Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Lundi 6 mai 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 14 heures 18.)

3 (Audience publique.)

4 (Questions relatives à la procédure.)

5 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir. Bonjour tout le

6 monde. Madame la Greffière, est-ce que l'on peut présenter l'affaire, s'il

7 vous plaît?

8 Mme Dahuron (interprétation): Affaire IT-97-24-T, le Procureur contre

9 Milomir Stakic.

10 M. le Président (interprétation): Merci. Les noms côté accusation, s'il

11 vous plaît.

12 M. Koumjian (interprétation): Nicholas Koumjian avec M. Waidyaratine.

13 Bonjour, Monsieur le Président.

14 M. le Président (interprétation): Bonjour. Et pour le conseil de la

15 défense?

16 M. Lukic (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Messieurs Lukic

17 et Ostojic.

18 M. le Président (interprétation): Puis-je, au début de notre quatrième

19 semaine d'audience, demander à M. Stakic s'il a un problème quelconque en

20 termes de l'unité de détention et de santé. Au début de l'audience,

21 j'avais dit que je ne reviendrais pas sur cette question tous les jours

22 mais, aujourd'hui, j'aimerais vous demander si vous avez un problème

23 quelconque?

24 M. Stakic (interprétation): Merci de vos questions, mais pour l'instant,

25 je n'ai pas de problème. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas demandé

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1 à prendre la parole auparavant.

2 M. le Président (interprétation): Vous sentez-vous libre lorsque vous

3 estimez important d'informer les Juges d'un problème quelconque, si vous

4 en rencontrez?

5 M. Stakic (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

6 M. le Président (interprétation): Très brièvement nous avons la requête

7 d'amendement de la liste des témoins de l'accusation soumise de façon

8 confidentielle. Pouvons-nous entrer en séance à huis clos partiel pour

9 quelques instants, s'il vous plaît?

10 (Huis clos partiel à 14 heures 22.)

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1 (Audience publique à 14 heures 29.)

2 (Le témoin, M. Muharem Murselovic, est introduit dans le prétoire.)

3 Monsieur Muharem Murselovic, est-ce que vous m'entendez dans une langue

4 que vous comprenez?

5 M. Murselovic (interprétation): Bonjour, Monsieur.

6 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir.

7 Oui. Veuillez lire la déclaration solennelle, s'il vous plaît.

8 M. Murselovic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

9 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

10 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir, Monsieur le

11 Témoin.

12 (Le témoin s'assoit.)

13 Je demanderai à l'accusation de commencer l'interrogatoire principal, s'il

14 vous plaît.

15 (Interrogatoire principal du témoin, M. Muharem Murselovic, par M.

16 Waidyaratne.)

17 M. Waidyaratne (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

18 Bonjour, Monsieur le Témoin. Pouvez-vous nous donner votre nom en entier

19 pour le compte rendu, s'il vous plaît?

20 M. Murselovic (interprétation): Je m'appelle Muharem Murselovic.

21 Question: Votre date de naissance?

22 Réponse: 24 novembre 1947.

23 Question: Où êtes vous né?

24 Réponse: A Prijedor.

25 Question: Où avez vous vécu? Ou est-ce que vous avez été élevé?

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1 Réponse: J'ai terminé mon éducation primaire et secondaire à Prijedor.

2 Question: Quelle est votre appartenance ethnique?

3 Réponse: Je suis bosnien, de religion islamique.

4 Question: Vous avez dit que vous avez assisté à votre école élémentaire et

5 secondaire à Prijedor. Est-ce que vous avez une spécialisation quelconque?

6 Réponse: Oui, je me suis spécialisé. Une fois que j'avais terminé mon

7 éducation secondaire, j'ai été formé à Opatija, à l'école de la

8 restauration; c'est là où j'ai terminé mes études. Et Opatija se trouve

9 dans la République de Croatie actuellement.

10 Question: Est-ce que vous avez enseigné dans une école, à un moment ou à

11 un autre de votre vie?

12 Réponse: Je travaillais à l'école de la restauration car c'était ma

13 formation. J'enseignais là-bas. Ensuite, j'ai enseigné des sujets dans le

14 domaine de la restauration.

15 Question: Monsieur Murselovic, êtes-vous marié?

16 Réponse: J'étais marié, et j'ai deux grands enfants qui sont aujourd'hui

17 mariés.

18 Question: Où résidiez-vous avant le conflit, en 1992?

19 Réponse: J'ai passé toute ma vie à Prijedor. J'y ai toujours travaillé. Je

20 travaillais dans une école pendant un certain temps. Par la suite, j'avais

21 un commerce privé.

22 Question: Où résidiez-vous, votre résidence?

23 Réponse: Je vivais dans le centre de Prijedor pendant toute la période,

24 dans la rue principale.

25 Question: Est-ce que c'est au n°43, Marsala Tita?

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1 Réponse: Oui au n°43. Oui, avant la guerre je vivais dans la rue Marsala

2 Tita, n°43. On l'appelait comme cela avant la guerre. Aujourd'hui, on

3 l'appelle la rue de Pierre 1er, le Libérateur. Et le numéro est encore 43.

4 Question: Monsieur Murselovic, étiez-vous propriétaire d'un restaurant?

5 Réponse: Oui. J'ai travaillé dans le domaine de la restauration pendant

6 toute ma vie. A la fin de 1978, j'ai ouvert un restaurant privé qui

7 s'appelait "Mursel", c'est-à-dire mon nom, mon petit nom, mon surnom.

8 C'est ce que les gens m'appellent d'ailleurs, Mursel.

9 Question: Où se trouvait ce restaurant?

10 Réponse: Le restaurant était situé dans le centre de la ville.

11 Question: Pouvez-vous nous donner une description du restaurant que vous

12 aviez avant la guerre?

13 Réponse: Il avait une capacité de 50 personnes. Une grande pièce et une

14 plus petite pièce, et fréquenté principalement par des hommes d'affaires.

15 On servait des plats occidentaux ainsi que des spécialités locales. J'ai

16 essayé d'en faire un bon restaurant. Les gens de différentes nationalités

17 et les gens de la Bosnie, de l'ex-Yougoslavie venaient dans mon

18 restaurant. C'était un restaurant qui était très bien fréquenté.

19 Question: Vous aviez un snack-bar également, autre que le restaurant, un

20 buffet?

21 Réponse: Oui, j'avais un autre établissement. C'était un buffet, un snack-

22 bar. C'était un établissement différent. Je servais des ventes à emporter,

23 des fast-food, des pizzas, des sandwichs, des gâteaux, des hamburgers et

24 d'autres éléments qui sont servis dans ce genre de fast-food. C'était

25 également un établissement au centre de la ville dans la partie piétonne,

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1 c'est-à-dire dans la rue Marsala Tita.

2 Question: Avant, est-ce que l'on peut dire que vous étiez un homme

3 d'affaires bien établi avec une bonne réputation, avec pignon sur rue?

4 Réponse: Comparé aux autres -c'était le régime socialiste-, on pouvait

5 dire que j'avais plus que bien d'autres mais, en même temps, on ne pouvait

6 pas dire que j'étais particulièrement riche. Les établissements, j'en

7 étais propriétaire ainsi que ma famille. Feu mon père était impliqué dans

8 un commerce semblable à Prijedor, ainsi que ma mère. J'ai tout simplement

9 continué la tradition familiale qui avait commencé il y a 50 ans.

10 En étant propriétaire de ces deux établissements et en étant propriétaire

11 de mon appartement, on peut dire que j'étais bien installé par rapport aux

12 autres. On ne peut pas dire que j'étais bien installé par rapport au temps

13 actuel, mais ma famille et moi-même, dans le passé, étions propriétaires

14 de plus que d'autres peut-être.

15 Question: Avant le conflit en 1992, est-ce que vous avez vendu l'immeuble

16 et le restaurant?

17 Réponse: Oui, j'ai vendu un immeuble dans lequel mon restaurant "Mursel"

18 était situé et un appartement, ou plutôt deux appartements qui se

19 trouvaient au-dessus du restaurant. C'était une décision que j'ai prise

20 que je peux analyser aujourd'hui, décision pour construire quelque chose

21 de mieux, un immeuble plus nouveau.

22 Vous savez, j'ai passé 13 à 14 ans dans ce restaurant et j'ai pensé qu'il

23 était mieux pour moi de le vendre plutôt que de le rénover, car c'était

24 assez logique pour moi, à l'époque, de le vendre et d'investir dans

25 quelque chose de nouveau. C'est cela que j'avais à l'esprit. C'est la

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1 raison pour laquelle j'ai vendu tout l'immeuble avec le restaurant.

2 Question: Vous étiez le propriétaire de la maison ou de l'endroit où vous

3 résidiez avant la guerre, vous étiez propriétaire?

4 Réponse: Oui. Moi et ma famille étions propriétaires. Certaines choses

5 étaient la propriété de ma mère et de ma femme. Mais sinon, oui, on était

6 propriétaires de tout.

7 Question: Est-ce que vous avez fait votre service militaire obligatoire?

8 Réponse: Oui, bien sûr. Dans l'ex-Yougoslavie, j'ai terminé mon service

9 militaire en 1969, 1970. Une partie de mon service a été fait à Sisak et

10 l'autre partie à Cerklje ob Krki, près de Ljubljana, une petite ville en

11 Slovénie. J'ai passé quelque temps là-bas, et je suis revenu de l'armée

12 après un an, en 1970.

13 Question: Vous étiez membre d'un parti politique dans le cadre du système

14 multipartite, est-ce exact?

15 Réponse: Oui.

16 Question: Est-ce que vous pouvez donner le nom du parti, et pendant quelle

17 période c'était le cas?

18 Réponse: J'étais un entrepreneur privé, travailleur indépendant comme on

19 l'appelait à l'époque. Et après le système, quand le système multipartite

20 a été instauré, il y avait de nombreux partis politiques et nous voulions

21 protéger nos propres intérêts dans ce système où la force dominante était

22 le capital d'Etat. Nous voulions créer un parti qui, indépendamment de

23 tout, pourrait protéger nos intérêts, les intérêts des entrepreneurs

24 privés. C'est la raison pour laquelle nous avons établi le parti de

25 l'Intitiative privée; et j'étais membre de ce parti.

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1 Pendant ces premières élections multipartites, j'étais élu pour la toute

2 première fois à l'assemblée municipale en tant que délégué de mon parti.

3 Je suis devenu membre de cette assemblée législative municipale de

4 Prijedor.

5 C'était à la fin de 1990, lorsque les élections multipartites ont eu lieu

6 pour la première fois. Donc je suis devenu membre de l'assemblée dans le

7 cadre multipartite.

8 Question: A part être membre de l'assemblée législative, est-ce que vous

9 aviez une autre fonction au sein de votre parti?

10 Réponse: Peut-être qu'il y a eu un malentendu; j'étais un membre de

11 l'assemblée municipale représentant mon parti politique. En outre, j'étais

12 un membre actif de ce parti, j'étais son vice-Président au niveau

13 municipal. Mais ceci est moins important car j'étais également la tête de

14 liste de mon parti, et comme je vous l'ai dit, j'ai été élu en tant que

15 membre de l'assemblée dans l'assemblée municipale de Prijedor.

16 Question: Au titre du système multipartite, quels sont les autres partis

17 importants à Prijedor à l'époque?

18 Réponse: Après ces premières élections multipartites, les partis les plus

19 importants qui avaient leurs députés au sein de l'assemblée municipale -en

20 outre de mon parti qui était un petit parti qui n'avait qu'un

21 représentant-, ce grand parti était le SDA, le plus grand; ils avaient 30

22 députés dans cette assemblée. Ensuite, vous avez le parti démocratique

23 serbe, le SDS, qui avait 28 sièges. Il y avait également l'ex-parti

24 socialiste -si je peux l'appeler ainsi-, qui avait à peu près 13 députés.

25 Vous aviez également les Forces réformistes de M. Malkovitch avec à peu

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1 près 10 députés. Ensuite le HDZ, la partie croate démocratique qui n'avait

2 que deux députés.

3 Il y avait un autre parti qui s'appelait "Alliance Démocratique

4 Socialiste" qui avait, je pense, cinq députés. Il y avait un total de 90

5 députés dans le parti et 8 partis politiques qui y étaient représentés,

6 donc 90 députés dans l'assemblée.

7 Question: Vous avez décrit la composition de l'assemblée municipale.

8 Pouvez-vous brièvement nous dire les membres éminents, surtout dans le

9 parti SDA dans le cadre du système multipartite?

10 Réponse: Vous voulez dire les noms, les individus qui représentaient ce

11 parti?

12 Question: Oui.

13 Réponse: Vous aviez le professeur Muhamed Cehajic qui a été, par la suite,

14 élu président de l'assemblée municipale, qui enseignait dans une école

15 secondaire. Ensuite, vous aviez M. Music, professeur de physique, qui

16 enseignait dans une autre école secondaire pour l'éducation économique.

17 Ensuite, Meho Tursic, président de l'assemblée municipale, par la suite

18 directeur du bureau de comptabilité nationale. Ensuite, vous aviez

19 Sarajlic, Hasan Tulundzic, différentes personnes importantes, mais Mirza

20 également. Beaucoup de personnes impliquées de façon active dans le SDA,

21 Nijaz Kapetanovic, etc.

22 Question: Vous rappelez-vous le nom de M. Medunjanin?

23 Réponse: Oui, excusez-moi. Je n'arrive pas à me rappeler tous les noms. Il

24 y avait beaucoup de gens. Il y avait M. Medunjanin effectivement, qui

25 était enseignant à l'école primaire; Rade Kondic de Kozarac. Il était

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1 marié; il a épousé l'une des jeunes filles de Prijedor, originaire de

2 Prijedor. Il vivait à Kozarac. Je connais bien sa famille, il avait deux

3 fils. Lui ainsi que son épouse travaillaient comme enseignants à l'école

4 primaire de Kozarac jusqu'aux élections multipartites. Je le connaissais

5 de vue parce qu'il était enseignant dans cette école. Je n'en savais pas

6 plus.

7 Question: Monsieur Murselovic, vous venez de nous donner le nom des hommes

8 politiques du SDA. Vous rappelez-vous des noms des hommes politiques

9 importants au sein du SDS, au sein du parti serbe?

10 Réponse: Au sein du SDS, les représentants importants étaient son

11 président, M. Simo Miskovic; puis Srdjo Srdic. Ensuite Milomir Stakic;

12 ensuite le docteur Kovacevic, Budimir Slavko. Et il y avait un grand

13 nombre de personnalités. Il y avait beaucoup de gens qui étaient actifs au

14 sein de ce parti. Timarac également qui est décédé, il était d'Omarska; il

15 était député au sein du parlement de Bosnie-Herzégovine.

16 Question: Monsieur Murselovic, vous venez de décrire la composition de

17 l'assemblée municipale. Vous nous avez donné un certain nombre de noms de

18 personnes au sein de cette assemblée. Etiez-vous au courant de l'existence

19 d'un accord quelconque entre ces trois partis politiques avant les

20 élections?

21 Réponse: Eh bien, c'était un secret de polichinelle que ces trois partis.

22 Eh bien, on les appelait... vous savez trois partis nationaux que ces

23 partis; donc le SDA, le SDS et le HDZ venaient de signer un accord en

24 fait, à savoir qu'à tous les niveaux du pouvoir ils allaient créer des

25 coalitions. Cela devait être une forme d'alliance informelle afin qu'ils

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1 puissent partager le pouvoir.

2 C'était un accord qui a précédé les élections et je pense qu'il a été

3 respecté, particulièrement à Prijedor au sein de l'assemblée. Ce sont le

4 SDA, le SDS et le HDZ qui ont pris le pouvoir. Le HDZ serbe n'avait que

5 deux députés, mais il a été néanmoins le parti qui faisait partie de la

6 coalition au sein de l'assemblée. Ils avaient 60 députés sur 90 à eux

7 trois.

8 Et pour les cinq autres partis, on peut dire que c'était l'opposition et

9 qu'ils avaient 30 députés en tout. Et moi, j'étais membre de cette

10 opposition en temps que représentant d'un petit parti politique.

11 Question: Quant à votre parti, il entretenait quel genre de relations avec

12 les trois partis principaux, avant les élections et après les élections?

13 Réponse: Mon orientation politique et les représentants de mon parti

14 politique, eh bien, c'étaient tous des représentants, des restaurateurs,

15 des artisans, des entrepreneurs de tout genre. Je ne peux pas dire qu'il

16 n'y a pas eu ce genre de profession représentée au sein des autres partis.

17 Moi, personnellement, et mon parti politique considérions qu'il nous

18 fallait défendre nos intérêts, nous-mêmes, dans le cadre de ce système

19 pluripartite. Et c'est pour cela que nous nous sommes présentés aux

20 élections.

21 Quelle a été la relation à notre égard? Il faut savoir que nous étions un

22 parti tout à fait marginal d'après le nombre des députés que nous avions.

23 Eh bien, cette relation c'était comme à l'égard de tous les partis

24 politiques qui faisaient partie de l'opposition. On ne comptait pas

25 vraiment, on n'a pas pu prendre part à la répartition des fonctions au

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1 sein de l'assemblée. Ces fonctions ont été prises par les trois principaux

2 partis politiques.

3 Question: Monsieur Murselovic, avant de changer de sujet, pourriez-vous

4 nous dire, brièvement, comment ont été réparties les fonctions après les

5 élections? Qui sont les partis ou les personnes qui ont pris les postes?

6 Réponse: Comme je l'ai déjà dit, le parti démocrate serbe et le parti

7 d'action démocratique -avec le HDZ qui n'avait certes que deux députés

8 mais qui a pu prendre part au pouvoir parce que cela a été convenu à un

9 niveau plus élevé- eh bien, ces trois partis se sont mis d'accord; ils se

10 sont répartis les postes entre eux.

11 Comment s'est faite cette répartition au sein de l'assemblée? Eh bien,

12 cela s'est passé de la manière suivante: ils se sont d'abord mis d'accord,

13 puis ils sont venus présenter leurs conclusions devant l'assemblée. Je ne

14 sais pas s'il y a eu des différends entre eux durant les négociations

15 mais, ce que je peux dire, c'est que le poste le plus important, celui du

16 Président de l'assemblée, est revenu au SDA, au parti de l'action

17 démocrate puisque c'est le parti qui avait le plus de députés. C'était

18 naturel puisque ce parti a reçu le plus grand nombre de voix, ils avaient

19 30 députés, donc le plus grand nombre. C'était naturel que le poste de

20 présidence leur revienne. C'est le rôle le plus important au sein de

21 l'assemblée.

22 Quant au poste de vice-Président qui est la deuxième fonction la plus

23 importante, eh bien, ce poste est revenu au parti démocrate serbe; c'est

24 Milomir Stakic qui est entré en fonction.

25 Le Président du comité exécutif, là, il s'agit d'une fonction importante

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1 qui comprenait le maintien de contacts avec les sociétés, avec les

2 institutions au niveau de la municipalité. Eh bien, ce poste est revenu au

3 Dr Kovacevic qui était lui aussi membre du SDS. Becir Medunjanin est

4 devenu chef du secrétariat municipal de la défense populaire. C'était ça

5 l'intitulé de ce poste.

6 Il y avait aussi toute une série d'autres secrétariats. Donc, Medunjanin

7 est devenu un secrétaire, mais il y en avait d'autres. C'est ainsi que la

8 répartition des fonctions s'est faite entre ces partis politiques et le

9 HDZ.

10 Le troisième parti a eu quelques petits postes au sein de l'administration

11 municipale. Je suppose que cela a rendu tout le monde content. Ce sont eux

12 qui nous ont présenté leur accord tout fait, donc nous n'avions pas un mot

13 à dire.

14 Question: Vous avez dit dans votre réponse précédente: "La fonction la

15 plus importante, celle du Président de l'assemblée, est revenue à un

16 membre du SDA, M. Cehajic". Pourriez-vous nous dire quel était le rôle du

17 Président de l'assemblée municipale dans le cadre de ce système

18 pluripartite?

19 Réponse: Eh bien, dans ce genre de système qui était un héritage, je dois

20 le dire, de la période précédente, à la différence de la situation qui

21 prévaut aujourd'hui, le Président de la municipalité exerçait une autorité

22 absolue. Non seulement il présidait l'assemblée, mais aussi il était le

23 supérieur direct de tous les employés au sein de l'administration. Donc à

24 la fois il avait le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Il était

25 dans une position de supériorité par rapport à tous les bureaux de

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1 l'assemblée de la municipalité. Il avait le pouvoir de licencier ou

2 d'embaucher des gens. Il avait la responsabilité en matière de budget

3 municipal. Tout simplement, c'était un rôle qui était prédominant. Et de

4 loin. Il avait un vice-Président à ses côtés qui devait l'assister dans

5 l'exercice de ses fonctions.

6 Question: Monsieur Murselovic, l'assemblée municipale coopérait-elle avec

7 la police?

8 Réponse: Oui. A l'époque, la police s'appelait officiellement "le

9 secrétariat municipal chargé des affaires intérieures", son abréviation

10 était le "SUP", était placé sous l'autorité de la municipalité. C'était

11 donc un bureau de la municipalité comme tous les autres secrétariats qui

12 existaient à l'époque. Mais, du point de vue de la hiérarchie, eh bien,

13 ils étaient, ils avaient l'autorité sur un certain nombre... ils étaient

14 subordonnés à un certain nombre de ministères. Il y avait des ministères

15 compétents.

16 Il faut savoir qu'après les élections pluripartites, c'est Hasan Tulundzic

17 qui est devenu le chef de la police, et c'était un des postes importants

18 au sein de la municipalité. Lui-même était une personnalité importante au

19 sein du parti de l'action démocrate; on disait que c'était le premier

20 Musulman de Bosnie à avoir eu ce rôle depuis la Seconde Guerre mondiale.

21 Question: Avec le temps, et à l'approche de l'année 1992, quelles étaient

22 les relations qui prévalaient au sein de ce gouvernement de coalition qui

23 était en place à l'époque?

24 Réponse: Eh bien, d'avis général, ces trois partis n'ont pu trouver un

25 dénominateur commun que lorsqu'il s'agissait de renverser le système

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1 communiste. En fait, là, ils ont pu tomber d'accord. Mais, avec le temps,

2 il s'est avéré que ces soi-disant partenaires n'avaient pas beaucoup de

3 points en commun. Il y avait de plus en plus de différences et l'assemblée

4 fonctionnait de moins en moins bien. C'étaient des fonctions

5 irréconciliables, c'étaient des options politiques qui étaient

6 irréconciliables.

7 Ce que je veux dire, c'est qu'avec le temps et à l'approche de 1992, eh

8 bien, ces conflits au sein de la municipalité entre les partis au pouvoir,

9 ces conflits devenaient de plus en plus manifestes. Et on peut dire qu'en

10 1992, cela ne fonctionnait plus du tout. La municipalité fonctionnait, il

11 y avait des sessions de l'assemblée municipale mais, à l'époque, il y a eu

12 beaucoup d'interruptions au niveau des sessions de l'assemblée; on ne

13 pouvait pas faire tout ce qui relevait des compétences de l'assemblée,

14 prendre les décisions.

15 Tout simplement, on a commencé à s'occuper des choses qui ne relevaient

16 pas de l'assemblée municipale de Prijedor. Et, de toute évidence, entre le

17 SDS et le SDA il y a eu beaucoup de différends, beaucoup de divergences

18 sur beaucoup de points.

19 Question: Monsieur Murselovic, pendant cette époque, au début de 1992,

20 vous rappelez-vous la création ou la proclamation de la municipalité serbe

21 qui a été constituée à Prijedor?

22 Réponse: Oui. Vers le début de 1992, après nombre d'interruptions et

23 d'entraves au fonctionnement de l'assemblée, eh bien, il y a eu des

24 exigences non fondées de la part du SDS afin que l'assemblée se prononce

25 sur ce point. Je pense qu'il est peut-être utile de préciser quels sont

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1 les points où les différends étaient les plus importants.

2 Le SDS demandait qu'une résolution soit votée au sujet du maintien au sein

3 de l'Etat fédéral yougoslave, mais ce n'était pas, cela ne relevait pas

4 des compétences de la municipalité; elle ne pouvait pas se prononcer là

5 dessus, notre assemblée. Souvent, il y a eu des interruptions au niveau du

6 fonctionnement de l'assemblée et donc, on ne pouvait même plus expédier

7 les affaires courantes. Il y a eu tout le temps des obstructions. Et c'est

8 au début de 1992 qu'il y a eu création de la soit-disante municipalité

9 serbe de Prijedor.

10 Je suppose, je sais que ce sont des députés du SDS -des députés serbes qui

11 ont proclamé une partie de l'assemblée au nombre de 90 personnes-, qui ont

12 proclamé cela: Municipalité serbe de Prijedor.

13 Quant à moi et tous mes autres concitoyens, cela nous a paru anormal. Il

14 était anormal d'exiger que cela s'appelle "Municipalité serbe de

15 Prijedor", puisque notre municipalité de par sa composition avait un peu

16 plus de Musulmans de Bosnie, d'après le recensement de 1991. Sur 12.000

17 habitants, il y avait 44% de Bosniens, 42,5% de Serbes, 5,6% de Croates.

18 Quant aux autres, des Yougoslaves et autres minorités nationales, un peu

19 plus de 7%.

20 Autrement dit, les députés serbes voulaient la proclamation de la

21 municipalité serbe et d'ailleurs c'est ce qu'ils ont fait, ils l'ont fait

22 officiellement, ce qui m'a semblé un peu dérisoire puisqu'il s'agit d'une

23 municipalité mixte. La municipalité de Prijedor n'est pas constituée de

24 telle sorte que les frontières entre les territoires occupés par l'un ou

25 l'autre groupe ethnique sont divisés nettement. Vous avez des quartiers,

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1 des villages, villes mixtes: Serbes, Musulmans et Croates.

2 Donc proclamer notre municipalité "municipalité serbe", eh bien, cela m'a

3 paru ridicule, mais cela a été fait par les Serbes lors de cette assemblée

4 serbe de Prijedor. Quant au personnel dirigeant, les cadres, eh bien, ils

5 ont nommé des gens à toutes ces fonctions, président, vice-président,

6 secrétaire, chef, à tous les niveaux; le président du tribunal, le

7 procureur... Excusez-moi. Excusez-moi.

8 Eh bien, dans cette municipalité serbe de Prijedor, il me semble qu'elle a

9 été proclamée au début du mois de février 1992. Les députés serbes ont

10 donc proclamé la création de la municipalité serbe de Prijedor, et ils ont

11 nommé des personnalités à des postes importants; c'étaient des noms que

12 l'on connaissait déjà dans la vie publique.

13 Question: Monsieur Murselovic, je vous demanderais de ralentir puisque les

14 interprètes ont dû mal à vous suivre.

15 Réponse: Oui.

16 Question: Savez-vous quel est le poste qu'a occupé M. Stakic au sein de

17 cette municipalité serbe?

18 Réponse: Eh bien, il a été nommé président de la municipalité serbe de

19 Prijedor.

20 Question: Qui sont les autres personnalités ayant occupé des postes

21 importants au sein de cette entité politique?

22 Réponse: Quant au poste du président du tribunal, il a été nommé Kreca

23 Mico, un juge. Au poste de président du comité exécutif, on a placé le

24 docteur Stovanovic... pardon, Kovacevic. Simo Drljaca est devenu chef du

25 secrétariat des affaires Intérieures. Budimir Slavko, semble-t-il, a été

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1 nommé secrétaire du secrétariat municipal de la défense populaire. Et

2 ainsi de suite. Comment dire? Ils ont établi des organes parallèles de

3 pouvoir.

4 Question: Monsieur Murselovic, comment avez-vous appris cela? Comment

5 êtes-vous devenu au courant de l'existence de cette municipalité serbe?

6 Réponse: Eh bien, les médias ont diffusé cela, le Kozarski Vjesnik, radio

7 locale et bien personne n'a cherché à cacher cela; ce n'était pas un

8 secret, cette proclamation. Ils ont procédé à cette proclamation, ils ont

9 nommé ces gens et c'est pour cela que cela nous a paru un peu ridicule.

10 Question: Changeons de sujet à présent, Monsieur Murselovic.

11 Pourriez-vous nous expliquer brièvement et doucement quelle était la

12 situation politique ou quelle était l'ambiance qui prévalait à Prijedor en

13 1991, compte tenu de la guerre en Croatie?

14 Réponse: Durant la deuxième moitié de 1991, la guerre sévissait en

15 Croatie. Des soldats serbes partaient de Prijedor pour combattre là-bas;

16 ils étaient mobilisés par la municipalité de Prijedor pour aller combattre

17 en Croatie.

18 On s'opposait à cette mobilisation. En fait, des représentants du SDA

19 s'opposaient à celle-ci. Et ces soldats qui faisaient partie des unités de

20 réserve de la JNA allaient combattre en Slavonie, à Pakrac, à Lipik, dans

21 certaines régions de Croatie. Ils étaient escortés par des équipes de

22 journalistes de Prijedor. On glorifiait ce combat du peuple serbe mené en

23 Croatie. Et au retour de ces soldats, tous les 20 jours, on tirait des

24 coups de feu. C'était épouvantable, on avait l'impression qu'il y avait un

25 océan d'armes. On faisait peur au reste de la population.

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1 Les Musulmans, ou plutôt les Bosniens et les Croates, se faisaient appeler

2 à l'ordre puisqu'ils ne participaient pas à cette guerre. Eux

3 considéraient –donc, les Croates et les Bosniens- qu'ils ne devaient pas

4 prendre part à cette guerre et cela a fait qu'un climat de méfiance s'est

5 instauré, de peur permanente, de coups de feu, de troubles. On peut dire

6 que les temps étaient devenus… que ce n'était plus… que les gens n'étaient

7 plus en sécurité. Je veux dire: tous les citoyens de Prijedor n'étaient

8 plus en sécurité.

9 Question: Vous êtes en train de dire qu'il n'y avait plus de confiance,

10 qu'il y avait une peur qui s'installait entre les membres des principaux

11 groupes ethniques à Prijedor?

12 Réponse: Oui, tout à fait. Les gens n'étaient plus sereins si on tirait

13 des coups de feu, si on tirait des coups de feu depuis des camions, si les

14 gens portaient des armes sur eux. Dans la rue, si on entend des coups de

15 feu toute la nuit, eh bien… Si on voit même des armes lourdes installées,

16 postées à des endroits très en vue, des endroits importants, eh bien...

17 Question: Monsieur Murselovic, qui étaient ces gens à bord des camions?

18 Réponse: C'étaient des Serbes, c'étaient des soldats serbes; c'étaient les

19 seuls à avoir des armes et ils se rendaient au front, en Croatie. Ce que

20 je veux dire c'est que, tout simplement, l'armée serbe –je dis: l'armée

21 serbe, les soldats serbes; c'est ça, le terme que j'emploie-, eh bien, ces

22 gens armés, ils tiraient beaucoup, ils dérangeaient les autres. Il y avait

23 beaucoup d'armes qui revenaient de République de Croatie en Bosnie et, à

24 l'époque, on disait que c'était en Bosnie que la concentration d'armes

25 était la plus grande de toute la Yougoslavie.

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1 Comment dire? Je dois dire que c'était en… Ce n'était pas manifeste, mais

2 on sentait qu'une méfiance commençait à s'installer entre les peuples.

3 Question: Monsieur Murselovic, essayons maintenant de parler de l'année

4 1992, avant le mois d'avril. Quelle est la situation politique qui

5 prévalait à ce moment-là, à Prijedor? Pouvez-vous nous décrire cela

6 brièvement?

7 Réponse: Qu'entendez-vous par là? Vous m'interrogez sur la situation

8 politique? Eh bien, j'ai dit que l'assemblée ne fonctionnait pas.

9 Question: Pourquoi l'assemblée ne fonctionnait-elle pas?

10 Réponse: Eh bien, les députés membres du parti SDS quittaient l'assemblée

11 et souvent, il y avait obstruction. Donc, l'assemblée ne pouvait pas se

12 réunir. Par exemple, on convoquait les députés, on présentait l'ordre du

13 jour et puis, quelqu'un imposait un point à l'ordre du jour qui empêchait

14 l'obtention de tout accord. Et ce qui se passait à ce moment-là, c'est que

15 les députés du SDS quittaient les sessions de l'assemblée.

16 Je me souviens moi-même d'une de ces occasions lorsque, une fois que les

17 députés serbes ont quitté la salle, tous les autres sont restés. Environ

18 60 députés sont restés après le départ des 30 députés serbes. Donc on

19 pouvait continuer à travailler. C'était Cehajic qui présidait la session.

20 Il a dit: "Les députés serbes sont partis, donc on ne peut pas continuer".

21 Moi-même je me suis levé et j'ai dit: "Mais nous avons le quorum!"

22 Cependant, la session a quand même été suspendue sans être reprise.

23 Il y avait donc des différends, des différences, des problèmes tels que

24 l'on ne pouvait pas travailler tous ensemble.

25 Question: A cette époque, avant le mois d'avril, est-ce que vous avez

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1 constaté ce qui était propagé par les médias en termes de propagande?

2 Réponse: La propagande c'était assez évident, c'est-à-dire les Serbes

3 devaient être armés, c'est-à-dire qu'il fallait absolument empêcher une

4 répétition du sort de la Deuxième Guerre mondiale, il fallait les

5 protéger, les sauvegarder. Il fallait éviter une répétition des désastres

6 et des catastrophes que l'on avait constatés pendant la Deuxième Guerre

7 mondiale. On a dit qu'ils avaient été tués par les Oustachis, on a parlé

8 des camps dans lesquels ils avaient souffert, et il y avait aussi les

9 reliques d'un certain nombre de saints qui étaient portées. Il y avait

10 énormément de préparations en cours pour éviter une répétition des

11 événements de la Deuxième Guerre mondiale.

12 Les Serbes pensaient qu'il serait nécessaire de se préparer à la guerre,

13 car ils ne voulaient pas une répétition des désastres de la Deuxième

14 Guerre mondiale, c'est-à-dire ce qui s'était produit une cinquantaine

15 d'années auparavant. C'est ce qui figurait dans la presse serbe.

16 Les journaux de Belgrade étaient lus par les uns et les autres et on

17 disait que les Serbes étaient en danger, qu'ils devaient se battre pour

18 protéger leurs droits. C'est comme cela que cela a continué.

19 Question: Monsieur Murselovic, vous savez que la prise de pouvoir à

20 Prijedor, dans la municipalité de Prijedor, a eu lieu le 30 avril 1992.

21 Réponse: Oui.

22 Question: Pendant le temps que vous étiez membre de l'assemblée

23 municipale, est-ce que vous avez vu M. Stakic? Est-ce que vous le

24 connaissiez bien?

25 Réponse: J'ai rencontré M. Stakic une fois que l'assemblée multipartite a

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1 été mise en place, c'était un jeune médecin. Il vient d'Omarska, enfin de

2 la région d'Omarska qui est assez densément peuplée. Avant 1992, c'est-à-

3 dire jusqu'en 1990, je ne le connaissais pas. Suite aux élections

4 multipartites et suite à la mise en place de l'assemblée, j'ai pu faire sa

5 connaissance car il est devenu vice-président de l'assemblée de Prijedor.

6 Question: Avant le 30 avril, avant la prise de pouvoir, est-ce que vous

7 avez parlé à M. Stakic quand il était vice-Président de l'assemblée, avant

8 la prise de pouvoir?

9 Réponse: Pour être tout à fait sincère, je dirais que parmi les députés,

10 entre les députés, il y a des communications tout à fait normales. Je n'ai

11 pas eu de contacts spécifiques avec M. Stakic mais nous nous connaissions,

12 nous nous saluions et il se rendait à ma buvette pour prendre son petit

13 déjeuner. Je le voyais dans la ville car, à l'époque, il était vice-

14 Président de la municipalité. Il était dans la rue où j'étais très

15 souvent. Enfin, nous nous connaissions sans avoir des relations

16 particulièrement proches, mais nous nous connaissions.

17 Question: Le 30 avril 1992, avez-vous appris qu'il y avait eu un

18 changement de pouvoir dans la municipalité de Prijedor?

19 Réponse: Le matin même, lorsque je me suis levé, les travailleurs, les

20 gens qui se rendaient à leur travail, me disaient qu'il y avait beaucoup

21 de soldats, plus que d'habitude, dans la ville. On a mis en place un

22 certain nombre de points de contrôle dans la ville et il y a une femme qui

23 m'a dit, enfin quelqu'un qui se rendait à son travail qui m'a dit qu'on

24 l'avait arrêté dix fois. "Il y avait des soldats au point de contrôle et

25 j'ai eu du mal à me rendre à mon travail"; c'est ce qu'elle m'a dit. Et je

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1 lui ai dit: "Nous allons probablement travailler. Nous allons probablement

2 ouvrir le restaurant. Je présume que quelqu'un viendra prendre un café ou

3 un jus de fruit."

4 J'avoue que je ne l'ai pas vraiment prise au sérieux cette situation.

5 C'était assez tôt, c'était vers 7 heures du matin. Ensuite, je me suis

6 rendu à ma maison, dans la zone piétonne. Mon restaurant se trouvait en

7 face et j'ai vu là beaucoup de soldats armés, toujours dans la ville.

8 C'étaient des soldats qui étaient armés, qui portaient des armes et qui se

9 comportaient d'une certaine façon, disons qu'ils ne manquaient pas

10 beaucoup de respect.

11 A la radio on disait qu'il y avait eu une prise de pouvoir par le SDS, et

12 c'est ce que j'ai vu autour de moi. Au début, j'étais choqué. Il y a eu

13 des proclamations qui ont été affichées partout dans la ville, en fait des

14 affiches se trouvaient partout. Il y avait aussi la radio locale qui

15 répétait le même message, c'est-à-dire que le SDS avait pris le pouvoir

16 car il ne pouvait plus voir une situation où, d'après lui, le SDA menait

17 la municipalité vers un désastre économique.

18 Le SDA n'était plus en mesure de résoudre les problèmes et c'est pour cela

19 que le SDS a pris le pouvoir, afin d'améliorer la vie des citoyens, afin

20 d'améliorer la situation économique. C'est ce qui se disait à la radio et

21 sur les affiches que l'on trouvait partout dans la ville. Une cellule de

22 crise ensuite a été mise en place. C'était une réaction peut-être assez

23 cynique.

24 En ce qui concerne le SDA, le SDA n'était pas seul à détenir le pouvoir à

25 Prijedor. Il y avait eu un partage de pouvoir entre le SDA et le SDS. Ce

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1 dernier avait donc aussi un certain pouvoir à Prijedor. Dire que c'était

2 entièrement la faute au SDA que la municipalité se trouvait en situation

3 économique désastreuse, c'était ironique et cynique.

4 Question: Dans votre dernière réponse, vous avez parlé de proclamations et

5 d'affiches. Est-ce que vous pouvez peut-être nous dire rapidement ce que

6 vous avez vu sur ces affiches et quelles ont été ces proclamations?

7 Réponse: Eh bien, écoutez, une proclamation a été faite pour les citoyens

8 de Prijedor. C'était il y a 10 ans, donc je ne puis pas vous dire

9 exactement ce qui figurait dans le texte mais, en gros, on disait que le

10 SDS avait pris le pouvoir parce qu'il ne pouvait plus tout simplement

11 regarder le SDA et les Musulmans faire en sorte que la municipalité se

12 trouve en situation économique désastreuse, etc., etc. C'était signé par

13 la cellule de crise de la municipalité.

14 Pour moi, c'était assez bizarre de voir cette mention, cette toute

15 première mention d'une cellule de crise. Ce n'était pas quelque chose dont

16 j'avais l'habitude.

17 La situation en ville, je dois le dire, était assez peu usuelle aussi; il

18 y avait beaucoup de points de contrôle, il y avait des soldats postés, il

19 y avait, sur les toits des immeubles, des soldats qui se déplaçaient sur

20 les toits.

21 J'ai bien compris que la situation était grave et que cette prise de

22 pouvoir, peu importe ce qu'on disait à la radio, c'est-à-dire qu'il n'y

23 avait pas eu un seul coup tiré. Malgré cela, à mon avis, cela augurait de

24 toute façon de mauvaises choses.

25 Question: Vous avez parlé d'une cellule de crise. Est-ce que vous avez

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1 appris, est-ce qu'on a dit qui était, qui occupait les postes dans cette

2 cellule de crise?

3 Réponse: Cela n'a jamais été fait ni dit officiellement, jamais

4 officiellement. On n'a jamais dit qui occupait des postes à l'intérieur de

5 la cellule de crise. Cependant, nous l'avons appris après la création de

6 la municipalité Serbe de Prijedor, parce qu'il y a eu une annonce publique

7 qui a été faite. Nous savions donc que des personnes qui occupaient des

8 postes importants se trouvaient dans la cellule de crise, car la

9 municipalité serbe de Prijedor était en attente, d'une certaine façon,

10 avant la prise de pouvoir. Une fois que cela a été fait, le Président de

11 la cellule de crise était Stakic. Enfin, ce n'était pas quelque chose qui

12 était dit publiquement, officiellement, mais tout le monde le savait. Il y

13 a d'autres noms qui n'ont jamais été annoncés de façon officielle et

14 publique.

15 Question: Savez-vous ce qui s'est passé avec ceux qui occupaient des

16 postes au gouvernement, qui avaient été élus légalement? Et ce qui s'est

17 passé aussi aux autres membres de cette assemblée, après la prise de

18 pouvoir?

19 Réponse: Eh bien, ces gens sont restés dans la ville. Je crois que le

20 lendemain de la prise de pouvoir, c'était un samedi ou un dimanche, donc

21 quelques jours après la prise de pouvoir, ces personnes, qui ne savaient

22 pas quoi faire d'autres, sont allées au bureau, à leur bureau et devant

23 chaque institution, chaque entreprise se trouvaient des soldats qui

24 gardaient les entrées; cela voulait dire que les personnes concernées ont

25 dû rebrousser chemin.

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1 Monsieur Cehajic a été empêché d'entrer dans son bureau également. Pendant

2 pas mal de temps après on a dit que M. Nedjad Seric a été renvoyé de

3 l'entrée du Tribunal. Ce monsieur était président du tribunal, juge, il

4 était en poste depuis quelques années. Il était extrêmement, il était...

5 c'était quelqu'un qui était apprécié par tout le monde, respecté par tout

6 le monde. Son père aussi avait travaillé à la municipalité également.

7 C'était quelqu'un de très connu dans la ville. Et lorsqu'on l'a empêché de

8 rentrer dans le tribunal, il n'a même pas pu franchir le seuil, il n'a pas

9 pu rentrer dans son bureau. Après cela, les gens commençaient à parler de

10 Seric en disant qu'il avait été renvoyé. Tout le monde l'a condamné: des

11 Musulmans, des Croates, des Serbes, tout le monde l'a condamné. Je vois

12 son nom écrit à l'écran, c'est Seric, S-E-R-I-C.

13 Voilà c'était un choc, c'était une surprise que de telles personnes soient

14 renvoyées chez elles. Une majorité de Croates et de Musulmans ont été

15 renvoyés chez eux, n'ont pas pu rentrer dans leur bureau sur les lieux du

16 travail.

17 Question: Monsieur Murselovic, vous avez dit que vous avez appris la

18 création de la cellule de crise après la prise de pouvoir en avril 1992.

19 Qui, d'après ce que vous savez, étaient les membres de la celleule de

20 crise et quelle est la source de vos informations?

21 Réponse: Je crois qu'en ce qui concerne les personnes les plus

22 importantes, enfin tout le monde savait, le président, M. Stakic, le

23 président du conseil exécutif, le Dr Kovacevic, il y avait dans la cellule

24 de crise un homme qui était responsable du secrétariat du département de

25 l'intérieur, c'est-à-dire la police, Simo Drljaca.

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1 Alors, en ce qui concerne ceux qui étaient actifs sur la municipalité

2 serbe de Prijedor -qui avait été mise en place deux mois auparavant-, ils

3 étaient impliqués là-dedans aussi.

4 Slobodan Kovacevic est également membre de la cellule de crise, d'après ce

5 que nous savions. Avant la guerre, il avait été enseignant et il avait

6 passé pas mal de temps sur le front en Croatie. Ensuite, il est devenu

7 commandant de la Défense territoriale. Voilà les membres principaux de la

8 cellule de crise. L'on disait qu'il y avait aussi des représentants

9 militaires, commandant de la caserne, Radmilo Arsic. Et quelqu'un qui

10 s'appelait Zeljaja. Et c'étaient les personnes qui occupaient les postes

11 les plus importants. Nous savions tout simplement que c'était la

12 municipalité serbe de Prijedor qui avait choisi ces personnes pour occuper

13 certains postes à l'intérieur de la municipalité.

14 Question: Est-ce que vous avez des informations en ce qui concerne les

15 lieux de réunion de cette cellule de crise, et la fréquence de ces

16 réunions?

17 Réponse: D'après nos informations, la cellule de crise se réunissait dans

18 le bâtiment, dans l'immeuble de la municipalité. Je ne vois pas d'autre

19 possibilité car M. Stakic était président de la cellule de crise, et en

20 même temps, il était président de la municipalité.

21 Question: Avez-vous entendu des annonces, des proclamations faites par la

22 cellule de crise après la prise de pouvoir?

23 Réponse: Après la prise de pouvoir, la cellule de crise faisait des

24 annonces; la cellule de crise a demandé aux Bosniens de restituer leurs

25 armes. La cellule de crise a également demandé à ce que les postes occupés

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1 par les Bosniens, dans les villages, soient restitués également. Les

2 proclamations étaient passées par la radio, les journaux locaux, enfin par

3 les médias.

4 Question: Monsieur Murselovic, est-ce que vous avez rencontré M. Stakic

5 après la prise de pouvoir? Et si oui, où?

6 Réponse: A l'époque, je vivais dans la ville et tout ce qui se passait

7 était peu habituel à mon avis. Je suis donc allé poser la question de

8 savoir si on allait continuer de travailler, si les gens allaient pouvoir

9 retourner dans leur bureau et comment tout cela allait évoluer. Je voulais

10 savoir ce qui allait se passer à l'avenir. J'ai appelé donc la

11 municipalité.

12 La secrétaire a répondu, elle s'appelait Mica, c'était son surnom. Je

13 pense que son nom de famille était Radakovic. Je lui ai demandé de me

14 mettre en contact avec le docteur Stakic. Je voulais savoir de sa part,

15 étant donné que c'était le responsable de la principale... de la

16 municipalité, je voulais savoir ce qui se passait. Elle m'a dit de me

17 rendre sur les lieux le lendemain.

18 Le lendemain matin, j'y suis arrivé vers 9 heures et demie. Je me suis

19 donc rendu à la municipalité. Je ne puis vous dire exactement quel jour de

20 la semaine, je ne sais plus, c'était peut-être le 3 ou le 4 mai, donc

21 quelques jours après la prise de pouvoir. Je m'y suis rendu avec quelques

22 personnalités importantes de mon association, Huso Hadzic, Andrea Pavic.

23 Je crois qu'il y avait aussi une secrétaire de notre association, un

24 secrétaire, M. Simatovic. Monsieur Stakic nous a rencontré vers 9 heures

25 et demie. Et j'ai fait quelques blagues avec Mica, la secrétaire, je lui

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1 ai dit: " Ecoute Mica, il y a tout le temps des changements de président

2 mais vous, vous êtes toujours là".

3 En fait, elle avait été secrétaire de M. Cehajic avant et pendant le

4 régime socialiste. Le Président de la municipalité était Mirko Pavic et

5 elle était sa secrétaire également. Je lui ai dit: "Ecoute Mica, il y a

6 tout le temps des présidents qui vont, qui s'en vont, qui changent, mais

7 toi, tu es là tout le temps". Alors nous sommes entrés dans le bureau de

8 M. Stakic et Marko Palic en est sorti. Alors, nous nous sommes salués car

9 nous nous connaissions déjà. Nous sommes allés à l'école ensemble, et

10 lorsqu'on était dans le bureau de M. Stakic j'ai dit très franchement: "De

11 quoi s'agit-il? Pouvons-nous aller travailler? Allons-nous pouvoir

12 travailler dans nos cafés? Est-ce que les cafés vont rester ouverts? Est-

13 ce qu'il y aura du carburant? Que se passera t-il? Est-ce que les choses

14 vont changer pour le meilleur?".

15 Monsieur Stakic m'a regardé et a dit: "Eh bien, on verra. Vous n'êtes

16 peut-être pas informé". Et ensuite, il a parlé des Kupres. Et ensuite, il

17 a dit, il ne savait pas exactement comment la situation allait évoluer. Et

18 puis, il nous a dit qu'il allait se rendre à Banja Luka vers 10 heures et

19 qu'il allait se renseigner pour savoir ce qui allait se passer. Et

20 ensuite, il m'a dit de revenir le voir, dès son retour. Alors nous sommes

21 restés là pendant 10 à 15 minutes.

22 Je n'ai pas appris grand-chose de nouveau. Je ne savais toujours pas ce

23 qui allait se produire. Monsieur Stakic m'a dit qu'il se rendrait à Banja

24 Luka. Il ne m'a pas dit qu'il allait à Banja Luka, il m'a simplement dit

25 qu'il allait trouver des informations sur place. Et ensuite, il a dit:

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1 "Nous allons nous revoir après, je vous raconterai". Mais, en fait, il ne

2 m'a jamais appelé et je ne l'ai pas appelé non plus. Et c'est comme cela

3 que ça s'est terminé. Et ensuite, le cours des événements a été

4 extrêmement rapide.

5 Question: Monsieur le Juge, est-ce que je peux poser une question très

6 simple avant de suspendre la séance ?

7 Monsieur Murselovic, très rapidement, lorsque vous avez vu M. Stakic ce

8 jour-là, vous l'avez vu où, c'est-à-dire dans le bureau du Président

9 occupé par M. Cehajic?

10 Réponse: Eh bien, je vais vous le dire: En ce qui concerne les bureaux

11 dans l'immeuble de la municipalité, on va citer toujours la même chose: en

12 entrant sur la gauche, il y avait le bureau du Président de la

13 municipalité car c'était un grand bureau avec aussi une salle de

14 conférence. Et sur la droite, il y avait le bureau du vice-Président avec

15 une seule pièce. Monsieur Stakic occupait déjà le bureau à gauche qui

16 était normalement le bureau du Président. Et j'avoue que j'étais un peu

17 surpris.

18 J'ai tiré la conclusion suivante: je pensais qu'il avait tout simplement

19 déménagé pour récupérer le bureau de Cehajic, donc peu de jours après la

20 prise de pouvoir. Il occupait déjà son bureau et je trouvais que c'était

21 un peu étrange car je savais qu'avant, il occupait un autre bureau qui se

22 trouvait à la droite de l'entrée.

23 M. Waidyaratne (interprétation): Monsieur le Juge, je pense qu'il serait

24 approprié maintenant de suspendre la séance.

25 M. le Président (interprétation): Merci. L'audience est levée. Nous allons

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1 revenir à 16 heures.

2 (L'audience, suspendue à 15 heures 45, est reprise à 16 heures 02.)

3 M. Waidyaratne (interprétation): Puis-je continuer?

4 Monsieur Murselovic, vous avez dit avant la pause que vous avez rencontré

5 M. Stakic dans son bureau. Lorsque vous vous êtes rendu au bâtiment de la

6 municipalité, est-ce qu'il y avait du personnel armé ou des soldats qui

7 étaient présents sur les lieux?

8 M. Murselovic (interprétation): Eh bien, devant le bâtiment, il y avait

9 normalement quelques soldats, comme devant tous les bâtiments de la ville.

10 Ce n'était pas tout simplement pour un bâtiment de la municipalité, il y

11 avait aussi des soldats armés devant le tribunal, devant le poste de

12 police, devant des banques, devant des institutions importantes.

13 Question: Avec la prise de pouvoir, qu'est-ce que vous avez constaté comme

14 changement au niveau de la municipalité de Prijedor?

15 Réponse: Vous voulez dire dans la ville?

16 Question: Oui.

17 Réponse: Eh bien, il y avait beaucoup de soldats qui se promenaient dans

18 la ville et ces soldats étaient armés. Devant, ou plutôt sur les

19 immeubles, dans la ville, il y avait des soldats armés; on les voyait très

20 visiblement sur les toits. La situation était assez triste. Il y avait

21 aussi un couvre-feu de 22 heures jusqu'à 6 heures. Pendant le couvre-feu,

22 on ne pouvait plus se déplacer dans la ville. La situation était

23 extrêmement tendue et je ne sais pas parce que, moi-même, je ne me

24 promenais pas dans la ville, mais les gens avaient peur. Et la situation

25 était loin d'être normale pour nous, pour notre ville.

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1 Question: Qui a imposé le couvre-feu?

2 Réponse: La cellule de crise a imposé le couvre-feu. On a dit très

3 clairement que la cellule de crise avait décidé du couvre-feu et de sa

4 durée, à commencer dans la soirée jusqu'au lendemain matin.

5 Question: Est-ce que les gens pouvaient se rendre à leur lieu de travail?

6 Est-ce qu'ils ont pu se déplacer librement?

7 Réponse: Pendant la journée, les gens se déplaçaient dans la ville.

8 Cependant, ils avaient peur en le faisant. La grande majorité des Bosniens

9 et des Croates ont été refoulés, n'ont pas pu rentrer sur leur lieu de

10 travail, ils n'ont pas pu rentrer dans des entreprises. Quand je dis

11 "entreprises", je veux dire les entreprises à propriété sociale. Et comme

12 je vous ai dit, la situation était extrêmement tendue; il y avait le

13 couvre-feu, il y avait beaucoup de soldats partout dans la ville, sur les

14 toits; beaucoup de soldats étaient armés. Mes employés se sont plaints en

15 disant que des soldats arrivaient au restaurant déjà saouls et laissaient

16 leurs armes sur le comptoir, sur les tables. Dans cette situation,

17 beaucoup de gens avaient l'impression d'être intimidés et avaient peur.

18 Question: Monsieur Murselovic, pendant cette période, est-ce que vous avez

19 été au courant des situations dans lesquelles les gens devaient prêter

20 serment de fidélité aux autorités serbes?

21 Réponse: La police, c'est-à-dire des Bosniens ou des Croates qui étaient

22 membres de la police, ont dû signer un serment de loyauté pour confirmer

23 leur loyauté envers le gouvernement serbe, "l'Etat serbe", comme ils

24 l'appelaient. Ils ont dû s'engager par écrit à se comporter de façon

25 loyale, surtout en ce qui concerne leur participation au travail du

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1 gouvernement serbe, et c'est quelque chose qui concernait principalement

2 les policiers.

3 La grande majorité des policiers bosniens et croates n'ont pas accepté de

4 signer cela; ils ont été tout de suite démis de leurs fonctions et on les

5 a désarmés également. Je dois ajouter qu'à l'époque, il y a un certain

6 nombre d'incidents, un certain nombre d'événements qui ont contribué à

7 augmenter la tension dans la ville. Il y a eu un certain nombre de

8 meurtres non résolus, il y a eu des incidents d'actes de vengeance, il y a

9 eu aussi des incidents où des personnes ont été sorties de bus et ensuite

10 tuées.

11 Il y avait un homme d'affaires très connu, Kuckavic(Phon.), qui a été tué

12 en banlieue; enfin, il était sur un tracteur, on l'a descendu du tracteur

13 et on l'a tué. Et puis, il y a d'autres personnes qu'on a sorties de bus

14 entre Prijedor et Bosanska Dubica, et ces personnes ont été tuées.

15 La cellule de crise était la seule source d'informations en ce qui

16 concerne ces événements, et la cellule de crise a dit que c'était pour

17 venger des meurtres de soldats dans la ville. Enfin, toute cette période,

18 c'était très peu sûr. Il y avait… On tirait partout. On ne pouvait même

19 pas dormir la nuit, étant donné qu'il y avait tellement de coups de feu.

20 Et tout cela contribuait à la peur qui régnait, donc il y avait très peu

21 de sécurité.

22 Question: Avez-vous constaté que les soldats et la police, à Prijedor,

23 agissaient en coordination avec ou sous les ordres du SDS ou de la cellule

24 de crise?

25 Réponse: Tout a été synchronisé et coordonné; la cellule de crise a donné

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1 des informations de la même façon que si c'était un commandant suprême. La

2 cellule de crise coordonnait le travail de la police et il y avait aussi

3 une certaine implication de la part de l'armée.

4 Question: Monsieur Murselovic, j'attire votre attention sur 22 mai 1992.

5 Est-ce que vous vous rappelez un incident qui s'est produit à Hambarine au

6 point de contrôle?

7 Réponse: Oui. C'était le 21 ou le 22, je ne m'en souviens plus exactement,

8 il y a eu un incident au point de contrôle détenu par des Musulmans de

9 Bosnie Hambarine où a eu lieu l'incident et six villages ou lieux-dits

10 qui, avant la guerre, étaient peuplés par plus de 10.000 Bosniens, qui ont

11 organisé leur propre défense et protection territoriale pour protéger

12 d'une certaine façon leur propre village. Ils n'ont pas quitté leur

13 village, ils sont restés à Hambarine.

14 A un des points de contrôle qui se trouvait sur la route vers Ljubija, il

15 y a eu un incident et il y a eu des coups de feu. Suite à cet incident, un

16 soldat serbe a été tué. Je crois que cet incident a eu lieu le 22 mai. La

17 cellule de crise a dit à la population que tous ceux qui avaient participé

18 à l'incident devaient se rendre. La cellule de crise a parlé d'un

19 commandant à Hambarine: Aliskovic était le nom. Oui, c'est cela,

20 Aliskovic. La cellule de crise voulait que cet homme se rende aux

21 autorités serbes. La cellule pensait que c'était lui le responsable de la

22 mort de ce soldat serbe.

23 Evidemment, les Bosniens ont refusé de se rendre et la cellule de crise a

24 lancé un ultimatum pour la reddition de tous les armements et pour que les

25 soldats se rendent aux autorités serbes. Et c'était cela l'ultimatum.

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1 Cet ultimatum a été propagé sur les ondes pendant toute la journée le 22

2 mai, et surtout par la radio locale. Je puis vous dire qu'avant cela,

3 pendant pas mal de temps, il a été impossible d'entendre, d'écouter

4 d'autres émissions de radio ou de regarder même la télévision en dehors de

5 cette radio locale. On n'a même pas pu regarder la télévision de Belgrade

6 ou de Sarajevo ou de Zagreb. La seule télévision que l'on pouvait regarder

7 était la télévision de Banja Luka et celle de Prijedor.

8 Question: Vous avez parlé d'un ultimatum qui a été radiodiffusé. Que

9 s'est-il passé à la fin, à l'expiration de cet ultimatum?

10 Réponse: Le lendemain, il y a eu un bombardement terrible du village. Le

11 bombardement de différentes armes a duré pratiquement toute la journée. Il

12 y avait également des chars, des chars qui ont traversé la rivière Sana

13 par le pont et en direction du village de Hambarine.

14 Les forces régulières de l'armée étaient également impliquées. C'était

15 horrible. Et pour la toute première fois, c'était alors que nous étions

16 confrontés à l'artillerie; l'artillerie était laissée dans les villages où

17 vivaient les Serbes, ce qui fait que les bombardements ont duré longtemps;

18 il y a eu beaucoup de destructions dans ces villages, ainsi que des

19 blessés civils en grand nombre.

20 Question: Qu'était-il visible de cette séquence d'événements une fois que

21 la cellule de crise a lancé un ultimatum, et à la fin de cet ultimatum

22 l'attaque de l'armée?

23 Réponse: Il était clair, évident que la cellule de crise et l'armée, ainsi

24 que la police, étaient en coordination car l'ultimatum a été lancé par la

25 cellule de crise et l'armée avec ses chars, et son artillerie a attaqué le

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1 village. Nous savions donc que tout ceci était tout à fait planifié et

2 coordonné.

3 Question: Monsieur Murselovic, étiez-vous au courant que par la suite une

4 zone qui s'appelait "Kozarac" était également attaquée?

5 Réponse: Quelques jours suivant l'attaque sur Hambarine qui, pour être

6 très honnête, n'a pas connu une résistance particulière, il y a eu

7 beaucoup de destructions; les gens ont vu que leurs maisons étaient en

8 train d'être détruites et les gens tués. Et ils étaient tous dans un état

9 de choc. Quelques jours plus tard, c'était du bombardement non sélectif

10 des maisons et des différents immeubles dans le village.

11 Mais, quelques jours plus tard, un ultimatum avait été lancé, à savoir que

12 Kozarac également, que la TO de Kozarac devait se rendre également, rendre

13 ses armes. Et je dois dire que Kozarac se trouve dans une partie

14 différente par rapport à Hambarine, à 12 kilomètres de Prijedor dans la

15 direction de Banja Luka.

16 Et ce n'est pas un village, c'est une petite ville. C'était auparavant une

17 municipalité composée de quatre communautés locales, et avant la guerre à

18 peu près 19.000 Bosniens y vivaient. Un petit pourcentage d'autres, des

19 Ukrainiens, des Croates y vivaient également, mais 95% de la population

20 était des Bosniens.

21 Ensuite, donc, un ultimatum a été lancé à Kozarac. D'après cet ultimatum,

22 Kozarac devait restituer ses armes et la TO devait se rendre. L'ultimatum

23 avait également été émis par la cellule de crise de la municipalité de

24 Prijedor. Et il a également été exigé que la police devait restituer ses

25 armes. Et ensuite, un bombardement terrible a suivi, bombardement avec des

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1 armes lourdes, des chars, des canons de tout calibre contre Kozarac. Ce

2 n'était encore une fois pas fait de façon sélective.

3 De mon propre appartement à Prijedor, je pouvais voir que, de toute part

4 dans la direction de Kozarac, des obus étaient tirés, des bombes tirées

5 des différentes directions vers Kozarac. Je ne suis pas un expert

6 militaire, nous pouvions néanmoins voir comment les tirs nous survolaient

7 en direction de Kozarac. Dans le cas de Kozarac, je peux également dire

8 que l'ultimatum a été lancé vers la police et la TO, la police à Kozarac

9 était d'origine ethnique bosnienne. Et malheureusement, la police a dû se

10 rendre à cette époque avec le commandant et aucun de ceux-là n'ont été

11 trouvés ou exhumés; apparemment ils ont tous été tués, le commandant de la

12 police était Mahmuljanin, je ne me souviens pas exactement de son nom.

13 Question: Monsieur le Témoin, j'aimerais maintenant en venir à un autre

14 endroit. Quand est-ce que vous avez été arrêté pour la première fois? Et

15 brièvement, décrivez-nous comment cela s'est passé?

16 Réponse: J'étais arrêté la première fois le 23 mai, c'était un samedi.

17 J'étais chez moi, tout seul. Je regardais la télévision, et

18 malheureusement on ne pouvait voir que le programme serbe de Banja Luka à

19 partir de 7 heures. Et à un moment donné, la speakerine a dit, lorsque

20 Iduel(phon.) était en train de lire les nouvelles, disons un groupe

21 d'extrémistes de Kozarac ont dit, admis que le financement des Bosniens

22 musulmans provenait d'un restaurateur célèbre, quelqu'un dans la

23 restauration à Prijedor, et qu'il s'appelait Murselovic. Docteur Kulenovic

24 de Zagreb a également été mentionné, quelqu'un que je ne connaissais pas

25 du tout.

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1 J'étais véritablement choqué lorsque j'ai entendu ces noms mentionnés à la

2 télévision et, à ce moment précis, j'ai appelé le policier. Le policier de

3 garde m'a répondu et j'ai dit mon nom. J'ai dit que l'information était

4 entendue pendant les nouvelles à la télévision.

5 Et j'ai dit: "De quoi s'agit-il? Est-ce que vous pouvez me donner plus

6 d'explications? C'est de la mésinformation. Est-ce que vous pouvez

7 m'expliquer?"

8 Un policier par le nom de Jankovic a répondu au téléphone, je le

9 connaissais personnellement; c'était un policier, un jeune policier. Il

10 m'a répondu en disant qu'il n'était pas au courant: "Ne vous inquiétez

11 pas."

12 Je l'ai appelé d'abord par téléphone et ensuite, je me suis rendu dans

13 l'immeuble de la police car c'est assez proche de mon domicile, il faisait

14 encore jour, il était 7 heures. Alors je leur ai demandé: "Qu'est-ce qui

15 se passe? Veuillez nier la véracité de cette information, je n'ai rien à

16 voir avec cela, ne m'impliquez pas dans des choses dans lesquelles je n'ai

17 rien à faire."

18 Il m'a dit: "Rentrez chez vous. Je ne suis pas au courant. Et si on a

19 besoin de quoi que ce soit, vous aurez des nouvelles bientôt."

20 Question: Est-ce que vous étiez membre, Monsieur le Témoin, d'un groupe de

21 résistance à un moment quelconque?

22 Réponse: Non.

23 Question: Est-ce que vous n'avez jamais financé la TO de Kozarac ou le

24 SDA?

25 Réponse: Ecoutez, pendant cinq à six mois je ne m'étais pas rendu à

Page 2705

1 Kozarac, je n'avais pas traversé Kozarac, je n'avais aucun lien spécial

2 avec Kozarac je n'ai jamais financé et j'étais vraiment..., j'avais fait

3 une blague sur cette question en disant que si quelqu'un voulait des

4 conseils de ma part, je les donnerai, mais je n'avais pas d'argent à

5 donner.

6 Question: Monsieur le Témoin, après cette annonce, vous êtes allé au

7 commissariat; ensuite vous êtes revenu. Est-ce que, par la suite, vous

8 avez été arrêté rapidement et emmené à la police?

9 Réponse: Une demi-heure plus tard, j'étais chez moi. Et peut-être 20 à 40

10 minutes plus tard, disons une demi-heure plus tard, quelqu'un a appelé de

11 la rue piétonne, quelqu'un a appelé mon nom car j'ai mon bureau là et tout

12 le monde sait que je suis là-bas à cette heure-là; je m'y trouve, je

13 regarde la télévision, je lis quelque chose. Alors, quelqu'un m'a appelé;

14 j'ai ouvert la fenêtre et j'ai vu deux policiers qui m'ont dit que je

15 devais préparer…, que je devais me préparer et descendre.

16 Question: Est-ce qu'ils étaient en uniforme, ces policiers?

17 Réponse: Oui. Il y avait deux policiers, un qui s'appelait Bato Kovacevic,

18 je le connaissais bien. Mais l'autre, je ne le connaissais pas.

19 Question: Est-ce qu'on vous a emmené au commissariat de Prijedor?

20 Réponse: Oui. On l'appelait Bato Kovacevic. C'était un policier du

21 commissariat de Prijedor.

22 Par la fenêtre, je leur ai dit que je m'étais déjà rendu au commissariat

23 et que ce n'était pas la peine de m'appeler. Ils m'ont demandé de

24 descendre et de les suivre.

25 Question: Est-ce que vous êtes parti avec eux?

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1 Réponse: Oui, je suis parti avec eux. Il ne m'ont pas posé de questions à

2 ce moment-là, ils ont attendu d'arriver au commissariat ou le secrétariat

3 de l'intérieur. C'était un immeuble, à peu près à 100, 150 mètres de mon

4 appartement. Et alors, ils m'ont emmené dans un bureau dans cet immeuble,

5 qui se trouvait au deuxième étage. La personne qui m'a interrogé était un

6 enquêteur, un jeune enquêteur qui s'appelait Krneta. Il m'a demandé: "Que

7 savez-vous de cela?", et je lui ai répondu: "Je ne suis au courant de

8 rien. Ce que j'ai appris, je l'ai appris par les nouvelles à la

9 télévision"; et c'était vraiment un cas de mésinformation.

10 Question: Est-ce qu'il vous ont enfermé, après cela?

11 Réponse: Oui. A Krneta, je lui ai dit que je n'étais pas du tout relié à

12 cela, "je veux rentrer chez moi", mais ils ne m'ont pas permis de rentrer.

13 J'étais au deuxième étage, dans un bureau, enfermé là-bas, et j'y suis

14 resté jusqu'à minuit, minuit 30. A partir de 7 heures, j'ai demandé à

15 rentrer car j'étais assis sur une chaise peu confortable pendant trois,

16 quatre heures; ils ne m'ont rien donné à boire, même pas un verre d'eau.

17 J'ai demandé à rentrer. D'ailleurs, je me demandais pourquoi je me

18 trouvais là-bas, pour commencer. Ils m'ont répondu, ils m'ont dit que je

19 devais dormir au commissariat.

20 J'ai dit: "Est-ce que cela veut dire que je suis arrêté?", et ils m'ont

21 répondu "oui" ou quelque chose de la sorte.

22 Question: Où avez-vous passé le reste du temps dans le commissariat?

23 Réponse: Lorsque j'ai quitté ce bureau qui se trouvait au deuxième étage,

24 c'était la pièce n°30 ou 31, j'ai vu que quelqu'un d'autre était emmené

25 dans ce bâtiment de la police: Ilijaz Music, un professeur qui travaillait

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1 avec moi à l'école. On nous a descendus dans un immeuble, dans l'enceinte

2 même du commissariat, et on nous a enfermés. C'était l'endroit où l'on

3 enfermait les gens si on les attrapait en état d'ébriété; il y avait des

4 barreaux assez élevés. Et là, j'ai vu plusieurs personnes qui étaient

5 venues comme moi; il y avait M. Music et d'autres personnes que je

6 connaissais. J'ai vu Mehmed Tursic, le directeur des finances de la

7 municipalité; le docteur Sikora, un jeune physicien; Jusa Ceric, un

8 commerçant qui était employé dans la société "Naftagas", et un jeune homme

9 qui avait 20 à 25 ans, qui travaillait dans un restaurant où travaillait

10 un de mes collègues.

11 On était en train de se parler, de se demander ce qu'on faisait là-bas, on

12 était tous des civils. Et après une demi-heure à peu près, soudain, les

13 portes se sont ouvertes et le président de l'assemblée, Muhamed Cehajic,

14 est entré. J'ai essayé de parler avec lui, de blaguer, de dire "nous

15 sommes en très bonne compagnie, de haut niveau, nous avons avec nous le

16 président". Et pendant que nous nous trouvions dans cet immeuble, dans

17 l'enceinte, la police était en train de charger, décharger leurs armes.

18 Ils tiraient avec leurs armes, des balles étaient tirées et certaines

19 étaient même tirées en direction de notre immeuble. Et ils disaient tout

20 le temps: "Ce sont des Oustachis, on devrait tous les tuer". Donc, il

21 fallait se retirer de la fenêtre.

22 En tout cas, nous avons passé la nuit dans ces locaux. Nous étions soit

23 debout, soit assis, et nous avions peur que les tirs… Nous avions peur de

24 ces coups de feu que nous entendions.

25 Question: Vous avez mentionné une personne, M. Ilijaz Music. Est-ce qu'il

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1 avait un poste dans le SDA?

2 Réponse: Oui. Il était membre du leadership pour ainsi dire, du SDA.

3 Pour dire la vérité, on se connaissait, on travaillait ensemble

4 auparavant. D'ailleurs, j'étais à l'école secondaire avec un de ses

5 frères; nous étions du même âge. Donc, il était vraiment haut placé dans

6 le SDA et d'ailleurs, il était même un des candidats bosniens pour la

7 présidence de la municipalité. Néanmoins, avec les primaires du parti, M.

8 Cehajic a eu plus de voix, du moins c'est ce que j'ai entendu, mais

9 c'était une personnalité importante du SDA.

10 Question: Savez-vous ce qui est arrivé à Ilijaz Music par la suite?

11 Réponse: Lorsque j'ai été libéré le lendemain, vers 5 ou 6 heures, 17, 18

12 heures, je n'ai jamais vu Music par la suite. J'ai été libéré, je n'ai

13 jamais vu Music par la suite.

14 Le lendemain, c'est-à-dire le lundi, un jour ouvré, j'ai reçu un appel de

15 son frère, le docteur Music, qui m'a dit qu'il avait entendu que j'avais

16 été, avec son frère, arrêté. Donc, il a pris des nouvelles de son frère

17 car son frère était nulle part. Je lui ai répondu qu'effectivement,

18 j'avais vu son frère mais je ne savais pas ce qu'il lui était arrivé; je

19 ne sais pas s'il est resté là-bas ou s'il a été libéré. Par la suite, le

20 docteur Music, le frère aîné d'Ilijaz Music m'a dit: "Je vais le chercher.

21 Je vais me rendre à la police et à la municipalité demain. C'est ridicule!

22 Qu'ont-ils fait de mon frère?" Et par la suite, j'ai appris que ce médecin

23 l'a fait, et lui-même a disparu. Je n'ai plus eu de ses nouvelles et je ne

24 l'ai plus jamais vu.

25 Question: Il s'appelait le professeur Ilijaz Music; est-ce exact?

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1 Réponse: Oui. Il était professeur de physique.

2 Question: Le nom de Meho Tursic… Est-ce que vous l'avez vu, depuis? Vous

3 avez mentionné ce nom.

4 Réponse: Oui, franchement je l'ai vu, Mehmed Tursic. Par la suite, lorsque

5 je suis venu à Omarska à peu près 10 jours, un car est rentré. Comme

6 d'habitude, le car emmenait des prisonniers à Omarska. Et il est arrivé

7 dans un même groupe avec le président du tribunal, M. Nedjad Seric; je

8 l'ai vu quitter le car et je l'ai vu pendant de nombreux jours dans

9 l'enceinte du camp, car on se voyait lorsqu'on allait déjeuner. Néanmoins,

10 après trois ou quatre jours, je ne l'ai plus revu. Mais je l'ai vu au

11 début, lorsqu'il est arrivé à Omarska.

12 Question: Savez-vous s'il a survécu au camp d'Omarska?

13 Réponse: Non, ça, c'est sûr. Car par la suite, à la fin de 1992, j'ai

14 rencontré son épouse à Zagreb; elle est partie pour la Suède, dans un

15 convoi qui partait de Zagreb. Elle est partie à la fin de 1992 ou par la

16 suite et ensuite, je l'ai rencontrée lorsqu'elle est venue à Prijedor en

17 1998 et 1999; c'est à cette époque-là qu'elle m'a dit que Mehmed Tursic

18 avait été arrêté le 22 mai. Ensuite, il a été libéré et de nouveau arrêté

19 et emmené à Omarska. Et ensuite, il a disparu, elle a perdu trace de lui.

20 Donc, on ne l'a plus revu. Par la suite, c'est assez sûr qu'il a été tué à

21 Omarska.

22 Question: Monsieur Mehmed Tursic, quel était son poste au sein du SDA?

23 Réponse: Je ne sais pas quel était son poste dans l'organisation, dans la

24 structure organisationnelle du SDA, mais le SDA l'avait désigné comme

25 directeur de l'agence financière.

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1 Question: Les deux personnes que vous avez mentionnées, Iljaz Music et

2 Mehmed Tursic, à quel groupe ethnique appartenaient-ils?

3 Réponse: C'étaient des Musulmans, des Bosniens. Des Bosniens musulmans.

4 Question: Vous avez parlé d'une autre personne, Dr Sikora, un médecin.

5 Savez-vous ce qu'il lui est arrivé?

6 Réponse: Ecoutez, je vais vous dire à son propos c'était un jeune médecin.

7 Je le connaissais assez bien car il venait souvent à mon restaurant, et

8 c'était quelqu'un de très ouvert, très mondain. Je ne l'ai plus revu après

9 son arrestation, l'arrestation du 23 mai.

10 Le lendemain, lorsque j'ai été libéré, sa mère est venue me voir car la

11 rumeur circulait à savoir que nous étions arrêtés tous les deux, donc sa

12 mère est venue me voir pour avoir des nouvelles de son fils. J'étais

13 incapable de lui dire quoi que ce soit car je ne savais rien. Je lui ai

14 dit que j'avais été libéré, que lui, probablement, y était resté. Ensuite,

15 je l'ai emmenée dans ma voiture à son domicile, près de l'hôpital, à

16 Urije. Et je n'ai plus revu sa mère par la suite.

17 J'ai rencontré son père car il était dans le camp d'Omarska également, et

18 je lui parlais souvent là-bas. C'était une personne âgée de 75, 76 ans. Il

19 est allé à Omarska et Manjaca et, par la suite, il a été libéré. Mais je

20 ne sais pas ce qu'il est advenu de lui, mais je sais que son fils Zelko

21 Sikora... je ne sais pas ce qui lui est arrivé.

22 Question: Vous avez parlé de Muhamed Cehajic, c'était le 23 mai 1992

23 lorsque vous l'avez vu dans une cellule, dans l'immeuble du SUP. Est-ce

24 que vous l'avez vu par la suite?

25 Réponse: Lorsque j'ai été arrêté pour la deuxième fois, je l'ai vu à

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1 Omarska le 30 mai, c'est-à-dire sept jours plus tard. Il était à Omarska

2 dans la même salle, dans la même pièce que moi. Lorsque nous sommes

3 arrivés à Omarska, le soir du 30, c'est le moment où j'ai été arrêté pour

4 la deuxième fois; je l'ai vu assis par terre, sur le carrelage. Il avait

5 une barbe pas rasée et je ne comprenais pas qu'il dormait par terre

6 pendant sept jours.

7 Question: Qu'est-il arrivé par la suite à cette personne?

8 Réponse: Puisque nous étions dans la même pièce je l'ai beaucoup vu, j'ai

9 beaucoup parlé avec lui également. Il est resté dans cette pièce avec nous

10 pendant quelque temps et, par la suite, il est allé à Banja Luka pour être

11 interrogé. Il m'a même montré un genre de projet d'Acte d'accusation,

12 l'accusant de quelque chose.

13 Il a passé 10 à 15 jours à Banja Luka au plus, et par la suite, il est

14 revenu dans notre pièce et il a dit que les choses n'étaient pas si

15 mauvaises que cela pour lui à Banja Luka; on lui avait donné de la

16 nourriture, des cigarettes car c'était un grand fumeur. Il était content

17 du traitement qu'il avait reçu à Banja Luka. Il est donc resté avec nous

18 pendant quelque temps, dans une situation où nous étions 700 dans une

19 grande pièce. Par la suite, on l'avait sorti de cette pièce et je ne l'ai

20 plus jamais revu.

21 Question: Vous avez parlé du docteur Sikora. Savez-vous de quelle

22 appartenance ethnique il était?

23 Réponse: Zeljko Sikora était croate. C'était un catholique.

24 Question: Monsieur Murselovic, vous avez dit qu'on vous a relâché le

25 lendemain. Pourriez-vous nous décrire brièvement comment cela s'est

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1 produit?

2 Réponse: Dans la matinée du 24, on m'a fait revenir de cette petite

3 cellule où l'on a passé la nuit. On m'a amené devant la personne qui nous

4 interrogeait et dont le nom de famille était Krneta. C'était un jeune

5 homme. Il m'a dit que son épouse était musulmane et qu'ils avaient un

6 enfant. Je connaissais son père à un moment, il y a longtemps, il y a 25

7 ou 30 ans; j'ai travaillé avec lui dans le parc, la réserve naturelle. Il

8 était garde forestier là-bas, donc je l'ai connu un petit peu.

9 Eh bien, il m'a dit à un moment: "Murselovic, vous savez qu'il y a eu un

10 démenti de la part de la cellule de crise des renseignements qui ont été

11 diffusés par les médias à votre sujet?".

12 J'ai été heureux de l'apprendre, c'était plutôt un soulagement pour moi.

13 Et je lui ai répondu: "Mais alors, pourquoi ne me libérez-vous pas?". Il

14 m'a dit: "Il faut attendre un petit moment, on verra ce que l'on fera à

15 ton sujet."

16 Donc, je suis resté dans ce bureau jusqu'à 16 heures, 17 heures à peu

17 près. Il y a eu des policiers qui sont venus. Un certain Mehagic, Drago

18 Mehagic, il m'a même donné à manger. Voilà, ils étaient relativement

19 corrects. Ensuite, ils m'ont emmené voir Ranko Baja, il s'appelle Mijic,

20 c'est son nom de famille. Il était à la tête de ce service d'enquête

21 criminelle au sein de la police.

22 Je le connaissais, il est un petit peu moins âgé que moi, peut-être une

23 dizaine d'années. Et je lui ai dit: "Baja, que se passe-t-il? Pourquoi

24 suis-je détenu ici?", il m'a répondu: "Toi, tu seras libéré."

25 J'ai dit: "C'est bien. Mais pour quelle raison suis-je ici?". Il m'a

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1 répondu: "Laisse tomber, tu sortiras d'ici." Puis, il m'a demandé si

2 j'avais l'intention d'aller ailleurs, si j'allais rester à Prijedor pour

3 qu'il puisse m'appeler s'ils avaient besoin de moi. Je lui ai dit:

4 "Ecoute, de toute façon il est impossible de sortir, Prijedor est bloquée

5 de toute part; pas un oiseau ne pourrait s'envoler, tous les accès sont

6 bloqués." Et il a dit: "Voilà, ma famille est partie à Belgrade par avion,

7 ta famille est partie", et moi j'ai dit: "Oui, si je pouvais, je partirai

8 à Belgrade." Il a ajouté: "Ecoute, on te libère, mais tu n'a pas le droit

9 de quitter Prijedor, il faut que tu restes dans les parages." J'ai donc

10 été libéré vers 18 heures.

11 Question: Monsieur Murselovic, vous avez dit que Krneta, la personne qui

12 s'est adressée à vous avant que vous ne parliez à Mijic, a dit que la

13 cellule de crise a émis un démenti des informations qui vous concernaient.

14 Ils ont dit d'où venait ce renseignement?

15 Réponse: Eh bien, je ne sais pas d'où cette information est venue mais

16 quelqu'un a dit, c'est tout ce que je sais, quelqu'un a dit que la cellule

17 de crise a démenti. Il ne m'a pas dit quoi que ce soit d'autre, c'était

18 tout ce qu'il m'a dit. Je me suis dit: "Bon, bien, c'est bien".

19 Question: Vous avez mentionné un certain "Baja", c'est un surnom, il

20 s'appelait Mihic de nom de famille. C'était un policier au commissariat de

21 police de Prijedor?

22 Réponse: Oui, c'était le chef de la section chargée des enquêtes

23 criminelles, c'était lui qui avait autorité sur tous les inspecteurs de

24 police et ceux qui nous faisaient subir des interrogatoires.

25 Question: L'avez-vous revu lorsque vous vous êtes retrouvé détenu au camp

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1 d'Omarska?

2 Réponse: Il m'est arrivé de le revoir à Omarska, il y est venu à plusieurs

3 reprises, puis je l'ai revu à Prijedor. Il y a sept jours, je l'ai croisé

4 à Prijedor.

5 Question: Monsieur Murselovic, ce que je veux savoir, pendant que vous

6 étiez détenu au camp d'Omarska, vous est-il arrivé de voir M. Mijic se

7 rendre au camp d'Omarska?

8 Réponse: Oui.

9 Question: Savez-vous pour quelle raison il est venu là-bas?

10 Réponse: Eh bien, tous les prisonniers qui ont été amenés à Omarska ont dû

11 subir des interrogatoires, des sortes d'interrogatoire. Quant à lui, ce

12 que je suppose, c'est qu'il était à la tête de ce service, tous ces

13 inspecteurs étaient placés sous ses ordres. Il y avait beaucoup

14 d'enquêteurs. Ils se rendaient tous les matins par autocar à Omarska, et

15 ils nous faisaient subir des interrogatoires à tous les détenus. Moi aussi

16 j'en ai fait partie.

17 Question: Très bien. Vous a-t-on arrêté encore une fois le 30 mai 1992?

18 Réponse: Oui. La police m'a arrêté de nouveau, le 30 mai, c'était dans la

19 matinée vers 11 heures, midi. J'ai entendu des coups à la porte et l'un de

20 mes voisins se trouvait là, Ranko Nujasinovic. Il portait un uniforme

21 militaire, c'était un jeune homme, il n'habitait pas loin, à quelques

22 dizaines de mètres de chez moi, il était en uniforme militaire. Il m'a

23 dit: "Ecoute, tu n'es pas en sécurité ici, il faut passer en face dans

24 l'hôtel Balkan". Il n'était pas seul, il était en compagnie de plusieurs

25 autres policiers, et nous sommes tous entrés dans cet hôtel Balkan.

Page 2715

1 Tous mes voisins étaient là, il y avait des Serbes, des personnes âgées,

2 des Bosniens. On s'est installé dans le restaurant, le bar de l'hôtel

3 Balkan, et on y est restés pendant au moins trois ou quatre heures.

4 Avant cela, ils m'ont demandé si j'avais des armes, si j'avais un

5 pistolet, des choses comme cela. J'ai répondu que j'avais un pistolet et

6 un permis de port d'armes. Ils m'ont demandé de leur remettre mon

7 pistolet. Donc, je suis rentré chez moi, dans mon appartement; je l'ai

8 pris, j'ai pris également mon permis de port d'armes et j'ai remis cela à

9 mon voisin Ranko Nujasinovic.

10 Question: Vous avez remis votre pistolet ainsi que votre permis à la

11 personne qui est venue vous demander de quitter la maison?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Il portait un uniforme; c'était quel genre d'uniforme?

14 Réponse: Il était en uniforme de la police.

15 Question: C'était un policier?

16 Réponse: Il n'était pas policier, ce n'était pas son travail; c'étaient

17 tous des policiers de réserve.

18 Question: Vous avez dit que vous ainsi que d'autres personnes avez été

19 emmenées à l'hôtel Balkan. Qui étaient les autres personnes qui se

20 trouvaient à l'hôtel?

21 Réponse: Mais il y avait beaucoup de monde. Des voisins, c'étaient mes

22 voisins. Il y avait beaucoup de gens que je connaissais. On les a amenés

23 de toute part, de différents endroits dans la ville et c'est là qu'on

24 s'est installé à l'hôtel. On ne savait pas pour quelle raison on était là.

25 Mais on entendait des coups de feu, il y en avait pas mal et ils nous ont

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1 expliqué que l'on se trouvait en sécurité à l'hôtel. Donc c'était cela, la

2 raison qu'ils ont invoquée.

3 Question: Que s'est-il passé par la suite? Vous a t-on emmené quelque

4 part?

5 Réponse: Ensuite, ils nous ont dit qu'il fallait que les Serbes restent et

6 que les Croates et les Musulmans, les Bosniens devaient se mettre

7 ailleurs, donc les hommes âgés de moins de 60 ans, et qu'il fallait que

8 l'on s'aligne, que l'on constitue un alignement. Ensuite, quand on a fait

9 cela, quand on s'est séparés en groupes, ils nous ont ordonné de quitter

10 l'hôtel, puis ils nous ont envoyé vers les autocars qui étaient garés déjà

11 depuis un moment. On nous a fait monter dans ces autocars.

12 Parmi les gens que je connaissais, eh bien, il y en avait pas mal que je

13 connaissais, entre autre ceux dont je me souviens c'est qu'il y avait

14 Jefik Terzic; on l'appelait "Kiki", il était barbier. Assis, Kapetanovic,

15 un restaurateur. Dans cet autocar, on n'était pas très nombreux, peut-être

16 une vingtaine, 25 tout au plus.

17 Question: Y a-t-il eu des gens qui se sont fait passer à tabac ou qui ont

18 été battus afin de monter dans l'autocar?

19 Réponse: Eh bien, ce policier de réserve, Vujasinovic, et ce "Kiki", ce

20 barbier, eh bien, il a voulu se renseigner pour savoir où on allait partir

21 puisqu'il l'a connu en tant temps qu'enfant. Il était en bons termes avec

22 son père, son père Sveto habitait là et ce barbier, eh bien, il avait son

23 commerce là, à côté. Tout ça se trouve à côté, en centre ville, et le

24 petit est venu souvent avec ses parents chez ce barbier. Donc, le barbier

25 qui était un peu plus âgé le connaissait; cependant, il lui a donné un

Page 2717

1 coup de pied dans le derrière, ce jeune policier a donné un coup de pied à

2 cet homme assez âgé et il a dit au chauffeur : "emmène ces merdes!".

3 Question: Vous-même, avez-vous reçu des coups à ce moment-là?

4 Réponse: A cette occasion, je n'ai été battu par personne jusqu'à ce qu'on

5 démarre. Quand l'autocar est parti, en fait, il s'est arrêté, on est parti

6 de l'hôtel Balkan vers la rue Moje Pijade en direction de la poste, et

7 puis on a tourné vers la police, vers la mairie et avant le passage piéton

8 qui sépare la police et la poste, l'autocar s'est arrêté. Il y avait un

9 policier qui est monté avec nous dans l'autocar; il portait un fusil et je

10 le connaissais. Je l'ai connu depuis longtemps. Je ne me rappelle pas de

11 son nom; Grahovac, je pense, mais je n'en suis pas sûr.

12 Je le connais bien, je lui ai demandé: "Où est-ce que vous nous emmenez?

13 Pour quelle raison est-on dans cet autocar? Pourquoi nous emmenez-vous?

14 Il a hoché des épaules et il a dit: "Je ne sais pas". Lorsque l'autocar

15 s'est arrêté, je lui ai demandé : "Puis-je descendre pour aller au

16 commissariat de police pour savoir ce qui se passe, pourquoi on nous

17 emmène? Pourquoi nous arrêtez-vous? Pourquoi nous emmenez-vous? Qu'est-ce

18 que c'est que cette police?".

19 Il m'a répondu : "Si tu veux descendre, tu n'as qu'à descendre là!".

20 "Est-ce qu'il y a un chef ? Est-ce qu'il y a Drljaca, Jankovic? Mais qui

21 sont ces gens qui nous emmènent? Qui sont les gens qui nous arrêtent?" Je

22 trouvais cela étrange, vous savez. Eh bien, c'étaient des gens âgés, des

23 civils, des hommes d'affaires; c'était étrange, ce n'était pas du tout

24 normal, ce qui se passait.

25 Je suis descendu de l'autocar et ce policier m'a permis de descendre, donc

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1 je suis allé au commissariat de police pour me renseigner, pour savoir ce

2 qui se passait et pour protester. En face de moi, il y avait un soldat, il

3 me semble qu'il portait des insignes militaires, et il m'a demandé: "Mais

4 où vas-tu? Où allez-vous?".

5 J'ai dit: "Eh bien, Monsieur, je ne vous connais pas. Mais je vois qu'on

6 est en train d'arrêter des gens, on les emmène quelque part et je n'ai

7 aucune idée de ce qui se passe. Je veux voir un chef, je veux savoir

8 pourquoi cela se passe". Et il ne me connaissait pas, donc cela veut dire

9 qu'il n'était pas de Prijedor, sinon il me connaîtrait s'il avait été de

10 Prijedor. Il m'a dit: "Quel est votre nom?".

11 Quand je lui ai répondu "Murselovic Muharem", il avait l'air complètement

12 stupéfait et il m'a dit: "Mais c'est vous, c'est vous qui égorgez des

13 enfants serbes! Reculez, rebroussez chemin!". Il m'a donné un coup de pied

14 et je suis reparti pour monter dans l'autocar. Il me suivait, il m'a dit:

15 "C'est vous qui voulez égorger nos enfants serbes, c'est ça!". Et il m'a

16 dit: "Mettez-vous par… allongez-vous par terre, à l'intérieur", et c'est

17 ce que nous avons fait.

18 Question: Monsieur Murselovic, pour ce qui est des autocars, avez-vous pu

19 savoir à quelle compagnie ils appartenaient? C'étaient des autocars

20 d'Autotrans?

21 Réponse: Oui, c'était la société "Autotransport", la société d'Etat. Et

22 puis, il y avait des autocars qui faisaient partie des transports en

23 commun municipaux, qui étaient des autobus qui circulaient normalement à

24 l'intérieur de la ville de Prijedor.

25 Question: La ville de Prijedor?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: Y a-t-il eu une escorte armée à l'intérieur des autocars?

3 Réponse: Dans l'autocar où je me trouvais moi-même, il y avait un soldat,

4 plutôt un policier armé qui se trouvait à côté du chauffeur, donc au

5 niveau de l'entrée de l'autocar. Il était là, donc, et nous, nous étions

6 allongés par terre. On n'était pas assis sur des sièges, on était par

7 terre. Et une fois partis, ayant bien quitté la ville, il nous a dit:

8 "Maintenant, vous pouvez vous installer sur les sièges".

9 Question: Quelle a été la destination de ces autocars?

10 Réponse: Tous les autocars sont partis par la rue des Partisans,

11 Partizanska, dans le village Gomjenica. Et lorsque nous nous sommes

12 installés dans les sièges, nous avons vu que… Au bout d'une demi-heure à

13 peu près, je crois, nous sommes arrivés vers Tomasica et Sanicani; ce sont

14 des villages dans les environs. Nous sommes entrés dans le complexe des

15 mines d'Omarska, mais du côté de Sanicani et Gomjenica. Vous savez,

16 Omarska se trouve entre Prijedor et Banja Luka et nous y sommes entrés par

17 l'autre côté, que je ne connaissais pas en fait. De toute façon, je ne

18 connaissais pas ces mines, je n'y ai jamais mis les pieds de ma vie;

19 jamais je n'ai eu l'occasion d'y aller, aucun besoin de m'y rendre.

20 C'étaient des mines de fer Ljubija, mais la partie où nous sommes arrivés

21 s'appelait Omarska et Tomasica.

22 Question: C'était le 30 mai 1992. Pendant combien de temps êtes-vous resté

23 à Omarska?

24 Réponse: A partir du 30 mai, je suis resté à Omarska qui était un camp,

25 qui était clôturé. Il y avait des gardes, il y avait bien des choses qui

Page 2720

1 se sont passées là-bas. Eh bien, j'y suis resté jusqu'au 6 août 1992.

2 Question: Monsieur Murselovic, au sujet du camp d'Omarska, vous êtes

3 arrivé au camp et vous y êtes resté pendant presque plus de deux mois.

4 Pouvez-vous nous préciser quelle est la partie du camp où vous avez été

5 détenu, des noms de ces endroits où vous étiez détenu?

6 Réponse: J'ai passé environ 70 jours au camp. Quant à la pièce où je me

7 suis trouvé, c'est une pièce qui était appelée "la pièce de Mujo"; elle se

8 trouvait derrière le restaurant. Autrefois, c'étaient des vestiaires,

9 c'étaient des casiers, des casiers que l'on pouvait repousser pour les

10 placer contre le mur. Et j'ai passé pratiquement tout ce temps dans cette

11 pièce, mais à part quelques heures dans la journée où je me trouvais sur

12 la Pista; on appelait cet endroit comme ça, "la pista".

13 Question: Monsieur Murselovic, pouvez-vous décrire à la Chambre cette

14 pièce qui s'appelait "la pièce de Mujo"? Quelles étaient les dimensions de

15 cette pièce?

16 Réponse: Eh bien, cette pièce, c'était face d'où on entrait, de côté…

17 avait à peu près 15 mètres sur 12, quelque chose comme cela; en profondeur

18 une douzaine de mètres, puis 15 mètres de long à peu près.

19 Question: Lorsqu'on vous a placé dans la "pièce de Mujo" pour la première

20 fois, le 30 mai 1992, il y avait déjà combien de personnes dedans?

21 Réponse: Dans cette pièce, il n'y avait pas beaucoup de monde, une

22 dizaine, une quinzaine de personnes, très peu. Et c'est là que j'ai revu

23 le président de l'assemblée Cehajic.

24 Question: Et d'après vos estimations, durant cette période où vous y étiez

25 détenu, il y a eu combien de personnes dans la pièce?

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1 Réponse: Eh bien, le nombre était variable, 200, 300, jusqu'à 600, 700

2 personnes. On était entassés comme des sardines, on était serrés. Je ne

3 sais pas pourquoi parce que, parfois, ils déplaçaient des gens. Mais la

4 plupart du temps, il y avait environ 500 personnes dedans.

5 Question: Saviez-vous de quelle appartenance ethnique étaient les détenus

6 dans cette pièce?

7 Réponse: Je connaissais personnellement la grosse majorité de ces gens.

8 Pour la plupart, c'étaient des Bosniens, des Musulmans, mais il y avait

9 aussi un nombre non négligeable de Croates, mais ils étaient moins

10 nombreux.

11 Question: Stipo Jojic, est-ce quelqu'un que vous avez vu dans cette pièce?

12 Réponse: Jojic, oui, lui aussi s'y trouvait. C'était un prêtre catholique

13 de Ljubija . Je ne l'avais pas connu auparavant, mais c'est lui qui est

14 venu me parler et il m'a posé des questions, il m'a demandé comment cela

15 allait. Il m'a dit qu'il était prêtre catholique et il m'a dit que sa

16 paroisse était à Ljubija. Je ne sais pas comment cela s'appelle exactement

17 chez les catholiques. Souvent on a eu l'occasion de se parler, lui aussi

18 il était détenu là-bas. Il y avait un certain nombre de Croates, peut-être

19 5 à 10% de Croates, non 5%, pas plus. Et il y avait un musicien, un garçon

20 adorable, un professeur de musique, Ivica Peretin il s'appelait, c'était

21 aussi un Croate. Il y avait un camionneur ou un transporteur, lui et son

22 fils étaient détenus là-bas, c'étaient des Croates eux aussi.

23 Question: Vous avez demandé à Stipo Jojic pour quelle raison il a été

24 détenu là-bas?

25 Réponse: Je n'avais aucune idée de cela. Bien, vraisemblablement parce

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1 qu'il était Croate. Pourquoi moi-même j'étais détenu? Je ne savais pas

2 pourquoi on m'a détenu moi-même. Comment voulez-vous que je sache pourquoi

3 Jojic a été détenu?

4 Question: Avec le temps, dans quel état étaient les prisonniers dans cette

5 "pièce de Mujo"?

6 Réponse: De manière générale, dans tout le camp les conditions étaient

7 inhumaines. Nous dormions sur des carreaux. Certains avaient des feuilles

8 de papier cartonné, cela c'était déjà un privilège, un grand privilège de

9 pouvoir s'allonger sur quelque chose qui nous protège du sol nu. Et ceux

10 qui avaient un manteau s'allongeaient sur leur manteau. Tout simplement,

11 eh bien, c'étaient des conditions tout à fait anormales pour tous. Pour ce

12 qui est de la nourriture également.

13 Une fois par jour on nous faisait sortir dehors pour manger. On nous

14 alignait par 30, puis il fallait que l'on mange en un temps record. Il

15 fallait courir depuis la "pista", depuis cet espace que l'on appelait la

16 "pista". On devait arriver en courant dans la cantine, on devait prendre

17 très vite la nourriture qu'on nous versait, il fallait manger très vite et

18 il fallait ressortir encore plus vite pour rendre l'assiette dans laquelle

19 on avait reçu la nourriture. Et c'était le plus souvent une sorte de soupe

20 aqueuse ou des pois chiches ou quelques morceaux de pommes de terre, mais

21 c'était pourri. Et en ressortant on se faisait battre. A la sortie, vous

22 savez, souvent il y avait de l'eau, de l'huile qui se renversait, donc,

23 c'était glissant, le sol était glissant et les gardes nous attendaient là

24 pour nous donner des coups.

25 Quant à l'eau, on la buvait dans la rivière, la Gonjanisa(phon.). En fait,

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1 ce n'était pas de l'eau potable, c'était de l'eau industrielle et il y

2 avait énormément de gens qui souffraient de dysenterie, qui avaient des

3 problèmes d'estomac, toutes sortes de maladies d'estomac. Et il y avait

4 des gens qui ne pouvaient pas manger cette nourriture. Alors, ils étaient

5 constipés et puis, pendant 30 ou 60 jours, ils ne pouvaient plus aller

6 faire leurs besoins. Moi-même, pendant plus de 30 jours je ne suis pas

7 allé faire mes besoins.

8 Dans l'autre pièce, il y avait une partie qui était séparée où, autrefois,

9 il y avait des sortes de cuvette, des toilettes, et les excréments

10 ressortaient là parce que, apparemment, il y avait des conduites, des

11 canalisations qui étaient bouchées. Donc, cela flottait là. Et des détenus

12 étaient forcés d'être assis à côté. C'était vraiment triste et dégoûtant.

13 Question: Vous aviez accès aux soins médicaux?

14 Réponse: Non, il n'y avait absolument pas de soins médicaux. Tout

15 simplement, il y avait beaucoup de problèmes avec des personnes qui

16 souffraient de maladies chroniques, le diabète par exemple. Les gens se

17 sont retrouvés sans médicament. Paraît-il, il y avait un médecin au camp

18 mais il ne recevait jamais les détenus. Les médicaments, après tous ces

19 passages à tabac, les pansements, vous savez, c'étaient des simple

20 torchons que l'on imbibait d'eau pour les placer sur des plaies pour que

21 les plaies passent plus vite. En fait, toutes les traces que l'on avait

22 suite aux coups que l'on recevait sur notre corps.

23 M. Waidyaratne (interprétation): Monsieur le Président, serait-ce le

24 moment opportun pour suspendre?

25 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Nous allons faire une

Page 2724

1 suspension d'audience pendant 30 minutes et nous reprendrons à 17 heures

2 45.

3 (L'audience, suspendue à 17 heures 15, est reprise à 17 heures 53.)

4 (Le témoin, Muharem Murselovic, est reconduit hors du prétoire.)

5 Nous allons continuer immédiatement.

6 (Le témoin, M. Muharem Murselovic, est introduit dans le prétoire.)

7 M. Waidyaratne (interprétation): Monsieur Murselovic, pendant la période

8 de votre détention dans le camp, est-ce que vous avez également été détenu

9 dans un endroit qui s'appelait "garage" pendant la dernière partie de

10 votre détention, dans un endroit qui s'appelait "garage"?

11 M. Murselovic (interprétation): Oui. J'ai passé deux ou trois nuits

12 enfermé dans cet endroit, j'y ai dormi. J'ai vécu dans cet endroit que

13 nous appelions un garage. C'était une pièce de 5 mètres sur 4,5 à peu

14 près. Et c'était à côté de l'autre pièce où j'ai passé la plupart de mon

15 temps, la pièce "Mojo".

16 Question: Est-ce que je peux présenter une pièce, S15; c'est le jeu de

17 pièces portant la référence S15, donc l'index est "9E", numéro ERN est

18 00409596.

19 (L'interprète n'est pas sûre du numéro.)

20 M. le Président (interprétation): Donc, 15-3, c'est cela? Merci.

21 Y a-t-il des objections? En l'absence d'objection, c'est admis.

22 (Intervention de l'huissier.)

23 Alors, c'est une photographie du modèle, de la maquette du camp d'Omarska.

24 M. Waidyaratne (interprétation): Est-ce que vous pouvez peut-être déplacer

25 la photographie vers la droite?

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1 (Intervention de l'huissier.)

2 Il y a la pièce 00409596. Voulez-vous bien présenter cette pièce sur le

3 rétroprojecteur?

4 Monsieur le Président, on vient de me dire qu'il s'agit de S15-2.

5 M. le Président (interprétation): J'avais l'impression effectivement que

6 nous l'avions vu; c'est effectivement "tiret 2".

7 M. Waidyaratne (interprétation): Monsieur le Témoin, voulez-vous bien

8 regarder la pièce présentée sur le rétroprojecteur?

9 (Le témoin regarde la pièce sur le rétroprojecteur.)

10 Vous avez dit que vous avez été détenu d'abord dans la pièce "Mujo" qui

11 est dans le bâtiment où il y avait la cantine. Alors, est-ce que vous

12 pouvez nous indiquer ce que vous appelez le bâtiment de la cantine ou du

13 restaurant?

14 M. Murselovic (interprétation): C'était l'entrée principale, ici, dans

15 cette partie ici, la partie qui dépasse légèrement. Il y avait une corde.

16 Et puis cette partie-ci, c'est l'escalier qui mène au premier étage et

17 ici, il y a ce que nous appelions "la pièce Mujo", ici. Et ensuite, il y a

18 une entrée, ici.

19 Question: C'est le bâtiment que nous appelons le bâtiment du restaurant?

20 Réponse: C'est derrière le restaurant. Le restaurant est ici, devant.

21 C'est cela, le restaurant.

22 Question: Et en ce qui concerne que vous appelez le garage, l'entrée du

23 garage se trouve où?

24 Réponse: Ici. Ici.

25 Question: Vous aviez dit que les dimensions étaient environ 4 mètres sur

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1 5?

2 Réponse: Oui.

3 Question: Il y a un autre endroit que vous avez mentionné dans votre

4 déposition, où vous avez parlé de la "pista"?

5 Réponse: Oui. Toute cette partie, toute cette zone entre le hangar et

6 l'entrée, donc toute cette partie s'appelait la "pista". Et c'est couvert

7 par une surface d'asphalte et nous l'appelions la "pista".

8 Vous voyez l'entrée ici, de ce côté-ci.

9 Question: Et en ce qui concerne le bâtiment blanc qui est sur le bord de

10 la photographie?

11 Réponse: Ici. Cela s'appelait la maison blanche.

12 Question: Alors il y a un autre petit bâtiment un peu plus loin de cette

13 maison blanche, est-ce que vous savez comment les détenus l'appelaient?

14 Réponse: Ce bâtiment-ci? Eh bien, c'est la maison blanche et l'autre, je

15 ne sais pas ce que c'était. Heureusement pour moi, Dieu merci, je ne suis

16 allé ni à la maison blanche ni à l'autre, l'autre, c'était quelque chose

17 comme la maison rouge mais je ne suis jamais allé dans les pièces de ce

18 bâtiment en 1992.

19 Question: Et le grand bâtiment, Monsieur Murselovic, qui est en face du

20 restaurant, comment est-ce que les détenus l'appelaient?

21 Réponse: Ce grand bâtiment s'appelait le hangar. Il y avait des ateliers

22 dans le bâtiment pour réparer des machines lourdes, des amortisseurs,

23 enfin les machines qui étaient utilisées pour charger et décharger les

24 minerais, ces machines étaient assez importantes et toute cette partie

25 s'appelait le hangar.

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1 Question: Est-ce qu'il y avait des détenus dans ce hangar également?

2 Réponse: Oui, il y en avait. Les détenus, les prisonniers se trouvaient

3 dans toute cette zone.

4 Question: Est-ce que je peux demander à l'huissier de nous présenter

5 00409597 pour montrer la pièce au témoin.

6 M. le Président (interprétation): S'agit-il d'une nouvelle pièce?

7 M. Waidyaratine (interprétation):Oui.

8 M. le Président (interprétation): Il s'agit de la pièce 15-3. S'il n'y a

9 pas d'objection, elle sera versée au dossier.

10 Le greffier (interprétation): Je m'excuse, Monsieur le Président, il

11 s'agirait de 15-4.

12 M. le Président (interprétation): Désolé, il y a eu une erreur, il y a eu

13 un échange de photographies, nous avions le –2 et nous en sommes au -3.

14 M. le Président (interprétation): L'autre n'a pas été utilisé.

15 M. Waidyaratine (interprétation): Puis-je continuer, Monsieur le

16 Président?

17 M. le Président (interprétation): Allez-y.

18 M. Waidyaratine (interprétation): Merci. Alors, s'agit-il d'une

19 photographie du bâtiment, du restaurant de la maquette d'Omarska?

20 M. Murselovic (interprétation): Il y a le restaurant comme je vous l'ai

21 déjà dit, à l'entrée et ici il y a l'escalier qui même à l'étage

22 supérieur.

23 Question: Vous voyez la porte sur le côté? Est-ce que cela permet

24 d'accéder à la pièce Mujo?

25 Réponse: Oui c'est là.

Page 2728

1 Question: Et à l'autre extrémité, où se trouve le garage, ce que vous avez

2 appelé le garage?

3 Réponse: Là.

4 Question: Avant d'enlever cette photographie, Monsieur Murselovic, pouvez-

5 vous nous indiquer sur cette photographie où ont eu lieu les

6 interrogatoires?

7 Réponse: Les interrogatoires avaient lieu ici, donc en montant l'escalier,

8 il y avait un hall, une entrée avec des bureaux de chaque côté, c'était

9 ici où se trouvaient les bureaux et c'est là où avait lieu les

10 interrogatoires, vous empruntiez l'escalier et une fois arrivé en haut, il

11 y avait une entrée une sorte de foyer et les bureaux se trouvaient à

12 droite et à gauche.

13 Question: Premier étage?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Quelqu'un qui arrivait dans le restaurant pour manger, est-ce

16 que l'on peut montrer comment on entrait dans le restaurant?

17 Réponse: Pendant la journée, il y avait un régime assez réglementé et on

18 allait manger à des fréquences précises, entre 9 heures et 18 heures, et

19 on faisait la queue ici puisqu'on était très proches de l'entrée de la

20 pièce Mujo. Il y avait des alignements d'une trentaine de détenus. Cette

21 trentaine, ces détenus devaient courir, passer cette entrée principale

22 pour entrer dans le restaurant.

23 C'était un restaurant self, tout à fait typique; il a fallu se servir

24 extrêmement rapidement. Comme je vous ai déjà dit, la nourriture était

25 extrêmement mauvaise. Donc, on prenait un quart ou un huitième d'un pain,

Page 2729

1 on mangeait rapidement. On rapportait les assiettes à l'endroit où on les

2 avait prises à l'origine et normalement, on empruntait le même chemin pour

3 sortir, en courant toujours, et on traversait l'entrée pour retourner à la

4 pista et on se remettait en rang.

5 Tout ce processus ne dépassait pas les trois minutes: donc faire la queue,

6 courir, prendre les assiettes, manger, remettre les assiettes et courir

7 pour revenir au point de départ, trois minutes.

8 Question: Alors, ceux qui partaient de l'entrée principale pour manger,

9 est-ce que j'ai bien raison si je dis que ces personnes-là se trouvaient

10 sur la pista un bon moment avant d'y aller?

11 Réponse: Oui. On faisait la queue ici, par groupe de 30 personnes, et

12 seulement 30 personnes pouvaient entrer à chaque fois pour prendre leur

13 repas. C'est pour cela que tout le processus a pris aussi longtemps parce

14 que l'on était très nombreux. Quelquefois, on mangeait à 10 heures du

15 matin et quelquefois à 17 heures car seulement 30 personnes avaient le

16 droit de se regrouper et d'entrer dans le restaurant.

17 Question: Vous n'avez eu qu'un seul repas par jour, n'est-ce pas?

18 Réponse: Oui. Il y avait un seul repas par jour pour nous, et en plus

19 c'était mauvais. Je ne dirais même pas que c'était un repas.

20 Question: Monsieur Murselovic, lorsque vous avez été détenu au garage,

21 dans cet endroit que vous appelez "le garage" pendant la dernière période

22 de votre détention à Omarska, qui était avec vous? Est-ce que vous avez

23 des souvenirs des noms de personnes qui étaient avec vous?

24 Réponse: Je me rappelle plusieurs noms. On faisait l'appel des noms en

25 suivant un système de présélection déterminée par les… ceux qui faisaient

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1 l'interrogatoire. Dedo Crnalic, Nezir Krak, Sefik Terzik "Kiki", docteur

2 Esad Sadikovic. Il y avait beaucoup de gens. Il y avait même une femme qui

3 était avec nous. Il y avait 150 à 170 personnes au garage, y compris une

4 femme qui s'appelait Hajra. Elle n'a jamais quitté le camp, elle a dû être

5 tuée.

6 Question: Veuillez continuer, excusez-moi.

7 Réponse: Il y avait beaucoup de personnes très connues, Kapetanovic...

8 cela fait 10 ans, mais je me rappelle encore les noms de ces 7 ou 8

9 personnes. Nous étions très serrés étant donné que nous étions dans un

10 espace tellement limité. Et nous y avons passé nos nuits aussi.

11 Question: Vous avez mentionné le nom de Kapetanovic, c'est Enes ou Asef?

12 Réponse: Enes Kapetanovic. Et, en fait, c'est un parent d'Asef

13 Kapetanovic. Asef Kapetanovic n'était pas dans la même pièce car il était

14 sorti précédemment.

15 Question: Vous avez parlé aussi d'une femme qui était détenue avec vous,

16 une femme qui s'appellait Hajra. Est-ce que vous vous rappelez son nom de

17 famille?

18 Réponse: Je crois que c'était Hadzic ou Hodzic, mais je crois que c'était

19 Hadsic Hajra.

20 Question: Et vous avez dit qu'elle n'a jamais quitté le camp; pourquoi

21 est-ce que vous dites cela?

22 Réponse: Parce qu'immédiatement après cela, disons qu'il y avait 30 à 35

23 détenues femmes au camp. Je ne puis pas vous donner le nombre exact, mais

24 c'était à peu près cela. Toutes ces femmes, dont j'en connaissais pas mal,

25 il y avait Nusreta Sivac, une juge; il y avait Becirevic, économiste, qui

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1 travaillait auparavant dans une banque; il y avait une de mes employées

2 également, Avdic Sadija. Et puis il y avait Hajra, et puis Medunjanin...

3 non, ce n'était pas Medunjanin. Il y avait une dame, Mahmuljin Velida, qui

4 était enseignante; Jadranka Sigelj également. Il y avait beaucoup de

5 femmes que je connaissais d'avant.

6 Quelques jours plus tôt, un autocar était arrivé avec des gens qui

7 s'occupaient de l'interrogatoire et ces femmes ont été retournées à

8 Prijedor. J'ai appris que ces femmes sont allées à Trnopolje, mais il y en

9 avait trois ou quatre qui sont restées, et après il n'y avait plus de

10 trace. Parmi ces femmes il y avait Hajra.

11 Question: Vous avez parlé de Velida Mahmuljin.

12 Réponse: Oui.

13 Question: Est-ce que vous l'avez vue depuis votre détention au camp

14 d'Omarska?

15 Réponse: Malheureusement je ne l'ai jamais revue, mais je la connaissais

16 très bien.

17 Question: Est-ce qu'elle avait un poste important ou un poste quelconque à

18 l'assemblée?

19 Réponse: Elle était député de l'assemblée municipale de Prijedor. Elle

20 était là en tant que membre du SDA mais, à part cela, elle était

21 enseignante comme profession. Elle avait travaillé à Kozarac pendant un

22 petit moment. Son mari s'appelait Suljo Mahmuljin et lui, il était

23 dentiste. Son nom de famille à elle était Arnautovic, c'était son nom de

24 jeune fille. Elle venait de la partie de la ville qui s'appelait Tukovi.

25 Question: Vous avez également parlé de Besirevic, Mugbila Besirevic; c'est

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1 cela ?

2 Réponse: Oui, Mugbila Besirevic. Elle travaillait dans une banque en tant

3 qu'économiste. Elle venait de Cejreci, une communauté locale assez proche

4 de la ville. C'était une dame d'un certain âge, extrêmement active dans la

5 communauté locale; elle était respectée par tout le monde. Elle fait

6 partie de celles qui n'ont jamais quitté le camp Omarska.

7 Question: Vous voulez dire qu'elle n'a pas survécu au camp? C'est cela?

8 Réponse: Absolument, elle n'a pas survécu au camp. Elle n'a jamais quitté

9 Omarska avec les autres collègues lorsqu'ils ont été retournés à Prijedor,

10 après une détention de 50 à 60 jours. On a perdu toutes les traces de

11 cette femme; plus personne n'en a entendu parler, ni sa famille ni ses

12 enfants. J'ai vu son mari lorsque j'ai quitté Omarska, moi-même, après la

13 guerre. Il habitait à Bihac. Et à peu près huit mois plus tard, son mari

14 malheureusement est décédé également.

15 Question: Monsieur Murselovic, vous avez parlé de Hajra Hadzic ou Hodzic,

16 Hadzic. Vous avez dit qu'elle a été détenue au garage avec vous. En ce qui

17 concerne les autres détenues femmes, elles étaient où?

18 Réponse: Pendant la journée, elles étaient assises dans un coin du

19 restaurant; certaines d'entre elles aidaient pour servir la nourriture;

20 elles donnaient du pain ou d'autres aliments.

21 Pendant la nuit on les emmenait à l'étage supérieur et nous n'avions pas

22 de contact avec elles pendant la nuit. Donc, nous ne savions pas ce qui se

23 passait pendant la nuit. Nous ne savions pas dans quelles conditions elles

24 passaient la nuit. Mais pendant la journée, lors des repas, elles étaient

25 assises au coin du restaurant; c'était souvent le cas.

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1 Elles nettoyaient par terre, elles s'occupaient des assiettes. Mais en

2 fait, dans la plupart des cas, elles restaient tranquillement assises au

3 coin du restaurant, pendant toute la journée.

4 Question: Monsieur Murselovic, nous allons passer maintenant à autre

5 chose. Lorsque vous avez été frappé au camp, est-ce que vous pouvez nous

6 en parler?

7 Réponse: Je dois dire que lors des interrogatoires qui duraient 30 ou 40

8 minutes, en fait, j'étais parmi les derniers à être interrogé, et l'on

9 passait une trentaine de jours dans la pièce de Mujo. Le policier nous

10 faisait monter l'escalier, et lors de l'interrogatoire, j'ai rencontré

11 Ratko Milosavljevic qui m'a interrogé. Lui, il travaillait à l'assemblée,

12 il était ingénieur agronome avant. Il m'emmenait dans une pièce qui se

13 trouvait à gauche de l'escalier et, à cette occasion, je n'ai pas été

14 frappé, j'ai été interrogé par deux personnes. L'une s'appelait Nenad et

15 l'autre Neso. C'étaient, je pense, des policiers avant. Et je n'ai pas été

16 frappé à ce moment-là.

17 Ils m'ont posé des questions qui n'avaient pas beaucoup de sens, ils

18 voulaient savoir où j'étais ou j'avais été, ce que je faisais. J'ai dit

19 que j'ai été arrêté une fois, et l'un d'entre eux a demandé à quelqu'un

20 d'autre ce qu'il fallait faire de moi. L'un était grand et l'autre était

21 petit. Ils ont dit qu'il fallait que je sois interrogé comme tous les

22 autres. Je n'ai pas été roué de coups, je n'ai pas été frappé, j'ai subi

23 des coups trois ou quatre fois par la suite. Une fois, j'ai été frappé par

24 les gardes sur la "pista", là où l'on s'asseyait une fois que l'on avait

25 mangé. C'était extrêmement risqué d'aller manger car cela nous obligeait

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1 de rester sur la "pista", et là, on était exposé aux gardes. Kevic Simo

2 est venu et a dit: "Tiens voilà Mursel, il persécutait les enfants serbes

3 lorsqu'il travaillait dans cette école." Je n'avais pas jamais travaillé

4 dans cette école depuis 14 ans, mais c'est ce qu'il a dit. Il y était à la

5 même époque que moi quand j'étais à cette école.

6 Et les gardes m'ont pris, ils ont commencé à me frapper, à me rouer de

7 coups en utilisant des bouts de câble, des bâtons aussi, des bâtons qui

8 étaient plus longs que des bâtons de policiers. On m'a frappé quand

9 j'étais sur la "pista" même. Ils m'ont dit: "Vous avez persécuté des

10 enfants serbes." Il y avait un policier blond qui s'appelait Marmat qui

11 était le plus violent. Marmat c'était son nom de famille, je connaissais

12 son nom. J'avais pas mal d'étudiants qui venaient de la région, et disons

13 qu'il s'agit d'un nom de famille un peu étrange qui ne se termine pas par

14 "ic"comme la plupart: Marmat, Vuceta(phon.), etc. Et des personnes qui

15 travaillaient dans cette école se souviennent de ces noms, des autres

16 enseignants.

17 Deux policiers m'ont roué de coups avec violence. J'ai essayé de me

18 défendre. J'étais accroupi et je crois que Marmat était le plus dur. A un

19 moment donné, j'ai vu rouge et j'ai dit à Marmat: "Demande à Borka si j'ai

20 persécuté des enfants serbes". Quand j'ai mentionné le nom Borka, il s'est

21 arrêté. Il se rappelait le nom, c'était quelqu'un de sa famille, peut-être

22 sa soeur. Et, à ce moment-là, on a arrêté de me rouer de coups, ils ont

23 dit: "On va voir". Et ensuite, "Kiki" Terzic a été frappé et on m'a

24 relâché. Mais avant, j'ai été roué de coups sur la tête, sur les épaules,

25 et c'était une des occasions où j'ai été frappé.

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1 Et il y en a eu une autre où j'ai rencontré Marmat de nouveau au

2 restaurant. Il était derrière le comptoir, il m'a crié après: "Mursel, tu

3 es où?". Je me suis retourné parce que, normalement, on regarde droit

4 devant soi, on ne tourne pas ni à gauche ni à droite. Et j'ai vu Marmat et

5 je n'ai pas pu me retenir, je lui ai dit: "Est-ce que tu as vérifié ce que

6 je t'ai dit", quand j'ai parlé de Borka et le fait qu'il avait dit que

7 j'avais persécuté des enfants serbes. Et il m'a dit: "Désolé, c'est ce que

8 j'ai vécu, c'est une des occasions où j'ai été frappé".

9 Question: Vous avez parlé lors de cette description d'une personne

10 s'appelant Kevic Simo; s'agit-il de Kevic Simo?

11 Réponse: Oui.

12 Question: S'agissait-il d'un garde?

13 Réponse: Non. Il n'était pas garde. Je ne sais pas ce qu'il faisait à

14 Omarska. Contrairement aux autres, il portait un uniforme SMB, donc un

15 uniforme de couleur verte, de couleur vert-olive.

16 Question: Vous avez été de nouveau frappé avec violence lorsque vous êtes

17 allé prendre votre repas?

18 Réponse: Oui. Il y avait une règle non écrite, c'est-à-dire que les gardes

19 renversaient de l'huile et de l'eau par terre; et puisqu'on courait, on

20 glissait souvent et on tombait. Une fois, c'était le retour, je courais,

21 il y avait des jeunes qui étaient derrière moi; l'un des gardes était seul

22 et il a frappé chaque prisonnier sur la tête ou sur les épaules avec un

23 bâton. Quelquefois, il y en avait 5 ou 6 qui frappaient les détenus mais

24 ce jour-là, il y avait un garde qui frappait absolument tout le monde qui

25 passait devant. Il m'a frappé sur l'oreille et puis, les garçons derrière

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1 moi m'ont poussé et je suis tombé parce que j'avais glissé. Je suis tombé

2 sur mes genoux et j'ai frappé la porte, je me suis tapé contre la porte et

3 j'ai ressenti une douleur intense parce qu'on m'a frappé. Et ensuite, les

4 garçons se sont relevés. J'ai ressenti une douleur dans mon pied et le

5 garde que je n'avais pas encore vu, il s'est repris et il m'a frappé

6 pendant que j'étais encore par terre. Il m'a frappé une dizaine de fois

7 avec un bout de câble extrêmement épais. J'étais seul, il n'y avait

8 personne derrière moi, donc il a pu vraiment me rouer de coups. J'ai pu

9 courir cinq, six mètres pour retrouver les autres détenus. Et pendant à

10 peu près 15 minutes, j'ai essayé de me relever; il continuait à me

11 frapper, j'ai eu du mal à trouver les forces nécessaires pour atteindre

12 les autres détenus.

13 J'ai eu de la chance: quelqu'un est venu pour m'aider à me relever et

14 quand il a vu dans quelle condition j'étais, il a dit: "il ne sert à

15 rien". Donc, ils ont essayé de trouver des plus jeunes pour faire du

16 travail. On m'a laissé tranquille, on a pris deux jeunes pour faire un

17 travail; je ne sais pas où on les a emmenés mais ils ne sont jamais

18 revenus. C'est pour cela que je n'ai pas été tué.

19 Et puis, il y a une autre fois où j'ai été frappé lorsque je suis allé aux

20 toilettes. C'était au hangar. Je voulais aller aux toilettes là, car les

21 autres toilettes étaient extrêmement sales, on ne pouvait même pas

22 s'approcher de ces toilettes; les conditions étaient inhumaines, les

23 toilettes étaient bouchées, les canalisations étaient bouchées. On m'avait

24 dit que les toilettes du hangar étaient en meilleur état. Et lorsque j'y

25 étais, il y a un des gardes qui a cassé la porte; enfin, c'étaient des

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1 gens que je ne connaissais pas. Ils ont dit: "vous êtes un Balija, vous

2 êtes turc"; ils m'ont injurié, "vous vous lavez". J'étais accroupi parce

3 que c'étaient des toilettes où il fallait s'accroupir. Ils ont commencé à

4 me frapper; en fait, ils m'ont cassé des côtes. J'ai réussi à me relever,

5 j'ai réussi à me remonter le pantalon et je suis parti en courant pour me

6 coucher sur la "pista".

7 Mais, pendant à peu près deux mois, je subissais encore des conséquences

8 de ce passage à tabac: j'avais du mal à respirer, j'avais du mal à manger,

9 j'ai dû mettre des compresses sur les côtes. Mais les séquelles ont été

10 extrêmement longues.

11 Question: Lorsque ces réunions ont eu lieu, est-ce que les gardes ou les

12 personnes qui se trouvaient là-bas, présents, qui détenaient l'autorité, y

13 étaient-ils présents?

14 Réponse: Oui, oui, ils y étaient tous. Ils passaient par là… c'était

15 clair. Peut-être que ce n'était pas organisé, mais c'était supervisé par

16 eux. Les gardes avaient le droit de faire ce qu'ils voulaient car les

17 personnes qui me frappaient, je ne les connaissais pas.

18 Question: Monsieur Murselovic, venons maintenant à ceux qui étaient

19 chargés du camp. Est-ce que vous avez pu observer, voir qui était au

20 commandement du camp?

21 Réponse: La personne qui s'est présentée comme le commandant était Zelko

22 Meakic et son assistant s'appelait, je pense, Drago Prcac; c'était une

23 personne d'un certain âge, un policier à la retraite. Et il y avait Kvocka

24 là-bas également, je ne me souviens pas de son prénom; il était marié à

25 une femme musulmane de Crnalic, du moins il y avait cette rumeur. Ensuite,

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1 il y avait quelqu'un qui s'appelait Kos; on l'appelait "Krle"; d'ailleurs,

2 c'était un de mes anciens élèves. Je l'avais enseigné dans ma première

3 année lorsque j'étais employé comme enseignant. Ensuite, "Krkan"; je pense

4 qu'il s'appelait Mladjo Krkan, c'était une personne un peu grosse.

5 Ensuite, il y avait d'autres personnes, je ne me souviens pas de leurs

6 noms.

7 Mais Kos, c'était le… qui avait la garde de 7 heures du matin à 7 heures

8 du soir. Ça durait à peu près 12 heures et c'étaient des policiers qui

9 s'en chargeaient, de l'équipe. Ensuite, vous aviez des personnes qui

10 venaient tous les jours pour enquêter ou pour interroger les prisonniers.

11 Il y avait une personne qui s'appelait Baja, que j'ai déjà mentionné,

12 parmi eux. Et ces personnes étaient soit des policiers professionnels qui

13 avaient travaillé jusqu'en 1992 dans la police, telle que la personne qui

14 m'avait interrogé, Mijic, mais il y avait d'autres personnes qui, par la

15 suite, sont devenues actives, qui faisaient partie des policiers de

16 réserve. Vous aviez Radakovic, Dragan Radakovic qui avant la guerre était

17 directeur du parc national, qui était ingénieur agricole avant la guerre.

18 Ensuite, Ratko Milosavljevic, un ingénieur qui travaillait pour la

19 municipalité.

20 Il y avait beaucoup de personnes de différentes professions. Il y avait

21 également une rumeur que certains venaient de Banja Luka, des enquêteurs

22 qui recherchaient certaines informations, c'étaient des personnes qui

23 étaient chargées du camp d'Omarska.

24 Question: Monsieur Murselovic, vous avez parlé des gens qui venaient pour

25 les interrogatoires, pour mener des interrogatoires. Est-ce que vous les

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1 avez vu arriver dans le camp pour ces interrogatoires? Comment venaient-

2 ils? Comment se rendaient-ils au camp?

3 Réponse: Des gens arrivaient en autocar. Les autocars se garaient sur la

4 "pista", les personnes sortaient et lorsqu'ils entraient dans le camp, ils

5 étaient farouchement battus. Donc ils étaient d'abord roués de coups dans

6 la première entrée, cherchant des armes ou je ne sais quoi; tout ce que je

7 sais, c'est qu'ils étaient roués de coups.

8 Question: Vous n'avez pas peut-être pas compris ma question. Je vous

9 posais des questions sur ceux qui venaient mener ces interrogatoires.

10 Réponse: Ah, excusez-moi, je suis désolé. Pour ceux qui venaient pour ces

11 interrogatoires, ils venaient tous les jours dans un petit minibus;

12 c'était un minibus qui appartenait à la société des mines de fer à

13 Ljubija, conduit par un chauffeur soit de la société Autotransport ou un

14 chauffeur des mines; je le connaissais. Donc ce minibus arrivait vers 7

15 heures du matin et les enquêteurs restaient jusqu'à 17 heures, 17 heures

16 30. On les voyait lorsqu'ils montaient dans le bus pour retourner, se

17 rendre là d'où ils venaient, peut-être à Prijedor, je ne sais pas.

18 Question: Monsieur Murselovic, vous avez dit que vous voyiez Mijic qui

19 venait donc dans le camp, qui travaillait auparavant dans la police?

20 Réponse: Oui.

21 Question: Lorsqu'il venait dans le camp pour les interrogatoires, savez-

22 vous quel poste il occupait dans la police de Prijedor?

23 Réponse: Il était à la tête du département du service d'enquêtes

24 criminelles, donc c'était un chef pour tous ces inspecteurs civils, si je

25 peux l'appeler ainsi.

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1 Question: A part Mijic, est-ce que vous avez reconnu d'autres policiers

2 qui sont venus pour ces interrogatoires?

3 Réponse: Comme je vous l'ai indiqué, parmi ceux qui m'ont interrogé moi,

4 il y en avait deux qui avaient des noms assez semblables, Nenad, Neso, et

5 je ne me souviens pas exactement de leur nom de famille, même si je les

6 vois à Prijedor aujourd'hui. L'un était petit, l'autre grand. Mais vous

7 savez, ça fait déjà 10 ans, donc je ne me rappelle pas. C'étaient des

8 policiers professionnels, auparavant. Ils venaient régulièrement, tous les

9 jours, et conduisaient ces interrogatoires. Il y avait une autre personne,

10 Drago Mejakic, et je le voyais également.

11 Donc, voilà. C'étaient les personnes, les employés de la police, avant la

12 guerre également. Mais il y avait ceux qui venaient interroger les gens

13 sur ce minibus, en empruntant ce minibus.

14 Question: Les gardes dans le camp, à Omarska, quels étaient les uniformes

15 qu'ils portaient?

16 Réponse: Ils portaient des tenues de policiers; c'étaient des tenues

17 bleues.

18 Question: Le commandant Mejakic, est-ce que vous l'avez vu, dans le camp?

19 Réponse: Oui. Nous l'avons vu pendant l'hiver lorsque nous étions là, il

20 circulait librement dans le camp. Il avait 15 à 20 ans de moins que moi,

21 il était grand, blond, un homme, un bel homme, et il était commandant.

22 Question: Comment est-il habillé?

23 Réponse: L'uniforme de policier bleu, l'uniforme léger. A un moment, ils

24 nous ont sorti le soir et il était là avec un autre policier qui

25 s'appelait Brk ainsi que d'autres, Brk.. Borka et peut-être d'autres. En

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1 tout cas, c'était peut-être à une heure du matin. Ils nous ont sortis avec

2 Dedo Crnalic, "Kiki" Sefik, et c'était tellement pitoyable, ridicule; ils

3 nous ont dit ce qui suit: "Regardez comment ces policiers serbes sont mal

4 vêtus, ils n'ont pas de bons uniformes. Alors pourquoi vous ne leur donnez

5 pas un peu d'argent pour qu'ils puissent s'acheter des uniformes? Vous

6 êtes des entrepreneurs bien connus, nous savons que vous allez

7 financièrement bien. Pourquoi vous ne leur donnez pas de l'argent pour

8 qu'ils puissent s'acheter des nouveaux uniformes, 10.000 DM?".

9 Quand on vous sort à une heure du matin, la crainte, la peur qu'on

10 ressent... et combien c'est cynique de demander aux prisonniers d'acheter

11 des uniformes pour leur garde. On ne savait pas s'ils étaient en train de

12 blaguer ou c'était vraiment un genre de provocation. Je n'ai rien dit.

13 Ensuite Mejakic m'a parlé, il m'a dit: "Ecoute Mursel -car c'est comme

14 cela qu'on m'appelait-, écoute, toi, tu as toujours de bonnes idées.

15 Pourquoi tu n'a pas une idée pour résoudre ce problème-là?". Je lui

16 répondu: "Ecoutez, vous me sortez à cette heure-ci du matin et vous voulez

17 que je sorte avec de bonnes idées. Et pourquoi vous ne me laissez pas

18 partir pour Belgrade?".

19 Il savait qu'on voulait y partir: "Alors on peut vous envoyer de

20 l'argent". Et ensuite, ils nous ont renvoyés. Et c'est comme cela que cela

21 s'est terminé.

22 Question: On vous a interrogé, on vous a posé des questions. Est-ce qu'ils

23 vous ont dit pourquoi ils vous avaient arrêté, pourquoi vous étiez détenu?

24 Réponse: Non, ils ne m'ont jamais rien dit. Et même aujourd'hui,

25 maintenant, je me suis souvenu d'un des noms des enquêteurs Nenad Tomcic.

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1 Très bien. Pour revenir à votre question, écoutez, ils m'ont gardé sur une

2 chaise à trois pieds et je dois dire qu'ils m'ont gardé plusieurs heures;

3 ils m'ont apporté un morceau de pain pendant l'heure du déjeuner, ils

4 m'ont bien traité. Ils ne m'ont pas frappé, ils m'ont demandé où j'avais

5 été après ma première libération entre le 23 et le 30. Je leur ai dit que

6 j'étais dans l'appartement: "Je n'ai rien fait de mal, vous devez le

7 savoir".

8 Ensuite, ils m'ont posé des questions sur l'assemblée concernant Cehajic

9 me demandant s'il avait de l'argent et je leur ai dit que non, qu'il n'en

10 avait pas. Donc, en fait, ils m'ont demandé si j'avais financé le SDA,

11 etc. Ceci a duré 30 à 40 minutes. Ils m'ont demandé où j'étais, si j'avais

12 financé le SDA, si j'avais des contacts avec Cehajic. Je leur ai dit qu'il

13 était président de l'assemblée municipale et que j'avais de bons rapports

14 avec lui dans l'assemblée. Ce qui était fort normal d'ailleurs.

15 Question: Monsieur le Témoin, une fois parti du camp, une fois que vous

16 avez quitté le camp ou lorsque vous étiez dans le camp, est-ce qu'ils ont

17 institué une procédure contre vous, un procès contre vous?

18 Réponse: Non, non. Ils n'ont pas fait de procès contre moi, et pendant

19 l'interrogatoire je n'ai rien signé. Tout ce qu'ils m'ont dit, c'est de

20 retourner de là où je suis venu. Et je suis descendu car les bureaux

21 d'interrogation se trouvaient au premier étage et nous, on était au

22 premier étage. Je leur ai demandé un policier pour qu'il puisse m'escorter

23 au rez-de-chaussée, car c'était typique pour un policier de frapper les

24 gens qu'il interrogeait; on entendait des hurlements terribles pendant cet

25 interrogatoire. Donc les policiers qui m'avaient interrogé m'ont

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1 accompagné vers les autres.

2 Question: Avez-vous, après votre interrogatoire, été relâché?

3 Réponse: Non. C'était probablement 30 jours après, une trentaine de jours

4 après mon séjour dans le camp. Et je suis resté 45 jours de plus.

5 Question: Monsieur Murselovic, vous avez dit dans votre déposition, vous

6 avez parlé des passages à tabac pendant les interrogatoires. Est-ce que

7 vous avez vu, observé quelqu'un être frappé ou être amené après avoir subi

8 un passage à tabac pendant que vous étiez dans l'immeuble du réfectoire?

9 Réponse: Puisque nous étions pendant toute la journée dans la salle Mujo,

10 ce soit-disant interrogatoire avait lieu toute la journée; les gens

11 étaient frappés, on entendait les sons des gens jetés par terre, on

12 entendait les cris de douleur. Et c'était devenu impossible d'entendre ces

13 hurlements qui venaient de l'étage supérieur lorsque nous nous trouvions

14 en bas. Et c'était horrible, ces gémissements étaient horribles. Certains

15 revenaient de leur interrogatoire pendant qu'il faisait encore jour. Et je

16 me souviens que de nombreuses personnes étaient tellement gravement

17 frappées qu'elles mouraient dans notre salle.

18 Zijad Ziko Mahmuljin, un économiste, il était président du conseil

19 exécutif de la municipalité à un moment donné. Zijad Ziko Mahmuljin, il a

20 été renvoyé après cet interrogatoire et il a perdu connaissance. Il est

21 décédé une heure ou deux heures plus tard. Ensuite, il y avait un homme

22 qui s'appelait Camil Pezo, il était directeur d'un bureau agricole. Lui

23 également avait été frappé et est revenu dans un piètre état, et il est

24 mort une heure plus tard.

25 Il y avait encore quelques signes de vie mais lui, comme d'autres, avait

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1 des bras et des jambes qui étaient tellement abîmés que l'on ne pouvait

2 presque rien faire pour eux et ils mouraient. Et, tout ce que l'on

3 faisait, c'était de les sortir de la pièce. Un homme âgé, Safet

4 Ramadanovic, qui était également restaurateur avait également été frappé

5 très sévèrement. Ils l'ont roué de coups, peut-être pas aussi intensément

6 que d'autres, mais il était tellement âgé et dans un tel état physique de

7 faiblesse que c'était suffisant pour lui. Il a eu la dysenterie, comme la

8 grande majorité des personnes. Et lui également est mort dans notre pièce.

9 Le président du tribunal, Seric, avait également été frappé. Ses bras

10 étaient dans un sale état, mais lui n'était pas dans un état trop grave

11 par la suite. Il y avait également un autre homme, Crnkic, un ingénieur

12 qui travaillait dans les mines. Je ne me souviens pas de son prénom. Son

13 frère s'appelait Husa, directeur de l'école secondaire. Lui également

14 avait été tué à Omarska.

15 Donc, cette personne était assez forte, un grand gabarit et ils ont…, on a

16 mis des compresses froides sur lui pendant un jour ou deux et il avait des

17 ecchymoses partout, mais des bleus partout. Je me souviens de son prénom

18 Esef, Esef Crnkic.

19 Et j'ai vu qu'il avait des grands bleus, des ecchymoses partout; la tête,

20 le visage, dans le corps en entier, et certains plus grands que d'autres,

21 et c'était horrible à voir. Et j'ai demandé au docteur Mahmuljin, j'ai

22 dit: "Osman, dis-moi comment se fait-il que cet homme a ces ecchymoses

23 partout sur la tête, sur le corps après le passage à tabac?". Et le

24 médecin m'a répondu: "Il va mourir bientôt. Ses reins et son foie se sont

25 détachés maintenant et tout le liquide, tous les fluides de son corps sont

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1 libérés pour ainsi dire dans le corps. C'est cela qui mène à cette

2 déformation de son corps".

3 Cet homme qui avait été employé dans les mines avant, et quelle tragédie

4 que maintenant dans cette même mine il a rencontré sa mort, alors qu'il

5 était un grand ingénieur. Mais on l'a emmené dans ces mêmes locaux, les

6 locaux où il avait été interrogé, roué de coups. Et d'ailleurs, ce n'était

7 pas le seul à rencontrer ce sort.

8 Vous aviez Sarajlic qui était membre du conseil d'administration, un autre

9 homme qui était économiste et qui était un gérant important dans les

10 mines, un autre homme dont le nom je ne me rappelle pas à cet instant.

11 Mais, ces gens, ces personnes ont donné vraiment une grande partie de leur

12 vie pour ces mines, pour la construction de ces mines. Et voilà que plus

13 tard, le sort a fait qu'ils étaient emprisonnés et tués dans ces mêmes

14 locaux.

15 Question: Vous avez parlé du président du tribunal, Seric: est-ce que son

16 prénom, c'est Nedzad Seric?

17 Réponse: J'ai parlé de Nedzad Seric, il était avocat, président du

18 tribunal, et lui également avait été roué de coups.

19 Question: Vous avez parlé du docteur Osman Mahmuljin, est-ce que lui a

20 survécu au camp?

21 Réponse: Non. Il n'a pas survécu au camp. Il avait été sévèrement roué de

22 coups avant d'être emmené au camp. Il avait été frappé, ses bras étaient

23 noirs et bleus partout, les deux bras. Ce médecin, qui était un bon ami

24 -c'était mon propre médecin d'ailleurs-, ne pouvait simplement pas se

25 remettre ses doigts ensemble. C'était quelqu'un que je gardais en grande

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1 estime. C'était un bon médecin. Il est arrivé au camp 20 jours à un mois

2 après mon arrivée et il était dans un tel état de choc qu'il ne pouvait

3 même pas imaginer être un grand médecin et chef d'un hôpital. C'était un

4 spécialiste en médecine interne et le témoin... j'étais témoin à son

5 mariage... il était témoin, pardon, à un mariage de quelqu'un du SDS, Simo

6 Miskovic. Il était témoin à son mariage et c'est quelque chose qui est

7 vraiment respecté. Si vous appelez quelqu'un à être témoin à un mariage,

8 c'est un grand privilège pour quelqu'un et c'était vraiment un grand choc

9 pour lui. Il était conscient de son statut et il a été vraiment affecté

10 par ces passages à tabac, à savoir que quelque chose de la sorte puisse

11 arriver à lui.

12 Il y avait un autre médecin, Docteur Sadikovic Reso, c'était un

13 spécialiste ORL. C'était quelqu'un de très connu, populaire, il était très

14 drôle, il apparaît dans la presse locale; il avait une colonne où il

15 écrivait des articles. Il y était, là, avec Osman, et un soir on les a

16 sortis et ils ne sont jamais revenus. Je me souviens du moment précis

17 lorsqu'Esad, le docteur Sadikovic, lorsqu'il a été sorti; c'est Dragan

18 Prcac qui l'a appelé; c'était entre 22 heures, 23 heures. Il y avait un

19 autocar qui était garé sur la "pista" et il lui a dit que le Docteur

20 Sadikovic devait sortir et il faisait partie de notre groupe. Il était

21 très intimidé, pas très clair. Il a demandé: "Est-ce que je prends mes

22 biens avec moi?" Et Drago Prcac a dit: "Si vous voulez prendre vos effets,

23 vous pouvez mais vous n'êtes pas obligé de le faire". Reso nous a dit au

24 revoir; on a échangé des accolades et voilà je ne l'ai plus jamais revu, à

25 partir de ce moment.

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1 M. Waidyaratne (interprétation): Monsieur le Président, est-ce que ce

2 serait un bon moment pour lever la séance?

3 M. le Président (interprétation): Oui, nous reprenons demain à 14 heures

4 15.

5 L'audience est levée à 18 heures 58.

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