Affaire n° : IT-01-42-PT
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président

M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Alphons Orie

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
28 mai 2003

LE PROCUREUR

c/

PAVLE STRUGAR
MIODRAG JOKIC
VLADIMIR KOVACEVIC

_________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA TROISIÈME EXCEPTION PRÉJUDICIELLE SOULEVÉE PAR LA DÉFENSE

_________________________________

Le Bureau du Procureur :

Mme Susan Somers

Les Conseils de l’Accusé :

M. Goran Rodic
M. Zarko Nikolic

 

1. Le 17 mars 2003, la présente Chambre de première instance (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »), a rendu sa « Décision relative à l’acte d’accusation modifié et à la requête aux fins d’autorisation de modifier ledit acte » (la « décision de mars »), faisant droit à la requête de l’Accusation et - après avoir examiné les conclusions de la Défense pour Pavle Strugar et pour Miodrag Jokic - ordonnant à l’Accusation d’apporter trois autres modifications avant de déposer un nouvel acte d’accusation, qui serait considéré comme l’acte d’accusation modifié, ce que l’Accusation a fait le 31 mars 20031.

2. La décision de mars a mis un terme au deuxième tour de plaidoiries concernant l’acte d’accusation, le premier s’étant clos par une décision en juin 20022.

3. Le 21 avril 2003, la Défense de Pavle Strugar a ouvert un troisième tour en déposant sa troisième exception préjudicielle (« Defence Third Preliminary Motion ») (l’« Exception préjudicielle »), qui a fait l’objet d’une réponse de la part de l’Accusation (la « Réponse »)3, ayant donné lieu à une réplique de la Défense4, laquelle a entraîné une duplique de l’Accusation5. En dépit du caractère abusif d’une bonne part de ces échanges, la Chambre va brièvement examiner les réclamations de la Défense dans le but de définitivement clore la question .

4. Selon la Défense, l’Accusation n’a pas correctement intégré les trois modifications ordonnées par la Chambre dans la décision de mars. En particulier, la responsabilité de Pavle Strugar en application de l’article 7 du Statut du Tribunal n’a pas été suffisamment expliquée6, la troisième annexe revue et corrigée de l’acte d’accusation modifié ne décrit pas de façon suffisamment détaillée les unités militaires censées s’être trouvées sous le commandement de l’Accusé7, et la nouvelle version de la quatrième annexe, qui énumère les édifices civils qui auraient été endommagés ou détruits par les forces placées sous le commandement de l’Accusé, n’a pas sa place dans un acte d’accusation car elle constitue un « élément de preuve »8.

5. Dans sa décision de mars, la Chambre a relevé que l’Accusation « n’a[vait] pas encore indiqué clairement sur quelles dispositions de l’article 7 1) du Statut elle se fond[ait] », et l’a enjoint « de définir plus précisément sa position quant à la participation alléguée [de l’Accusé] aux crimes »9. En réponse, l’Accusation a restreint le sens de « commis » pour exclure l’hypothèse que l’Accusé ait commis lui-même l’un des crimes présumés (de ses propres mains, pour ainsi dire), et a supprimé le mot « incité » comme forme de responsabilité présumée10. Dans la mesure où l’Accusation a l’intention de prouver les formes de responsabilité qui restent mentionnées dans l’acte d’accusation modifié, elle est en droit de les invoquer.

6. Dans sa décision de mars, la Chambre demandait en deuxième lieu que la troisième annexe soit formulée de manière plus précise « parce qu’elle ne comportSaitC pas toutes les catégories d’unités qui, selon l’acte d'accusation modifié, auraient été placées sous le commandement [de l’Accusé] »11. L’Accusation a donné suite à cette demande en éliminant les disparités manifestes entre la troisième annexe et l’acte d’accusation lui-même, et en rendant l’ensemble plus précis, de manière à ce que toutes les catégories d’unités y apparaissent, même si toutes les unités ne sont pas nommées12. De l’avis de la Chambre, cette écriture donne suffisamment d’informations à l’Accusé sur le dossier qui est constitué à son encontre.

7. La troisième modification ordonnée dans la décision de mars répondait à la demande de la Défense visant à ce que l’Accusation soit invitée à préciser, lorsque cela était possible, les édifices consacrés à la bienfaisance, à l’enseignement, aux arts et aux sciences ainsi que les monuments historiques, les œuvres d’art et les œuvres de caractère scientifique censés avoir été délibérément détruits ou endommagés13. La nouvelle version de la quatrième annexe jointe à l’acte d’accusation modifié est conforme aux instructions données par la Chambre. La Chambre note que même si la liste est longue, elle ne vise pas à être exhaustive (ainsi qu’il est précisé au paragraphe 32 de l’acte d’accusation modifié) de sorte que, si elle ne cite pas certains bâtiments auxquels il est fait référence dans l’acte d’accusation lui-même, cela ne constitue pas une irrégularité, comme le soutient la Défense14. La critique de la Défense selon laquelle la quatrième annexe tente d’inclure un élément de preuve est incompréhensible15.

8. Puisque l’Accusation reconnaît que certaines indications ont été fortuitement omises de certaines parties de la quatrième annexe16, elle devrait les fournir, mais plutôt que déposer à nouveau toute l’annexe, elle devrait seulement verser au dossier les versions corrigées des quatre pages mentionnées à la note de bas de page 7 de l’Exception préjudicielle, et toute autre page nécessitant d’être corrigée.

9. En résumé, la Chambre estime que l’exécution par l’Accusation des mesures qu’elle avait ordonnées dans sa décision de mars ne donne lieu à aucune critique.

10. Les autres réclamations formulées par la Défense dans son Exception préjudicielle, qui ne concernent pas l’exécution des trois mesures ordonnées, sont non seulement dénuées de fondement17 mais tardives 18, et sont, par la présente, rejetées. La Chambre aimerait aviser la Défense de Pavle Strugar de s’abstenir de lui soumettre des écritures qui ne répondent pas aux normes de sérieux escompté.

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 72 et 46 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal,

LA CHAMBRE,

REJETTE l’Exception préjudicielle.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
__________
Juge Liu Daqun

Le 28 mai 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - « Écritures présentées par l’Accusation en application de la décision de la Chambre de première instance du 17 mars 2003 ».
2 - Voir la « Décision relative à l’exception préjudicielle de la Défense pour vice de forme de l’acte d’accusation », déposée le 28 juin 2002.
3 - Prosecution’s Response to the Accused Strugar’s Third Preliminary Motion on the Form of the Indictment, déposée le 6 mai 2003.
4 - Déposée le 13 mai 2003.
5 - Déposée le 14 mai 2003.
6 - Exception préjudicielle, par. 14 à 19.
7 - Id., par. 22 à 27.
8 - Id., par. 28 à 34.
9 - Décision de mars, par. 8.
10 - Voir les paragraphes 12, 18, 25, 28 et 35 de l’acte d’accusation modifié.
11 - Décision de mars, par. 16.
12 - Voir par. 16 et Annexe III de l’acte d’accusation modifié.
13 - Décision de mars, par. 28.
14 - Exception préjudicielle, par. 31.
15 - Id., par. 33 et 34.
16 - Réponse, par. 12.
17 - En particulier, la remarque aux paragraphes 43 et 44 de l’Exception préjudicielle est tout simplement abusive ; et la réponse à la critique émise aux paragraphes 37 à 42 relève du truisme, ainsi que l’Accusation l’a fait observer (Réponse, par. 9 à 11).
18 - Voir, par exemple, Le Procureur c/ Krnojelac, Affaire n° IT-97-25-PT, « Décision relative à l’exception préjudicielle pour vices de forme de l’acte d’accusation modifié », rendue le 11 février 2000, par. 15 ; Le Procureur c/ Ljubicic, Affaire n° IT-00-41-PT, « Décision relative à l’exception préjudicielle de la Défense fondée sur des vices de forme de l’acte d’accusation modifié », rendue le 13 décembre 2002, par. 14 ; et Le Procureur c/ Blagojevic et consorts, Affaire n° IT-02-60-PT, « Décision relative aux exceptions préjudicielles pour vices de forme de l’acte d’accusation conjoint modifié », rendue le 2 août 2002/sic/, par. 2 (autorisant le dépôt d’exceptions préjudicielles).