Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Mercredi 20 novembre 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 05.)

3 (Audience publique.)

4 M. le Président (interprétation): Bonjour. Veuillez vous asseoir.

5 Pourriez-vous appeler la cause, s'il vous plaît, Madame la Greffière

6 d'audience?

7 Mme Dahuron (interprétation): C'est l'Affaire IT-97-24-T, le Procureur

8 contre Milomir Stakic.

9 M. le Président (interprétation): Merci.

10 Qui représente les parties pour l'accusation?

11 M. Koumjian (interprétation): Pour l'accusation, Nicholas Koumjian et Ruth

12 Karper, pour le Bureau du Procureur.

13 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

14 Pour la défense?

15 M. Lukic (interprétation): Branko Lukic et Danilo Cirkovic, pour la

16 défense.

17 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

18 Y a-t-il des questions particulières évoquées avant que nous ne

19 commencions à entendre notre premier témoin aujourd'hui qui sera, si je ne

20 me trompe, le témoin n°56?

21 M. Lukic (interprétation): Je crois qu'il n'y a pas d'obstacle ou de

22 problème du côté de la défense.

23 M. le Président (interprétation): Bien. Pas de votre côté.

24 On n'a pas demandé de mesures conservatoires du tout?

25 M. Lukic (interprétation): Non, pas de mesures conservatoires pour ce

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1 témoin, ni pour aucun des témoins d'aujourd'hui.

2 M. le Président (interprétation): Bien. Alors, je vais demander à

3 l'huissier de faire entrer le témoin dans la salle d'audience: témoin Sasa

4 ou Zaza Milosevic. Est-ce que c'est Sasa ou Zaza?

5 M. Lukic (interprétation): Sasa.

6 (Le témoin, M. Sasa Milosevic, est introduit dans le prétoire.)

7 M. le Président (interprétation): Bonjour, Monsieur le Témoin. Est-ce que

8 vous pouvez m'entendre dans une langue que vous comprenez?

9 M. Milosevic (interprétation): Bonjour. Oui, je peux.

10 M. le Président (interprétation): Pourriez-vous faire, s'il vous plaît,

11 votre déclaration solennelle?

12 M. Milosevic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

13 vérité, toute la vérité et rien que le vérité.

14 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir. Je vous remercie.

15 (Interrogatoire principal du témoin, M. Sasa Milosevic, par Me Lukic.)

16 M. Lukic (interprétation): Bonjour, Monsieur Milosevic.

17 M. Milosevic (interprétation): Bonjour.

18 M. Lukic (interprétation): Pour le compte rendu, pourriez-vous dire, s'il

19 vous plaît, votre nom?

20 M. Milosevic (interprétation): Sasa Milosevic.

21 Question: Quand êtes-vous né?

22 Réponse: Le 10 février 1982.

23 Question: Où êtes-vous né?

24 Réponse: A Sijekovac.

25 Question: Où vivez-vous aujourd'hui?

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1 Réponse: A Sijekovac.

2 Question: En 1992, vous aviez 10 ans? En mars 1992, n'est-ce pas?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Pourriez-vous nous dire ce qui s'est passé le 26 mars 1992?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Qu'est-ce qui vous est arrivé, à vous et votre famille?

7 Réponse: Le 12 mars 1992, vers 3 heures et demie ou 4 heures de l'après-

8 midi, l'armée croate a lancé une attaque contre notre village. Je vivais

9 avec mon père, ma mère et mes deux frères. Vers 3 heures et demie, les

10 obus ont commencé à tomber sur nos maisons. Dix minutes plus tard, l'armée

11 est entrée dans le village et a commencé à tirer sur les gens.

12 Avec ma mère et mon frère, je suis allé chez mes voisins au sous-sol. Mon

13 père et mon autre frère sont restés dans notre cour. Quelque 20 minutes

14 plus tard, l'armée croate est entrée dans le village, est venue jusqu'à la

15 cave où nous nous trouvions. Ils ont commencé à jurer contre nous, ils ont

16 commencé à nous frapper. Nous avons été là pendant quelque dix minutes

17 environ. Puis, ils nous ont fait sortir de cette cave, de ce sous-sol avec

18 les mains derrière la nuque. Ils nous ont battus avec des crosses de

19 fusil. Ils nous ont donné des coups de pied. Et nous avons dû nous

20 agenouiller sur un trou boueux. Puis, tous les hommes ont été séparés du

21 reste du groupe, et ils m'ont emmené dans un sous-sol.

22 L'un d'entre eux a dit: "Je vais te tuer". J'ai commencé à pleurer et il a

23 changé d'idée, il a dit: "Je ne vais pas le faire maintenant". Puis, il

24 m'a dit de me lever et de commencer à marcher vers la grande route. Puis,

25 il a dit à mon frère de 17 ans de se coucher par terre. Quand il a fait

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1 cela, il lui a donné des coups de pied avec ses brodequins; il est resté

2 gisant sur le sol. Lorsque nous avons commencé à marcher, il ne pouvait

3 plus se joindre à nous.

4 Et puis, ils ont commencé à tuer les personnes âgées. La personne

5 principale qui était là était Nidza Causevic, que l'on connaissait

6 également sous le nom de "Medo".

7 Question: Pourriez-vous, s'il vous plaît, répéter le nom de la personne

8 qui a commencé à tuer des gens?

9 Réponse: Zemir Kovacevic.

10 Question: Pourriez-vous poursuivre?

11 Réponse: Nous avons commencé à marcher vers la grand-route, et Zemir

12 Kovacevic a tué deux personnes sur place, qui se trouvaient là. Près de

13 moi, à près d'un mètre, un demi-mètre de moi, l'un de ces deux hommes

14 devait avoir dans les 70 ans et l'autre était une personne handicapée, un

15 homme handicapé. Voilà ce que j'ai vu.

16 Question: Est-ce que vous vous rappelez les noms des personnes qui ont été

17 tuées?

18 Réponse: Oui, je m'en souviens. Jovo Zevecevic et Petar Zecevic, un père

19 et un fils. Ils étaient père et fils.

20 Question: Où vous a-t-on emmenés après cela?

21 Réponse: Après cela, nous avons été emmenés dans une maison croate. Tous

22 nos voisins s'y trouvaient. Ils étaient armés et portaient des uniformes

23 militaires croates avec les insignes du HVO. Nidjaz Causevic est venu à ce

24 moment-là; on le connaît aussi sous le nom de "Medo". Il nous a emmenés

25 dans un bâtiment public et il nous a dit d'attendre là.

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1 Il y avait un grand nombre de soldats qui se trouvaient là, leurs soldats.

2 Nidjaz Causevic est revenu et il a essayé de nous faire peur en armant son

3 fusil, en visant vers nous, en nous mettant en joue. Il nous a dit:

4 "Attendez ici mon retour". Puis un Musulman est venu. Je ne sais pas son

5 prénom, mais son nom de ne famille est (expurgé) Il nous a emmenés chez lui

6 et nous a dit: "A moins que vous ne veniez avec moi, vous allez tous

7 mourir".

8 Nous sommes restés chez lui, cachés pendant deux jours. Puis il nous a

9 remmenés jusqu'au barrage, ou barricade, à Derventa; c'est là donc que

10 nous nous sommes rendus.

11 M. Lukic (interprétation): Monsieur le Président, si vous le voulez bien,

12 je voudrais demander que ce nom soit expurgé du compte rendu. En fait, le

13 dernier nom de l'homme musulman ne figure pas dans le compte rendu, mais

14 peut-être y a-t-il lieu…

15 M. Koumjian (interprétation): C'est à la ligne 21.

16 M. le Président (interprétation): Oui, il apparaît à la ligne 21.

17 Veuillez expurger à la page 4, ligne 21, le premier et le deuxième nom.

18 Veuillez poursuivre.

19 M. Lukic (interprétation): Ou êtes-vous allé à Derventa? De quel côté

20 êtes-vous allé?

21 M. Milosevic (interprétation): Nous sommes allés du côté où se trouvaient

22 les Serbes.

23 Question: Vous et votre mère y êtes allés?

24 Réponse: Oui, ainsi que tous les autres voisins qui étaient avec nous.

25 Question: Quelle était l'origine ethnique de votre mère?

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1 Réponse: C'est une Croate.

2 Question: Qu'est-il arrivé à votre père et au frère que vous aviez laissés

3 derrière vous à Sijekovac?

4 Réponse: Ils ont dû être tués parce que je n'ai jamais réussi à savoir où

5 ils se trouvent.

6 Question: Lorsque vous êtes arrivé à Derventa, avez-vous entendu dire quoi

7 que ce soit au sujet de ce massacre à Sijekovac dans les médias?

8 Réponse: Oui, nous avons tous vu sur la télévision "Yutel", la chaîne

9 "Yutel", la télévision, et j'ai reconnu une partie des gens et de ce qui

10 se passait.

11 Question: Vous avez reconnu les corps des personnes que l'armée croate

12 n'avait pas réussi à emmener?

13 Réponse: Oui.

14 M. Lukic (interprétation): Je vous remercie beaucoup. Je n'ai pas d'autre

15 question à vous poser. Veuillez, s'il vous plaît, rester là où vous êtes

16 parce que peut-être le Bureau du Procureur ou les membres de la Chambre

17 ont des questions à vous poser.

18 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Sasa Milosevic, par M. Koumjian.)

19 M. Koumjian (interprétation): Je vous remercie, Monsieur Milosevic, j'ai

20 simplement quelques questions à poser.

21 Le voisin qui vous a sauvé la vie et qui vous a aidé, vous et votre mère,

22 vous dites que c'était un Musulman; est-ce exact?

23 M. Milosevic (interprétation): Oui.

24 Question: Est-ce qu'il a fait cela pour de l'argent ou de son propre

25 mouvement?

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1 Réponse: Pas pour de l'argent. Il l'a fait de son propre mouvement.

2 Question: Vous, Monsieur Milosevic, vous étiez très jeune à l'époque. Vous

3 ne savez toujours pas de façon certaine où votre frère et votre père se

4 trouvent, où se trouvent leurs corps. Est-ce exact?

5 Réponse: Oui, c'est exact, je ne le sais pas.

6 Question: Pourriez-vous dire à la Chambre le sentiment qu'il y a lorsqu'on

7 a perdu des membres de sa famille, qu'ils ont disparu et qu'on ne sait pas

8 ce qui leur est arrivé, qu'on ne sait jamais ce qui leur est arrivé et où

9 se trouvent leurs corps?

10 M. Milosevic (interprétation): C'était épouvantable comme sentiment.

11 J'aimerais savoir au moins où se trouvent leurs tombes, afin que je puisse

12 m'y rendre et allumer une bougie.

13 M. Koumjian (interprétation): Je n'ai pas d'autre question.

14 (Questions au témoin, M. Sasa Milosevic, par M. le Président.)

15 M. le Président (interprétation): Je n'ai qu'une question supplémentaire à

16 poser.

17 Sauriez-vous par hasard s'il y a eu des poursuites quelconques dans votre

18 pays d'origine contre les coupables responsables des crimes que vous avez

19 décrits aujourd'hui?

20 M. Milosevic (interprétation): Non, il n'y a pas eu de poursuite.

21 Question: Bien. Une question qui en découle.

22 Sachant que ces crimes dans votre pays d'origine ne font pas l'objet de

23 poursuites ou en tous les cas ne font pas l'objet de poursuites

24 appropriées ou pas de poursuites du tout -cela dépend de l'endroit où les

25 crimes ont été commis et de savoir qui sont les responsables aujourd'hui-,

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1 la communauté internationale a décidé de constituer ce Tribunal pour

2 connaître toutes –je souligne toutes- les violations graves du droit

3 international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie

4 depuis 1991.

5 Par conséquent, il y a une possibilité assez réaliste qu'à l'avenir votre

6 déposition puisse, telle qu'elle a été faite aujourd'hui, puisse être

7 utile dans d'autres affaires contre les responsables des crimes que vous

8 avez décrits aujourd'hui.

9 Est-ce que vous seriez d'accord que ce que vous avez dit, et qui a été

10 inscrit dans le compte rendu de votre déposition, puisse être utilisé dans

11 d'autres affaires?

12 M. Milosevic (interprétation): Oui, je suis d'accord.

13 M. le Président (interprétation): Pas d'autre question.

14 M. Vassylenko (interprétation): Pas de question.

15 Mme Argibay (interprétation): Pas de question.

16 M. le Président (interprétation): Il n'y a pas d'autre question de la

17 Chambre.

18 Il nous reste donc à vous remercier d'être venu jusqu'ici, mais aussi pour

19 avoir déposé devant la Chambre, ce qui est extrêmement important pour voir

20 les choses de façon équilibrée, pour voir ce qui s'est passé d'un côté

21 comme de l'autre.

22 Il me reste donc à vous souhaiter maintenant un bon retour chez vous et un

23 meilleur avenir dans votre pays d'origine. Je vous remercie d'être venu.

24 Je prie l'huissier de bien vouloir escorter le témoin hors du prétoire.

25 M. Milosevic (interprétation): Je vous remercie beaucoup. Au revoir.

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1 (Le témoin, M. Sasa Milosevic, est reconduit hors du prétoire.)

2 (Questions relatives à la procédure.)

3 M. le Président (interprétation): La défense est préparée pour continuer

4 avec le témoin n°26, à savoir Zarko Garic.

5 M. Lukic (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Zarko Garic.

6 M. le Président (interprétation): Alors nous allons attendre que

7 l'huissier puisse faire rentrer ce témoin. Je dois demander s'il y a

8 d'autres questions administratives à régler dans l'intervalle.

9 Pas du côté de l'accusation?

10 M. Koumjian (interprétation): Non, Monsieur le Président.

11 M. le Président (interprétation): Du côté de la défense?

12 M. Lukic (interprétation): Rien de notre côté non plus, Monsieur le

13 Président. Je voudrais simplement mentionner que ceci était donc le

14 premier de nos témoins, dont nous avons promis qu'il ne déposerait que

15 pendant 15 minutes.

16 M. le Président (interprétation): Vous avez annoncé cela dès le 16 avril,

17 si je me rappelle exactement, mais vous avez dépassé votre temps de deux

18 minutes.

19 Je vous demanderai une correction au compte rendu: à la ligne 13 de la

20 page 7, 1991 au lieu de 1999.

21 (Note de l'interprète: ceci était déjà corrigé en français.)

22 Une autre question technique. Les documents distribués hier, les

23 dépositions ou déclarations des six personnes -je ne sais pas si

24 l'accusation ou la défense souhaite avoir des mesures de protection, donc

25 je ne veux pas citer les six noms, mais vous savez de quoi je parle

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1 maintenant-, est-ce que ces documents sont proposés par l'accusation aux

2 fins de versement au dossier? Est-ce que l'accusation en demande le

3 versement au dossier?

4 M. Koumjian (interprétation): Non, ils ne sont pas présentés en vue d'un

5 versement au dossier. Ils sont produits en tant que documents communiqués.

6 M. le Président (interprétation): Est-ce que l'une ou l'autre partie est

7 disposée ou prête à demander le versement de ces documents au dossier?

8 M. Lukic (interprétation): Comme je l'ai mentionné hier, Monsieur le

9 Président, je n'ai pas eu le temps de lire tous ces documents. Donc je ne

10 peux pas vous le dire maintenant. Mais on peut espérer que tous ces

11 témoins déposeront devant la Chambre de sorte que je ne sais pas s'il sera

12 nécessaire dès maintenant d'en demander le versement au dossier.

13 M. le Président (interprétation): Il pourrait être nécessaire de le faire

14 pour les examiner en détail. Par conséquent, je pense que le premier droit

15 appartient à l'accusation.

16 M. Koumjian (interprétation): Eh bien, Monsieur le Président, nous ne

17 demandons pas le versement au dossier de déclarations qui n'ont pas été

18 faites sous serment, ni de dépositions faites oralement devant la Chambre

19 et non plus, compte tenu des procédures de l'Article 92bis, en tant

20 qu'éléments de preuve.

21 Nous sommes parfaitement disposés à en discuter, à en débattre et, si la

22 Chambre le souhaite, eh bien, la Chambre les a en sa possession. Nous

23 pouvons en discuter. Si vous voulez, on peut leur attribuer une cote ou un

24 numéro, mais nous ne pensons pas qu'il serait approprié de les admettre

25 comme éléments de preuve pour le moment parce qu'ils ne sont pas couverts,

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1 pour le moment, par un article du Règlement qui le permette.

2 M. le Président (interprétation): Oui, ceci pourrait être discuté, mais je

3 comprends que, pour des raisons compréhensibles, la défense n'ait pas été

4 en mesure de lire l'intégralité du document jusqu'à présent. Nous devons

5 discuter de ceci dans le cadre de nos entretiens demain concernant les

6 témoins à venir. Sans aucun doute, je demanderai à tous les participants

7 de se préparer pour discuter de cette question en détail.

8 Et je voudrais demander au Greffe s'il est exact que le témoin doit

9 arriver seulement à 9 heures 45.

10 Mme Dahuron (interprétation): Oui, Monsieur le Président.

11 M. le Président (interprétation): Donc il conviendrait de suspendre

12 maintenant la séance. L'audience est suspendue jusqu'à 10 heures.

13 (L'audience, suspendue à 9 heures 29, est reprise à 10 heures 03.)

14 M. le Président (interprétation): Je demande à l'huissier de faire entrer

15 le témoin dans le prétoire.

16 (Le témoin, M. Zarko Garic, est introduit dans le prétoire.)

17 M. le Président (interprétation): Bonjour, Monsieur Garic. M'entendez-vous

18 dans une langue que vous comprenez?

19 M. Garic (interprétation): Oui.

20 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Je vous prie de

21 prononcer votre déclaration solennelle.

22 M. Garic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

23 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

24 M. le Président (interprétation): Merci. Je vous prie de vous asseoir.

25 La défense a la parole. Maître Lukic, je vous en prie.

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1 (Interrogatoire principal du témoin, M. Zarko Garic, par Me Lukic.)

2 M. Lukic (interprétation): Bonjour, Monsieur Garic. Pour le compte rendu

3 d'audience, je vous prie de citer votre nom et prénom.

4 M. Garic (interprétation): Zarko Garic.

5 Question: Votre date de naissance?

6 Réponse: Le 15 juillet 1950.

7 Question: Votre lieu de naissance?

8 Réponse: Novo Selo.

9 Question: Où habitez-vous?

10 Réponse: Gornja Mocila.

11 Question: Gornja ou Donja Mocila?

12 Réponse: Gornja Mocila.

13 Question: Le village de Gornja Mocila se trouve sur le territoire de

14 quelle municipalité?

15 Réponse: Bosanski Brod.

16 Question: Que s'est-il produit le 3 mars 1992?

17 Réponse: Le 2. En fait, je ne connais pas cette date, le 3 mars.

18 Question: Le 3 mars 1992, y a-t-il eu une attaque lancée par des forces

19 croates lancées sur Bosanski Brod? Etes-vous au courant de cela?

20 Réponse: Oui, je sais que ça s'est produit à Brod.

21 Question: Que s'est-il produit le 2 avril 1992?

22 Réponse: Ce jour-là, dans l'après-midi, Stefo Jakovic, Tomo Blazevic sont

23 venus pour m'emmener au MUP de Bosanski Brod. C'est là que j'ai été amené.

24 Et l'on m'a immédiatement enfilé l'uniforme d'un capitaine de première

25 classe de l'armée yougoslave, et j'ai été enfermé dans une cellule

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1 d'isolement. Par la suite, ils m'ont emmené pour me faire subir un

2 interrogatoire.

3 Question: Excusez-moi de vous interrompre. A l'époque, étiez-vous

4 capitaine de première classe de la JNA?

5 Réponse: Pour ce qui est de l'armée yougoslave, eh bien, je n'ai pas fait

6 mon service dans cette armée. Jamais.

7 Question: Poursuivez, s'il vous plaît.

8 Réponse: Ils ont commencé à m'interroger pour me demander pourquoi j'étais

9 resté, pourquoi je n'étais pas parti avec les autres. Aussi, ils voulaient

10 savoir si j'avais une arme et des choses de ce genre. C'était au

11 crépuscule, alors ils m'ont ramené dans ma cellule. Des personnes

12 inconnues sont venues, des personnes que je ne connaissais pas, pour dire

13 qu'ils ont arrêté un Chetnik. Et ils ont commencé à me frapper avec des

14 matraques en caoutchouc, ce qui a duré cinq ou six minutes.

15 Et le matin, le lendemain matin, ils m'ont fait sortir, ils m'ont ramené

16 chez moi vers midi. Mes voisins se trouvaient là.

17 Quand je suis rentré chez-moi, Nijaz Causevic, appelé "Medo", était déjà

18 passé par là et il avait tué nos chiens. Moi, je suis allé voir un parent,

19 Neno, j'ai passé la nuit là-bas. Et le lendemain, le 4, deux policiers

20 sont venus. Ils m'ont emmené dans un camp, dans le camp situé au stade de

21 foot. A l'entrée, au seuil de la porte, c'est Drago Lepan et Pero Marinic

22 qui s'y trouvaient. Et puis d'autres personnes que je ne connaissais pas.

23 Et, sur-le-champ, ils se sont mis à me frapper.

24 Lorsque j'ai été passé à tabac, ils m'ont placé dans les vestiaires, les

25 vestiaires réservés aux joueurs de foot. Nous étions 13 ou 14 là-bas, à

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1 cet endroit, à l'intérieur. Et peu avant que la nuit tombe, ils ont amené

2 Milan Radovanovic, appelé "Koruga". Cet homme avait une tête un peu

3 hyperdimensionnée et il y a eu des rires. On a tourné en dérision la forme

4 de sa tête. Ils ont commencé à le frapper et ils lui ont asséné des coups

5 avec des pieds, des mains et ça a duré pratiquement toute la nuit. Le

6 lendemain matin, il était décédé.

7 Dans les jours qui ont suivi, il y a eu une sorte d'entraînement. Il a

8 fallu que l'on chante, on recevait des coups, on était soumis à des

9 mauvais traitements et ils nous incitaient à nous battre entre nous.

10 Plusieurs jours plus tard, on nous a emmenés à Sijekovac pour charger des

11 sacs de sable, pour faire des travaux et cela a duré jusqu'au 2 mai. Moi

12 et mon parent, Neno, on a été amenés à Sijekovac et certaines personnes

13 ont demandé que l'on reste là-bas, que l'on ne nous emmène pas. Et donc on

14 est restés en faisant partie de l'unité de travail. Il a été dit que

15 personne n'avait le droit de nous frapper et on était une cinquantaine,

16 une soixantaine. Il y avait parmi nous à la fois des Musulmans et des

17 Croates.

18 Et tous les jours, on allait travailler, on creusait des tranchées, on

19 coupait du bois dans la forêt. Il fallait travailler sur les toits des

20 maisons, démolir des maisons, des maisons serbes. Et tout cela, tous ces

21 travaux, eh bien, ils ont eu lieu tous les jours; c'est là que Nijaz

22 Causevic, appelé "Medo", s'est mis à venir, ainsi que Zemir Kovacevic. Ce

23 sont des Musulmans. Et c'est là que les tortures ont commencé. Ils étaient

24 les seuls à asséner des coups, les autres ne le faisaient pas.

25 Et puis, ils ont amené aussi -je ne pourrai pas citer de nom-, mais il y

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1 avait un Mustafa. En tout cas, ce Mustafa a été amené parmi nous et il a

2 dit que c'étaient des criminels, que c'étaient vraiment des criminels.

3 Alors ces travaux ont duré deux mois et dix jours. Zemir Kovacevic, eh

4 bien, lui, il est venu, il a emmené Miso Bacic "Crni", Savo Kusljo, qui ne

5 sont jamais revenus. A ce jour, on ne les a pas revus.

6 "Medo", Nijaz Causevic, appelé "Medo", lui, il est venu, il a dit qu'on ne

7 devait plus continuer à travailler là-bas, qu'il avait besoin de nous. Et

8 c'était déjà le 12 juillet. Il nous a rassemblés et il nous a fait monter

9 dans deux camionnettes –on était 18- et il nous a emmenés dans le camp de

10 Tulek. A l'entrée, on a été accueillis par Alija Zenanic qui nous a

11 confisqué nos montres, nos pièces d'identité. Ceux qui avaient des bijoux

12 en or, il les a également confisqués. Puis il nous a fait entrer dans

13 l'enceinte du camp.

14 Et dès ce moment-là, j'ai été accueilli par Drago Lepan. Sur-le-champ, il

15 m'a menacé de me pendre par ma moustache. Le lendemain, on a commencé à

16 travailler, à creuser des tranchées. Et puisque l'armée croate était

17 arrivée. On allait donc creuser des tranchées pour cette armée. On

18 creusait donc et puis on revenait vers 4 ou 5 heures. Pero Marinic était

19 gardien dans ce camp et dès qu'on est revenu une fois, dès qu'il m'a vu,

20 il a sorti son pistolet et il m'a cassé une dent. En fait, il m'a passé à

21 tabac et il m'a dit: "Ceci ne fera pas de mal à un Serbe". Et à partir de

22 ce moment-là, nous sommes allés tous les jours creuser des tranchées et, à

23 notre retour, on nous donnait des coups…

24 Question: Permettez-moi de vous interrompre un instant. A partir de quelle

25 heure du matin jusqu'à quelle heure dans la journée avez-vous creusé des

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1 tranchées? Est-ce que cela a duré cinq heures tous les jours ou bien vous

2 étiez de retour à 5 heures de l'après-midi?

3 Réponse: C'est à 7 heures du matin qu'on nous emmenait. Des soldats

4 croates venaient nous chercher et nous emmenaient. Et parfois, il est

5 arrivé que cela dure jusqu'à 10 heures du soir en fonction de la quantité

6 de travail. A partir du moment où la tranchée était terminée, eh bien, on

7 pouvait rentrer.

8 Puis, on a vu arriver aussi au camp un homme qui s'appelait Anto Stuc

9 appelé "Britva". C'étaient ses coups qui étaient les plus dangereux parce

10 qu'il se servait d'une batte de base-ball. Causevic appelé "Medo", ou

11 plutôt Nijaz Causevic appelé ''Medo", quant à lui, il amenait son peloton

12 d'intervention au camp pour violer des femmes. Les femmes,

13 occasionnellement, cherchaient à se mettre à l'abri parmi nous, à s'enfuir

14 parmi nous. Donc il nous est arrivé, à nous aussi, de nous faire frapper

15 parce qu'elles se trouvaient parmi nous.

16 Question: Qui était Djordjo Stojakovic?

17 Réponse: Djordjo Stojakovic, lui, il a été amené de Zagreb. Il avait 75,

18 80 ans, par là. C'est un homme qui a été blessé devant chez lui, devant sa

19 maison, devant la municipalité de Derventa et il a été amené chez nous. Il

20 avait une sonde à la gorge. C'est là qu'il a été blessé. Quelques jours

21 plus tard, nous avons été transférés de Tulek au camp "Fric Pavlik" et

22 Djordjo est resté à Tulek.

23 Question: Un instant, s'il vous plaît. Il était de quelle appartenance

24 ethnique?

25 Réponse: Serbe.

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1 Question: Il a été emmené tout d'abord de Derventa en Bosnie-Herzégovine?

2 Réponse: Oui.

3 Question: Pour Zagreb, en Croatie, puis il a été ramené à Bosanski Brod en

4 Bosnie-Herzégovine; est-ce exact?

5 Réponse: Oui, c'est cela.

6 Question: Poursuivez, s'il vous plaît.

7 Réponse: On nous a emmenés au camp de Fric Pavlik et lui, il est resté sur

8 place. On était entre 800 et 900. Quand on est arrivés là-bas, le

9 lendemain, il a fallu qu'on chante et il y avait un "chef d'orchestre",

10 Pajic. Il me semble qu'il s'appelait Mirko, que c'était ça son prénom. Et

11 la Croix-Rouge internationale est arrivée. Lui, il a rédigé quelque chose

12 sur une feuille de papier. Il a donné cela à une femme et comme cela s'est

13 produit, Anto Golubovic, qui était le commandant du camp, est revenu avec

14 cette feuille de papier. Il l'a lue et il a fait sortir quatre hommes.

15 Trois de ces quatre hommes sont revenus et Pajic a été ramené, mais il est

16 décédé quelques minutes plus tard.

17 Je n'y ai été détenu que pendant quatre jours. Ils sont venus. Ils ont lu

18 les noms de huit personnes dont moi, et ils nous ont ramenés au camp de

19 Tulek. Une fois revenus là-bas, Djordjo était en bonne condition physique

20 et nous, on nous a chargés d'enterrer les morts.

21 Question: Qui étaient les morts?

22 Réponse: C'étaient des Serbes. Il y en avait de trois nationalités parmi

23 les corps qu'on a enterrés. Goran Garic qui était chef de camp à Tulek,

24 DjorDjo a ouvert le grand portail et il l'a laissé partir. Le lendemain,

25 on l'a retrouvé dans le garage situé au cimetière. Il n'avait plus de

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1 sonde à la gorge, sa jambe de bois avait été enlevée. Il était mort et

2 nous l'avons enterré.

3 C'était ça notre charge quotidienne. Il a fallu creuser des tombes puis

4 revenir à Tulek où on était toujours accueillis par des gens qui nous

5 assénaient des coups. Anto Stuc appelé "Britva", Pero Marinic, Pero Cvorak

6 y ont particulièrement pris part. La nuit, ils venaient ivres. Les

7 gardiens les laissaient entrer et, la nuit, ils venaient nous donner des

8 coups. De jour, on allait donc au cimetière et c'est comme ça que ça se

9 passait tous les jours.

10 Quant à moi, j'ai passé plus de temps à couper de l'herbe au cimetierre.

11 Je n'ai enterré que 22 Serbes. Il y avait une grande fosse qui a été

12 creusée à peu près à 50 mètres du cimetière et, moi, je ne l'ai vu qu'une

13 fois, un camion jaune de marque FAP, je l'ai vu apporter des corps qu'il a

14 déchargés à cet endroit.

15 Question: Etait-ce un cimetière orthodoxe là où on a déchargé ces corps du

16 FAP?

17 Réponse: Non, c'était au bout du cimetière. Ce n'était même pas une partie

18 du cimetière, c'était l'endroit qui jouxtait la clôture derrière le

19 cimetière communiste. Et dans ce camion, il est resté -je ne peux pas le

20 dire exactement-, mais il est resté quelques personnes qui n'ont pas pu

21 descendre. Deux Serbes sont allés les faire descendre: Miro Kovacevic et

22 Stanisa dont je ne connais pas le nom de famille. Les autres ont continué

23 à enterrer les corps et, moi, j'ai été chargé, à partir de ce moment-là,

24 d'entretenir le cimetière croate ou plutôt catholique, musulman et

25 communiste. Seul le cimetière orthodoxe serbe n'était pas entretenu.

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1 Question: Le 6 octobre 1992, que s'est-il passé?

2 Réponse: Ce 6 octobre, les détenus ont été rassemblés pour qu'on les

3 emmène en Croatie. Et nous trois, on nous a laissés devant le MUP. Il nous

4 a été dit de porter des obus pour les emporter sur le pont. Un homme que

5 je ne connaissais pas est arrivé, il était ivre et il voulait se mettre à

6 égorger des gens. Il a m'a demandé où étaient mes frères. Je ne sais pas

7 s'il me connaissait. Anto Brekalo de Slavonski Brod en Croatie a reçu pour

8 mission de nous emmener, nous trois, à Slavonski Brod. Nous étions sur ce

9 pont jusqu'à peu près 6 heures et demie, 7 heures. On nous a fait monter

10 dans une camionnette et il nous a emmenés chez lui. Il nous a servi à

11 dîner puisqu'on se connaissait. Et nous trois, nous étions installés là,

12 chez lui, avec sa femme et lui. A ce moment-là, la police croate a fait

13 son entrée dans la maison, ils cherchaient des gens en pensant qu'ils se

14 trouvaient chez lui. Lui, il a dit qu'il n'y avait personne, hormis nous

15 trois. Alors ils l'ont emmené au camp près de Bardak, ensemble donc avec

16 nous.

17 Question: Je vous prie de répéter encore une fois l'endroit où on vous a

18 emmenés.

19 Réponse: Le camp près de Bardak. C'est une maison serbe, il y avait un

20 bowling et c'est là qu'il y avait un camp. Donc Brkelo a été enfermé avec

21 nous à cet endroit.

22 Dès que je suis entré, il a fallu que je me batte avec Sreto Radovanovic.

23 Andrija Jozic nous a forcés à faire cela et Ivica Blazevic appelé "Cedo"

24 aussi. Brekalo, ou plutôt son fils, a dit: "Eh bien, vieux, il faut que tu

25 fasses tes aveux, sinon tu iras à Orasje avec eux". Et Brekalo était en

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1 train de se faire construire un nouveau bowling, alors ils ont emmené des

2 gens pour construire cela.

3 Plus tard, deux autocars sont arrivés, on était 240 à cet endroit. Ils

4 nous ont fait venir près de ces autocars et la police s'est alignée pour

5 constituer deux files. Et chacun de nous a reçu des coups en arrivant près

6 du car. Moi, je portais un blessé sur un brancard; il est difficile de

7 faire monter cela dans un car. A l'entrée, donc, j'ai été frappé de

8 manière plutôt grave, et les cars sont partis. Ivica Blazevic appelé

9 "Cedo" était chargé de l'escorte -c'était un grand ami à moi-, Andrija

10 Jozic et Zeljo Matkovic. Nous sommes partis pour Orasje en passant par

11 Zupanja.

12 Arrivés à Zupanja, Andrija Jozic s'est montré à la porte et il voulait que

13 Zarko Garic -autrement dit moi-même- descende en l'espace de cinq

14 secondes. Dès que je suis descendu, j'ai vu un groupe de sept ou huit

15 personnes qui ont constitué un cercle, et ils se sont mis à me frapper en

16 se servant de tout ce qu'ils avaient sous la main. Il m'est arrivé de

17 tomber par terre, puis ils me redressaient. Mais je dois dire que je

18 supportais encore assez bien cela. Ils m'ont amené là pour me frapper, ils

19 ont pris deux détenus pour me retenir debout et un troisième devait me

20 frapper.

21 Ensuite, une personne du groupe leur a dit d'arrêter, d'arrêter un peu,

22 car un Oustacha de Herzégovine allait me montrer comment il fallait

23 frapper. Il m'a frappé avec son fusil à la nuque, et je ne sais même pas

24 comment je suis arrivé à Orasje.

25 Le matin, quand j'ai repris connaissance, je ne pouvais bouger ni mes

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1 mains ni mes jambes. Ils nous ont fait sortir. Moi, j'étais porté par deux

2 autres personnes. Il fallait décider qui allait rester dans ce camp et qui

3 allait être transféré dans un autre camp. C'est là que les femmes ont

4 commencé à jeter des pierres, des patates, toutes sortes d'objets, les

5 jeter sur nous. Et moi, on m'a fait revenir dans ce camp ainsi que

6 quelques personne âgées. Pendant 12 jours, je n'ai pas pu bouger.

7 Un prêtre est entré, il nous apportait 100 paquets de cigarettes. Tout le

8 monde s'est levé pour lui serrer la main mais, moi, je n'étais pas en

9 mesure de le faire. Il m'a demandé ce que j'avais. Je lui ai dit que

10 j'étais tombé dans le camion, car chaque personne blessée devait répondre

11 comme cela.

12 Question: Je vous interromps un instant. Ce prêtre, c'était un prêtre

13 catholique, n'est-ce pas?

14 Réponse: Oui. Il a ordonné que l'on m'amène voir un médecin. On m'y a

15 emmené, on m'a donné des médicaments -je ne sais plus quels étaient ces

16 médicaments-, et on m'a donné une pommade car j'étais couvert de bleus.

17 Après un massage, ces médicaments que j'ai pris, on nous a emmenés creuser

18 des tranchées. Nous y sommes allés deux ou trois jours. Ensuite, ils nous

19 ont transférés dans le camp de Mahala.

20 Donc j'étais placé dans le camp comme tous les autres et on a continué les

21 travaux. Je suis sorti à Gajovi. Il y avait un tracteur chargé de troncs

22 d'arbres. Comme c'était un terrain vague sans obstacle, les chauffeurs

23 n'osaient pas conduire, et il a donc fallu que je conduise bien que je ne

24 sois pas un chauffeur. Il m'a dit tout simplement d'appuyer sur la pédale

25 et de conduire. Donc j'ai réussi à conduire le tracteur jusqu'à l'endroit

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1 prévu. Je suis sorti et descendu du tracteur. Et c'est là qu'on a tiré une

2 balle. C'était une balle à fragmentation et j'ai été touché au niveau de

3 la cuisse, de mon derrière et à un doigt.

4 Je n'avais pas de bandages pour panser mon doigt, et deux personnes m'ont

5 dit qu'il fallait que je les suive car elles avaient une maison à

6 proximité et qu'elles allaient résoudre ce problème.

7 Quand nous sommes arrivés jusqu'à la maison, à l'intérieur il y avait un

8 homme et une jeune fille. Quand cet homme a examiné mon doigt, eh bien, il

9 n'y avait plus de doigt à cet endroit. Il a dit qu'ils allaient régler ça

10 assez rapidement, même s'ils n'ont pas d'anesthésie. Donc, moi, je me suis

11 couché. Il y en a un qui s'est assis sur ma poitrine, un autre qui s'est

12 assis sur mes jambes et ils ont commencé à traiter mon doigt. J'ai vomi,

13 j'ai vomi toutes mes entrailles tellement j'avais mal. Ceci n'a pas duré

14 trop longtemps. J'ai juste entendu un "pschitt, pschitt". Ils ont aspergé

15 le doigt avec quelque chose et ceci a été fait par des gens qui n'étaient

16 pas habilités à le faire, qui n'avaient pas le droit de le faire.

17 Après, un médecin est venu -je pense que c'était un médecin-, il a dit à

18 ces deux personnes, à tous les deux, qu'ils allaient répondre de ce qu'ils

19 m'ont fait.

20 Donc on m'a ramené dans cet état-là dans le camp, sans médicaments, sans

21 rien. J'étais couché avec ma main soulevée, toujours, car je ne pouvais me

22 mettre dans une autre position que celle-ci. Et ceci a duré jusqu'au 14

23 novembre.

24 A 9 heures du soir, on était 11 à venir de la municipalité de Bosanski

25 Brod, on nous a placés dans une camionnette et ils nous ont fait traverser

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1 la rivière Sava pour passer en Croatie. A nouveau, ils nous ont placés

2 dans le camp, le camp près de Bardak. On y était… C'était la deuxième

3 fois.

4 Comme il y avait deux pièces à cet endroit, on a placé 11 personnes, dont

5 je faisais partie, dans une pièce au sous-sol, et dans l'autre pièce, il y

6 avait 32 personnes.

7 En ce qui concerne ces autres personnes faisant partie de l'autre pièce,

8 eh bien, il ne fallait pas qu'elles effectuent des travaux. Il fallait

9 uniquement qu'elles lavent des voitures, qu'elles transportent des choses.

10 Moi, je ne suis jamais sorti du sous-sol; j'étais blessé. Je ne me

11 souviens pas de la date exacte, mais on nous a conduits pour faire l'objet

12 d'un échange à Dragalic, près de Zagreb. C'est là qu'ils ont laissé

13 passer, laissé sortir deux femmes et, nous, on nous a ramenés dans le camp

14 près de Bardak.

15 Tomo Aracija, mon voisin, est arrivé le 19 décembre. Quand il m'a vu,

16 quand il a vu l'état dans lequel je me trouvais -puisque c'était lui qui

17 était chargé des échanges-, il m'a dit qu'il allait quitter son travail

18 s'ils n'acceptaient pas de me faire échanger.

19 Le 21 décembre, les policiers sont arrivés; en réalité, il n'y avait qu'un

20 seul policier. Il voulait Zarko Garic; j'ai dit que c'était bien moi. Il

21 m'a dit de sortir, de m'asseoir dans son 4x4, une Land-Rover, et je m'y

22 suis assis. Et donc nous avons commencé le trajet.

23 Je ne savais pas où il était en train de m'amener. Nous étions seuls, il

24 m'a demandé si j'aimais bien la musique et il a allumé… il a mis de la

25 musique et je lui ai demandé où il m'emmenait. Il m'a dit qu'il était en

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1 train de me transporter, de me conduire à Kobas pour tenter un échange. Et

2 heureusement pour moi, cet échange a abouti. On m'a amené dans mon village

3 natal; ma maison n'y était plus, tout avait brûlé. Le lendemain, on m'a

4 immédiatement transporté en Serbie dans un hôpital et j'y suis resté cinq

5 mois et demi. C'est tout ce que j'ai à dire.

6 M. Lukic (interprétation): Monsieur le Président, Monsieur et Madame les

7 Juges, nous n'avons plus de question pour ce témoin. Donc le Procureur

8 peut commencer le contre-interrogatoire.

9 M. Koumjian (interprétation): Je n'ai pas de question, Monsieur le

10 Président. Merci.

11 (Questions au témoin, M. Zarko Garic, par M. Le Président.)

12 M. le Président (interprétation): Vous nous avez raconté votre récit ce

13 matin qui nous a impressionnés.

14 Mis à part les côtés juridiques ou formels de tout cela, vous,

15 personnellement, qui tenez-vous pour responsable de tout ce qui vous est

16 arrivé, aussi bien au niveau bas de la hiérarchie qu'au niveau très élevé,

17 maintenant que vous regardez cela avec du recul?

18 M. Garic (interprétation): Pour moi et pour beaucoup de gens de Sijekovac,

19 le responsable c'est Nijaz Causevic, surnommé "Medo". C'est lui qui nous a

20 fait le plus de mal.

21 M. le Président (interprétation): Quelle était sa fonction? Quelle était

22 la municipalité où il habitait?

23 M. Garic (interprétation): Il ne faisait pas partie de notre municipalité.

24 Il était à Sijekovac près de l'école. Nous avons grandi ensemble. Il a été

25 retraité, il a été mis à la retraite quand il avait à peu près 20 ans

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1 parce qu'il était un peu dérangé mentalement. Et il a donc rassemblé un

2 peloton qu'on appelait "le peloton d'intervention". C'est comme cela

3 qu'ils se sont appelés eux-mêmes alors que c'étaient des voleurs de

4 Bagdad.

5 Question: Est-ce que vous avez l'impression que, derrière eux, il y avait

6 une organisation ou bien est-ce que, d'après vous, ces crimes ont été

7 commis à l'initiative et uniquement par ces personnes?

8 Réponse: Je ne le sais pas, moi.

9 Question: N'avez-vous jamais témoigné dans une autre affaire devant ce

10 Tribunal?

11 Réponse: Monsieur le Président, c'est la première fois que je me trouve

12 devant les Juges.

13 Question: Savez-vous quoi que ce soit en ce qui concerne des poursuites

14 éventuelles entreprises à l'encontre de ces personnes qui ont commis,

15 d'après ce que vous dites, des crimes pas seulement contre vous mais

16 contre d'autres personnes? Donc est-ce que vous êtes au courant

17 d'éventuelles poursuites au pénal sur le territoire de l'ex-Yougoslavie

18 contre ces personnes?

19 Réponse: Nijaz Causevic, il a fait l'objet de différentes convictions.

20 Même avant la guerre, il avait fait tuer son premier, son voisin le plus

21 proche. Donc il a fait l'objet d'une condamnation. Et il n'a jamais

22 répondu de cela.

23 Question: La communauté internationale sait qu'il y a beaucoup de

24 personnes que l'on poursuit à cause des violations sérieuses du droit

25 humanitaire international commis sur le territoire de l'ex-Yougoslavie en

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1 1991. C'est pour cela que le Tribunal a été créé et il serait

2 éventuellement nécessaire d'utiliser votre déposition dans une autre

3 affaire poursuivant d'autres personnes. Est-ce que vous acceptez que votre

4 déposition écrite soit utilisée et votre déposition d'aujourd'hui soit

5 utilisée dans un autre procès?

6 Réponse: Oui, je suis d'accord.

7 M. le Président (interprétation): Pas d'autre question? Non.

8 Donc je vous remercie, Monsieur le Témoin, non seulement d'être venu mais

9 aussi de votre déposition. Nous savons tous qu'il est très difficile de

10 témoigner, d'en parler ici, car ceci rouvre les blessures. Mais je pense

11 que ceci sera utile et la paix reviendra dans votre patrie. J'espère que

12 les gens, ce peuple, vivront à nouveau en paix.

13 Merci de votre contribution.

14 Maintenant, je vais demander à l'huissier de raccompagner le témoin.

15 M. Garic (interprétation): Merci, Monsieur le Président, Madame et

16 Monsieur les Juges.

17 (Le témoin, M. Zarko Garic, est reconduit hors du prétoire.)

18 M. le Président (interprétation): Madame la Greffière, pourriez-vous nous

19 dire à quelle heure arrive le prochain témoin?

20 Mme Dahuron (interprétation): On vient de m'informer du fait que le témoin

21 devrait arriver dans cinq minutes à peu près.

22 M. le Président (interprétation): Très bien. Nous allons en profiter pour

23 faire une pause qui va durer jusqu'à 11 heures 20.

24 (L'audience, suspendue à à 10 heures 52, est reprise à 11 heures 24.)

25 M. le Président (interprétation): Je vais demander à l'huissier de bien

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1 vouloir faire entrer Nikola Cikojevic.

2 (Le témoin, M. Nikola Cikojevic, est introduit dans le prétoire.)

3 M. le Président (interprétation): Monsieur Cikojevic, est-ce que vous

4 m'entendez dans une langue que vous comprenez?

5 M. Cikojevic (interprétation): Oui.

6 M. le Président (interprétation): Je voudrais vous demander à présent de

7 lire la déclaration solennelle.

8 M. Cikojevic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

9 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

10 M. le Président (interprétation): Vous pouvez vous asseoir.

11 Maître Lukic, c'est à vous.

12 (Interrogatoire principal du témoin, M. Nikola Cikojevic, par Me Lukic.)

13 M. Lukic (interprétation): Bonjour, Monsieur Cikojevic.

14 M. Cikojevic (interprétation): Bonjour.

15 Question: Pourriez-vous me donner votre nom et votre prénom pour le compte

16 rendu d'audience, s'il vous plaît?

17 Réponse: Nikola Cikojevic.

18 Question: Et votre date de naissance?

19 Réponse: Le 7 mars 1974.

20 Question: Et quel est votre lieu de naissance?

21 Réponse: Slavonski Brod.

22 Question: Où résidez-vous aujourd'hui?

23 Réponse: A Srpski Brod. A Gornja Mocila, municipalité de Sijekovac.

24 Question: Est-ce que vous y avez habité le 3 mars 1992?

25 Réponse: Oui. J'ai habité dans le village Gornja Mocila, municipalité de

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1 Sijekovac.

2 Question: Pourriez-vous nous dire ce que vous savez au sujet du 3 mars et

3 comment vous avez organisé votre vie après cette date-là?

4 Réponse: Le 3 mars, l'armée croate est venue, donc l'armée de la

5 République de Croatie est arrivée dans la municipalité de Bosanski Brod.

6 Et c'est là que l'administration militaire a été établie, à Bosanski Brod.

7 Donc les autorités civiles de la municipalité de Bosanski Brod ne

8 fonctionnaient plus. Les autorités croato-musulmanes commencent à créer

9 des points de contrôle de la police militaire. Il y a eu des contrôles,

10 des arrestations, des mauvais traitements.

11 Moi, je travaillais dans la raffinerie de pétrole à Bosanski Brod. Donc ma

12 tante, qui était mon manager dans l'entreprise, m'a appelé pour venir à

13 Brod habiter chez elle. Elle m'a dit que les autorités ont indiqué que

14 tout le monde devait se présenter à son poste de travail.

15 Moi, j'ai réussi à passer les points de contrôle et je suis arrivé à Brod

16 chez ma tante; on était le 18 mars. Et après ceci, je n'avais plus le

17 droit de me montrer, d'aller dans la rue, de circuler dans la rue.

18 Pendant que j'y étais, le 25 mars, alors que j'étais assis dans la chambre

19 qui donne sur la rue, il était à peu près 17 heures quand j'ai entendu une

20 explosion. Donc on a entendu l'explosion, on a entendu des cris et j'ai vu

21 les gens en train de traverser la rue en courant. On a entendu des tirs

22 et, après cette nuit-là, le matin donc, une voisine serbe a frappé à notre

23 porte, elle est venue nous voir. Donc à la porte de la maison de ma tante.

24 Ma tante a ouvert la porte. Elle est entrée en demandant: "Mais qu'est-ce

25 qui se passe? Est-ce que vous avez vu qu'on a tué Andrija Martic, son

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1 fils, leurs voisins Dujanic qui étaient dans la maison avec eux?".

2 Question: Pourriez-vous nous dire quelle était l'appartenance ethnique de

3 ces gens?

4 Réponse: Ils étaient Serbes. Ils étaient Serbes. Et l'épouse de Momir

5 Martic s'appelait Merima et elle était Musulmane. Elle ainsi que le frère

6 du feu Dujanic étaient grièvement blessés tous les deux. Et donc nous

7 avons passé la journée comme cela jusqu'au soir. Nous avons allumé la

8 télévision. Nous avons regardé le journal télévisé. Et au journal

9 télévisé, on a pu voir mon village, de quelle façon on avait tué mes

10 voisins serbes, la famille Zecevic, Milosevic, et la famille Radanovic

11 ainsi que les Trifunovic.

12 A nouveau, le 27, sur "Yutel", on a vu cette émission, c'est-à-dire on a

13 vu Biljana Plavsic, Fikret Abdic et je pense, au nom de croate, que

14 c'était Boras qui était présent. Donc ils ont montré les cadavres des

15 Serbes, les cadavres des personnes tuées le 26. J'ai reconnu feu Luka

16 Milosevic et son fils Zeljo. Je les ai vus couchés. Ils gisaient dans la

17 cour. Voilà ce qui concerne la période jusqu'au 14.

18 Question: Et le 7 mai, pourriez-vous nous dire ce qui s'est passé le 7

19 mai?

20 Réponse: Le 7 mai, ma mère qui était restée au village, dans notre maison,

21 et quand ils se sont retirés de Sirkovac pour se réfugier dans les

22 villages serbes de Zboriste, elle était blessée et elle n'a pas pu se

23 joindre à eux.

24 Question: Que s'est-il passé le 9 mai 1992?

25 Réponse: Le 9 mai 1992, notre maison de famille a été incendiée.

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1 Question: Qui a incendié votre maison?

2 Réponse: Nos voisins car il n'y avait personne d'autre là-bas. Les Serbes

3 étaient détenus, enfermés ou bien se sont réfugiés, ont quitté le village.

4 Question: Pourriez-vous nous dire quelle était l'appartenance ethnique de

5 vos voisins, ceux qui ont incendié le village et les maisons?

6 Réponse: Ils étaient Croates car dans mon village il y avait des Croates

7 et des Serbes.

8 Question: Que s'est-il passé le 14 mai 1992?

9 Réponse: Le 14 mai, après le retrait de l'armée yougoslave qui s'est

10 produit le 11 mai, eh bien le 14, mon voisin, c'est-à-dire le voisin de ma

11 tante, le plus proche, a appris que j'étais chez eux dans leur maison.

12 Question: Quelle était son appartenance ethnique?

13 Réponse: Il était croate. Ferdo Kljajic. Il m'a dit qu'il fallait que je

14 me présente auprès des autorités militaires de Bosanski Brod.

15 Question: Est-ce que vous y êtes allé ce jour-là?

16 Réponse: Oui, j'y suis allé le jour même. Moi, ma tante et sa fille

17 puisque que j'étais de sexe masculin. Je venais à peine d'avoir 18 ans.

18 Ils ne voulaient pas me laisser partir tout seul. Elle avait peur pour

19 moi.

20 Question: Et que s'est-il passé quand vous vous êtes présentés?

21 Réponse: Nous nous sommes présentés à Unipromet. Pejo Lepan était à la

22 tête de cette unité de travail. C'était lui qui décidait.

23 Question: Et que deviez-vous faire au sein de ces unités de travail? Et où

24 passiez-vous vos nuits?

25 Réponse: Dans l'unité de travail, le matin, on commençait à 7 heures et on

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1 restait jusqu'à 8 heures du soir. Il fallait apporter la nourriture de

2 chez nous, car on ne nous donnait pas de nourriture. Donc nous nous

3 rendions dans les hameaux de Brodsko Polje ou Novo Naselje. Donc nous

4 démantelions les toits pour prendre les tuiles ou les poutres.

5 Question: Est-ce que vous les remplaciez ou bien les enleviez? Est-ce que

6 je vous ai bien compris?

7 Réponse: Oui, oui, on les enlevait des maisons des Serbes. Et on enlevait

8 aussi les fenêtres. Et comme il s'agit d'un quartier assez nouveau, assez

9 récent, eh bien, on prenait les matériaux de construction qui étaient

10 déposés dans différents endroits. Et ensuite, on transportait tout cela

11 jusqu'au dépôt central créé par les autorités militaires croates.

12 Pendant que j'étais encore dans l'unité de travail, il a fallu que je me

13 rende sur le cimetière pour y creuser des tombes, et ceci a duré pendant

14 trois ou quatre jours; c'est là que j'ai enterré les premières victimes du

15 village, le village de Poloje. C'étaient des Serbes assez âgés, des femmes

16 et des vieillards.

17 Question: Est-ce que vous vous souvenez de noms?

18 Réponse: Jelka, je pense qu'elle s'appelait Jelka Petrovic. Il y avait

19 aussi un homme, je ne me souviens pas de son nom. Et il y avait aussi

20 quelqu'un qui se nommait Kalabic.

21 Question: Et quel était le traitement que l'on vous a infligé pendant que

22 vous effectuiez votre obligation de travail?

23 Réponse: Eh bien, ils nous ont de temps en temps infligé de mauvais

24 traitements: parfois ils nous passaient à tabac ou bien ils nous

25 injuriaient.

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1 Au mois de mai, ils nous ont emmenés au stade de la ville pour réparer son

2 toit. Il y avait un camp, un camp destiné aux Serbes à cet endroit. Et

3 c'était aussi le poste de stationnement de la police militaire de la

4 Brigade de Brod.

5 Pendant que nous attendions à cet endroit pour aller réparer les toits, on

6 a vu les prisonniers en train de travailler. Et à une occasion, quand il y

7 en avait un qui était en train de nettoyer les débris de verre, un obus

8 est tombé et a fait des dégâts. Jasenka Bilic et Manda Djakovic se sont

9 approchés de lui, en l'approchant de dos, et ils se sont mis à injurier sa

10 mère serbe en lui disant: "Mais qu'est-ce qui se passe avec toi? T'es

11 dingue ou quoi! Pourquoi tu ne travailles pas plus rapidement?". Il a

12 répondu qu'il ne pouvait pas travailler plus rapidement. Et, à ce moment-

13 là, c'est Tadija Lepan qui s'est approché de lui, il s'est mis à le

14 battre. Il l'a jeté de l'étage sur le parterre devant la maison, devant

15 l'immeuble.

16 Tous les trois sont descendus. Et Drago Lepan était avec eux. Il y en

17 avait un autre assez gros, pas très grand, blond. Il était aussi membre de

18 la police militaire, mais je ne sais pas comment il s'appelait; ils ont

19 continué à lui asséner des coups. Et nous, nous nous sommes rendus sur le

20 toit, et je ne sais pas ce qui s'est passé avec lui par la suite.

21 Question: Est-ce que vous vous souvenez de la date à laquelle on vous a

22 enfermé dans le camp de Tulek?

23 Réponse: C'était le 24 au matin. J'étais à Unipromet, et des membres de la

24 police militaire sont venus me chercher, moi et Predrag Vrac. Ils sont

25 venus nous chercher pour nous amener dans le camp de Tulek.

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1 Question: Est-ce qu'ils vous ont saisi quoi que ce soit?

2 Réponse: Oui. Ma montre, ma chaîne en or et mes pièces d'identité.

3 Question: Et de quelle façon vous a-t-on traité dans ce camp?

4 Réponse: Dans ce camp, quand nous sommes arrivés, moi et Vrac, il y avait

5 à cet endroit-là entre 15 et 20 Serbes détenus à cet endroit-là. Il y

6 avait une femme parmi eux. Donc ils nous ont ordonné de commencer à

7 bétonner, car ils étaient en train de construire la prison. Donc nous y

8 avons travaillé pendant deux ou trois jours. Ensuite, ils ont commencé à

9 nous amener ailleurs pour creuser des tranchées.

10 La personne qui était responsable des détenus, qu'il fallait amener

11 creuser les tranchées, s'appelait Tadija Lepan. Son oncle, Drago Lepan, y

12 était aussi ainsi que d'autres personnes -je ne me souviens pas de leurs

13 noms.

14 Question: A-t-on amené d'autres personnes dans le camp de Tulek, au début

15 du mois de juillet?

16 Réponse: Oui, à ce moment-là, on amenait des personnes de Derventa, à peu

17 près 130 personnes. Des hommes. Il y avait deux femmes parmi eux. Il y en

18 avait une qui était médecin de formation.

19 Question: A-t-on aussi amené des gens d'Odzak quelques jours plus tard?

20 Réponse: Oui, après la chute d'Odzak, on a aussi amené des gens d'Odzak:

21 des femmes et des enfants. Pendant qu'ils étaient là dans le camp de

22 Tulek, tous les jours, les forces croates et musulmanes, la police

23 militaire venait pour passer les gens à tabac ainsi que des membres de

24 l'armée.

25 Au début de juillet, une femme musulmane est venue au camp. Elle venait de

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1 Kozarac près de Prijedor à l'origine. Et pendant cette période, Zdravko

2 Marinic et Zoran Cavraja étaient les personnes qui étaient responsables et

3 qui jouaient aux cartes. Ils étaient de service et prenaient des paris

4 pour dire que celui qui perdrait le jeu irait là pour violer cette femme

5 musulmane qui était arrivée.

6 Dans cette partie de la grange, nous avons entendu une conversation qu'ils

7 avaient. Apparemment, ils se querellaient, ils faisaient beaucoup de

8 bruit; et, à un moment donné, ils sont venus me trouver et m'ont dit:

9 "Regarde, maintenant c'est toi qui vas aller là et tu vas insulter cette

10 femme musulmane et tu vas abuser d'elle sexuellement. D'accord?".

11 J'ai répondu: "Tuez-moi, si vous voulez, mais je ne vais pas le faire".

12 Alors ils ont renoncé en ce qui me concerne, et ils ont obligé Slobodan

13 Jandric de Sipovo à le faire, qui avait été amené au camp depuis la

14 République de Croatie jusqu'au camp de Tulek en janvier avec trois autres

15 Serbes qui travaillaient à Rijeka.

16 Alors que nous étions dans le camp de Tulek, Drago et Tadija Lepan avaient

17 coutume de venir très souvent. Ils obligeaient les gens de Derventa et

18 d'Odzak à chanter l'hymne de "Jure i Boban" qui est l'hymne oustachi.

19 Au début de juillet, le père de Tadija Lepan a été tué. Drago Lepan est

20 venu au camp de Tulek, sa mère et ses enfants sont venus. Drago a défoncé

21 la barrière, la porte qui donnait dans la pièce où se trouvaient les

22 prisonniers de Derventa. Et lui, sa mère et les enfants, ont commencé à

23 battre les gens qui s'y trouvaient. Puis il est venu dans notre grange où

24 se trouvaient détenues des personnes de Brod et il a commencé à frapper

25 tout le monde. Il m'a également donné des coups.

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1 Question: Est-ce que deux Croates étaient détenus avec vous dans le camp?

2 Réponse: Oui, effectivement. Boro Jankovic et son père. Je ne parviens pas

3 à me rappeler le nom de son père. La mère de Boro était une Serbe. Elle

4 s'était enfuie avec le fils cadet qui n'était pas encore en âge de faire

5 son service militaire. Ils s'étaient enfuis avec les Serbes, mais ces

6 deux-là étaient restés dans leur maison. Et lorsqu'on prenait des Serbes

7 du côté de Brusnica -qui est là encore un village mixte serbe et croate-,

8 les deux, à ce moment-là, ont été pris dans la rafle. Ils ont maltraité,

9 plus que nous, les Serbes d'ailleurs.

10 Question: Que s'est-il passé le 9 juillet 1992?

11 Réponse: Le 9 juillet, est-ce que c'était le jour où la Croix-Rouge

12 internationale est venue?

13 Question: Oui.

14 Réponse: C'est là que j'ai été, pour la première fois, inscrit par la

15 Croix-Rouge internationale. Ils sont rentrés précipitamment dans le camp

16 et ils ont vu des personnes qui se trouvaient à l'intérieur. Ils ont

17 demandé à pouvoir rentrer pour voir qui y était détenu. Et c'est à ce

18 moment-là que la Croix-Rouge internationale a pris nos noms et les a

19 inscrits.

20 Question: Je voudrais maintenant que vous me parliez de la fin de juillet

21 1992. Est-ce que vous avez été transféré dans un autre lieu?

22 Réponse: Vers la fin de juillet? Vers la fin de juillet, les Serbes de

23 Derventa et Odzak ont été transférés à l'entrepôt de la Gik, c'était du

24 matériel de construction qui était utilisé par la société Gik, G-I-K,

25 société de construction.

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1 Question: Combien de temps êtes-vous restés dans le camp de Tulek?

2 Réponse: Nous sommes restés jusqu'au 17 août.

3 Question: Pourriez-vous, s'il vous plaît, rappeler la date?

4 Réponse: Le 18 août 1992.

5 Nous avons été transférés dans les locaux d'une école parce que la Croix-

6 Rouge internationale avait annoncé qu'elle viendrait. Donc ils ont pris

7 quelques-uns d'entre nous qui étaient encore en état de marcher à Odzak,

8 Brod et Derventa, qui étaient en bonne condition physique. Ils nous ont

9 emmenés jusqu'au gymnase de l'école qui se trouvait à l'intérieur de

10 l'école et les personnes âgées, les malades, les blessés, les femmes et

11 les enfants étaient cachés.

12 On les a déplacés ainsi que les personnes qui se trouvaient dans le stade.

13 On les également cachées pour empêcher qu'on ne puisse les voir ainsi que

14 ceux du club de kayak. Ils les ont cachés à la vue de la Croix-Rouge

15 internationale. Ainsi ils n'ont pas pu être enregistrés la première fois

16 qu'ils sont venus. Et nous y sommes restés pendant quatre jours.

17 Et pendant ces quatre jours, une personne a été tuée pendant la visite de

18 la Croix-Rouge internationale.

19 Un détenu de Derventa a écrit un message sur un bout de papier et a donné

20 ce bout de papier à une dame de la Croix-Rouge internationale. Il lui a

21 demandé de ne pas le trahir. Il a écrit où se trouvaient les blessés et

22 les malades et les femmes et les enfants, où on les détenait cachés à la

23 vue des visites. Et cette dame est allée voir le commandant du camp, est

24 allée trouver le commandant du camp. C'était un homme de la police

25 militaire, du nom de Golubovic. Elle lui a demandé où se trouvait la

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1 fabrique de chaussettes. Et il lui a répondu: "Comment?" Et elle lui a dit

2 qu'elle avait obtenu des renseignements selon lesquels ils gardaient des

3 Serbes à cet endroit-là.

4 Et après le départ du personnel de la Croix-Rouge internationale, après

5 qu'ils ont eu quitté le camp, Zdravko Ostojic est venu. Il a choisi quatre

6 personnes de Derventa pour leur faire passer un interrogatoire. Il voulait

7 découvrir qui avait fourni les renseignements concernant les Serbes qui

8 avaient été cachés à la vue des membres de la Croix-Rouge. Ils ont renvoyé

9 trois personnes, trois de ces personnes sont revenues. Et Mirko Pajic a

10 été retenu. Zdravko Ostojic est venu nous voir et a dit: "Il n'était pas

11 assez astucieux pour sauver sa vie. Il faut qu'il écrive un rapport

12 concernant ce qu'il a fait."

13 Et deux heures plus tard, Anto Golubovic et son adjoint ont emmené Mirko

14 Pajic. Le nom de l'adjoint était Tolic. Ils se tenaient par les épaules,

15 le bras autour de l'épaule.

16 Et dans le gymnase, ils ont dit: "Personne ici n'a le droit de vous

17 toucher. Vous êtes un très bon ami".

18 Et puis, ils se sont éloignés de lui et ont commencé à asséner des coups

19 aux gens devant nous tous dans ce gymnase. Et puis, ils lui ont demandé:

20 "Est-ce que tu vas maintenant admettre si tu étais celui qui a indiqué le

21 lieu où se trouvaient ceux qui ont été cachés au regard de la Croix-Rouge

22 internationale?".

23 Il ne pouvait pas répondre parce qu'il était déjà tombé sans connaissance.

24 On l'a emmené. On l'a fait sortir. Et après une heure, ils sont revenus,

25 au bout d'une heure, pour me prendre ainsi qu'un autre homme. Nous étions

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1 censés transporter son corps et le faire entrer dans le bâtiment. Ils ont

2 ordonné au docteur, qui était une dame, de s'y rendre et de faire le

3 constat. On lui a dit que, apparemment, il avait eu la grippe et peut-être

4 qu'il avait eu de la fièvre, une légère fièvre. Je me tenais juste à côté

5 et le médecin, le docteur a dit: "On ne peut rien faire pour cet homme,

6 c'est fini". Et au bout d'une heure, cet homme est mort.

7 Une camionnette est venue pour prendre le corps et, avec trois autres

8 personnes, nous avons transporté ce corps jusqu'au cimetière. Deux jours

9 plus tard, nous l'avons enterré.

10 Question: Combien de temps êtes-vous restés dans cette école secondaire?

11 Réponse: Quatre jours.

12 Question: Où avez-vous ensuite été transférés?

13 Réponse: Nous avons été renvoyés au camp de Tulek.

14 Question: Qu'est-ce que vous avez fait là une fois que vous y êtes

15 retournés?

16 Réponse: Huit d'entre nous ont été chargés de creuser des tombes dans le

17 cimetière municipal pour enterrer des Serbes qui avaient été tués. Ces

18 hommes avaient eux-mêmes creusé des tranchées et avaient été tués parce

19 qu'ils se trouvaient dans la ligne de feu. C'étaient également des Croates

20 et des Musulmans. Nous avons enterré tous les corps qui ont été amenés au

21 cimetière.

22 Question: Est-ce que, là aussi, vous avez subi des mauvais traitements?

23 Est-ce que vous avez reçu des coups?

24 Réponse: Oui, deux ou trois fois, au cimetière musulman, nous avons été

25 battus tous les huit.

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1 Question: Pendant combien de temps avez-vous été détenus dans le camp de

2 Tulek?

3 Réponse: Alors que nous nous y trouvions ou lorsqu'on travaillait dans le

4 cimetière municipal, je voudrais ajouter ceci. La famille Bardak a été

5 conduite là: un homme, sa femme et sa belle-mère; son nom était Branko et

6 je ne sais pas le nom des femmes. C'était un travailleur, c'était un homme

7 qui avait sa propre société. Il travaillait, il avait un travail. Ils

8 étaient allés à sa maison. Ils leur avaient lié les mains, ils leur

9 avaient posé un bâillon et leur avaient coupé la gorge. Quand on les a

10 amenés au cimetière, j'ai vu de mes propres yeux la façon dont leurs mains

11 avaient été liées, la façon dont ils avaient été bâillonnés et dont on les

12 avait égorgés. Je les ai enterrés de mes propres mains.

13 Un soldat du stade a aussi été capturé, Jova Dujic. Il a également été

14 amené au cimetière. J'ai vu de mes propres yeux que son nez et son oreille

15 avaient été coupés. Je l'ai enterré également. Et j'ai aussi enterré

16 Djordjo Stojakovic. Un homme appelé Jerevas (phon.), qui était directeur

17 d'une société à Brod -c'était un notable de Brod-, a également été tué. Et

18 je ne peux pas me rappeler les noms de tous ceux que j'ai enterrés.

19 Beaucoup de temps s'est écoulé depuis lors.

20 Question: Combien de temps êtes-vous resté à Tulek et où avez-vous été

21 transféré à partir de là?

22 Réponse: Je suis resté au camp de Tulek jusqu'au 6 octobre, jusqu'à la

23 chute de Brod et puis, vers 2 heures de l'après-midi, ils nous ont emmenés

24 au pont où nous avons attendu là pour qu'arrive le groupe de ceux qui

25 étaient restés derrière, dans le centre et au stade. Et alors que nous

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1 traversions le pont, ils nous ont aussi injuriés, battus. Et une fois que

2 nous avons traversé le pont, dans la colonne qui se trouvait devant moi,

3 des personnes ont été tuées et j'ai buté sur le corps d'une femme détenue

4 qui avait été au stade; je crois que son nom était Desanka. C'était une

5 Serbe de Teslic. J'ai vu de mes propres yeux Kadija Nibic qui l'a tuée

6 d'un coup de pistolet. Il y avait un autre homme qui lui a tiré dessus,

7 mais je ne sais pas son nom. Tout ceci s'est passé sur la rive de Sava, en

8 République de Croatie.

9 Et après cela, nous sommes arrivés à une maison serbe, Bardak, connue

10 aussi comme "l'allée du jeu de boules" à Slavonski Brod, en République de

11 Croatie. Là, nous sommes restés jusqu'à 11 heures du soir. Et, pendant

12 tout ce temps-là, nous avons été passés à tabac. Nous avons été injuriés

13 et avons subi des mauvais traitements.

14 A 11 heures, deux autobus sont arrivés. Les 240 que nous étions ont dû

15 monter sur ces deux autobus qui nous ont conduits à Zupanja, dans la

16 République de Croatie. Ils nous ont conduits à la rive de la Sava. La

17 porte du bus s'est ouverte et Zarko Garic a dû descendre du bus; il a été

18 passé à tabac. Et, par la suite, ils ont fait descendre tous les autres du

19 bus.

20 Question: Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous dire ce qui s'est passé à

21 cet endroit-là?

22 Réponse: Ils nous ont forcés à aller jusqu'au bac qui servait à

23 transporter les gens et le bétail pour leur faire traverser la rivière. Et

24 pendant qu'on nous transbordait, ils nous ont battus. C'était la police

25 militaire et des gens de l'armée de Croatie, des membres du conseil de la

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1 Défense croate qui nous ont battus.

2 Question: Et combien de temps y êtes-vous restés? Et où avez-vous ensuite

3 été emmenés?

4 Réponse: On nous a amenés au village de Mahala, dans la municipalité de

5 Orasje.

6 Question: Excusez-moi, mais qu'est-ce que vous avez fait à Orasje?

7 Réponse: A Orasje, nous sommes arrivés le 7 vers 4 heures du matin et ils

8 nous ont mis dans un grand hall. Ils nous ont battus, ils nous ont

9 injuriés et, dans la matinée, ils nous ont emmenés dans la cour de l'école

10 à Mahala. Là encore, ils nous ont battus et ont demandé s'il y avait des

11 malades dans le groupe et, dans l'affirmative, cette personne devrait

12 sortir du rang. Ceux qui étaient malades et blessés se sont avancés en

13 sortant du rang. C'est alors que le commandant du camp de Orasje a

14 commencé à nous interroger. Son nom était Pera Vincetic, connu également

15 sous le nom de "Konj", ce qui veut dire "cheval".

16 Alors ils nous ont battus sur place. Les villageois sont venus, nous ont

17 jeté des choses à la figure. On injuriait nos mères serbes. Un soldat a

18 demandé à Pero: "Est-ce que tu veux me vendre 30 détenus?", et Pero a

19 répondu: "Non, ce sont mes esclaves".

20 Ils nous ont divisés en groupes, et ils n'ont gardé que 60 d'entre nous

21 qui étaient en état de travailler. Le reste du groupe a été emmené à

22 Orasje. Quatre femmes qui avaient été amenées depuis Brod avec nous sont

23 également restées avec notre groupe. On nous a envoyés creuser des

24 tranchées et, lorsque nous sommes revenus au camp, nous avons été battus

25 de jour en jour. Pendant la nuit, ils venaient chercher les femmes et les

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1 emmenaient pour les violer, l'une après l'autre. Je ne vais pas mentionner

2 leurs noms.

3 Question: Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous dire quand vous avez été

4 transférés à Slavonski Brod depuis Orasje?

5 Réponse: Nous avons été transférés d'Orasje à Slavonski Brod le 16

6 novembre.

7 Question: Est-ce qu'on vous y a passés à tabac?

8 Réponse: Lorsque nous sommes arrivés à Slavonski Brod, nous n'avons pas

9 été battus, mais les conditions étaient très mauvaises. On nous a mis dans

10 une cave où il y avait les canalisations d'égouts qui traversaient cette

11 cave.

12 Question: Quand a eu lieu la première tentative d'échange?

13 Réponse: C'était le 24 novembre 1992.

14 Question: Est-ce que l'échange a réussi?

15 Réponse: Non. Ils nous ont remmenés à Slavonski Brod où nous sommes restés

16 pendant tout l'hiver. Nous n'avions pas de vêtements chauds et l'hiver

17 était particulièrement dur, avec des températures qui sont descendus à

18 -23°C. Nous avons dû faire un travail physique très difficile et, une fois

19 par jour, ils nous donnaient une maigre ration d'aliments. Jusqu'au mois

20 de mars 1992…

21 Question: Est-ce que c'était en 1992 ou en 1993?

22 Réponse: C'était en mars 1993. Puis nous avons commencé à travailler pour

23 le commandant de la police militaire, Anto Suger. Nous avons dû travailler

24 sur sa propriété privée jusqu'au 26 juin 1993.

25 Question: Où avez-vous été transférés le 26 juin 1993?

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1 Réponse: Nous avons été transférés à Ljubuski en Bosnie-Herzégovine.

2 Question: Qu'est-ce que vous avez fait là?

3 Réponse: On nous a ordonné de creuser des tranchées sur la ligne de front

4 de Nevesinje et nous y avons été emmenés par la police militaire du HVO.

5 Question: Est-ce que vous savez quelle est la distance qui sépare Ljubuski

6 de Bosanski Brod?

7 Réponse: Non, je ne sais pas.

8 Question: Combien de temps cela vous a-t-il pris pour y parvenir? Est-ce

9 que vous vous rappelez?

10 Réponse: Nous sommes passés par Slavonska Pozega, Karlovac jusqu'à Split.

11 Nous avons été dans le port de Lora. C'est là que nous avons déjeuné. Puis

12 nous avons poursuivi notre voyage et nous sommes arrivés vers 7 heures ou

13 8 heures du soir; nous avions commencé notre périple vers 5 heures du

14 matin.

15 Question: Quand est-ce que la deuxième tentative d'échange a eu lieu?

16 Réponse: C'était le 4 juillet 1993. Nous avons été transportés à Livno et

17 nous avons attendu quelque trois heures, puis ils nous ont ramenés à

18 Ljubuski.

19 Question: Vous a-t-on battus à Ljubuski?

20 Réponse: Non. Là-bas, on ne nous a pas frappés. Pendant trois ou quatre

21 jours seulement on a creusé des tranchées là-bas, sur le théâtre des

22 opérations de Nevesinje, puis on a travaillé dans leur principal entrepôt

23 de transit pour l'Herzégovine.

24 Mais les Musulmans qui se trouvaient sur place ont été maltraités parce

25 qu'il y avait un conflit à ce moment-là qui opposait les Musulmans et les

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1 Croates. Ils venaient de commencer ce conflit. Donc ils ne nous ont pas

2 fait de mal mais ils ont maltraité les Musulmans.

3 Question: Et la troisième tentative de vous échanger?

4 Réponse: On nous a emmenés dans une localité qui s'appelle Celebici le 16

5 juillet 1993 et c'est à ce moment-là qu'on a été échangés.

6 Question: En tout, vous avez passé combien de temps en détention?

7 Réponse: Plus d'un an, un an et quelques jours de plus. Je ne sais pas

8 exactement combien.

9 M. Lukic (interprétation): Je vous remercie, Monsieur Cikojevic. Je n'ai

10 pas d'autre question pour vous, mais l'accusation et la Chambre en auront

11 peut-être quelques-unes.

12 M. le Président (interprétation): L'accusation, vous avez la parole.

13 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Nikola Cikojevic, par M. Koumjian.)

14 M. Koumjian (interprétation): Je vous remercie.

15 Monsieur Cikojevic, merci d'être venu et de nous faire part de ce que vous

16 avez vécu.

17 M. Cikojevic (interprétation): Je vous en prie.

18 Question: L'une des choses que vous nous avez racontées est la situation

19 où on vous a menacé, où quelqu'un a cherché à vous forcer à commettre un

20 crime, à violer une femme musulmane de Kozarac, et vous avez refusé de le

21 faire.

22 Réponse: Je l'ai refusé, je n'étais pas capable de faire cela.

23 Question: Même si vous n'aviez que 18 ans et que vous étiez emprisonné,

24 vous avez refusé lorsque quelqu'un souhaitait vous obliger à commettre un

25 crime puisque c'était contraire à votre conscience. Est-ce exact?

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1 Réponse: Oui. Oui, c'était contre moi, je ne pouvais pas commettre cela,

2 puisque ma conscience ne m'autorisait pas à le faire.

3 Question: En Bosnie, pensez-vous que d'autres personnes ont refusé d'obéir

4 à ceux qui cherchaient à les encourager à commettre des crimes à

5 l'encontre des membres d'autres groupes ethniques? Pensez-vous que

6 d'autres personnes ont dit non? Et que de nombreuses choses se sont

7 produites dans ces guerres parce qu'il n'y a peut-être pas eu assez de ces

8 personnes?

9 Réponse: Je ne vous ai pas très bien compris.

10 Question: Monsieur Cikojevic, si d'autres personnes avaient agi comme

11 vous, avaient refusé de commettre des crimes contre des personnes

12 innocentes, et ce, simplement parce que ces personnes appartenaient à un

13 autre groupe ethnique, pensez-vous que la guerre en Bosnie aurait été très

14 différente ou que la Bosnie elle-même serait très différente aujourd'hui?

15 Réponse: Je pense qu'elle serait différente.

16 Question: L'une des choses que vous avez évoquées était des efforts

17 déployés par des gens qui dirigeaient les camps à empêcher la Croix-Rouge

18 internationale de visiter ces camps et vous avez particulièrement parlé de

19 la présence des femmes dans ces camps.

20 Réponse: Oui, c'est ce qu'ils faisaient. Ils faisaient cela. Lorsque j'ai

21 été enregistré, c'est la première fois qu'ils sont venus soudainement au

22 camp de Tulek. Et celui qui nous surveillait, le policier militaire a

23 ouvert la porte et donc ils ont pu voir des gens à l'intérieur, ils les

24 ont vus bouger à l'intérieur. Ils ont demandé ce que c'était. Et puis

25 après, ils ont disparu. Ils se sont approchés de nous, ils nous ont posé

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1 des questions. Nous leur avons dit que nous étions enfermés là-bas et que

2 nous ne savions pas pour quelle raison tout nous avait été confisqué et

3 que nous passions tout notre temps là-bas à cet endroit.

4 Car quand on nous a emmenés là-bas, personne ne nous a donné de raison.

5 Ils nous ont simplement fouillés, ils ont confisqué nos pièces d'identité

6 et des choses que nous avions sur nous.

7 Question: Monsieur Cikojevic, pourriez-vous nous dire pour quelle raison

8 des autorités et des hommes politiques qui ont mis en place des camps,

9 pour quelles raisons auraient-ils l'intention d'empêcher la communauté

10 internationale et la Croix-Rouge internationale de se rendre dans les

11 camps?

12 Réponse: Ce n'étaient pas des autorités politiques, c'étaient des

13 autorités militaires à Bosanski Brod à partir du 3 mars 1992. Donc c'est

14 la composante militaire qui s'est emparée du pouvoir.

15 La 108e Brigade de Slavonski Brod, et le commandant de cette brigade

16 venait nous voir au camp. Il est venu deux ou trois fois. Autrement dit,

17 ce n'étaient pas des pouvoirs civils, mais des pouvoirs qui étaient

18 exclusivement militaires à partir du 3 mars 1992. Donc le pouvoir civil

19 était aboli à partir du 3 mars 1992.

20 Question: Je vous remercie. Donc à Brod, les gens qui dirigeaient le camp

21 ou les camps de Brod à cette époque étaient des gens qui appartenaient aux

22 pouvoirs militaires, qui appartenaient au HVO. Pour quelle raison serait-

23 il dans leur intérêt d'empêcher la Croix-Rouge internationale et la

24 communauté internationale de se rendre dans les camps pour enregistrer les

25 détenus?

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1 Réponse: Je ne sais pas. Vous devriez poser la question à eux-mêmes. Pour

2 quelle raison ont-ils cherché à empêcher cela? Vraisemblablement avaient-

3 ils peur qu'ils connaissent la vérité sur ce qui se passait.

4 Question: Au moment où on a enregistré les détenus, avez-vous éprouvé un

5 sentiment de sécurité? Vous êtes-vous senti rassuré à partir de ce moment,

6 en vous disant que vous n'alliez pas simplement disparaître sans trace,

7 sans qu'il y ait une trace, quelle qu'elle soit, de votre nom?

8 Réponse: Oui, je me suis senti rassuré, je me suis dit que j'étais

9 davantage en sécurité. Mais après le départ de la Croix-Rouge

10 internationale, j'ai vu que rien n'avait changé, que c'étaient des mauvais

11 traitements, des passages à tabac, des travaux forcés, le fait de creuser

12 des tranchées même si la Croix-Rouge internationale a insisté auprès des

13 autorités pour que l'on ne nous emmène pas à creuser des tranchées. Ils

14 ont dit que c'était interdit, mais ils ont continué à nous y emmener. Il y

15 avait des gens qui se sont fait tuer au front et c'était toujours la même

16 chose.

17 Mirko Pajic, eh bien, lui qui a été tué, il a été aussi inscrit sur la

18 liste de la Croix-Rouge internationale et ceci n'a pas empêché le fait

19 qu'on le tue. Donc après leur départ, on l'a quand même tué, donc on

20 n'était toujours pas en sécurité. Tous les jours, notre vie était menacée.

21 Question: Permettez-moi de venir à un point, un instant. Vous avez parlé

22 de cette situation où on vous a demandé de violer une Musulmane de

23 Kozarac. Savez-vous ce qu'il est advenu d'elle? Etait-elle à Slavonski

24 Brod?

25 Réponse: Non, c'était à Tulek, à Bosanski Brod en Bosnie-Herzégovine. Je

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1 ne sais pas comment elle est arrivée dans le camp. Ce que je sais, c'est

2 qu'elle était enfermée avec une autre femme de Brod; donc elle était

3 enfermée là à Tulek. Il y avait d'autres femmes qui ont été amenées et qui

4 ont été échangées par la suite. Mais pendant une période assez prolongée,

5 il y avait ces deux femmes: une femme qui avait plus de 60 ans et cette

6 Musulmane qui ne pouvait avoir plus de 30 ans. Elle était un peu attardée,

7 elle n'était pas tout à fait… En fait, ils venaient régulièrement la

8 violer, les militaires et la police.

9 Question: Je voudrais aussi revenir à ce que vous avez dit au sujet de la

10 chaîne "Yutel". Vous avez dit que vous avez vu la visite que les membres

11 de la présidence de Bosnie ont rendue à l'endroit où le massacre s'est

12 produit à Sijekovac?

13 Réponse: Oui.

14 Question: A ce moment-là, ces personnes qui se sont rendues en visite

15 étaient membres de la présidence de Bosnie-Herzégovine; il y avait Mme

16 Plavsic du SDS, M. Abdic du SDA. Et vous avez dit qu'également, il y avait

17 un Croate.

18 Réponse: Oui, je pense que c'était Boras. Je ne me rappelle pas, là, son

19 prénom. Il y avait trois membres de la présidence, donc les trois

20 représentants des trois peuples. Et c'était au tout début comme… c'était

21 une forme, une sorte de symbole de réconciliation.

22 Question: Donc à l'époque, c'était une tentative d'envoyer un message, de

23 montrer que les peuples de Bosnie-Herzégovine ne voulaient pas être

24 témoins de ce genre d'événements, de massacres de civils innocents?

25 Réponse: C'est le 3 mars 1992 que cela a commencé. Donc c'était une

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1 réunion qui était organisée à Brod. Ils ne savaient pas que ce massacre

2 avait eu lieu à Sijekovac. Ils ont appris cela, ils ont tout vu sur place

3 quand ils sont arrivés: les cadavres n'avaient pas été enlevés.

4 Il y a un enregistrement de cela. Il y a un mois et demi, j'ai vu cela.

5 C'est un Croate dont la fille a travaillé dans les médias à Brod. Donc il

6 a fait ce montage pour lui-même et j'ai pu le visionner. Ce n'est pas tout

7 à fait le même reportage qu'on a vu à la chaîne "Yutel". Il y a eu des

8 choses qui ont été coupées et enlevées. Autrement dit, on n'a pas vu la

9 totalité de l'enregistrement que nous avons pu visionner le 27 mars 1992.

10 Question: Vous avez dit que ce vous avez dit à l'époque a été diffusé par

11 la chaîne de "Yutel". C'était une chaîne qui diffusait de Sarajevo. Est-ce

12 exact?

13 Réponse: Oui, oui, tout à fait, de Sarajevo.

14 Question: Et durant ce programme, vous avez vu les victimes du massacre?

15 Réponse: Oui, des maisons incendiées et les dépouilles des personnes qui

16 ont été tuées.

17 Question: A l'époque à Brod, vous étiez en mesure de voir le programme

18 télévisé de Banja Luka ou de Belgrade. Je ne pense pas qu'il y ait un

19 programme télévisé à Prijedor?

20 Réponse: Le signal était très mauvais. On ne pouvait pas voir la

21 télévision de Banja Luka, du moins là où je me trouvais. Je ne pouvais pas

22 voir le programme de Banja Luka.

23 Question: Et la télévision de Belgrade, vous pouviez voir ce programme-là?

24 Réponse: Oui, on pouvait voir le programme de Belgrade, mais, là où je me

25 trouvais, on ne voyait que les chaînes de Sarajevo et de Zagreb. C'est-à-

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1 dire à Bosanski Brod, on pouvait effectivement voir le programme de

2 Belgrade, mais moi je n'arrivais pas à le trouver sur mon poste.

3 Question: En regardant ces chaînes de télévision, vous est-il arrivé de

4 voir des images de ce qui s'est passé après la chute de Vukovar en Croatie

5 et sur ce qui s'est passé à l'hôpital de cette ville?

6 Réponse: Non. En fait, je n'ai pas vraiment suivi ce qui s'est passé…

7 enfin ce que montrait la télévision croate. Je ne peux pas dire que je

8 l'ai vraiment suivi.

9 Question: Vous avez mentionné Mme Plavsic. Avez-vous vu des reportages

10 montrant -je pense que c'était à Bijeljina-, montrant comment elle a

11 embrassé Arkan.

12 Réponse: Non, je n'ai pas vu ça.

13 Monsieur Koumjian (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Témoin.

14 Je n'ai pas d'autre question.

15 (Questions au témoin, M. Nikola Cikojevic, par M. le Président.)

16 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

17 En déposant, vous avez dit que le camp où vous avez été détenu a été

18 visité deux ou trois fois par le commandant de la 108e Brigade de

19 Slavonie. Pourriez-vous dire à quel moment cela s'est produit? Et

20 pourriez-vous nous dire le nom de ce commandant?

21 M. Cikojevic (interprétation): Je sais simplement que c'était un colonel.

22 Je ne connais pas son nom. C'était vers la fin du mois de juin, début

23 juillet.

24 Question: En 1992?

25 Réponse: Oui, en 1992.

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1 Question: Merci.

2 Réponse: Et il y avait aussi des forces régulières, j'ai omis de le dire.

3 Pendant qu'on creusait à Brod, il y avait la Brigade de Rijeka, la Brigade

4 de Bjelovar, celle d'Osijek, de Kralovac, et une Brigade du génie aussi.

5 C'est pour eux qu'on a creusé des tranchées. C'était à la mi-juillet à peu

6 près qu'ils étaient là, en 1992, jusqu'à la chute de Brod.

7 Question: J'ai une question d'ordre tout à fait différent à présent. Vous

8 est-il arrivé de voir des colonnes de réfugiés qui fuyaient la guerre en

9 Croatie? Vous est-il arrivé d'en voir dans votre ville?

10 Réponse: Non. J'ai vu des Serbes, des Serbes qui s'enfuyaient de Slavonski

11 Brod, de la République de Croatie, en 1991.

12 Question: Ils fuyaient vers où?

13 Réponse: Ils s'enfuyaient de Croatie pour se rendre en Bosnie puisque la

14 topographie du terrain est telle que, à l'époque où il y avait la

15 Yougoslavie, ils étaient nombreux à avoir quitté le village de Poloje.

16 Donc de nombreux Serbes sont partis. Il y avait plus de 500 maisons serbes

17 dans ce village, et ces Serbes sont allés s'installer à Bosanski Brod

18 puisque c'était juste à côté de la rivière Sava.

19 Et puis, en République de Croatie, à Slavonski Brod, on a créé une

20 agglomération appelée "Bijelis". Mais il y en avait aussi qui étaient

21 installés à d'autres endroits -j'entends les Serbes-, à d'autres endroits

22 de la municipalité de Slavonski Brod; 70% des Bosniaques travaillaient là-

23 bas, en Croatie, à Slavonski Brod.

24 Question: Vous est-il arrivé de vous rendre à Prijedor?

25 Réponse: Non, en fait je suis passé par Prijedor en 1993, au moment de

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1 l'échange. On est passé par Grahovo, Drvar, Petrovac, Prijedor, Sanski

2 Most, Banja Luka. Puis on est arrivés à Derventa et enfin à Brod.

3 Question: En traversant Prijedor, vous est-il arrivé de voir quoique ce

4 soit de particulier, pour autant que vous puissiez vous en rappeler, et au

5 sujet de ce qui nous intéresse ici?

6 Réponse: Je ne sais pas ce je pourrais mentionner. Je n'ai rien de

7 particulier à dire.

8 Question: La ville de Prijedor était-elle détruite partiellement ou

9 totalement à ce moment-là, ou bien les autres villes que vous avez

10 traversées?

11 Réponse: Je ne m'en souviens pas, cela fait longtemps. Je n'arrive pas à

12 me rappeler après tout ce qui s'est produit.

13 Question: Lorsque vous comparez ou lorsque vous avez comparé, à ce moment-

14 là, ces villes et ces municipalités par lesquelles vous êtes passé, y

15 avait-il des différences entre elles?

16 Réponse: Je ne sais pas. C'est de nuit que nous nous sommes déplacés. On

17 nous a amenés… En fait, on est partis de Grahovo au moment où la nuit

18 était déjà tombée, et on est arrivés à Banja Luka je ne sais pas à quelle

19 heure. Nous avons voyagé pendant trois heures et demie environ, donc je ne

20 sais pas, je n'ai pas prêté attention; j'étais fatigué, j'étais épuisé. Je

21 ne sais pas. Je n'ai pas cherché à voir ce qu'il y avait.

22 Question: Avez-vous jamais rencontré le Dr Stakic?

23 Réponse: Non, jamais.

24 Question: Monsieur Cikojevic, vous nous avez fait part de votre expérience

25 de manière détaillée et émouvante. Avez-vous entendu quoi que ce soit qui

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1 vous permettrait de savoir que des crimes, qui ont été commis contre vous

2 ainsi que d'autres personnes, ont été poursuivis dans votre ville natale

3 ou en Croatie?

4 Réponse: Non, il y a des gens qui ont infligé des tortures, qui ont fait

5 ces choses-là et qui circulent encore aujourd'hui à Brod, qui sont libres

6 ou bien qui se rendent dans la ville. Nous nous sommes plaints auprès de

7 la police, mais la police nous a répondu qu'elle n'avait aucun moyen de

8 réagir ou d'entreprendre quoique ce soit, soi-disant parce que la justice

9 ne fonctionnait pas. Enfin, je ne sais pas exactement pour quelle raison.

10 Mais toujours est-il que ces gens continuent à venir à Brod.

11 M. le Président (interprétation): C'est la raison principale pour laquelle

12 la communauté internationale a pris cette décision, la décision de créer

13 un Tribunal international pour éviter toute impunité de personnes, quelle

14 que soit leur appartenance ethnique ou religieuse, quel que soit le groupe

15 militaire auquel ces gens ont appartenu. Afin d'éviter l'impunité, il est

16 indispensable d'entendre des témoins. C'est pour cela que nous vous sommes

17 très reconnaissants d'être venu déposer ici.

18 Je vous demande donc, si vous acceptez que votre déposition soit

19 réutilisée dans le cadre d'une autre affaire dont serait saisi ce

20 Tribunal, au cas où ceci s'avérerait nécessaire? Accepteriez-vous que ces

21 dépositions soient utilisées dans une autre affaire également?

22 M. Cikojevic (interprétation): Oui.

23 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Y a-t-il des questions

24 supplémentaires de la part des Juges? Non.

25 Je tiens donc à vous remercier d'être venu déposer ici. En faisant cela,

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1 vous avez contribué à ce que l'on construise un meilleur avenir dans votre

2 pays. Je l'espère du moins. Et je vous souhaite d'avoir un bon retour chez

3 vous.

4 Je demanderai à l'huissier de vous raccompagner.

5 M. Cikojevic (interprétation): Je vous remercie pour ma part.

6 (Le témoin, M. Nikola Cikojevic, est reconduit hors du prétoire.)

7 (Questions relatives à la procédure.)

8 M. le Président (interprétation): Comme nous l'avons déjà dit, pour ce qui

9 est pour la journée de demain ainsi que la journée du vendredi et peut-

10 être du lundi de la semaine prochaine, il nous faudra débattre de la liste

11 finale des témoins. Il s'agit de savoir si, oui ou non, nous allons verser

12 au dossier ou accepter la déposition de ces témoins. Il ne nous reste plus

13 de temps. Il nous faut bien conclure sur ce point.

14 C'est la raison pour laquelle, demain, nous procéderons de la manière

15 suivante: nous commencerons par discuter de la réaction qui conviendrait

16 au sujet d'une communication tardive des déclarations des six témoins que

17 nous avons donc reçues hier.

18 Nous souhaiterions entendre une décision claire et définitive de la part

19 de la défense, à savoir si elle souhaite ou non entendre ces six personnes

20 en tant que témoins de la défense et s'il y a des obstacles de quelque

21 ordre que ce soit qui s'opposeraient à leurs dépositions. Non pas

22 aujourd'hui mais demain, Maître Lukic. S'il vous plaît, nous en

23 discuterons demain.

24 Par la suite, nous aurons entendu la position de l'accusation et nous

25 déciderons sur-le-champ et au cas où il ne s'agira pas de témoins de la

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1 défense, il y a toutes les raisons de considérer que nous aurons à décider

2 de cela au préalable. Enfin, il y a toutes les raisons de considérer que

3 ces témoins comparaîtront en tant que témoins de la Chambre, au titre de

4 l'Article 85)v).

5 Le deuxième point de l'ordre du jour sera la question de l'un ou deux

6 témoins prévus pour les trois jours en décembre. Si la défense n'est pas

7 prête, n'est pas préparée, pour des raisons quelles qu'elles soient, à

8 fournir ses propres témoins, il appartiendra à la Chambre de décider de

9 l'ordre de comparution des témoins, comme nous en avons déjà parlé au

10 titre de l'Article 65ter)I) lorsque nous nous sommes entretenus à ce

11 sujet-là.

12 Puis nous avons à parcourir la liste des 101 noms d'experts, de personnes

13 ou d'experts qui figurent sur ce que nous appelons la version définitive

14 de la liste des témoins. Il nous faudra débattre de ces gens, nom par nom,

15 expert par expert. Et nous demandons à la défense de nous prouver qu'il

16 s'agira de dépositions pertinentes.

17 Nous demanderons à l'accusation de répondre immédiatement aux arguments de

18 la défense afin de nous permettre de prendre une décision sur-le-champ et

19 de mener à son terme cette discussion. Donc, nous aurons finalement une

20 liste définitive de témoins, une liste d'experts que nous entendrons avant

21 le 21 mars.

22 Puis il nous restera à débattre de la liste des pièces à conviction et de

23 la communication des pièces à conviction. Il ne fait aucun doute qu'à la

24 fin de l'ordre du jour, il nous sera possible d'aborder d'autres questions

25 qui intéressent les parties: des témoins, par exemple pour être cités

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1 pendant les huit premiers jours d'audience en janvier.

2 Y a-t-il d'autres questions à soulever? Les parties ont-elles des points à

3 aborder?

4 M. Koumjian (interprétation): Si j'ai bien compris, la défense doit donner

5 d'ici la fin de la journée d'aujourd'hui des témoins pour le mois de

6 décembre, s'ils connaissent ces témoins.

7 M. le Président (interprétation): Je pense qu'ils ont dit avant la fin de

8 la journée d'aujourd'hui.

9 Est-ce que vous l'avez déjà, Maître Lukic?

10 M. Lukic (interprétation): J'ai une liste de ces témoins, mais je ne sais

11 pas si nous allons tous les présenter. Toujours est-il que nous avons

12 parlé avec ces témoins. Nous avons les notes suite à ces entretiens et je

13 pense que nous allons présenter trois ou quatre témoins sur ces six

14 personnes.

15 M. le Président (interprétation): Alors nous pouvons procéder de la façon

16 suivante.

17 Demain, à 9 heures, par écrit si possible, nous souhaitons avoir la liste

18 de ces témoins et nous allons décider de leur pertinence parce que vous

19 allez comprendre que nous ne pouvons pas continuer à fonctionner de la

20 sorte, d'entendre les témoins pro forma, car nous avons besoin d'entendre

21 les témoins qui sont pertinents, qui sont au cœur de l'affaire.

22 M. Lukic (interprétation): Tous nos témoins, à part ces six témoins, sont

23 originaires de la région de Prijedor. Donc il ne sera pas difficile de

24 démontrer leur pertinence.

25 M. le Président (interprétation): Très bien. Nous allons parler de cela

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1 demain.

2 M. Koumjian (interprétation): Je pense qu'il serait plus facile de parler

3 de tout cela entre nous, si les conseils nous fournissaient le nom de ces

4 six personnes.

5 M. le Président (interprétation): Mais il n'y a pas de doute que les Juges

6 apprécieraient également d'avoir aussi des exemplaires de résumés de ces

7 témoins ou des thèmes qu'ils vont aborder.

8 Nous levons la séance pour aujourd'hui, et nous continuerons demain à 9

9 heures.

10 (L'audience est levée à 12 heures 59.)

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