constituée pour y faire face. Mais une fois
22 que la situation de guerre ou d'urgence était terminée, tout décret pris
23 par cette présidence de guerre ou cellule de crise devrait être soumis à
24 l'assemblée, dès que celle-ci se réunirait à nouveau pour être ratifiée.
25 Et ça, effectivement, c'est ce que s'est passé en l'occurrence dans ce
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1 cas. Lorsque la cellule de crise avait pris des décisions, elles ont été
2 soumises à l'assemblée municipale serbe pour vérification ou ratification
3 mais aussi au niveau régional; l'assemblée de la région autonome de
4 Krajina a été priée de ratifier des décisions prises par la cellule de
5 crise à Krajina.
6 Les cellules de crises qui étaient constituées consistaient en des membres
7 qui étaient pris sur l'assemblée et d'autres notabilités. Si l'on regarde
8 le document 168; je demanderai à l'huissier de le placer sur le
9 rétroprojecteur.
10 (Intervention de l'huissier.).
11 Voilà… afin que l'accusé puisse voir. Ceci a été publié dans la Gazette
12 officielle de la municipalité de Prijedor et a trait à une réunion du 22
13 mai 1992. La décision concernant les nominations à la cellule de crise
14 municipale de Prijedor, les personnes suivantes dont nommés au poste de
15 président et vice-président et de membres de la cellule de crise
16 municipale de Prijedor: poste de président, M. Stakic; président de
17 l'assemblée de municipale de Prijedor, c'est-à-dire assemblée serbe, vice-
18 président, M. Savanovic qui était vice-président de l'assemblée municipale
19 de Prijedor et comme membre, M. Milan Kovacevic, président du comité
20 exécutif de la municipalité de Prijedor. Au poste de membre, Slobodan
21 Kurusovic, commandant de l'état-major de la Défense territoriale
22 municipale. Là encore, on le retrouvera à propos des camps. Bosko Mandic,
23 commandant de l'état-major de la défense civile de Prijedor; un autre
24 poste de membre: Drljaca, chef de la section de sécurité publique de
25 Prijedor. Slavko Budimir, secrétaire du secrétariat municipal pour la
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1 défense populaire et ainsi de suite.
2 Et à la deuxième page de ce document, on peut voir que ce document a été
3 signé par M. Stakic. Oui, je vous remercie.
4 (Intervention de l'huissier.).
5 Les militaires ou les membres militaires, s'ils n'étaient pas
6 officiellement membres… Pardon, la cellule de crise de Prijedor jouait un
7 rôle dans les réunions. Le personnel de la cellule de crise de la région
8 automne de Krajina et toutes les cellules de crise municipales étaient
9 inextricablement liés dans une relation de symbiose.
10 Le 18 mai 1992, je vous renvoie au document 166… Si vous l'avez, il n'est
11 peut-être pas nécessaire de le mettre sur rétroprojecteur. Vous pourrez
12 voir, Messieurs les Juges, un titre qui indique "conclusion".
13 Et au point 2 de ces conclusions, il est dit que les cellules de crises
14 sont maintenant les organes les plus élevés pour ce qui est de l'autorité
15 dans les municipalités. Et cette décision a été signée par le président de
16 la cellule de crise, Radoslav Brdjanin. C'était l'exception à la règle
17 selon laquelle le chef de l'assemblée serbe constituée devenait président
18 de la cellule de crise, parce qu'en fait il aurait été le vice-président
19 de l'assemblée de la région autonome.
20 Le 18 mai donc la cellule de crise, ou les cellules de crises ont été
21 déclarées comme étant les autorités suprêmes. Et si l'on regarde le
22 document suivant, le 176, qui comporte également des conclusions
23 auxquelles on était parvenus le 26 mai 1992, au sein de la cellule de
24 crise de la région autonome, à la conclusion n°1, il ai dit que les
25 travaux de la cellule de crise de la région autonome de la Krajina ont le
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1 plein et entier appui. Puisqu'il s'agit de l'autorité la plus élevée de la
2 région autonome de la Krajina, puisque l'assemblée de la région autonome
3 de la Krajina ne peut pas fonctionner en raison de circonstances
4 objectives et subjectives. Les décisions de la cellule de crise s'imposent
5 à toutes les cellules de crise dans les municipalités. Ces décisions de la
6 cellule de crise seront soumises pour vérification à l'assemblée de la
7 région autonome de la Krajina dès qu'il sera possible de la réunir.
8 La cellule de crise de la RAK a émis des instructions pour les cellules de
9 crise municipales, et, à leur tour, les cellules de crise municipales
10 donnaient leurs propres instructions. La nature des relations entre les
11 cellules de crise et les autres organes de gouvernement: on peut les voir
12 par exemple dans un autre document, le document 169 qui est un document
13 envoyé par le centre de service de sécurité de Banja Luka. C'est une
14 dépêche qui est adressée à tous les chefs de département, de secteur ou
15 centre de sécurité et à tous les centres de sécurité de la région, sauf
16 Jajce. La raison étant que Jajce était contrôlée par les Musulmans.
17 Un traité de conclusions auquel on était parvenu le 6 mai 1992 et auquel
18 avaient participé -si on regarde la première page du document- auquel
19 avaient participé les chefs, un certain nombre de personnes, on voit vers
20 la huitième ligne le mot "Prijedor" pour la municipalité.
21 Ce document qui a été signé par Stojan Zupljanin, chef du centre CSB,
22 comporte un paragraphe, le n°23 -il faut aller à la page 6 du document- où
23 on peut lire, -je cite-: "Dans toutes nos activités, nous devons observer
24 toutes les mesures prescrites et appliquer toutes les procédures
25 prescrites de la cellule de crise de la région autonome. En ce qui
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1 concerne le désarmement, lorsque le moment sera venu pour la date limite
2 pour rendre toutes les armes, qui expire le 11 mai 1992, nous devrons nous
3 abstenir de faire quoi que ce soit à ce sujet en attendant que la cellule
4 de crise prenne les décisions voulues.".
5 Il appartient aux thèses de l'accusation que cet ordre de rendre les armes
6 en termes non spécifiques visait uniquement la population non serbe. Et
7 c'est cette directive qui en fait donnait l'excuse pour les Serbes de
8 commencer une attaque contre les villages non serbes et les régions non
9 serbes. C'est ce qui a servi d'excuse.
10 La hiérarchie publique, régionale, de la République à la région, de
11 l'autorité municipale, n'était pas aussi rigide qu'on pourrait le penser,
12 en tout cas au niveau de la République. Il y avait encore une voie
13 hiérarchique, une chaîne de commandements depuis le ministère de
14 l'Intérieur, la police et les instances du même genre, mais quelque chose
15 de la nature des cellules de crise peut être vue dans les instructions que
16 la cellule de crise de la municipalité de Prijedor a données en juin 1992
17 pour la création et le fonctionnement de la cellule de crise locale dont
18 on trouve mention dans les options A et B d'origine.
19 Pour l'accusation, ceci démontre clairement le degré de contrôle qui était
20 exercé par l'organe, qu'on appelait la cellule de crise locale. A la
21 première page, il y a les dispositions générales qui disent: "Les cellules
22 de crise, où elles doivent être constituées dans les différentes zones et
23 villages.".
24 Puis à la page 3, on peut voir: "Les droits et obligations qui, par
25 déduction, sont les mêmes que celles qui étaient mises en oeuvre à un
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1 niveau supérieur au niveau municipal pour exercer une autorité de
2 coordination, une protection effective et une défense effective du
3 territoire local, contrôler la sécurité du territoire, maintenir une
4 synchronisation constante et une organisation constante des mesures et des
5 actions prises par les forces militaires et de police dans le secteur,
6 développer les formes et méthodes d'information et d'activités de
7 propagande politique, organiser et faire refleurir l'économie et ainsi de
8 suite".
9 (Note de l'interprète: relancer l'économie.)
10 Au paragraphe 8, à la page 4: "Les cellules de crise locales doivent
11 rendre compte à la municipalité de Prijedor et la garder constamment
12 informée de la situation et des problèmes rencontrés sur place et dans
13 leurs travaux."
14 Et là encore par extension, la municipalité de Prijedor rendait compte à
15 la cellule de crise de la RAK.
16 Au paragraphe 11: "La cellule de crise locale doit effectuer d'autres
17 tâches conformément aux décisions et autres documents adoptés par
18 l'assemblée, la présidence, le gouvernement de la République serbe, les
19 organes compétents de la région autonome de Krajina et la municipalité de
20 la cellule de crise de la municipalité de Prijedor".
21 Il est ensuite donné la composition de la cellule de crise locale.
22 A la page suivante, on voit: "Les obligations de la cellule de crise
23 locale où il y a indication de la présidence de la cellule de crise, mise
24 en oeuvre et coordination, adoption de conclusions, établissement de
25 contacts avec la municipalité, le fait de donner des informations, mise en
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1 oeuvre de ses décisions, conclusions et ordonnances ou ordres et ainsi de
2 suite."
3 Une petite suggestion qui pourrait être faite, selon laquelle le chef de
4 la cellule de crise n'avait pas de pouvoir, selon l'accusation, est dénuée
5 de tout fondement et n'aurait pas de sens.
6 Messieurs les Juges, je pourrai maintenant passer aux événements
7 brièvement qui ont eu lieu à la municipalité de Prijedor. Au cours des
8 semaines qui ont suivi la prise, le 30 avril, de la radio, Radio Prijedor,
9 on a constamment diffusé que les non-Serbes identifient leur maison en
10 mettant à l'extérieur quelque chose de blanc, une marque blanche. Les non-
11 Serbes, à la suite des ordres qui avaient été donnés par la cellule de
12 crise de la région autonome et qui avaient été répétés et renforcés par la
13 cellule de crise de Prijedor, ont reçu l'ordre de rendre toutes les armes
14 qui avaient en leur possession, y compris les armes pour lesquelles ils
15 avaient un permis. Cet ordre n'avait pas été mis en oeuvre pour ce qui est
16 des Serbes. Ils ont pu conserver leurs armes, et plus encore, on leur en
17 fournissait de nouvelles.
18 La liberté de mouvement pour les non-Serbes est devenue de plus en plus
19 restreinte, les licenciements de personnel non serbe, de leurs employeurs
20 ont eu lieu de façon de plus en plus fréquente, et il y avait notamment ce
21 qui semblait être un objectif: ceux qui étaient des cadres ou des
22 gestionnaires, on les remplaçait par des Serbes qui avaient spécifiquement
23 pour instruction de suivre ce que disait la cellule de crise de Prijedor
24 et de fournir des renseignements sur ce qu'on appelait le "lissage des
25 cadres".
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1 Si vous voyez le document 1627, semble-t-il, en fait, c'étaient des
2 conclusions signées cette fois-ci par le président du comité exécutif,
3 Milan Kovacevic, il semble que certains pouvoirs aient été délégués au
4 comité exécutif. Et on y voit que: "Les directeurs nouvellement nommés,
5 les directeurs par intérim des sociétés doivent informer les comités
6 exécutifs des modifications en ce qui concerne la production et les
7 finances et le lissage du personnel". C'était un autre euphémisme pour
8 vouloir dire en fait le renvoi, le licenciement d'employés non serbes.
9 Il est devenu clair pour la population non serbe que, pour le moins, ils
10 étaient en danger. Dans la région de Kozarac, là encore, il faut regarder
11 la carte où il y avait essentiellement une population musulmane, il y a eu
12 refus de remettre leurs armes parce qu'ils craignaient, comme ceci s'est
13 révélé justifié qu'ils étaient en danger d'être attaqués.
14 Le 22 mai, il y a eu un incident bref mais violent. Les Musulmans
15 répondant à un check-point serbe, dans la crainte d'être attaqués, avaient
16 constitué par eux-mêmes un check-point à une des entrées du village de
17 Hambarine, et pendant cet incident deux Serbes ont été tués et d'autres
18 ont été blessés.
19 Et à la suite de cela, un ultimatum a été lancé par des fonctionnaires
20 serbes, y compris par Stakic, que toutes les armes devaient être remises à
21 Hambarine et dans les villages avoisinants, et si ce n'était pas fait les
22 forces serbes ouvriraient le feu avec tous les moyens à leur disposition.
23 A Hambarine, la décision a été prise de ne pas obéir à cet ultimatum. Et
24 de ce fait le 23 mai 1992, il y eut une série d'attaques qui commencèrent.
25 Hambarine a été pilonnée par de l'artillerie, des maisons civiles ont reçu
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1 des obus de tanks et les mosquées ont été prises pour cible.
2 Après le bombardement d'artillerie, des troupes consistant en militaires,
3 en policiers, en unités paramilitaires sont entrées dans le secteur le
4 jour suivant, et systématiquement ont mis au pillage les maisons et les
5 ont incendiées. Les occupants ont été volés, un grand nombre a été tué;
6 ceux qui s'enfuyaient ont été poursuivis et tués ou fait prisonniers.
7 Cette attaque, comme je l'ai dit, était la première parmi un grand nombre
8 d'attaques qui ont eu lieu dans cette municipalité.
9 Le village, la ville de Kozarac a reçu le même type d'ultimatum: "Rendez
10 vos armes, remettez vos armes". Le 24 mai, elle a été pilonnée pendant
11 pratiquement deux jours. Le bombardement a été suivi par l'entrée de
12 troupes avec un pillage et un massacre d'une population qu'on avait réuni
13 et le centre médical de Kozarac était également pris pour cible. Ce qui
14 s'est passé à Kozarac a servi d'exemple pour le reste du monde. Quelle
15 était la nature de ces attaques à Prijedor comme à Omarska et Trnopolje
16 qui devaient être des exemples des camps qui avaient été constitués.
17 En novembre 1992, une organisation nouvelle américaine ABC News a diffusé
18 un programme qui s'appelait "Bosnie et les horreurs cachées" et a envoyé
19 un reporter dans la région de Kozarac. Si vous voulez bien voir maintenant
20 une brève prise de vue vidéo.
21 (Diffusion d'un extrait de cassette vidéo non traduite.)
22 (Fin de la diffusion.)
23 L'accusation affirme que ce que disait ce journaliste était tout à fait
24 exact, à savoir que les maisons qui avaient été désignées comme étant des
25 maisons serbes ont survécu, celles qui n'étaient pas ont été détruites,
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1 soit par pilonnage ou par ce qui s'est passé après les pilonnages.
2 Parallèlement, vers le 24 mai, un autre village principalement musulman,
3 celui de Kamicani a aussi été l'objet d'attaque. Les maisons ont été
4 incendiées et au moins huit hommes et femmes musulmans sans armes ont été
5 tués. Il y a eu une certaine forme de résistance, un certain degré de
6 résistance face à ces attaques et c'était là une résistance assez
7 négligeable. Les Musulmans et les Croates n'avaient que des moyens limités
8 en matière d'armes et les forces utilisées contre ces villages étaient
9 tout à fait disproportionnées par rapport à la résistance qui a été ou qui
10 aurait pu être opposée à ces attaques.
11 On peut supposer qu'à la suite de ces attaques, le 21 mai, un petit groupe
12 de résistance a été formé qui se composait approximativement et là nous
13 avons des chiffres obtenus à la suite d'interrogatoires menés par les
14 Serbes. Apparemment une centaine de personnes auraient tenté de reprendre
15 le contrôle de la ville de Prijedor. Cette tentative était vouée à
16 l'échec. Il a été facile de repousser cette attaque, les unités militaires
17 et policières serbes s'en sont chargées et c'était l'excuse idéale dont se
18 sont servies les autorités serbes pour accélérer la campagne visant à
19 vider la zone de Prijedor, de la ville de Prijedor de sa population non
20 serbe.
21 Cette zone dont je parle c'est la zone de Starigrad. Je ne sais pas si
22 vous disposez déjà d'une copie du plan de la ville de Prijedor où il y a
23 quelques photographies qui ont été ajoutées. Je vais demander à l'huissier
24 qu'il vous les remettre.
25 (Intervention de l'huissier.)
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1 Vous allez le constater, Messieurs les Juges. Là, j'essayais de vérifier
2 exactement où se trouvait l'endroit que je vais vous montrer. Excusez-moi,
3 voyez cette indication, si vous examinez le plan, vous verrez que c'est le
4 long de la rivière qui traverse Prijedor, près de la salle des sports. Et
5 puis il y a une photographie aérienne. Starigrad, cela veut dire "La
6 vieille ville". Aussitôt après l'attaque menée sur Prijedor, les hommes,
7 les femmes et les enfants non serbes ont été arrêtés et emmenés dans des
8 installations de détention. Les bâtiments ont été pillés et une fois de
9 plus soumis à l'incendie. Les mosquées ont été attaquées. La plus grande
10 partie de Starigrad a été pratiquement détruite. Chaque mosquée de
11 Prijedor, toutes les mosquées de Prijedor ont été détruites.
12 Je devrais vous dire ceci, Messieurs les Juges, à l'exception de la
13 photographie de Starigrad, ces photographies qui figurent sur le plan ont
14 été prises au cours des 18 derniers mois, elles ne vous montrent pas
15 l'état dans lequel se trouvait la ville au moment des faits. Les attaques
16 se sont poursuivies pendant tout l'été 1992. Un nombre important de ces
17 attaques s'est déroulé au cours du mois de juillet 1992 et avait pour
18 cible aussi bien des zones musulmanes que croates. Et la structure
19 utilisée pour ces attaques était la reproduction, la réplique de ce qui
20 s'était fait aux mois de mai et de juin. D'abord pilonnage, suivi de
21 pénétration des troupes, avec arrestations et assassinats. Ces attaques
22 étaient le fait physique de membres de l'armée, de la police, de
23 formations paramilitaires, et dans une certaine mesure de Serbes qui se
24 sont simplement rattachés à ces formations.
25 Quant aux ordres à proprement parlé d'envoi de troupes sur les lieux avec
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1 le système qui était en vigueur à l'époque, ces ordres n'auraient pu être
2 donnés qu'au sein de la voie hiérarchique militaire. A partir du 22 mai
3 1992, Prijedor se trouvait sous le commandement du général Talic et du 1er
4 Corps de la Krajina.
5 Cependant, il apparaît clairement à l'examen des moyens de preuve que les
6 autorités politiques et militaires agissaient de concert, ces autorités
7 partageaient un seul et même objectif. Les ordres d'entrée, de pénétration
8 venaient de la chaîne de commandement militaire mais pour ce qui est de
9 l'initiative, à notre avis, dans bien des cas, pour ne pas dire dans tous
10 les cas, cette initiative provenait de la branche politique.
11 L'objectif, tous le partageaient, que ce soit la police, les politiques,
12 c'était viser à l'éradication de la population non serbe de la
13 municipalité de Prijedor. Ceux qui n'ont pas été tués, ont été placés en
14 détention. Je vais donc maintenant parler des camps.
15 Au cours du printemps et de l'été 1992 jusqu'à la fin du mois d'août, des
16 milliers de non-Serbes, que ce soit des hommes, des femmes ou des enfants
17 qui avaient moins de 18 ans, ont été expulsés de leur foyer avant et après
18 les attaques, ont été emmenés -comme j'ai déjà dit-, dans un de ces camps
19 de détention ou de rassemblement, quel que soit le terme qu'on donne à ces
20 camps.
21 De ces camps, le plus tristement célèbre était bien sûr celui d'Omarska,
22 camp établi dans un complexe minier aux abords de Prijedor. Vous aurez vu
23 une photographie aérienne sur le plan que vous venez de recevoir. Il y
24 avait aussi le camp de Keraterm qui, lui, avait été installé dans une
25 ancienne faïencerie à Prijedor même. Là aussi, vous avez une photographie
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1 aérienne de ce camp, c'est la photographie n°7. Il y avait aussi le camp
2 de Trnopolje; Trnopolje étant un village proche de Kozarac. Vous le voyez
3 à la photographie n°5.
4 Ces camps et leur établissement étaient le résultat des ordres directs
5 émis par la cellule de crise de Prijedor. Il suffit d'examiner le document
6 qui porte la cote 200 pour s'en convaincre. C'est l'ordre officiel en date
7 du 31 mai 1992, et ici en fait, il porte la signature du chef de la
8 sécurité publique Simo Drljaca.
9 Au point 1, on dit que: "Le complexe industriel de la mine d'Omarska
10 servira de centre de rassemblement provisoire aux personnes capturées au
11 cours de combats, ou détenues sur le périmètre, ou pour des raisons
12 d'informations obtenues par les services de sécurité".
13 A l'inverse, des images ou des enregistrements qu'on a de la Seconde
14 Guerre mondiale s'agissant de ce qui allait se passer, les documents
15 produits par les Serbes dans le cadre de cette opération sont beaucoup
16 plus anodins. Ils ne disent pas expressément ce qu'ils vont dire, ils
17 disent que ce sont des installations où il faut accueillir les personnes
18 détenues au cours des combats ou détenues à la suite d'informations
19 obtenues par les services de sécurité.
20 On pourrait croire que ce sont des gens qui se sont engagés dans des
21 combats ou pour lesquels les forces de police avaient des raisons de
22 croire qu'ils avaient aidé ou encouragé à des combats de résistance. C'est
23 ainsi que des personnes ont fini à Omarska et ces personnes étaient des
24 civils, dont des femmes.
25 Le reste du document porte sur ce qui est censé se passer au paragraphe 9:
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1 "Les représentants officiels de l'armée de la République serbe de Bosnie-
2 Herzégovine vont, sans plus tarder, poser un champ de mine conformément
3 aux réglementations minières.".
4 Paragraphe 15: "J'interdis le plus rigoureusement de fournir la moindre
5 information en ce qui concerne le fonctionnement de ce centre de
6 rassemblement. Tous les documents officiels seront conservés audit centre
7 et ne peuvent en être enlevés ou détruits qu'avec l'autorisation du chef
8 du poste de sécurité public de Prijedor."
9 Il n'est pas surprenant qu'on interdise de divulguer des informations sur
10 le fonctionnement du camp. Cet ordre porte la date du 31 mai. Mais en
11 fait, le camp d'Omarska avait déjà commencé à fonctionner quelques jours
12 plus tôt et dès les premiers jours de fonctionnement, il a en fait
13 accueilli bon nombre de ceux considérés comme étant les notables de la
14 population croate et musulmane: un juge, des avocats, des ingénieurs, des
15 enseignants?
16 Le président de l'assemblée, Musulman, Muhamed Cehajic qu'on a appelle
17 quelquefois "le maire" a été arrêté par la police le 23 mai et placé en
18 détention pendant quelques jours au poste de police. Je pense qu'on va
19 voir la photographie n°2 sur le plan. Et puis il a été emmené au camp
20 d'Omarska, et là, apparemment, il a été sélectionné pour être soumis à des
21 sévices particulièrement durs. On a vu… Certains l'ont vu être emmené par
22 des gardes. Et en fait, il était emmené fin juillet. En même temps que
23 d'autres dirigeants de la communauté, il a quitté le camp d'Omarska et on
24 ne l'a plus jamais revu depuis.
25 A Omarska, il y a eu des passages à tabacs brutaux pendant les
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1 interrogatoires et aussi en dehors des interrogatoires. Il y avait
2 pratiquement tous les jours, des meurtres ou assassinats, par voie de
3 pelotons d'exécution ou de morts suite à des sévices, des passages à
4 tabac.
5 A partir de la moitié de juillet, le nombre de victimes a augmenté. Le
6 matin, on voyait des cadavres avant qu'ils ne soient chargés dans des
7 camions et enlevés. Les femmes se trouvant au camp ont été violées ou subi
8 d'autres sévices sexuels.
9 Les conditions de vie qui prévalaient de façon générale étaient atroces,
10 abominables, les personnes détenues n'avaient que des rations de famine,
11 recevaient de l'eau polluée. Ces gens étaient placés dans des endroits où
12 il n'y avait pratiquement pas d'espace. Il n'avait pas de couverture, pas
13 de vêtements de rechange et des moyens de santé tout à fait insuffisants.
14 Les archives qu'ont tenues les Serbes en personne montrent qu'entre le 27
15 mai et le 16 août 1992: 3.334 personnes ont été emmenées à Omarska. Il y
16 avait parmi ces personnes: 37 femmes, 28 mineurs de moins de 18 ans et 68
17 personnes ayant plus de 60 ans.
18 Aucune des personnes aurait pu, ni de près ni de loin, être considérée
19 comme étant des personnes capables de mener le moindre combat. Bon nombre
20 de ces gens qui sont passés par Omarska sont toujours portés disparus.
21 Plus tard, beaucoup de corps ont été exhumés de fosses communes, et ce
22 n'est que le 21 août qu'on a finalement fermé les portes d'Omarska,
23 manifestement à la suite du tollé provoqué par les images qu'avaient
24 prises les journalistes internationaux qui avaient été autorisés.
25 Je suis sûr que Karadzic a sûrement regretté son autorisation donnée à
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1 cette visite. Ces personnes qui avaient été transférées… les prisonniers
2 qui ont été transférés l'ont été à Manjaca qui était un camp militaire à
3 l'extérieur de Banja Luka.
4 Parlons de Keraterm: il a commencé à fonctionner vers le 23 mai. Les
5 conditions qui y prévalaient étaient similaires à celles d'Omarska.
6 Installations tout à fait inadéquates, pareil pour l'eau, pour la
7 nourriture, pour l'hygiène.
8 A l'arrivée au camp, si les prisonniers avaient des biens personnels on
9 les leur confisquait mais ils étaient battus avant d'être forcés d'entrer
10 dans un entreposage aux portes métalliques. Et rappelez-vous, c'était
11 l'été en Bosnie.
12 La majorité des prisonniers à Keraterm ont été appelés pour interrogatoire
13 à un moment donné de leur détention. Les interrogatoires étaient menés par
14 la police et comprenaient des coups, des passages à tabac et la torture
15 comme éléments réguliers de ces interrogatoires. En plus des
16 interrogatoires, il y avait des sévices physiques, des sévices sexuels qui
17 étaient le non seulement de gardes du corps mais aussi de personnes
18 extérieures au camp qu'on laissait entrer sur les lieux à Keraterm.
19 Une fois de plus, comme c'était le cas à Omarska, on s'intéressait surtout
20 aux personnes dont on pensait que c'étaient des dirigeants politiques ou
21 civils de la société ou qui, simplement, avaient plus d'argent que
22 d'autres. On le sait désormais, Keraterm a été le lieu d'un des plus
23 grands massacres qu'il y ait eu dans la municipalité.
24 Vers le 20 juillet, un nombre important de personnes, une centaine de
25 Musulmans ont été transportés. Ils venaient de la région de Brdo et si
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1 vous regardez la carte une fois de plus, vous verrez où se trouve Brdo. Il
2 y a dans cette région Biscani, Hambarine, et d'autres villages. Ces
3 personnes sont arrivées à Keraterm et elles ont été placées dans la salle
4 3.
5 Dans la soirée du 24 juillet, des Serbes armés en uniforme ont ouvert le
6 feu sur les personnes se trouvant dans cette salle avec des mitrailleuses
7 et de 150 à 200 personnes ont ainsi péri. Cette fureur meurtrière s'est
8 répétée la nuit suivante. Cette fois, 44 personnes ont trouvé la mort. Et
9 tout comme Omarska, Keraterm a été démantelé plus tôt qu'à Omarska.
10 C'était vers le début du mois d'août. Il ne fait pas l'ombre d'un doute,
11 en ce qui concerne Keraterm, il ne peut pas avoir aucun conteste quant au
12 régime appliqué et imposé dans ce camp. En effet, le commandant du camp,
13 un certain Sikirica, et d'autres personnes ont été jugés ici, et Sikirica
14 a plaidé coupable à la 25e heures, pour parler de sa conduite de
15 persécution et qui incluait ces tueries, notamment celles de la salle 3.
16 Troisième camp important, celui du Trnopolje. Il relevait d'une catégorie
17 un peu différente parce qu'il y avait une certaine liberté de circulation
18 pour les détenus, mais là aussi les conditions de détention étaient
19 inhumaines. Il n'y avait aucun espace, il n'y avait pas d'électricité et
20 pratiquement pas de nourriture. Là aussi, il y avait des passages à tabac,
21 des violences sexuelles et des assassinats qui étaient le fait de gardes
22 mais aussi de personnes qu'on a laissées entrer dans le camp.
23 Le commandant du camp était le commandant Kuruzovic, vous aurez vu son nom
24 puisqu'il était un des premiers membres de la cellule de crise de
25 Prijedor, et il était le chef de la Défense territoriale, avant que celle-
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1 ci ne soit absorbée dans l'armée des Serbes de Bosnie.
2 Trnopolje, pour ainsi dire, était le point de départ des événements qui
3 ont débouché peut-être sur le pire des massacres dans la région. Vers le
4 21 août, plusieurs détenus de sexe masculin ont appris qu'ils allaient
5 être envoyés en territoire, sous contrôle musulman afin de faire l'objet
6 d'un échange. Ces hommes ont été placés à bord de bus ou d'autocar. Au
7 moment où ces bus se sont approchés de la région du mont Vlasic, ces bus
8 se sont arrêtés. On a fait descendre les hommes, et près de 200 hommes ont
9 été massacrés. Rien qu'une poignée de ces hommes ont survécu. Certains ont
10 été abattus par balle, d'autres on les a poussés dans le ravin, dans la
11 falaise qui était d'un relief typique de la région.
12 Qui est responsable de ce massacre? Les membres de la police.
13 En juillet 1992, certains Musulmans originaires de Biscani avaient été
14 amenés à Trnopolje, d'autres ont été laissés dans les bus qui les avaient
15 transportés à cet endroit. Ces bus sont repartis, et plus tard ces hommes
16 ont été assassinés.
17 Au paroxysme de l'existence de ce camp, il y a eu des milliers de civils
18 non serbes qui ont été détenus. Au mois d'août 1992, des centaines de
19 personnes ont été chargées dans des bus, dans des camions et envoyées dans
20 d'autres parties de la Bosnie ou à l'extérieur de la Bosnie, par exemple
21 vers la Croatie ou vers d'autres pays d'Europe. Et ce sont ces camps qui
22 ont fait que la communauté à l'extérieur s'est rendue compte de ce qui se
23 passait à Prijedor et ce n'est pas sans influence. Il n'est pas inutile de
24 voir un bref extrait des nouvelles diffusées par ITN en août 1992.
25 (Diffusion de la vidéo.)
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1 "Par petits groupes et sous contrôle sérieux des gardes, ils entrent dans
2 la cantine pour avoir le seul repas qu'ils auront dans la journée. La
3 plupart de ces personnes sont détenues depuis deux mois. Ils étaient trop
4 effrayés pour parler des conditions dans lesquelles ils sont détenus et de
5 la façon dont ils sont traités, conditions qu'on a dissimulées au monde,
6 car les Serbes ont refusé l'accès du camp aux Nations Unies et à la Croix-
7 Rouge internationale.
8 Cette prison, c'est un ancien complexe minier désinfecté dans le nord-
9 ouest de la Bosnie aux abords de Prijedor. Vous avez ici le commandant du
10 camp."
11 Mme Korner (interprétation): Peut-on arrêter l'image?
12 (Arrêt de l'image.)
13 (Hors micro.) Poursuivez, s'il vous plaît.
14 (Diffusion de la vidéo.)
15 "Manifestement, il y avait des milliers de personnes internées qui
16 devaient être interrogées, et que parmi ces personnes il y avait peut-être
17 des combattants."
18 -Journaliste: "Ce n'est pas un camp, c'est un centre, un centre de
19 rassemblement. Les prisonniers viennent à la cantine de l'endroit où ils
20 sont logés, un bâtiment qui est lui-même contrôlé.
21 Nous demandons d'avoir l'autorisation d'aller à l'intérieur de ce
22 bâtiment. Le docteur Karadzic, le dirigeant des Serbes de Bosnie, nous
23 avait promis l'ouverture, mais ici on nous dit qu'il n'est pas possible
24 d'aller plus loin. J'ai dit qu'on peut faire telle ou telle chose et pas
25 ceci ou cela.
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1 Notre escorte armée nous montre clairement que notre visite est terminée.
2 On nous demande maintenant de quitter ce camp, alors qu'on a rien vu
3 d'autre que la cantine. On nous a dit que la promesse faite par M.
4 Karadzic, même si elle nous a été faite, n'a aucun poids ici. Au moment de
5 partir, des soldats nous ont dit que ce n'était pas l'armée qui contrôlait
6 le camp, selon eux ce sont les autorités locales, c'est la police qui les
7 contrôle.
8 On nous a dit d'aller au deuxième camp qui se trouve dans la même zone,
9 celui de Trnopolje, où plusieurs centaines de personnes d'Omarska avaient
10 été transférées ce jour-là, où là il y a aussi des allégations d'atrocités
11 perpétrées.
12 Les conditions prévalant dans ce camp étaient vraiment abominables,
13 déplorables. Des centaines d'hommes sont obligés de manger ce qu'ils
14 trouvent et de dormir à l'extérieur, derrière les fils barbelés. Leurs
15 pauvres rations se composent de quelques tranches de pain et d'un bol de
16 soupe par jour. Là aussi, ces hommes nous ont dit avoir été victimes de
17 rafle, que des villages entiers avaient été vidés de leurs hommes et que
18 ces hommes avaient peur.
19 Pourriez-vous nous parler des conditions dans lesquelles vous êtes détenus
20 ici?
21 -Prisonnier: Je ne suis pas sûr que j'ai le droit de vous en parler. Vous
22 me comprenez?
23 -Journaliste: Est-ce que les hommes ici sont passés à tabac?
24 - Prisonnier: Pas ici pas ici. Pas ici pas ici. Mais je préfère ne pas en
25 parler.
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1 -Q: Est-ce que vous pouvez parler des conditions de détention?
2 -R: Les temps sont durs, c'est un moment difficile
3 (Interprète: Le son est déplorable.)
4 -Q: Est-ce que vous avez entendu que les personnes étaient passées à
5 tabac, que des personnes ont disparu?
6 -R: Je ne peux pas en dire grand grand-chose, on vient juste d'arriver.
7 -Q: Dans notre camp?
8 -Réponse: Oui, dans notre camp et je ne connais pas les conditions ici.
9 Peut-être qu'elles sont un peu meilleures, pas comme au camp précédent.
10 -Q: Et c'était comment dans l'autre camp?
11 -R: Terrible.
12 -Journaliste: Un des prisonniers nous a demandé de revenir vérifier
13 quelques jours plus tard pour montre, pour voir s'il n'a pas été puni pour
14 nous avoir parlé. Eh bien, il y a des exécutions routinières,
15 quotidiennes. Beaucoup de prisonniers parlent de massacres en guise de
16 représailles. Apparemment 150 personnes auraient été tuées suite à la mort
17 de 10 soldats serbes dans un village. On nous a dit que des personnes ont
18 été battues à mort, et on nous a demandé à sortir en cachette des images
19 d'un camp. Apparemment cet homme est mort à la suite des coups subis
20 pendant un passage à tabac.
21 Dans ce centre médical de Fortine (phon), il y a des cas de scarlatine, de
22 diarrhée. Les médecins disent qu'il y a une pénurie chronique de
23 médicaments. Parmi eux un médecin musulman à qui nous avons demandé s'il y
24 avait eu des cas de passage à tabac.
25 Ici, dans le camp, il y a des réfugiés qui sont ici parce qu'ils n'ont
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1 plus d'endroit où aller, puisque leurs maisons ont été détruites. On a
2 leur a dit qu'ils pourraient partir, dès qu'il leur serait garanti qu'ils
3 avaient un lieu de résistance dans un territoire non contrôlé par les
4 Serbes.
5 Ici, il y a des files de plusieurs jours où les femmes attendent de voir
6 où sont les hommes. Ces personnes ne savent pas où aller non plus. Près de
7 Banja Luka, il y a des villages vides, désertés, maisons détruites. Y
8 aura-t-il jamais la liberté pour ces hommes? et si c'est le cas, ce ne
9 sera sans doute pas dans une Bosnie contrôlée par les Serbes."
10 (Fin de la diffusion.)
11 Mme Korner (interprétation): Il y a un deuxième clip tourné plus tard que
12 nous allons diffuser maintenant.
13 (Diffusion de la vidéo.)
14 "Le chargé du camp et d'autres admettent maintenant leur responsabilité."
15 (Arrêt de la diffusion.)
16 En fait l'équipe ITN s'est rendue à nouveaux sur les lieux, et ici, vous
17 voyez Kovacevic, le commandant du camp.
18 Poursuivez.
19 (Reprise de la diffusion de la vidéo.)
20 "C'était une erreur mais on va remédier à la situation. Qu'on-t-il
21 découvert? Quelle erreur combien de personnes étaient appliquées?
22 -R: Oui, il y a des gens qui ont perdu contrôle et puis il y a eu des
23 passages à tabac.
24 (Fin de la diffusion.)
25 Mme Korner (interprétation): Merci. Excusez-moi, vous n'avez peut-être pas
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1 entendu ce que disait Kovacevic, membre de la cellule de crise, sur le
2 fait que certaines personnes avaient perdu la maîtrise de la situation.
3 Ces camps étaient les pires, les plus tristement célèbres.
4 Mais il y en a eu d'autres dans le village: Ljubija, un stade de football
5 où des Musulmans et Croates de Bosnie ont été arrêtés et exécutés. Dans un
6 autre village, des centaines de personnes ont été capturées, le 26
7 juillet, et ceux qui ont essayé de s'échapper, ont été arrêtés et tués.
8 Ceux qui… Les détenus étaient emmenés au siège serbe de Miskaglava (phon),
9 interrogés, passés à tabac. Et le jour d'après, un certain nombre de
10 détenus ont été tués. Les survivants ont été emmenés au stade de football,
11 ils ont été passés à tabac et d'autres ont été exécutés.
12 Il y avait également des détenus au poste de police de Prijedor que vous
13 pouvez voir dans la photographie n°2, le SUP, et les casernes militaires
14 de la JNA que vous voyez sur la photographie 8. Et notamment à la
15 photographie 9. Et là encore, le même schéma d'incidents se reproduisait
16 maintes et maintes fois. Au cours des interrogatoires et en dehors des
17 interrogatoires.
18 Donc quels étaient les résultats et les conséquences des politiques
19 menées? Les attaques, les massacres ont provoqué la mort de milliers de
20 personnes. Plus de 1.000 cadavres ont été exhumés et sont encore exhumés
21 aujourd'hui. Plus de 1.000 déclarations de décès, de certificat de décès
22 ont été émises par les cours de Bosnie sur des personnes portées disparues
23 ou dont on pensait qu'elles ont été tuées dans la région de Prijedor.
24 Les documents serbes eux-mêmes montrent qu'entre le mois d'avril 1992 et
25 le 16 août, au moment où le rapport a été rédigé, près de 20.000 noms
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1 serbes ont quitté la municipalité de Prijedor, soit mus par la peur soit
2 expulsés de force par les Serbes.
3 Au mois de juin 1993, au moment où les Serbes essayaient de faire une
4 estimation -bien entendu, il ne s'agissait pas d'un recensement-, donc
5 données hypothétiques, la population musulmane de 49.000 habitants été
6 passée à 6.000. Et la population croate qui était déjà au départ moins
7 importante avait été diminuée de moitié.
8 Les autorités Serbes dans la région de Prijedor plus que dans toutes
9 autres municipalités ont atteint l'objectif qu'elles s'étaient exactement
10 fixé, c'est-à-dire l'éradication quasi totale de la population non serbe.
11 Les autorités serbes de Prijedor dirigées par l'accusé désiraient ce
12 résultat, mais en leurs propres termes. Il ne suffisait pas de créer les
13 conditions de vie qui rendraient en fait la vie impossible aux non-Serbes
14 et qui les contiendraient à quitter la région. En fait, en un sens, les
15 autorités avaient mis en place un système qui rendait même tout aussi
16 difficile le départ pour les non-Serbes.
17 Ils devaient payer, s'acquitter de certains droits pour partir. Ils
18 devaient renoncer à leurs biens, à leurs propriétés. Leurs propriétés
19 étaient d'ailleurs confisquées dès leur départ. Les transports étaient
20 limités, et on pouvait dire aussi que, finalement, les autorités serbes de
21 Prijedor ont transformé la municipalité en un énorme camp de concentration
22 dont personne ne pouvait partir, où les personnes étaient déportées dans
23 des bus ou des camions pour des échanges et autres.
24 La concentration de massacres délibérés était… En fait, le ciblage de ces
25 massacres délibérés se centrait sur ce qu'on considérait comme les
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1 dirigeants et les figures notoires des comités musulmanes et croates. En
2 fait, le vieux proverbe "si vous coupez la tête, le corps tremble encore"
3 était appliqué à ce qui est survenu à Prijedor. Prijedor n'était pas
4 Srebrenica, mais effectivement ce qui a été atteint par une série
5 d'attaques, de massacres, de décès par passage à tabac et torture, c'était
6 la destruction au moins partielle de la population musulmane et croate de
7 la municipalité de Prijedor.
8 Quel était le rôle et la responsabilité de Stakic vis-à-vis des événements
9 que je viens de décrire?
10 Milomir Stakic est né en 1962. Au moment de ces événements, il était
11 médecin, et son âge et sa profession pourraient faire de son rôle dans ces
12 événements une ignominie plus grande encore. Les fonctions qu'il occupait
13 en tant que président de la cellule de crise et dirigeant du conseil
14 municipal de la défense nationale pouvaient lui conférer un rôle tout à
15 fait réel et une autorité non illusoire.
16 La Yougoslavie, la Bosnie, la municipalité de Prijedor fonctionnaient
17 toujours sous l'appareil et, d'une certaine manière, en fonction de
18 l'idéologie d'un système communiste rigide où l'Etat contrôlait absolument
19 tous les aspects de la vie, et tous ceux qui ont participé aux événements
20 de 1992 avaient grandi dans ce système, soit en tant que victimes soit en
21 tant que bourreaux.
22 Stakic était impliqué de manière étroite dans les événements qui ont
23 précédé immédiatement la prise de pouvoir par le SDS dans la municipalité
24 de Prijedor.
25 D'après les documents qui sont disponibles, il semble qu'au sein du SDS de
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1 Prijedor, il y a eu une sorte de lutte de pouvoir avant la prise de
2 contrôle, et Stakic a joué un rôle majeur dans l'élimination de l'un des
3 dirigeants locaux du SDS, un homme appelé Surdic, il a en effet essayé de
4 créer une municipalité serbe autour de la région d'Omarska. Et ses
5 activités, d'après l'accusation, avant la prise au pouvoir, montrent bien
6 que c'était un homme qui était engagé vis-à-vis de l'idéologie serbe et
7 des politiques du SDS. Il ne passait pas là par hasard en d'autres termes.
8 Et son rôle dans la prise de contrôle elle-même, sa visite à la Radio
9 Prijedor, et l'annonce qui a été faite de la prise de pouvoir et les
10 raisons qui en ont été données était que les Musulmans ne devaient pas
11 être autorisés à participer à la gestion assurée par les autorités
12 municipales dans la mesure où la municipalité de Prijedor relevait du
13 territoire serbe.
14 Stakic a exercé son autorité immédiatement après la prise de pouvoir. Le
15 dirigeant musulman de l'assemblée municipale élu légalement et
16 démocratiquement a été démis de ses fonctions dans une lettre signée par
17 Stakic. Son arrestation par la suite, son incarcération, dont j'ai déjà
18 traité, n'aurait jamais eu lieu sans l'autorité du chef, du dirigeant de
19 la cellule de crise de Prijedor.
20 Nous avons déjà examiné la liste de personnes qui étaient membres de la
21 cellule de crise. C'étaient ces personnes qui, en vertu de leurs
22 fonctions, pouvaient exercer l'autorité nécessaire –le président, par
23 exemple, de l'assemblée municipale et autres- nécessaire donc à mettre en
24 oeuvre les décisions prises.
25 Eh bien, que cette cellule de crise n'ait pas comporté de représentants
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1 militaires, les rapports et les procès-verbaux de ces réunions montrent
2 que le colonel Arsic et le major Zeljaja étaient présents aux réunions de
3 la cellule de crise et du conseil de défense nationale qui étaient
4 également présidées par l'accusé.
5 Le Bureau du Procureur a d'ailleurs acquis un petit clip-vidéo. Bon, on ne
6 sait pas très bien quand le clip a été tourné mais ce serait certainement
7 au cours de l'année 1992, et c'est un clip qui montre une réunion de la
8 cellule de crise.
9 Le commentaire est fait en langue bosniaque, vous devez avoir le
10 transcript de cette vidéo. On peut peut-être la diffuser.
11 (Diffusion de la vidéo.)
12 "Donc le poste de sécurité publique et l'opération de prise de pouvoir de
13 l'assemblée municipale devaient se tenir le 1er et 2 juin, mais ayant reçu
14 cette information sur ces opérations, le gouvernement de la municipalité
15 serbe de Prijedor a commencé à anticiper sur ces événements."
16 On peut voir effectivement Stakic au bout de la table. Et en se penchant
17 légèrement vers la gauche, Kovacevic. On peut poursuivre.
18 "Donc au cours d'une seule nuit, le 30 mai 1992, tout le pouvoir de
19 Prijedor a été placé sous contrôle."
20 Pause, s'il vous plaît. Excusez-moi, poursuivons, poursuivons.
21 Ici une pause. L'homme en uniforme de camouflage militaire qui se penche
22 est en fait Kurozovic, et vous le voyez à côté de Kovacevic. Continuons,
23 s'il vous plaît. Excusez-moi.
24 "Les représentants des autorités ont immédiatement informé le public et
25 les partis d'opposition que la prise de pouvoir n'était que temporaire,
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1 que le gouvernement agissait..."
2 Excusez-moi, revenons un peu en arrière. Pause. Merci. Voici en chemise
3 blanche le plus près de nous Simo Drljaca.
4 "Les partis soi-disant modérés du SDA insistaient pour gagner du temps par
5 des préparations et une résistance."
6 Alors bon, c'est peut-être sujet à débat, mais l'une des deux personnes
7 portant un uniforme militaire de camouflage serait le colonel Zeljaja.
8 Merci. Pause.
9 Ce que le journaliste dit ici c'est que la prise de pouvoir a été donc
10 effectuée dans la municipalité de Prijedor, et la municipalité de Prijedor
11 a rejoint la région autonome de la Krajina.
12 Quel était le type de décisions prises par la cellule de crise de Prijedor
13 et par Stakic? On peut déduire de la liste des tâches et des fonctions qui
14 apparaissent sur les instructions de la cellule de crise, ces décisions
15 portaient sur tous les aspects de la vie. Par exemple, licenciement de
16 non-Serbes.
17 Des décisions qui avaient également trait à la police et au traitement des
18 prisonniers, à l'établissement de camp, à l'établissement de cellule de
19 crise locale; déclaration de propriété "abandonnée", déclaration selon
20 laquelle toute propriété "abandonnée" devenait propriété d'Etat, en
21 d'autres termes vol autorisé. La cellule de crise de Prijedor régissait la
22 vie de toutes les personnes habitants la région au cours de la période.
23 Et qu'en disait Stakic lui-même?
24 Il a accordé un entretien à un journal, un organe de presse écrit en 1994,
25 qui est le document 423 dans lequel le titre, c'était l'allégation qui
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1 était faite, le SDA, le parti musulman nationaliste avait un plan détaillé
2 visant à liquider les Serbes. Ils s'armaient secrètement, ils fabriquaient
3 des uniformes avec le symbole du lys et construisaient des fortifications
4 dans la région de Kozarac et dans les régions avoisinantes. Cela faisait
5 partie de la propagande qui était menée à l'époque et qui s'est
6 poursuivie.
7 Et au début de l'entretien, le journaliste dit que Stakic dit la chose
8 suivante au début de l'entretien: "Ce qui s'est passé le 30 avril 1992
9 n'était que le dernier acte d'un plan qui datait d'il y a longtemps, mais
10 qui était périlleux ou dangereux pour les Serbes. J'avais souvent eu des
11 conversations privées avec les dirigeants du SDA et du HDZ et c'est cela
12 qui m'a convaincu du fait qu'ils étaient en train de mettre en place un
13 plan terrible au sujet des Serbes. Ils étaient en train de s'armer
14 secrètement, de fabriquer des uniformes portant le symbole du lys et
15 construisaient des fortifications à Kozarac et dans les régions
16 avoisinantes. Mais nous ne restions pas là sans rien faire. Lorsque nous
17 avons compris ce qu'ils voulaient faire, nous avons commencé à nous armer
18 et à informer les membres du parti de leurs intentions pour prévenir que
19 ne se reproduisent les événements qui s'étaient déroulés en 1941.
20 Je suis devenu donc président de l'assemblée serbe de Prijedor assurant la
21 direction du bureau central du SDS. Et lorsque je suis arrivé au travail
22 le jour suivant, le président à l'époque de l'assemblée conjointe, Muhamed
23 Cehajic, m'a dit: 'Bonjour, nous sommes maintenant tout deux présidents et
24 je vous souhaite plein de succès'."
25 (Fin de citation.)
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1 Et puis, au bas de la page: "En avril, les choses les événements ont
2 commencé à se dérouler à Sarajevo, à Bosanska Krupa et d'autres endroits
3 et cela m'a convaincu du fait qu'il fallait accélérer le processus qui
4 consistait à nous armer."
5 Et puis ensuite, il parle d'une conférence multipartite, et puis ensuite:
6 "J'étais informé par mes propres canaux d'information qu'une décision
7 avait été prise de prendre le pouvoir par la force. Et nous avons eu la
8 chance que le colonel Arsic et le commandant de notre garnison, un bon
9 soldat, un homme doté de beaucoup d'expériences, aient décidé avec nous
10 d'accélérer le processus qui consistait à nous armer."
11 Ensuite, il traite de la version serbe des causes de l'attaque sur Kozarac
12 et dit cela: "Lorsque nous avons détenu les extrémistes les plus durs,
13 nous avions suffisamment d'informations pour parvenir à l'information que
14 les Musulmans étaient bien organisés et étaient déterminés à liquider les
15 Serbes, leurs concitoyens."
16 Puis, il répète à nouveau ce plan et il était dit que finalement les
17 Musulmans avaient pour objectif la liquidation des Serbes et dans la
18 dernière partie du paragraphe: "Mais nous les avons arrêtés, et ce
19 faisant, nous avons évité que des événements ou que le massacre de la
20 Deuxième Guerre mondiale ne se reproduisent."
21 Enfin je vous invite à regarder le vidéo-clip de l'entretien avec Stakic
22 en 1992, semble-t-il. Si l'on peut montrer la dernière partie de cette
23 vidéo.
24 (Diffusion de la cassette vidéo.)
25 "Nous avons interrogé le nouveau maire sur les passages à tabac du camp
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1 d'Omarska avec… On a entendu des informations sur le fait que des gens ont
2 été tués à Omarska. Parfois cette mort était la conséquence de conditions
3 mais je ne saurais vous dire exactement. Pas beaucoup de décès. Non. "
4 (Fin de la diffusion de la cassette vidéo.)
5 On ne peut plus masquer la vérité sur ce qui s'était passé à Omarska qu'en
6 disant ce que Stakic a affirmé et en dernière analyse vous prendrez votre
7 décision sur la base des preuves que vous aurez vues et sur la base des
8 dépositions des témoins, décisions sur la vérité. Mais pour l'accusation,
9 c'est clair. Nous avons examiné les preuves, et l'examen des preuves
10 devrait vous donner toute certitude sur le fait que Milomir Stakic,
11 l'accusé, était directement responsable des événements qui se sont
12 déroulés à Prijedor entre avril et septembre 1992.
13 M. le Président (interprétation): Il nous reste encore 20 minutes, mais je
14 crois que le moment est opportun pour lever la séance. Nous reprendrons
15 demain à 9 heures.
16 (L'audience est levée à 13 heures 25.)
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