Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-94-1-A-R77

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Lundi 31 Janvier 2000

4 L'audience est ouverte à 10 heures 05.

5 M. le Président (interprétation). - La Chambre d'appel entame

6 l'audience. Monsieur le Greffier, pourriez-vous citer l'affaire ?

7 M. Dubuisson. - Affaire IT-94-1-A-R77, le Procureur contre

8 Dusko Tadic dans une matière concernant des allégations à l'encontre du

9 conseil précédent.

10 M. le Président (interprétation). - Les parties se présentent-

11 elles dans la même composition qu'auparavant ? Y a-t-il la moindre

12 modification ? Apparemment pas.

13 Maître Domazet n'est pas présent à l'audience aujourd'hui. Vous,

14 vous êtes présent Monsieur Vujin.

15 Monsieur Tadic, vous m'entendez ? Oui, vous m'entendez

16 apparemment.

17 La Chambre d'appel du Tribunal international tient aujourd'hui

18 audience afin de prononcer son arrêt dans une procédure connexe à la

19 présente affaire.

20 Il s'agit d'allégations d'outrage au Tribunal, allégations

21 portées contre un précédent conseil de Dusko Tadic, à savoir

22 Me Milan Vujin de Belgrade. Ces deux personnes sont dans le prétoire

23 aujourd'hui. L'arrêt rendu par la Chambre d'appel est unanime.

24 Avant de prononcer un certain nombre de déclarations au sujet de

25 cette affaire, je souhaite signaler que la Chambre d'appel, aujourd'hui,

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1 ne compte que quatre de ses membres, puisque le Juge Cassese ne peut être

2 avec nous aujourd'hui.

3 Le vice-Président du Tribunal international, Mme le Juge Mumba,

4 en l'absence du Président du Tribunal, a autorisé la Chambre d'appel à

5 prononcer son arrêt en l'absence de l'un de ses membres, et ceci en

6 application de l'article 15 bis (D) du Règlement de procédure et de

7 preuve. Une ordonnance a été déposée dans ce sens aujourd'hui même.

8 Je fais observer que M. le Juge Cassese a entendu tous les

9 éléments de preuve dans cette affaire. Il a pleinement participé aux

10 délibérations, ainsi qu'à l'examen des allégations et il a également

11 participé à la formation de l'arrêt de la Chambre d'appel.

12 Des copies de l'arrêt, par écrit, seront distribuées par le

13 Greffe aux parties, y compris les parties concernées, et ceci sera fait à

14 la fin de cette audience.

15 Conformément à la pratique de ce Tribunal, je ne vais que donner

16 une introduction au sujet des faits que nous examinons aujourd'hui, et je

17 me contenterai de donner lecture du dispositif de cet arrêt. Je ne lirai

18 pas l'arrêt dans son intégralité.

19 Je voudrais stipuler dès le départ que cet arrêt est présenté

20 dans le texte qui sera distribué ultérieurement et que la déclaration que

21 je vais prononcer ne constitue pas l'arrêt de la Chambre d'appel.

22 Les allégations découlent de la conduite qui aurait été celle de

23 M. Vujin alors qu'il était commis d'office par le Tribunal international,

24 au début de l'appel dans cette affaire, à partir de la mi 1997 jusqu'à la

25 révocation de cette commission d'office à la demande de Dusko Tadic en

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1 novembre 1998.

2 C'est à la fin 1998 que la Chambre d'appel a eu connaissance

3 pour la première fois de ces allégations. Le 10 février 1999, la Chambre

4 d'appel a rendu une ordonnance portant calendrier demandant à M. Vujin de

5 répondre à des allégations, des allégations selon lesquelles il avait

6 sciemment et délibérément essayé d'influencer l'administration de la

7 justice dans cette affaire.

8 Cette ordonnance portait en annexe des exemplaires des copies

9 des déclarations sur la base desquelles avaient été formées ces

10 allégations. Dusko Tadic et le Bureau du Procureur ont obtenu autorisation

11 de comparaître en tant que parties concernées par cette procédure. La

12 Chambre d'appel a entendu un grand nombre de témoins dans cette affaire.

13 Et, en raison de circonstances qui sont largement indépendantes de sa

14 volonté, ces audiences ont eu lieu entre mars et novembre 1999.

15 La Chambre d'appel, elle-même, a entendu un nombre de témoins

16 qui ont témoigné au sujet des événements en relation avec les

17 déclarations. Et ces témoins ont compris notamment M. Dusko Tadic et son

18 avocat commis d'office pendant son procès, M. Wladimiroff.

19 Monsieur Vujin, lui-même, a appelé un total de huit témoins pour

20 sa défense et il a lui-même déposé à la fin de l'affaire.

21 En application de l'article 79 du Règlement de procédure et de

22 preuve, la plupart des témoins ont été entendus à huis clos, ceci afin

23 d'assurer la protection de certains témoins qui étaient préoccupés par la

24 possibilité de représailles contre eux-mêmes et contre leur famille.

25 Les ordonnances portant mesures de protection stipulaient que

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1 les comptes rendus d'audience de ces dépositions faites à huis clos

2 pourraient être rendus publics une fois que des expurgations auraient été

3 faites ; ceci afin de protéger l'identité des personnes concernées.

4 Dans le cadre de cet arrêt, nous stipulons notamment que ces

5 témoignages et que les preuves documentaires qui les sous-tendent pourront

6 être mentionnés publiquement dans le mesure où cela permet de rendre

7 l'arrêt de la Chambre d'appel plus compréhensible.

8 Pendant ces audiences, nous avons entendu des témoins et des

9 témoignages qui n'avaient pas un rapport direct avec les allégations

10 d'outrage au Tribunal stipulées dans l'ordonnance portant calendrier, mais

11 qui avaient rapport avec des faits qui étaient évoqués dans les

12 déclarations des témoins. Maître Vujin a, à tout moment, été conscient des

13 faits qui lui étaient reprochés.

14 Les éléments de preuve admis par la Chambre d'appel portent sur

15 le comportement qui est reproché à Me Vujin et qui ont été regroupés de

16 façon suivante :

17 (1) Il est soumis que certaines déclarations ont été soumises à

18 la Chambre d'appel à l'appui d'une requête en fait de l'admission

19 d'éléments de preuve supplémentaires en appel, application en vertu de

20 l'article 115 du Règlement, alors que M. Vujin savait parfaitement que

21 ceci était faux ;

22 (i) et aussi du poids de la valeur probante attribué aux

23 déclarations faites par un certain Mlado Radic, une personne mise en

24 accusation par le Tribunal ;

25 (ii) Et s'agissant de la responsabilité qu'aurait un autre

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1 accusé, Goran Borovnica, pour le meurtre de deux policiers dont le meurtre

2 a été reproché à Dusko Tadic.

3 (2) Manipulation des témoins proposés :

4 (i) En essayant d'éviter qu'une identification de ces personnes

5 ait lieu alors qu'elles pourraient être tenues responsables des crimes

6 imputés à Dusko Tadic ;

7 (ii) Le fait d'avoir persuadé certaines personnes, ces

8 personnes-là, de mentir ou ne pas dire la vérité au moment où elles

9 faisaient des déclarations à cet égard.

10 (3) Troisième accusation, le fait d'avoir subordonné un témoin

11 afin qu'il mente ou ne manifeste pas la vérité.

12 La première allégation découle des éléments fournis à l'appui de

13 la requête en vertu de l'article 115.

14 Il y avait parmi ces documents deux déclarations de Mlado Radic,

15 qui est accusé par ce Tribunal, mais dont l'accusation relève d'un autre

16 acte d'accusation.

17 La première de ces déclarations affirmait que cette déclaration

18 avait été fournie peu de temps avant l'arrestation de M. Mlado Radic et

19 qu'elle avait été fournie directement à Me Vujin en personne.

20 La deuxième déclaration confirmait la première.

21 Il a été établi à la satisfaction de la Chambre d'appel que la

22 première déclaration dont nous parlons a été faite par M. Mlado Radic

23 après son arrestation, que cette déclaration a été fournie au quartier

24 pénitentiaire des Nations Unies à La Haye, et que Me Vujin à l'époque

25 n'était pas présent.

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1 La Chambre d'appel est également convaincue du fait que M. Vujin

2 était au courant des circonstances réelles qui avaient présidé au recueil

3 de cette déclaration, et qu'il l'avait soumise dans l'intention que cette

4 déclaration soit interprétée dans le sens qu'il souhaitait.

5 La Chambre d'appel conclut que M. Vujin a soumis des éléments,

6 des moyens de preuve à l'encontre de cette déclaration dont il savait

7 qu'ils étaient faux ou falsifiés pour des aspects importants et

8 significatifs de cette question.

9 Dans la présentation qu'il a faite à l'appui de la requête, en

10 vertu de l'article 115, Me Vujin a souligné l'importance du fait qu'un des

11 témoins de la défense au procès avait témoigné et avait dit qu'il avait

12 assisté au meurtre des deux policiers, et que ceux-ci avaient été tués non

13 pas par Dusko Tadic mais par un autre accusé, Goran Borovnica, qui

14 apparemment est mort depuis. Les éléments de preuves fournies nous ont

15 convaincus, nous, Chambre d'appel, de ce que M. Vujin était au courant du

16 fait que ce témoin déposant à l'audience s'était rétracté, était revenu

17 sur ses déclarations et que, s’agissant de la procédure d’appel, ce témoin

18 affirmait désormais que le meurtrier était une autre personne, une

19 personne différente.

20 La Chambre d'appel conclut que Me Vujin a soumis une thèse de

21 défense, à l'encontre de cette déclaration de ce témoin dont il savait

22 qu'elle était fausse, pour ce qui est de certains de ses aspects

23 significatifs.

24 La deuxième allégation porte sur une allégation de manipulation

25 des témoins proposés, et se base sur des affirmations selon lesquelles

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1 certains témoins avaient reçu des instructions de la part de Me Vujin afin

2 de ne pas nommer certaines personnes qui auraient pu être impliquées dans

3 les événements pour lesquels M. Dusko Tadic a été convaincu, et que

4 certains témoins avaient reçu pour instructions de répondre à des

5 questions, alors qu'ils faisaient l’objet d'une audition par d'autres

6 conseils, qu'ils devaient suivre les indications données de la tête par

7 M. Vujin, lequel était présent, alors que la plupart des déclarations

8 étaient recueillies.

9 Les éléments de preuve circonstanciés relatifs à ces affaires

10 sont repris dans l'arrêt, mais je ne vais pas les reprendre.

11 Pour les raisons énoncées dans l’arrêt, la Chambre d'appel est

12 convaincue que les allégations s'agissant d'une éventuelle manipulation de

13 témoins qui se serait faite par une tentative d’empêcher que certains noms

14 soient prononcés au moment des auditions ont été établies.

15 La Chambre estime, par contre, que les allégations portant sur

16 d’éventuelles instructions données aux témoins pour qu’ils répondent dans

17 un sens ou dans un autre, après des signes de la tête donnés par Me Vujin,

18 n’ont pas été établies.

19 La troisième allégation est la suivante : des tentatives de

20 subordination auraient été faites de la part de M. Vujin afin que le

21 témoin mente ou ne dise pas la vérité. Il aurait donné 100 marks

22 allemands, l’équivalent d'un salaire d'un mois, après que le témoin eût

23 donné sa déclaration, qui n'a pas identifié les autres auteurs éventuels

24 du crime, qui a été reproché à Dusko Tadic mais qu’il n'a pas payé

25 d'argent supplémentaire après ladite audition faite en présence du co-

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1 conseil, au cours de laquelle il a nommé un des autres auteurs éventuels.

2 Maître Vujin ne nie pas avoir donné de l'argent au témoin B mais il

3 affirme que cet argent a été donné à ce témoin afin de donner un peu

4 d'aide à cet homme qui se trouvait dans des circonstances émotives,

5 affectives et financière difficiles.

6 Un collègue de Me Vujin, un confrère de Me Vujin a également

7 déposé pour dire qu'une deuxième somme avait été versée à ce témoin B par

8 la suite, mais sans qu’il y ait aucun rapport avec l'audition que ce

9 témoin B avait fournie. La Chambre d'appel estime qu'il n'y a pas eu

10 outrage s'agissant de cette allégation.

11 Certaines des allégations d'outrage ayant été ainsi prouvées, il

12 est nécessaire maintenant d’envisager une autre sanction. La Chambre

13 d'appel estime que c’est ici un cas grave d'outrage. Les tribunaux et les

14 cours de justice doivent pouvoir faire confiance aux avocats qui

15 comparaissent devant elles et croire que ceux-ci agissent avec intégrité.

16 Les avocats bénéficient de divers privilèges par le droit, privilèges dont

17 il ne s'agit pas d'abuser. La conduite affichée par Me Vujin, en l'espèce,

18 touche au coeur même du système pénal. La pénalité maximale prévue par

19 l'article 77 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal, à

20 l'époque, pour ce qui était de l'outrage, envisageait un emprisonnement ne

21 dépassant pas six mois ou une peine de 20 000 florins ou les deux

22 sanctions possibles.

23 La Chambre d’appel s’est ainsi demandé si une peine

24 d'emprisonnement pouvait s'imposer, mais elle a décidé que cela ne serait

25 pas approprié en l'espèce. Néanmoins, il est important d'imposer une

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1 amende considérable, étant donné le but recherché par la sanction à

2 imposer.

3 D'autres conséquences peuvent d'écouler de cette constatation

4 d'outrage, conséquences que la Chambre d'appel doit prendre en compte en

5 vertu du droit que régit ce Tribunal.

6 Le Greffe du Tribunal garde une liste d’avocats qui sont prêts à

7 être commis d’office, si des suspects ou accusés se trouvent indigents.

8 Maître Vujin fait partie de cette liste, de l'avis de la Chambre

9 d'appel, le Greffe a compétence générale pour radier de la liste des

10 conseils commis d'office toute personne qui se serait rendue coupable

11 d'erreur professionnelle grave, et de notifier un tel comportement aux

12 organes professionnels compétents. Des instructions ont été données au

13 Greffe afin que ce dernier envisage de rayer le nom de Me Vujin de la

14 liste, et de signifier son comportement à l’organisme professionnel

15 compétent.

16 La Chambre d'appel a déterminé quelle était la sanction à

17 imposer, et le Greffe en tiendra compte. Je vais vous donner lecture du

18 dispositif de l’arrêt de la Chambre d'appel. Le voici :

19 Par ces motifs, la Chambre d'appel, à l'unanimité, conclut que

20 Me Vujin, que M. Milan Vugin, est coupable d'outrage au Tribunal.

21 Deuxièmement, le condamne à une peine de 15 000 florins à payer

22 dans un délai de 21 jours au Greffe du Tribunal, ou à un moment qui lui

23 sera autorisé suite à une requête déposée par l'intimé devant la Chambre

24 d'appel ;

25 (3) Donne pour instruction au Greffe de ce Tribunal d'envisager

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1 la radiation de la liste des avocats commis d'office, liste tenue par

2 Mme le Greffier, conformément à l’article 45 du Règlement du Tribunal et

3 ordonne aussi que le comportement de l'intimé soit signifié à l’organe

4 professionnel dont il fait partie ;

5 (4) Ordonne que des copies des documents suivants soient rendus

6 publics après expurgation conformément aux ordonnances de protection des

7 témoins :

8 (i) La décision, suite à la requête de l'accusation, aux fins

9 d’obtention d'ordonnances, suite au harcèlement et à l'intimidation de

10 témoins potentiels, en date du 4 novembre 1998, ainsi que les écritures

11 respectives des parties ;

12 (i) L’ordonnance portant calendrier, s'agissant des allégations

13 à l’encontre d’un conseil précédent, en date du 10 février 1999, mais sans

14 les déclarations versées en annexe ;

15 (5) Ordonne que les éléments relevant des dépositions et des

16 témoignages entendus et des documents établis au cours de toute audience à

17 huis clos soient rendus publics dans la mesure du possible.

18 Je vais demander au Greffe de fournir des copies de l’arrêt à

19 M Vujin et aux parties concernées.

20 (Le Greffe s'exécute.)

21 M. le Président (interprétation). - L'audience de la Chambre

22 d’appel est ainsi terminée. L'audience est levée.

23 L'audience est levée à 10 heures 25.

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