Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL Affaire IT-94-1-T

2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

3 Mardi, le 16 juillet 1996

4 (10 h 00)

5 (Audience publique)

6 LE PRÉSIDENT : Bonjour à tous. Notre audience a été suspendue pendant

7 quelques semaines, l’autre Chambre de première instance utilisant

8 cette salle pour un autre procès. Bien sûr, vous nous avez tous

9 beaucoup manqué. Nous sommes prêts à reprendre nos travaux

10 aujourd’hui. Je pense que nous allons commencer par examiner la

11 requête de la Défense relative aux éléments de preuve indirects. La

12 Défense a demandé qu’une audience soit consacrée à cette requête.

13 Nous nous pencherons ensuite sur des questions d’intérêt général que

14 les Juges souhaitent porter à l’attention des Conseils. Je crois

15 comprendre qu’ensuite le Procureur souhaite déposer une requête,

16 peut-être à huis clos, et, en fonction de la décision qui sera prise

17 à son sujet, nous entendrons le prochain témoin à huis clos. Ah non

18 ? J’ai donc été mal informée.

19 MONSIEUR NIEMANN : Il ne s’agit pas du prochain témoin, Madame le

20 Président, mais d’un témoin qui sera appelé à la barre plus tard.

21 LE PRÉSIDENT : Donc, il ne s’agit pas du prochain témoin.

22 MONSIEUR NIEMANN : Le prochain témoin est prêt à être appelé à la barre.

23 LE PRÉSIDENT : Très bien. Je vous ai donc exposé le programme de la

24 matinée et peut-être même d’une partie de l’après-midi. Monsieur

25 Wladimiroff, êtes-vous prêt à nous présenter votre requête relative

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1 à la preuve par ouï-dire?

2 MONSIEUR WLADIMIROFF : Oui, Madame le Président, mais c’est Madame de

3 Bertodano qui exposera nos arguments.

4 LE PRÉSIDENT : Très bien.

5 MONSIEUR NIEMANN : Madame le Président, Madame Hollis répondra au nom de

6 l’Accusation.

7 LE PRÉSIDENT : Très bien.

8 MADAME DE BERTODANO : Merci, Madame le Président. Madame et Messieurs de

9 la Cour, vous n’êtes pas sans savoir que la question de la preuve

10 indirecte reste un sujet de préoccupation pour la Défense. Nous

11 avons déjà fait valoir à son encontre un certain nombre

12 d’objections. Il ne s’agit pas, je le précise de revenir sur ce qui

13 a été dit mais d’anticiper les problèmes à venir. Madame et

14 Messieurs de la Cour, nous avons demandé qu’il soit débattu de cette

15 question parce qu’elle est à nos yeux essentielle.

16 Pour résumer, je dirai que nous demandons premièrement que le

17 Tribunal refuse d’entendre les preuves à charge dont les témoins

18 n’ont qu’une connaissance indirecte et deuxièmement, qu’il ait le

19 pouvoir d’entendre de telles preuves si leur valeur probante

20 l’emporte substantiellement sur leur effet préjudiciable à l’accusé.

21 Madame et Messieurs de la Cour, je voudrais ici souligner (car

22 je crains bien qu’il n’y ait eu un malentendu à cet égard) que ces

23 deux points sont indissociables et non pas interchangeables. Je

24 donne cette précision car la réponse de l’Accusation laisse penser

25 qu’il s’agit de mesures alternatives alors que ce n’est pas le cas.

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1 Madame et Messieurs de la Cour, l’effet de telles mesures serait

2 qu’il y aurait un changement dans les présomptions relatives aux

3 éléments de preuve indirects ou, en d’autres termes, que les preuves

4 recueillies par ouï-dire seraient à exclure, à moins qu’il n’y ait

5 lieu de les retenir.

6 Madame et Messieurs de la Cour, c’est une caractéristique de tous

7 les systèmes accusatoires qui reconnassent que la preuve indirecte

8 est généralement considérée comme une preuve de moindre qualité et

9 préfèrent les preuves de première main lors des procès au pénal. Les

10 raisons de cette préférence sont simples. Premièrement, les

11 témoignages directs de première main sont présentés devant la cour

12 et sous serment et, deuxièmement, l’accusé peut contre-interroger

13 les témoins sur ce qu’ils ont directement vu ou entendu. L’accusé

14 perd cette possibilité dans le cas de preuves par ouï-dire car le

15 témoin qui a rapporté les faits n’est pas présent dans le prétoire.

16 Madame et Messieurs de la Cour, je voudrais citer ici l’article 21

17 4) e) du Statut du Tribunal, reproduit au paragraphe 5 de la requête

18 de la Défense, qui reconnaît à l’accusé le droit d’interroger ou de

19 faire interroger les témoins à charge. Madame et Messieurs de la

20 Cour, pour nous, cela laisse penser que les preuves doivent être de

21 première main.

22 Madame et Messieurs de la Cour, j’ajouterai que les spécificités de

23 ce procès expliquent les inquiétudes que la Défense nourrit quant

24 aux éléments de preuve indirects. Je vous renvoie aux paragraphes 10

25 et 11 de la Requête de la Défense qui évoquent brièvement la

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1 situation dans la région à l’époque, la peur et la confusion qui

2 régnaient parmi les témoins, le temps qui s’est écoulé depuis ces

3 déclarations reposant sur des preuves indirectes et les terribles

4 conflits inter-ethniques.

5 Madame et Messieurs de la Cour, l’Accusation s’est inquiétée de ce

6 que la Chambre de première instance n’aurait pas le pouvoir de faire

7 droit à la Requête de la Défense sans en référer à la Chambre au

8 complet (sic.). Tel n’est pas notre point de vue. La Chambre de

9 première instance a, en vertu des articles 89 C) et 89 D) du

10 Règlement de procédure et de preuve, de larges pouvoirs pour

11 admettre ou exclure tous les éléments de preuve qu’elle juge bon.

12 Aux termes de l’article 89 D) du Règlement, "La Chambre peut exclure

13 tout élément de preuve dont la valeur probante est largement

14 inférieure à l’exigence d’un procès équitable". Madame et Messieurs

15 de la Cour, nous soutenons qu’en règle générale, la valeur des

16 éléments de preuve par ouï-dire est loin de contrebalancer la

17 nécessité d’assurer un procès équitable.

18 Madame et Messieurs de la Cour, en tranchant dans ce sens, vous

19 n’engageriez en rien les Chambres de première instance à l’avenir,

20 mais votre jugement aurait pour elles valeur de précédent. C’est

21 pourquoi, Madame et Messieurs de la Cour, cette Requête part pour

22 l’essentiel de l’idée qu’en règle générale, la preuve indirecte

23 n’est pas digne de foi. Cependant, certains types d’éléments de

24 preuve indirects ont une valeur probante suffisante pour être jugés

25 admissibles et les personnes souhaitant les verser au dossier

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1 doivent en démontrer la valeur probante.

2 Madame et Messieurs de la Cour, la Défense a joint à sa Requête un

3 article extrait d’un ouvrage intitulé "War Crimes in International

4 Law". Cet article, qui traite de la preuve indirecte dans les procès

5 pour crimes de guerre, a été rédigé par Kenneth Mann. Je voudrais

6 attirer votre attention sur deux points de cet article. D’abord, le

7 dernier paragraphe de la page 371 démontre que dans les systèmes où

8 les juridictions ont pouvoir discrétionnaire pour admettre ou

9 rejeter les preuves (et il faut y inclure les systèmes ne prévoyant

10 pas de règle pour la preuve indirecte), les risques de condamnations

11 abusives sont plus grands que dans les systèmes appliquant une règle

12 stricte d’administration de la preuve, où l’Accusation est parfois

13 obligée de ne pas faire usage de certains éléments de preuve qu’elle

14 pense être à charge. Madame et Messieurs de la Cour, passons aux

15 pages 372 à 3 ----

16 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Pourriez-vous répéter, je vous prie ?

17 MADAME DE BERTODANO : Certainement, Monsieur le Juge. En page 371, je peux

18 aussi lire le paragraphe, si vous préférez ? Voilà : "Pour bien

19 démontrer la manière dont les règles relatives aux éléments de

20 preuve indirects influencent la distribution des erreurs, nous

21 pouvons comparer un procès pour meurtre où l’accusation ne peut

22 librement invoquer des éléments de preuve indirects à un autre où

23 elle ne subit pas pareille contrainte. Il est très clair que

24 l’accusation sera amenée dans le premier cas à exclure des éléments

25 de preuve qu’elle considère comme à charge. Par comparaison, le

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1 Procureur qui a pouvoir discrétionnaire ne sera pas ainsi limité ;

2 autrement dit il n’aura pas à exclure autant d’éléments de preuve

3 qu’il considère comme à charge".

4 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Mais, si je puis me permettre, c’est une

5 évidence ; l’un des deux systèmes admet plus d’éléments que l’autre.

6 MADAME DE BERTODANO : Oui, Monsieur le Juge, c’est effectivement un point

7 évident.

8 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Cela ne prouve donc pratiquement rien.

9 MADAME DE BERTODANO : Monsieur le Juge, je me permets d’exprimer

10 respectueusement mon désaccord. Ce que cela démontre c’est que si la

11 preuve indirecte n’est pas exclue, certains éléments de preuve

12 seront retenus contre la Défense, alors qu’ils ne l’auraient pas

13 étés si la preuve indirecte avait été exclue.

14 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Certainement.

15 MADAME DE BERTODANO : Il en découle qu’il doit être vrai que ...

16 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Vrai mais évident.

17 MADAME DE BERTODANO : Si vous le dites, Monsieur le Juge.

18 LE PRÉSIDENT : Il me semble que votre meilleur extrait de cet article se

19 situe à la page suivante ou deux pages plus loin, 373, le dernier

20 paragraphe.

21 MADAME DE BERTODANO : C’est précisément là où je voulais en venir : les

22 systèmes stricts d’administration de la preuve, c’est-à-dire ceux où

23 les règles d’administration de la preuve sont plus restrictives,

24 peuvent mieux contrôler la distribution des erreurs judiciaires que

25 les systèmes ouverts. C’est pourquoi toute restriction quant à

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1 l’administration de la preuve indirecte est plus susceptible de

2 nuire à l’Accusation qu’à la Défense. Madame le Président, l’article

3 conclut que les règles relatives à l’administration des éléments de

4 preuve indirects sont au nombre de ces règles dont on peut attendre

5 moins de condamnations abusives que d’acquittements immérités. C’est

6 ainsi qu’on aboutit à un contrôle des erreurs.

7 LE PRÉSIDENT : Vous n’êtes pas bien sûr sans savoir qu’aux États-Unis,

8 l’article 404 du Règlement de preuve autorise une juridiction à

9 rejeter des éléments de preuve qui pourraient avoir un effet

10 préjudiciable. Si l’effet préjudiciable des preuves l’emporte sur

11 leur pertinence, on peut les exclure. Ainsi, je crois comprendre ce

12 que cet auteur veut dire mais c’est une règle dont il ne tient pas

13 compte et, justement, les États-Unis ont choisi un système strict

14 d’administration de la preuve. De plus, nous avons, dans notre

15 Règlement de procédure et de preuve, une disposition précise,

16 l’article 89 D), qui nous autorise à exclure des éléments de preuve

17 si leur valeur probante est largement inférieure à l’exigence d’un

18 procès équitable -- "procès équitable" et non pas "effet

19 préjudiciable", je répète "procès équitable".

20 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, c’est la raison pour laquelle

21 nous souhaitons déposer cette requête. Nous souhaitons écarter les

22 preuves par ouï-dire avant que la Cour ne les entende. Il n’est pas

23 question de les entendre et d’en apprécier après coup l’effet

24 préjudiciable. Il s’agit de discuter préalablement la question de

25 savoir si la preuve indirecte doit être entendue par le Tribunal,

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1 avant qu’il ne soit décidé en fait qu’elle peut l’être. Ainsi, si

2 l’on décidait qu’il n’y a aucune raison d’admettre les éléments de

3 preuve indirects, ils ne seraient tout simplement pas versés au

4 dossier.

5 LE PRÉSIDENT : Vous n’êtes pas en train de nous dire que tous les éléments

6 de preuve indirects devraient être exclus ? En fait vous souhaitez

7 que tous les éléments de preuve indirects qui ne correspondent pas à

8 l’une des exceptions ---

9 MADAME DE BERTODANO : Oui Madame le Président.

10 LE PRÉSIDENT : --- reconnues par les systèmes issus de la common law ---

11 je ne peux vraiment parler que des États-Unis, où nous avons

12 tellement d’exceptions que les règles n’ont qu’une application des

13 plus limitées-- en tout cas, votre position ne consiste-t-elle pas à

14 dire que si les éléments de preuve indirects ne correspondent pas à

15 l’une de ces exceptions, il faudrait les rejeter car ils auraient un

16 effet préjudiciable ?

17 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président, mais on n’a pas à entendre

18 les preuves par ouï-dire, à prendre connaissance de leur contenu,

19 avant de décider si elles correspondent ou non à l’une des

20 exceptions.

21 LE PRÉSIDENT : Et comment donc ferions nous ça ? Si nous ne savons pas si

22 le témoin va déposer, par exemple, parce qu’il a tenu des propos

23 sous l’emprise d’un choc, d’un état d’excitation -- parce qu’il

24 s’agit de l’une des questions, l’une des deux objections à la preuve

25 par ouï-dire soulevées par la Défense et que nous avons à ce jour

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1 rejetées -- jusqu’à ce que nous l’entendions nous ignorons si nous

2 avons affaire à une exception ; à moins que l’Accusation ne soit

3 tenue de faire une "offre de preuve" (offer of proof) sur ce que

4 dira le témoin, nous ne savons pas si ce témoignage correspondra à

5 l’exception.

6 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, avec tous mes respects,

7 permettez-moi d’exprimer mon désaccord. L’Accusation sait en gros ce

8 que les témoins seront en mesure de révéler ; dans une large mesure,

9 nous savons également ce que les témoins de l’Accusation diront

10 parce que nous disposons de leurs déclarations préalables. Ce que je

11 suggère, c’est que lorsqu’une question mettant en jeu une preuve

12 indirecte est sur le point d’être soulevée, ce qui est évident pour

13 le Procureur qui interroge le témoin, il conviendra de dire :

14 "Madame et Messieurs de la Cour, il s’agit là d’un point touchant à

15 une preuve indirecte. Ce témoin va dire que A lui a dit quelque

16 chose concernant le défendeur dans ces conditions". En fait, vous

17 n’auriez pas à prendre connaissance de la teneur de ce témoignage

18 par ouï-dire pour décider, par exemple s’il s’agissait de propos

19 émis sous l’emprise d’un choc, d’un état d’excitation.

20 Bien sûr, Madame et Messieurs de la Cour, il y aurait des

21 glissements -- il y en a toujours, même dans les systèmes les mieux

22 réglés -- mais il me semble qu’en somme, c’est le meilleur moyen de

23 faire droit aux objections soulevées contre les preuves indirectes.

24 LE PRÉSIDENT : Cependant, même dans les systèmes stricts d’administration

25 de la preuve, les avocats ne dirigent pas les débats. Ce sont les

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1 Juges qui décident de l’admissibilité des éléments de preuve. Il me

2 semble seulement qu’il nous serait très difficile de prendre une

3 telle décision. Je suppose que le Procureur est celui qui sait le

4 mieux ce sur quoi le témoin déposera. La Défense a une bonne idée de

5 la teneur du témoignage grâce aux déclarations préalables qui vous

6 sont communiquées. Mais je comprends votre position.

7 MADAME DE BERTODANO : Oui. Madame le Président, j’ajouterai seulement que

8 si les trois Juges vont de toute façon entendre ces éléments de

9 preuve, notre requête perd tout son sens. Elle vise précisément à

10 exclure l’audition de tels témoignages et non pas simplement à en

11 limiter l’importance.

12 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : J’ai donc raison de penser que si les systèmes

13 stricts ont adopté une telle approche, c’est parce que les jurés

14 seront défavorablement influencés par l’audition de ces témoignages

15 et que cette première impression ne pourra être effacée par la

16 décision qui sera prise ultérieurement de rejeter ces éléments de

17 preuve ; donc, en conséquence, vous auriez une procédure de voir

18 dire ?

19 MADAME DE BERTODANO : Oui, Monsieur le Juge et le jury n’est pas présent

20 lors de l’audition.

21 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Tout cela n’a rien à voir avec la manière dont

22 nous procédons.

23 MADAME DE BERTODANO : Oui, Monsieur le Juge. C’est différent dans la

24 mesure où le procès se déroule devant trois Juges et non pas devant

25 des jurés. Nous avons donc ici un système mixte qui emprunte

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1 certains éléments au système accusatoire, lequel fait généralement

2 intervenir un jury, mais nous avons aussi un procès devant des

3 Juges.

4 LE PRÉSIDENT : Dans vos écritures, vous dites que cependant, même dans les

5 procès qui se déroulent devant des magistrats professionnels, dans

6 les systèmes stricts, sont également exclus les éléments de preuve

7 indirects qui, d’après ce que j’ai compris, ne correspondent pas à

8 l’une des exceptions.

9 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président, dans mon système, dans le

10 cas de procès devant des magistrats ou en appel, les Juges, même

11 s’ils entendent davantage d’éléments de preuve, ne peuvent quand

12 même pas entendre des témoignages indirects.

13 LE PRÉSIDENT : À cette réserve près que dans la pratique, et chacun de

14 nous a été Juge avant de siéger dans ce Tribunal, ou du moins dans

15 mon expérience personnelle, dans la pratique, donc, les règles

16 relatives à l’administration de la preuve indirecte sont, comme

17 d’autres, appliquées avec plus de souplesse car les Juges ont, à la

18 différence des jurés, théoriquement la faculté de parfois écarter ce

19 que le Cardinal pourrait dire, pour faire une allusion à une requête

20 précédemment défendue par Monsieur Kay, je pense. Donc, au moins, il

21 y a cette croyance -- fondée ou non -- que les règles relatives à

22 l’administration de la preuve s’appliquent d’une manière différente

23 quand le procès se tient devant des Juges -- au moins dans le

24 système d’où je suis issue.

25 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président, je suis entièrement

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1 d’accord et c’est pourquoi notre requête propose de reconnaître aux

2 Juges un très large pouvoir discrétionnaire : ils pourraient choisir

3 d’entendre tout élément de preuve indirect à condition d’être

4 assurés de sa fiabilité, comme c’est le cas pour la plupart des

5 exceptions prévues en la matière, soit parce que la personne a tenu

6 les propos sous l’emprise d’un choc ou d’un état d’excitation soit

7 qu’elle était à l’article de la mort. C’est ces points que je

8 suggérais que les Juges pourraient trancher sans avoir à prendre

9 connaissance du contenu de la déclaration elle-même.

10 Mais Madame le Président nous acceptons pleinement le fait que ce

11 n’est pas un procès devant un jury ; c’est la raison pour laquelle

12 nous avons limité notre requête aux éléments de preuve directement

13 en rapport avec la culpabilité de l’Accusé. J’ai encore une fois

14 l’impression, à entendre la réponse de l’Accusation, qu’il y a un

15 malentendu sur ce point. Madame le Président, notre propos était de

16 limiter cette requête aux éléments de preuve qui intéressent

17 directement les charges retenues contre l’accusé. Pour les questions

18 plus vastes du conflit etc..., nous ne cherchons à introduire aucune

19 règle relative à la preuve indirecte.

20 LE PRÉSIDENT : Que voulez-vous dire par là, parce que si vous parlez

21 d’éléments de preuve qui feraient précisément le lien entre l’Accusé

22 et une infraction figurant dans l’acte d’accusation --

23 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président.

24 LE PRÉSIDENT : -- c’est bien ce dont vous parlez ?

25 MADAME DE BERTODANO : Oui

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1 LE PRÉSIDENT : Parce que c’est un tribunal chargé de juger des crimes de

2 guerre, que nous examinerons des affaires impliquant de graves

3 violations du droit international humanitaire, c’est plus que ce

4 qu’offre un classique procès pour meurtre ou vol ou autre, vous

5 savez, il nous en faut plus qu’un simple "J’ai vu le défendeur".

6 Vous devez replacer cela dans le contexte d’un conflit armé --

7 international si vous parlez de l’article 2, infractions graves ;

8 conflit armé si vous parlez des autres articles.

9 Donc, pour que le Procureur puisse établir la culpabilité, il doit

10 faire plus que simplement placer l’accusé sur les lieux du crime ou

11 rapporter la preuve que quelqu’un l’aurait vu commettre

12 l’infraction. L’Accusation doit aller au delà et c’est ce type de

13 preuves que nous entendons. Dieu merci, nous en avons fini avec les

14 témoignages des experts du conflit en général --

15 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, c’est pourquoi nous soulevons -

16 -

17 LE PRÉSIDENT : -- mais nous en sommes encore au chef d’accusation n° 1,

18 persécutions, et il y un certain nombre de points que le Procureur

19 essaye d’établir, une multiplicité d’actes dirigés contre des

20 groupes religieux ou politiques particuliers. Cela concerne la

21 culpabilité de l’accusé ; cela ne le rend certainement pas coupable

22 s’il n’y a pas cet autre élément.

23 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, dans ce cas j’ai mal formulé ma

24 requête. Mon intention était d’en limiter la portée à la question de

25 savoir si l’Accusé avait lui-même participé aux crimes. Ainsi, nous

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1 n’avons rien trouvé à objecter à l’administration de la preuve par

2 ouï-dire pendant les semaines consacrées à la mise en perspective et

3 à la nature historique du conflit. Nous ne nous soucions pas du

4 préjudice qui pourrait résulter de la discussion des questions les

5 plus générales, mais du tort que des personnes pourraient faire à

6 l’accusé en évoquant sa participation. Parce que, Madame le

7 Président, lorsqu’il s’agit d’éléments de preuve indirects, nous ne

8 sommes pas en mesure d’interroger le témoin qui a dit que le

9 défendeur était présent, si ce témoignage nous est rapporté par une

10 tierce personne.

11 Nous ne connaissons pas les motifs qui ont poussé le témoin qui

12 déclare que le défendeur était présent mais dans ce genre de

13 situations, qui peut être exceptionnel vu l’intensité des haines

14 inter-ethniques, nous ne voudrions pas, à moins d’une très bonne

15 raison, que l’Accusé soit victime des préjugés d’autres personnes

16 qui ne sont pas là pour témoigner.

17 LE PRÉSIDENT : Pourriez-vous nous fournir une liste d’exceptions qui

18 seraient à vos yeux justifiées ?

19 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, non, nous ne voulions pas

20 précisément imposer à nos Juges des limitations lorsqu’ils

21 décideraient quelles exceptions ils considèrent comme appropriées eu

22 égard à certaines règles nationales. Il peut y avoir de nombreuses

23 raisons pour lesquelles les Juges peuvent considérer qu’il convient

24 d’entendre un élément de preuve indirect particulier et nous ne

25 souhaitons pas anticiper ces situations.

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1 LE PRÉSIDENT : Comment cela devrait-il fonctionner ? Reprenons, le

2 Procureur propose un témoin et, sur la base des déclarations

3 préalables que vous avez reçues concernant ce témoin, vous dites

4 "l’élément de preuve que le Procureur s’apprête à présenter relève

5 du ouï-dire " et, si je comprends bien vos écritures, cela ne

6 correspond à aucune des exceptions généralement reconnues qui

7 permettraient de retenir ce témoignage parce qu’il est digne de foi

8 et fiable et alors, nous pourrions-vous dire "Bien, à quelle

9 exception pensez-vous lorsque vous dites que cela ne correspond à

10 aucune des exceptions" Est-ce que vous comprenez ma question ?

11 MADAME DE BERTODANO : Je crois comprendre votre question et je pense

12 pouvoir y répondre de la manière suivante : nous ne formulerions pas

13 d’objections en nous appuyant sur un ensemble déterminé

14 d’exceptions. Il se pourrait que se présentent des exceptions bien

15 connues dans certains systèmes, telles que les propos tenus sous

16 l’emprise d’un choc ou d’un état d’excitation. Dans ce cas, la Cour

17 pourrait utiliser ce motif pour entendre ces éléments de preuve.

18 Mais s’il y avait une autre raison, qui n’apparaît dans aucun

19 système mais qui donne à penser à la Cour que l’élément de preuve

20 indirect en question est plus digne de foi que les habituels

21 témoignages par ouï-dire, nous ne souhaitons en aucun cas limiter la

22 marge de manoeuvre de la Cour et l’empêcher de l’admettre.

23 LE PRÉSIDENT : Très bien. Les États-Unis prévoient 24 exceptions et je ne

24 suis pas sûre de ce qu’il en est en Australie et en Malaisie mais

25 souvenez-vous que nous sommes une Chambre de première instance qui

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1 fonctionne conformément au Règlement adopté par le Tribunal,

2 Règlement qui régit le fonctionnement de l’autre Chambre de première

3 instance et de la Chambre d’appel. Vous suggérez donc que nous nous

4 réunissions à trois pour examiner nos systèmes et voir si l’un

5 d’entre eux est reconnu ?

6 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, je ne vois aucune raison de le

7 faire en prévision des questions qui pourraient se poser. À mon

8 avis, Madame le Président, cela se produira lorsque ces questions se

9 poseront et qu’il y aura une tentative de présenter à la Cour des

10 éléments de preuve indirects. Il me semble que cela serait le plus

11 simple pour régler la question.

12 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Puis-je revenir sur cette question ? Si nous

13 faisions droit à votre requête, comment, à votre avis, devrions-nous

14 interpréter l’article 89 D) ? Si nous excluions des preuves, comment

15 cela se passerait-il après ?

16 MADAME DE BERTODANO : Monsieur le Juge, nous ne cherchons pas à modifier

17 le Règlement.

18 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Exactement. Il me semble que la situation est

19 bien celle que vous souhaitez, si vous lisez et comprenez l’article

20 89 D), qui affirme qu’il faut exclure les éléments de preuve dont la

21 valeur probante est largement inférieure à l’exigence d’un procès

22 équitable. Je pense que vous avez commencé par dire que ce qui

23 change réellement , c’est à qui revient la charge de la preuve.

24 C’est ce que je voudrais que vous m’expliquiez.

25 MADAME DE BERTODANO : Oui, Monsieur le Juge. Ce que j’ai dit, c’est que

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1 nous pourrions l’interpréter comme signifiant que la valeur probante

2 des éléments de preuve indirects est en général largement inférieure

3 à l’exigence d’un procès équitable. Cependant, il peut y avoir des

4 cas où il est souhaitable d’admettre des éléments de preuve

5 indirects et ces cas constitueraient les exceptions. Mais, Monsieur

6 le Juge, je ne pense pas que cela entraîne une quelconque

7 modification du Règlement. En termes de procédure, le changement

8 consisterait en ce que dès qu’un témoignage par ouï-dire est sur le

9 point d’être présenté, la question serait automatiquement soulevée.

10 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Oui, donc le fait qu’à un moment vous vous

11 leviez et disiez "un témoignage par ouï-dire est sur le point d’être

12 présenté et nous le savons parce que nous disposons de la

13 déclaration préalable du témoin" signifierait qu’à ce stade vous

14 souhaitez, sans que les éléments de preuve aient été entendus, que

15 les trois Juges déterminent si l’exigence d’un procès équitable

16 l’emporte largement sur la valeur probante ?

17 MADAME DE BERTODANO : Oui Monsieur le Juge, parce qu’en général, la raison

18 pour laquelle la preuve par ouï-dire relève de l’une des exceptions

19 n’a rien avoir avec la teneur même de la déclaration, si bien que ce

20 qui changerait vraiment, c’est que nous n’aurions plus à attendre

21 que la déclaration soit faite avant de formuler notre objection.

22 Nous disposerions automatiquement d’une règle qui exclurait les

23 éléments de preuve indirects, sauf s’il y a une raison de les

24 admettre, plutôt que l’inverse.

25 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : À coup sûr, la difficulté est bien celle

Page 3677

1 relevée par Madame le Président : comment arriver à une conclusion

2 dans cet exercice de comparaison sans même entendre l’élément de

3 preuve ? Vous sauriez ce dont il s’agit, comme, bien sûr,

4 l’Accusation ; mais nous resterions dans l’ignorance parce que nous

5 ne l’aurions pas entendu et qu’il n’y a pas de procédure de voir

6 dire.

7 MADAME DE BERTODANO : Monsieur le Juge, il serait certainement possible de

8 vous expliquer les circonstances ---

9 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Une description.

10 MADAME DE BERTODANO : -- dans lesquelles cet élément de preuve indirect a

11 été entendu, sans vous communiquer la teneur même de la déclaration.

12 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Il ne me semble pas que votre requête

13 changerait quoi que ce soit, parce que c’est la situation qui se

14 présenterait si vous formuliez une objection en cas de préjudice

15 particulièrement manifeste et en l’absence de valeur probante

16 véritable.

17 MADAME DE BERTODANO : Je pense, Monsieur le Juge, que le changement

18 consisterait en ce que l’objection serait automatique et il

19 s’ensuivrait automatiquement que l’élément de preuve indirect ne

20 serait pas entendu, le temps de décider s’il y a de bonnes raisons

21 de l’entendre. Mais, Monsieur le Juge, vous avez raison dans la

22 mesure où cela n’affecte en rien votre pouvoir discrétionnaire. Vous

23 pouvez décider d’entendre ou de ne pas entendre ce que vous voulez

24 et nous n’essayons en aucun cas de limiter ce pouvoir

25 discrétionnaire --

Page 3678

1 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Vous m’en voyez touché.

2 MADAME DE BERTODANO : -- et à juste titre d’ailleurs.

3 LE PRÉSIDENT : Laissez moi vous faire part de quelque chose, si je puis me

4 permettre, qui a rapport à l’adoption du Règlement : les Juges ont

5 rédigé le Règlement et nous l’avons fait ensemble, nous juges de la

6 common law ou de tradition civiliste, tentant, comme nous l’avons

7 dit, de prendre le meilleur de chacun des deux systèmes tout en

8 adoptant le système le plus adapté à ce Tribunal si particulier.

9 C’est le premier de ce genre et nous souhaitions un Règlement

10 spécifique à ce genre de tribunal.

11 Lors de ces discussions, l’un des Juges a déclaré qu’en principe,

12 d’après cet article tout serait admissible. Je voudrais vous

13 rapporter ce que j’ai dit alors, parce que je ne pense pas que notre

14 position soit tellement éloignée de la vôtre. J’ai dit que toutes

15 les déclarations hors audience ne devraient pas être automatiquement

16 admissibles ; j’ai demandé ce que voulait dire le terme "probante"

17 et s’il recouvrait des notions comme celles de la crédibilité, du

18 caractère volontaire et de la fiabilité. Tous les Juges ont conclu

19 que c’était effectivement le cas.

20 Ainsi, lorsque nous avons inséré le terme "probante" à cet endroit

21 là, les Juges s’accordaient à penser que tout ce qu’il avait

22 d’implicite, les notions de crédibilité, de caractère volontaire et

23 de fiabilité, nous permettrait d’admettre tout élément de preuve

24 pertinent qui avait une valeur probante ; ainsi la valeur probante

25 d’un élément de preuve s’apprécie compte tenu de sa crédibilité, de

Page 3679

1 son caractère volontaire et de sa fiabilité.

2 Il me semble que cela vous amène là où vous vouliez en venir, à

3 cette réserve près que cela ne permettrait pas d’exclure

4 automatiquement tous les éléments de preuve indirects qui ne

5 correspondraient pas à l’une des exceptions reconnue par cette

6 Chambre ou par les systèmes issus de la common law en général. Cela

7 ne va pas si loin mais cela vous laisse une certaine latitude, dans

8 la mesure où si nous considérons que l’élément de preuve n’est pas

9 crédible ou n’est pas fiable, il n’aura pas de valeur probante. Mais

10 pour en revenir à ce que disait Monsieur le Juge Stephen, je ne vois

11 pas comment nous pourrions nous prononcer sans avoir entendu le

12 témoignage en question.

13 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président. Pour nous, il s’agit d’un

14 point crucial et c’est pourquoi nous demandons un certain

15 automatisme et l’obligation, pour ceux qui souhaitent faire admettre

16 au dossier des éléments de preuve indirects, de donner de bonnes

17 raisons pour cela, parce que nous pensons qu’il est fondamental que

18 la Chambre de première instance n’entende pas des témoignages qui ne

19 sont pas dignes de foi.

20 Madame le Président, cela nous ramène à une question qui a souvent

21 été soulevée à savoir celle de la justice telle qu’elle apparaît par

22 opposition à la justice effectivement rendue. Madame le Président,

23 je rappellerai que nous sommes tout à ait conscients qu’il s’agit

24 d’un procès devant des Juges, mais les procès devant les Juges

25 soulèvent des problèmes que l’on ne rencontre pas dans les procès

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1 devant un jury. L’un de ces problèmes est que le tribunal du droit

2 est en même temps celui des faits. Ainsi, la personne qui décide si

3 un élément de preuve sera admis ou non est la même qui l’appréciera

4 ensuite.

5 LE PRÉSIDENT : Sauf que dans les systèmes de tradition civiliste - et il

6 faut savoir qu’il y existe des systèmes totalements différent de

7 celui de la common law - nous nous réclamons de la common law mais

8 il y a tout un autre monde, celui des systèmes civilistes et parmi

9 nous, il y a des juges qui en sont issus, comme Monsieur le Juge

10 Jorda qui préside l’autre Chambre de première instance. Je ne me

11 permettrai jamais de suggérer à Monsieur le Juge Jorda que justice

12 n’est pas rendue ou ne semble pas être rendue dans son système parce

13 que dans un tel système, nous n’aurions pas pareille discussion sur

14 l’admissibilité des éléments de preuve indirects, la question s’y

15 règlant de façon routinière. Ils ne comprennent même pas notre

16 approche en ce domaine. Ils croient sincèrement que leur système est

17 meilleur, qu’il y a là recherche de la vérité, de la vérité des

18 faits, par opposition à la vérité du procès, comme ils disent en

19 parlant des systèmes de la common law -- mais peut-être ne devrais-

20 je pas aller si loin car je ne suis pas une juriste issue de cette

21 tradition civiliste.

22 MADAME DE BERTODANO : Mais, Madame le Président, ces systèmes de tradition

23 civiliste sont des systèmes inquisitoriaux et non pas accusatoires

24 comme le nôtre. Dans un système où les témoins subissent un contre-

25 interrogatoire lors des audiences, il me semble qu’il est plus

Page 3681

1 nécessaire d’avoir un Règlement qui exclut certains types d’éléments

2 de preuve non fiables que dans les systèmes où les éléments de

3 preuve sont de nature essentiellement documentaire.

4 LE PRÉSIDENT : Ils sont essentiellement documentaires mais basés sur le

5 travail préalable du magistrat instructeur, qui recueille les

6 déclarations, prépare le dossier, le remet aux deux conseils, mais

7 tous les trois nous avons vu un système de tradition civiliste et

8 nous y avons vu beaucoup de contre-interrogatoires conduits par le

9 Juge.

10 MADAME DE BERTODANO : Oui Madame le Président.

11 LE PRÉSIDENT : Il y a donc là tout un système très différent, mais soit.

12 Vous voulez que nous adoptions le système de la common law dans

13 cette Chambre et, si je vous comprends bien, dans tout le Tribunal,

14 dans un souci de justice et d’apparence de justice.

15 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, nous ne parlons que de ce

16 procès-ci. Que le système de la common law soit adopté ou non par

17 l’autre Chambre de première instance, peu nous importe.

18 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Pourrais-je vous poser une question ? Ne

19 demandez-vous pas simplement que lorsque l’Accusation propose un

20 élément de preuve dont vous pensez qu’il est indirect, vous puissiez

21 alors vous lever et dire "un élément de preuve indirect est sur le

22 point d’être révélé et sa nature est largement inférieure à

23 l’exigence d’un procès équitable, c’est pourquoi la Chambre ne

24 devrait pas l’entendre" ; après quoi vous décrivez cette preuve et

25 demandez à la Chambre de décider ? C’est bien tout ce que vous

Page 3682

1 demandez, n’est-ce pas ?

2 MADAME DE BERTODANO : Oui, Monsieur le Juge, à cette nuance près que nous

3 inversons les rôles : ce n’est pas à nous de dire, de donner les

4 raisons pour lesquelles sa nature dépasse l’exigence d’un procès

5 équitable. C’est à ceux qui veulent faire admettre l’élément de

6 preuve de donner les raisons pour lesquelles il devrait l’être et

7 c’est là une différence essentielle.

8 Monsieur le Juge, je peux faire certaines remarques sur les pièces

9 présentées par l’Accusation, si cela peut être d’une quelconque

10 aide, avant que l’Accusation ne présente sa requête ou je peux

11 laisser çà pour plus tard.

12 LE PRÉSIDENT : Permettez-moi d’abord d’exposer clairement votre position.

13 Dans vos écritures, vous avez utilisé l’expression "procès

14 équitable", ou plutôt "effet préjudiciable" -- je vais essayer de la

15 retrouver. Second point de la requête : vous demandez que le

16 Tribunal ait le pouvoir d’entendre tout élément de preuve exclu en

17 vertu du point 1), s’il considère que sa valeur probante est

18 l’emporte sur son effet préjudiciable. Vous avez en quelque sorte

19 réécrit notre article 89 C) (sic), lequel dispose que "La Chambre

20 peut exclure tout élément de preuve dont la valeur probante est

21 largement inférieure à l’exigence d’un procès équitable". S’agit-il

22 d’une différence significative ou est-ce que je me trompe dans mon

23 interprétation ?

24 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, il y a reformulation car on

25 part de l’idée que la preuve indirecte a en soi un effet

Page 3683

1 préjudiciable. S’il peut sembler préférable de remplacer le mot

2 "largement" -- cela ne peut pas être fait facilement ; cette

3 substitution de mots, l’"effet préjudiciable", me semblait faire

4 ressortir le problème que soulevait la preuve par ouï-dire, à savoir

5 qu’elle a effectivement un effet préjudiciable, qu’elle constitue

6 une preuve de qualité moindre. Le principal effet de notre point 2

7 de reformuler les règles relatives à l’administration de la preuve

8 indirecte.

9 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : L’article 89 C) ?

10 MADAME DE BERTODANO : Cela ne change rien à l’article lui-même mais

11 modifie la manière dont on considère la preuve indirecte.

12 LE PRÉSIDENT : Madame de Bertodano, avez-vous autre chose à nous soumettre

13 ?

14 MADAME DE BERTODANO : Non, Madame le Président. Mes autres remarques se

15 rapportaient à la réponse de l’Accusation et il se pourrait que vous

16 préfériez entendre d’abord l’Accusation.

17 LE PRÉSIDENT : C’est ce que nous allons faire. Nous écouterons

18 l’Accusation et vous pourrez alors répondre ou ajouter quelque

19 chose. Oui, l’Accusation, s’il vous plaît.

20 MADAME HOLLIS : Merci, Madame le Président. Madame et Messieurs de la

21 Cour, nous avons indiqué dans notre réponse à cette requête que nous

22 considérons que fondamentalement, ce dont il s’agit ici, c’est de

23 l’adoption d’un nouvel article et d’une modification importante d’un

24 article existant Nous soutenons que le Règlement actuellement en

25 vigueur est amplement de nature à assurer à cet Accusé un procès

Page 3684

1 équitable et qu’il a en fait été spécialement conçu pour ce Tribunal

2 où des Juges expérimentés entendent les éléments de preuve.

3 Les règlements de procédure et de preuve sont toujours dans une

4 large mesure une affaire de politique et d’équilibre. À moins d’être

5 à l’une des deux extrémités du spectre, l’une consistant à rejeter

6 tous les éléments de preuve et l’autre à refuser à l’accusé le droit

7 à un procès équitable, le point d’équilibre dépend en grande partie

8 du contexte dans lequel le procès se tient et des réponses à

9 certaines questions de politique.

10 Évidemment, chaque juridiction interne détermine comment arbitrer

11 entre ces intérêts divergents. Dans ce Tribunal -- et vous, les

12 Juges, le savez bien mieux que l’Accusation ou la Défense --

13 manifestement, ces Juges, tous les Juges ont décidé où devait se

14 situer le point d’équilibre. Les arbitrages opérés privilégient

15 l’admissibilité des preuves, compte tenu de la présomption qui est

16 toujours faite à propos des juges, à savoir qu’ils connaissent le

17 droit, qu’ils l’appliquent et qu’il sont capables, quand il le faut,

18 d’entendre des éléments de preuve pour ensuite les exclure ou

19 déterminer quelle importance il convient de leur accorder.

20 LE PRÉSIDENT : Avec tous le respect que je dois à cet argument et à mes

21 collègues Juges, je me demande si on ne prête peut-être pas aux

22 Juges un petit peu trop de -- comment dirai-je -- sagesse. C’est

23 certainement ce que l’on entend dire mais vous savez, les juges sont

24 des hommes et nous sommes des hommes également. Nous avons chacun

25 notre expérience personnelle et notre manière de voir les choses.

Page 3685

1 Mais j’entends cela très souvent et je suppose que c’est ce qui est

2 communément admis ; alors nous nous y tiendrons.

3 MADAME HOLLIS : Madame le Président, c’est effectivement communément

4 admis, même si chaque personne dans cette pièce a pu, parfois, avoir

5 l’occasion d’en douter. Je dis cela avec tout le respect que je vous

6 dois. Cependant, le fait est que oui, vous êtes des êtres humains

7 mais toute justice pénale est rendue par des êtres humains. Il a été

8 démontré que les Juges étaient particulièrement qualifiés pour être

9 capables de mettre de côté les passions et les préjugés et de réagir

10 aussi objectivement qu’humainement possible en matière de preuve. Je

11 crois que c’est pour cela que cet équilibre existe. Ici, le point

12 d’équilibre se situe clairement du côté de l’admissibilité.

13 Ce que la Défense vous propose serait à bien des égards bien plus

14 restrictif que certains systèmes nationaux (qui ont des règles très

15 strictes). Par exemple, dans les systèmes stricts d’administration

16 de la preuve, il existe une règle excluant la preuve indirecte, mais

17 elle comporte de très nombreuses exceptions. Si un élément de preuve

18 indirect relève de l’une des exceptions, il n’est pas besoin de

19 procéder à la comparaison que la Défense estime être indispensable

20 avant d’admettre une preuve indirecte. Si bien que cela est plus

21 restrictif.

22 La Défense dit que vous ne devriez même pas entendre la preuve que

23 vous êtes supposés exclure. Je n’ai connaissance d’aucun système

24 strict où les juges se voient refuser le droit d’entendre un élément

25 de preuve contesté, même lorsqu’il s’agit d’un procès devant un juge

Page 3686

1 unique, système dans lequel ils ne doivent donc pas l’examiner s’ils

2 l’excluent. La Défense s’éloigne réellement beaucoup de ce que les

3 Juges ont considéré comme bon pour ce Tribunal et se montre à bien

4 des égards bien plus restrictive qu’un système strict ne le serait

5 en matière de recevabilité d’éléments de preuve.

6 Quant à la question de la spécificité de ce procès, nous soutenons

7 que les inquiétudes mises en avant dans les paragraphes 10 et 11

8 sont des inquiétudes auxquelles les Chambres de première instance

9 seront confrontées à l’occasion de toutes les affaires dont elles

10 connaîtront ici, si bien qu’il n’y a là rien d’exceptionnel. Ce qui

11 est quelque peu déroutant dans cet exercice auquel il faut se

12 livrer, c’est que si vous adoptez cette règle qui est en elle-même

13 une règle d’exclusion de la preuve indirecte, sans l’assortir

14 d’exceptions (ce qui n’est pas le cas dans la plupart des systèmes

15 qui préfèrent des exceptions précises), donc si vous adoptez cette

16 règle d’exclusion, alors la Défense dira "Bien, l’Accusation et la

17 Défense peuvent discuter ensemble et décider quel élément de preuve

18 indirect vous sera quand même soumis", ce qui constituera, bien sûr,

19 une violation de la règle proprement dite d’exclusion. Mais puisque

20 la Défense ne s’y opposerait pas, l’élément serait admis. La manière

21 dont cela fonctionnerait est donc un petit peu déroutante.

22 Il est à prévoir que si cette règle était adoptée, les deux Chambres

23 de première instance seraient alors tenues de s’accorder sur les

24 exceptions éventuelles aux règles d’administration de la preuve

25 indirecte. Nous soutenons que dans ce contexte, ce serait réellement

Page 3687

1 un gaspillage de temps et de ressources pour le Tribunal.

2 À cet égard, dans la mesure où la Défense a avancé que, même en tant

3 que Juges, vous ne devriez pas entendre ces éléments de preuve, dont

4 vous auriez eu connaissance dans des systèmes stricts, mais que vous

5 ne devriez pas entendre parce qu’ils auraient un effet préjudiciable

6 et pourraient conduire à plus de condamnations que d’acquittements,

7 il est intéressant de remarquer que dans l’espèce sur laquelle se

8 basait l’article cité par la Défense, à savoir l’affaire Demjanjuk,

9 cet argument a été finalement écarté et des éléments de preuve

10 indirects ont été admis en appel. Ainsi, la première condamnation a

11 été annulée grâce à des éléments de preuve indirects.

12 LE PRÉSIDENT : Si je comprends bien cet article, l’auteur propose qu’il y

13 ait un système strict mais qu’il ne fonctionne pas de la même

14 manière pour la Défense et l’Accusation ; mais vous avez raison : en

15 appel, ils ont certainement appliqué le système discrétionnaire

16 parce que l’espèce ne correspondait à aucune exception.

17 MADAME HOLLIS : C’est exact. En fait, ils ont entériné les preuves

18 indirectes admises au dossier lors du procès, mais ils ont dit : "À

19 cause de ces preuves indirectes supplémentaires qui nous ont été

20 communiquées, nous avons conclu à un doute raisonnable et nous

21 devons revenir sur la condamnation".

22 Donc, ils n’ont pas dit en l’espèce que la preuve par ouï-dire

23 n’était pas valable ; en fait, ils ont utilisé la preuve par ouï-

24 dire pour revenir sur la condamnation précédente, à juste titre

25 d’ailleurs, mais on en déduit que même dans des systèmes stricts ---

Page 3688

1 -

2 LE PRÉSIDENT : Cependant, la raison en était qu’ils appliquaient un

3 système différent à l’accusé -- je me suis peut-être mal exprimée

4 lorsque j’ai dit "strict pour l’Accusation" -- strict pour l’accusé

5 mais appliqué différemment ; est-ce que la conclusion de l’auteur

6 n’était pas finalement que la décision était justifiée parce qu’il

7 devrait y avoir un système différent pour la Défense ?

8 MADAME HOLLIS : Je pense que cet auteur utilise cette affaire pour

9 démontrer les dangers des éléments de preuve indirects. S’agissant

10 de la question de savoir s’il devrait y avoir un système différent

11 pour la Défense et l’Accusation, je suggérerai que le règlement de

12 procédure et de preuve utilisé pour déterminer la fiabilité et la

13 valeur probante des éléments de preuve soit le même pour tous car,

14 en dernier ressort, la véritable question est : les éléments de

15 preuve qui vous sont présentés, qu’ils proviennent de l’Accusation

16 ou de la Défense, sont-ils suffisamment dignes de foi pour être pris

17 en compte pour trancher la question posée, quelle qu’elle soit ?

18 C’est pourquoi je soutiens qu’il ne devrait pas y avoir de

19 différence de traitement, selon qu’il s’agit de l’Accusation ou de

20 la Défense.

21 LE PRÉSIDENT : Voyez-vous, l’auteur affirme ;" Si les procès pour crimes

22 de guerre doivent créer une barrière solide et systématique contre

23 les condamnations abusives, alors le tribunal des crimes de guerre

24 devrait choisir un système de règles strictes, aussi bien pour

25 l’accusation que pour la défense, mais ces règles devraient être des

Page 3689

1 règles asymétriques qui premettraient à la défense de présenter au

2 Tribunal des éléments de preuve indirects que l’accusation n’aurait

3 pas le droit de présenter. Une règle proposée en ce domaine

4 disposerait que la preuve indirecte n’est admissible venant de

5 l’accusation dans les procès pour crimes de guerre que si elle

6 correspond à l’une des exceptions applicables aux règles d’exclusion

7 des classiques procès pénaux d’une juridiction nationale dont relève

8 la Cour", en l’occurrence Israël et, bien sûr, nous savons qu’en

9 Israël, pour les crimes ordinaires, ils n’appliquaient pas ces

10 règles -- même s’ils appliquent des règles d’exclusion, ils ne l’ont

11 pas fait lors des procès devant le tribunal des crimes de guerre, ce

12 qui ne correspond pas à notre situation.

13 L’auteur poursuit ainsi : "Par contre, la défense peut présenter des

14 preuves indirectes qui peuvent faire naître un doute raisonnable

15 quant aux conclusions de l’enquêteur sur la culpabilité de l’accusé,

16 même si ces preuves ne correspondent à aucune des exceptions

17 communément admises en pareil cas". Je ne sais pas mais j’ai du mal

18 à comprendre ce passage.

19 MADAME HOLLIS : J’ai du mal aussi. Je suggérerai que le critère ultime, en

20 particulier aux États-Unis avec l’exception générale, ils disent :

21 "même s’il ne s’agit pas d’une exception bien établie à la règle

22 relative à la preuve indirecte, nous savons que le droit évolue,

23 donc si vous pouvez établir des indices suffisants de crédibilité,

24 nous l’admettrons". Je suggérerai que cette règle, si elle existe,

25 s’applique aussi bien à l’Accusation qu’à la Défense, parce que

Page 3690

1 l’accusé n’a pas le droit de fournir des éléments de preuve non

2 fiables, non probants à la Cour. Il ne s’agit pas là d’un droit

3 fondamental de l’accusé.

4 Ainsi, lorsque l’on parle de ce qui est admissible, le principe de

5 base est que la règle doit s’appliquer de la même manière. Ce que la

6 Défense tente de faire en mettant en avant ses règles, c’est ---

7 LE PRÉSIDENT : La Défense soutient qu’elle ne devrait pas s’appliquer de

8 la même manière parce que vous avez la charge de la preuve.

9 MADAME HOLLIS : Bien sûr cette charge nous incombe.

10 LE PRÉSIDENT : Et nous devons vous en laisser la responsabilité.

11 MADAME HOLLIS : À juste titre. Mais lorsqu’il s’agit de savoir quelles

12 preuves sont admises, le principe général, c’est que, à notre avis,

13 la Cour devrait avoir connaissance des éléments de preuve probants

14 et, comme vous l’avez souligné, les preuves ayant valeur probante,

15 il en a un large éventail mais, en règle générale, elles doivent

16 être suffisamment dignes de foi, volontaires et crédibles. Peu

17 importe la partie qui présente à la Cour des preuves insuffisamment

18 dignes de foi, volontaires et crédibles : elles doivent être exclues

19 parce qu’elles n’aident personne.

20 Donc, les conditions d’admissibilité ne doivent pas varier selon

21 qu’il s’agit de l’accusé ou de l’Accusation. L’accusé n’a pas le

22 droit de vous présenter un faux témoignage. Il n’a pas le droit de

23 vous présenter un témoignage qui ne serait pas digne de foi

24 simplement parce que c’est la Défense. C’est une question qui n’a

25 rien à voir avec le fait que la charge de la preuve nous incombe. La

Page 3691

1 Défense dit que son deuxième point ne constitue pas une solution

2 alternative mais son premier point a tout simplement pour but

3 d’exclure toutes les preuves indirectes. Ils ne disent nulle part

4 dans cette première règle "à moins que les deux parties ne

5 conviennent que l’élément de preuve correspond à l’une des

6 exceptions". Il semble donc que si vous adoptez cette première

7 règle, vous n’en arriverez jamais à l’exercice de comparaison, parce

8 que dès qu’il y a présomption de ouï-dire, l’élément de preuve est

9 totalement rejeté.

10 Même à supposer que d’une certaine manière ils précisent que si les

11 éléments de preuve relèvent d’une exception reconnue, ils sont

12 admissibles, le second point qu’ils vous proposent, leur deuxième

13 requête, modifie substantiellement l’article 89 D), et ce d’une

14 double façon ainsi qu’il a été dit.

15 De manière très appropriée, l’article 89 D) fixe les règles

16 d’admissibilité, car ceux qui reçoivent les éléments de preuve, ce

17 sont vous, les Juges. Il privilégie donc l’admissibilité. C’est à

18 celui qui s’oppose à l’admission des éléments de preuve d’établir

19 pourquoi ils ne devraient pas être admis. La règle proposée par la

20 Défense impose au partisan de l’admission de justifier sa position.

21 C’est là un changement de taille.

22 La règle en est significativement modifiée. Nous espérons bien

23 évidemment que tous les éléments de preuve que nous présentons,

24 s’ils sont pertinents et ont une valeur probante, auront un effet

25 préjudiciable, c’est-à-dire qu’ils permettront de prouver au delà de

Page 3692

1 tout doute raisonnable que l’accusé est coupable. Ce n’est pas là le

2 critère retenu dans l’article 89 D). Aux termes de cet article, la

3 Défense doit, pour obtenir l’exclusion d’éléments de preuve,

4 démontrer qu’il y va de l’équité du procès-- un idéal bien plus

5 élevé -- la nécessité d’assurer un procès équitable l’emportant de

6 loin sur la valeur des éléments de preuve dont l’admissibilité est

7 en cause. La Défense ne fait pas que renverser la charge de la

8 preuve, elle change très substantiellement les critères.

9 Madame et Messieurs de la Cour, ce que nous soutenons, c’est que le

10 Règlement, dans sa forme actuelle, permet à ce Tribunal de recevoir

11 un grand nombre de preuves et s’en remet à la formation, à

12 l’expérience et au professionnalisme des Juges pour déterminer le

13 poids à accorder à ces éléments de preuve. Si la Défense faisait la

14 démonstration que la valeur d’un élément de preuve est largement

15 inférieure à l’exigence d’un procès équitable, l’article 89 D)

16 permettrait à ce Tribunal d’exclure l’élément de preuve en question,

17 le postulat étant qu’à partir du moment où il est exclu, la Cour

18 n’en tiendra pas compte.

19 Cette approche recoupe celle des systèmes stricts. En un sens, nous

20 avons ici un système quelque peu strict, parce qu’il existe des

21 limitations, notamment l’article 89 D), mais du fait du contexte

22 dans lequel ces procès se déroulent, il s’agit d’une limitation qui

23 joue en faveur de l’admissibilité. Les inquiétudes que la Défense

24 exprime même aux paragraphes 10 et 11 sont au nombre des problèmes

25 qu’elle peut soulever au stade du contre-interrogatoire. Elle peut

Page 3693

1 poser des questions qui démontreront à la Chambre -- si la Chambre

2 autorise ces questions et les réponses montreront à la Chambre

3 qu’elle devrait accorder peu de poids aux éléments de preuve

4 présentés ou bien elle peut exciper de l’article 89 D) et demander à

5 la Chambre d’exclure les éléments de preuve. Mais la règle

6 privilégiant l’admissibilité convient tout à fait à ce contexte.

7 Elle convient à ces procès. Nous vous demandons donc de rejeter la

8 requête de la Défense.

9 LE PRÉSIDENT : Avez-vous quelque chose à répondre, Madame de Bertodano ?

10 MADAME DE BERTODANO : Très rapidement, Madame le Président. Je ne

11 comprends pas l’interprétation de la requête selon laquelle le point

12 1) impliquerait une exclusion totale. Je pensais que la réserve

13 introduite par le point 2) était explicite. Il me semblait avoir

14 traité ce point lors de mon exposé. Madame et Messieurs de la Cour,

15 ce procès n’est peut-être pas unique en son genre si l’on considère

16 les procès pour crimes de guerre. Il s’agit néanmoins d’une

17 situation extrêmement inhabituelle par rapport au déroulement normal

18 des procès au pénal. Les problèmes que cela soulève et que nous

19 avons indiqués dans notre exposé ne peuvent être résolus lors d’un

20 contre-interrogatoire, parce que nous traitons de preuves

21 indirectes. C’est là où le bât blesse. En matière de preuve

22 indirecte, nous n’avons pas la possibilité de soumettre à un contre-

23 interrogatoire la personne qui a fait la déclaration initiale.

24 Madame et Messieurs de la Cour, pour les raisons que je vous ai

25 exposées, je dirai que nous ne modifions pas les critères de façon

Page 3694

1 significative. Je pense avoir déjà traité cette question

2 suffisamment en détail pour ne pas avoir à y revenir.

3 Madame le Président, je terminerai en disant que nous cherchons à

4 obtenir un procès qui repose sur les meilleurs éléments de preuve

5 possibles, afin qu’il ne soit pas possible d’insinuer que le procès

6 reposerait plus sur des rumeurs que sur des preuves. La plupart des

7 systèmes acceptent que des éléments de preuve puissent, tout en

8 étant pertinents et probants, être inadmissibles pour des raisons

9 évidentes. C’est pourquoi nous vous demandons de faire droit à notre

10 requête.

11 LE PRÉSIDENT : L’article que vous nous avez communiqué traite d’un

12 tribunal pour crimes de guerre où les éléments de preuve reçus

13 dataient d’une quarantaine d’années, il me semble ---

14 MADAME DE BERTODANO : Oui.

15 LE PRÉSIDENT : -- c’est la date approximative. Bien sûr, l’auteur s’y

16 inquiète des défaillances de la mémoire et autres considérations.

17 Vous affirmez dans votre requête que c’est un problème qui vous

18 préoccupe, encore qu’en l’espèce, il est clair que nous ne remontons

19 pas si loin en arrière ---

20 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président.

21 LE PRÉSIDENT : --- trois, peut-être quatre, voire cinq années se sont

22 écoulées depuis et c’est là pour vous un sujet de préoccuaption.

23 Mais je ne sais pas si cela correspond tout à fait à la situation

24 évoquée par l’auteur en ce qui concerne le procès pour crimes de

25 guerre en Israël.

Page 3695

1 MADAME DE BERTODANO : Non, Madame le Président. Je ne cherchais pas à

2 démontrer qu’il y avait une correspondance totale avec le procès

3 Demjanjuk. La situation est très différente. Madame le Président,

4 les défaillances de la mémoire sont toutes relatives. On peut

5 oublier beaucoup de choses en quatre ans ; on peut en oublier plus

6 en quarante ans. Il n’en reste pas moins que cela nous préoccupe,

7 d’autant que nombre de témoins ont souffert de traumatismes dont on

8 sait qu’ils affectent particulièrement la mémoire.

9 LE PRÉSIDENT : Je comprends et j’apprécie la manière dont vous l’avez

10 formulé dans votre requête. Mais dans la plupart des procès pénaux

11 où il y a des victimes, des personnes qui ont souffert d’abus et

12 peut-être des institutions qui ont souffert d’abus, je pense que les

13 Juges sont suffisamment sages et expérimentés pour savoir qu’il peut

14 y avoir des raisons pour que la mémoire des témoins vacille au

15 moment où ils sont à la barre. Les choses que nous entendons sont

16 extraordinaires mais malheureusement pas sans précédent et cela

17 arrive également dans les systèmes nationaux.

18 Je veux dire par là que les mêmes considérations s’appliquent, de

19 même qu’elles s’appliquent dans les systèmes de tradition civiliste,

20 alors qu’ils ne sont limités par aucune règle relative à la preuve

21 indirecte.

22 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président, mais je voudrais insister

23 sur le caractère exceptionnel d’une situation marquée par une

24 terrible guerre civile.

25 LE PRÉSIDENT : Certainement. Elle est unique en son genre, de même que

Page 3696

1 chaque chose est unique, mais je suppose que cette situation est

2 particulièrement unique. Vous dites que vous ne pouvez pas procéder

3 au contre-interrogatoire de la personne proposant les preuves et

4 c’est pourquoi vous voulez que la preuve indirecte soit exclue. Dans

5 certains systèmes également, même si la preuve indirecte est admise

6 en vertu de l’une des exceptions, vous ne pouvez pas procéder au

7 contre-interrogatoire de la personne.

8 MADAME DE BERTODANO : Non, Madame le Président, mais la raison qui fonde

9 la plupart des exceptions à la règle d’exclusion de la preuve

10 indirecte est qu’il y a des éléments qui renforcent la crédibilité.

11 LE PRÉSIDENT : Donc, vous accepteriez la proposition retenue par ce

12 Tribunal, à savoir que lorsque nous utilisons le terme "probante",

13 nous parlons d’un témoignage qui est digne de foi, volontaire et

14 crédible ?

15 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président.

16 LE PRÉSIDENT : Cela peut être le cas même lorsqu’il s’agit d’éléments de

17 preuve indirects. C’est ce que je pense.

18 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président. C’est pourquoi nous

19 affirmons que nous n’apportons pas de changement réel au Règlement.

20 Nous ne cherchons qu’à modifier la manière dont la preuve indirecte

21 est traitée.

22 LE PRÉSIDENT : Cette décision sera prise avant que nous n’entendions le

23 témoignage et nous déciderons alors s’il correspond à l’une des

24 exceptions généralement acceptées --

25 MADAME DE BERTODANO : -- que vous choisiriez de reconnaître.

Page 3697

1 LE PRÉSIDENT : -- que nous choisirions de reconnaître ?

2 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président.

3 LE PRÉSIDENT : En ce qui concerne l’article 89 D), la décision rendue par

4 la majorité de la Chambre en août de l’année dernière, le 10 ou le

5 15 août, je ne sais plus, sur les mesures de protection demandées

6 par le Procureur pour préserver l’anonymat de certains témoins, eh

7 bien je me souviens que cette décision conférait l’anonymat à l’un

8 des trois témoins d’un incident précis et conférait un certain

9 anonymat aux deux autres, mais précisait quand même leur localité

10 d’origine après que la Défense eut affirmé : "Nous n’avons vraiment

11 pas besoin de connaître leur nom mais nous avons absolument besoin

12 de savoir où ils vivent". L’Accusation a déclaré "Nous ne vous

13 donnerons pas l’adresse exacte, mais juste le nom de la localité".

14 Quant au témoin anonyme, c’était l’un des trois témoins, nous avons

15 pris soin dans cette décision de préciser que l’article 89 D) nous

16 permettrait d’entendre sa déposition, de la resituer dans son

17 contexte et de déterminer ensuite si sa valeur probante était

18 largement inférieure à l’exigence d’un procès équitable.

19 Donc ce que nous disons, c’est : "Ces preuves seront entendues mais

20 nous ne prendrons cette décision qu’après les avoir examinées". Vous

21 n’êtes manifestement pas d’accord, peut-être avec tout ou partie de

22 cette décision, mais c’est l’approche que nous cherchons à adopter

23 en l’espèce et pour tout ce qui concerne l’administration de la

24 preuve, c’est-à-dire que nous examinerons les éléments, la manière

25 dont ils sont présentés, le contexte, puis nous porterons une

Page 3698

1 appréciation, parce que, en cours d’instance, un préjudice peut être

2 subi, des erreurs commises par les Juges, sans que pour autant le

3 procès soit inéquitable. Il y a des erreurs réversibles et d’autres

4 qui sont irréversibles dans certains systèmes, si bien que des Juges

5 peuvent commettre des erreurs mais elles ne sont pas irréversibles

6 parce qu’elles n’affectent pas l’équité du procès.

7 C’est ce qui me dérange lorsque vous utilisez le terme

8 "préjudiciable" par opposition à "procès équitable". Nous, au moins,

9 avons pris le parti, dans notre Règlement et au moins à la majorité

10 dans une décision relative à l’anonymat, d’examiner entièrement les

11 éléments et de prendre la décision ensuite. Je suppose que cela ne

12 vous satisfait pas, n’est-ce pas ?

13 MADAME DE BERTODANO : Madame le Président, nous nous soucions d’en faire

14 non seulement un procès équitable mais également un procès qui passe

15 pour équitable. C’est un procès public et nous craignons qu’il ne

16 soit pas considéré comme tel si des éléments de preuve non crédibles

17 sont entendus.

18 LE PRÉSIDENT : D’après ce que vous dites, dans les systèmes de tradition

19 civiliste, il n’y aurait pas de procès équitables -- Monsieur

20 Wladimiroff, vous venez d’un système de tradition civiliste. Je ne

21 veux pas que vous témoigniez nécessairement mais je suis persuadée

22 que vous êtes très fier de votre système. Il a ses propres défauts,

23 comme les nôtres. Mais souhaitez-vous répondre à mes propos sur les

24 systèmes de tradition civiliste car vous en savez certainement

25 beaucoup plus que moi sur ce sujet ?

Page 3699

1 MONSIEUR WLADIMIROFF : En fait, Madame le Président, les Juges tendent à

2 interrompre un témoin qui est sur le point de leur révéler une

3 information qui lui a été transmise par d’autres personnes. Les

4 Juges préfèrent dans ce cas entendre l’autre témoin.

5 LE PRÉSIDENT : Vous nous dites donc que dans le système néerlandais, les

6 éléments de preuve indirects sont automatiquement exclus ?

7 MONSIEUR WLADIMIROFF : À moins que le Juge ne soit convaincu que

8 l’information qu’on lui transmet est digne de foi et le même critère

9 sera alors appliqué.

10 LE PRÉSIDENT : Comment le Juge aboutit-il à cette conclusion dans le

11 contexte réel du procès.

12 MONSIEUR WLADIMIROFF : À la demande des deux parties.

13 LE PRÉSIDENT : Sur intervention des conseils ? Le Juge n’entend pas le

14 témoignage en question ?

15 MONSIEUR WLADIMIROFF : Le témoignage peut être présenté mais les Juges

16 eux-mêmes déclencheront cela après que les parties l’aient déclenché

17 à un stade antérieur.

18 LE PRÉSIDENT : Donc si les parties déclenchent ce débat à un stade

19 antérieur, est-ce que la réaction typique du Juge est de dire "J’ai

20 donc entendu les conseils mais il est temps que j’entende le témoin

21 lui-même pour pouvoir trancher" ?

22 MONSIEUR WLADIMIROFF : D’après moi, c’est plus ou moins de la

23 jurisprudence mais cela peut dépendre de ce que le témoin a pu

24 déclarer jusqu’alors, de ce que le Juge lui demande ou non d’arrêter

25 de témoigner et préfère plutôt l’information d’origine.

Page 3700

1 LE PRÉSIDENT : Vous ai-je bien compris lorsque vous dites que les Juges,

2 afin de pouvoir prendre la décision d’entendre ou non un témoignage,

3 doivent parfois entendre la déposition d’un témoin auquel la Défense

4 s’oppose au motif qu’il rapporte des propos tenus par d’autres ?

5 MONSIEUR WLADIMIROFF : Parfois, ils autoriseront le témoin à déposer,

6 jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de trancher. Il ne s’agit pas

7 d’une règle générale à proprement parler ; tout dépend de ce qui a

8 été dit jusque là.

9 LE PRÉSIDENT : Mais seulement dans la mesure où il ressort de ce qui a

10 déjà été dit que l’élément en question ne devrait pas être

11 admissible ?

12 MONSIEUR WLADIMIROFF : À la fin, le Juge peut dire "Nous n’accepterons pas

13 cet élément de preuve, il n’est pas admissible".

14 LE PRÉSIDENT : Je suppose que mon argument ne s’adressait qu’à Madame de

15 Bertodano et je ne veux pas le marteler mais ce Tribunal, le premier

16 tribunal pénal international est international. Il n’est ni malais

17 ni américain ni australien. Ce n’est pas un tribunal qui se réclame

18 de la common law, du système de la common law, non plus qu’il ne

19 s’inscrit dans la tradition civiliste. C’est un amalgame des deux et

20 c’est un choix délibéré car nous pensons que les affaires viendront

21 du monde entier. Les Juges viennent du monde entier et nous essayons

22 de combiner les systèmes. Je suis persuadée qu’il y a des procès

23 équitables dans les systèmes de tradition civiliste, alors même

24 qu’on n’y entre pas dans de telles considérations.

25 MONSIEUR WLADIMIROFF : Nous comprenons cela, Madame le Président. La seule

Page 3701

1 chose que nous souhaitons c’est la définition de grandes

2 orientations en matière d’exceptions là où le Règlement ne fait que

3 prévoir l’application des articles 89 C) et D) après que les

4 éléments de preuve ont été présentés. Ce que nous souhaitons, c’est

5 donc que l’on s’arrête une étape avant, si l’on peut s’exprimer

6 ainsi, pour identifier les exceptions à la règle d’exclusion de la

7 preuve indirecte applicable. Nous proposons que la politique

8 générale soit de n’accepter aucun élément de preuve indirect, à

9 moins qu’il ne tombe sous le coup de l’une des exceptions reconnues,

10 car nous n’avons ici ni exceptions ni règles de droit interne. Nous

11 ne sommes pas liés à cet égard. L’étape suivante consiste à

12 appliquer l’article 89 et nous voulons nous arrêter à l’étape

13 précédente. Avant que la Chambre n’apprécie les éléments de preuve,

14 nous voulons qu’elle élabore une politique en matière d’exceptions

15 car nous ne savons pas à quoi nous en tenir. Nous ne savons qu’une

16 chose, c’est que la Chambre accepte les éléments de preuve à moins

17 que nous y opposions.

18 LE PRÉSIDENT : Laissez-moi vous dire ceci. C’est une question difficile et

19 nous, Juges, devrons discuter de la requête et trancher. Mais

20 lorsque vous affirmez que vous voulez que nous que nous décidions

21 que les éléments de preuve ne seront pas présentés au Tribunal à

22 moins qu’ils ne correspondent à l’une des exceptions, nous

23 retournons vraiment à notre point de départ, parce que s’il n’existe

24 pas de règle relative à l’administration de la preuve indirecte, il

25 n’y a pas non plus d’exceptions. Nous tournons en rond. Mais

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1 l’article 89 C) vous donne la réponse. Il stipule en effet que "La

2 Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu’elle

3 estime avoir valeur probante". Ce n’est pas l’article 89 D). Le 89

4 D) est l’article dont Madame de Bertodano suggère que nous l’avons

5 en quelque sorte retourné en disant "Oh, eh bien nous prendrons

6 cette décision plus tard". Je comprends son point de vue sur la

7 question.

8 Mais c’est l’article 89 C) qui est celui qui nous guide en premier

9 ressort, lorsque les éléments de preuve sont présentés. Ce qui nous

10 guide, c’est la question de savoir si l’élément de preuve est

11 pertinent et s’il semble avoir valeur probante. Je suggère au

12 Conseil que valeur probante signifie fiabilité, caractère volontaire

13 et crédibilité.

14 Mais, du moins dans mon système, et dans d’autres aussi peut-être,

15 le principe qui sous-tend fondamentalement toutes les exceptions,

16 c’est cela et la crédibilité. Nous acceptons donc, je pense -- en

17 tout cas j’accepte certainement --que cela soit la norme. Donc nous

18 n’avons pas besoin d’inscrire explicitement dans notre Règlement, en

19 tant qu’exceptions à l’exclusion de la preuve indirecte, les "propos

20 tenus sous l’emprise d’un choc, d’un état d’excitation" ou le res

21 gestae existant dans le système malais ou même anglais, ou les

22 informations ou publications commerciales et autres exceptions -- ou

23 même l’exception générale.

24 N’allez pas penser que nous sommes en présence d’un vide juridique

25 et que nous élaborons au fur et à mesure les règles que nous

Page 3703

1 suivons. Nous, en tant que Tribunal, tenons des sessions plénières -

2 - je crois que nous avons examiné le Règlement de procédure et de

3 preuve en huit occasions différentes mais, croyez-moi, nous avons

4 travaillé dur et longtemps en tenant compte des sensibilités des

5 différents systèmes et des différentes professions exercées par les

6 Juges, pour arriver à ce que nous pensons être équitable.

7 Je suggère que si nous admettons un élément de preuve qui est vrai,

8 volontairement communiqué et fiable, avec comme guide sous-jacent la

9 crédibilité, il soit réputé avoir valeur probante et correspondre à

10 l’article 89 C). Nous n’en arriverions à l’article 89 D) que si,

11 peut-être, nous commettions une erreur relevée par la Défense ou le

12 Procureur et nous dirions alors : "D’accord, nous avons dit que cet

13 élément de preuve avait valeur probante mais maintenant nous

14 concluons que sa valeur probante est largement inférieure à

15 l’exigence d’un procès équitable. Donc même si nous avons jugé qu’il

16 avait valeur probante, nous allons l’exclure". C’est alors que nous

17 en arrivons à cette espèce d’approche en catimini à laquelle le

18 Conseil de la défense s’oppose et je comprends sa position. Mais on

19 n’en arrive pas là si l’on applique correctement l’article 89 C).

20 MONSIEUR WLADIMIROFF : Nous comprenons parfaitement cela, Madame le

21 Président. Pourrai-je juste en revenir à l’idée de départ, à savoir

22 qu’il s’agit là de la première affaire. Il n’existe pas de

23 jurisprudence en la matière, réserve faite de deux décisions prises

24 dans la présente affaire sur les éléments de preuve indirects. Il

25 est essentiel que nous ayons en l’espèce une idée claire de la

Page 3704

1 position de la Chambre sur la question, puisque qu’au vu des

2 déclarations préalables que l’Accusation nous a communiquées, nous

3 savons que beaucoup d’éléments de preuve indirects vont nous être

4 présentés. Nous souhaitons réellement savoir à quoi nous en tenir.

5 Le point fondamental sur lequel nous voulons être renseignés, c’est

6 qui va déclencher quoi : apprendrons-nous après coup quelle est

7 votre position concernant l’article 89 C) ou sauront-nous avant

8 quelle pourrait être votre position ? Ce que nous suggérons, c’est

9 que la question soit déclenchée immédiatement afin que nous sachions

10 à quoi nous en tenir, parce que nous ne voulons pas à avoir à

11 soulever encore et toujours la même objection. Nous voulons que le

12 problème soit clairement identifié la première fois qu’il se pose et

13 qu’on lui trouve une solution globale. C’est exactement ce que nous

14 voulons. Cela n’est pas permis à moins que vous décidiez que ça

15 l’est. Nous voulons connaître les exceptions que vous admettez dans

16 l’application de l’article 89 C) car nous n’en savons rien. Nous

17 sommes confrontés à un silence. Voilà, j’ai dit exactement ce que

18 nous souhaitons.

19 LE PRÉSIDENT : C’est ce que j’ai essayé de faire en lisant -- je ne sais

20 pas si c’était judicieux, mais les comptes rendus de nos discussions

21 sur le Règlement sont à la disposition du public. Nous, Juges,

22 délibérerons et rendrons une ordonnance ou une décision qui vous

23 éclairera je pense. Vous y avez droit. "Probante", que veut dire

24 "probante" ? Je pense que c’est là où vous en êtes. Qu’est-ce que

25 cela signifie ? Vous voulez savoir ce que cela veut dire afin de

Page 3705

1 pouvoir formuler vos arguments et que vos objections soient

2 retenues.

3 MONSIEUR WLADIMIROFF : Parce que si nous devons soulever une objection,

4 sur quoi la baser ? Nos n’avons aucune indication.

5 LE PRÉSIDENT : Monsieur Le Juge Vohrah n’a pas vraiment d’autres

6 questions. Nous avons discuté et je pense que nous avons consacré

7 suffisamment de temps à cette question. En principe, nous avons une

8 suspension de séance à 11 heures 30. Mais je suis persuadée que tout

9 le monde est fatigué à l’heure qu’il est. Peut-être conviendrait-il

10 de suspendre la séance dès maintenant. Nous nous prononcerons sous

11 peu sur votre requête, Monsieur Wladimiroff.

12 Cependant, les autres questions que nous devons examiner sont des

13 questions d’ordre général dont nous avions discuté avant la

14 suspension de séance. Nous voulons savoir où en sont les parties et

15 ensuite nous nous occuperons de la demande du Procureur, n’est-ce

16 pas ? Vous voulez que nous examinions votre demande ce matin, si

17 possible -

18 MONSIEUR NIEMANN : Si possible, oui, Madame le Président.

19 LE PRÉSIDENT : -- à huis clos et ensuite, il ne s’agira pas du témoin

20 suivant, si bien qu’après nous reprendrons l’audience publique avec

21 un autre témoin.

22 MONSIEUR NIEMANN : C’est exact.

23 LE PRÉSIDENT : L’audience est donc suspendue pour 20 minutes.

24 (11 heures 25)

25 (Audience suspendue pour une courte pause)

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1 (11 heures 45)

2

3 (Audience à huis clos)

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13 pages 3706-3736 expurgée – audience à huis clos

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1 (expurgée)

2 (13h 45 mn)

3 (Pause déjeuner)

4

5 (14 h 15 mn)

6 (Audience publique)

7 LE PRÉSIDENT : Monsieur Niemann, je ferai observer que nous avons reçu la

8 mise à jour de la liste des témoins de l’Accusation.

9 MONSIEUR NIEMANN : Oui, Madame le Président.

10 LE PRÉSIDENT : Je pense que c’est intéressant. La nouvelle liste que vous

11 nous avez donnée réduit notablement le temps dont vous aurez besoin

12 pour mener à bien vos interrogatoires principaux. Alors quand

13 pensez-vous en avoir terminé ?

14 MONSIEUR NIEMANN : À la mi-août environ, nous pensons, oui, Madame le

15 Président.

16 LE PRÉSIDENT : Très bien. Merci de vous être penché sur la question. Nous

17 comprenons que vous avez une lourde tâche et nous ne souhaitons en

18 aucun cas vous couper, mais nous voulons que ce procès soit aussi

19 rapide et équitable que possible.

20 MONSIEUR NIEMANN : Oui, Madame le Président.

21 LE PRÉSIDENT : L’autre question que je souhaitais aborder est celle que

22 j’avais soulevée avant la pause déjeuner : j’ai dit que les comptes

23 rendus des sessions plénières étaient rendus publics alors qu’ils ne

24 le sont pas. Je vois que Monsieur Wladimiroff hoche la tête et

25 semble dire "Je sais, j’ai probablement essayé de les obtenir et on

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1 me les a refusés".

2 MONSIEUR WLADIMIROFF : Je suis content de vous entendre dire çela parce

3 que j’ai pu constater qu’ils ne l’étaient pas.

4 LE PRÉSIDENT : Non, non. Nous tenons des réunions et parfois nous nous

5 réunissons seuls à huis clos, mais aucune de nos délibérations n’est

6 publique, et à juste titre. Il y a des délibérations à huis clos sur

7 le Règlement de procédure et de preuve et sur nombre d’autres

8 questions. Elles permettent aux différents Juges d’exposer leur

9 point de vue sur le Règlement et des questions confidentielles. Je

10 n’éprouve aucune gêne à faire part de mes opinions parce que je dis

11 en public tout ce que je dis en privé. Ainsi en est-il de mon avis

12 sur le Règlement. Mais il n’est pas bon d’imputer à aucun des autres

13 Juges tel ou tel propos. Je ne l’ai pas fait mais j’avais par

14 ailleurs tort, les comptes rendus des plénières ne sont pas

15 accessibles au public.

16 Bien, nous sommes maintenant en audience publique, Monsieur Niemann,

17 voulez-vous appeler votre prochain témoin à la barre ?

18 MONSIEUR NIEMANN : Oui, Madame le Président. Mais avant, je voudrais

19 apporter une rectification. J’ai dit à tort ce matin que nous avions

20 envoyé une lettre à l’IFOR. Ce qui s’est passé, c’est que nous avons

21 effectivement rédigé une lettre mais nous ne l’avons pas expédiée

22 car nous connaissions déjà la réponse. Nous avons posé la question

23 et on nous a informé que cela ne faisait pas partie de leur mandat.

24 Je voulais juste apporter un rectificatif au compte rendu.

25 LE PRÉSIDENT : Vous faites comme vous voulez. Si vous persistez à poser la

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1 question, pensez-vous que vous obtiendrez une réponse différente ?

2 Non, je crois que non.

3 MONSIEUR NIEMANN : Cela vaut la peine d’essayer, Madame le Président.

4 J'appelle Sead Halvadzic à la barre.

5 MONSIEUR SEAD HALVADZIC est appelé à la barre.

6 LE PRÉSIDENT : Voulez-vous, s’il vous plaît, vous lever et prêter serment,

7 monsieur ?

8 LE TÉMOIN ?En interprétation? : Je déclare solennellement que je dirai la

9 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

10 (Le témoin prête serment)

11 LE PRÉSIDENT : Vous pouvez vous asseoir, merci.

12 Interrogatoire conduit par MONSIEUR NIEMANN

13 QUESTION : Vous appelez-vous Sead Halvadzic ?

14 RÉPONSE : Oui.

15 QUESTION : Êtes-vous né le 1er novembre 1972 ?

16 RÉPONSE : Oui.

17 QUESTION : Êtes-vous né à Prijedor ?

18 RÉPONSE : Oui.

19 QUESTION : À l’exception de la période pendant laquelle vous étiez dans

20 l’armée, avez-vous toujours vécu, jusqu’en 1992, à Prijedor ?

21 RÉPONSE : Oui.

22 QUESTION : Avez-vous fréquenté l’école primaire de Prijedor ?

23 RÉPONSE : Oui.

24 QUESTION : Quand avez-vous rejoint l’armée, la JNA ?

25 RÉPONSE : En mars 1991.

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1 QUESTION : Jusqu’à quand êtes vous resté dans l’armée ?

2 RÉPONSE : Jusqu’au 15 mai 1992.

3 QUESTION : Lorsque vous étiez dans la JNA, étiez-vous basé dans une ville

4 de Serbie appelée Nis ?

5 RÉPONSE : Oui.

6 QUESTION : Avez-vous, dans l’armée, suivi l’entraînement des parachutistes

7 ?

8 RÉPONSE : Est-ce que j’étais parachutiste ?

9 QUESTION : Oui. Étiez-vous un parachutiste ?

10 RÉPONSE : Oui.

11 QUESTION : Quand avez-vous quitté la JNA ?

12 RÉPONSE : Le 15 mai 1992.

13 QUESTION : Qu’est-ce qui s’est passé ensuite, où êtes-vous allé ?

14 RÉPONSE : À Banja Luka.

15 QUESTION : Pourquoi êtes-vous allé à Banja Luka ?

16 RÉPONSE : Nous avons reçus des ordres comme quoi tous les Bosniaques

17 devaient être réaffectés en Bosnie.

18 QUESTION : Une fois revenu à Banja Luka, qu’avez-vous fait ?

19 RÉPONSE : Nous sommes restés à l’aéroport de Banja Luka pendant environ

20 une heure et demie et alors, le Colonel qui commandait l’aéroport

21 nous a dit que nous avions une semaine de permission, parce qu’il y

22 avait des Musulmans et des Croates dans cette unité.

23 QUESTION : Êtes-vous alors retourné à Prijedor ?

24 RÉPONSE : Oui.

25 QUESTION : Rentré à Prijedor, qu’avez-vous fait ?

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1 RÉPONSE : Lorsque je suis arrivé à Prijedor, j’ai vu que la ville était

2 déjà sous contrôle serbe. Il y avait des drapeaux serbes partout.

3 Les chars avaient été peints en bleu et les véhicules blindés de la

4 Milice aussi ; tout ce matériel appartenait avant à la JNA.

5 QUESTION : Qu’avez-vous fait quand vous avez vu ça ?

6 RÉPONSE : J’ai passé environ trois jours à la maison. Je suis resté à la

7 maison puis je suis allé à Carakovo.

8 MONSIEUR LE JUGE STEPHEN : Je ne comprends pas ce que le témoin veut dire

9 lorsqu’il affirme "tout ce matériel devait appartenir à la JNA".

10 MONSIEUR NIEMANN : Que vouliez-vous dire lorsque vous avez affirmé, il y a

11 quelques instants, que tout ce matériel devait appartenir à la JNA ?

12 RÉPONSE : Parce que la police de Prijedor et la police en général n’ont

13 jamais disposé de chars ou de véhicules blindés ; ce genre de

14 véhicules blindés n’a jamais existé dans la Police, ce qui signifie

15 qu’ils avaient été pris à l’armée, que l’armée les avait donnés à la

16 police qui les a peints en bleu comme si c’était l’équipement de

17 l’armée de -- de la police de Bosnie-Herzégovine.

18 QUESTION : Vous avez dit qu’après avoir passé quelques jours à Prijedor,

19 vous avez quitté la ville. Pourquoi ?

20 RÉPONSE : Je voulais combattre pour l’indépendance de la Bosnie-

21 Herzégovine.

22 QUESTION : Avez-vous rejoint un groupe d’hommes qui menaient un tel

23 combat, un combat pour la Bosnie-Herzégovine ?

24 RÉPONSE : Oui.

25 QUESTION : Où était basé ce groupe d’hommes ?

Page 3742

1 RÉPONSE : Nous étions basés dans un village du nom de Carakovo.

2 QUESTION : À quelle distance de Prijedor était-il ?

3 RÉPONSE : Environ quatre ou cinq kilomètres.

4 QUESTION : Comment s’appelait le groupe d’hommes que vous avez rejoint ?

5 Avait-il un nom particulier ?

6 RÉPONSE : Non.

7 QUESTION : De quelle nationalité ou coloration ethnique la plupart des

8 membres de ce groupe étaient-ils ?

9 RÉPONSE : Il devait y avoir quelques Croates et le reste étaient des

10 Musulmans.

11 QUESTION : De quelles armes disposiez-vous ?

12 RÉPONSE : Nous avions quelques mitraillettes, deux ou trois fusils de

13 précision et quelques bombes, quelques grenades -- rien d’autre.

14 QUESTION : Vous avait-on donné des uniformes ou portiez-vous des uniformes

15 lorsque vous étiez avec ce groupe d’hommes ?

16 RÉPONSE : Eh bien, je crois que quelques-uns d’entre nous avaient des

17 uniformes. Les autres étaient en civil ou arboraient peut-être les

18 chemises que portent habituellement les réservistes.

19 QUESTION : Combien de temps êtes-vous resté avec ce groupe d’hommes ?

20 RÉPONSE : Jusqu’à l’attaque de Prijedor, c’est-à-dire jusqu’au 31 mai et

21 alors, on a essayé d’opérer une percée vers Bihac.

22 QUESTION : Avez-vous réussi ?

23 RÉPONSE : Non.

24 QUESTION : Qu’est-ce qui vous est arrivé ?

25 RÉPONSE : Ils nous ont capturés, mon ami Jasmin Adic et moi, à proximité

Page 3743

1 d’un endroit appelé cele, près d’Agici, qui se trouve à peu près à

2 mi-chemin entre Prijedor et Bihac.

3 QUESTION : À peu près à quelle distance de Prijedor ?

4 RÉPONSE : Eh bien, 20, 30 kilomètres environ.

5 QUESTION : Pouvez-vous vous souvenir de la date à laquelle vous avez été

6 capturés ?

7 RÉPONSE : Le 6 juin 1992.

8 QUESTION : Qui vous a capturés ? Qui vous a capturés le 6 juin 1992 ?

9 RÉPONSE : Les Serbes de cette localité.

10 QUESTION : Il s’agissait de soldats serbes, n’est-ce pas ?

11 RÉPONSE : Des réservistes serbes.

12 QUESTION : Où vous ont-ils emmenés après votre capture ?

13 RÉPONSE : Ils nous ont emmenés dans, comment disent-ils, dans leur Commune

14 locale.

15 QUESTION : Vous souvenez vous de son nom ? Vous ne vous souvenez peut-être

16 pas du nom. Vous souvenez-vous du nom de la Commune locale à

17 laquelle on vous a emmenés ?

18 RÉPONSE : C’était la Municipalité de cele.

19 QUESTION : Et de là, où êtes-vous allés ?

20 RÉPONSE : Ils voulaient nous tuer tout de suite mais, heureusement, la

21 police militaire et la police de Bosanski Novi sont arrivées et plus

22 tard on a été transférés au quartier général de la police de

23 Bosanski Novi.

24 QUESTION : Combien de temps vous a-t-on gardés à Bosanski Novi ?

25 RÉPONSE : Nous y avons passé deux nuits.

Page 3744

1 QUESTION : Et de là, où êtes-vous allés ?

2 RÉPONSE : Le matin qui a suivi la deuxième nuit, ils nous ont emmenés à

3 l’hôtel Una à Bosanski Novi, c’était la police militaire, et à midi

4 nous avons été transférés à la caserne de Prijedor.

5 QUESTION : Lorsque vous parlez de "caserne", que voulez-vous dire par là ?

6 S’agissait-il d’une caserne de police ou d’une caserne militaire ?

7 RÉPONSE : Une caserne militaire à Prijedor.

8 QUESTION : Pouvez-vous nous dire où, approximativement, dans la ville de

9 Prijedor, se situait cette caserne militaire ?

10 RÉPONSE : À Urije.

11 QUESTION : À quelle date êtes-vous arrivés à la caserne de Prijedor ? Vous

12 en souvenez-vous ?

13 RÉPONSE : Après le 9 juin, c’était le 8 juin.

14 QUESTION : À environ quelle heure y êtes-vous arrivés ? Le matin ou

15 l’après-midi ?

16 RÉPONSE : Eh bien, entre midi et l’après-midi.

17 QUESTION : Quand vous êtes arrivés, que s’est-il passé ?

18 RÉPONSE : Ils nous ont emmenés au premier étage et nous ont laissé là-bas

19 Burdo et moi. Deux gardes étaient avec nous. L’un des deux est allé

20 faire son rapport au Commandant, que nous étions arrivés. Un autre

21 est venu et a dit "qu’est-ce que vous fichez ici, vous les Oustachis

22 ?" Il nous a forcés à lever trois doigts et à nous mettre contre le

23 mur. Alors un autre a dit "Tadic, tu vois ces Oustachis ?", l’un

24 d’eux a dit.

25 QUESTION : Vous faisiez face au mur quand c’est arrivé ?

Page 3745

1 RÉPONSE : Eh bien, oui, nous étions appuyés au mur sur trois doigts.

2 QUESTION : Qu’est-ce qui est arrivé après ?

3 RÉPONSE : Ensuite, deux hommes sont venus, l’un était plus grand que

4 l’autre. Ils étaient tous deux en tenue camouflée avec des bretelles

5 blanches et au moment où je me suis retourné, quelqu’un m’a frappé.

6 C’était un coup de karaté asséné très fortement.

7 QUESTION : Comment ce fait-il que vous sachiez que c’était un coup de

8 karaté ?

9 RÉPONSE : Eh bien, j’ai également fait du karaté et quand je faisais mon

10 service, j’ai aussi appris le jiu-jitsu et d’autres arts martiaux.

11 QUESTION : Qu’est-ce qui s’est passé après que vous ayez reçu ce coup de

12 karaté ? Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

13 RÉPONSE : Ils ont continué à nous battre.

14 QUESTION : Avez-vous vu le visage des hommes qui vous battaient ?

15 RÉPONSE : Oui, pendant un très court instant.

16 QUESTION : Pendant qu’ils vous battaient, les avez-vous entendus discuter

17 entre eux ?

18 RÉPONSE : Ils nous frappaient pendant tout ce temps et nous disaient de

19 rester face au mur en nous appuyant des trois doigts et ils nous

20 frappaient avec leur bottes, leurs bâtons et d’autres objets.

21 QUESTION : L’un d’entre eux a-t-il utilisé une arme contre vous ?

22 RÉPONSE : Eh bien, le Commandant a quitté le bâtiment. Il a dit "Tadic,

23 laisse ces gens tranquilles", et il a dit "Ils doivent tous y

24 passer, on devrait tous leur couper la gorge. C’est la seule

25 solution."

Page 3746

1 QUESTION : Qui a dit ça ?

2 RÉPONSE : Je n’ai pas vu.

3 QUESTION : Non, mais répétez nous qui leur a dit d’arrêter le passage à

4 tabac.

5 RÉPONSE : Le Commandant qui était dans la pièce et qui a parlé aux gardes

6 qui nous avaient ramenés de Bosanski Novi.

7 QUESTION : Quelle était la réponse que vous avez entendue ?

8 RÉPONSE : Que nos gorges devraient êtres coupées parce que nous étions des

9 Oustachis.

10 QUESTION : Savez-vous lequel des deux hommes a dit ça ?

11 RÉPONSE : Non, parce que j’étais face au mur.

12 QUESTION : Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

13 RÉPONSE : Ils nous ont ensuite pris et emmenés dans une cellule de la

14 caserne.

15 QUESTION : Ces hommes qui vous ont battu, connaissiez-vous l’un d’entre

16 eux avant ce jour ?

17 RÉPONSE : Non, je ne les connaissais pas.

18 QUESTION : Avant ce jour là, aviez-vous déjà rencontré quelqu’un qui

19 s’appelait Tadic ?

20 RÉPONSE : Rencontré ?

21 QUESTION : Avant ce jour là, aviez-vous déjà rencontré quelqu’un qui

22 s’appelait Tadic ?

23 RÉPONSE : Non.

24 QUESTION : Connaissiez-vous quelqu’un qui portait ce nom là ?

25 RÉPONSE : Non.

Page 3747

1 QUESTION : Après cela, qu’est ce qui s’est passé ? Où êtes-vous allés,

2 après le passage à tabac ?

3 RÉPONSE : Ils nous ont emmenés dans une cellule de la caserne et là, ils

4 nous ont tabassés une deuxième fois, c’étaient d’autres hommes.

5 QUESTION : Qui sont les hommes qui vous ont battus ? Vous le savez ?

6 RÉPONSE : Non, je ne sais pas -- des soldats aussi.

7 QUESTION : S’agissait-il des mêmes hommes qui vous avaient battus avant ou

8 d’autres hommes ?

9 RÉPONSE : Il s’agissait d’autres hommes.

10 QUESTION : Qu’est ce qui s’est passé ensuite? Où êtes-vous allés, après

11 cela ?

12 RÉPONSE : Nous avons passé une nuit dans cette cellule et après cela, ils

13 nous ont emmenés au camp d’Omarska.

14 QUESTION : Où étiez-vous logés au camp d’Omarska ?

15 RÉPONSE : Dans la maison blanche.

16 QUESTION : Lorsque vous êtes allés à Omarska, avez-vous reconnu certains

17 des gardes qui s’y trouvaient ?

18 RÉPONSE : Non, pas avant.

19 QUESTION : Vous ne les connaissiez pas avant ?

20 RÉPONSE : Non.

21 QUESTION : Combien de temps avez-vous passé à la maison blanche d’Omarska

22 ?

23 RÉPONSE : Un mois.

24 QUESTION : Pendant tout le temps que vous avez passé à la maison blanche à

25 Omarska, avez-vous subi des passages à tabac ?

Page 3748

1 RÉPONSE : Au moins cinq fois par jour.

2 QUESTION : Avez-vous fini par connaître certains des hommes qui vous ont

3 battu pendant votre captivité dans la maison blanche d’Omarska ?

4 RÉPONSE : Est-ce que j’ai fini par connaître un des gardes ?

5 QUESTION : Oui.

6 RÉPONSE : Je n’ai pu entendre que leur noms.

7 QUESTION : Oui. Vous souvenez-vous des noms par lesquels étaient appelés

8 certains des gardes qui vous ont battu lorsque vous étiez au camp

9 d’Omarska ?

10 RÉPONSE : Oui, je me souviens en effet de certains d’entre eux.

11 QUESTION : Pourriez-vous nous dire leur nom ?

12 RÉPONSE : Vous voulez que je vous donne ces noms ?

13 QUESTION : Si vous pouvez vous en souvenir ?

14 RÉPONSE : Il y avait quelqu’un qui s’appelait Kvocka, il a commandé le

15 camp pendant quelques temps, puis il a été remplacé par Zeljko

16 Meakic qui m’a également frappé en personne ; et certains gardes

17 venaient de Prijedor, l’un d’entre eux était Zuga Nikica et il y en

18 avait un autre avec eux, Pirvan et puis un autre qui s’appelait Brk,

19 il était le chauffeur personnel de Zeljko Meakic et un certain

20 nombre d’autres.

21 QUESTION : Combien de temps avez-vous passé à Omarska ?

22 RÉPONSE : Jusqu’au démantèlement du camp.

23 QUESTION : Quand cela a-t-il eu lieu ?

24 RÉPONSE : Je ne me souviens pas. Ça devait être en août ou septembre.

25 QUESTION : Août ou septembre de quelle année ?

Page 3749

1 RÉPONSE : 1992.

2 QUESTION : Où êtes-vous allé quand vous avez quitté Omarska ?

3 RÉPONSE : Manjaca.

4 QUESTION : Combien de temps avez-vous été détenu à Manjaca ?

5 RÉPONSE : Jusqu’à la mi-décembre.

6 QUESTION : Où êtes-vous allé après Manjaca ?

7 RÉPONSE : Je suis parti pour Karlovac avec le convoi de la Croix Rouge

8 Internationale.

9 QUESTION : Revenons un peu au moment où vous êtes allé à la caserne de

10 Prijedor où vous avez été battu par ces deux hommes, lorsque vous

11 avez entendu le nom de "Tadic" pour la première fois, dans quelle

12 position étiez-vous lorsque vous avez entendu pour la première fois

13 le nom "Tadic" ?

14 RÉPONSE : J’étais face au mur, m’appuyant dessus des trois doigts et quand

15 j’ai voulu les regarder, j’ai vu deux hommes entrer et l’un des deux

16 m’a frappé.

17 QUESTION : En juin de cette année, le 14 juin 1996, Monsieur Thomas

18 Ackheim et Monsieur Reid, du Bureau du Procureur, vous ont-ils

19 montré un album de photographies ?

20 RÉPONSE : Oui, un petit album photo.

21 QUESTION : Avez-vous examiné chacune de ces photographies ?

22 RÉPONSE : Oui.

23 QUESTION : Dans cet album, avez-vous reconnu une des photographies qui

24 vous ont été montrées ?

25 RÉPONSE : Oui.

Page 3750

1 QUESTION : La photographie que vous avez reconnue, c’était une

2 photographie de qui ?

3 RÉPONSE : C’était la photo de l’un des deux hommes qui nous ont battus à

4 la caserne.

5 QUESTION : Aviez-vous vu cette photographie auparavant, la photographie de

6 cette personne, avant qu’on ne vous montre cet album photo ?

7 RÉPONSE : Non.

8 QUESTION : Aviez-vous jamais vu l’image de cette personne à la télévision

9 ou dans tout autre média auparavant ?

10 RÉPONSE : Non.

11 QUESTION : Pourrai-je faire marquer aux fins d’identification cet album

12 photo, s’il vous plaît ? No. 242 ? Pourrait-on montrer cet album

13 photo au témoin ?

14 LE PRÉSIDENT : En avez-vous une copie, Monsieur Kay ?

15 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président. Vous vous souvenez peut-être

16 qu’avant la pause, il y a eu des propositions à ce sujet.

17 LE PRÉSIDENT : Avez-vous un exemplaire supplémentaire du 242 pour que la

18 Défense puisse le consulter en même temps que le témoin le regarde ?

19 MONSIEUR WLADIMIROFF : En fait, nous avons vu cet album et j’en ai moi-

20 même fait des copies.

21 MONSIEUR NIEMANN : Nous avons donné un exemplaire à la Défense, Madame le

22 Président.

23 LE PRÉSIDENT : Très bien, merci.

24 MONSIEUR NIEMANN (Au témoin) : Monsieur Halvadzic, cet album est-il le

25 même que celui que vous ont montré les enquêteurs Ackheim et Reid du

Page 3751

1 Bureau du Procureur ?

2 RÉPONSE : Oui.

3 QUESTION : Votre signature apparaît-elle sur l’une des photographies de

4 cet album, au dos de l’une des photographies de cet album ?

5 RÉPONSE : Oui.

6 QUESTION : Quel est le numéro de cette photographie si l’on prend l’album

7 par le début ?

8 RÉPONSE : Il y a deux chiffres ici.

9 QUESTION : Je vous demande pardon. Il y a combien de photographies entre

10 le début de l’album et cette photographie ? Pouvez-vous juste

11 compter les photographies à partir du début de l’album ?

12 RÉPONSE : Il y a la 0400, la 15400, la 136.

13 QUESTION : Oui. Tout ce que je veux que vous me disiez, c’est le nombre de

14 photographies qui précèdent celle que vous avez signée. Partez du

15 début de l’album, d’accord ?

16 RÉPONSE : La deuxième.

17 QUESTION : La deuxième photographie ?

18 RÉPONSE : Ici, la deuxième.

19 QUESTION : Je crois que vous étiez sur le point de nous citer des chiffres

20 qui apparaissent au dos de cette photographie. Est-ce que ces

21 chiffres étaient sur la photographie lorsque vous l’avez signée,

22 pouvez-vous vous en rappeler ?

23 RÉPONSE : Non.

24 QUESTION : Il n’y avait rien d’inscrit dessus, n’est-ce pas ?

25 RÉPONSE : Oui.

Page 3752

1 MONSIEUR NIEMANN : Je demande le versement au dossier de cette

2 photographie, Madame le Président.

3 LE PRÉSIDENT : Y a-t-il des objections ?

4 MONSIEUR WLADIMIROFF : En fait, Madame le Président, nous maintenons

5 l’objection que nous avions déjà formulée, même si, pour autant que

6 je me souvienne, aucune décision n’a encore été prise à son sujet.

7 LE PRÉSIDENT : Je considère donc que vous avez une objection de principe à

8 l’utilisation ---

9 MONSIEUR WLADIMIROFF : Absolument.

10 LE PRÉSIDENT : -- de cet album photo au cours de cette procédure, pour les

11 raisons que vous avez énoncées dans votre mémoire.

12 MONSIEUR WLADIMIROFF : Merci beaucoup.

13 LE PRÉSIDENT : Sur ce point particulier, votre objection est rejetée. La

14 pièce 242 sera admise au dossier.

15 MONSIEUR NIEMANN : Êtes-vous sûr que la photographie au dos de laquelle

16 vous avez écrit votre nom est celle de la personne qui vous a passé

17 à tabac à la caserne de Prijedor ce jour là, ou de l’un des hommes

18 qui vous ont passé à tabac à la caserne de Prijedor ce jour là ?

19 RÉPONSE : Oui.

20 MONSIEUR NIEMANN : Plus de questions, Madame le Président.

21 LE PRÉSIDENT : Monsieur Kay ?

22 MONSIEUR KAY : Merci, Madame le Président.

23 Contre-interrogatoire conduit par MONSIEUR KAY

24 QUESTION : Monsieur, Halvadzic, je peux supposer, n’est-ce pas, que vous

25 vivez en ce moment dans un endroit où il y a des télévisions ?

Page 3753

1 RÉPONSE : Oui.

2 QUESTION : Je peux supposer, n’est-ce pas, que vous vivez dans un endroit

3 où il y a des journaux ?

4 RÉPONSE : Oui.

5 QUESTION : Quand avez-vous appris que vous alliez témoigner dans cette

6 affaire.

7 RÉPONSE : Lorsqu’ils m’ont contacté.

8 QUESTION : Quand vous ont-ils contacté ?

9 RÉPONSE : En 1995.

10 QUESTION : Était-ce en mai 1995 ?

11 RÉPONSE : Je ne me souviens pas.

12 QUESTION : J’ai ici une déclaration signée de votre main le 4 mai 1995. Je

13 vais donc considérer qu’il s’agit de la date approximative à

14 laquelle on vous a localisé en tant que témoin dans cette affaire.

15 RÉPONSE : Je n’ai pas compris la question.

16 QUESTION : Ai-je raison de considérer que la déclaration en date du 4 mai

17 1995 a été faite peu de temps après que l’on fut entré en relation

18 avec vous pour vous faire témoigner dans cette affaire ?

19 RÉPONSE : Oui.

20 QUESTION : C’était donc près de trois ans après les événements qui se sont

21 déroulés à la caserne de Prijedor lorsque vous avez été arrêté pour

22 la première fois ?

23 RÉPONSE : Oui.

24 QUESTION : Entre temps, vous avez passé près de trois mois dans le camp

25 d’Omarska ?

Page 3754

1 RÉPONSE : Oui.

2 QUESTION : Après Omarska, vous êtes allé à un camp appelé Manjaca ?

3 RÉPONSE : Oui.

4 QUESTION : Combien de temps avez-vous passé à Manjaca ?

5 RÉPONSE : Je n’arrive pas à me rappeler. Je ne me souviens pas exactement.

6 QUESTION : Plutôt six mois ou plutôt quatre mois ?

7 RÉPONSE : Au total pour les deux camps ?

8 QUESTION : À Manjaca ?

9 RÉPONSE : Trois à quatre mois.

10 QUESTION : Bien. De Manjaca, vous êtes allé à un endroit appelé Karlovac ?

11 RÉPONSE : Oui.

12 QUESTION : Combien de temps y avez-vous passé ?

13 RÉPONSE : Environ un mois.

14 QUESTION : À quelle date avez-vous été libéré et en mesure de cesser de

15 vivre dans un camp, que ce soit un camp de réfugiés ou de

16 prisonniers ?

17 RÉPONSE : Vous voulez dire quand est-ce que j’ai été libéré de Manjaca ?

18 QUESTION : Oui.

19 RÉPONSE : Je pense que c’était aux alentours du 15 décembre.

20 QUESTION : Avez-vous vécu un certain temps en tant que réfugié dans un

21 camp en dehors de la Republika Srpska ?

22 RÉPONSE : Eh bien oui, j’ai passé un mois à Karlovac.

23 QUESTION : Vous avez donc passé un mois à Karlovac ; est-ce la dernière

24 fois que vous avez vécu dans un camp ? Après Karlovac, avez vous

25 vécu ailleurs dans des conditions normales d’hébergement ?

Page 3755

1 RÉPONSE : J’étais encore réfugié.

2 QUESTION : Vous avez donc fait une déclaration trois ans après les

3 événements qui se sont déroulés à la caserne de Prijedor.

4 RÉPONSE : Oui.

5 QUESTION : On vous a montré un album photo en juin de cette année ?

6 RÉPONSE : Oui.

7 QUESTION : Soit un tout petit peu plus de quatre ans après les événements

8 qui se sont déroulés à la caserne de Prijedor ?

9 RÉPONSE : Oui.

10 QUESTION : Vous savez, n’est-ce pas, que la télévision couvre ce procès ?

11 RÉPONSE : Je le sais mais je n’ai rien vu à ce sujet.

12 QUESTION : S’agit-il d’une réponse honnête ?

13 RÉPONSE : Oui.

14 QUESTION : Avez-vous regardé les bulletins d’informations ou pas du tout ?

15 RÉPONSE : Je n’ai pas le temps de regarder les informations à la

16 télévision.

17 QUESTION : Avez-vous vu des journaux couvrant ce procès ?

18 RÉPONSE : Non.

19 QUESTION : En marchant dans les rues ou en rendant visite à quelqu’un qui

20 avait allumé la télévision, avez-vous vu la couverture télévisuelle

21 de ce procès ?

22 RÉPONSE : Je ne regarde aucune émission et ma connaissance de (expurgé) ne

23 me permet de suivre aucune émission.

24 QUESTION : Non, mais vous pouvez regarder les photos, n’est-ce pas ?

25 RÉPONSE : On me l’avait interdit.

Page 3756

1 QUESTION : Oui, mais ça ne vous empêche pas de regarder des photos, n’est-

2 ce pas ?

3 RÉPONSE : Je suis un honnête homme. Je suis un homme sincère.

4 QUESTION : Vous aviez un intérêt personnel dans cette affaire parce que

5 vous saviez que vous alliez être l’un des témoins ?

6 RÉPONSE : Désolé, pas d’intérêt personnel.

7 QUESTION : Pas d’intérêt personnel. Donc, vous nous dites que vous n’avez

8 pas eu d’échos du procès que ce soit par la presse ou la télévision

9 et que vous êtes tout à fait honnête lorsque vous affirmez cela,

10 est-ce bien ça ?

11 RÉPONSE : Oui.

12 QUESTION : Lorsque vous étiez dans la caserne de Prijedor et que vous avez

13 été attaqué par l’homme dont vous dites qu’il s’appelait Tadic, est-

14 ce que tous les hommes présents étaient des policiers militaires ?

15 RÉPONSE : Dans la pièce où ils étaient, il n’y avait que des policiers

16 militaires.

17 QUESTION : Le garde appelé Tadic qui vous a attaqué, portait-il également

18 une tenue de policier militaire ?

19 RÉPONSE : Oui.

20 QUESTION : Quand vous dites qu’il était vêtu comme un policier militaire,

21 vous voulez dire qu’il portait une ceinture blanche.

22 RÉPONSE : Oui.

23 QUESTION : C’est ce que portent les policiers militaires ?

24 RÉPONSE : Oui.

25 QUESTION : Avait-il, dans son équipement, une autre pièce susceptible

Page 3757

1 d’appartenir à un policier militaire ?

2 RÉPONSE : Oui, il avait un bâton blanc.

3 QUESTION : Un bâton blanc ? Vous arrivez à vous souvenir que vous avez vu

4 ce bâton blanc à proximité de sa personne ?

5 RÉPONSE : Je me souviens aussi qu’il portait -- qu’il avait un couteau.

6 QUESTION : Pourriez-vous juste me dire d’abord où était ce bâton blanc ?

7 RÉPONSE : Il le portait du côté droit.

8 QUESTION : Attaché à sa ceinture ?

9 RÉPONSE : Oui, attaché à sa ceinture du côté droit. Du côté gauche, il

10 avait un couteau. Du côté droit, il avait le bâton.

11 QUESTION : Afin que nous puissions mieux comprendre, pourriez-vous nous

12 dire de quelle taille était ce bâton ?

13 RÉPONSE : Environ un demi mètre

14 QUESTION : Le couteau qu’il portait, il était également attaché à la

15 ceinture ?

16 RÉPONSE : Oui, c’était une baïonnette, en fait.

17 QUESTION : De quelle taille était ce couteau ?

18 RÉPONSE : Environ 40 centimètres aussi -- peut-être un peu moins.

19 QUESTION : Vous dites avoir été attaqué par deux hommes, est-ce que le

20 deuxième homme, l’autre homme, était également un policier militaire

21 ?

22 RÉPONSE : Les deux hommes qui nous ont ramenés de Bosanski Novi étaient

23 aussi des policiers militaires de Bosanski Novi qui nous ont ramenés

24 à la caserne de Prijedor.

25 QUESTION : Les deux gardes qui sont entrés et dont vous nous avez dit que

Page 3758

1 l’un des deux s’appelait Tadic, est-ce que l’autre aussi était un

2 policier militaire ?

3 RÉPONSE : Oui, ils étaient tous deux membres de la police militaire.

4 QUESTION : Il semble donc que vous étiez dans un endroit où travaillait la

5 police militaire ?

6 RÉPONSE : C’était la caserne et il n’y avait là que des soldats serbes.

7 QUESTION : Oui, mais le groupe d’hommes avec lequel vous étiez dans cette

8 pièce semble avoir été constitué exclusivement de policiers

9 militaires ?

10 RÉPONSE : J’étais dans le couloir, en face de cette pièce.

11 QUESTION : Le groupe d’homme auquel vous aviez affaire semblait-il être

12 constitué de policiers militaires ?

13 RÉPONSE : Non, j’en suis sûr. Il ne me "semblait" pas ; je suis sûr qu’ils

14 étaient membres de la police militaire.

15 QUESTION : On peut donc présumer que c’était leur métier ?

16 RÉPONSE : De nous passer à tabac, vous voulez dire ?

17 QUESTION : Oui -- Non, d’être policiers militaires ?

18 RÉPONSE : C’étaient des réservistes.

19 QUESTION : Savez-vous combien de personnes portent le nom de "Tadic" dans

20 la région de Prijedor ?

21 RÉPONSE : Non, je ne sais pas.

22 QUESTION : Savez-vous qu’il existe un village qui s’appelle Tadici ?

23 RÉPONSE : Non.

24 QUESTION : Savez-vous qu’il existe un village qui s’appelle Babici ?

25 RÉPONSE : Non.

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1 QUESTION : Savez-vous qu’il existe un village qui s’appelle Drljaca ?

2 RÉPONSE : Non.

3 QUESTION : Vous dites que vous n’aviez jamais rencontré auparavant de

4 personne s’appelant Tadic ?

5 RÉPONSE : Non.

6 QUESTION : Avant le début de ce procès, avez-vous regardé des émissions de

7 télévision consacrées à l’arrestation d’un homme appelé Tadic ?

8 RÉPONSE : J’ai juste entendu dire qu’un homme appelé Tadic avait été

9 arrêté.

10 QUESTION : Où avez-vous entendu cela ?

11 RÉPONSE : C’est un de mes amis qui me l’a dit.

12 QUESTION : Un ami. Pourquoi votre ami vous a-t-il dit qu’un homme nommé

13 Tadic avait été arrêté ?

14 RÉPONSE : Il m’a demandé si je le connaissais, si je connaissais quelqu’un

15 appelé Tadic.

16 QUESTION : Pensant que vous seriez intéressé par ce genre de sujets,

17 n’est-ce pas ?

18 RÉPONSE : Je rechercherais moi-même les criminels de guerre.

19 QUESTION : Oui et c’est pourquoi vous auriez regardé des émissions de

20 télévision, même avant le début de ce procès, parce que vous êtes

21 intéressé par ces questions, n’est-ce pas ?

22 RÉPONSE : Je ne regarde que les films à la télévision, rien d’autre.

23 QUESTION : Vous ne regardez pas les bulletins d’information entre les

24 films ?

25 RÉPONSE : Il n’y a pas d’informations entre les films.

Page 3760

1 QUESTION : Avez-vous entendu parler d’un film réalisé par une certaine

2 Monika Gras ?

3 RÉPONSE : Non.

4 QUESTION : Vous jetez un coup d’oeil aux journaux, n’est-ce pas ?

5 RÉPONSE : Le seul journal que je lis, c’est le journal (expurgé).

6 QUESTION : Donc, malgré tout ce qui vous avez vécu à Omarska et Manjaca,

7 malgré votre arrestation, vous ne vous êtes jamais intéressé aux

8 informations relatives aux événements en question ?

9 RÉPONSE : Parce que je ne crois pas à la propagande, qui est pour

10 l’essentiel un tissu de mensonges.

11 QUESTION : C’est bien ce que vous avez dit au Tribunal, n’est-ce pas ?

12 Vous avez raconté des mensonges quand vous avez dit que vous n’avez

13 vu pas d’images, ni à la télévision, ni dans les journaux ?

14 RÉPONSE : Non.

15 QUESTION : Vous avez menti concernant le nom de "Tadic" ?

16 RÉPONSE : Non.

17 QUESTION : Le jour de votre arrestation, est-ce qu’on a mentionné devant

18 vous un autre nom à la caserne de Prijedor ?

19 RÉPONSE : Non, le seul nom qui a été prononcé, c’est "Tadic".

20 QUESTION : Aucun autre nom, de personne d’autre ?

21 RÉPONSE : Non.

22 QUESTION : Aucun des cinq ou six autres ?

23 RÉPONSE : Non.

24 QUESTION : Des cinq ou six personnes auxquelles vous avez eu affaire,

25 aucun autre nom ?

Page 3761

1 RÉPONSE : Pour autant que je me souvienne, ils n’ont pas été mentionnés.

2 QUESTION : Vous souvenez-vous d’autres noms de gardes à Omarska, autres

3 que le fameux Zeljko Meakic ?

4 RÉPONSE : Comme j’ai dit, Pirvan. Je me souviens de deux frères, des

5 jumeaux, des gardes. Ils avaient les cheveux bouclés. Je ne me

6 souviens plus de leur nom.

7 QUESTION : Mais moi, voyez-vous, je vous demande des noms.

8 RÉPONSE : Je ne me souviens pas. Je n’arrive pas à me souvenir.

9 QUESTION : Des noms de gardes à Manjaca ?

10 RÉPONSE : Non.

11 QUESTION : Bien, combien de fois par jour étiez-vous battu à Omarska ?

12 RÉPONSE : Au moins cinq fois par jour.

13 QUESTION : Est-ce que des noms était alors prononcés ? Est-ce que les

14 gardes s’appelaient par leurs noms respectifs ?

15 RÉPONSE : Oui, par leurs noms.

16 QUESTION : Pouvez-vous vous souvenir de l’un de ces noms ?

17 RÉPONSE : Comme j’ai dit, Pirvan, Duca, Zigic, Nikica, Brk, Krkan, Ckalja.

18 QUESTION : C’est sont tous les gens importants qu’il y avait à Omarska,

19 les commandants du camp et les chefs d’équipes, n’est-ce pas ?

20 RÉPONSE : Ils m’ont tous passé à tabac à Omarska.

21 QUESTION : Tous les commandants vous ont-ils battu ?

22 RÉPONSE : Les commandants et les gardes.

23 QUESTION : Avez-vous ou non été détenu à Omarska ?

24 RÉPONSE : Oui.

25 QUESTION : Donc, si l’on résume la situation, parmi tous les événements

Page 3762

1 que vous avez vécu, vous arrivez seulement à vous souvenir de ce

2 policier militaire des forces de réserve, que quelqu’un a appelé

3 "Tadic", c’est bien cela ?

4 RÉPONSE : J’ai entendu son nom quelques fois à Omarska aussi.

5 QUESTION : Avez-vous inventé cela ?

6 RÉPONSE : Non.

7 MONSIEUR KAY : Je vous remercie.

8 LE PRÉSIDENT : Monsieur Niemann ?

9 Nouvel interrogatoire conduit par MONSIEUR NIEMANN

10 QUESTION : Monsieur Halvadzic, pourriez-vous, s’il vous plaît, nous parler

11 des circonstances dans lesquelles vous avez entendu prononcer le nom

12 de "Tadic" au camp d’Omarska.

13 RÉPONSE : Je n’ai pas compris la question.

14 MONSIEUR KAY : Je vous demande pardon, Madame le Président. S’agissant des

15 arguments que nous avons présentés à l’audience publique de ce

16 matin, nous n’avons pas encore eu de décision écrite du Tribunal en

17 ce qui concerne la question de la preuve indirecte. Je garde bien

18 sûr à l’esprit les remarques du Tribunal au sujet de la véracité et

19 autres indices qui pourraient lui permettre de déterminer si des

20 éléments de preuve indirects devraient être admis au dossier de ce

21 procès. Je m’oppose au fait que Monsieur Niemann utilise des

22 éléments de preuve de cette manière afin de porter à la connaissance

23 du Tribunal des informations que ce témoin tiendrait d’autres

24 personnes, informations qui pourraient être vraies ou fausses.

25 LE PRÉSIDENT : Votre objection consiste à dire qu’il s’agit d’éléments de

Page 3763

1 preuve indirects, non probants ?

2 MONSIEUR KAY : Oui.

3 LE PRÉSIDENT : Bien. Monsieur Niemann, pourriez-vous reformuler votre

4 question ou la répéter ? Est-ce que votre question était : Avez-vous

5 entendu quelqu’un être appelé Tadic à Omarska ? Était-ce votre

6 question ?

7 MONSIEUR NIEMANN : Oui, Madame le Président.

8 LE PRÉSIDENT : Votre objection est rejetée, Monsieur Kay.

9 MONSIEUR NIEMANN : Je disais donc, parlez-nous des circonstances dans

10 lesquelles vous avez entendu ce nom. (Au témoin) : Pourriez-vous

11 nous dire dans quelles circonstances vous avez entendu mentionner le

12 nom de "Tadic" au camp d’Omarska ?

13 RÉPONSE : Quand ils nous battaient, j’ai entendu mentionner le nom de

14 Tadic.

15 LE PRÉSIDENT : Voilà la réponse. La réponse est qu’il a entendu ce nom et

16 non pas qu’il a entendu des propos sur Tadic.

17 MONSIEUR KAY : Si tel est le fond de la réponse : "ils utilisaient le nom

18 de Tadic quand ils nous battaient à Omarska", soit ; au vu du

19 contre-interrogatoire dont la Tribunal a été témoin il y a peu,

20 j’espère qu’il lui accordera le poids qu’il juge bon.

21 LE PRÉSIDENT : Oui. Notre discussion portait toutefois sur un point

22 différent. Elle portait sur la signification de la question de

23 Monsieur Niemann. La signification de sa question, pas la

24 signification mais la formulation de la question a été tout a fait

25 clarifiée. Nous considérons qu’elle ne peut soulever d’objections et

Page 3764

1 la vôtre est donc rejetée. Votre dernière question était : a-t-il ou

2 non entendu mentionner le nom de Tadic à Omarska ? La réponse était

3 oui. Vous avez alors demandé au témoin dans quelles circonstances il

4 avait entendu mentionner le nom de Tadic. Il va maintenant nous le

5 dire ; est-ce qu’on le battait à ce moment là, est-ce qu’il était

6 endormi ou éveillé, est-ce qu’il était dans la maison blanche, où

7 était-il ?

8 MONSIEUR NIEMANN : Oui, Madame le Président.

9 LE PRÉSIDENT : Bien. Veuillez continuer.

10 MONSIEUR NIEMANN : Pouvez-vous répondre à la question, s’il vous plaît,

11 Monsieur Halvadzic ?

12 RÉPONSE : J’étais tout -- j’avais des fractures à la tête. J’étais tout

13 noir, parce qu’on m’avait battu tous les jours et j’ai entendu

14 toutes sortes de noms.

15 QUESTION : Pouvez-vous évoquer plus précisément les circonstances dans

16 lesquelles vous avez entendu mentionner le nom de Tadic lors de

17 votre détention à Omarska ? Pouvez-vous nous dire quand

18 approximativement ?

19 RÉPONSE : Nous devions rester assis. Nous devions nous asseoir par terre.

20 C’était une petite pièce, la première à droite, ou à gauche, désolé,

21 lorsque vous entrez dans la maison blanche. C’était une petite pièce

22 de deux mètres sur trois, environ 12 mètres carrés et il y avait

23 toujours 13 personnes dans cette pièce. Nous devions nous asseoir

24 tête baissée.

25 QUESTION : Quand avez-vous entendu mentionner ce nom ?

Page 3765

1 RÉPONSE : Alors qu’on nous battait.

2 QUESTION : Avez-vous vu la personne qui a prononcé le nom Tadic ?

3 RÉPONSE : Non, je n’avais le droit de regarder nulle part.

4 QUESTION : Avez-vous vu la personne qui, apparemment, répondait au nom de

5 Tadic, lorsque vous étiez au camp d’Omarska ?

6 RÉPONSE : Non.

7 QUESTION : Vous souvenez-vous de ce qui se passait au moment où vous avez

8 entendu mentionner ce nom de Tadic au camp d’Omarska ?

9 RÉPONSE : Ils ont commencé à me donner des coups de pied et je me suis

10 évanoui de nouveau.

11 MONSIEUR NIEMANN : Merci. Pas d’autres questions.

12 LE PRÉSIDENT : Monsieur Kay ?

13 MONSIEUR KAY : Pas d’autres questions, Madame le Président.

14 LE PRÉSIDENT : J’ai juste une autre question pour le témoin. Monsieur,

15 vous avez dit "Je rechercherais moi-même les criminels de guerre".

16 Je ne vois pas clairement s’il s’agit d’une affirmation ou d’une

17 question. Vous avez dit cela lors de votre contre-interrogatoire par

18 Monsieur Kay. Vous souvenez-vous avoir dit cela ?

19 RÉPONSE : Oui.

20 QUESTION : Que vouliez-vous dire par là ?

21 RÉPONSE : Les criminels de guerre devraient tous être punis.

22 QUESTION : Vous avez dit "Je rechercherais moi-même les criminels de

23 guerre". Que voulez-vous dire par là. Avez-vous recherché des

24 criminels de guerre ?

25 RÉPONSE : Non, je ne l’ai pas fait mais je l’avais envisagé à un moment.

Page 3766

1 QUESTION : Envisagé quoi ? De rechercher les criminels de guerre ?

2 RÉPONSE : Oui, oui, c’est cela.

3 QUESTION : Comment les auriez-vous recherchés ?

4 RÉPONSE : Comment les aurais-je recherchés ?

5 QUESTION : Comment envisagiez-vous de les rechercher ?

6 RÉPONSE : Si j’en avais trouvé un, je l’aurais tué sur le champ.

7 QUESTION : Parlez-vous de l’époque où vous faisiez partie de ce groupe de

8 résistance armée dans l’ex-Yougoslavie ou d’une période ultérieure ?

9 RÉPONSE : Une période ultérieure.

10 QUESTION : Quelle période ultérieure ?

11 RÉPONSE : Quand j’étais à/en (expurgé).

12 LE PRÉSIDENT : S’agit-il d’une réponse à expurger même si cela a déjà été

13 abordé auparavant ?

14 MONSIEUR NIEMANN : Il l’a prononcé à deux reprises et lors de ces deux

15 occasions, j’ai pensé ----

16 LE PRÉSIDENT : Pourquoi ne pas -- si vous le souhaitez, expurger le compte

17 rendu de ce mot ?

18 MONSIEUR NIEMANN : Nous le souhaitons.

19 LE PRÉSIDENT : Très bien. Y a-t-il une objection ? Nous pouvons rechercher

20 l’heure à laquelle cela a été dit. Y a-t-il une objection à ce que

21 cette référence ainsi que les deux précédentes, qui n’étaient pas si

22 évidentes, soient expurgées ?

23 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président.

24 LE PRÉSIDENT : Très bien. Cela est-il réglé, Madame Featherstone ?

25 MONSIEUR NIEMANN : Madame et Messieurs de la Cour, je crois que je les ai

Page 3767

1 trouvées : 15.14.42, 15.02.42 et 14.54.08.

2 LE PRÉSIDENT : J’aimerai reprendre les questions que j’étais en train de

3 poser au témoin concernant son implication dans la recherche de

4 criminels de guerre, sauf si vous souhaitez, Monsieur Kay, prendre

5 le relais sur ce même thème --qu’en pensez-vous ?

6 MONSIEUR KAY : Madame le Président, je n’ai pas de questions à poser sur

7 ce thème.

8 LE PRÉSIDENT : Mais moi j’en ai. Vous disposez tous les deux des

9 déclarations préalables des témoins mais pas moi ; je suis

10 intéressée et cela peut concerner ma manière de prendre en

11 considération le témoignage de cette personne. Quand était-ce -- une

12 fois encore, Monsieur Niemann, je vous demande votre aide parce que

13 si cela doit être expurgé, peut-être que je ne devrais pas

14 continuer.

15 MONSIEUR NIEMANN : Non, Madame le Président. Si vous pouviez juste

16 demander au témoin de ne pas mentionner des noms de lieux ?

17 LE PRÉSIDENT : Très bien. (Au témoin) : Lorsque je vous pose ces

18 questions, monsieur, ne mentionnez pas dans vos réponses les noms de

19 lieux, si vous pouvez? Vous avez déclaré que vous vous êtes

20 ultérieurement intéressé à la recherche de criminels de guerre.

21 Pourriez-vous m’expliquer si vous étiez membre d’un groupe, si oui,

22 quand vous avez rejoint ce groupe et vos activités à cet égard ?

23 RÉPONSE : Non, ce n’est pas ce que j’avais en tête. C’est le chaos qui

24 s’est déclenché et lorsque je me rappelle tout ce qui m’est arrivé,

25 je suis en colère.

Page 3768

1 QUESTION : Avez-vous recherché des criminels de guerre ? Vous avez dit que

2 vous l’aviez envisagé mais l’avez vous effectivement fait ?

3 RÉPONSE : Non.

4 LE PRÉSIDENT : Monsieur Niemann, avez-vous d’autres questions ?

5 MONSIEUR NIEMANN : Non.

6 LE PRÉSIDENT : Monsieur Kay, avez-vous d’autres questions ?

7 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président.

8 LE PRÉSIDENT : Très bien. Vous pouvez vous retirer, Monsieur. Y a-t-il une

9 objection à ce que le témoin se retire définitivement, Monsieur Kay

10 ?

11 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président.

12 LE PRÉSIDENT : Monsieur Halvadzic, vous pouvez vous retirer

13 définitivement. Vous êtes libre de partir. Merci d’être venu

14 témoigner.

15 (Le témoin se retire)

16 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, l’Accusation appelle Monsieur Kasim

17 Mesic à la barre.

18 MONSIEUR KASIM MESIC est appelé à la barre

19 LE PRÉSIDENT : Monsieur, veuillez, s’il vous plaît, faire la déclaration

20 solennelle qui vous est proposée.

21 LE TÉMOIN ?En interprétation? : Je déclare solennellement que je dirai la

22 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

23 (Le témoin prête serment)

24 LE PRÉSIDENT : Merci. Vous pouvez vous asseoir.

25 Interrogatoire conduit par MONSIEUR KEEGAN

Page 3769

1 LE PRÉSIDENT : Monsieur Keegan, vous pouvez commencer.

2 MONSIEUR KEEGAN : Merci, Madame le Président. (Au témoin) : Vous vous

3 appelez Kasim Mesic ?

4 RÉPONSE : Oui.

5 QUESTION : Vous êtes né le 21 mars 1944 ?

6 RÉPONSE : Oui.

7 QUESTION : Vous êtes né dans la ville de Cela, Municipalité de Prijedor ?

8 RÉPONSE : Oui.

9 QUESTION : Quelle est votre appartenance ethnique, Monsieur ?

10 RÉPONSE : Musulman.

11 QUESTION : Avez-vous grandi dans la ville de Prijedor ?

12 RÉPONSE : Oui.

13 QUESTION : Avez-vous suivi quatre années d’enseignement primaire ?

14 RÉPONSE : Oui.

15 QUESTION : Avez-vous ensuite été apprenti maçon puis maçon pendant sept

16 années ?

17 RÉPONSE : Oui.

18 QUESTION : Quand avez-vous effectué votre service militaire obligatoire ?

19 RÉPONSE : En 1963.

20 QUESTION : Combien de temps a-t-il duré ?

21 RÉPONSE : 18 mois.

22 QUESTION : Où avez-vous effectué votre service militaire ?

23 RÉPONSE : À Leskovac.

24 QUESTION : C’était bien en République de Serbie ?

25 RÉPONSE : Oui.

Page 3770

1 QUESTION : Vous avez suivi quelle formation ?

2 RÉPONSE : J’étais sergent, oui, c’est ça.

3 QUESTION : Avez-vous suivi la formation de l’infanterie ?

4 RÉPONSE : Oui.

5 QUESTION : Après votre service militaire obligatoire, êtes-vous retourné à

6 Prijedor ?

7 RÉPONSE : Oui.

8 QUESTION : Avez-vous accompli un service militaire dans la réserve ?

9 RÉPONSE : J’ai fait un moment partie des forces de réserve.

10 QUESTION : Était-ce pendant l’année qui a suivi votre retour, 1966 ?

11 RÉPONSE : Oui.

12 QUESTION : Avez-vous jamais servi dans l’unité de Défense territoriale, la

13 TO ?

14 RÉPONSE : Non.

15 QUESTION : Où viviez-vous à Prijedor ?

16 RÉPONSE : À Raskovac.

17 QUESTION : Après votre retour du service militaire obligatoire, avez-vous

18 de nouveau exercé votre profession de maçon pendant un certain temps

19 ?

20 RÉPONSE : Oui.

21 QUESTION : Après cela, avez-vous travaillé dans une usine ?

22 RÉPONSE : Oui, une usine de papier.

23 QUESTION : En 1992, où travailliez-vous ?

24 RÉPONSE : En 1992, je travaillais dans l’entreprise Mira Cikota de

25 Prijedor.

Page 3771

1 QUESTION : Très bien. Déchargiez-vous les camions, dans cette usine ?

2 RÉPONSE : Oui, j’étais impliqué dans le transport.

3 QUESTION : Avez-vous arrêté de travailler en mai 1992 ?

4 RÉPONSE : Oui.

5 QUESTION : Pourquoi avez-vous dû arrêter de travailler ?

6 RÉPONSE : Parce que les Musulmans se voyaient interdire de travailler --

7 parce que le travail était interdit aux Musulmans. Ils n’avaient pas

8 l’autorisation de travailler.

9 QUESTION : Monsieur Mesic, lorsque vous répondez, pourriez-vous parler un

10 peu plus fort, s’il vous plaît ? Qui vous a dit que les Musulmans

11 subissaient des interdits et n’avaient plus le droit de travailler ?

12 RÉPONSE : Le directeur, Topic.

13 QUESTION : De quelle nationalité était ce directeur, Topic ?

14 RÉPONSE : Serbe.

15 QUESTION : Quelques jours après qu’on vous a annoncé que vous n’aviez plus

16 le droit de travailler, avez-vous été témoin du bombardement de la

17 région de Hambarine ?

18 RÉPONSE : Oui.

19 QUESTION : Quelle est la première chose dont vous vous souvenez à propos

20 de ce bombardement ?

21 RÉPONSE : Je me souviens qu’ils ont annoncé que Mirza Mujadzic devait se

22 rendre et que s’il ne se livrait pas, ils bombarderaient Hambarine.

23 QUESTION : Avez-vous entendu cela vous-même à la radio ?

24 RÉPONSE : Des voisins l’ont entendu à la radio. Je n’avais pas la radio et

25 ils ont dit qu’à moins que Mirza Mujadzic se rende au plus tard à 2

Page 3772

1 heures, ils bombarderaient Hambarine.

2 QUESTION : Vous souvenez-vous à quelle heure le bombardement a commencé ?

3 RÉPONSE : Je pense que c’était vers deux heures, deux heures et demi, en

4 gros.

5 QUESTION : Qu’avez-vous fait lorsque le bombardement a commencé ?

6 RÉPONSE : Je me suis préparé. J’ai envoyé ma femme et mon fils à la cave.

7 QUESTION : À votre cave ?

8 RÉPONSE : Non, à la cave de mes voisins, Jusa Adzim et Cedo Balaban et il

9 y avait là deux caves.

10 QUESTION : Monsieur Mesic, nous vous demandons de parler plus près du

11 microphone pour que les interprètes puissent vous entendre, s’il

12 vous plaît.

13 RÉPONSE : D’accord.

14 QUESTION : Pourquoi n’êtes-vous pas allé à la cave ?

15 RÉPONSE : Eh bien, je ne suis pas allé à la cave parce que j’étais trop

16 étonné, complètement ahuri quand le bombardement a commencé.

17 QUESTION : Qu’avez-vous fait, en fait ?

18 RÉPONSE : J’ai commencé à marcher vers la Sana et je regardais les gens,

19 qui descendaient en courant vers les bois, vers la forêt, près de

20 la Sana ; et alors, je me suis souvenu et je me suis dit qu’est-ce

21 que je vais faire là-bas ? Je veux dire que les obus tombaient

22 partout. J’ai donc rebroussé chemin et je suis retourné à la maison.

23 QUESTION : Vous aviez donc quitté votre maison pour vous diriger vers la

24 rivière Sana ?

25 RÉPONSE : Oui.

Page 3773

1 QUESTION : De cette position là, pouviez-vous en fait observer en aval la

2 région de Hambarine et voir les obus y toucher des bâtiments ?

3 RÉPONSE : Oui, j’ai effectivement observé.

4 QUESTION : Dans cette région, quel genre de bâtiments étaient bombardés ?

5 RÉPONSE : C’était des maisons, des bâtiments privés.

6 QUESTION : Avez-vous pu voir des gens fuir de ces maisons ?

7 RÉPONSE : Oui, ils étaient plus près de la Sana et fuyaient en direction

8 de la forêt.

9 QUESTION : Ces gens que vous avez pu voir fuir en courant vers la forêt et

10 la rivière Sana, comment étaient-ils habillés ?

11 RÉPONSE : C’étaient des civils.

12 QUESTION : Personne en uniforme ?

13 RÉPONSE : Personne.

14 QUESTION : Pourriez-vous nous dire d’où les obus venaient, d’où ils

15 étaient tirés ?

16 RÉPONSE : Topica, Brdo, Pasinac, Karan.

17 QUESTION : Qu’est-ce qui vous fait dire que les obus étaient tirés de ces

18 positions ?

19 RÉPONSE : Eh bien, on voyait de la fumée. La fumée s’élevait et dès

20 qu’elle apparaissait cela voulait dire qu’un obus avait touché

21 Hambarine.

22 QUESTION : Très bien. Vous nous dites que vous avez pu voir la fumée qui

23 apparaissait lorsqu’un obus tombait sur Hambarine ou que vous avez

24 pu voir la fumée qui sortait des canons ?

25 RÉPONSE : Lors des mises à feu.

Page 3774

1 QUESTION : Si on pouvait placer, s’il vous plaît, la pièce à conviction 79

2 sur le rétroprojecteur, pièce qui est une carte de la région de

3 Prijedor déjà admise au dossier ? Pourrait-on allumer le

4 rétroprojecteur, s’il vous plaît ?

5 LE PRÉSIDENT : J’ai la pièce à conviction 79. Si on n’arrive pas à la

6 projeter, nous pouvons la partager si vous voulez, Monsieur Keegan.

7 MONSIEUR KEEGAN : Oui, Madame le Président. C’est bien la pièce 79. Je

8 voudrais juste préciser à la Cour que les étiquettes désignent les

9 zones qu’il vient de mentionner. C’est tout. (Au témoin) : Monsieur

10 Mesic, vous avez déjà vu cette carte auparavant ?

11 RÉPONSE : Oui.

12 QUESTION : La zone marquée "A", c’est la zone de Raskovac à Prijedor ?

13 RÉPONSE : Oui.

14 QUESTION : C’est la zone située entre la voie ferrée et la rivière Sana,

15 près de la zone sur laquelle --

16 RÉPONSE : Oui.

17 QUESTION : -- apparaît la lettre "A". La lettre "B" marque la zone de

18 Hambarine à partir de laquelle vous avez pu voir les obus tomber ?

19 RÉPONSE : Oui.

20 QUESTION : La lettre "C" marque en général la zone de Karan que vous avez

21 mentionnée précédemment, l’une des positions à partir desquelles les

22 obus étaient tirés ?

23 RÉPONSE : Oui.

24 QUESTION : La lettre "D" marque Pasinac à proximité des --

25 RÉPONSE : Oui.

Page 3775

1 QUESTION : -- aéroports et de la caserne militaire ?

2 RÉPONSE : La caserne, oui.

3 QUESTION : "E" marque la zone de Topic Brdo en bas ?

4 RÉPONSE : Oui.

5 QUESTION : Merci. Monsieur Mesic, vers la fin du bombardement de

6 Hambarine, y avait-il également des signes d’activité dans votre

7 voisinage, la zone de Raskovac ?

8 RÉPONSE : Oui, la police est venue collecter des armes.

9 QUESTION : Comment l’avez-vous su ?

10 RÉPONSE : Ils les demandaient. Ils demandaient les armes.

11 QUESTION : Est-ce que les gens dans votre voisinage ont remis leurs armes

12 ?

13 RÉPONSE : Oui, mais deux personnes seulement avaient des armes.

14 QUESTION : Quelle genre d’armes était-ce ?

15 RÉPONSE : Deux pistolets. C’est tout ce qu’il y avait.

16 QUESTION : Après cela, des forces se disant de la police sont-elles venues

17 arrêter les gens de votre voisinage ?

18 RÉPONSE : Ils sont arrivés par la route et ils passaient dans les rues en

19 arrêtant les gens et en les emmenant.

20 QUESTION : Avez-vous vu ces gens qui ont arrêté certains de vos voisins ce

21 jour là ?

22 RÉPONSE : Nous regardions vers le bas de la rue pendant qu’ils emmenaient

23 les gens et alors l’un de nos amis, un Serbe habillé en soldat,

24 s’est arrêté et est venu vers nous pour nous dire "Cachez-vous

25 quelque part". Et c’est ce que nous avons fait.

Page 3776

1 QUESTION : Et ce Serbe qui vous a dit de vous cacher, c’était votre voisin

2 ?

3 RÉPONSE : Je ne peux pas répondre à cette question.

4 QUESTION : Vous hésitez à révéler son identité ?

5 RÉPONSE : Oui.

6 QUESTION : Avez-vous été arrêté ce jour là avec les autres personnes de

7 votre voisinage ?

8 RÉPONSE : Non.

9 QUESTION : Pourquoi ?

10 RÉPONSE : Parce que je me suis caché.

11 QUESTION : À quoi ressemblaient ces gens, les membres des forces qui sont

12 venues arrêter vos voisins ce jour là, comment étaient-ils habillés

13 ?

14 RÉPONSE : Eh bien, certains d’entre eux portaient des uniformes de

15 plusieurs couleurs, des uniformes militaires. Ils avaient quelques

16 bérets rouges et ils couraient et marchaient et alors --

17 QUESTION : Lorsque vous parlez d’"uniformes militaires", quel genre

18 d’uniformes militaires portaient-ils ?

19 RÉPONSE : Bon, écoutez, il y avait plein d’uniformes différents. Il y en

20 avait vraiment de plusieurs sortes.

21 QUESTION : Est-ce que certains étaient en tenue de camouflage ?

22 RÉPONSE : Oh, oui, oui.

23 QUESTION : Est-ce qu’il y avait aussi des uniformes dits SMB, les anciens

24 uniformes de la JNA ?

25 RÉPONSE : Oui, oui.

Page 3777

1 QUESTION : Est-ce que les uniformes de ces personnes comportaient un

2 insigne particulier que vous auriez pu remarquer ?

3 RÉPONSE : Je n’ai à proprement parler pas vu d’insigne particulier.

4 Certains avaient des cocardes. D’autres avaient d’autres insignes,

5 je ne sais pas comment les décrire.

6 QUESTION : Est-ce que certains d’entre eux avaient des rubans sur leur

7 uniforme ?

8 RÉPONSE : Oui.

9 QUESTION : De quelle couleur étaient ces rubans ?

10 RÉPONSE : Ils avaient les couleurs du drapeau yougoslave. Ils étaient

11 attachés là.

12 QUESTION : Ces couleurs, c’étaient le blanc, le rouge et le bleu ?

13 RÉPONSE : Oui.

14 QUESTION : Ils étaient attachés autour des épaulettes des uniformes ?

15 RÉPONSE : Oui.

16 QUESTION : Connaissiez-vous des membres des forces que vous avez vues ce

17 jour là, en avez-vous reconnu certains ?

18 RÉPONSE : Non, personne. Nous n’osions pas regarder. Nous avons pris la

19 fuite en courant.

20 QUESTION : Avez-vous ensuite été arrêté un autre jour ?

21 RÉPONSE : Oui.

22 QUESTION : Quand était-ce ?

23 RÉPONSE : Quatre ou cinq jours plus tard.

24 QUESTION : Pouvez-vous décrire les circonstances qui ont entouré cette

25 arrestation ?

Page 3778

1 RÉPONSE : Un groupe est arrivé, un groupe d’hommes, de soldats, ces

2 policiers. Ils criaient qu’ils étaient de la police. Ils étaient

3 environ 10 dans une camionnette et ils nous ont attrapés près de ma

4 maison, moi, mon fils de 16 ans et trois de mes neveux. Nous étions

5 assis en train de discuter lorsqu’ils nous ont encerclés et

6 capturés.

7 QUESTION : Ces hommes qui se disaient de la police, comment étaient-ils

8 habillés, quel genre d’uniforme portaient-ils ?

9 RÉPONSE : Certains portaient des uniformes de plusieurs couleurs, certains

10 avaient des rubans noirs, des bandeaux noirs autour de la tête et un

11 seul d’entre eux portait un béret noir.

12 QUESTION : Lorsque vous parlez d’"uniformes de plusieurs couleurs",

13 faites-vous allusion aux tenues de camouflage ou à un autre type

14 d’uniforme ?

15 RÉPONSE : Eh bien, ils étaient tachetés, ils étaient de plusieurs

16 couleurs, ils portaient ces uniformes là.

17 QUESTION : Est-ce que les uniformes de ces hommes comportaient un insigne

18 que vous auriez pu remarquer ?

19 RÉPONSE : Certains portaient l’insigne aux quatre S et sur les uniformes

20 des autres, je n’ai rien vu. Peut-être des cocardes, oui, certains

21 d’entre eux avaient des cocardes et d’autres pas.

22 QUESTION : Lorsque vous parlez des quatre S, faites-vous allusion au

23 symbole qui est une sorte de croix comportant à chacune de ses

24 extrémités un S cyrillique qui ressemble au C de l’alphabet latin ?

25 RÉPONSE : Oui.

Page 3779

1 QUESTION : Lorsque ces hommes vous ont encerclés, vous et les autres

2 hommes qui se trouvaient avec vous, qu’ont-ils ensuite fait de vous

3 ?

4 RÉPONSE : Ils nous ont forcés à nous mettre debout contre la maison, à

5 lever et poser trois doigts comme ça contre le mur et après ils sont

6 venus par derrière pour nous battre. Ensuite ils ont ramené trois

7 autres voisins, trois frères dont un encore mineur, puis deux autres

8 voisins et mes deux frères.

9 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, je voudrai préciser, pour la clarté

10 du compte rendu d’audience, que le témoin a levé les bras

11 approximativement à la hauteur de sa tête, au dessus des épaules,

12 avec le pouce, l’index et le majeur de chaque main tendus, les

13 autres doigts étant repliés.

14 LE PRÉSIDENT : Oui, le compte rendu en sera clarifié.

15 MONSIEUR KEEGAN : (Au témoin) : C’est bien comme cela que vous deviez

16 appuyer vos mains contre le mur ?

17 RÉPONSE : Oui, avec les jambes écartées.

18 QUESTION : Au total combien d’hommes ont été regroupés par la police et

19 forcés de se placer contre ce mur ?

20 RÉPONSE : Nous étions 11.

21 QUESTION : Quelle était l’appartenance ethnique de tous ces hommes alignés

22 contre le mur ?

23 RÉPONSE : Musulmane.

24 QUESTION : Vous avez dit que l’on vous a battus alors que vous étiez

25 appuyés face au mur. Pouvez-vous nous décrire comment vous et vos

Page 3780

1 compagnons avez été battus ?

2 RÉPONSE : Ils sont passés de l’un à l’autre, à trois reprises ; ils nous

3 ont frappés au dos de la nuque avec un bâton, puis nous ont donné

4 des coups de pied au ventre avec leurs bottes ou la crosse de leur

5 fusil et puis entre les jambes.

6 QUESTION : Quand vous dites "entre les jambes", voulez-vous dire que l’on

7 vous a donné des coups de pied aux organes génitaux ?

8 RÉPONSE : Oui.

9 QUESTION : Où vous ont-ils frappés avec les crosses de fusils ?

10 RÉPONSE : Sur le dos, sur le dos, il m’a frappé sur le côté gauche et

11 quatre de mes côtes ont été touchées.

12 QUESTION : Avez-vous reçu des coups dans la région des reins ?

13 RÉPONSE : Oui.

14 QUESTION : Ce passage à tabac a-t-il entraîné des lésions ?

15 RÉPONSE : J’étais tout contusionné -- nous étions tous contusionnés et

16 nous avions aussi du sang sur la tête.

17 QUESTION : Avez-vous gardé des séquelles de ces coups reçus dans les côtes

18 ?

19 RÉPONSE : Eh bien, ça faisait mal et on m’a fait une radiographie à

20 (expurgé). Quand je suis arrivé à (expurgé), il y avait encore du

21 sang coagulé parce que nous n’avions pas de docteurs là où nous

22 étions.

23 QUESTION : Immédiatement après cet incident, avez-vous eu des problèmes

24 respiratoires ?

25 RÉPONSE : Oui.

Page 3781

1 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, si nous pouvions --

2 LE PRÉSIDENT : Vous souhaitez que le compte rendu soit expurgé ?

3 MONSIEUR KEEGAN : Oui, Madame le Président. 15.44.28. Je vous remercie.

4 LE PRÉSIDENT : Je vous demande pardon, Monsieur Keegan. Avez-vous des

5 objections ?

6 MONSIEUR WLADIMIROFF : Non.

7 LE PRÉSIDENT : Très bien, le compte rendu sera expurgé.

8 MONSIEUR KEEGAN : Combien de temps a duré ce passage à tabac ?

9 RÉPONSE : Environ une heure, une heure et demie, deux heures.

10 QUESTION : Et de là, où vous a-t-on emmené ?

11 RÉPONSE : Ils nous ont tous embarqués dans une camionnette pour nous

12 emmener au SUP.

13 QUESTION : Quand vous parlez du "SUP", vous faites allusion au poste de

14 police dans le centre de Prijedor ?

15 RÉPONSE : Oui.

16 QUESTION : Lorsque vous êtes arrivés au SUP, où vous a-t-on d’abord

17 emmenés ?

18 RÉPONSE : Ils nous ont d’abord emmenés dans la maison, l’unité de

19 détention qu’ils avaient dans la cour. Il y avait des cellules et

20 ils se tenaient en cercle.

21 QUESTION : Qui vous a emmené à la cellule dans le poste de police de

22 Prijedor ? S’agissait-il des hommes ----

23 RÉPONSE : Eh bien, ceux qui nous avaient emmenés là.

24 QUESTION : Lorsque vous êtes arrivés dans la cellule, est-ce qu’il y avait

25 déjà quelqu’un dedans ?

Page 3782

1 RÉPONSE : Oui, sur le toit mais ils nous ont fait rentrer dans la cellule

2 en nous battant tout le long du chemin.

3 QUESTION : Y avait-il déjà quelqu’un dans la cellule quand vous y êtes

4 arrivés, un autre prisonnier ?

5 RÉPONSE : Non, personne ne nous a battus. On ne nous a pas battus avant

6 que nous soyons sortis.

7 QUESTION : Oui, mais quand on vous a fait entrer dans la cellule, est-ce

8 qu’il y avait déjà un autre prisonnier dans cette cellule ?

9 RÉPONSE : Oui, il y avait un Croate.

10 QUESTION : Comment savez-vous que c’était un Croate ?

11 RÉPONSE : Comment ne l’aurais-je pas su ? Eh bien, il nous l’a dit. Il a

12 dit qu’il était croate. Il était lui aussi couvert de sang.

13 QUESTION : Après cette cellule, où vous ont-ils tous emmenés ?

14 RÉPONSE : Ils nous ont fait sortir de la cellule et nous ont de nouveau

15 alignés face à un mur, appuyés dessus en faisant le signe des trois

16 doigts, bras et jambes écartés. Ils nous ont confisqué nos lacets,

17 nos ceintures, nos porte-monnaie et tous les objets de valeur que

18 nous avions sur nous. Ils ont pris tout ça.

19 QUESTION : Ils ont pris tous vos objets de valeur. Qu’ont-ils fait de vos

20 documents et papiers d’identité ?

21 RÉPONSE : Ils les ont jetés par terre, sur l’asphalte.

22 QUESTION : Avez-vous tous été battus dans cette cour ?

23 RÉPONSE : Ils nous ont de nouveau passés à tabac. La police est venue pour

24 nous tabasser.

25 QUESTION : Ces individus dont vous venez de dire qu’ils étaient de la

Page 3783

1 police, comment étaient-ils habillés ?

2 RÉPONSE : Ils portaient des uniformes bleus.

3 QUESTION : S’agissait-il de l’uniforme normal de la police, une chemise

4 bleu ciel avec un pantalon bleu marine ?

5 RÉPONSE : Oui, oui, bleu ciel.

6 QUESTION : Avec quoi ces policiers vous ont-ils frappés ?

7 RÉPONSE : Ils nous ont frappés avec leurs mains, la paume des mains et

8 plein d’autre objets, mais surtout avec la paume des mains, ces

9 policiers.

10 QUESTION : Pendant combien de temps vous ont-il frappés ?

11 RÉPONSE : Eh bien ça a aussi duré environ deux heures.

12 QUESTION : Pouvez-vous nous décrire à quoi vous ressembliez après ce

13 passage à tabac, vous et les autres hommes qui ont été battus ?

14 RÉPONSE : Mon frère a perdu connaissance parce qu’il a été touché là, il a

15 perdu deux dents là et il avait des blessures sur le visage et nous

16 étions totalement impuissants. Nous n’avions rien.

17 MONSIEUR KEEGAN : Pour la clarté du compte rendu d’audience, je précise

18 que le témoin a indiqué sa joue droite.

19 LE PRÉSIDENT : Le compte rendu comportera cette précision.

20 LE TÉMOIN : Oui.

21 MONSIEUR KEEGAN : (Au témoin) : Du poste de police de Prijedor, où vous a-

22 t-on emmenés ?

23 RÉPONSE : Le véhicule avait l’air d’une voiture mais c’était en fait une

24 camionnette qui n’avait que deux banquettes, soit de la place pour

25 six personnes. Mais ils nous ont quand même embarqués tous les douze

Page 3784

1 dedans.

2 QUESTION : Donc, il y avait là les onze personnes qui avaient été raflées

3 dans votre quartier plus le Croate qui était déjà au poste de police

4 lorsque vous y êtes arrivés.

5 RÉPONSE : Oui.

6 QUESTION : Est-ce qu’ils vous ont forcés à faire quelque chose dans la

7 camionnette ?

8 RÉPONSE : Nous avons chanté "Qui ment ? Qui dit que la Serbie est petite

9 ?".

10 QUESTION : Où vous a-t-on emmenés ?

11 RÉPONSE : On nous a emmenés à Omarska.

12 QUESTION : Que s’est-il passé quand vous êtes arrivés au camp ?

13 RÉPONSE : Ils nous ont fait descendre de la camionnette et nous avons dû

14 de nouveau nous mettre face au mur appuyés sur trois doigts. Il y

15 avait les deux hommes qui nous avaient emmenés et d’autres gardes.

16 Ils nous ensuite mis dans un garage.

17 QUESTION : Les deux hommes qui vous ont accompagné au camp, faisaient-ils

18 partie du groupe qui vous avait raflés dans votre quartier et

19 étaient-il des policiers du poste ?

20 RÉPONSE : Je ne sais pas d’où ils venaient ni ce qu’ils étaient.

21 QUESTION : Portaient-ils des uniformes de plusieurs couleurs ou des

22 uniformes de police habituels ?

23 RÉPONSE : C’étaient ceux qui avaient des uniformes de plusieurs couleurs.

24 QUESTION : Après vous avoir alignés face au mur à votre arrivée au camp,

25 vous ont-ils frappés ?

Page 3785

1 RÉPONSE : Oui.

2 QUESTION : Avec quoi avez-vous été frappés ?

3 RÉPONSE : Ils nous ont donné des coups de pied et des coups avec toutes

4 sortes d’objets, des bâtons.

5 QUESTION : Où vous ont-ils frappés ?

6 RÉPONSE : Sur le dos et entre les jambes.

7 QUESTION : Encore une fois, quand vous dites "entre les jambes", voulez-

8 vous dire que l’on vous a donné des coups de pied aux organes

9 génitaux ?

10 RÉPONSE : Oui.

11 QUESTION : Quand ils vous frappaient le dos, s’acharnaient-ils sur une

12 partie précise de votre dos ?

13 RÉPONSE : Oui.

14 QUESTION : Laquelle ? Est-ce qu’ils s’acharnaient plutôt sur le haut du

15 dos, le bas du dos ou ailleurs ?

16 RÉPONSE : Tout le dos. Nous étions de toutes les couleurs, comme un

17 serpent.

18 QUESTION : "De toutes les couleurs, comme un serpent", vous voulez dire à

19 cause des ecchymoses ?

20 RÉPONSE : Oui.

21 QUESTION : Est-ce qu’ils vous insultaient pendant qu’ils vous battaient ?

22 RÉPONSE : Oui, ils disaient "qu’Alija encule ta mère. C’est à cause

23 d’Alija que vous êtes venus ici" etc...

24 QUESTION : Quand ils disaient "C’est à cause d’Alija que vous êtes venus

25 ici", de qui parlaient-ils ?

Page 3786

1 RÉPONSE : D’Alija Izetbegovic.

2 QUESTION : Le Président de la République de Bosnie-Herzégovine ?

3 RÉPONSE : Oui.

4 QUESTION : Vous a-t-on forcé à chanter des chansons à votre arrivée au

5 camp ?

6 RÉPONSE : Oui.

7 QUESTION : Quelles chansons ?

8 RÉPONSE : Eh bien ils nous ont dit de chanter une chanson à propos de

9 Karardjordje et comme nous n’en connaissions pas, nous avons encore

10 chanté "Qui ment ? Qui dit ?".

11 QUESTION : "Qui ment ? Qui dit que la Serbie est petite ?" ?

12 RÉPONSE : Oui, oui.

13 QUESTION : Vous avez dit qu’on vous avait ensuite emmenés dans un garage ?

14 RÉPONSE : Oui.

15 QUESTION : S’agit-il du garage qui se trouve dans le bâtiment

16 administratif ?

17 RÉPONSE : Oui.

18 QUESTION : À votre arrivée au garage, y avait-il déjà des prisonniers

19 dedans ?

20 RÉPONSE : Oui, il y avait là de nombreux prisonniers.

21 QUESTION : Ces prisonniers ont-ils fait quelque chose pour vous quand on

22 vous a mis dans le garage ?

23 RÉPONSE : Oui, ils ont enlevé leurs chemises et ont essayé de couvrir les

24 ecchymoses de nos dos.

25 QUESTION : Ont-ils mouillé les chemises avant de vous les mettre sur le

Page 3787

1 dos ?

2 RÉPONSE : Oui.

3 QUESTION : Quelle était l’appartenance ethnique des autres prisonniers qui

4 étaient dans le garage ?

5 RÉPONSE : Musulmane.

6 QUESTION : Pendant la période où vous avez été détenu à Omarska, quelle

7 était l’appartenance ethnique de la plupart des gardes avec lesquels

8 vous avez été en contact ?

9 RÉPONSE : Des Serbes. Des Serbes orthodoxes. Ils se sont revendiqués

10 Serbes du jour au lendemain.

11 QUESTION : Combien de jour avez-vous été détenus dans ce petit garage ?

12 RÉPONSE : 20 à 25 jours environ.

13 QUESTION : Pendant la période que vous avez passée dans ce garage, des

14 prisonniers étaient-ils emmenés pour des interrogatoires ?

15 RÉPONSE : Oui, plus tard, ils ont commencé à appeler des gens et à les

16 emmener ailleurs pour les interroger.

17 QUESTION : Pendant les premiers jours, comment les gens étaient-ils

18 emmenés du garage pour interrogatoire ?

19 RÉPONSE : Le soir, ils venaient et choisissaient une ou deux personnes en

20 les désignant du doigt. La personne les suivait et on ne la revoyait

21 plus jamais dans le garage.

22 QUESTION : Ces personnes qui avaient été emmenées de nuit pour

23 interrogatoire, les avez-vous revues par la suite dans une autre

24 partie du camp ?

25 RÉPONSE : Non, je ne les ai pas revues.

Page 3788

1 QUESTION : Une fois qu’ils ont commencé à appeler les gens qu’ils

2 voulaient interroger, de quelle manière cela se passait-il ?

3 RÉPONSE : Ils ramenaient leur liste et appelaient les gens dont le nom

4 figurait sur cette liste de personnes à interroger.

5 QUESTION : Du petit garage où vous étiez, pouviez-vous entendre ce qui se

6 passait dans les salles d’interrogatoire au premier étage du

7 bâtiment administratif ?

8 RÉPONSE : Un certain nombre des nôtres hurlaient lors de leur

9 interrogatoire par ces gens du dessus, au dessus du garage.

10 QUESTION : Finalement, avez-vous subi un interrogatoire à votre tour ?

11 RÉPONSE : Après 20, 25 jours, ils m’ont appelé pour interrogatoire.

12 QUESTION : En allant vers la salle d’interrogatoire, avez-vous été battu ?

13 RÉPONSE : Oui.

14 QUESTION : Où vous a-t-on battu ?

15 RÉPONSE : Dans la zone d’accès à l’escalier, dans l’escalier et sur le

16 chemin de la salle à travers le corridor. Ils étaient alignés tout

17 le long du chemin et me battaient.

18 QUESTION : Quand vous dites "Ils étaient alignés", à qui faites-vous

19 allusion ?

20 RÉPONSE : Eh bien aux Serbes.

21 QUESTION : Les gardes du camp ?

22 RÉPONSE : Oui.

23 QUESTION : Où se tenaient-ils ?

24 RÉPONSE : Ils étaient debout près des escaliers, au pied de la cage

25 d’escalier et sur le palier en haut.

Page 3789

1 QUESTION : Après qu’on vous a emmené en haut, dans quelle pièce vous a-t-

2 on interrogé ?

3 RÉPONSE : En haut des escaliers, la première pièce à droite -- à gauche.

4 QUESTION : Première pièce à gauche ?

5 RÉPONSE : Oui.

6 QUESTION : La personne qui vous a interrogé portait-elle un uniforme ?

7 RÉPONSE : Oui, un uniforme de plusieurs couleurs.

8 QUESTION : Quel genre de question vous a-t-il posées ?

9 RÉPONSE : Ils m’ont demandé où était mon fusil, c’était la première

10 question et j’ai dit que je n’avais pas de fusil.

11 QUESTION : A-t-il posé d’autres questions autres que celle relative aux

12 armes ?

13 RÉPONSE : Eh bien, aucune autre, seulement les armes. Alors il a écrit

14 quelque chose sur un cahier ; je ne sais pas ce qu’il a écrit.

15 QUESTION : Avez-vous été battu pendant l’interrogatoire ?

16 RÉPONSE : Non.

17 QUESTION : À la fin de l’interrogatoire, vous a-t-on demandé de signer

18 quelque chose.

19 RÉPONSE : Oui, j’ai dû signer sur cette feuille.

20 QUESTION : Avez-vous pris le temps de la lire ?

21 RÉPONSE : Je n’osais pas la lire. J’ai juste signé.

22 QUESTION : Après qu’on vous a fait sortir de la salle d’interrogatoire,

23 vous a-t-on battu sur le chemin vers l’extérieur du bâtiment ?

24 RÉPONSE : Oui, en allant vers la pista.

25 QUESTION : Après vous avoir fait sortir du bâtiment, vous ont-ils placé

Page 3790

1 sur la pista ?

2 RÉPONSE : Oui.

3 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, je me demande si c’est le moment

4 opportun ?

5 LE PRÉSIDENT : Avant de suspendre l’audience, je voudrais préciser pour la

6 clarté du compte rendu que la pièce à conviction de l’Accusation No

7 242 contient 13 photographies. Elles sont numérotées à partir de la

8 première, c’est la No 00400134, la deuxième porte le numéro 00400135

9 mais aussi le 00400136 et les suivantes sont numérotées

10 consécutivement. Je ne connais pas le contenu exact de votre

11 exemplaire, Monsieur Wladimiroff, mais ça, c’est ce qui a été admis

12 au dossier. L’audience est suspendue pour une durée de 20 minutes.

13 (16 h 00)

14 (La Cour se retire pour une courte pause)

15 (16 h 20)

16 LE PRÉSIDENT : Monsieur Keegan, vous pouvez reprendre votre

17 interrogatoire.

18 MONSIEUR KEEGAN : Merci, Madame le Président. Avant de reprendre le fil de

19 mon interrogatoire, pour la clarté du compte rendu, je voudrais

20 faire quelques précisions sur la mention que vous avez faite, avant

21 la suspension d’audience, de la Pièce 242 et des nombres qui

22 figuraient au dos de la photographie No. 2 en particulier. Je

23 voulais préciser, Madame le Président -- et la Défense en est

24 consciente -- que ces nombres sont les numéros d’enregistrement des

25 éléments de preuve, qui sont apposés sur la photographie après

Page 3791

1 qu’elle ait été ramenée par les enquêteurs qui l’ont montrée au

2 témoin et enregistrée dans notre système. Il y en a deux sur la

3 photographie que le témoin signe parce que la photographie est

4 copiée. L’un des numéro concerne le recto de la photographie, donc

5 l’image, alors que l’autre numéro concerne la signature.

6 LE PRÉSIDENT : Je vois. Je ne connaissais pas la raison de ces deux

7 photographies mais je me souviens que le témoin a dit que ces

8 numéros ne figuraient pas sur les photographies lorsqu’il a

9 identifié -----

10 MONSIEUR KEEGAN : C’est exact, c’est pourquoi dans chacun des albums, vous

11 noterez que chacune des images est numérotée une fois et normalement

12 vous en trouveriez deux ; chaque personne qui signe doit normalement

13 en avoir deux ---

14 LE PRÉSIDENT : Je vois.

15 MONSIEUR KEEGAN : -- pour cette raison.

16 LE PRÉSIDENT : C’était la seule photographie signée dans ce groupe. Bien.

17 Je vous remercie.

18 MONSIEUR KEEGAN (Au témoin) : Monsieur Mesic, juste avant la suspension de

19 l’audience, vous évoquiez comment on vous avait emmené sur la pista

20 après votre interrogatoire.

21 RÉPONSE : Oui.

22 QUESTION : Au moment où vous êtes arrivé sur la pista, avez-vous vu

23 quelqu’un que vous connaissiez ?

24 RÉPONSE : Oui, j’ai vu mon neveu et il m’a appelé pour que je vienne

25 m’asseoir près de lui.

Page 3792

1 QUESTION : Comment de temps avez-vous passé sur la pista ?

2 RÉPONSE : Une journée.

3 QUESTION : Ce jour là, lorsque vous étiez sur la pista, avez-vous été

4 témoin de l’assassinat d’un prisonnier ?

5 RÉPONSE : Oui.

6 QUESTION : Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous décrire ce qui s’est passé

7 ?

8 RÉPONSE : Le jeune homme a été abattu. Il est parti demander du pain,

9 parce qu’il donnait du pain aux mineurs et il est donc parti en

10 chercher. Le garde l’a repoussé. Ils ne lui ont pas donné de pain.

11 Il marchait parmi nous, entre nous. Il a un peu crié et alors un

12 garde est venu, l’a écarté du groupe et l’a envoyé à la maison

13 blanche. Il est arrivé à la porte, à la porte du bas et il est entré

14 dans la pièce. La fenêtre était ouverte. Sous cette fenêtre, il y

15 avait un banc et il a sauté par la fenêtre et s’est assis sur le

16 banc. Un peu plus tard, il a levé les mains et il a dit "J’ai le

17 pouvoir" et il a commencé à marcher vers le policier. Le garde a

18 pris un fusil et lui a vidé un chargeur entier dans le bas du corps

19 et il s’est écroulé.

20 QUESTION : Quand le prisonnier s’est écroulé, est-ce que les gardes --

21 bien, qu’avez-vous vu ensuite ?

22 RÉPONSE : Il est venu, je veux dire un soldat en tenue de camouflage est

23 venu près de lui et les autres personnes ont dit "Voilà Tadic". Je

24 me suis retourné pour voir de qui il s’agissait.

25 MONSIEUR KAY : Je vous demande pardon. Madame le Président, je présente de

Page 3793

1 nouveau une objection, fondée sur le principe que les informations

2 que le témoin vient de nous livrer ont une valeur probante largement

3 inférieure à leur effet préjudiciable, étant donné qu’il s’agit d’un

4 discours tenu par d’autres personnes informant le témoin de

5 l’identité d’un homme. Les personnes qui ont donné cette information

6 ne sont pas des témoins de l’existence desquels nous avons été

7 avisés ni des témoins que nous pouvons récuser ou soumettre à un

8 contre-interrogatoire. Nous ne pouvons savoir si l’information était

9 juste ou fausse, ni sur quelle base ces personnes l’ont elles-mêmes

10 reçue, ni si elles connaissaient cet homme ou pas.

11 LE PRÉSIDENT : Cela est en fait à aborder lors de votre contre-

12 interrogatoire de ce témoin ou si vous souhaitez plus tard récuser

13 ce témoin et il s’agit des circonstances dans lesquelles il a appris

14 ou entendu "Voilà Tadic". De nouveau, votre objection est rejetée --

15 bien que nous n’ayons pas encore statué sur votre requête, il me

16 semble approprié, au moins dans ce cas particulier, d’entendre ce

17 témoignage avant de pouvoir vraiment évaluer sa valeur probante,

18 parce que je ne connais pas les circonstances qui l’ont entouré. À

19 ce stade, à part qu’on a tiré sur un individu en visant le bas de

20 son corps, que le garde à vidé son chargeur et que quelqu’un a dit

21 "Voilà Tadic", nous ne savons rien d’autre. Je rejette donc votre

22 objection à ce stade.

23 MONSIEUR KEEGAN : Monsieur Mesic, vous avez indiqué qu’un soldat portant

24 une tenue de camouflage été allé vers lui. Voulez-vous dire qu’un

25 soldat en tenue de camouflage est allé vers le garde qui avait tiré

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1 sur le prisonnier ?

2 RÉPONSE : Oui.

3 QUESTION : Pendant que cette personne en tenue de camouflage allait vers

4 le garde qui avait tiré sur le prisonnier, les autres prisonniers

5 vous ont-ils dit quelque chose ?

6 RÉPONSE : Non, ils ne m’ont rien dit.

7 QUESTION : Est-ce que quelqu’un a identifié le soldat qui allait vers le

8 garde qui avait tiré sur le prisonnier ?

9 RÉPONSE : Le prisonnier a dit "Voilà Tadic" et je l’ai regardé puis j’ai

10 détourné mon regard. Alors il a dit "Salut" au garde et ils se sont

11 souri l’un à l’autre. Il portait un livre. Je ne sais pas s’il

12 s’agissait d’un livre ou d’un cahier où il allait consigner le

13 meurtre. Je ne sais pas ce que c’était mais à ce moment là, on nous

14 a ordonné de nous asseoir, de nous allonger face contre terre. Alors

15 on s’est allongés à plat ventre. Après cela, on nous a ordonné de

16 nous lever et Kera a été mis dans une couverture et on l’a emmené

17 derrière le garage. On l’a mis derrière la pièce où il était et les

18 autres ont commencé à arroser l’herbe pour enlever le sang.

19 QUESTION : Monsieur Mesic, quand ce soldat en tenue de camouflage allait

20 vers le garde, est-ce que l’un des prisonniers a mentionné le nom

21 "Tadic" ou est-ce qu’ils étaient plusieurs à le faire ?

22 RÉPONSE : Plus d’un, "Regarde, voilà encore Tadic".

23 QUESTION : Vous souvenez-vous de ce que ces gens disaient ?

24 RÉPONSE : Ils disaient que c’était Tadic et qu’il y avait un concours

25 entre les deux pour savoir lequel tuerait le plus de personnes.

Page 3795

1 QUESTION : Les prisonniers assis autour de vous qui ont dit "Voilà Tadic",

2 savez-vous d’où ils venaient ?

3 RÉPONSE : Nous venions de plein d’endroits de la région. Mon neveu était

4 là.

5 QUESTION : Les prisonniers que vous avez entendus dire "Voilà Tadic",

6 savez-vous d’où ils venaient, de quelle région ?

7 RÉPONSE : La plupart était de Kozarac.

8 QUESTION : Avez-vous bien regardé le visage de l’homme qu’ils ont

9 identifié comme étant Tadic ?

10 RÉPONSE : Oui.

11 QUESTION : Vous avez dit que vous avez détourné le regard après avoir vu

12 cet homme. Vous avez ensuite décrit comment l’homme a salué le garde

13 qui avait tiré sur le prisonnier. Cela signifie-t-il que vous avez

14 de nouveau regardé du côté où se tenaient le garde et l’homme

15 identifié comme étant Tadic ?

16 RÉPONSE : Oui, oui.

17 QUESTION : Que s’est-il passé lorsque cet homme, identifié comme étant

18 Tadic, est allé vers le garde ? Comment se sont-ils salués ?

19 RÉPONSE : Ils se sont serré la main et se sont souri.

20 QUESTION : Vous avez indiqué qu’à peu près au même moment, on vous a donné

21 l’ordre de tous vous coucher et de ne pas regarder. Quand vous avez

22 obtempéré ----

23 RÉPONSE : Oui, nous nous sommes allongés, face contre terre. Quelqu’un

24 était assis, quelques personnes étaient assises et regardaient vers

25 le bas mais en fait, vous pouviez regarder par dessous votre bras

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1 pour voir ce qui se passait autour de vous.

2 QUESTION : Lorsque vous avez levé les yeux de nouveau, avez-vous pu revoir

3 Tadic, l’homme identifié comme étant Tadic ?

4 RÉPONSE : Lorsque l’on nous a donné l’ordre de nous lever, je n’ai plus vu

5 Tadic, si c’était Tadic.

6 QUESTION : Ce jour là, quand vous avez quitté la pista, où êtes-vous allé

7 ?

8 RÉPONSE : Ce jour là, je suis resté sur la pista jusqu’à environ 9 ou 10

9 heures et après, on a jeté dans la pièce No. 16 ceux qui voulaient

10 partir et je faisais partie de ce groupe.

11 QUESTION : Pourquoi avez-vous rejoint le groupe qui se rendait dans une

12 pièce du hangar ?

13 RÉPONSE : Parce qu’en haut, tout était fermé.

14 QUESTION : Vous pensiez que les conditions seraient meilleures si vous

15 étiez à l’intérieur du bâtiment ?

16 RÉPONSE : Bien sûr que je croyais qu’elles seraient meilleures -- je

17 serais dans de meilleures conditions et on ne nous maltraiterait pas

18 autant dans la pièce.

19 QUESTION : Avez-vous vu ce qui est arrivé au cadavre du prisonnier appelé

20 Kera qui a été abattu l’après-midi où vous étiez sur la pista ?

21 RÉPONSE : Ce cadavre est resté là jusqu’au lendemain matin.

22 QUESTION : Comment savez-vous cela ?

23 RÉPONSE : Parce que le lendemain matin, on est allés au champ, aux

24 toilettes. Nous avons été conduits dehors et nous les avons vu

25 charger les cadavres. Il y avait plusieurs autres cadavres et celui

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1 de Kera était parmi eux.

2 QUESTION : Quand vous dites qu’on vous a conduits dehors, voulez-vous dire

3 que les gardes vous ont emmenés de la pièce à l’intérieur du hangar

4 vers l’extérieur ?

5 RÉPONSE : Oui.

6 QUESTION : Où était l’endroit que vous étiez supposés utiliser comme

7 toilettes ?

8 RÉPONSE : Près de la maison blanche.

9 QUESTION : Où avez-vous vu le cadavre de Kera ?

10 RÉPONSE : À l’endroit même où il avait été laissé, derrière la maison

11 blanche.

12 QUESTION : Que les avez-vous vu faire des cadavres, ce matin là ?

13 RÉPONSE : Ils les mettaient dans un petit camion et les conduisaient

14 ailleurs.

15 QUESTION : Avez-vous revu de nouveau dans le camp l’homme qu’on vous avait

16 identifié comme étant Tadic ?

17 RÉPONSE : Oui.

18 QUESTION : Quand était-ce ?

19 RÉPONSE : C’est le matin où nous sommes partis aux toilettes après le

20 réveil et, en revenant, j’étais assis près de cet homme. Il m’a dit

21 qu’il était de Kozarac et alors un garde est arrivé et m’a dit de

22 l’emmener en haut pour son interrogatoire, qu’il devait me suivre.

23 Nous sommes allés en haut. Je lui ai fait monter les escaliers. On

24 nous a un peu frappés alors que nous montions les escaliers. Il est

25 allé vers la droite, la troisième pièce à droite. Je me suis

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1 retrouvé face au mur, appuyé dessus en faisant le signe des trois

2 doigts et j’ai dû attendre comme ça jusqu’à ce qu’il ressorte. J’ai

3 vu Tadic assis à un bureau et il y avait aussi des chaises autour de

4 la table. Il avait les pied posés sur la table et quand je l’ai vu,

5 je me suis dit que c’était le même homme que j’avais vu la veille.

6 QUESTION : Après qu’on vous ait emmenés au champ, ce matin là, pour aller

7 au toilettes, on vous a ramené à la même pièce à l’étage du hangar ?

8 RÉPONSE : Oui.

9 QUESTION : Dans cette pièce, il y avait un homme -----

10 RÉPONSE : On ne l’a pas ramené à la pièce. On m’a ramené moi. L’homme de

11 Kozarac, il est resté sur la pista.

12 QUESTION : Je parle des instants avant que vous n’alliez avec lui à la

13 salle d’interrogatoire. Alors vous a-t-on ramené à la pièce No. 16

14 ce matin là et un homme de Kozarac a-t-il été amené à la pièce No.

15 16 ?

16 RÉPONSE : Oui. Oui.

17 QUESTION : Un garde vous a dit d’emmener cet homme se faire interroger ?

18 RÉPONSE : Oui, parce qu’il avait été sévèrement passé à tabac et qu’il ne

19 pouvait pas marcher tout seul.

20 QUESTION : Vous avez emmené cet homme en haut, dans le bâtiment de

21 l’administration, où se déroulaient les interrogatoires ?

22 RÉPONSE : Oui.

23 QUESTION : Est-ce l’endroit où vous avez revu l’homme identifié comme

24 étant Tadic ?

25 RÉPONSE : Oui.

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1 QUESTION : Après avoir amené l’homme de Kozarac à la salle

2 d’interrogatoire, où vous êtes vous mis ?

3 RÉPONSE : J’étais debout dans le corridor, à environ deux mètres de lui,

4 de Tadic, de cet homme, je ne sais pas si c’était Tadic.

5 QUESTION : Dans quelle position vous a-t-on ordonné de vous tenir contre

6 le mur ?

7 RÉPONSE : J’ai dû lever trois doigts et m’appuyer dessus contre le mur,

8 jusqu’à ce qu’il ressorte.

9 QUESTION : L’homme de Kozarac ?

10 RÉPONSE : Oui.

11 QUESTION : Combien de temps pensez-vous avoir passé dans ce couloir, à

12 attendre ?

13 RÉPONSE : Pas très longtemps --environ 15 minutes.

14 QUESTION : Durant ce laps de temps, avez vu bien regardé l’homme qu’on

15 vous avait identifié comme étant Tadic et qui était assis à la table

16 ?

17 RÉPONSE : Oui.

18 QUESTION : Pourriez-vous, avec l’aide de Madame Sutherland, nous montrer

19 sur la maquette les différents lieux dont nous avons discuté.

20 Pourriez-vous vous lever, M. Mesic ? M. Mesic, pouvez-vous vous

21 mettre devant votre bureau, le bureau des témoins ?

22 LE PRÉSIDENT : Si vous le souhaitez, Monsieur Keegan, il peut passer de ce

23 côté-ci et utiliser ces microphones. Je ne sais pas ce où vous

24 voulez qu’il se tienne pour procéder à l’identification. Faites

25 comme il vous plaira.

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1 MONSIEUR KEEGAN : Je pense qu’il peut certainement mieux atteindre tous

2 les côtés à partir d’ici, Madame. De plus, nous ne disposons

3 malheureusement pas ici de casques avec de long fils. J’en ai

4 cherché mais il n’y en a pas aujourd’hui. M. Mesic, si vous pouviez

5 d’abord indiquer avec le pointeur le petit garage où vous avez été

6 détenu immédiatement après votre arrivée au camp ?

7 RÉPONSE : (Le témoin indique sur la maquette). Ça, c’est le garage, ça.

8 Ça, c’est le garage.

9 QUESTION : Une précision pour la clarté du compte rendu d’audience, Madame

10 le Président ; je pense que la Cour est suffisamment au fait de

11 cette maquette pour constater qu’il s’agit du petit garage situé au

12 rez-de-chaussée à l’angle de ce bâtiment. Voilà. Pourriez-vous

13 indiquer ce garage de nouveau, s’il vous plaît ? Merci. Si vous

14 pouviez maintenant indiquer la salle d’interrogatoire dans le

15 bâtiment de l’administration où vous avez été interrogé ?

16 RÉPONSE : J’ai été interrogé dans cette pièce, en haut.

17 QUESTION : Il y a une lettre et un nombre qui identifient cette pièce,

18 pourriez-vous nous les lire ?

19 RÉPONSE : C’est la No. 11.

20 QUESTION : Quand on vous a emmené à la pista et que vous avez été témoin

21 du meurtre de Kera, où étiez-vous, approximativement, sur la pista ?

22 RÉPONSE : J’étais à côté des pots de fleurs près de la maison blanche.

23 QUESTION : Les pots de fleurs les plus proches de la maison blanche ?

24 RÉPONSE : C’était tout près.

25 QUESTION : M. Mesic, si vous pouviez maintenant nous indiquer la pièce du

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1 hangar dans laquelle on vous a emmené ce jour là ?

2 RÉPONSE : Dans le hangar ?

3 QUESTION : Oui. Là où l’on vous a emmené dans le hangar ?

4 RÉPONSE : (Le témoin indique)

5 QUESTION : Si vous pouviez indiquer de nouveau et l’identifier par une

6 lettre ou un nombre écrit sur la surface de cette pièce ?

7 RÉPONSE : Je ne comprends pas très bien votre question.

8 QUESTION : Pourriez-vous nous indiquer de nouveau la pièce du hangar où

9 vous êtes restés, dans le bâtiment du hangar ?

10 RÉPONSE : ?La réponse du témoin n’a pas été interprétée?.

11 QUESTION : La pièce où l’on vous a emmené après que vous ayez quitté la

12 pista ?

13 RÉPONSE : On m’a emmené à cette pièce.

14 QUESTION : Pourriez-vous nous dire le nombre ou la lettre qui figure sur

15 cette maquette ?

16 RÉPONSE : B1.

17 QUESTION : Pourriez-vous nous indiquer la pièce de cette maison blanche où

18 l’on a emmené Kera avant de l’abattre ?

19 RÉPONSE : On l’a fait passer par la porte et on l’a mis dans cette pièce.

20 QUESTION : Quand vous regardez la maquette, c’est la première pièce à

21 gauche ?

22 RÉPONSE : Oui, il y avait un banc dehors.

23 QUESTION : La fenêtre qui est indiquée sur la maquette, ici, à l’avant,

24 est-ce que c’est la fenêtre par laquelle il a sauté ?

25 RÉPONSE : Oui, même si la fenêtre était ouverte, il a sauté puis s’est

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1 assis sur le banc.

2 QUESTION : Pendant le temps que vous avez passé dans la pièce 16, vous a-

3 t-on jamais emmené à une autre pièce de ce hangar ?

4 RÉPONSE : Non.

5 QUESTION : Pendant le temps que vous avez passé dans cette pièce, s’est-il

6 passé quelque chose de significatif lorsqu’ils ont emmené des

7 prisonniers additionnels ?

8 RÉPONSE : Oui.

9 QUESTION : Pouvez-vous nous décrire ce qui s’est passé ?

10 RÉPONSE : Ils ont ramené trois bus pleins de gens d’Hambarine.

11 QUESTION : Qu’ont-ils fait de vous et des autres prisonniers qui étaient

12 déjà dans la pièce ?

13 RÉPONSE : Ils nous ont transférés vers une autre pièce, nous faisant

14 passer par le corridor et le hall.

15 QUESTION : Pourriez-vous nous indiquer cette autre pièce, s’il vous plaît

16 ?

17 RÉPONSE : Le long du corridor, de cette pièce à celle-là. Celle-là, là.

18 Nous sommes sortis par là et sommes allés directement à cette porte.

19 Il y avait une cage d’escalier, ici. Cigo est arrivé là. Il a placé

20 un garde armé d’un fusil, lui expliquant comment tenir le fusil,

21 notre porte était ouverte et il nous a mis là. Nous étions dans

22 cette pièce ici et alors, ils ont commencé à battre les gens de

23 Hambarine et les ont emmenés ensuite à notre pièce.

24 QUESTION : Monsieur Mesic, pourriez-vous nous indiquer de nouveau la pièce

25 où vous avez été placés quand les hommes de Hambarine on été ramenés

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1 ? Pointez dessus encore une fois.

2 RÉPONSE : Je ne vois pas très bien mais c’est cette pièce, oui. C’est la

3 pièce où nous étions avant et ensuite, quand les gens de Hambarine

4 sont arrivés, ils nous ont transférés de cette pièce-ci à celle-là.

5 QUESTION : Je vous remercie, vous pouvez vous rasseoir, maintenant. Madame

6 le Président, je voudrais indiquer, pour la clarté du compte rendu

7 que le témoin a indiqué la pièce B7 même s’il n’était pas en mesure

8 de l’atteindre avec son pointeur.

9 LE PRÉSIDENT : C’est la pièce à laquelle il a été transféré ?

10 MONSIEUR KEEGAN : Oui, c’est exact, Madame le Président. (Au témoin) :

11 Lorsque ces hommes d’Hambarine ont été amenés à cette pièce que vous

12 avez identifiée comme étant la pièce 16, que s’est-il passé ?

13 RÉPONSE : Ils les ont battus.

14 QUESTION : Comment ces hommes ont-ils été battus ?

15 RÉPONSE : Ils les ont battus durant les interrogatoires et jusqu’à 9

16 heures du soir, jusqu’à 8 heures et demie ou 9 heures, je ne suis

17 pas sûr ; et après, ils les ont jetés, les deux, dans la No. 16. Ils

18 nous ont demandé qui voulait aller dans l’autre pièce. Certains

19 d’entre nous sont retournés à notre pièce. Les gens avaient été

20 battus. J’ai demandé à l’un d’entre eux d’où ils étaient et il a dit

21 :"Nous étions d’Hambarine ; ils nous ont attrapés dans les bois et

22 nous ont ramenés ici."

23 QUESTION : À quoi ressemblait la pièce, la pièce No. 16 quand vous y êtes

24 retourné ?

25 RÉPONSE : Il y avait du sang. Il y avait toutes sortes de choses.

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1 QUESTION : Est-ce que ces hommes sont restés dans cette pièce toute la

2 nuit ?

3 RÉPONSE : Non, à environ 11 heures ou 11 heures et demie du soir, ils les

4 ont appelés et les ont mis dans un bus. Les bus étaient stationnés

5 près de la pista. Il y en avait exactement trois que j’ai vu à

6 travers un trou dans la fenêtre. Alors ils ont fait l’appel et ils

7 battaient les hommes au fur et à mesure qu’ils étaient appelés et

8 les forçaient à monter dans le bus.

9 QUESTION : Plus tard, ce même soir, avez-vous entendu quelque chose

10 d’inhabituel ?

11 RÉPONSE : Oui, on a entendu des tirs distants cette nuit là. C’est quand

12 ils ont pris mon frère et trois de ses fils et un frère de fils.

13 QUESTION : Les tirs provenaient-ils de l’intérieur du camp ?

14 RÉPONSE : Non, d’un peu plus loin. C’était un son étrange.

15 QUESTION : Combien de temps les tirs ont-ils duré ?

16 RÉPONSE : Eh bien, 15 ou 20 minutes environ.

17 QUESTION : Quand avez-vous quitté le camp d’Omarska, M. Mesic ?

18 RÉPONSE : Eh bien, quand tout ça s’est écroulé, Je ne sais pas la date

19 exacte. On nous a simplement dit de monter dans les bus et on nous a

20 emmenés à Manjaca.

21 QUESTION : Pouvez-vous nous décrire le voyage vers Manjaca ?

22 RÉPONSE : Au rythme où on avançait, on aurait pu, dans les mêmes temps,

23 arriver en Australie. Ils nous battaient et ils nous ont chargés

24 dans les bus comme du bétail. On était assis le long des couloirs.

25 J’étais assis sur les marches de l’escalier. Il y avait d’autres

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1 personnes assises à côté de moi et alors, vers environ 4 heures et

2 demie ou 5 heures, je ne suis pas très sûr, nous avons pris le

3 départ pour Manjaca.

4 QUESTION : Est-ce qu’ils battaient les gens dans les bus pendant le voyage

5 ?

6 RÉPONSE : Ils nous piétinaient, nous marchaient dessus, nous

7 maltraitaient, en chantant et en nous battant. Ils ont tout fait

8 dans ces bus.

9 QUESTION : Est-ce qu’ils avaient allumé le chauffage dans les bus ?

10 RÉPONSE : Oui.

11 QUESTION : Vous ont-ils donné à boire ou à manger quand vous étiez dans

12 les bus ?

13 RÉPONSE : Rien.

14 QUESTION : Combien de temps êtes-vous resté au camp de Manjaca ?

15 RÉPONSE : J’y suis resté jusqu’au 25.

16 QUESTION : Août ?

17 RÉPONSE : Oui.

18 QUESTION : Comment vous souvenez-vous de cette date ?

19 RÉPONSE : Parce que j’ai une liste de libération et cette carte de la

20 Convention de Genève par laquelle nous étions enregistrés. C’est

21 comme ça que je m’en souviens et je célèbre ce jour comme mon jour

22 anniversaire.

23 QUESTION : Où vous a-t-on emmené quand vous avez quitté le camp de Manjaca

24 ?

25 RÉPONSE : De Manjaca, on nous a emmenés à Trnopolje.

Page 3806

1 QUESTION : Savez-vous pourquoi on vous a transférés de Manjaca ?

2 RÉPONSE : Ils ont transféré de Manjaca tous les vieux, les malades et les

3 mineurs.

4 QUESTION : Dans quel genre de condition étiez-vous quand on vous a

5 transféré ?

6 RÉPONSE : Je pense qu’elles étaient plutôt bonnes à Manjaca, les

7 conditions, parce qu’apparemment, les gardes et Joja, ils avaient eu

8 l’intention de tuer tous les prisonniers, ceux d’Omarska ; je ne

9 sais pas son prénom ou son nom de famille mais je sais qu’il venait

10 d’Omarska et ils l’appelaient Joja. C’était celui qui nous

11 maltraitait le plus, qui nous battait. Et alors, le Commandant

12 adjoint du camp est arrivé et les a insultés en disant "Pourquoi ne

13 l’avez-vous pas fait là-bas à Prijedor, à Omarska ? Vous n’allez

14 rien faire ici" et c’est comme ça qu’il nous a sauvés. Quand nous

15 sommes descendus des bus, il nous a donné de l’eau et tout ce qu’il

16 fallait.

17 QUESTION : Vous parlez du Commandant adjoint du camp à Manjaca ?

18 RÉPONSE : Oui.

19 QUESTION : Dans quel condition étiez-vous, je veux dire physiquement,

20 lorsque vous avez été transféré de Manjaca ?

21 RÉPONSE : J’étais en très mauvais état. Je ne pensais pas que je pourrais

22 retourner chez moi vivant.

23 QUESTION : Pouviez-vous marcher, à l’époque ?

24 RÉPONSE : Non.

25 QUESTION : Combien pesiez-vous ?

Page 3807

1 RÉPONSE : Je pesais trente-huit kilogrammes.

2 QUESTION : Combien de temps avez-vous passé au camp de Trnopolje ?

3 RÉPONSE : Deux jours.

4 QUESTION : À partir de là, où êtes-vous allé ?

5 RÉPONSE : Un voisin, Vlado Tubin est venu nous chercher avec les chevaux

6 et la carriole de mon frère. Kuruzovic a réussi à me libérer et

7 c’est comme ça qu’il nous a ramenés à la maison.

8 QUESTION : Une fois que vous avez quitté le camp d’Omarska, avez-vous

9 jamais revu, en Bosnie-Herzégovine, l’homme qu’on vous a identifié

10 comme étant Tadic ?

11 RÉPONSE : Non.

12 QUESTION : Après avoir quitté la Bosnie-Herzégovine en 1993, avez-vous

13 jamais vu une photographie de l’homme qu’on vous a identifié comme

14 étant Tadic, à la télévision, dans un quelconque journal ou magazine

15 ?

16 RÉPONSE : Non.

17 QUESTION : En juin de cette année, un enquêteur du Tribunal vous a-t-il

18 montré un album photo ?

19 RÉPONSE : Oui.

20 QUESTION : Vous souvenez-vous du numéro de cet album ? Le numéro était-il

21 sur la couverture ?

22 RÉPONSE : No. 8.

23 QUESTION : Pourrait-on enregistrer cet album comme étant la pièce à

24 conviction suivante à être proposée. Il s’agira de la pièce 243.

25 Pourrait-on le faire passer au témoin. M. Mesic, veuillez, s’il vous

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1 plaît, regarder cet album et nous dire si vous le reconnaissez.

2 RÉPONSE : Oui.

3 QUESTION : Vous reconnaissez l’album lui-même ?

4 RÉPONSE : Quel album ?

5 QUESTION : L’album contenant toutes les photographies que vous regardez,

6 le reconnaissez-vous ?

7 RÉPONSE : Oui.

8 QUESTION : S’agit-il de l’album que vous a montré l’enquêteur ?

9 RÉPONSE : Oui.

10 QUESTION : Lorsque l’enquêteur vous a montré ce livre, que vous a-t-il dit

11 ?

12 RÉPONSE : De signer la photographie de cet album photo et j’ai pris la

13 photographie et j’ai signé pour montrer que je reconnaissais la

14 personne dont c’était le portrait.

15 QUESTION : Très bien. Lorsqu’il vous a donné cet album pour la première

16 fois, qu’est-ce qu’il vous a dit de faire en premier ?

17 RÉPONSE : Eh bien, si je reconnaissais dans cet album qui était ce Tadic

18 que j’ai effectivement reconnu, parce qu’avant les événements, je

19 n’avais jamais vu ce Tadic. Je n’avais jamais entendu parler de lui.

20 QUESTION : Lorsqu’il vous a donné l’album, vous a-t-il dit de chercher

21 l’homme Tadic ? C’est ce qu’il vous a dit de faire ? A-t-il utilisé

22 ce nom là ?

23 RÉPONSE : Non. Non. Non, il m’a juste dit "Reconnaissez-vous,

24 reconnaissez-vous cette photo et dans laquelle pensez-vous que ce

25 soit Tadic ?" Je ne me souviens pas exactement. Non, il m’a demandé

Page 3809

1 de le reconnaître parmi ... , d’essayer d’identifier parmi tous ces

2 hommes qui était cet homme.

3 QUESTION : Avez-vous regardé chacune des photographies ?

4 RÉPONSE : Oui.

5 QUESTION : Avez-vous sélectionné l’une quelconque des photos ?

6 RÉPONSE : Oui, la quatrième.

7 QUESTION : Avez-vous signé au dos de cette photographie ?

8 RÉPONSE : Oui.

9 QUESTION : Que représentait la photographie que vous avez sélectionnée ?

10 RÉPONSE : Bien, ils m’ont dit que c’était Tadic, alors j’ai signé comme

11 quoi c’était Tadic.

12 QUESTION : Subsiste-t-il un doute dans votre esprit que l’homme dont vous

13 avez sélectionné la photographie dans cet album soit celui qu’on

14 vous a identifié comme étant Tadic au camp d’Omarska ?

15 RÉPONSE : Oui.

16 QUESTION : Ma question était doutez-vous que ce soit l’homme que vous avez

17 vu à Omarska ?

18 RÉPONSE : J’ai vu cet homme là-bas et il est le même que sur la

19 photographie.

20 QUESTION : Lorsque je vous ai posé la question, qui représentait la photo

21 que vous avez sélectionnée, la réponse qui a été traduite c’est

22 "Bien, ils m’ont dit que c’était Tadic, alors j’ai signé comme quoi

23 c’était Tadic." ?

24 RÉPONSE : Oui.

25 QUESTION : Qui vous a dit que cet homme était Tadic ?

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1 RÉPONSE : Eh bien, je l’ai reconnu. J’ai reconnu la photo de cet homme,

2 mais à savoir si c’était Tadic ou non ---

3 QUESTION : Donc, quand vous dites "ils" vous parlez des gens dans le camp

4 qui ont dit "Voilà Tadic" le jour où vous l’avez vu ?

5 RÉPONSE : Oui. Oui. Oui.

6 QUESTION : Vous ne parlez pas de l’enquêteur ?

7 RÉPONSE : Non.

8 MONSIEUR KEEGAN : Pas d’autre question, Madame le Président. Mais je

9 voudrais proposer le versement au dossier de la Pièce à conviction

10 243, Madame le Président.

11 LE PRÉSIDENT : Y a-t-il une objection à la pièce 243 ? Vous avez une

12 objection de principe.

13 MONSIEUR KAY : Oui.

14 LE PRÉSIDENT : Elle sera rejetée pour cette fois-ci. La pièce 243 est

15 admise au dossier des éléments de preuve. Monsieur Kay, souhaitez-

16 vous procéder à un contre-interrogatoire du témoin ?

17 MONSIEUR KAY : Merci, Madame le Président.

18 Contre-interrogatoire conduit par MONSIEUR KAY

19 QUESTION : M. Mesic, vous n’avez passé qu’une seule journée sur la pista,

20 n’est-ce pas ?

21 RÉPONSE : Oui.

22 QUESTION : Êtes-vous en mesure de dire à la Cour combien de personnes

23 étaient avec vous, ce jour où vous étiez sur la pista ?

24 RÉPONSE : Monsieur, je n’étais pas vraiment en état de compter les gens.

25 QUESTION : Dans quel genre d’état étiez-vous ce jour là ?

Page 3811

1 RÉPONSE : On pourrait dire tabassé.

2 QUESTION : Est-ce que vous aviez des blessures ? Est-ce que vous saigniez

3 ?

4 RÉPONSE : Du visage, oui.

5 QUESTION : Est-ce que votre corps était douloureux ?

6 RÉPONSE : Oui, bien sûr qu’il était douloureux.

7 QUESTION : À quelle heure êtes-vous arrivé sur la pista ?

8 RÉPONSE : Vers 5 ou 6 heures.

9 QUESTION : Du soir ?

10 RÉPONSE : Oui.

11 QUESTION : Êtes-vous en mesure de nous dire quoi que ce soit sur la date

12 du jour où vous êtes allé sur la pista ?

13 QUESTION : Je ne sais rien à propos des dates.

14 QUESTION : Êtes-vous en mesure de nous dire depuis combien de temps vous

15 étiez à Omarska lorsque vous êtes allé sur la pista ?

16 RÉPONSE : Je ne saurais même pas vous dire quand on m’a amené là bas ni

17 depuis combien de temps j’y étais. Un homme ne peut pas se souvenir

18 de tout. Je ne m’en souviens toujours pas.

19 QUESTION : Est-il vrai que la pista était entourée de pots ou de bacs de

20 plantes, des blocs de bétons de chaque côté ?

21 RÉPONSE : Oui.

22 QUESTION : Les gens qui étaient sur cette partie de la pista, y en avait-

23 il beaucoup ? Est-ce qu’elle était pleine ?

24 RÉPONSE : Il y avait là beaucoup de monde.

25 QUESTION : Plusieurs centaines de personnes ?

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1 RÉPONSE : Des centaines ? Eh bien, je pense que oui -- non, je ne sais

2 pas. Je ne sais pas exactement combien il y avait de personnes, mais

3 la pista était pleine. Les gens passaient la nuit allongés sur la

4 pista.

5 QUESTION : Lorsque vous avez quitté l’autre bâtiment, avez-vous marché des

6 portes de devant de ce bâtiment vers la pista ?

7 RÉPONSE : Que voulez-vous dire par là ?

8 QUESTION : Les portes que nous voyons dans la maquette exposée dans le

9 prétoire, peut-être que vous pouvez les voir, de là où vous êtes, si

10 vous voulez bien vous lever.

11 RÉPONSE : De l’interrogatoire ?

12 QUESTION : Oui. Peut-être pourriez-vous nous indiquer à partir de quel

13 endroit vous êtes entré sur la pista ? Peut-être que si vous vous

14 levez -----

15 RÉPONSE : (Le témoin indique sur la maquette) 21, c’est là, c’est de là

16 qu’on est sortis et arrivés ici.

17 QUESTION : Vous avez montré avec votre pointeur que vous étiez de l’autre

18 côté, vers l’herbe, n’est-ce pas ?

19 RÉPONSE : Oui.

20 QUESTION : Pouvez-vous vous lever et nous montrer avec le pointeur où

21 étaient les bacs de fleurs ?

22 RÉPONSE : Eh bien, les bacs de fleurs, vous le savez, je veux dire ils

23 étaient d’un côté et de l’autre. Je n’ai pas dessiné où ils étaient

24 exactement.

25 QUESTION : Peut-être pourriez-vous vous lever et nous indiquer avec le

Page 3813

1 pointeur où les bacs de fleurs étaient placés.

2 RÉPONSE : Les bacs de fleurs étaient comme ça.

3 QUESTION : Entre les bâtiments ?

4 RÉPONSE : Entre ceci et ils allaient dans cette direction. Je n’arrive pas

5 à me souvenir.

6 QUESTION : Les hommes sur la pista, est-ce qu’ils étaient entre les bacs

7 de fleurs ?

8 RÉPONSE : Oui, nous étions tous assis là bas.

9 QUESTION : Les bacs de fleurs marquaient-ils la limite de la zone où les

10 hommes qui étaient sur la piste devaient rester ?

11 RÉPONSE : Je n’en sais rien, s’il y avait une limite quelque part où s’ils

12 considéraient que c’était une limite. Je n’en sais rien.

13 QUESTION : Mais vous étiez entre les plants de fleurs, n’est-ce pas ?

14 RÉPONSE : Oui.

15 QUESTION : Cela tend à montrer que l’indication que vous avez donnée à la

16 Cour et selon laquelle vous étiez plus près de l’herbe où est la

17 maison blanche, cette indication serait fausse.

18 RÉPONSE : Hein ? Comment cela pourrait-il être faux alors que j’étais

19 assis près des bacs de fleurs ?

20 QUESTION : Les bacs de fleurs étaient-ils entre les bâtiments ?

21 RÉPONSE : Comment cela se pourrait-il ?

22 QUESTION : Eh bien, vous venez de nous les indiquer il y a peu, n’est-ce

23 pas ?

24 RÉPONSE : Écoutez, je ne peux pas décrire tout ça maintenant, pas moyen.

25 Je n’en suis tout simplement pas capable. Où est-ce qu’ils étaient,

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1 comment le saurais-je maintenant ? Tout cela est ---

2 QUESTION : Je vous pose ces questions ----

3 RÉPONSE : J’étais assis à côté des bacs de fleurs près de la maison

4 blanche.

5 QUESTION : Je vous pose ces questions parce qu’apparemment, vous arrivez à

6 vous souvenir de ce à quoi ressemblait l’homme dont vous dites,

7 d’après les photographies, qu’il était Tadic et parce que vous

8 dites que vous pouvez l’identifier à partir de ces photographies

9 comme étant l’homme que vous avez vu parler au garde qui a abattu

10 Kere.

11 RÉPONSE : Oui.

12 QUESTION : Donc, êtes-vous en train de nous dire que votre mémoire est

13 bonne sur ce point et sur d’autres ? Ou êtes-vous en train de dire

14 que votre mémoire vous fait défaut sur les autres points ?

15 RÉPONSE : Comment saurais-je où se trouvent les bacs de fleurs et le reste

16 ?

17 QUESTION : Eh bien je vous pose ces questions et, si vous en souvenez,

18 partagez ces souvenirs avec nous. Par ailleurs, connaissiez-vous

19 Kera ou pas du tout ? Était-il un membre de votre famille, un ami ?

20 RÉPONSE : Non.

21 QUESTION : Comment connaissiez-vous son nom ?

22 RÉPONSE : C’était un compagnon de travail. Nous travaillions ensemble.

23 QUESTION : Alors, c’était un ami à vous ou pas ?

24 RÉPONSE : Il prenait un bus de transport différent. Nous n’étions pas

25 amis. Il n’est pas du même âge que moi. Nous ne pouvions pas être

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1 amis parce que nous étions d’âges différents.

2 QUESTION : Lorsque Kera a demandé du pain au garde, où ce dernier se

3 tenait-il ?

4 RÉPONSE : Devant la porte, devant la cantine.

5 QUESTION : S’agit-il de la porte que vous nous avez indiquée il y 10

6 minutes, pour nous dire que vous êtes passé par elle pour aller sur

7 la pista ?

8 RÉPONSE : Oui.

9 QUESTION : Donc, Kera demande du pain. Comment a-t-il pu arriver à la

10 maison blanche en entrant par la gauche ?

11 RÉPONSE : Le garde l’a appelé et l’a emmené à l’intérieur de la maison

12 blanche.

13 QUESTION : Quel garde l’a appelé et l’a emmené à la maison blanche ? Où se

14 trouvait se garde ?

15 RÉPONSE : Il était là avec celui qui distribuait le pain et Kere s’est mis

16 en colère et a commencé à crier. Il lui a dit qu’il l’emmènerait à

17 l’intérieur de la maison blanche et c’est ce qu’il a fait.

18 QUESTION : Donc le garde a traversé la pista avec Kere et l’a mis dans la

19 maison blanche ?

20 RÉPONSE : Oui.

21 QUESTION : Le garde est-il resté là-bas ou a-t-il quitté l’endroit ?

22 RÉPONSE : Il est revenu. Il est revenu et l’autre était debout là-bas.

23 QUESTION : Alors, est-ce qu’il a rejoint l’autre garde qui était devant le

24 bâtiment de la cantine ?

25 RÉPONSE : De qui voulez-vous parler ?

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1 QUESTION : Eh bien du garde qui a emmené Kere à la maison blanche, est-ce

2 qu’il l’a laissé là-bas pour retourner au bâtiment de la cantine ?

3 RÉPONSE : Oui. L’un se tenait là-bas et l’autre près du hangar.

4 QUESTION : Vous avez dit que Kere a sauté de la fenêtre et s’est assis sur

5 le banc devant le bâtiment ?

6 RÉPONSE : Eh bien oui, c’est exact et ensuite, il s’est levé, s’est dirigé

7 vers le garde, vers nous, en levant les bras comme ça et en disant

8 "J’ai le pouvoir" et il a immédiatement saisi son fusil et a tiré.

9 QUESTION : Où se tenait le garde qui l’a abattu ?

10 RÉPONSE : Près de nous, près des bacs de fleurs.

11 QUESTION : le garde a-t-il tiré au dessus des têtes des prisonniers qui se

12 trouvaient sur la pista ?

13 RÉPONSE : Non, parce qu’il a tiré en direction de la maison blanche.

14 QUESTION : Lorsque le garde a tiré sur cet homme avec son fusil, qu’ont

15 fait les prisonniers qui étaient sur la pista ?

16 RÉPONSE : Ils se sont allongés immédiatement par terre mais lorsqu’il a

17 bougé, lorsque ce soldat est arrivé et est allé vers lui et quand

18 ils se sont salués, c’est là qu’est venu l’ordre de nous allonger

19 sur le ventre et de garder la tête baissée.

20 QUESTION : Donc, quand les coups ont été tirés, tout le monde s’est

21 protégé en se couchant par terre, afin de ne pas être touché, n’est-

22 ce pas ?

23 RÉPONSE : Non. Non, monsieur.

24 QUESTION : Lorsque le ---

25 RÉPONSE : Nous regardions. Lorsque ce monsieur est arrivé, lorsqu’un garde

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1 est allé vers un autre garde, ils se sont salués et c’est là qu’on

2 nous a dit de nous allonger par terre.

3 QUESTION : Alors, vous êtes-vous allongé ?

4 RÉPONSE : J’étais assis, tête baissée.

5 QUESTION : Jusqu’à ce moment là, vous regardiez le garde qui avait tiré

6 sur Kere ?

7 RÉPONSE : Oui.

8 QUESTION : C’est ce qui vous intéressait le plus ?

9 RÉPONSE : Je n’avais jamais vu un homme mourir comme ça.

10 QUESTION : Comment saviez vous que les prisonniers parmi lesquels vous

11 vous trouviez sur la pista étaient de Kozarac ?

12 RÉPONSE : Eh bien ils venaient d’un peu partout.

13 QUESTION : Vous nous avez parlé de votre neveu que vous avez rejoint. D’où

14 était-il ?

15 RÉPONSE : De Raskovac.

16 QUESTION : Pas de Kozarac ?

17 RÉPONSE : Et comment aurait-il pu être de Kozarac ? Il était de Raskovac.

18 Ils venaient tous de là.

19 QUESTION : Ah, ils venaient tous de là ?

20 RÉPONSE : Écoutez, monsieur, vous dépassez légèrement les limites. Cela

21 veut-il dire que si je suis de Raskovac, alors tout le monde est de

22 Raskovac et que si je suis de Kozarac, alors tout le monde est de

23 Kozarac ?

24 MONSIEUR KAY : Madame le Président, je ne sais pas si la Cour souhaiterait

25 suspendre l’audience à ce stade. Nous avons d’autres questions à

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1 poser et le témoin est à la barre depuis déjà un certain temps.

2 C’est peut-être l’occasion de marquer une pause.

3 LE PRÉSIDENT : Bien, nous prendrons une pause à 17 heures 30, soit dans

4 une minute. La dernière Pièce à conviction était la 243, n’est-ce

5 pas ? Le dernier album photo ?

6 MONSIEUR KEEGAN : Oui, Madame le Président.

7 LE PRÉSIDENT : A-t-il été suffisamment identifié au goût de tout le monde,

8 le nombre de photographies qui y figurent, les numéros inscrits

9 dessus ?

10 MONSIEUR WLADIMIROFF : Je vais y jeter un autre coup d’oeil.

11 LE PRÉSIDENT : Passez le moi. Je crois que je suis la seule personne qui

12 s’inquiète vraiment que l’une de ces photos ne glisse hors de

13 l’album et qu’on se retrouve avec un désaccord sur son contenu.

14 MONSIEUR WLADIMIROFF : Madame le Président, peut-être serait-ce une bonne

15 idée de disposer de copies de chaque album parce que la séquence

16 pourrait changer. C’est pourquoi nous préférons voir également la

17 séquence.

18 LE PRÉSIDENT : Le Procureur devrait donc vous faire une copie de l’album

19 qu’il a effectivement l’intention de verser au dossier des éléments

20 de preuve, c’est bien ce que vous dites ?

21 MONSIEUR WLADIMIROFF : C’est cela.

22 LE PRÉSIDENT : C’est une excellente idée. Vous leur avez donné l’occasion

23 d’y jeter un coup d’oeil, mais pourquoi pas à la pièce à conviction

24 en elle-même ?

25 MONSIEUR KEEGAN : Oui, Madame le Président. Ces nombres tamponnés au dos

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1 des photographies permettent de les intégrer une par une à l’album

2 en leur affectant le numéro correspondant au nombre exact de

3 photographies précédentes, si bien que grâce aux numéros, vous

4 pouvez savoir exactement quelles photographies étaient dans l’album

5 ; c’est l’une des manière de régler ce problème, Madame le

6 Président.

7 LE PRÉSIDENT : Je crains juste que Monsieur Bos ne s’accroche à la pièce

8 243 --- je ne sais pas combien de photographies contient la pièce

9 243 et je ne connais pas leurs numéros mais je peux voir que le haut

10 des pages n’est pas agrafé. Je m’inquiète que quelque chose ne tombe

11 hors de l’album, c’est tout.

12 MONSIEUR KEEGAN : Il y a des copies déjà prêtes dans le système de

13 conservation des preuves et elles peuvent être fournies. C’est ce

14 que je vous indique.

15 LE PRÉSIDENT : Je veux que la Défense reçoive une copie exacte de la pièce

16 243. Vous ferez ça ?

17 MONSIEUR KEEGAN : Oui. Madame le Président.

18 LE PRÉSIDENT : Fort bien. je vous remercie. Nous suspendons donc

19 l’audience, qui reprendra demain matin à 10 heures ; merci.

20 (17 heures 30)

21 (L’audience est suspendue jusqu’au lendemain)

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