Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 451

1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-94-1-A

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Mercredi 21 avril 1999

4 Le Procureur

5 C

6 Dusko Tadic

7 L'audience est ouverte à 10 heures.

8 M. le Président (interprétation). - Si nous nous

9 conformons à la décision qui a été prise lundi après-midi en

10 réponse à une proposition que vous nous avez faite,

11 Maître Clegg, à propos de laquelle nous sommes passés en huis

12 clos partiel, l'accusation doit ce matin nous faire partager son

13 point de vue.

14 La question que je pose est : quelle est l'opinion des

15 deux parties ? Est-ce que vous pensez qu'il vaut mieux présenter

16 vos positions dans le cadre d'un huis clos partiel une fois de

17 plus ?

18 M. Clegg (interprétation). – Oui, je crois,

19 Monsieur le Président qu'il serait bon que nous passions à huis

20 clos partiel.

21 M. le Président (interprétation). – Fort Bien. Y a-t-il

22 des objections de la part de l'accusation ?

23 Mme Hollis (interprétation). - Pas du tout.

24 M. le Président (interprétation). - Nous passons à huis

25 clos partiel.

Page 452

1 (L'audience se poursuit à huis clos partiel.)

2 (expurgée)

3 (expurgée)

4 (expurgée)

5 (expurgée)

6 (expurgée)

7 (expurgée)

8 (expurgée)

9 (expurgée)

10 (expurgée)

11 (expurgée)

12 (expurgée)

13 (expurgée)

14 (expurgée)

15 (expurgée)

16 (expurgée)

17 (expurgée)

18 (expurgée)

19 (expurgée)

20 (expurgée)

21 (expurgée)

22 (expurgée)

23 (expurgée)

24 (expurgée)

25 (expurgée)

Page 453

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13 page 453 expurgée – audience à huis clos partiel

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

Page 454

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13 page 454 expurgée – audience à huis clos partiel

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

Page 455

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13 page 455 expurgée – audience à huis clos partiel

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

Page 456

1 (expurgée)

2 (expurgée)

3 (expurgée)

4 (expurgée)

5 (expurgée)

6 (Retour en audience publique.)

7 M. le Président (interprétation). – Maître Hollis, vous

8 avez la parole.

9 Mme Hollis (interprétation). – Monsieur le Président,

10 nous attirons votre attention sur le paragraphe 6.5 de notre

11 mémoire relatif au motif d’appel 5.

12 M. le Président (interprétation). – 6.5,

13 Maître Hollis ?

14 Mme Hollis (interprétation). - Exactement, 6.5. Nous

15 indiquons que la décision relative aux déclarations du témoin

16 est exactement inverse à des décisions plus récentes prises au

17 niveau de la Chambre de première instance et nous citons une

18 décision qui a été prise notamment dans le cadre de l'affaire

19 Dokmanovic. Nous demandons le retrait de ce paragraphe, Monsieur

20 le Président, car il nous apparaît que la décision prise dans le

21 cadre de l’affaire Dokmanovic ne contredit pas exactement la

22 décision qui a été prise dans l'affaire qui nous intéresse

23 maintenant.

24 La décision Dokmanovic a été rendue pour des raisons

25 tout à fait différentes qui avaient trait au fait de pouvoir

Page 457

1 assurer à l’assuré un procès

2 relativement rapide. Comme il est indiqué dans cette décision,

3 la Chambre de première instance souhaitait obtenir de la défense

4 des documents qui permettaient de faire plus rapidement avancer

5 le procès et qui permettaient aux Juges de la Chambre de

6 première instance de mieux comprendre les questions qui leur

7 étaient soumises.

8 Donc cette décision a été rendue pour des motifs

9 différents de ceux qui motiveraient la décision que nous

10 demandons. Nous souhaitons retirer ce paragraphe qui n’est pas

11 directement lié à l'affaire de l'espèce.

12 M. le Président (interprétation). – Parfait,

13 Maître Hollis, je crois que c’est tout à fait dans l'intérêt de

14 la Chambre d’appel que vous procédiez ainsi. Il n’y a pas

15 d’objection de la part de la défense, Maître Clegg ?

16 M. Clegg (interprétation). - Absolument pas.

17 Mme Hollis (interprétation). – Merci, Monsieur le

18 Président.

19 M. le Président (interprétation). – Maître Clegg, vous

20 êtes prêt à répondre à l'appel incident de l'accusation ?

21 M. Clegg (interprétation). – Oui.

22 M. le Président (interprétation). - Vous disposez de

23 deux heures de temps de parole maximum. C’est un maximum.

24 M. Clegg (interprétation). – Un minimum ou un maximum ?

25 Je commencerai par traiter des quatre premiers motifs

Page 458

1 d’appel invoqués dans l’appel incident de l’accusation et je les

2 reprendrai dans l'ordre dans lequel ils ont été présentés par

3 l’accusation à vous, Madame et Messieurs les Juges.

4 M. Livingston, mon collègue, traitera du cinquième motif

5 d’appel.

6 Venons-en tout d’abord au motif d’appel numéro 1.

7 Nous estimons qu'afin de déterminer si les victimes

8 étaient placées sous

9 la protection de l’article 2 du Statut du Tribunal, il faut

10 d’abord essayer de savoir si ces personnes étaient des personnes

11 protégées au titre des Conventions de Genève. L’article 4 de la

12 Convention de Genève indique que : "Les personnes protégées sont

13 celles qui, à un moment quelconque, de quelque manière que ce

14 soit, se trouvent en cas de conflit ou d’occupation au pouvoir

15 d’une partie au conflit ou d’une puissance occupante dont elles

16 ne sont pas ressortissantes...", (fin de citation).

17 Il s'ensuit qu'un certain nombre de questions doivent

18 être tranchées lorsqu’on essaie de voir si une personne

19 bénéficie de la protection accordée par l’article 2 du Statut.

20 La première question qui nous semble être la plus

21 importante est la suivante : quel est le critère pertinent à

22 appliquer afin de répondre à la question suivante : s'agit-il

23 ici d'un conflit international ?

24 Une autre question se pose qui est quelque peu liée à

25 la première, elle est la suivante : peut-il y avoir conflit

Page 459

1 international et conflit interne au même moment et dans la même

2 juridiction ?

3 La troisième question est la suivante : est-ce que le

4 fait d'appliquer les faits tels que déterminés par la Chambre de

5 première instance quant à la question de savoir s'il s'agissait

6 d'un conflit international ou interne qui prévalait dans la

7 région de l'ex-Yougoslavie après le 19 mai 1992, cette question

8 est au coeur de l'appel interjeté.

9 Revenons-en à la première question : quel est le

10 critère qui doit être appliqué lorsqu’on essaie de savoir s'il

11 s'agit effectivement en l’espèce d'un conflit international ?

12 L'accusation a déclaré que, selon elle, le critère qui devait

13 être appliqué était celui qui consistait à indiquer l’existence

14 d’un lien démontrable. Ce

15 critère est un critère assez vague, assez large, qui pourrait

16 recouvrir nombre de situations et notamment les situations

17 couvertes par le critère dit du "contrôle effectif" et couvert

18 également par le critère dit de "l'agent ou de l'organe".

19 D'après nous, le critère à appliquer en l’espèce est

20 celui du contrôle effectif. Le critère du lien démontrable n'a

21 pas à être appliqué en l’espèce. Hier, Me Fenrick a reconnu

22 qu'aucune source de droit ne vient étayer la thèse selon

23 laquelle il faudrait appliquer le critère du lien démontrable

24 qui, d'après lui, est le critère qui doit être appliqué en

25 l'espèce.

Page 460

1 Nous nous appuyons, nous, sur cette absence de source

2 de droit. Nous rebondissons sur cet argument car nous pensons

3 qu'il existe des sources de droit qui viennent étayer l'idée

4 selon laquelle c’est le critère du contrôle effectif qui doit

5 être appliqué dans cette affaire. Nous estimons qu'il est

6 implicitement indiqué dans les arguments de l’accusation que le

7 raisonnement appliqué…. La Chambre d'appel dans la décision

8 relative à l'incompétence dans l'affaire Tadic s'est trompée

9 dans la façon dont elle a abordé la question et donc a émis un

10 jugement erroné. Nous, nous pensons que ce jugement se fondait

11 sur les éléments qui constituent le critère du contrôle

12 effectif. Nous attirons votre attention sur le paragraphe 76 du

13 jugement de l’arrêt rendu par la Chambre d'appel.

14 L'arrêt, dans ce paragraphe, fait référence à cette

15 situation dans les termes suivants : si le Conseil de sécurité

16 décrit ce conflit comme étant un conflit exclusivement

17 international et s'il décide en outre que le Tribunal

18 international est lié par cet élément, il en découle que ce

19 dernier devrait alors considérer comme international le conflit

20 opposant les Serbes de Bosnie et les autorités centrales de

21 Bosnie-Herzégovine puisque qu'on ne peut soutenir que les Serbes

22 de Bosnie constituent un Etat, la classification susmentionnée

23 s’appuierait sur l’hypothèse

24 implicite qu’ils agissent non comme une entité rebelle, mais

25 comme des organes ou des agents d’un autre Etat, République

Page 461

1 fédérale de Yougoslavie constituée de la Serbie et du

2 Monténégro. En conséquence, les atteintes graves au droit

3 international humanitaire commises par l'armée gouvernementale

4 de Bosnie-Herzégovine contre des civils serbes de Bosnie entre

5 leurs mains ne seraient pas considérées comme des infractions

6 graves, etc.

7 La Chambre d'appel, dans cette décision sur

8 l'incompétence de l'affaire Tadic... Les termes utilisés par la

9 Chambre d'arrêt sont "organe" ou "agent d'un autre Etat". Si

10 quelqu'un est l'organe ou l'agent d'un autre Etat, nous estimons

11 qu'il s'agit là d'une autre façon de décrire ce qui revient en

12 fait à un critère de contrôle effectif.

13 L'arrêt rendu par la Chambre d'appel n'est pas formulé

14 de telle sorte qu'on puisse établir un lien entre ce qui est dit

15 par la Chambre d'appel et les éléments qui constituent le

16 critère du lien démontrable.

17 En conséquence, nous estimons que l'arrêt rendu par la

18 Chambre d'appel dans l'affaire Tadic est une source de droit qui

19 vient à l'appui du critère du contrôle effectif. Nous estimons,

20 d'autre part, que la décision rendue dans l'affaire du Nicaragua

21 est parfaitement compatible avec les éléments qui constituent le

22 critère du contrôle effectif.

23 Maître Fenrick a vaillamment essayé hier d'établir une

24 distinction entre l'affaire du Nicaragua et les faits qui sont

25 au centre de l'affaire qui nous occupe aujourd'hui. S'il s'est

Page 462

1 battu aussi vaillamment, c'est parce que, d'après nous, il sait

2 bien qu'il n'y a pas réellement de distinction qui puisse être

3 établie et que si on ne peut pas démontrer cette distinction, on

4 est bien obligé de reconnaître que c'est le critère du contrôle

5 effectif qui doit s'appliquer.

6 D'autre part, l'encyclopédie de droit international

7 affirme de son côté que c'est bien ce critère-là qui doit être

8 appliqué dans une affaire de ce type.

9 Notre point de départ est donc le suivant : il y a

10 absence totale de sources de droit qui viendraient à l'appui des

11 arguments avancés par l'accusation.

12 M. le Président (interprétation). - Maître Clegg, le

13 compte rendu apprécierait qu'apparaisse une référence précise à

14 l'encyclopédie du droit international dont vous parlez.

15 M. Clegg (interprétation). - Parfait, j'ai une

16 référence précise. C'est la page 461 de cette encyclopédie de

17 droit international qui stipule ce que je viens de dire.

18 M. le Président (interprétation). - Parfait, nous nous

19 y retrouverons.

20 M. Clegg (interprétation). - C'est à la ligne 15 très

21 précisément, Monsieur le Juge, que vous trouverez cette

22 référence.

23 Bien, la première proposition est la suivante : il y a

24 absence totale de sources de droit qui vont à l'appui de

25 l'argumentation de l'accusation selon laquelle il est nécessaire

Page 463

1 d'appliquer le critère du lien démontrable.

2 En revanche, il y a des sources de droit qui émanent

3 notamment de ce Tribunal et de cette Chambre d'appel qui vont

4 dans le sens de l'application du critère du contrôle effectif.

5 La deuxième approche recouvre le principe de la

6 responsabilité d'un Etat. Les dispositions relatives aux

7 infractions graves des Conventions de Genève, elles aussi,

8 recouvrent le principe de la responsabilité de l'Etat. Nous

9 estimons qu'un Etat ne peut être considéré comme responsable du

10 comportement d'un être humain ou de plusieurs êtres humains

11 agissant en tant qu'agent de l'Etat.

12 Effectivement, un Etat ne peut agir indépendamment de

13 ce que décident

14 les personnes qui contrôlent ledit Etat. Donc, l'Etat ne peut

15 être reconnu coupable que si c'est le critère du contrôle

16 effectif qui est appliqué. S'il est appliqué, il est facile de

17 voir comment ce concept de responsabilité de l'Etat pourrait

18 être tranché par ce même critère que je viens d'énoncer, car si

19 c'est bien l'Etat qui contrôle effectivement les comportements

20 prévus par les dispositions relatives aux infractions graves, il

21 devient évident que c'est l'Etat qui est responsable des actes

22 commis par certains individus.

23 En conséquence, le principe de responsabilité de l'Etat

24 doit, d'après nous, être traité à la lumière de ce qui est dit

25 dans les Conventions.

Page 464

1 Ceci étant dit, si l'on adopte en revanche l'approche

2 qui est celle de l'accusation et si l'on applique le critère

3 qu'elle souhaite appliquer, à savoir celui du lien démontrable,

4 on procède, d'après nous, de façon parfaitement inadaptée, car

5 ce critère ne permet pas de recouvrir la notion de

6 responsabilité de l'Etat.

7 Le critère du lien démontrable est bien loin de

8 s'appliquer aussi efficacement que le critère du contrôle

9 effectif. La conséquence de cela est la suivante : les Etats

10 seraient susceptibles d'être tenus responsables des actes

11 d'autres Etats ou entités sur lesquels ils n'exerçaient aucun

12 contrôle effectif. Nous estimons que cela entraînerait des

13 conséquences parfaitement injustifiées pour l'Etat concerné.

14 Troisième chose : nous pensons que le critère du lien

15 démontrable, s'il est appliqué, introduira un certain degré

16 d'incertitude dans un domaine bien particulier du droit

17 international, domaine qui devrait pouvoir être défini de façon

18 très précise et très claire.

19 Le critère du contrôle effectif est un critère qui peut

20 être utilisé dans tout type de situations. Il suffit de regarder

21 les éléments de preuve constitutifs de

22 l'affaire et de se poser la question suivante : est-ce qu'un

23 contrôle effectif est exercé par une entité ou un Etat extérieur

24 sur les forces engagées dans le conflit dont il est question

25 dans l'affaire ?

Page 465

1 Il est parfaitement possible de répondre à cette

2 question en évaluant les éléments de preuve qui sont à

3 disposition quelle que soit l'affaire que l'on puisse avoir à

4 l'esprit. Cette question trouve sa réponse dans l'évaluation qui

5 est faite des éléments de preuve et s'applique à toute situation

6 susceptible de se poser.

7 Dans une certaine mesure, ceci reflète les situations

8 qui peuvent se présenter dans la plupart des juridictions

9 pénales du monde, à savoir des situations où existe le principe

10 de l'agent ou de l'organe.

11 Dans ce type de situations, vous avez un individu qui

12 engage un agent pour perpétrer par exemple un crime. Si c'est le

13 cas, la personne qui engage l'agent est aussi coupable que

14 l'agent qui a tiré sur la gâchette. Il s'agit bien là du

15 principe d'agent.

16 Si on exprime ce principe un tout-petit peu

17 différemment, on peut l'adapter parfaitement à un degré

18 supérieur à ce qui peut se présenter dans un cadre

19 international, mais le principe de base du point de vue légal

20 est exactement similaire dans les deux cas.

21 Le critère du lien démontrable présente les failles

22 suivantes d'après nous : tout d'abord, à quel point faut-il

23 démontrer qu'il existait un lien pour faire de ces crimes des

24 crimes régis par les dispositions des infractions graves ?

25 L'accusation, lors de la présentation de ses arguments, a

Page 466

1 déclaré qu'il ne fallait pas seulement démontrer l'existence

2 d'un soutien logistique ou financier.

3 Ce ne serait pas tout à fait suffisant même si ce

4 soutien financier et logistique permet d'établir l'existence

5 d'un lien démontrable mais, tout de même, ce

6 sont des éléments qui permettraient d’établir qu’il y a un lien

7 démontrable alors qu’il faut rendre une décision sur les faits

8 qui est très simple, à savoir : y a–t-il ou pas contrôle

9 effectif ?

10 L’accusation a essayé d'établir une analogie entre la

11 structure du landless qui existait entre les Etats-Unis

12 d'Amérique et la Grande Bretagne pendant la deuxième Guerre

13 Mondiale. Les résultats de cette politique étaient que les

14 Etats-Unis d'Amérique ont en fait financé la guerre qui était

15 menée contre l'Allemagne nazie. Ils ont non seulement fourni les

16 fonds pour payer les soldes de nos troupes. Ils ont également

17 fourni les balles avec lesquelles nous avons tiré sur l'ennemi

18 et les bombes que nous avons lâchées sur l'ennemi.

19 Je pose la question sous sa forme rhétorique. Si l'on

20 doit démontrer l'existence d'un lien démontrable, est-ce que

21 quelqu'un qui finance et qui fournit des armes à une des parties

22 belligérantes n'est pas en train de montrer de façon absolument

23 limpide qu'elle est liée à la partie engagée dans le conflit ?

24 M. le Président (interprétation). - Monsieur Clegg,

25 rappelons-nous que dans 50 ans, des académiciens, des experts se

Page 467

1 repencheront sur les transcripts, les comptes rendus de cette

2 audience. Est-ce que vous pouvez donc être un peu plus

3 spécifique quand vous décrivez la situation et les liens qui

4 existaient entre les Nations Unies et les Etats d'Amérique ?

5 Parce que je crois que sinon, la confusion pourrait régner dans

6 cette partie du compte rendu.

7 Lorsque vous dites "nous", comme vous l'avez dit tout à

8 l'heure, peut-être qu'il s'agirait de rappeler qu'en fait, vous

9 représentez ici M. Tadic et que c'est à ce titre que vous vous

10 exprimez de la sorte.

11 M. Clegg (interprétation). - Bien sûr et je m'excuse de

12 cette imprécision, Monsieur le Président.

13 Afin de répondre à la première question, à savoir :

14 quel est le critère applicable en l'occurrence, nous sommes

15 d'avis que le critère applicable est celui du contrôle effectif.

16 Il est soutenu par différentes sources de droit, il fournit aux

17 juristes internationaux un outil clair et simple à utiliser.

18 L'autre possibilité est incertaine. Elle ne bénéficie

19 du soutien d'aucune source de droit et nous pensons que son

20 application est tout à fait inappropriée.

21 Je passerai maintenant à la deuxième question : peut-on

22 assister à un conflit international et à un conflit interne au

23 même moment ? Nous estimons que c'est tout à fait possible. Dans

24 la région de l'ex-Yougoslavie et notamment en Bosnie, la

25 présence d'un conflit international dans le sud entre les

Page 468

1 Croates et les Musulmans où il a été établi que des soldats

2 croates avaient participé au conflit et que, par conséquent, ils

3 l'avaient transformé en conflit international, cette présence

4 donc n'est plus approuvée et, en même temps, dans le nord de la

5 Bosnie, dans une région distincte donc, un conflit distinct a eu

6 lieu également, conflit interne entre la population locale serbe

7 contre la population locale musulmane.

8 A notre avis, il serait tout à fait absurde de modifier

9 la classification du conflit qui a eu lieu dans le nord, conflit

10 dont je viens de donner l'exemple à l'instant, et de transformer

11 ce conflit national en un conflit international suite à

12 l'ouverture au début d'un conflit tout à fait différent,

13 international celui-là, qui a eu lieu dans une autre région,

14 dans une autre zone de l'ex-Yougoslavie. Ceci jetterait la

15 confusion dans la classification des conflits.

16 La question suivante : peut-être pourrais-je citer une

17 question suivante. Peut-être pourrais-je citer une référence qui

18 figure dans le compte rendu d'hier, mais également dans le

19 jugement et qui permettrait d'illustrer cet argument.

20 Nous estimons que pour ce qui est de la démarche

21 adoptée par l'accusation, elle contredit en partie, pour

22 certains aspects en tout cas, ce qui est dit à la page 457 du

23 compte rendu. L'accusation dit la chose suivante, elle fait

24 référence à la décision prise dans le cadre de l'affaire

25 Celebici -je cite- : "Si le conflit en Bosnie-Herzégovine était

Page 469

1 international, les normes pertinentes de droit international

2 humanitaire s'appliquaient surtout sur le territoire jusqu'à la

3 cessation générale des hostilités, à moins qu'il puisse être

4 établi que le conflit dans certaines régions était distinct, un

5 conflit interne qui n'avait rien à voir avec le conflit plus

6 large de nature internationale."

7 Cette citation vient donc bien à l'appui de la

8 suggestion que je viens de formuler. Cette citation est reprise

9 par l'accusation à la page 457 du compte rendu. Mais à la

10 page 470, on trouve une démarche formulée de façon quelque peu

11 différente. L'accusation dit la chose suivante : "S'il est

12 possible d'avoir un conflit armé international dans ce petit

13 coin de la Bosnie ici, de ce côté, là il n'y a pas la norme

14 générale de conflit armé international et qui s'applique ici.

15 Selon moi, le droit qui s'applique, lorsqu'il y a conflit armé

16 international, s'applique à tout le territoire." (Fin de

17 citation).

18 S'il s'agit là d'une proposition qui est contraire aux

19 arguments présentés dans la décision de Celebici, nous disons

20 que c'est là une proposition qui n'est pas soutenue par une

21 quelconque source de droit. Et cette proposition est également

22 contraire à l'opinion formulée par la Chambre d'appel dans

23 l'appel sur la compétence Tadic au paragraphe 72 page 39 de la

24 version en anglais.

25 En effet, la Chambre dit la chose suivante : "Dans la

Page 470

1 mesure où les conflits étaient limités à des incidents entre les

2 forces du gouvernement bosniaque et les forces rebelles des

3 Serbes de Bosnie en Bosnie-Herzégovine ainsi qu'entre le

4 gouvernement croate et les forces rebelles des Serbes de

5 Croatie, ils étaient de caractère interne, à moins qu'on ne

6 puisse prouver la participation directe de la République

7 Fédérale de Yougoslavie."

8 Excusez-moi, j'ai lu le mauvais passage, excusez-moi.

9 Je remercie d'ailleurs Me Livingston d'être intervenu. En fait,

10 c'est un passage qui se trouve un petit peu plus haut. Il est

11 fait référence au conflit dans l'ex-Yougoslavie, il est dit la

12 chose suivante : "Les conflits dans l'ex-Yougoslavie ou auraient

13 pu être qualifiés à la fois d'internes et d'internationaux ou

14 d'un conflit interne parallèle à un conflit international.

15 Par conséquent, la Chambre d'appel reconnaît ici qu'il

16 est possible d'avoir deux types de conflits en même temps

17 lorsqu'il est question d'un conflit interne parallèle à un

18 conflit international."

19 Je crois que cette citation est tout à fait

20 intéressante parce que c'est une autre référence à la

21 participation directe qui doit être établie.

22 M. le Président (interprétation). – Cet extrait de la

23 décision de Celebici que vous avez lu est formulé de la façon

24 suivante, à moins que l'on puisse établir, je crois.

25 Contesteriez-vous le fait que cette preuve doit être établie par

Page 471

1 l'accusation ?

2 M. Clegg (interprétation). – Non, pas du tout, c'est

3 bien ce que je dirais.

4 M. le Président (interprétation). - Et ensuite, la

5 Chambre de Celebici explique-t-elle pourquoi cette preuve doit

6 être établie ?

7 M. Clegg (interprétation). – Non, elle ne le fait pas

8 de façon explicite, mais nous dirions que la preuve selon

9 laquelle le conflit est bien international est l'un des éléments

10 fondamentaux du crime constituant une infraction grave et, par

11 conséquent, c'est à l'accusation de présenter à la Chambre de

12 première instance des éléments de preuve qui permettraient à

13 cette Chambre de tirer des conclusions de fait, à savoir que le

14 conflit était international et ce donc, à partir d'éléments de

15 preuve présentés par exemple par le biais de témoins experts.

16 Mais effectivement, selon nous, c'est une preuve qui

17 doit être établie par le biais d'éléments présentés à la

18 Chambre, s'il n'y a pas reconnaissance de la situation et s'il y

19 a contestation.

20 Si l'on se penche sur l'affaire Rajic, on remarque

21 qu'il y avait conflit armé international, parce que la preuve a

22 été établie qu'il y avait une participation directe de la part

23 de soldats croates dans les combats. Par conséquent, la base

24 utilisée par la Chambre de première instance dans cette affaire,

25 base à partir de laquelle elle a conclu qu'effectivement, il y

Page 472

1 avait conflit international est constituée par les faits

2 présentés par l'accusation au cours du procès.

3 La distinction entre ces deux affaires est que

4 lorsqu'on applique le critère approprié aux faits, l'accusation

5 n'a pas pu établir qu'effectivement, il y avait un contrôle

6 effectif qui était exercé en l'occurrence, exercé sur les forces

7 étant parties au conflit.

8 M. le Président (interprétation). - Que pensez-vous du

9 principe sur lequel vous avez attiré notre attention et emprunté

10 à la jurisprudence de cette Chambre, à savoir que si l'on fait

11 la preuve d'une intervention extérieure armée dans un Etat, on

12 peut supposer qu'il y a conflit international sur tout le

13 territoire dudit Etat sans qu'il y ait de limites temporelles ou

14 géographiques ?

15 M. Clegg (interprétation). - Je crois que cette

16 question est double en fait. Si effectivement la preuve a été

17 faite qu'il y a eu intervention extérieure armée, d'après

18 l'utilisation même de ces termes, on peut supposer qu'ils

19 englobent l'existence d'un contrôle effectif parce qu'on ne peut

20 pas avoir une intervention armée extérieure sans qu'il y ait

21 contrôle effectif. En tout cas, c'est difficile à imaginer.

22 Par conséquent, il y aurait dans ce cas de figure un

23 conflit international. Dans le cadre de ce conflit, des forces

24 armées extérieures auraient participé aux affrontements.

25 Mais nous n'acceptons pas l'idée qu'il y ait le moindre

Page 473

1 élément de jurisprudence soutenant le fait que ce conflit

2 international s'étend à l'ensemble du territoire de cet Etat

3 sans limites géographiques. Nous disons quant à nous que la

4 jurisprudence suggère une position inverse.

5 Dans l'arrêt de la Chambre d'appel rendu dans l'affaire

6 Tadic, il a été reconnu clairement au paragraphe 72 que : "Les

7 conflits dans l'ex-Yougoslavie auraient pu être qualifiés à la

8 fois d'internes et d'internationaux".

9 C'est là une déclaration de principe directement

10 contraire à la suggestion que vous venez de formuler.

11 M. le Président (interprétation). - Oui, effectivement.

12 Je ne faisais pas là référence à un quelconque document que,

13 malheureusement, je n'ai pas sous les yeux.

14 Mais j'avais l'impression qu'il me semble que dans la

15 décision prise par cette Chambre d'appel, dans le cadre de

16 l'affaire Tadic, sur la compétence, il a été dit que si la

17 preuve est faite d'une intervention armée extérieure sur le

18 territoire d'un autre Etat, eh bien, ceci a entraîné l'existence

19 d'un conflit armé international sans limites temporelles ou

20 géographiques.

21 Le problème juridique qui se présentait était de

22 réconcilier ceci avec d'autres hypothèses selon lesquelles il

23 pouvait y avoir un conflit armé international parallèle à un

24 conflit interne.

25 Je ne doute pas que ceci soit possible, mais je me

Page 474

1 demandais comment de vous pourriez réconcilier, conjuguer les

2 deux propositions, si toutefois ma mémoire est bonne quant à ce

3 qui figurait dans l'arrêt rendu par la Chambre d'appel dans

4 l'affaire Tadic.

5 M. Clegg (interprétation). - Nous dirions la chose

6 suivante : si effectivement il y avait une intervention armée

7 extérieure, il y aurait manifestement un conflit international

8 et ce conflit international recouvrirait, engloberait tous les

9 conflits ayant un lien avec cette intervention armée

10 extérieure... ou couverte par cette intervention. Ceci

11 couvrirait sans doute toute la zone en question.

12 On pourrait effectivement supposer que les combats se

13 déroulant dans la région étaient une partie de ce conflit

14 international.

15 Je ne dis pas qu'il faudrait examiner la guerre

16 bataille par bataille ou incident par incident pour voir s'il y

17 a effectivement conflit international, ce serait une démarche

18 tout à fait absurde.

19 Mais lorsqu'il y a une intervention extérieure, ceci

20 fait du conflit, de tout le conflit un conflit international, à

21 moins qu'il y ait des affrontements tout à fait distincts, tout

22 à fait différents qui soient interne de nature.

23 M. le Président (interprétation). - Je souhaiterais que

24 vous me m'éclairiez sur ce problème.

25 S'il existe un principe de droit -et je crois qu'il

Page 475

1 existe d'ailleurs- disant que lorsqu'il y a preuve d'une

2 intervention armée externe, la conséquence en est que le conflit

3 est international sur tout le territoire sans aucune limite

4 temporelle ou géographique, eh bien, qui doit assumer la charge

5 de la preuve pour établir que néanmoins, c'était un conflit

6 fragmenté, à savoir qu'en parallèle au conflit armé

7 international, il y avait aussi un conflit interne ?

8 M. Clegg (interprétation). - Nous dirions qu'une fois

9 que la question est posée, la charge de la preuve repose sur

10 l'accusation. Si l'on formule une analogie renvoyant à des

11 juridictions nationales pénales, en tout cas dans le système de

12 Common Law, si le moyen de défense utilisé est l'autodéfense, eh

13 bien, l'accusation doit s'acquitter de son obligation de fournir

14 des preuves allant en sens inverse.

15 Une fois que la défense a déclaré que le conflit était

16 interne -bien entendu, il faut qu'il y ait certains éléments de

17 preuves qui fondent une telle hypothèse-, eh bien, à ce stade,

18 c'est à l'accusation de démontrer que cette partie du conflit

19 n'était pas un conflit distinct et séparé.

20 M. le Président (interprétation). - Très bien, je

21 comprends votre position, Monsieur Clegg, merci.

22 M. Clegg (interprétation). - Puis-je maintenant passer

23 à la possibilité d'appliquer le critère approprié ?

24 Le conflit que vous devez maintenant examiner était-il

25 national ou international ? La réponse à la question dépendra

Page 476

1 bien sûr du critère utilisé.

2 Si un lien démontrable était suffisant pour faire du

3 conflit que l'on considère interne un conflit international, eh

4 bien, je devrais concéder, reconnaître que selon les éléments de

5 preuve présentés, il y avait effectivement un lien existant

6 entre la République fédérale de Yougoslavie et les Serbes de

7 Bosnie.

8 Cependant, nous estimons que si vous appliquiez le

9 critère approprié, à savoir celui du contrôle effectif, vous

10 verriez que la conclusion de la majorité des Juges de la Chambre

11 de première instance était correcte et que l'accusation n'a pas

12 apporté la preuve de façon suffisante qu'il y avait un contrôle

13 effectif qui était exercé.

14 Nous estimons que la décision prise par la Chambre de

15 première instance, à la lumière des éléments de preuve qui lui

16 ont été présentés, était la seule décision à laquelle la Chambre

17 aurait pu parvenir de façon raisonnable.

18 M. le Président (interprétation). - Vous ai-je bien

19 compris ? Vous reconnaissez qu'il y avait un lien entre la

20 Yougoslavie et la VRS, l'armée des Serbes de Bosnie, et que vous

21 reconnaissez également que si le critère applicable est celui

22 qui est proposé par l'accusation, à savoir le critère du lien

23 démontrable, dans ce cas, le conflit serait considéré comme

24 étant international ?

25 M. Clegg (interprétation). - Je reconnais effectivement

Page 477

1 ce point avec une réserve cependant, si le critère du lien

2 démontrable est suffisant.

3 M. le Président (interprétation). - Ce qui n'est pas le

4 cas ?

5 M. Clegg (interprétation). - Effectivement.

6 Nous pensons que la décision prise par la Chambre de

7 première instance n'est en aucun cas contraignante vis-à-vis des

8 autres Chambres de première instance.

9 Tout ce que la Chambre de première instance a fait dans

10 l'affaire Tadic, c'est de parvenir à la conclusion selon

11 laquelle l'accusation n'a pas présenté suffisamment de preuves

12 afin de s'acquitter de la tâche qui était la sienne et qui était

13 de prouver que la République Fédérale de Yougoslavie exerçait un

14 contrôle effectif.

15 Cela ne veut pas dire que, dans une autre affaire, avec

16 des éléments de preuve de meilleure qualité, cette preuve ne

17 pourra pas être faite.

18 Tout ce que dit la Chambre, c'est qu'en l'occurrence,

19 dans cette affaire, et à la lumière des éléments de preuve

20 présentés, il n'a pas été démontré qu'il y avait contrôle

21 effectif.

22 Par conséquent, nous ne pensons pas qu'il soit

23 approprié de faire de la décision prise par la Chambre de

24 première instance dans cette affaire une source de droit

25 contraignante qui devra s'appliquer et qui devra être respectée

Page 478

1 dans les autres affaires. Il ne s'agit là que d'une question

2 d'administration de la preuve. Les éléments de preuve pourront

3 varier d'une affaire à l'autre.

4 Nous disons en l'occurrence que l'accusation n'a pas

5 démontré de façon suffisante qu'il y avait un contrôle effectif.

6 Même Mme le Juge McDonald, dans son opinion dissidente,

7 a reconnu au paragraphe 8 qu'il y avait peu d'éléments de preuve

8 suggérant que la VRS était officiellement placée sous le

9 commandement de Belgrade après le 19 mai 1992.

10 A la page 227 du jugement principal, au paragraphe 607,

11 la majorité des Juges de la Chambre a déclaré que : "Après le

12 19 mai 1992, les forces armées de la Republika Srpska ne

13 pouvaient pas être considérées comme des organes ou des agents

14 de facto du gouvernement de la République Fédérale de

15 Yougoslavie, Serbie et Monténégro, que ce soit dans l'opstina de

16 Prijedor, ou de façon plus générale" (fin de citation).

17 Il s'agit là d'une conclusion qui se fonde sur les

18 faits qui lui ont été présentés et effectivement lorsque l'on

19 étudie le témoignage du colonel Celak, qui a été cité par

20 l'accusation pour traiter de la question par le biais d'un

21 témoin expert, nous pensons que cette conclusion est tout à fait

22 conforme à une analyse sans doute faite de son témoignage. Et il

23 est tout à fait naturel que la Chambre soit parvenue à de telles

24 conclusions.

25 Le fait d'avoir utilisé ces termes "organes" ou "agents

Page 479

1 du gouvernement" est tout à fait évident, puisqu'il s'agit là de

2 la répétition des termes utilisés par la Chambre d'appel dans

3 son appel de l'affaire Tadic.

4 M. le Président (interprétation). - Puis-je vous poser

5 la question suivante ? La majorité des Juges a estimé que la VRS

6 n'était pas sous le contrôle de la République Fédérale de

7 Yougoslavie. Dans le cadre de cette conclusion dans quelle

8 mesure la majorité des Juges de la Chambre de première instance

9 s'est-elle fondée sur la proposition selon laquelle la VRS ne

10 pouvait pas être sous le contrôle effectif de la RFY, à moins

11 qu'il ne soit démontré que la VRS était placé sous le commandant

12 et le contrôle de ce qui restait à l'époque de la JNA dans la

13 République Fédérale.

14 M. Clegg (interprétation). - Mon interprétation du

15 jugement est la suivante : je crois que la majorité s'est

16 effectivement fondée sur cela.

17 M. le Président (interprétation). - Pensez-vous que

18 c'était un critère applicable en l'occurrence ?

19 M. Clegg (interprétation). - Oui, c'était l'un des

20 critères applicables, ce n'était pas le seul.

21 Selon nous, la distinction doit être faite entre des

22 alliés qui coopèrent, qui fournissent peut-être un appui

23 financier l'un à l'autre et qui partagent peut-être les mêmes

24 objectifs, et d'autre part donc le contrôle effectif.

25 Le simple fait d'avoir un allié avec lequel vous

Page 480

1 partagez un objectif commun, ce n'est pas nécessaire, mais

2 disons que c'est le cas, vous partagez donc un objectif commun,

3 et vous avez un lien d'allié avec cette partie, cela ne veut pas

4 dire que l'une des parties exerce un contrôle effectif sur

5 l'autre, même si une partie apporte son appui financier, son

6 appui logistique, ou peut-être même certaines informations à

7 l'autre partie.

8 La distinction, cruciale selon nous, réside dans le

9 fait que, dans certaines situations, une partie contrôle de

10 façon effective l'autre, ainsi elle opère comme s'il s'agissait

11 d'un organe ou d'un agent de l'autre entité.

12 M. le Président (interprétation). - Maître Clegg, dans

13 cette hypothèse, si l'on part du principe qu'un allié n'exerce

14 aucun contrôle sur un autre allié, mais que l'on part également

15 de l'hypothèse que ces deux entités sont des alliés, et opèrent

16 donc dans le cadre d'un plan de combat intégré, est-ce que

17 l'utilisation d'une force armée par l'un des deux alliés

18 pourrait être attribuable à l'autre allié ?

19 M. Clegg (interprétation). - Non, telle est ma réponse

20 tout à fait claire, car il n'y aurait pas exercice d'un

21 contrôle, et en l'absence d'exercice d'un contrôle, il ne peut y

22 avoir responsabilité.

23 Il est possible d'accepter ce que fait votre allié,

24 sans toutefois assumer la responsabilité de ses actes, à moins

25 de participer soi-même à l'action.

Page 481

1 M. le Président (interprétation). - Etes-vous en train

2 de proposer de soulever le problème qui a été évoqué par

3 Me Fenrick, eu égard à la distinction entre l'attribution d'une

4 responsabilité internationale à un Etat et des allégations

5 relatives à une responsabilité pénale individuelle ?

6 M. Clegg (interprétation). - J'espérais traiter

7 partiellement de cet argument dans la suite de mon exposé, j'ai

8 quelques difficultés à le faire à l'instant présent.

9 M. le Président (interprétation). - Eh bien, veuillez

10 procéder, je vous en prie.

11 M. Clegg (interprétation). - Il est sans doute

12 important de nous rappeler que le fait qu'une personne ne soit

13 pas une personne protégée au titre de l'article 2 ne signifie

14 pas que les personnes responsables de crimes de guerre contre

15 ces personne ne doivent pas être punies. Bien entendu, personne

16 ne pense à suggérer que telle est la position défendue ici.

17 Donc, le problème de la responsabilité demeure entier.

18 Savoir si elle est couverte par l'article 2 qui parle

19 de responsabilité de l'Etat également, est une des questions qui

20 se pose, et c'est pour cette raison entre autres que l'on doit

21 se limiter aux situations dans lesquelles un Etat exerce

22 effectivement un contrôle sur des individus responsables de

23 crimes de guerre.

24 Je crois que parlant de la sorte, je traite

25 partiellement de la question abordée par Me Fenrick hier. Je

Page 482

1 réagirai à la réponse qu'il a apportée à des questions émanant

2 des Juges quant au fait de savoir si quelqu'un qui agirait sous

3 l'effet de motifs purement personnels peut faire l'objet des

4 dispositions de ces articles, j'en traiterai un peu plus tard

5 dans mon exposé.

6 J'aimerais maintenant passer au troisième motif.

7 M. le Président (interprétation). - (Hors micro.)

8 M. Clegg (interprétation). - Il faudrait un avocat plus

9 courageux que moi pour être en désaccord avec vous.

10 M. le Président (interprétation). - Nous levons la

11 séance jusqu'à 11 heures 35.

12 L'audience, suspendue à 11 heures 10, est reprise à

13 11 heures 35

14 M. le Président (interprétation). - Maître Clegg, vous

15 souhaitez poursuivre ?

16 M. Clegg (interprétation). - M. Clegg certainement. Je

17 commencerai par vous donner une référence complète du passage

18 tiré de l'encyclopédie dont j'ai parlé tout à l'heure et je

19 remercie Maître Fenrick qui m'a fourni cette référence ; c'est

20 l'encyclopédie de droit international public édition de 1982,

21 volume 4, pages 294 à 298.

22 J'en viens maintenant, si vous me le permettez,

23 Monsieur le Président, au troisième motif d'appel et je

24 commencerai par répondre à la question qui m'a été posée par les

25 Juges de la Chambre d'appel quant au fait de savoir s'il s'agit

Page 483

1 de se poser la question d'une façon ou d'une autre dans la

2 mesure où l'on n'est pas sûr que cela tombe dans le cadre de ce

3 qui est couvert par l'article 25-1-a du Statut du Tribunal.

4 D'après nous, effectivement, ceci ne peut être utilisé comme

5 motif d'appel en tant que tel. Car dans le Statut, il n'existe

6 aucune disposition prévoyant que la Chambre d'appel peut

7 prononcer un arrêt qui permettrait de servir de base aux

8 décisions de Chambre d'instance dans le cadre de procès

9 ultérieurs.

10 Ceci étant dit, il y a un instrument qui permettrait à

11 cette Chambre d'appel d'exprimer son opinion soit en faveur,

12 soit à l'encontre de la décision en droit rendue par la Chambre

13 de première instance.

14 D'après nous, en rendant des arrêts, cette Chambre

15 d'appel a le droit d’émettre des commentaires sur tout aspect de

16 droit afférent et il serait étrange de se trouver en face d'une

17 juridiction d'appel qui se trouverait liée par les

18 argumentations des parties. Les commentaires de la Chambre

19 d'appel peuvent être considérés comme obiter dictum en latin,

20 mais ils auraient de toute façon force d'obiter comme

21 l'expression latine le précise. Ils ne feraient en revanche pas

22 partie des ratio decidendi et constitueraient une source de

23 référence pour l'avenir. Nous n'avons aucune objection quant aux

24 fait que la Chambre d'appel adopte cette approche. Cet élément a

25 été baptisé "motif d'appel" peut-être parce qu'il n'y avait

Page 484

1 aucun autre nom à lui attribuer pendant la période de

2 préparation qui précède l'audience consacrée à l’appel. Mais, à

3 proprement parler, ce n'est pas un motif d'appel, c'est

4 simplement quelque chose qui soulève une question sur laquelle

5 la Chambre est invitée à exprimer une opinion et nous ne

6 souhaitons pas, loin de nous cette idée, décourager la Chambre

7 dans sa décision d'exprimer ou non une opinion

8 M. le Président (interprétation). – (Hors micro.)

9 Merci, Maître Clegg, de votre aide. Je crois qu'au

10 paragraphe 139 de la décision sur l'incompétence dans

11 l'affaire Tadic, au paragraphe 139 donc, vous verrez que la

12 situation était la suivante : une partie dans cette affaire a

13 retiré un de ces arguments. Mais, malgré cela, la Chambre s'est

14 prononcée sur le point de droit qui avait été avancé parce que

15 ce point était particulièrement important. Est-ce que nous nous

16 trouvons dans une situation semblable, Maître Clegg ?

17 M. Clegg (interprétation). - Précisément.

18 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie.

19 M. Clegg (interprétation). - Bien entendu, j'avancerai

20 exactement les mêmes arguments pour ce qui est du motif d'appel

21 numéro 5. Venons-en maintenant au fondement du troisième motif

22 d'appel, je continuerai à l'appeler ainsi, car c'est plus

23 pratique tout de même. Nous estimons que la Chambre de première

24 instance a eu raison de conclure que des crimes contre

25 l'humanité ne peuvent être commis pour des motifs purement

Page 485

1 personnels.

2 Dans la mesure où j'ai compris les arguments de

3 Maître Fenrick qui était soumis au feu des questions émanant des

4 Juges de la Chambre d'appel, il semble qu'il a dû retomber dans

5 une proposition qui, si elle est analysée de très près, entraîne

6 la conclusion suivante : dans la région de Bosnie dont nous nous

7 occupons à présent, si un Serbe de Bosnie ou plutôt si la femme

8 d'un Serbe de Bosnie assassine son mari qui est, lui, musulman

9 de Bosnie, elle se rendrait coupable d'un crime contre

10 l'humanité.

11 Si effectivement ses motifs sont purement d'ordre

12 personnel, si cette femme s'était montrée un tout-petit peu plus

13 sélective quant à l'origine ethnique de son mari, alors, elle ne

14 se serait pas rendue coupable d'un crime contre l'humanité.

15 Voilà quelle est la conclusion logique à laquelle nous

16 mènerait l'argumentation présentée par Me Fenrick.

17 D'après nous, ce type d'exemples démontre bien

18 l'absurdité de cet argument. Loin de nous l'idée de suggérer que

19 lorsqu'un crime contient un élément de motif personnel, il

20 permet à l'auteur du crime d'échapper à sa responsabilité.

21 Le mot-clé ici est le terme "purement personnel". En

22 effet, il faut que ce motif personnel soit le motif exclusif

23 pour lequel le crime a été commis. Dans nombre d'affaires, les

24 motifs sont multiples et les auteurs de crimes peuvent tirer

25 parti de la situation politique qui prévaut et s'en servir dans

Page 486

1 l'objectif d'assouvir leur désir de vengeance personnelle.

2 S'il n'y avait pas eu de conflit, la possibilité pour

3 la personne de commettre son crime ne se serait pas présentée.

4 Dans une telle situation, l'auteur du crime tient compte du

5 conflit et ses motifs deviennent donc multiples parce que dans

6 une telle situation, il commet son crime non pas seulement pour

7 des motifs personnels mais également -et là, je tire l'exemple

8 d'un certain nombre de sources de droit-, par conséquent, parce

9 que -je cite- : "La victime était un Juif, et que l'auteur du

10 crime savait qu'à cause de la nationalité ou l'ethnicité de sa

11 victime, il serait possible pour lui d'adopter ou de faire siens

12 les motifs de ceux qui participaient au conflit afin de tirer

13 parti de la situation qui prévalait.

14 Cette situation lui permettait de commettre un acte

15 qu'il n'aurait pas pu commettre dans d'autres circonstances."

16 (Fin de citation.)

17 Je n'essaie pas de dire que s'il existe un élément

18 d'animosité personnelle entre la victime et l'auteur du crime,

19 l'auteur du crime pourra se voir excuser son acte dans la

20 majorité des cas. Je le répète, les motifs sont multiples, ils

21 sont en partie personnels et en partie liés aux motifs qui sont

22 à l'origine du conflit.

23 Mais lorsqu'il y a un crime qui est commis pour des

24 motifs purement personnels -et là, je prends l'exemple d'un

25 meurtre qui serait commis par exemple au sein d'un couple-, il

Page 487

1 serait absurde de caractériser l'acte en se fondant sur la

2 religion de l'un ou l'autre des membres du couple.

3 D'après nous, les sources de droit ne viennent pas du

4 tout appuyer les affirmations de l'accusation. On s'en aperçoit

5 quand on les analyse de très près.

6 Nous pensons que les affaires citées et qui ont été

7 entendues après la seconde Guerre Mondiale ne vont pas dans le

8 sens de la proposition selon laquelle un crime contre l'humanité

9 ne peut être commis si la personne qui commet le crime est

10 uniquement motivée par des motifs d'ordre personnel.

11 En effet, dans le cadre de toutes ces affaires, les

12 criminels ont fait leurs, se sont approprié les motifs qui se

13 trouvaient à la base de la politique nationale-socialiste afin

14 de mener à bien la solution finale. Ils se sont approprié ces

15 motifs pour essayer d'en tirer un profit personnel, parfois un

16 profit financier. Parfois, il s'agissait d'assouvir un désir de

17 vengeance personnelle.

18 Donc, nous avons là des affaires qui ont été jugées

19 comme étant des affaires qui étaient des crimes contre

20 l'humanité et c'est bien naturel, mais elles ont été jugées

21 telles parce qu'elles étaient des affaires où le criminel avait

22 des motifs multiples à la fois des motifs d'ordre personnel et

23 des motifs qui étaient en fait ceux des appartenants au régime

24 national-socialiste et qu'il s'était approprié pour servir ses

25 propres fins. Donc, nous revenons sur l'idée qu'il faut établir

Page 488

1 une distinction très nette entre ce type d'exemples et l'exemple

2 que j'ai donné ce matin où une femme abat son mari.

3 Dans ce dernier exemple, les motifs sont purement

4 personnels et, dans un tel contexte, rien ne justifie

5 l'application de normes juridiques qui poseraient la question de

6 savoir si le crime doit être traité ou non comme un crime contre

7 l'humanité. Rien ne permet de faire de ce crime un crime autre

8 qu'ordinaire dans le sens où il relève du droit ordinaire et non

9 pas du droit international.

10 Nous sommes d'avis que la Chambre de première instance

11 a rendu la seule décision possible dans de telles circonstances.

12 Dans d'autres affaires telles que l'affaire Etats-Unis contre

13 El Sota et l’affaire le Procureur général contre Ackman, on peut

14 dire qu'effectivement, il n'a pas été fait mention dans ces

15 affaires de la nécessité pour un crime contre l'humanité de ne

16 pas contenir des motifs d'ordre personnel.

17 Pourquoi est-ce que ceci n'a pas été soulevé ? Parce

18 que tout le monde était d'accord pour dire que si les crimes

19 avaient été effectivement commis par les accusés dans cette

20 affaire, personne ne pouvait dire qu'ils avaient été commis

21 seulement pour des motifs d'ordre personnel.

22 Il est donc parfaitement normal que ce type de

23 commentaires n'apparaissent pas dans les commentaires émis par

24 rapport à ces affaires que je viens de citer. Tels sont les

25 arguments que nous souhaitions avancer au titre du troisième

Page 489

1 motif d'appel.

2 M. le Président (interprétation). – Merci beaucoup,

3 Maître Clegg. Vous en avez terminé de votre réponse ? Vous

4 pouvez vous asseoir.

5 M. Clegg (interprétation). – Pardon, Monsieur le

6 Président, je n'ai pas terminé, rappelez-vous, nous avons le

7 quatrième motif d'appel à étudier encore.

8 M. le Président (interprétation). – Permettez-moi de

9 m'excuser.

10 M. Clegg (interprétation). - Oui et, de toute façon,

11 c'est beaucoup plus simple pour moi de rester debout car, si je

12 m'assois, je me verrai soumis à toute sorte de questions émanant

13 de mes éminents collègues ou de la part des Juges.

14 M. le Président (interprétation). - Mais tout de même,

15 je saisis l'occasion pour vous rappeler quelque chose dont vous

16 êtes conscient, je pense. Toutes les déclarations émanant du

17 collège de Juges sont de nature tout à fait temporaire.

18 J'entends par-là qu'elles ne doivent pas être considérées comme

19 des conclusions définitives.

20 M. Clegg (interprétation). - Bien sûr et je sais que

21 toutes les personnes présentes dans cette salle sont conscientes

22 de cette réalité.

23 Bien, j'en viens au quatrième motif d'appel. Est-ce que

24 tous les crimes contre l'humanité exigent que soit démontrée

25 l'existence d'une intention discriminatoire ? L'article 5 n'en

Page 490

1 parle absolument pas.

2 Cette Chambre d'appel est en fait l'émanation même du

3 Statut, Statut qui a ait été rédigé par le Conseil de sécurité

4 des Nations Unies. Cette Chambre tire toutes ses compétences de

5 ce Statut. Elle n'a pas d'existence indépendante.

6 Dans le Statut régissant le fonctionnement du Tribunal

7 international pour le Rwanda, il est fait mention de ce critère

8 particulier. Mais il n'est pas fait état du fait qu'il était

9 prévu que ce critère s'applique également à ce Tribunal

10 international pour l'ex-Yougoslavie.

11 Le Tribunal pour le Rwanda et son Statut viennent à

12 l'appui de l'opinion rendue par le Conseil de sécurité selon

13 laquelle il souhaite effectivement retenir le critère de

14 l'intention discriminatoire lorsqu'il s'agit de déterminer si un

15 crime contre l'humanité a été commis ou pas.

16 Ce critère apparaît dans le Statut du Tribunal pour le

17 Rwanda, pas dans celui de cette instance-ci.

18 Cette réalité ne joue pas dans le sens des arguments

19 présentés par l'accusation. Il va plutôt dans le sens de ce

20 qu’affirme la défense. L'article 5 de notre Statut ne dit rien

21 sur ce sujet, mais l'on jouit tout de même des commentaires

22 émanant du Secrétaire général et de trois autres membres du

23 Conseil de sécurité.

24 Qu'est-il dit dans ces différentes sources ? D'après

25 nous, il apparaît très clairement que les Nations Unies

Page 491

1 souhaitent que l'intention discriminatoire figure dans le cadre

2 de la qualification d'un crime.

3 Je ne crois pas que le rapport du Secrétaire général et

4 le rapport des trois autres membres du Conseil de sécurité

5 puissent être interprétés d'une quelconque autre façon. Je crois

6 qu'il est suggéré dans ces différentes sources que la Chambre

7 d'appel doit fermer les yeux quant à l'aide que ces documents et

8 ces déclarations peuvent fournir. Elle doit adopter une approche

9 plus limitée, elle doit se limiter strictement à

10 l'interprétation de la lettre du Statut et elle doit se

11 conformer à ce qui est précisément stipulé au titre de

12 l'article 5.

13 On trouve un certain nombre de dispositions dans le

14 Statut du Tribunal pour le Rwanda, dispositions qui ne figurent

15 pas dans le Statut du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie et ceci est

16 fondamental dans le cadre de l'étude de cette question. Nous

17 n'avons pas besoin d'aller plus avant. S'il figure dans un

18 Statut et pas dans l'autre, c'est très clair.

19 Bien évidemment, il est parfaitement normal de se

20 référer à ce qui est dit dans le rapport du Secrétaire général

21 et dans les rapports des trois autres membres du Conseil de

22 sécurité.

23 La Chambre d'appel doit d'ailleurs suivre ce qui est

24 dit dans ces différentes sources afin de comprendre quel était

25 l'objectif du Conseil de sécurité au moment de la rédaction du

Page 492

1 Statut qui a permis la mise en place de cette instance

2 internationale.

3 Ce que je pense, c'est qu'il n'existe aucune source de

4 droit qui traite directement de l'interprétation qui doit être

5 faite de statuts internationaux de ce type.

6 Ceci étant dit, dans des juridictions internes où il

7 est plus coutumier de se livrer à une interprétation des

8 statuts, on trouve de plus en plus la volonté de se tourner vers

9 les commentaires des législateurs afin de voir quel était

10 l'objectif du législateur au moment où celui-ci a rédigé tel ou

11 tel statut.

12 Dans le cadre de la Common Law britannique, la Chambre

13 des Lords, dans le cadre de la décision Paper et Hard, a déclaré

14 que lorsque toute incertitude ou toute ambiguïté existe, alors

15 la Chambre compétente peut se tourner ou peut consulter les

16 comptes rendus des audiences du Parlement afin de comprendre

17 quel était l'objectif du Parlement lorsque telle ou telle loi a

18 été votée.

19 C'est la seule approche raisonnable qui puisse être

20 adoptée dans une époque où de plus en plus, on se livre à

21 l'interprétation des statuts.

22 Il serait parfaitement absurde que cette Chambre

23 d'appel, alors qu'elle essaie d'évaluer quel peut être l'impact

24 réel de l'article 5, ne tienne pas compte des sources qui lui

25 permettent le plus facilement de comprendre quelle était

Page 493

1 l'intention réelle des Nations Unies. Ce serait faire comme ce

2 qu'a fait l'amiral Nelson de Trafalgar qui, pour regarder ce qui

3 se passait sur le champ de bataille, a appliqué le télescope sur

4 son oeil gauche qui lui était parfaitement inutile puisqu'il

5 était aveugle.

6 Nous, nous vous encourageons, Madame et Messieurs les

7 Juges, à garder vos deux yeux bien ouverts et à consulter toutes

8 les informations qui sont à votre disposition.

9 Je le répète, ce qui apparaît dans les commentaires du

10 Secrétaire général et dans les commentaires des autres membres

11 du Conseil de sécurité permet de déduire qu'il devrait exister

12 un critère selon lequel la démonstration de l'existence d'une

13 intention discriminatoire est parfaitement nécessaire.

14 M. le Président (interprétation). - Veuillez laisser la

15 parole au Juge Cassese qui a une question à vous poser.

16 M. Cassese (interprétation). - Maître Clegg, quelle

17 est votre réaction à la proposition selon laquelle les

18 déclarations faites par la France, les Etats-Unis et la Russie

19 au sein du Conseil de sécurité peuvent être comparées à des

20 travaux préparatoires dans le cadre de l'élaboration d'un

21 traité ? Est-ce que vous êtes d'accord avec cette idée qu'on

22 pourrait comparer ces deux éléments ?

23 Si le texte d'un traité est très clair, on n'a pas

24 besoin de se référer par la suite aux travaux préparatoires qui

25 ont donné naissance à ce traité, mais la conséquence alors est

Page 494

1 que, dans notre affaire, les dispositions de l'article 5 ont

2 préséance sur les déclarations émanant des trois membres du

3 Conseil de sécurité des Nations Unies.

4 M. Clegg (interprétation). - D'après moi, le libellé de

5 l'article 5 n'est pas clair, car il ne dit rien du sujet et -je

6 cherche mon exemplaire du Statut-... Ce que l'on lit dans

7 l'article 5 garde totalement le silence quant au fait de savoir

8 si, oui ou non, il y a exigence d'existence d'intentions

9 discriminatoires.

10 Donc à l'évidence, si cet article stipulait qu'il n'est

11 pas nécessaire qu'il y ait intention discriminatoire, le statut

12 serait clair et je ne pourrais pas formuler la proposition que

13 je viens de formuler.

14 Mais, à notre avis, l'absence de quelque indication que

15 ce soit dans un sens ou dans l'autre entraîne une incertitude

16 quant au fait de savoir si les rédacteurs du Statut voulaient

17 l'un ou l'autre, et c'est en raison de l'existence de cette

18 incertitude que vous êtes en droit de consulter les travaux

19 préparatoires.

20 A notre avis, le fait que cette disposition est

21 effectivement présente dans le Statut du Tribunal du Rwanda ne

22 fait qu'accroître l'incertitude quant à la volonté qui a présidé

23 à la rédaction du Statut de notre Tribunal. Cette incertitude

24 existait donc la première, puisque ce Tribunal a existé le

25 premier. Et s'il y a incertitude, vous êtes habilité à vous

Page 495

1 pencher sur les travaux préparatoires.

2 M. Cassese (interprétation). - Pourquoi parlez-vous

3 d'incertitude ? En fait, dans l'article 5, il n'est pas question

4 de ce concept d'intention discriminatoire.

5 Vous connaissez la maxime latine, que je vais vous dire

6 dans mon latin italien : "Ube lex non distinguit, nec nos

7 distinguere debemus", ce qui signifie que lorsque la loi

8 n'établit pas une distinction, aucun interprète du droit n'est

9 habilité à établir cette même distinction.

10 L'article 5 ne traite pas de la question, ne mentionne

11 pas la problématique de l'intention discriminatoire, ne dit pas

12 qu'une intention discriminatoire est nécessaire et donc, en

13 conséquence, il est permis de penser que cette intention

14 discriminatoire n'est pas exigée.

15 Quant au Statut du Tribunal du Rwanda, bien entendu

16 M. Fenrick l'a souligné, je crois, il développait une

17 argumentation a contrario, et le concept d'intention

18 discriminatoire est expressément formulé dans le Statut du

19 Tribunal du Rwanda, mais pas dans notre article 5 du Statut de

20 notre Tribunal.

21 Donc, la conclusion logique à tirer de la lecture de

22 l'article 5 ne consiste pas à estimer que cette intention

23 discriminatoire était voulue.

24 M. Clegg (interprétation). - Je comprends bien la force

25 de votre argument, je ne suis pas en train de dire que

Page 496

1 l'article 5 est ambiguë, il ne l'est pas, il est parfaitement

2 clair.

3 Ce que je dis, c'est qu'il crée une certaine

4 incertitude en raison du silence qu'il conserve et cela concorde

5 avec le fait que le Statut du Rwanda a été révisé sur ce point,

6 que les rédacteurs, à la lumière des questions qui se sont

7 posées quant au fait de savoir si, oui ou non, l'intention

8 discriminatoire était un élément nécessaire dans notre Statut,

9 ont estimé qu'il était préférable de l'établir clairement une

10 bonne foi pour toutes.

11 Je ne peux rien faire de plus que ce que je suis en

12 train de faire. A notre avis, le droit international n'établit

13 pas clairement la nécessité d'une intention discriminatoire. Le

14 droit international, comme tous les domaines du droit, évolue,

15 se développe avec le temps, a d'ailleurs grandement évolué et

16 s'est grandement développé ces dernières années.

17 A notre avis, s'il n'y a aucune ambiguïté dans le

18 libellé de l'article 5, bien que le silence crée une incertitude

19 quant à la volonté du législateur, si tel est bien le cas, vous

20 êtes habilité, vous avez le droit de vous pencher sur les

21 travaux préparatoires.

22 Si votre conclusion consiste à penser qu'il n'y a

23 aucune incertitude, que tout est absolument clair, eh bien j'ai

24 perdu et vous ne pourrez utiliser les travaux préparatoires.

25 Mais ce que j'affirme c'est que du fait que ce Tribunal

Page 497

1 est le fruit du Statut, dépend du Statut, il doit être très

2 vigilant parce qu'il n'a pas le bénéfice de l'histoire. Il n'a

3 pas le bénéfice d'une longue série de décision en appel sur

4 lesquelles il peut se fonder pour apprécier le travail des

5 Chambres de première instance.

6 Les Chambres d'appel et le Tribunal dans son ensemble,

7 ainsi que la Chambre de première instance qui a jugé l'affaire

8 Tadic, se résument d'une certaine façon à un seul et unique

9 Tribunal qui n'a aucun précédent dans l'histoire.

10 A notre avis, dans une situation telle que celle-ci, il

11 convient d'être plus prêt que, dans une autre situation, à

12 bénéficier de la lecture des documents préparatoires pour se

13 conforter dans l'idée que le Tribunal a bien appliquer la

14 volonté du législateur dans une juridiction nationale par

15 exemple.

16 Si toute législation a inévitablement une histoire de

17 lois antérieures et peut se retourner vers le passé pour

18 interpréter les lois nouvelles à la lumière des lois précédentes

19 et voir comment ces lois ont été appliquées par les tribunaux,

20 les rédacteurs, bien entendu, lorsqu'ils rédigent une

21 législation dans un domaine national connaissent la législation

22 antérieure, connaissent son interprétation et savent comment les

23 tribunaux l'ont appréciée.

24 Les rédacteurs d'une loi ont en général un passé auquel

25 ils peuvent se rapporter, mais ici ce n'est pas le cas.

Page 498

1 L'environnement est totalement dépourvu d'un tel passé. Nous ne

2 sommes pas dans une juridiction nationale, mais nous avons

3 l'aide d'autres sources mais pas celles d'une législation

4 antérieure.

5 Mon argument est peut-être un petit peu contourné, mais

6 le fait que la Chambre de première instance a estimé qu'il y

7 avait nécessité d'inclure ce concept et que le Procureur estime

8 que tel n'est pas le cas démontre en tout cas qu'il y a

9 incertitude dans certains esprits quant à la volonté du

10 législateur.

11 J'espère que ceci est plus simple que l'argument un peu

12 contourné que j'ai utilisé jusqu'à présent, et je ne crois pas

13 pouvoir en dire bien davantage sur ce point.

14 M. le Président (interprétation). - Maître Clegg, puis-

15 je me permettre de vous dire que mon esprit a été occupé par une

16 question assez semblable à celle qui vient d'être posée par mon

17 confrère, M. le Juge Cassese.

18 Je suppose que le problème qui se pose à moi est un

19 problème philosophique par rapport au point que vous venez

20 d'évoquer, à savoir que le libellé de l'article 5 est clair. Il

21 ne comporte aucune ambiguïté.

22 Mais, en dépit de cela, vous estimez que le silence

23 gardé par ce libellé de l'article 5 crée une certaine

24 incertitude. N'est-ce pas en fait une autre manière de dire

25 qu'il y a une ambiguïté ?

Page 499

1 M. Clegg (interprétation). - Lorsque j'ai utilisé le

2 mot "ambiguïté", je voulais d'écrire une situation caractérisée

3 par le fait que le libellé même du Statut n'est pas clair et

4 qu'il est possible d'en tirer deux interprétations différentes.

5 Or, dans le cas qui nous intéresse, le texte est

6 silencieux. C'est cette situation précisément qui, à mon avis,

7 crée l'incertitude. C'est dans ce sens que j'ai utilisé les mots

8 que j'ai utilisés.

9 M. le Président (interprétation). - Pourquoi dites-vous

10 que l'article 5 conserve le silence sur le point au sujet duquel

11 vous avez été interrogé par mon collègue ?

12 Ne sommes-nous pas dans une situation où le rédacteur

13 rédige son texte en estimant que le produit de son travail de

14 rédaction va être interprété conformément au droit dans l'état

15 du droit à ce moment-là ? Il ne semble y avoir aucune difficulté

16 sur ce point.

17 Le droit coutumier international à l'époque actuelle

18 fait la distinction entre deux types de crimes contre

19 l'humanité : premièrement, les crimes de type

20 meurtre/assassinat, deuxièmement, les crimes de type

21 persécution, la discrimination nécessaire pour établir la

22 deuxième catégorie de crimes contre l'humanité, mais pas la

23 première.

24 Alors, le rédacteur n'aurait-il pas exprimé la volonté

25 que tel ou tel mot soit utilisé dans l'article 5 si vraiment il

Page 500

1 l'avait interprété de cette façon ? Et dans ce cas, peut-on

2 parler de silence ?

3 M. Clegg (interprétation). - Oui, je comprends bien la

4 puissance de votre argument encore une fois, Monsieur le

5 Président.

6 Mais, tout ce que je peux dire, c'est que l'article 5

7 ne fait pas expressément mention de la nécessité ou de la non-

8 nécessité qu'il y ait intention discriminatoire. En fait,

9 l'article 5 et silencieux dans le sens où il ne dit rien ni dans

10 un sens ni dans l'autre.

11 Bien entendu, j'admets toute la puissance des propos

12 que vous venez de tenir, Monsieur le Président, en disant : eh

13 bien, il n'y avait pas besoin d'en parler parce que s'il y avait

14 eu besoin d'en parler, c'est que tout le monde n'aurait pas déjà

15 eu la réponse. Je comprends bien ce que vous venez de nous dire.

16 M. le Président (interprétation). - Je vais essayer de

17 m'expliquer plus avant. Des mots indiquant une intention

18 particulière ne sont utilisés par le rédacteur d'un texte que

19 lorsque celui-ci a l'intention de s'écarter de la signification

20 généralement accordée aux termes qu'il utilise.

21 Prenons, par exemple, l'expression "conflit armé" : le

22 rédacteur a délibérément introduit dans l'article 5 une

23 référence aux conflits armés parce qu'il voulait qu'il soit tout

24 à fait clair que la compétence du Tribunal devait être limitée

25 en rapport avec cette question.

Page 501

1 Or, une limite de même nature, une limite de ce genre

2 n'existe pas dans le droit international coutumier. Alors que

3 lorsque le Statut du Rwanda a été rédigé, il a omis cette

4 référence. Il a omis ces mots et donc, le libellé utilisé dans

5 le Statut du Rwanda permet de tirer une conclusion différente

6 autrement dit, est-ce que vous me comprenez ? Le rédacteur

7 n'introduit certains mots que lorsqu'il a l'intention de

8 s'écarter du sens généralement accepté dans le cadre du droit en

9 vigueur, du droit applicable à ce moment-là.

10 M. Clegg (interprétation). - Bien, je dois admettre que

11 c'est une interprétation du Statut. Il serait absurde pour moi

12 de dire le contraire. Bien sûr, je dois admettre votre

13 interprétation.

14 M. le Président (interprétation). - J'aimerais vous

15 ramener à un deuxième aspect de votre très intéressante

16 intervention sur ce point.

17 Et je veux parler des trois déclarations émanant des

18 trois autres membres du Conseil de sécurité. Est-ce que vous

19 demandez au Tribunal de déclarer que ces déclarations émanant

20 des membres du Conseil de sécurité sont claires ? Ou qu'elles

21 comportent certaines ambiguïtés ? Prenez par exemple la

22 déclaration russe, voilà ce que l'on lit dans cette

23 déclaration : « tout en estimant que le libellé de ce Statut

24 traite bien de la mission conférée au Tribunal et appuie cette

25 mission, nous estimons approprié de faire remarquer que dans

Page 502

1 notre interprétation, l'article 5 du Statut englobe les actes

2 criminels commis sur le territoire de l'ex-Yougoslavie au cours

3 d'un conflit armé, acte généralisé ou systématique, et dirigé

4 contre la population civile pour des motifs liés à

5 l'appartenance nationale, politique, ethnique, religieuse ou

6 autre de cette population ». (Fin de citation).

7 Alors en se concentrant sur le terme "englobe", tout ce

8 que dit le délégué russe, c'est que, dans les faits, les délits

9 de type meurtre ou assassinat peuvent être motivés par les

10 raisons qui sont évoquées. Il ne dit pas que ce genre de

11 motivation est nécessaire dans tous les cas pour qu'il y ait

12 délit de type meurtre. Le mot qu'il a utilisé est le mot

13 "englobé".

14 M. Clegg (interprétation). - Oui, j'admets cela.

15 Mais, ce que nous disons, c'est que si la Chambre

16 d'appel se convainquait de la nécessité de prendre en

17 considération le rapport du Secrétaire général et les trois

18 déclarations des délégués du Conseil de sécurité, les quatre

19 textes doivent être lus ensemble et nous invitons la Chambre

20 d'appel à conclure dans ce sens, car ils n'ont pas tout à fait

21 tous le même libellé, ils peuvent être analysés dans des sens

22 très différents s'ils sont pris séparément.

23 M. le Président (interprétation). – Oui. Revenons sur

24 le rapport du Secrétaire général.

25 M. Cassese (interprétation). – Puis-je vous interrompre

Page 503

1 un instant ?

2 M. le Président (interprétation). - Mon collègue

3 aimerait vous poser une question.

4 M. Cassese (interprétation). – Puis-je appeler votre

5 attention sur la déclaration de l'un des trois délégués qui est

6 la plus exhaustive et claire à savoir Mme Albright, la

7 représentante américaine, elle déclare, je cite : "nous

8 comprenons que d'autres membres du Conseil de sécurité ont le

9 même point de vue eu égard aux éclaircissements suivants du

10 Statut", et ensuite suivent un certain nombre de phrases et de

11 dispositions, puis on en arrive à l'article 5. Je cite : "Il est

12 entendu que l'article 5 s'applique à tous les actes énumérés

13 dans cet article, lorsqu'ils sont commis en contradiction au

14 droit pendant une période de conflits armés sur le territoire de

15 l'ex-Yougoslavie dans le cadre d’une attaque généralisée ou

16 systématique contre une population civile pour des raisons

17 nationales, politiques, ethniques, raciales, de sexe, ou

18 religieuses". (Fin de citation).

19 Donc cette déclaration est tout à fait différente de

20 celle du représentant dont vous venez de citer les propos et qui

21 a utilisé le terme "englober". Qu'en pensez-vous ?

22 M. Clegg (interprétation). - Je préfère la déclaration

23 de Mme Albright à celle du délégué russe, mais à mon avis, il

24 faut lire tous ces textes ensemble.

25 M. Cassese (interprétation). –Laquelle doit prévaloir

Page 504

1 parce que nous avons le point de vue des Etats-Unis, du Conseil

2 de sécurité et nous estimons que l'article 5 ne recouvre que les

3 crimes contre l'humanité commis pour des raisons politiques,

4 raciales et religieuses alors que le représentant russe du

5 Conseil de sécurité, selon son interprétation, a une optique un

6 peu plus souple. Comment conciliez-vous ces deux déclarations ?

7 M. Clegg (interprétation). - Il est impossible de les

8 concilier parce qu'elles sont différentes, mais comment aborde-

9 t-on les différences que l'on trouve dans ces deux

10 interprétations ?

11 Eh bien, à cet égard, il est permis de dire que si le

12 délégué russe souhaitait que l’élément discriminatoire qui,

13 d'après nous, existait dans la réalité, s'il avait l'intention

14 de dire qu'il n'existait pas, il n'y avait aucune raison d'en

15 parler parce que tous les crimes dans ce cas sont englobés

16 indépendamment de l'intention discriminatoire, il n'y avait

17 aucune nécessité de dire un mot sur le sujet. Le simple fait

18 donc qu'il aborde le problème, malheureusement pour lui à mon

19 avis, en utilisant le terme "englober" plutôt qu'un terme plus

20 restrictif, le simple fait qu'il aborde la question indique à

21 notre avis que la réalité de l'intention discriminatoire était

22 manifestement présente dans son esprit lorsqu'il s'est exprimé.

23 Mais à notre avis, les propos tenus par Madeleine Albright sont

24 plus clairs.

25 M. Cassese (interprétation). – Merci.

Page 505

1 M. le Président (interprétation). - Je remercie mon

2 confrère, le Juge Cassese, pour les questions qu'il vient de

3 poser.

4 Et puis-je vous en poser une moi-même ?

5 A lire la déclaration de Mme Albright, on constate bien

6 entendu qu'elle est exhaustive et qu'elle exige qu'il y ait

7 intention discriminatoire dans tous les cas, mais pourrait-on

8 défendre l'argument selon lequel ce n'est pas une déclaration

9 exhaustive, c'est simplement une déclaration qui stipule ce qui

10 est objectivement évident et qu'il ne peut y avoir que des

11 délits de type meurtre lorsque ceux-ci s'appuient sur une

12 intention discriminatoire. Mais est-ce que cela signifie que ce

13 crime n'existe que s'il y a intention discriminatoire ou ne dit-

14 elle pas que cette intention discriminatoire s'applique à tous

15 les actes évoqués à l'article 5 ? Est-ce que vous pensez qu'elle

16 dit que pour qu'il y ait meurtre, il faut qu'il y ait intention

17 discriminatoire, qu'en pensez-vous ?

18 M. Clegg (interprétation). - Elle a dit qu'il fallait

19 qu'il y ait intention discriminatoire, elle n'a pas dit que le

20 concept s'appliquait à quoique ce soit d'autre, elle a dit que

21 cela s'appliquait aux délits de type meurtre.

22 M. le Président (interprétation). - Non, en effet, donc

23 mon confrère a raison. Il y a une ambiguïté dans les

24 déclarations. Tout ce que je suis en train de dire, c'est qu'à

25 part les contradictions apparentes entre la déclaration de

Page 506

1 Mme Albright et la déclaration du délégué russe, je ne suis pas

2 si sûr que cela que l'interprétation de Mme Albright soit

3 totalement dépourvue d'ambiguïté.

4 Revenons, si vous le voulez bien, au rapport du

5 Secrétaire général : paragraphe 48 de son rapport, où nous

6 lisons "les crimes contre l'humanité désignent des actes

7 inhumains d'une extrême gravité tels que l'homicide

8 intentionnel, la torture ou le viol".

9 Mais je souligne les mots tels que. Est-ce que vous

10 diriez qu'ils proposaient peut-être la possibilité qu'un délit

11 de type meurtre ou assassinat pourrait en fait être commis pour

12 des raisons discriminatoires, sans que cela entraîne la

13 possibilité de penser que la volonté du rédacteur était de ne

14 considérer comme délits de type crime que les délits commis en

15 présence d'une intention discriminatoire.

16 M. Clegg (interprétation). - Tout dépend de la façon

17 dont on lit ce libellé. Je dois avouer que vous me demandez

18 quelque chose d'un peu difficile. Je dirai que la qualification

19 se limite à la liste des délits tels qu'homicides intentionnels,

20 tortures, viols, mais que les mots tels que ne servent qu'à

21 décrire le crime et pas l'intention. La conclusion à tirer c'est

22 qu'il n'était pas nécessaire qu'il y ait intention

23 discriminatoire. Je dirai qu'une lecture normale de ce texte ne

24 permet pas de penser que la qualification porte sur l'intention

25 discriminatoire mais que l'existence des mots tels que

Page 507

1 concernent uniquement la liste des crimes évoqués dans cet

2 article.

3 M. le Président (interprétation). - Mais diriez-vous

4 que dans le rapport du Secrétaire général et les trois

5 déclarations des délégués du Conseil de sécurité le libellé est

6 tout à fait clair et dépourvu d'ambiguïté quant à la nécessité

7 pour le Tribunal de procéder ou plutôt de s'écarter du sens

8 généralement accepté du droit dans le texte de l'article 5 du

9 statut ?

10 M. Clegg (interprétation). - Moi je dirai que

11 l'article 5 est suffisamment clair et que ces trois déclarations

12 des délégués du Conseil de sécurité et que le rapport du

13 Secrétaire général sont suffisamment clairs.

14 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie.

15 M. Clegg (interprétation). - J'aimerais maintenant

16 passer aux deuxième motif. Après quoi, M. Livingston prendra la

17 parole pour parler du cinquième motif. Je me sens rassuré par le

18 fait qu'il y a décision unanime de la Chambre de première

19 instance sur ce sujet.

20 Le Juge McDonald revient avec la majorité des autres

21 juges.

22 A notre avis, il y a une différence entre ceci et le

23 troisième motif d'appel de l'appelant.

24 En ce qui concerne l'appréciation des éléments de

25 preuve en rapport avec ce motif d'appel et le témoin

Page 508

1 Nihad Seferovic, nous disons au Tribunal que la Chambre de

2 première instance ne disposait pas des informations pertinentes

3 contenues dans le document qui constitue la pièce à conviction

4 de la défense 14 avant de prendre sa décision, et que l'absence

5 d'une version traduite de ce document a conduit la Chambre de

6 première instance à prendre une décision erronée.

7 Nous disons, autrement dit, que la Chambre de première

8 instance aurait pris une autre décision si elle avait possédé la

9 traduction de ce texte.

10 Mais, s'agissant du deuxième motif, les choses sont

11 tout à fait différentes. Nous ne disons pas que la Chambre n'a

12 pas pris en considération tous les éléments de preuve à sa

13 disposition.

14 Nous disons que, sur deux points, la Chambre a formulé

15 une conclusion erronée.

16 A notre avis, la première cause d'erreur est, après

17 réflexion, une proposition tout à fait extraordinaire. Lorsqu'on

18 l'analyse, le fait est que trois Juges aussi expérimentés, aussi

19 compétents, que ceux qui constituaient la Chambre de première

20 instance, ignoraient le sens accordé à l'expression "doute

21 raisonnable" étaient incapables d'appliquer ce critère à la

22 réalité du procès qu'ils ont eu à juger.

23 Nous demandons à la Chambre d'appel de rejeter la

24 proposition consistant à penser que la Chambre de première

25 instance ne connaissait pas la signification des termes "doute

Page 509

1 raisonnable".

2 Nous demandons aux Juges de la Chambre d'appel de

3 procéder en estimant que les Juges de la Chambre de première

4 instance savaient exactement quel sens accorder à ces termes.

5 Par ailleurs, nous invitons la Chambre d'appel à

6 conclure que les Juges de la Chambre de première instance ont

7 appliqué les principes applicables à l'analyse de la réalité

8 qu'ils ont apprise au cours du procès.

9 Il est parfaitement exact qu'au paragraphe 373 du

10 jugement, il est fait référence, si je ne m'abuse, au concept de

11 "simple éventualité".

12 Nous trouvons donc ces mots "la simple éventualité"

13 qui, si on les analyse isolément, peuvent être des mots assez

14 curieux dans la bouche de Juges d'une Chambre de première

15 instance, mais si on relie ces mots avec la totalité du

16 paragraphe dans lequel on les trouve, on constate que ce

17 paragraphe commence par les termes : "La Chambre est convaincue

18 au-delà de tout doute raisonnable".

19 Immédiatement avant l'utilisation des termes "la simple

20 éventualité", les Juges ont signifié que toutefois la Chambre ne

21 saurait être convaincu au-delà de tout doute raisonnable que

22 l'accusé a joué un rôle dans le meurtre de l'un ou l'autre de

23 ces cinq hommes.

24 Juste après ces termes "la simple éventualité", la

25 Chambre utilise le libellé suivant : "Il est donc parfaitement

Page 510

1 possible que leur mort ait été causée par l'action d'un groupe

2 entièrement distinct d'hommes en armes ou par un acte spontané

3 ou non autorisé du contingent qui a investi Sivci, ce dont

4 l'accusé ne peut être tenu responsable".

5 Par conséquent, à trois reprises, dans le même

6 paragraphe, paragraphe dans lequel le mot "simple" est utilisé,

7 juste avant "éventualité", nous trouvons l'expression selon nous

8 appropriée qui définit le niveau de preuve nécessaire et fixée

9 par la Chambre d'appel.

10 Donc, dans un jugement qui fait plusieurs centaines de

11 pages, certains termes utilisés dans ce même jugement ne

12 devraient pas être soumis à une étude aussi poussée que, par

13 exemple, celle dont pourrait faire l'objet un texte religieux,

14 étude qui pourrait être réalisée par un jésuite par exemple, qui

15 souhaiterait étudier un manuscrit religieux ancien.

16 Il ne faut pas étudier un seul paragraphe

17 indépendamment du reste du jugement, il faut étudier le jugement

18 dans son ensemble et se demander après cet examen si la Chambre

19 de première instance n'avait véritablement aucune idée de ce

20 qu'était le doute raisonnable.

21 Selon nous, il est absolument manifeste que la Chambre

22 de première instance savait pertinemment ce que voulaient dire

23 ces termes, et que c'est bien ce critère de la preuve que la

24 Chambre a appliqué au moment de formuler son jugement.

25 Avec l'utilisation du simple mot "simple" avant le mot

Page 511

1 "éventualité" dans un paragraphe dans lequel il est fait

2 référence à deux reprises au critère correct de la preuve

3 nécessaire, paragraphe dans lequel le mot "distinct" est

4 utilisé, un peu plus bas, devant le mot "possibilité" à nouveau,

5 je crois qu'après avoir passé en revue ce type de paragraphe, on

6 ne peut pas se fonder sur les termes utilisés pour casser un

7 verdict d'acquittement, ou bien pour condamner un accusé du

8 meurtre de cinq personnes.

9 Ceci est tout à fait conforme à l'interprétation donnée

10 à l'unanimité par la Chambre de première instance.

11 Personne n'a assisté, personne n'a été le témoin

12 oculaire de ces meurtres. Personne ne savait qui était

13 physiquement présent en ce lieu lorsque les hommes ont été tués,

14 tous ou certains d'entre eux. Personne n'a pu confirmer ou

15 infirmer la proposition selon laquelle le meurtrier ou les

16 meurtriers étaient où n'étaient pas avec le groupe qui se

17 trouvait auparavant dans l'autre village, Sivci. Aucun témoin

18 n'a pu confirmer que les hommes qui sont arrivés sont

19 effectivement ceux qui sont partis, sans que personne ne vienne

20 s'ajouter au groupe ou sans que personne ne quitte ce groupe.

21 L'absence de tels éléments de preuve peut mener la

22 Chambre de première instance à conclure, de façon tout à fait

23 raisonnable, qu'elle n'est pas convaincue au-delà de tout doute

24 raisonnable que le groupe, et la constitution, la composition,

25 du groupe n'a pas été modifiée.

Page 512

1 La Chambre a entendu des témoins qui se trouvaient dans

2 le village. Ils ont entendu que ces personnes n'avaient pu

3 assister à ce qui se passait à l'extérieur que de l'intérieur de

4 certains bâtiments et ce qui ne leur donnait qu'une possibilité

5 très limitée d'observer effectivement ce qui se passait à

6 l'extérieur.

7 D'autre part, nous pensons que la Chambre de première

8 instance a appliqué, à juste titre, le principe de l'entreprise

9 conjointe, commune.

10 La conclusion à laquelle la Chambre est parvenue a été

11 la suivante : le meurtre a pu en fait être un acte imprévisible

12 et non autorisé, perpétré par l'un des membres du contingent qui

13 est entré à Sivci ; ce pourquoi l'accusé ne peut pas être tenu

14 responsable.

15 Par conséquent, en appliquant ce principe d'entreprise

16 commune, la Chambre de première instance a pris une position de

17 droit.

18 Un instant s'il vous plaît, je crois que je n'ai pas la

19 bonne référence sous les yeux. Je vous renvoie à la page 260 de

20 la version anglaise.

21 La Chambre de première instance, selon nous, s'exprime

22 en prenant une position tout à fait appropriée. Cette position

23 est présentée de la page 260 à la page 268.

24 Une analyse du droit, régissant une entreprise commune,

25 est fournie par la Chambre de première instance. Il s'agit d'une

Page 513

1 analyse précise et qui, à mon avis d'ailleurs, n'est pas l'objet

2 du litige.

3 La Chambre de première instance est parvenue à la

4 conclusion exacte qu'afin qu'une personne soit tenue pénalement

5 responsable dans le cadre d'une entreprise commune, l'accusé

6 donc, la personne accusée, doit être devenu partie à un accord

7 criminel dont il savait au moment où il l'a fait qu'il pourrait

8 avoir des conséquences menant au meurtre d'individus.

9 La Chambre de première instance a entendu les moyens de

10 preuve présentés et elle est parvenue à la conclusion qu'elle

11 n'était pas convaincue, eu égard aux actes présentés au cours du

12 procès.

13 La Chambre pouvait effectivement parvenir à cette

14 conclusion et tenir compte du fait que dans l'opération de plus

15 grande envergure, qui a eu lieu au village de Sivci, les actes

16 en question n'impliquaient pas un meurtre quelconque.

17 Et la Chambre de première instance pouvait légitimement

18 parvenir à la conclusion que l'accusation ne s'était pas

19 acquittée de son obligation de démontrer que ce jour-là

20 l'appelant avait participé à une entreprise criminelle dont il

21 savait qu'elle aurait pu mener au meurtre de certains individus,

22 par opposition au transfert forcé d'individus vers des camps.

23 Ainsi, nous pensons que les arguments de l'accusation

24 sont erronés, en ce qui concerne le droit et cet aspect du droit

25 en particulier. La suggestion de l'accusation, je regarde

Page 514

1 maintenant la page 502 ligne 4 du compte rendu d'hier qui dit la

2 chose suivante : "Nous avons une intention, nous avons une

3 participation à Jaskici même d'ailleurs avec un petit groupe

4 d'hommes, nous avons une participation à une entreprise commune

5 illicite et cette entreprise commune illicite n'était pas une

6 entreprise imprévisible et non autorisée parce que l'opération

7 qui a eu lieu à Jaskici était la même que celle qui s'est

8 déroulée à Sivci. C'était la même opération qui a été organisée

9 sur tout le territoire de l'opstina Prijedor et quel était le

10 but de cette opération ? C'était de nettoyer la région de tous

11 les non Serbes et ceci par un certain nombre de moyens,

12 notamment le meurtre".

13 Nous ne pensons pas qu'il s'agisse là d'une démarche

14 appropriée, la démarche appropriée est celle qui a été adoptée

15 par la Chambre de première instance qui a posé la question de la

16 façon suivante : "A-t-il été démontré que l'accusé ou l'appelant

17 en l'occurrence, ce jour-là, a participé à cette entreprise

18 commune dont il savait qu'elle risquait d'avoir certaines

19 conséquences et notamment de mener à des meurtres d'individus ?"

20 Il n'est pas suffisant de dire qu'il y a peut-être une

21 autre opération qui est menée de plus grande envergure et qui

22 englobe d'autres opérations de plus petite envergure. Avant que

23 l'on puisse déclarer l'accusé coupable, il doit être démontré

24 que lui-même avait cette connaissance.

25 Et à ce stade, avec les éléments dont disposait la

Page 515

1 Chambre de première instance, elle ne pouvait pas déclarer en

2 être totalement convaincue.

3 Par conséquent, son état d'esprit à l'époque, et la

4 connaissance des faits qu'il avait à l'époque doivent être

5 démontrés et c'est quelque chose que l'accusation n'a pu faire

6 au cours du procès et quelque chose que le jugement de la

7 Chambre de première instance n'a pu refléter. Par conséquent,

8 nous pensons que, suite à nos arguments présentés, nous pouvons

9 parvenir à la conclusion que la Chambre d'appel a pris la bonne

10 décision en acquittant l'accusé et en ne le tenant pas

11 responsable de la mort de ces cinq individus.

12 (Correction de l'interprète) il s'agissait de la

13 Chambre d'instance et pas de la Chambre d'appel.

14 M. Cassese (interprétation). - En ce qui concerne cette

15 entreprise commune, je crois que la Chambre de première instance

16 et l'accusation ont proposé cette notion dans le cadre de

17 l'article 7.1 du Statut. Vous savez que l'article 7.1 du Statut

18 énumère cinq catégories d'actes : la planification, l'incitation

19 à commettre, l'ordre de commettre quelque chose, ou le fait

20 d'aider ou d'encourager.

21 Alors, à votre avis, cette notion d'entreprise commune

22 illicite dans quelle catégorie tombe-t-elle ?

23 Pensez-vous qu'il s'agit là de la perpétration du crime

24 ou bien du fait d'aider et d'encourager la perpétration d'un

25 crime ? Je crois que dans certains ouvrages relatifs au droit

Page 516

1 pénal britannique, cette notion est toujours liée et toujours

2 traitée en conjugaison avec le fait d'aider et d'encourager ?

3 M. Clegg (interprétation). – Effectivement, ceci

4 englobe le fait d'aider et d'encourager, mais ceci peut

5 également impliquer la perpétration du crime. Ici, moi je

6 l'utilise effectivement dans le sens du fait d'aider et

7 d'encourager à la perpétration d'un crime et on ne peut faire

8 cela, on ne peut aider et encourager une entreprise criminelle

9 illicite que si l'on connaît et si l'on prévoit quelles vont

10 être les conséquences possibles d'une telle entreprise.

11 Par conséquent, en vertu du droit britannique, bien

12 entendu, par exemple, vous n'êtes pas coupable si vous êtes

13 chauffeur de taxi et que vous avez emmené une personne sur le

14 lieu où elle va commettre son crime, bien entendu, ceci ne vous

15 rend pas coupable de meurtre. Cependant, si vous saviez que

16 cette personne avait une arme et qu'elle avait l'intention de

17 s'en servir et que vous l'avez emmenée sur les lieux afin que la

18 personne puisse y commettre son crime, là, vous êtes coupable

19 d'avoir aidé et encouragé.

20 M. le Président (interprétation). - Par conséquent,

21 vous n'écartez pas la possibilité du fait que cette notion

22 puisse n'être examinée qu'à la lumière de la perpétration d'un

23 crime en laissant de côté le fait d'aider et d'encourager ?

24 M. Clegg (interprétation). – Non, effectivement.

25 M. Cassese (interprétation). - Excusez-moi, que

Page 517

1 faites-vous ? Vous n'écartez pas cette possibilité ?

2 M. Clegg (interprétation). – Effectivement, je n'écarte

3 pas cette possibilité.

4 Je n'aurai plus rien à dire sur ce point. C'est

5 Maître Livingston qui va traiter du motif d'appel numéro 5.

6 M. le Président (interprétation). – Merci,

7 Maître Clegg.

8 Les remarques écrites qui viennent de m’être

9 communiquées par le Greffe me disent que vous avez été un peu

10 plus long que deux heures mais que ceci est dû aux questions

11 posées par les Juges. Par conséquent, nous serons prêts à

12 entendre M. Livingston.

13 Serait-il possible, Maître Livingston, de vous allouer

14 une demi-heure ?

15 M. Livingston (interprétation). – Effectivement,

16 j’allais commencer en formulant une demande qui m'aurait permis

17 d'avoir plus de temps pour bon comportement. Je sais que c'est

18 une demande un peu inhabituelle, mais je sais que tous les

19 intervenants jusqu'ici s’en sont tenus aux délais et je sais que

20 nous avons de l’avance par rapport au calendrier prévu lundi

21 matin, de deux jours au moins.

22 M. le Président (interprétation). - Aucun problème,

23 Maître Livingston, vous avez une demi-heure.

24 M. Livingston (interprétation). - Peut-être avant de

25 commencer serait-il utile de mentionner une erreur dans le

Page 518

1 transcript qui est assez grave qui risquerait de poser problème

2 par la suite. Je crois que Maître Clegg a mal prononcé le terme

3 de Sivci et bien entendu dans le transcript, ceci est apparu

4 comme étant Jaskici. Alors peut-être que ceci risquerait de

5 prêter à confusion. C'était à la page 56, ligne 20 si ceci peut

6 être d'une quelconque utilité. Je parle du compte rendu

7 d'aujourd'hui.

8 M. le Président (interprétation). - Merci. Il nous

9 reste 15 minutes. Peut-être pourriez-vous utiliser

10 ces 15 minutes ?

11 M. Livingston (interprétation). – Oui. Effectivement.

12 M. le Président (interprétation). - Allez-y.

13 M. Livingston (interprétation). - Je souhaiterais

14 débuter en arrivant au coeur du sujet selon moi et en abordant

15 une question qui, je crois ou je l'espère, fait l'objet d'un

16 consensus entre les parties. C'est un point tout à fait simple.

17 A juste titre ou non, ceci a fait l'objet d'une décision qui

18 remonte à très longtemps, le Tribunal a adopté un système

19 contradictoire.

20 Quels qu’aient été les éléments de droit romain qui ont

21 été introduits dans cette organisation, ceci reste néanmoins un

22 système contradictoire.

23 Et je crois que c'est un élément crucial lorsqu'on

24 parle de la communication de déclarations de témoin à décharge.

25 Je crois que le Juge Stephen y a fait référence dans le cadre du

Page 519

1 jugement Tadic. La seule chose que doit faire un accusé, dans un

2 système contradictoire, -mais peut-être que c'est une question

3 qui ne plaira pas à tout le monde- c'est d'adopter un rôle

4 accusatoire, les Juges en Angleterre -et d'ailleurs je suis sûr

5 que c'est le cas dans tous les autres systèmes de type

6 contradictoire- disent très régulièrement que c’est au jury, que

7 c'est à l'accusation de présenter les moyens de preuve, que

8 c'est sur l'accusation que repose la charge de la preuve et que

9 l'accusé n'a rien à prouver quant à lui.

10 Par conséquent, il est simple, après avoir reconnu que

11 l'accusé n'a rien à prouver, d'ailleurs il peut garder le

12 silence, il est facile une fois cet élément reconnu, de dire

13 "pourquoi devrais-je aider l'accusation ?" C'est un système

14 accusatoire. Et on ne peut pas oublier le fait que demander à la

15 défense de communiquer des déclarations de témoin aidera

16 l’accusation. On ne peut pas contester ce fait.

17 Ceci leur permet d'avoir accès à une déclaration qui

18 constitue la base du contre-interrogatoire. Cela peut leur

19 donner accès à d'éventuelles incohérences par rapport à des

20 déclarations antérieures.

21 Alors, il ne s'agit pas d'un combat de gladiateurs.

22 Pourquoi l'accusé dirait-il : "Je vais aider mon opposant mon

23 adversaire ? ".

24 Pourquoi l'un des adversaires devrait-il aider

25 l'autre ?

Page 520

1 Par conséquent, le point de départ de mon argumentation

2 est que la nature même d'un système accusatoire exclut l'idée

3 que la défense ait pour obligation de communiquer les éléments

4 dont elle dispose à l'accusation. Ceci est contraire à tout le

5 concept du système accusatoire.

6 Dans différentes situations de type accusatoire, on

7 peut avoir à faire face à la situation suivante : un adversaire

8 peut être largement plus fort que l'autre. Là encore, l'idée

9 d'affrontements accusatoires, si je puis dire, est d'avoir une

10 lutte la plus équitable possible.

11 Je pourrais utiliser une analogie quelque peu légère,

12 mais si l'on regarde les courses de chevaux par exemple, telles

13 qu'on peut y assister dans la plupart des pays d'Europe

14 occidentale et aux Etats-Unis, si vous avez des chevaux d'une

15 génération qui s'opposent à des chevaux un peu plus âgés,

16 généralement il y aura une prise en compte de cette différence,

17 un handicap parce que certains chevaux seront plus développés,

18 auront une meilleure expérience physique, et ce handicap est

19 prévu afin de créer un équilibre entre les différents chevaux

20 qui participeront à la course.

21 Il s'agit un peu de la même chose, ici. Il s'agit du

22 concept d'égalité des armes. Or, en l'occurrence, il n'y avait

23 pas d'égalité des armes entre l'accusation et la défense.

24 J'accepte l'argument présenté par Me Hollis, à savoir

25 que l'inégalité n'est pas la même que celle que l'on peut

Page 521

1 retrouver dans une juridiction interne, parce que, bien entendu,

2 l'accusation ne jouit pas de l'aide d'une force de police

3 nationale.

4 Cependant, il est naïf d'affirmer que l'accusation n'a

5 pas plus d'avantages que la défense. Le Tribunal l'a reconnu.

6 Pour ne citer que deux dispositions existantes, je vous

7 renvoie à l'article 21. L'article 21 a pour objectif de donner

8 certains droits à l'accusé afin que les parties soient sur un

9 pied d'égalité.

10 Je vous renvoie également à l'article 68 du Règlement

11 qui oblige l'accusation à communiquer tout élément de preuve à

12 décharge qu'elle pourrait découvrir au cours de son enquête.

13 Par conséquent, il y a reconnaissance implicite de la

14 part des auteurs du Statut et du Règlement qu'il y a

15 effectivement une égalité parce que l'accusation a des

16 ressources financières beaucoup plus importantes. Elle peut se

17 permettre d'avoir recours à un très grand nombre d'enquêteurs

18 dans différents pays pour rassembler les éléments de preuve, ce

19 qui n'est pas possible pour la défense.

20 Autre inégalité qui est peut-être plus unique à cette

21 affaire, mais qui peut avoir une importance de nature générale

22 pour ce Tribunal. Bien entendu, il s'agit de la question abordée

23 par la Chambre de première instance, brièvement, au

24 paragraphe 530 du jugement.

25 Les témoins cités par l'accusation ne sont venus, je

Page 522

1 crois que je ne me trompe pas sur ce point, que de pays

2 extérieurs à la Bosnie. Si je me trompe, il ne s'agit que d'un

3 nombre très restreint de témoins qui seraient venus de Bosnie.

4 Les témoins cités par la défense venaient presque

5 exclusivement de la Republika Srpska. Là encore, il s'agit d'une

6 grave inégalité.

7 Bien entendu, je suis persuadé que l'accusation a

8 raison lorsqu'elle dit qu'elle a dû faire face à certaines

9 difficultés avec la Republika Srpska. Je ne contesterai pas cet

10 argument, parce que nous le savons, tout le monde le sait dans

11 ce Tribunal, la Republika Srpska est un Etat relativement

12 récalcitrant, qui n'a pas beaucoup coopéré avec les différentes

13 parties de ce Tribunal.

14 Mais ceci à un effet inévitable sur l'accusé, bien plus

15 que sur l'accusation, parce que l'accusation n'avait pas

16 véritablement besoin de témoins provenant de la

17 Republika Srpska. Elle aurait pu les trouver ailleurs, dans des

18 pays où ils se trouvaient en sécurité, dans des pays d'Europe

19 occidentale ou tel que les Etats-Unis.

20 Par conséquent, cette situation n'a pas lésé

21 l'accusation autant qu'elle a lésé l'accusé.

22 Je viendrai maintenant à la disposition spécifique,

23 dont j'ai parlé plus tôt, puisque je crois que Me Hollis a

24 terminé ses remarques en disant : "Regardez, de toute façon, la

25 question trouve sa réponse dans le Statut, vous n'avez qu'à

Page 523

1 l'article 21". Je ne sais pas si j'ai bien compris ce qu'elle a

2 dit, parce que ce n'est pas l'objectif de l'article 21.

3 L'article 21 a pour objectif de donner à l'accusé

4 certains droits. Il n'a pas pour objectif d'accorder un

5 quelconque droit à l'accusation. Il est reconnu que l'accusé,

6 comme je l'ai déjà dit, n'est pas sur un même pied d'égalité

7 avec l'accusation, et qu'il faut donc que l'équilibre soit

8 rétabli par l'expression de certains droits.

9 On ne peut pas dire : la position de l'accusation

10 devrait être rétablie au niveau de celle de l'accusé. C'est

11 l'inverse qui doit être fait.

12 Je pense donc que tout ceci est contraire à l'esprit de

13 cette disposition lorsque Me Hollis l'invoque à son propre

14 compte. Cet article n'a absolument pas pour objectif de lui

15 donner un quelconque droit.

16 Et selon moi, même si on lit l'article 21, je parle

17 notamment du paragraphe e, puisque c'est la disposition qui a

18 été invoquée hier par l'accusation, il est question de la chose

19 suivante : "Interroger ou faire interroger les témoins à charge,

20 et obtenir la comparution ou l'interrogatoire des témoins à

21 décharge". Il n'est pas question ici du contre-interrogatoire

22 des témoins de la défense, il s'agit d'autres témoins.

23 Donc, il ne s'agit pas d'une situation dans laquelle le

24 problème spécifique mentionné, exprimé dans l'article 21, est

25 couvert dans l'article 21.

Page 524

1 Ce qui nous intéresse ici, c'est que cet article a

2 trait aux droits de l'accusé et qu'il lui donne un certain

3 nombre de droits et de privilèges, mais qu'il n'a rien à voir

4 avec l'accusation et il ne devrait pas être invoqué lorsque

5 l'accusation tente d'obtenir et de se voir accorder ce type de

6 droit.

7 M. le Président (interprétation). - Peut-on interrompre

8 nos débats maintenant ?

9 M. Livingston(interprétation). - Tout à fait.

10 M. le Président (interprétation). - Nous levons

11 l'audience jusqu'à 14 heures 30.

12 L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à

13 14 heures 30.

14 M. le Président (interprétation). – Vous pouvez

15 poursuivre, Maître Livingston.

16 M. Livingston (interprétation). – Merci, Monsieur le

17 Président, Madame et Messieurs les Juges.

18 Juste avant que nous n’interrompions pour le déjeuner,

19 je traitais du sujet de l’inégalité des armes notamment dans le

20 cadre de cette question relative à la divulgation et la

21 communication de déclarations préalables de témoin. C’est

22 Georges Orwell, un écrivain britannique, qui a déclaré dans une

23 de ses œuvres La ferme aux animaux : "Tous les hommes sont égaux

24 mais certains sont plus égaux que d’autres." (Fin de citation.)

25 Pour ce qui est de la situation dans laquelle nous nous

Page 525

1 trouvons, l’accusation est plus égale que la défense et il ne

2 devrait pas être pris d’ordonnance demandant à ce que la défense

3 communique des déclarations préalables de témoin, car ces

4 décisions iraient dans le sens de l’inégalité qui existe entre

5 les parties plutôt que de remettre, de réinstaurer un degré

6 d'équilibre dans leurs positions respectives.

7 Tournons-nous vers les différents articles du Règlement

8 qui traitent de la question qui nous intéresse ici, qui sont

9 relatifs à l'article 21 du Statut.

10 L’article du Règlement qui prévaut toujours en dépit de

11 ce qu’a dit Me Hollis à propos de l’affaire Dokmanovic,

12 l'article 54 du Règlement indique -je cite- : «A la demande

13 d'une des parties ou d'office un Juge ou une Chambre de première

14 instance peut délivrer les ordonnances, citations à comparaître,

15 ordonnances de production ou de comparution forcée, mandats et

16 ordres de transfert nécessaires aux fins de l’enquête, de la

17 préparation ou de la conduite du procès». (Fin de citation.)

18 Deux problèmes surgissent notamment quand on essaie de

19 prouver pourquoi cette disposition ne devrait pas être invoquée

20 dans le cadre de la question plus générale de la communication

21 des déclarations préalables de témoins.

22 La première de ces deux questions est la suivante -j'en

23 ai déjà parlé brièvement- : on trouve le mot "nécessaires". En

24 d’autres termes, la Chambre de première instance ne devrait pas

25 délivrer d'ordonnance, de citation à comparaître ou de mandat

Page 526

1 sauf si cela est nécessaire -je cite à nouveau l’article- "aux

2 fins de l’enquête, de la préparation, de la conduite du procès".

3 Si l'on garde à l'esprit le caractère contradictoire

4 des débats qui se tiennent devant ce Tribunal et le fait que

5 l'accusé n'a pas à prouver son innocence, cela ne va pas

6 forcément dans le sens de l’accusation. En d’autres termes, tout

7 cela n'est pas forcément nécessaire à la bonne conduite du

8 procès et, là, je parle directement de la demande qui pourrait

9 être faite aux avocats de l'accusé de communiquer un certain

10 nombre de déclarations préalables de témoin. Ceci est

11 intrinsèque. Le concept même de système contradictoire donc, ce

12 n'est pas nécessaire, et ce que je dis, c’est que cet article du

13 Règlement ne s'applique pas.

14 D'autre part, cet article est le premier d'une section

15 intitulée «Ordonnances et mandats». L’article traite de

16 l'exécution des mandats d'arrêt, et le suivant, de la

17 coopération des Etats. Article 57, de la procédure après

18 l'arrestation. L'article 59 traite du défaut d’exécution d’un

19 mandat d’arrêt ou d’un ordre de transfert. L’article 59bis

20 traite de la transmission d’un mandat d’arrêt, etc.

21 Tous ces sujets qui sont abordés dans cette section du

22 Règlement sont très étroitement liés à la procédure d’enquête, à

23 la procédure qui permet au Tribunal de travailler dans les

24 meilleures conditions possibles et au procès de se poursuivre

25 dans les meilleures conditions possibles parce que l’on traite

Page 527

1 là parfois de la répugnance que manifestent certains témoins à

2 se rendre devant le Tribunal. Donc la Chambre est habilitée à

3 émettre un certain nombre de citations à comparaître si les

4 témoins se montrent peu coopératifs. On parle d’ordre de

5 transfert afin d’obtenir que des personnes se trouvant sous la

6 compétence d’une certaine juridiction passent sous la compétence

7 de ce Tribunal.

8 Mais dire que cette partie du Règlement traite d’ordres

9 d’un autre type serait aller un peu loin. Tout est très

10 précisément indiqué, on a dicté quels sont les ordonnances et

11 mandats susceptibles d’être pris par la Chambre de première

12 instance ou une autre Chambre.

13 Peut-être que cette partie du Règlement s’applique

14 également à un certain nombre d’ordonnances contraignantes

15 notamment en matière d’aide apportée aux parties dans le cadre

16 de leur enquête et leur préparation au procès. On ne peut pas

17 dire que ces dispositions de cette partie du Règlement couvrent

18 quelque chose qui ressemble à la communication à la partie

19 adverse de déclarations préalables de témoins. Ce n’est pas

20 possible.

21 L’autre question qui surgit dans le cadre sur cette

22 question de la communication des déclarations préalables est

23 traitée justement un peu plus loin dans le Règlement de

24 procédure et de preuve. Je me réfère notamment aux articles 66

25 et 67 dudit Règlement. L'article 66 oblige le Procureur à

Page 528

1 communiquer les copies de toutes les pièces jointes et

2 déclarations préalables de l'accusé.

3 Bien évidemment, ceci accompagne à la fois l'acte

4 d'accusation et les pièces jointes. Ceci dit, la disposition ne

5 précise pas que la défense a à accomplir quoi que ce soit ou à

6 respecter quelque obligation que ce soit.

7 Je reviendrai sur la question posée par M. le

8 Juge Cassese à Me Clegg ce matin quant au silence éventuel du

9 Règlement. Je crois qu’ici, on peut parler véritablement de

10 silence, car on ne parle nulle part de la déclaration préalable

11 de témoin et d’ordonnance qui pourrait être rendue dans ce

12 cadre. Il n’y a pas d'ambiguïté ici, il n'y a pas d'incertitude.

13 L'obligation n'est pas faite à la défense de communiquer des

14 déclarations préalables de témoins, que ce soit dans cet article

15 ou dans tout autre article du Règlement de procédure et de

16 preuve.

17 J'irai même au-delà : je dirai que l'article 67 qui

18 traite précisément de la question de l'échange de moyens de

19 preuve indique très précisément quelles sont les obligations de

20 communication de la défense. Ces obligations sont limitées à ce

21 qui est indiqué dans le paragraphe (A) (ii) de l'article 67. Le

22 petit (a) précise que la défense informe le Procureur de son

23 intention d'invoquer une défense d'alibi, ou bien, un moyen de

24 défense spécial, y compris le défaut total ou partiel de

25 responsabilité mentale.

Page 529

1 Donc, il y a deux choses que la défense est obligée de

2 faire, mais rien d'autre n'est mentionné. Le silence règne le

3 plus totalement sur cette question précise. Il n'y a pas

4 ambiguïté, il n'y a pas incertitude et on ne peut pas lire dans

5 cette disposition quelque chose qui ne s'y trouve pas.

6 L'autre article du Règlement qui est pertinent en

7 l'occurrence -je peux peut-être le citer très brièvement même si

8 je ne crois pas qu'il fasse l'objet d'une contestation de la

9 part de l'accusation- est l'article 70 sur lequel s'est appuyée

10 le Juge McDonald. Je crois que l'accusation et la défense sont

11 d'accord pour dire que le Juge McDonald se trompe quant à

12 l'application qu'il faut faire de cet article du Règlement.

13 En effet, Madame le Juge McDonald -nous regardons ici

14 le paragraphe (A) dudit article qui indique : "Nonobstant, les

15 dispositions des articles 66 et 67 ci-dessus, les rapports,

16 mémoires ou autres documents internes établis par une partie,

17 ses assistants ou ses représentants dans le cadre de l'enquête

18 ou de la préparation du dossier n'ont pas à être communiqués ou

19 échangés"- pensait qu'il couvrait la question des déclarations

20 préalables de témoins, mais nous pensons comme l'accusation que

21 ceci va exactement à l'encontre de ce qui est dit expressément

22 dans l'article 66 du même Règlement et qu'il ne peut pas y avoir

23 deux poids et deux mesures. Ce qui est indiqué à l'article 70

24 s'applique à l'accusation comme à la défense. On ne peut pas

25 dire que seule la défense est concernée.

Page 530

1 Je crois qu'effectivement, le Juge McDonald a commis

2 une erreur d'interprétation. Je me permets de le signaler tout

3 en manifestant mon éminent respect à son égard.

4 J'en viens maintenant à l'article 89 qui a fait l'objet

5 de nombreux commentaires, notamment de la part de M. le Juge

6 Stephen. Je soutiens tout à fait ce qu'il a déclaré à ce sujet,

7 mais ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, c'est

8 l'article 89 (B) qui indique que : "Dans les cas où le Règlement

9 est muet, la Chambre applique les règles d'administration de la

10 preuve propres à parvenir, dans l'esprit du Statut et des

11 principes généraux du droit, à un Règlement équitable de la

12 cause." (Fin de citation).

13 J'ai déjà indiqué très clairement -enfin, je crois- que

14 l'esprit du Statut et notamment son article 21 sont les

15 dispositions pertinentes. Or, l'article 21 va à l'encontre de

16 l'idée selon laquelle les déclarations préalables de témoins

17 doivent être communiquées. Cela va même à l'encontre des

18 principes généraux du droit.

19 Une fois encore, je déclarerai très respectueusement

20 que ce qu'a affirmé M. le Juge Stephen à ce propos est une

21 vérité d'évidence. Lorsque l'on parle dans le cadre d'un système

22 contradictoire, il est évident qu'on ne va pas se tourner vers

23 les principes généraux du droit qui prévalent dans un autre

24 système qui repose sur d'autres fondements et qui, bien sûr,

25 entraînent l'application de règles de procédure et de preuve

Page 531

1 très différentes.

2 Je crois que ce que dit le Juge doit être reconnu par

3 tous et une fois encore, je souhaite ici indiquer le respect que

4 j'ai pour les avocats du système américain qui se trouvent

5 présents ici et le respect que j'ai pour tous les Juges qui se

6 trouvent dans ce prétoire mais, bien évidemment, tout avocat est

7 tenté de dire que le système juridique auquel il appartient est

8 le meilleur au monde.

9 Quoi qu'il en soit, il semble que sur ce point précis

10 et au vu des recherches que nous avons menées de notre côté et

11 au vu des recherches menées par les Juges de cette Chambre

12 d'appel sur cette affaire particulière, au vu de toutes ces

13 recherches, il apparaît qu'effectivement le système qui prévaut

14 aux Etats-Unis -et je m'appuie pour affirmer cela sur l'affaire

15 des Etats-Unis contre Nobels ?- donc le système américain est

16 unique en son genre parmi les systèmes qui adoptent le système

17 dit du "contradictoire" dans la mesure où il impose

18 effectivement une obligation aux avocats de la défense,

19 obligation qui stipule que la défense doit communiquer les

20 déclarations préalables du témoin.

21 D'après moi, on ne peut pas interpréter la phrase qui

22 apparaît à l'article 89 du Règlement et qui parle des principes

23 généraux du droit comme découlant de la pratique qui existe dans

24 une seule juridiction qui fonctionne selon ce type

25 d'administration de la justice.

Page 532

1 Je crois qu'au contraire, il faut se tourner vers la

2 pratique générale qui est adoptée dans la majorité des pays qui

3 fonctionnent avec ce type de système contradictoire et, cela, je

4 pense, apparaît très clairement dans l'opinion individuelle du

5 Juge Stephen.

6 En fait, on pourrait résumer tout cela à la question

7 des privilèges des parties. Le Juge Stephen fait d'ailleurs

8 référence à ce point précis et je retiens le commentaire du

9 Juge Stephen parmi toutes les différentes sources qui ont été

10 utilisées par la défense ou par l'appelant et, notamment, je

11 vous renvoie à l'intercalaire 14 des différents documents sur

12 lesquels nous nous appuyons ici parce que dans cet intercalaire,

13 on trouve un certain nombre de pages qui émanent de l'affaire

14 Cross et Tapper.

15 Je vous renvoie notamment à la page 484 qui parle de

16 l'affaire Anderson contre la Banque la Colombie britannique.

17 D'après cette affaire qui est déjà bien ancienne, il apparaît

18 qu'on a n'a pas le droit de consulter les documents qui font

19 partie du dossier de la partie adverse. Depuis que cette

20 décision a été rendue, les choses ont évolué, la situation n'est

21 pas tout à fait la même, mais je pourrais vous renvoyer à

22 d'autres exemples encore.

23 Si je cite l'affaire Cross et Tapper, on s'aperçoit que

24 là encore, le principe de base reste le même, à savoir que les

25 communications qui doivent être exercées entre un avocat et des

Page 533

1 parties tierces sont sujettes au secret professionnel lorsqu'il

2 s'agit d'éléments dont il est possible qu'ils touchent

3 directement à la situation dans laquelle se trouve l'accusé,

4 dans l'affaire.

5 Donc, quelle que puisse être la situation dans d'autres

6 circonstances, c'est la règle qui s'applique dans cette affaire,

7 dont je viens de parler, comme ici parce que cette question

8 s'est posée, rappelez-le-vous, lors de la comparution du

9 témoin W, et nous parlons ici de la communication notamment de

10 sa déclaration préalable.

11 C'est une déclaration de témoin qui avait été obtenue

12 après l'émission d'un mandat d'arrêt à l'encontre de M. Tadic et

13 je crois même que sa déclaration n'avait été recueillie qu'après

14 que M. Tadic eût été placé sous la garde de ce Tribunal mais,

15 quoi qu'il a en soit, il ne peut pas être dit qu'on ne savait

16 pas au moment du recueil de la déposition que M. Tadic ne

17 faisait pas l'objet de poursuite pénale.

18 Donc, dans les circonstances dans lesquelles nous nous

19 trouvons, il est évident que la déclaration du témoin a été

20 recueillie dans l'objectif très clair de monter un dossier de

21 poursuite pénale à l'encontre de M. Tadic, et je vous renvoie de

22 nouveau à l'affaire que j'ai citée tout à l'heure, l'affaire

23 Cross et Tapper, qui va tout à fait dans le sens de ce que je

24 dis.

25 Pour ce qui est toujours de cette affaire dont je

Page 534

1 parlais également tout à l'heure, à savoir Anderon contre la

2 Banque de la Colombie britannique, la règle est exactement la

3 même, le principe est le même et, d'après moi, les déclarations

4 préalables de témoin de la défense sont soumises au principe

5 également du secret professionnel, et je vous renvoie une

6 nouvelle fois à ce que dit le Juge Stephen qui passe en revue un

7 certain nombre de sources de droit émanant d'autres juridiction.

8 Il cite notamment des sources australiennes : Baker et

9 Campbell, Grant et Downes et un certain nombre de sources

10 canadiennes. Il cite également ce que M. Wladimiroff lui a dit

11 et qui a été accepté par la Chambre de première instance, à

12 savoir que ni les tribunaux des Pays-Bas ni les tribunaux

13 d'aucun autre pays européen dont il avait connaissance ne

14 pouvaient demander la production des déclarations préalables des

15 témoins de la défense, même dans certains systèmes de droit

16 civilistes.

17 Je crois que M. Wladimiroff....est parfaitement exact

18 que cette situation ne pourrait jamais se présenter et je crois

19 qu'il y a également référence à une opinion qui a été émise dans

20 le cadre d'une affaire entendue par la Cour internationale de

21 justice.

22 Bien, ce que j'entends dire, c'est que le système

23 contradictoire indique bien que ce type de documents est soumis

24 à la règle du secret professionnel. Donc la seule question qui

25 se pose encore maintenant, c'est de savoir si ce secret

Page 535

1 professionnel a été levé après que le témoin a comparu pour

2 déposer devant la Chambre de première instance, après qu'il a

3 été soumis à un interrogatoire principal notamment.

4 Ce qui me ramène à ce point crucial qui est celui par

5 lequel j'ai commencé, à savoir qu'affirmer que ce secret

6 professionnel a été levé supposerait que l'on adopte une

7 position qui va exactement à l'encontre des principes centraux

8 des systèmes de droit contradictoires, et cela va exactement à

9 l'encontre du concept qui indique qu'un accusé dans un système

10 contradictoire a le droit à un débat contradictoire, a le droit

11 de dire à l'accusation : "Vous avez choisi ces éléments de

12 preuve, vous choisissez de vous appuyez dessus. Je vais vous

13 aider : à vous de démontrer la véracité de ce que vous

14 affirmez." Je ne voudrais pas revenir à l'envi sur ce qui a déjà

15 été dit et user de votre patience, mais je répugne à l'idée

16 d'accepter l'idée selon laquelle le système contradictoire

17 prévoit qu'un tel privilège puisse être levé, simplement parce

18 que le témoin est venu déposer dans le cadre de l'interrogatoire

19 principal et a aidé l'accusation dans le but qui était le sien,

20 à savoir de détruire et de récuser ce témoin, notamment en

21 utilisant sa déclaration préalable.

22 Voilà ce que je tenais à dire, Monsieur le Président,

23 Madame et Messieurs les Juges. Voilà quelles sont nos objections

24 à l'appel qui est interjeté sur ce point par l'accusation.

25 Tout d'abord, nous faisons valoir :

Page 536

1 1) la nature contradictoire du système dans lequel nous

2 travaillons

3 2) adopter une telle position serait accroître

4 l'inégalité des armes qui existent entre les parties

5 3) parce que cette question du secret professionnel se

6 pose, nous devons faire en sorte que ce secret professionnel

7 s'applique aux documents concernés jusqu'à la fin de la

8 procédure. En aucun cas, ce secret professionnel ne peut être

9 levé.

10 J'en ai terminé de la présentation de mes arguments.

11 Si vous avez des questions, je serais bien sûr ravi de

12 vous apporter mon aide.

13 M. le Président (interprétation). - Pour ma part, j'ai

14 une ou deux questions à vous poser.

15 Vous avez abordé cette question de l'égalité des armes.

16 Voyons si je vous ai bien compris. Vous dites que le principe de

17 l'égalité des armes implique que la défense reçoive un certain

18 nombre de "compensations" parce qu'elle se trouve, de par son

19 Statut même, dans une position désavantageuse en matière de

20 recueil d'éléments de preuve. Cela implique notamment le droit

21 au silence pour l'accusé.

22 La défense a le droit et l'accusé a le droit de

23 demander à l'accusation de prouver tous les éléments qu'elle a

24 rassemblés à l'encontre de l'accusé. Mais si l'accusé choisit de

25 prendre la parole et de soumettre des éléments de preuve, la

Page 537

1 Chambre devrait-elle prendre la position suivante, à savoir que

2 pour examiner ces éléments de preuve, la Chambre doit appliquer

3 les mêmes critères qui seraient appliqués pour l'examen des

4 éléments de preuve avancés par l'accusation ?

5 M. Livingston (interprétation). – Je ne sais pas si je

6 peux vraiment répondre à cette question d'une façon différente

7 de ce que j'ai déjà fait. Je ne souhaite pas me répéter une fois

8 encore, mais lui demander de faire cela irait à l'encontre de la

9 nature du rôle qui est le sien dans un système contradictoire de

10 procès.

11 Je comprends bien que, dans une certaine mesure, on

12 pourrait dire : "Il serait tout à fait intéressant de pouvoir

13 évaluer les différentes déclarations préalables" et peut-être

14 qu'effectivement, l'accusation serait ravie de se livrer à cet

15 exercice parce qu'elle serait capable au moins de vérifier ce

16 que le témoin a déclaré. Mais ce n'est pas ainsi que fonctionne

17 un système contradictoire et ce n'est pas ainsi que l'on peut

18 préserver le rôle que peut jouer l'accusé dans un tel système.

19 L'accusé dans un tel système peut déposer pour son

20 propre compte, peut présenter des éléments de preuve qui sont à

21 sa décharge, peut préparer ainsi sa défense, mais il n'est pas

22 du tout obligé de le faire et il n'est surtout pas obligé

23 d'apporter une aide supplémentaire à ce qu'il peut déjà faire.

24 Voilà quelle est la distinction que j'introduirai.

25 M. le Président (interprétation). - Je comprends très

Page 538

1 bien ce que vous dites.

2 Vous reconnaissez que le système du droit de Common Law

3 a été en constante évolution et qu'il a fait des avancées dans

4 des domaines du droit de Common Law assez variés.

5 Est-ce que vous pensez que justement cette évolution

6 peut poser à la Chambre d'appel un problème en matière de choix

7 du domaine de droit dans lequel il faut intervenir ?

8 M. Livingston (interprétation). - Cela dépend en fait

9 de la question de droit de Common Law que vous avez à l'esprit.

10 Je vais essayer de répondre à votre question en l'appliquant à

11 la question qui nous intéresse immédiatement.

12 J'ai fait référence à l'affaire Cross et Tapper et je

13 pense que c'est peut-être une référence utile parce que ce sont

14 deux commentateurs qui sont bien plus experts en la matière que

15 moi. Ces commentateurs d'ailleurs se penchent sur l'évolution de

16 cette question du secret professionnel. Je dispose d'une

17 nouvelle édition de ces commentaires qui portent notamment sur

18 l'affaire Anderson, une affaire qui remonte -je vous le

19 rappelle- à 1876 et les commentateurs indiquent comment, depuis,

20 les choses ont radicalement changé.

21 Mais quelquefois, les autres changements qui sont

22 intervenus sur cette question du secret professionnel… la seule

23 chose qui reste absolument inébranlable, c'est que ce secret

24 professionnel peut être invoqué dès lors qu'il y a communication

25 avec l'accusé ou avec une tierce partie, notamment lorsque le

Page 539

1 procès a commencé.

2 M. le Président (interprétation). - Vous faites

3 référence à l'article 66 du Règlement ?

4 M. Livingston (interprétation). - Effectivement.

5 M. le Président (interprétation). – Ceci traite de la

6 communication de pièces à la défense par le Procureur. Le

7 Procureur doit fournir notamment les déclarations préalables de

8 témoins avant qu'un certain délai se soit écoulé. Ai-je raison

9 de penser qu’en fait ce dont il s'agit ici c'est de la volonté

10 de l'accusation de pouvoir examiner une déclaration préalable du

11 témoin de la défense après que ledit témoin ait déposé dans le

12 cadre d’un interrogatoire principal.

13 M. Livingston (interprétation). – C’est la chose

14 minimale qu’il demanderait. Donc, je crois que la réponse à

15 votre question est : "Oui, c’est ce que demande l’accusation".

16 M. le Président (interprétation). – Oui, c’est ce que

17 l’accusation demande.

18 M. Livingston (interprétation). – Oui, je crois que

19 maintenant tout le monde est d'accord pour dire que la situation

20 qui prévalait dans l’affaire Dokmanovic était assez différente

21 de celle qui nous intéresse ici ; Maître Hollis a abordé ce

22 point.

23 M. le Président (interprétation). - Bien. Si l'on

24 laisse de côté la question du secret professionnel, comme vous

25 le suggérez, qu’y a-t-il qui puisse empêcher le conseil

Page 540

1 d'interroger le témoin dans le cadre d'un contre-interrogatoire,

2 qu’est-ce qui l’empêche de demander audit témoin s’il a déjà

3 fait une déclaration préalable ?

4 M. Livingston (interprétation). – Je dirai tout d'abord

5 qu’il est un peu difficile de laisser de côté la question du

6 secret professionnel comme vous le suggérez, Monsieur le

7 Président, car si un membre de l’accusation faisait cela dans

8 mon pays ou dans mon système -et d’ailleurs dans la plupart des

9 systèmes, je pense- la partie adverse sauterait sur ses pieds

10 pour dire qu’il s'agit là d'une question qui relève du secret

11 professionnel. Ce serait l’objection qui viendrait immédiatement

12 à la bouche de la partie adverse. C’est la première chose que je

13 trouve à dire en réponse à votre question, mais si effectivement

14 on essaie de laisser un peu de côté cette question du secret

15 professionnel, je crois que la seule autre réponse que je peux

16 vous apporter qui apparaît dans les deux autres arguments que

17 j'ai avancés :

18 - Premièrement, cela va à l'encontre du principe qui

19 sous-tend un système contradictoire, qui donne à l'accusé un

20 certain rôle et qui ne prévoit pas forcément que l'accusé doit

21 aider par tous les moyens possibles l’accusation ou les membres

22 de la Chambre par des moyens autres que le simple fait qu'il

23 dépose pour sa propre défense et qu'il se soumette à un contre-

24 interrogatoire

25 - Le deuxième argument que je soulèverai également pour

Page 541

1 vous répondre c’est, d’après nous, ceci va également à

2 l'encontre du principe de l'égalité des armes.

3 M. le Président (interprétation). - Vous avez présenté

4 trois sujets. Vous avez parlé du système contradictoire, vous

5 avez parlé de l’égalité des armes, vous avez parlé du secret

6 professionnel. Quel est l'argument qui doit avoir préséance sur

7 les deux autres ? Quel est l’argument prioritaire ?

8 M. Livingston (interprétation). - Ce sont des arguments

9 qui sont également solides qui présentent la même solidité, il

10 serait difficile d’établir un ordre de priorité entre ces trois

11 arguments, je répugne à la faire car cette question traite de

12 principes fondamentaux, repose sur des principes fondamentaux et

13 elle est cruciale pour l'évolution de la jurisprudence de ce

14 Tribunal.

15 Mais pour répondre brièvement à votre question, je

16 pense tout de même que c'est le privilège du secret qui

17 constitue l’argument le plus important des trois. Cela étant

18 dit, j'inviterai instamment les Juges de cette Chambre à

19 admettre en fait très franchement que les trois principes sont

20 égaux.

21 M. le Président (interprétation). - Je vous comprends,

22 Maître Livingston, je comprends également l'insistance que vous

23 semblez mettre sur la troisième catégorie.

24 Signe affirmatif de Me Livingston.

25 M. le Président (interprétation). - En fait, j'ai un

Page 542

1 peu le même point de vue quant à l'importance de ces trois

2 arguments.

3 M. Livingston (interprétation). - Cela me rassure.

4 M. le Président (interprétation). - Est-ce la fin de

5 votre réponse ?

6 M. Livingston (interprétation). – Oui, mais puis-je

7 reprendre un point évoqué hier ? C’est peut-être un problème de

8 correction du compte rendu qui s’impose ici. Je pense que ce

9 serait le moment d’en traiter.

10 Vous avez peut-être remarqué en lisant le compte rendu

11 de la journée d’hier qu’une référence est faite, je ne sais pas

12 exactement à quel endroit dans le compte rendu, à un avocat

13 mystérieux qui n’est pas ici. Mais si la chose a été constatée,

14 j'en suis heureux. De toute façon il sera ici la semaine

15 prochaine et pas cette semaine.

16 M. le Président (interprétation). – Est-ce la fin de

17 votre réponse, Maître Livingston ?

18 M. le Président (interprétation). – C’est la fin. Je

19 redonnerai donc la parole à Me Hollis pour sa réplique.

20 Mme Hollis (interprétation). – Monsieur le Président,

21 je pense qu'il serait préférable que je commence dans l'ordre

22 inverse des arguments présentés par la défense. Je commencerai

23 la réponse et ensuite Me Fenrick prendra le relais.

24 J’ai un certain nombre d’arguments à avancer, Monsieur

25 le Président au sujet du motif numéro 2. Nous disons que

Page 543

1 contrairement à la position de l’appelant, les termes qui sont

2 utilisés sont importants, lorsque ces termes qui sont utilisés

3 individuellement pour expliquer pour quelle raison la Chambre de

4 première instance estime que le fardeau de la preuve qui repose

5 sur le Procureur n'a pas été satisfait.

6 La norme utilisée par la Chambre de première instance

7 pour expliquer ce qu'est le doute raisonnable est également

8 importante.

9 Donc, dans ce contexte, nous pensons que les termes du

10 paragraphe 373 avaient leur importance.

11 Le Procureur n'est pas d'accord que la Chambre de

12 première instance a correctement appliqué ce concept de droit

13 que constitue l'idée d'entreprise commune.

14 Nous disons qu'il y a eu erreur d'application et que

15 cette erreur apparaît lorsque l'on examine les conclusions

16 figurant au paragraphe 6 et relatives aux chefs d'accusation 10

17 et 11, parce que, à cet endroit, la Chambre de première instance

18 a appliqué ce concept d'entreprise commune en estimant que

19 l'accusé était coupable, même si dans ces faits, elle a déclaré

20 précédemment aux événements qui ont culminé dans la mutilation

21 sexuelle que l'accusé, au moment en question, avait directement

22 et activement participé à des tortures et à des passages à

23 tabac.

24 Donc, la Chambre de première instance a estimé qu'il

25 était responsable pénalement pour ces actes et l'a déclaré

Page 544

1 coupable.

2 Cependant, elle a également estimé que l'accusé était

3 coupable d'actes auxquels il n'avait pas participé directement.

4 En fait, concernant la mutilation sexuelle de

5 Fikret Addic Karambic, sur ce point, elle a estimé qu'il n'avait

6 pas participé directement à l'acte mais qu'il était tout de même

7 coupable d'une entreprise criminelle commune.

8 Nous disons que cette même interprétation doit aboutir

9 à la culpabilité au sujet de Jaskici.

10 Nous sommes d'accord qu'il convient d'examiner le

11 jugement dans son ensemble pour apprécier si la Chambre de

12 première instance a correctement appliqué le concept de preuve

13 au-delà de tout doute raisonnable et que vous, Madame et

14 Messieurs les Juges, devez examiner l'ensemble du jugement pour

15 replacer cette idée d'entreprise illicite commune dans le

16 contexte qui s'impose, que ce contexte était donc beaucoup plus

17 large que celui qui a été pris en compte par la Chambre de

18 première instance au regard des chefs d'accusation en question

19 et que le concept d'entreprise illicite commune englobe des

20 actes d'extrême brutalité et des assassinats, et que l'accusé a

21 participé à cette entreprise illicite commune tout au long du

22 nettoyage ethnique, donc pas seulement à Jaskici.

23 Le problème de la détermination consciente, eu égard à

24 la commission des actes, est important, mais la contribution, la

25 participation directe et substantielle, la participation

Page 545

1 délibérée à la commission des crimes de Jaskici, est établie

2 c'est un fait, d'autres éléments de preuve ayant montré la

3 participation de l'accusé, en d'autres endroits également, avec

4 le même comportement violent, le même jour. Et donc il devait

5 savoir que ce genre d'actions bénéficiaient d'une certaine

6 autorisation.

7 Par conséquent, sa participation correspond aux

8 conditions invoquées pour établir une responsabilité dans le

9 cadre d'une entreprise illicite commune.

10 Voilà ce qu'estime le Procureur et c'est dans ce

11 contexte qu'il estime que la Chambre de première instance a

12 appliqué le droit de façon erronée.

13 S'il n'y a plus de questions sur le motif 2, nous

14 passerons au motif 5.

15 M. le Président (interprétation). - Je vous en prie,

16 procédez.

17 Mme Hollis (interprétation). - Merci.

18 En ce qui concerne le motif 5 d'appel, l'appelant a

19 évoqué un certain nombre d'articles du Règlement, notamment

20 l'article 89 (B) dont nous estimons que c'est un article tout à

21 fait pertinent parce qu'il n'y a pas d'article du Règlement

22 traitant plus directement de l'argument présent par le

23 Procureur.

24 L'article 89 (B), vous le constaterez, indique

25 premièrement que : "Dans les cas où le Règlement est muet, la

Page 546

1 Chambre applique les règles d'administration de la preuve à

2 parvenir, dans l'esprit du Statut et des principes généraux du

3 droit, à un règlement équitable de la cause" ; et deuxièmement

4 qu'il faut qu'il y ait harmonie avec le Statut.

5 C'est seulement après avoir établi l'harmonie avec le

6 Statut que l'on examine les principes généraux du droit.

7 Le Procureur convient très certainement qu'il

8 n'existait pas d'autre article du Règlement que l'article 89 (B)

9 applicable en la matière.

10 Cependant, pour déterminer ce qui était plus en

11 harmonie avec une bonne administration de la justice, nous

12 disons qu'il convient d'examiner l'objectif réel afin de

13 déterminer si, oui ou non, les déclarations préalables du témoin

14 doivent être communiquées.

15 Cette communication n'a pas pour but d'aider l'une ou

16 l'autre des parties, mais de créer un équilibre là où il n'y en

17 a pas, c'est-à-dire d'aider ceux qui sont à la recherche de la

18 vérité, en autorisant la partie adverse à mettre à jour les

19 contradictions et à informer pleinement ceux qui cherchent la

20 vérité, afin de leur faciliter la détermination quant à la

21 crédibilité ou non d'un élément de preuve apporté devant ce

22 Tribunal.

23 Donc le Procureur demande à ce qu'une détermination

24 équitable soit faite sur ce sujet devant la Chambre de première

25 instance.

Page 547

1 Nous disons également que la demande du Procureur

2 correspondait aux dispositions du Statut et là il convient de

3 reprendre l'article 21, qui a été discuté par l'appelant.

4 Et, hier, je n'ai pas rougi, le moins du monde,

5 contrairement à ce qu'a prétendu le Procureur, lorsque j'ai

6 parlé de l'article 21, parce que le Procureur a repris les

7 termes très simples utilisés dans cet article et a dit que

8 l'égalité était inhérente à l'utilisation de ces termes.

9 Si nous regardons plus précisément la sous paragraphe 4

10 et le sous paragraphe e du sous paragraphe 4 de cet article,

11 nous y trouvons une indication d'égalité dans le sens où la

12 défense peut obtenir et interroger des témoins dans les mêmes

13 conditions que l'accusation.

14 Donc, il n'est pas exagéré de dire que la condition

15 imposée au Procureur est que lorsqu'elle cite ses propres

16 témoins, s'il y a des déclarations, elle doit communiquer ces

17 déclarations. C'est un signe d'égalité et nous n'en disons pas

18 plus, nous ne prenons les termes que dans leur sens le plus

19 simple, parité.

20 Cela ne signifie pas que le Procureur est tenu de faire

21 ce que la défense n'est pas tenue de faire, c'est un argument

22 qui repose sur l'égalité et non un argument allant dans le sens

23 de l'inégalité.

24 Nous avons entendu mentionner à plusieurs reprises le

25 fait qu'un tel point de vue doit être rejeté parce qu'il y a

Page 548

1 égalité dans d'autres domaines, par exemple il était question

2 des ressources financières du Procureur qui seraient supérieures

3 à celle de la défense.

4 Nous disons que ceci n'a absolument pas la moindre

5 pertinence, mais puisque l'argument a été évoqué, faisons-y

6 référence brièvement.

7 Le Procureur a un mandat devant ce Tribunal et son

8 action est très coûteuse. Ce mandat consiste à mener des

9 enquêtes au sujet de violations graves du droit humanitaire

10 international, sur la totalité du territoire de l'ex-

11 Yougoslavie, et lorsque les éléments de preuve suffisants sont

12 disponibles, ce mandat consiste à émettre des actes d'accusation

13 et à poursuivre. Ce mandat est beaucoup plus large que le mandat

14 d'un individu accusé ou d'un conseil de la défense qui défend un

15 accusé sur des charges spécifiques.

16 Donc, l'argument financier, selon lequel le Procureur

17 aurait des ressources financières supérieures, est un argument

18 qui n'a aucun sens dans cette affaire.

19 Ceci étant dit, Monsieur le Président, bien entendu, le

20 conseil de la défense et l'appelant sont tout à fait libres de

21 s'adresser au Greffe, à la Chambre de première instance et à la

22 Chambre d'appel pour demander des moyens financiers

23 supplémentaires s'ils en ont besoin, afin d'exécuter totalement

24 leur mission. Nous estimons que ceci a été fait dans l'affaire

25 Tadic.

Page 549

1 Donc, encore une fois, le problème des ressources

2 financières, n'a aucune incidence sur le 5ème motif d'appel.

3 Mais, si nous revenons de façon plus réaliste sur ce

4 5ème motif d'appel, qu'est-ce que nous découvrons ? L'appelant

5 vous a dit qu'un accusé avait un droit absolu de ne pas

6 présenter d'éléments de preuve, de rester silencieux et de

7 contraindre le Procureur à prouver son argumentation au-delà de

8 tout doute raisonnable, et le Procureur accepte totalement ce

9 qui vient d'être dit, mais dit que cela n'a pas de pertinence

10 par rapport au problème dont nous traitons en ce moment.

11 Le problème va bien au-delà de cela. Le problème

12 consiste à se demander si lorsqu'un accusé demeure silencieux,

13 choisit de ne pas présenter de preuve, et que cette preuve est

14 soumise à la personne chargée de l'appréciation, eh bien une

15 question se pose.

16 Une fois que l'appelant décide de présenter des

17 éléments de preuve, est-ce que cet élément de preuve doit être

18 vérifié ? Nous disons que oui, en effet, il doit l'être.

19 Si un appelant décide de présenter des éléments de

20 preuve, quel droit avons-nous de tester cet élément de preuve ?

21 Nous devons l'avoir, ce droit existe, c'est le droit d'examiner

22 de plus près un élément de preuve et de voir s'il est contredit

23 par des déclarations préalables de témoins qui souhaitent cacher

24 quelque chose à la Chambre de première instance.

25 Si cette communication n'existe pas, le droit en

Page 550

1 question n'existe pas non plus. Donc, dans le système

2 contradictoire, la contradiction doit être permise afin de

3 mettre en lumière des éléments de preuve qui éventuellement ne

4 sont pas véridiques.

5 Nous ne parlons pas ici de priver l'accusé d'un droit,

6 ce dont nous parlons c'est de la nécessité d'aider la personne à

7 la recherche de la vérité, -pas le Procureur, mais bien la

8 personne- d'exécuter son mandat dans la détermination, dans sa

9 prise de décision. Ceci n'est pas interdit par le Règlement, ni

10 par le Statut, c'est dans l'intérêt de la justice et c'est à

11 l'accusé de faire le premier pas dans ce sens. Cela sert

12 l'intérêt de la justice, de la vérité, et les arguments de la

13 défense ne sont pas pertinents en la matière.

14 Voilà mes commentaires. Merci.

15 M. le Président (interprétation). – Maître Hollis,

16 Me Livingston s'est appuyé sur trois catégories dans son

17 argumentation au sujet du 5ème motif d'appel.

18 Si je l'ai bien compris, il estime que ces trois

19 catégories sont égales et il s'agit donc du secret, du système

20 contradictoire et de l'égalité des armes. Est-ce que vous allez

21 traiter de cela ?

22 Mme Hollis (interprétation). - Oui, Monsieur le

23 Président.

24 Devant ce Tribunal, en raison du Règlement de Procédure

25 et de Preuve adopté par les Juges, il existe un privilège du

Page 551

1 secret, très ferme, qui lie le client et son avocat. Mais les

2 témoins ne sont pas des clients du conseil de la défense, il

3 s'agit de témoins qui viennent déposer devant le Tribunal.

4 Dans certains procès jugés devant ce Tribunal, les

5 Juges ont estimé que certains témoins n'étaient pas des témoins

6 de telle ou telle partie, mais des témoins de la Chambre de

7 première instance. Ceci est très certainement vrai dans une

8 certaine mesure.

9 Bien sûr, il y a possibilité d'interroger, de contre-

10 interroger le témoin. Mais, sur le fond, cette conception est

11 tout à fait exacte, car il s'agit de déposer devant les

12 personnes chargées d'établir la vérité, dans l'intérêt de la

13 justice. Donc les témoins ne sont pas les clients des conseils

14 de la défense.

15 En fait, il pourrait même arriver qu'un conflit

16 d'intérêt surgisse qui exige qu'un conseil de la défense se

17 retire d'un procès.

18 Donc, les témoins ne sont pas les clients d'un conseil,

19 ils ne sont que témoins.

20 Nous disons que le secret professionnel, qui a été

21 invoqué dans le rapport conseil-client ne s'applique pas aux

22 témoins. Nous estimons, dans ces conditions, qu'il n'est pas

23 nécessaire de protéger, de défendre cet intérêt traduit par le

24 privilège du secret, car cela irait à l'encontre de la recherche

25 de la vérité et la recherche de la vérité ne peut qu'être aidée

Page 552

1 par la communication des déclarations préalables de témoins.

2 Nous disons que ce privilège du secret n'aurait pas dû

3 être utilisé alors qu'il l'a déjà été dans le cadre des

4 décisions à prendre par les Chambres de première instance.

5 M. le Président (interprétation). - Comment définiriez-

6 vous le secret professionnel qui lie le conseil et son client

7 dans ces conditions ? Je sais que ce problème est très vaste,

8 mais diriez-vous que ce secret englobe les déclarations fournies

9 par l'accusé à son conseil, avant le procès ?

10 Mme Hollis (interprétation). - Monsieur le Président,

11 dans la mesure où un accusé, je le répète, renonce à son droit

12 de parler et décide de demeurer silencieux, s'il existe des

13 déclarations préalables relatives à ces témoignages précédents,

14 en se présentant devant le Tribunal, il renonce à tous les

15 droits liés à ces déclarations préalables.

16 Donc nous disons que, s'agissant des déclarations

17 préalables, elles sont couvertes par le secret.

18 Nous disons également que les Juges peuvent être même

19 encore plus largement défenseur d'un accusé que ne le serait la

20 défense, parce que c'est l'accusé qui bénéficie d'un droit

21 absolu de garder le silence pour éviter de s'incriminer lui-

22 même. Donc, son privilège réside en cela et il est très

23 important.

24 M. le Président (interprétation). - Merci beaucoup.

25 Mme Hollis (interprétation). - J'aimerais maintenant

Page 553

1 donner la parole à mon collègue, Me Fenrick.

2 M. le Président (interprétation). - Je vous en prie.

3 M. Fenrick (interprétation). - Monsieur le Président,

4 Madame et Messieurs les Juges, nous avons déjà employé les

5 50 minutes qui nous étaient assignées, mais je demande tout de

6 même un maximum de 15 minutes supplémentaires, mais je demande

7 10 minutes pour traiter du premier motif.

8 M. le Président (interprétation). - Vous souhaitez

9 disposer de 10 minutes pour traiter du premier motif ? Allez-

10 vous traiter d'autres motifs d'appel ?

11 M. Fenrick (interprétation). - Je suis tout à fait prêt

12 à m'exprimer sur les autres motifs d'appel, les motifs 3 et 4,

13 mais je ne le demandais pas.

14 M. le Président (interprétation). - Eh bien, essayez de

15 nous donner le temps total qu'il vous faut pour traiter de

16 l'ensemble des motifs.

17 M. Fenrick (interprétation). - 10 minutes.

18 M. le Président (interprétation). - En totalité ?

19 M. Fenrick (interprétation). - Oui, en totalité.

20 M. le Président (interprétation). - Eh bien, vous nous

21 demandez moins que ce que nous étions prêts à vous accorder.

22 Nous étions prêts à vous accorder 15 minutes.

23 M. Fenrick (interprétation). - 10 minutes, Monsieur le

24 Président.

25 S'agissant du premier motif, à savoir les personnes

Page 554

1 protégées au titre de l'article 2, vous vous rappellerez sans

2 doute, Madame et Messieurs les Juges, que dans les différents

3 mémoires qui ont été déposés, trois critères différents sont

4 évoqués s'agissant de la démonstration, je suppose que c'est le

5 terme qui s'applique, d'un lien démontrable entre l'accusé et

6 l'existence d'un conflit armé international. Deux de ces

7 principes sont issus du jugement Nicaragua. Le troisième

8 critère, l'existence d'un lien démontrable, dont nous avons

9 proposé que c'était le critère le plus approprié dans l'affaire

10 qui nous intéresse, est à la fois le critère qui se situe au

11 niveau inférieur, le plus facile à appliquer, plus facile à

12 appliquer que celui du contrôle effectif et de l'existence d'un

13 agent, car dans les deux derniers cas, il y a nécessairement un

14 lien démontrable.

15 Donc, nous disons qu'il existe un fondement juridique

16 suffisant qui permet que l'existence d'un lien démontrable, et

17 même ce qui est plus juste un réseau de rapports entre l'accusé

18 et le site du conflit... Nous pensons que le fondement juridique

19 lié à ce concept existe dans les Conventions de Genève et dans

20 deux affaires jugées après la Deuxième Guerre Mondiale, qui

21 impliquaient une responsabilité pénale en matière de crimes de

22 guerre et de crimes individuels.

23 Nous disons que le critère du contrôle effectif et de

24 l'existence d'un agent sont également des critères très

25 facilement applicables. En disant cela, nous ouvrons la porte à

Page 555

1 l'application des trois critères, car les trois critères bien

2 entendu laissent largement la place à diverses interprétations.

3 Et j'ai d'ailleurs entendu des interprétations assez différentes

4 de la bouche des différents Juges de la Chambre de première

5 instance quant à la portée du critère contrôle effectif.

6 D'ailleurs, si ce critère était tout à fait facile à

7 appliquer, nous n'aurions pas eu affaire aux difficultés

8 auxquelles nous nous sommes heurtés dans le cadre du procès.

9 M. le Président (interprétation). – Maître Fenrick,

10 vous évoquez le fait qu'un Juge qui a émis une opinion

11 dissidente, a estimé que le critère du contrôle effectif

12 existait, était applicable, alors que les autres Juges étaient

13 d'un avis contraire ?

14 M. Fenrick (interprétation). - Oui, en effet. Le

15 Procureur estime que nous avons satisfait au critère du lien

16 démontrable et que nous avons également satisfait aux deux

17 autres tests.

18 Je n'en prendrai pour exemple que le paragraphe 115 de

19 la décision majoritaire de la Chambre de première instance, qui

20 est sans doute la disposition la plus en rapport avec l'identité

21 de l'employeur. Nous voyons ici que la République Fédérale de

22 Yougoslavie payait ses serviteurs et ses serviteurs comprenaient

23 pratiquement la totalité des cadres de l'armée de la

24 Republika Srpska. Ceci n'a rien à voir avec la fourniture d'une

25 aide logistique ou d'une aide financière, cela va bien au-delà.

Page 556

1 Et un autre argument que j'aimerais reprendre et que

2 j'ai déjà présenté pendant quelques instants, est l'argument du

3 chevauchement entre le concept de responsabilité de l'Etat et le

4 concept de responsabilité pénale individuelle.

5 De l'avis du Procureur, la responsabilité de l'Etat et

6 la responsabilité pénale individuelle ne s'appliquent pas à tous

7 instants exactement aux mêmes domaines.

8 Si nous reprenons les premières dispositions,

9 l'article 3 de la 4ème Convention de La Haye de 1907, nous y

10 voyons une disposition selon laquelle : "Une partie belligérante

11 qui viole les dispositions en vigueur doit être responsable de

12 dommages et intérêts, étant responsable des actes commis par les

13 personnes constituant ces forces armées".

14 A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, nous avons vu

15 un certain nombre de procès destinés à juger des criminels de

16 guerre accusés de responsabilité individuelle et qui faisaient

17 peser une responsabilité pénale individuelle sur des personnes

18 qui n'étaient pas couvertes par cette Convention de Genève,

19 autrement dit des personnes qui n'étaient pas membres de forces

20 armées, des personnes dont les rapports avec l'un ou l'autre des

21 belligérants étaient plus que ténus.

22 Et puis, dans l'évolution, on en arrive aux Conventions

23 de Genève de 1949. De l'avis du Procureur, c'est exactement la

24 même structure qui a continué à se développer.

25 Si nous prenons l'article 29 de la 4ème Convention de

Page 557

1 Genève, nous y voyons, sans l'ombre d'un doute, une évocation du

2 fait que je cite : "La partie au conflit, au pouvoir de laquelle

3 se trouvent des personnes protégées, est responsable du

4 traitement qui leur est appliqué par ses agents, sans préjudice

5 des responsabilités individuelles qui peuvent être encourues",

6 (fin de citation).

7 Donc le Procureur affirme que, même si une partie au

8 conflit peut être responsable de l'activité de ses agents et

9 encourir le risque de verser des dommages et intérêts

10 financiers, il peut exister à l'évidence des situations dans

11 lesquelles des délits ont été commis, délits caractérisés par le

12 fait que la victime se trouvait au pouvoir d'une partie, mais

13 sans que le délit ait été commis par un agent de cette partie.

14 Par exemple, il peut y avoir une action commise dans un

15 territoire occupé, il peut y avoir une action qui est commise

16 sur le territoire d'une autre partie contractante, alors que la

17 victime, par définition, est au pouvoir de cette haute partie

18 contractante. Là, il s'agit d'une infraction grave commise par

19 quelqu'un qui n'est pas l'agent de la haute partie contractante.

20 Cette action peut être commise par un citoyen quelconque, par

21 n'importe qui.

22 Maintenant, si nous regardons l'article 85-5 du premier

23 Protocole additionnel, nous lisons : "Sans préjuger de

24 l'application des Conventions et du présent Protocole, des

25 infractions graves à ces instruments (autrement dit infractions

Page 558

1 graves aux Conventions de Genève également) sont considérées

2 comme des crimes de guerre".

3 Donc il n'est pas permis de distinguer en se fondant

4 uniquement sur le fait que seuls des crimes de guerre peuvent

5 être commis à l'encontre d'un grand nombre d'individus, parce

6 qu'ici les infractions graves sont également considérées comme

7 des crimes de guerre.

8 Et puis, bien entendu, nous avons l'article 81 du

9 premier protocole additionnel, -le premier Protocole additionnel

10 était applicable sur le territoire de l'ex-Yougoslavie pendant

11 la période qui est visée dans l'acte d'accusation dont nous

12 traitons- nous trouvons donc à l'article 81 : "Une partie au

13 conflit qui violerait les dispositions de la Convention ou du

14 présent Protocole serait tenue à indemnités s'il y a lieu. Elle

15 sera responsable de tous actes commis par les personnes qui font

16 partie de ses forces armées", (fin de citation).

17 Il y a toutes sortes de situations dans lesquelles

18 l'Etat peut être considéré comme responsable et il y a eu,

19 depuis que nous avons commencé à parler de responsabilité pénale

20 individuelle dans le cadre de crimes de guerre, un grand nombre

21 de situations où cette responsabilité de l'Etat pouvait être

22 responsable invoquée, notamment dans la période postérieure à la

23 Deuxième Guerre Mondiale.

24 Il y a aussi un grand nombre d'actes qui donnent lieu à

25 une responsabilité individuelle et il n'y a pas nécessairement

Page 559

1 chevauchement entre les deux.

2 Le dernier commentaire que nous aimerions faire au

3 sujet de ce motif d'appel est le suivant, le Procureur admet, en

4 fait, que la défense n'a pas la charge de prouver qu'il y avait

5 un conflit armé ou des conflits armés internes distincts sans

6 rapport avec le conflit armé international.

7 C'est bien sur le Procureur que repose la charge

8 d'apporter la preuve que ce qui peut être considéré comme un

9 conflit armé interne est en fait intimement lié au conflit armé

10 international.

11 Ayant dit cela, c'est un fait que le Procureur...

12 M. le Président (interprétation). - Vous acceptez la

13 position de la défense ?

14 M. Fenrick (interprétation). - Oui, cette partie de son

15 argumentation, en effet.

16 M. le Président (interprétation). - La question a été

17 posée de savoir s'il existait un conflit interne qui s'ajoutait

18 au conflit armé international. Donc c'est au Procureur qu'il

19 incombe la charge de faire la preuve du contraire.

20 M. Fenrick (interprétation). - Oui, en effet, Monsieur

21 le Président.

22 Nous estimons que nous avons établi plus que nécessaire

23 le rapport très étroit qui existait entre ce qu'on appelle le

24 conflit auquel a participé la Republika Srpska et l'armée de la

25 Republika Srpska d'une part, la Bosnie d'autre part, et le

Page 560

1 conflit effectif et beaucoup plus important qui a opposé la

2 République Fédérale de Yougoslavie à la Bosnie. Ces deux

3 conflits ne faisaient qu'un.

4 Voilà les arguments que je souhaitais présenter en

5 rapport avec le premier motif d'appel, Monsieur le Président.

6 Et, comme je l'ai déjà dit, il y en a deux autres.

7 Mais si vous souhaitez poser des questions au sujet des

8 motifs 1, 3 ou 4, nous sommes à votre entière disposition.

9 M. le Président (interprétation). - Veuillez

10 poursuivre, Maître Fenrick.

11 M. Fenrick (interprétation). - Excusez-moi, Monsieur le

12 Président, mais j'en ai terminé. Je vais poursuivre en

13 m'asseyant.

14 M. le Président (interprétation). - Eh bien, nous

15 venons d'entendre votre dernière déclaration, avec le plus grand

16 plaisir. Félicitations d'ailleurs pour avoir respecté le temps

17 qui vous était imparti si parfaitement.

18 Nous en avons fini, n'est-ce pas, avec les arguments du

19 Procureur au sujet du jugement ?

20 M. Clegg (interprétation). - Oui, Monsieur le

21 Président.

22 M. le Président (interprétation). - Nous aimerions

23 maintenant aborder la question de la sentence.

24 Je sais que c'est un petit peu tôt peut-être. Mais il

25 semble que la pause s'impose naturellement à ce stade de nos

Page 561

1 travaux de cette après-midi. Pensez-vous qu'il serait approprié

2 que nous ayons la pause maintenant et que nous reprenions dans

3 une demi-heure, à moins que vous ne préfériez commencer

4 immédiatement ? Vous pourriez vous exprimer pendant 15 minutes,

5 Maître Clegg.

6 M. Clegg (interprétation). - Eh bien, je crois que je

7 vais saisir l'occasion qui nous est proposée d'une pause café

8 légèrement prématurée.

9 M. le Président (interprétation). - C'est ce que je

10 pensais.

11 M. Clegg (interprétation). - C'est un grand plaisir

12 d'être toujours en accord aussi parfait avec les Juges.

13 L'audience, suspendue à 15 heures 30, est reprise à

14 15 heures 50.

15 M. le Président (interprétation). - Nous reprenons nos

16 travaux. Nous en arrivons à la troisième et dernière partie de

17 l'appel, à savoir l'appel déposé par l'accusé et relatif à la

18 peine. Etes-vous prêt à la sentence ? Etes-vous prêt,

19 Monsieur Clegg.

20 M. Clegg (interprétation). - Effectivement.

21 Pour ce qui est de l'appel de la sentence, on peut lire

22 le Statut du Tribunal de la façon suivante. On pourrait dire que

23 cet appel n'est pas possible puisqu'il ne semble pas exister de

24 disposition prévoyant un appel de la sentence.

25 L'article 25 qui a trait à l'appel est formulé de la

Page 562

1 façon suivante : "La Chambre d'appel connaît des recours

2 introduits soit par des personnes condamnées par les Chambres de

3 première instance, soit par le Procureur pour les motifs

4 suivants : une erreur sur un point de droit qui invalide la

5 décision ou une erreur de fait qui a entraîné un délit de

6 justice."

7 Ces deux expressions correspondent mieux à un appel

8 relatif à la condamnation d'un accusé, mais nous pensons qu'il

9 faudrait approcher une démarche très flexible vis-à-vis de ce

10 libellé parce que les auteurs du Statut ne pouvaient pas exclure

11 un appel de la sentence.

12 Nous pouvons ajouter qu'une sentence injuste doit

13 forcément résulter d'une erreur, peut-être assez difficile à

14 cerner, une erreur de fait, commise par la Chambre de première

15 instance, parce qu'aucune Chambre de première instance ne

16 pourrait avoir pour volonté de rendre un verdict injuste, et une

17 sentence injuste est en soi un délit de justice ou une erreur

18 judiciaire.

19 On peut également dire eu égard à certains aspects d'un

20 appel de la peine qu'il y a un rapport entre la sentence et une

21 erreur possible sur une question de droit et, s'il y a eu une

22 erreur de droit dans le cadre de la détermination de la

23 sentence, ceci pourrait amener à invalider la décision d'une

24 Chambre de première instance, ce qui amènerait une Chambre

25 d'appel à revoir la décision rendue par la Chambre de première

Page 563

1 instance. En effet, c'est un des pouvoirs de la Chambre d'appel,

2 et nous le voyons à l'article 25, paragraphe 2.

3 En effet, nous pensons que ce terme de "réviser"

4 utilisé à cet article englobe la possibilité de substituer une

5 peine ou une sentence juste à une sentence injuste.

6 Je ne pense pas que les auteurs auraient souhaité

7 exclure un appel de la peine. A mon avis, il n'y a aucune

8 juridiction, aucun organe de juridiction qui peut se voir exclu

9 la possibilité de le faire.

10 Par conséquent, nous vous invitons à interpréter les

11 termes utilisés à l'article 25 de façon tout à fait flexible et

12 large.

13 Passons maintenant au fond même de notre appel.

14 Tout d'abord, nous disons qu'une sentence totale de

15 20 ans était injuste. Pourquoi ? Parce que cette peine est plus

16 longue que ce que les faits de l'affaire exigeaient. La raison

17 pour laquelle nous disons que cette peine de 20 ans est trop

18 longue est la suivante. Il y a plusieurs raisons en fait.

19 Nous disons tout d'abord que dans le cadre de la

20 détermination de la peine, le tout premier accusé à avoir été

21 condamné par une Chambre de première instance jugeant,

22 connaissant de crimes en ex-Yougoslavie était donc M. Tadic, et

23 la Chambre de première instance auraient dû avoir à l'esprit la

24 mise en place d'une grille appropriée, reflétant le degré de

25 culpabilité de différents accusés.

Page 564

1 Une telle grille doit être utilisée pour les personnes

2 les plus coupables, pour les peines les plus élevées et doit

3 réserver à ceux qui sont les moins coupables les peines les

4 moins lourdes.

5 Les grades ou postes de commandement, activités et

6 postes d'autorité dans la région de cet appelant étaient tels

7 qu'il aurait dû être placé tout en bas de l'échelle de

8 culpabilité.

9 La Chambre de première instance ici n'avait pas à

10 déterminer la peine à appliquer pour une personne ayant à

11 prendre des décisions, à un commandant d'un groupe d'hommes. La

12 Chambre de première instance avait sous les yeux une personne

13 qui occupait une position comparativement bien inférieure.

14 Or, nous disons que ce statut n'a pas été reflété dans

15 la peine imposée à l'accusé parce qu'il n'y a pas dans cette

16 peine ou dans la grille choisie une souplesse suffisante

17 permettant à une personne beaucoup plus coupable, à quelqu'un

18 qui formulait différentes politiques ou bien qui prenait

19 différentes décisions, d'imposer une peine plus élevée donc.

20 C'est notre premier argument. La Chambre d'appel doit

21 penser à l'établissement d'une grille de peines qui tiendrait

22 compte du niveau de responsabilité et du degré de culpabilité.

23 Deuxièmement, nous dirons qu'au titre de l'article 24,

24 la Chambre de première instance peut avoir recours à la grille

25 générale des peines d'emprisonnement appliquées par les

Page 565

1 tribunaux de l'ex-Yougoslavie. Il s'agit de l'article 24,

2 paragraphe 1. Nous avons entendu des témoins experts, en tout

3 cas au cours du procès en première instance, qui sont venus

4 s'exprimer sur ce point.

5 Je dois reconnaître que ces témoignages n'étaient pas

6 toujours extrêmement clairs, mais j'ai fait ce qui était en mon

7 pouvoir pour extraire le sens de ces témoignages et il semble

8 que lorsque la peine de mort n'est pas applicable, elle peut

9 être substituée par une peine maximale de 20 ans en vertu du

10 droit national.

11 Il s'agit là d'un élément auquel aurait dû avoir

12 recours la Chambre de première instance et auquel elle devra

13 peut-être avoir recours lorsqu'elle imposera des peines à

14 d'autres personnes ayant commis des crimes plus graves ou ayant

15 occupé des postes plus élevés que cet accusé.

16 Troisièmement, nous pensons que la Chambre ne s'est pas

17 suffisamment penchée sur les conditions de vie, la vie

18 personnelle de cet accusé.

19 Lui, entre autres, je suppose, a été soumis à une

20 campagne délibérée de propagande dans la région où il résidait,

21 et cette campagne a manifestement encouragé leur participation

22 et sa participation au nettoyage ethnique.

23 Bien entendu, ceci ne le décharge pas de toute

24 responsabilité pénale, mais c'est un des facteurs qui nous

25 permet, entre autres, d'expliquer pourquoi un homme qui n'avait

Page 566

1 jamais participé à un quelconque acte criminel s'est ainsi

2 conduit ou s'est conduit de la façon dont la Chambre de première

3 instance a décrit.

4 C'est un prisonnier qui a dû purger sa peine et qui

5 continuera à le faire dans un pays qui lui est étranger. Il sera

6 dans le besoin, loin de sa femme et de ses jeunes enfants au

7 cours de toute la période pendant laquelle il purgera sa peine

8 et il sera également isolé vis-à-vis d'autres personnes de son

9 pays. Pendant la majeure partie de la période de détention qu'il

10 a connue ici, il était pratiquement le seul prisonnier au centre

11 de détention des Nations Unies et, bien qu'il serve une peine de

12 détention préventive, il s'est retrouvé pratiquement isolé, seul

13 au quartier pénitentiaire.

14 Lorsqu'il sera libéré, il devra porter le fardeau

15 d'avoir été le premier criminel de guerre à avoir été condamné

16 et, pour cette raison et d'autres encore, lorsqu'il retournera

17 dans sa région natale... Ou plutôt, il sera sans doute

18 impossible pour lui de retourner dans sa région natale.

19 Tous ces facteurs s'ajoutent et montrent que la peine

20 totale de 20 ans qui lui a été imposée était une peine injuste,

21 d'après tous les éléments présentés dans le cadre de cette

22 affaire.

23 Je passerai maintenant à deux points distincts dont

24 nous disons qu'ils montrent qu'il y a eu erreur dans la

25 politique utilisée par la Chambre de première instance pour

Page 567

1 déterminer la peine de l'accusé et qui a débouché sur une

2 injustice, à moins que vous ne décidiez de réviser cette

3 décision.

4 La Chambre de première instance a tenté d'affirmer ou

5 de demander que l'accusé, l'appelant en l'occurrence, purge une

6 peine minimum de 10 ans. Je ne vois pas de quel pouvoir s'est

7 prévalu la Chambre de première instance pour demander une

8 période minimale de détention. Bien entendu, personne ne peut

9 empêcher une Chambre de première instance de donner une certaine

10 recommandation ; dans toute juridiction dans laquelle une peine

11 est purgée, bien entendu, il faut donner un certain poids à une

12 recommandation formulée par une Chambre de première instance.

13 Alors je ne suggère en rien qu'une Chambre ne peut pas

14 formuler ce type de recommandation, mais ce que je dis en

15 revanche, que le fait d'avoir demandé que cette période de

16 10 ans ne commence pas avant la conclusion de la procédure

17 d'appel est profondément injuste.

18 Ceci, en effet, pénalise l'accusé, si celui-ci comme il

19 l'a fait, choisi de se pourvoir en appel. Ceci lèse également

20 l'accusé suite à l'obstruction faite par la Republika Srpska qui

21 a retardé le début de la procédure en appel.

22 Ceci donc pénalise également l'appelant pour les

23 retards en matière de procédure qui sont inévitables dans toute

24 affaire de ce type. Nous disons qu'il y a donc une injustice

25 fondamentale, que ceci limite en quelque sorte le droit de

Page 568

1 l'accusé à faire appel et que ceci ne correspond absolument pas

2 à l'esprit du Statut qui a pour objectif de donner à l'accusé un

3 droit d'appel qui ne soit pas assorti d'un fardeau.

4 Or, selon nous, il s'agit véritablement d'une charge

5 supplémentaire car toute peine assortie d'une recommandation

6 minimum sera, en fait, une peine qui doit être au minimum de

7 10 ans si la recommandation est retenue. Par conséquent, si on

8 calcule cette peine à partir d'aujourd'hui, l'appelant aura en

9 fait purgé 15 ans sur sa peine initiale de 20 ans avant de

10 pouvoir être libéré parce que cela fait déjà 5 ans qu'il est

11 emprisonné ; l'effet sera également de pénaliser l'appelant pour

12 la période utilisée à la préparation du procès et ceci le

13 pénalise également pour toutes les difficultés rencontrées au

14 cours de la période préalable au procès dont nous avons déjà

15 parlées précédemment.

16 Nous disons donc que ce n'est pas la recommandation

17 minimum qui nous pose problème mais que la justice ne peut être

18 faite que si cette recommandation minimale débute à partir du

19 moment où l'appelant a été placé en détention.

20 Si cela n'est pas le cas, ceci élimine la disposition

21 permettant à un accusé de voir sa peine réduite du temps déjà

22 passé en détention préventive.

23 Par conséquent, nous invitons la Chambre d'appel, pour

24 n'importe quelle peine, à étudier cette recommandation minimum

25 et nous ne mettons pas en cause cette recommandation minimum car

Page 569

1 le pourcentage qui a été proposé me convient, mais c'est une

2 question de principe fondamental et d'équité. Cette date devrait

3 être fixée au moment où l'appelant a été placé en détention

4 parce qu'en fait, pendant toute cette période, il était déjà

5 prisonnier.

6 Troisièmement, il s'agit d'un autre facteur qui

7 contribue à l'injustice. A partir, je crois, de février 1994 et

8 ce jusqu'au 29 avril 1995, une période donc de quatorze mois,

9 l'appelant était en détention dans la République Fédérale de

10 l'Allemagne et, d'après ce que j'ai compris, il n'a été placé en

11 détention que pour des allégations fondées sur des faits

12 entendus par la Chambre de première instance.

13 Au paragraphe 6 du jugement, il est dit : "Dusko Tadic

14 a été arrêté en février 1994 en Allemagne où il vivait à cette

15 époque sous l'inculpation d'avoir commis des infractions dans le

16 camp d'Omarska en ex-Yougoslavie en juin 1992, des infractions

17 comprenant notamment la torture, et la complicité de génocide

18 qui constituent des crimes aux termes de la législation

19 allemande".

20 Bien entendu, je reconnais que, d'un point de vue

21 technique, il était placé sous la garde d'un Etat étranger, mais

22 en fait, il était placé en détention pour ces crimes précis,

23 puisque c'est bien dans ce même camp que se sont produits les

24 crimes qui ont intéressé la Chambre de première instance.

25 En ce qui concerne l'appelant, le fait d'avoir passé

Page 570

1 14 mois dans la prison d'un autre Etat ne le rassure que peu

2 juste avant d'avoir été transféré ici pour être jugé pour

3 exactement les mêmes crimes.

4 La Chambre de première instance a déclaré de façon très

5 nette que les deux poursuites différentes portaient sur les

6 mêmes crimes. Par conséquent, nous disons que l'accusé doit

7 pouvoir profiter en quelque sorte du temps déjà passé en

8 Allemagne et que la Chambre doit tenir compte de cette période

9 de détention.

10 Ceci n'a pas été fait jusqu'ici. A l'époque, il avait

11 été privé de liberté pour ces mêmes crimes et cette Chambre

12 d'appel a le droit et a le pouvoir de tenir compte de cette

13 période, -à savoir cette période de 14 mois- et si l'on compare

14 ce chiffre avec la période minimale de 50 %, cette prise en

15 compte permettrait de réduire la recommandation minimale de

16 28 mois.

17 Même chose pour la peine.

18 J'espère que mon explication était claire. Je crois

19 qu'en faisant cela, vous permettriez à l'accusé d'obtenir une

20 réduction qu'il n'aurait pas, si vous ne faisiez pas droit à

21 notre demande.

22 Bien entendu, vous verrez qu'au titre de l'article 101

23 du Règlement, la durée de la période pendant laquelle la

24 personne reconnue coupable a été gardée à vue en attendant

25 d'être remise au Tribunal ou en attendant d'être jugée par une

Page 571

1 Chambre de première instance est déduite de la durée totale de

2 sa peine.

3 Bien entendu, il a passé sa première période de

4 détention en Allemagne ayant été inculpé de certains crimes. Par

5 conséquent vraisemblablement, et d'un point de vue technique, il

6 était placé sous la garde d'une juridiction totalement distincte

7 et ce n'est que lorsque son transfert a été organisé, qu'il a

8 été transféré ici et placé sous la garde des Nations Unies.

9 Mais, il s'agit là d'un débat quelque peu académique. Et ceci

10 constituerait une injustice si cette période de détention passée

11 en Allemagne n'était pas prise en compte.

12 Je serais tout à fait prêt à répondre aux questions que

13 vous souhaiteriez me poser, mais nous n'avons rien à ajouter

14 quant à nous ; vous avez vu le compte rendu, vous avez vu les

15 rapports psychiatriques, nous nous sommes fondés sur ces

16 différents documents, mais je ne souhaite pas les mentionner

17 expressément devant cette Chambre.

18 Je n'ai rien dit bien entendu de la coopération

19 potentielle de l'accusé. Si, toutefois, ceci peut vous être

20 d'une quelconque utilité, nous déposerons un document à l'écrit.

21 M. le Président (interprétation). - Maître Clegg, j'ai

22 l'impression que dans le jugement une référence est faite à

23 cette disposition demandant à la Chambre de tenir compte de la

24 grille générale des peines en vigueur en Yougoslavie.

25 M. Clegg (interprétation). – Oui, effectivement.

Page 572

1 M. le Président (interprétation). – 24-1. Puis-je dire

2 que la Chambre de première instance a interprété ainsi cet

3 article à savoir que la Chambre devait tenir compte de la grille

4 générale des peines d'emprisonnement sans toutefois se voir

5 obligée de suivre cette grille ?

6 Ai-je raison ?

7 M. Clegg (interprétation). - Bien, je ne suis pas tout

8 à fait en désaccord avec cette interprétation de la Chambre de

9 première instance. Cependant, nous pensons que la Chambre n'a

10 pas tenu suffisamment compte de la grille générale des peines

11 d'emprisonnement. Je ne dis pas que la Chambre était liée par ce

12 type de grilles parce que cela aurait été là une conclusion

13 contraire au Règlement.

14 M. le Président (interprétation). - Très bien. Une

15 dernière question qui émane de l'article 101 (D) du Règlement

16 que vous nous avez lu à haute voix. Ma question a trait à la

17 période pendant laquelle la personne ou l'accusé en l'occurrence

18 a été placé en détention en RFA.

19 Diriez-vous que la période en question était une

20 période lorsqu'il était en garde à vue en attendant d'être remis

21 au Tribunal, avant donc qu'il y ait demande de transfert de la

22 part du Tribunal ?

23 M. Clegg (interprétation). - D'un point de vue

24 technique, je pense que cela n'est pas le cas. En fait, il était

25 placé en détention dans l'attente de son procès en Allemagne et

Page 573

1 ce n'est qu'après que la demande de transfert a été formulée

2 qu'il se trouvait effectivement dans ce cas de figure.

3 M. le Président (interprétation). - (Hors micro.).

4 M. Clegg (interprétation). - Oui, effectivement,

5 c'était en octobre 1994.

6 M. le Président (interprétation). - Merci. Peut-on

7 maintenant entendre les arguments de l'accusation ?

8 Mme Hollis (interprétation). - Madame et Messieurs les

9 Juges, la position de l'accusation quant à la peine est la

10 suivante : elle a été décidée conformément à la loi et elle

11 était appropriée en vertu des crimes commis et en vertu de la

12 personne qui s'est rendue coupable de ces crimes et que ceci

13 était... Toutes ces obligations de la Chambre de première

14 instance ont été remplies au titre de l'article 101, de

15 l'article 41.1 du Règlement... du code pénal de l'ex-Yougoslavie

16 et qu'une telle peine ne devrait pas être modifiée.

17 En ce qui concerne les paragraphes ou plutôt la

18 responsabilité pénale de l'accusé au paragraphe 60 et 70 de son

19 jugement, la Chambre de première instance a tenu compte de la

20 position de l'accusé au sein de l'Opstina de Prijedor et a

21 considéré le degré de culpabilité de l'accusé.

22 Par conséquent, au moment de parvenir à sa conclusion,

23 la Chambre de première instance a tenu compte de ces éléments et

24 sa sentence est tout à fait juste. Elle a souligné selon nous

25 qu'il ne peut pas y avoir une hiérarchie stricte parce que, ce

Page 574

1 faisant, il pourrait y avoir une certaine spéculation quant aux

2 crimes qui ont été commis dans d'autres affaires, mais qui n'ont

3 pas encore été jugés et, par rapport aux autres personnes qui

4 doivent encore être jugées et condamnées ou acquittées.

5 Par conséquent, nous pensons qu'une démarche de ce

6 type, à savoir d'établir une hiérarchie stricte serait en

7 contravention avec la théorie selon laquelle on doit condamner

8 un accusé non seulement vis-à-vis des crimes commis, mais

9 également vis-à-vis de la personnalité d'un individu, de chaque

10 accusé.

11 Néanmoins, la Chambre de première instance a pris en

12 considération ce principe, elle l'a appliqué à M. Tadic et elle

13 est parvenue à une sentence qu'elle a estimée juste. Nous

14 suggérons que ce n'est pas une démarche inappropriée.

15 D'autre part, la Chambre de première instance avait à

16 sa disposition la possibilité d'imposer la peine maximale, la

17 peine à vie pour l'accusé. La Chambre de première instance

18 aurait pu également imposer des peines cumulées. La Chambre de

19 première instance a rejeté ces différentes possibilités et a

20 condamné l'accusé à une peine d'emprisonnement de 20 ans et a

21 demandé que les peines soient confondues.

22 Par conséquent, il s'agit là d'une peine largement

23 inférieure à celle qui aurait pu être imposée à l'accusé. Il n'y

24 a pas eu d'abus de pouvoir discrétionnaire de la Chambre de

25 première instance lorsqu'elle est parvenue à cette décision

Page 575

1 quant à la détermination de la peine et nous pensons que c'est

2 bien le critère à adopter en l'occurrence.

3 L'appelant a reconnu que le fait de "tenir compte de"

4 n'est pas le signe d'un principe qui contraint une Chambre de

5 première instance, et ceci correspond tout à fait avec la

6 jurisprudence qui a évolué à la fois dans ce Tribunal et dans le

7 Tribunal pour le Rwanda en ce qui concerne la détermination de

8 peine.

9 D'autre part, il y a eu aucune violation du droit et,

10 notamment, pas du droit yougoslave en imposant une peine de

11 20 ans.

12 Il était tout à fait possible en Bosnie-Herzégovine...

13 Il aurait été possible d'imposer la peine de mort pour ce type

14 de crimes ou de crimes similaires à ceux pour lesquels l'accusé

15 a été condamné.

16 En outre, au sein de la communauté internationale, il

17 est reconnu que lorsque les Etats évitent ou écartent la peine

18 de mort, eh bien, ils peuvent imposer la peine alternative qui

19 est celle de l'emprisonnement à vie, et il est également reconnu

20 qu'au sein de la communauté internationale, des crimes pour

21 lesquels l'appelant a été condamné, notamment des crimes contre

22 l'humanité, sont considérés comme étant les crimes les plus

23 graves qu'un individu puisse commettre.

24 L'imposition de cette peine de 20 ans par conséquent

25 était bien permissible. La peine n'est pas excessive. La Chambre

Page 576

1 avait le pouvoir de sanctionner l'accusé et les crimes commis

2 par l'accusé. La Chambre de première instance a considéré tous

3 les facteurs nécessaires, facteurs fixés par ce Tribunal et

4 également par le droit et le code de l'ex-Yougoslavie.

5 Après avoir examiné tous ces facteurs, la Chambre de

6 première instance est parvenue à sa décision, la Chambre de

7 première instance a également fait remarquer que cette peine

8 n'était pas là simplement pour sanctionner le crime, mais pour

9 l'auteur de ce crime et, au moment de parvenir à sa décision, la

10 Chambre de première instance a pris en compte non seulement

11 l'accusé et sa personnalité, mais également l'existence de la

12 campagne de propagande et l'impact que cette campagne a pu avoir

13 sur les personnes qui vivaient dans la région.

14 Elle a pris en compte donc la personnalité de l'accusé,

15 mais aussi la brutalité des actes auxquels a participé l'accusé,

16 elle a considéré son désir, sa bonne volonté au moment de

17 participer à la campagne de nettoyage ethnique de grande

18 envergure dans l'Opstina de Prijedor. La Chambre a également

19 étudié son désir conscient de contribuer à l'élimination de non-

20 Serbes à Prijedor et sa participation à des passages à tabac qui

21 ont entraîné la mort ainsi qu'à d'autres crimes extrêmement

22 graves et brutaux.

23 Lorsque l'on examine la décision de la Chambre de

24 première instance, l'accusation vous suggère que cette peine

25 n'est pas excessive parce que nous avons maintenant un accusé

Page 577

1 qui, de façon volontaire et enthousiaste, a participé à toute la

2 campagne du nettoyage ethnique dans l'Opstina de Prijedor qui a

3 eu un effet sur tout l'Opstina : des gens ont tué, des gens ont

4 été tués, des gens ont été chassés de chez eux, loin de leur

5 région, loin de leur famille et ont été condamnés à un exil

6 perpétuel.

7 Alors, 20 ans n'est pas une peine excessive pour cela

8 et ce n'est pas non plus un abus des pouvoirs de la Chambre de

9 première instance.

10 Pour ce qui est du point supplémentaire qui a été

11 abordé par la défense, à savoir la recommandation minimum, nous

12 vous suggérons que c'était une recommandation très utile et

13 appropriée.

14 Tout d'abord, cette Chambre de première instance a

15 déclaré de façon tout à fait légitime que la peine adéquate

16 serait une peine de 20 ans. Cependant, la Chambre de première

17 instance a pensé également au fait que lorsque l'accusé a été

18 condamné et qu'il a reçu la peine, les lois du pays où il devait

19 purger sa peine envisageraient éventuellement la possibilité

20 d'une libération sur parole entre autres.

21 Par conséquent, la Chambre de première instance a

22 exercé son droit en tant que Chambre souhaitant découvrir la

23 vérité et juger les faits. La Chambre donc a eu la possibilité

24 d'observer le comportement de l'accusé, d'entendre son

25 témoignage et d'évaluer sa personnalité et ses actes. La Chambre

Page 578

1 donc avait le droit de formuler une recommandation minimum avant

2 qu'éventuellement, il obtienne une grâce ou une libération.

3 La Chambre de première instance dit à toute autorité

4 qui pourrait éventuellement recommander la grâce pour cet accusé

5 que, d'après ses observations, elle estime que la peine minimale

6 que doit purger cet accusé, étant donné les crimes qu'il a

7 commis contre l'intérêt de la société, est une période de 10 ans

8 venant s'ajouter à la période déjà passée en détention.

9 Ce n'est pas une recommandation exagérée, c'est une

10 recommandation tout à fait appropriée provenant de l'organe le

11 plus impartial possible et nous pensons que nous ne devons pas

12 modifier une telle recommandation.

13 Pour ce qui est maintenant de la période que le détenu

14 a déjà passée en détention en Allemagne, nous sommes d'avis que

15 la Chambre de première instance, là aussi, s'est conformée

16 intégralement aux dispositions du Règlement de procédure. Est-ce

17 que la Chambre de première instance devait déclarer que le

18 Règlement était erroné ?

19 Nous, nous suggérons que ce n'est absolument pas le

20 cas. Cette règle se retrouve dans nombre de juridictions et,

21 dans ces juridictions, il est stipulé que le détenu ne peut voir

22 sa peine réduite que dans la mesure où il a déjà servi une

23 partie de sa peine dans le cadre d'une autre juridiction ou dans

24 le cadre de l'attente de son procès dans une autre juridiction.

25 Donc, ce n'est pas du tout ce qui doit être appliqué au

Page 579

1 regard du respect des règles qui régissent le droit pénal.

2 Est-ce qu'il faudrait que l'appelant déclare que la

3 Chambre de première instance a imposé la mauvaise date comme

4 marquant le début de sa détention en Allemagne avant le début de

5 son procès ici ou avant le transfert ici ? C'est quelque chose

6 qu'il vous revient, Madame et Messieurs les Juges, de trancher.

7 Nous suggérons que la Chambre de première instance a appliqué la

8 bonne disposition et nous vous demandons de ne pas modifier cela

9 dans le cadre de votre arrêt sur cet appel.

10 Enfin, nous déclarons que cette sentence est adaptée,

11 qu'elle n'est certainement pas excessive, qu'elle est même bien

12 en deçà du maximum qui aurait pu être requis contre l'accusé,

13 car cet appelant a démontré quelle était sa participation

14 enthousiaste aux actes qui étaient commis autour de lui, il a

15 montré qu'il méritait cette sanction notamment lorsque l'on

16 prend en compte son parcours personnel et l'environnement dans

17 lequel il a commis ces actes.

18 Je vous remercie.

19 M. le Président (interprétation). - Maître Hollis, une

20 petite chose, peut-être vous ai-je mal comprise ? Je vous ai

21 entendue dire la chose suivante : à savoir que si la Chambre de

22 première instance avait l'impression que l'article 101 du

23 Règlement était injuste, il fallait que cette disposition soit

24 modifiée. Je vous ai bien compris, bien entendu ?

25 Mme Hollis (interprétation). - Peut-être me suis-je mal

Page 580

1 exprimée ?

2 Ce que je voulais dire, c'était qu'au stade de l'appel,

3 si la Chambre d'appel a l'impression que cette disposition n'est

4 pas juste et qu'elle pourrait entraîner la détermination d'une

5 sentence injuste, alors la Chambre d'appel a le pouvoir qui lui

6 permettrait peut-être de modifier cette disposition.

7 Je déclare que si une Chambre de première instance en

8 arrive à la conclusion que toute disposition pourrait priver

9 l'accusé du droit à un procès équitable ou pourrait l'empêcher,

10 elle, Chambre de première instance d'en arriver à une

11 détermination juste de la sentence, alors cette même Chambre de

12 première instance aurait la compétence de revenir sur ce que dit

13 la disposition pertinente du Règlement afin de s'assurer que

14 l'équité du procès est respectée et que la justesse de la

15 sentence est respectée ; ce que j'essayais surtout de dire c'est

16 que si au moment où la Chambre d'appel intervient dans la

17 procédure, elle essaie de se prononcer sur la validité de cette

18 disposition telle qu'elle se présente à l’heure et si elle

19 estime que cette disposition empêche l’appelé d’une sentence

20 juste, alors bien sûr la Chambre d'appel a les pouvoirs qui lui

21 permettent de modifier cette disposition.

22 M. le Président (interprétation). – Je vous comprends,

23 je vois ce que vous dites. En fait, la Chambre d'appel, si elle

24 considère que l'application de l'article 101 irait à l'encontre

25 de la mission qui est celle du Tribunal, elle pourrait essayer

Page 581

1 de faire en sorte que l'article en question corresponde au souci

2 d'équité qui est celui du Statut et elle pourrait alors essayer

3 d'éliminer cette disposition du Règlement. C'est cela,

4 Maître Hollis ?

5 Mme Hollis (interprétation). – Précisément.

6 M. le Président (interprétation). - Maître Clegg, vous

7 arrivez en dernière position sur notre emploi du temps, vous

8 disposez d’un maximum de 15 minutes.

9 M. Clegg (interprétation). – Soyez bien assuré,

10 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges que je ne

11 dépasserai pas le temps de parole qui m'est accordé.

12 Pour ce qui est du principe général d'après lequel il

13 s'agit de savoir si la sentence de 20 ans est une sentence

14 appropriée ou non, je ne suggère pas du tout que la Chambre de

15 première instance n'avait pas sous les yeux les facteurs adaptés

16 qui lui permettaient de se prononcer en toute équité. Ceci dit,

17 les effets, les conséquences de cette sentence sont tout de même

18 injustes, comprenez bien que la Chambre de première instance

19 travaillait dans un certain vide puisque M. Tadic était la

20 première personne à être condamnée par ce Tribunal. La Chambre

21 de première instance avait à faire face à une tâche pharaonique,

22 elle a travaillé aussi dur qu'elle l'a pu pour essayer d'en

23 arriver à une conclusion qui soit équitable et juste. Nous, il

24 nous apparaît qu'après analyse la Chambre de première instance

25 n'a pas pu mener cette tâche à bien.

Page 582

1 Quand nous revenons maintenant à la question de la

2 grille des peines et lorsque l'on revient sur la question de

3 savoir si la sentence de l'accusé était telle qu'elle permettra

4 au Tribunal de prononcer des peines équitables pour les accusés

5 qui seront condamnés dans les années à venir, lorsqu'on revient

6 sur ce sujet, donc nous sommes d'avis que d'autres ont été mis

7 en accusation par ce Tribunal, des personnes qui sont, elles,

8 des personnes qui occupaient des postes beaucoup plus élevés,

9 des personnes qui étaient chargées de prendre des décisions.

10 Il faut avoir une idée à l'esprit, à savoir que la

11 responsabilité de personnes occupant des postes différents doit

12 être relativisée en fonction du poste qu'elle occupe, tout cela

13 dans le but bien sûr d'une bonne administration de la justice.

14 Je ne dis pas que la Chambre de première instance n'avait pas le

15 droit de spécifier qu'elle souhaitait que l'accusé serve une

16 période minimum de 10 ans, c’est une recommandation parfaitement

17 raisonnable de déclarer que l'accusé doit servir une sentence

18 minimum qui correspond à 50 % de la sentence maximale. Moi, je

19 dis qu'il n'était pas du tout normal de ne pas spécifier la date

20 à laquelle la sentence devait commencer à courir.

21 Moi je déclare que pas un seul des membres qui

22 constituaient la Chambre de première instance ne pouvait être

23 assez pessimiste pour se dire qu'aujourd'hui seulement l'on

24 verrait l'appel arriver à son terme, aujourd'hui c'est-à-dire

25 deux ans après l'énoncé de la sentence par ladite Chambre de

Page 583

1 première instance. Ils ont effectivement émis une recommandation

2 minimum, mais ils n'ont pas précisé quand elle devait commencer,

3 c'est parfaitement injuste.

4 D'après nous, la seule date équitable pour la date de

5 début à laquelle la sentence commence à courir est la date à

6 laquelle la personne commence à être privée de sa liberté c'est

7 la seule décision équitable qui puisse être prise.

8 Enfin, revenons-en à l'impact que pourrait avoir

9 l'article 101 du Statut.

10 Et revenons-en à cette question de la déduction dont

11 serait susceptible de bénéficier M. Tadic, je suis d'accord avec

12 l'opinion de Maître Hollis lorsqu'elle présente l'Etat du droit

13 quant à cette question particulière. Elle dit qu'elle a

14 connaissance de certaines juridictions au sein desquelles il

15 n'est jamais permis à l'accusé de bénéficier d'une déduction de

16 sa peine parce qu'il a servi un certain temps d'emprisonnement

17 dans le cadre d'une autre juridiction, alors qu'il attendait de

18 passer en jugement pour une autre affaire. Je ne remets pas du

19 tout en cause ce qu’elle a dit sur ce point, elle est beaucoup

20 plus experte en la matière que moi notamment.

21 Mais, pour ce qui est des procédures d'extradition, il

22 est toujours vrai que le pays qui reçoit la personne qui a été

23 extradée accorde à ladite personne une déduction de la peine,

24 déduction qui correspond à la période que cette personne a passé

25 en détention alors qu'elle attendait l'aboutissement de la

Page 584

1 procédure d'extradition.

2 Et je suis assez sûr que la Cour européenne des droits

3 de l'homme casserait toute décision qui irait dans le sens

4 inverse de ce que je viens de décrire. Je n'arrive pas à penser

5 à une affaire précise que je pourrais vous citer, mais je suis

6 bien certain de la pratique généralement appliquée en Europe

7 dans de tels cas, je suis bien sûr qu'une décision qui irait

8 dans un sens inverse serait en contravention de ce qui a été

9 établi par la Cour européenne des droits de l'homme. Ce que je

10 sais en tout cas, c'est qu'aux Etats-Unis cette pratique est

11 toujours respectée. Je ne dis pas que si vous êtes extradé d'un

12 Etat à un autre, il y aura déduction de votre peine, mais ce que

13 je sais, c'est que je ne souhaiterais absolument pas que la

14 Chambre d'appel commence à établir une pratique autre que celle

15 que je viens de décrire qui me paraît être la seule applicable

16 en l'espèce.

17 M. le Président (interprétation). - Nous parlons du

18 temps passé par l'accusé en détention provisoire dans l'attente

19 de son extradition. Vous, vous dites qu'il arrive très souvent

20 qu'une déduction soit accordée à l'accusé sur le temps total de

21 sa sentence d'emprisonnement. Est-ce que cette approche est bien

22 différente de celle avancée par Maître Hollis ?

23 Maître Hollis déclarait que si vous êtes détenu, dans

24 un autre pays, alors que vous attendez d'être déféré au Tribunal

25 vous pouvez bénéficier d'une déduction de votre peine

Page 585

1 correspondant à la période que vous avez passée en prison.

2 La question est de savoir si effectivement l'accusé

3 présente des critères tels qu'il peut bénéficier de cette

4 déduction pour toute période pendant laquelle il était en

5 détention, mais il n'était pas en attente de dessaisissement et

6 de transfert au Tribunal.

7 L'appelant a été détenu pendant une certaine période en

8 Allemagne ?

9 M. Clegg (interprétation). – Oui.

10 M. le Président (interprétation). - Mais seulement

11 parce que des poursuites pénales avaient été engagées contre lui

12 en Allemagne même, c'est alors qu'est intervenu l'ordre de

13 dessaisissement du Tribunal.

14 M. Clegg (interprétation). – Oui. Je comprends.

15 L'exemple de l'extradition n'est pas un exemple parfaitement

16 applicable en l'espèce. Il y a effectivement des affaires dans

17 le cadre desquelles une personne est arrêtée pour des crimes

18 supposément commis au sein d'un pays et, par la suite, une

19 demande est formulée afin que la personne concernée soit

20 extradée parce qu'il convient que l'accusé se voit condamné pour

21 ces crimes dans une juridiction autre que celle dans laquelle il

22 se trouve.

23 Et je sais que, par exemple, en Grande-Bretagne,

24 l'accusé se verrait accorder une déduction pour le temps qu'il a

25 déjà passé en détention préventive dans le cadre des crimes qui

Page 586

1 lui étaient reprochés et qui devaient faire l'objet d'un procès

2 dans les juridictions nationales de l'autre pays.

3 Pour ce qui est de l'Angleterre, je suis bien certain

4 qu'une déduction lui serait accordée.

5 Je crois que l'élément important ici c'est de savoir

6 pendant combien de temps le prisonnier a été privé de sa liberté

7 personnelle. Je ne suis pas tout à fait compétent pour savoir si

8 ce principe s'applique dans toutes les juridictions où

9 interviennent les principes qui sous-tendent la Convention

10 européenne des droits de l'homme, mais je crois que cela

11 s'appliquerait partout. Mais je ne sais pas si dans la salle il

12 y a des personnes qui seraient plus à même d'aborder ce sujet.

13 M. le Président (interprétation). - De toute façon, il

14 n'y a pas d'autres questions. Est-ce que nous en avons terminé

15 de cette question particulière ? Est-ce que nous en sommes venus

16 au terme de cet appel ? Est-ce que nous avons oublié certains

17 points de cet appel ?

18 Mme Hollis (interprétation). - Nous n'en voyons pas,

19 Monsieur le Président.

20 M. Clegg (interprétation). – Nous non plus.

21 M. le Président (interprétation). - La situation est la

22 suivante au nom de tous les juges de la Chambre d'appel, je

23 voudrais remercier l'accusation et la défense de l'aide

24 remarquable qu'ils nous ont apportée dans l'examen de ces

25 différentes questions. Nous allons nous retirer, délibérer et

Page 587

1 nous rendrons notre arrêt en temps utile.

2 Nous prononcerons ensuite cet arrêt dans le cadre d'une

3 audience dont la date sera précisée à un stade ultérieur. Ce que

4 je souhaite préciser c'est que cela ne risque pas de se produire

5 avant l'expiration des délais fixés ce matin, soit 7 jours plus

6 14 jours.

7 S'il arrivait que la Chambre d'appel arrive à se mettre

8 d'accord avec l'accusation dans le cadre de son appel de

9 l'acquittement, alors il y aura une procédure de détermination

10 de la sentence distincte.

11 Bien, je crois que nous en avons terminé de l'appel à

12 proprement parler.

13 J'ai été, je crois, informé du fait que

14 Maître Livingston avait une demande à formuler, demande relative

15 à un sujet très différent bien que lié à cet appel.

16 Nous allons peut-être passer en huis clos partiel afin

17 (expurgée)

18 (expurgée)

19 (expurgée)

20 (expurgée)

21 (expurgée)

22 (expurgée)

23 (expurgée)

24 (expurgée)

25 (expurgée)

Page 591

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13 pages 588-591 expurgées – audience à huis clos partiel

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25 L'audience est levée à 16 heures 45.