Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge O-Gon-Kwon

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
20 octobre 2003

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE DÉPOSÉE PAR LE CONSEIL DE FRANKO SIMATOVIC (IT-03-69-PT) AUX FINS D’AVOIR ACCÈS À DES COMPTES RENDUS D’AUDIENCE ET À DES DOCUMENTS

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice
M. Dermot Groome

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Les Amici Curiae :

M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Timothy L.H. McCormack

Le Conseil de Franko Simatovic:

M. Zoran Jovanovic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la requête aux fins d’avoir accès à des comptes rendus d’audience et à des documents (Defence Motion To Access Transcripts And Documents), déposée par la Défense de Franko Simatovic (la « Défense de Simatovic ») le 18 septembre 2003 (la « Requête »), demandant l’accès à tous les comptes rendus d’audience et documents de l’affaire Le Procureur c/ Slobodan Milosevic (l’ « Affaire Milosevic  »),

ATTENDU que dans la Requête, la Défense sollicite expressément i) l’accès aux comptes rendus de l’ensemble des audiences publiques et à huis clos qui se sont tenues dans les volets du procès Milosevic consacrés à la Bosnie-Herzégovine et à la Croatie ; ii) l’accès aux pièces à conviction produites à l’audience, aux éléments de preuve documentaires et aux requêtes déposées par les parties dans le cadre de ces volets du procès Milosevic ; et iii) l’autorisation de s’adresser, à l’avenir , à la Chambre de première instance pour qu’elle se prononce s’agissant de toute pièce confidentielle que la Défense estime utile à sa cause, et que le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») n’est pas par ailleurs tenu de communiquer1,

VU la réponse à la Requête de Franko Simatovic (Prosecution Response to Motion By Franko Simatovic For Access To Transcripts And Documents), déposée par l’Accusation le 2 octobre 2003 (la « Réponse »), par laquelle cette dernière déclare n’avoir aucune objection à ce que la Défense de Simatovic se voie accorder l’accès aux comptes rendus d’audiences publiques et aux pièces à conviction rendues publiques dans l’affaire Milosevic, mais s’opposer à ce qu’elle se voie accorder l’accès à des pièces non rendues publiques, à savoir les audiences à huis clos et à huis clos partiel et les pièces à conviction confidentielles étant donné i) le stade peu avancé du procès dans l’affaire Le Procureur c/ Simatovic (l’«  Affaire Simatovic ») ; et ii) les préoccupations que continue de susciter la sécurité des témoins dans l’Affaire Milosevic2,

ATTENDU que, dans la Réponse, l’Accusation déclare qu’elle ne s’oppose pas à ce que la Défense de Simatovic se voie accorder l’accès aux écritures rendues publiques dans l’Affaire Milosevic, mais qu’il convient de lui refuser l’accès à celles qui sont confidentielles, la Défense de Simatovic ne précisant pas les catégories d’écritures qu’elle souhaite obtenir ni le but légitime juridiquement pertinent de sa demande3,

ATTENDU que dans la Réponse, l’Accusation déclare que, si la Chambre de première instance fait droit à la demande de la Défense Simatovic aux fins d’être autorisée à consulter les pièces non accessibles au public, elle propose, à défaut, que l’accès aux témoignages à huis clos et aux pièces à conviction confidentielles soit autorisé sous réserve des mesures de protection et des exceptions figurant aux paragraphes 11 à 19 de la Réponse, et que l’accès aux écritures confidentielles soit refusé pour ce qui est des écritures i) déposées à titre ex parte ; ii) ayant trait à la protection de témoins ; ou iii) ne portant pas directement sur les éléments de preuve admis dans l’Affaire Milosevic4,

ATTENDU que dans la Réponse, l’Accusation reconnaît que les actes incriminés dans l’Affaire Simatovic partagent, du point de vue géographique et temporel, des points communs avec certains des faits incriminés dans l’Affaire Milosevic et que les moyens de preuve produits dans celle-ci seraient, dans bien des cas, utiles à la préparation du dossier de la Défense de Simatovic5,

ATTENDU ÉGALEMENT que, dans la Réponse, l’Accusation indique qu’elle prévoit de citer à comparaître dans l’Affaire Simatovic nombre des témoins protégés dans l’Affaire Milosevic6,

ATTENDU que l’accès à des pièces confidentielles d’une autre affaire est accordé lorsque la partie requérante parvient à démontrer que lesdites pièces sont susceptibles de l’aider de manière substantielle à soutenir sa cause et qu’une partie a toujours le droit de chercher à obtenir des documents provenant de n’importe quelle source afin de l’aider à préparer son dossier à condition d’identifier les documents recherchés, ou de décrire leur nature générale, et de démontrer l’existence d’un but légitime juridiquement pertinent justifiant l’obtention de cet accès7,

ATTENDU que la Chambre de première instance a adopté des mesures de protection concernant des témoignages entendus à huis clos et à huis clos partiel ainsi que des pièces à conviction confidentielles dans l’Affaire Milosevic, après s’être assurée que de telles mesures étaient compatibles avec les droits de l’Accusé,

ATTENDU que l’Affaire Simatovic en est à un stade peu avancé, une date n’ayant pas encore été fixée pour l’ouverture du procès8, et que des questions relatives à la communication de pièces restent encore à régler , s’agissant notamment de déclarations de témoins, qui seront communiquées en application de l’article 66 A) ii) du Règlement, de pièces de nature à disculper l’Accusé en application de l’article 68 du Règlement, et de pièces supplémentaires relevant des articles 66 B) et 67 C) du Règlement, à supposer que la Défense de Simatovic invoque les dispositions du Règlement concernant l’échange de moyens de preuve9,

ATTENDU que la Défense de Simatovic peut, sur demande adressée au Greffe du Tribunal international, consulter les témoignages, pièces à conviction et écritures accessibles au public,

ATTENDU TOUTEFOIS que les écritures confidentielles dans l’Affaire Milosevic ne constituent pas des moyens de preuve et que la Défense de Simatovic n’a pas démontré l’existence d’un but légitime juridiquement pertinent justifiant la consultation desdites pièces,

EN APPLICATION de l’article 54 du Règlement,

ORDONNE comme suit :

1) la Défense de Simatovic peut demander directement au Greffe du Tribunal international de consulter les témoignages, pièces à conviction et requêtes accessibles au public, concernant les volets du procès dans l’Affaire Milosevic consacrés à la Bosnie -Herzégovine et à la Croatie ;

2) la Défense de Simatovic pourra consulter les témoignages et pièces à conviction non accessibles au public concernant les crimes et événements ayant un lien avec les accusations pesant sur Franko Simatovic ou son coaccusé, Jovica Stanisic, dans les volets du procès de l’Affaire Milosevic consacrés à la Bosnie-Herzégovine et à la Croatie, une fois que :

i) l’Accusation aura eu la possibilité raisonnable d’obtenir le consentement des témoins qui ont déposé en bénéficiant d’une mesure de confidentialité dans l’Affaire Milosevic pour que leur témoignage soit divulgué à la Défense de Simatovic sous une forme non expurgée ; et

ii) si les témoins ne donnent pas leur consentement, l’Accusation aura expurgé les passages des témoignages et des pièces à conviction susceptibles de révéler l’identité de toute personne protégée, ou les passages portant sur une période autre que celle comprise entre le 1er avril 1991 et le 31 décembre 1995 ;

3) l’Accusation décidera, dans un délai raisonnable, si l’une quelconque des pièces confidentielles relève de l’article 70 du Règlement et, avant de la divulguer, elle contactera la personne ou l’entité l’ayant fournie afin d’obtenir son consentement  ; et

4) la Défense de Simatovic ne divulguera au public aucune pièce confidentielle ou non accessible au public provenant de l’Affaire Milosevic, qui lui aura été communiquée .

Aux fins de la présente Décision, par « public », on entend toutes les personnes physiques, États, organisations, entités, clients, associations et groupes, autres que les Juges du Tribunal international, le personnel du Greffe, le Procureur et ses représentants, ainsi que l’accusé et son équipe de la défense. Le « public » comprend également, sans s’y limiter, la famille, les amis et les relations des accusés, les accusés et les conseils de la Défense dans d’autres affaires ou actions devant le Tribunal international, les médias et les journalistes.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
___________
Richard May

Le 20 octobre 2003
La Haye (PaysBas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Requête, par. 10.
2 - Réponse, par. 2.
3 - Réponse, par. 2 et 20.
4 - Réponse, par. 23.
5 - Réponse, par. 10.
6 - Réponse, par. 17.
7 - « Décision relative à la Requête de Momcilo Gruban aux fins d’accéder à des pièces », Le Procureur c/ Kvocka et consorts, 13 janvier 2003, par. 5 citant l’« Ordonnance relative à la Requête de Pasko Ljubicic aux fins d'avoir accès à des documents confidentiels - pièces jointes, comptes rendus d'audience et pièces à conviction - dans l'affaire Kordic et Cerkez », Le Procureur c/ Kordic et Cerkez 19 juillet 2002, p. 4 ; « Décision relative à la Requête des appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d'appel, d'écritures et de comptes rendus d'audience confidentiels postérieurs à l'appel déposés dans l'affaire Le Procureur c/ Blaskic », Le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 14 ; et « Décision relative à la Requête de Mario Cerkez aux fins d'accéder à des pièces confidentielles », Le Procureur c/ Enver Hadzihasanovic et consorts, 10 octobre 2001, par. 10.
8 - La première conférence de mise en état dans l’Affaire Simatovic s’est tenue le 23 septembre 2003.
9 - L’Accusation a indiqué qu’elle entendait citer à comparaître dans l’Affaire Simatovic nombre des témoins protégés dans l’Affaire Milosevic. Voir la Requête, par. 17.