Affaire n° : IT-96-23/2-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I

Composée comme suit :
M. le Juge Daqun Liu, Président
M. le Juge Amin el Mahdi
M. le Juge Alphons Orie

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
21 septembre 2005

LE PROCUREUR

c/

GOJKO JANKOVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE PRESENTÉE PAR GOJKO JANKOVIC

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Le Bureau du Procureur :

Mme Hildegard Uertz-Retzlaff

Le Conseil de l’Accusé :

M. Aleksandar Lazarevic

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’exYougoslavie depuis  1991 (le « Tribunal »),

VU la demande assortie de ses annexes I à III (Defence Application for Provisional Release of the Accused Gojko Jankovic with Annexes I to III)1 déposée le 30 juin 2005 (la « Demande »), par laquelle la défense de Gojko Jankovic (la « Défense » et l’« Accusé ») prie la Chambre de première instance d’ordonner la mise en liberté provisoire de l’Accusé, étant donné qu’il remplit les conditions posées à l’article 65 B) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement  ») pour en bénéficier,

VU la réponse (Prosecution’s Response to the Defence Application for Provisional Release of the Accused Gojko Jankovic with Annexes I to III) déposée le 8 juillet 2005 (la « Réponse »), par laquelle l’Accusation s’oppose à la Demande au motif que l’Accusé ne s’acquitte pas des obligations que lui impose l’article 65 B) du Règlement, et ne démontre pas que, s’il est libéré, il comparaîtra et ne mettra pas en danger une victime ou un témoin,

ATTENDU que l’article 65 B) du Règlement établit un double critère selon lequel la mise en liberté provisoire [ne] peut être ordonnée par la Chambre de première instance SqueC pour autant qu’elle ait la certitude que l’Accusé comparaîtra et, s’il est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne  ; et que la Chambre peut subordonner la mise en liberté provisoire « aux conditions qu’elle juge appropriées, y compris la mise en place d’un cautionnement, et, le cas échéant, l’observation de conditions nécessaires pour garantir la présence de l’accusé au procès et la protection d’autrui. »,

VU la jurisprudence constante du Tribunal concernant l’article 65 B) du Règlement et notamment le fait que les demandes de mise en liberté provisoire doivent être tranchées en fonction des circonstances de l’espèce,

ATTENDU que la Défense soutient à l’appui de sa Demande :

a) que, d’une part, rien ne permet de penser que l’Accusé, s’il est libéré, ne comparaîtra pas, et que, d’autre part, l’Accusé a déposé une garantie personnelle (Annexe I) par laquelle il s’engage à respecter toute condition imposée par la Chambre2,

b) que l’Accusé s’est livré volontairement au Tribunal en mars 20053,

c) que les autorités de la Republika Srpska ont garanti que l’Accusé comparaîtrait au procès (annexes II et III)4,

d) que rien n’indique que l’Accusé, s’il est libéré, mettra en danger des victimes ou des témoins, dont l’Accusé ignore le nom et l’endroit où ils se trouvent5,

e) que plusieurs facteurs militent en faveur d’une mise en liberté provisoire, notamment le fait que l’Accusé occupe un rang subalterne, que la préparation de la défense serait facilitée par la présence de l’Accusé en Bosnie-Herzégovine, et que l’ouverture du procès en l’espèce n’est pas prévue avant plusieurs mois6,

ATTENDU que l’Accusation s’oppose à la Demande en invoquant les arguments suivants :

a) la reddition de l’Accusé au Tribunal en mars 2005, soit près de neuf ans aprés la confirmation de l’acte d’accusation établi contre lui, loin d’être volontaire, était la conséquence de pressions nationales et internationales exercées sur les autorités de la Republika Srpska pour qu’elles arrêtent les criminels de guerre en fuite7,

b) la garantie offerte par les autorités de la Republika Srpska, selon laquelle l’Accusé comparaîtra au procès et ne prendra pas la fuite n’a pas un poids suffisant étant donné que la Serbie-et-Monténégro entend prochainement naturaliser l’Accusé, ce qui augmente le risque de fuite en Serbie-et-Monténégro8  ; or si l’Accusé devait prendre la fuite une fois libéré, il n’est pas certain que les autorités de la Republika Srpska soient en mesure de l’arrêter, à supposer qu’elles y soient disposées9,

c) le fait que l’Accusé s’oppose vigoureusement au renvoi de son affaire en application de l’article 11 bis du Règlement peut l’encourager à tenter de prendre la fuite10,

d) les garanties offertes, et notamment celle que présente l’Accusé, n’établissent pas expressément que, si l’affaire était renvoyée devant les juridictions nationales (l’Accusé ne relèverait donc plus de la compétence du Tribunal), il se livrerait auxdites juridictions11,

e) si l’Accusé était libéré, il existerait encore un danger pour les victimes et les témoins, lesquels sont particulièrement vulnérables en l’espèce12,

f) rien ne permet de penser que la préparation de la défense serait compromise par le fait que l’Accusé – il faut le rappeler – n’est en détention préventive que depuis relativement peu de temps13,

ATTENDU que la Chambre est convaincue que les arguments présentés par les parties l’éclairent suffisamment sur la question et que, dès lors, une audience n’est pas nécessaire,

ATTENDU que, s’agissant de la question de savoir si l’Accusé comparaîtra, la Chambre note que rien n’indique clairement que la reddition de l’Accusé au Tribunal ait été volontaire, comme il le soutient ; et que ladite reddition est intervenue à une époque où des pressions nationales et internationales étaient exercées sur les autorités de la Republika Srpska pour qu’elles arrêtent les criminels de guerre en fuite,

ATTENDU en outre que l’Accusé a démontré pendant près de neuf ans son aptitude à échapper à toute arrestation, que sa fuite risque d’être facilitée par le fait que les autorités de Serbie-et-Monténégro sont sur le point de le naturaliser, et que lesdites autorités n’ont pas garanti de procéder à son arrestation en cas la fuite – deux facteurs qui augmentent aussi bien le risque de fuite que les chances de réussite d’un tel projet,

ATTENDU par ailleurs que, à supposer que l’Accusé soit libéré et que son affaire soit ensuite renvoyée aux autorités nationales, rien ne permet de conclure de la position de l’Accusé, qui s’oppose vigoureusement au renvoi de son affaire aux autorités de Bosnie-Herzégovine, ni des garanties offertes par les autorités de la Republika Srpska14, que l’Accusé comparaîtra devant une juridiction nationale,

ATTENDU enfin que, s’il est libéré, rien n’indique clairement que l’Accusé soit disposé à être jugé par les autorités nationales de Bosnie-Herzégovine dans l’éventualité où l’affaire leur serait renvoyée,

ATTENDU que la Chambre, après examen de tous les facteurs pertinents, n’est pas convaincue que l’Accusé, s’il est libéré, comparaîtra,

ATTENDU que l’Accusé ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 65 B) du Règlement,

EN APPLICATION de l’article 65 du Règlement,

REJETTE la Demande.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 21 septembre 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance I
___________
Daqun Liu

[Sceau du Tribunal]


1 - Les trois annexes jointes sont : Annexe I, garantie personnelle de Jankovic, datée du 20 juin 2005 ; Annexe II, décision des autorités de la Republika Srpska autorisant la délivrance de garanties, datée du 31 mars 2005 ; et Annexe III, garanties offertes par les autorités de la Républika Sprska, datées du 31 mars 2005.
2 - Demande, par. 6 à 8.
3 - Demande, par. 9.
4 - Demande, par. 9 à 11.
5 - Demande, par. 12 à 14.
6 - Demande, par. 16 à 21.
7 - Réponse, par. 13.
8 - Réponse, par. 14 à 16.
9 - Réponse, par. 18.
10 - Réponse, par. 17.
11 - Réponse, par. 19.
12 - Réponse, par. 22.
13 - Réponse, par. 23 et 24.
14 - Les autorités indiquent à la page 8 de l’annexe III que « le Gouvernement se conformera aux priorités du Tribunal international de la Haye concernant toute procédure en cours ou à venir engagée en Bosnie-Herzégovine contre l’Accusé ».