Le Procureur c/ Delalic et consorts - Affaire no IT-96-21-A

«Arret»

20 février 2001
Juges Hunt [Président], Riad, Nieto-Navia, Bennouna et Pocar

Droit international coutumier - Succession d’Etat automatique - Traités universels et multilatéraux en matière humanitaire - Conventions de Genève - Article 3 commun - Conflits internes et internationaux - Cumul des déclarations de culpabilité - Niveau de la preuve - Procureur - Pouvoir discrétionnaire - Limites et délais - Principe de l’égalité devant la loi - Charge de la preuve - Article 13 du Statut - Intention - Conditions essentielles.

1) La succession automatique des Etats aux traités humanitaires multilatéraux et universels fait maintenant partie intégrante du droit international ; les Conventions de Genève appartiennent à cette catégorie de traités.

2) L’article 3 commun des quatre Conventions de Genève, qui constitue un corpus minimal de règles contraignantes applicables aux conflits internes, s’est progressivement incorporé au droit coutumier. Les principes consacrés dans ce texte sont à ce point fondamentaux qu’on considère qu’ils régissent les conflits tant internes qu’internationaux.

3) Le cumul des déclarations de culpabilité sur la base de différentes dispositions du Statut n’est possible que si chacune des dispositions comporte un élément nettement distinct qui fait défaut dans l’autre, l’élément nettement distinct étant défini comme exigeant la preuve d’un fait que n’exigent pas les autres. Lorsque cette condition n’est pas remplie, la Chambre saisie doit décider quelle infraction retenir pour déclarer l’accusé coupable en se fondant sur la disposition la plus spécifique.

4) Le Procureur dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour ouvrir des informations et établir des actes d’accusation. Dans l’exercice de ce pouvoir, il doit respecter le principe d’égalité devant la loi et l’interdiction de toute discrimination dans l’application du droit, que ce soit à raison de la race, de la couleur, de la religion, de l’opinion, de l’origine ethnique ou de la nationalité. Le Procureur est présumé avoir exercé son pouvoir discrétionnaire comme il convient. Il appartient à l’accusé de combattre cette présomption en démontrant a) que la décision de le poursuivre ou de continuer les poursuites à son encontre était fondée sur des motifs inacceptables et b) que l’Accusation n’a pas engagé de poursuites contre des accusés placés dans une situation similaire à la sienne.

5) L’article 13 du Statut tend à garantir dans la mesure du possible que les conditions essentielles ne varient pas d’un juge à l’autre. Ces conditions essentielles sont la personnalité (englobant impartialité et intégrité), les qualifications juridiques (requises pour les plus hautes fonctions judiciaires) et l’expérience (en droit pénal et international, notamment en droit humanitaire et en matière de droits de l’homme).

Rappel de la procédure

● Le 21 mars 1996, le Bureau du Procureur a inculpé Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo de nombreux chefs d’infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 tombant sous le coup de l’article 2 du Statut et de violations des lois ou coutumes de la guerre sanctionnées par l’article 3 du Statut, et ce pour des actes dont ils se seraient rendus coupables en 1992 à l’encontre de prisonniers serbes de Bosnie dans un camp de détention situé près de la ville de Celebici, en Bosnie-Herzégovine centrale. Zejnil Delalic s’est vu explicitement reprocher d’avoir coordonné les activités des forces musulmanes et croates de Bosnie dans la région puis d’avoir commandé le 1er Groupe tactique de l’armée serbe. Il aurait eu à ce titre autorité sur le camp de détention de Celebici.

● Le 16 novembre 1998, la Chambre de première instance II quater, composée des Juges Karibi-Whyte (Président), Odio Benito et Jan, a rendu son jugement.

● La Chambre de première instance a acquitté Zejnil Delalic de tous les chefs d’accusation au motif qu’il n’avait pas suffisamment d’autorité sur le camp de détention de Celebici et ses gardiens pour être tenu pénalement responsable en tant que supérieur hiérarchique des crimes qu’ils y avaient commis.

● La Chambre de première instance a conclu que Zdravko Mucic était le commandant du camp de détention de Celebici et qu’à ce titre, il était coupable, en vertu du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique, des crimes commis par ses subordonnés, et notamment de meurtres, tortures et traitements inhumains. Il a également été reconnu personnellement responsable de détention illégale de civils. Il a été condamné à sept ans d’emprisonnement. La Chambre de première instance a jugé qu’Hazim Delic avait agi en tant que commandant en second du camp et l’a déclaré personnellement responsable de crimes tels que des meurtres, des tortures et des traitements inhumains. Il a été condamné à quinze ans d’emprisonnement.

● La Chambre de première instance a constaté qu’Esad Landzo était un gardien du camp de Celebici et l’a reconnu coupable d’infractions telles que des meurtres, des tortures et des traitements inhumains. Il a été condamné au total à quinze ans d’emprisonnement.

● Les trois coaccusés reconnus coupables ont fait appel du Jugement. L’Accusation a également déposé un acte d’appel contre le Jugement, y compris contre l’acquittement de Zejnil Delalic en faisant valoir différents moyens.

Article 2 du Statut

Les appelants déclarés coupables ont soulevé trois questions concernant les conditions juridiques d’application de l’article 2 du Statut.1

La jurisprudence du Tribunal a établi que l’Accusation est tenue de prouver l’existence d’un conflit armé international pour toute infraction retenue sur la base de cet article. La Chambre de première instance a conclu «à l’internationalité du conflit armé qui s’est déroulé en Bosnie-Herzégovine après le 19 mai 1992»,2 parce que les forces armées des Serbes de Bosnie engagées en Bosnie-Herzégovine agissaient sous le contrôle de la République fédérale de Yougoslavie. La Chambre d’appel a réaffirmé la position qu’elle avait adoptée le 26 janvier 2000 dans l’Arrêt Tadic.3 Celui-ci a été suivi le 24 mars 2000 de l’Arrêt Aleksovski,4 d’où il ressort que l’Accusation doit démontrer que la partie intervenante étrangère avait le «contrôle global» des forces locales.5

La Chambre d’appel a répété qu’elle suivrait le ratio decidendi6 de ses décisions antérieures à moins que, «dans l’intérêt de la justice, des raisons impérieuses ne commandent de s’[en] écarter».7 Elle a estimé qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter de l’Arrêt Tadic (supra) pour ce qui est du critère de contrôle applicable à cet effet. Elle a avancé d’autres raisons pour justifier son interprétation et estimé que la constatation faite par la Chambre de première instance sur ce point respectait le critère de contrôle global énoncé.

Les appelants ont également contesté la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle, aux fins de l’article 2 du Statut, les victimes étaient des personnes protégées par les Conventions de Genève. Dans l’arrêt Aleksovski précité, la Chambre d’appel avait jugé qu’il était possible d’«accorder le statut de personne protégée à un individu même s’il [était] de la même nationalité que ceux qui le détiennent»,8 conclusion à laquelle elle était déjà parvenue dans l’arrêt Tadic précité.9 La Chambre d’appel n’a vu «aucune raison impérieuse de s’écarter, dans l’intérêt de la justice»,10 de cette interprétation et a confirmé que «[d]ès lors qu’il s’agit d’appliquer la IVe Convention de Genève, la nationalité des victimes ne doit pas être déterminée sur la base de qualifications nationales formelles».11 La Chambre d’appel a défini «la question qui intéresse le droit humanitaire» comme étant «celle de savoir si les civils détenus au camp de Celebici étaient des personnes protégées aux termes de la IVe Convention de Genève». Selon elle, la définition de la nationalité doit tenir compte de l’origine ethnique des victimes et des auteurs des crimes ainsi que de leurs liens avec une Puissance étrangère intervenant dans le conflit. La Chambre d’appel a estimé que les conclusions de la Chambre de première instance étaient conformes à l’interprétation donnée dans l’arrêt Tadic et a conclu que «pour appliquer l’article 2 du Statut en l’espèce, il [fallait] considérer que les Serbes de Bosnie détenus au camp de Celebici étaient au pouvoir d’une partie au conflit, la Bosnie-Herzégovine, dont ils n’étaient pas ressortissants».12

Hazim Delic a également contesté la compétence du Tribunal pour poursuivre les auteurs d’infractions graves aux Conventions de Genève. Sur le fondement du principe de légalité ou nullum crimen sine lege, il a fait valoir que la Bosnie-Herzégovine n’était pas à l’époque des faits partie aux Conventions de Genève et n’y avait adhéré qu’ultérieurement. La Chambre d’appel a jugé que la Bosnie-Herzégovine avait, en fait, succédé aux Conventions de Genève. On a considéré dès lors que la Bosnie-Herzégovine était devenue partie au traité à la date de sa succession ou de son accession à l’indépendance, soit avant les faits. La Chambre d’appel a également déclaré que dans leur argumentation, les appelants «sembl[aient] confondre les concepts d’ “adhésion” et de “succession”»13 et a ensuite exprimé l’idée que, que l’on tienne compte ou non des conclusions tirées quant à la succession formelle, «la Bosnie-Herzégovine aurait de toute façon succédé aux Conventions de Genève en application du droit coutumier puisque la succession à ce type de convention est automatique, c’est-à-dire qu’elle se fait sans que l’Etat successeur ait besoin de confirmer dans les formes son adhésion. On peut à présent considérer, en droit international, que les Etats succèdent automatiquement aux traités humanitaires et multilatéraux au sens large du terme, c’est-à-dire à tous les traités à caractère universel relatifs aux droit fondamentaux de la personne ».14 La Chambre d’appel a conclu : «il est incontestable que les Conventions de Genève entrent dans cette catégorie des traités universels et multilatéraux qui consacrent des règles acceptées et reconnues par la communauté internationale dans son ensemble. La quasi-totalité des Etats sont parties à ces conventions»,15 puisque seuls deux Etats membres des Nations Unies, Marshall et Nauru, n’y sont pas parties. Enfin, la Chambre d’appel a évoqué le Rapport du Secrétaire général publié à la création du Tribunal, lequel cite les Conventions de Genève parmi les instruments du droit international humanitaire «qui font partie sans aucun doute possible du droit coutumier, de manière que le problème résultant du fait que certains Etats, mais non la totalité d’entre eux, adhèrent à des conventions spécifiques ne se pose pas».16

L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève et l’article 3 du Statut

Les appelants ont également contesté la compétence du Tribunal pour poursuivre les auteurs de violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève en vertu de l’article 3 du Statut.17 La Chambre d’appel a rappelé la position qu’elle avait adoptée dans son arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence dans l’affaire Tadic,18 où elle a jugé 1) que les violations des lois ou coutumes de la guerre susceptibles de tomber sous le coup de l’article 3 du Statut englobent les violations de l’article 3 commun, 2) que ces violations engagent la responsabilité pénale individuelle et 3) qu’elles peuvent faire l’objet de poursuites, qu’elles aient été commises dans des conflits internes ou internationaux. La Chambre d’appel n’a relevé «aucune raison impérieuse de s’écarter de ses conclusions antérieures».19 Elle a aussi déclaré que l’article 3 commun, «qui constitue le minimum de règles impératives applicables aux conflits internes, [s’est] progressivement intégré[...] au droit coutumier».20 Ces principes «sont tellement fondamentaux qu’on considère qu’ils régissent les conflits tant internes qu’internationaux».21

Responsabilité du supérieur hiérarchique

La Chambre de première instance avait déclaré Zdravko Mucic coupable, en vertu de l’article 7 1) du Statut,22 de crimes commis au camp de détention de Celebici, sur lequel il avait, en tant que commandant, autorité. Zdravko Mucic a soutenu que la responsabilité du supérieur hiérarchique se limite aux supérieurs de jure, ou aux supérieurs exerçant sur leurs subordonnés le même type de contrôle que des supérieurs de jure. La Chambre d’appel a rejeté cet argument et estimé qu’une autorité de facto peut suffire à établir le rapport hiérarchique nécessaire dès lors que le degré de contrôle nécessaire sur les subordonnés a été établi. C’est le cas s’il est établi que le supérieur exerçait un contrôle effectif sur les personnes responsables des violations sous-jacentes du droit international humanitaire, c’est-à-dire s’il était en mesure de les empêcher de commettre ces violations ou de les en punir après coup.

Zdravko Mucic a également fait valoir que les éléments de preuve présentés n’établissaient pas qu’il était un commandant de facto. La Chambre d’appel a estimé qu’au vu des éléments de preuve présentés à la Chambre de première instance, un juge du fait raisonnable pouvait conclure que Zdravko Mucic exerçait des pouvoirs de contrôle suffisants pour constituer une autorité de fait sur le camp de détention de Celebici et qu’il n’y avait pas lieu de réexaminer les constatations de la Chambre de première instance.

L’Accusation a interjeté appel contre l’interprétation que la Chambre de première instance avait donnée de l’article 7 3) du Statut, lequel exige que le supérieur hiérarchique «[sache] ou [ait] des raisons de savoir» qu’un subordonné s’apprêtait à commettre des crimes ou l’avait fait. La Chambre d’appel a confirmé l’interprétation donnée par la Chambre de première instance de la norme «avait des raisons de savoir » énoncée à l’article 7 3) du Statut. Il en résulte qu’«un supérieur ne peut être tenu pour pénalement responsable que s’il avait à sa disposition des informations de caractère général l’avertissant des infractions commises par ses subordonnés».23

L’Accusation a par ailleurs soutenu que la capacité d’un accusé d’exercer des formes d’influence devrait suffire à établir la relation de subordination nécessaire. La Chambre d’appel a conclu que, même si des liens de subordination tant indirects que directs peuvent suffire, l’existence d’un contrôle effectif sur les subordonnés doit cependant être établie. Elle a également jugé que toute forme d’influence qui ne constitue pas un tel contrôle ne suffit pas. La Chambre d’appel a estimé qu’au vu des éléments de preuve présentés devant la Chambre de première instance, un juge du fait raisonnable pouvait acquitter Zejnil Delalic au motif qu’il n’était pas, au camp de détention de Celebici, un supérieur qui avait autorité sur les personnes qui y travaillaient.

Détention illégale de civils

Tant Zdravko Mucic que l’Accusation ont soulevé des moyens d’appel concernant les chefs de détention illégale de civils. Zdravko Mucic a contesté la déclaration de culpabilité prononcée contre lui pour cette infraction et l’Accusation a contesté l’acquittement dont avaient bénéficié Zejnil Delalic et Hazim Delic pour ces infractions.

La Chambre de première instance a conclu que l’infraction de détention illégale de civils est constituée :

- lorsque des civils sont détenus contre leur volonté en violation de l’article 42 de la IVe Convention de Genève, qui prévoit que les civils ne peuvent être détenus que s’il existe des raisons sérieuses de penser que la sécurité de la Puissance détentrice le rend absolument nécessaire, et

- lorsque des civils sont détenus en violation de l’article 43 de la Convention de Genève qui prévoit que leur détention doit être examinée par un tribunal ou un collège administratif compétent.

La Chambre d’appel a confirmé la définition de l’infraction donnée par la Chambre de première instance et admis qu’au vu des éléments de preuve présentés en première instance, un juge du fait raisonnable pouvait conclure que les prisonniers du camp de Celebici étaient détenus illégalement.

La Chambre d’appel a également confirmé que l’Accusation n’était pas tenue d’établir qu’une personne devait être en position d’autorité pour être jugée directement responsable de cette infraction aux termes de l’article 7 1) du Statut, et qu’un gardien de prison qui n’avait pas le pouvoir de libérer des prisonniers n’était pas coupable de cette infraction pour la simple raison qu’il n’avait pas pris l’initiative de les libérer sans autorisation.

La Chambre d’appel a rejeté l’appel de l’Accusation contre l’acquittement prononcé en faveur de Zejnil Delalic pour ce chef, au motif que celle-ci n’avait fait état d’aucune preuve soumise à la Chambre de première instance au vu de laquelle «on ne pouvait raisonnablement que conclure que Delalic était coupable de ce chef».24 De même, elle a estimé que l’Accusation n’avait pas établi que la Chambre de première instance avait été «déraisonnable en concluant que [Hazim] Delic n’était pas coupable de séquestration aux termes de l’article 7 1) du Statut».25 S’agissant du recours introduit par Zdravko Mucic contre la déclaration de culpabilité prononcée à son encontre pour ce chef, la Chambre d’appel a jugé qu’au vu des éléments de preuve présentés en première instance, un juge du fait raisonnable pouvait conclure qu’il avait le pouvoir de libérer les prisonniers, qu’il n’avait pas libéré ces civils qu’il savait en détention illégale parce que leur détention n’avait pas été dûment examinée, et qu’il est par conséquent coupable de cette infraction.

Cumul des déclarations de culpabilité

Hazim Delic et Zdravko Mucic ont contesté leurs déclarations de culpabilité fondées sur les mêmes faits. Ils étaient accusés d’infractions graves aux Conventions de Genève aux termes de l’article 2 du Statut et de violations des lois ou coutumes de la guerres aux termes de l’article 3 du Statut. C’était la première fois que la Chambre d’appel était saisie expressément de la question du cumul des déclarations de culpabilité.

La Chambre d’appel a jugé à la majorité que «l’équité envers l’accusé et le fait que seuls des crimes distincts peuvent justifier un cumul de déclarations de culpabilité » l’amenaient à conclure «qu’un tel cumul n’est possible, à raison d’un même fait et sur la base de différentes dispositions du Statut, que si chacune des dispositions comporte un élément nettement distinct qui fait défaut dans l’autre».26 Elle a défini l’élément nettement distinct comme «exige[ant] la preuve d’un fait que n’exigent pas les autres».27

«Lorsque ce critère n’est pas rempli, la Chambre doit décider de quelle infraction elle déclarera l’accusé coupable… en partant du principe qu’elle doit se fonder sur la disposition la plus spécifique. Ainsi, si un ensemble de faits est régi par deux dispositions dont l’une comporte un élément supplémentaire nettement distinct, la Chambre se fondera uniquement sur cette dernière disposition pour déclarer l’accusé coupable».28

Lorsque, comme en l’espèce, les éléments de preuve établissent la culpabilité d’un accusé à raison des mêmes faits au regard des articles 2 et 3 du Statut, la déclaration de culpabilité doit être prononcée en vertu de l’article 2, puisque «l’article 2 du Statut est plus spécifique que l’article 3 commun».29

Le recours de Hazim Delic et Zdravko Mucic a donc été accueilli et les accusations portées contre eux en vertu de l’article 3 du Statut ont été rejetées. Puisque Esad Landzo avait aussi été cumulativement reconnu coupable en vertu des articles 2 et 3 du Statut, les accusations portées contre lui en vertu de l’article 3 ont été rejetées, «bien qu’il n’ait pas soulevé cette question en appel».30

Etant donné que les peines des trois accusés reconnus coupables auraient pu être différentes si la Chambre de première instance n’avait pas prononcé des déclarations de culpabilité cumulatives, la Chambre d’appel a renvoyé la question de la révision des peines devant une nouvelle Chambre de première instance à désigner par le Président du Tribunal, «cette question relevant du pouvoir d’appréciation de la Chambre de première instance».31

Hazim Delic - questions de fait

Hazim Delic a contesté les déclarations de culpabilité prononcées contre lui pour 10 chefs d’accusation couvrant cinq incidents distincts, au motif que la Chambre de première instance avait commis des erreurs de fait.

S’agissant du meurtre de Scepo Gotovac, l’un des prisonniers du camp de Celebici, la Chambre d’appel a défini le faisceau de présomptions comme «un certain nombre d’indices qui, pris ensemble, porteraient à conclure à la culpabilité de l’accusé, parce qu’ils ne sont habituellement réunis que lorsque ce dernier a fait ce qui lui est reproché…. Pareille conclusion doit être établie au-delà de tout doute raisonnable. Il ne suffit pas que les moyens de preuve permettent raisonnablement de conclure ainsi. Cette conclusion doit être la seule raisonnable possible. Si une autre conclusion peut être raisonnablement tirée des éléments de preuve et qu’elle n’exclut pas l’innocence de l’accusé, celui-ci doit être acquitté».32 Au vu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Chambre d’appel a décidé que la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Hazim Delic avait pris part aux sévices qui avaient entraîné la mort de Scepo Gotovac n’était pas raisonnable. Les déclarations de culpabilité relatives à cet incident ont été annulées et l’acquittement a été prononcé. S’agissant des quatre autres incidents, la Chambre d’appel a souligné qu’une «Chambre de première instance n’est pas tenue d’exposer dans son jugement chaque étape du raisonnement qu’elle a suivi pour parvenir à des conclusions particulières»33 et a conclu qu’au vu des éléments de preuve présentés en première instance, un juge du fait raisonnable pouvait reconnaître Hazim Delic coupable des infractions qui lui sont reprochées.

Les interrogatoires de Mucic par l’Accusation

Zdravko Mucic a contesté le versement au dossier des interrogatoires effectués par des enquêteurs du Bureau du Procureur après son arrestation. Il a fait valoir que la Chambre de première instance aurait dû conclure qu’il n’avait pas renoncé de plein gré à son droit d’être assisté par un conseil, droit consacré par le Statut et le Règlement de procédure et de preuve, et qu’elle aurait dû par conséquent rejeter les pièces concernées. Il a également soutenu que la Chambre de première instance avait refusé à tort de citer à comparaître l’interprète qui avait participé aux interrogatoires, afin qu’il rapporte les propos échangés entre les enquêteurs et Mucic avant les interrogatoires, propos qui auraient pu entraîner de la part de ce dernier un désistement.

La Chambre d’appel n’est pas convaincue que la preuve ait été faite que le refus de la Chambre de première instance de citer l’interprète à comparaître constituait une erreur. Elle a déclaré qu’une procédure de «voir dire»34 pouvait s’avérer utile dans des cas appropriés afin de trancher des questions de fait touchant à l’admissibilité d’éléments de preuve tels que ceux-ci, mais que la Chambre de première instance n’avait commis aucune erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en n’adoptant pas cette procédure en l’absence d’indication claire que l’accusé témoignerait sur ces questions.

La Chambre d’appel a estimé qu’au vu des éléments de preuve présentés en première instance, un juge du fait raisonnable pouvait conclure que Zdravko Mucic avait exprimé le souhait d’être interrogé en l’absence d’un conseil et que les juges du fond n’avaient par conséquent pas commis d’erreur dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en permettant de ce fait le versement au dossier desdits éléments de preuve.

Altération du discernement

Avant le procès, Esad Landzo avait prévenu qu’en application du Règlement de procédure et de preuve, il exciperait de l’altération de son discernement. Il a soutenu que ce moyen de défense l’exonérait de toute responsabilité pour les crimes qui lui étaient reprochés et conduirait à l’acquittement. Esad Landzo a soutenu que la Chambre de première instance avait commis une erreur de droit en refusant de définir ce «moyen de défense spécial» avant toute communication des éléments de preuve y afférents. La Chambre d’appel a déclaré qu’une Chambre de première instance n’était pas tenue de définir de telles questions à l’avance et qu’en tout état de cause, aucun préjudice résultant de ce refus n’avait été démontré. Esad Landzo a également contesté le rejet du «moyen de défense spécial» comme faisant «fi de la valeur probante des moyens de preuve».

La Chambre d’appel a fait la distinction entre un alibi et «la question du défaut de discernement» qui, «s’il est admis, constitue une cause exonératoire de responsabilité et conduit à l’acquittement». Les juges ont fait référence à l’article 15 du Statut,35 à l’article 67 A) ii) du Règlement 36 et à l’arrêt rendu le 31 janvier [2001] dans l’affaire Tadic à propos des accusations d’outrage portées à l’encontre du précédent conseil, Milan Vujin.37 La Chambre d’appel a soutenu que les juges n’étaient «pas compétents pour adopter des règles créant de nouveaux moyens de défense».38 Elle a également estimé que l’altération du discernement de l’accusé était à prendre en compte dans la sentence mais ne constituait pas aux termes du Statut un moyen de défense contre les chefs d’accusation retenus. La Chambre d’appel a interprété l’article 67 A) ii) b) «comme faisant de l’altération du discernement, lorsqu’elle est invoquée par l’accusé, une circonstance atténuante. Etant donné que c’est à l’accusé d’établir les circonstances atténuantes, il doit, lorsqu’il invoque l’altération du discernement au moment des faits, en rapporter la preuve sur la base de l’hypothèse la plus probable».39 La Chambre d’appel a également considéré qu’en tout état de cause, un juge du fait raisonnable pouvait rejeter les éléments de preuve présentés en première instance par Ezad Landzo concernant sa santé mentale et invoqués par les psychiatres durant leur déposition, et donc, comme l’avait fait la Chambre de première instance, rejeter l’opinion de ceux- ci selon laquelle il souffrait d’une altération du discernement.

Poursuites discriminatoires

Esad Landzo a contesté sa déclaration de culpabilité au motif qu’il était victime de poursuites discriminatoires.

En 1998, le Bureau du Procureur a retiré les actes d’accusation dressés contre plusieurs accusés non gradés en raison d’un changement dans sa politique des poursuites. Esad Landzo a prétendu que les poursuites engagées contre lui étaient discriminatoires parce qu’il était un jeune gardien de camp musulman alors que ceux dont les actes d’accusation avaient été retirés étaient tous des non-Musulmans d’origine serbe. Il a soutenu qu’il était poursuivi en tant que «représentant» des Musulmans de Bosnie.

La Chambre d’appel a considéré que le Procureur «[disposait] d’un large pouvoir d’appréciation pour ouvrir des informations et établir des actes d’accusation»,40 pouvoir reconnu par l’article 18 1) du Statut.41 Ce pouvoir d’appréciation est toutefois limité par «un principe de droit international solidement établi, celui de l’égalité devant la loi, lequel exclut toute discrimination dans l’application de la loi [...] fondée sur des raisons inacceptables comme, par exemple, la race, la couleur, la religion, l’opinion, l’origine ethnique ou la nationalité ».42 La Chambre d’appel a également déclaré que «[l]’étendue du pouvoir d’appréciation du Procureur, ainsi que son indépendance statutaire, créent la présomption qu’il a exercé comme il convient les fonctions que le Statut lui assigne en matière de poursuites. Un appelant peut combattre cette présomption en établissant que le pouvoir discrétionnaire n’a en fait pas été exercé en conformité avec le Statut».43 La charge de la preuve pèse donc sur l’accusé, qui doit démontrer 1) «que la décision de le poursuivre ou de continuer les poursuites à son encontre était fondée sur des motifs inacceptables» et 2) «que l’Accusation n’a pas engagé de poursuites contre des accusés placés dans une situation similaire à la sienne».44

En l’espèce, la Chambre d’appel a considéré qu’Esad Landzo n’avait pu produire aucun élément de preuve établissant un abus du pouvoir discrétionnaire et n’avait donc pas prouvé qu’il faisait «l’objet de poursuites discriminatoires».45

Le Juge Karibi-Whyte

Esad Landzo a contesté l’équité de son procès au motif que le Juge Karibi-Whyte, Président de la Chambre de première instance, était «assoupi pendant une bonne partie du procès».46 A un stade tardif de la procédure en appel, Hasim Delic et Zdravko Mucic ont repris à leur compte ce moyen d’appel mais ils ont laissé à Esad Landzo le soin de développer l’argumentation. Les parties ont retenu comme principe que, s’il était établi qu’un juge avait dormi pendant une partie du procès ou que, de toute autre manière, il ne faisait pas preuve d’une attention sans faille, et si ce comportement causait un préjudice réel à une partie, l’équité du procès pouvait s’en trouver à ce point affectée qu’elle ouvrait le droit à un nouveau procès ou à quelque autre juste réparation.

Esad Landzo et l’Accusation ont sélectionné, parmi les enregistrements audiovisuels des caméras de l’audience généralement braquées sur les juges, les extraits sur lesquels ils fondaient ce moyen d’appel ou ils s’appuyaient pour s’y opposer.

La Chambre d’appel a estimé que les appelants n’avaient manifestement pas apporté la preuve que le Juge Karibi-Whyte était «assoupi pendant une bonne partie du procès » mais que les extraits sur lesquels se fondait Esad Landzo témoignaient cependant chez le juge d’une tendance récurrente à de brèves absences. Ces absences duraient généralement entre cinq et dix secondes, parfois trente secondes, mais elles ont duré plusieurs fois de dix à quinze minutes. Une seule fois, le juge a semblé être assoupi pendant environ trente minutes. La Chambre d’appel a étudié la question de savoir si, alors même qu’ils n’avaient pas établi les faits sur lesquels ils fondaient leurs moyens d’appel, les appelants avaient une raison valable de se plaindre du manque d’équité de leur procès.

La Chambre d’appel a affirmé avec force que le comportement du Juge Karibi-Whyte n’était pas acceptable de la part d’un juge. Elle a également fait remarquer que lorsqu’un juge souffre de troubles qui l’empêchent de se concentrer pleinement lors du procès, il est de son devoir de se faire soigner et, si cela ne suffit pas, de se retirer de l’affaire. Cependant, pour qu’un jugement soit annulé sur cette base, il doit être établi que le requérant «a subi un préjudice identifiable».47 L’absence de protestations du Conseil durant le procès contre le comportement en cause est à prendre en considération pour savoir si un préjudice a été établi. L’obligation qui est faite de soulever le problème pendant le procès n’est pas une simple application d’une doctrine formelle du désistement, mais la condition d’une juste réparation.

La Chambre d’appel n’a pas considéré qu’un «préjudice réel» avait été subi par Esad Landzo ou les autres appelants. En l’«absence d’un préjudice réel», elle a rejeté ce moyen d’appel.

Le Juge Odio Benito

Au cours du procès, le Juge Odio Benito a été élue Deuxième Vice-Présidente du Costa Rica et prêté le serment d’investiture. Les trois coaccusés condamnés ont fait valoir qu’elle avait ainsi cessé de répondre aux conditions posées pour être juge du Tribunal et prétendu que, n’étant plus indépendante, elle aurait dû de ce fait se déporter.

La Chambre d’appel a considéré que «toute interprétation de l’article 1348 doit tenir compte de la restriction introduite par l’article 12 du Statut,49 à savoir que les juges doivent être des ressortissants d’Etats différents».50 Elle a considéré que l’article 13 du Statut tendait à «garantir, dans la mesure du possible, que les conditions essentielles ne varient pas d’un juge à l’autre. Ces conditions essentielles sont la personnalité (englobant impartialité et intégrité), les qualifications juridiques (requises pour les plus hautes fonctions judiciaires) et l’expérience (en droit pénal et international, notamment en droit humanitaire et en matière de droits de l’homme)».51 La Chambre d’appel a rejeté l’argument selon lequel, devenue Vice-Présidente du Costa Rica, le Juge Odio Benito ne pouvait plus, aux termes de la Constitution, être élue magistrat à la Cour suprême.

La Chambre d’appel a également rejeté l’argument selon lequel le Juge Odio Benito aurait dû se déporter «au motif qu’elle n’avait plus l’indépendance judiciaire qu’exige le droit international».52 La Chambre d’appel a fait référence au critère énoncé dans son Arrêt Furundzija du 21 juillet 2000.53 Elle n’a pas accepté l’argument selon lequel le Juge «aurait exercé quelque fonction exécutive que ce soit au Costa Rica pendant qu’elle était juge au Tribunal».54 La Chambre d’appel a considéré que les appelants n’avaient pu établir qu’un observateur hypothétique (ayant une connaissance suffisante des circonstances pour porter un jugement raisonnable) conclurait «qu’elle aurait pu ne pas considérer sans parti pris ni idées préconçues les questions qui se posent» en l’espèce.55

Les trois coaccusés condamnés ont également soutenu que le Juge Odio Benito était automatiquement empêchée en tant que juge du Tribunal puisque, au moment du procès, elle était membre du Conseil d’administration du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture. Ils ont fait valoir que, dans la mesure où l’acte d’accusation faisait état de tortures, il y avait toutes les apparences d’un parti pris envers les accusés ainsi mis en cause.

La Chambre d’Appel s’est à nouveau référée à son Arrêt Furundzija du 21 juillet 2000. Elle a soutenu que le même observateur hypothétique serait conscient du fait que ce fonds n’avait d’autre activité que de collecter des fonds pour venir en aide aux victimes de tortures - en recevant et en redistribuant des dons pour leur apporter une assistance humanitaire, juridique et financière - et n’attendrait pas des juges qu’ils soient moralement neutres vis-à-vis de la torture. Cet observateur attendrait des juges qu’ils estiment que les individus responsables d’actes de torture doivent être poursuivies, mais pas qu’ils soient «prévenu[s] contre une personne accusée de torture».56

La sentence

Toutes les parties, à l’exception de Zejnil Delalic, ont invoqué des moyens d’appel touchant à la sentence. L’Accusation a contesté la peine de sept ans d’emprisonnement infligée à Zdravko Mucic, après confusion des peines, comme étant «manifestement insuffisante». Zdravko Mucic a soutenu que sa peine était trop lourde.

La Chambre d’appel a d’abord examiné plusieurs questions d’ordre général et rappelé que tant l’article 24 du Statut57 que l’article 101 du Règlement58 contiennent des directives générales qui imposent en fait à la Chambre de première instance de prendre en considération les circonstances aggravantes et atténuantes lorsqu’elle fixe la peine. La Chambre d’appel a admis que les Chambres de première instance ont un pouvoir d’appréciation très large pour fixer la peine, laquelle dépend en grande partie des circonstances propres à l’affaire et de la situation personnelle de la personne reconnue coupable. Elle a donc conclu «qu’il ne serait pas approprié de sa part de tenter d’établir une liste exhaustive des éléments qui, selon elle, devraient être pris en compte par une Chambre de première instance pour déterminer la peine».59

La Chambre d’appel a confirmé «qu’elle accepte le principe selon lequel la gravité de l’infraction est l’élément principal à prendre en compte dans la sentence».60 Elle a estimé que la Chambre de première instance n’avait pas suffisamment tenu compte, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation qui lui était reconnu en matière de peine, de la gravité des crimes commis par Zdravko Mucic et que, à plusieurs égards, elle avait négligé certaines circonstances aggravantes ou ne leur avait pas accordé suffisamment de poids. Selon elle, la «peine [...] infligée à ce dernier ne rend pas pleinement compte de l’ensemble de son comportement criminel».61 La Chambre d’appel a souligné que «[l]a cohérence dans la sanction constitue l’un des fondements de tout système rationnel et équitable de justice pénale»62 et qu’«une personne convaincue de nombreux crimes devrait en règle générale être condamnée plus lourdement qu’une personne reconnue coupable d’un seul de ces crimes ».63 Elle a rejeté le grief de l’Accusation selon lequel la Chambre de première instance avait eu le tort de ne pas prendre en considération des infractions qui n’avaient pas été explicitement relevées dans l’acte d’accusation et pour lesquelles l’Accusation n’avait pas demandé à la Chambre de première instance de conclusions spécifiques. La Chambre d’appel a accueilli un grief de Zdravko Mucic, estimant que la Chambre de première instance avait à tort retenu contre lui, en fixant sa peine, son refus de témoigner. Elle a rejeté ses autres griefs.

La Chambre d’appel a indiqué qu’en tenant compte des différents éléments à prendre en considération concernant la gravité des crimes de Mucic, des circonstances aggravantes et atténuantes retenues par la Chambre de première instance et de la double condamnation de Mucic à raison du même comportement (double jeopardy), elle aurait prononcé contre lui «une peine plus lourde, soit une dizaine d’années de réclusion au total ».64 La Chambre de première instance peut tenir compte de cette indication pour fixer la peine.

Hazim Delic a contesté sa peine au motif que la Chambre de première instance avait contrevenu au principe de la légalité en lui infligeant des peines plus lourdes que celles permises à l’époque des faits par la grille générale des peines de l’ex -Yougoslavie. La Chambre d’appel a rejeté ce recours. Elle a également déclaré que, si les Chambres de première instance devaient, comme le prévoit l’article 24 1 ) du Statut, avoir recours à la grille générale des peines des tribunaux de l’ex-Yougoslavie, elles n’étaient pas liées par celle-ci.65 La Chambre d’appel a également conclu que les peines prononcées s’inscrivaient dans les limites du pouvoir d’appréciation de la Chambre de première instance.

Esad Landzo a contesté sa peine en arguant de sa sévérité excessive par rapport à celles infligées à d’autres personnes précédemment condamnées par le Tribunal. La Chambre d’appel a rejeté ses comparaisons et estimé en conséquence «que la peine prononcée s’inscrivait sans conteste dans les limites du pouvoir d’appréciation de la Chambre de première instance».66 Elle a également conclu que la Chambre de première instance avait suffisamment tenu compte des circonstances atténuantes, notamment de sa reddition volontaire et de la reconnaissance de sa culpabilité.

L'Arrêt

La Chambre d’appel a confirmé l’acquittement de Zejnil Delalic, accueilli le moyen d’appel de Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo touchant au cumul des déclarations de culpabilité, les acquittant de tous les chefs de violations des lois ou coutumes de la guerre, et renvoyé devant une Chambre de première instance la question de la révision éventuelle des peines pour tenir compte du rejet de ces chefs d’accusation.

Opinion individuelle et dissidente des Juges David Hunt et Mohamed Bennouna

Les Juges Hunt et Bennouna ont souscrit à l’opinion de la majorité selon laquelle le cumul des déclarations de culpabilité ne devrait être acceptable que lorsque chaque infraction présente un élément nettement distinct que ne requiert pas l’autre. Toutefois, ils ont proposé l’application de critères différents pour déterminer si deux infractions sont juridiquement distinctes et, lorsque le cumul n’est pas possible, laquelle des infractions il y a lieu de retenir pour déclarer l’accusé coupable.

Les Juges ont souligné qu’«il faut avant tout éviter qu’un accusé ne soit sanctionné plusieurs fois à raison du même comportement. L’application de ce critère vise donc à déterminer si le comportement de l’accusé constitue réellement plusieurs crimes».67 Le critère devrait être axé «sur les éléments de fond qui ont trait au comportement de l’accusé, y compris à ses intentions».68 Les Juges Hunt et Bennouna ont rappelé que la «fonction fondamentale du droit pénal est de sanctionner l’accusé pour son comportement criminel, et seulement pour ce comportement »69 et considéré qu’un critère «doit être appliqué à la seule fin de déterminer si dans telle affaire, on peut légitimement qualifier le comportement criminel d’un accusé comme constitutif de plusieurs crimes».70 L’application de ce critère ferait que «seuls les éléments ayant un rapport avec le comportement et les intentions de l’accusé seraient pris en compte».71 Les Juges ont souligné que «[p]our obtenir le résultat le plus rationnel et le plus juste, il convient de prononcer une seule déclaration de culpabilité, assortie d’une peine»72 tenant compte de la gravité du crime en question.

Les Juges ont souligné qu’ils convenaient avec la majorité «que lorsqu’un choix s’impose entre différentes qualifications, il doit se faire sur la base du critère de spécialité, mais en ce sens seulement qu’il convient de choisir la qualification qui décrit le plus précisément ce que l’accusé a effectivement fait dans les circonstances de l’espèce. [...] [I]l faut prendre en compte l’ensemble des circonstances d’une affaire donnée et des éléments de preuve relatifs aux crimes reprochés, de manière à décrire, le plus précisément possible, l’infraction que l’accusé a commise, et à faire coïncider le mieux possible, le comportement de l’accusé et la disposition enfreinte. Il est nécessaire pour cela de prendre en compte tous les éléments constitutifs des crimes, pour déterminer si l’une des qualifications décrit mieux ou plus précisément ce que l’accusé a fait».73 Les Juges ont précisé que «c’est souvent un élément constitutif ayant trait au comportement ou aux intentions de l’accusé qui permet de choisir la qualification qui décrit au mieux ce comportement».74 Le résultat rejoindrait alors la finalité de la procédure pénale, qui est de «constater et [de] sanctionner par la déclaration de culpabilité la plus appropriée le comportement criminel de l’accusé».75 «[L]e but est de déterminer, par un examen des circonstances de l’espèce et des éléments de preuve concernant les crimes reprochés, laquelle des qualifications décrit le plus exactement les agissements de l’accusé».76

L’application de ces critères aurait eu dans certains cas des conséquences différentes au niveau de la peine.

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1. Article 2 (Infractions graves aux conventions de Genève de 1949) Le Tribunal international est habilité à poursuivre les personnes qui commettent ou donnent l’ordre de commettre des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir les actes suivants dirigés contre des personnes ou des biens protégés aux termes des dispositions de la Convention de Genève pertinente :
a) l’homicide intentionnel ;
b) la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ;
c) le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé ;
d) la destruction et l’appropriation de biens non justifiés par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ;
e) le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou un civil à servir dans les forces armées de la puissance ennemie ;
f) le fait de priver un prisonnier de guerre ou un civil de son droit d’être jugé régulièrement et impartialement ;
g) l’expulsion ou le transfert illégal d’un civil ou sa détention illégale ;
h) la prise de civils en otages.
2. Par. 50.
3. Tadic, IT-94-1-A, Arrêt, 15 juillet 1999, Supplément Judiciaire nº 6.
4. Aleksovski, IT-95-14/1-A, Arrêt, 24 mars 2000, Supplément Judiciaire nº 14.
5. Ibid, par. 145.
6. La ratio decidendi, ou raison décisive, est le principe de droit ou le motif sur lequel un tribunal fonde sa décision.
7. Aleksovski, IT-95-14/1-A, Arrêt, 24 mars 2000, par. 107 et 108.
8. Ibid, par. 151.
9. Tadic, IT-95-14-1-A, Arrêt, 15 juillet 1999, par. 163 à 171.
10. Par. 84.
11. Idem.
12. Par. 106.
13. Par. 110.
14. Par. 111.
15. Par. 112.
16. Rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité, S/25704, 3 mai 1993, p. 9, par. 34.
17. Article 3 (Violation des lois ou coutumes de guerre) Le Tribunal international est compétent pour poursuivre les personnes qui commettent des violations des lois ou coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées :
a) l’emploi d’armes toxiques ou d’autres armes conçues pour causer des souffrances inutiles ;
b) la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ;
c) l’attaque ou le bombardement, par quelque moyen que ce soit, de villes, villages, habitations ou bâtiments non défendus ;
d) la saisie, la destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, à la bienfaisance et à l’enseignement, aux arts et aux sciences, à des monuments historiques, à des œuvres d’art et à des œuvres de caractère scientifique ;
e) le pillage de biens publics ou privés.
18. Tadic, IT-94-1-AR72, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2 octobre 1995.
19. Par. 150.
20. Par. 140.
21. Par. 143.
22. Article 7 (Responsabilité pénale individuelle)
1. Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à 5 du présent statut est individuellement responsable dudit crime.
23. Par. 241.
24. Par. 360.
25. Par. 369.
26. Par. 412.
27. Idem.
28. Par. 413.
29. Par. 420.
30. Par. 414.
31. Par. 431.
32. Par. 458.
33. Par. 481.
34. La procédure de “voir dire” «permet de ne soumettre aux juges que des arguments et des moyens de preuve sur une question précise et elle offre la possibilité à l’accusé de témoigner sur un sujet précis, les questions sortant du cadre fixé étant interdites. De manière générale, cette procédure garantirait que les arguments et éléments de preuve présentés ne portent que sur la question litigieuse et ne s’étendent pas aux faits de l’espèce» (par. 541).
35. Article 15 (Règlement du Tribunal) Les juges du Tribunal international adopteront un règlement qui régira la phase préalable à l’audience, l’audience et les recours, la recevabilité des preuves, la protection des victimes et des témoins et d’autres questions appropriées.
36. Article 67 (Echange de moyens de preuve) A) Dès que possible et en toute hypothèse avant le début du procès [...] la défense informe le Procureur de son intention d’invoquer : ii) a) une défense d’alibi, avec indication du lieu ou des lieux spécifiques où l’accusé prétend s’être trouvé au moment des faits incriminés, des nom et adresse des témoins ainsi que tous autres éléments de preuve sur lesquels l’accusé a l’intention de se fonder pour établir sa défense d’alibi ; b) un moyen de défense spécial, y compris le défaut total ou partiel de responsabilité mentale, avec indication des nom et adresse des témoins ainsi que de tous autres éléments de preuve sur lesquels l’accusé a l’intention de se fonder pour établir ce moyen de défense.
37. Tadic, IT-94-1-AR77, Arrêt relatif aux allégations d’outrage formulées à l’encontre du précédent conseil, Milan Vujin, 31 janvier 2000, Supplément Judiciaire no 12.
38. Par. 583.
39. Par. 590.
40. Par. 602.
41. Article 18 (Information et établissement de l’acte d’accusation)
1. Le Procureur ouvre une information d’office ou sur la foi des renseignements obtenus de toutes sources, notamment des gouvernements, des organes de l’Organisation des Nations Unies, des organisations intergouvernementales et non gouvernementales. Il évalue les renseignements reçus ou obtenus et se prononce sur l’opportunité ou non d’engager les poursuites.
42. Par. 605.
43. Par. 611.
44. Par. 607.
45. Par. 615.
46. Par. 620.
47. Par. 630.
48. L’article 13 du Statut, tel que modifié par l’Annexe I à la résolution 1329 du Conseil de Sécurité du 30 novembre 2000, dispose que : «Les juges permanents et ad litem doivent être des personnes de haute moralité, impartialité et intégrité possédant les qualifications requises, dans leurs pays respectifs, pour être nommés aux plus hautes fonctions judiciaires. Il est dûment tenu compte dans la composition globale des Chambres et des sections des Chambres de première instance de l’expérience des juges en matière de droit pénal et de droit international, notamment de droit international humanitaire et des droits de l’homme».
49. L’article 12 du Statut, tel que modifié par l’Annexe I à la résolution 1329 du Conseil de Sécurité du 30 novembre 2000, dispose ce qui suit :
«1. Les Chambres sont composées de seize juges permanents indépendants, tous ressortissants d’Etats différents, et, au maximum au même moment, de neuf juges ad litem indépendants, tous ressortissants d’Etats différents, désignés conformément à l’article 13 ter, paragraphe 2, du Statut.
2. Trois juges permanents et, au maximum au même moment, six juges ad litem sont membres de chacune des Chambres de première instance. Chaque Chambre de première instance à laquelle ont été désignés des juges ad litem peut être subdivisée en sections de trois juges chacune, composées à la fois de juges permanents et ad litem. Les sections des Chambres de première instance ont les même pouvoirs et responsabilités que ceux conférés à une Chambre de première instance par le Statut et rendent leurs jugements suivant les mêmes règles.
3. Sept des juges permanents sont membres de la Chambre d’appel, laquelle est, pour chaque appel, composée de cinq de ses membres.»
50. Par. 659.
51. Idem.
52. Par. 677.
53. Furundzija, IT-95-17/1-A, Arrêt, 21 juillet 2000, Supplément Judiciaire no 21.
54. Par. 685.
55. Par. 692.
56. Par. 700.
57. Article 24 (Peines)
1. La Chambre de première instance n’impose que des peines d’emprisonnement. Pour fixer les conditions de l’emprisonnement, la Chambre de première instance a recours à la grille générale des peines d’emprisonnement appliquée par les tribunaux de l’ex-Yougoslavie.
2. En imposant toute peine, la Chambre de première instance tient compte de facteurs tels que la gravité de l’infraction et la situation personnelle du condamné.
3. Outre l’emprisonnement du condamné, la Chambre de première instance peut ordonner la restitution à leurs propriétaires légitimes de tous biens et ressources acquis par des moyens illicites, y compris par la contrainte.
58. Article 101 (Peines)
A) Toute personne reconnue coupable par le Tribunal est passible de l’emprisonnement pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à vie.
B) Lorsqu’elle prononce une peine la Chambre de première instance tient compte des dispositions prévues au paragraphe 2) de l’article 24 du Statut, ainsi que :
i) de l’existence de circonstances aggravantes ;
ii) de l’existence de circonstances atténuantes, y compris le sérieux et l’étendue de la coopération que l’accusé a fournie au Procureur avant ou après sa déclaration de culpabilité ;
iii) de la grille générale des peines d’emprisonnement telles qu’appliquées par les Tribunaux en ex-Yougoslavie ;
iv) de la durée de la période, le cas échéant, pendant laquelle la personne reconnue coupable avait déjà purgé une peine imposée à raison du même acte par une juridiction interne, en application du paragraphe 3) de l’article 10 du Statut.
C) La durée de la période pendant laquelle la personne reconnue coupable a été gardée à vue en attendant d’être remise au Tribunal ou en attendant d’être jugée par une Chambre de première instance ou la Chambre d’appel est déduite de la durée totale de sa peine.
59. Par. 718.
60. Par. 731.
61. Par. 755.
62. Par. 756.
63. Par. 771.
64. Par. 853.
65. Voir aussi Tadic, IT-94-1-A bis, Arrêt concernant les jugements relatifs à la sentence, 26 janvier 2000, Supplément Judiciaire no 11, où les Juges ont déclaré «que dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, [une Chambre de première instance] n’est pas liée par les maxima qui auraient cours dans un système interne» (par. 21) ; Kambanda, ICTR-97-23-S, Jugement et Sentence, 4 septembre 1998, où les Juges ont jugé que la référence à la grille générale des peines d’emprisonnement des tribunaux du Rwanda «est de nature indicative dépourvue de toute valeur contraignante» (par. 23) ; Serushago, ICTR-98-39-A, Motifs du jugement, 6 avril 2000, où les Juges ont déclaré «que la mention, dans le Statut, au “recours par les Chambres de première instance à la grille générale des peines appliquée par les tribunaux du Rwanda ” ne contraint pas les Chambres de première instance à se conformer à cette pratique, mais tout simplement à en tenir compte» (par. 30).
66. Par. 834.
67. Par. 26.
68. Idem.
69. Par. 27.
70. Par. 28.
71. Par. 33.
72. Idem.
73. Par. 37.
74. Par. 38.
75. Par. 39. Voir aussi Kupreskic et consorts, IT-95-16-T, Jugement, 14 janvier 2000, Supplément Judiciaire no 11, où les Juges ont déclaré que «[l]es peines à infliger se doivent de refléter la gravité inhérente à l’infraction reprochée» (par. 852) ; Aleksovski, IT-95-14/1-A, Arrêt, 24 mars 2000, Supplément Judiciaire no 14, où les Juges ont observé que «[l]’appréciation de la gravité des actes d’un accusé constitue normalement le point de départ de la détermination de la peine appropriée» (par.182) ; Jean Kambanda, ICTR-97-23-A, Arrêt, 19 octobre 2000, où les Juges ont noté que «[t]oute peine infligée doit rendre compte de la gravité du comportement criminel» (par. 125).
76. Par. 52.