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1 LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL Affaire IT-94-1-T
2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE
3 Jeudi, le 30 mai 1996
4 (10h00)
5 LA PRESIDENTE : M. Keegan, voulez-vous poursuivre ?
6 M. KEEGAN : Merci, Mme la Présidente. Pourriez-vous faire entrer M.
7 Mujadzic ? Avant de commencer, il me semble qu’il règne une certaine
8 confusion quant à l’ordre dans lequel les témoins suivants doivent
9 comparaître et je voudrais régler ce problème pour que ce soit clair
10 pour toutes les parties. Sur la notification préalable, nous avions
11 indiqué que M. Doko serait le prochain à comparaître. Cependant, en
12 raison des retards et des lenteurs de procédure, nous avons dû le
13 renvoyer en Bosnie pour qu’il puisse participer aux élections
14 prévues à Mostar; il fallait qu’il soit là-bas. Il n’est donc pas
15 ici actuellement. Nous sommes en train de le faire revenir.
16 Le prochain témoin sera donc le témoin P, qui portait le n° 12 sur
17 la liste initiale. Il sera suivi par le témoin n° 15, Selak, parce
18 que, comme nous l’avons indiqué, le témoin 14 ou 10 était parti,
19 raison pour laquelle nous avons fait remonter M. Doko sur la liste
20 initiale.
21 LA PRESIDENTE : Qu’en est-il du témoin 13 ? Le témoin P porte le n° 12.
22 M. KEEGAN : Bien. Du fait de ses engagements, le témoin 13 suivra - il
23 était prévu que ce soit P, Selak, Kranj.
24 JUGE STEPHEN : Quel numéro porte-t-il ?
25 M. KEEGAN : Le n° 15 est Selak, Kranj est le n° 17, ensuite Doko n° 16 en
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1 raison du temps qu’il faut pour le faire revenir et ensuite M.
2 Vulliamy, qui porte le n° 13.
3 LA PRESIDENTE : Nous avons donc les numéros 12, 15, 17, 16 et 13, c’est
4 bien l’ordre actuel ?
5 M. KEEGAN : C’est exact.
6 LA PRESIDENTE : C’est le témoin 14 ?
7 M. KEEGAN : C’est exact.
8 LA PRESIDENTE : Les trois premiers témoins, dans ce nouvel ordre, sont ici
9 et sont prêts à comparaître.
10 LA PRESIDENTE : Bien entendu, nous entendrons le témoin P à huis clos
11 comme l’a demandé le Procureur dans sa requête, laquelle n’est pas
12 contestée par la Défense, me semble-t-il ?
13 M. KEEGAN : C’est exact.
14 LA PRESIDENTE : Très bien. Voulez-vous poursuivre, s’il n’y a plus de
15 problème à résoudre au préalable ?
16 M. KEEGAN : Merci.
17 M. MIRSAD MUJADZIC est rappelé
18 Poursuite de l’interrogatoire par M. KEEGAN
19 Q. : M. Mujadzic, hier avant la suspension d’audience, vous aviez décrit,
20 évoqué une série d’événements ou de réunions qui ont eu lieu durant
21 la première partie de 1992 et qui, selon vos dires, ont suscité chez
22 vous énormément d’inquiétude par rapport à ce qui était sur le point
23 de se produire. Nous avons commencé par le premier de ces
24 événements, à savoir la réunion avec Stojan Supljanin, le chef des
25 services de sécurité à Banja Luka. Vous avez indiqué que l’un des
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1 événements significatifs qui a suivi était la proclamation de la
2 République serbe en Bosnie-Herzégovine et la proclamation de
3 l’Assemblée serbe dans l’opstina de Prijedor qui en a découlé.
4 Pourriez-vous nous dire un mot sur l’importance de ces événements ?
5 R. : Après la proclamation de la République serbe en Bosnie-Herzégovine -
6 je pense que c’était au début de 1992, je ne connais pas la date
7 exacte - il y a eu la proclamation de la municipalité serbe de
8 Prijedor, qui a été annoncée par les médias. Milomir Stakic, qui
9 occupait légitimement les fonctions de vice-président de l’Assemblée
10 municipale, a été nommé, lors de la proclamation de la République
11 serbe, Président de la municipalité serbe de Prijedor. On a
12 également annoncé que la municipalité serbe serait rattachée à la
13 République serbe de Bosnie-Herzégovine; et je suis certain que les
14 noms des membres du gouvernement municipal, du gouvernement
15 municipal de la municipalité serbe de Prijedor, ont également été
16 rendu publics. Je ne me souviens pas des noms de toutes ces
17 personnes.
18 Q. : Après l’annonce initiale de la création de la municipalité serbe à
19 Prijedor, M. Stakic et les autres ont-ils continué à exercer leurs
20 fonctions au sein de l’Assemblée municipale légitime, l’Assemblée
21 municipale élue, de Prijedor, pendant un certain temps ?
22 R. : M. Stakic lui-même a, pendant un certain temps après la proclamation,
23 continué à travailler comme vice-président de l’Assemblée municipale
24 légitime, de même que les membres élus du gouvernement municipal
25 légitime. Ensuite, peut-être juste avant le début de la guerre,
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1 Milomir Stakic a cessé de travailler dans le bâtiment de l’Assemblée
2 municipale de Prijedor.
3 Q. : Vous avez dit que l’un des événements importants était la prise de
4 contrôle de l’émetteur de télévision dans la région de Prijedor.
5 Quelle était la signification de cette prise de contrôle ?
6 R. : C’était un émetteur de la télévision de Bosnie-Herzégovine, qui était
7 installé sur le Mont Kozara à Lisina, qui surplombait la ville de
8 Prijedor et qui transmettait le signal TV sur tout le territoire de
9 la vallée de la Rivière Sana, et donc dans la municipalité de
10 Prijedor et dans plusieurs autres municipalités environnantes.
11 Dans un premier temps, seul le deuxième canal TV a été modifié sur
12 cet émetteur. Le premier canal a continué à transmettre le premier
13 programme de la télévision de Bosnie-Herzégovine. Le deuxième canal
14 transmettait le programme de la télévision de Belgrade.
15 Q. : Comment qualifieriez-vous la programmation du canal de Belgrade ?
16 R. : J’ai déjà dit que la télévision de Belgrade était de toute manière
17 entièrement acquise à l’idée de la Grande Serbie et à la propagande
18 de Milosevic, et ce deuxième canal a continué à diffuser la
19 propagande de Milosevic et sa vision de la Grande Serbie.
20 Q. : Pendant un certain temps, le premier canal a continué à fonctionner
21 et ensuite, je ne sais pas exactement à quelle date, mais c’était
22 peut-être bien un mois après la prise de contrôle de l’émetteur, le
23 canal de la télévision de Bosnie-Herzégovine a été supprimé et le
24 premier canal, tout comme le deuxième canal, a alors uniquement
25 transmis les programmes de la télévision de Serbie.
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1 Q. : Le deuxième événement important à vos yeux, c’était le début de la
2 guerre en Bosnie-Herzégovine, plus particulièrement dans les régions
3 de Bijeljina et de Brcko. Quel a été l’impact de ces événements sur
4 la population de l’opstina de Prijedor ?
5 R. : Les gens ont vu d’horribles images de Bijeljina, où des criminels et
6 des extrémistes appartenant à des formations paramilitaires
7 dirigées, commandées par Arkan ont tué des dizaines et des centaines
8 d’habitants non serbes à Bijeljina, immédiatement après que Biljana
9 Plavsic, en visite à Biljeljina, a serré la main d’Arkan en
10 l’embrassant et en le félicitant. C’était une image horrible qui a
11 choqué et effrayé la population non serbe de Prijedor.
12 Q. : Lorsque Biljana Plavsic s’est rendue à Bijeljina et a félicité Arkan,
13 quelles étaient ses fonctions ? Quelles étaient ses fonctions au
14 sein du gouvernement ?
15 R. : Jusqu’alors, elle exerçait les fonctions de membre de la présidence
16 de Bosnie-Herzégovine, mais je pense qu’à cette époque, elle était
17 aussi, ou peut-être seulement, membre ou peut-être vice-présidente
18 de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, qui venait d’être
19 proclamée.
20 Q. : Les événements suivants mentionnés par vous sont le retour des
21 soldats après la guerre de Croatie et leur redéploiement dans
22 l’opstina de Prijedor. Voudriez-vous présenter la pièce à conviction
23 136 au témoin, je vous prie, et la placer sur l’elmo ? Pendant que
24 nous attendons qu’elle soit placée sur l’elmo, M. Mujadzic,
25 pourriez-vous expliquer brièvement la composition des forces qui
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1 revenaient de Croatie?
2 R. : Après la signature d’un cessez-le-feu en Croatie, deux brigades sont
3 revenues de Lipik et de Pakrac, sur le front croate, dans la région
4 de Prijedor. Il s’agissait de la 5e brigade de Kozara, commandée par
5 le Colonel Pero Colic, et de la 43e brigade commandée par le Colonel
6 Arsic, dont l’adjoint était le major Radmilo Zeljaja.
7 Q. : De quel type d’armes lourdes ces brigades disposaient-elles ?
8 R. : Elles avaient toutes des armes lourdes, y compris des chars, des
9 canons, des fusils et un grand nombre de mortiers.
10 Q. : Pourriez-vous indiquer sur cette carte de l’opstina, sur la pièce à
11 conviction 136, où étaient déployées ces troupes et ces armes dans
12 l’opstina ?
13 R. : Pour autant que je sache, une partie des armes lourdes était déployée
14 dans la région de Crna Dolina, ou Vallée Noire, et Velika Palaciste,
15 une autre partie était déployée dans la région de Lamovita et un
16 nombre considérable de chars et d’autres armes lourdes se trouvaient
17 dans la région d’Omarska. Dans la région du village de Miljakovci à
18 Topica Brdo, le Mont Topica, il y avait un certain nombre de
19 mortiers. Des unités plus petites étaient déployées, je pense, ici à
20 Niska Glava, mais je ne suis pas certain qu’il y avait des armes
21 lourdes à Niska Glava.
22 Q. : Après le retour de ces troupes du front croate, vous avez indiqué que
23 les événements importants qui ont suivi étaient une série de
24 réunions avec le colonel Arsic et son adjoint, Radmilo Zeljaja.
25 Pouvez-vous expliquer de quelles réunions il s’agissait ?
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1 R. : Excusez-moi, selon l’interprète, la réunion se déroulait avec Zeljaja
2 et Karadzic, était-ce bien la question ?
3 Q. : Non, avec Arsic et Zeljaja.
4 R. : Il y a eu plusieurs réunions de ce type. Certaines réunions ont
5 commencé à se tenir avant le retour de ces brigades, il s’agissait
6 de réunions du Conseil municipal de la Défense territoriale.
7 Certaines réunions se sont déroulées après le retour de ces
8 brigades. Pourriez-vous préciser si vous souhaitez que je parle des
9 réunions qui se sont tenues avant ou après l’arrivée des brigades ?
10 Q. : Commençons, évidemment, par les réunions qui se sont tenues avant le
11 retour des brigades. Qui a convoqué ou demandé ces réunions ?
12 R. : Officiellement, légalement, la réunion a été convoquée par le
13 Président du Conseil municipal de la Défense territoriale, qui était
14 d’office le Président de la municipalité, Muhamed Cehajic.
15 Toutefois, il a convoqué cette réunion à la demande pressante du
16 colonel Arsic, et Arsic a également demandé que cette réunion, à
17 laquelle participent normalement, outre le Président de la
18 municipalité, du fait de leurs fonctions, le premier ministre, le
19 chef de la police, le commandant de l’état-major communal des unités
20 de la Défense territoriale, le Secrétaire municipal pour la Défense
21 territoriale, et le vice-président du comité exécutif, qui était
22 également le commandant de l’état-major de la Défense civile.
23 Donc, en plus de ces membres ordinaires du conseil, ont également
24 été convoqués à cette réunion moi-même, en ma qualité de Président
25 du SDA, Simo Miskovic en sa qualité de Président du SDS, le
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1 Président du HDZ et je pense aussi le Président du Parti social
2 démocratique. Il a participé à la première ou à la deuxième réunion.
3 Ultérieurement, il n’a pas été convoqué. Ceux qui se sont exprimés
4 le plus souvent durant la réunion étaient Arsic et Zeljaja.
5 M. KEEGAN : Voudriez-vous présenter la pièce à conviction 140 au témoin ?
6 LA PRESIDENTE : M. Mujadzic, quand cette réunion s’est-elle déroulée ?
7 Essayez de donner une date aussi précise que possible.
8 R. : Je ne me souviens pas de la date exacte de ces réunions. Ce dont je
9 suis sûr, c’est que c’était peu de temps avant le retour de ces
10 brigades. Je pense que c’était probablement un mois ou peut-être un
11 peu plus avant le retour de ces brigades du front croate.
12 M. KEEGAN : Pourriez-vous placer cette photographie sur l’elmo ? La
13 résolution n’est pas très bonne à l’ordinateur (Au témoin) : M.
14 Mujadzic, reconnaissez-vous l’homme au milieu de cette photographie
15 ?
16 R. : Cette photographie n’est pas très claire. C’est le colonel Arsic, le
17 colonel Arsic.
18 M. KEEGAN : Mme la Présidente, je soumets la pièce à conviction 140.
19 LA PRESIDENTE : Pardon ?
20 M. KEEGAN : 140.
21 LA PRESIDENCE : Y a-t-il des objections concernant la pièce 140 ?
22 M. WLADIMIROFF : Non, Mme la Présidente.
23 LA PRESIDENTE : La pièce à conviction 140 est admise.
24 JUGE STEPHEN : Puis-je poser une question ? Quel est l’uniforme que porte
25 la première personne que l’on voit sur cette photographie ?
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1 R. : Je ne connais pas ce genre d’uniforme. C’est la première fois que je
2 vois ce signe, cet insigne. C’est probablement une photo qui a été
3 prise après l’époque où nos réunions se sont tenues. A cette époque,
4 Mico Kovacevic portait des vêtements civils et la personne à
5 laquelle vous faites référence est Mico Kovacevic, le Président du
6 Conseil exécutif de la municipalité de Prijedor, en d’autres termes,
7 le Président du gouvernement de Prijedor.
8 M. KEEGAN : Si je puis vous aider, M. le Juge, cette photographie est
9 extraite d’une bande vidéo qui sera soumise ultérieurement. Vous
10 verrez qu’il porte simplement un T-shirt sur lequel figure en fait
11 l’inscription "US Marines" et sur lequel il a cousu une pièce. Il ne
12 s’agit donc pas du tout d’un uniforme.
13 (Au témoin) : Cette réunion que vous allez évoquer, s’est-elle tenue
14 avant la prise de contrôle du 30 avril 1992 ? La réunion dont nous
15 parlons et que vous allez décrire, s’est tenue avant le 30 avril
16 1992, est-ce exact ?
17 R. : J’ai compris la question, mais je n’ai pas eu la traduction en
18 bosniaque. Je suis désolé. Non c’est bien. Je vous entends
19 maintenant. J’entends maintenant.
20 Q. : Pour répondre à la question de Mme la Présidente, que je répète, de
21 toute manière cette réunion que vous allez nous décrire s’est
22 déroulée avant le 30 avril 1992?
23 R. : Oui, certainement bien avant le 30 avril.
24 Q. : Pourquoi le colonel Arsic a-t-il convoqué cette réunion ?
25 R. : A cette époque, les deux brigades, les brigades serbes, se trouvaient
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1 sur le front croate. Un incident s’est produit dans la municipalité
2 voisine de Bosanska Dubica. Plusieurs soldats croates, membres de la
3 garde nationale, connus sous le nom de "Zenga", ont apparemment
4 attaqué certains villages serbes et ont provoqué des incidents.
5 Après cela, les villages serbes environnants et la population serbe
6 de Prijedor ont insisté pour bénéficier d’une protection. Lors de
7 cette réunion, Arsic a proposé que l’on mobilise la Défense
8 territoriale de Prijedor et que l’on protège les bâtiments les plus
9 importants à Prijedor.
10 Q. : Lors de la mobilisation, a-t-on recommandé de distribuer des armes
11 pour la Défense territoriale ?
12 R. : Oui, après un certain nombre de ces réunions, Arsic a enfin accepté
13 que les armes de la Défense territoriale, qui étaient entreposées
14 dans les entrepôts de l’armée populaire yougoslave, soient
15 distribuées dans les collectivités locales, les quartiers et qu’une
16 partie du détachement municipal de la Défense territoriale de la
17 municipalité de Prijedor soit mobilisée. Dans chaque collectivité
18 locale, 23 pièces devaient être distribuées et je pense que, pour ce
19 détachement de la municipalité de Prijedor, environ 200 personnes
20 devaient être mobilisées - je ne suis pas certain du chiffre - pour
21 la ville, pour la ville de Prijedor même.
22 Q. : Cette décision ou cet accord concernant la distribution de 23 armes à
23 chaque Mjesna Zajednica, était-elle le résultat de négociations
24 entre le gouvernement légitime de l’opstina et les autorités
25 militaires ?
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1 R. : Je n’appellerais pas vraiment cela des "négociations"; c’était plutôt
2 la décision d’Arsic. Nous avons essayé de demander plus d’armes et
3 nous avons demandé que, en plus des fusils ordinaires, d’autres
4 armes soient distribuées comme c’est généralement le cas lorsque la
5 Défense territoriale est mobilisée, comme des mortiers et de
6 l’artillerie légère, mais il n’a pas donné son accord, en sorte que
7 nous n’avons reçu que 23 fusils.
8 Q. : Avez-vous constaté que certaines des collectivités locales
9 essentiellement habitées par des Musulmans ont effectivement reçu
10 une partie de ces armes conformément à cette décision ?
11 R. : Je n’ai pas pu vérifier personnellement si toutes ces armes avaient
12 été distribuées. Ce dont je suis certain, c’est que dans certaines
13 collectivités locales, on s’est plaint que certaines armes n’étaient
14 pas en état de fonctionner, que le nombre de pièces distribuées ne
15 correspondait pas au nombre prévu, et dans certaines collectivités
16 locales où il y avait des Serbes et des Musulmans, comme par exemple
17 à Orlovci, les Musulmans n’avaient pas reçu les armes qui leur
18 avaient été attribuées. Elles avaient été distribuées aux Serbes
19 seulement.
20 Q. : Avez-vous remarqué que, dans certaines des Mjesna Zajednicas à
21 majorité musulmane, des postes de contrôle avaient été installés, où
22 il y avait des membres de la Défense territoriale avec des armes ?
23 R. : A ce moment, les opérations de la Défense territoriale étaient tout à
24 fait conformes à ce qui était prévu. Le commandant des troupes de la
25 Défense territoriale était Rade Javoric, un Serbe, mais qui n’était
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1 pas un candidat du SDS. Tous les postes de contrôle établis sur le
2 territoire de la municipalité de Prijedor et dans les collectivités
3 locales ne servaient pas tous à opérer des contrôles. A cette
4 époque, c’étaient essentiellement des sentinelles dont la tâche, la
5 responsabilité était de protéger certains bâtiments et de veiller à
6 la sécurité des citoyens.
7 Q. : De quel type étaient les armes qu’avaient les sentinelles dans les
8 collectivités musulmanes ?
9 R. : C’étaient de vieux modèles, de vieilles armes automatiques russes et
10 de vieux fusils M49, c’est-à-dire fabriqués en 1949, et il y avait
11 quelques fusils semi-automatiques, M60 je pense. Je ne me souviens
12 pas exactement du modèle. Bref, c’étaient essentiellement de
13 vieilles armes, souvent obsolètes.
14 Q. : Avez-vous remarqué, à un certain moment, que des distributions
15 d’armes étaient organisées à grande échelle au bénéfice de la
16 population serbe de l’opstina ?
17 R. : Après cela, une fois les armes distribuées, c’est-à-dire lorsque les
18 unités de la Défense territoriale ont été régulièrement mobilisées,
19 nous avons remarqué que le nombre de membres armés dans les
20 collectivités locales serbes était plus élevé qu’il n’aurait dû
21 l’être. Ensuite, à plusieurs reprises après cela, nous avons vu que
22 des armes étaient distribuées depuis des camions, des camions
23 militaires de la JNA aux collectivités locales serbes. Ensuite, par
24 chance, nous avons découvert des terrains de manoeuvre où des
25 exercices, des entraînements, des exercices de tir, se déroulaient
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1 sur le Mont Kozara depuis le village de Brezicani vers Kozara. Les
2 formations paramilitaires serbes suivaient des entraînements à cet
3 endroit.
4 Q. : Avez-vous interrogé le colonel Arsic à propos de ces informations ?
5 R. : Après avoir reçu ces informations, j’ai demandé à le voir. Je lui ai
6 signalé ces faits et il a dit que ce n’était pas vrai et qu’il
7 s’agissait de rumeurs non vérifiées et inexactes. Je lui ai alors
8 dit que nous avions des preuves et que, s’il le souhaitait, je
9 pouvais lui montrer des photographies sur lesquelles on voyait que
10 des armes étaient distribuées depuis des camions de l’armée
11 populaire yougoslave. Lorsque je lui ai dit cela, il était surpris
12 et quelque peu décontenancé et il a répondu : "Bien, nous allons
13 examiner la question."
14 Q. : Vous avez mentionné que vous aviez également eu des réunions avec le
15 Commandant adjoint, Radmilo Zeljaja; quelle était la nature de ces
16 entretiens ?
17 R. : Je pense que ces réunions se sont tenues après le 6 avril, c’est-à-
18 dire après le début de la guerre en Bosnie-Herzégovine. Lors d’une
19 discussion précédente, il avait mentionné qu’il avait des liens très
20 étroits avec Sarajevo et qu’il avait de merveilleux souvenirs de
21 Sarajevo. Il a dit qu’il se trouvait à Sarajevo durant son service
22 militaire et qu’il aimait beaucoup cette ville.
23 Le 6 avril, la Bosnie-Herzégovine a été officiellement reconnue et
24 je lui ai dit : "Zeljaja, écoutez-moi. La Bosnie-Herzégovine a été
25 officiellement reconnue. Il ne fait aucun doute qu’elle aura sa
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1 propre armée. Il serait judicieux que vous affirmiez votre loyauté à
2 l’Etat de Bosnie-Herzégovine et que vous participiez à la formation
3 de la nouvelle armée de l’Etat de Bosnie-Herzégovine." A ce moment,
4 il a exprimé quelques doutes quant à la survie de la Bosnie-
5 Herzégovine et il a dit : "Voyons, la Bosnie a été reconnue, mais
6 cela ne veut rien dire."
7 Je lui ai répondu que ce n’était pas vraiment le cas, que la
8 Communauté européenne et les Etats-Unis d’Amérique étaient
9 favorables à cette reconnaissance et qu’ils nous soutenaient. J’ai
10 laissé entendre que s’il proclamait sa loyauté, nous pourrions lui
11 offrir un bon poste au sein de la nouvelle armée, de la future
12 armée, un appartement à Sarajevo et une récompense, une large
13 récompense financière s’il acceptait d’examiner la question. Il a de
14 nouveau émis des doutes et a dit qu’il était très peu probable que
15 cela aboutisse à quelque chose. Je lui ai dit : "Eh bien, si vous ne
16 voulez pas rester ici, nous pouvons vous aider. Si vous acceptez de
17 nous dire quels sont les officiers de ces brigades ou tout autre
18 individu que vous connaissez et qui affirmerait sa loyauté à la
19 Bosnie-Herzégovine, nous vous offrirons une bonne récompense
20 financière et nous vous aiderions à vous rendre là où vous voudrez."
21 Il a eu l’air très confus, très peu sûr de lui-même. Il était, il a
22 semblé renoncer, très hésitant, il a semblé réfléchir et a répondu :
23 "Bien, mais ne parlons pas de cela maintenant; nous pouvons nous
24 rencontrer ailleurs." Deux ou trois jours plus tard, nous nous
25 sommes revus à l’El Dorado, un pub en-dessous de l’appartement, dans
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1 le bâtiment en-dessous de son appartement, dans le bâtiment où il
2 vivait. Mais cette réunion n’a pas duré plus de 15 minutes. Nous
3 avons bu une tasse de café ensemble et il a dit qu’il n’avait pas
4 beaucoup de temps, qu’il ne pouvait pas rester et qu’il avait
5 énormément de choses à faire. J’ai alors essayé de le provoquer.
6 J’ai dit : "Que voulez-vous dire, le SDS vous a-t-il offert plus
7 encore ? et il a répondu : "Non, je suis un officier de la JNA et je
8 n’ai aucun contact avec le SDS." Nous nous sommes séparés et je n’ai
9 plus eu de contacts avec lui après cette réunion.
10 Q. : Vous avez dit que vous avez également eu des réunions avec Simo
11 Miskovic. Quel était l’objet de ces réunions ?
12 R. : Il y a eu un certain nombre de réunions en 1992, après la
13 proclamation de la municipalité serbe de Prijedor. Nous avons
14 demandé qu’on nous explique ce que cela cachait, quel était le but
15 de tout cela, ce qu’était l’opstina serbe de Prijedor et comment ils
16 pensaient mettre leur projet à exécution. Comment deux municipalités
17 pouvaient-elles fonctionner en un seul et même endroit ?
18 Il avait pour habitude de répondre : "Ne vous inquiétez pas, ce sera
19 facile, tout sera résolu en moins de temps qu’il n’en faut pour le
20 dire", mais il n’a jamais voulu révéler ses intentions réelles.
21 Ensuite, il y a eu son intervention caractéristique sur les ondes de
22 Radio Prijedor. Le réalisateur de Radio Prijedor, Muharem Nezirovic,
23 nous a invités tous les deux le 28 avril à participer à une
24 émission, à participer ensemble à une émission. Il a clôturé son
25 intervention en disant qu’il voulait que nous vivions tous en paix.
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1 Je paraphrase bien entendu, mais la substance de son message était
2 que le SDS, qu’ils ne provoqueront pas une guerre, un conflit dans
3 la municipalité de Prijedor. J’ai dit que nous n’avions pas non plus
4 l’intention de provoquer une guerre, un conflit à Prijedor et que
5 nous voulions que Prijedor continue à vivre en paix. Evidemment, pas
6 plus tard que le lendemain, il est apparu que ses intentions réelles
7 ne correspondaient pas à son message.
8 Q. : Quelle sorte d’entrevue avez-vous eu le 29 avril, le jour suivant ?
9 R. : Le 29 avril, il y a eu plusieurs réunions et événements. Durant les
10 premières heures de la matinée, j’ai été appelé de Sanski Most par
11 des représentants du SDA à Sanski Most, qui m’ont demandé d’aller
12 là-bas et de participer à une réunion à laquelle seraient également
13 présents le Général Talic, le commandant de l’époque du corps de
14 Banja Luka et le colonel Hasetic. J’ai accepté cette invitation
15 parce qu’à l’époque, j’exerçais également les fonctions de Président
16 du conseil régional du SDA de Banja Luka, qui avait un rôle de
17 coordination.
18 Q. : Que s’était-il passé à Sanski Most pour que cette réunion avec le
19 Général Talic soit nécessaire ?
20 R. : Dès que nous sommes entrés dans Sanski Most, des soldats sont venus à
21 notre rencontre près d’un poste. Je leur ai dit que je me rendais à
22 cette réunion et ils nous ont laissé passer. La ville était pleine
23 de soldats et, dans un premier temps, je ne me suis pas rendu compte
24 de ce qui se passait. Nous sommes entrés dans le bâtiment de la
25 mairie. Le Général Talic et le Colonel Hasetic s’y trouvaient déjà,
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1 et le commandant de la police de Sanski Most, qui représentait le
2 SDA, m’a brièvement expliqué de quoi il s’agissait. Ce soir-là, des
3 policiers serbes avaient attaqué des policiers non serbes - croates,
4 musulmans et autres - et les avaient chassés du poste de police. Ils
5 s’étaient installés dans le bâtiment de la mairie de Sanski Most. Il
6 a dit qu’immédiatement après, l’armée est entrée dans la ville.
7 Je me suis approché du Général Talic et je lui ai demandé des
8 explications. Je lui ai demandé pourquoi l’armée avait pris le
9 contrôle de la ville. Il a répondu que c’était pour éviter un
10 conflit entre, selon ses propres termes, des parties en conflit et
11 que c’était seulement temporaire. J’ai alors demandé que l’armée se
12 retire parce qu’il n’était pas compétent, pas mandaté pour agir
13 ainsi et qu’il fallait trouver une solution politique à ce problème.
14 Il a refusé cette possibilité.
15 Après cela, il y a eu une réunion avec Rasula, le maire, le
16 Président du SDA et un autre représentant du SDA. Tant le maire que
17 le Président du SDA à Sanski Most m’ont exhorté à participer à la
18 réunion. Cependant, Rasula et le représentant du SDS ont rejeté
19 cette possibilité avec emphase, affirmant qu’il n’y avait pas de
20 représentant du comité du SDS de Banja Luka, raison pour laquelle
21 ils s’opposaient à ce que je participe à la réunion. Après cela,
22 j’ai quitté Sanski Most.
23 Q. : A quelle réunion avez-vous ensuite participé, le 29 ?
24 R. : Au retour de Sanski - à mon retour de Sanski Most, j’ai rencontré des
25 gens à Prijedor. On m’a dit qu’il y aurait une réunion avec un
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1 policier et d’autres membres du poste de police de Prijedor et que
2 la réunion devait se tenir dans le bâtiment du poste de police.
3 Hasan Talundzic, le chef de la police, était présent à la réunion,
4 ainsi que plusieurs officiers supérieurs de police d’origine serbe,
5 Muhamed Cehajic, le maire de l’opstina de Prijedor et moi-même.
6 Q. : Quel était l’objet de cette réunion ?
7 R. : Les policiers serbes exigeaient une décision finale sur le point de
8 savoir si le poste de police de Prijedor serait intégré au sein de
9 la police de Banja Luka sous le commandement de Stojan Supljanin ou
10 s’il serait rattaché au ministère de l’Intérieur de la République à
11 Sarajevo, comme le demandaient avec insistance les policiers non
12 serbes.
13 Q. : Et que ...?
14 R. : Oui ?
15 Q. : La réunion a-t-elle abouti à quelque chose ?
16 R. : Il n’y a pas eu de décision finale, définitive. J’ai simplement
17 demandé qu’aucune décision ne soit prise à ce moment, que l’on
18 attende l’accord final sur la structure de la Bosnie-Herzégovine,
19 que les décisions définitives ne soient prises qu’après qu’un accord
20 soit intervenu au niveau de la République, et qu’entre-temps le
21 poste de police de Prijedor ne change pas de statut, c’est-à-dire
22 qu’il continue de dépendre du ministère de l’Intérieur de la
23 République, tout en maintenant la coopération avec le centre de
24 sécurité de l’Etat à Banja Luka.
25 Vers la fin de la réunion, un policier a dit qu’il ne voulait pas
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1 recevoir d’ordres de Sarajevo. C’était un policier serbe, un
2 policier d’origine ethnique serbe. Il était employé au département
3 des communications et il a dit qu’un document venait d’arriver,
4 disant que la police devait attaquer l’armée et qu’il ne voulait pas
5 faire cela. J’ai dit que je ne savais pas de quoi il s’agissait et
6 c’est sur ces paroles que la réunion s’est terminée.
7 Q. : Avez-vous eu une réunion plus tard avec le colonel Arsic concernant
8 le télégramme ?
9 R. : Après cette réunion, je suis retourné à mon appartement et un peu
10 avant 5 heures, le Colonel Arsic m’a téléphoné et m’a demandé de
11 venir le voir à la caserne. Compte tenu de la situation générale,
12 j’ai dit qu’il valait mieux se rencontrer ailleurs - à un autre
13 endroit. Il a dit : "Mais Simo Miskovic, le Président du SDS, est
14 déjà ici avec moi. Auriez-vous l’amabilité de venir également parce
15 qu’il y a une question urgente que nous devons examiner et dont je
16 ne puis parler au téléphone."
17 Q. : Etes-vous allé à la caserne ?
18 R. : Oui, j’y suis allé et dès que je suis entré dans la caserne, j’ai vu
19 qu’il était assis à une table. Il m’a montré un document et a dit :
20 "Savez-vous de quoi il s’agit ?". J’ai jeté un coup d’oeil au
21 document. C’était un télex. J’ai lu quelques phrases et j’ai dit que
22 je n’avais pas reçu de télex de Sarajevo, que je ne savais pas de
23 quoi il s’agissait et que c’était la première fois que je voyais
24 quelque chose comme cela. Il a dit que ce télégramme était l’ordre,
25 que c’était un ordre destiné à la police et à l’armée, aux termes
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1 duquel la caserne de la JNA devait être encerclée et des barrages
2 devaient être installés sur toutes les voies d’accès importantes que
3 l’armée pouvait utiliser pour sortir. J’ai dit que je n’étais au
4 courant de rien et que ce devait être une erreur.
5 Q. : Pendant cette réunion, le Colonel Arsic et les autres se sont-ils
6 rendus compte ou ont-ils appris que le gouvernement de Bosnie-
7 Herzégovine niait avoir envoyé ce télex et déclarait que c’était un
8 faux et qu’il n’avait pas de telles intentions ?
9 R. : Immédiatement après cela, la présidence de Bosnie-Herzégovine a nié
10 le contenu du document, affirmant qu’elle n’avait pas donné cet
11 ordre et que c’était une erreur. Cependant, Arsic s’est alors tourné
12 vers moi et a semblé dire la même chose à Simo Miskovic. Il a dit :
13 "Si l’un de vous lance une attaque contre la caserne, j’utiliserai
14 tous les moyens à ma disposition, toutes les armes dont je dispose,
15 pour tirer sur ceux qui attaquent l’armée." J’ai répondu qu’il ne
16 nous était jamais venu à l’esprit d’attaquer l’armée ou qui que ce
17 soit. Il a dit ensuite : "Bien, dans ce cas je propose que nous
18 allions dîner."
19 Q. : Etes-vous allés dîner ?
20 R. : Oui. En fait, même durant les précédentes réunions il pensait, à mon
21 avis, que nous aurions dû nous estimer heureux qu’il ait été
22 mobilisé au sein de la Défense territoriale, et que Simo Miskovic et
23 moi-même devions l’inviter à dîner, ainsi que Zeljaja. J’ai dit :
24 "Bien, ce n’est rien, allons dîner" et il s’est souvenu de cela et a
25 dit : "Eh bien, pourquoi ne tiendriez-vous pas votre promesse en
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1 nous invitant à dîner ?". Nous nous sommes donc rendus au restaurant
2 Europe à Prijedor et, outre moi-même, il y avait également Hilmija
3 Hopovac, Simo Miskovic, Zeljaja, Arsic et Zoran Karlica.
4 Q. : Qui est Zoran Karlica ?
5 R. : Eh bien, je ne le connaissais pas à l’époque - c’était la première
6 fois que je le voyais - et je ne savais rien de lui. Tout ce que je
7 sais de lui, je l’ai appris ultérieurement par d’autres personnes.
8 Mais lors de ce dîner, nous sommes restés jusqu’à 11 heures et nous
9 avons parlé de choses et d’autres qui n’avaient rien à voir avec les
10 événements qui se déroulaient, des généralités. Je pense que nous
11 n’avons même pas abordé la moindre question politique.
12 Q. : Le lendemain matin, le matin du 30 avril 1992, avez-vous reçu un coup
13 de téléphone en début de matinée ?
14 R. : Oui, le 30 avril, en début de matinée, à 6h00, j’ai reçu un coup de
15 téléphone de Sistek Sahic, Secrétaire du comité municipal du SDA,
16 qui m’a dit : "Connaissez-vous la nouvelle, Mirsad ?" J’ai répondu :
17 "Quoi ?" "L’occupation de Prijedor a commencé la nuit dernière."
18 Après cela, je suis sorti pour voir ce qui se passait.
19 Q. : Qu’avez-vous vu dans la ville de Prijedor ?
20 R. : Toute la ville grouillait de soldats; les principales voies de
21 communication vers l’extérieur de la ville étaient bloquées par des
22 postes de contrôle; tous les bâtiments les plus importants, Radio
23 Prijedor, la banque, la poste, la mairie, le commissariat de police,
24 étaient surveillés par des soldats et tout ce qui se passait me
25 faisait penser à ces films où l’on voyait des "putsch" militaires en
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1 Amérique latine ou en Afrique. Cela ressemblait à un coup d’état
2 tout à fait classique.
3 Q. : Cela vous a-t-il également fait penser à ce que vous aviez vu la
4 veille à Sanski Most, aux postes de contrôle avec les gardiens ?
5 R. : Oui, c’était pratiquement le même scénario.
6 Q. : Des avis ont-ils été affichés dans la ville ?
7 R. : Oui, il y a eu plusieurs avis. Tout Prijedor était couvert d’affiches
8 et le texte de ces avis était très souvent, à peu près toutes les
9 demi-heures ou toutes les heures, je n’en suis pas certain, lu à la
10 radio. La première proclamation et l’affiche expliquaient les
11 raisons du putsch militaire et il y était affirmé que le SDA avait
12 usurpé tous les pouvoirs à Prijedor, que les membres du SDA avaient
13 commencé à voler dans les entreprises, qu’ils avaient commencé à
14 démolir le système, qu’ils ne valaient pas mieux que les voleurs et
15 les criminels, que le Parti démocratique serbe était contraint de
16 prendre cette mesure, que les Musulmans et les autres non-Serbes ne
17 devaient pas s’inquiéter de ce qui se passait, qu’il s’agissait
18 simplement d’éliminer quelques criminels et que dans les six mois,
19 de nouvelles élections seraient organisées, à l’occasion desquelles
20 les Musulmans et les Croates auraient la possibilité d’élire de
21 nouveaux représentants.
22 Q. : Ces avis indiquaient-ils que le SDS affirmait être responsable de la
23 prise de contrôle et contrôlait désormais le gouvernement municipal
24 ?
25 A. : Oui, bien entendu. Il a été clairement affirmé que le SDS s’était
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1 totalement emparé de Prijedor.
2 Q. : Y a-t-il eu des avis ultérieurs concernant la création d’un Krizni
3 Stab ?
4 R. : Oui. Dans le courant de la même journée, d’autres avis ont été
5 proclamés sur le Krizni Stab. Il a été affirmé que ce quartier
6 général de crise s’était formé à Prijedor et se chargerait de toutes
7 les activités à Prijedor jusqu’à ce que d’autres changements
8 interviennent. Le Président de ce quartier général de crise était
9 Milomir Stakic et je pense que les membres étaient Srdjo Srdic, Simo
10 Miskovic, Simo Drljaca.
11 Q. : Le Colonel Arsic et Slobodan Kurusovic en étaient-ils également
12 membres ?
13 R. : En ce qui concerne Slobodan Kuruzovic, je suis certain qu’il faisait
14 partie de ce Stab. Je ne suis pas certain qu’Arsic en était membre.
15 Mais, selon les informations que j’ai obtenues plus tard, Slobodan
16 Kuruzovic a pris le contrôle de la Défense territoriale et a ensuite
17 assumé la responsabilité de l’ensemble du putsch à Prijedor. J’ai
18 appris qu’il faisait régulièrement rapport à Arsic concernant les
19 événements qui se produisaient et que c’est de là qu’il recevait
20 d’autres instructions.
21 Q. : A partir du 30 avril, qu’est-il arrivé à tous les membres non serbes
22 du gouvernement de la municipalité ?
23 R. : Le 30 avril, tous les hauts fonctionnaires, musulmans et croates,
24 représentants du SDA et du HDZ, ont été démis de leurs fonctions,
25 mais il en a été ainsi non seulement des représentants de ces deux
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1 partis, mais de beaucoup d’autres citoyens réputés, musulmans et
2 croates, qui n’avaient aucun contact avec le SDA, qui étaient des
3 gens honorables et décents, de loyaux citoyens de l’Etat de Bosnie-
4 Herzégovine, comme Nedzad Seric, le Président du Tribunal de
5 Prijedor, Habib Bajrahtarevic, le Directeur du service de
6 comptabilité sociale, le SDK, pour le contrôle des paiements, le
7 directeur adjoint de la banque, Lika Muhamed et de nombreux autres
8 non-Serbes distingués qui occupaient des postes d’une quelconque
9 importance dans toutes les institutions.
10 Q. : Entre la prise de contrôle du 30 avril et le 23 mai 1992, avez-vous
11 discuté avec Srdjo Srdic de ce qui se passait dans la municipalité ?
12 R. : Ce même jour, on a pu entendre le Colonel Arsic affirmer sur Radio
13 Prijedor qu’il n’avait rien à voir avec les événements décrits. Mais
14 j’ai consulté Srdjo Srdic parce que c’était un homme extrêmement
15 superficiel parmi les membres du SDS. Il me semblait qu’il me serait
16 plus facile d’apprendre par son intermédiaire quelles étaient les
17 intentions du SDS. Je lui ai téléphoné à son domicile, mais sa femme
18 a dit qu’il était sorti et m’a donné un numéro où je pouvais
19 vraisemblablement le joindre. A en juger par le numéro de téléphone,
20 il ne devait pas se trouver dans la ville de Prijedor, mais quelque
21 part en-dehors, parce que je pense que le numéro commençait par un
22 "3" et qu’à Prijedor, je pense, les numéros commencent par un "2".
23 J’ai composé ce numéro et, effectivement, Srdjo a répondu et je lui
24 ai demandé : "Srdjo, que se passe-t-il ? Qu’avez-vous fait ?" Il y a
25 eu un silence et il a alors répondu : "Moi et les miens, nous sommes
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1 prêts à faire la guerre, et vous ? Vous êtes-vous préparés ?" J’ai
2 répondu : "Bon Dieu, Srdjo, quelle guerre ? De quoi parlez-vous?
3 Pourquoi devrions-nous faire la guerre ?" et il a répondu : "Vous
4 savez très bien de quoi je parle et si vous ne le savez pas, vous le
5 saurez bien assez tôt". Il a interrompu la conversation. Il a
6 raccroché.
7 Q. : Le SDA a-t-il tenu des réunions après cette prise de contrôle pour
8 décider de ce qu’il fallait faire ?
9 R. : Le 30 avril et le 1er mai, j’ai parcouru tout le territoire de la
10 municipalité de Prijedor. Le 30 avril, Brdo et Ljubija et le 1er
11 mai, Kozarac et d’autres communautés. J’ai pris l’avis des
12 dirigeants locaux et des gens sur place et nous sommes arrivés à la
13 conclusion qu’il fallait organiser d’urgence une réunion pour
14 examiner l’ensemble de la situation et décider de ce qu’il fallait
15 faire, parce que les Serbes n’avaient en réalité pris le contrôle
16 que de la partie basse de la ville et des zones où les Serbes
17 étaient majoritaires, tandis que toutes les régions à majorité
18 musulmane et croate se trouvaient sous le contrôle d’unités de la
19 Défense territoriale.
20 Q. : Est-ce que ... ?
21 R. : Oui ?
22 Q. : Des membres du SDA ont-ils également tenu des réunions avec des
23 représentants du SDS et de l’armée ?
24 R. : Lors de la première réunion qui s’est tenue les 3 et 4 mai, peu de
25 temps après cela, nous avons donc discuté de ce qu’il fallait faire
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1 ensuite et nous avons décidé qu’il serait judicieux d’envoyer un
2 message aux gens, dans la mesure où Slobodan Kuruzovic insistait à
3 cette époque pour que la Défense territoriale rende les armes.
4 Q. : A-t-on décidé de laisser à chaque municipalité ou à chaque Mjesna
5 Zajednica la possibilité de prendre elle-même une décision à cet
6 égard ?
7 R. : Lors de cette réunion, nous n’avons pas voulu prendre de décision
8 définitive, mais nous avons voulu prendre l’avis du peuple et nous
9 avons donné l’ordre d’organiser des rassemblements de citoyens dans
10 toutes les collectivités locales et de demander à l’occasion de ces
11 réunions si la Défense territoriale devait rendre les armes ou pas.
12 Nous avons conseillé de ne pas rendre les armes. C’était une
13 recommandation, j’insiste. Nous n’avons pas exigé cela des citoyens.
14 Les citoyens ont accepté cette recommandation, mais la décision de
15 ne pas rendre les armes émanait également d’eux. Lors de la réunion
16 suivante, une réunion importante au conseil municipal, à laquelle
17 participaient des représentants des collectivités locales et qui
18 s’est tenue deux ou trois jours plus tard, les 6 et 7 mai, un
19 courant au sein du parti a insisté sur le fait qu’il fallait
20 négocier avec des représentants du parti démocratique serbe et des
21 membres de l’armée convaincus que ces négociations pouvaient aboutir
22 à quelque chose.
23 J’appartenais au groupe de ceux qui pensaient que ces négociations
24 ne mèneraient nulle part, qu’ils avaient clairement planifié ce
25 qu’ils feraient et que ces discussions n’auraient aucun résultat,
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1 mais nous n’avions rien contre les gens qui pensaient que l’on
2 pouvait progresser et négocier.
3 Une délégation a donc été formée, qui se composait, je pense, de
4 Semenovic, Mujcic, Terzic, Medunjanin, Islam Bahonjic aussi je pense
5 - je n’en suis pas certain - et elle a négocié avec le SDS et avec
6 Arsic et Zeljaja jusqu’aux environs du 16 mai, où, lors de la
7 dernière réunion, Zeljaja a dit : "Il n’y aura plus de négociations
8 à partir d’aujourd’hui. Nous sommes l’armée de la République Srpska.
9 Ceci est la République Srpska. Faites passer le message à vos
10 Musulmans que la Défense territoriale doit immédiatement déposer
11 toutes ses armes, que tous vos conscrits doivent réagir à la
12 mobilisation de la République Srpska et que tous les citoyens
13 doivent affirmer leur allégeance à l’Etat de la République Srpska".
14 Le 17 mai, Music et Terzic, qui avaient participé à cette réunion,
15 m’ont répété ces paroles lors d’une entrevue.
16 Q. : Le 23 mai, y a-t-il eu un incident à un poste de contrôle à Hambarine
17 ou près d’Hambarine ?
18 R. : Oui. Je me trouvais en visite dans la maison de mes parents et j’ai
19 entendu des coups de feu. Je suis sorti pour voir ce qui se passait
20 et à environ 300 mètres en direction d’Hambarine, près d’un arrêt de
21 bus, Polje, où la Défense territoriale avait installé un poste de
22 contrôle, un groupe de personnes s’était formé. Je me suis rendu sur
23 place pour voir ce qui se passait et j’ai vu une voiture, une Lada
24 blanche - c’est une Fiat, une grosse Fiat italienne, un véhicule de
25 luxe, une limousine - deux morts et quatre blessés.
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1 J’ai appris que deux d’entre-eux étaient des Croates et qu’ils
2 étaient légèrement blessés. Ils ont dit que quatre personnes du SDS
3 les avaient kidnappés, les avaient forcés à monter dans la voiture
4 et qu’ils n’avaient rien à voir avec eux. Ces quatre personnes, dont
5 deux étaient mortes et deux gravement blessées, portaient l’insigne
6 des Aigles blancs et des Tchetniks. Les Aigles blancs sont des
7 unités d’extrémistes formées par Vojislav Seselj, un extrémiste
8 serbe. Un membre de la Défense territoriale a également été blessé.
9 Il a essayé de reconstituer brièvement l’événement pour moi.
10 Ils se sont arrêtés et avant qu’ils aient pu faire quoi que ce soit,
11 procéder à un contrôle, l’un d’eux est sorti de la voiture et a
12 ouvert le feu sur les membres de la Défense territoriale. Ils se
13 sont couchés par terre et à ce moment, l’un d’eux a ouvert le feu
14 avec un fusil automatique en direction du groupe de personnes que je
15 viens de mentionner. Immédiatement après cela, une maison abandonnée
16 située à une distance d’environ un kilomètre dans le champ a pris
17 feu, et environ 10 minutes plus tard, un transport de troupes peint
18 aux couleurs de la police a fait son apparition à l’endroit, il
19 s’agissait donc d’un transport de la police civile.
20 Il a insisté pour que Aziz Aliskovic se rende et que tous les autres
21 membres qui se trouvaient au poste de contrôle se rendent également.
22 Je lui ai dit que nous ne pouvions pas faire cela et que ce serait
23 une bonne idée d’instituer une commission pour enquêter sur toute
24 cette affaire. J’ai tout de suite insisté pour que les blessés
25 soient transportés à l’hôpital, ce qu’ils ont refusé. Ils se sont
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1 déplacés de 300 mètres en direction de Prijedor et, à l’aide d’une
2 mitraillette, quelque chose entre un fusil et une mitrailleuse, ils
3 ont tiré sur le poste de contrôle, mais il n’y avait personne, en
4 sorte qu’aucune autre personne n’a été blessée à cette occasion.
5 M. KEEGAN : Le moment est-il bien choisi pour faire une pause avant de
6 passer à autre chose ?
7 LA PRESIDENTE : L’audience est suspendue pendant 20 minutes.
8 (11h30)
9 (L’audience est suspendue)
10 (11h50)
11 LA PRESIDENTE : M. Keegan, voulez-vous prendre la parole ?
12 M. KEEGAN : Merci, Mme la Présidente (Au témoin) : Dr. Mujadzic, vous avez
13 dit que lorsque vous êtes arrivé au poste de contrôle, ce sont les
14 personnes qui avaient été blessées à cet endroit qui vous ont
15 raconté ce qui s’était passé. Vous ont-ils raconté cela pendant que
16 vous essayiez de soigner leurs blessures ?
17 M. KAY : Puis-je simplement faire une petite remarque ? Je ne pense pas
18 que le témoin ait affirmé qu’il avait été mis au courant des
19 événements par les personnes qui avaient été blessées. Je pense
20 qu’il a dit qu’une personne lui a fait le récit des événements. J’ai
21 peut-être mal compris, mais peut-être conviendrait-il d’éclaircir ce
22 point dans la mesure où il s’agit d’un élément de preuve très
23 important.
24 LA PRESIDENTE : M. Keegan, je ne me souviens vraiment pas si le témoin a
25 affirmé que le récit des événements lui a été fait par les personnes
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1 blessées ou par d’autres personnes.
2 M. KEEGAN : Je pense que nous pourrions revenir en arrière dans le compte
3 rendu, mais je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je pense que
4 c’est ce qu’il a dit, mais je me contenterai de formuler ma question
5 d’une autre manière.
6 LA PRESIDENTE : Vous pouvez lui demander à nouveau qui lui a parlé et nous
7 verrons bien ce qu’il répondra.
8 M. KEEGAN : Exactement (Au témoin) : Dr. Mujadzic, vous avez fait le récit
9 de ce qui s’est passé au poste de contrôle; qui vous a raconté ce
10 qui s’est passé ?
11 R. : J’ai dit que j’avais parlé à deux des six personnes blessées qui se
12 trouvaient dans la voiture, mais que plus tard, un membre de la
13 Défense territoriale a reconstitué les événements pour moi; en sorte
14 que je tire mes informations des blessés qui se trouvaient dans la
15 voiture et d’un membre de la Défense territoriale qui était
16 également blessé. J’ai donc reçu cette information de deux parties.
17 C’est ce que j’ai dit.
18 Q. : Ma question suivante lorsque nous avons commencé est : vous
19 décrivaient-ils ces événements pendant que vous étiez en train de
20 soigner ou d’essayer de soigner leurs blessures en votre qualité de
21 médecin ?
22 R. : J’ai examiné tous les blessés; sur les six, deux étaient morts. A
23 l’évidence, l’un d’eux avait été touché à la tête et un autre avait,
24 je pense, été touché à la tête et à l’abdomen je crois. Il ne
25 donnait plus aucun signe de vie. Les deux autres avaient des
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1 blessures à la poitrine et ne saignaient pas beaucoup. En fait, ils
2 ne saignaient pas du tout ou, je veux dire par là qu’ils n’avaient
3 pas de blessure ouverture qui saignait considérablement.
4 A ce moment, tout en donnant les premiers soins, la seule chose que
5 je pouvais faire, c’était essayer d’arrêter les saignements parce
6 que je n’avais pas d’autre équipement, pas d’autres instruments avec
7 moi. Les deux autres n’étaient que des blessés légers et leurs
8 blessures ne les mettaient pas en danger. Leur vie n’était pas en
9 danger - celle des deux hommes qui se trouvaient dans la voiture, je
10 veux dire. Un membre de la Défense territoriale avait une blessure à
11 la jambe gauche et une autre à la cuisse droite, mais ses blessures
12 ne saignaient pas vraiment beaucoup et sa vie n’était pas en danger,
13 en sorte que je me suis contenté de lui mettre un bandage.
14 La chose qu’il fallait faire à ce moment était de transporter tous
15 les blessés à l’hôpital et j’ai insisté pour que ce soit fait, et
16 j’ai essayé d’obtenir que ce soit fait aussi rapidement que possible
17 parce qu’il n’était pas possible de leur donner sur place des soins
18 appropriés autres que ceux que je leur avais donnés.
19 Q. : Après cet incident au poste de contrôle, une déclaration a-t-elle été
20 faite par le Krizni Stab de Prijedor ?
21 R. : Ce même soir sur les collines au-dessus du village de Hambarine,
22 Rakovcani, cinq ou six obus ont été tirés depuis les ponts de
23 Prijedor. Le lendemain, Radio Prijedor a diffusé un communiqué
24 ordonnant de rendre immédiatement toutes les armes, à Hambarine et
25 dans les villages environnants, ordonnant que le groupe d’Aziz
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1 Aliskovic se rende également, c’était à ce poste de contrôle, et que
2 s’ils ne le faisaient pas, le Krizni Stab donnerait l’ordre d’ouvrir
3 le feu en utilisant tous les moyens disponibles, la localité de
4 Hambarine /sic/.
5 Le comité de crise a dit que les villages de Hambarine devaient
6 répondre pour éviter de devoir subir d’autres conséquences en raison
7 d’un groupe d’extrémistes, pour reprendre leurs paroles. Eh bien, ce
8 document émis par le comité de crise a été signé par Milomir Stakic,
9 c’était donc l’ordre du comité de crise, signé par Milomir Stakic.
10 Q. : Quelle a été la décision des autorités de Hambarine concernant
11 l’ordre de se rendre et de déposer les armes, donné aux hommes du
12 poste de contrôle ?
13 R. : Les autorités locales ont décidé de ne pas rendre les armes et de ne
14 pas livrer les hommes, comme le comité de crise l’avait demandé.
15 L’ultimatum avait été fixé à au 24 mai à 12h00. Comme l’ordre n’a
16 pas été exécuté, à 12h20, l’artillerie a commencé à bombarder de
17 toutes parts toute la colline et le bombardement a continué jusqu’à
18 environ 15h00 de l’après-midi. A ce moment il y a eu une accalmie,
19 une trêve.
20 Q. : La traduction de votre dernière réponse, lorsque vous avez dit que le
21 bombardement de Brdo a commencé, a fait mention de "toute la
22 colline", en désignant une seule colline. Faisiez-vous référence au
23 bombardement d’une colline en particulier à Hambarine ou à la région
24 de Brdo, comme vous l’avez décrite auparavant?
25 R. : A ce moment, pendant le bombardement, je me trouvais dans la maison
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1 d’Aladin Sijacic à Celak - à Carakovo, et les obus frappaient à la
2 fois Carakovi et Hambarine, et je pense que Rakovcani et tous les
3 autres villages de la région de Brdo ont été bombardés, mais je
4 pense que la cible principale était le village de Hambarine.
5 Q. : Après l’accalmie dont vous avez parlé, aux environs de 15h00, que
6 s’est-il passé ?
7 R. : Après l’accalmie depuis Tukovi où ce même soir, jusqu’à la partie
8 habitée par les Serbes deux chars étaient arrivés/sic/, deux chars
9 sont partis de là et ils ont été suivis par l’infanterie, et après
10 des tirs intermittents qui n’ont pas duré longtemps et la réaction
11 de la Défense territoriale sur le Brdo (qui, j’ajoute, n’avait ni
12 artillerie antichars, ni mines, tout ce qu’ils avaient c’étaient des
13 fusils qui leur avaient été donnés lorsqu’Arsic distribuait ces
14 armes), vers 17h00 ou 18h00, ces chars sont montés sur la colline,
15 c’est-à-dire sur le Brdo au-dessus de Hambarine, où ils ont pris
16 position /sic/. Un char, plus tard un char est parti vers la droite
17 et s’est dirigé vers d’autres villages et a tiré sur des maisons et
18 des bâtiments, visant tout ce qui se trouvait aux alentours.
19 Q. : Suite à cette attaque de l’infanterie et des chars, les dirigeants de
20 la municipalité à Brdo ont-ils convoqué une réunion, à laquelle vous
21 avez participé, pour décider s’il fallait rendre les armes ?
22 R. : Ce même soir, c’est-à-dire vers 19h00 ou 20h00, presque toutes les
23 armes de toute la région de Brdo ont été réunies, placées sur des
24 tracteurs et rendues, sauf à Carakovi et Zecovi, où je me trouvais.
25 Le lendemain, le 25 mai, des personnes, des représentants de
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1 Carakovi et de Zecovi sont venus me demander ce qu’il fallait faire.
2 Tout le monde savait à ce moment que Biscani, Rakovcani, Hambarine,
3 c’est-à-dire la partie droite de la région du Brdo, avaient déjà
4 remis les armes. Je leur ai dit qu’ils devaient décider eux-mêmes,
5 que je ne voulais ni leur imposer une décision ni les influencer
6 d’une quelconque manière parce que je ne voulais ni être responsable
7 de la vie de quelqu’un, ni mettre quelqu’un en danger, parce que la
8 propagande que le SDS a lancée à Prijedor, sur Radio Prijedor, et
9 les médias ont essayé de le réduire seulement en sorte que le
10 problème au sein du SDA /sic/, le SDA et moi-même, et que si les
11 gens me rejetaient personnellement, avec le SDA et d’autres
12 dirigeants du SDA et s’ils nous traitaient de criminels, de voleurs,
13 d’extrémistes, de fondamentalistes et quoi d’autre encore, tout cela
14 ne serait pas grave, et personne n’aurait rien à perdre. Simo
15 Miskovic l’avait dit lui-même sur Radio Prijedor immédiatement après
16 le coup d’état. J’ai dit à ce gens: "Eh bien, si vous pensez que
17 c’est mieux, rendez les armes et dans ce cas j’irai dans la forêt".
18 C’est en effet ce qu’ils ont fait ce jour, et avec un petit groupe
19 d’hommes je me suis rendu dans la forêt adjacente.
20 Q. : Combien de temps êtes-vous resté dans la forêt dans la région de la
21 municipalité de Prijedor ?
22 R. : Après cela, d’autres forêts ont été bombardées pendant plusieurs
23 jours. Je pense que pendant vingt jours environ, cette forêt a été
24 bombardée par des unités de Tchetniks, et ce jour-là, à plusieurs
25 reprises, plusieurs fois, à des moments différents, et à cause de
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1 cela, nous avons creusé un trou sur la colline et nous avons passé
2 tout ce temps dans le trou. De temps en temps, le frère de l’un des
3 hommes qui était avec moi nous apportait de la nourriture, tous les
4 trois ou quatre jours. Nous savions qu’il y avait plusieurs autres
5 groupes dans la forêt mais, comme les bombardements ne se
6 déroulaient pas à intervalles réguliers, nous ne pouvions pas nous
7 déplacer beaucoup.
8 Nous avons demandé que l’un des individus essaye d’établir un
9 contact ou une communication avec l’une de ces personnes en
10 empruntant une espèce de détour. Cependant, il s’est retrouvé devant
11 un poste de contrôle tchetnik. Ils l’ont fait prisonnier et nous
12 avons appris par la suite qu’ils l’ont torturé pour essayer de
13 savoir où nous nous trouvions. Ils ne leur a rien dit et ils l’ont
14 tué en le battant et tout le reste.
15 Après cela, le frère plus âgé est venu nous voir dans la forêt parce
16 que leur mère savait aussi où nous nous trouvions et pendant 10
17 jours encore, il nous a apporté de la nourriture. Il nous a dit
18 qu’une unité spéciale était en train de se préparer, une unité qui
19 devait venir de Nis pour battre la forêt, qu’ils viendraient avec
20 des chiens et tous les appareils spéciaux et que nous ne pouvions
21 plus rester là, que nous serions en danger et que nous mettrions en
22 danger la sécurité des citoyens parce qu’ils comprendraient qu’ils
23 nous avaient donné à manger. Nous avons alors décidé d’aller plus
24 loin. C’était le 27 juin. C’était environ un mois après le début de
25 l’attaque.
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1 Q. : Vous avez indiqué que ...
2 JUGE STEPHEN : Puis-je vous demander d’indiquer où se trouve cette forêt ?
3 M. KEEGAN : Pourriez-vous tout d’abord décrire dans quelle partie de la
4 municipalité de Prijedor se trouvait la forêt dans laquelle vous
5 vous cachiez ?
6 R. : Oui, s’il y a une carte quelque part ? J’étais scout quand j’étais
7 enfant et je connais la topographie. Je peux expliquer et indiquer
8 tous ces endroits, ainsi que la route que nous avons parcourue
9 ensuite, tous ces endroits où nous nous sommes rendus et comment
10 nous nous sommes déplacés.
11 Q. : Si la pièce à conviction ...
12 R. : Si vous pouviez me présenter une carte, je pourrais l’indiquer de
13 manière très précise.
14 M. KEEGAN : Pourriez-vous présenter la pièce à conviction au témoin ?
15 R. : Je pense que ce sera très bien, oui. Je pense, oui c’est très bien.
16 Voici le village d’Hambarine. Voici la route de Prijedor à Ljubija
17 et, au-dessus, les unités tchetniks, elles sont montées là le 24 mai
18 et ont isolé cette zone ici où il y a quatre villages, Biscani,
19 Rizvanovici, Rakovcani et Hambarine. Voici où le village, Carakovo -
20 pourriez-vous baisser la carte, s’il vous plaît - Carakovo et le
21 village de Zecovi. Tout ceci, ce sont les deux villages musulmans
22 voisins. Donc, ces quatre villages-ci ont immédiatement rendu les
23 armes le 24 mai, et Carakovo et Zecovi ont fait la même chose le
24 lendemain.
25 Nous avons alors battu en retraite. Je me trouvais ici à Carakovo et
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1 nous avons battu en retraite dans la forêt. Voici la forêt que les
2 gens de là-bas appellent la Forêt de Kurevo. Elle fait partie de ce
3 que l’on appelle la chaîne Mejdanski. Nous nous trouvions ici, je
4 dirais, derrière le village de Brdari, près du village de Brdari.
5 Ici, dans la forêt dense, nous avons creusé un trou. C’est là que
6 nous sommes restés tout le temps jusqu’au 27 juin.
7 Q. : Vous avez indiqué que vous avez quitté la forêt ou cette région après
8 avoir appris qu’une unité spéciale de Nis se préparait à entrer dans
9 la forêt pour vous chercher. Où se trouve Nis ?
10 R. : Nis se trouve en Serbie.
11 Q. : En ce qui concerne les bombardements qui ont eu lieu le 24 dans la
12 région de Brdo, les obus provenaient-ils des chars et de
13 l’artillerie qui, comme vous l’avez indiqué, avaient été positionnés
14 autour de Prijedor par des unités des 43e et 5e Brigades de Kozara ?
15 R. : Je ne sais pas exactement où se trouvait chacune des brigades,
16 quelles étaient leurs positions, si c’était Niska Glava ou Crna
17 Dolina, Velika Palaciste ou Topica Brdo, si c’était la 43e brigade
18 ou la 5e brigade. Mais ce que je peux affirmer, c’est que c’étaient
19 les formations et l’armement de ces deux brigades, mais je ne sais
20 pas exactement quelle brigade occupait quelle position.
21 Ce qui est également certain, c’est que cela venait de Topica Brdo,
22 Miljakovac, Crna Dolina, de Brezicani, des obus ont également touché
23 Brdo. La propagande serbe qui était diffusée sur Radio Prijedor a
24 annoncé, a publié une chasse à l’homme contre moi-même et d’autres
25 gens du SDA dans la propagande. Ils ont dit que, dans cette partie
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1 de la forêt, je me trouvais personnellement avec, ce sont leurs
2 propres termes, 700 bérets verts, c’est-à-dire 700 hommes armés et
3 ils ont dit que c’était la raison pour laquelle l’unité spéciale
4 était venue de Nis, ce qui n’était pas vrai, du moins à ma
5 connaissance.
6 Q. : Vous avez dit que la 43e brigade se trouvait sous le commandement du
7 colonel Arsic et que vous avez participé à plusieurs rencontres avec
8 lui. Savez-vous d’où est originaire le colonel Arsic ? Quelle est sa
9 nationalité ?
10 R. : Le colonel Arsic est d’origine ethnique serbe, mais c’est un Serbe de
11 Serbie, un Serbe serbe, comme nous les appelons, un pur Serbe, et il
12 avait un accent bien particulier, c’est pourquoi je savais qu’il
13 était originaire de la Serbie proprement dite.
14 Q. : Cet accent qu’il avait, à quelle partie de la Serbie correspondait-il
15 ?
16 R. : Je pense qu’il correspondait à la partie centrale de la Serbie, que
17 l’on appelle Sumadija.
18 Q. : Lorsque vous avez quitté la forêt que vous avez indiquée sur la
19 carte, le 27 juin, où vous êtes-vous rendu ?
20 R. : Si vous avez une carte représentant une région plus vaste, je
21 pourrais vous indiquer avec précision le chemin que nous avons
22 parcouru, mais je peux dire en bref que nous avons pénétré sur le
23 territoire de la municipalité de Sanski Most, Stari Majdan, pour
24 nous rendre ensuite au village de Gorice. Avez-vous une carte ? Je
25 ne pense pas que ce soit indiqué sur cette carte.
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1 Q. : Ce serait la pièce à conviction 78, mais je ne pense pas que ce soit
2 nécessaire pour le moment. Si vous pouviez tout simplement décrire
3 après ...
4 R. : Bien, si ce n’est pas nécessaire, je peux faire une brève
5 description. De Stari Majdan, qui se trouve dans la municipalité de
6 Sanski Most, nous sommes passés par Fajtovac, qui se trouve aussi
7 dans la municipalité de Sanski Most, pour aller vers Gorice,
8 Naskucani et Vakuf. Tout cela se trouve dans la municipalité de
9 Sanski Most. De là, nous avons pris la direction du Mont Grmec. Aux
10 petites heures du matin, nous sommes passés entre les villages de
11 Gornji et de Donji Majkic, nous avons escaladé le Mont Grmec et
12 sommes passés de l’autre côté de la montagne vers le canyon de la
13 Rivière Una. Ensuite, nous sommes redescendus dans le canyon et nous
14 avons rencontré beaucoup de problèmes et de difficultés parce que
15 les Tchetniks nous avaient repérés. Ils nous tiraient dessus.
16 Malheureusement, nous avons perdu un homme, mais nous avons réussi à
17 traverser la rivière Una à la nage et à atteindre le territoire
18 libre de la région de Bihac.
19 Q. : Vous êtes arrivé à Bihac en juillet ‘92. Qu’avez-vous fait pendant
20 que vous étiez à Bihac ?
21 R. : A Bihac, je me suis immédiatement rendu à l’hôpital, où j’ai commencé
22 à travailler comme chirurgien et c’est là que j’ai essentiellement
23 exercé ma profession, c’est-à-dire dans le service de chirurgie.
24 Lorsque je ne travaillais pas, je continuais à travailler comme
25 parlementaire de la République et je me suis lancé dans d’autres
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1 activités politiques.
2 Q. : Combien de temps êtes-vous resté à Bihac et avez-vous travaillé à
3 l’hôpital ?
4 R. : Je suis resté à Bihac, c’est-à-dire, nous sommes arrivés à Bihac le
5 13 juillet et je suis resté là jusqu’au début octobre 1992. Ensuite,
6 j’ai survolé le territoire serbe dans un petit avion jusqu’à Zagreb
7 et je me suis immédiatement rendu à Travnik, en Bosnie centrale, où
8 je suis resté jusqu’à la fin 1992 et où j’ai également travaillé
9 comme chirurgien à l’hôpital de Travnik.
10 Ensuite, j’ai repris le même appareil, le petit avion, pour
11 retourner à Bihac - c’étaient de petits avions comme celui-là qui
12 faisaient la liaison avec Bihac. Puis, l’interdiction de voler a été
13 prononcée et, compte tenu de ces circonstances, je suis resté à
14 Bihac jusqu’à la fin novembre 1993. J’ai ensuite été à nouveau
15 transféré à Travnik en hélicoptère de l’ONU. Je suis resté à Travnik
16 jusqu’en mai 1994.
17 Q. : De là, vous êtes-vous rendu à Sarajevo ?
18 R. : A Travnik, j’ai également travaillé comme chirurgien à l’hôpital et
19 de là, en mai 1994, je me suis rendu à Sarajevo, où j’ai continué à
20 travailler comme chirurgien.
21 M. KEEGAN : Je n’ai pas d’autres questions, Mme la Présidente.
22 LA PRESIDENTE : Contre-interrogatoire ?
23 M. KAY : Merci, Mme la Présidente.
24 Contre-interrogatoire mené par M. Kay
25 Q. : M. Mujadzic, vous nous avez dit que vous jouiez un rôle très actif en
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1 politique dans la région de Prijedor et que vous êtes devenu
2 Président du SDA à Prijedor. A quelle date êtes-vous devenu
3 Président du SDA ?
4 R. : Le 17 août 1990. C’était la première assemblée constituante, lorsque
5 ma nomination a été acceptée, mais les véritables élections au sein
6 du parti ont eu lieu l’année suivante, je pense, en octobre ‘91.
7 C’est à ce moment que j’ai été véritablement élu, parce que la
8 première fois c’était un vote par acclamation, mais cette fois-ci,
9 c’étaient de véritables élections et j’ai été réélu Président du
10 parti.
11 Q. : Merci. Avant 1990, faisiez-vous de la politique à Prijedor ?
12 R. : Avant 1990, je n’étais membre d’aucun organe politique.
13 Q. : Donc, vous vous êtes affilié au SDA en 1990, est-ce bien correct ?
14 R. : Oui, c’est exact.
15 Q. : Et à cette époque, le SDA venait de voir le jour en tant que parti
16 politique. Comprenez-vous ce que je veux dire par là ?
17 R. : Oui, c’est exact.
18 Q. : Pourriez-vous nous dire combien de membres étaient affiliés au SDA à
19 Prijedor en 1990 ?
20 R. : Il est difficile de répondre à cette question. Je ne puis vous le
21 dire avec précision. Je pense qu’ils étaient quelques milliers.
22 Q. : Vous aviez des candidats aux élections et un certain nombre de ces
23 candidats se sont identifiés à votre parti, le SDA ?
24 R. : Oui.
25 Q. : Et au niveau de la structure du SDA à Prijedor, j’imagine qu’il y
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1 avait un siège central dans la ville même ?
2 R. : Au début, nous n’avions pas de locaux parce que nous étions une jeune
3 organisation. En sorte que nous avons utilisé pendant un certain
4 temps le domicile privé de l’un de nos membres comme siège
5 provisoire. Ensuite, après les élections, nous avons acheté des
6 bureaux dans un bâtiment, de vrais bureaux officiels.
7 Q. : C’est donc en 1991 que le SDA a commencé à se structurer en parti
8 politique à Prijedor ?
9 R. : Je pense que le SDA était mieux organisé en 1991 qu’en 1990.
10 Q. : Oui, et lorsque vous avez été élu par acclamation à la présidence en
11 1990, vous présidiez le SDA dans la municipalité de Prijedor ou
12 uniquement dans la ville de Prijedor ?
13 R. : Ce type de structure n’existait pas dans le comité municipal du SDA.
14 Il y avait 30 organes locaux à un niveau moins élevé que celui de la
15 municipalité et il y avait 30 présidents de comités locaux. Chaque
16 président de chaque comité local était membre d’office du comité
17 municipal et en plus, il y avait un comité exécutif qui comptait 15
18 personnes. Ensemble, le comité exécutif et les présidents des
19 comités locaux formaient le comité municipal, qui était l’organe le
20 plus élevé du parti et qui prenait toutes les décisions.
21 Q. : Etait-ce cet organe que vous présidiez ?
22 R. : Oui, j’étais le Président à la fois du comité exécutif et du comité
23 municipal parce que c’était prévu par les statuts, cela faisait
24 partie des statuts du parti SDA dans l’ensemble.
25 Q. : Donc, le comité dont vous déteniez la présidence aurait eu des
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1 districts ou des villes et des villages dans la municipalité de
2 Prijedor, où des membres locaux avaient un représentant du CDA, un
3 représentant du SDA pour votre comité à Prijedor /sic/?
4 R. : Je pense que l’expression "villes et villages" n’est pas la plus
5 heureuse. Il vaut mieux parler de "petites localités", parce que sur
6 le territoire de la municipalité de Prijedor, il y avait, selon
7 certains critères, la seule ville digne de ce nom, qui était la
8 ville de Prijedor. Le restant se composait de petites localités et
9 de villages.
10 Q. : Merci. Je comprends vos explications, et ce sont ces petits villages
11 et localités qui comptaient aussi des représentants du SDA dont vous
12 étiez le président ?
13 R. : Oui, c’est exact.
14 Q. : Les villages et localités qui comptaient un candidat du SDA, étaient-
15 ils structurés au niveau local ? Avaient-ils leurs petits comités au
16 sein de leurs localités pour examiner les choses ensemble ?
17 R. : Chacun de ces 30 comités locaux, dans chacune de ces localités, il y
18 avait un comité local qui comptait de cinq à sept membres. Pour les
19 localités plus importantes, nous avions convenu que l’on pouvait
20 aller jusqu’à 11 membres à la demande de certains comités locaux et
21 que les membres seraient élus lors des réunions de ces comités. Dès
22 lors, chacune de ces localités avait une assemblée se composant de
23 membres du parti résidant dans ladite localité. L’assemblée
24 procédait à l’élection du comité et le président de ce comité
25 faisait partie comité municipal de la municipalité de Prijedor.
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1 Q. : Si le comité principal dont vous parliez comptait 30 membres, était-
2 ce parce qu’il y avait 30 villages ou localités ou simplement parce
3 que c’était le nombre fixé par le SDA ?
4 R. : Le nombre d’organes ou de membres du comité ne coïncidait pas
5 entièrement avec le nombre de localités. Je vais vous donner un
6 exemple. C’est ce que les localités elles-mêmes ont voulu. La raison
7 en est très simple. Les localités souhaitaient avoir une influence
8 plus ou moins égale par rapport au nombre d’habitants résidant dans
9 cette zone. Les localités importantes ont donc été divisées en
10 plusieurs comités locaux parce que notre objectif était de faire en
11 sorte que chaque comité local compte plus ou moins le même nombre de
12 membres. C’est ainsi que Kozarac, par exemple, comptait 10 ou 11
13 membres, je ne m’en souviens pas exactement, je devrais établir une
14 liste. La localité de Kozarac comptait plus de 10 comités locaux.
15 Q. : Je comprends ce que vous dites. Tous ces comités étaient contrôlés,
16 si vous voulez, par le SDA à Prijedor; est-ce bien exact ?
17 R. : Oui, et il existait une relation dans les deux sens au sein de la
18 structure du parti, mais nous n’avions pas de hiérarchie fermement
19 établie. C’était un système assez souple. Les présidents des comités
20 locaux venaient de leurs localités avec certaines fonctions, qui
21 étaient ensuite coordonnées au niveau de la municipalité. La
22 politique commune et les décisions conjointes étaient prises au
23 niveau de l’ensemble de la municipalité.
24 Q. : Donc, au sein de cette structure, j’imagine que les villages et
25 localités ou les délégués qu’ils envoyaient avaient des avis très
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1 différents en ce qui concerne la stratégie que le SDA devait adopter
2 dans ses rapports avec le parti SDS ?
3 R. : Comme je l’ai déjà dit, notre parti avait une attitude plutôt
4 libérale, en sorte qu’il existait un degré élevé de démocratie et de
5 liberté. Nous n’avions pas de rapports hiérarchiques bien établis ou
6 de contraintes émanant du parti, et pratiquement toutes les
7 décisions concernant Prijedor étaient prises sur la base d’avis
8 formulés par les collectivités locales. Il est vrai également que
9 les prises de position relatives à certaines questions étaient très
10 diversifiées, mais qu’en ce qui concerne d’autres questions de
11 stratégie globale, il n’y avait aucune différence d’opinion. Par
12 exemple, tous s’accordaient à penser que la Bosnie-Herzégovine
13 devait rester unie, qu’il fallait entretenir de bonnes relations
14 avec les Serbes et les Croates, des relations aussi bonnes avec les
15 uns qu’avec les autres. Dès lors, il y avait un certain éventail de
16 vues et des questions à propos desquelles les avis n’étaient pas
17 partagés. Tout le monde pensait que c’était tout à fait normal,
18 tandis qu’en ce qui concerne d’autres questions, il y avait à
19 l’évidence des divergences d’opinions.
20 Q. : Donc, en votre qualité de Président du SDA, vous n’insistiez pas pour
21 que tous les délégués s’expriment dans le même sens; est-ce bien ce
22 que vous essayez de dire ?
23 R. : Comme je l’ai déjà dit, notre organe avait une attitude relativement
24 libérale en ce qui concerne notre structure interne. Je dois
25 souligner que le programme du SDA était un programme général et
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1 qu’il était très rare que nous recevions des instructions
2 particulières, même de la part du siège du parti. Il serait donc
3 plus juste d’affirmer que les initiatives et l’orientation de
4 l’action politique émanaient de la base, des collectivités locales
5 plutôt que des dirigeants supérieurs, qu’il s’agisse de moi
6 personnellement ou de quelqu’un du siège. En ce qui me concerne,
7 compte tenu des avis, de la structure du parti et de ce que
8 pensaient les gens, je pensais que toutes les personnes présentes
9 devaient exprimer leurs vues sur toutes les questions importantes et
10 que mon seul rôle en tant que président était d’essayer de dégager
11 la meilleure position commune acceptable pour tout le monde, et
12 c’est de cette manière que, le plus souvent, les décisions étaient
13 prises.
14 Q. : Donc, vous n’exerciez pas un contrôle très important sur la base du
15 SDA; est-ce bien exact ?
16 R. : Oui, on pourrait décrire les choses de cette manière.
17 Q. : De 1990 à 1991 puis à 1992, le nombre de membres a-t-il continué
18 d’augmenter dans la région de Prijedor ?
19 R. : Je pense que la majorité des membres du SDA qui se sont affiliés au
20 parti l’ont fait avant les élections. Après les élections, les
21 nouveaux membres étaient un peu moins nombreux et je dirais que le
22 nombre d’affiliés variait dans des proportions normales. Quelques
23 personnes ont même quitté le parti et d’autres s’y sont inscrites.
24 Je n’affirmerais pas que le nombre de membres ait augmenté de
25 manière considérable à partir de 1991. Le nombre d’affiliés n’a pas
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1 connu d’augmentation sensible. On pourrait peut-être affirmer qu’en
2 raison de la structure de la société, le parti comptait plus de
3 membres de la région urbaine plus tard dans l’année 1991. Le nombre
4 de membres habitant dans la ville a augmenté par rapport au nombre
5 de membres provenant des localités environnantes.
6 Q. : J’imagine qu’à l’instar de la plupart des partis politiques, le
7 nombre de sympathisants était plus élevé que le nombre d’affiliés;
8 est-ce exact ?
9 R. : Avant de devenir président du parti, je n’avais jamais occupé de
10 fonction de dirigeant. Je n’ai jamais été cadre. C’était pour moi la
11 première fois que je dirigeais une organisation. Après tout, j’étais
12 âgé de 27 ans seulement à ce moment-là, mais j’ai compris qu’il
13 existait une règle : sur la plupart des questions, je n’ai jamais
14 réussi à atteindre un consensus supérieur à 60 ou 70 pour cent des
15 personnes présentes. Quels que soient les efforts fournis pour
16 obtenir le consensus le plus large possible et pour éviter tout
17 conflit au sein du parti, je n’ai jamais pu obtenir un consensus
18 supérieur à 60 à 70 pour cent sur la plupart des questions. Il y
19 avait toujours 30 à 40 pour cent de personnes contre. J’exclus
20 seulement certaines questions générales sur lesquelles nous nous
21 entendions tous, sinon nous ne pourrions pas être membres d’un même
22 parti si nous ne nous entendions pas sur certaines questions
23 figurant dans le programme du parti.
24 Q. : Merci, mais ma question était plutôt destinée à savoir si votre parti
25 comptait en fait plus de sympathisants que de personnes réellement
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1 affiliées. Comprenez-vous la question ?
2 R. : Je pense que vous avez raison, il y avait plus de sympathisants que
3 de membres du parti, mais je pense que c’est courant dans tous les
4 partis. En Europe, il y a toujours plus de personnes qui votent pour
5 le programme d’un parti spécifique que de membres affiliés à ce
6 parti.
7 Q. : En ce qui concerne le financement du parti SDA dans la municipalité
8 de Prijedor, comment s’organisait votre financement ? D’où venait
9 votre argent ?
10 R. : Personnellement, j’utilisais toujours ma voiture. Je n’ai jamais
11 exigé de per diem. Ce que nous consommions dans le cadre de nos
12 activités, nous le payions nous-mêmes. Ce n’est qu’au début de 1992
13 que le siège de notre parti nous a fourni un véhicule qu’il avait
14 acheté pour nous, et il a fait la même chose pour tous les autres
15 comités régionaux. Donc, une voiture a été achetée pour le comité
16 régional de Banja Luka et il y avait la voiture que j’ai reçue en ma
17 qualité de président du comité régional et non en tant que président
18 du comité municipal, parce qu’au même moment j’exerçais la fonction
19 de président du comité régional.
20 Nous n’avons jamais reçu de fonds de la part de notre siège. Tous
21 les fonds dont nous disposions étaient recueillis à l’occasion de
22 manifestations. Lors de meetings importants, nous recevions des
23 contributions volontaires. Nous bénéficions du soutien de certains
24 de nos supporters, sympathisants, hommes d’affaires, propriétaires
25 d’entreprises privées qui, de temps en temps, versaient des
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1 contributions volontaires au parti. C’est tout ce que nous avions.
2 Donc, cela ne concernait que les activités particulières. Le reste
3 du temps, nous nous autofinancions. Nous n’avons jamais reçu
4 d’argent de notre siège de Sarajevo ou de tout autre endroit.
5 Q. : Les membres du parti au niveau local devaient-ils verser une
6 cotisation ?
7 R. : Il y a eu plusieurs tentatives visant à recueillir des cotisations
8 régulières dans le courant de 1991, et je sais que notre siège de
9 Sarajevo a envoyé certains formulaires pour recueillir ces
10 cotisations. Cependant, cela n’a jamais fonctionné correctement
11 parce que l’idée était d’envoyer à Sarajevo toutes les cotisations
12 recueillies, puis de redistribuer une partie de ces cotisations.
13 Dans certaines localités, certaines cotisations ont été prélevées,
14 mais je pense que seulement deux ou trois localités ont versé ces
15 cotisations pour le comité municipal. Mais ces sommes d’argent
16 étaient symboliques et une partie plus ou moins grande des comités
17 locaux qui ont recueilli ces cotisations ont conservé l’argent,
18 tandis que la plupart des comités municipaux n’ont même pas
19 recueilli de cotisations. Notre système de cotisation n’était donc
20 pas véritablement au point. J’ai oublié de mentionner que,
21 conformément à la législation de Bosnie-Herzégovine, le gouvernement
22 municipal octroyait certaines sommes à tous les partis de la
23 municipalité en fonction du nombre de représentants qu’ils avaient à
24 l’assemblée municipale. Mais même ces sommes-là étaient symboliques.
25 Donc, nous étions très ..., nous avions des ressources financières
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1 très limitées et nous financions la plupart des choses nous-mêmes.
2 Q. : Avez-vous recueilli des fonds à l’étranger ? Parmi les gens qui
3 contribuaient au financement du SDA à Prijedor, y en a-t-il certains
4 qui vivaient à l’étranger, en Allemagne, par exemple ?
5 R. : Oui. Je me suis rendu en Allemagne une seule fois seulement, sur
6 l’ordre du siège du parti, et six personnes ont réuni 2.500 marks
7 allemands, et comme elles venaient de la région de Brdo, elles m’ont
8 demandé de donner cet argent aux gens de la région de Brdo. Etant
9 donné qu’à Brdo, il y avait six ou sept comités locaux, j’ai informé
10 les gens de là-bas et je leur ai dit que cette somme d’argent avait
11 été réunie et qu’ils pouvaient en faire ce qu’ils voulaient. J’ai
12 donné l’argent au secrétaire, non, pardon, ce n’était pas le
13 secrétaire, c’était le président de l’un des comités locaux. C’était
14 la seule action à laquelle j’ai participé en matière de financement.
15 Je me rappelle exactement quelles étaient les personnes qui ont
16 contribué à ces fonds initialement venus de Brdo, mais je n’exclus
17 pas la possibilité, dans la mesure où il existait un certain nombre
18 de localités qui agissaient assez librement et où le comité
19 municipal n’exerçait aucune pression sur elles, je n’exclus pas la
20 possibilité qu’il y ait eu d’autres initiatives de collecte de fonds
21 dans la région de Kozarac, que des fonds aient été versés par des
22 gens originaires de Kozarac résidant à l’étranger, mais ce dont je
23 suis certain, c’est qu’il ne s’agissait pas de sommes
24 significatives.
25 Q. : Donc, tous les fonds qui provenaient de l’étranger ne passaient pas
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1 entre vos mains ?
2 R. : Nous avions un compte, notre propre compte légal, et nous avions des
3 gens qui travaillaient avec ce compte et tous les fonds destinés au
4 comité municipal étaient déposés sur ce compte. Attendez, je précise
5 qu’une somme symbolique, je répète, était versée tous les deux ou
6 trois mois par le gouvernement municipal, qui finançait tous les
7 partis en fonction de leur nombre de représentants à l’assemblée. De
8 temps à autre, il y avait quelques contributions volontaires versées
9 par des entrepreneurs privés, mais c’était alors dans le cadre
10 d’activités spécifiques, d’une initiative concrète, lorsque nous
11 organisions quelque chose.
12 Q. : Les collectivités locales pouvaient recevoir de l’argent de
13 l’étranger pour soutenir le SDA dans leur village ou leur localité,
14 et comme cet argent ne provenait pas de la municipalité, il ne
15 devait pas transiter par votre compte principal, est-ce bien exact ?
16 R. : Oui, c’est exact. Lorsqu’une personne venant d’un village ou d’une
17 localité spécifique, quelqu’un de Kozarac, voulait financer une
18 activité spécifique - il y avait pas mal d’activités. Par exemple,
19 l’idée a été lancée de rénover la vieille tour de Kozarac qui datait
20 de la même époque que la vieille ville; quelqu’un a eu l’idée de
21 couler une route asphaltée; il y a eu aussi certaines initiatives
22 visant à améliorer l’approvisionnement en eau, le réseau
23 téléphonique. Des citoyens finançaient ces activités, mais cela ne
24 passait pas par le SDA même, mais plutôt par les communes locales;
25 c’est-à-dire la structure de l’Etat qui était comparable aux
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1 collectivités locales. Elles n’avaient aucune couleur politique,
2 c’étaient les collectivités locales, tandis que d’autres activités
3 de plus grande envergure en relation avec le parti /sic/, je ne puis
4 me rappeler aucune activité significative pour laquelle des fonds
5 plus importants aient été recueillis.
6 Q. : Existait-il un formulaire spécial que vous utilisiez comme reçu en
7 échange des dons faits au parti SDA et que vous signiez de votre nom
8 ?
9 R. : Je pense qu’il existait une sorte de reçu, un formulaire. De tels
10 formulaires existaient probablement, parce que lorsque nous
11 recevions une contribution volontaire, nous délivrions des reçus. Je
12 ne me souviens plus si nous avions des formulaires spéciaux.
13 C’étaient peut-être les formulaires habituels, mais nous délivrions
14 un reçu à chaque citoyen en échange de sa contribution volontaire.
15 Même pour une somme infime, on lui donnait un reçu. De toute façon,
16 c’est conforme à la loi, il faut le faire.
17 Q. : Existait-il des cellules du SDA en Allemagne par exemple, qui
18 organisaient au niveau local dans ce pays des collectes de fonds
19 pour votre parti à Prijedor ?
20 R. : Pourriez-vous répéter la traduction parce que je n’ai pas bien prêté
21 attention à la question en anglais. Pourriez-vous répéter ?
22 Q. : Existait-il des cellules du SDA à l’étranger, en Allemagne par
23 exemple, où le parti SDA s’était structuré dans une ville
24 spécifique, disons Westfalen, et où les membres du SDA de cette
25 ville réunissaient des fonds pour vous, le SDA de Prijedor ?
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1 R. : Pas seulement en Allemagne, mais dans toute l’Europe occidentale
2 avant la création des associations de guerre formées par les
3 citoyens. Ce n’étaient pas des organisations politiques, mais des
4 associations de citoyens parrainées par le SDA, le parti d’action
5 démocratique. Elles n’ont aucune finalité politique là-bas et se
6 limitent à organiser des activités culturelles, parce que la
7 législation des pays hôtes ne le leur permet pas. C’est donc une
8 distinction qu’il convient d’opérer. Ensuite, toutes ces
9 organisations à l’étranger concernent l’ensemble de la Bosnie-
10 Herzégovine. Par exemple, en Allemagne, à Munich, à Munich, il y a
11 une cellule du SDA qui regroupe des membres se trouvant
12 temporairement à Munich et provenant de toutes les parties de la
13 Bosnie-Herzégovine, de Zvornik, Sarajevo, Banja Luka, de toute la
14 Bosnie-Herzégovine. Donc, à l’étranger, il n’existait aucune
15 structure du SDA liée à Prijedor, susceptible de recueillir des
16 fonds uniquement pour Prijedor. Certaines collectes de fonds ont été
17 réalisées à l’étranger, mais elles étaient pour la plupart
18 individuelles, c’étaient des campagnes organisées par des
19 particuliers. Par exemple, un particulier entraînait un ami ou
20 plusieurs amis de Prijedor ou d’ailleurs en disant "Organisons une
21 collecte de fonds pour aider les gens là-bas". C’est le genre
22 d’activités qui étaient organisées, mais il n’y avait pas
23 d’initiative de plus grande envergure visant à recueillir des fonds,
24 pour autant que je sache.
25 M. KAY : Mme la Présidente, le moment est bien choisi.
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1 LA PRESIDENTE : Très bien. L’audience est suspendue jusqu’à 14h30.
2 (13h04)
3 (L’audience est suspendue pour le déjeuner)
4 (14h30)
5 LA PRESIDENTE : M. Kay, vous avez la parole.
6 M. KAY : M. Mujadzic, Hambarine et l’incident que vous avez évoqué devant
7 la cour ce matin ...
8 R. : Oui.
9 Q. : ... on vous a dit que la date était le 23 mai, mais je pense que nous
10 parlons en fait du 22 mai, est-ce bien exact ?
11 R. : L’incident à Hambarine ?
12 Q. : Oui.
13 R. : Je continue de penser que c’était le 23.
14 Q. : Très bien. Votre frère se trouvait-il dans le village également
15 lorsque cet incident est survenu ?
16 R. : Vous voulez dire la localité, dans cette localité, lorsque l’incident
17 est survenu ? Oui, il était là.
18 Q. : Il s’agit d’Emir Mujadzic, est-ce bien exact ?
19 R. : Oui.
20 Q. : Votre cousin était-il là également ?
21 R. : Quel cousin ?
22 Q. : Mehmed Avdic, était-il là également ?
23 R. : Je n’ai pas de cousin portant ce nom.
24 Q. : Vous n’avez pas de cousin dénommé ainsi ?
25 R. : Dans notre langue, le cousin est le fils d’un frère. Le fils de mon
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1 frère s’appelle Emir et est âgé de quatre ans. Voudriez-vous
2 préciser votre question ?
3 Q. : Dans notre langue, le cousin est le fils du frère ou de la soeur de
4 votre père ou de votre mère.
5 LA PRESIDENTE : Dans ma langue, il peut s’agir aussi bien d’un cousin
6 germain que d’un petit cousin.
7 LE TEMOIN : Je ne connais personne portant ce nom, Mehmed Avdic.
8 Q. : "Avdic", A-V-D-I-C ?
9 R. : Vous voulez peut-être parler d’Esad Avdic, c’est mon oncle. Son fils
10 s’appelle Alan Avdic, et c’est le seul parent appelé "Avdic" que
11 j’aie.
12 Q. : Votre oncle ou son fils étaient-ils présents à Hambarine ce jour, le
13 jour de la fusillade ?
14 R. : Quel oncle, pourriez-vous préciser, car j’ai plusieurs oncles.
15 Voulez-vous dire celui dont j’ai parlé, Esad Avdic ?
16 Q. : Celui que vous avez mentionné, Esad Avdic, ou son fils également
17 appelé Avdic, A-V-D-I-C, étaient-ils l’un ou l’autre présents lors
18 de la fusillade à Hambarine?
19 R. : Esad Avdic n’était pas là et son fils Alan était âgé, je pense, de 12
20 ou 13 ans à l’époque et était donc un garçon qui n’avait rien à voir
21 avec cette histoire. Esad Avdic vit à environ un kilomètre et demi
22 de cet endroit. Il n’était même pas membre du SDA et n’a pas
23 participé aux activités de la Défense territoriale, en sorte que je
24 puis affirmer avec beaucoup de certitude qu’il n’était pas là et ...
25 Q. : Etaient-ce seulement des membres du SDA qui pouvaient participer à la
Page 1720
1 Défense territoriale ?
2 R. : Je n’ai pas entendu l’interprétation. J’ai quelques problèmes
3 techniques. Pourriez-vous répéter la question, s’il vous plaît ?
4 Q. : Il n’est pas indispensable d’être membre du SDA pour faire partie de
5 la Défense territoriale, n’est-ce pas ?
6 R. : C’est une question tendancieuse. Je ne sais pas pourquoi vous avez
7 pensé à la poser. J’ai simplement dit qu’Esad Avdic ne faisait
8 partie ni de la Défense territoriale, ni du SDA, et qu’il n’avait
9 participé à aucune activité ayant un rapport avec l’événement. Je ne
10 sais pas comment vous avez établi ce lien, ni ce qui vous a porté à
11 penser qu’il existait une relation causale entre le SDA et la
12 participation à la Défense territoriale.
13 Q. : Laissez-moi vous expliquer une chose. Je suis ici non pour répondre à
14 des questions, mais pour vous en poser. Je vous interroge sur ce qui
15 s’est passé à Hambarine lors d’une fusillade à un barrage routier.
16 Il se fait que vous vous trouviez à Hambarine ce jour-là, est-ce
17 bien correct ?
18 R. : Plus précisément, il s’agit d’une localité appelée Polje et de la rue
19 Sarajevo qui se trouve à Tukovi.
20 Q. : Peut-être pourrions-nous avoir la pièce à conviction 79 et regarder
21 où se trouvait ce barrage routier ?
22 LA PRESIDENTE : M. Kay, vous n’avez pas encore obtenu de réponse à votre
23 question. Voudriez-vous y revenir ?
24 M. KAY : J’y pense, je vais continuer et j’y reviendrai peut-être. Je vous
25 remercie, Mme la Présidente. Ici, nous avons Prijedor. Peut-on
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1 déplacer la carte pour voir Hambarine au milieu de l’écran ? Merci
2 beaucoup, M. Bos. Nous voyons Hambarine ici. Pourriez-vous nous
3 indiquer où se trouvait ce barrage routier, où la fusillade a eu
4 lieu. C’est bien.
5 R. : Voici Hambarine.
6 Q. : Pourriez-vous indiquer le barrage routier ?
7 R. : Un petit moment, je vais le faire. L’endroit exact se trouve ici.
8 Q. : Merci. Pourriez-vous indiquer l’endroit où vous vous trouviez au
9 moment de la fusillade, s’il est indiqué sur la carte ?
10 R. : Je me trouvais environ ici, à 3 ou 400 mètres en direction de
11 Prijedor et voici la rue Sarajevo qui fait partie de Tukovi ou,
12 plutôt, la zone limite vers Hambarine et vers la localité de Tukovi.
13 Q. : Depuis combien de temps ce barrage routier était-il en place à
14 Hambarine ?
15 R. : Attendez, j’essaye de m’en souvenir. Pas plus longtemps, je pense,
16 que 10 ou 15 jours, pas plus, mais de toute manière, il datait
17 d’après la prise de pouvoir à Prijedor. Lorsque le parti
18 démocratique serbe a fait son coup d’état à Prijedor le 29 avril, il
19 a installé des postes de contrôle aux entrées et aux sorties de la
20 ville de Prijedor. L’un de ces postes de contrôle se trouvait ici,
21 de l’autre côté du pont, ici. A cet endroit-ci, se trouvait le
22 premier poste de contrôle de la Défense territoriale, qui avait été
23 installé après le coup d’état, pas moins de sept jours après le coup
24 d’état, et de toute manière après le 30 avril.
25 Q. : Existait-il d’autres postes de contrôle sur les routes menant à
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1 Hambarine ?
2 R. : Si vous vous éloignez de Prijedor, le poste de contrôle se trouvait
3 ici au carrefour à Tukovi, mais c’était le poste de contrôle établi
4 par des unités paramilitaires serbes et je pense qu’il y en avait un
5 autre ici également, installé par des unités paramilitaires serbes.
6 Le premier poste de contrôle de la Défense territoriale se trouvait
7 seulement ici, presqu’à l’entrée de Hambarine.
8 Q. : Vous avez dit que la Défense territoriale avait placé des hommes au
9 poste de contrôle d’Hambarine où cet incident s’est déroulé. Est-il
10 exact d’affirmer que les membres de ce groupe de la Défense
11 territoriale étaient musulmans ?
12 R. : C’étaient simplement des membres de la Défense territoriale. Personne
13 ne demande à un membre de la Défense territoriale s’il est musulman.
14 Le fait qu’il se dise être de religion musulmane ou autre est une
15 question personnelle. C’est le droit de tout individu, de tout être
16 humain.
17 Q. : Peut-être voudriez-vous nous aider, car je souhaiterais connaître la
18 réponse à ma question, si vous l’avez, à savoir, les gens qui se
19 trouvaient au poste de contrôle étaient-ils musulmans à votre
20 connaissance ?
21 R. : Oui, tous les membres étaient musulmans, mais tous les habitants de
22 cette collectivité locale d’où venaient des membres de la Défense
23 territoriale étaient également musulmans, et il n’était pas possible
24 d’avoir d’autres groupes ethniques ici, dans la mesure où c’était
25 une collectivité locale habitée par des Musulmans uniquement. Dans
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1 d’autres endroits, dans des environnements mixtes, il y avait des
2 membres de la Défense territoriale de service à divers postes de
3 contrôle, qui n’étaient pas des Musulmans.
4 Q. : Les Musulmans qui se trouvaient au poste de contrôle, portaient-ils
5 des armes?
6 R. : Oui, c’étaient des membres de la Défense territoriale et ils étaient
7 armés, bien entendu.
8 Q. : De combien d’armes disposaient-ils ?
9 R. : Je ne sais pas exactement. Je ne pourrais pas le dire.
10 Q. : Mais vous êtes arrivé sur place après la fusillade et vous nous avez
11 dit que vous avez fait des enquêtes et que vous avez parlé aux gens.
12 Combien d’armes avez-vous vu ?
13 R. : Je suis médecin et la première chose qui m’intéressait était l’état
14 de santé des blessés. C’était ma principale préoccupation. La
15 question de savoir combien d’armes il y avait passait au second
16 plan. J’ai vu plusieurs fusils, quatre ou cinq fusils, et des armes
17 automatiques, mais on m’a également dit que les quatre personnes qui
18 se trouvaient dans la voiture des Aigles blancs, les membres de
19 l’unité paramilitaire tchetnik, qu’ils étaient tous armés de fusils
20 automatiques.
21 Q. : Vous nous avez dit que vous étiez médecin et que vous vous
22 intéressiez à la santé des gens qui se trouvaient là. Pardonnez-moi
23 cette réflexion, mais vous semblez vous rappeler de détails
24 concernant les gens qui se trouvaient dans la voiture et qui étaient
25 soit serbes, soit croates, mais vous êtes incapable de nous aider en
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1 nous donnant des informations sur les gens qui se trouvaient à
2 l’extérieur du poste de contrôle. Peut-être que vous pourriez
3 essayer de vous souvenir et nous dire, après avoir réfléchi à la
4 question, combien d’armes vous avez vu en possession des gens qui
5 étaient de service au poste de contrôle ?
6 R. : Un instant, je vais essayer de me souvenir des détails. Je n’en suis
7 pas certain, mais je pense qu’il ne devait pas y avoir plus de
8 quatre ou cinq fusils - il ne pouvait y en avoir plus - quatre ou
9 cinq fusils en possession des membres de la Défense territoriale.
10 Q. : Qui commandait l’unité de la Défense territoriale au poste de
11 contrôle ? Quel était le nom de cette personne ?
12 R. : Aziz Aliskovic.
13 Q. : De combien d’hommes Aliskovic disposait-il à ce poste de contrôle ?
14 R. : Je ne m’en souviens plus très bien parce que je n’ai pas établi ces
15 postes de contrôle et je n’ai pas participé à leur mise sur pied -
16 cela n’entrait pas dans le cadre de mon mandat - mais je pense qu’il
17 ne peut y avoir eu plus de sept ou huit personnes. Pour autant que
18 je m’en rappelle, je pense qu’il ne peut y avoir eu plus de sept ou
19 huit personnes. Je ne m’en souviens pas exactement.
20 Q. : Portaient-ils un uniforme militaire ?
21 R. : C’étaient des uniformes qui avaient été distribués par la Défense
22 territoriale de Prijedor lors de la mobilisation légale, c’est-à-
23 dire des uniformes qui provenaient des dépôts de l’Armée populaire
24 yougoslave. C’étaient des uniformes traditionnels de la JNA de
25 couleur gris-vert olive.
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1 Q. : Portaient-ils des insignes sur leurs uniformes qui permettaient de
2 les identifier?
3 R. : Non.
4 Q. : Ils ne portaient aucun écusson avec l’insigne de la Bosnie-
5 Herzégovine, les lis?
6 R. : Je pense que personne ne portait cet écusson au poste de contrôle.
7 Q. : Lorsque vous dites que vous vous êtes rendu au poste de contrôle
8 après la fusillade, combien de temps vous a-t-il fallu pour arriver
9 à cet endroit ? Combien de temps s’est-il écoulé ?
10 R. : Eh bien, j’ai déjà dit que la maison dans laquelle je me trouvais
11 était située à 300 ou 400 mètres de là, pas plus, mais je ne
12 pourrais le dire avec précision. Cela m’a pris quelques minutes,
13 parce que je me suis littéralement précipité hors de la maison
14 lorsque j’ai entendu les coups de feu.
15 Q. : Votre frère se trouvait-il déjà là ou vous a-t-il accompagné au poste
16 de contrôle ?
17 R. : Mon frère n’était pas là et je n’ai aucun souvenir de ce qu’il se
18 soit jamais trouvé au poste de contrôle. Je veux dire, vraiment
19 /sic/; il est arrivé plus tard au poste de contrôle.
20 Q. : Vous l’avez vu plus tard, dites-vous, au poste de contrôle et non
21 lorsque vous y êtes arrivé ?
22 R. : Non. J’ai dit que je ne l’ai jamais vu. Je n’ai aucun souvenir de ce
23 qu’il soit jamais venu au poste de contrôle.
24 Q. : Pourtant, vous l’avez vu, n’est-ce pas, ce soir-là à Hambarine ? Vous
25 l’avez vu à cet endroit ?
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1 R. : Non, je ne l’ai pas vu du tout ce soir-là.
2 Q. : Lorsque vous êtes arrivé au poste de contrôle, vous étiez-vous déjà
3 rendu à ce poste de contrôle auparavant ?
4 R. : Je suis passé plusieurs fois devant ce poste en me rendant de
5 Hambarine à Ljubija, parce que lorsqu’on se rend quelque part depuis
6 la maison de mes parents, et que l’on veut aller à Hambarine,
7 Ljubija ou Brdo, il faut passer devant le poste de contrôle avant
8 d’entrer dans Hambarine.
9 Q. : A quoi servait ce poste de contrôle ?
10 R. : Il avait été créé pour des raisons de sécurité.
11 Q. : Etait-ce pour arrêter les gens qui se rendaient à Hambarine ?
12 R. : Non. En même temps que ce poste de contrôle - pourriez-vous me
13 montrer la carte ? Un moment, je voudrais indiquer l’emplacement
14 d’un autre poste de contrôle. Pourrais-je avoir la carte ? Donc, le
15 poste de contrôle vers Hambarine, le premier après Prijedor, se
16 trouvait ici et j’ai dit que je me trouvais ici plus haut, face à
17 Hambarine. Je me dirigeais vers Hambarine et immédiatement après
18 Hambarine, vers le bas ici, il y avait un autre poste de contrôle,
19 mais qui était tenu par des hommes du SDS. Il y a quelques maisons
20 serbes là et tous les gens passaient librement à travers ces postes
21 de contrôle.
22 Des contrôles de sécurité étaient opérés uniquement dans la mesure -
23 compte tenu d’une éventuelle offensive d’extrémistes serbes, comme
24 les Aigles blancs, les unités extrémistes techniks ou d’autres
25 Tchetniks extrémistes. Je pense que cette crainte était relativement
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1 justifiée, comme la situation à Prijedor l’a démontré
2 ultérieurement.
3 Q. : Donc la réponse à cette question est que le poste de contrôle avait
4 pour objet de contrôler toute personne qui entrait dans le village
5 de Hambarine ?
6 R. : Je ne puis l’affirmer avec précision. Je ne pense pas qu’ils
7 contrôlaient tout le monde, et il ne s’agissait pas d’une entrée,
8 mais simplement d’un passage vers d’autres endroits. Hambarine est
9 un point de transit, disons, parce qu’il faut traverser Hambarine
10 pour se rendre dans d’autres localités. Il y a ici plusieurs autres
11 villages serbes, comme Niska Glava, Ljeskare et d’autres, Donji
12 Volar est un autre village serbe, Niska Glava. Donc, les citoyens
13 d’origine serbo-croate et tous les autres passaient librement à ce
14 poste de contrôle.
15 Q. : Merci beaucoup, mais quelle est l’utilité de placer neuf hommes en
16 uniforme à un poste de contrôle sur la route et de les équiper de
17 quatre ou cinq fusils si ce n’est pour contrôler les gens qui se
18 présentaient à ce poste ?
19 R. : Je n’ai pas dit que les gens qui se présentaient n’étaient pas
20 contrôlés. J’ai simplement dit que tout le monde n’était pas
21 nécessairement contrôlé, qu’ils ne contrôlaient pas systématiquement
22 toutes les personnes qui se présentaient.
23 Q. : Examinons plus en détail ce qui s’est effectivement passé le 23 mai,
24 dites-vous. A quelle heure cette fusillade a-t-elle eu lieu ?
25 R. : Dans l’après-midi, entre 19h20 et 19h30 dans l’après-midi, dans la
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1 soirée.
2 Q. : Rendiez-vous une simple visite de courtoisie à vos parents ?
3 R. : Non, le 30, le jour où le putsch a été commis et, comme je l’ai déjà
4 dit, j’ai parcouru toutes les zones habitées ce jour-là, et le 1er
5 mai, lorsque je voulais me rendre vers Prijedor, le 2 mai, /sic/
6 certaines personnes m’ont dit que si je me rendais à Prijedor, les
7 extrémistes tchetniks m’arrêteraient et m’exécuteraient peut-être.
8 C’est pourquoi à partir du 2 mai, pour des raisons de sécurité, je
9 ne suis pas retourné à Prijedor et toutes les réunions qui ont eu
10 lieu après cette date-là se sont tenues à Hambarine pour des raisons
11 de sécurité. Je me trouvais donc dans la maison de mes parents pour
12 des raisons de sécurité car je n’étais, bien entendu, plus en
13 sécurité à Prijedor parce qu’on m’avait averti qu’il était probable
14 que les extrémistes serbes m’arrêtent et m’exécutent.
15 Q. : Lorsque vous avez entendu les coups, vous avez décidé d’aller voir ce
16 qui se passait plutôt que de quitter l’endroit, n’est-ce pas ?
17 R. : Oui.
18 Q. : Lorsque vous êtes arrivé au poste de contrôle, quel type de voiture
19 avez-vous vu ?
20 R. : Je pense que c’était une vieille Lada, ou nous l’appelons PZ, Fiat
21 PZ127, une vieille Lada blanche.
22 Q. : Et deux personnes étaient mortes ?
23 R. : Je pense que, dans la voiture même, il n’y avait personne. Ils
24 étaient tous à l’extérieur de la voiture.
25 Q. : Vous dites qu’ils étaient à l’extérieur de la voiture, pourriez-vous
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1 alors expliquer où se trouvaient les corps ?
2 R. : Je pense qu’ils se trouvaient juste à côté de la voiture, peut-être à
3 1 ou 2 ou peut-être 3 mètres de la voiture, 1, 2 ou 3. Je ne me
4 souviens pas exactement de la distance qui séparait les corps de la
5 voiture. Après tout, quatre ans se sont écoulés depuis lors.
6 Q. : Où exactement se trouvait la voiture, pourriez-vous nous dire où elle
7 se trouvait ?
8 R. : La voiture se trouvait tout en haut, près du poste de contrôle, parce
9 que dès qu’elle s’est immobilisée, elle n’a plus bougé.
10 Q. : Donc, la voiture s’est immobilisée sur la route au niveau du poste de
11 contrôle ?
12 R. : Oui.
13 Q. : La voiture n’a rien heurté ?
14 R. : Non, autant que je m’en souvienne, non. Je n’en suis pas certain.
15 Q. : Lorsque vous dites que la voiture s’est immobilisée au poste de
16 contrôle, y avait-il une barrière en travers de la route ?
17 R. : Je pense qu’il n’y avait pas de barrière. La voiture s’est simplement
18 immobilisée parce que les gens du poste de contrôle l’avaient
19 arrêtée en agitant probablement quelque chose.
20 Q. : Les deux corps, où se trouvaient-ils exactement ? Vous souvenez-vous
21 de l’endroit où ils se trouvaient lorsque vous êtes arrivé ?
22 R. : Je pense qu’ils se trouvaient juste à côté de la voiture. J’ai déjà
23 dit qu’ils se trouvaient probablement à deux ou trois mètres de la
24 voiture.
25 Q. : Devant ou derrière la voiture ?
Page 1730
1 R. : Je ne m’en souviens pas.
2 Q. : Combien de personnes au total la voiture contenait-elle ? Avez-vous
3 pu préciser le nombre de personnes qui se trouvaient dans la voiture
4 ?
5 R. : Six.
6 Q. : Deux autres personnes de la voiture ont été blessées ?
7 R. : Oui.
8 Q. : Où se trouvaient-elles lorsque vous êtes arrivé ?
9 R. : Je pense que l’une d’entre elles - je ne m’en souviens pas
10 exactement, mais je sais que certains des blessés se trouvaient
11 debout à cet endroit et avaient été désarmés. Ils se trouvaient
12 debout à côté de la voiture. Je ne m’en souviens pas exactement. Ils
13 se trouvaient debout près de la voiture, je pense, quelque part près
14 du poste de contrôle.
15 Q. : Donc, les deux personnes qui ont été blessées ont été désarmées et
16 leurs armes ont été confisquées ?
17 R. : Oui.
18 Q. : Etaient-elles serbes ?
19 R. : Quatre d’entre-elles étaient des Serbes qui portaient des uniformes
20 avec l’insigne des Aigles blancs, l’insigne du groupement tchetnik
21 de l’extrémiste Seselj. Je pense que deux d’entre-eux, ceux qui
22 conduisaient la voiture, étaient de nationalité croate et portaient
23 des vêtements civils. Ils m’ont dit qu’ils n’avaient rien à voir
24 avec tout cela et que ces quatre hommes les avaient obligés à
25 conduire cette voiture, à emmener les hommes et à les conduire.
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1 Q. : Les deux hommes qui étaient morts étaient-ils aussi serbes ?
2 R. : Les deux morts étaient serbes, mais les deux Croates étaient
3 également blessés. Ils ont été touchés tous les six parce que, aux
4 dires de ceux qui étaient présents, l’un des membres de la Défense
5 territoriale a tiré sans vraiment viser et les a tous touchés.
6 Q. : Ils les a tous touchés en tirant un seul coup ?
7 R. : Non, non, il avait un fusil automatique.
8 Q. : Donc, ...
9 R. : Une rafale de coups d’arme automatique.
10 Q. : ... sans viser, il a réussi à en tuer deux et à en blesser deux
11 autres ?
12 R. : Il y avait six personnes dans la voiture et il a tiré dans leur
13 direction. Deux personnes ont été tuées et les quatre autres ont été
14 blessées, deux gravement et deux plus légèrement.
15 Q. : Donc, tous les gens qui se trouvaient dans la voiture ont été touchés
16 par les tirs?
17 R. : Oui.
18 Q. : En ce qui concerne le poste de contrôle de la Défense territoriale,
19 il y a eu un blessé ?
20 R. : Oui, un membre de la Défense territoriale a été blessé.
21 Q. : Qu’est-il advenu des blessés ? Vous avez dit qu’il s’agissait de deux
22 Croates et de deux Serbes. Qu’est-il advenu d’eux ? Où sont-ils
23 allés après votre arrivée au poste de contrôle ?
24 R. : Comme les lignes téléphoniques avec la ville de Prijedor étaient
25 coupées, il n’était pas possible d’appeler une ambulance pour
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1 emmener les blessés. Il existait un système spécial - je ne m’y
2 connais pas très bien en matière d’équipement technique - une sorte
3 de système radio miniature. On a pu, quelqu’un a proposé de recourir
4 à ce système pour se mettre en rapport avec le centre à Prijedor et
5 les informer; et j’ai immédiatement dit à Rizvanovici d’essayer
6 d’appeler le centre d’information pour les informer de ce qui
7 s’était passé et demander que quelqu’un de l’hôpital, du service des
8 urgences, vienne immédiatement et s’occupe des blessés.
9 Q. : Les quatre blessés qui se trouvaient dans la voiture ont-ils été
10 transportés à l’hôpital ?
11 R. : Je ne sais pas, je ne puis l’affirmer car, comme je l’ai déjà dit,
12 immédiatement après cet incident, une voiture de police, un
13 transport blindé est arrivé sur les lieux. Je leur ai demandé
14 d’emporter ces gens et ils ont refusé. Ils ont reculé de 300 ou 400
15 mètres, peut-être plus, 500 ou 600, je ne puis le dire avec plus de
16 précision, et ils ont ouvert le feu sur le poste de contrôle.
17 Après cela, le crépuscule était déjà tombé et des chars sont arrivés
18 à Tukovi avec certaines unités. Tout était bloqué à Tukovi, sur un
19 kilomètre en direction de Prijedor, par des unités militaires du
20 SDS. Après avoir essayé d’informer Prijedor de ce qui s’était passé,
21 j’ai appris que quelqu’un était venu de Prijedor en voiture et avait
22 emmené ces gens - du moins c’est ce qu’on m’a raconté.
23 Q. : Voyons à quel moment le véhicule de police est arrivé sur les lieux
24 après la fusillade et a demandé au chef du groupe de la Défense
25 territoriale, Aliskovic, de se rendre.
Page 1733
1 R. : Je n’ai pas vu les gens parler depuis le véhicule. Ils n’en sont même
2 pas sortis. Ils ont parlé à travers l’orifice, ils ont donné des
3 ordres et ont exigé qu’Aziz et tous les autres se rendent. Je leur
4 ai simplement dit qu’il fallait constituer une commission pour
5 enquêter sur cet incident plutôt que d’arrêter des gens de manière
6 aussi arbitraire.
7 Q. : Qu’entendez-vous par "arrêter des gens de manière aussi arbitraire" ?
8 Il y avait deux morts, quatre blessés et la police était arrivée sur
9 les lieux. Pourquoi avez-vous dit qu’il fallait une commission pour
10 enquêter sur ce qui s’était passé ? Les gens de la Défense
11 territoriale, près du barrage routier, avaient ouvert le feu ?
12 R. : Oui, mais vous oubliez que cette police était illégale, qu’il
13 s’agissait de criminels de droit commun et que le chef de la police
14 légitimement en place avait été destitué après le putsch.
15 Q. : Vous vouliez qu’une commission fasse une enquête pour éviter que les
16 membres de la Défense territoriale qui se trouvaient au barrage
17 routier ne soient arrêtés ?
18 R. : Je ne sais pas qui devait arrêter qui parce que, si nous examinons
19 les choses d’un point de vue légal, les gens qui sont venus avec la
20 police auraient dû être arrêtés, parce que c’étaient eux qui étaient
21 à l’origine de l’incident et qui avaient renversé le gouvernement
22 légitime en place.
23 Q. : Vous ne pensez pas, en votre qualité de président d’un parti
24 politique de la région investi d’une certaine responsabilité, que
25 lorsque des meurtres ont été commis, il faut que la police fasse une
Page 1734
1 enquête ?
2 R. : Oui, certainement, mais il faut que ce soient des organes légitimes,
3 des forces de police légitimes. Les gens qui sont venus à ce moment
4 n’en faisaient pas partie et je m’adressais à eux en ma qualité de
5 député et de membre du parlement de la République du conseil des
6 citoyens /sic/, l’organe législatif le plus haut placé de la
7 République de Bosnie-Herzégovine.
8 Q. : Vous ne saviez pas qui étaient ces policiers dans ce véhicule, n’est-
9 ce pas ?
10 R. : Ce dont j’étais certain, c’est qu’ils ne représentaient pas les
11 autorités légales de la Bosnie-Herzégovine. De toute manière, ils
12 n’ont pas montré de documents et ne sont même pas sortis du
13 véhicule. Par contre, l’insigne sur le véhicule indiquait clairement
14 qu’il s’agissait de forces extrémistes du SDS.
15 Q. : C’est ce que vous affirmez, mais vous étiez plutôt heureux que cette
16 fusillade et ces meurtres se déroulent et que la justice ne soit pas
17 rendue comme il se doit, n’est-ce pas, M. Mujadzic ?
18 R. : Je pense que votre question est tendancieuse. Je ne sais pas ce qui
19 vous amène à conclure que je souhaitais que cette fusillade ait
20 lieu, parce qu’il se fait que j’en ai entendu parler par hasard.
21 C’est mon premier argument. Ensuite, il est pratiquement certain que
22 les gens qui se trouvaient dans la voiture ont été les premiers à
23 tirer sans avertissement sur les membres de la Défense territoriale
24 et que la réaction de l’un de ceux-ci relevait de la légitime
25 défense, alors qu’il se jetait à terre pendant que les gens lui
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1 tiraient dessus depuis la voiture.
2 Q. : Comment pouvez-vous affirmer cela alors que vous n’y étiez pas. Vous
3 n’avez pas vu qui a tiré en premier lieu, vous arrivez sur les lieux
4 et vous voyez deux Serbes morts, quatre autres personnes de la
5 voiture blessées, et vous dites que ces gens sont des extrémistes
6 qui ont commencé, alors que vous avez un blessé léger membre de la
7 Défense territoriale; vous avez été impartial dans toute cette
8 histoire, n’est-ce pas, M. Mujadzic ?
9 R. : Je pense que j’ai présenté toute l’affaire de manière absolument
10 impartiale. Vous oubliez que, sur ces six personnes, deux étaient
11 des Croates qui n’avaient rien à faire avec les quatre extrémistes
12 serbes membres des Aigles blancs, l’organisation tchetnik la plus
13 extrémiste. Ils ont confirmé que tout s’est bien passé comme cela.
14 Et de toute manière, l’une des personnes présentes, un Serbe, a
15 également confirmé, à l’instar de tous les autres témoins qui ont
16 assisté à cet incident, que l’un des membres des Aigles blancs avait
17 ouvert le feu sans avertissement sur des membres de la Défense
18 territoriale, en sorte que je ne vois pas pourquoi je ferais preuve
19 de partialité.
20 M. KAY : Merci beaucoup.
21 LA PRESIDENTE : D’autres questions, M. Keegan ?
22 M. KEEGAN : Oui, merci, Madame la Présidente.
23 (Poursuite de l’interrogatoire par M. KEEGAN)
24 Q. : D. Mujadzic, à partir du 27 juin, lorsque vous vous êtes caché dans
25 ce trou dans les bois pendant des mois pendant que vous étiez
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1 bombardés tous les jours, l’une quelconque de ces forces de police
2 a-t-elle tenté d’intervenir pour aider votre groupe ?
3 M. KAY : Excusez-moi, je ne suis pas certain de comprendre dans quelle
4 mesure cette question a un rapport avec l’un des points soulevés
5 lors du contre-interrogatoire. Peut-être mon distingué ami souhaite-
6 t-il simplement prendre la parole ?
7 LA PRESIDENTE : S’il s’agit d’une objection ...
8 M. KAY : Oui ...
9 LA PRESIDENTE : ... l’objection est rejetée.
10 M. KEEGAN : Vous pouvez répondre à la question.
11 R. : Je peux répondre à la question ?
12 Q. : Oui.
13 R. : Ma tête avait été mise à prix et Stojan Zupljanin avait lui-même
14 déclaré, lors de négociations à Bihac en présence de Zijed Kadic
15 qu’ils essaieraient de m’attraper par tous les moyens et qu’il était
16 impossible que je m’échappe. La propagande serbe précisait chaque
17 jour si j’avais été capturé et si des gens m’avaient vu et, selon
18 les informations que je recevais, une récompense était offerte à
19 toute personne qui serait en mesure de dire où je me trouvais ou qui
20 me capturerait.
21 Finalement, comme ils n’arrivaient pas à me localiser et à me
22 capturer, ils ont diffusé la nouvelle qu’ils m’avaient écrasé entre
23 deux véhicules. Abdulah Konjici, le président du conseil des
24 citoyens, a adressé une lettre de protestation contre un acte aussi
25 barbare et il se fait que tous les gens de Sarajevo ont cru que cela
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1 m’était réellement arrivé. Cependant, Dieu merci, ce n’était que de
2 la propagande serbe/tchetnik.
3 M. KEEGAN : Pas d’autre question, Madame la Présidente.
4 LA PRESIDENTE : D’autres questions, M. Kay ?
5 M. KAY : Non merci, Madame la Présidente.
6 JUGE STEPHEN : J’ai, je pense, trois questions à vous poser. La première
7 question concerne l’incident que vous avez évoqué, lorsque les chars
8 sont arrivés et lorsque, comme vous l’aviez précisé, les citoyens
9 s’inquiétaient de savoir ce que signifiait exactement cet incident.
10 Pourriez-vous me dire si cet incident s’est déroulé à un moment où
11 il y avait des combats en Croatie ?
12 R. : Je pense qu’à ce moment, la guerre avait éclaté en Croatie, que les
13 combats s’étaient bien amplifiés et que les médiats de Zagreb et de
14 Belgrade donnaient deux versions totalement différentes de la
15 guerre. Les médias de Zagreb ont diffusé la nouvelle de la
16 perpétration de crimes terribles et d’un bain de sang.
17 Q. : Je voudrais simplement savoir si les chars sont arrivés à un moment
18 où des combats se déroulaient en Croatie et je pense que vous avez
19 répondu "oui" à cette question ?
20 R. : Oui.
21 Q. : Bien, la deuxième question que je souhaitais vous poser concerne les
22 fonctions qu’occupait le Dr. Karadzic lorsqu’il a fait devant
23 l’Assemblée de la République cette déclaration qui a horrifié les
24 délégués. Quelles fonctions occupait-il à ce moment ?
25 R. : Il était alors président du parti démocratique serbe de Bosnie-
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1 Herzégovine.
2 Q. : Et il était donc membre de l’Assemblée à ce titre, n’est-ce pas ?
3 R. : Non. Non, devant le parlement de Bosnie-Herzégovine et pour autant
4 que le parlement y consente, une personne qui n’a pas la qualité de
5 parlementaire peut prendre la parole, en sorte que Karadzic
6 s’exprimait uniquement en sa qualité de président du parti. Il
7 n’était pas parlementaire.
8 Q. : Merci. La troisième question fait référence aux "lis". J’ai lu dans
9 un certain nombre de pièces à conviction que certaines forces armées
10 arboraient des badges sur lesquels figuraient des lis et on vous a
11 posé des questions sur les lis lors du contre-interrogatoire.
12 Pourriez-vous nous en dire plus sur cet insigne et sur les personnes
13 qui l’arboraient ?
14 R. : C’était tout au début et ces insignes étaient arborés par certains
15 membres de la Défense territoriale qui, par chance, avaient réussi à
16 en trouver ou à le dessiner; tous les membres de la Défense
17 territoriale n’en possédaient pas, parce que ces insignes étaient
18 très rares.
19 Q. : Cet insigne est-il ensuite devenu l’insigne officiel d’une force
20 armée en Bosnie?
21 R. : Oui, celui de l’armée de Bosnie-Herzégovine, mais si vous pensez au
22 tout début, s’il existait alors une autre organisation qui avait cet
23 insigne officiel /sic/.
24 Q. : Mais plus tard, c’est alors devenu l’insigne officiel de l’armée de
25 Bosnie-Herzégovine ?
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1 R. : Oui, oui, c’est bien cela.
2 JUGE STEPHEN : Merci.
3 JUGE VOHRAH : M. Mujadzic, lorsque vous vous êtes réfugié dans la forêt
4 avec vos compagnons, étiez-vous armés ?
5 R. : Oui, nous avions nos propres armes. Je possédais un pistolet
6 légalement enregistré, un Magnum 357 - j’avais un permis de port
7 d’armes - et ceux qui se trouvaient avec moi avaient aussi des
8 pistolets.
9 JUGE VOHRAH : Merci.
10 LA PRESIDENTE : M. Mujadzic, vous avez dit que le 30 avril - je pense que
11 c’était bien cette date-là - des militaires sont arrivés à Prijedor.
12 De quels militaires s’agissait-il ?
13 R. : Vous pensez probablement aux forces qui ont perpétré le putsch et que
14 j’ai vues au début de la journée du 30 avril devant la plupart des
15 bâtiments importants, à l’entrée de ces bâtiments. C’étaient des
16 forces de la 5e brigade de Kozara, des formations paramilitaires du
17 parti démocratique serbe. Il y avait également des forces spéciales,
18 des unités spéciales, de Banja Luka, ainsi que la police spéciale de
19 Banja Luka, et des gens qui appartenaient à je ne sais quelle unité,
20 qui venaient de Klujc, Dubica, d’autres municipalités situées en-
21 dehors de Prijedor.
22 Q. : La 5e brigade de Kozara était-elle originaire de Serbie, de Bosnie-
23 Herzégovine, de Croatie ou faisait-elle partie de la Défense
24 territoriale ?
25 R. : La 5e brigade de Kozara était une brigade commandée par Colic Pero,
Page 1740
1 qui avait combattu en Croatie sur le front de Lipik et de Pakrac et
2 qui, avec la 43e brigade, était retournée à Prijedor. Elle faisait
3 partie de la brigade du corps de Banja Luka qui appartenait au corps
4 de Banja Luka de l’armée populaire yougoslave.
5 Q. : Vous avez indiqué que le colonel Arsi} est un Serbe de Serbie. A
6 quelle armée appartenait-il ? De quelle unité était-il le colonel,
7 si vous le savez ?
8 R. : De l'armée populaire yougoslave.
9 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Keegan, avez-vous d'autres questions ?
10 M. KEEGAN : Non, Mme le Président.
11 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Kay ?
12 M. KAY : Non, merci, Mme le Président.
13 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Parfait. Avez-vous des objections à ce que M.
14 Mujad`i} soit excusé de façon permanente ?
15 M. KAY : Non, Mme le Président.
16 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Vous êtes excusé de façon permanente.
17 Merci d'être venu M. Mujad`i}.
18 LE TEMOIN : Merci.
19 (Le témoin quitte le prétoire)
20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Keegan, voulez-vous appeler votre témoin
21 suivant - M. Tieger, ou tous les deux ... M. Tieger ?
22 M. TIEGER : Le témoin suivant témoignera à huis clos.
23 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Nous déclarons donc le huis clos.
24 (Audience à huis clos)- Rendu public par la Chambre II - 13 octobre 1996
25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger, êtes-vous prêt ?
Page 1741
1 M. TIEGER : Oui, Mme le Président. Je pense que cela prendra quelque temps
2 en raison du départ du témoin précédent. Il doit avoir quitté le
3 prétoire avant qu'on amène le témoin suivant.
4 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Combien de temps ?
5 M. TIEGER : Cela ne devrait pas être très long. Il s'agit d'un bref délai
6 mais je ne pense pas que nous ayons besoin d'une suspension.
7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Wladimiroff, s'agissant de la requête
8 suggérée par la Chambre de première instance à l'Accusation
9 concernant la notification de l'intention d'invoquer l'alibi.
10 L'Accusation déposera sa requête dans une semaine à compter d'hier
11 et vous avez 14 jours, 14 jours ouvrables à compter de la réception
12 de cette requête pour déposer votre réponse.
13 M. WLADIMIROFF : Parfait.
14 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Merci.
15 JUGE STEPHEN : Pendant que nous attendons, je me demande. A t-on des
16 copies supplémentaires de la pièce à conviction 79, la carte en
17 couleur ? Ce serait très utile. Je sais que j'en ai déjà une dans
18 mon cabinet. Ce serait très pratique d'en avoir une et je pense que
19 nous aurions tous intérêt à en avoir une ici.
20 M. NIEMANN : Nous pouvons essayer d'en trouver une, M. le Juge.
21 JUGE STEPHEN : Ce n'est pas urgent, mais est-ce possible ?
22 M. NIEMANN : Oui, M. le Juge.
23 JUGE STEPHEN : Merci.
24 M. NIEMANN : Oui, M. le Juge.
25 (Entrée du témoin dans le prétoire)
Page 1742
1 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur, voulez-vous prêter serment s'il vous
2 plaît ?
3 LE TEMOIN (Interprétation) : Bien sûr. Je jure solennellement de dire la
4 vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
5 (Prestation de serment du témoin)
6 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Veuillez vous asseoir. Merci. M.
7 Tieger, vous pouvez commencer.
8 Interrogatoire de M. TIEGER
9 M. TIEGER : Merci, Mme le Président. (Au témoin) : Monsieur, durant votre
10 témoignage dans cette affaire en vertu d'une ordonnance de la Cour,
11 vous serez connu sous le pseudonyme "P" et, aux seules fins de
12 confirmation, la Cour a demandé à son personnel de s'assurer qu'il
13 n'y a pas de diffusion à l'extérieur, d'enregistrement télévisé
14 diffusé à l'extérieur de ce prétoire.
15 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Oui, nous avons demandé que ce soit vérifié et
16 ça l'a été, n'est-ce pas ? Le témoignage que vous allez donner n'est
17 donc pas enregistré. Cet enregistrement ne sera pas divulgué au
18 public. Il restera dans nos archives. Le compte rendu de cette
19 audience restera également confidentiel jusqu'à ce que l'Accusation
20 puisse l'examiner et s'assurer que le compte rendu n'indique en rien
21 votre identité. Le Conseil de la Défense aura aussi l'occasion
22 d'examiner le compte rendu mais celui-ci ne sera pas divulgué avant
23 qu'il soit déterminé qu'il ne révèle pas votre identité. Vous pouvez
24 reprendre, M. Tieger.
25 M. WLADIMIROFF : Puis-je soulever une autre question, Mme le Président ?
Page 1743
1 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Oui.
2 M. WLADIMIROFF : Nous avons jusqu'à présent appelé ce témoin par son
3 pseudonyme de témoin "P" et nous continuerons mais est-ce qu'il ne
4 serait pas approprié qu'on lui demande de décliner sa véritable
5 identité et de lui demander si elle est exacte, de sorte à éviter
6 toute confusion à propos des identités ?
7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je ne l'ai pas.
8 M. TIEGER : Je pense que la suggestion de Juge Stephen est une parfaite
9 solution et si nous pouvions le montrer au professeur Wladimiroff ?
10 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je ne connais pas le nom mais vous voulez dire
11 qu'il le lise pour lui-même ?
12 M. WLADIMIROFF : Oui.
13 M. TIEGER : Correct.
14 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Mais sans le lire à voix haute ?
15 LE TEMOIN : Oui, c'est bien mon nom.
16 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Parfait.
17 M. TIEGER : Melle Sutherland montrera à M. Wladimiroff le nom lu par le
18 témoin.
19 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. P, pouvez-vous vérifier qu'il s'agit bien de
20 votre nom. Nous ne vous connaissons pas et ne voulons pas connaître
21 votre identité.
22 LE TEMOIN : Oui.
23 M. WLADIMIROFF : Merci.
24 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Vous pouvez reprendre M. Tieger.
25 M. TIEGER : Merci, Mme le Président. (Au témoin) : Monsieur, je sais
Page 1744
1 qu'avant votre arrivée aujourd'hui, vous vous attendiez à vous
2 trouver dans une salle de déposition
3 séparée et sous les feux de cette salle et je suppose que c'est la
4 raison pour laquelle vous êtes vêtu de façon sport. Je voulais le
5 mentionner. Monsieur, pouvez-vous préciser à la Cour votre lieu de
6 naissance s'il vous plaît ?
7 R. : [expurgé]
8 Q. : C'est en Bosnie-Herzégovine ?
9 R. : Oui.
10 Q. : Avez-vous grandi dans la région de [expurgé] ?
11 R. : [expurgé]
12 Q. : [expurgé]
13 R. : [expurgé]
14 Q. : [expurgé]
15 R. : [expurgé]
16 Q. : Avez-vous fait votre service militaire obligatoire dans les rangs de
17 la JNA ?
18 R. : Oui.
19 Q. : [expurgé]
20 R. : [expurgé]
21 Q. : [expurgé]
22 R. : [expurgé]
23 Q. : [expurgé]
24 R. : [expurgé]
25 Q. : [expurgé]
Page 1745
1 R. : [expurgé]
2 Q. : [expurgé]
3 R. : [expurgé]
4 Q. : [expurgé]
5 R. : [expurgé]
6 Q. : [expurgé]
7 R. : [expurgé]
8 Q. : [expurgé]
9 R. : [expurgé]
10 Q. : [expurgé]
11 R. : [expurgé]
12 Q. : [expurgé]
13 R. : [expurgé]
14 Q. : [expurgé]
15 R. : [expurgé]
16 Q. : [expurgé]
17 R. : [expurgé]
18 Q. : [expurgé]
19 R. : [expurgé]
20 Q. : [expurgé]
21 R. : [expurgé]
22 M. TIEGER : [expurgé]
23 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : [expurgé]
24 M. WLADIMIROFF : [expurgé]
25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : [expurgé]
Page 1746
1 M. TIEGER : [expurgé]
2 R. : [expurgé]
3 Q. : [expurgé]
4 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : [expurgé]
5 M. TIEGER : [expurgé]
6 M. WLADIMIROFF : [expurgé]
7 M. TIEGER : [expurgé]
8 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : [expurgé]
9 LE TEMOIN : [expurgé]
10 M. TIEGER : [expurgé]
11 M. WLADIMIROFF : [expurgé]
12 M. TIEGER : [expurgé]
13 R. : [expurgé]
14 Q. : [expurgé]
15 R. : [expurgé]
16 Q. : [expurgé]
17 R. : [expurgé]
18 Q. : [expurgé]
19 R. : [expurgé]
20 Q. : [expurgé]
21 R. : [expurgé]
22 Q. : [expurgé]
23 R. : [expurgé]
24 Q. : [expurgé]
25 R. : [expurgé]
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1 Q. : [expurgé]
2 R. : [expurgé]
3 Q. : [expurgé]
4 R. : [expurgé]
5 Q. : [expurgé]
6 R. : [expurgé]
7 Q. : [expurgé]
8 R. : [expurgé]
9 Q. : [expurgé]
10 R. : [expurgé]
11 Q. : [expurgé]
12 R. : [expurgé]
13 Q. : A titre préliminaire, permettez moi de vous demander quelle était la
14 composition ethnique de la région de Banja Luka et, tout d'abord, de
15 Banja Luka proprement dit.
16 R. : La ville de Banja Luka avait une population d'environ 140 000
17 résidents. S'agissant de la composition ethnique, il y avait à peu
18 près le même nombre de Musulmans et de Croates. Il y avait
19 légèrement plus de Musulmans à Banja Luka parce que certains des
20 Croates vivaient dans les villages voisins de la ville mais à
21 l'intérieur de la municipalité. Les Serbes constituaient le groupe
22 le plus nombreux dans la ville comme dans la municipalité. La
23 population de la municipalité de Banja Luka atteignait environ 200
24 000 résidents d'après le recensement de 1991, du 1er avril 1991. Il
25 y avait légèrement ... 54 % de Serbes, environ 15 % de Croates et
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1 environ 15 % de Musulmans, près de 15 %, et les 18 % restants
2 étaient constitués d'autres ethnies. C'était donc la structure
3 ethnique de la municipalité qui était publiée et officielle.
4 S'agissant de la structure ethnique de la ville proprement dite,
5 elle était impossible à déterminer parce que les résultats n'ont
6 jamais été déposés, ils n'ont jamais été enregistrés officiellement
7 ou annoncés. D'après le recensement de 1991, ou de 1981, 10 jours
8 (sic) plus tôt, parce que les recensements avaient lieu tous les 10
9 ans. Il y avait 51,5 % de Serbes à Banja Luka en 1981 et environ 50
10 % de Croates, Musulmans et autres ethnies.
11 Les résultats de 1981, du recensement de 1981, ont été pris dans
12 toute la Bosnie-Herzégovine comme l'un des critères, l'une des clés
13 pour les élections de 1990 et ont servi de critères pour l'exécution
14 de certaines lois comme, par exemple, la loi sur les affaires
15 municipales, la loi électorale et la loi sur les affaires
16 intérieures.
17 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Avant la suspension d'audience de l'après-midi,
18 je veux renvoyer le Conseil et M. Tadi} au contenu de l'ordonnance
19 qui a été rendue en ce qui concerne les mesures de protection pour
20 P. M. Tadi}, pourriez-vous mettre vos écouteurs ? Pouvez-vous
21 entendre M. Tadi} ?
22 L'ACCUSE TADIc : Oui, je peux vous entendre.
23 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Dans une langue que vous comprenez ?
24 L'ACCUSE TADIc . Je peux vous entendre que je porte ou non mes écouteurs
25 parce que l'acoustique est excellente.
Page 1749
1 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : L'ordonnance est constituée de onze points dans
2 lesquels la Cour a ordonné au Conseil et aux parties de s'abstenir
3 d'un certain nombre d'actions. Permettez-moi de vous lire seulement
4 les points 9) et 10). Il s'agit d'une ordonnance que la Chambre de
5 première instance a rendu le 15 mai 1996 et elle se rapporte au
6 témoin P. Le paragraphe 9) de l'ordonnance est rédigé ainsi :
7 "L'accusé, le Conseil de la Défense et les représentants qui
8 agissent conformément à leurs instructions ou à leur demande ne
9 divulgueront pas le nom du témoin P, ou tout autre renseignement
10 d'identification le concernant, au public ou aux médias, sauf dans
11 la mesure limitée où cette divulgation à des membres du public est
12 nécessaire pour enquêter de façon appropriée sur le témoin. Cette
13 divulgation aura lieu de façon à minimiser le risque que l'identité
14 du témoin soit divulguée au grand public ou aux médias".
15 Le paragraphe 10 de l'ordonnance est rédigé comme suit : "L'accusé,
16 le Conseil de la Défense et les représentants qui agissent
17 conformément à leurs instructions ou sur leur demande notifieront le
18 Bureau du Procureur de toute demande d'entrer en rapport avec P ou
19 des parents de P et le Bureau du Procureur prendra les dispositions
20 jugées nécessaires pour ce contact".
21 Je voulais simplement lire cela pour le procès-verbal pour m'assurer
22 que c'était bien compris. Bien sûr, l'ordonnance se suffit à elle-
23 même et elle se compose de plusieurs paragraphes. Nous suspendons la
24 séance pendant 20 minutes s'il vous plaît.
25 (16 heures 05)
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1 (Brève suspension d'audience)
2 (16 heures 25)
3 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Keegan ?
4 M. KEEGAN : Mme le Président, si je peux me permettre, avant que M. Tieger
5 ne reprenne. En ce qui concerne la demande de cartes. La carte
6 spécifique demandée par Juge Stephen pourrait prendre un certain
7 temps à obtenir. Elle devra être reproduite et nous le ferons à la
8 première occasion. Mais, à court terme, avec le consentement de la
9 Défense, nous avons ces cartes pour chacun des Juges. Elles vous
10 donneront une meilleure image généralement en ce qui concerne
11 l'emplacement géographique des diverses villes. Si je peux vous les
12 remettre ?
13 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : De quelle pièce à conviction s'agit-il ou est-ce
14 simplement un présent ?
15 M. KEEGAN : Ce ne sont pas des pièces à conviction. Elles sont destinées
16 uniquement à votre usage.
17 M. WLADIMIROFF : Nous avons les mêmes.
18 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a t-il des objections ?
19 M. WLADIMIROFF : Absolument aucune.
20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. M. Tieger, pourriez-vous continuer s'il
21 vous plaît ?
22 M. TIEGER : Oui, Mme le Président, merci. (Au témoin) : Monsieur, juste
23 avant la brève suspension, je vous ai demandé la composition
24 ethnique de Banja Luka. Quelle était la composition ethnique des
25 municipalités entourant Banja Luka ? Etaient-elles principalement
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1 serbes ou musulmanes ou mixtes ?
2 R. : Les serbes étaient en majorité dans plusieurs municipalités
3 adjacentes à Banja Luka comme Celinac, Laktasi, voisine de la
4 municipalité de Banja Luka; puis celle de Srbac dont les Serbes
5 constituaient aussi la majorité. Et dans l'association des
6 municipalités de Banja Luka, vous aviez celle de Skender Vakuf à
7 majorité serbe mais avec un fort pourcentage de Musulmans; et Kotor
8 Varos où les Musulmans et les Croates dépassaient les Serbes qui
9 représentaient environ un tiers de la population; et Prnjavor, une
10 autre municipalité à majorité serbe. C'était l'association des
11 municipalités de Banja Luka avant 1990.
12 Nous avions une autre association de municipalités sur le territoire
13 de Bosanska Krajina, avec son siège à Prijedor et à Jajce, qui
14 incorporait plusieurs municipalités de Bosanska Krajina et une du
15 territoire de la Bosnie centrale. Quand je parle de "Bosanska
16 Krajina", je ne veux pas dire la région qui figure sur les cartes,
17 dans le nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine et qui a toujours été
18 connue sous le nom de Bihac Krajina ou Krajina uniquement, parce que
19 celle-ci constitue une association distincte de municipalités qui
20 incorporait Bihac, Carzin, Velika Kladusa avec une majorité
21 musulmane et Bosanski Petrovac, Drvar et Grahovo où la majorité
22 était serbe.
23 Q. : [expurgé]
24 [expurgée]
25 R. : [expurgé]
Page 1752
1 [expurgée]
2 Q. : Une dernière question géographique rapide. Quelle est la distance
3 entre Banja Luka et la municipalité de Prijedor ?
4 R. : Les distances, la distance entre les villes de Banja Luka et de
5 Prijedor est d'environ 50 kilomètres.
6 Q. : J'aimerais maintenant vous poser quelques questions sur le régime
7 politique que vous avez évoqué antérieurement dans l'ex-Yougoslavie,
8 qui existait avant les élections démocratiques. [expurgé]
9 R. : Oui, politiquement parlant, la Yougoslavie était un régime politique
10 à parti unique. Il s'agissait d'une République. Les Républiques
11 avaient leurs Assemblées et vous aviez des Assemblées municipales
12 dont les membres étaient élus au suffrage direct tandis que ceux du
13 Parlement fédéral l'étaient au suffrage indirect. Puis, après la
14 Deuxième Guerre mondiale en 1945, quand l'Etat formé par la
15 Yougoslavie socialiste a été reconnu, il n'y avait qu'un parti
16 unique, qui était alors un parti politique, et il s'agissait du
17 parti communiste de Yougoslavie.
18 Le Parti communiste de Yougoslavie a changé de nom lors de son 5ème
19 ou 6ème Congrès, je crois, en 1958 pour devenir la Ligue des
20 communistes de Yougoslavie et il a, par la même occasion, changé
21 d'une certaine façon son attitude envers le pouvoir. Le parti
22 communiste de Yougoslavie n'était pas le parti au pouvoir en
23 Yougoslavie et cette relation entre le Parti communiste , c'est-à-
24 dire la Ligue des communistes après 1958 et le pouvoir a subsisté
25 jusqu'en 1990.
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1 A cette époque, la Yougoslavie disposait d'une organisation socio-
2 politique appelée l'Alliance socialiste des travailleurs et elle
3 recouvrait toutes les autres organisations socio-politiques et
4 associations de citoyens. On retrouvait dans ces organisations
5 socio-politiques, la Ligue des communistes de Yougoslavie, la
6 Fédération des syndicats et l'Union de la jeunesse socialiste.
7 Les associations de citoyens étaient variées et elles étaient
8 établies en vertu de la législation des Républiques sur ce type
9 d'associations; il pouvait s'agir de clubs sportifs, de sociétés
10 d'amateurs, de toutes sortes d'associations qui, par leur statut ou
11 leur acte constitutif n'étaient pas hostiles, n'étaient pas opposées
12 au système politique en place. Telle était la situation juridique.
13 Au plan concret, jusqu'en 1990 la situation se présentait ainsi. La
14 Ligue des communistes de Yougoslavie décidait de toutes les
15 questions qui, d'une façon ou d'une autre, intéressaient l'ex-
16 Yougoslavie d'un point de vue politique, économique, culturel ou
17 autre. Cela avait lieu par l'intermédiaire des décisions finales des
18 Congrès du Parti et ces décisions finales, qui embrassaient, qui
19 couvraient toute la vie dans l'ex-Yougoslavie, reposaient dans les
20 organes représentatifs, c'est-à-dire dans les organes élus à
21 commencer avec l'Assemblée générale puis les Assemblées des
22 Républiques et enfin les Assemblées municipales. Elles étaient
23 exécutées complètement par ces organes. Il n'était pas question de
24 s'écarter de ces documents. Toute modification de ces directives du
25 Congrès signifiait une déviation par rapport à la ligne du parti et
Page 1754
1 entraînait la responsabilité devant le parti.
2 Je dois mentionner que cette responsabilité devant le parti, même si
3 personne ne pouvait être condamné ou jeté en prison, était néanmoins
4 très rigoureuse. La perte du statut de membre de la Ligue des
5 communistes signifiait généralement la perte de son emploi, de toute
6 fonction élevée ou de direction, de tout poste exécutif, y compris
7 dans les sociétés ou clubs sportifs.
8 Dans ce modèle, dans ce système de parti ou, plutôt, dans ce régime
9 de pouvoir, l'ex-Yougoslavie ne connaissait pas la dégradation
10 politique. Il n'y avait que la liquidation, politique et, aussi,
11 parfois, physique.
12 Q. : Par "dégradation politique" entendez-vous les rétrogradations au sein
13 du parti qui avaient lieu seulement au plan politique par opposition
14 à la liquidation physique ?
15 R. : Non, je ne voulais pas dire seulement cela. J'emploie le terme
16 "dégradation politique" et par là, j'entends les mouvements normaux
17 par rapport à un poste politique ou au sein du parti, c'est-à-dire
18 la démission en cas de désaccord sur un document, sur la ligne du
19 parti, sur des conclusion et garder une fonction professionnelle ou
20 quelque autre activité. Autrement dit, avoir une nouvelle chance de
21 réussir ou, plutôt, de revenir sur la scène politique.
22 Dans l'ex-Yougoslavie, dans la Ligue des communistes, c'était
23 impossible. Une chute politique signifiait une chute absolue. Des
24 responsables de rang très élevé ont réussi à demeurer dans l'ombre,
25 c'est-à-dire en dehors de la vie politique, mais il s'agissait de
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1 personnes qui s'étaient distinguées durant la Deuxième Guerre
2 mondiale et que ce régime politique n'osait tout simplement pas
3 complètement liquider politiquement.
4 S'agissant de la prise de décision au sein de la Ligue des
5 communistes, elle suivait un modèle connu sous le nom de modèle
6 démocratique ou système de centralisme démocratique, ce qui
7 signifiait que les décisions des échelons supérieurs du parti,
8 quelque soit le niveau - municipalité, république ou tout le pays -
9 devaient être exécutées, c'est-à-dire adoptées sans objection et
10 souvent sans aucune chance, sans aucune possibilité de discuter une
11 opinion particulière.
12 De cette façon, un système a été établi permettant aux échelons les
13 plus élevés du parti de prendre les décisions pour le compte du
14 parti co-politique (sic), c'est-à-dire de l'ensemble de
15 l'organisation socio-politique et, officiellement, ils
16 fournissaient, ils assuraient les votes aux échelons les plus bas de
17 l'organisation, qui étaient les organisations de base de la Ligue
18 des communistes.
19 La Ligue des communistes se distinguait d'un parti politique par un
20 autre point au plan de l'organisation et il s'agit de sa division en
21 organisations de la Ligue à l'échelon des républiques, de sorte que
22 chaque république avait sa propre Ligue des communistes en tant
23 qu'organisation autonome, dans l'ensemble autonome, puis ces
24 organisations républicaines étaient regroupées à l'échelon de la
25 Yougoslavie dans la Ligue des communistes de Yougoslavie. [expurgé]
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1 Q. : Les participants à ce système de longue date, les communistes, ont-
2 ils joué un rôle actif dans les nouveaux partis en Bosnie-
3 Herzégovine en 1990 ?
4 R. : Oui, les anciens membres de la Ligue des communistes se sont
5 retrouvés dans les partis politiques établis en 1990 puis inscrits
6 pour la première fois cette année là au registre des partis
7 politiques. Presque tous les membres de la Ligue des communistes
8 sont devenus membres des nouveaux partis politiques pas seulement
9 d'un seul mais de tous les partis politiques; certains d'entre eux,
10 un petit nombre, sont restés en dehors de la vie politique. Cette
11 présence des anciens membres de la Ligue des communistes de
12 Yougoslavie a en grande partie déterminé la nature et les règles de
13 conduite des nouveaux partis politiques fondés en 1990.
14 Tous ces membres de la Ligue des communistes n'ont pas changé leurs
15 habitudes. Leurs règles de comportement, leurs conceptions de la
16 vie, de la politique, d'un parti politique sont restées intactes. Et
17 dans les statuts de la quasi-totalité des partis politiques on
18 retrouve des dispositions réglementant ce qui était appelé la
19 "discipline du parti", de sorte que les règles les plus lourdes, les
20 pires de la Ligue des communistes de Yougoslavie ont été presque
21 adoptées sans changement par les nouveaux partis politiques.
22 Le problème primordial des nouveaux partis politiques était que les
23 individus, concrètement parlant, n'avaient pas du tout changé. Ils
24 ont simplement changé leur étendard. Plutôt que l'étendard de la
25 Ligue - le drapeau de la Ligue des communistes de Yougoslavie, ils
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1 brandissaient maintenant au-dessus de leur tête l'étendard de leur
2 partie politique ou de leur nation.
3 Q. : Dans le régime communiste de l'ex-Yougoslavie [expurgé], comment se
4 faisait la promotion politique ? De quoi dépendait-elle ?
5 R. : La promotion dans l'ex-Yougoslavie était possible dans deux domaines,
6 dans votre profession, votre carrière et dans la politique et dans
7 ces deux domaines on ne pouvait avancer que de deux manières. En
8 raison de qualités exceptionnelles, en particulier si vous n'étiez
9 pas membre de la Ligue des communistes et certaines personnes ont
10 progressé sur cette base mais elles étaient rares; ou pour des
11 raisons de loyauté ou plutôt, devrais-je dire, d'une attitude
12 servile totale. La servilité envers les dirigeants du parti
13 garantissait l'avancement et le progrès dans votre carrière, tant au
14 plan politique que professionnel.
15 Jusque vers les années 1980, personne ne pouvait être nommé
16 administrateur ou directeur s'il n'était membre de la Ligue des
17 communistes. Cette politique a été un peu assouplie deux ou trois
18 ans après le décès de Tito de sorte qu'il est devenu possible pour
19 quelqu'un d'extrêmement compétent de devenir un directeur général
20 sans être membre de la Ligue des communistes. Mais la Ligue des
21 communistes était une organisation qui ralliait ou, plutôt, tous les
22 juges, procureurs, policiers, fonctionnaires, les directeurs
23 d'entreprises, devaient tous être membre de la Ligue des
24 communistes. Personne ne pouvait être élu juge sans être membre de
25 la Ligue des communistes. C'était impossible.
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1 Q. : Pouvez-vous nous donner des exemples de la façon dont une personne
2 dans ce régime, dont des éléments ont été transplantés dans le
3 milieu post-élections, progresserait dans ce système si c'est ce que
4 cette personne recherchait ?
5 R. : Oui, ces exemples sont nombreux. Il existe de nombreux exemples de
6 membres les plus durs, presque orthodoxes de la Ligue des
7 communistes qui, après être passés aux partis politiques sont
8 devenus les Serbes, Croates ou Musulmans les plus orthodoxes. Un
9 excellent exemple d'une telle personne est le Président du quartier
10 général de crise de la Krajina, qui était un communiste bien connu
11 de la ligne dure, extrêmement rigoureux dans ses demandes de respect
12 des règles de la Ligue des communistes et qui, après avoir rejoint
13 le SDS, est devenu l'un des Serbes les plus orthodoxes.
14 Cette transformation n'a pas pris plus de temps que celui nécessaire
15 pour changer sa carte de parti. Certains leaders éminents du SDS à
16 Banja Luka ne se sont même jamais retirés de la Ligue des
17 communistes. Le Président du Comité municipal du SDS pour Banja Luka
18 au printemps de 1991 était toujours officiellement un membre de la
19 Ligue des communistes et il figurait dans les dossiers des membres
20 de la Ligue et continuait d'occuper le poste de Secrétaire de
21 l'organisation de base de la Ligue des communistes à la Faculté de
22 médecine.
23 Q. : Dans ce système, quelle était la relation entre l'expression de son
24 engagement personnel en faveur de la politique du parti et les
25 chances de promotion ?
Page 1759
1 R. : Dans la Ligue des communistes ?
2 Q. : Oui.
3 R. : La Ligue des communistes avait une politique du personnel très
4 étrange. On parlait de politique du personnel mais il s'agissait en
5 fait d'un réseau de cadres qui étaient nommés aux postes principaux.
6 Vous deviez être un membre très loyal de la Ligue des communistes,
7 lutter contre l'église, contre la religion, être contre toutes les
8 idéologies incompatibles avec la Ligue des communistes et, du fait
9 de la façon dont elle était organisée en tant qu'organisation socio-
10 politique chapeautée par l'alliance socialiste, la politique du
11 personnel était généralement décidée lors de soirées, à des
12 résidences ou des restaurants. Il importait peu que vous soyez un
13 individu compétent ou un travailleur acharné ou doté d'une
14 éducation. Ce qui importait était votre loyauté envers les
15 dirigeants du parti. C'était la condition préalable à tout
16 avancement dans votre carrière.
17 Q. : Est-ce que cet aspect de l'ancien régime a aussi été transplanté dans
18 les partis dans le contexte établi après les élections ?
19 R. : Il a été entièrement transplanté, totalement. Qui plus est, après la
20 prise de pouvoir ou, plutôt, après les élections et la distribution
21 des départements parmi les partenaires de la coalition dirigeante,
22 des changements ont été introduits au plan des dirigeants, dans
23 l'économie, dans les services publics, dans l'administration
24 publique. Le même modèle que la Ligue des communistes a été appliqué
25 intégralement. Plus un membre était loyal, excessif, extrême et plus
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1 grandes étaient ses chances d'avancement pour une meilleure
2 carrière, pour acquérir un bon poste dans les affaires ou en
3 politique.
4 Q. : Les élections de 1990 ont-elles permis à des gens qui ne s'étaient
5 pas jusqu'alors distingués au plan politique ou professionnel de
6 progresser avec leurs partis par l'expression d'une telle loyauté ?
7 R. : Oui, s'ils étaient membres des partis au pouvoir, et en Bosnie-
8 Herzégovine il s'agissait de la coalition dirigeante composée des
9 SDS, HDZ et SDA. L'avancement pour les membres d'autres partis
10 politiques, sauf à Tuzla, était impossible.
11 Q. : Les chances de cet avancement se rapportaient-elles à la vigueur de
12 l'engagement apparent en faveur des idéaux du parti ?
13 R. : Oui, c'était une condition préalable à l'avancement, un engagement
14 absolu en faveur des idéaux politiques, des objectifs politiques
15 actuels et l'expression extrêmement ferme des positions du parti. De
16 cette façon, par ce comportement, il était possible de progresser
17 dans votre carrière, de parvenir à un poste de direction ou à un
18 poste mieux rémunéré et aussi d'obtenir des fonctions politiques qui
19 signifiaient un poste politique dans son propre parti ou dans le
20 système politique, un membre d'une Assemblée, un organe de travail
21 de l'Assemblée qui signifiait un pouvoir social considérable, un
22 énorme pouvoir dans la société.
23 Q. : Concentrant votre attention sur les environs de la date des élections
24 de 1990, est-ce que des mouvements nationalistes s'étaient faits
25 jour à cette date dans l'ex-Yougoslavie ?
Page 1761
1 R. : Oui.
2 Q. : Y avait-il un mouvement nationaliste serbe à cette date ?
3 R. : Oui, on observait une telle ambiance, un mouvement pourrait-on dire,
4 qui s'est fortement intensifié quelques années avant l'élection.
5 Q. : Le nationalisme serbe embrassait-il le concept d'un Etat serbe élargi
6 et unifié ?
7 R. : Oui. Fondamentalement, à la base de ce mouvement nationaliste - et je
8 dois dire que le mouvement nationaliste croate était aussi très
9 puissant - il y avait le concept d'une Grande Serbie. Ce concept
10 d'une Grande Serbie n'est pas nouveau et il n'a pas non plus été
11 découvert par les politiciens qui sont apparus sur la scène
12 politique juste avant les élections de 1990, c'est-à-dire en 1988/89
13 . Ils ont simplement appliqué cette notion avec énormément de
14 succès. La notion d'une Grande Serbie est née il y a quelque 150
15 ans. Elle a acquis un dynamisme considérable entre les deux guerres
16 et elle a toujours été présente dans la République socialiste
17 fédérative de Yougoslavie.
18 Les partisans du concept d'une Grande Serbie étaient principalement
19 concentrés dans deux institutions, à savoir l'Académie serbe des
20 arts et des sciences (ou SANU en bref) à Belgrade, et l'Association
21 des écrivains de Serbie avec son siège au 7 de la rue Francuska,
22 connu sous le nom de "7 Francuska". L'un des partisans majeurs de ce
23 concept était Vasa Cubrilovi}, entre les deux Guerres mondiales,
24 dans les années 1930, et jusqu'à sa mort et il était membre de
25 l'Académie serbe des arts et des sciences. Et l'Association des
Page 1762
1 écrivains de Serbie regroupait un certain nombre de protagonistes
2 importants dont Dobrica Cosic était l'un des plus connus.
3 Q. : Permettez-moi d'examiner d'abord le cas de Vasa Cubrilovi}. Pouvez-
4 vous tout d'abord nous présenter très rapidement ses antécédents et
5 les raisons de son importance pour les Serbes ?
6 R. : Vasa Cubrilovi} était une personnalité très célèbre. Il était
7 considéré comme un héros national serbe. Il était membre du groupe
8 des jeunes bosniaques, Il est né à Bosanska Gradiska. Il était
9 membre de cette organisation, de l'organisation qui a mis sur pied
10 l'assassinat du prince Ferdinand à Sarajevo en 1914 et qui a été la
11 cause directe de l'éclatement de la Première Guerre mondiale et du
12 conflit entre la Serbie et l'Autriche.
13 Après sa libération de prison, après l'effondrement de l'empire
14 austro-hongrois, il a obtenu son diplôme de la Faculté de
15 philosophie et, en sa qualité de héros national, charismatique de
16 cette période, il était intouchable à maints égards. Il a été le
17 créateur en 1937, je crois, ou 1936 d'un programme appelé
18 l'"Emigration des Arnauti" ou des "Schipetars" dans lequel il
19 décrivait les moyens d'expulser la population albanaise, connue
20 officiellement sous le nom de "Schipetars", du territoire de Serbie.
21 Il a offert ces mêmes services à la Yougoslavie de Tito après la
22 Deuxième Guerre mondiale. Cependant, le Parti communiste de
23 Yougoslavie ou, plutôt, les événements dans la République socialiste
24 fédérative de Yougoslavie, ont fait que ce programme n'a été
25 appliqué qu'aux Allemands, c'est-à-dire les citoyens d'ethnie
Page 1763
1 allemande dans l'ex-Yougoslavie. Tous ou presque tous les citoyens
2 allemands ont été expulsés de l'ex-Yougoslavie. Tous ceux qui
3 appartenaient à l'armée allemande ou à tout parti politique
4 entretenant des relations avec elle ont vu leurs biens confisqués et
5 ont été interdits de séjour en Yougoslavie.
6 S'agissant des minorités ethniques dans l'ex-Yougoslavie, c'est-à-
7 dire dans la République socialiste fédérative de Yougoslavie, Tito
8 n'a jamais accepté le concept de Cubrilovi}.
9 M. TIEGER : Mme le Président, ce document peut-il être marqué pièce à
10 conviction 142 aux fins d'identification, s'il vous plaît ? (remise
11 du document). Monsieur, avez-vous récemment eu l'occasion d'examiner
12 certains des travaux de Vasa Cubrilovi} ainsi que d'autres
13 nationalistes serbes, comme Stevan Moljevi} ou Militim Nedi} ?
14 R. : Oui.
15 Q. : Avez-vous tiré des extraits de ces oeuvres et figurent-ils dans le
16 document qui se trouve maintenant devant vous ?
17 R. : Oui.
18 M. TIEGER : Je dépose ce document, Mme le Président.
19 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a t-il des objections à la pièce à conviction
20 142 ?
21 M. WLADIMIROFF : Non, Mme le Président.
22 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce à conviction 142 est déclarée
23 recevable, elle est admise.
24 M. TIEGER (Au témoin) : Monsieur, vous avez mentionné que Vasa Cubrilovi}
25 était un ... Je m'excuse, un petit problème technique. Je reprends.
Page 1764
1 Monsieur, vous avez mentionné que Vasa Cubrilovi} était un partisan
2 de la réalisation d'une Grande Serbie. A t-il, en particulier,
3 discuté de l'expulsion et du déplacement de minorités comme méthode
4 pour réaliser la Grande Serbie ?
5 R. : Oui, c'est la façon dont, selon lui, la Grande Serbie serait réalisée
6 en tant qu'Etat, non pas un Etat avec un territoire doté de citoyens
7 appartenant à plusieurs ethnies mais un seul Etat-nation. Dans son
8 ouvrage de 1937 sur la réinstallation des Arnauti, Cubrilovi} a
9 fourni des instructions détaillées sur la façon dont les autorités
10 devraient se comporter pour réaliser ce concept.
11 Q. : Puis-je vous interrompre un instant et demander que la traduction en
12 anglais des extraits de ce document soit affichée à l'écran, en
13 particulier les paragraphes 2 et 3 de la première page ? Aux
14 paragraphes 2 et 3, est-ce que Cubrilovi} décrit certaines des
15 méthodes qu'il recommande aux autorités d'adopter pour l'expulsion
16 ou la dispersion des Albanais ?
17 R. : Oui. Il dit qu'un autre moyen est la coercition par l'appareil de
18 l'Etat, que cet appareil devrait rendre la vie des Albanais parmi
19 les Serbes intolérable en utilisant des lois rigoureuses, en
20 augmentant les amendes - d'après cette terminologie, il s'agit
21 d'amendes pécuniaires - pour les infractions en tous genres ainsi
22 que pour les crimes, l'emprisonnement et toutes sortes de mesures
23 policières possibles, l'imposition de toutes sortes de travaux
24 forcés ou kuluk. "Kuluk" dans la législation du Royaume de
25 Yougoslavie, signifiait les travaux forcés comme l'une des formes de
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1 sanction.
2 Les mesures économiques n'étaient pas non plus négligées. Il était
3 considéré que les titres de propriété devraient être traités comme
4 nuls et non avenus dans le registre foncier; qu'il fallait insister
5 sur le règlement des dettes et sur le recouvrement des impôts; que
6 les concessions ou les permis de travail devraient être annulés pour
7 les artisans et les commerçants, que les personnes exerçant une
8 activité dans le secteur privé ou dans les services collectifs,
9 notamment les services de santé, devraient être licenciées. Plus
10 concrètement, les murs qui entourent traditionnellement les
11 résidences familiales albanaises devraient être abattus.
12 Il convient de noter ici que les résidences albanaises au Kosovo et
13 les nombreuses maisons musulmanes dans les villages typiquement
14 musulmans étaient entourées de murs élevés sur l'avant, vers la rue,
15 pour éviter qu'on puisse voir ce qui se passait dans la cour et
16 protéger la vie privée des résidents. A cette époque au Kosovo, il y
17 avait des familles élargies vivant dans une résidence connue sous le
18 nom de coopératives ou de familles élargies et la violation de la
19 vie privée était considérée comme une grande insulte et un coup
20 sérieux porté aux traditions et aux sentiments de ces familles.
21 C'était considéré comme très pénible.
22 Comptant sur les sentiments religieux des gens, il recommandait la
23 persécution des membres du clergé et la profanation des cimetières.
24 Il suggérait aussi que les colonies serbes devraient recevoir des
25 armes. L'une des mesures utilisées par le Royaume de Yougoslavie
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1 contre les Albanais au Kosovo a été une colonisation par les Serbes
2 en vue de s'emparer des biens des Albanais qui avaient été expulsés,
3 de sorte que si un bien albanais était exproprié ... si une famille
4 albanaise était expulsée, une famille serbe serait invitée à
5 s'installer à la place et ces mesures visaient à changer la
6 composition ethnique de la province et, selon Cubrilovi}, ces colons
7 devraient recevoir des armes.
8 Comme toujours, les Chetniks et les groupes paramilitaires devaient
9 être la force armée à utiliser contre ceux qui constituaient un
10 obstacle à la création d'une Grande Serbie homogène. A son avis,
11 quand le bon moment serait venu, il suffirait de permettre à une
12 foule de montagnards monténégrins de provoquer un conflit massif,
13 étant entendu que ce conflit serait préparé avec l'aide de personnes
14 de confiance.
15 Je dois expliquer ce qu'implique l'expression "montagnards
16 monténégrins". Le Monténégro était l'une des Républiques de l'ex-
17 Yougoslavie et sa continuité en tant qu'Etat indépendant n'a jamais
18 été interrompue avant 1919. L'empire turc qui avait occupé cette
19 partie de l'Europe n'est jamais parvenu à conquérir le Monténégro.
20 Il est peuplé de gens vivant dans les collines et les montagnes qui
21 ont toujours été autonomes et indépendants et qui étaient
22 constamment en guerre. Pendant des siècles, ces gens ont dormi leurs
23 armes à la main. Ces gens - ces gens habitués à la guerre et pour
24 qui la guerre n'était pas seulement une profession mais un motif
25 d'orgueil - devaient servir à résoudre le problème des Albanais au
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1 Kosovo.
2 Q. : Quand vous avez fait référence à la mise en place réussie dans les
3 années 1990 de certaines des idées avancées par les anciens
4 partisans du nationalisme serbe et de la Grande Serbie, pensiez-vous
5 aux idées de Vasa Cubrilovi} ?
6 R. : Oui, bien sûr. Le Comité de crise à Banja Luka en 1992 a suivi ces
7 instructions à la lettre. Toutes ces décisions signifiaient
8 l'exécution, la mise en opération des instructions présentées ici.
9 Dans la région autonome de la Krajina, ce concept, c'est-à-dire
10 l'attitude des autorités envers les minorités ethniques ou les non-
11 Serbes, a été appliqué et, en particulier, un point a été
12 particulièrement visé et il est assez important dans cet aide-
13 mémoire. Il figure au dernier paragraphe où il est dit que : "en
14 élaborant les mesures d'application de cet aide-mémoire, le rôle
15 primordial devrait être joué par l'Académie des sciences et
16 l'Université" et cela était vrai également au plan de la
17 concrétisation du concept de Grande Serbie. Les protagonistes
18 étaient l'Académie serbe des Sciences, les Universités et
19 l'Association des écrivains.
20 Q. : Je note que le nom de "Stevan Moljevi}" figure aussi dans le
21 document. Pouvez-vous nous dire brièvement qui il était ?
22 R. : Steven Moljevi}. Steven Moljevi} vient de Banja Luka. C'est un avocat
23 à Banja Luka et un membre du Parti démocratique indépendant de
24 Statozar Pribi~evi} avant la Deuxième Guerre mondiale dans le
25 Royaume de Yougoslavie, et un partisan important du concept de
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1 Grande Serbie, notamment sous sa forme élémentaire que l'on trouve
2 dans le projet Grasanin.
3 Cependant, Stevan Moljevi} a aussi tracé les frontières, les
4 frontières occidentales de la Grande Serbie et des autres
5 territoires qui n'ont jamais fait partie de la Serbie même quand,
6 historiquement, sous le Tsar Dusan, la Serbie a été à son plus
7 grand.
8 M. TIEGER : Mme le Président, puis-je faire appel à l'aide de la pièce à
9 conviction 2 ?
10 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Vous apprêtez-vous à passer à un autre domaine à
11 ce stade, parce que nous allons nous ajourner quelques minutes plus
12 tôt aujourd'hui. L'autre chambre de première instance a besoin de ce
13 prétoire et nous travaillons presque 24 heures sur 24, alors si le
14 moment est bien choisi ?
15 M. TIEGER : C'est parfait, Mme le Président.
16 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Nous nous ajournons donc jusqu'à demain 10
17 heures.
18 (Ajournement de l'audience jusqu'au lendemain)
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