LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I bis

Composée comme suit: M. le Juge Almiro Simoes Rodrigues, Président

M. le Juge Lal Chand Vohrah

M. le Juge Rafael Nieto Navia

Assistée de: M. Jean-Jacques Heintz, Greffier-adjoint

Décision rendue le: 22 octobre 1998

 

LE PROCUREUR

C/

ZLATKO ALEKSOVSKI

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DECISION AUX FINS D’AUTORISER LE VERSEMENT AU DOSSIER D’ELEMENTS DE PREUVE

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Le Bureau du Procureur:

M. Grant Niemann
M. Anura Meddegoda
Mme. Ann Sutherland

Le Conseil de la Défense:

M. Goran Mikulicic
M. Srdan Joka

 

LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE I bis (ci-après, "la Chambre") du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991,

VU les articles 20 et 21 du Statut du Tribunal, et l'article 89 du Règlement de procédure et de preuve (ci-après le "Règlement"),

VU la requête de la Défense aux fins d’obtenir de la Chambre de Première instance l’autorisation de verser au dossier des éléments de preuve, à savoir la déposition de l’Amiral Davor Domazet "témoin expert dans l’affaire BLASKIC, IT-95-14/I-T" déposée le 29 septembre 1998 (ci-après la "requête"),

VU la réponse du Procureur en date du 6 octobre 1998 (ci-après "la réponse"),

REND LA PRESENTE DECISION.

I-CONTEXTE PROCEDURAL

Dans la requête, la Défense sollicite de la Chambre qu’elle autorise la présentation comme élément de preuve de la déposition de l’amiral Domazet, qu’elle qualifie de témoin expert dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic. La dite déposition pourrait être obtenue auprès du greffe du Tribunal sous la forme d’un compte-rendu écrit et d’un enregistrement vidéo de l’audience en question et, présentée à l’audience dans la présente affaire avant d'être versée au dossier de l’espèce en même temps que tous les documents utilisés comme moyens de preuve lors de la déposition du témoin expert, l’amiral Domazet.

La Défense estime que les conditions légales nécessaires à la présentation de cet élément de preuve sont réunies, car elle n'a appris l’existence de la déposition de l’amiral Domazet que le 10 septembre 1998, c’est à dire après la clôture de la présentation de ses moyens de preuve, mais l’article 85 (A) admet que la Chambre autorise la présentation des moyens de preuve dans un ordre différent dans l'intérêt de la justice; et car la Chambre peut, en vertu de l’article 89 (C), recevoir tout élément de preuve qu’elle estime probant, les dispositions de l’article

94 (B) permettant en tout état de cause à la Chambre d’accueillir la requête.

Dans sa réponse, l’Accusation s’oppose à la requête de la Défense en faisant valoir que l’article 89, qui est une disposition générale concernant la recevabilité des éléments de preuve, doit céder devant l’article 90 qui couvre l’audition des témoins oculaires et des témoins experts tels que l’amiral Domazet ; que l’article 94 (B) est inapplicable en l’espèce ; et que si la Chambre autorise le versement aux débats de la déposition de l’amiral Domazet, l’Accusation demande à contre-interroger le témoin en application de l’article 85 (B) du Règlement.

II-APPRÉCIATION

Il y a deux questions à apprécier :

1. la valeur probante de l’élément de preuve en cause;

2. l’exigence d’un procès équitable.

1. La valeur probante de l’élément de preuve

En vertu de l’article 89 (C), la Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu’elle estime avoir valeur probante.

La Chambre note que le procès a atteint sa phase terminale.

La Chambre relève en outre que la manifestation de la vérité est un principe essentiel de la procédure criminelle.

La Chambre observe enfin que l'accusé est poursuivi pour trois crimes dont deux en vertu de l'article 2 du Statut et, par conséquent, la question du conflit armé international est primordiale.

Dans le souci d'une bonne administration de la justice, la déposition de l’amiral Domazet présente un indéniable intérêt en ce qu’elle est de nature à éclairer la Chambre sur le caractère national ou international du conflit armé dans la région de la municipalité de Busovaca à la période considérée.

La Chambre doit aussi veiller au respect des dispositions de l'article 20 du Statut selon lesquelles le procès doit être équitable et rapide. Elle se trouve placée ici dans une situation exceptionnelle qui tient tant à la qualité du témoin, laquelle affecte sa disponibilité, qu’à la circonstance que le procès a atteint sa phase terminale, l’accusé étant détenu depuis le 29 avril 1997 au quartier pénitentiaire des Nations Unies.

La question qui reste posée est celle non pas de la valeur de l'élément de preuve en cause, mais du poids que les juges lui donneraient s’il était accepté.

A cette fin, les juges tiendront compte, à la clôture du procès, de l’ensemble des éléments en leur possession et de la manière dont ils leur ont été présentés.

2 .L’exigence d’un procès équitable

L’Accusation revendique, pour sa part, le droit de contre-interroger l’amiral Domazet dans le cas où la requête de la Défense serait accueillie.

Mais l’admission de cet élément de preuve n’est pas de nature à remettre en question le droit de l’Accusation à contre-interroger les témoins de la Défense. Le Bureau du Procureur a déjà bénéficié de la possibilité de contre-interroger le témoin dans le cadre de l’affaire Le Procureur c/ Blaskic et ne saurait invoquer ici un droit à contre-interrogatoire sans menacer l’équilibre entre les parties et l’égalité de leurs armes dans l’ensemble des affaires dont est saisi le Tribunal.

En revanche, il n’y a pas lieu de présenter à l’audience les comptes-rendus écrits, l’enregistrement vidéo de la déposition du témoin et les pièces admises lors de celle-ci dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic : l’admission de ces éléments permet aux juges d’en prendre connaissance lors de leur délibéré.

Dans ces conditions, faire droit à la requête apparaît particulièrement conforme à l’intérêt de la justice et aux impératifs d’équité et de rapidité prévus à l’article 20 du Statut.

III-DECISION

PAR CES MOTIFS,

LA CHAMBRE,

ORDONNE le versement au dossier de l’affaire Le Procureur c/ Aleksovski des éléments publics de la déposition de l’amiral Domazet, de son enregistrement vidéo et des pièces à conviction provenant de l’affaire Le Procureur c/ Blaskic comme éléments de preuve documentaires.

PRIE le Greffier de prendre les mesures nécessaires à cet effet et de donner à l’ensemble des éléments une cote unique au titre des pièces à conviction de la Défense.

 

Fait en français et en anglais, la version française faisant foi.

Le 22 octobre 1998

A La Haye

Pays-Bas.

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Juge Almiro Simoes Rodrigues

Président de la Chambre

[Sceau du Tribunal]