Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
11 janvier 2006

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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ORDONNANCE RELATIVE À LA DEMANDE DE MODIFICATION DES MESURES DE PROTECTION CONCERNANT L’ANNEXE CONFIDENTIELLE À LA DÉCISION RENDUE PAR LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE LE 13 DÉCEMBRE 2005

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Les Conseils commis d’office par la Chambre :

M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins

Les Conseils de Jovica Stanisic :

M. Geert-Jan Alexander Knoops
M. Wayne Jordash

L’Amicus Curiae :

M. Timothy McCormack

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

SAISIE de la demande de modification des mesures de protection concernant l’Annexe confidentielle à la Décision rendue par la Chambre de première instance le 13 décembre 2005, demande présentée en application de l’article 75 G) i) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement ») le 21 décembre 2005 (Request for Variance of Protective Measures with respect to Confidential Annex Filed with Trial Chamber’s Decision of 13 December 2005, la « Demande »), dans laquelle la Défense de Jovica Stanisic (le « Requérant ») soutient que les conditions requises pour pouvoir consulter des pièces confidentielles déposées dans d’autres affaires sont réunies et demande à prendre connaissance de l’Annexe confidentielle à la Décision relative à la demande de reprise limitée de l’exposé des moyens à charge concernant la Bosnie et le Kosovo rendue par la présente Chambre de première instance le 13 décembre 2005 (respectivement « l’Annexe confidentielle » et la « Décision »),

ATTENDU que ni l’Accusation ni la Défense n’ont déposé de réponse à la Demande,

ATTENDU qu’une partie a toujours le droit de demander à consulter des documents de toute origine susceptible de l’aider à préparer son dossier pour autant qu’elle les identifie, qu’elle en précise la nature générale, ou qu’elle justifie pour ce faire d’un but légitime juridiquement pertinent, et ATTENDU que la partie requérante peut obtenir communication de pièces confidentielles déposées dans une autre affaire si elle peut établir que celles-ci sont susceptibles de l’aider grandement dans la présentation de ses moyens1,

ATTENDU que la pertinence des pièces demandées peut être établie en rapportant la preuve de l’existence d’un lien entre l’affaire de la partie requérante et celle dans le cadre de laquelle ces pièces ont été présentées2, et donc, qu’il peut être fait droit à la demande d’accès si la partie requérante montre qu’il existe entre les affaires des « recoupements géographiques, temporels et matériels3 »,

ATTENDU que le Requérant avance deux arguments à l’appui de la Demande : premièrement, il fait valoir « qu’étant accusé d’avoir participé à une entreprise criminelle commune avec Slobodan Milosevic, la question de la responsabilité pénale de celui-ci [l’]intéresse directement »4 ; deuxièmement, il soutient que les « déclarations et pièces à conviction appréciées par la Chambre de première instance figurant sur la liste de pièces et de témoins présentée par l’Accusation dans l’affaire [stanisic], toute information concernant leur manque de valeur probante est de nature à le disculper au sens de l’article 685»,

ATTENDU que, comme il est clairement indiqué dans la Décision, la Chambre de première instance a apprécié la valeur probante des moyens de preuve proposés dans le cadre d’une demande de reprise de l’exposé principal des moyens à charge en tenant compte des circonstances propres à l’affaire Milosevic6,

ATTENDU en outre que l’article 68 du Règlement ne saurait s’appliquer à la Demande puisqu’il gouverne la communication par l’Accusation à la Défense des moyens de preuve à décharge et d’autres éléments,

ATTENDU cependant qu’il apparaît clairement que les deux affaires se recoupent sur le plan matériel, comme le montrent l’allégation selon laquelle le Requérant et l’accusé Slobodan Milosevic ont participé à une même entreprise criminelle commune7 mais aussi le fait que certains éléments de preuve ou témoins proposés que la Chambre de première instance a examinés pour statuer sur la demande de reprise de l’exposé des moyens à charge figurent sur les listes de pièces à conviction et de témoins présentée par l’Accusation en l’espèce8,

ATTENDU que le Requérant s’est engagé à « respecter toutes les mesures de protection ordonnées par la Chambre de première instance en ce qui concerne les pièces demandées9 »,

EN APPLICATION des articles 54 et 75 du Règlement,

FAIT DROIT À LA DEMANDE, ET ORDONNE QUE :

1) le Greffe donne copie au Requérant et/ou à son conseil de l’Annexe confidentielle ; et

2) le Requérant et son conseil s’abstiennent de communiquer cette pièce confidentielle au public, à moins que ce ne soit directement et tout particulièrement nécessaire pour la préparation et la présentation de la défense.

Aux fins de la présente ordonnance, le terme « public » s’entend de toute personne, État, organisation, entité, usager, association et groupe, à l’exclusion des juges du Tribunal international, des membres du Greffe et du Bureau du Procureur, du Requérant et de son équipe de la défense. Le terme « public » comprend également, sans s’y limiter, les membres de la famille, les amis et les relations du Requérant, les accusés et les conseils dans d’autres affaires portées ou actions engagées devant le Tribunal international, les médias et les journalistes.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
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Patrick Robinson

Le 11 janvier 2006
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Décision relative à la requête des appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d’appel, d’écritures et de comptes rendus d’audience confidentiels postérieurs à l’appel déposés dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 14.
2. Voir Ibidem, par. 15.
3. Voir Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-A, Décision relative à la requête de Hadžihasanovic, Alagic et Kubura aux fins d’accčs à des pièces jointes, des comptes rendus d’audience et des pièces à conviction confidentiels de l’affaire Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, 23 janvier 2003, p. 4.
4. Demande, par. 5.
5. Ibidem.
6.
Voir Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, affaire n° IT-02-54-T, Décision relative à la demande de reprise limitée de l’exposé des moyens à charge concernant la Bosnie et le Kosovo, 13 décembre 2005, par. 37 :

Le droit de l’accusé à un procès équitable et rapide étant inscrit dans le Statut, le Règlement et la jurisprudence du Tribunal, la Chambre estime que seule la force probante particulièrement grande des moyens de preuve proposés justifie la reprise, à titre exceptionnel et au prix d’un retard certain, de l’exposé principal des moyens à charge afin d’admettre des preuves, alors que le procès est déjà bien avancé puisqu’il s’est ouvert trois ans et demi avant que la Demande soit présentée. Dans les circonstances propres à la présente espèce, compte tenu notamment des modes de participation allégués dans les actes d’accusation et des nombreuses preuves des crimes sous-jacents déjà présentées par l’Accusation dans le cadre de l’exposé principal de ses moyens, la Chambre de première instance est d’avis que les preuves proposées doivent concerner de près la responsabilité pénale individuelle de l’Accusé pour que leur valeur probante soit jugée suffisante pour justifier une reprise de l’exposé des moyens de preuve. En outre, comme l’appréciation de la valeur probante est liée ici à une demande d’admission de nouveaux moyens de preuve, les éléments de preuve proposés qui font en grande partie double emploi avec les moyens de preuve déjà admis dans le cadre de l’exposé principal des moyens à charge ne sauraient justifier une reprise par l’Accusation de l’exposé de ses moyens. La valeur probante éventuelle de ces preuves ne pourrait en effet compenser le retard causé par leur admission.

(notes de bas de page non reproduites).

7. Voir Le Procureur c/ Stanisic et Simatovic, affaire n° IT-03-69-PT, Deuxième Acte d’accusation modifié, 20 décembre 2005, par. 12 ; Milosevic, Acte d’accusation modifié (Bosnie), 22 novembre 2002, par. 7.
8. Voir Stanisic et Simatovic, Decision on Prosecution Application for Leave to Amend Its Exhibit List and for Protective Measures, 11 mai 2005 ; Ibidem, Prosecution’s List of Witnesses Pursuant to Rule 65 ter E) ii), déposé à titre confidentiel le 9 juillet 2004.
9. Demande, par. 8.