Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 103

  1   Le mardi 15 décembre 2015

  2   [Jugement en appel]

  3   [Audience publique]

  4   [Les appelants sont introduits dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 59.

  6   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes

  7   présentes dans le prétoire.

  8   Madame la Greffière, veuillez citer l'affaire, s'il vous plaît.

  9   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président,

 10   Messieurs les Juges. Il s'agit de l'affaire IT-03-69-A, le Procureur contre

 11   Jovica Stanisic et Franko Simatovic.

 12   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.

 13   Puis, je vais demander la présentation des parties, s'il vous plaît,  Nous

 14   allons commencer par l'Accusation.

 15   Mme JARVIS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

 16   Juges. Michelle Jarvis, représentant de l'Accusation, accompagné de Mathias

 17   Marcussen, Barbara Goy, Grace Harbour. Notre commis à l'affaire aujourd'hui

 18   est Colin Nawrot. Je vous remercie.

 19   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.

 20   Du côté de la Défense, s'il vous plaît, le conseil de M. Stanisic.

 21   M. JORDASH : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

 22   Juges. Moi-même, Wayne Jordash, M. Scott Martin, Emmanuel Marchand,

 23   représentants M. Stanisic.

 24   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie.

 25   Et M. Simatovic.

 26   M. BAKRAC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, à toutes les

 27   personnes dans le prétoire. La Défense de M. Simatovic est représentée par

 28   Mihajlo Bakrac, M. Vladimir Petrovic, ainsi que Mme Melani Vranjas.


Page 104

  1   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Avant de poursuivre

  2   l'audience, je souhaite confirmer que les parties sont en mesure de suivre

  3   la procédure dans une langue qu'elles comprennent.

  4   Monsieur Stanisic, est-ce que vous pouvez suivre la procédure ?

  5   Je vais répéter : Monsieur Stanisic, êtes-vous en mesure de suivre la

  6   procédure ?

  7   Pouvez-vous confirmer que M. Stanisic est en mesure de suivre la

  8   procédure ?

  9   L'APPELANT STANISIC : [interprétation] Oui.

 10   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Et Monsieur Simatovic ?

 11   L'APPELANT SIMATOVIC : [interprétation] Oui.

 12   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] La Chambre d'appel est réunie

 13   aujourd'hui pour prononcer publiquement son arrêt dans l'affaire le

 14   Procureur contre Jovica Stanisic et Franco Simatovic, rendu le 9 décembre

 15   2015.

 16   Conformément à l'usage au Tribunal, je ne donnerai pas lecture du texte de

 17   l'arrêt à l'exception de son dispositif. Je résumerai les conclusions de la

 18   Chambre d'appel, le résumé qui suit ne fait pas partie de l'arrêt rendu

 19   officiellement par la Chambre d'appel qui fait foi, et dont le texte écrit

 20   sera distribué aux parties à la fin de la présente audience.

 21   Les faits à l'origine de la présente affaire ont eu lieu entre avril 1991

 22   et le 31 décembre 1995, dans la Région autonome serbe de la Krajina, ou SAO

 23   de Krajina, et la Région serbe autonome de Slavonie, de la Baranja et du

 24   Srem occidental, ou SAO SBSO en Croatie, et dans les municipalités de

 25   Bijeljina, Bosanski Samac, Doboj, Sanski Most, Trnovo et Zvornik en Bosnie-

 26   Herzégovine.

 27   Durant l'année 1991, M. Stanisic occupait les fonctions de directeur

 28   adjoint du service de la Sûreté de l'Etat, également connu comme le SDB, au


Page 105

  1   sein du ministère de l'Intérieur de la République de Serbie. Du 31 décembre

  2   1991 jusqu'en octobre 1998, il était le chef du SDB de Serbie.

  3   Franko Simatovic a commencé à travailler au deuxième bureau du SDB de

  4   Serbie à Belgrade à partir de décembre 1990 au moins. Le 29 avril 1992,

  5   Franko Simatovic a été nommé directeur adjoint du deuxième bureau du SDB de

  6   Serbie, a effet au 1er mai 1992. Le 12 mai 1993, Franko Simatovic a été

  7   nommé conseiller spécial au sein du SDB.

  8   L'Accusation reproche à Jovica Stanisic et à Franko Simatovic d'avoir

  9   commis des crimes dans les localités mentionnées précédemment en

 10   participant à une entreprise criminelle commune qui aurait vu le jour au

 11   plus tard en avril 1991 et se serait poursuivie jusqu'au 31 décembre 1995,

 12   au moins. L'objectif criminel commun allégué de cette entreprise criminelle

 13   commune était de chasser par la force et à jamais la majorité des non-

 14   Serbes, essentiellement des Croates et des Musulmans, et Croates de Bosnie,

 15   de vastes portions du territoire de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine.

 16   Selon l'acte d'accusation, cela supposait la commission de crime de meurtre

 17   et assassinat, en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre et

 18   crime contre l'humanité, et des crimes d'expulsion, autres actes inhumains

 19   (transfert forcé) et persécution au moyen d'assassinat, d'expulsion et

 20   d'autres actes inhumains (transfert forcé) en tant que crimes contre

 21   l'humanité.

 22   A titre subsidiaire, il est allégué dans l'acte d'accusation que l'objectif

 23   de l'entreprise criminelle commune supposait l'expulsion et le transfert

 24   forcé, tandis que les crimes de meurtre et assassinat, et de persécution

 25   étaient des conséquences de la réalisation de cet objectif que Jovica

 26   Stanisic et Franko Simatovic auraient pu raisonnablement prévoir.

 27   En outre, Jovica Stanisic et Franko Simatovic étaient accusés d'avoir

 28   planifié, ordonné et/ou de toutes autres manières, aider et encourager, à


Page 106

  1   planifier, préparer, et/ou à exécuter les crimes allégués dans l'acte

  2   d'accusation.

  3   La Chambre de première instance - composée des Juges Orie, Picard et

  4   Gwaunza - a conclu que nombre des crimes allégués dans l'acte d'accusation

  5   avaient effectivement été commis par diverses forces serbes dans les

  6   localités susmentionnées en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Cela étant,

  7   la Chambre de première instance, le Juge Picard étant en désaccord, a jugé

  8   que ni Jovica Stanisic ni Franko Simatovic n'étaient responsables de ces

  9   crimes pour avoir participé à l'entreprise criminelle commune dans la

 10   mesure où il n'avait pas été établi au-delà de tout doute raisonnable

 11   qu'ils étaient animés de l'intention requise pour participation à une

 12   entreprise criminelle commune.

 13   La Chambre de première instance a également conclu qu'il n'avait pas été

 14   établi au-delà de tout doute raisonnable que Jovica Stanisic et Franko

 15   Simatovic avaient planifié et/ou ordonné la commission de ces crimes. En

 16   outre, la Chambre de première instance, le Juge Picard étant en désaccord,

 17   a jugé que l'élément matériel de l'aide et l'encouragement n'avait pas été

 18   établi au-delà de tout doute raisonnable, et que ni Jovica Stanisic ni

 19   Franko Simatovic n'étaient donc responsables d'avoir aidé et encouragé la

 20   commission de ces crimes.

 21   Par conséquent, la Chambre de première instance, le Juge Picard étant en

 22   désaccord, a déclaré Jovica Stanisic et Franko Simatovic non coupables de

 23   tous les chefs d'accusation.

 24   L'Accusation a interjeté appel du jugement et a présenté trois moyens

 25   d'appel. La Chambre d'appel a entendu les arguments des parties le 6

 26   juillet 2015.

 27   Je me pencherai en premier sur le premier moyen d'appel. Par ce moyen

 28   d'appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre de première instance a


Page 107

  1   commis une erreur de droit et de fait en concluant que l'élément moral

  2   requis n'était pas établi pour ce qui concerne la participation de Jovica

  3   Stanisic et Franko Simatovic à une entreprise criminelle commune.

  4   L'Accusation fait valoir trois branches du moyen d'appel. L'Accusation

  5   décline ce moyen d'appel en trois branches.

  6   Par la branche A du premier moyen d'appel, l'Accusation fait valoir

  7   que la Chambre de première instance a commis une erreur de droit en ne se

  8   prononçant pas et/ou ne fournissant pas une opinion motivée sur les

  9   éléments essentiels de la responsabilité découlant de la participation à

 10   une entreprise criminelle commune, en particulier, l'existence d'un

 11   objectif criminel commun et la contribution de Jovica Stanisic et de Franko

 12   Simatovic à cet objectif.

 13   La Chambre d'appel fait observer qu'avant de formuler sa conclusion sur

 14   l'état d'esprit de Jovica Stanisic et de Franko Simatovic, la Chambre de

 15   première instance n'a pas déterminé si les composantes de l'élément

 16   matériel de la participation à une entreprise criminelle commune étaient

 17   réunies, à savoir l'existence d'un objectif criminel commun, l'existence

 18   d'une pluralité de personnes, et la contribution de Jovica Stanisic et de

 19   Franko Simatovic à cet objection criminel commun.

 20   La Chambre d'appel considère, le Juge Afande étant en désaccord, que

 21   dans les circonstances de l'espèce et pour les raisons exposées dans le

 22   jugement, la Chambre de première instance ne pouvait se prononcer sur

 23   l'état d'esprit de Jovica Stanisic et de Franko Simatovic dans le cadre de

 24   la participation à une entreprise criminelle commune et fournir une opinion

 25   motivée qu'après avoir établi l'existence et la portée d'un objection

 26   criminel commun partagé par une pluralité de personnes et après avoir

 27   examiné si, par leurs actes, Jovica Stanisic et Franko Simatovic avaient

 28   contribué à la réalisation de cet objection criminel commun. La Chambre de


Page 108

  1   première instance a donc commis une erreur de droit en ne se prononçant pas

  2   et en ne donnait pas d'opinion motivée sur les éléments essentiels de la

  3   participation à une entreprise criminelle commune. La Chambre d'appel, le

  4   Juge Afande étant en désaccord, fait droit à la branche A du moyen d'appel

  5   soulevé par l'Accusation.

  6   Compte tenu de sa conclusion relative à la branche A du premier moyen

  7   d'appel soulevé par l'Accusation, la Chambre d'appel, le Juge Afande étant

  8   en désaccord, n'a pas à examiner les arguments présentés par l'Accusation à

  9   l'appui des autres branches de ce moyen d'appel et les déclare sans objet.

 10   Je me pencherai à présent sur le deuxième moyen d'appel.

 11   Par ce moyen d'appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre de

 12   première instance a commis une erreur de droit et de fait en concluant que

 13   l'élément matériel de l'aide et l'encouragement n'était pas établi

 14   s'agissant de la conduite de Jovica Stanisic et de Franko Simatovic dans le

 15   cadre des crimes commis dans les municipalités de Bosanski Samac et Doboj

 16   en Bosnie-Herzégovine et dans la SAO de Krajina et qu'elle les a acquittés

 17   à tort pour ce qui concerne l'aide et l'encouragement dans le cadre de ces

 18   crimes.

 19   L'Accusation décline ce moyen en deux branches. Par la branche A du

 20   deuxième moyen d'appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre de première

 21   instance a commis une erreur de droit en exigeant que les actes du complice

 22   par aide et encouragement visent précisément à faciliter la commission d'un

 23   crime et que, si elle n'avait pas commis cette erreur, elle aurait conclu

 24   que Jovica Stanisic de Franko Simatovic avaient aidé et encouragé la

 25   commission des crimes dans ces localités.

 26   La Chambre d'appel rappelle que dans l'arrêt Sainovic et consorts,

 27   rendu après l'arrêt Perisic, elle a conclu que l'aide et l'encouragement

 28   n'exigent pas que l'aide apportée pour le complice vise précisément à


Page 109

  1   faciliter les crimes. Pour parvenir à cette conclusion, elle a

  2   soigneusement examiné la jurisprudence du Tribunal et du Tribunal pénal

  3   international pour le Rwanda, le TPIR, sur ce point et a examiné à nouveau

  4   les éléments constitutifs de l'aide et l'encouragement au regard du droit

  5   international coutumier.

  6   La Chambre d'appel a ensuite observé que, dans la jurisprudence du

  7   Tribunal et du TPIR, comme dans le droit international coutumier, l'aide et

  8   l'encouragement n'exigent pas que l'aide apportée par le complice vise

  9   précisément à faciliter les crimes. Par conséquent, la Chambre d'appel a

 10   rejeté l'approche suivie dans l'arrêt Perisic, selon laquelle pour établir

 11   l'élément matériel de l'aide et l'encouragement il faut que les actes

 12   commis visent précisément à la commission du crime, et elle a conclu que

 13   cette approche était "en contradiction totale et directe avec la

 14   jurisprudence dominante pour ce qui concerne l'élément matériel de l'aide

 15   et l'encouragement et avec le droit international coutumier."

 16   La Chambre d'appel a également rappelé que "en droit international

 17   coutumier, l'élément matériel de l'aide et l'encouragement consiste en une

 18   aide matérielle, des encouragements, ou un soutien moral qui ont un effet

 19   important sur la perpétration du crime," et que "l'élément moral nécessaire

 20   est le fait de savoir que ces actes aident à la perpétration du crime."

 21   Par la suite, dans l'arrêt Popovic et consorts, la Chambre d'appel a

 22   confirmé que "en droit international coutumier, le fait que l'aide apportée

 23   vise précisément à faciliter les crimes n'est pas un élément constitutif de

 24   la responsabilité pour aider et encouragement."

 25   Par conséquent, la Chambre d'appel, les Juges Agius et Afande étant

 26   en désaccord, conclut que la Chambre de première instance a commis une

 27   erreur de droit en exigeant que les actes du complice par aide et

 28   encouragement visent précisément à faciliter la commission du crime. La


Page 110

  1   Chambre d'appel, les Juges Agius et Afande étant en désaccord, font donc

  2   droit à la branche A du deuxième moyen d'appel.

  3   Compte tenu de sa conclusion relative à la branche A du deuxième

  4   moyen d'appel, la Chambre d'appel, les Juges Agius et Afande étant en

  5   désaccord, n'a pas à examiner les arguments de l'Accusation à l'appui de

  6   l'autre branche de ce moyen d'appel et les déclare sans objet.

  7   Je me pencherai à présent sur les conséquences des conclusions de la

  8   Chambre d'appel sur la branche A du premier moyen d'appel et la branche A

  9   du deuxième moyen d'appel.

 10   Compte tenu de l'erreur relative à la participation à une entreprise

 11   criminelle commune, l'Accusation demande à la Chambre d'appel, dans le

 12   cadre de la branche A de son premier moyen d'appel, d'affirmer les

 13   acquittements prononcés, d'appliquer aux preuves le critère juridique qui

 14   convient et de déclarer Jovica Stanisic et Franko Simatovic coupable au

 15   titre de l'article 7(1) du Statut de tous les chefs d'accusation pour avoir

 16   participé à l'entreprise criminelle commune alléguée.

 17   Compte tenu de l'erreur relative à l'aide et l'encouragement, l'Accusation

 18   demande à la Chambre d'appel dans le cadre de la branche A de son deuxième

 19   moyen d'appel, d'affirmer les acquittements prononcés, d'appliquer aux

 20   preuves le critère juridique qui convient, et de déclarer Jovica Stanisic

 21   et Franko Simatovic coupables au titre de l'article 7(1) du Statut de tous

 22   les chefs d'accusation pour voir aider et encourager la commission des

 23   crimes.

 24   A titre subsidiaire, s'agissant des deux erreurs, l'Accusation demande à la

 25   Chambre d'appel de "renvoyer l'affaire devant une Chambre du Tribunal afin

 26   qu'elle applique le critère juridique qui convient aux éléments de preuve

 27   versés au dossier de première instance et détermine la responsabilité de

 28   Jovica Stanisic et de Franko Simatovic eu égard aux allégations formulées


Page 111

  1   dans l'acte d'accusation."

  2   Au procès en appel, l'Accusation a précisé qu'il ne s'agirait pas d'un

  3   nouveau procès mais "d'un renvoi visant à se prononcer à nouveau sur des

  4   pièces déjà produites au procès en première instance."

  5   Franko Simatovic fait également valoir que si la Chambre d'appel conclut

  6   que l'appel interjeté par l'Accusation est fondé, elle devrait renvoyer

  7   l'affaire devant "une Chambre du Tribunal spécialement désignée afin que

  8   celle-ci réexamine l'affaire en appliquant le critère juridique qui

  9   convient."

 10   La Chambre d'appel rappelle que, conformément aux critères bien établis

 11   d'examen en appel, lorsqu'elle conclut à une erreur de droit dans le

 12   jugement en première instance découlant de l'application d'un critère

 13   juridique erroné, elle définit le critère juridique qui convient et

 14   réexamine les constatations correspondantes en conséquence.

 15   Compte tenu de la nature et de la portée des erreurs de droit identifiées

 16   par la Chambre d'appel dans le cadre des branches A du premier et du

 17   deuxième moyen d'appel, le Juge Agius étant en désaccord pour ce qui est de

 18   l'erreur relative à l'aide et l'encouragement, et le Juge Afande étant en

 19   désaccord pour ce qui est de l'erreur relative à la participation à une

 20   entreprise criminelle commune et de l'erreur relative à l'aide et

 21   l'encouragement, si la Chambre d'appel décidait d'examiner elle-même les

 22   constatations du jugement correspondantes en appliquant les critères

 23   juridiques qui conviennent, elle devrait d'abord se pencher sur l'erreur

 24   relative à la participation à une entreprise criminelle commune et tirer

 25   des conclusions concernant l'existence et la portée d'un objectif criminel

 26   commun partagé par une pluralité des personnes, puis apprécier la

 27   contribution apportée par Jovica Stanisic et Franko Simatovic et

 28   l'intention requise dans le cadre de la participation à une entreprise


Page 112

  1   criminelle commune. En fonction du résultat, la Chambre d'appel devrait

  2   alors peut-être se pencher sur l'erreur relative à l'aide et

  3   l'encouragement.

  4   Cependant, la Chambre d'appel, le Juge Afande étant en désaccord,

  5   estime qu'il serait inapproprié de mener cette analyse car la Chambre

  6   devrait alors pour déterminer si elle est elle-même convaincue quant aux

  7   conditions de la mise en œuvre de la responsabilité pour participer à une

  8   entreprise criminelle commune et, le cas échéant, de la responsabilité pour

  9   aide et encouragement, analyser l'entièreté du dossier sans avoir pu

 10   entendre directement les témoins. 

 11   En effet, les éléments de preuve sur lesquels l'Accusation s'appuie pour

 12   établir l'objectif criminel commun et l'élément moral requis pour la

 13   responsabilité pour participation à une entreprise criminelle commune ont

 14   un caractère indirect et il ne serait pas suffisant que la Chambre d'appel

 15   porte son attention sur un nombre limité d'éléments de preuve ou sur les

 16   conclusions figurant dans le jugement, qui ne sont pas représentatifs de

 17   l'intégralité des éléments de preuve ayant rapport avec l'objectif criminel

 18   commun ou la pluralité des personnes.

 19   A cet égard, la Chambre d'appel souligne également l'ampleur et la

 20   complexité de l'affaire, dont le dossier contient 4 843 pièces à conviction

 21   et les témoignages ou déclarations écrites de 133 témoins, qui couvrent de

 22   larges portions de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine sur une période

 23   de quatre ans et demie, d'avril 1991 au 31 décembre 1995, et se rapportent

 24   à de nombreux crimes visés au statut, à de nombreux groupes armés, et à

 25   diverses personnes haut placées qui auraient été membres de l'entreprise

 26   criminelle commune. Apprécier ce dossier dans son entièreté sans avoir

 27   entendu directement les témoins ne permettrait pas à la Chambre d'appel de

 28   déterminer avec équité et exactitude la responsabilité pénale de Jovica


Page 113

  1   Stanisic et de Franko Simatovic.

  2   A la lumière de ce qui précède, lorsqu'elle détermine ce qu'il convient de

  3   faire, la Chambre d'appel peut exercer le pouvoir d'appréciation dont elle

  4   dispose. Ce faisant, elle observe que, parmi les trois Juges de la Chambre

  5   de première instance initiale qui ont entendu directement les témoins au

  6   procès, deux ne sont plus en fonction au Tribunal. Il est donc impossible

  7   de renvoyer l'affaire devant la Chambre de première instance initiale dont

  8   les trois Juges auraient été les mieux placés pour tirer les conclusions

  9   qui s'imposent sur la base du dossier initial.

 10   Si l'affaire devait être renvoyée devant une Chambre de première instance

 11   nouvellement composée pour se prononcer sur la seule base du dossier

 12   initial, cette Chambre rencontrerait les mêmes difficultés que la Chambre

 13   d'appel du fait qu'elle n'aurait pas entendu directement les témoins.

 14   En conséquence, et rappelant qu'un procès en appel n'est pas un

 15   procès de nouveau, la Chambre d'appel, le Juge Afande étant en désaccord,

 16   conclut que dans cette affaire les circonstances requerrant un nouveau

 17   jugement en application de l'article 117(C) du Règlement existent. La

 18   Chambre d'appel, le Juge Afande étant en désaccord, ordonne un nouveau

 19   procès de Jovica Stanisic et Franko Simatovic pour tous les chefs

 20   d'accusation.

 21   Enfin, si la nouvelle Chambre de première instance devait examiner la

 22   responsabilité de M. Stanisic et de M. Simatovic pour avoir aidé et

 23   encouragé les crimes, la Chambre d'appel, le Juge Agius et le Juge Afande

 24   étant en désaccord, lui donne instruction d'appliquer, s'agissant de la

 25   responsabilité pour aide et encouragement, les critères juridiques qui

 26   conviennent, exposés plus haut, lesquels n'exigent que les actes de celui

 27   qui aide et encourage visent précisément à faciliter la commission d'un

 28   crime.


Page 114

  1   Ayant fait droit aux branches 1(A) et 2(A) des moyens d'appel de

  2   l'Accusation, ayant ordonné un nouveau procès, la Chambre d'appel, le Juge

  3   Agius et le Juge Afande étant en désaccord, n'a pas à examiner le troisième

  4   moyen d'appel soulevé par l'Accusation et le déclare sans objet.

  5   Je vais à présent donner lecture du dispositif de l'arrêt de la Chambre

  6   d'appel.

  7   Monsieur Stanisic et Monsieur Simatovic, veuillez vous lever.

  8   Par ces motifs, la Chambre d'appel :

  9   En application de l'article 25 du Statut et des articles 117 et 118

 10   du Règlement;

 11   Ayant examiné les écritures des parties et leurs exposés présentés

 12   pendant le procès en appel qui s'est tenu le 6 juillet 2015;

 13   Siégeant en audience publique;

 14   Fait droit, le Juge Afande en désaccord, à la branche A du premier

 15   moyen d'appel de l'Accusation; et annule, le Juge Afande étant en

 16   désaccord, la décision par laquelle la Chambre de première instance a

 17   conclu pour tous les chefs d'accusation que Jovica Stanisic et Franko

 18   Simatovic n'étaient pas coupables d'avoir commis, en participant à une

 19   entreprise criminelle commune, le crime de meurtre, une violation des lois

 20   ou coutumes de la guerre, et les crimes qui sont l'assassinat, l'expulsion

 21   et les autres actes inhumains (transfert forcé) et les persécutions des

 22   crimes contre l'humanité.

 23   Fait droit, le Juge Agius et le Juge Afande étant en désaccord, à la

 24   branche A du deuxième moyen d'appel de l'Accusation; et annule, le Juge

 25   Agius et le Juge Afande étant en désaccord, la décision par laquelle la

 26   Chambre de première instance a conclu pour tous les chefs d'accusation

 27   Jovica Stanisic et Franko Simatovic n'étaient pas coupables d'avoir aidé et

 28   encouragé le crime de meurtre, une violation des lois ou coutumes de la


Page 115

  1   guerre, et les crimes que sont l'assassinat, l'expulsion, les autres actes

  2   inhumains (transfert forcé) et les persécutions, des crimes contre

  3   l'humanité;

  4   Ordonne, le Juge Afande étant en désaccord, en conformité avec

  5   l'article 117(C) du Règlement, un nouveau procès de Jovica Stanisic et

  6   Franko Simatovic, pour tous les chefs d'accusation;

  7   Ordonne, le Juge Agius et le Juge Afande étant en désaccord, à la

  8   Chambre de première instance qui sera composée pour le nouveau procès, si

  9   elle devait examiner la responsabilité pour aide et encouragement,

 10   d'appliquer sur ce point les critères juridiques qui conviennent, établis

 11   dans le présent arrêt, et qui n'exigent pas que les actes de celui qui aide

 12   et encourage visent précisément à faciliter la commission des crimes;

 13   Rejette pour le surplus les moyens d'appel de l'Accusation;

 14   En application des articles 64, 107 et 118 du Règlement;

 15   Ordonne, le Juge Afande étant en désaccord, la mise en détention

 16   préventive de Jovica Stanisic et de Franko Simatovic et enjoint, le Juge

 17   Afande étant en désaccord, au commandant du quartier pénitentiaire des

 18   Nations Unies à La Haye de les maintenir en détention jusqu'à nouvel ordre.

 19   Le Juge Carmel Agius joint une opinion séparée et partiellement

 20   dissidente;

 21   Le Juge Koffi Kumelio A. Afande joint une opinion dissidente.

 22   Monsieur Stanisic et Monsieur Simatovic, vous pouvez vous rasseoir.

 23   Des exemplaires de l'arrêt seront distribués aux parties à l'issue de cette

 24   audience.

 25   Avant de conclure, je voudrais remercier tous ceux qui ont assisté la

 26   Chambre d'appel tout au long de cette affaire.

 27   L'audience de la Chambre d'appel du Tribunal pénal international pour l'ex-

 28   Yougoslavie est levée.


Page 116

  1   --- L'audience est levée à 15 heures 31.

  2  

  3  

  4  

  5  

  6  

  7  

  8  

  9  

 10  

 11  

 12  

 13  

 14  

 15  

 16  

 17  

 18  

 19  

 20  

 21  

 22  

 23  

 24  

 25  

 26  

 27  

 28