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1 LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL Affaire IT-94-1-T
2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE
3 Vendredi, le 24 mai 1996
4 (L'audience est ouverte à 10 heures 00)
5 (Audience à huis clos)
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24 M. LE PRESIDENT (interprétation). - Eh bien, nous pouvons ouvrir la
25 séance publique.
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1 LE PRESIDENT : M. Tieger, vous étiez en train d’interroger M. Semenovic.
2 M. TIEGER : Oui, Madame le Président.
3 Rappel de M. MEVLUDIN SEMENOVIC
4 Poursuite de l’interrogatoire par M. Tieger
5 LE PRESIDENT : M. Semenovic, vous savez que vous êtes toujours sous
6 serment, n’est-ce-pas ?
7 LE TEMOIN [interprétation] : Oui.
8 LE PRESIDENT : M. Tieger, vous pouvez commencer.
9 M. TIEGER : Merci, Madame le Président. (Au témoin) : Bonjour, M.
10 Semenovic.
11 R. : Bonjour.
12 Q. : Avant l’ajournement d’hier, vous avez témoigné sur les mesures
13 imposées aux communautés musulmanes et croates à Prijedor après la
14 prise de pouvoir militaire. Est-ce que les membres du SDA ont tenté
15 de rencontrer les dirigeants du coup d’état ?
16 R. : Oui, nous avons essayé à plusieurs occasions et à divers niveaux. Le
17 président du parti a essayé, tout comme certains membres du Comité
18 directeur, ainsi que certaines institutions des communes locales. La
19 dernière tentative réussie fut une entente d’avoir une réunion entre
20 les dirigeants du SDS et du SDA. Cette réunion a eu lieu soit le 15,
21 soit le 16 avril.
22 Q. : M. Semenovic ----
23 R. : C’est en mai, je suis désolé, mai. La réunion a eu lieu dans les
24 bureaux du SDS. Il était difficile d’aller à la réunion parce que
25 les territoires où vivait la population non serbe étaient
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1 complètement bloqués, mais le passage était assuré aux points de
2 contrôle serbes par téléphone. Le SDS veillait à ce que les gens
3 puissent se rendre à la réunion. J’étais à la réunion.
4 Q. : M. Semenovic, quand vous dites «la dernière tentative réussie»,
5 entendiez-vous par réussie le fait que vous ayez pu organiser une
6 réunion ?
7 R. : Oui, la réussite fut de demander au SDS de parler et ils ont accepté.
8 Q. : Les responsables du SDA se sont-ils réunis avant la réunion pour
9 discuter de certaines choses ?
10 R. : Une partie de la direction a réussi à se réunir, mais il fut
11 impossible à l’ensemble de la direction de se réunir, parce que le
12 mouvement était entravé, voire impossible à certains endroits. Donc,
13 seuls quelques membres de la direction ont assisté à la réunion
14 mais, bien sûr, après la reconnaissance verbale du président du
15 parti et d’autres membres du Comité directeur.
16 Q. : Avez-vous réussi à entrer au siège du SDA avant cette réunion ?
17 R. : Non, nous n’avons pas réussi. Quand nous sommes arrivés à Prijedor,
18 je venais de Kozarac où j’habitais, c’est-à-dire de Trnopolje à
19 Kozarac, puis certains d’entre nous de la direction du parti, nous
20 avons réussi à nous rendre aux bureaux du parti. Nous avons essayé
21 d’entrer, mais la serrure avait été changée. C’était au début de
22 l’après-midi, vers 14 heures.
23 La clé que nous avions ne permettait plus d’ouvrir la porte. Après
24 avoir frappé à la porte plusieurs fois, une femme qui était
25 auparavant femme de ménage à cet endroit, elle était femme de ménage
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1 d’un des services municipaux au premier étage, elle a dit qu’il ne
2 nous était pas possible d’entrer. Il n’y avait rien d’autre que nous
3 puissions chercher là et elle allait appeler la police.
4 Après plusieurs tentatives, nous avons abandonné cette idée, puis
5 nous nous sommes dirigés vers les bureaux du SDS qui, à l’époque,
6 étaient au rez-de-chaussée de l’immeuble voisin. Tandis que nous
7 nous rendions des bureaux du SDA aux bureaux du SDS, la police est
8 arrivée. Il y avait quatre policiers. Deux policiers nous ont
9 demandé notre carte d’identité.
10 Q. : Après avoir présenté votre carte d’identité aux policiers, avez-vous
11 pu rentrer au siège du SDS et rencontrer les responsables du SDS ?
12 R. : Quand ils ont vérifié nos papiers, certains dirigeants du SDA étaient
13 contre ces vérifications d’identité, parce que, jusqu’à récemment,
14 ils étaient fonctionnaires à l’Assemblée municipale, mais la police
15 a protesté.
16 Au bout de quelques mètres de marche en compagnie des policiers,
17 nous sommes arrivés en face de l’immeuble des bureaux du SDS. Le
18 Président s’y trouvait et nous avons dit qu’il ne servait à rien que
19 la police nous contrôle, et il a répondu : «Nous pourrions laisser
20 tomber.» Il a dit alors : «Laissez tomber tout cela.»
21 Q. : Quels responsables du SDA se trouvaient à la réunion ?
22 R. : Quand nous sommes arrivés aux bureaux, M. Simo Miskovic était là,
23 M. Slobodan Kuruzovic, puis Dragan Kurnoga, une jeune femme qui
24 travaillait là auparavant comme employée, et comme délégation du
25 SDA, il y avait le professeur Ilijaz Music, M. Meho Terzic, M. Becir
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1 Medunjanin, M. Islam Bahonjic, M. Mustafa Tadzic et moi-même.
2 Q. : Est-ce que la réunion a commencé immédiatement ?
3 R. : Non. Non, nous voulions commencer à discuter tout de suite, parce que
4 nous avions une impression très désagréable, surtout parce que la
5 police nous a demandé notre carte d’identité et que nous n’étions
6 pas sûrs que nous pourrions revenir de la réunion. Mais ils ont
7 insisté pour que nous attendions quelque temps. Puis, M. Miskovic a
8 téléphoné à la caserne. Il a dit qu’il avait parlé avec MM. Arsic et
9 Zeljaja, les commandants, et il a dit que ceux du SDA étaient
10 arrivés et que, qu’ils pouvaient venir. Il les a invités à venir là.
11 Nous attendions et la réunion n’a pas commencé avant que les
12 officiers n’arrivent. Quand les officiers sont apparus à la porte et
13 quand ils se sont assis, Miskovic a dit : «Eh bien, maintenant, nous
14 pouvons commencer la réunion.»
15 Q. : Le colonel Arsic et le commandant Zeljaja étaient membres de l’armée
16 nationale yougoslave ?
17 R. : Oui.
18 Q. : Quand la réunion a commencé, qu’est-ce que les dirigeants du SDA ont
19 dit à la délégation du SDS ?
20 R. : Pour nous, il était très difficile de commencer la réunion dans une
21 telle atmosphère, parce qu’ils plaisantaient sans arrêt depuis le
22 début, ils riaient beaucoup. Ils ont dit d’abord que nous devrions
23 boire quelque chose. M. Arsic a pris la réserve. Puis, il en a
24 offert à tout le monde et il a commencé à plaisanter parce que
25 certains des dirigeants du SDA ne buvaient pas d’alcool. Puis, ils
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1 ont commandé du café. Ils ont dit : «Ils boivent du café turc.»
2 Ils ont dit à la fille de le faire puis de nous l’offrir et, après
3 quelque temps, le professeur Music fut le premier à prendre la
4 parole. Il parlait d’une situation difficile, de la peur que
5 ressentaient les gens, de la manière dont les gens étaient renvoyés
6 -- renvoyés de leur travail, qu’il faudrait faire quelque chose, que
7 le SDA et les Musulmans bosniaques ou toute autre personne de
8 nationalité autre que serbe ne provoquait pas ce comportement des
9 autorités du SDS, et que nous devrions nous entendre sur la manière
10 de résoudre cette situation.
11 Q. : Est-ce qu’un autre dirigeant du SDA a parlé ?
12 R. : Oui, M. Medunjanin a parlé en tant que représentant de Kozarac. J’ai
13 également parlé mais, pendant que nous parlions, nous étions souvent
14 interrompus. On nous disait sans arrêt, on nous disait que nous
15 essayions de commencer une guerre. Pour nous, c’était une situation
16 très difficile, presque impossible parce que, dans ces moments-là,
17 vous ne savez vraiment pas comment discuter.
18 Certains d’entre eux ont élaboré leur thèse pendant 10 à 15 minutes
19 environ, puis ils faisaient une proposition, et cette proposition
20 était enfin expliquée par Slobodan Kuruzovic. Puis, pour la dernière
21 fois, ils ont répété quelque chose qui avait été proposé de
22 nombreuses fois, que les dirigeants du SDS et du SDA devraient
23 prendre un autobus et aller au front en République de Croatie, parce
24 qu’ils voulaient nous convaincre de ce que signifiait la guerre,
25 quel genre de souffrance et de destruction une guerre entraîne, afin
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1 que nous changions de politique par la suite.
2 Pour nous, ce n’était ni clair, ni logique, parce que nous étions
3 dans des positions tout à fait différentes. Ils avaient toute la
4 force militaire et les gens armés. Nous n’avions rien, si ce n’est
5 nos opinions politiques et le fait que nous nous battions pour notre
6 propre sécurité et pour notre pays.
7 Q. : Qu’a dit M. Medunjanin aux dirigeants du SDS quand il a parlé ?
8 R. : Pendant ces longues discussions, M. Zeljaja a dit à un moment donné
9 que les Musulmans devraient rendre leurs armes, qu’aucune discussion
10 ne pourrait avoir lieu autrement, qu’ils devaient désarmer les
11 prétendus bérets verts parce que presque tous les Musulmans étaient
12 armés. Voilà ce qu’il a dit.
13 A un moment donné, M. Medunjanin a dit : «Eh bien, croyez-vous
14 vraiment que nous avons des armes ?» Le commandant Zeljaja lui a
15 répondu : «Ici, j’ai mon agent du service des renseignements avec
16 moi» et il a montré du doigt une personne qu’aucun d’entre nous ne
17 connaissait. Je ne crois pas qu’il était de Prijedor. Il a dit :
18 «Nous avons toute l’information, non seulement que vous êtes armés,
19 mais que vous avez un très grand nombre d’armes, non pas 1 000 ou
20 2 000 fusils, Kozarac a environ 7 000 canons. Quand vous rendrez
21 7 000 canons, Messieurs, alors, nous pourrons parler.»
22 Q. : Est ce que le commandant Zeljaja a indiqué ce qu’il ferait si les 7
23 000 armes n’étaient pas rendues au SDS ?
24 R. : Oui. Après avoir dit cela, M. Medunjanin a demandé à parler, puis M.
25 Tadzic. Ils ont dit qu’il était impossible de rendre 7 000 fusils
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1 quand il n’y en avait même pas 1 000. Il a dit : «Nous avons de
2 l’information et vous, Messieurs, n’essayez pas de jouer avec nous.
3 Le corps d’armée de Banja Luka est le plus fort d’Europe. Nous avons
4 des chars, des canons, des avions, nous avons des missiles sol-sol.
5 Nous avons 30 000 soldats. Quand vous rendrez ces armes, alors nous
6 pourrons parler. A part cela, à Kozarac il devrait y avoir un
7 drapeau serbe et une police serbe».
8 Q. : Est-ce que quelqu’un a indiqué que des gens au sein de la communauté
9 serbe faisaient monter la pression pour avoir un drapeau serbe et
10 une police serbe à Kozarac ?
11 R. : A un moment donné, Simo Miskovic, j’ai eu l’impression qu’il tentait
12 d’expliquer pourquoi ils avaient une déclaration aussi véhémente. A
13 un moment, il a dit : «Nous ne pourrons pas contenir nos extrémistes
14 pendant longtemps. Ils ne peuvent pas voir ce drapeau de la Bosnie-
15 Herzégovine à Kozarac. Ils vont faire quelque chose de mal.»
16 Q. : Est-ce que le SDA a proposé des mesures pour réduire la tension ou
17 modérer la situation ?
18 R. : Nous avons cherché un moyen avant cela, à ce moment-là, d’essayer
19 d’empêcher les menaces de se concrétiser d’une manière quelconque,
20 les menaces venant du SDS. Nous n’avons pas réussi à les convaincre
21 qu’il n’y avait pas 7 000 fusils à Kozarac. Ils ne voulaient plus en
22 parler. Ils ont dit que c’était cela. Puis, nous avons essayé de
23 suggérer qu’à ces endroits où ils croyaient que la population serbe
24 pourrait être dans une situation précaire ou que les installations
25 qu’utilisait l’armée pourraient être mises en danger, que nous
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1 devrions former une unité mixte pour que la Défense territoriale, la
2 police et l’armée et qu’alors, ces forces mixtes devraient contrôler
3 la route qui traverse Kozarac et la route partant de Kozarac le long
4 des sorties de Banja Luka/Prijedor, et à d’autres endroits où ils
5 croyaient que la population serbe craignait le danger mais ils ont
6 même refusé d’y réfléchir.
7 Ils ont refusé automatiquement. Ils ont dit : «Rendez les armes. Il
8 n’y a pas d’autre discussion sans cela». A la fin, M. Medunjanin a
9 dit : «Messieurs, comment croyez-vous que nous puissions rendre 7
10 000 fusils quand il n’y en a pas tant que cela ?» et ils nous ont
11 dit : «C’est votre problème.»
12 Q. : Outre son insistance sur la puissance des forces militaires serbes,
13 est-ce que Zeljaja a indiqué précisément ce qu’il ferait de ces
14 forces si l’ultimatum n’était pas respecté ?
15 R. : Oui. Il a dit qu’«à moins que le drapeau serbe ne soit à Kozarac et
16 la police serbe à Kozarac, je raserai complètement Kozarac». C’était
17 vers la fin de la réunion et il l’a répété trois fois, et nous avons
18 alors tout compris. A un moment donné, je me suis senti très mal et
19 je me suis levé pour demander un verre d’eau à un ancien collègue
20 avec qui j’avais l’habitude de prendre souvent un verre avant cela,
21 de Dragan Kurnoga, et Simo Miskovic était alors au téléphone, et
22 j’ai remarqué un détail intéressant qui confirmait qu’ils ne
23 renonceraient pas à leurs intentions, qu’ils essaieraient seulement
24 de recourir à la force.
25 Un fax venait d’arriver et la fille qui travaillait là le montrait à
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1 Miskovic. J’étais à un mètre d’eux environ, et j’ai vu que c’était
2 une liste de médicaments. Il y avait une liste d’un, deux, trois,
3 environ 25 médicaments, je crois, avec ces expressions médicales et,
4 à la fin, il y avait des bandages. Il lui a dit de, lui a dit de
5 téléphoner immédiatement et d’envoyer un fax, parce qu’ils
6 demandaient beaucoup plus et que ce qui avait été envoyé était
7 insuffisant. Il a dit : «Nous aurons besoin de beaucoup plus de
8 ceci; faxez-le.»
9 Je suis revenu, me suis assis et, à la fin, vers la toute fin de la
10 réunion, M. Medunjanin a dit : «D’accord, je vais informer les gens
11 à Kozarac de votre position et les gens décideront s’ils accepteront
12 le drapeau serbe et la police serbe, comme vous avez dit. Tout ce
13 que je peux faire, c’est de garantir que les Musulmans bosniaques ne
14 vous provoqueront pas à prendre quelque mesure que ce soit, que vous
15 n’avez aucune raison de craindre quoi que ce soit, et que nous
16 sommes ouverts à tout type d’entente.» Ce fut la fin de la réunion.
17 Q. : M. Semenovic, le fax que vous avez vu avec une liste de médicaments
18 et de bandages, avez-vous pu voir d’où il venait ?
19 R. : Non, non, je n’ai pas pu. C’était trop loin, je ne pouvais pas voir
20 cela, mais la femme ou la jeune femme qui s’occupait du fax et du
21 téléphone avait dit : «Il y a un fax de Belgrade». Elle a répété :
22 «Un fax est arrivé de Belgrade.» Pendant cette brève discussion
23 pendant que j’attendais que Dragan me verse de l’eau, en attendant,
24 j’ai entendu que, et je me demandais un peu pourquoi des médicaments
25 de Belgrade. Je n’étais pas tout à fait sûr, mais je savais qu’il y
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1 avait une sérieuse pénurie de médicaments dans l’ensemble de la
2 Bosnie-Herzégovine. Cela durait déjà depuis plusieurs mois, en
3 raison de certaines mesures du gouvernement fédéral, il fallait
4 payer les médicaments.
5 Q. : Vous avez mentionné le rejet par les dirigeants serbes de la
6 proposition voulant que des patrouilles mixtes soient formées pour
7 réduire les incidents éventuels. Savez-vous si oui ou non certaines
8 patrouilles mixtes ont été formées, néanmoins ?
9 R. : Des patrouilles mixtes ont été formées avant cela. C’était notre
10 proposition et nous nous sommes battus pour sa mise en oeuvre
11 pendant environ un mois, en fait, pendant deux ou trois mois; à
12 certains endroits, nous avons réussi à le faire, dans certaines
13 communes locales, et certains Serbes nous ont avoué qu’ils avaient
14 dû se retirer de ces patrouilles mixtes parce que les autorités du
15 parti, le SDS, les menaçaient et leur disaient que cela n’était pas
16 nécessaire, que chacun devrait se défendre lui-même. Après cette
17 réunion, il n’y avait plus de communication entre le SDS et le SDA.
18 Il était tout simplement impossible de former quelque patrouille
19 mixte que ce soit.
20 Q. : M. Semenovic, vers le moment où le commandant Zeljaja menaçait de
21 raser complètement Kozarac à moins qu’elle ne rende des armes
22 qu’elle n’avait pas, est-ce que les dirigeants musulmans de la
23 communauté musulmane ont commencé à craindre qu’en fait, une attaque
24 était imminente ?
25 R. : Oui, oui.
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1 Q. : Est-ce que la communauté musulmane avait une force armée organisée à
2 ce moment-là ?
3 R. : Non.
4 Q. : Avez-vous tenté de faire des préparatifs pour l’attaque ?
5 R. : Nous disposions d’une semaine. Tout était clair, comme du cristal.
6 Nos chances étaient très minces et ce que nous tentions de faire, la
7 seule manière de le faire consistait à l’organiser par la voie
8 d’agences licites, légitimes qui existaient en temps de paix, telles
9 que la police de réserve de la Défense territoriale, et un plus
10 petit nombre de policiers qui étaient expulsés par les autorités
11 serbes quand elles ont pris le pouvoir. C’étaient des agences
12 licites et légitimes, et la seule solution était d’essayer
13 d’étendre, d’établir la Défense territoriale à Kozarac, d’amener
14 autant de gens que possible et d’organiser une forme quelconque de
15 défense si les Serbes décidaient vraiment d’utiliser la force armée
16 qui était à leur disposition.
17 Q. : Cela devait-il être organisé selon les dispositions de la loi
18 existante dans le cadre de la structure de la Bosnie-Herzégovine ?
19 R. : Oui, exclusivement selon les lois existantes.
20 Q. : Est-ce que les communes locales ont alors tenté de préparer une liste
21 des hommes disponibles qui pourraient servir dans une telle force
22 organisée ?
23 R. : Oui.
24 Q. : Comment cela s’est fait ?
25 R. : Le commandant de la Défense territoriale avait des listes de membres
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1 de la Défense territoriale mais c’était un nombre symbolique de
2 gens, et il fallut donc l’augmenter. Puis, les autorités locales se
3 sont réunies et il fut convenu qu’en raison des circonstances
4 extraordinaires et c’est ainsi que cela devrait se faire selon la
5 loi, d’augmenter la Défense territoriale. Mais alors, la question
6 des registres a été soulevée, c’est-à-dire les listes de citoyens
7 qui étaient dans les communes locales, comme les listes des
8 électeurs et d’autres listes des recensements de population. Puis,
9 le quartier général de la Défense territoriale à Kozarac s’est servi
10 de ces listes et les a ensuite augmentées, mais il fallait que ce
11 soit bien sûr vérifié sur le terrain, parce qu’il n’y avait pas de
12 coercition, il n’y avait pas de contrainte. Le seul principe était
13 le principe du volontariat.
14 Puis, des jeunes gens, qui avaient assez de temps et qui pouvaient
15 aller d’une maison à l’autre, ont été envoyés avec ces listes, les
16 gens qui voulaient entrer dans la Défense territoriale devaient
17 signer leur nom. S’ils avaient des armes, on leur demandait aussi
18 d’indiquer quel type d’armes ils avaient et s’ils l’avaient reçu de
19 quelqu’un. C’était distribué en fonction d’ordres de la Défense
20 territoriale dans une région, c’est-à-dire même les armes qui leur
21 étaient données par quelqu’un devaient également être enregistrées.
22 Quelques jours avant la guerre dans toutes les communes locales où
23 cela était possible, il y avait des gens qui allaient d’une
24 habitation à une autre et qui faisaient ce recensement et c’est
25 ainsi que la liste a été dressée.
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1 Q. : Donc, comme il n’y avait pas de force militaire organisée, il a fallu
2 d’abord dresser une liste à partir des dossiers de recensement et
3 des listes d’inscription des électeurs ?
4 R. : Oui. Oui. Oui.
5 Q. : Ainsi que des dossiers existants de la Défense territoriale qui
6 comprenaient certains noms ?
7 R. : Oui.
8 Q. : Vers quel moment cette liste a-t-elle été préparée et envoyée à la
9 Défense territoriale à Kozarac ?
10 R. : Je ne saurais pas exactement, parce que je n’y ai pas participé
11 directement, mais je sais quand j’ai signé mon nom sur la liste.
12 J’ai apposé ma signature environ quatre ou cinq jours avant
13 l’attaque organisée par les Serbes.
14 M. TIEGER : Madame le Président, puis-je avoir la pièce à conviction D6 ?
15 (la pièce à conviction D6 est transmise au témoin) M. Semenovic,
16 pouvez-vous examiner rapidement ce document et le parcourir et
17 ensuite, en particulier, passer à la page A1/7 ?
18 R. : A1/7. Oui.
19 Q. : D’abord, reconnaissez-vous ce qu’est ce document ?
20 R. : Il y a les listes que nos gars ont fait circuler, d’une habitation à
21 une autre et, pour ceux qui l’acceptaient, de signer et s’ils
22 avaient des armes, alors, aussi de les inscrire au dossier, et voici
23 mon nom, 106, et je m’en souviens.
24 Q. : Puis-je vous demander de passer aussi à la page A1/92 ?
25 M. KAY : Pour aider la Cour, je sais que cela peut aussi apparaître à
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1 l’écran de l’ordinateur, si vous n’avez pas, Madame et Messieurs, la
2 pièce devant vous.
3 M. TIEGER : Nous proposons de faire ceci tout de suite avec l’aide de
4 Mme Sutherland. Pouvez-vous placer A1/92, oui, merci. (Au témoin) :
5 M. Semenovic, reconnaissez-vous ces documents ?
6 R. : Oui. Oui, je les reconnais. Ce sont des sommations préparées d’après
7 ces listes au quartier général de la Défense territoriale à Kozarac.
8 Q. : Est-ce une sommation en vertu de la loi existante de la République de
9 Bosnie-Herzégovine ?
10 R. : Oui, oui.
11 Q. : Puis-je vous demander de revenir encore une fois à la page A1/7 et
12 est-ce votre nom qui figure au no 106 ?
13 R. : Oui.
14 Q. : C’est la signature que vous avez mentionnée précédemment que vous
15 avez faite environ trois jours avant l’attaque serbe ?
16 R. : Oui, c’est ma signature.
17 Q. : A-t-on pu former la force de la défense organisée qui était prévue ?
18 R. : Non.
19 Q. : Pourquoi ?
20 R. : Pour commencer, il n’y avait pas assez d’armes pour quelque
21 organisation, pour quelque organisation appropriée, parce que le
22 territoire de Kozarac est très grand, et il n’y avait pas de gens
23 qualifiés et formés qui pouvaient l’organiser comme il fallait. Il
24 n’y avait que trois ou quatre personnes qui avaient certaines
25 connaissances militaires. Tous les autres étaient des gens
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1 ordinaires, des civils, et il fallait le faire avec très, très peu
2 d’armes et en seulement quelques jours afin de s’opposer, de
3 résister à la force avec le potentiel militaire inconcevable qui
4 était déjà déployé aux alentours. Une grande partie des armes qui
5 figurent ici sur les listes étaient faites manuellement, ou il y
6 avait quelques pistolets de l’époque turque ou des fusils de chasse.
7 Par exemple, je me souviens que, dans les environs de la maison où
8 je vivais, à plusieurs postes de sentinelle en direction des voies
9 ferrées et des piscicultures, c’était la direction d’où nous nous
10 attendions à ce que l’attaque d’infanterie soit lancée, les
11 sentinelles étaient de jeunes garçons, étaient de jeunes hommes, qui
12 n’étaient pas armés de quoi que ce soit. Ils n’avaient pas de fusil,
13 la plupart d’entre eux, pas même ces pistolets, mais ils avaient
14 toujours une bouteille d’essence avec un chiffon dedans, avec un
15 morceau de tissu à l’intérieur, et c’était la seule chose qu’ils
16 avaient avec eux à utiliser pendant qu’ils étaient de garde, à
17 utiliser pendant la garde de nuit.
18 Ils ne savaient même pas comment faire cela, ce que vous appelez un
19 cocktail Molotov. Ils versaient simplement l’essence de la voiture
20 dans des bouteilles et c’était comme cela qu’ils faisaient. Il n’y
21 avait tout simplement pas de temps, pas d’armes, pas de gens formés,
22 pas de professionnels, pas d’officiers de l’armée, qui pouvaient
23 l’organiser, malheureusement.
24 Q. : J’aimerais vous demander de regarder certaines de ces inscriptions.
25 En revenant une fois de plus à la page A1/7. L’information contenue
Page 1502
1 ici consiste dans les noms des gens qui ont été abordés et dans
2 toutes les armes qu’ils pouvaient posséder ?
3 R. : Oui, oui. Oui, chaque homme sur cette liste a été abordé
4 personnellement, c’est-à-dire qu’ils sont allés chez eux et ils ont
5 signé ceci de leur propre gré, bien sûr s’ils voulaient le faire.
6 Nous voyons ici que deux n’ont pas voulu signer cela. Un très grand
7 nombre l’ont signé même s’ils n’avaient pas d’armes. Tous ceux qui
8 avaient une arme l’ont indiqué ici, n’importe quel type d’arme.
9 Q. : Quel type d’armes sont énumérées sur la page que vous avez signée ?
10 R. : Au numéro 74, il est dit un pistolet, c’est un revolver. Puis, il y a
11 deux fusils de chasse, un fusil automatique, un pistolet, pistolet,
12 carabine et un fusil de chasse, pistolet, pistolet 7.65 et d’autres,
13 rien.
14 Q. : Si l’on passe à la page A1/5, et que l’on regarde en haut de la page
15 et à droite de la page, est-ce que cela indique votre commune
16 locale ?
17 R. : Oui.
18 Q. : Je vois qu’une, plusieurs des mentions, en fait, disons «M48», quel
19 type d’arme était un M48 ?
20 R. : C’est une arme. Hier, vous m’avez aussi posé une question sur les
21 armes, une arme de la Défense territoriale, qui avait été enlevée,
22 et puis dont une quantité symbolique a été rendue aux communes
23 locales. La majorité des fusils ramenés du dépôt central à la
24 commune locale que l’armée a permis de rendre étaient des fusils
25 M48. Ce sont des fusils de la seconde guerre mondiale. Ce ne sont
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1 pas des fusils semi-automatiques ni automatiques, un canon à peine
2 plus long, ils n’ont pas deux charges pour chaque balle que vous
3 voulez utiliser. Actuellement, c’est un modèle d’arme primitif et
4 désuet et il n’est utilisé nulle part. C’était le principal type
5 d’armement de la Défense territoriale. La plupart des armes qu’avait
6 la Défense territoriale étaient des M48 et quelques fusils
7 automatiques.
8 Q. : Le M48, est-ce un vieux fusil à culasse mobile de la seconde guerre
9 mondiale ?
10 R. : Oui.
11 Q. : Par exemple, le nom qui apparaît entre 22 et 24, il semble voilé à
12 l’écran -- il y a un M48 inscrit entre parenthèses, il est dit «TO-
13 MZ», est-ce que cela veut dire la Défense territoriale de la Mjesna
14 Zajednica ?
15 R : Oui, oui. Oui. M. Sivac, Vasif Sivac, est un homme qui habitait au
16 rez-de-chaussée et il était membre de la Défense territoriale et il
17 avait reçu des armes et il avait ce M48. Il en va de même pour ceux
18 en dessous de 25 et 26, et ils ont tous reçu des M48 dans la commune
19 locale de Trnopolje.
20 Q. : Donc, dans votre commune locale, au moins sur cette liste, il semble
21 y avoir 106 hommes d’un âge propre à figurer sur la liste ?
22 R. : Oui. Oui, c’est là que la commune locale de Trnopolje finit et où
23 Kala (qui est une localité de banlieue) commence. A Kozarac, oui,
24 nous en avions 106.
25 Q. : En regardant la liste, est-il juste de dire qu’il y a moins de 30
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1 armes à la disposition de ces hommes ?
2 R. : Oui. Oui, et si nous additionnons les armes des pistolets de type
3 turc et les M48, quand nous les additionnons tous, c’est ce que ça
4 donne alors.
5 Q. : La majorité de ces trente-là sont des pistolets ?
6 R. : Oui.
7 Q. : Le reste est essentiellement composé de fusils de chasse et des M48
8 dont vous nous avez parlé ?
9 R. : Oui.
10 Q. : Y avait-il certaines communes qui étaient encore moins bien
11 équipées ? Laissez-moi répéter cette question. Nous n’avons pas
12 entendu la réponse. Y avait-il des communes qui étaient encore moins
13 bien équipées que Trnopolje ?
14 R. : Oui, oui. Il y avait des communes locales qui étaient encore moins
15 bien équipées. Je ne peux pas vous le dire comme ça parce que je ne
16 m’en occupais pas directement, mais je sais que certaines communes
17 locales empruntaient auprès d’autres, parce que dans certaines
18 communes locales il n’y avait absolument aucune arme, ou un ou deux
19 fusils, et dans d’autres il y en avait une vingtaine ou une
20 trentaine de toutes sortes. Donc, il fallait les distribuer
21 équitablement. C’est ce que le commandement de la Défense
22 territoriale a fait. C’était leur travail.
23 Q. : Pouvez-vous passer à la page A1/6, s’il vous plaît, pouvez-vous la
24 faire apparaître à l’écran ?
25 JUGE STEPHEN : Est-ce que tout ceci ne se passe pas de commentaires ? Si
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1 vous voulez des précisions, vous devriez le faire traduire, les
2 armes, mais c’est la seule chose qui n’est pas tout à fait claire,
3 n’est-ce-pas ? Nous comprenons «pistole». Mais si vous voulez
4 vraiment des précisions sur toutes les armes, alors faites-le
5 traduire mais, certes, vous n’avez pas besoin de soumettre le témoin
6 à tout ceci ?
7 M. TIEGER : Je suis d’accord, Madame le Président. Je n’avais pas
8 l’intention de lui imposer quoi que ce soit de plus que cette seule
9 référence, et il semble que ce n’est pas nécessaire.
10 LE PRESIDENT : J’avais une question à propos des communes. Qu’est-ce que
11 la commune, M. Semenovic ?
12 R. : Une commune locale est l’unité territoriale de base. L’unité
13 territoriale de base s’appelle une commune locale. Les communes
14 locales, plusieurs communes locales forment une municipalité et
15 plusieurs municipalités comprennent une République, deviennent une
16 république. C’est une unité administrative de base.
17 Q. : J’ai remarqué d’après cette pièce à conviction no 6 de la Défense
18 qu’il semble y avoir plus d’une commune à Trnopolje. Vous êtes
19 inscrit comme dans la Cesta, n’est-ce-pas, C-E-S-T-A, Trnopolje ?
20 R. : Chaque commune locale -- il n’y a qu’une commune locale, Trnopolje,
21 mais elle était composée de plusieurs villages, c’est-à-dire
22 plusieurs parties. Dans la commune locale, c’est la manière
23 administrative de l’organiser, à diverses fins, les élections ou
24 d’autres types de planification ou de construction. C’est donc
25 pourquoi il y a des parties d’une commune locale particulière et
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1 Cesta était une partie, il y avait aussi des parties comme Trnjani,
2 Kararici, et ainsi de suite.
3 Q. : Les communes étaient-elles composées uniquement de personnes de
4 religion islamique ?
5 R. : Non, non, la commune locale, Trnopolje, était composée de 40
6 nationalités.
7 Q. : De telle sorte que, par exemple, Trnopolje Cesta, qui était une des
8 communes de Trnopolje, serait ou pourrait être, au moins, composée
9 de personnes de religions différentes, musulmane ---
10 R. : Oui.
11 Q. : -- orthodoxe ? Combien de communes y avait-il dans Trnopolje ?
12 R. : Trnopolje est une commune locale.
13 Q. : Bien, mais vous avez Trnopolje Cesta, vous avez Trnopolje Elezi, E-L-
14 E-Z-I ?
15 R. : Ce sont des parties de la commune locale de Trnopolje. C’est toujours
16 la commune locale de Trnopolje, mais dont une partie s’appelle Cesta
17 ou Elezi ou Hodzici ou Matrici, qui en sont des parties. Il y a
18 aussi une partie qui s’appelle Redzici, une partie de la commune
19 locale de Trnopolje, ou Garibi et ainsi de suite.
20 Q. : Sur quelle base ces parties sont-elles créées, alors ?
21 R. : Elles existaient auparavant, depuis la fin de la guerre.
22 Q. : Combien de parties différentes auriez-vous alors de la commune, la
23 commune de Trnopolje, à cette époque ?
24 R. : Dans la commune locale de Trnopolje à cette époque, il y en avait
25 exactement comme avant. Je viens juste de mentionner la plupart des
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1 parties. Je peux en faire une liste complète si nécessaire. C’est
2 quelque chose qui n’est pas changé. C’est, par exemple, comme les
3 rues dans une ville.
4 JUGE VOHRAH : Pour faire suite à la dernière question, est-ce que ces
5 parties de la commune sont multi-ethniques ?
6 R. : Oui.
7 JUGE VOHRAH : Merci.
8 LE PRESIDENT : M. Tieger, vous pouvez continuer.
9 M. TIEGER : Merci, Madame le Président. (Au témoin) : Où a eu lieu la
10 première attaque militaire ?
11 R. : Vous voulez dire à Kozarac ou en général dans la municipalité de
12 Prijedor ?
13 R. : Excusez-moi, merci -- dans l’ensemble de la municipalité ?
14 R. : La première attaque a eu lieu au cours de la soirée du 22 mai quelque
15 part autour de Hambarine, entre Prijedor et Hambarine. Nous l’avons
16 appris aux informations à la radio et par ces talkies-walkies (comme
17 ils les appellent) qui existaient dans la commune locale et à la
18 Défense territoriale.
19 Q. : Est-ce que cela s’est passé après qu’un ultimatum avait été lancé aux
20 gens d’Hambarine ?
21 R. : Oui, oui, plusieurs jours après l’ultimatum.
22 Q. : Que s’est-il passé le lendemain de l’attaque à Hambarine ?
23 R. : Le lendemain, cette partie de la municipalité a été bombardée, le
24 village de Hambarine et aussi une partie qui s’étendait de Hambarine
25 à Prijedor. C’était un bombardement assez intensif. On l’entendait,
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1 un peu comme une sorte de tonnerre, parce que c’est assez loin de
2 Trnopolje, à 10 ou 11 kilomètres de nous environ.
3 Nous avons remarqué qu’après ce bombardement, tous les villages de
4 la partie bombardée avaient été incendiés. Nous voyions d’énormes
5 flammes et de la fumée. Nous le voyions assez nettement. Nous avons
6 aussi entendu des explosions là où ils lançaient des tirs de
7 mortiers et l’explosion du bombardement. Nous pourrions, dans la
8 mesure où cela était possible à une distance d’une dizaine de
9 kilomètres, nous pourrions conclure que le bombardement se faisait
10 de l’endroit du champ d’aviation d’Urije ou du village de Cejrici,
11 parce que nous savions déjà que certaines unités d’artillerie y
12 avaient été repérées, mais nous voyions très clairement où les obus
13 tombaient.
14 Q. : Combien de temps après Kozarac a-t-elle été attaquée ?
15 R. : Un jour plus tard.
16 Q. : Les dirigeants de la communauté serbe avaient-ils eu des rapports de
17 mouvements de soldats ou d’activité suspecte avant ce moment-là ?
18 R. : Il existait un certain type de communication avec cet équipement de
19 signalisation entre la commune locale de Kozarac et sa Défense
20 territoriale et la Réserve, les réservistes de la milice et l’armée
21 serbe à Prijedor. Dans les communes locales, nous ne recevions que
22 de l’information orale quand quelqu’un venait rendre compte de ce
23 qui se passait. Je sais qu’ils communiquaient.
24 De Prijedor à Kozarac, ils ont lancé un ultimatum très clair de
25 nature militaire, mais je n’étais pas là. Les pourparlers étaient
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1 menés par le chef de la milice -- les réservistes de la police. Il
2 s’appelait Osman -- je ne me souviens pas de son nom de famille
3 maintenant -- et Becir Medunjanin, et je crois qu’ils ont envoyé
4 quelques personnes même à ce moment-là pour tenter de négocier. Le
5 chef de la police et d’autres hommes étaient là et ils ne sont pas
6 revenus. En même temps, l’armée a commencé à diffuser l’ultimatum à
7 Kozarac à la radio, à Kozarac et aux extrémistes, de rendre les
8 armes.
9 Q. : Excusez-moi, M. Semenovic, laissez-moi essayer de rétablir la
10 chronologie. Est-ce que la période dont vous venez de parler se
11 situe lorsque les communications avaient lieu et qu’il y avait une
12 tentative de négocier avant ou après le début de l’attaque ?
13 R. : Après l’offensive contre Hambarine et avant l’offensive contre
14 Kozarac. Le chef de la police de Prijedor téléphonait au chef de la
15 police à Kozarac. Les officiers appelaient la commune locale à
16 Kozarac au téléphone aussi, puis ils disaient qu’ils devraient
17 retourner, rendre leurs armes en deux ou trois heures. Je ne sais
18 pas exactement quand, parce que je n’étais pas là. J’étais à
19 Trnopolje. De temps à autre, j’allais à Kozarac, puis rentrais chez
20 moi pendant que c’était encore possible, seulement ce jour-là.
21 Q. : Vous avez mentionné à propos de la prise de pouvoir que les gens dans
22 les quartiers serbes avaient quitté leur maison, étaient revenus,
23 avaient quitté leur maison et étaient revenus quelques fois avant
24 que la prise de pouvoir n’ait véritablement eu lieu ?
25 R. : Oui.
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1 Q. : Y avait-il un mouvement inhabituel de la part des civils serbes avant
2 l’attaque dans la région de Kozarac ?
3 R. : Oui, même deux ou trois jours avant l’attaque, les Serbes des parties
4 de la commune locale de Trnopolje où ils représentaient une
5 majorité, ils se sont complètement retirés et ont envoyé quelque
6 part les femmes, les enfants et les personnes âgées, seuls les
7 hommes sont restés chez eux. Je ne peux pas vous dire où ils les ont
8 envoyés, mais j’ai entendu qu’ils étaient envoyés de l’autre côté de
9 la pisciculture en direction de Rakelici, un village serbe, et vers
10 Omarska. Je ne peux pas vous dire exactement où, mais je sais qu’ils
11 n’étaient plus chez eux.
12 Excusez-moi mais je dois dire à la Chambre de première instance,
13 afin de clarifier les choses, que nous parlions de la multi-
14 ethnicité de la commune locale. Dans toutes les parties, la
15 population était, il y avait exactement 14 nationalités dans la
16 commune locale. La plupart d’entre eux étaient des Musulmans
17 bosniaques dans les parties où ces listes étaient dressées, mais il
18 y avait aussi des Croates, des Russes, des Allemands, des
19 Ukrainiens, des Ruthéniens, des Tchèques, des Biélorusses, des
20 Albanais, des Tsiganes, des Turcs.
21 Q. : Quand l’attaque a-t-elle véritablement commencé ?
22 R. : Le 24, je crois, au début de l’après-midi, vers midi.
23 Q. : Où étiez-vous quand cela a commencé ?
24 R. : A Trnopolje.
25 Q. : Qu’avez-vous fait après le début de l’attaque ?
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1 R. : J’ai essayé d’aller à Kozarac pour recevoir des instructions de la
2 Défense territoriale pour nous dire quoi faire, parce que les Serbes
3 diffusaient à la radio que l’armée allait de là, sur la ligne
4 Prijedor-Omarska, en passant par Trnopolje. Elle recevait aussi des
5 informations verbales selon lesquelles l’armée était sur la route de
6 Prijedor à Banja Luka au-delà de Kozarac, et qu’il s’agissait d’une
7 force militaire très puissante qui était en mouvement.
8 Pendant la nuit, une partie de l’infanterie serbe est entrée dans
9 Trnopolje et ils se trouvaient autour de certaines maisons serbes et
10 nous l’avons vu pendant la nuit. Lorsque le bombardement a commencé,
11 le chaos a commencé aussi. J’ai essayé d’aller à Kozarac pour
12 essayer de voir comment coordonner cela et ce que nous pouvions
13 faire parce que nous recevions l’information que nous devrions
14 laisser l’armée passer sur une route car il nous était impossible de
15 nous défendre sur les deux routes et, à part cela, je croyais que la
16 Défense territoriale n’avait pas assez d’information sur ce qui se
17 passait à Trnopolje.
18 J’y suis allé à bicyclette, parce qu’il s’agit d’une distance de
19 quatre kilomètres et demi à cinq kilomètres, et je suis arrivé à
20 environ 500 mètres de Kozarac, et je ne pouvais pas continuer parce
21 que le bombardement était très intensif et constant. Les explosions
22 étaient horribles, des armes de très gros calibres, et les obus
23 tombaient partout. Ils ne visaient rien de particulier. J’ai attendu
24 là quelque temps qu’ils cessent, puis pour tenter de saisir une
25 occasion de traverser là, mais cela continua sans arrêt pendant des
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1 heures, et je suis donc rentré chez moi.
2 Q. : Vous serviez dans une unité d’artillerie quand vous étiez dans
3 l’armée nationale yougoslave. Etiez-vous en mesure de déterminer
4 d’où venaient les obus ?
5 R. : Oui, oui. Ils venaient de la direction d’Omarska et les explosions --
6 on a entendu les explosions pendant longtemps. Cela venait de la
7 direction de Kozara, en gros, la partie centrale de Kozara aux
8 alentours de Mrakovica. Cela venait aussi de Prijedor, de la
9 direction d’Urije, et le tir de mortier venait de la direction
10 d’Orlovci. Ce n’étaient pas des canons mais des mortiers. Ils
11 n’étaient pas loin.
12 M. TIEGER : Puis-je avoir la pièce à conviction 79, s’il vous plaît ? (la
13 pièce à conviction 79 a été transmise au témoin) M. Semenovic, à
14 l’aide de A79, si possible, quand on la recule ou la focalise,
15 pouvez-vous indiquer les endroits d’où les obus étaient tirés ?
16 R. : Sur l’écran ? De la direction d’Omarska, c’est cette direction ici.
17 C’était d’un côté. L’autre direction dont cela venait était Kozara,
18 mais la distance, eh bien, c’est beaucoup plus long que sur la
19 carte. Puis, de la direction du champ d’aviation d’Urije, c’est-à-
20 dire vers le nord-ouest de la ville, approximativement ici. Et
21 d’ici, de cette partie, nous entendions des obus de mortier, entre
22 Garevci et Orlovci, quelque part au milieu.
23 Q. : Quelle était l’intensité du bombardement ?
24 R. : Eh bien, le bombardement était continu. Très souvent, quelques obus
25 tombaient en même temps, parce qu’ils tiraient de plusieurs endroits
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1 en même temps. De la direction de Tomasica, il y avait aussi deux
2 obus qui tombaient sur le village même de Trnopolje, mais de
3 Tomasica, ils n’ont pas bombardé Kozarac. Ces deux obus, ils
4 mesuraient probablement la distance dans -- je suppose que les
5 mosquées leur servaient de point de repère parce que le premier obus
6 est tombé à environ 500 mètres devant la mosquée, et l’autre est
7 tombé derrière la mosquée. Cette fois-là, une personne a été tuée et
8 plusieurs ont été blessées. Quand l’obus est tombé derrière la
9 mosquée, c’était à 400 mètres derrière environ. Donc, je crois
10 qu’ils mesuraient simplement la distance, comme disent les
11 militaires.
12 Cette batterie d’artillerie n’a plus tiré; tandis que tous les
13 autres ont servi toute la journée pendant longtemps jusqu’au
14 lendemain. Le lendemain, il y a eu quelques interruptions et
15 certains appels à la radio disant que la population pouvait aller
16 vers Trnopolje en toute sécurité.
17 Q. : Y avait-il du mouvement par des parties de la population, ou une
18 certaine partie de la population, en direction de Trnopolje ?
19 R. : Oui, le lendemain. Ce jour-là, ce n’était pas possible. Ceux qui
20 réussissaient à se rendre à l’abri l’ont fait. Les gens ont fait
21 très peu d’abris. Ils n’avaient pas le temps. Ils étaient dans les
22 caves et, lorsque les bombardements ont cessé pour la première fois,
23 la radio serbe a continué à diffuser sans arrêt, en disant que la
24 population pouvait aller dans des zones sûres, et c’était la région
25 de Trnopolje. Donc, les gens sont partis de Kozarac vers Trnopolje
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1 et, en même temps, les gens de Trnopolje allaient vers Kozarac pour
2 aller dans la montagne de Kozara.
3 Il y avait d’immenses colonnes. Les gens marchaient ou se servaient
4 de quelques véhicules ou tracteurs, et ces deux colonnes se sont
5 rencontrées à mi-chemin entre Kozarac et Trnopolje. Autour du
6 village de Hrnjici, entre le village de Hrnjici et Gornji Sivci et
7 Vutici. Les routes étaient complètement bloquées. Personne ne
8 pouvait ni entrer dans Trnopolje ni en sortir. On entendait diverses
9 rumeurs, donc la plupart des gens qui marchaient en colonnes ont
10 passé la nuit là où ils se trouvaient en fait, parce qu’il était
11 impossible d’aller ou de venir avec les véhicules.
12 Q. : Avez-vous vu ce qui est arrivé à l’un ou l’autre des villages de la
13 région, à certains villages de la région en particulier ?
14 R. : Oui. Déjà la troisième nuit, une partie des gens sont partis à
15 Trnopolje. Certaines maisons avaient déjà été incendiées. On y a mis
16 le feu et, de la direction de Petrov Gaj, il y avait des tirs
17 intenses, des coups de feu très intenses, en direction des parties
18 où vivait la population non serbe.
19 Ils tiraient aussi sur les gens, sur les réfugiés, avec certaines
20 mines Tromblon, des fusils qui sont utilisés pour de courtes
21 distances. Lorsque le premier groupe nombreux s’est dirigé vers
22 Trnopolje, l’armée serbe est apparue et ils ont mis tous ces gens
23 dans des camps. C’est le jour où ce camp a été ouvert.
24 Q. : Avez-vous vu ce qui est arrivé à Kozarac ?
25 R. : La deuxième nuit, lorsque le tir d’artillerie avait cessé pour la
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1 première fois, il a été interrompu pendant quatre heures environ,
2 pendant trois ou quatre heures environ, le soir. Puis, nous avons
3 remarqué que les maisons brûlaient, les maisons qui étaient au début
4 de Kozarusa et tout au long de la route jusqu’à Kozarac.
5 Vers 11 heures du soir, c’était affreux, le spectacle. Toutes les
6 maisons brûlaient. Les flammes étaient énormes. On n’entendait pas
7 vraiment beaucoup les coups de feu, mais certaines personnes qui ont
8 réussi à s’échapper des abris, elles nous ont dit que l’infanterie
9 serbe venait et qu’ils incendiaient les maisons une à une. Ils le
10 faisaient avec un certain type de grenades qui étaient efficaces
11 parce que chaque maison brûlait en quelques minutes.
12 Q. : Pouvez-vous nous montrer où se trouve Kozarusa sur la carte devant
13 vous ?
14 R. : A l’ouest de Kozarac. C’est une banlieue de Kozarac. Elle s’appelle -
15 - ce que je voyais, cette partie entière qui brûlait de la route à
16 deux ou trois cents mètres. Toutes les maisons étaient là. C’était
17 un spectacle horrible, très apocalyptique. En théorie, on ne pouvait
18 même pas imaginer tant de feu et nous le voyions de nos propres
19 yeux.
20 LE PRESIDENT : J’ai une question ou deux questions, M. Tieger. Excusez-
21 moi.
22 (Au témoin) : M. Semenovic, vous avez dit tout à l’heure que l’armée
23 serbe apparaissait et qu’ils avaient mis tous ces gens dans des
24 camps. Il y a quelques minutes, vous avez également fait mention de
25 l’infanterie serbe. Voulez-vous dire par là les soldats de l’armée
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1 nationale yougoslave ou d’autres soldats serbes ?
2 R. : On ne les appelait plus l’armée nationale yougoslave. A la dernière
3 réunion dont j’ai parlé tout à l’heure, on les appelait l’armée
4 serbe, ils disaient : «Nous sommes l’armée serbe.» Officiellement,
5 ils prétendaient qu’ils étaient la Bosnie-Herzégovine serbe, et ils
6 voulaient avoir leur part.
7 J’ai autre chose à vous dire. Ce qu’ils ont formé immédiatement à
8 Trnopolje quand ils sont arrivés, ce camp, ils ne l’appelaient pas
9 un «camp». Ils appelaient cela un «centre», un «centre de réception»
10 et ils appelaient toute la population ceux dont ils disaient, entre
11 guillemets, qu’ils n’avaient pas de «sang sur les mains», ils
12 disaient qu’ils pouvaient venir librement à Trnopolje. Ce centre,
13 centre de réception, était formé pour des gens innocents à Trnopolje
14 et ils seraient là en sécurité jusqu’à ce que tous les extrémistes
15 soient capturés, et après cela, chacun pourrait retourner chez soi.
16 Ils ne cessaient de répéter cela. Un grand nombre de gens, hélas,
17 croyaient ces paroles.
18 LE PRESIDENT : Nous allons suspendre la séance pendant 20 minutes, s’il
19 vous plaît.
20 (11 h 30)
21 (Ajournement de courte durée)
22 (11 h 55)
23 LE PRESIDENT : M. Tieger ?
24 M. TIEGER : Merci, Madame le Président. (Au témoin) : M. Semenovic,
25 pouvez-vous nous montrer sur la carte où vous vous êtes caché
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1 pendant les jours qui ont suivi l’attaque ? M. Semenovic, vous
2 devrez attendre d’avoir regagné votre chaise près du micro avant de
3 pouvoir parler.
4 R. : C’est la région entre Trnopolje et Kozarac, la vieille route dans la
5 zone du village de Gornji Sivci. Ce sont plusieurs hameaux
6 regroupés, je veux dire. C’est dans Gornji Sivci, Hrnjici, Gutici,
7 Mujkanovici et Kenjari ou, plus précisément, c’est la zone autour de
8 l’église ukrainienne. C’est cette partie ici, au-dessus du village
9 de Sivci. C’est là que j’ai passé la plus grande partie du temps.
10 Q. : Avez-vous passé une partie de ce temps dans une fosse septique
11 aménagée, pour aller vous installer ensuite dans la maison d’une
12 femme qui vous a abrité ?
13 R. : Oui.
14 Q. : Sa famille était-elle réticente à vous accueillir à cause de votre
15 importance politique ?
16 R. : Oui, c’était très dangereux parce que les Serbes disaient aux
17 Musulmans qu’ils devaient livrer leurs extrémistes et que quiconque
18 avait quelque lien avec les présumés extrémistes, c’est-à-dire les
19 gens du SDA, que ces gens-là seraient fusillés, et qu’il était même
20 dangereux de rencontrer quiconque d’entre eux.
21 Q. : Pendant la période où vous vous êtes caché dans la région de Sivci,
22 est-ce que les soldats serbes sont venus dans cette région ?
23 R. : Oui, plusieurs fois. Pour être plus précis, la maison de cette femme,
24 la maison de la femme qui me cachait ne se trouve pas dans un
25 village musulman. Il y a des maisons ukrainiennes autour, ou
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1 galijani, comme nous les appelons. Au début, elles étaient
2 mobilisées pour l’armée serbe, mais on leur disait de monter la
3 garde autour de leurs maisons avec leurs armes et munitions. J’étais
4 dans la maison qui était la seule maison musulmane à cet endroit, et
5 c’est pourquoi elle était plus sûre que d’autres maisons.
6 Plusieurs fois, l’armée serbe a traversé ce quartier. J’ai observé
7 cinq opérations de ce genre. Chaque -- pour reprendre leur
8 expression, ils ont fait un nettoyage ethnique de chaque village, et
9 comme cette partie se trouve à une triple frontière, c’est-à-dire à
10 une jonction, ils nous ont aidé à arriver à cette région; en
11 d’autres termes, quand ils nettoyaient Hrnjici, ils traversaient
12 aussi Gornji Sivci, Mrkanovici, la même chose. Le village de Sivci,
13 qui a été nettoyé deux fois. Ils sont aussi allés dans cette partie.
14 Parfois, je le voyais très bien, parfois du voisinage immédiat, à
15 une dizaine de mètres, les soldats qui passaient, emmenaient des
16 groupes d’hommes, les harassaient, tiraient des coups de feu et,
17 invariablement, après chaque opération, ils laissaient quelques
18 cadavres derrière eux.
19 Q. : Comment le nettoyage ethnique était-il mené ? Par quoi commençaient
20 les soldats quand ils arrivaient dans la région et comment ils
21 procédaient au nettoyage ethnique de cette région ?
22 R. : Premièrement, ils encerclaient les villages et plusieurs soldats
23 étaient employés autour du village de tous côtés. Puis, des tirs
24 puissants avaient lieu simultanément, puis l’infanterie entrait dans
25 les villages. Ces villages avaient des gens qui n’avaient aucune
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1 arme, et puis ils sortaient des hommes des maisons, les regroupaient
2 en des points isolés et, si quelqu’un tentait de se sauver ou de
3 leur résister, ils les fusillaient. Puis, un autobus arrivait après
4 très peu de temps, ou quelque autre véhicule, et ces groupes étaient
5 emmenés parfois dans la direction de Trnopolje, et parfois dans la
6 direction d’Omarska. Je ne savais pas où ils les emmenaient au début
7 : je l’ai appris plus tard.
8 Il est également arrivé qu’il y ait plus de gens que l’on ne pouvait
9 en mettre dans un autobus ou un véhicule, et puis ils forçaient
10 certains d’entre eux à se déplacer à pied vers Trnopolje ou Omarska.
11 Après plusieurs visites de ce type, il n’y avait plus d’hommes dans
12 les villages, il ne restait que des femmes et des enfants, et
13 parfois même pas de femmes ou d’enfants. Chaque fois,
14 invariablement, quelqu’un était tué à chaque passage. S’ils ne
15 tuaient pas quelqu’un dans sa maison, alors ils prenaient deux ou
16 trois amis et les tuaient un par un dans la rue.
17 Très souvent, il y a des vieillards dans le village, Gutici. Ils ont
18 trouvé une femme qui n’était pas musulmane d’origine. Je crois
19 qu’elle était enseignante. Elle est ukrainienne. Elle était dans son
20 jardin et, vraisemblablement, ne croyait pas que cela était
21 dangereux pour elle parce qu’ils menaient leurs opérations contre
22 les Musulmans, mais elle a été fusillée pendant qu’elle était dans
23 le jardin, en train de jardiner.
24 Q. : Pendant les opérations de nettoyage ethnique, comment ont été traités
25 les hommes qui ont été sortis des maisons, puis emmenés, après avoir
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1 été ramassés dans les maisons ?
2 R. : Ils les ont battus de toutes les manières que l’on puisse imaginer.
3 Ils les ont forcés à chanter, à chanter des chants serbes. Ceux qui
4 ne les connaissaient pas étaient battus. Une fois, j’étais caché
5 dans une frontière /sic/ près de la route et j’ai observé un groupe
6 entier. Un vieillard est tombé sous les coups. Ils les relevaient et
7 continuaient de les battre, ou ils les arrêtaient tous et leur
8 ordonnaient de chanter en choeur, et les gens ne connaissaient pas
9 les paroles, et ensuite ils forçaient quelqu’un qui connaissait les
10 paroles à commencer et tous les autres devaient se joindre.
11 Q. : De quelle nationalité étaient les soldats qui arrivaient pour mener
12 ces opérations de nettoyage ethnique ?
13 R. : Exclusivement des Serbes, seulement des Serbes. Certains d’entre eux
14 étaient des gens, des gens connus, c’est-à-dire ceux qui habitaient
15 à Trnopolje ou à Prijedor, et il y avait ceux qui n’étaient pas
16 connus. La plupart d’entre eux étaient plus jeunes. A un moment
17 donné, j’ai entendu la conversation d’un groupe de soldats une fois
18 le nettoyage achevé. Ils sont partis en direction de Kozarac et, de
19 temps à autre, ils mettaient le feu à une maison, et ils engageaient
20 une conversation en aparté, un groupe de sept ou huit soldats.
21 Certains d’entre eux étaient complètement en uniforme, certains
22 d’entre eux portaient des jeans et une chemise militaire par-dessus.
23 Certains étaient plus jeunes, certains étaient plus vieux. J’ai
24 reconnu l’un de ces jeunes comme venant de Banja Luka, parce que je
25 l’ai entendu dire à un autre soldat, ils parlaient en marchant, il a
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1 dit : «Cette offre paie mieux que si je travaillais, parce qu’ici,
2 c’est comme si j’avais travaillé pendant un mois à Banja Luka, je ne
3 peux rien acheter pour le salaire que je reçois» et je me suis rendu
4 compte que cela a dû leur être difficile pendant quelques jours pour
5 faire ce qu’ils ont fait.
6 J’ai entendu certains d’entre eux, deux d’entre eux, j’ai entendu
7 parler avec un accent qui ne vient pas de la région de Bosnie-
8 Herzégovine, et je suppose que c’étaient de jeunes soldats, c’est-à-
9 dire de jeunes recrues de Serbie, parce que c’était ce à quoi
10 ressemblait leur prononciation. Aussi, une autre fois, quand ils
11 nettoyaient le village de Mujkanovici et Kenjari, j’ai vu un groupe
12 de soldats qui se disaient Vukovariens. C’était probablement une
13 unité qui était revenue de Vukovar et qui menait des opérations sur
14 le territoire de Prijedor et, quand ils ont eu fini leur travail,
15 ils sont partis à bord d’un APC en direction de Kozarac.
16 Il y avait un grand drapeau serbe sur le transport de troupes blindé
17 et plusieurs d’entre eux étaient assis sur le transport de troupes
18 blindé. Il avançait à une vitesse modérée et d’autres marchaient
19 derrière eux et ils se dirigeaient vers Kozarac.
20 Q. : Avez-vous vu des insignes sur les uniformes de l’un ou l’autre de ces
21 soldats ou de ces troupes paramilitaires ?
22 R. : Cela dépendait. Il y en avait certains sans insigne. Certains avaient
23 des insignes de l’armée serbe, certains avaient des insignes que je
24 ne distingue pas vraiment. Ceux de Vukovar avaient des insignes de
25 la soi-disant milice de Marticeva, c’est-à-dire l’armée. Il y en
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1 avait de toutes sortes.
2 Q. : Pendant combien de temps environ avez-vous continué à vous cacher
3 dans la région que vous nous avez montrée tout à l’heure ?
4 R. : Jusqu’au 10 ou 12 juillet -- attendez, non, excusez-moi, jusqu’au 18
5 juillet, je crois, la deuxième partie du mois de juillet. Après
6 toutes ces vagues de nettoyage ethnique, ils ont littéralement tout
7 nettoyé, les femmes, les enfants, les vieillards. Il n’y avait plus
8 personne dans les maisons. Puis, ils ont pillé, mis à sac
9 systématiquement. Ils sont venus pendant des jours et des jours. Ils
10 avaient certains points où ils rassemblaient les objets pillés. Au
11 début, ils le faisaient de manière calculée, et ils empilaient tout
12 au fur et à mesure que cela arrivait. Plus tard, des groupes de
13 soldats ont été chargés de diverses choses. Certains ne
14 recueillaient, n’amassaient que le bétail; d’autres étaient chargés
15 des réfrigérateurs, un troisième groupe des cuisinières, et un
16 quatrième, et les véhicules venaient régulièrement toutes les 12
17 heures ou toutes les 24 heures pour emporter toutes ces choses
18 depuis ces points, et arrivaient à la route qui reliait Banja Luka à
19 Prijedor. Je ne sais pas où ils sont allés à partir de là.
20 Q. : Après avoir quitté cette région, où êtes-vous allé ?
21 R. Je me suis mis en route vers Trnopolje, du fait que j’avais
22 l’intention de traverser la pisciculture et de me diriger vers
23 Grmec. Comme j’étais seul, je ne voulais pas que quiconque souffre
24 de m’avoir appuyé. Il m’a fallu environ dix heures pour atteindre un
25 endroit au-dessus du camp à Trnopolje, c’est-à-dire à environ 500
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1 mètres à vol d’oiseau, et je pouvais -- j’étais surélevé, et je
2 pouvais donc observer tout ce qui était plus bas.
3 Q. : Pouvez-vous nous montrer sur la carte où cela se trouve, s’il vous
4 plaît ?
5 R. : Au-dessous du village de Cuskic, en direction de la vieille route,
6 cette partie ici, à peu près. C’est un petit promontoire, un tertre
7 d’où l’on voit bien la gare et cette partie ici.
8 Q. : Qu’avez-vous fait après être arrivé ici ?
9 R. : C’était la première fois que je voyais le camp. Je n’entendais rien
10 parce que c’était trop loin, mais je voyais tout nettement. Donc,
11 j’ai observé toute la région pendant deux jours et deux nuits, parce
12 que je devais en quelque sorte me frayer un chemin jusqu’à la
13 pisciculture. Cet endroit où je me trouvais est à 200 mètres de la
14 route environ, et j’ai remarqué que, sur la route, des autobus
15 arrivaient remplis de civils. Donc, je me suis approché de la route
16 en traversant le champ de maïs pour voir ce qu’étaient ces
17 camionnettes, et dans ces autobus, il y avait des hommes avec les
18 mains derrière la tête, et des femmes et des enfants dans des
19 véhicules séparés. Cela a duré une journée, d’après ce que j’ai vu.
20 Puis, le lendemain, j’ai vu plusieurs autobus et remorques vides.
21 J’ai vu certains d’entre eux se diriger vers Kozarac et j’ai deviné
22 que c’était l’évacuation. On parlait de l’endroit pendant que les
23 gens étaient encore dans le champ et j’ai maintenu le contact avec
24 eux, donc j’ai entendu cela. Ils disaient que certaines personnes
25 qui n’étaient pas responsables, à qui l’on n’avait rien à reprocher,
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1 qui n’avaient pas de sang sur les mains, seraient transférées en
2 «territoire libre», entre guillemets, c’est-à-dire le territoire
3 contrôlé par l’armée de Bosnie-Herzégovine. Donc, je croyais que
4 c’était le début de cette étape et que c’était l’évacuation.
5 Mais c’était trop loin et, en observant la région, je me suis rendu
6 compte que je pouvais m’approcher davantage du camp, à 70 mètres
7 environ, en d’autres termes, que je pouvais m’approcher sans être
8 observé. J’ai vu les gardiens. J’ai vu les sentinelles. Je
9 connaissais leurs horaires. J’ai décidé de m’approcher parce qu’il y
10 a des acacias à cette entrée, des bosquets d’acacias et des meules
11 de foin, et je croyais donc que je pouvais m’approcher suffisamment
12 pour voir ce qui se passait à l’intérieur, si ces gens étaient
13 évacués, s’ils étaient répartis à cet endroit, s’il y avait des
14 gardiens ou des sentinelles qui étaient de garde. J’ai réussi à le
15 faire la nuit suivante, c’est-à-dire la troisième nuit, j’ai réussi
16 à m’approcher avant le lever du jour à peu près, parfois en rampant,
17 parfois en me déplaçant normalement, mais je suis arrivé à 70 mètres
18 du camp environ.
19 Q. : Avez-vous observé le camp de là ou avez-vous décidé d’y entrer ?
20 R. : Je l’ai observé pendant une heure environ, et je voyais qu’un chaos
21 total régnait à l’intérieur, des milliers d’hommes, de femmes et
22 d’enfants. J’en ai vu certains qui portaient des sacs. J’en ai vu
23 certains qui faisaient leurs bagages. J’ai vu plusieurs véhicules
24 vides. Je croyais que je pouvais avancer jusqu’au fil de fer. Il y
25 avait un moyen de s’approcher du fil de fer qui ne présentait aucun
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1 danger et, si je pouvais y arriver, parce que j’ai vu quelques
2 personnes près du fil de fer, je pourrais demander à quelqu’un et
3 demander ce qui se passait là.
4 Seulement une tranchée profonde, il y avait un fossé entre moi et le
5 camp. D’un côté, il y avait du maïs, de l’autre côté il y avait du
6 blé, et ils étaient séparés. Donc, j’ai traversé ce fossé en
7 rampant, et il y avait des mûres qui poussaient, des buissons de
8 mûres. Donc, je me suis caché dans ces buissons de mûres, et j’ai vu
9 que l’endroit qui était en face de moi, les gens s’en servaient
10 comme toilettes, et j’ai vu certains hommes le faire là, c’est-à-
11 dire qui s’en servaient, et j’ai cru que je pouvais ramper jusque-là
12 et j’ai pu entrer. J’ai bel et bien reconnu certains visages,
13 certains de mes amis, et je suis entré ou, plutôt, j’ai enlevé les
14 pantalons, sauté sur cette élévation, et je me suis tapi pendant
15 cinq minutes environ, puis je me suis joint aux autres, et voilà,
16 c’est alors que j’ai rencontré immédiatement certains de mes amis.
17 Q. : Pourquoi vouliez-vous entrer dans Trnopolje ?
18 R. : Je voulais y entrer pour voir de mes propres yeux s’ils évacuaient le
19 camp ou non, au cas où ils seraient en train de l’évacuer. Je
20 croyais que j’avais plus de chances de survivre si je réussissais à
21 me joindre au convoi, c’est-à-dire monter dans l’autobus plutôt
22 qu’aller à Grmec parce que c’est à 50 kilomètres, pas de nourriture,
23 pas d’eau sur la route. Je croyais aussi que, si je ne réussissais
24 pas à le faire, que je pourrais aussi partir si je ne réussissais
25 pas à monter dans un des autobus, bien sûr pendant la nuit.
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1 Q. : Vous avez indiqué que vous avez rencontré quelques amis peu de temps
2 après être entré. Comment s’appelaient-ils ?
3 R. : Oui. Adem Trnjanin, Asmir Trnjanin, Husein Trnjanin, ils étaient mes
4 voisins et mes amis, Adjin Zenkic -- il y en avait un très grand
5 nombre.
6 Q. : Premièrement, leur avez-vous demandé comment fonctionnait le camp et
7 avez-vous demandé des renseignements vous permettant de vous
8 intégrer anonymement ?
9 R. : Oui. Oui, oui, ce fut ma première question. Je ne pouvais pas sortir
10 aussi facilement pendant le jour, parce que je voyais des nids de
11 mitrailleuses à plusieurs endroits. Je le savais à l’avance, mais
12 ils étaient si forts, il y avait tant de soldats autour. Mais on m’a
13 dit qu’il y avait des milliers de gens à l’intérieur et que je
14 pouvais donc me cacher là, et il y avait des chances qu’ils soient
15 tous évacués parce que Slobodan Kuruzovic, qui était le commandant
16 du camp, disait qu’ils s’attendaient à transférer tous ces gens
17 quelque part en direction de Gracanica d’un jour à l’autre. Ils
18 m’ont dit de bien me cacher, puis de saisir l’occasion, et ils m’ont
19 dirigé vers un endroit où j’ai pu me cacher.
20 Ils m’ont également dit qu’ils avaient arrêté de m’appeler un mois
21 environ avant cela, parce qu’au début, les Serbes avaient l’habitude
22 d’aligner tous les hommes, puis de faire l’appel. Mon nom figurait
23 parmi ceux que l’on appelait, Semenovic, mais alors ils ont
24 supposément reconnu mon cadavre quelque part à Kozarac et ont cessé
25 de m’appeler. Ils ont cessé de me chercher. Ils m’avaient rayé de
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1 leur liste. Et ils ont dit qu’il y avait une autre raison pour
2 laquelle je pouvais me cacher là, rester là une journée ou deux,
3 puis être évacué avec eux.
4 Q. : Etes-vous resté à Trnopolje pendant quelques jours ?
5 R. : Oui. Oui.
6 Q. : A un moment donné, avez-vous rencontré des amis dénommés Foric ?
7 R. : Oui, c’était la troisième ou la quatrième nuit. Pendant trois jours
8 et trois nuits, j’étais avec un groupe de gens qui ne me
9 connaissaient pas, qui ne me reconnaissaient pas, et j’ai donné un
10 faux nom. J’ai dit que j’étais de Puharska et pour ne pas leur faire
11 peur à cause de mes activités politiques. Le troisième jour,
12 certains d’entre eux m’ont reconnu. Ce jour-là, le groupe de Foric,
13 plutôt, des membres de la famille Foric -- c’étaient toutes des
14 familles issues de deux ou trois frères -- un de leurs voisins
15 serbes est venu vers eux et les a salués. Il s’est simplement
16 approché d’eux et j’étais là. Je leur ai tourné le dos, mais j’ai
17 écouté toute la conversation et il leur a dit : «Eh bien, et vous,
18 les garçons ? Quoi de neuf ? Quand allons-nous recommencer à jouer
19 au ballon ?» parce qu’ils étaient voisins et qu’ils jouaient au
20 ballon ensemble le week-end et, après cela, il est parti.
21 Le lendemain soir, la police serbe est venue, un policier en
22 uniforme bleu, et je l’ai observé à trois ou quatre mètres de
23 distance. L’un de ces Foric, Zilo Foric, avec qui je m’étais lié
24 d’amitié entretemps parce que je lui ai dit qui j’étais, ils ont
25 donc appelé ce Zilo Foric. Ils ont parlé derrière un tracteur
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1 stationné pendant cinq ou huit minutes, puis ils l’ont renvoyé et il
2 a appelé tous les membres de sa famille, son frère et tous les
3 autres pour qu’ils se lèvent, mettent leurs chaussures et le
4 suivent.
5 Entretemps, deux soldats, un autre policier se sont joints à ce
6 premier policier et ils ont tous les quatre emmené les Foric dans
7 une direction inconnue derrière l’immeuble du vieux cinéma et, après
8 cela, je ne sais pas. Je sais que nous avons entendu, eh bien, il y
9 avait sans arrêt des coups de feu, mais nous avions tous peur qu’ils
10 soient fusillés. Peut-être dix minutes plus tard environ, nous avons
11 pu distinguer six coups de feu, c’est-à-dire que deux longs coups
12 les ont précédés, deux coups complets, puis six coups isolés.
13 Nous avons pensé que, peut-être, ils avaient été fusillés. Nous,
14 bien sûr, espérions que ce ne soit pas le cas, mais le lendemain
15 matin, la direction du camp a envoyé quelqu’un enterrer six corps.
16 D’après cette description, nous, les amis et les parents, avons
17 conclu, déduit qu’il s’agissait des Foric, parce que l’un d’entre
18 eux avait la blouse typique des ouvriers, les bleus de travail,
19 c’était un homme d’environ 44 ans; l’un d’eux avait des chaussures
20 de tennis, des baskets; le troisième avait des cheveux blonds plutôt
21 longs.
22 Donc j’ai cru que c’était à cause de moi. J’ai essayé de trouver un
23 moyen de sortir du camp le plus vite possible. Je voulais me sauver
24 cette première nuit-là, mais j’avais des scrupules et j’ai donc
25 demandé à un homme qui était aussi un voisin de Foric : «Ai-je été
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1 la cause de cela ?» Il a dit non, que cela n’avait rien à voir avec
2 moi, que les Serbes n’étaient pas au courant de ma présence ici, que
3 cela avait été fait par leur voisin, probablement comme un prêté
4 pour un rendu pour certaines choses ou, peut-être, parce qu’il était
5 sur ces lignes-là le premier jour, parce qu’il était sur cette
6 ligne, parce qu’il était parmi ceux qui avaient défendu la
7 population musulmane.
8 Mais, indépendamment de cela, j’ai décidé de partir et j’ai réussi à
9 sortir cette nuit-là. Je me suis mis en route vers 1 h 30. Je
10 disposais d’une demie-heure environ, parce qu’à 2 heures, la lune
11 est apparue et il était alors impossible de circuler. J’ai quitté le
12 camp vers 1 h 45, et j’ai suivi le même chemin qu’à l’aller -- je
13 l’ai déjà décrit -- et je suis revenu à l’endroit où je me trouvais
14 avant.
15 Q. : Y êtes-vous resté un certain temps avant de retourner au camp ?
16 R. : Oui, oui, deux jours. Avant que je ne parte et après que les Foric
17 eurent été fusillés, un de mes amis voulait se sauver aussi, et il
18 m’a dit d’être le premier. Si je réussissais, alors il suivrait le
19 lendemain, et si cette évacuation prévue avait lieu, il tenterait
20 alors de sortir et de me laisser un message à un endroit. Le
21 lendemain, je suis venu chercher ce message, mais il n’y avait rien,
22 et j’ai eu l’impression qu’il se passait quelque chose qui n’était
23 pas prévu.
24 J’ai décidé de quitter cet endroit immédiatement et de me mettre en
25 route vers la pisciculture et Grmec. Ce jour-là, j’ai vu 12 autobus
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1 vides qui s’approchaient du camp et six remorques, c’est-à-dire des
2 camions avec deux remorques. Ils sont arrivés vides et étaient
3 stationnés autour du camp. Je croyais que, peut-être, mon ami ne
4 voulait pas prendre le risque, et qu’il voulait monter, peut-être,
5 dans l’un d’eux. Je croyais que, peut-être, ce serait bien pour moi
6 de monter dans l’un d’eux, parce que, si je manquais cette chance,
7 ce pourrait être plus difficile plus tard. De la même manière que
8 j’étais arrivé au camp, les camions sont arrivés vers la soirée, au
9 crépuscule, et ne sont pas partis, et j’ai donc essayé d’entrer de
10 la même manière que je l’avais fait la première fois.
11 Q. : Qu’avez-vous découvert quand vous êtes entré dans le camp ?
12 R. : Quand je suis entré dans le camp, j’ai rencontré Adem Trnjanin, mon
13 voisin et mon ami, il était complètement dépassé, il a dit :
14 «Mevludin, c’est fini. Ils ont appris que tu étais ici. Ils en ont
15 appelé 15 d’entre nous, les ont interrogés. Beaucoup d’entre nous
16 ont été battus, et on nous a donné 48 heures pour dire qui tu es et,
17 si nous ne le disons pas, ils vont nous fusiller, et ce délai est de
18 48 heures.» Maintenant, dans 40 heures, les troupes étaient censées
19 venir de Prijedor pour sillonner la région où ils supposaient que je
20 pouvais me cacher. Je réfléchissais à ce que je devais faire. Une
21 fois de plus, deux possibilités s’offraient à moi : tenter de
22 m’enfuir une fois de plus et rester où j’étais, sachant bien sûr ce
23 qui se passerait et je n’ai pas réfléchi beaucoup parce que, d’un
24 côté, il y avait une vie, de l’autre il y en avait 15. Donc, j’ai
25 opté pour la deuxième possibilité. Je lui ai demandé de me donner
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1 une demie-heure pour réfléchir à ce qu’il fallait dire, à ce que
2 serait ma meilleure réponse.
3 Après cette demie-heure, je lui ai dit au revoir. J’ai laissé des
4 messages, s’ils survivaient pour les apporter à ma famille. Je me
5 suis tourné vers ce lieutenant, le lieutenant Slavko, il était le
6 chef de ces gardiens, de la sécurité du camp, et il est parti au
7 bout d’une demie-heure, et ce Slavko est arrivé.
8 Q. : Avez-vous été amené à quelque autre responsable du camp ?
9 R. : Oui. J’ai été emmené de cet endroit entre l’école et le gymnase. On
10 m’a emmené de l’autre côté de la route vers une maison où j’ai vu
11 une dizaine de soldats. Dans la maison, il y avait leur bureau de
12 commandement et le bureau du commandant du camp, Slobodan Kuruzovic.
13 Lorsque cet homme, Slavko, m’a mené vers cet endroit, le soldat a
14 commencé à courir vers moi. Deux ou trois hommes ont réussi à me
15 frapper. En même temps, Kuruzovic est apparu et il a dit : «Allons-
16 nous le faire tout de suite ?» Et il a dit : «Non, il y aura
17 quelques informations. Laissons tomber pour le moment.» Ensuite, ils
18 ont laissé aller et sont allés plus loin, et Slavko Kuruzovic m’a
19 emmené dans la salle où ils étaient.
20 Q. : Vous ont-ils posé des questions dans la salle ? Comment vous ont-ils
21 traité ?
22 R. : Oui, mais ils ne m’ont pas battu là. Ils m’ont posé une série de
23 questions, mais il semblait que c’était par curiosité personnelle :
24 Comment j’ai réussi à survivre, où je me suis caché, comment je me
25 suis débrouillé sans nourriture. Un de ces soldats bousculait les
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1 choses, il disait : «Nous devons partir, nous devons partir», c’est
2 ce qu’il répétait. Je ne savais pas ce qui allait se passer. Au bout
3 d’une heure environ, à un moment donné, on m’a emmené dehors et,
4 devant cet immeuble, il y avait une Mercedes verte et ils m’ont mis
5 des menottes aux bras. Ils ont commencé par me mettre les mains
6 derrière le dos, puis ils m’ont passé les menottes, et ils m’ont
7 emmené dans la voiture. Slavko, que j’ai déjà mentionné, conduisait.
8 A côté de lui, il y avait un technicien en médecine vétérinaire,
9 Branko de Kozarac, et il m’a demandé à deux ou trois reprises : «Où
10 est ton ami ? Où est ton copain ?» et c’était mon ami Sead qui avait
11 été tué et qui était son patron au travail auparavant. Il a été tué
12 à Omarska. Il m’a demandé à deux reprises : «Où est ton copain ? Où
13 est ton copain ? Quand l’as-tu vu la dernière fois ?» Il riait sans
14 cesse.
15 A côté de moi, un soldat est entré dans la voiture. C’était le frère
16 jumeau de cet autre jumeau qui restait à Trnopolje. Ils ont fait
17 démarrer la voiture et nous sommes partis en direction de Prijedor
18 sur la vieille route. Quand nous sommes passés devant ma maison, ils
19 disaient, ils criaient : «Regarde ta maison là-bas» et ainsi de
20 suite. Ils riaient, provoquaient. Je voyais en chemin des maisons
21 musulmanes brûlées, des balles dans les maisons, toutes étaient
22 rasées au niveau du premier étage.
23 Q. : Où vous a-t-on emmené finalement ?
24 R. : A Prijedor. D’abord, nous nous sommes arrêtés à Keraterm. De l’autre
25 côté, il y avait un immeuble qui servait de prison militaire. C’est
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1 là que nous nous sommes arrêtés. Le chauffeur, Slavko, et cet autre
2 homme, Brano, ils sont partis et sont entrés dans cet immeuble.
3 Pendant 15 minutes environ, il y avait le soldat et moi qui étions
4 là, en train d’attendre. Je voyais de l’autre côté de la route le
5 camp Keraterm et je voyais des scènes horribles. Il est très
6 difficile de les décrire, les squelettes. Je ne parlais pas à ce
7 soldat mais, à un moment donné, il m’a demandé : «Mevludin, comment
8 se fait-il que tu étais député et que tu vivais dans une telle
9 maison ?» J’ai dit : «C’est comme ça quand on vit honnêtement.»
10 Comme sa question n’était pas une provocation, c’est ce que je
11 croyais au moins, je croyais que je pourrais peut-être lui demander
12 quelque chose qui m’intéressait et lui ai demandé : «Pouvez-vous me
13 dire s’ils vont me tuer tout de suite ou plus tard ? Comment faites-
14 vous ces choses maintenant ?» et il a dit : «Ceci ne veut pas dire
15 qu’ils vont vous tuer. Cela dépend de ce que vous leur direz.» Je
16 suis resté silencieux pendant quelque temps, puis j’ai dit : «Quelle
17 serait la meilleure chose à leur dire ?» Il a dit : «Je ne sais pas,
18 Mevludin. J’espère qu’Allah vous aidera.» C’est exactement ce qu’il
19 m’a dit. Puis, nous avons cessé de parler et, très vite, les deux
20 autres sont arrivés, et ils m’ont emmené au SUP de Prijedor, dans
21 l’immeuble du poste de police.
22 Q. : Une fois que vous êtes arrivé au SUP, où vous a-t-on emmené et
23 comment avez-vous été traité ?
24 R. : On m’a emmené dans un bureau. Au tout début, un homme est entré. Son
25 surnom est Saponja. Je crois que son nom est Dragan Saponja. Ils ont
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1 commencé à me battre dès le début. Après cela, ils ont commencé à
2 faire de la provocation. Il y avait un homme, quelqu’un que je
3 connaissais, je prenais un café avec lui de temps en temps. Il était
4 étudiant en criminologie. Il n’a pas fini ses études mais il est
5 devenu inspecteur. J’ai été battu dans son bureau. J’ai réussi à le
6 supporter jusqu’au moment où Saponja a commencé à me battre sur la
7 tête avec une matraque et, après le huitième coup, je suis tombé et
8 il m’a fait me relever et a enlevé la ceinture de mon pantalon, l’a
9 mise autour de moi et a dit ceci : «C’est une cravate pour toi.»
10 Puis, il m’a emmené dans une autre pièce où il y avait un inspecteur
11 et un policier dont je ne connais pas le nom mais je me souviens de
12 lui. Avant la guerre, c’était un policier ordinaire à Prijedor. En
13 même temps, ils ont apporté une boîte à chaussures et, dedans, il y
14 avait une vidéocassette, deux de mes agendas, un ancien et un plus
15 récent. Il y avait là une revue, et c’étaient les preuves contre
16 moi. Puis, la première audience avait commencé.
17 Q. : Quelle était cette revue qui était une preuve contre vous ?
18 R. : C’était une revue théologique. Mon père était membre du clergé. Il
19 recevait régulièrement une revue théologique. C’était une revue qui
20 s’appelait la «Pensée islamique», Islamska Misad. On pouvait se la
21 procurer régulièrement dans les kiosques à journaux. Ce numéro
22 datait de quatre ans. Ils ne la regardaient sans doute pas très
23 attentivement. Ils auraient pu trouver des numéros plus récents,
24 mais cela devait être la preuve pour les accusations qui seraient
25 faites plus tard.
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1 Q. : Avez-vous été emmené dans une cellule une fois qu’ils ont eu fini de
2 vous battre ?
3 R. : Oui.
4 Q. : Y avait-il quelque chose sur l’état de cette cellule qui indiquait ce
5 qui était arrivé aux prisonniers qui y avaient été avant vous ?
6 R. : Oui, oui. Il y avait beaucoup de sang dans la cellule. Sur les murs,
7 il y avait des trous de balles. Sur le mur de droite, au-dessus d’un
8 lit en métal, environ un mètre au-dessus, il y avait une horrible
9 tache de sang et un morceau de cerveau. C’était un trou de balle, et
10 puis il y avait quelque chose comme si vous preniez de la boue, de
11 couleur rouge, et que vous barbouilliez ensuite partout. C’était un
12 indice que quelqu’un a été fusillé de très près à cet endroit. Il
13 m’ont emmené et, à ce moment-là, il y avait deux hommes et deux
14 femmes dans la cellule. Je m’en souviens. Je me souviens aussi qu’au
15 bout d’une heure et demie, il y avait un homme qui est venu près de
16 moi, parce qu’ils m’ont jeté par terre devant la cellule. Ils m’ont
17 battu aussi, et il m’était donc impossible de me relever. Ces
18 personnes essayaient de me mettre sur un lit et j’ai demandé d’où
19 ils venaient et ils ont dit qu’ils étaient de Cela qui est une
20 banlieue de Prijedor. On les a simplement emmené de leur maison, et
21 ces deux femmes ont été emmenées alors qu’elles étaient dans la rue.
22 Q. : Avez-vous reconnu les gens qui vous ont battu devant la cellule ?
23 S’agissait-il de policiers, de soldats, de gens de l’endroit ?
24 R. : Oui. Oui, une partie d’entre eux étaient des gens de l’endroit que
25 j’ai reconnus. Une partie de ces jeunes hommes m’étaient inconnus.
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1 Ils avaient un léger accent étranger. Je suppose que c’étaient des
2 hommes d’unités spéciales de la Serbie, car on les appelait
3 habituellement les Bérets rouges. Je sais qu’ils étaient une sorte
4 de peloton d’urgence, une sorte de leur meilleur type de police. Il
5 y avait des mauvais traitements, de la violence, on vous plaçait un
6 couteau sous la gorge, on vous battait. Ils ont voulu m’emmener au
7 dortoir, mais ils ne l’ont pas fait parce que ceux d’en-haut ont
8 donné l’ordre de ne pas m’y transférer. Mais ils venaient de temps à
9 autre, frappaient à la porte de métal, donnaient des coups de pied
10 dans la porte de métal, et ils disaient : «La député va venir vous
11 voir.» A un moment donné, deux policiers sont venus. Ils ont ouvert
12 la porte et j’ai cru que la même chose allait se répéter. Puis,
13 l’inspecteur m’a demandé : «Pouvez-vous me dire où se trouve la
14 preuve ?» J’ai dit : «Il n’y en a plus.» Il a dit : «Ce n’est rien.
15 Nous voulons une vraie preuve.» Parce qu’ils m’accusaient d’emblée,
16 ils ont dit : «Vous êtes un intégriste. Vous pouvez prétendre que
17 vous ne l’êtes pas, mais nous savons que vous l’êtes, parce que
18 votre père l’était.» Je n’avais aucune sorte d’autre preuve et j’ai
19 proposé qu’ils aillent chez moi, qu’ils fouillent tout, que j’aille
20 avec eux. Il y avait des dizaines d’autres revues comme cela. Ils
21 ont fermé la porte et sont partis.
22 Puis, ils ont fait sortir ces autres hommes et femmes et j’ai passé
23 la nuit dans la cellule. Le lendemain matin, ils sont venus me
24 chercher. Ils m’ont fait sortir de la cellule, puis fait traverser
25 l’immeuble du SUP. J’étais attaché avec une ceinture et c’est ainsi
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1 qu’ils m’ont promené et ils disaient : «Dégagez le passage, nous
2 emmenons le député avec nous.» La ceinture que j’avais autour du cou
3 était très serrée, ils tiraient dessus. Ils m’ont emmené à l’autobus
4 qui était stationné là. J’ai remarqué des femmes et des filles plus
5 jeunes qui montaient dans l’autobus, elles étaient maquillées, et un
6 ou deux soldats entraient aussi. A ce moment-là, M. Simo Miskovic
7 est entré dans le SUP. J’ai saisi son regard et je m’attendais à ce
8 qu’il me regarde. J’espérais que peut-être je pourrais lui poser une
9 question, mais il a détourné la tête et a poursuivi son chemin. Puis
10 nous sommes montés dans l’autobus et on m’a emmené sur la route de
11 Prijedor à Kozarac jusqu’à Omarska. Nous sommes arrivés dans le camp
12 d’Omarska. Donc, c’est là que j’ai compris où j’allais, mais je ne
13 comprenais pas pourquoi ces femmes maquillées y allaient et les
14 civils, mais quand nous sommes arrivés, c’étaient des employées,
15 elles travaillaient là comme secrétaires.
16 Q. : Dans quelle partie du camp avez-vous été emmené ?
17 R. : D’abord, on m’a amené près de la partie administrative. On m’a fait
18 descendre de l’autobus et passer près de deux groupes de gens qui
19 étaient assis les jambes et les bras tirés vers le haut, et il y
20 avait des sortes de carrés. Les carrés autour de lui avaient des
21 chaînes de métal, et c’est donc ainsi que c’étaient des sortes de
22 carrés. On m’a emmené dans l’immeuble administratif. Nous avons
23 monté les escaliers. Il y avait une table et un soldat était assis
24 là et, à côté de lui, il y avait deux autres soldats. Ils ont pris
25 mon nom, puis on m’a fait traverser cette partie centrale de la soi-
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1 disant pista vers une petite maison blanche qui était au bout. Il
2 m’ont emmené dans la soi-disant maison blanche. Ils m’y ont emmené
3 et ils m’ont laissé là. Les policiers qui m’escortaient sont sortis
4 et, durant une minute ou deux, je me suis trouvé là seul.
5 Q. : M. Semenovic, en regardant la pièce à conviction 130, pouvez-vous
6 indiquer la maison blanche ?
7 R. : Oui. L’autobus est venu dans ce sens. C’est là qu’on m’a amené au
8 premier étage, puis ici à la maison blanche. Ils sont entrés et
9 m’ont emmené dans la première pièce à gauche, cette fenêtre à
10 gauche, et c’est là que les soldats sont venus plus tard regarder
11 comment ils me battaient.
12 Q. : Que s’est-il passé après que vous avez été placé dans la première
13 pièce ?
14 R. : Environ deux minutes plus tard un civil est entré. On voyait que
15 c’était un prisonnier de guerre, parce que tout ce qu’il portait
16 était sale. Il s’est avancé vers moi et a dit : «Etiez-vous
17 député ?» et j’ai dit oui, et il a commencé à me battre. Il n’avait
18 aucune sorte de bâton ni rien de la sorte. Il me battait avec sa
19 main. Cela a duré une dizaine de minutes, après quoi il est sorti.
20 Ensuite, un soldat serbe est entré et il a commencé à me battre, et
21 c’étaient des coups assez durs. Cette fois-là, ils ont fracturé cet
22 os, ici. Ces premières côtes étaient probablement cassées, parce que
23 j’avais beaucoup de difficulté à respirer et cela me faisait très
24 mal. Je n’arrivais pas à ouvrir la bouche. Après ce deuxième homme,
25 un troisième homme est entré. Le deuxième avait une sorte de bâton,
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1 un bâton de type métallique, qui était recouvert d’une sorte de
2 morceau jaune transparent, il devait mesurer environ 70 ou 80
3 centimètres de long, et il me battait avec le bâton. Ensuite, un
4 troisième soldat est entré et, en même temps, cinq ou six soldats
5 étaient à la fenêtre. Je voyais leur tête. Ils regardaient tout et
6 ils disaient : «Oh! Est-ce le député ? Il est arrivé exactement où
7 il devrait être, parfait.»
8 Après le cinquième qui est entré avec la même mission, je me suis
9 rendu compte qu’ils suivaient un certain ordre, parce qu’ils
10 auraient pu entrer, tous, comme dans la prison de Prijedor mais,
11 non, ils entraient un par un. Après le cinquième soldat, j’étais
12 complètement ensanglanté parce que, à un moment donné, je suis tombé
13 et il m’a frappé avec sa botte dans le nez et le visage et, pendant
14 quelques secondes, j’étais tout ensanglanté. On a fait venir un
15 vieil homme pour me nettoyer le visage. Il l’a fait, puis on m’a
16 emmené dehors voir le policier qui m’avait d’abord fait entrer dans
17 le bâtiment administratif. Puis, le soldat a commencé à courir après
18 moi pour me battre, mais le policier qui était derrière moi lui a
19 dit : «Nous ne devrions pas le toucher pendant l’interrogatoire.
20 Après tout, nous aurons tous notre tour.» Cette dernière, je l’ai
21 citée. Je me rendais compte de ce qui se passait, mais j’avais très
22 peur, parce que j’entendais que les gens seraient battus pendant dix
23 jours et qu’ils mourraient comme cela.
24 Q. : Vous a-t-on amené pour un interrogatoire ?
25 R. : Oui, je suis allé à l’étage supérieur. En gros, quelque part au
Page 1540
1 milieu du couloir sur la droite, il y avait une salle. Dans chaque
2 salle, j’entendais qu’il y avait des soldats. J’ai entendu quelques
3 cris de plusieurs salles. On m’a amené dans une salle où se trouvait
4 un homme que j’avais remarqué dans l’autobus en venant de Prijedor.
5 Il était à peu près trois sièges devant moi et il s’est retourné.
6 C’était un homme âgé et il s’appelait Dragan Radakovic. Il était
7 assis au bureau et il y avait deux soldats serbes très solidement
8 bâtis, et nous étions trois dans la salle. On m’a dit de m’asseoir,
9 ce que j’ai fait. D’abord, il m’a demandé : «Vous ont-ils battu ?»
10 Je suis resté silencieux et il a répété sa question sur un ton plus
11 sévère. J’ai dit : «Je ne sais pas ce qu’il vaut mieux dire, qu’ils
12 l’ont fait ou pas» et il a répondu : «Vous pouvez dire qu’ils l’ont
13 fait parce que vous êtes tout ensanglanté. C’est l’un des vôtres qui
14 vous a battu, n’est-ce-pas ?»
15 Q. : Avez-vous convenu avec lui que c’était un Musulman ou un Croate qui
16 vous avait battu ?
17 R. : Oui. J’ai dit oui.
18 Q. : A-t-il ----
19 R. : Excusez-moi, il m’a demandé, j’ai dit : «Oui, c’est exact» et il m’a
20 demandé : «Est-ce que quelqu’un d’autre vous a battu ?» et j’ai dit
21 que je ne me souviens pas parce que j’ai perdu connaissance.
22 Q. : S’est-il présenté à vous ?
23 R. : Après cela, il s’est présenté. Il a dit : «Je m’appelle Dragan
24 Radakovic. Je suis le directeur du parc national Kozara. Nous
25 aurions dû être collègues parce que vous êtes dans le Comité
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1 directeur du Parc national en tant qu’un des députés, parce que le
2 Parlement avait toujours deux députés au Conseil de chaque Parc
3 national.» Il a dit : «Je suis sculpteur et j’ai une maîtrise en
4 psychologie.» Puis il a commencé à m’interroger et à demander des
5 informations. Quand il a commencé, il a dit exactement ce qui suit :
6 «Prijedor ne nous intéresse pas. Nous savons que vous n’aviez pas
7 d’armes. Il y avait quelques armes mais c’est négligeable. Nous nous
8 intéressons à Sarajevo. C’est Sarajevo qui nous intéresse.» Il l’a
9 répété plusieurs fois.
10 Q. : De quelle nationalité était M. Radakovic ?
11 R. : M. Radakovic est serbe.
12 Q. : De quelle nationalité étaient les hommes qui vous ont battu dans la
13 maison blanche ?
14 R. : Serbe. C’étaient des soldats serbes à l’exception de ce premier
15 homme, un prisonnier du camp qui était musulman, son surnom était
16 Besa. C’est ce dont je me souviens. Je crois que son surnom devait
17 être Besic et qu’il venait d’un village au-dessus de Kozarac mais il
18 avait vécu assez longtemps, je crois, quelque part dans la région de
19 Gornji Puharska et il était ----
20 Q. : Savez-vous pourquoi il vous battait ?
21 R. : Non, non. Je ne me souviens pas de la raison. Il l’a simplement fait.
22 Q. : Etait-il prisonnier dans le camp ?
23 R. : Oui.
24 Q. : A-t-il reçu un traitement spécial ou des faveurs spéciales des
25 gardiens du camp ?
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1 R. : Oui.
2 Q. : Pendant combien de temps s’est poursuivi l’interrogatoire mené par
3 M. Radakovic ?
4 R. : Vous voulez dire ce jour-là ou au total ?
5 Q. : Au total.
6 R. : Plusieurs jours. Six jours, je crois.
7 Q. : Au début, s’est-il concentré sur la région qu’il a mentionnée en
8 premier, des questions sur Sarajevo ?
9 R. : Oui. Oui et pendant presque toute la première journée il m’a
10 interrogé sur deux Serbes qui demeuraient dans le gouvernement
11 bosniaque. Ils ont refusé de quitter le gouvernement bosniaque et
12 d’aller à Pale. Il s’agissait de M. Zepinic et de M. Simovic.
13 Q. : Avez-vous été battu pendant les interrogatoires ?
14 R. : Non, non. Non, j’ai essayé de trouver un moyen de l’empêcher. Je
15 savais comment les choses se dérouleraient et, à un moment donné,
16 quand nous sommes restés tous deux seuls dans ces salles, je lui ai
17 dit deux ou trois phrases qui, je crois, ont eu un effet sur lui.
18 Donc, il a décidé d’empêcher le passage à tabac, au moins pour les
19 deux ou trois jours suivants. J’ai dit exactement ce qui suit :
20 «Monsieur, nous sommes maintenant seuls tous les deux. J’ai 30 ans
21 et je sais que ma vie touche à sa fin. Vous faites ce travail.» --
22 parce qu’il disait sans cesse : «Je fais ce travail, j’en viens à ce
23 travail.» -- «Donc, vous faites ce travail et vous avez pour
24 objectif de le faire le mieux possible.» Je lui ai dit : «Je
25 signerai tout ce qui vous arrange. Vous pouvez écrire librement que
Page 1543
1 j’ai tué 100 Serbes, que j’ai réussi à fournir deux remorques
2 d’armes mais, pendant que vous et moi sommes seuls, ne me forcez pas
3 à mentir, à dire des choses qui ne sont pas vraies. Pendant que nous
4 discuterons, je vous dirai la vérité, mais nous pouvons prendre
5 l’entente suivante. Vous aurez un rapport idéal, vous pouvez
6 simplement l’écrire et je le signerai sans difficulté, mais je vais
7 vous demander une faveur. Pendant que cela dure, veuillez m'épargner
8 le passage à tabac, parce que je crois que ce n’est pas nécessaire.
9 Vous obtiendrez tout ce que vous voulez. Vous réaliserez ce que vous
10 avez prévu et, après cela, laissez-moi mourir décemment, comme un
11 homme devrait mourir.»
12 J’ai également dit quelque chose qui l’a peut-être ému. Je lui ai
13 dit : «Quelqu’un survivra à cette guerre. J’ai deux soeurs, une mère
14 et au moins une d’elles trois survivra peut-être et, le dernier
15 jour, je vous enverrai un message et je vous demanderai qu’un jour,
16 quand tout sera fini, vous donniez ce message à un membre de ma
17 famille, et ils sauront vraiment comment vous manifester leur
18 reconnaissance parce que vous aurez épargné le passage à tabac à
19 leur fils et leur frère.»
20 Je lui ai dit toutes ces choses pour deux raisons : Pour qu’ils ne
21 me forcent pas à essayer de découvrir que certaines personnes sont
22 coupables et à donner les noms de certaines personnes qui étaient au
23 camp et, au cas où je leur dirais que je ne savais pas, pour qu’ils
24 me croient et, dans la mesure du possible, pour que je puisse mourir
25 en souffrant le moins possible. Je crois que j’ai produit un certain
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1 effet, parce qu’il m’a dit qu’il ne pouvait plus parler. Donc, au
2 bout de cinq minutes de silence environ, en regardant par la
3 fenêtre, je ne voyais plus son visage alors, il se dirigea vers la
4 porte. Il a fait venir les gardiens et il a dit : «Emmenez-le dans
5 la verrière» et je ne savais pas ce que cela voulait dire avant de
6 la voir.
7 Q. : Avez-vous été emmené dans la verrière ?
8 R. : Oui.
9 Q. : Pouvons-nous projeter le film, s’il vous plaît ?
10 LE PRESIDENT : Quelle est cette pièce à conviction, M. Tieger ?
11 M. TIEGER : Excusez-moi, Madame le Président, ce sera la pièce à
12 conviction 133 ----
13 LE PRESIDENT : Y a-t-il quelque objection à la pièce à conviction 133 ou
14 a-t-elle été versée au dossier ? Elle n’est pas encore versée au
15 dossier, n’est-ce-pas ?
16 M. TIEGER : Non.
17 LE PRESIDENT : Y -a-t-il quelque objection à la pièce à conviction 133 ?
18 M. VLADIMIROFF : Non, Madame le Président.
19 LE PRESIDENT : D’accord, la pièce à conviction 133 sera versée au dossier.
20 M. TIEGER : En fait, Madame le Président, comme nous devrions le regarder,
21 j’aimerais que ce document soit d’abord présenté comme pièce à
22 conviction si possible, puisque nous ne l’avons pas en face de nous.
23 LE PRESIDENT : D’accord, c’est parfait. Quelle est la durée du film ?
24 M. TIEGER : Très courte, Madame le Président.
25 (Projection de la vidéo)
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1 M. TIEGER : M. Semenovic, avez-vous reconnu l’endroit décrit sur cette
2 vidéo ?
3 R. : Oui. La manière dont vous l’avez montré à droite de la verrière,
4 tandis que les gens qui filmaient étaient dans la cuisine, la
5 cantine.
6 Q. : Est-ce vous, assis, qui étiez sur le gros plan filmé dans ce vidéo ?
7 R. : Oui. Je me suis reconnu en premier. J’étais le premier à côté de la
8 vitre. Je me souviens quand les journalistes étrangers filmaient
9 cela. C’est la prise de vue.
10 M. TIEGER : Madame le Président, ce document peut-il être présenté comme
11 pièce à conviction 133 ?
12 LE PRESIDENT : Eh bien, il convient plutôt de commencer par en définir la
13 nature. Donc, c’est la pièce à conviction 133, un film. Dans quel
14 camp était-ce, M. Tieger ou M. Semenovic ? Est-ce Omarska ?
15 R. : Le film a été fait dans le camp d’Omarska vers le début du mois
16 d’août, disons le 5 août, le 5 ou le 6 août. Je ne suis pas sûr mais
17 approximativement vers ce moment-là. C’étaient des journalistes
18 étrangers. Tout ceci s’est passé soudainement. Un matin, nous avons
19 remarqué un grand changement chez les soldats serbes dans le camp.
20 Ils portaient tous des nouveaux uniformes très propres. Ils avaient
21 tous de nouveaux fusils et la différence par rapport aux jours
22 précédents quand ils avaient le fusil sur l’épaule et ce jour-là ils
23 l’avaient tous dans la main, tous vraiment. Nous ne savions pas ce
24 que cela voulait dire, mais parfois, juste avant midi, nous
25 remarquions un groupe plus nombreux de journalistes et certains
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1 caméramans. Ils sont entrés et ils filmaient partout. L’une des
2 caméras était près de cette vitre, mais j’avais l’impression que je
3 ne me retournais pas, cela aurait pu être dangereux.
4 M. TIEGER : Madame le Président, je remarque que nous avons présenté ce
5 document comme pièce à conviction 133. Je demanderais maintenant
6 qu’elle soit versée au dossier.
7 LE PRESIDENT : Y a-t-il quelque objection ?
8 M. WLADIMIROFF : Non, Madame le Président.
9 LE PRESIDENT : La pièce à conviction 133 est versée au dossier. Elle est
10 très courte. Pouvez-vous la projeter de nouveau ?
11 (Deuxième projection de la vidéo)
12 LE PRESIDENT : Merci. Nous allons suspendre l’audience jusqu’à 14 h 30.
13 (14 h 30).
14 Rappel de M. SEMENOVIC
15 Poursuite de l’interrogatoire de M. Tieger (suite).
16 LE PRESIDENT : M. Tieger, voudriez-vous continuer, s’il vous plaît ?
17 M. TIEGER : Merci, Madame le Président. (Au témoin) : M. Semenovic, vous
18 avez indiqué qu’on vous avait gardé dans la verrière du bâtiment
19 administratif d’Omarska.
20 R. : Oui.
21 Q. : Est-ce que les gens dans la verrière ont reçu un traitement différent
22 des autres prisonniers dans le camp d’Omarska ?
23 R. : Oui, leur position était en quelque sorte meilleure.
24 Q. : Est-ce que les gens payaient parfois les gardiens ou soudoyaient les
25 gardes pour qu’on les mette dans la verrière ?
Page 1547
1 R. : Oui. Oui, les gens pouvaient y acheter une place. Ils payaient en
2 espèces ou en or. A un moment donné, j’ai vu M. Helmija Nukic. Il
3 n’avait probablement plus d’argent et tout ce qui lui restait était,
4 je crois, une chaîne en or de sa poche et il l’a donnée à un jeune
5 homme qui était là comme cuisinier. Quelques autres personnes
6 auxquelles j’ai parlé, qui m’ont parlé, elles ont dit qu’elles
7 étaient arrivées à la pépinière, à la verrière, en payant une
8 certaine somme d’argent. Au début, ces sommes étaient considérables
9 et puis, avec le temps, de moins en moins.
10 J’ai également remarqué que certaines personnes dans la verrière
11 étaient dans un état convenable, contrairement à d’autres personnes
12 que je voyais traverser en courant pour aller déjeuner. La plupart
13 d’entre elles ressemblaient à des squelettes. Certains d’entre eux
14 avaient les bras cassés, certains ne pouvaient même pas bouger et
15 étaient menés par d’autres. Certains d’entre eux ont été transférés
16 à la verrière. D’autres ont trouvé un moyen de donner l’argent aux
17 Tchetniks, puisque c’est ainsi qu’ils se dénommaient et amélioraient
18 ainsi leurs conditions.
19 Parmi les personnes dans la verrière, j’ai remarqué un homme qui
20 était un employé de bureau au SUP. Il était complètement bleu de la
21 tête aux pieds avec d’énormes ecchymoses, et je croyais qu’il avait
22 été battu dans le «staklenik», et puis on m’a dit qu’il était
23 transféré d’une autre salle à la verrière la veille de mon arrivée.
24 Ils y gardaient un certain nombre de personnes qui participaient à
25 la guerre du côté de l’armée nationale yougoslave, au front, dans la
Page 1548
1 République de Croatie, c’est-à-dire ceux qui leur servaient de
2 soldats pendant un certain temps et, quand ils sont rentrés chez
3 eux, ils ont également été placés dans un camp à Omarska, mais ils
4 ont été mieux traités en quelque sorte, c’est-à-dire, on les a mis
5 dans la verrière.
6 Q. : Etiez-vous protégé de ----
7 JUGE STEPHEN : Excusez-moi, je ne crois pas que vous ayez montré où se
8 trouve la verrière sur le plan.
9 M. TIEGER : Merci, Madame le Président. (Au témoin) : M. Semenovic,
10 pouvez-vous prendre le pointeur et nous montrer où se trouve la
11 verrière, s’il vous plaît ?
12 R. : Le bâtiment administratif comprenait deux ailes. Ceux-ci, ici,
13 étaient les bureaux et ils servaient de bureaux où avaient lieu les
14 interrogatoires. Puis il y avait quelques bâtiments annexes ouverts
15 des deux côtés. Ce côté était un espace vide, c’est-à-dire un espace
16 ouvert. Il n’y avait pas de toit là, et c’est adjacent à la cantine,
17 et il est complètement entouré de verre. C’est pourquoi il
18 l’appelait une verrière, c’est-à-dire une partie sans toit du
19 bâtiment.
20 M. TIEGER : Madame le Président, si je peux me permettre, j’ai remarqué
21 qu’il y a une vue relativement bonne du bâtiment que l’on peut voir
22 à l’écran. Si je pouvais enlever le toit, cela pourrait aider la
23 Cour ?
24 LE PRESIDENT : Eu égard à votre demande d’une caméra, M. Tieger, j’ai
25 parlé avec le directeur de notre service vidéo. Il a dit qu’il va
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1 installer une caméra sur la table pour pouvoir filmer du dessus. Il
2 pensait que la vue serait meilleure. Ce sera fait la semaine
3 prochaine, donc je ne sais pas ce que nous verrons maintenant d’en-
4 haut, c’est ça.
5 LE TEMOIN : Voici la verrière, voici la cantine, voici la salle à manger,
6 voici la porte, l’entrée, et les prisonniers empruntaient cette
7 entrée. Ils passaient par ce couloir ici que je montre maintenant.
8 Puis à cette ligne où ils faisaient la queue pour la nourriture à
9 côté de la porte de la verrière, et ceci, et la porte de la verrière
10 était ici, ici dans cette partie.
11 M. TIEGER : Merci, M. Semenovic. Pendant la période où vous étiez dans la
12 verrière, étiez-vous à l’abri des passages à tabac ?
13 R. : Oui. Les soldats ont essayé d’entrer dans la verrière plusieurs fois,
14 plutôt, pour me faire sortir, mais on leur a interdit de le faire
15 parce que les inspecteurs avaient prévu que des photos seraient
16 prises, plutôt, que quelques séquences, séquences vidéo seraient
17 faites là. C’est pourquoi, pour que je n’apparaisse pas trop
18 déformé, je n’ai été battu que le premier jour et cette séquence que
19 nous avons vue aujourd’hui a été faite, je crois, le huitième jour
20 de mon séjour dans la verrière. Puis, un prisonnier qui me battait
21 et qui avait pour surnom Besa, était aussi dans la verrière. Son lit
22 de camp était à côté du mien.
23 Q. : L’homme qui était la première personne à venir dans la maison blanche
24 quand vous êtes arrivé à Omarska pour la première fois ?
25 R. : Oui, oui.
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1 Q. : M. Radakovic a-t-il en fin de compte préparé une déclaration à vous
2 faire signer ?
3 R. : Oui, le procès-verbal de l’interrogatoire, selon ce qu’on m’a dit,
4 devait être signé une fois la procédure terminée et dans son bureau.
5 Je n’ai pas signé ce procès-verbal, mais on m’a montré une
6 déclaration quelques jours avant cela que j’étais censé lire devant
7 les caméras de la télévision locale, lire, en regardant
8 littéralement la caméra, puis répondre, puis lire les réponses
9 contenues dans la déclaration précédente. J’ai fait cela deux ou
10 trois jours avant que ce film ne soit fait, c’est-à-dire avant que
11 les journalistes étrangers ne soient entrés dans le camp. Cette
12 entrevue a été faite par M. Mutic.
13 Q. : Est-ce que M. Radakovic vous a posé des questions sur d’autres
14 prisonniers du camp ? Vous a-t-il interrogé sur Anes Medunjanin, par
15 exemple ?
16 R. : Oui, oui. Comme l’interrogatoire a duré plusieurs jours, il
17 philosophait souvent sur la vie. Il me racontait diverses choses sur
18 sa profession et ce n’était pas une conversation, c’était plutôt
19 comme un monologue et, bien sûr, dans la position dans laquelle
20 j’étais, je ne pouvais qu’écouter.
21 Il parlait de la position très difficile des Serbes à Tuzla et je
22 cite maintenant : «C’est l’hôtel. C’est ainsi que les Serbes vivent
23 à Tuzla. Là, les Musulmans puisent de l’eau dans des puits
24 saumâtres, et répandent l’eau dans l’Etat /sic/ de Tuzla, et là, les
25 Serbes restent debout au soleil pendant des jours et des jours et
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1 doivent lécher cette eau saumâtre à même l’herbe, et ils ont encore
2 plus soif qu’avant; comme c’est une terrible torture; et comment on
3 vit à Omarska quand ils ont un repas par jour et quand ils ont de
4 l’eau et à quoi ressemble un véritable hôtel par rapport à Tuzla.»
5 Il se livrait aussi à quelques réflexions, théories, sur la vie et
6 puis, à un moment donné, m’a demandé si je connaissais Anes
7 Medunjanin. J’ai dit que je connaissais son père qui était l’un des
8 dirigeants de la direction du Parti et Anes est un homme assez
9 jeune. Je l’ai connu enfant mais, objectivement parlant, je ne
10 pouvais pas le fréquenter. Alors, mais cela a eu un effet de
11 surprise, il a dit à quel point c’était un jeune homme merveilleux,
12 à quel point ce garçon connaissait la religion orthodoxe, que «Je ne
13 connais /sic/ pas l’Islam aussi bien qu’il connaît la religion
14 orthodoxe, et il connaît peut-être mieux la religion orthodoxe que
15 moi. Je n’arrivais vraiment pas à croire comment un tel intégriste,
16 comment un tel extrémiste musulman pouvait s’avérer un jeune homme
17 aussi gentil, brillant», puis il m’a dit : «Je vais vous faire
18 connaître Anes Medunjanin.»
19 Q. : Vous souvenez-vous combien de fois vous avez été interviewé par les
20 journalistes à Omarska ?
21 R. : Trois fois. La première et la deuxième entrevue se suivaient. Elles
22 ont eu lieu dans la même salle et au même moment. Donc, le même
23 jour, l’une après l’autre.
24 Q. : Je veux vous demander comment vous avez finalement réussi à quitter
25 Omarska. A un moment donné, vous a-t-on amené de la verrière jusqu’à
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1 un bureau dans le bâtiment administratif ?
2 R. : Oui, c’était le lendemain de l’arrivée des journalistes étrangers, le
3 lendemain de la séquence que nous avons vue. Quand les journalistes
4 étrangers sont partis, on m’a emmené à l’étage supérieur, dans une
5 grande salle de la partie centrale du bâtiment administratif à
6 gauche, et une équipe de télévision de Pale est venue là.
7 Ils m’ont présenté et ils ont allumé leurs caméras et m’ont présenté
8 comme un responsable du SDA, un ancien député qui venait à Omarska
9 de son plein gré, pour voir comment ces gens-là y vivaient. Ils ont
10 dit qu’ils étaient injustement accusés d’avoir un camp de
11 concentration et m’ont demandé de confirmer que ce n’était pas un
12 camp de concentration.
13 Puis, la question suivante consistait à demander, à leur dire
14 comment la classe religieuse, comment les religieux étaient les
15 premiers, étaient armés ou, plutôt, comment le clergé était armé au
16 début. Ils m’ont demandé d’énumérer les responsables. Je n’ai donné
17 que le nom de la première personne du parti, Mirza Mujadzic, parce
18 que j’étais certain qu’il était à Bihac. Pendant environ un mois
19 avant cela, nous avions entendu sur un petit poste de radio à
20 transistors une entrevue qu’il donnait à la radio locale à Bihac. Je
21 n’ai pas donné d’autres noms.
22 Puis, ils sont partis pour Trnopolje et l’on m’a ramené à la
23 verrière. Le lendemain matin, la police est revenue. Ils m’ont
24 ramené dans la même salle où j’étais la veille et, un peu plus tard,
25 peut-être au bout de cinq minutes, un homme dont je me rappelais
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1 alors le visage est entré. Je me souvenais de son visage mais je ne
2 me souvenais pas de son nom.
3 Q. : S’est-il présenté ?
4 R. : Oui, il est entré, a offert de me serrer la main et a dit : «Vous
5 souvenez-vous de moi ?» J’ai ensuite pensé que c’était l’homme de
6 l’hôtel de ville à Prijedor, un Serbe. Il ressemblait à un homme qui
7 s’appelle Bereta et j’ai dit : «Oui, je me souviens de vous à
8 l’Assemblée», et il a dit : «Oui, je suis Vojo Kupresanin, président
9 de la région autonome de Banja Luka. Je me souviens bien de vous à
10 Sarajevo, à l’Assemblée», puis j’ai situé qui c’était.
11 Q. : Qu’est-ce que M. Kupresanin vous a dit d’autre ?
12 R. : Il s’est assis à côté de moi et a commencé une discussion politique
13 avec moi, la discussion à laquelle je ne pouvais pas participer;
14 après que tout cela fut arrivé, j’en étais simplement incapable.
15 Tout cela me semblait, c’est une situation difficile à décrire, la
16 mort partout et, à ce moment-là, quelqu’un vous interroge sur vos
17 opinions politiques.
18 Je savais qu’il s’attardait longuement avant de poser des questions,
19 que c’était plutôt dur pour les Musulmans, tout cela se passait, que
20 l’Europe avait attribué aux Serbes le rôle de bourreaux des
21 Musulmans. Il a dit que c’était une conspiration du Vatican et que
22 le moment était venu de faire quelque chose pour améliorer la
23 situation.
24 Il parlait, il a continué, pendant environ cinq minutes, puis un
25 soldat est entré, l’a appelé et a dit : «Excusez-moi, M. Kupresanin,
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1 M. Karadzic a besoin de vous.» Il est sorti et s’est dirigé vers le
2 téléphone. Je voyais que c’était dans la salle voisine, la table qui
3 était en diagonale au milieu de la salle. Je le voyais et Kupresanin
4 a commencé à converser avec Karadzic. Ce que Karadzic lui demandait
5 ou lui disait, je ne sais pas parce que je ne l’entendais pas, mais
6 je l’ai entendu répéter plusieurs fois : «300 lits, nous avons un
7 besoin urgent de 300 lits. Envoyez-le, envoyez-les et envoyez
8 beaucoup de savon et de détergents, si possible, pendant la
9 journée.» Puis il a gardé le silence quelque temps et a dit alors :
10 «Je n’en ai trouvé qu’un.» Je n’étais pas sûr qu’il parlait de moi
11 en disant cela, mais j’ai supposé qu’il était possible qu’il ait
12 voulu parler de moi; qui étaient les autres, je ne sais pas.
13 Q. : Est-ce que Kupresanin vous a emmené d’Omarska et vous a amené voir
14 des membres de votre famille ?
15 R. : Il m’a emmené d’Omarska. Il revenait vers la salle où je me trouvais
16 et je croyais qu’il continuerait la conversation, mais il a dit :
17 «Vous venez avec moi.» Je ne savais pas ce que cela voulait dire.
18 J’ai commencé, j’ai demandé la permission de prendre ma veste dans
19 la verrière et de dire «au revoir» à ceux qui restaient, je voulais
20 /sic/ leur faire savoir que je partais parce que je supposais que je
21 ne reviendrais probablement pas. Donc, je suis allé là. J’ai pris la
22 veste, ai dit «au revoir» aux gens.
23 Je suis allé à la pista où deux voitures, deux voitures de police
24 étaient stationnées. Kupresanin et moi-même et son chauffeur en ont
25 pris une, et les policiers sont montés dans l’autre, donc ils ont
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1 allumé ces gyrophares et ont démarré, sont partis en direction de
2 Banja Luka.
3 Q. : Sur la route, vous a-t-il demandé où était votre famille et puis vous
4 y a-t-il amené ?
5 R. : Oui, oui. Il m’a d’abord demandé si je savais où étaient les autres
6 députés de la municipalité de Prijedor et de Sanski Most. Il voulait
7 dire les députés, les Musulmans bosniaques. Il m’a demandé où
8 étaient Mirsad Mujadzic et Rasem Cero; j’ai dit que M. Mujadzic
9 était à Bihac et que Rasem Cero était à Sarajevo, qu’elle n’était
10 jamais revenue. Puis il m’a dit : «Vous allez à Banja Luka. Nous
11 vous amènerons dans un village serbe. Vous serez seul dans une
12 maison. Nous vous apporterons de la nourriture. Il faut que vous
13 alliez mieux. Vous devez vous rétablir. Dans un mois environ, nous
14 devons trouver votre famille.»
15 Il a demandé : «Où sont les membres de votre famille ?» et j’ai dit
16 que certains d’entre eux avec qui je vivais, c’est-à-dire ma mère et
17 mes soeurs, qu’elles étaient déjà sur la route, et j’ai menti sur ce
18 point, et j’avais entendu des messages à la radio, et j’ai demandé -
19 - on m’a interrogé sur l’autre soeur. J’avais une soeur à Bosanska
20 Vrbanja qui vivait là avant la guerre, et je croyais que Vrbanja
21 avait subi le sort de Kozarac. J’ai dit qu’elle était là-bas, en
22 m’attendant à voir sa réaction, c’est-à-dire sa réponse. Puis il a
23 dit : «Si elle était là avant la guerre, alors elle est encore là»,
24 donc j’ai demandé si je pouvais aller lui rendre visite, pour voir
25 si elle était vivante, et alors la Croix-Rouge internationale
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1 devrait en être avisée. Il a dit qu’ils m’amèneraient rendre visite
2 à ma soeur. Maintenant, tout ceci s’est passé pendant que nous nous
3 dirigions vers Banja Luka.
4 Q. : Avez-vous appris à un moment donné pourquoi M. Kupresanin vous
5 traitait si bien ?
6 R. : C’est devenu logique quand nous sommes entrés dans le bâtiment de
7 l’hôtel de ville. La voiture s’est arrêtée en face du bâtiment de
8 l’hôtel de ville. Nous sommes entrés, montés à gauche quelque part
9 au bout du couloir, le bureau à droite. Nous y sommes entrés et
10 c’était son bureau. Autour de là, il y avait quelques autres
11 bureaux, certains avaient des portes ouvertes, ouvertes avec des
12 tables entre deux et, une fois de plus, j’ai entendu la conversation
13 entre lui et Karadzic.
14 Q. : Donc, M. Kupresanin a parlé de nouveau avec le président Karadzic ?
15 R. : Oui, oui. Oui, et il a insisté de nouveau sur ces lits, sur ces 300
16 lits, pour qu’ils soient envoyés d’urgence et le savon et les
17 détergents et il a mentionné des vêtements, de l’argent, mais je
18 n’ai pas saisi cela. Je m’en suis rendu compte plus tard.
19 Q. : Comment saviez vous que M. Kupresanin parlait au président Karadzic à
20 l’autre bout du fil ?
21 R. : Ils parlaient du même sujet, et quand le téléphone a sonné, la
22 personne qui était alors dans le bureau qui a répondu a dit : «Le
23 président Karadzic a besoin de vous.» Mais c’est ce téléphone noir,
24 le vieux modèle, donc on pouvait entendre. Il est assez fort et
25 j’entendais M. Karadzic. M. Karadzic avait une voix discordante.
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1 Après tout, je l’avais écouté pendant un an et demi pendant ces
2 longues sessions au Parlement républicain.
3 Q. : Vous avez mentionné quelque chose à propos des vêtements et indiqué
4 que vous aviez fini par vous rendre compte que vous ne les receviez
5 pas. Pourquoi croyez-vous que M. Kupresanin cherchait à vous
6 procurer des vêtements neufs ? Quelle était l’intention pour vous ?
7 R. : Je ne savais pas cela alors. Je pouvais le déduire et je n’étais pas
8 tout à fait sûr si cela me concernait, mais environ une demi-heure
9 plus tard, quelques hommes sont entrés dans la salle, certains
10 officiers militaires en uniforme, certains civils. Ils m’ont
11 interrogé sur la manière dont les choses se passaient dans le camp,
12 ce qu’on mangeait, s’ils emmenaient des gens. J’ai gardé le silence
13 la plupart du temps parce que j’avais l’impression qu’il était
14 dangereux de dire quoi que ce soit.
15 A un autre moment, un soldat avec une longue barbe est entré dans la
16 salle et a demandé à la porte : «Où est-il ?» Puis, il est entré
17 dans la salle et j’étais assis dans une chaise comme celle-ci. Il
18 est venu autour de moi, m’a encerclé, en me regardant et en répétant
19 : «Vous avez eu de la chance, la chance vous souriait, la chance
20 vous souriait.» Puis, ils l’ont emmené et, plus tard, j’ai appris
21 qu’il était de Gradica et qu’il avait participé à ces opérations à
22 Trnopolje. Il avait une quarantaine d’années, était mince, petit, et
23 ils l’ont emmené.
24 Puis Kupresanin a dit : «Nous allons partir par Vrbanja maintenant.
25 Nous verrons quelle est la situation là-bas. Il pourrait être
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1 dangereux pour vous de rester là-bas.» Je peux mentionner ici que
2 Vrbanja est ethniquement homogène, dans le sens où la partie
3 centrale est habitée exclusivement par des Musulmans bosniaques. Il
4 m’a dit qu’il était dangereux pour moi d’aller là-bas, parce que
5 Vrbanja est plein d’intégristes, d’extrémistes. Il m’a demandé si
6 mon beau-frère était un extrémiste. J’ai dit : «Non», parce qu’il
7 n’a jamais été actif en politique. Il travaillait simplement dans
8 une usine quand il revenait chez lui et allait à la pêche, et
9 c’était tout. Kupresanin a dit alors : «Eh bien, maintenant, vous
10 allez vivre comme un homme. Nous allons nous procurer quelques
11 vêtements pour vous. Maintenant, il faut que vous grossissiez. Dans
12 un mois environ, vous devez bien vous rétablir. Nous vous donnerons
13 de l’argent.»
14 Il m’a demandé plus sérieusement qu’en plaisantant si je préférais
15 les filles brunes aux blondes ou l’inverse. Puis, il a dit : «Nous
16 vous trouverons une petite amie.» Environ une heure plus tard, ils
17 ont dit : «Nous partirons pour Vrbanja maintenant.» Donc, nous
18 sommes partis pour Vrbanja dans une voiture. Comme nous approchions
19 de la maison de ma soeur, ils ont dit que j’allais entrer le premier
20 et simplement dire que M. Kupresanin était là, et son chauffeur et
21 quelques autres officiers et ils voulaient leur parler, à ma soeur
22 et à mon beau-frère.
23 Q. : M. Semenovic, est-ce qu’à un moment donné, M. Kupresanin vous a
24 demandé de communiquer avec des dirigeants musulmans en dehors de la
25 région ?
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1 R. : Oui, oui, cela s’est produit deux ou trois jours plus tard. Ils sont
2 venus me chercher en voiture et ils m’ont emmené à Banja Luka, à
3 l’hôtel de ville. Il m’a dit qu’ils avaient essayé pendant deux ou
4 trois jours d’entrer en contact avec Tuzla et Zenica, et que je
5 devais essayer de téléphoner à Zenica. Ils m’ont dit qu’ils ne
6 pouvaient pas le faire parce que chaque fois qu’ils téléphonent,
7 Zenica pose le téléphone et refuse de parler, et ils devaient parler
8 à Tuzla de quelque chose à propos de l’électricité. Ils m’ont dit
9 que je pouvais et devais le faire.
10 Q. : Avez-vous tenté de le faire et avez-vous réussi ?
11 R. : Je n’ai pas réussi, je n’ai pas pu. Puis ils m’ont dit que je pouvais
12 téléphoner à mes amis à Sarajevo. Toutes les lignes téléphoniques
13 étaient coupées, mais ils avaient le contrôle et ils pouvaient
14 brancher n’importe quelle ligne. Ils m’ont dit que je pouvais
15 appeler à Sarajevo, Tuzla, Prijedor, Zenica. J’étais dans une
16 situation où je ne pouvais pas refuser chaque chose qu’ils me
17 demandaient de faire. Donc, j’ai téléphoné à deux personnes à
18 Prijedor.
19 Q. : Donc, vous avez refusé d’appeler Tuzla et Zenica mais accepté
20 d’appeler Prijedor ?
21 R. : Oui.
22 Q. : A un moment donné, est-ce que M. Kupresanin vous a fait emmener au
23 bâtiment Skupstina opstina, le bâtiment de l’Assemblée municipale, à
24 Banja Luka ?
25 R. : Oui, ils sont venus à Vrbanja à plusieurs reprises et m’y ont amené.
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1 Q. : Est-ce qu’il y a eu une occasion où vous avez été amené aux fins de
2 rencontrer le Président ?
3 R. : Oui. Un jour, ils sont venus et m’ont demandé de me raser très
4 rapidement, en cinq minutes, puis d’enlever un T-shirt sur lequel il
5 était inscrit «Levis America» et de mettre autre chose. Ils m’ont
6 dit : «Maintenant, vous allez rencontrer le président Karadzic. Il a
7 besoin de vous parler de quelque chose.»
8 J’ai supposé ce dont il s’agissait parce que, la veille, j’ai
9 entendu à la radio que lord Carrington et Cyrus Vance venaient à
10 Banja Luka. Ce jour-là précisément, ils se trouvaient à Banja Luka,
11 donc je suppose qu’ils me diraient que je dois dire quelque chose à
12 ces hommes. Je n’avais pas le choix, donc je suis allé avec eux à
13 Banja Luka. Ils m’ont emmené au bâtiment de l’Assemblée municipale.
14 Q. : Y avait-il des soldats quand vous êtes arrivé ?
15 R. : Oui, un très grand nombre. Le bâtiment était plein, des officiers,
16 des soldats, des civils, des politiciens, des policiers.
17 Q. : Avez-vous vu des politiciens que vous connaissiez de Prijedor ?
18 R. : Oui, j’ai vu M. Srdjo Srdic et M. Stakic.
19 Q. : Est-ce que l’un d’eux vous a parlé ou avez-vous surpris des
20 conversations qu’ils avaient ?
21 R. : Il m’amenaient en haut, je veux dire, Kupresanin et l’escorte
22 policière, et alors au premier étage il y avait beaucoup de bruit.
23 Il y avait des disputes. J’entendais les gens jurer. A droite, je
24 voyais M. Stakic et M. Srdic. Ils pestaient contre la mère de
25 Karadzic. Ils mentionnaient quelques autobus. Srdo Srdic disait :
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1 «Je n’ai rien à voir avec ces autobus. Je ne veux rien savoir du
2 Vlasic.» A un moment donné, il m’a vu avec Kupresanin et, quelques
3 mètres plus loin, il m’a crié : «Mevludin», et il s’est dirigé vers
4 moi. Il m’a pris par le bras et m’a amené au groupe qui se disputait
5 là, très fort, et il m’a dit : «Mevludin, dites-moi, ai-je jamais
6 mis les pieds dans les centres de réception de Keraterm, de
7 Trnopolje et d’Omarska ?» Puis, il a dit, il s’est tourné vers eux :
8 «Je ne veux pas être responsable de quoi que ce soit. Je n’ai rien à
9 voir avec les autobus.» J’étais silencieux. C’était un sentiment
10 terrible. Je me sentais, comme nous disons, comme un mouton devant
11 une meute de loups.
12 Q. : Avez-vous entendu quelque discussion sur le retrait de pouvoir à la
13 région autonome ou à n’importe quel ----
14 R. : Oui. Ils pestaient contre Karadzic, c’est parce qu’ils essayaient de
15 se laver les mains de quelque chose, de certains autobus. A ce
16 moment-là, je ne savais pas du tout à quels autobus ils pensaient.
17 Je suppose que cela aurait pu être les autobus qui, durant la nuit,
18 allaient d’Omarska aux soi-disant échanges, mais ils ne
19 mentionnaient pas Omarska. Ils n’ont mentionné que les autobus et
20 Vlasic. Ils pestaient contre Karadzic parce qu’il a aboli des
21 régions autonomes.
22 M. Srdic a dit littéralement : «Il a donné tout le pouvoir aux
23 présidents des Assemblées municipales, aux maires; comment se fait-
24 il qu’il ait le droit de faire cela ? Maintenant, ces présidents des
25 Assemblées municipales font tout ce qu’ils veulent.» Il a donné un
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1 exemple, que les gens de Stakic à la fin ont incendié les maisons
2 dans le village musulman de Gomjanica et que cela n’avait pas été
3 planifié. Il a dit : «Ce n’est pas notre manière de faire.
4 Qu’allons-nous montrer aux étrangers maintenant s’ils viennent ?»
5 Q. : Est-ce que M. Kupresanin vous a jamais demandé de l’aider dans les
6 négociations ?
7 R. : Oui, oui. L’une des premières choses qu’il voulait faire était, ils
8 devaient créer une sorte de table ronde à Banja Luka. Il a dit ce
9 qui suit : Bihac va devenir la partie de la Bosnie-Herzégovine
10 serbe, c’est-à-dire de la région de Banja Luka. Un Musulman sera le
11 président du gouvernement, le Premier ministre. Nous avons un homme
12 tout à fait excellent, Fikret Abdic. Nous nous sommes déjà entendus
13 avec Fikret Abdic. Il sera le Premier ministre et le Serbe sera le
14 Président, et les Musulmans à Bihac seront satisfaits et tous ces
15 Musulmans qui restaient à Banja Luka aussi.
16 Il a dit qu’ils prévoyaient organiser une tribune publique transmise
17 à la télévision, et à cette tribune, je devrais aussi participer à
18 la tribune en tant que représentant des Musulmans. Je n’ai pas
19 répondu, ni dans un sens ni dans l’autre, ni «oui» ni «non».
20 Néanmoins, j’étais conscient que je devrais entrer dans quelque
21 chose comme cela parce que je savais ce que devrait être l’issue
22 finale. Mais, cependant, ils ne m’ont pas dit exactement ce qu’ils
23 comptaient faire.
24 J’ai appris du soldat serbe qui m’a ramené à Vrbanja de l’Assemblée
25 municipale. Quelque part, à environ un tiers de notre trajet, il m’a
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1 dit exactement comme cela : «C’est très bien que vous ayez décidé de
2 devenir membre de l’assemblée serbe. Je l’apprécie, mais c’est très
3 dangereux pour vous, et vous devez être conscient des extrémistes
4 musulmans.» Il a dit que le laissez-passer était fait pour moi par
5 Kupresanin et que cela me permettrait de traverser les points de
6 contrôle serbes, les points de contrôle militaires. Il m’a dit de ne
7 pas le montrer, c’est-à-dire d’en faire plusieurs photocopies, parce
8 qu’autrement ils en feraient beaucoup, ils les déchireraient toutes,
9 beaucoup de ces photocopies.
10 Q. : A un moment donné, est-ce que M. Kupresanin vous a demandé d’aller à
11 Kotor Varos et de parler aux Bosniaques dans les environs ?
12 R. : Oui. Un jour, il a envoyé un homme qui était Musulman bosniaque de
13 nationalité, un dentiste de Banja Luka. Il était plus pro-yougoslave
14 dans ses opinions politiques et il continuait à collaborer avec le
15 pouvoir serbe. Il l’a envoyé me dire que je devais aller à Kotor
16 Varos et convaincre les Musulmans de se rendre, et qu’ils devraient
17 évacuer Kotor Varos. Je ne pouvais pas accepter cela; j’ai refusé.
18 J’ai dit qu’il serait beaucoup plus facile s’ils me tuaient à
19 Vrbanja que d’être tué à Kotor Varos et que je ne pouvais pas
20 accepter quelque chose de ce genre, et j’ai dit aussi, selon moi,
21 c’était, je ne pouvais pas aider en aucune manière en faisant cela.
22 Q. : Avez-vous refusé d’aller à Kotor Varos parce que vous aviez peur
23 d’être fusillé pendant que vous étiez là-bas ?
24 R. : Non, non. J’ai refusé. Je leur ai donné différentes raisons,
25 différentes de ma vraie raison. Je connaissais parfaitement toutes
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1 les positions. Mon expérience me disait ce qui se passait à Kotor
2 Varos, mais ce que je leur ai expliqué, c’était que je ne refusais
3 pas à cause de mes opinions politiques pour leur faire plaisir. Je
4 disais : «Je ne refuse pas à cause de mes opinions politiques, mais
5 parce que je suis convaincu que je ne retournerais jamais.» Je
6 savais que si je refuse, je serais tué là à Vrbanja, mais il vaut
7 mieux que cela se passe ici qu’à Kotor Varos.
8 Q. : Avez-vous par la suite appris ce qui se passait à Kotor Varos ?
9 R. : Oui, à Kotor Varos, une partie de la population s’est rendue. Le
10 retrait d’une partie de la population armée vers les montagnes, vers
11 le village de Vecici, tout cela était à la télévision de Banja Luka,
12 et la majeure partie de la population a été évacuée.
13 Pendant assez longtemps, ils avaient été en état de blocus et ils
14 n’avaient aucun moyen de se défendre, donc la majorité de la
15 population, toutes les femmes, enfants et civils, les hommes, ils
16 ont été transférés en autobus, comme je l’ai entendu à la
17 télévision, vers Travnik. Quand ce fut fini, Kupresanin a dit
18 plusieurs fois à la télévision : «Kotor Varos est libre maintenant.»
19 Q. : Comment avez-vous pu finalement quitter Vrbanja ?
20 R. : J’ai quitté Vrbanja le 15 janvier 1993, c’est-à-dire que j’ai essayé
21 plusieurs fois par l’intermédiaire de quelques personnes avec qui
22 j’ai réussi à communiquer secrètement et qui vivent à Vrbanja. J’ai
23 réussi à envoyer un message à la Croix-Rouge internationale et j’ai
24 demandé d’être inscrit. Le message a été reçu et renvoyé, et on m’a
25 dit qu’ils savaient que j’étais à Vrbanja mais qu’il vaudrait
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1 beaucoup mieux qu’ils ne m’inscrivent pas. Ce serait plus sûr pour
2 moi.
3 J’ai ensuite perdu espoir de sortir de là mais alors, comme les
4 choses ont évolué, certaines personnes tentaient de me faire sortir
5 de Vrbanja et de me transférer en Croatie. Je n’ai jamais appris le
6 nom de certaines de ces personnes. Par contre, je connais certains
7 autres noms.
8 Vers le début du mois de janvier, le soir, une jeune femme blonde
9 est arrivée. Elle a frappé à la porte, a parlé à ma soeur et elle
10 lui a dit qu’elle avait un papier pour moi. Ma soeur, quand elle a
11 été sûre qu’il n’y avait pas de danger, m’a appelé et sur le papier
12 il était dit : «Libération de prison, en vertu de la décision dans
13 la gazette officielle de la République serbe de Bosnie-Herzégovine,
14 d’Omarska, les noms suivants sont libérés, libérés» et il y avait
15 une liste. Le no 8 était /sic/ le dernier nom, et puis, à la main,
16 il y avait aux nos 9, 10 et 11 trois autres noms, le dernier de ces
17 noms était mon nom.
18 Cette femme a dit que, le lendemain matin à 7 heures, je devrais
19 aller à l’usine de la société qui se trouve dans la même maison que
20 la Croix-Rouge internationale. Elle a dit : «Demandez Neuf. Quand
21 cet homme viendra, il vous expliquera ce que vous devriez faire
22 ensuite.» Elle m’a dit qu’au cas où je ne réussissais pas à arriver
23 à la ville, d’avaler ce papier parce que les policiers serbes ne
24 devraient en aucune manière découvrir comment j’ai obtenu ce papier.
25 Ma soeur lui a demandé : «Qui êtes-vous ?» Elle a dit : «Eh bien, ma
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1 soeur, je suis votre soeur et sa soeur; nous sommes tous frères et
2 soeurs.»
3 Q. : Avez-vous eu besoin de coopération ou d’aide de M. Kupresanin pour
4 effectuer votre libération ?
5 R. : Oui.
6 Q. : Voulait-il quoi que ce soit en échange de sa coopération ?
7 R. : Oui. Je n’en ai pas parlé directement avec lui. M. Neuf, que j’ai
8 mentionné, lui a parlé parce qu’ils se connaissaient, le dentiste
9 aussi -- je crois qu’il pourrait être encore à Banja Luka et c’est
10 pourquoi je ne mentionnerai pas son nom, mais je crois qu’il en a
11 parlé; si la Cour veut que je, le Tribunal veut que je, je peux
12 écrire son nom -- et d’autres personnes en parlaient. Ce dentiste
13 est venu et m’a dit que nous pourrions obtenir ce papier mais qu’en
14 échange, je devrais écrire qui j’étais, comment j’étais, ce que je
15 faisais, comment j’ai été arrêté, comment je suis venu à Omarska et
16 comment Kupresanin m’avait libéré d’Omarska, comment il m’avait
17 amené à Banja Luka et comment je vivais normalement à Banja Luka et,
18 pour mettre à la fin, que je suis reconnaissant envers M. Kupresanin
19 et que je le remercie de me sauver la vie.
20 Q. : Avez-vous fourni cette lettre ?
21 R. : Non. Non, j’étais conscient du risque au cas où je ne signerais pas
22 cela, mais j’étais également conscient des risques de signer la
23 lettre. J’ai tenté d’expliquer que ce ne serait pas bon pour moi
24 d’écrire quelque chose comme ça au cas où je réussirais à rester en
25 vie et à me rendre en Norvège -- pour quelque raison, je disais
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1 constamment que j’irais en Norvège -- au cas où j’arrive là, que je
2 dirais publiquement au journaliste qui fait quoi à Banja Luka, qu’il
3 y a là-bas des gens qui sauvent des vies et pas seulement ceux qui
4 tuent.
5 Deux jours plus tard, le même homme, le dentiste, est venu me voir
6 avec un texte. Je n’ai pas signé ce texte non plus, mais j’ai dit
7 que si je le signe, dans ce cas, M. Kupresanin et ce dentiste
8 pourraient être tués au cas où quelqu’un découvre cela à Banja Luka,
9 et que j’avais une obligation morale de dire la vérité et de révéler
10 la vérité et de dire qui m’aidait de quelle manière, et ils ont
11 accepté cette explication, puis ils ont abandonné cette idée pour
12 que je signe la lettre.
13 Des lettres semblables ont été signées, je crois, par M. Biscevic.
14 Je crois qu’il était le numéro 10 sur cette liste. Il était le
15 deuxième dont le nom était écrit à la main sur la liste et ajouté.
16 C’est un jeune homme de Sanski Most. Il avait été amené de Manjaca
17 parce qu’il était le fils du nom du dentiste -- le dentiste que j’ai
18 mentionné et dont je ne voulais pas dire le nom.
19 Q. : Avez-vous finalement obtenu le document nécessaire de M. Kupresanin ?
20 R. : La Croix-Rouge internationale a reçu une autorisation verbale pour
21 mon évacuation, mais la seule entente d’évacuation consistait à
22 rejoindre les familles. Ceci voulait dire que j’étais résident de
23 Banja Luka et qu’une partie de ma famille vivait en Croatie, de
24 sorte que je pourrais être évacué pour joindre ma famille pour la
25 réunion familiale. Le problème était que je n’avais aucun type de
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1 documents, que ce soit avec ou sans photographies.
2 M. TIEGER : Ce document peut-il être présenté comme pièce à conviction
3 134 ? (Transmission du document.) (Au témoin) : M. Semenovic,
4 reconnaissez-vous ce document comme la demande obtenue auprès de M.
5 Kupresanin ?
6 R. : Oui.
7 M. TIEGER : Madame le Président, je demande que la pièce à conviction 134
8 soit versée au dossier.
9 M. WLADIMIROFF : Aucune objection.
10 LE PRESIDENT : La pièce à conviction 134 sera versée au dossier.
11 M. TIEGER : (Au témoin) : Puis-je d’abord demander que l’original
12 apparaisse à l’écran pour que la Cour puisse le regarder, et peut-on
13 également faire apparaître la traduction ? M. Semenovic, j’ai
14 remarqué que la date indiquée est le 12 janvier 1992; est-ce la date
15 exacte ?
16 R. : Oui, c’est la date exacte.
17 Q. : L’année est-elle exacte ?
18 R. : Oui. Attendez une seconde -- non, non, non, l’année n’est pas exacte.
19 C’est 1993 qui devrait apparaître.
20 Q. : C’est le document que M. Kupresanin a fourni pour vous et il voulait
21 une lettre en échange de laquelle il vous fournirait un papier
22 d’identité vous permettant d’amorcer votre départ de Vrbanja ?
23 R. : Oui.
24 Q. : Le fait que cela vous identifiait comme député de l’ancienne
25 Assemblée de Bosnie-Herzégovine a-t-il été utile ?
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1 R. : Non.
2 Q. : Quel serait l’effet éventuel si vous aviez jugé nécessaire de montrer
3 ce document à un point de contrôle ?
4 R. : Je ne passerais pas le point de contrôle, pas même le premier, et il
5 y avait une vingtaine de points de contrôle jusqu’à Bosanski
6 Gradica.
7 Q. : Pendant cette période où vous étiez à Vrbanja, qu’advenait-il des
8 Musulmans de la région ?
9 R. : Les réfugiés venaient à Vrbanja, les Musulmans de Celinac où les
10 maisons avaient été incendiées. Une partie de la population avait
11 été tuée et, peu de temps après, les arrestations ont commencé à
12 Bosanska Vrbanja, les arrestations de Musulmans. Pour commencer,
13 cela s’est passé le soir ou pendant la nuit et, plus tard, cela a
14 commencé aussi pendant la journée.
15 En même temps, chaque fois que des véhicules ou des colonnes
16 militaires traversaient Vrbanja de Celinac en direction de Banja
17 Luka, il y avait beaucoup de coups de feu et beaucoup de maisons
18 étaient endommagées. On lançait des grenades près de la mosquée et
19 les gens commençaient à se faire tuer dans les maisons. Les gens
20 vivaient dans la peur, complètement enfermés.
21 Ils offraient la possibilité aux gens de s’en aller, mais cela
22 n’était possible que par l’intermédiaire d’une agence privée par une
23 femme dénommée Perka. Elle organisait le transport de Banja Luka à
24 la Serbie ou de Banja Luka en passant par Vlasic sur le territoire
25 contrôlé par l’armée bosniaque, mais la plupart des gens n’avaient
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1 pas l’argent pour cela parce que cela coûte très cher.
2 JUGE STEPHEN : Je ne crois pas que nous sachions où se trouve Vrbanja.
3 M. TIEGER : M. Semenovic, pouvez-vous expliquer où -- j’essaie de
4 réfléchir Madame le Président, quelle pièce à conviction il pourrait
5 y avoir de ----
6 LE PRESIDENT : 79 ?
7 M. TIEGER : Non, je ne crois pas que cela sera utile.
8 (Au témoin) : M. Semenovic, pouvez-vous expliquer où se trouve
9 Vrbanja ?
10 R. : C’est à l’est de Banja Luka. Si vous regardez au centre de la ville
11 de Banja Luka et vous allez vers l’est, il y a Bosanska Vrbanja. Il
12 n’y a qu’une route et c’est la route Banja Luka, Celinac, Kotor
13 Varos, et Bosanska Vrbanja est une banlieue de Banja Luka. C’est
14 juste dans la banlieue, près de la zone industrielle où se trouve
15 Incel. C’est là que commence Bosanska Vrbanja, le long de cette
16 route que j’ai mentionnée. La population, les maisons sont autour de
17 la rivière de Vrbanja qui se jette dans la Vrbas.
18 Q. : M. Semenovic, avez-vous finalement réussi à obtenir votre libération
19 de Vrbanja dans la région de Banja Luka et à traverser la frontière
20 le 15 janvier 1993 ?
21 R. : Oui. Indépendamment du papier que j’ai reçu, je dois dire qu’un
22 différent type de papier, c’était impossible à obtenir. Ma soeur a
23 pris contact avec M. Granic et les gens que j’ai mentionnés. Ils ont
24 dit qu’avec ce papier, je devais aller au SUP de Banja Luka, qu’ils
25 devraient me donner un vrai document.
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1 Elle y est allée. Elle a demandé. Elle a été envoyée là et là on lui
2 a dit, savait-elle pour qui elle demandait ces documents et si cet
3 homme était encore vivant. C’est ce qu’on lui a demandé et c’était
4 vers la fin de la journée de travail, et juste avant un certain jour
5 férié serbe. J’ai décidé, sans tenir compte du risque, de me mettre
6 en route avec ces documents au sein de l’organisation de la Croix-
7 Rouge internationale, parce que je m’attendais à ce que les
8 autorités serbes puissent m’utiliser et m’envoyer pour négocier avec
9 les Musulmans bosniaques, parce qu’auparavant, ils m’avaient dit
10 qu’ils m’emmèneraient à Knin, et puis que de Knin, nous devrions
11 aller avec le véhicule armé de la FORPRONU jusqu’au front pour
12 discuter avec les deux hommes, dont l’un était Irfan Ljubijankic, et
13 je les connaissais tous les deux. Je me suis mis en route le
14 15 janvier le matin vers Novska en portant ce document, ce papier.
15 M. TIEGER : Merci, M. Semenovic. Rien d’autre, Madame le Président.
16 LE PRESIDENT : Contre-interrogatoire, M. Kay ?
17 Contre-interrogatoire par M. KAY
18 M. KAY : Oui, Madame le Président. (Au témoin) : M. Semenovic, vous nous
19 avez dit ce matin que vous étiez inscrit sur ce document relatif à
20 la Défense territoriale de Trnopolje et c’était votre signature.
21 Vous souvenez-vous d’avoir vu le papier ce matin-là ? Peut-être
22 pourrions nous le regarder de nouveau ?
23 R. : Oui, je me souviens.
24 M. KAY : Madame le Président, je sais que nous pouvons le demander à
25 l’ordinateur à A1/7. On m’a dit cela hier. L’auxiliaire de justice
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1 sera peut-être en mesure de le faire ?
2 LE PRESIDENT : C’est la pièce à conviction 6, je crois, n’est-ce-pas ?
3 M. KAY : Oui, Madame le Président.
4 LE PRESIDENT : A1/7. Vous en savez plus que moi, M. Kay. J’espère que cela
5 va sortir.
6 M. KAY : C’est un test.
7 LE PRESIDENT : D’accord, nous allons voir.
8 M. KAY : On peut peut-être nous dire sur quel bouton appuyer ?
9 LE PRESIDENT : M. Tieger, voudriez-vous nous aider, s’il vous plaît, pour
10 avoir A1/7 à l’écran ?
11 M. KAY : J’ai essayé!
12 LE PRESIDENT : Pourquoi ne prenez-vous pas simplement la pièce à
13 conviction 6 et nous examinerons la feuille ?
14 M. KAY : Revenons au papier. Si l’on pouvait donner au témoin la pièce à
15 conviction 6 ? (Au témoin) : M. Semenovic, si vous pouviez passer à
16 la page A1/7, il y a des numéros et des lettres dans le coin
17 supérieur droit. Voyez-vous ?
18 R. : Oui, je l’ai trouvé.
19 Q. : On peut peut-être mettre une copie de cela sous la lumière ? Vous
20 nous avez dit ce matin que vous avez signé ce document il y a
21 environ quatre ou cinq jours avant le conflit à Kozarac ?
22 R. : Oui, avant les premiers heurts, avant les premiers coups de feu.
23 Q. : Oui, c’est exact. Si vous voulez bien regarder les autres pages ayant
24 trait à la liste de Trnopolje qui commence à A1/5, la voyez-vous ?
25 R. : A1/5 ?
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1 Q. : Oui ?
2 R. : Oui.
3 Q. : A1/6 ?
4 R. : Oui.
5 Q. : Et A1/7 où le vôtre est le tout dernier nom de la liste ?
6 R. : Oui.
7 Q. : Vous nous avez dit ce matin que l’organisation de la Défense
8 territoriale par les Musulmans sur place avait pris environ sept
9 jours ou une semaine avant que les premiers coups de feu aient été
10 tirés à Kozarac; est-ce exact ?
11 R. : Oui.
12 Q. : Donc, avant cette semaine-là, êtes-vous en train de dire à la Cour
13 que les Musulmans n’avaient aucunement mobilisé l’unité de Défense
14 territoriale ?
15 R. : Non, non. Puis-je m’expliquer ?
16 Q. : Bien sûr.
17 R. : C’était comme ça. C’est la dernière étape de la compilation de ces
18 listes, et le classement des armes. Avant cela, le quartier général
19 de la Défense territoriale devait collecter les dossiers auprès
20 d’autres sources -- enfin, il fallait qu’une décision soit prise
21 d’abord, une décision politique --, puis collecter les dossiers
22 disponibles, puis compiler les listes. Alors, la dernière étape
23 consistait à aller avec ces listes sur le terrain, à faire du porte-
24 à-porte, et à proposer aux gens de la signer et d’inscrire leurs
25 armes si, bien sûr, ils le voulaient, s’il y en avaient qui
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1 voulaient le faire.
2 Q. : Donc, allons-nous regarder votre réponse par rapport à cela et voir
3 ce que cela veut dire ? Etes-vous en train de dire que les listes
4 ont été compilées environ une semaine avant que le conflit ne
5 commence à Kozarac ?
6 R. : Vous voulez dire ces listes ?
7 Q. : Oui.
8 R. : Oui. Oui, mais elles ont d’abord été dressées au quartier général de
9 la Défense territoriale, puis il fallait frapper à la porte de
10 chaque maison et la montrer aux gens. C’était toute une entreprise.
11 Je me souviens qu’un jeune homme, Ajdin Zenkic, est venu chez moi.
12 En général, c’étaient de jeunes gens qui n’avaient rien de mieux à
13 faire et, par conséquent, on leur demandait de voir tous les gens et
14 de leur montrer la liste.
15 Q. : Donc, vous étiez au courant de l’organisation qui se mettait en place
16 quand ce jeune homme a frappé à votre porte; ce ne fut pas une
17 surprise pour vous ?
18 R. : Je savais qu’il y avait la Défense territoriale, et la tâche de la
19 Défense territoriale consiste à veiller à la sécurité de la
20 population. Le quartier général de la Défense territoriale
21 républicaine avait déjà donné des instructions selon lesquelles la
22 Défense territoriale devrait être mobilisée et la population
23 protégée.
24 Q. : Ces instructions relatives à la Défense territoriale de la Bosnie-
25 Herzégovine, quand ont-elles été données qu’elle devrait être
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1 mobilisée ?
2 R. : Avant la période dont je parle, un mois et demi ou deux mois avant
3 cela. Il était possible de le faire entièrement, de le parachever,
4 par exemple, à Tuzla, à Sarajevo mais, dans certains régions, le SDS
5 a bloqué ce travail, et Prijedor est un exemple de ces régions où le
6 processus entier a été paralysé. Ensuite, il ne fut possible
7 d’organiser certaines parties de la Défense territoriale que dans
8 ces régions où elles existaient encore ou, plutôt, où la population
9 non serbe constituait la majorité.
10 Q. : Donc, l’instruction de mobiliser la Défense territoriale par le
11 gouvernement de Bosnie-Herzégovine a eu lieu environ un mois et demi
12 ou deux mois avant le début du conflit à Kozarac; est-ce exact ?
13 R. : Je crois que oui. J’ai reçu cette information par les médias, par la
14 radio de Bosnie-Herzégovine, et je l’ai aussi appris par les gens,
15 par les responsables du gouvernement, qui y participaient. Mais au
16 niveau de la municipalité, avant que le SDS ne s’empare du pouvoir,
17 c’était impossible parce que le SDS l’empêchait, et nous ne voulions
18 pas et ne pouvions pas le faire parallèlement ou sans le SDS.
19 C’était simplement impossible à ce moment-là au niveau de la
20 municipalité.
21 Q. : Le quartier général de la Défense territoriale qui nous intéresse ici
22 était à Kozarac ? Est-ce exact ?
23 R. : Oui. Le siège, le quartier général de la Défense territoriale de
24 Prijedor, qui était le quartier central pour toute la région, pour
25 toutes les communes locales, dans la municipalité de Prijedor,
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1 Prijedor Kozarac, Omarska, Puharska, et ainsi de suite. Donc,
2 c’était le quartier général de la Défense territoriale à cet
3 endroit, parce que chacune de ces parties avait aussi son propre
4 quartier général.
5 Q. : Oui, mais votre division à Trnopolje, Trnopolje Cesta, le quartier
6 général de cette division est à Kozarac; est-ce exact ?
7 R. : Oui, oui.
8 Q. : L’organisation de la Défense territoriale pour ces régions autour de
9 Kozarac venait de Kozarac même, c’est-à-dire là où se trouve le
10 quartier général, et c’est là que l’organisation avait lieu ?
11 R. : Oui, depuis le quartier général de la Défense territoriale. C’était
12 la seule manière possible, autorisée par la loi.
13 Q. : Oui, et le Commandant du quartier général de Kozarac, comment
14 s’appelait-il ?
15 R. : Je ne sais pas.
16 Q. : Vous ne connaissez pas son nom ? Mais tous ces villages autour de la
17 région de Kozarac que nous voyons nommés dans les pages de ces
18 documents étaient tous organisés à partir de Kozarac; est-ce exact ?
19 Veuillez parcourir ces pages, si vous voulez, mais nous voyons les
20 villages de Menkovici, si vous passez à la page 17 ?
21 R. : Oui.
22 Q. : Si vous allez à la page 26 Kozarusa, page 30 Jakupovici, page 36
23 Dermici, en sautant un grand nombre de pages de cette pile pour
24 aller à page 48 Kalata, page 56 Brdjani, et en sautant encore une
25 fois les pages ---
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1 R. : Bridjani.
2 Q. : --- page 70 Garibi. Ce sont certains des noms de ces endroits sur ces
3 feuilles de papier. C’étaient tous des villages qui avaient Kozarac
4 comme quartier général pour la Défense territoriale ?
5 R. : La Défense territoriale de Kozarac couvre la zone de Kozarac,
6 plusieurs communes locales. Le quartier général, le quartier central
7 est à Kozarac et coordonne les unités de Défense territoriale dans
8 cette région. Donc, une unité de Défense territoriale est à
9 Trnopolje qui, à son tour, a ses unités plus petites, et il en va de
10 même des autres communes qui, toutes ensemble, forment Kozarac,
11 c’est-à-dire l’organisation de la Défense territoriale et c’était
12 ainsi depuis 15 ans.
13 Q. : Donc, le document que nous examinons et que vous avez signé à la page
14 7, est-ce que ce document aurait été préparé à Kozarac ou à
15 Trnopolje ?
16 R. : A Trnopolje, à Kozarac, nous n’avions pas de bons dossiers. Les
17 dossiers n’étaient bons nulle part, et c’était la première fois que
18 les conditions étaient exceptionnelles, pour la première fois depuis
19 la création de la Défense territoriale que cela avait pris tant
20 d’expansion, c’était la première fois. De telle sorte qu’il n’y
21 avait pas de listes qui pouvaient servir de manière ponctuelle, mais
22 les registres, les dossiers n’étaient pas vraiment bons. Il y avait
23 des listes d’électeurs, il y avait des dossiers de recensement et
24 peut-être d’autres dossiers. Puis ces listes, cette information,
25 étaient présentées au quartier général de la Défense territoriale à
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1 Kozarac. Ce quartier général, en collaboration avec le quartier
2 général de Trnopolje, Kamicani et tous les autres endroits, ont
3 ensuite compilé les listes de tous ces gens, puis ce fut renvoyé sur
4 le terrain.
5 En ce qui concerne la procédure, je ne sais vraiment pas parce que
6 je ne suis qu’un membre, un homme de troupe de la Défense
7 territoriale. Dans ce cas-là, je n’en étais pas un officiellement,
8 mais maintenant la plupart d’entre nous devons le faire parce que
9 c’était la seule réaction possible, la seule manière d’essayer de
10 nous protéger. Hélas, nous n’avons pas réussi, mais c’était la
11 manière légale par la voie de la Défense territoriale.
12 Q. : Donc, le document que nous sommes en train d’examiner a été
13 dactylographié à Kozarac, le savez-vous ?
14 R. : Je suppose, je suppose qu’il a été dactylographié à Kozarac.
15 Q. : L’information qui y figure, qui comprenait votre nom, savez-vous qui
16 à Trnopolje avait compilé cette liste ?
17 R. : Cela a été fait par les gens de la commune locale, à la Défense
18 territoriale. Je crois que Trnopolje avait cinq membres de la
19 Défense territoriale au total avant la guerre avec cinq armes. Dans
20 les communes locales, c’est-à-dire les municipalités voisines, il y
21 avait des dossiers. Chaque village, chaque hameau, c’est-à-dire
22 chaque partie de cette localité devait être inscrite ou les familles
23 devaient être inscrites. Je crois que la plupart de ces listes
24 étaient compilées à la main, parce qu’il n’y avait pas de temps pour
25 autre chose. Puis c’est venu, je suppose, tout a été envoyé au
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1 quartier central et ils l’ont mis en ordre, ils les ont mis en ordre
2 là, puis les ont renvoyés. Je suppose que c’était la manière de
3 faire.
4 Q. : Avant que votre nom ne soit dactylographié sur cette feuille de
5 papier et avant qu’elle ne vous soit présentée pour que vous la
6 signiez, est-ce quelqu’un vous a demandé si vous vouliez faire
7 partie de la Défense territoriale ?
8 R. : Oui, oui. Tous ceux qui faisaient circuler ces listes étaient
9 engagés, devaient demander à chaque personne figurant sur la liste
10 si elle était prête et disposée à se joindre ou non; et certains
11 étaient malades, certaines étaient tout simplement incapables de le
12 faire. Ainsi, quiconque était d’accord, donnait son libre
13 consentement, était inscrit sur la liste.
14 Q. : Mais ma question était la suivante : Quand vous a-t-on demandé avant
15 que cette liste ne soit dactylographiée si vous vouliez faire partie
16 de la Défense territoriale ?
17 R. : Après la réunion de Prijedor dont j’ai déjà parlé lorsqu’un ultimatum
18 a été posé, une réunion des représentants de toutes les communes
19 locales a eu lieu, avec les autorités, les autorités locales. La
20 police de réserve, la police et tous les autres. Il n’y avait qu’un
21 point à l’ordre du jour, quoi faire. Par conséquent, la question de
22 l’organisation urgente a été soulevée parce qu’il n’y avait aucun
23 plan.
24 Puis, il fut conclu que tous ceux qui étaient bons pour le service
25 devraient se rallier autour de la Défense territoriale, qu’il
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1 faudrait inscrire toutes les armes disponibles, qu’il faudrait
2 tenter d’établir des informations relatives à la Défense de la
3 Défense territoriale qui pourraient être opérationnelles, et un
4 officier de l’ancienne armée nationale yougoslave a été chargé de
5 cela, y compris la Défense territoriale, et c’est ce qu’il a essayé
6 de faire avec les gens qui faisaient déjà partie de la Défense
7 territoriale.
8 Après leur décision, nous connaissions cette décision, donc, après
9 cette décision, il a été décidé de monter des dossiers sur tout ceci
10 pour qu’il puisse savoir combien d’armes il y avait, combien il
11 fallait en distribuer, et ainsi de suite. Je parle de ceci. Je
12 voyais quelques informations, donc je recevais certaines
13 informations directement. Certaines choses, j’ai eu l’occasion de
14 les entendre, et je n’y prenais pas part personnellement parce que
15 je n’appartenais pas à la Défense territoriale avant cela. C’était
16 la première fois. C’était la première fois que j’acceptais d’être
17 membre de la Défense territoriale parce que, du point de vue des
18 formations, j’appartenais à l’armée populaire yougoslave.
19 Q. : Vous aviez déjà une expérience militaire au sein de l’armée nationale
20 yougoslave ?
21 R. : Oui, comme tout autre soldat qui faisait son service militaire.
22 Q. : Je suppose que d’autres gens sur les listes que nous avons devant
23 nous qui concernent Trnopolje, certains de ceux-là avaient déjà une
24 certaine expérience au sein de l’armée nationale yougoslave ?
25 R. : Tous les hommes majeurs faisaient leur service militaire. C’était une
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1 obligation légale et l’on ne pouvait y échapper. Nous n’avions pas
2 d’armée professionnelle dans notre pays. Il y avait donc ce service
3 militaire obligatoire. Tout homme, tout garçon qui devenait majeur
4 avant de poursuivre éventuellement des études, c’est-à-dire avant
5 d’entrer à l’université, après avoir atteint l’âge de 18 ou 19 ans,
6 tout jeune homme venait faire son service militaire. Certains l’ont
7 fait il y a 30 ans, d’autres il y a une dizaine d’années.
8 Q. : Donc la réponse était oui ?
9 LE PRESIDENT : Je crois que la question était quand M. Semenovic a-t-il
10 décidé de faire partie de la Défense territoriale, et c’est ce que
11 je comprends, M. Semenovic, vous avez décidé de faire partie de la
12 Défense territoriale après la réunion de Prijedor; est-ce exact ?
13 R. : Oui.
14 Q. : Quand a eu lieu cette réunion de Prijedor ?
15 R. : Environ huit jours avant la guerre, avant l’attaque de l’armée serbe.
16 LE PRESIDENT : Est-ce que cela vous éclaire, M. Kay ?
17 M. KAY : Merci beaucoup, Madame le Président, oui. (Au témoin) : Mais
18 l’organisation qui avait eu lieu en ce qui concerne la Défense
19 territoriale pour le quartier général de Kozarac, qui avait eu lieu
20 avant la réunion de Prijedor environ huit jours avant le début du
21 conflit; n’est-ce pas ?
22 R. : Non, nous savions quelles étaient les instructions mais nous n’étions
23 pas en mesure de les appliquer, objectivement parlant, parce que
24 nous ne séparions pas, n’isolions pas la Défense territoriale de
25 Kozarac et celle de Prijedor. Avant que les Serbes ne prennent le
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1 pouvoir, nous n’avions qu’une Défense territoriale. Nos responsables
2 étaient dans la Défense territoriale à l’échelon municipal. Nous
3 n’avions pas deux systèmes parallèles. Nous ne voulions pas avoir
4 deux systèmes parallèles parce que cela aurait contrevenu à la loi.
5 Donc, après le coup d’état militaire, le pouvoir a été pris. La
6 Défense territoriale municipale a été abolie. Tous les Musulmans
7 bosniaques et les Croates ont été chassés de ces parties, et des
8 parties, seulement des segments en sont restés, tels que la Défense
9 territoriale de Kozarac. C’est ce dont je parle. C’était une
10 situation tout à fait nouvelle.
11 Q. : Donc, êtes-vous en train de dire que la recherche des noms à engager
12 dans la Défense territoriale, le fait de demander aux gens s’ils
13 participeraient, la compilation de tous les noms sur ces listes, la
14 mention des armes dont il s’agissait, l’obtention des signatures en
15 regard de la plupart de ces noms, tout ceci s’est passé dans les
16 huit jours qui ont précédé le conflit ? Est-ce ce que vous êtes en
17 train de dire ?
18 R. : Oui, oui. Le gros de ce travail a été fait environ huit jours avant
19 le conflit.
20 Q. : Que voulez-vous dire par le «gros» de ce travail ?
21 R. : Eh bien, les choses qui avaient trait à ces listes, parce que ce
22 n’est pas un problème. Si quelqu’un à Trnopolje était chargé de
23 visiter les bâtiments à Cesta -- nous l’avons déjà mentionné -- ce
24 n’est pas un problème. Il s’agit d’une trentaine de maisons sur la
25 gauche et la droite de la route. Cela peut se faire en deux ou trois
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1 heures, et jusqu’à Kozarac qui se trouve quatre kilomètres plus
2 loin. Il ne faut pas huit jours pour le faire.
3 Q. : Les noms qui figurent sur cette liste sont-ils de Trnopolje, de
4 Cesta, ou simplement des noms musulmans ?
5 R. : Non.
6 Q. : Y a-t-il d’autres groupes ethniques ? Y a-t-il des noms serbes qui y
7 figurent ?
8 R. : Il y a des noms serbes. Il y a d’autres groupes ethniques sur la page
9 que vous avez proposé que nous examinions, c’est-à-dire A1/7 et 93,
10 Markotic Tone. Il n’est pas musulman.
11 Q. : Oui, c’est vrai.
12 R. : Puis Sardic au numéro 101, il n’est pas musulman non plus parce que
13 la Défense territoriale ne l’était pas, c’est une formation
14 monoethnique. Seuls les Serbes quittaient la Défense territoriale
15 dans ces parties, dans ces régions, où il y avait une majorité
16 musulmane. J’ai mentionné deux ou trois exemples. Au numéro 81,
17 August Majstorovic, 82 Stipe Majstorovic.
18 Q. : Il y a les nationalités autres que musulmanes, n’est-ce-pas ?
19 R. : Oui, vous avez raison.
20 Q. : Je vais vous le dire très simplement, M. Semenovic, que vous
21 l’acceptiez ou le refusiez, que l’organisation de la Défense
22 territoriale avec le quartier général à Kozarac avait été entreprise
23 considérablement avant les huit jours que vous suggérez à ce
24 tribunal ?
25 R. : Non.
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1 Q. : Vous y avez peut-être participé quatre ou cinq jours avant, et votre
2 nom est le dernier de la liste, n’est-ce-pas, à 106 ?
3 R. : Oui, cette liste a été entièrement faite en une journée dans le
4 village où j’habite et où ces gens figurant sur la liste ici, cela
5 s’est fait en quelques heures.
6 Q. : Et dactylographié en quelques heures ?
7 R. : Cela n’a pas été dactylographié en quelques heures, il a peut-être
8 fallu cinq minutes parce qu’ils prenaient seulement les noms sur la
9 liste, mais je dis qu’elle était signée et que la signature pouvait
10 se faire en quelques heures seulement, et la compilation des
11 dossiers, la préparation des listes pouvaient aussi se faire en
12 quelques heures. Le problème était de trouver les dossiers, de
13 noter, de l’apporter à Kozarac et de la faire circuler, puis de la
14 ramener à Kozarac.
15 Q. : Et de savoir qui inscrire sur la liste d’abord ?
16 R. : Excusez-moi ?
17 Q. : Et de savoir qui inscrire sur la liste parce que pratiquement tout le
18 monde avait signé, n’est-ce-pas ?
19 M. KAY : Merci beaucoup.
20 LE PRESIDENT : J’ai une question parce que je ne comprends pas très bien,
21 M. Semenovic. Est-ce que la mobilisation de la Défense territoriale
22 à Kozarac a commencé un mois ou un mois et demi avant que nous n’en
23 ayons terminé avec la pièce à conviction 6 ? C’est ce que j’ai
24 compris de votre témoignage. Je ne comprends peut-être pas très
25 bien.
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1 R. : Je vais vous le clarifier. Nous avons mentionné le premier jour la
2 demande, les demandes, que les armes de la Défense territoriale qui
3 ont été enlevées et entreposées dans le dépôt soient rendues, soit
4 retournées à la Défense territoriale et aux divers endroits sur le
5 terrain, c’est-à-dire les communes locales. Il a fallu longtemps
6 pour se plier à cette demande.
7 Il y avait une communication constante entre la Défense territoriale
8 à l’échelon de la République et à l’échelle locale, et puis, cela a
9 été fait finalement. Donc certaines armes, un petit nombre d’entre
10 elles ont été rendues aux communes locales. Ceci a mis du temps. Si
11 nous rattachons alors ceci à ce dont nous parlons, nous pouvons dire
12 que, oui, il a fallu plus que, il a fallu plus longtemps. Mais quand
13 j’ai dit un mois et demi avant, cela a trait à la liste de la
14 Défense territoriale, mais le nombre, la force en temps de paix. A
15 un moment donné, nous nous sommes heurtés à un danger imminent de
16 guerre et la Défense territoriale peut être augmentée, peut être
17 renforcée sur le plan organisationnel. Nous disposions de peu de
18 temps pour renforcer la Défense territoriale et c’est cette étape et
19 cela n’a pas mis longtemps. Cela a duré aussi longtemps que je vous
20 l’ai dit.
21 Q. : Qui a duré combien de temps ? Quand la décision a-t-elle été prise de
22 renforcer la Défense territoriale à Kozarac ?
23 R. : De sept à dix jours environ avant la guerre après la réunion de
24 Prijedor.
25 LE PRESIDENT : Y a-t-il d’autres questions, M. Tieger, à la lumière de mes
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1 questions ?
2 M. TIEGER : Juste très rapidement, Madame le Président, et puis je serai
3 prêt pour la suspension de la séance.
4 LE PRESIDENT : Je suppose que nous pouvons suspendre la séance pendant 20
5 minutes, vous aurez peut-être d’autres questions, M. Kay, peut-être
6 le juge Stephen et le juge Vohrah et moi-même. Donc, nous allons
7 suspendre la séance pendant 20 minutes.
8 (16 heures)
9 (La séance est suspendue pour une courte période)
10 (16 h 20)
11 LE PRESIDENT : M. Tieger ?
12 M. TIEGER : Merci, Madame le Président.
13 Reprise de l’interrogatoire par M. TIEGER
14 Q. : M. Semenovic, si je peux faire suite aux questions de
15 Mme la présidente McDonald ? Après que la République de
16 Bosnie-Herzégovine a été reconnue internationalement comme un Etat
17 indépendant, la présidence, le président de la République a alors
18 ordonné la mobilisation des forces de la Défense territoriale ?
19 R. : Non, excusez-moi, après la reconnaissance ? Il a empêché la
20 mobilisation par l’armée et il a ordonné la mobilisation de la
21 Défense territoriale.
22 Q. : D’accord, et est-ce l’ordre dont vous faisiez mention tout à
23 l’heure ?
24 R. : Oui.
25 Q. : Après cela, le SDA à Prijedor a-t-il tenté d’exécuter cet ordre qui
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1 était bloqué par le SDS ?
2 R. : Oui.
3 Q. : C’était avant la prise de pouvoir à Prijedor, est-ce exact, alors
4 qu’il y avait encore une Assemblée légitime qui tentait de
5 fonctionner en vertu des lois de la République de Bosnie-
6 Herzégovine ?
7 R. : Oui.
8 Q. : Le 30 avril, puis la prise de pouvoir a eu lieu ?
9 R. : Oui.
10 Q. : Vers le milieu du mois de mai, vous et d’autres dirigeants du SDA ont
11 eu la réunion avec Zeljaja pendant laquelle il a menacé de raser
12 complètement Kozarac ?
13 R. : Oui.
14 Q. : Après cela, les Musulmans ont tenté d’organiser une force de défense
15 en renforçant la Défense territoriale comme le reflète la pièce à
16 conviction qu’on vous a montrée ?
17 R. : Oui.
18 M. TIEGER : Merci, M. Semenovic.
19 LE PRESIDENT : M. Kay ?
20 M. KAY : Pas d’autres questions, merci, Madame le Président.
21 JUGE STEPHEN : A propos d’une question tout à fait différente, comment se
22 fait-il que les non-Serbes aient pu faire fi de la mobilisation pour
23 le conflit en Croatie ? je crois que vous avez dit que c’était
24 presque exclusivement les Serbes qui ont répondu à l’appel de
25 mobilisation. N’y a-t-il pas eu une certaine contrainte qui est
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1 entrée en ligne de compte ?
2 R. : Non, non. Les autorités de l’Etat de la Bosnie-Herzégovine ont abouti
3 à la conclusion que l’armée nationale yougoslave menait des
4 mouvements illégaux sur des opérations qui n’ont aucun fondement
5 juridique, de telle sorte qu’ils faisaient des choses illégales et
6 que cela donnait lieu à de l’agression, d’abord contre la République
7 de Slovénie, puis contre la République de Croatie.
8 Après cette décision, après cette conclusion, elle a empêché la
9 mobilisation dans l’armée nationale yougoslave, c’est-à-dire qu’ils
10 avaient une opinion politique qui consistait à dire aux gens de ne
11 pas aller dans l’armée parce que l’armée nationale yougoslave
12 transgressait son autorité, et elle agressait une des républiques
13 que, selon la constitution, elle devait protéger. L’opinion
14 politique des autorités de l’Etat n’était pas respectée et pas
15 réalisée /sic/ par le parti du SDS qui avait sa propre opinion
16 politique et il appelait les Serbes à réagir positivement à la
17 mobilisation.
18 Q. : Oui, je vous suis. Merci. Cela l’explique. La deuxième question que
19 j’avais était que nous avons entendu très peu des 20 ou 30 membres
20 élus qui représentaient les anciens partis communistes dans
21 Prijedor. Si je comprends bien, ils étaient fortement opposés aux
22 mouvements nationalistes. Qu’ont-ils fait quand les Serbes ont pris
23 Prijedor ? Nous savons ce que le SDA a fait et le SDS. Et ces autres
24 membres très nombreux ?
25 R. : Sur le plan politique, il était impossible de faire quoi que ce soit,
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1 pour ainsi dire, et ils étaient traités par les gens du SDS de la
2 même manière que les membres du SDA. Ils avaient exactement la même
3 attitude envers eux. Partout où ils le pouvaient, c’est-à-dire dans
4 la commune locale de Kozarac, ces gens se joignaient aux organes
5 légitimes. Ils appuyaient les attitudes de l’organisation légale et
6 ils étaient contre le SDS et contre le coup d’état militaire. Puis
7 et après cela, ils étaient traités également, et plus tard, après
8 l’attaque et dans les camps, la plupart des dirigeants politiques
9 ont été liquidés pendant les opérations militaires dans la guerre.
10 Q. : En général, à quel groupe ethnique appartenaient ces 20 ou 30 anciens
11 membres communistes ?
12 R. : La plupart d’entre eux étaient des Musulmans bosniaques et une partie
13 moindre d’entre eux étaient des Serbes.
14 Q. : Merci. La dernière question que je voulais vous poser était : vous
15 avez parlé de la coopération entre le SDA et le SDS d’abord en
16 partie réussie et, en fin de compte, tout à fait infructueuse. Est-
17 ce que cela ne s’est passé qu’à Prijedor ou était-ce en général dans
18 toute les régions de la Bosnie-Herzégovine ?
19 R. : En général à l’intérieur de l’ensemble du territoire de Bosnie-
20 Herzégovine.
21 Q. : Merci.
22 JUGE VOHRAH : M. Semenovic, ceci m’a probablement échappé quand vous avez
23 commencé à déposer votre témoignage ce matin. Occupez-vous un poste
24 politique maintenant ?
25 R. : Oui.
Page 1590
1 Q. : Lequel, s’il vous plaît ?
2 R. : Je suis député au Parlement de Bosnie-Herzégovine.
3 Q. : Ma deuxième question : M. Kay a signalé que votre nom figurait en
4 dernière position sur la liste de la Défense territoriale. Est-ce
5 que ce fait signifie quelque chose ?
6 R. : Non. Ma maison est la dernière de cette rangée de maisons.
7 JUGE VOHRAH : Merci.
8 LE PRESIDENT : D’autres questions, M. Tieger ?
9 M. TIEGER : Non, Madame le Président.
10 LE PRESIDENT : M. Kay ?
11 M. KAY : Non.
12 LE PRESIDENT : Y a-t-il quelque objection à ce que M. Semenovic puisse se
13 retirer de manière permanente ?
14 M. KAY : Non, Madame le Président.
15 LE PRESIDENT : Vous pouvez vous retirer de manière permanente,
16 M. Semenovic. Merci d’être venu.
17 LE TEMOIN : Merci.
18 (Le témoin se retire.)
19 LE PRESIDENT : L’Accusation peut-elle appeler son prochain témoin, s’il
20 vous plaît ?
21 M. KEEGAN : Merci, Madame le Président. L’Accusation va appeler
22 M. Mirsad Mujadzic.
23 M. MIRSAD MUJADZIC est appelé à la barre.
24 LE PRESIDENT : M. Mujadzic, voudriez-vous prêter ce serment, s’il vous
25 plaît ?
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1 LE TEMOIN [interprétation] : Je déclare solennellement que je dirai la
2 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
3 (Assermentation du témoin)
4 LE PRESIDENT : Merci. Vous pouvez vous asseoir.
5 Interrogatoire de M. KEEGAN
6 Q. : M. Mujadzic, voudriez-vous s’il vous plaît décliner votre identité
7 pour le procès-verbal ?
8 R. : Je m’appelle Mirsad Mujadzic, Mirsad Mujadzic.
9 Q. : Et votre date de naissance ?
10 R. : Je suis né le 7 août 1962.
11 Q. : Vous êtes né à Banja Luka, en Bosnie-Herzégovine ?
12 R. : Oui.
13 Q. : Où avez-vous passé votre enfance ?
14 R. : J’ai passé mon enfance à Prijedor.
15 Q. : Avez-vous fréquenté l’école primaire et secondaire à Prijedor ?
16 R. : Oui.
17 Q. : Où êtes-vous allé ensuite ?
18 R. : Ensuite, je suis allé faire des études à Banja Luka.
19 Q. : En quoi consistaient vos études ?
20 R. : J’étais étudiant à la Faculté de médecine et, après l’Ecole de
21 médecine, j’ai fait des études de troisième cycle à Zagreb.
22 Q. : Quelle est votre profession actuelle ?
23 R. : Je suis médecin.
24 Q. : Où travaillez-vous actuellement ?
25 R. : Je travaille à Sarajevo, à l’hôpital de Kosovo.
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1 Q. : Quelle est votre spécialité ?
2 R. : Je suis chirurgien spécialisé en esthétique et j’ai maintenant
3 terminé ma spécialisation en chirurgie esthétique.
4 Q. : Où avez-vous commencé votre carrière médicale ?
5 R. : J’ai commencé ma carrière médicale à Prijedor en 1987, à l’Institut
6 de médecine du travail où je travaillais avec une population
7 d’ouvriers dans neuf -- en tant que généraliste dans les bureaux
8 médicaux de la Médecine du travail.
9 Q. : Dans le cadre de ces fonctions, avez-vous voyagé, dans l’ensemble de
10 l’opstina, dans diverses cliniques ?
11 R. : Selon le système de travail pour l’Institut de médecine du travail,
12 tous les deux ou trois mois, nous allions d’un cabinet à l’autre.
13 Dans le cadre de mon travail en médecine du travail, j’ai travaillé
14 dans les neuf cabinets pendant des périodes de durée différente dans
15 l’ensemble de la région de la municipalité de Prijedor.
16 Q. : Avez-vous commencé à faire de la politique en 1990 ?
17 R. : Oui.
18 Q. : A quel parti vous êtes-vous affilié ?
19 R. : Je suis devenu membre du parti de l’Action démocratique, le SDA en
20 Bosnie-Herzégovine.
21 Q. : Quel poste occupiez-vous au sein de ce parti à Prijedor ?
22 R. : A Prijedor, j’ai été, à compter du 17 août 1962, président du Comité
23 municipal.
24 Q. : Dans la traduction, il semble que vous ayez dit le 17 août 1962 --
25 vouliez-vous dire 1990 ?
Page 1593
1 R. : Le 17 août 1990.
2 Q. : Merci. Etait-ce la fondation du SDA dans l’opstina de Prijedor ?
3 R. : Oui, c’est exact, c’était le jour de l’Assemblée de fondation du
4 Comité municipal à Prijedor.
5 Q. : Avez-vous aussi été élu à un poste à l’Assemblée de la République
6 pendant les élections générales en 1990 ?
7 R. : Oui.
8 Q. : Quel était ce poste ?
9 R. : Mon poste était celui de membre du Conseil des citoyens au Parlement
10 de Bosnie-Herzégovine.
11 Q. : Avez-vous continué à exercer à la fois vos fonctions politiques et
12 votre métier de médecin jusqu’à la fin du mois de mai 1992 ?
13 R. : Oui.
14 Q. : En conséquence de votre engagement politique dans l’opstina et la
15 République et de votre position de médecin dans l’opstina de
16 Prijedor, avez-vous eu l’occasion de rencontrer de nombreux
17 dirigeants serbo-bosniaques politiques, militaires et de l’Etat ?
18 R. : Oui.
19 Q. : Est-ce que ces réunions ont continué jusqu’à la fin du mois de mai
20 1992 ?
21 R. : Oui.
22 Q. : Pourriez-vous dire à la Cour quelle était la composition ethnique
23 dans l’opstina de Prijedor avant la guerre ?
24 R. : Avant la guerre, selon le recensement de 1991, la composition
25 ethnique de la municipalité de Prijedor était la suivante : 44 % de
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1 Musulmans, 42 %, 42,5 % de Serbes, 5 à 6 % de Croates, 5,7 % de
2 Yougoslaves, et environ 2 % d’autres.
3 M. KEEGAN : J’aimerais que ce document soit présenté comme prochaine pièce
4 à conviction 135 de l’Accusation. (Transmission du document). (Au
5 témoin) : Dr Mujadzic, reconnaissez-vous ce document ?
6 R. : Oui.
7 Q. : Qu’est-ce que c’est, s’il vous plaît ?
8 R. : C’est la représentation ethnique de diverses nationalités dans la
9 région de la municipalité de Prijedor.
10 Q. : Et qui a préparé ce document ?
11 R. : Moi, personnellement.
12 M. KEEGAN : Madame le Président, j’aimerais que ce document soit présenté
13 comme pièce à conviction.
14 LE PRESIDENT : Objection ?
15 M. WLADIMIROFF : Non, Madame le Président.
16 LE PRESIDENT : La pièce à conviction 135 sera versée au dossier.
17 M. KEEGAN : Si on pouvait la faire apparaître à l’écran ?
18 (Au témoin) : Dr Mujadzic, pourriez-vous expliquer les diverses
19 couleurs sur la carte pour la Cour ?
20 R. : Voici trois couleurs différentes qui servent à indiquer les trois
21 nationalités qui vivaient et aussi leur répartition territoriale
22 dans la municipalité de Prijedor; en vert, il y a les parties où les
23 Musulmans se sont établis; en rouge, les parties habitées par les
24 Serbes et, en bleu, les parties habitées par les Croates. Ici, nous
25 avons deux parties plus foncées dans la commune locale de Trnopolje.
Page 1595
1 En faisant ceci, je voulais indiquer la spécificité de cette région
2 où vivaient un très grand nombre de minorités, environ 17 minorités
3 différentes, Ukrainiens, Italiens, Allemands, Russes, Hongrois, et
4 ainsi de suite.
5 Q. : Il semble, d’après la carte, telle que vous l’avez créée, que la
6 population serbe avait le plus vaste territoire sur lequel elle
7 s’était établie, et pourtant vous avez expliqué dans le pourcentage
8 ethnique que les Musulmans constituaient en fait la majorité de la
9 population. Pouvez-vous expliquer cela ?
10 R. : Il y a une spécificité qui est typique de l’ensemble de la Bosnie-
11 Herzégovine dans la manière dont vivent les gens. Les Musulmans, en
12 général, vivent dans des parties urbaines, dans des zones urbaines;
13 tandis que les Serbes avaient l’habitude de vivre surtout autour des
14 villes. Ceci veut dire que les régions où vivaient les Musulmans
15 sont extrêmement peuplées, de manière plus dense; tandis que les
16 régions où vivaient les Serbes ont moins de densité de population.
17 Je dois également mentionner que ceci n’a rien à voir avec la
18 propriété privée, parce que les grandes étendues peuplées par les
19 Serbes sont très souvent des régions avec beaucoup de bois, de
20 forêts, qui appartiennent à l’Etat. Donc, il n’y a pas de
21 corrélation entre la propriété, la propriété réelle de la région et
22 cette couleur que j’ai employée. Cette couleur signifie simplement
23 où un certain groupe ethnique vit.
24 Q. : Merci. Les zones qui sont indiquées par les diverses couleurs étaient
25 celles qui étaient aussi reconnues comme des zones traditionnelles
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1 séparées où la population s’était établie ?
2 R. : Ce sont seulement des régions où nous montrons comment les groupes
3 ethniques les habitent, mais il y a certaines particularités.
4 Q. : Merci. Est-il possible que ce document soit présenté comme pièce à
5 conviction 136 de l’Accusation et qu’on le transmette au témoin ?
6 (Transmission du document au témoin).
7 LE PRESIDENT : Entre parenthèses, M. Keegan, les juges auront-ils une
8 copie de la pièce à conviction 135 avec le code des couleurs ?
9 M. KEEGAN : Oui.
10 LE PRESIDENT : Je comprends qu’elles coûtent cher, mais je crois que cela
11 serait utile.
12 M. KEEGAN : (Au témoin) : Dr Mujadzic, reconnaissez-vous la pièce à
13 conviction 136 de l’Accusation ?
14 R. : Oui.
15 Q. : Qu’est-ce que c’est, s’il vous plaît ?
16 R. : C’est une représentation des zones traditionnellement peuplées dans
17 Prijedor, parce que Prijedor est un complexe d’entités et ici, nous
18 voyons plusieurs parties dont Prijedor est composé.
19 Q. : Pourriez-vous expliquer ces diverses zones ? Excusez-moi un instant.
20 Madame le Président, j’aimerais que ce document soit présenté comme
21 pièce à conviction.
22 LE PRESIDENT : Y a-t-il quelque objection ?
23 M. WLADIMIROFF : Non, Madame le Président.
24 LE PRESIDENT : La pièce à conviction 136 sera versée au dossier.
25 M. KEEGAN : Merci. (Au témoin) : Continuez, s’il vous plaît.
Page 1597
1 R. : Dans ce document, cette zone centrale représente le coeur de la
2 partie urbaine de Prijedor, et cette ligne pointillée indique la
3 zone plus étendue de la ville où se trouvent certaines
4 infrastructures très importantes qui sont nécessaires au
5 fonctionnement de la ville. Certaines sociétés, certaines usines
6 sont là. Donc, nous pourrions appeler ceci la zone industrielle de
7 la ville. Cette zone ici est la région de Kozarac.
8 Je dois dire que, jusqu’aux années soixante de ce siècle, Kozarac
9 était une municipalité indépendante, et c’était une localité, une
10 ville, fondée bien avant Prijedor. Elle date du XIIIe siècle, tandis
11 que Prijedor a été fondée au XVIIe siècle. Donc, la population de
12 cette région a un sens très fort de son identité. La population est
13 surtout musulmane; plus de 90 % de la population de Kozarac est
14 musulmane.
15 La région suivante est la région d’Omarska. Cette région est surtout
16 peuplée par la population rurale et des régions serbes. Elle n’a
17 jamais été une municipalité et elle ne comprend aucun centre urbain.
18 Quoique dans les années quatre-vingt, entre 1980 et 1990, il y ait
19 eu quelques initiatives de fonder une opstina ici. Plus de 90 % de
20 la population est serbe.
21 La région suivante est la région de Ljubija, qui, avant les années
22 soixante, était une municipalité. Autrefois, elle était presque
23 exclusivement peuplée de Musulmans et de Croates mais, après la
24 seconde guerre mondiale, un grand nombre de Croates sont partis pour
25 la Croatie et, à cause de la mine de minerai de fer à Ljubija,
Page 1598
1 certains Serbes s’y sont établis. Mais même aujourd’hui à Ljubija,
2 nous pouvons définir deux parties, Donja Ljubija, la partie basse de
3 Ljubija, avant la seconde guerre mondiale, on l’appelait Ljubija
4 Islam mais, tout au long de la période communiste, ce nom d’«Islam»
5 n’était pas employé et on l’appelle Donja Ljubija maintenant, et
6 elle est presque exclusivement peuplée de Musulmans, et Gornja
7 Ljubija, la partie haute de Ljubija, qui est surtout croate
8 aujourd’hui.
9 La région suivante est la région de Brda. Il y a une série de
10 villages musulmans ici, à l’exception de Rasavci qui est peuplée de
11 Serbes, et il y a deux autres régions avec une population surtout
12 serbe qui s’appellent Potkozarje et Tomasica. Potkozarje est la
13 région qui est au pied de la montagne de Kozara. Elle était connue
14 comme la région avec les partisans et la résistance. Tomasica est
15 surtout peuplée par les Serbes, il y a des villages serbes, à
16 l’exception d’une petite partie qui borde Sanski Most où les Croates
17 vivaient.
18 Q. : Pour éclairer le reste du débat, j’aimerais que ce transparent,
19 j’aimerais que ce document soit présenté comme pièce à conviction
20 136A de l’Accusation. C’est un transparent en plastique de 136. Si
21 cela était donné au témoin et placé au-dessus de 135. Madame le
22 Président, j’aimerais que ce document soit présenté comme pièce à
23 conviction 136A.
24 LE PRESIDENT : Y a-t-il quelque objection ?
25 M. KEEGAN : Le transparent ---
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1 LE PRESIDENT : Y a-t-il quelque objection à 136A ?
2 M. WLADIMIROFF : Nous ne l’avons jamais vue, mais il ne semble pas y avoir
3 de problème. J’aimerais simplement voir quel est l’effet avant que
4 nous ne disions si ----
5 LE PRESIDENT : Avez-vous une copie même du transparent en plastique ?
6 M. WLADIMIROFF : Non, nous n’avons pas de copie de cela.
7 M. KEEGAN : Cela devrait être fourni. C’est une copie de 135. Je croyais
8 que cela vous avait été donné. Je suis désolé.
9 LE PRESIDENT : Avez-vous un exemplaire supplémentaire, M. Keegan ?
10 M. KEEGAN : Pas du transparent; simplement du double en papier qui passe
11 dans la photocopieuse.
12 LE PRESIDENT : Pourquoi ne demandez-vous pas à votre assistant, Monsieur
13 l’huissier, voudriez-vous allez chercher une copie de 136A et vous
14 pouvez au moins y jeter un coup d’oeil, M. Wladimiroff.
15 M. WLADIMIROFF : Cela ne nous pose aucun problème. Nous l’acceptons.
16 LE PRESIDENT : D’accord. La pièce à conviction 136A sera versée au
17 dossier.
18 M. KEEGAN : Dr Mujadzic, ces zones historiques, quelle signification
19 sociale avaient-elles ?
20 R. : La municipalité de Kozarac était une municipalité avant les années
21 soixante mais, quand elle est devenue une partie de la municipalité
22 de Prijedor, alors toute l’infrastructure qui continuait à s’y
23 construire a été transférée à Prijedor, donc Kozarac était
24 économiquement moins développée. Cela n’a pas eu de conséquences
25 particulières, parce que la municipalité était un ensemble.
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1 Q. : Donc, sont-elles simplement devenues des points de référence pour les
2 gens qui vivaient dans ces régions, en d’autres termes, une zone
3 d’identification, «Je suis d’Omarska», «Je suis de Kozarac», quelle
4 que soit la commune locale dans la région dont vous veniez ?
5 R. : Oui, normalement, comme c’est le cas dans un grand nombre d’autres
6 localités, on savait si quelqu’un était de Kozarac, il était
7 normalement musulman et, si quelqu’un venait d’Omarska, on supposait
8 que la personne était serbe.
9 Q. : Est-ce qu’elles avaient quelque rapport avec l’administration réelle
10 de l’opstina de Prijedor, les fonctions gouvernementales ?
11 R. : Non, cela n’avait aucun rapport avec les fonctions administratives.
12 Q. : Pouvez-vous décrire brièvement l’histoire des relations entre les
13 principaux groupes ethniques dans l’opstina de Prijedor avant 1990 ?
14 R. : J’aimerais mentionner que, pendant la seconde guerre mondiale, de
15 1941 à 1942, la municipalité de Prijedor faisait partie du soi-
16 disant Etat Indépendant de Croatie (NDH) et, pendant cette période,
17 une formation extrémiste, une formation militaire extrémiste connue
18 sous le nom de Ustase a déporté une grande partie de la population
19 serbe depuis ici, du territoire de la municipalité de Prijedor
20 jusqu’à Jasenovac. La déportation et la persécution de la population
21 serbe pendant la seconde guerre mondiale était un phénomène signalé
22 dans l’ensemble du territoire de Bosnie-Herzégovine mais, à cette
23 époque-là, il y avait une proclamation des intellectuels musulmans
24 dans huit villes de Bosnie-Herzégovine pour protéger la population
25 serbe de la persécution. L’un des endroits où les intellectuels
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1 musulmans ont fait entendre leur voix pour protéger la population
2 serbe de la persécution était Prijedor.
3 Il faut dire qu’à compter de 1942, quand Prijedor -- non, quand des
4 partisans, qui à l’époque étaient surtout serbes, au moins autour de
5 Prijedor, ont pris le contrôle de Prijedor, en 1942, il y a 270
6 Musulmans et Croates très en vue qui ont été tués à Prijedor et, de
7 même, dans la municipalité de Kozarac. En 1945, quand une unité
8 partisane du Monténégro a traversé Kozarac, environ 300 personnes
9 ont été tuées. Les régions de Brdo et de Ljubija ont été en grande
10 partie épargnées, c’est-à-dire que ni Ustase ni les partisans n’ont
11 fait beaucoup de dégâts à cet endroit.
12 Donc, c’est la région qui s’appelle historiquement Potkozarje, c’est
13 un territoire partisan traditionnel et, pendant la seconde guerre
14 mondiale, il n’y avait pas de Tchetniks. C’est la fameuse Potkozarje
15 insurgée. Certains Tchetniks ou certains villages tchetniks se
16 trouvaient parfois dans le quartier historique de Prijedor qui
17 s’appelle Omarska. Excusez-moi, pourriez-vous rectifier la carte,
18 s’il vous plaît ? Pouvez-vous ajuster la carte, s’il vous plaît ?
19 Q. : Pour faciliter le travail des interprètes, pourriez-vous ralentir un
20 peu, s’il vous plaît ?
21 R. : Donc, c’est la basse région, c’est la région de Donja et de Gornja
22 Marica, Gradina, Jelicka, Mijevici. Cependant, en général, on peut
23 dire qu’à Prijedor, il n’y avait pas de conflits ethniques
24 importants, de conflits ethniques locaux entre les Serbes, les
25 Croates et les Musulmans, et que Prijedor est considérée comme une
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1 ville partisane, et dans Potkozarje, une danse célèbre est née.
2 C’est une danse où les gens se tiennent par la main et elle
3 symbolisait la fraternité et l’unité qui était la base, le b.a.-ba
4 de l’idéologie dans la Yougoslavie de Tito.
5 Ainsi, Prijedor a fini par symboliser l’unité de la fraternité de
6 l’ensemble de l’ex-Yougoslavie, parce que, si on la compare à
7 d’autres villes de Bosnie-Herzégovine, il n’y avait pas de conflits
8 inter-ethniques importants. De telle sorte qu’à l’époque de Tito,
9 c’est-à-dire depuis les années cinquante jusqu’à la fin des années
10 quatre-vingt ou le tournant de la décennie, les relations inter-
11 ethniques à Prijedor étaient en fait très bonnes. Il y avait
12 beaucoup de mariages mixtes. C’était un phénomène normal, une chose
13 courante, que de bonnes relations existaient, se nouaient entre les
14 Musulmans, les Croates, les Serbes. Les gens ne se demandaient pour
15 ainsi dire jamais à quel groupe ethnique ils appartenaient. Nous
16 vivions dans une tranquillité idyllique normale. Une excellente
17 tolérance inter-ethnique et religieuse régnait. Ce n’est pas sans
18 raison qu’Ante Markovic, et il était premier ministre en
19 ex-Yougoslavie au début des années quatre-vingt-dix et il était la
20 force motrice qui animait de nombreuses tendances et initiatives
21 réformistes en ex-Yougoslavie, et c’était aussi un homme qui
22 essayait de préserver l’unité de la Yougoslavie. Il a commencé sa
23 campagne à Prijedor, à Mrakovica, comme symbole de fraternité et
24 d’unité en ex-Yougoslavie.
25 Q. : Dans ce contexte de mode de vie non divisé à Prijedor, avez-vous
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1 commencé à voir la montée du nationalisme serbe à la fin des années
2 quatre-vingt ?
3 R. : Les premiers changements qui m’ont frappé, qui étaient visibles dans
4 la vie quotidienne, ils ont commencé à se manifester en 1986 et
5 1987. En 1987, un événement a marqué ces changements et c’était le
6 scandale d’Agrokomerc, quand le vice-président de l’ex-Yougoslavie,
7 Hamdija Pozderac, a été démis de ses fonctions, à l’époque où il
8 était aussi président de la Commission de la Constitution chargée du
9 changement des amendements /sic/ à la constitution, et plusieurs
10 autres événements ont suivi qui, en termes politiques, indiquaient
11 clairement une évolution du nationalisme serbe. Parmi les gens
12 ordinaires, on le voyait, on le devinait en entendant les chansons
13 nationalistes serbes de temps à autre, et certains changements dans
14 la manière de souligner des événements historiques isolés, des
15 attaques contre les principes qui sous-tendaient la Yougoslavie, et
16 ceci a commencé petit à petit à faire son chemin dans la propagande
17 des médias qui était clairement orchestrée depuis Belgrade.
18 Q. : Qu’étaient certains des ----
19 R. : De telle sorte que les gens commençaient à discuter de ces choses.
20 Q. : Quels étaient certains des événements politiques importants qui
21 indiquaient la montée du nationalisme serbe ? Vous avez indiqué
22 l’éviction du vice-président de la Yougoslavie au début de 1987. Que
23 s’est-il passé à la 8e réunion du Comité central en 1988 ?
24 R. : Lors de la 8e séance du Comité central de la Ligue des Communistes de
25 Serbie, Dragisa Pavlovic et Ivan Stambolic ont été démis de leurs
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1 fonctions. Ils représentaient le courant politique modéré en Serbie,
2 et ils acceptaient les fondements du principe constitutionnel de
3 1974 qui énonçait l’égalité des peuples en Yougoslavie. C’était la
4 base, c’était l’assise de la Yougoslavie de Tito tout au long de son
5 règne.
6 Q. : Qui était le ----
7 R. : Ce changement a été effectué par Milosevic.
8 Q. : Pourquoi Milosevic voulait-il évincer le gouvernement existant en
9 Serbie ?
10 R. : Parce qu’ils acceptaient les principes constitutionnels de 1974 en ce
11 qui concerne leurs principes et les changements qu’il voulait
12 apporter, et c’était la constitution de Yougoslavie sur les
13 principes qui serait sensiblement différente, c’est-à-dire le
14 principe «à chacun une voix». Ainsi, la Serbie gagnerait une
15 prépondérance absolue en ex-Yougoslavie.
16 Q. : Donc, Slobodan Milosevic voulait établir un amendement
17 constitutionnel qui donnerait le droit de vote à chacun pour les
18 changements à la constitution ?
19 R. : L’ex-Yougoslavie était composée de six républiques et deux provinces
20 et, sans tenir compte de la taille, chaque république avait un
21 nombre équitable de sièges au Parlement fédéral. De telle sorte que,
22 par exemple, un petit Monténégro avec une population de seulement
23 600 000 personnes environ avait le même nombre de sièges au
24 Parlement fédéral que la Serbie avec une population de plus de huit
25 millions. Mais c’était un moyen de préserver une égalité réciproque
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1 des peuples, des groupes ethniques en ex-Yougoslavie, et c’était ce
2 que Milosevic voulait supprimer.
3 Q. : Après l’éviction du gouvernement modéré en Serbie et l’ascension de
4 Milosevic, vous avez indiqué qu’il y avait alors une propagande qui
5 commençait à émaner de la Serbie. Quelle était la nature de cette
6 propagande ?
7 R. : La propagande venait de tous les médias, comme d’habitude, la
8 télévision pour commencer, la Télévision de Belgrade dans ce cas
9 particulier, la presse écrite, les journaux, Politika Ekspres et
10 Politika, c’étaient des journaux partisans, exclusivement Radio
11 Belgrade et, sous une forme encore différente qui est devenue une
12 nouvelle forme, une nouvelle manifestation de propagande politique
13 dans ces situations nouvelles, et il y avait les soi-disant
14 rassemblements, rassemblements de masse, rassemblements populaires
15 où des discours étaient prononcés avec un contenu nationaliste
16 chauvin.
17 Q. : Y a-t-il eu un discours de ce genre à Gazimestan, au Kosovo ?
18 R. : Oui, après la 8e séance dont Milosevic est sorti en vainqueur absolu,
19 et quand il a ainsi éliminé tout ce courant modéré en Serbie, tel
20 que symbolisé par Stambolic et Pavlovic, un rassemblement de masse a
21 eu lieu à Gazimestan, c’est au Kosovo, à un endroit où, en 1389, la
22 bataille a eu lieu entre l’armée turque et l’armée serbe; en
23 d’autres termes, l’occasion était le 600e anniversaire de la
24 bataille.
25 Q. : Quelle était la partie la plus célèbre du discours de Milosevic ?
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1 R. : Pendant ce grand rassemblement populaire, il y avait environ deux
2 millions de Serbes qui venaient de toutes les régions de la
3 Yougoslavie, et la force motrice ou plutôt le message de ce
4 rassemblement était : «Je ne permettrai à personne de battre les
5 Serbes.» Milosevic voulait ainsi apparaître comme le protecteur, le
6 patron de tous les Serbes, quelle que soit la république où ces
7 Serbes vivaient en ex-Yougoslavie. Le message de tout ce
8 rassemblement et la raison pour laquelle il était fait au Kosovo et
9 lors du 600e anniversaire est double. Milosevic voulait signaler, et
10 la propagande serbe l’a alors commenté comme cela, qu’il y a 600
11 ans, comme ils disaient, la vaillante armée serbe s’est arrêtée à
12 cet endroit même, la percée de l’Islam. C’était le deuxième message
13 très important que Milosevic voulait envoyer à partir de ce
14 rassemblement.
15 Q. : Quel effet ce rassemblement a-t-il eu sur l’image et la popularité de
16 Milosevic parmi les Serbes ?
17 R. : Bien avant cette réunion, le territoire de l’ex-Yougoslavie, de la
18 république habitée par les Serbes était inondé de photographies de
19 Milosevic, de macarons, de slogans, de drapeaux, d’autocollants, et
20 le rassemblement regroupait les Serbes de Bosnie et de Croatie avec
21 des autobus, ses affiches étant collées partout, c’est-à-dire une
22 iconographie reconnaissable, une imagerie reconnaissable, et
23 indiquant l’évolution du culte de la personnalité, c’est-à-dire la
24 promotion de Milosevic au rang de dirigeant absolu des Serbes où
25 qu’ils soient.
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1 Q. : Lors du 14e Congrès communiste en 1989, sur quoi portait le débat
2 essentiel ?
3 R. : Pour ce Congrès, Milosevic recourait à ces rassemblements populaires
4 pour évincer la direction à Vojvodina, au Kosovo, au Monténégro. Il
5 amena ses hommes. De telle sorte que le 14e Congrès de la Ligue des
6 Communistes de l’ex-Yougoslavie, il est venu à ce Congrès en
7 détenant déjà un pouvoir politique considérable. Le 14e Congrès de
8 la Ligue des Communistes consista essentiellement dans un débat sur
9 les fondements de la constitution de 1974, c’est-à-dire le principe
10 «à chacun une voix» et, si ce principe avait été adopté, il aurait
11 signifié la fin de l’égalité des peuples de l’ex-Yougoslavie,
12 abolissant ainsi le principe fondamental qui régissait
13 l’ex-Yougoslavie.
14 Q. : Lors de ce Congrès, comment ont réagi certains des candidats
15 républicains aux positions avancées par Milosevic ?
16 R. : A la fin du 14e Congrès, la direction slovène a quitté la Ligue des
17 Communistes de Yougoslavie. On se souvient encore du visage de Sonja
18 Lokar qui ne pouvait pas retenir ses larmes, un membre de /.../ la
19 Ligue des Communistes de Slovénie qui a quitté la salle, le Congrès
20 en larmes, en indiquant qu’ils quittaient le Congrès parce qu’ils y
21 avaient été forcés, parce que le principe de l’égalité des peuples
22 n’était plus accepté parce que Milosevic voulait l’abolir. La
23 Croatie a également quitté le 14e Congrès, la délégation croate a
24 quitté le 14e Congrès mais n’a pas quitté la Ligue des Communistes
25 de Yougoslavie. La délégation de Bosnie-Herzégovine a fait la même
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1 chose, tandis que d’autres délégations d’autres républiques et
2 provinces ont assisté au Congrès jusqu’à la fin, même s’il n’a
3 adopté aucune conclusion définitive.
4 Q. : Si nous passons à 1990 maintenant, quel a été l’effet de toute cette
5 propagande et de ces débats politiques sur la vie quotidienne dans
6 l’opstina de Prijedor et ailleurs ?
7 R. : Avant cela, avant 1990, c’est-à-dire depuis 1987, depuis le scandale
8 d’Agrokomerc jusqu’aux événements soi-disant populaires, c’est-à-
9 dire les rassemblements dans la rue, les rassemblements populaires
10 dans la rue, qui avaient pour but, à Vojvodina, au Kosovo et au
11 Monténégro, d’évincer de leurs fonctions les dirigeants légitimes,
12 ce qui était une proscription typique de Milosevic pour le
13 changement de pouvoir, et Milosevic a essayé une recette semblable
14 en Bosnie-Herzégovine et en Slovénie. Cependant, les autorités
15 slovènes disaient qu’elles ne permettraient pas les mêmes
16 rassemblements et la Bosnie-Herzégovine a envoyé une réponse du même
17 genre. A Prijedor proprement dit, où la composition ethnique était
18 déjà de 44 % de Musulmans, de 42,5 % de Serbes et de 5,6 % de
19 Croates, il y avait une polarisation qui a eu lieu mais elle n’a pas
20 tout à fait suivi le principe ethnique.
21 Q. : Quel principe a-t-elle adopté ?
22 R. : En fait, il y avait deux blocs qui se sont formés, deux blocs ont vu
23 le jour. L’un était composé de Serbes qui appuyaient pleinement la
24 politique de Milosevic et qui l’embrassaient, l’accueillaient déjà
25 comme leur chef politique, et le second bloc était composé de non-
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1 Serbes, c’est-à-dire tous les autres qui n’adhéraient pas à la
2 politique de Milosevic et qui ne pouvaient pas se réconcilier et ne
3 pouvaient pas accepter les principes sous-tendant cette politique.
4 Dans la vie quotidienne, les gens étaient déjà obsédés par des
5 histoires sur le pour et le contre Milosevic. Dans les usines, les
6 cafés, les restaurants, dans la vie quotidienne, dans la marche
7 quotidienne de la vie quotidienne, on sentait cette polarisation.
8 Q. : Dans cette atmosphère, quelles étaient les principes directeurs de la
9 fondation du SDA ?
10 R. : Evidemment, cette politique telle que poursuivie par Milosevic
11 mettait en péril les principes fondamentaux de la démocratie et, en
12 1990, l’ex-Yougoslavie, en conséquence des processus qui se
13 déroulaient dans l’ensemble de l’ancien bloc, du camp de l’Europe de
14 l’Est, une prise de conscience démocratique s’est faite parmi les
15 gens qui ont commencé à se rendre compte que la démocratisation, que
16 des changements démocratiques s’imposaient. Le parti de l’Action
17 démocratique, comme son nom l’indique, est une organisation
18 politique qui est née pour lutter pour la démocratie, comme une
19 série d’autres partis et, entre autres, comme l’un des fronts qui
20 devaient résister à la menace grandissante contre la démocratie qui
21 venait de l’Est, de Slobodan Milosevic.
22 Q. : Quelle était la plate-forme de base du SDA ?
23 R. : En gros, on pourrait dire la démocratie, c’est-à-dire que le SDA
24 prônait et continue de prôner la démocratie, la libéralisation des
25 marchés, et le respect de tous les droits de l’homme, y compris les
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1 droits ethniques, les droits religieux, les droits culturels et tous
2 les autres droits de la personne basés sur une compréhension de
3 l’Europe et de l’ensemble du monde démocratique.
4 M. KEEGAN : Madame le Président, avant que nous ne passions à un autre
5 sujet, ce pourrait être le moment de marquer une pause.
6 LE PRESIDENT : Nous ajournerons la séance jusqu’au mercredi 29 mai à 14 h
7 30.
8 (17 h 30)
9 (La Cour ajourne ses travaux jusqu’au mercredi 29 mai 1996).
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