Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (vendredi 14 mars 2003)

2 (L'audience est ouverte à 16 heures.)

3 (L'audience a lieu sous la présidence de M. le Juge Vassylenko en

4 l'absence de M. le Juge Schomburg.)

5 (Audience publique.)

6 (Questions relatives à la procédure.)

7 M. le Président (interprétation): Bonjour à tous. Madame la Greffière

8 d'audience, voudriez-vous, s'il vous plaît, appeler la cause?

9 Mme Dahuron (interprétation): Bonjour, c'est l'Affaire IT-97-24, le

10 Procureur contre Milomir Stakic.

11 M. le Président (interprétation): Merci. Je me tourne vers l'accusation?

12 Mme Korner (interprétation): Bonjour, Joanna Korner, Ann Sutherland

13 assistée par Ruth Karper, commise à l'affaire.

14 M. le Président (interprétation): Je me tourne vers la défense?

15 M. Lukic (interprétation): Branko lukic et Danilo Cirkovic pour la

16 défense… J'ai l'impression que nos casques ne fonctionnent pas bien.

17 (Intervention de la Greffière.)

18 M. le Président (interprétation): Peut-être faudrait-il appeler à l'aide

19 un technicien?

20 M. Lukic (interprétation): Merci, Monsieur le Juge. Cela fonctionne

21 maintenant.

22 M. le Président (interprétation): Qui représente la défense?

23 M. Lukic (interprétation): Bonjour, Monsieur et Madame les Juges. Branko

24 lukic et Danilo Cirkovic pour la défense.

25 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Malheureusement, le

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1 Juge Schomburg, pour les mêmes raisons énoncées précédemment, n'est pas

2 présent. Etant donné que le docteur Trifkovic est toujours à La Haye et

3 n'a pas encore achevé sa déposition, il est dans l'intérêt de la justice,

4 le Juge Argibay et moi-même, de continuer l'audience en vertu des

5 dispositions de l'Article 15bis du Règlement pour l'entendre.

6 Pour le compte rendu, je demande aux deux parties, et au docteur Stakic

7 lui-même, de bien vouloir officiellement faire connaître leur consentement

8 à cette procédure pour l'audience d'aujourd'hui, 14 mars 2003. En

9 commençant par l'accusation, Madame Korner?

10 Mme Korner (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, nous consentons.

11 M. le Président (interprétation): La défense?

12 M. Lukic (interprétation): Oui, nous consentons, Monsieur le Juge.

13 M. Stakic (interprétation): Je n'ai pas d'objection, Monsieur le Juge.

14 M. le Président (interprétation): Considérant que le Juge Schomburg est

15 encore souffrant et n'est pas disponible pour siéger aujourd'hui, la Juge

16 Argibay et moi-même étant satisfaits du fait qu'il est dans l'intérêt de

17 la justice de procéder ainsi et sur la base du consentement des parties et

18 du docteur Stakic lui-même, ordonnent, conformément aux dispositions de

19 l'article 15bis du Règlement de procédure et de preuve, que l'audience se

20 poursuive en l'absence du Juge Schomburg.

21 Avant que je ne fasse appeler le témoin dans le prétoire, je demanderai à

22 la défense s'il y a des éléments qu'il souhaite évoquer au point de vue

23 mise à jour ou nouvel élément en ce qui concerne les témoins qui

24 pourraient être disponibles pour déposer la semaine prochaine.

25 M. Lukic (interprétation): Ce sont des nouvelles, mais enfin pas des

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1 nouvelles très nouvelles: nous ne pourrons pas faire venir le témoin 058 à

2 La Haye.

3 M. le Président (interprétation): Il ne pourra pas venir?

4 M. Lukic (interprétation): Il ne sera pas en mesure de venir.

5 M. le Président (interprétation): Qu'en est-il du témoin 089?

6 M. Lukic (interprétation): Je pense que la situation est la même, de sorte

7 que nous ne pourrons pas faire venir non plus ce témoin.

8 M. le Président (interprétation): Et qu'en est-il du Père Loncar?

9 M. Lukic (interprétation): Je crois que c'est Me Ostojic qui s'occupe plus

10 particulièrement de ce témoin pour le moment.

11 M. le Président (interprétation): Mais la défense est une seule équipe.

12 M. Lukic (interprétation): Oui, en vérité, c'est bien le cas, mais nous

13 pensons bien que nous travaillons comme une équipe unique, mais je crois

14 que ce témoin ne sera pas en mesure de déposer devant le Tribunal, devant

15 cette Chambre de vive voix.

16 M. le Président (interprétation): Je vous remercie de votre renseignement.

17 Est-ce que l'huissier pourrait… Madame Korner?

18 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Juge, excusez-moi, avant qu'on ne

19 fasse entrer le témoin, je voudrais savoir s'il est apparent que le témoin

20 ne pourra pas terminer sa déposition aujourd'hui. Je voudrais savoir si ce

21 témoin se verra ordonner de revenir lundi ou plus tard parce que ceci fait

22 une certaine différence pour la manière dont on mènera le contre-

23 interrogatoire.

24 M. le Président (interprétation): Bien sûr. Pour vous uniquement, Madame

25 Korner, nous avons décidé de demander au témoin de rester lundi.

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1 Mme Korner (interprétation): Je suis extrêmement reconnaissante Monsieur

2 et Madame les Juges, de la considération que vous montrez par cette

3 Chambre de première instance; c'est très touchant si vous me permettez de

4 le dire.

5 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)

6 M. le Président (interprétation): Bonjour, Docteur Trifkovic.

7 M. Trifkovic (interprétation): Bonjour Monsieur le Juge et Madame le Juge.

8 M. le Président (interprétation): Je vous rappelle que vous êtes toujours

9 lié par votre déclaration solennelle. Les parties et le témoin ont été

10 informés de notre décision pour ce qui est de votre permanence à La Haye.

11 Je vais maintenant lire l'ordonnance écrite à cet égard, datée

12 d'aujourd'hui, 14 mars 2003, qui a été déposée aujourd'hui.

13 "La Chambre de première instance n°II du Tribunal international pour les

14 personnes responsables de violations graves du droit international

15 humanitaire commises dans le territoire de l'ex-Yougolsavie depuis 1991,

16 le Tribunal,

17 -notant que le docteur Trifkovic, l'historien expert de la défense a

18 commencé sa déposition en l'espèce le 13 mars 2003,

19 -notant que bien que la défense ait, à l'origine, estimé qu'elle aurait

20 besoin seulement d'une heure pour procéder à l'interrogatoire principal du

21 docteur Trifkovic, mais n'a pas été en mesure de conclure l'interrogatoire

22 principal de ce témoin hier en une heure et 11 minutes au cours de

23 l'audience,

24 -notant que le Bureau du Procureur a estimé qu'il aurait besoin de deux

25 heures pour procéder au contre-interrogatoire du docteur Trifkovic,

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1 -notant que la Chambre a pris les mesures nécessaires pour obtenir le

2 temps d'audience maximum, à savoir deux heures aujourd'hui, en dépit du

3 fait qu'aucune audience n'avait été prévue pour cette journée en l'espèce,

4 afin, sur la base des prévisions originales, d'être en mesure de conclure

5 cette déposition du docteur Trifkovic aujourd'hui,

6 -notant que la défense estime maintenant qu'elle aura besoin de plus d'une

7 heure supplémentaire ce jour pour conclure l'interrogatoire principal de

8 ce témoin,

9 -notant que sur la base des prévisions modifiées pour la durée de

10 l'interrogatoire principal, il ne sera pas possible de conclure la

11 déposition du docteur Trifkovic ce jour,

12 -notant que, pour des raisons administratives, la disponibilité d'un

13 prétoire, les installations d'interprétation, il n'est pas possible de

14 disposer de temps supplémentaire pour une audience ni ce jour, 14 mars

15 2003, ni demain, samedi 15 mars 2003,

16 -considérant qu'il est obligatoire de continuer avec une audience

17 ininterrompue de ce témoin dans l'intérêt de la justice et plus

18 particulièrement dans l'intérêt d'accorder de donner à l'accusé un procès

19 juste et équitable imposant un délai à la défense pour l'interrogatoire

20 principal de son expert,

21 -considérant les intérêts du docteur Trifkovic et les explications qu'il a

22 données de son calendrier pour la semaine prochaine, à savoir du 17 au 21

23 mars 2003,

24 conclut, après avoir apprécié les intérêts en question, que la priorité

25 doit être donnée à l'intérêt de la justice et, par rapport à l'intérêt de

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1 l'accusé, sans oublier les intérêts de caractère fiscal de la communauté

2 internationale,

3 ordonne que le docteur Trifkovic demeure à la Haye jusqu'à ce qu'il ait

4 achevé sa déposition et souligne que le docteur Trifkovic doit subir les

5 conséquences de toute violation de la présente ordonnance donnée en

6 anglais et en français, le texte anglais faisant foi." (Fin de citation.)

7 Y a-t-il des observations à ce sujet? Des questions? Non.

8 Alors, allons de l'avant.

9 Avant que je ne donne la parole à la défense, je voudrais dire qu'en ce

10 qui concerne les documents -il y en a plus de 250- que le docteur

11 Trifkovic a invoqués et sur lesquels il s'est fondé dans son rapport, la

12 Chambre n'a pas eu la possibilité encore de prendre connaissance de

13 l'ensemble de ces documents et, comme ceci a été le cas pour l'expert de

14 l'accusation, le docteur Robert Donia, la Chambre n'a pas l'intention de

15 les admettre dans leur ensemble.

16 Par conséquent, la Chambre suggère que la défense identifie quels sont les

17 documents essentiels par rapport à la liasse des 250 documents et demande

18 leur versement au dossier un par un pendant la déposition du docteur

19 Trifkovic.

20 Le cas échéant, quant aux documents restants, la Chambre se prononcera à

21 un stade ultérieur concernant leur admission ou non et leur versement ou

22 non au dossier.

23 Je donne maintenant la parole à la défense.

24 Maître Lukic, vous avez la parole.

25 (Interrogatoire principal du témoin, M. Srdja Trifkovic, par Me Lukic.)

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1 M. Lukic (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Juge.

2 Bonjour, Docteur Trifkovic.

3 M. Trifkovic (interprétation): Bonjour.

4 M. Lukic (interprétation): Je vais poursuivre votre interrogatoire

5 principal en raison de l'absence de mon collègue, John Ostojic.

6 Comme vous l'avez entendu, vous avez reçu l'ordre de rester également

7 lundi. Nous espérons que cela ne sera pas un trop gros problème pour vous.

8 Nous savons que cela va sûrement causer certains problèmes, avoir certains

9 inconvénients, mais nous espérons qu'ils pourront être résolus.

10 Dans l'entretien, la discussion que vous avez eue hier avec Me Ostojic,

11 pourriez-vous nous expliquer quels effets a eu la sécession de la Slovénie

12 et de la Croatie par rapport à la Bosnie-Herzégovine?

13 M. Trifkovic (interprétation): Il y a eu trois effets.

14 Premièrement, la violence s'est accrue en Croatie et l'inefficacité

15 apparente de l'YPA, à la fois en Slovénie et en Croatie, a modifié les

16 attitudes par rapport à cela jusqu'à ce moment-là: ceux qui appréciaient

17 l'YPA et ceux qui ne l'aimaient pas, ceux qui le craignaient et ceux qui

18 avaient confiance. Il y a eu une très grande perte de crédibilité de

19 l'armée populaire yougoslave -la JNA- dans le sillage de la sécession

20 slovène, comme conséquence de la sécession slovène.

21 Ceci s'est produit en Slovénie, effectivement, sans même essayer de

22 s'opposer à cette sécession.

23 En Croatie, dans les mois qui ont suivi, ceci a montré cette impossibilité

24 de contrer les forces sécessionnistes, y compris la reddition de garnison,

25 par exemple à tel ou tel endroit (inaudible) avec les armes et les chars

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1 qui n'avaient pas été endommagés.

2 Le deuxième effet de la sécession était de centrer les esprits de tous en

3 Bosnie-Herzégovine sur ce qui allait ensuite se passer.

4 Izetbegovic avait comme position une position qui devenait de plus en plus

5 claire à ce moment-là, à savoir qu'il ne voulait même pas qu'il reste un

6 morceau de Yougoslavie et une "Yougoslavie croupion" et qu'aucune

7 Yougoslavie ne serait possible sans la Croatie et la Slovénie et que, avec

8 leur départ, on se trouvait en présence d'une nouvelle situation dans

9 laquelle la Bosnie-Herzégovine essayerait de devenir souveraine et

10 indépendante aussi.

11 Parmi les Serbes, la position essentielle qui prévalait, était que

12 quiconque voulait s'en aller, pouvait s'en aller, mais ceux qui voulaient

13 rester ne pouvaient rester contre leur volonté.

14 Le troisième effet, je ne crois pas que ceci puisse être trop souligné, la

15 proximité de la violence aux frontières de la Bosnie-Herzégovine, aussi

16 longtemps que les diverses options politiques demeuraient dans le domaine

17 de la théorie, c'était une chose.

18 Mais lorsqu'aux mois d'août et septembre 1991, en octobre 1991, des

19 milliers de réfugiés ont commencé à arriver en Bosnie-Herzégovine, plus

20 particulièrement lorsque des Serbes des zones urbaines de Croatie

21 racontant les horreurs que certains ont rapportées, y compris la tragédie,

22 par exemple, de la famille Zec qui, à Zagreb, était, je crois, venue à

23 l'origine de Prijedor et avec l'engagement des unités de réserve

24 mobilisées en Bosnie-Herzégovine et, plus particulièrement, dans les

25 régions frontalières de Bosanska Krajina, de l'autre côté de la rivière

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1 Sava et Una, tout ceci a eu pour effet d'électriser l'opinion publique et

2 de créer une impression de danger imminent et de tension qui

3 s'accroissait.

4 L'effet, pour résumer, avait, en gros, trois volets.

5 Premièrement, la perte massive de crédibilité de l'armée populaire

6 yougoslave.

7 Deuxièmement, la tension politique qui a résulté de la détermination des

8 différentes forces politiques de tirer des conclusions différentes de la

9 sécession de la Slovénie et de la Croatie du côté croate et musulman, la

10 détermination du fait qu'ils ne resteraient pas dans une "Yougoslavie

11 croupion", et du côté serbe qui, à ceci, ne devait pas être retiré du

12 contexte yougoslave, et enfin et surtout, ce sens de la violence était

13 littéralement présent, immédiatement présent. Quelles que soient les

14 erreurs que l'on pouvait faire, on ne pouvait pas y échapper. Il y aurait

15 des événements sur lesquels les peuples de Bosnie-Herzégovine eux-mêmes

16 avaient de moins en moins de contrôle.

17 Question: Docteur, pourriez-vous nous aider à comprendre quand les

18 sécessions de la Slovénie et de la Croatie se sont produites et pourquoi?

19 Réponse: La date formelle est, bien entendu, le 25 juin 1991 mais, pendant

20 plus d'une année, c'était à prévoir, cela s'annonçait, en particulier avec

21 la victoire, au cours du printemps 1990, de l'alliance croate et la série

22 d'exigences qui en ont découlé à Zagreb et Ljubljana, et la Fédération

23 yougoslave, les exigences du côté serbe qui pouvaient servir, en quelque

24 sorte, de marchepied à une sécession totale parce qu'il s'agissait

25 finalement, en ce qui concernait les Serbes, d'une sécession de facto,

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1 parce que l'arrangement proposé confédéral, dans cet arrangement proposé,

2 la souveraineté continuerait d'appartenir aux républiques constituantes.

3 Elles seraient en mesure, à tout moment, par la déclaration de

4 l'assemblée, d'annoncer leur séparation totale du cadre fédéral.

5 En outre, je pense que la notion même de "sécession", pour les républiques

6 individuelles, a été accrue par le processus progressif de vérification

7 des peuples concernés en ne procédant pas à un référendum yougoslave sur

8 le point de savoir si ces peuples voulaient demeurer une partie de la

9 Yougoslavie ou non, et en le faisant effectuer non pas de façon

10 simultanée, mais à des moments différents dans diverses républiques et,

11 dans certains cas, en ayant la question du référendum proprement dit

12 exprimé dans un langage ambigu ou ambivalent qui n'impliquait pas, de

13 façon très claire, la difficulté du choix auquel l'électeur devait faire

14 face.

15 Je vous prie de m'excusez, je souffre de bronchite. Donc ce que je dis

16 peut laisser un peu à désirer aujourd'hui.

17 Pour cette issue, le mécanisme des médias, le contrôle presque complet des

18 mécanismes, en particulier dans toutes les républiques, a certainement

19 joué une contribution particulière même si, en Slovénie et en Croatie, qui

20 d'habitude étaient axées dans les médias occidentaux comme étant pro-

21 occidentales et réformistes, les partis post-communistes sont venus au

22 pouvoir.

23 En Serbie, les communistes recyclés, conduits par Slobodan Milosevic, ont

24 renforcé leurs emprises sur le pouvoir lors de l'élection de décembre

25 1990. Le climat des médias était marqué par l'intolérance, une

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1 simplification en noir et blanc, et la "démonisation" pure et simple des

2 groupes ethniques rivaux.

3 Il y avait donc, évidemment, des connotations très malheureuses de ce

4 qu'il s'était passé 50 ans plus tôt et qui restait encore très vif dans la

5 mémoire collective d'un très grand nombre de Yougoslaves de tous les côtés

6 des divisions ethniques.

7 Au lieu d'avoir un débat complet et éclairé concernant les choix auxquels

8 elles auraient à faire face, de nombreuses personnes en Croatie, en Serbie

9 et en Bosnie-Herzégovine étaient comme intoxiquées par un révisionnisme

10 historique et par une rhétorique nationaliste simpliste qui empêchait de

11 bien voir les problèmes et empêchait un débat significatif de ce genre qui

12 permette de faire les choses dans un esprit d'analyse, sans passion, des

13 problèmes auxquels avaient à faire face ces peuples.

14 Il est également malheureux que les voies dites "de la raison" aient été

15 trop souvent identifiées avec l'héritage de l'ancienne structure de

16 pouvoir communiste, de sorte que les voix yougoslaves qui se faisaient les

17 plus entendre appartenaient, par exemple, aux associations d'anciens

18 combattants, à la Ligue des communistes, au mouvement de la Ligue des

19 communistes en Yougoslavie ou des Réformistes du premier ministre fédéral,

20 Ante Markovic, qui tous, d'une façon ou d'une autre, étaient identifiés à

21 l'héritage de la période Titoïste, qui était en train de devenir

22 totalement discréditée et n'était plus en mesure de donner des réponses

23 significatives ou une voie à suivre pour l'avenir.

24 Question: Je vous remercie. Maintenant nous allons passer à des questions

25 concernant la Bosnie-Herzégovine.

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1 Est-ce que M. Alija Izetbegovic a remporté le plus grand nombre de voix

2 pendant les élections au mois de novembre 1992 et sur la base desquelles

3 il a été élu président de la Bosnie-Herzégovine et sur la base d'un accord

4 entre les parties SDS, SDA et HDZ? Pouvez-vous nous expliquer ce qu'il

5 s'est vraiment passé avec ce nombre de voix?

6 Réponse: Quand il s'agit du nombre de voix qu'il a emporté… La personne

7 qui a été parfois décrite en tant qu'homme d'affaires de Velika Kladusa de

8 la partie du nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine, et qui s'appelle Fikret

9 Abdic, a été gagnant. Mais compte tenu du fait de certains accords entre

10 les partis politiques qui n'étaient pas très bien fixés et comme ils

11 n'étaient pas membre du SDA, Alija Izetbegovic était la personne qui a été

12 élue à cette fonction.

13 Fiket Abdic était considéré, sans aucun doute d'un grand nombre de

14 Musulmans, de Bosniens, comme une personne qui représentait un choix plus

15 certain quand il s'agissait des accords éventuels à venir avec les Croates

16 et avec les Serbes. Et surtout quand il s'agit de sa capacité non

17 idéologique de trouver les meilleures solutions, surtout quand on pense à

18 son rôle très important à l'entreprise d'Agrokomerc qui jouait un rôle

19 important dans cette partie de la Bosnie-Herzégovine.

20 D'un autre côté, les accusations portées contre lui dans le domaine des

21 finances, c'est-à-dire qu'il y avait certains problèmes financiers pour

22 lesquels il a été responsable… Enfin, à cause de tout cela, il n'a pas été

23 élu.

24 Mais après qu'Izetbegovic ait été élu président de la présidence, pas

25 parce qu'il a emporté le plus grand nombre de voix, mais parce qu'il

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1 jouissait du soutien des membres de la présidence collective, Abdic, par

2 la suite, a été souvent considéré par Alija Izetbegovic et ses partisans

3 comme un obstacle et même une sorte de menaces.

4 A la fin, il a été déclaré "traître", qui essaie de trouver un chemin

5 moyen, c'est à dire pour éviter l'extrémisme politique. Mais cela

6 représente l'une des grandes questions de l'histoire et nous ne pouvons

7 pas donner une réponse certaine: si la guerre pouvait être évitée… si

8 Abdic aurait pu être à la tête des Musulmans… Ce que nous pouvons dire

9 avec certitude, c'est que l'issue ne serait pas beaucoup pire que l'issue

10 que l'on a eue.

11 Question: Est-ce qu'Alija Izetbegovic a exprimé ces points de vue dans le

12 livre intitulé "La déclaration islamique"? Est-ce qu'il a exprimé ces

13 points de vue beaucoup de temps avant les élections en 1990?

14 M. Trifkovic (interprétation): Je pense que ce livre a été écrit beaucoup

15 de temps avant 1990, mais seulement en 1999, ce livre a été publié. Le

16 public, enfin, l'opinion publique pouvait y accéder. Mais les points de

17 vue qui ont été exposés dans ce livre, y compris le point de vue que la

18 paix et la cohabitation n'étaient pas possible entre les formes

19 d'organisations de la société islamique et non islamique; ces points de

20 vue ne sont pas très importants parce que, pour un islamiste convaincu,

21 cela n'était pas très important.

22 Mais le point de vue d'Izetbegovic était le suivant: le monde est divisé

23 en une partie où l'islam et la force principale, uma -la maison de l'islam

24 et, de l'autre côté, dar -le monde de la guerre-, ce qui représente une

25 façon de présenter le monde selon les prophéties de Mahomet.

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1 Il s'agit, en fait, d'une image du monde, de la vision du monde de l'islam

2 depuis 1622 et plus tard. Il faut que j'éclaircisse cela. Beaucoup de

3 personnes ont considéré ce point de vue d'Izetbegovic comme radical, même

4 du point de vue de l'islam. Je dirai qu'il était tout simplement un

5 combattant islamique régulier. Et, dans l'histoire, il y avait déjà des

6 exemples de personnes qui partageaient son point de vue.

7 Mais la question qui se pose maintenant est d'une autre nature, c'est-à-

8 dire, c'est la question suivante: quelle conclusion les non-Musulmans

9 auraient donc dû avoir de cela? Je ne doute pas que ces croyances et ces

10 points de vue, aujourd'hui, et au cours de ces 50 dernières années, et

11 même après le 11 septembre, étaient qu'Alija Izetbegovic ne pouvait pas,

12 aujourd'hui, être présenté au monde occidental en tant que personne

13 démocrate, une homme politique démocrate, qui opte pour le

14 multiculturalisme et la multiethnicité.

15 Je pense que la crise en Bosnie, dans ce sens-là, s'est passée une

16 décennie plus tôt, enfin prématurément. L'islam militant a trouvé une

17 sorte de refuge ou de centre au coeur de l'Europe. Les premiers

18 avertissements, déjà dans les années 1990, ont été rejetés dans le monde

19 occidental, en tant qu'une sorte de paranoïa et de propagande serbe.

20 Mais maintenant, à la fin de tout cela, il existe beaucoup d'indices qui

21 nous poussent à conclure que la Bosnie a eu beaucoup de relations avec des

22 complots islamistes, parce qu'il y a l'administration américaine aussi qui

23 a révélé certaines choses. C'est-à-dire que ce groupe pour le terrorisme a

24 rédigé beaucoup de rapports qui ont été publiés, et vous devriez savoir

25 mieux que moi où ces rapports pourraient être lus.

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1 M. Lukic (interprétation): Monsieur Trifkovic, n'est-il pas exact, qu'en

2 Bosnie-Herzégovine des moudjahidin étaient présents?

3 Mme Korner (interprétation): Je m'excuse. Ici, il s'agit d'une question

4 directive, extrêmement directive. N'est-il pas connu qu'en Bosnie-

5 Herzégovine il y avait des moudjahidin? Il vaudrait mieux demander à M.

6 Trifkovic ce qu'il en sait.

7 M. Lukic (interprétation) : Je vais reformuler ma question et je remercie

8 mon éminente collègue.

9 Monsieur Trifkovic, avez-vous appris ou savez-vous aujourd'hui si les

10 moudjahidin étaient présents en Bosnie-Herzégovine au début des années

11 1990 et pouvez-vous nous dire de quelle source vous avez reçu ces

12 informations?

13 M. Trifkovic (interprétation): Permettez-moi de souligner que je ne sais

14 pas si les islamistes militants du reste du monde islamique ou musulman

15 sont actifs et présents en Bosnie-Herzégovine aujourd'hui.

16 Mais, comme je l'ai déjà dit avant, il y a un rapport détaillé d'un groupe

17 pour le terrorisme du Congrès américain. Malheureusement, je n'ai pas ce

18 rapport sur moi, mais je peux vous le communiquer plus tard.

19 Maintenant, je peux vous dire que, dans ce rapport, il est question d'un

20 village entier, pas très loin de Travnik, dans lequel, avant, les Serbes

21 vivaient. Maintenant, il est habité par les combattants du monde islamique

22 qui veulent mener le djihad ou la guerre sainte. Aussi, il y avait une

23 liaison bosnienne, c'est-à-dire qu'il y avait beaucoup d'actions

24 terroristes, des attaques terroristes, y compris l'attaque à Dara Nis

25 (phon) en Arabie saoudite, ensuite une attaque planifiée contre la base

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1 américaine en Allemagne de l'Ouest, et l'action de la police française à

2 Lille, au nord de la France.

3 Dans cette action, cinq personnes ont été arrêtées, ou même tuées, lors de

4 la fusillade. C'était à l'époque où se tenait la conférence de l'Union

5 européenne dans cette même ville et, pour ces personnes, on a pu constater

6 que, avant, ils ont combattu au sein de l'armée de Bosnie-Herzégovine ou

7 qu'ils étaient dans une sorte de liaison avec la Bosnie-Herzégovine.

8 Je suis désolé, mais je n'ai pas ces documents ici, sur moi, pour pouvoir

9 vous donner une réponse plus détaillée, mais j'ai écrit à ce sujet. Je

10 pourrai donc corroborer mon témoignage oral avec ces documents vraiment

11 volumineux. Je pourrais même rédiger quelque chose là-dessus avec les

12 dates et les noms concrets auxquels je me réfère.

13 Question: Merci. Je vous remercie, Docteur. Pouvez-vous nous décrire,

14 maintenant, les circonstances dans lesquelles Alija Izetbegovic a demandé

15 que la Bosnie-Herzégovine accède à une organisation des pays islamiques en

16 tant qu'Etat?

17 Réponse: Selon la constitution de la Bosnie-Herzégovine, le président de

18 la présidence était "primus inter pares", "le premier parmi les égaux" en

19 droit, et il n'avait donc pas de pouvoir de prendre ces décisions ad hoc,

20 surtout pas de décisions concernant les questions politiques clefs telles

21 que les questions relevant de la politique étrangère, de l'Etat, avant de

22 consulter les autres membres de la présidence collective qui était

23 composée, comme nous le savons, par des Serbes et des Croates aussi.

24 Mais les deux demandes d'Izetbegovic concernant cette adhésion à la

25 conférence de l'organisation islamique lors de sa visite à la Turquie et

Page 13627

1 sa demande… C'est-à-dire, cette demande d'obtenir de l'aide de l'Arabie

2 saoudite lors de sa visite en Arabie saoudite au mois de mars, soit les

3 27, 28 et 29 mars 1992. Cela représentait une grande surprise pour les

4 autres membres de la présidence, parce que ni cette demande d'adhésion ni

5 la demande d'aide n'étaient à l'ordre du jour d'une discussion, et non

6 plus d'une décision de la présidence collective avant que ces demandes

7 n'aient vraiment été présentées.

8 Bien sûr, le résultat de tout cela a été négatif, c'est-à-dire la méfiance

9 et la crainte des non-Musulmans par rapport à Izetbegovic, c'est-à-dire

10 par rapport à ce comportement d'Izetbegovic qui était unilatéral, parce

11 que cela a été très motivé par son islamisme. Si, une fois, Izetbegovic

12 est confronté à son destin et à des conséquences politiques… C'est-à-dire

13 qu'il devait suivre sa religion, mais une fois confronté à la légalité et

14 à la constitutionnalité.

15 Question: Je crois que vous possédez la liste des pièces à conviction en

16 application de l'article 65ter et cette liste est, je crois, sous vos

17 yeux. N'est-il pas exact que sous le n°165 sur cette liste, nous avons un

18 extrait d'Oslobodenje, un quotidien de Sarajevo, qui évoque ce même

19 événement?

20 Réponse: Je me souviens très bien de cet article. Je ne dois pas le

21 regarder parce que je sais que les autres membres musulmans de la

22 présidence, Ejup Ganic, par exemple, quand on lui a demandé de donner des

23 commentaires sur l'importance que représente la visite soudaine à l'Arabie

24 saoudite d'Izetbegovic, Ejup Ganic lui-même a avoué qu'il était surpris

25 par cela, et il a expliqué que cette visite était d'un caractère semi-

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1 privé.

2 Donc cette qualification de cette visite, en tant qu'une visite semi-

3 privée n'existe pas dans la constitution; cela ne figure pas dans la

4 constitution de la Bosnie-Herzégovine de cette époque. Et surtout dans ce

5 moment très délicat qui était la période de la fin du mois de mars 1992,

6 lorsqu'il y avait des négociations à la tête desquelles était Cutileiro,

7 et lorsque ces négociations se trouvaient dans l'impasse, et lorsque les

8 tensions, partout en Bosnie-Herzégovine étaient augmentées. Une telle

9 démarche était prise comme une sorte de provocation fatale.

10 Mais ce qui était intéressant dans tout cela, c'était le dénouement,

11 plusieurs jours après, de cet évènement. Lorsque qu'un journal d'Arabie

12 Saoudite, en anglais, a donné des commentaires selon lesquels M.

13 Izetbegovic ne pouvait pas compter sur l'aide infinie, interminable du

14 monde islamique avant d'assumer certaines responsabilités. Ce qui

15 impliquait, en fait, qu'Izetbegovic avait demandé une aide sans limites de

16 ce monde musulman. Et pour qu'il ait cette aide, lui, donc, il devait

17 assumer certaines responsabilités, certaines obligations.

18 Question: Docteur Trifkovic, hier, nous avons parlé de la formation et de

19 la proclamation de la Republika Sarpska de Bosnie-Herzégovine, le 9

20 janvier 1992. Soyez gentil et dites-nous s'il s'agissait d'une

21 proclamation publique, selon la commission de Badinter, qui a demandé un

22 délai le 15 janvier 1992?

23 Réponse: Cette proclamation représentait une sorte de réaction par rapport

24 au prononcé de ce délai. Hier, j'ai dit sincèrement qu'après ce mémorandum

25 fatal portant sur la Bosnie-Herzégovine indépendante et souveraine du 14

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1 octobre, tout ce que les parties ont fait, c'était par rapport à la

2 constitution et aux lois et cela provoquait beaucoup de suspicions. Parce

3 que voter pour le mémorandum, en l'absence des députés serbes,

4 représentait l'entrée de la coalition tactique du SDA et du HDZ dans

5 quelque chose qui n'était pas du tout conforme à la constitution.

6 Le plébiscite serbe, organisé le 8 novembre, et la proclamation de la

7 Republika Sarpska de Bosnie-Herzégovine le 9 janvier, tout cela était des

8 démarches ad hoc qui représentaient la réaction à ce que les autres, les

9 deux autres parties ont fait. Les Serbes ont compris cela comme une

10 tentative d'imposer aux Serbes un sort inacceptable. Et le délai du 5

11 janvier, qui a été imparti comme une date de reconnaissance éventuelle,

12 c'est-à-dire de déposer cette demande, ne pouvait que jeter de "l'huile

13 dans l'eau", ce qui a donc soutenu les forces séparatistes pour procéder,

14 de cette façon, avec l'aide de la communauté internationale.

15 En même temps, les Serbes ont été poussés à improviser plutôt qu'à opter

16 pour rester en ex-Yougoslavie. Ce qui est étrange, dans tout cela, c'est

17 que l'on peut comparer cette situation à celle en Irlande qui a provoqué,

18 en 1921, une division aussi, lorsque les nationalistes et les unionistes

19 ont procédé à des décisions et démarches politiques qui n'étaient pas

20 légales, mais qui reflétaient leurs déterminations de ne pas accepter, de

21 la part de l'autre côté, des solutions qui, pour eux, n'étaient pas

22 acceptables.

23 M. Lukic (interprétation): Je voudrais maintenant vous poser une question

24 portant sur le plan Cutileiro. Pouvez-vous nous dire quels étaient les

25 objectifs de ce plan? Quelle était l'évolution du processus, c'est-à-dire

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1 de ces négociations? Ces négociations qui ont découlé de ce plan?

2 M. Trifkovic (interprétation): La supposition de ce plan et de toutes les

3 négociations qui ont commencé par Cutileiro et sous l'égide de Lord

4 Carrington, étaient tout à fait simple.

5 Même si on supposait que la communauté internationale reconnaîtrait la

6 Bosnie-Herzégovine, on demandait de procéder à des arrangements

7 intérieurs, en République, pour que les peuples constitutifs puissent

8 avoir, prendre part dans ce nouvel Etat. Ni Cutileiro ni Lord Carrington

9 n'avaient jamais pensé qu'on supposait que si les Serbes s'accorderaient

10 avec la séparation définitive de la Yougoslavie avec la reconnaissance

11 internationale de la Bosnie-Herzégovine, que cela signifierait que les

12 Serbes auraient une sorte d'organisation intérieure pour leur donner

13 l'impression qu'ils puissent maîtriser leur sort.

14 Le plan Cutileiro a proposé la division de la Bosnie-Herzégovine en trois

15 cantons, sur la base du critère ethnique. Le pouvoir central à Sarajevo

16 assumerait la responsabilité pour plusieurs fonctions communes, y compris

17 les affaires étrangères, le commerce, la monnaie, les affaires monétaires,

18 etc., la défense également. Il s'agissait d'une combinaison de

19 l'organisation fédérale et confédérale de l'Etat.

20 Non seulement les Serbes, mais aussi les Croates considéraient cela comme

21 une sorte de solution acceptable, mais les leaders du SDS, ainsi que les

22 leaders du HDZ, étaient prêts à signer ce plan et, bien sûr, certains

23 détails concernant les cartes devaient être résolus. Mais les Musulmans

24 n'avaient pas une approche très claire et c'était un peu équivoque. Cela a

25 été très souligné lorsque Izetbegovic a commencé à parler des éléments qui

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1 devaient être pris en considération lorsqu'il s'agissait des frontières de

2 cantons.

3 Il a pensé, avant tout, à des questions économiques, géographiques,

4 historique et culturelles. Il a commencé à parler de plus de trois

5 cantons. Tout cela était une sorte d'alarme pour ceux qui considéraient

6 que le projet de la nouvelle constitution, sur la base de laquelle on

7 pouvait éviter l'établissement du pouvoir central….

8 Après la reconnaissance internationale de la Bosnie-Herzégovine, le 6

9 avril 1992, les Musulmans n'étaient pas très intéressés par la

10 continuation du processus de Coutileiro. Même après l'accord conclu entre

11 Karadzic et Boban à Gratz -je pense qu'il s'agissait de la première

12 semaine du mois de mai 1992-, ceci a permis au SDA de participer. De

13 nombreux commentateurs pensaient qu'avec cette reconnaissance, du moins la

14 reconnaissance tacite des Etats-Unis d'Amérique, Izetbegovic n'était plus

15 intéressé par cet accord.

16 M. le Président (interprétation): Maître Lukic, je pense qu'il est

17 nécessaire de marquer une brève suspension d'audience.

18 Nous allons marquer une pause de 10 minutes.

19 (L'audience, suspendue à 16 heures 57, est reprise à 17 heures 10.)

20 M. le Président (interprétation): Poursuivez.

21 M. Lukic (interprétation): Je vous remercie.

22 Monsieur le Témoin, pourriez-vous nous dire quand le plan Cutileiro a été

23 communiqué au public?

24 M. Trifkovic (interprétation): Pour autant que je m'en souvienne, ce plan

25 a été communiqué au public dans ses grandes lignes au cours de la

Page 13632

1 troisième semaine du mois de février. Je ne me souviens pas exactement du

2 jour, mais il s'agissait des semaines qui ont précédé le référendum du 1er

3 février et du 1er mars.

4 Question: Je vous remercie. Pouvez-vous décrire les mesures qui ont été

5 prises par les Serbes suite à l'adoption du plan Cutileiro et de la

6 décision de la commission Badinter?

7 Réponse: Avant le 15 janvier, j'avais déjà précisé que cela avait déjà été

8 précisé au niveau de la République serbe de la Bosnie-Herzégovine en date

9 du 9 janvier. La crise du processus de négociation du plan Cutileiro ne

10 s'est manifestée de façon claire que suite à l'absence de volonté

11 d'Izetbegovic d'accepter le plan tripartite interne qui s'est traduit par

12 la proclamation de la constitution de la République serbe de Bosnie-

13 Herzégovine, je crois vers le 28 mars 1992… peut-être que je me trompe

14 d'un seul jour.

15 Question: Je suis désolé de vous interrompre, mais compte tenu des règles

16 qui sont appliquées par le Tribunal, et dans le souci de gagner du temps,

17 je voudrais vous demander de consulter la liste et de voir si les

18 documents 121, 138, 145, 160, 162, 197, 233, 236 ainsi que 105 et 107

19 parlent effectivement de ce plan, ainsi que des négociations qui ont eu

20 lieu à ce sujet?

21 Réponse: Oui, tel est le cas.

22 Question: S'agissant des réactions des différentes parties aux

23 négociations du plan Cutileiro, dans certains de ces articles, il est fait

24 mention de soupçons qui ont été évoquée par la partie musulmane, à savoir

25 que des réunions antérieures ont eu lieu au niveau des médiateurs

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1 européens et qui se sont soldées par des résultats prédestinés, à savoir

2 un arrangement tripartite qui se fonde sur les cantons.

3 Alors que s'agissant de la partie serbe, on a vu qu'il y avait un

4 mouvement de pendule entre les phases d'encouragement, d'espoir, de

5 déception et de désespoir, étant donné les caprices dont faisait preuve

6 Izetbegovic lorsqu'il s'adressait au public et les déclarations optimistes

7 des négociateurs et du diplomate Cutileiro lui-même au sujet de l'issue de

8 ce plan.

9 En rétrospective, quand on regarde ces articles, je pense que tout ce

10 processus était condamné dès le début en raison de la reconnaissance

11 internationale, en date du 6 avril, et suite à l'encouragement implicite

12 de Washington qui encourageait Izetbegovic à poursuivre ses tentatives

13 pour créer un Etat plus ou moins unitaire et centralisé.

14 Or, après la date du 6 avril, les hypothèses de base du plan de Cutileiro

15 n'étaient plus applicables. Ce qui semble indiquer l'absence de cohérence

16 ainsi que l'absence de compétence diplomatique et de savoir-faire de la

17 communauté internationale étant donné cet acte de reconnaissance. Je parle

18 ici des situations hypothétiques, mais on peut penser que si cet acte de

19 reconnaissance était lié à un accord préalable entre les parties, tel que

20 le diplomate Cutileiro le voulait, à ce moment-là, ces négociations

21 auraient pu être couronnées de succès. Compte tenu du fait que la

22 reconnaissance a été accordée, non seulement dans le cadre d'une absence

23 d'accord, mais alors que ce processus de négociation se poursuivait

24 encore, en fait, on avait déjà décidé de l'issue de ce plan.

25 Question: Monsieur le Témoin, avez-vous une opinion qui se fonde sur un

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1 certain degré de certitude afin de savoir si les mesures prises par les

2 Serbes étaient raisonnables et conformes au plan Cutileiro et à la

3 commission Badinter?

4 Réponse: Il est impossible de répondre à cette question de façon neutre,

5 sans parler du contexte qui prévalait à l'époque. Jusqu'à la proclamation

6 de la Republika Srpska en juillet 1992, toutes les tentatives statutaires

7 et plébiscitaires déployées par la partie serbe auraient pu s'inscrire et

8 auraient pu être respectées dans le cadre d'une espèce de Bosnie-

9 Herzégovine élargie.

10 En fait, le plébiscite était un exercice symbolique dont les conséquences

11 juridiques n'avaient pas été arrêtées de façon précise. La proclamation de

12 la République serbe de Bosnie-Herzégovine visait à essayer de préparer

13 l'acte de reconnaissance internationale de proclamation de la constitution

14 de la république serbe de Bosnie-Herzégovine. Et on ne pouvait pas ignorer

15 ces facteurs dans la lutte pour obtenir cette reconnaissance

16 internationale. Mais en fait on aurait pu, rétroactivement, respecter tout

17 cela dans le cadre tripartite, étant donné qu'il s'agissait là de la base

18 sous jacente du plan Cutileiro.

19 Permettez-moi d'être un peu plus précis. Si le plan avait été accepté et

20 signé par les trois parties, le résultat aurait pu ne pas être si

21 différent du résultat des accords de Dayton. Et la république n'aurait pas

22 connu 4 ans et demi de souffrances et de bains de sang.

23 Or, les parties qui voulaient la séparation semblaient indiquer qu'il

24 était nécessaire de comprendre de façon réaliste l'impossibilité d'imposer

25 à un tiers de la population de la Bosnie-Herzégovine qu'un dictat était

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1 inacceptable. Par conséquent, en essayant de répondre à votre question, je

2 ne peux pas me prononcer sur les motifs qui animaient les différentes

3 parties, et ce, plus d'une décennie plus tard.

4 Je pense que la façon de se prononcer à cet égard -et il s'agirait là d'un

5 jugement de valeur-, c'est d'essayer de comprendre le sentiment qui

6 prévalait à l'époque et le paradigme auquel étaient confrontés les

7 différents acteurs en présence à l'époque. Il faut essayer de se mettre à

8 la place de ces personnes, essayé de comprendre les différentes options

9 qui s'offraient à ces personnes, compte tenu des pressions qui étaient

10 exercées. Il est difficile de se prononcer sur le comportement des

11 différentes parties.

12 C'est la raison pour laquelle je préférerais ne pas répondre à votre

13 question.

14 Question: Je vous remercie, Docteur.

15 Pouvez-vous nous faire part de votre position en votre qualité

16 d'historien: comment est-ce que la guerre a commencé en Bosnie-

17 Herzégovine?

18 Réponse: Pour chaque guerre, la question charnière qui est posée est de

19 savoir qui a tiré la première balle. La guerre civile aux Etats Unis a

20 commencé avec le pilonnage d'un fort (dont le nom est inaudible, dit

21 l'interprète) en avril 1961. Et à partir de cette date, il n'a plus été

22 possible de régler le problème du point de vue politique.

23 Les premiers tirs qui ont été ouverts en Bosnie-Herzégovine ont été

24 échangés les premiers par les Bérets verts; il s'agit d'une formation

25 paramilitaire musulmane, une organisation illégale. Et la première victime

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1 était un Serbe, un homme qui s'appelait Nikola Gardovic qui assistait au

2 mariage de son fils. Le premier massacre par un groupe ethnique en Bosnie-

3 Herzégovine s'est déroulé dans le village de Sijekovac de Bosanski Brod

4 quelques jours plus tard. Les victimes étaient des Serbes, et les

5 coupables des Croates ainsi que des Musulmans.

6 Il existe une certaine logique dans ces événements. Il est malheureux que

7 lorsqu'on tire une balle, il y ait des victimes, il y ait des morts, et on

8 assiste à une escalade de la violence. Les barricades qui ont commencé à

9 être érigées dans toute la ville de Sarajevo après le massacre de

10 Bascarsija, le 1er mars, ont été démontées quelques jours plus tard. Mais

11 la violence n'a pas pour autant disparu, et en fait, un certain seuil a

12 été dépassé.

13 Si nous ne tenons pas compte de l'effet de ces événements sur la mentalité

14 des citoyens de la Bosnie-Herzégovine, il est difficile de comprendre

15 comment il était possible pour des personnes qui vivaient pendant de

16 nombreuses décennies en harmonie, de céder tout à coup à cet appel, à

17 l'inconnu, de cet appel à la sauvagerie, plutôt que d'essayer de régler le

18 conflit d'une autre manière.

19 Mais il importe également de se souvenir -et il s'agit là de quelque chose

20 que trop de personnes au niveau de la communauté internationale n'étaient

21 pas prêtes à faire-, de se souvenir de l'héritage des différents

22 événements qui étaient récents et qui vivaient encore dans les mémoires de

23 la population. Il s'agissait de l'héritage de la Deuxième Guerre mondiale

24 qui a marqué la mémoire collective des Serbes, à la fois en Bosnie-

25 Herzégovine et en Croatie. Et il s'agit là d'une mémoire collective que

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1 l'on peut comparer à l'holocauste des Juifs.

2 La logique de la violence qui s'est manifestée en avril et en mai était

3 également le reflet des différentes attentes, des différentes parties.

4 S'agissant des Serbes, l'incertitude principale concernant la volonté et

5 la possibilité pour la JNA d'agir de façon décisive afin de protéger leurs

6 intérêts a été réglée par son départ et par le départ des personnes qui

7 étaient nées en Bosnie, tout en laissant une partie importante du matériel

8 derrière eux.

9 Dans le cas du HVO, il s'agissait du fait qu'on s'est reposés sur les

10 unités régulières de la Croatie. Et ceci s'est manifesté dès le début,

11 notamment, dans la partie occidentale de l'Herzégovine. Et exception faite

12 du désir de contrôler une zone, qui était essentiellement croate du point

13 de vue de la population qui y vivait, en Herzégovine occidentale, en

14 Bosnie Centrale et dans la vallée de la Save, la position des Croates

15 était plutôt réactive plutôt que proactive.

16 Enfin, s'agissant de la partie musulmane, avec le transfert des unités

17 paramilitaires en Défense territoriale, et le début de l'activité des

18 cellules de la ligue patriotique qui existait, et le fait qu'elle ait

19 fusionné avec la Défense territoriale, au niveau des municipalités

20 contrôlées par les Musulmans, nous avions sur place une force armée assez

21 nombreuse, même si elle était équipée d'armes légères, qui espérait. Et,

22 si nécessaire demandait l'intervention étrangère, par des événements telle

23 que la fameuse file de gens qui faisaient la queue pour chercher du pain.

24 Il s'agissait du massacre de la rue Vase Miskin à Sarajevo, et ils

25 cherchaient notamment à élargir leurs territoires, sans pour autant

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1 rentrés dans un conflit ouvert, qui pourrait permettre de déceler les

2 faiblesses des formations armées musulmanes à l'époque. Et tout ceci

3 figure dans des articles, dans les mémoires des généraux Halilovic,

4 Hodjic, etc.

5 Question: Sur la base de votre analyse et de la littérature, des documents

6 que vous avez examinés, quel a été le rôle de l'armée populaire yougoslave

7 au début de la guerre? Et tout au long du printemps et de l'été 1992?

8 Réponse: Il est important de garder à l'esprit que la JNA s'est développée

9 à partir des forces de partisans au cours de la Deuxième Guerre mondiale,

10 comme étant une armée explicitement, une force armée, explicitement

11 contrôlée par le parti qui voulait identifier, cherchait à identifier le

12 patriotisme yougoslave avec une forme strictement "titoiste" des partis

13 politiques de l'identité politique, de partis de l'interprétation de

14 l'histoire.

15 Mme Korner (interprétation): Je voudrais interrompre une seconde. Le Dr

16 Trifkovic a été présenté comme un expert historien, et non pas comme un

17 expert militaire. Je comprends qu'il est un expert qui est cité par la

18 défense. Je me demande si on entre ici dans un domaine, dans lequel il

19 peut vraiment se prononcer?

20 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Lukic?

21 M. Lukic (interprétation): Le Dr Trifkovic ne donne pas son opinion

22 d'expert sur des questions militaires, mais il est bien obligé d'aborder

23 certaines questions militaires parce que nous parlons, maintenant, de la

24 période qui précède la guerre et pendant la guerre. Et bien entendu, la

25 guerre fait partie aussi de l'histoire. Je ne crois pas que M. Trifkovic,

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1 nous donnera une explication très longue. Nous lui laisserons dire, quand

2 même, quelques phrases à ce sujet, parce qu'il faut bien rester dans ces

3 questions qui sont dans le contexte général.

4 M. le Président (interprétation): Docteur Trifkovic, veuillez continuer,

5 s'il vous plaît. Je ne pense pas qu'il s'agit strictement de questions

6 militaires. Il s'agit davantage de questions politiques.

7 M. Trifkovic (interprétation): Donc, un corps d'officiers qui vivait de

8 l'héritage, de ce qu'on appelait la lutte du peuple pour la libération.

9 C'était la base sur laquelle l'esprit de la JNA avait construit son esprit

10 de corps et son engagement à défendre, pas seulement la Yougoslavie. Mais

11 la Yougoslavie socialiste, sur la base de l'autogestion des travailleurs,

12 la position de non alignés, la fraternité, l'unité et toutes les autres

13 valeurs de ce genre, et c'était donc le point de vue le plus partagé en

14 Yougoslavie, avec tout ce que cela signifiait, tout ce que cela

15 impliquait.

16 Avec le commencement de la désintégration de la Yougoslavie, de la JNA et

17 sa haute hiérarchie, les officiers généraux ont eu affaire à un véritable

18 problème. D'un côté faisant partie de sa formation, il était impossible à

19 des Yougoslaves qui étaient patriotiques, qui travaillaient dur d'être des

20 séparatistes sur des bases ethniques; et il y avait également le refus de

21 même envisager la possibilité d'un séparatisme ethnique de masse, dans un

22 groupe ethnique, quel qu'il soit. Ceci par rapport à la doctrine de

23 l'armée populaire yougoslave; sinon, ceci pourrait se révéler tout à fait

24 fatal. Et une armée non idéologique pourrait postuler des scénarios

25 différents et différentes menaces populaires possibles pour la stabilité

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1 du pays et sa souveraineté et développer des réponses différentes face aux

2 défis qui se présenteraient.

3 Dans le cas de la JNA, nous avions la capacité totale du haut-commandement

4 de le faire parce que, même en supposant la possibilité que de tels défis,

5 tels que ceux que l'on a vus en Croatie et en Slovénie au cours de l'été

6 1991, aient été considérés comme relevant de la trahison ou étant

7 politiquement incorrects… Lorsqu'on est un officier communiste de la JNA,

8 quand on a commencé à parler en 1986, 1987, 1988, 1989 de la possibilité

9 de sécession de certaines républiques et de leur rébellion armée contre

10 l'ordre constitutionnel, on se mettait vraiment dans une position très

11 vulnérable.

12 De même, l'insistance de la JNA et du parti politique approuvé par la JNA,

13 qui était le mouvement de la Ligue communiste pour la Yougoslavie, leur

14 propension à parler d'un nationalisme basé sur les ethnies, à se proclamer

15 toutes égales, et soutenant qu'elles étaient toutes… qu'elles avaient

16 toutes un partage égal et avaient… comportait un risque tout autant

17 destructeur ou stabilisant pour amorcer le passage et réajuster leurs

18 éléments de référence psychologique aux exigences du peuple serbe de

19 Bosnie-Herzégovine pour avoir une force armée qui protégerait leurs lois

20 spécifiques.

21 Ne pas être conforté par une sécession de la coalition tactique SDA-HDZ

22 faisait qu'il y a… alors qu'il était tout à fait acceptable, pour un très

23 grand nombre de lieutenants qui n'étaient pas nés en Bosnie, les Serbes,

24 des commandants et même des colonels. Même si on regarde la hiérarchie de

25 la JNA, des personnes telles que Kadijevic et Hadzic, il devient évident

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1 que c'était le type de modification qu'ils n'étaient tout simplement pas

2 capables d'amorcer.

3 En partant des hypothèses et des habitudes idéologiques qui avaient la vie

4 dure et les développements rapides auxquels ils avaient à faire face dans

5 la deuxième moitié de l'année 1991 et la première moitié de 1992, cela

6 exigeait un type de réponse différent dans le cas où il y aurait un

7 engagement ayant une base locale par rapport à l'ancienne JNA. Il pouvait

8 y avoir une certaine vertu à être des Serbes bosniens et essentiellement

9 des membres de l'ancien parti communiste et ensuite des officiers de la

10 JNA.

11 Le même phénomène, permettez-moi d'ajouter, se déroulait pour un très

12 grand nombre d'officiers musulmans et croates, sauf que, pour un grand

13 nombre d'entre eux, ce passage était plus facile à faire parce que, dans

14 une large mesure, tant pour ce qui est du rôle de la Yougoslavie entre les

15 deux guerres mondiales et dans la Yougoslavie socialiste après 1945, les

16 Serbes n'étaient pas les seuls tenants importants des idées yougoslaves,

17 mais aussi les victimes de leur propre propagande.

18 Tandis qu'il y avait un élan patriotique slovène, croate, musulman de

19 Bosnie ou macédonien, lorsque les idées yougoslaves ont commencé à

20 s'effondrer, les nouvelles idées patriotiques, pour de nombreux Serbes,

21 avec cette transformation, cette modification, se sont révélées plus

22 difficiles, plus traumatiques et plus ambivalentes.

23 Mme Argibay (interprétation): Je voudrais simplement faire une

24 observation. C'est pour le compte rendu.

25 Pourriez-vous vérifier, Maître Lukic, à la page 26, ligne 24? Je crois que

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1 le docteur Trifkovic a parlé de "déstabilisant" et, ici, il est dit "tout

2 autant stabilisant".

3 Pourriez-vous confirmer ce que vous aviez dit? C'était bien

4 "déstabilisant"? C'est bien cela? Merci.

5 M. Trifkovic (interprétation): Oui.

6 M. Lukic (interprétation): Je vous remercie, Madame le Juge, d'avoir

7 remarqué cela.

8 Docteur Trifkovic, en restant dans ce contexte, pourriez-vous décrire pour

9 nous, s'il vous plaît, les mesures qui ont été prises par les Musulmans de

10 Bosnie, pour ce qui était de former leur propre armée, l'ABiH, la

11 politique, les Bérets verts et ainsi de suite?

12 M. Trifkovic (interprétation): Je regrette de ne pas avoir à ma

13 disposition certains des mémoires des premiers activistes musulmans qui

14 ont joué un rôle pour créer à la fois la Ligue patriotique et les unités

15 des Bérets verts, que j'ai obtenus après avoir préparé mon rapport. Mais

16 cette histoire est vérifiée par différentes sources, ce que l'on sait de

17 divers participants aux événements; on trouve un calendrier à peu près

18 similaire.

19 Le point essentiel, le moment essentiel est le mois de mars, le 31 mars

20 1991, quatre mois avant la crise en Croatie et en Slovenie, où les

21 activistes du SDA se sont réunis dans une mosquée à Souk Bunar près de

22 Sarajevo et ont décidé de constituer un réseau rudimentaire d'activistes

23 locaux qui seraient chargés de préparer, de mettre au point une milice du

24 parti qu'ils appelleraient la "Ligue patriotique". Les premiers efforts

25 ont reçu leur imprimatur complet le 10 juin 1991.

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1 Je voudrais souligner que, deux semaines avant que les violences ne

2 commencent avec la déclaration d'indépendance slovène et croate, avec la

3 réunion d'intellectuels et d'activistes du SDA musulmans, à laquelle avait

4 participé Alija Izetbegovic lui-même, dans laquelle les instructions

5 détaillées ont été préparées pour les activistes sur le terrain, et avec

6 le principe général de ces efforts ayant été accepté comme cela avait été

7 suggéré, je crois, par Halilovic lui-même qui avait dit que, au lieu

8 d'avoir une formation d'expert spécialisé dans la milice commandant le

9 sabotage, ils devraient chercher à avoir un mouvement qui aurait une large

10 base, qui aurait des membres qui se trouveraient dans pratiquement toutes

11 les municipalités de Bosnie-Herzégovine.

12 Particulièrement important est le fait que, lors de cette réunion, il a

13 été décidé de créer neuf cellules régionales de la Ligue patriotique dont

14 une se trouvait en dehors de la Bosnie-Herzégovine, au sud-ouest de la

15 Serbie, dans le secteur que les Musulmans appellent (inaudible). Et dans

16 les dépositions qui ont été entendues par la suite et les déclarations

17 faites par les auteurs de différents mémoires et les articles à

18 Oslobodjenje et Dani et ailleurs, plusieurs de ces activistes musulmans

19 reconnaissent volontiers qu'ils espéraient que, si la guerre éclatait et

20 quand elle éclaterait en Bosnie-Herzégovine, ils seraient aidés par un

21 soulèvement des Musulmans en (inaudible) et des Albanais au Kosovo, à

22 Sandjak, au Kosovo, et que, en outre, ils avaient été déçus du fait que

23 ceci ne s'était pas passé au printemps et à l'été 1992.

24 A partir du 2 décembre 1991, lorsqu'un conseil militaire détaillé, là

25 encore, auquel participait Izetbegovic, s'est tenu dans la maison d'un

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1 particulier aux abords de Sarajevo, la Ligue patriotique s'est créée des

2 branches dans 104 des 107 municipalités de Bosnie-Herzégovine et, deux

3 mois plus tard, lorsqu'un conseil militaire s'est à nouveau tenu dans le

4 village de Mahurici, près de Travnik, tout une série d'instructions

5 précises concernant les développements futurs ont été données.

6 A ce moment-là, nous voyons qu'il existe une force assez grande et

7 centralisée de près d'une centaine de milliers d'hommes qui, quoique

8 n'ayant pas encore d'armes lourdes, avaient un commandement et une

9 structure de contrôle jusque dans les détails, avec une

10 compartementalisation dans les différentes armes et services qui

11 ressemblait à une force armée complète, comme je l'ai mentionné plus tôt.

12 Donc, deux mois plus tard, elle allait se fusionner avec la Défense

13 territoriale et elle s'est transformée en armée de Bosnie-Herzégovine.

14 Donc, l'élan initial a commencé le 31 mars 1991. Le plan détaillé a été

15 élaboré le 10 juin 1991. Puis l'examen des résultats a été résumé le 2

16 décembre 1991. Et le développement, l'élaboration des tâches particulières

17 en vue des violences qui étaient prévues, a été examinée de façon assez

18 détaillée à Mahurici le 2 février 1992.

19 Question: Est-ce que tous ces préparatifs des Musulmans de Bosnie-

20 Herzégovine ont eu lieu avant le référendum qui s'est tenu en 1992?

21 Réponse: Non seulement ceci a eu lieu avant le référendum, mais le conseil

22 militaire à Mahurici dans lequel les Musulmans eux-mêmes -qu'ils appellent

23 eux-mêmes "historique" dans leurs propres écrits- avaient été précisément

24 réunis de façon à examiner quel serait l'état de préparation militaire

25 pour ce qui se passerait après le référendum, parce qu'ils n'avaient aucun

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1 doute que le référendum était le type de défi à l'égard des Serbes vis-à-

2 vis duquel ils seraient censés réagir d'une façon qui ne serait pas

3 seulement politique.

4 Question: Avant avril 1992, est-ce qu'il y a eu une déclaration de menace

5 imminente de guerre et quand cet état de menace imminente de guerre a-t-il

6 été déclaré et par qui, si vous vous en souvenez?

7 M. Trifkovic (interprétation): Je ne peux pas me rappeler la date sans

8 consulter mes documents, mais c'était avant la reconnaissance

9 internationale, je crois.

10 Excusez-moi, je ne suis pas en mesure de répondre avec précision à votre

11 question.

12 M. Lukic (interprétation): D'après la documentation que vous avez

13 examinée, est-ce que vous avez eu la possibilité de vous familiariser avec

14 ce qui avait été le rôle de la police pendant le moment où était reconnu

15 un état de guerre imminente pour ce qui est des militaires?

16 Mme Korner (interprétation): Jusqu'à maintenant, je n'ai pas soulevé

17 d'objection. Mais rien de ceci, en fait, n'est traité dans le rapport.

18 Je crois que si le Dr Trifkovic va maintenant traiter du rôle de la

19 police, j'aimerais bien savoir sur quels documents il se fonde et pas

20 seulement une affirmation générale de cette façon, en l'occurrence.

21 Il y a un certain nombre d'autres références que je voudrais qu'il nous

22 signale. Je ne veux pas retarder en quoi que ce soit le docteur, mais

23 j'aimerais bien savoir à quoi il va se référer.

24 M. Lukic (interprétation): Docteur Trifkovic, est-ce que vous connaissez

25 le droit pour tous les peuples à se protéger eux-mêmes?

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1 Réponse: Oui, je connais, en gros, ce dont il s'agit, y compris ce qui

2 avait été dit, enfin ce qu'on peut se procurer en anglais; c'est un

3 document assez encombrant. J'admets ne pas l'avoir lu entièrement en

4 serbo-croate.

5 Question: Sur la base de ce que vous savez, pouvez-vous répondre à l'une

6 quelconque de mes questions précédentes, si vous savez ce qui est

7 prescrit, surtout en ce qui concerne le rôle de la police.

8 Mme Korner (interprétation): La réponse simple, c'est que je n'ai pas

9 d'objection si M. Lukic veut également parler de cette loi, mais, plutôt

10 que de deviner ou de dire les choses de mémoire, je voudrais des

11 renseignements complémentaires.

12 M. Trifkovic (interprétation): Puisque je préférerais donner des réponses

13 aussi précises que possible aux questions que je ne connais pas très bien,

14 je préférais ne pas traiter de ces questions sur lesquelles je ne me suis

15 pas préparé et dont on ne m'a pas parlé. Je préférais ne pas répondre sur

16 ces questions.

17 M. Lukic (interprétation): Je vous remercie, Docteur.

18 Encore une fois, parce qu'il s'agit de procédure, je voudrais simplement

19 vous demander si les documents qui sont énumérés sur ce tableau sont basés

20 sur vos conclusions concernant la guerre; il s'agit des documents 001,

21 002, 003, 006, 115, 216 et 224.

22 M. Trifkovic (interprétation): Oui. Ils parlent de ce que j'ai déjà dit,

23 c'est-à-dire il s'agit d'une série de mémoires d'approches personnelles,

24 d'histoires personnelles des Musulmans de Bosnie et aussi des commandants

25 qui sont assez sincères et qui sont assez ouverts, quand ils parlent des

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1 préparatifs militaires, même pendant la période au cours de laquelle

2 l'opinion publique a pu être informée sur les intentions pacifiques du

3 SDA, c'est-à-dire de résoudre tous les problèmes de façon pacifique.

4 Question: Je vous remercie.

5 Je vais vous poser maintenant la question suivante. Sur la base des

6 documents que vous avez parcourus, il s'agit du rapport de M. Donia, de

7 beaucoup d'articles, d'autres titres également, je vous prie de décrire,

8 sur la base de tout cela, le rôle du Dr Stakic avant la prise de pouvoir

9 dans la municipalité de Prijedor, le 30 avril 1992.

10 Réponse: Avant tout, je pense qu'il est intéressant que le Dr Stakic ait

11 adhéré relativement tard aux rangs du SDS parce qu'au cours des premiers

12 jours de la renaissance du système multipartite en ex-Yougoslavie, il a

13 adhéré au parti radical national Nikola Pasic. Il s'agissait d'une

14 organisation politique qui a été créée par un avocat de Belgrade, Veljko

15 Guberina; je pense que cela s'est passé en 1989.

16 Cette organisation politique a continué la tradition d'un homme politique

17 très connu de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle qui, je dois

18 le dire, a été à la tête du mouvement du radicalisme social, d'où le nom

19 de ce parti politique.

20 Il ne faut pas confondre ce parti politique avec quelque chose qui s'est

21 produit par la suite, c'est-à-dire avec le parti radical serbe de Vojislav

22 Seselj, c'est-à-dire la continuation de la tradition de Pasic représentait

23 une sorte de continuation de combat pour la justice sociale plus vers la

24 gauche, quand il s'agit de la question de la répartition des revenus, la

25 réforme de l'agriculture, les services publics, etc., ainsi que le désir

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1 que les nations expriment leurs spécificités, leurs particularités dans le

2 cadre de la Yougoslavie.

3 Je ne parle pas seulement des particularités concernant les Serbes mais

4 également les groupes. Il ne faut pas oublier que l'un des premiers

5 ministres de la Yougoslavie, c'est-à-dire du Royaume des Serbes, des

6 Croates et des Slovènes, était Nikola Pasic. Et c'est lui qui a beaucoup

7 travaillé sur la réconciliation avec les Croates. C'était une tâche qui

8 s'est déroulée avec beaucoup de succès, qui a résulté en une coalition

9 entre les radicaux et le parti populaire croate.

10 En lisant certaines déclarations du Dr Stakic de 1991, j'ai été surpris

11 par la différence entre ces points de vue et les points de vue des

12 personnes qui se sont identifiées comme appartenant à la renaissance de

13 l'idée nationale serbe, telle Vuk Draskovic.

14 Ce qui est le plus important, je crois, c'est qu'il s'est adressé au

15 peuple le 29 novembre 1991 à Prijedor, lors de la célébration de la

16 journée de la République.

17 Il y avait une sorte d'hymne extravagant à l'esprit yougoslave et à la

18 communauté yougoslave… que cela aurait provoqué des suspicions même

19 odieuses pour un nationaliste serbe de l'époque, parce que le nationaliste

20 de l'époque ne voulait plus parler de la préservation de la Yougoslavie,

21 mais il voulait plutôt parler d'une entité serbe qui cherchait à réunir

22 tous les Serbes sur les ruines de la Yougoslavie.

23 Donc, déjà vers la fin de 1991, dans ses propos publics, le Dr Stakic

24 avait une constitution mentale que je qualifierais de nostalgie

25 yougoslave; il avait l'espoir que l'esprit yougoslave ressusciterait. Et

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1 déjà un homme politique réaliste aurait dû avoir une image tout à fait

2 claire, dans le sens que cette idée était déjà condamnée à être rejetée.

3 M. le Président (interprétation): Monsieur, je m'excuse, nous n'avons plus

4 le temps.

5 M. Trifkovic (interprétation): Je suis presque resté sans voix.

6 M. le Président (interprétation): Donc c'est dans notre intérêt à nous

7 tous de terminer cette discussion maintenant. Je voudrais remercier tous

8 les participants d'avoir coopéré, vous aussi Monsieur le Témoin.

9 Je vous rappelle que pendant que votre témoignage dure devant ce Tribunal,

10 vous ne pouvez pas contacter ni les représentants du Bureau du Procureur

11 et ni de la défense.

12 Je vous prie de revenir ici à 9 heures lundi pour continuer votre

13 déposition dans cette affaire.

14 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Juge, compte tenu du fait que le

15 Dr Trifkovic est toujours interrogé par la défense, je ne crois pas qu'il

16 pourra partir lundi. Ce ne sera certainement pas le cas.

17 M. le Président (interprétation): L'audience est levée et reprendra lundi

18 à 9 heures dans la salle d'audience n° 2.

19 (L'audience est levée à 18 heures 02.)

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