Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14/1-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Lundi 22 mars 1999

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5 L'audience est ouverte à 14 heures 05.

6 M. le Président. - Bonjour Mesdames, Messieurs. Bonjour, les

7 interprètes m'entendent bien ?

8 L'interprète. - Merci.

9 M. le Président. - Je vous salue. Je salue aussi le Procureur,

10 le conseil de la défense, les sténotypistes, je salue aussi M. Aleksovski.

11 Nous sommes ici aujourd'hui pour reprendre notre affaire, maintenant que

12 nous sommes confortés par la décision de la Chambre d'appel.

13 Nous sommes aujourd'hui dans le cadre de l'article 86 de notre

14 Règlement, et je dis cela aussi pour l'intention du public que je salue

15 aussi. C'est-à-dire l'article 86 qui dit qu'après présentation de tous les

16 moyens de preuve, le Procureur doit prononcer un réquisitoire, qu'il le

17 fasse ou non, la défense peut plaider. S'il souhaite, le Procureur peut

18 répliquer et la défense présenter une duplique.

19 Donc, je crois qu'il faudrait poser quelques questions afin

20 d'entamer le réquisitoire.

21 Lors de la conférence de mise en état du 20 octobre 1998, la

22 Chambre a rappelé que les parties s'étaient mises d'accord pour déposer

23 leurs conclusions écrites, au même moment, conclusions dans lesquelles

24 elle préciserait la durée prévue de leur intervention pour le réquisitoire

25 et les plaidoiries.

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1 Les parties n'ont pas précisé la durée prévue de leur

2 intervention. Lors de la conférence de mise en état du 24 août 1998, les

3 parties se sont mises d'accord pour déposer leur mémoire final respectif à

4 la même date, mais elles n'ont rien dit au sujet d'une éventuelle réplique

5 et duplique après le réquisitoire et les plaidoiries.

6 La Chambre a réservé cet après-midi et la matinée de demain en

7 tenant compte du grand travail que les parties ont présenté dans ces

8 conclusions écrites et de cette façon, la Chambre a pensé aujourd'hui

9 consacrer au Procureur et la matinée de demain à la défense. Néanmoins,

10 nous avons donc deux questions que j'aimerais bien poser aux parties avant

11 d'entamer le réquisitoire. La première question : les parties ont-elles

12 quelques idées sur la durée prévue pour le réquisitoire et les

13 plaidoiries ? Deuxième question : les parties ont-elles l'intention de

14 répliquer et dupliquer, ou bien se contentent-elles du réquisitoire et des

15 plaidoiries ? Voilà les deux questions préliminaires auxquelles nous

16 voudrions avoir une proposition. Et en répondant, ou avant de répondre à

17 cette question, j'aimerais bien que le Procureur se présente, et après la

18 défense. Maître Niemann, vous avez la parole.

19 M. Niemann (interprétation). - Bonjour, Messieurs les Juges.

20 Nous avions prévu d'aborder la question de la façon suivante : j'aborderai

21 les questions de droit et mon collègue, M. Meddegoda, va vous parler des

22 questions de faits. J'avais l'intention de parler environ une heure 45. On

23 pourrait faire ensuite une pause, si toutefois il y en a une. Je crois que

24 M. Meddegoda prendra la parole pour environ le même temps que moi. Par

25 conséquent, nous essaierions de terminer notre présentation cet après-

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1 midi. Je ne sais pas si Me Meddegoda aura totalement terminé la

2 présentation de ses arguments, mais si ce n'est pas le cas, nous vous

3 demanderons votre patience pour qu'il puisse le terminer. Pour ce qui est

4 de la réplique, il est assez difficile de vous dire à ce stade si oui ou

5 non nous allons vouloir ajouter de nouveaux arguments dans le cadre de la

6 réplique, puisque vous savez que tout ce que nous souhaiterions

7 éventuellement dire en réplique, n'ait trait de ce qu'aura dit

8 M. Mikulicic dans sa plaidoirie.

9 Je pensais aborder certaines questions, des questions qui n'ont

10 pas encore été couvertes dans tous les écrits déposés ou bien dans les

11 arguments que nous allons présenter maintenant. Je parle des arguments que

12 nous souhaiterions peut-être présenter en réplique. Si mon confrère

13 Me Mikulicic réfute une question que j'aurais abordée, eh bien, je vous

14 laisserai maître de la façon dont nous devrons procéder ensuite. Si

15 Me Mikulicic présente un argument nouveau et si je considère qu'il est

16 d'une importance particulière, je souhaiterais peut-être effectivement

17 intervenir. A part cela, nous pensons utiliser tous le temps qui nous est

18 imparti cet après-midi pour présenter nos arguments. Merci.

19 M. le Président. – Maître Niemann, pouvez-vous en profiter pour

20 présenter les bancs de l'accusation ? Pour vous présenter ?

21 M. Niemann (interprétation). - Excusez-moi, j'aurais dû dire

22 bonjour également. Bonjour je m'appelle Grant Niemann, mon collègue

23 Me Meddegoda m'accompagne et M. Saxon nous aide aujourd'hui. Il remplace

24 Mlle Erasmus qui n'était pas disponible pour l'après-midi. Merci.

25 M. le Président. – Maître Mikulicic, c'est à vous de vous

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1 prononcer sur la question, s'il vous plaît.

2 M. Mikulicic (interprétation). - Bonjour, Messieurs les Juges.

3 Bonjour à mes confrères de l'accusation également.

4 Je m'appelle Goran Mikulicic et avec mon ami et collègue,

5 Me Joka, je représente M. Aleksovski.

6 En réponse à votre question, je dirai la chose suivante : la

7 défense pense utiliser trois heures pour présenter sa plaidoirie. La

8 défense n'a pas préparé de duplique. Cependant, si la nécessité s'en fait

9 sentir, si donc certaines allégations, certaines déclarations de la part

10 de l'accusation entraînent chez nous le désir de répondre, nous

11 souhaiterions pouvoir le faire.

12 D'autre part, la défense souhaite préciser qu'elle ne reviendra

13 pas sur certaines questions qui ont déjà été couvertes dans son mémoire

14 écrit, mais elle se contentera d'aborder certaines questions qu'elle

15 estime très importantes dans le cadre du jugement rendu dans cette

16 affaire.

17 M. le Président. - Merci, Maître Mikulicic.

18 Monsieur Marc Dubuisson, pouvez-vous nous rappeler l'affaire

19 pour le compte rendu, s'il vous plaît ?

20 M. Dubuisson. - Il s'agit de l'affaire IT-95-14/1-T, le

21 Procureur contre Zlatko Aleksovski.

22 M. le Président. - Merci, Monsieur Marc Dubuisson.

23 Je crois que nous allons commencer nos travaux. Nous allons

24 organiser notre travail de la façon suivante : on suppose qu'on a commencé

25 à 14 heures pour les faits des interprètes. Nous avons commencé vraiment à

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1 14 heures et nous allons donc travailler pendant une heure et dix minutes.

2 Après, on fera une pause de vingt minutes. On reprendra avec une autre

3 période de travail pour une heure dix. 20 minutes et jusqu'à 18 heures

4 pour avoir au moins un plan de travail et pour savoir ce qui peut se

5 passer.

6 Avec ce plan de travail, je donne la parole à Me Niemann pour

7 qu'il commence son réquisitoire. Maître Niemann, c'est à vous.

8 M. Niemann (interprétation). - Merci.

9 Messieurs les Juges, dans le cadre de ce réquisitoire, je

10 tenterai d'éviter de répéter des arguments figurant déjà dans notre

11 mémoire écrit qui constitue l'une des parties intégrantes de notre

12 réquisitoire.

13 Je voudrais attirer votre attention sur ce qui est, selon moi,

14 une question juridique nouvelle et en pleine évolution, celle ayant trait

15 aux dispositions des Conventions de Genève relatives aux infractions

16 graves, et la question de savoir comment aborder la notion de confirmé

17 international. Alors que nous avons favorisé une approche plus

18 traditionnelle de la question dans notre mémoire final, dans ce

19 réquisitoire, je souhaiterais examiner ce qui ne correspond plus aux

20 frontières du droit dans ce domaine et j'aimerais également vous inciter à

21 participer à cette importante évolution du droit.

22 Mais avant cela, je souhaiterais examiner certains des autres

23 éléments significatifs de cette affaire : tout d'abord, la question des

24 événements qui se sont produits dans la vallée de la Lasva et de ce qui a

25 souvent été qualifié de nettoyage ethnique.

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1 Après avoir entendu les éléments de preuve et les témoignages,

2 nous voyons que l'accusé, M. Aleksovski, entre autres, a participé à un

3 programme généralisé et systématique visant à nettoyer la vallée de la

4 Lasva de sa population musulmane. Le rôle occupé par M. Aleksovski dans

5 cette opération se trouvait dans la phase d'exécution de ce programme,

6 mais ceci ne minimise en rien l'importance de sa participation. Il devait

7 recevoir les Musulmans au camp de Kaonik, s'occuper d'eux, et c'est dans

8 ce cadre qu'ils ont été soumis à des conditions si terribles qu'il ne

9 pensait non seulement qu'à une chose, à savoir sortir s'échapper de la

10 prison de Kaonik, mais ils étaient également tellement traumatisés qu'ils

11 souhaitaient quitter même toute la vallée de la Lasva. Il fallait déployer

12 des efforts résolus pour forcer des êtres humains à quitter leur foyer, à

13 abandonner des biens accumulés au cours de toute leur vie et à aller vivre

14 ailleurs, particulièrement si l'objectif était de le faire de façon

15 définitive.

16 Dans certaines régions du monde, nous assistons à des

17 tremblements de terre, des inondations, des incendies et d'autres

18 cataclysmes de ce type qui frappent certaines régions avec une telle

19 violence et qui provoquent de tels dégâts qu'il est difficile d'imaginer

20 pourquoi des gens souhaitent continuer à vivre dans de telles régions,

21 après de tels sinistres. Mais leur attachement à leur terre natale est si

22 fort qu'ils persévèrent malgré la violence de ces cataclysmes.

23 Essayez donc un instant d'évaluer quelle serait la douleur

24 physique et psychologique qu'un nettoyage ethnique devrait infliger

25 nécessairement à ces victimes. Or, en 1993, c'est à cela que l'accusé et

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1 ses collaborateurs se consacraient. Il est tout à fait improbable qu'un ou

2 plusieurs témoins de la défense affirment un jour qu'il s'agissait

3 effectivement de nettoyage ethnique, particulièrement si ces témoins

4 occupaient ou occupent toujours des postes à responsabilité. Non, c'est un

5 état de fait que, dans la plupart des cas, nous devrons déduire des

6 éléments de preuve présentés.

7 Cependant, parfois, nous apercevons certains aspects de ce plan

8 diabolique, même lorsque les témoins tentent de dissimuler la situation et

9 de protéger les efforts des autorités et d'Etat, en l'occurrence de la

10 République de Croatie et du gouvernement du HVO.

11 Nous apercevons dans le témoignage de certaines personnes

12 quelques aspects des événements qui se sont produits à l'époque. Il suffit

13 de regarder le témoignage de Tomislav Rajic, je vous renvoie à la

14 page 3187, ligne 23 du compte rendu anglais. Il dit -et je cite- :

15 "Cependant, au printemps 1992, lorsque les premiers Musulmans, mais

16 nombreux néanmoins, ont commencé à arriver, ces réfugiés, il y a eu une

17 espèce de déséquilibre démographique. L'équilibre démographique a été

18 rompu, équilibre existant jusqu'alors. Ceci est venu troubler notre

19 coopération et les événements qui ont suivi ont eu lieu."

20 Par la suite, il décrit l'arrivée de réfugiés musulmans qui

21 vient rompre l'équilibre ethnique et il qualifie cette arrivée de radicale

22 ou de massive. Je vous renvoie à la page 3189, ligne 12 du compte rendu.

23 Bien que ceci soit cohérent avec l'argument assez farfelu et artificiel,

24 selon lequel les Serbes étaient en fait les seuls coupables, les seuls à

25 blâmer, ceci établit sans aucun doute l'existence d'un programme de

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1 rétablissement de l'équilibre ethnique fondé sur la discrimination.

2 Cependant, il ne s'agissait pas de Musulmans réfugiés d'autres

3 régions qui avaient été déplacés par les Serbes. Il s'agissait des

4 résidents musulmans qui habitaient là depuis longtemps. Contrairement...

5 ou plutôt nous avons entendu une version des événements totalement

6 contraire à celle présentée par la défense, qui a tenté de nous convaincre

7 de la soi-disant tolérance raciale de l'accusé. En effet, il suffit

8 d'entendre le témoignage de l'observateur de l'ECMM, M. McLeod, au sujet

9 des passages à tabac de Musulmans par des soldats du HVO. M. McLeod cite

10 M. Aleksovski et lui fait dire : "Tireriez-vous sur un homme qui a perdu

11 son frère pour l'empêcher de malmener ou d'agresser des Musulmans ?". Il

12 s'agit de la page 133, point 12 du compte rendu.

13 Des opérations criminelles de grande envergure telles que celle

14 de la vallée de la Lasva, qui a eu lieu au cours de la première partie

15 de 1993, ne peuvent être exécutées par une seule personne. Il faut que les

16 gouvernements des Etats interviennent, commettent ces crimes, des

17 gouvernements dont les actes sont exécutés par ses agents de façon

18 volontaire. Les actes de ces individus, de ces agents, ne peuvent que

19 s'ajouter pour constituer un acte criminel de plus grande envergure et

20 plus sinistre encore. Parfois, les crimes commis par un gouvernement sont

21 de si grande envergure que ce qui constitue réellement le comportement

22 criminel est obscurci par son caractère officiel et bureaucratique.

23 Cependant, ce caractère officiel ne devrait jamais pouvoir dissimuler la

24 réalité d'un crime.

25 L'accusé Aleksovski était l'un de ces agents agissant de façon

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1 volontaire. Bien entendu, il ne disposait pas de tous les pouvoirs, il

2 n'était pas la personnalité politique ou militaire la plus importante de

3 la région mais, cependant, ses actes formaient une partie intégrante d'un

4 crime de plus grande ampleur.

5 Comment donc décrire le crime auquel nous avons affaire ? La

6 Convention de Genève de 1949 reprise et appliquée par le Statut de ce

7 Tribunal ne fait pas de la participation à une guerre un délit pénal. La

8 position stricte de la Convention est la suivante : une guerre ou un

9 conflit armé n'est pas interdit, mais si une personne vient à participer à

10 cette guerre ou à ce conflit armé, elle doit le faire en conformité

11 stricte avec les Conventions de Genève. Dans le cas contraire, il y a

12 infraction aux Conventions de Genève qui fait naître une responsabilité

13 pénale.

14 Par conséquent, le fait d'affirmer devant ce Tribunal : "Nous

15 avons participé à une guerre ou à un conflit armé, et nous avons essayé

16 chaque fois que possible de respecter les Conventions de Genève, mais la

17 situation était difficile et nous n'avons pas pu faire mieux", ce fait

18 donc d'affirmer cela n'est pas un moyen de défense. Ce n'est même pas une

19 circonstance atténuante dont les Juges devront tenir compte au moment de

20 la détermination de la peine.

21 En vertu du droit international, si une guerre est menée ou si

22 un individu ou si une partie participe à un conflit armé, cet individu ou

23 cette partie doit respecter les Conventions de Genève de 1949.

24 Lorsque la Chambre de première instance chargée de l'affaire

25 Celebici a eu affaire à un argument similaire présenté par la défense,

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1 dans l'affaire IT-96-21-T, la Chambre dans son jugement, au

2 paragraphe 1117, page 381 de la version anglaise, a dit la chose

3 suivante : "La défense estime qu'à la lumière de la situation générale

4 régnant dans la municipalité de Konjic à l'époque, on ne peut invoquer la

5 responsabilité pénale d'aucun accusé puisque les conditions régnant dans

6 le camp de prison de Celebici étaient les meilleures possibles. La Chambre

7 de première instance, en tant que question de droit, doit donc rejeter

8 cette position."

9 Comme nous l'avons dit précédemment, les critères juridiques en

10 jeu ici sont absolus, ne sont pas relatifs. Ils définissent un critère

11 minimum de traitement vis-à-vis duquel aucune exception ne peut être

12 acceptée. Par conséquent, la Chambre de première instance considère que la

13 puissance détentrice ou ses agents ne peut plaider un manque de ressources

14 et ne peut en faire une justification juridique lui ayant permis d'exposer

15 des individus à des conditions de détention inhumaines.

16 L'argument, selon lequel les conditions prévalant dans la prison

17 de Kaonik et dans lesquels se trouvaient les détenus n'étaient pas pires

18 que celles des Croates libres de la communauté croate, ne résiste pas à un

19 examen minutieux. La réalité était la suivante : les membres volontaires

20 de la communauté croate n'ont pas été arrêtés illégalement, ils n'ont pas

21 été détenus illégalement. Ils n'ont pas été envoyés au front pour creuser

22 des tranchées lorsque le danger régnait. Les volontaires et les recrus

23 croates ne travaillaient que la nuit, lorsque les tireurs isolés de

24 l'armée de Bosnie-Herzégovine leur faisaient courir moins de risques. Ils

25 n'étaient pas gardés par des hommes armés, ils n'étaient pas obligés de

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1 travailler pendant des heures sans pause, et pour la plupart ils

2 jouissaient de la meilleure protection possible.

3 En revanche, pour les détenus musulmans de Kaonik, les éléments

4 de preuve montrent que les conditions étaient toutes différentes et tout

5 autres. Le terme de "nettoyage ethnique" n'apparaît pas expressément dans

6 les Conventions de Genève, mais ce n'est pas une raison pour penser que ce

7 vil projet pourrait, d'une manière ou d'une autre, être passé au travers

8 du filet des conduites interdites définies par les Conventions. Il est

9 indiscutable que la conduite nécessaire à l'exécution de ce plan de

10 nettoyage ethnique est bel et bien interdite par les Conventions de

11 Genève.

12 Je vous donnerai l'exemple de l'article 49 de la Convention

13 consacrée à la protection des personnes civiles. Selon cet article, le

14 transfert ou la déportation forcée de civils sont illégaux. Dans

15 l'article 147, il est question de la disposition relative aux infractions

16 graves, et dans cet article la déportation et le transfert illégaux ou

17 bien la détention de personnes protégées sont interdits. L'article 3

18 commun interdit une distinction négative d'individus en vertu de leur

19 race, de leur couleur, de leur religion ou d'autres critères similaires.

20 Par conséquent, il est indiscutable que les actes nécessaires à

21 l'exécution d'un programme de nettoyage ethnique sont en soi interdits.

22 Ceci d'ailleurs est reflété dans les différents chefs d'accusation

23 figurant dans l'acte d'accusation. Par conséquent, si au cours de ces

24 opérations de nettoyage ethnique et afin de parvenir à l'objectif de

25 nettoyage ethnique, des individus soumettent d'autres individus à un

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1 traitement inhumain, si l'on cause intentionnellement des grandes

2 souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé,

3 si l'on porte atteinte à la dignité des personnes, eh bien ces conduites-

4 là sont expressément interdites par les Conventions.

5 De même, nous affirmons qu'il était tout à fait illégal de

6 procéder à des rafles d'individus musulmans civils dans les municipalités

7 de Busovaca et de Vitez. Il était également illégal d'interner, d'arrêter

8 ces hommes dans la prison de Kaonik simplement sur la base de leur

9 appartenance ethnique.

10 Lorsque ces hommes, ces personnes ont été détenues de façon

11 illégale dans la prison de Kaonik, il était manifestement illégal de les

12 frapper, de les priver d'aliments suffisants, de conditions d'hygiène et

13 médicales suffisantes également, de les maintenir dans des pièces bondées

14 dans des conditions inhumaines, de les priver de lit convenable et de

15 chauffage. Il était manifestement illégal de les envoyer au front dans des

16 conditions dangereuses et de les forcer à creuser des tranchées pour le

17 HVO.

18 Lorsque ces individus se trouvaient sur le front, il était

19 manifestement illégal également de les dépouiller, de les frapper et de

20 les agresser. Il était manifestement illégal de les forcer à travailler

21 pendant des heures d'affilée, sans leur accorder une période de repos et

22 des aliments nécessaires.

23 Lorsque l'on traite de la question de la détention illégale des

24 civils, la question de l'illégalité de cette détention peut être une

25 question épineuse si l'Etat peut justifier qu'effectivement ces individus

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1 représentaient une menace grave vis-à-vis d'un Etat. Cependant, cette

2 menace peut être réelle.

3 Je vous renvoie au jugement de Celebici paragraphe 1134,

4 page 387 de la version en anglais, où il est dit : "La Chambre de première

5 instance est convaincue qu'un nombre significatif de civils étaient

6 détenus dans le camp de Celebici, bien qu'il n'y avait aucune raison

7 légitime et sérieuse permettant de conclure qu'ils représentaient

8 véritablement une menace pour la sécurité et la puissance détentrice. Au

9 contraire, il semble que le maintien en détention de civils dans le camp

10 de Celebici était une mesure collective, visant à nuire à un groupe

11 spécifique de personnes et s'étant fondée sur leur appartenance ou leur

12 origine ethnique et non sur des préoccupations légitimes de sécurité".

13 Dans ce cas, il s'agissait de détenus serbes, je vous le rappelle.

14 Par conséquent, comme ceci est dit dans le jugement de Celebici,

15 le simple fait qu'une personne soit un ressortissant d'une partie ennemie

16 ou un allié de cette partie, ne peut pas être considéré comme une menace à

17 la sécurité de la partie adverse et donc ne constituait pas une raison

18 valable de placer ces individus en détention.

19 Les éléments de preuve qui ont été entendus dans cette affaire

20 sont encore plus révélateurs que ceux qui ont été présentés dans l'affaire

21 de Celebici, puisque le fait est, la réalité est que dans l'affaire qui

22 nous occupe actuellement, certaines personnes ont été renvoyées chez elles

23 de temps en temps, où elles avaient l'autorisation de se rendre dans la

24 maison de l'un des gardes et tout ceci suggère qu'ils ne représentaient

25 pas une menace sérieuse vis-à-vis, pour le HVO.

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1 J'en viens maintenant au thème des boucliers humains. Pour ce

2 qui est de l'utilisation de détenus en tant que bouclier humain, je vous

3 renvoie à l'article 28 de la Convention de Genève 4, consacré à la

4 protection des civils, Convention de 1949. Dans cet article, il est dit

5 qu'aucune personne protégée ne pourrait être utilisée pour mettre par sa

6 présence, certains points ou certaines régions à l'abri d'opérations

7 militaires. De même dans l'article 23 de la 3ème Convention de Genève,

8 relatif au traitement des prisonniers de guerre, il est dit la même chose,

9 à savoir que les prisonniers de guerre ne pourront pas être utilisés pour

10 mettre certains points ou certaines régions à l'abri des opérations

11 militaires.

12 Ces dispositions doivent être lues conjointement avec

13 l'article 57 du protocole additionnel 1 de 1977. Dans ce protocole et dans

14 cet article, il est dit que la présence ou les mouvements de population

15 civile, que ce soient des groupes ou des individus, ne doivent pas être

16 utilisés pour mettre à l'abri certains points ou certaines régions

17 d'opérations militaires, notamment afin de protéger certains objectifs

18 militaires ou afin d'empêcher l'exécution de certaines opérations

19 militaires. Les parties en conflit ne doivent pas diriger le mouvement de

20 groupes ou d'individus civils, afin de tenter de protéger certains

21 objectifs militaires d'attaque ou afin de couvrir certaines opérations

22 militaires.

23 Quel est l'effet direct de ces dispositions ? Eh bien que

24 l'utilisation de personnes en tant que bouclier humain est illégale et

25 contraire aux Conventions de Genève et au protocole de 1977. Par

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1 conséquent, l'utilisation de prisonniers musulmans au camp de Kaonik en

2 tant que bouclier humain en 1993 était manifestement illégale.

3 Passons maintenant à la question du conflit armé international.

4 Dans le jugement de la Chambre de première instance dans l'affaire le

5 Procureur contre Zejnil Delalic et consorts, il s'agit de l'affaire

6 Celebici, dans son jugement du 16 novembre 1998, la Chambre de première

7 instance dit, au paragraphe 202 page 76 de la version en anglais : "Alors

8 que la Chambre de première instance 2 dans l'affaire Tadic n'a pas au

9 départ considéré que la nature du conflit armé était véritablement

10 pertinente, au moment d'appliquer l'article 2 du statut, la majorité des

11 Juges de la Chambre d'appel dans l'arrêt Tadic sur la compétence, a estimé

12 que des infractions graves aux Conventions de Genève ne pouvaient être

13 commises que dans le cadre de conflits armés internationaux", et ce

14 critère est donc une partie intégrante de l'article 2 du Statut.

15 Dans son opinion séparée, le Juge Abi-Saad a cependant estimé

16 qu'on peut énoncer de nombreux arguments en faveur de l'application de

17 l'article 2 du Statut, même lorsque l'acte poursuivi a lieu dans le cadre

18 d'un conflit interne. La Chambre d'appel a effectivement reconnu qu'une

19 modification allant dans le sens du régime des infractions graves dans le

20 cadre du droit coutumier international était peut-être en cours. Cette

21 Chambre de première instance estime également que la possibilité selon

22 laquelle le droit coutumier a permis le développement des dispositions des

23 Conventions de Genève depuis 1949, afin d'étendre le système des

24 infractions graves à des conflits armés internes, devrait également être

25 reconnue.

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1 Ce progrès dans le domaine du droit a été repris et poussé un

2 peu plus avant encore. Très récemment, dans un arrêt ou plutôt dans une

3 décision relative à la compétence, décision de la Chambre d'appel 3, dans

4 le Procureur contre Dario Kordic et consorts, affaire IT-95-14/2 PT, cette

5 décision a été prise le 2 mars 1999. Au paragraphe 15 de cette décision,

6 la Chambre de première instance reconnaissait et approuvait le pas fait

7 par la Chambre de première instance dans l'affaire Celebici. Et ce qui est

8 tout à fait intéressant, au paragraphe 31, lorsque la Chambre étudie les

9 protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1977 et notamment le

10 protocole 1, comme vous le savez, il s'agit du protocole relatif aux

11 conflits armés internationaux, la Chambre de première instance 3 dit la

12 chose suivante : "Il est indiscutable ou il n'y a aucun doute quant au

13 Statut de ces dispositions spécifiques dans le cadre du droit coutumier,

14 puisqu'elles reflètent des principes fondamentaux du droit humanitaire,

15 que l'on peut estimer comme s'appliquant à tous les conflits armés, que

16 leur objectif était au départ de s'appliquer aux conflits internationaux

17 ou non internationaux".

18 Par conséquent, la Chambre de première instance à mon avis a

19 fait un nouveau pas en avant en formulant sans ambiguïté le statut des

20 protocoles additionnels et notamment du protocole 1 dans le cadre du droit

21 coutumier, statut quant à l'application de ces différents principes au

22 conflit que le conflit soit interne ou international.

23 Par conséquent à mon avis, il n'est que logique que les

24 dispositions relatives aux infractions graves des conventions elles-mêmes,

25 qui remontent à une date antérieure, doivent pouvoir jouir du même statut.

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1 Il suffit pour cela Messieurs les Juges que vous l'affirmiez expressément.

2 Je vais maintenant tenter de vous apporter mon concours, en vous

3 présentant un chemin que vous pourrez suivre lorsque vous devrez prendre

4 une décision qui est à mon avis censée et inévitable.

5 D'emblée, je dirai qu'après audition des éléments de preuve,

6 l’existence d'un conflit armé international, au cours de la période

7 pertinente et dans la région pertinente, a été indiscutablement prouvé

8 dans cette affaire au-delà de tout doute raisonnable. Par conséquent, tout

9 progrès que vous pourriez réaliser dans le domaine du droit n'affecterait

10 en rien la position de l'accusé.

11 Au moment d'étudier les dispositions relatives aux infractions

12 graves, dispositions des Conventions de Genève, il est intéressant de

13 comparer ces Conventions avec la convention relative au génocide.

14 L'article 6 de la convention relative au génocide de 1948

15 stipule que des personnes accusées de génocide doivent être jugées par un

16 Etat ou un Tribunal pénal international dont la compétence a été acceptée

17 par les Etats.

18 L'article 8 permet aux Etats de faire appel aux Nations Unies

19 afin que des mesures appropriées soient prises. Par conséquent, il est

20 clair que les auteurs de la convention portant sur le génocide

21 envisageaient qu'existe un mécanisme de mise en application véritablement

22 international, international dans le sens où des organisations

23 internationales joueraient un rôle direct dans le respect et la mise en

24 application de la convention. Par conséquent, les tribunaux internationaux

25 pourraient jouer un rôle dans la prévention et la suppression d'actes de

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1 génocide.

2 Cette convention portant sur le génocide contraste radicalement

3 avec les quatre Conventions de Genève de 1949 qui ne font absolument

4 aucune référence à des tribunaux internationaux. Les quatre Conventions de

5 Genève ont appelé une application de ces conventions au niveau

6 international, mais le respect des conventions devait être assuré par les

7 Etats eux-mêmes au nom de la communauté internationale. A aucun moment il

8 n'est suggéré que ceci devrait être le rôle des tribunaux internationaux,

9 alors que ceci est le cas dans la convention relative au génocide.

10 En effet, si le Statut de ce Tribunal ne fait pas expressément

11 référence aux Conventions de Genève de 1949, dans l'article 2, eh bien, le

12 Tribunal n'aurait compétence, eu égard aux conventions, si les conventions

13 et notamment la disposition relative aux infractions graves était devenue

14 partie intégrante du droit coutumier international.

15 Cela dit, les Conventions de Genève, telles que rédigées,

16 devaient être expressément appliquées par les Etats, comme la Chambre

17 d'appel l’a fait remarquer dans l'appel Tadic sur la compétence, page 46,

18 paragraphe 80, l'élément de conflit armé international, généralement

19 attribué aux dispositions sur les infractions graves des Conventions de

20 Genève, est simplement une fonction du régime de compétence universelle

21 obligatoire que créent ces dispositions. La condition de conflit armé

22 international était une limite nécessaire au régime des infractions

23 graves, à la lumière de l'intrusion dans le domaine de la souveraineté de

24 l'Etat, que cette compétence universelle obligatoire représente.

25 Les Etats parties aux Conventions de Genève de 1949 ne voulaient

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1 pas conférer à d'autres Etats compétence pour les violations graves du

2 droit international humanitaire commises dans leur conflit armé interne, à

3 tout le moins pas la compétence universelle obligatoire du régime des

4 infractions graves.

5 Cependant, ce Tribunal n'a pas à traiter de la question de la

6 souveraineté des Etats. En vertu de l'article 2/7 de la Charte des Nations

7 Unies, les Nations Unies ne doivent pas se mêler de questions qui relèvent

8 essentiellement de la compétence nationale, interne d'un Etat. Mais, en

9 revanche, les mesures prises aux termes du chapitre 7 de la Charte sont

10 expressément exclues de cette restriction de nature générale. Le Tribunal

11 a été créé par le Conseil de sécurité aux termes du chapitre 7, et,

12 d'autre part, le Statut du Tribunal lui donne expressément compétence aux

13 termes de l'article 8. Dans l'article 8, il est question de compétence

14 territoriale et cette compétence est aussi large qu'elle ne pourrait

15 l'être pour un Tribunal interne lorsqu'il exerce sa compétence au niveau

16 national.

17 Le Statut va encore plus loin et donne au Tribunal une

18 compétence beaucoup plus large que la compétence dont disposent

19 généralement des tribunaux nationaux, parce que l'article 9 2 stipule que

20 le Tribunal dans l'exercice de sa compétence a primauté sur les tribunaux

21 nationaux. Et l'article 10 1 limite la compétence des tribunaux nationaux.

22 A la lumière de ces articles, il est difficile d'imaginer une

23 limite plus importante en matière de compétence sur la souveraineté d'un

24 Etat. Alors il devient tout à fait absurde, à mon avis, de mentionner la

25 nécessité de respecter la souveraineté d'un Etat en n'appliquant pas les

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1 dispositions relatives aux infractions graves, jusqu'à ce que et à moins

2 que l'existence d'un conflit armé international soit établie, et ce pour

3 une raison liée au fait de ne pas vouloir empiéter sur la souveraineté

4 d'un autre Etat, et pourtant de dire en même temps qu'il est nécessaire

5 d'affirmer la primauté du Tribunal international sur les tribunaux de ce

6 même Etat.

7 Il est intéressant de remarquer que les Etats, eux-mêmes, ne

8 sont pas si préoccupés que cela de leur souveraineté, lorsque c'est le

9 sort de personnes innocentes qui est en jeu. Même les Conventions de

10 Genève, elles-mêmes, relèguent la souveraineté d'Etat à un second rang

11 lorsqu'il existe des doutes ; je vous renvoie notamment à l'article 5 de

12 la 3ème Convention de Genève qui envisage qu'un Tribunal national exerce sa

13 compétence, et qu'en cas de doute la Convention s'applique à moins que le

14 contraire ne soit établi.

15 Ceci est cohérent avec l'attitude de la plupart des tribunaux

16 nationaux lorsque se posent des questions de compétence. L'accusation

17 généralement n'a pas à prouver l'existence de compétence au-delà de tout

18 doute raisonnable en tant qu’élément du délit ou du crime.

19 L'accusation présente ces éléments de preuve, la défense peut

20 effectivement contester la compétence du Tribunal, et essaie de prouver

21 que le Tribunal n'a pas compétence. Cette démarche a d'ailleurs été

22 clairement envisagée dans l'article 72 A I du Règlement de ce Tribunal,

23 dans lequel il est possible de contester de façon préliminaire la

24 compétence du Tribunal.

25 Par ailleurs, lorsqu'on traite du problème de ce déclin de la

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1 souveraineté d'Etat, je ne peux pas trouver une expression plus éloquente

2 que celle qui est contenue dans l'arrêt de la Chambre d'appel Tadic, où la

3 majorité des Juges a estimé page 54, paragraphe 97, "que toute démarche

4 fondée sur la souveraineté d'Etat s'est vue progressivement supplantée par

5 une démarche fondée sur l'être humain. Il s'ensuit que, dans le domaine

6 des conflits armés, la distinction entre guerre inter Etats et guerre

7 civile perd de sa valeur, eu égard à l'importance des êtres humains".

8 La Chambre d'appel poursuit, en posant la question rhétorique

9 suivante : "Pourquoi protéger les civils de la violence armée, interdire

10 le viol, etc., lorsque deux Etats souverains sont engagés dans une guerre

11 alors que l'on éviterait d'appliquer les mêmes interdits lorsque la

12 violence armée n'existe que sur le territoire d'un Etat souverain ?"

13 La Chambre d'appel répond à cette question en stipulant que si

14 le droit international sauvegarde bien entendu, comme il le doit, les

15 intérêts légitimes des Etats, il doit peu à peu se diriger vers la

16 protection des êtres humains et il est donc naturel que la dichotomie

17 susmentionnée perde peu à peu de son poids.

18 Page 64, paragraphe 119 : la Chambre d'appel déclare ridicule la

19 notion selon laquelle des armes interdites au cours d'un conflit armé

20 international pourraient ne pas l'être au cours d'un conflit armé interne.

21 La disposition relative aux infractions graves est au coeur même

22 des Conventions de Genève. Son application est capitale pour que puissent

23 continuer à fonctionner ces conventions particulièrement importantes.

24 En nous penchant sur la question, nous nous devons de nous poser

25 les questions suivantes : est-il approprié que tout dépende du classement

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1 d'un conflit comme étant un conflit international ? Ne conviendrait-il pas

2 que des criminels de guerre manifestement coupables ne puissent pas

3 échapper à la condamnation et au châtiment parce qu'il existe des

4 arguments politiques promulgués par les Etats en guerre coupables qui

5 souhaitent éviter l'imposition de réparation de guerre ou d'autres

6 conséquences en déclarant que le conflit est interne et non

7 international ?

8 La question du classement du conflit n'a, à mon avis, rien à

9 voir avec l'identité des participants individuels à ce conflit. C'est une

10 question qui n'a d'intérêt que pour l'Etat impliqué.

11 Pensez-vous que la classification du conflit est un facteur qui

12 a eu beaucoup de poids sur l'esprit d'une personne accusée lorsque cet

13 homme ou cette femme s'apprêtait à commettre un crime en infraction grave

14 aux dispositions des Conventions de Genève ?

15 Et autre question encore plus importante : pensez-vous que les

16 victimes de ces crimes estimeraient qu'un acquittement fondé sur le fait

17 que le conflit a été décrété interne... Pensez-vous que ceci, dans

18 l'esprit des victimes, constituerait un acte de justice ? Une conclusion

19 aussi technique, artificielle, non pertinente et non satisfaisante

20 peut-elle véritablement contribuer à la réconciliation et à la

21 restauration de la paix dans l'ex-Yougoslavie ?

22 Dans son jugement dans l'affaire Celebici, la Chambre de

23 première instance a, encore une fois à mon avis, interprété très justement

24 les Conventions de Genève lorsqu'elle a cité le commentaire de la

25 4ème Convention de Genève, paragraphe 263 : "Le commentaire de la

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1 4ème Convention de Genève nous charge de ne pas oublier que les

2 Conventions ont été rédigées avant tout pour protéger les individus et non

3 pas pour servir les intérêts d'Etats et la Chambre de première instance

4 estime donc que cette protection doit s'étendre à des catégories aussi

5 diverses de personnes que possible."

6 Eh bien, si la classification du conflit en tant que conflit

7 international devait être prouvée au-delà de tout doute raisonnable en

8 tant qu'élément du délit et si telle était sans équivoque la position du

9 droit en la matière, je suppose que la réponse à toutes ces questions

10 devrait être oui, indépendamment du caractère artificiel ou non pertinent

11 de cette question.

12 Cependant, avec tout le respect que je dois à ce Tribunal, nous

13 ne sommes pas dans cette situation. Il n'a pas été déclaré où que ce soit

14 de façon expresse que la classification du conflit constitue un élément du

15 délit qu'il importe de prouver au-delà de tout doute raisonnable.

16 Pourquoi est-ce que je dis cela ? Comme je l'ai déclaré il y a

17 quelques instants, les rédacteurs des Conventions de Genève de 1949 n'ont

18 pas envisagé que les dispositions relatives aux infractions graves

19 seraient mises en oeuvre par un Tribunal international comme celui-ci.

20 En conséquence, ces rédacteurs ont concentré leur attention sur

21 le fait que les Conventions allaient être appliquées par des tribunaux

22 nationaux. Or, les tribunaux nationaux sont légitimement inquiets quant au

23 risque qu'ils puissent exercer leur juridiction sur des événements

24 survenus sur le territoire d'un Etat tiers.

25 A titre d'exemple, je citerai la précaution de la Haute Cour

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1 britannique récemment, au moment de l'arrestation du général Pinochet.

2 L'une des questions principales au coeur du processus était, pour ce

3 Tribunal britannique, de ne pas risquer de juger une personne en

4 Grande-Bretagne pour des crimes commis au Chili. Une telle réticence ne se

5 limite pas aux tribunaux britanniques, mais fonctionne dans le monde

6 entier. Lorsque les rédacteurs des Conventions de Genève ont émis l'idée

7 que des tribunaux nationaux allaient appliquer la disposition relative aux

8 infractions graves, ils répondaient à un problème d'application par des

9 tribunaux nationaux appartenant à un autre Etat que celui où les crimes

10 étaient commis, et ce qui les préoccupait, c'était la réticence des

11 tribunaux nationaux à s'ingérer dans la juridiction, dans la compétence

12 d'un tribunal d'un autre Etat.

13 Dans une tentative pour apaiser cette préoccupation des

14 tribunaux nationaux, les rédacteurs des Conventions de Genève ont rédigé

15 un certain nombre de mesures destinées à encourager les tribunaux

16 nationaux à accepter leur compétence. La première question consistait à se

17 demander, non pas si le conflit était international ou interne, mais que

18 le problème soit résolu en raison de l'objection des tribunaux nationaux à

19 s'ingérer dans la juridiction exclusive d'un tribunal d'un autre Etat et à

20 faire disparaître cette réticence.

21 Mais ces questions, qu'ont-elles à voir avec notre Tribunal ? A

22 mon avis, absolument rien. Une question très importante qu'il importe que

23 nous la posions est la question suivante : est-il bon, pour des raisons de

24 courtoisie, que ce Tribunal se montre hésitant dans l'exercice de sa

25 compétence sur des personnes responsables de graves violations du droit

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1 humanitaire international qui inclut les infractions graves aux

2 Conventions de Genève, violations graves commises sur le territoire de

3 l'ex-Yougoslavie depuis 1991 ?

4 J'espère sincèrement que tel n'est pas le cas. L'objet même de

5 notre existence est en cause. C'est le mandat qui nous a été décerné par

6 le Conseil de sécurité. En fait, c'est exactement ce que l'on attend de

7 nous. Comme l'a fait observer la Chambre de première instance qui a rédigé

8 l'arrêt, le jugement de Celebici au paragraphe 263, je cite : "Il serait

9 contraire à l'intention du Conseil de sécurité, dont le souci était de

10 faire face effectivement à une situation qui, estimait-il, constituait une

11 menace pour la paix et la sécurité internationale et de mettre un terme

12 aux souffrances de toutes les personnes prises dans le conflit, que le

13 Tribunal international refuse à un groupe de personnes le bénéfice de la

14 4ème Convention de Genève, uniquement sur la base du droit interne de la

15 nationalité."

16 Le fait que les rédacteurs du Statut du Tribunal aient accordé

17 au Tribunal une compétence territoriale et temporelle au titre de

18 l'article 8, ainsi que la primauté sur les tribunaux nationaux au titre de

19 l'article 9, paragraphe 2, nous mène, à mon avis, à la conclusion

20 inévitable que le Conseil de sécurité avait l'intention que le Tribunal

21 applique son mandat sans se préoccuper des questions de souveraineté qui

22 empêchent un Tribunal national d'exercer sa compétence dans des

23 circonstances de ce genre.

24 A l'évidence, à mon avis, c'est la raison pour laquelle

25 l'article 2 du Statut du Tribunal qui englobe la disposition relative aux

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1 infractions graves dans les dispositions prouvant le délit au titre du

2 Statut ne fait aucune mention du conflit armé international. Ainsi,

3 continuer à défendre le point de vue selon lequel un conflit armé

4 international doit être prouvé au-delà de tout doute raisonnable en tant

5 qu'élément du délit, pour que le Tribunal puisse exercer sa compétence,

6 est à mon avis une erreur complète du point de vue du droit.

7 A mon avis, il est également totalement erroné du point de vue

8 du droit de voir la défense affirmer qu'un conflit armé international doit

9 exister à l'endroit même où le crime a été commis.

10 En conséquence, l'accusation n'a absolument aucune obligation

11 légale de prouver que la République de Croatie ou que l'armée de la

12 Croatie était directement impliquée dans le fonctionnement de la prison de

13 Kaonik, ou que les prisonniers avaient été regroupés par l'armée de la

14 Croatie, ou que M. Aleksovski était employé d'une manière ou d'une autre

15 par l'armée de Croatie, ou que le HVO faisait fonctionner la prison de

16 Kaonik en tant qu'agent opérant pour la République de Croatie ou pour

17 l'armée de Croatie.

18 Lorsque nous nous penchons sur les paramètres du conflit, nous

19 voyons encore une fois que la Chambre de première instance de Celebici a

20 exprimé un avis intéressant que je cite, page 79, paragraphe 209 du texte

21 anglais, je cite : "Avant d'aller plus loin, la Chambre de première

22 instance estime nécessaire de faire une mise au point pour prévenir toute

23 confusion quant aux paramètres de ce concept de conflit armé

24 international. Pour déterminer si le conflit est international ou interne,

25 nous ne nous arrêterons pas au cas de la municipalité de Konjic et des

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1 forces particulières engagées dans les combats dont elle a été le théâtre.

2 En fait, si le conflit en Bosnie-Herzégovine était considéré

3 comme international, les règles du droit humanitaire international

4 s'appliqueraient sur tout son territoire jusqu'à la cessation générale des

5 hostilités à moins qu'on puisse prouver que dans certaines régions, les

6 conflits étaient des conflits internes distincts, sans rapport avec le

7 conflit armé international plus large."

8 M. le Président. - Excusez-moi de vous interrompre. Je vois que,

9 sur le transcript anglais, il y a une référence à Kaonik, municipalité, et

10 j'ai entendu au moins Konjic. Je ne sais pas si...

11 M. Niemann (interprétation). - C'est Konjic, Monsieur le

12 Président. Je cite la décision des Juges de la Chambre de première

13 instance et il s'agit de Konjic. Merci, Monsieur le Président.

14 La Chambre de première instance poursuit dans son jugement sur

15 l'affaire Celebici, à la page 80, paragraphe 212 du texte anglais, je

16 cite : "La JNA avait fourni à partir de 1991 des armes et du matériel à la

17 population serbe de Bosnie-Herzégovine qui, pour sa part, s'organisait en

18 diverses unités et milices en vue des combats. La population croate de

19 Bosnie était, elle, pareillement soutenue par l'Etat croate et ses forces

20 armées."

21 Au paragraphe 213 du même jugement, la Chambre de première

22 instance déclare, je cite : "Le Conseil de sécurité de l'ONU et la

23 communauté européenne ont reconnu l'engagement dans le conflit de ces

24 forces et celui d'autres forces extérieures lorsqu'ils ont appelé les

25 gouvernements de la Croatie et de la Serbie à exercer leur influence

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1 indéniable et qu'ils ont exigé la fin de toute intervention extérieure".

2 Aux paragraphes 214 et 215, les membres de la Chambre de

3 première instance concluent, je cite : "La Chambre de première instance

4 peut conclure sur la base de ce seul élément de preuve qu'il existait un

5 conflit armé international en Bosnie-Herzégovine le 6 avril 1992. Rien

6 n'indique que les hostilités dont la municipalité de Konjic a été à

7 l'époque le théâtre constituaient un conflit armé distinct et, de ce fait,

8 certains éléments prouvent même l'engagement de la JNA dans ces combats.

9 Il est évident qu'il n'y a pas eu de cessation générale des

10 hostilités en Bosnie-Herzégovine jusqu'à la signature de l'accord de paix

11 de Dayton en novembre 1995".

12 J'affirme de même qu'aucun élément n'indique que les hostilités

13 qui ont éclaté dans les municipalités de Busovaca et de Vitez faisaient

14 partie d'un conflit armé distinct, et qu'en fait il existe certains

15 éléments qui indiquent l'engagement de l'armée de Croatie dans les combats

16 qui se sont déroulés dans ces municipalités. Nous disposons d'éléments de

17 preuve prouvant que des civils musulmans ont été regroupés par des membres

18 de l'armée de Croatie et nous disposons très certainement d'éléments de

19 preuve indiquant un lien entre les deux armées qu'étaient le HVO et

20 l'armée de Croatie, comme l'a dit le professeur Bianchini lorsqu'il a

21 exprimé l'avis qu'il s'agissait de la même armée.

22 Dans le jugement de Celebici, la Chambre de première instance a

23 abouti à des conclusions intéressantes au sujet de la nature des

24 participants au conflit. Au paragraphe 187, page 72 du texte anglais, la

25 Chambre de première instance fait état du fait que la JNA, qui est devenue

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1 l'armée de Yougoslavie et l'armée de la Republika Srpska, était contrôlée

2 par l'administration serbe bosniaque de Pale.

3 Puis, la Chambre de première instance poursuit, je cite : "Le

4 HVO était dans une situation comparable à celle de l'armée de la Republika

5 Srpska, dans la mesure où il avait été créé en tant qu'armée de l'Etat

6 auto-proclamé des Croates de Bosnie et où il opérait à partir du

7 territoire contrôlé par cet Etat".

8 De plus, la Chambre de première instance, lorsqu'elle aboutit à

9 la conclusion selon laquelle il existait un conflit armé international sur

10 le territoire de la Bosnie-Herzégovine à l'époque pertinente dans

11 l'affaire Celebici, décline, refuse de suivre la décision de la majorité

12 dans l'affaire Tadic, paragraphe 262 du jugement, considère que l'affaire

13 du Nicaragua n'est pas une source d'autorité appropriée eu égard à la

14 nature des débats, paragraphe 230, et accepte totalement l'avis distinct

15 de Mme la Juge McDonald sur cette question de la participation de la JNA

16 en Bosnie-Herzégovine, paragraphe 233.

17 Ce n'est pas la première fois qu'une telle décision est rendue.

18 Comme nous le voyons dans l'audience Rajic au titre de l'article 61, à la

19 page 9, paragraphe 13, lorsque la Chambre de première instance déclare :

20 "La Chambre estime que, eu égard à l'application des dispositions

21 relatives aux infractions graves des Conventions, des 4ème Conventions de

22 Genève, l'action militaire importante et continue des forces armées de

23 Croatie qui appuyait les Croates de Bosnie contre les forces du

24 gouvernement bosniaque sur le territoire de cet Etat suffisait pour

25 transformer un conflit interne opposant les Croates de Bosnie et le

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1 gouvernement bosniaque en un conflit international."

2 La proposition de la défense, qui s'appuie sur la déposition de

3 l'amiral Domazet et d'autres témoins et selon laquelle les forces de la

4 République de Croatie étaient simplement présentes sur les lieux pour

5 protéger les zones frontalières de Croatie le long de la côte dalmate et

6 en Krajina, est également infondée.

7 Là encore, comme nous le voyons dans l'audience Rajic au titre

8 de l'article 61, cette ruse de la Croatie n'a pas trompé la Chambre de

9 première instance, car nous lisons à la page 12, paragraphe 19 de son

10 jugement : "Les documents disponibles à la Chambre de première instance

11 indiquent également que contrairement à ce que prétend la Croatie, les

12 troupes croates n'étaient pas simplement stationnées dans les zones

13 frontalières, mais qu'elles ont participé aux hostilités contre les forces

14 du gouvernement de Bosnie, en Bosnie centrale et en Bosnie méridionale."

15 L'article 2 du Statut du Tribunal pénal international fait

16 toutefois référence à la notion de personnes protégées contenue dans les

17 Conventions de Genève. Cependant, lorsqu'on examine de près ces

18 dispositions, on ne trouve pas que le conflit armé international fasse

19 partie de la définition des personnes et des biens protégés. Par ailleurs,

20 aucune analyse de la signification de cette notion de personnes protégées

21 ne serait complète si l'on n'examinait pas les définitions des personnes

22 protégées et des biens protégés contenues dans le protocole additionnel

23 des Conventions de Genève de 1949, protocole premier de 1977.

24 Le paragraphe 4 de l'article 1 du protocole premier englobe plus

25 largement dans le conflit les personnes participant à des luttes pour

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1 l'autodétermination contre la domination coloniale, contre l'occupation ou

2 contre des régimes racistes. Toutes ces luttes et chacune de ces luttes

3 peut se dérouler dans le cadre d'un conflit armé interne, ce qui étaye

4 l'argument selon lequel la définition des personnes protégées ne se limite

5 pas entièrement aux personnes participant à un conflit armé international.

6 Ce qui est intéressant dans le protocole additionnel premier,

7 paragraphe 3 de l'article 1, c'est qu'il dispose expressément que ce

8 protocole complète les Conventions de Genève de 1949. Manifestement,

9 l'article 1 paragraphe 4 du protocole premier s'écarte de la définition

10 fournie dans l'article 2 des Conventions de 1949 qui n'évoquait que les

11 conflits armés strictement internationaux.

12 De même, la définition de "prisonniers de guerre" s'est vue

13 étendue par le protocole premier. L'article 43 du protocole additionnel

14 étend la notion de partie aux conflits, aux forces armées d'une partie au

15 conflit qui éventuellement n'est pas reconnue par l'autre partie à ce même

16 conflit.

17 L'article 44 des protocoles de 1977 dispose que tout combattant

18 couvert par la définition étendue de l'article 43 et qui tombe au pouvoir

19 de la partie ennemie est un prisonnier de guerre. S'il n'y a jamais eu le

20 moindre doute quant au fait que les prisonniers de guerre internés dans la

21 prison de Kaonik répondent à la définition du prisonnier de guerre au

22 titre des Conventions de Genève de 1949, eh bien, ce doute est totalement

23 levé par la définition du prisonnier de guerre contenue dans les

24 protocoles additionnels de 1977 à ces Conventions de Genève.

25 De même, la signification du terme "personne protégée" contenue

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1 dans l'article 4 des Conventions de Genève de 1949 traitant des civils ne

2 peut être complète si l'on ne se penche pas sur les articles 50 et 51 du

3 protocole additionnel premier de 1977. L'article 50 dispose qu'un civil se

4 définit comme toute personne qui n'est pas définie comme prisonnier de

5 guerre par la 3ème Convention de Genève de 1949 ou par le protocole

6 additionnel. L'article 50 n'établit aucune distinction reposant sur la

7 nationalité ou sur un autre concept.

8 Par conséquent, aucune base juridique ne permet de définir la

9 nationalité, comme on le voit à l'article 4 de la 4ème Convention de

10 Genève, comme une notion intrinsèquement liée aux seuls conflits

11 internationaux. Manifestement, cela doit signifier davantage et, à mon

12 avis, la seule conclusion logique consiste à déclarer que le terme "civil"

13 est défini selon le sens qui lui est donné dans l'article 50 du premier

14 protocole additionnel aux Conventions de Genève.

15 Par conséquent, il ne fait aucun doute que les Musulmans de

16 Busovaca et de Vitez qui n'étaient pas des combattants et dont un grand

17 nombre se sont trouvés dans la prison de Kaonik étaient des civils au sens

18 de l'article 50 du protocole premier et des personnes protégées au titre

19 de la 4ème Convention de Genève.

20 Monsieur le Président, vous souhaitez que je continue ? Je

21 m'intéresse autant, car je crois avoir entendu que vous aviez parlé

22 d'une heure dix.

23 Mais je peux continuer si vous le désirez.

24 M. le Président. - Nous allons nous arrêter ici. Vous devez vous

25 reposer ainsi que les interprètes. Nous allons faire une pause et nous

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1 allons reprendre à 15 heures 30.

2 (La séance,suspendue à 15 heures 10, est reprise à 15 heures 30).

3 M. le Président. - Maître Niemann, nous allons continuer à vous

4 écouter.

5 M. Niemann (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le

6 Président. Je traitais de la définition des civils en vertu des

7 Conventions de Genève.

8 Traitant de ce problème de savoir ce que constitue un civil au

9 terme de la 4ème Convention de Genève dans le jugement de Celebici

10 paragraphe 245, page 92, la Chambre d'instance commence par examiner le

11 fondement du jugement Tadic que j'ai déjà évoqué.

12 La Chambre d'instance interprète le jugement Tadic de la façon

13 suivante : elle déclare que le lien entre les personnes qui sont au

14 pouvoir d'une partie dont elles ne sont pas ressortissantes et la

15 classification du conflit est un facteur-clé dans le raisonnement appliqué

16 dans l'affaire Tadic car, si ces individus sont au pouvoir de personnes

17 qui les ont capturés et qui sont de la même nationalité qu'eux, le conflit

18 ne peut pas être un conflit international.

19 Cependant, la Chambre de première instance fait observer au

20 paragraphe 251 que "l'analyse du droit de nationalité de

21 Bosnie-Herzégovine ne permet pas de se faire une idée claire de la

22 situation. A cette époque, cet Etat luttait pour son indépendance. De

23 plus, un conflit armé international déchirait la Bosnie-Herzégovine et les

24 affrontements trouvaient leur source dans le désir de certaines fractions

25 de sa population de faire sécession pour se joindre à notre Etat."

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1 Après avoir conclu que les Serbes de Bosnie au pouvoir de la

2 Bosnie-Herzégovine étaient des personnes protégées au titre de la 4ème

3 Convention de Genève, la Chambre de première instance déclare au

4 paragraphe 265 : "Il est clair que les victimes des crimes allégués dans

5 l'acte d'accusation ont été arrêtées et détenues principalement parce

6 qu'elles étaient serbes. A ce titre et dans la mesure où elles n'étaient

7 pas protégées par une autre Convention de Genève, elles doivent être

8 considérées comme ayant été des personnes protégées au sens de la 4ème

9 Convention de Genève puisqu'elles étaient de toute évidence détenues par

10 les autorités bosniaques du fait qu'elles appartenaient à la partie

11 ennemie au cours d'un conflit armé et du fait qu'elles représentaient une

12 menace pour l'Etat bosniaque."

13 Cette interprétation de la Convention de Genève concorde

14 absolument avec l'évolution des doctrines de Droits de l'Homme qui ont

15 acquis une force accrue dans la deuxième moitié de notre siècle. Ce serait

16 incongru, eu égard à la totalité du concept des Droits de l'Homme qui

17 protègent les individus contre les abus commis par leur propre

18 gouvernement, d'appliquer de façon rigide les dispositions relatives à la

19 nationalité de l'article 4 qui apparemment ont été inscrites dans le texte

20 pour empêcher l'ingérence dans les affaires d'un Etat vis-à-vis de ses

21 propres ressortissants. La Chambre de première instance approuve ensuite

22 une citation de Merone, je cite : "En interprétant le droit international,

23 notre objectif doit consister à éviter la paralysie du processus légal

24 dans la mesure du possible et, dans le cas des conventions humanitaires,

25 de faire en sorte qu'elles puissent servir leur objectif de protection."

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1 Après avoir conclu que les détenus serbes de Bosnie dans le camp

2 de Celebici étaient des personnes protégées à l'article 275, la Chambre de

3 première instance poursuit en stipulant ce qui suit : "Cette conclusion se

4 trouve confortée par la conviction fondamentale de la Chambre de première

5 instance qu'en ne cessant de condamner les violations généralisées du

6 droit international humanitaire commises pendant tout le conflit en

7 Bosnie-Herzégovine et, en créant le Tribunal international pour poursuivre

8 et sanctionner les auteurs de ces violations, le Conseil de sécurité n'a

9 pas estimé que la protection offerte par l'ensemble du droit international

10 humanitaire pouvait être refusée à des catégories particulières de

11 personnes sur la base du droit interne de la nationalité.

12 Le Tribunal international doit par conséquent adopter une

13 approche globale et réglée par des principes s'agissant de l'application

14 des normes fondamentales du droit international humanitaire, normes qui

15 ont été énoncées dans les quatre Conventions de Genève.

16 En particulier, toutes les personnes qui n'ont pas participé

17 activement aux hostilités et qui ont été cependant aspirées dans l'horreur

18 et la violence de la guerre ne devraient pas se voir refuser la protection

19 offerte par la 4ème Convention de Genève qui constitue la base même du

20 droit dont elles peuvent se prévaloir."

21 Comment donc devons-nous interpréter les décisions de la Chambre

22 d'appel lorsqu'elle a déclaré dans son arrêt Tadic à la page 46,

23 paragraphe 81 que la référence aux personnes protégées et aux biens

24 protégés, telle que découlant des Conventions, des différents articles des

25 Conventions relatives aux propriétés et aux personnes protégées, détermine

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1 que ces personnes ne sont protégées que si elles ont été prises dans le

2 cadre d'un conflit armé international en dépit de ces dispositions, et

3 l'article 2 du Statut du Tribunal ne s'appliquerait qu'aux délits commis

4 dans le cadre d'un conflit armé international.

5 Non seulement, ceci se passe au cours d'un procès pénal...

6 (l'interprète se reprend)

7 Tout ce qui se déroule au cours d'un procès pénal ne doit pas

8 être prouvé au-delà de tout doute raisonnable. Les seules questions qui

9 doivent être prouvées par l'accusation au-delà de tout doute raisonnable

10 sont celles qui constituent les éléments du délit. En conséquence, si

11 l'accusation ne satisfait pas..., ne convainc pas le Tribunal d'un fait

12 au-delà de tout doute raisonnable et que ce fait constitue un élément

13 fondamental du délit, l'accusé a droit à l'acquittement.

14 Mais à aucun moment, la Chambre d'appel dans l'affaire Tadic n'a

15 déclaré que les conclusions relatives au conflit armé international

16 étaient un élément fondamental du délit qu'il convenait de prouver au-delà

17 de tout doute raisonnable pour l'accusation.

18 Dans pratiquement tout procès pénal apparaissent des questions

19 de droit qui doivent être décidées comme des questions de fait. Un exemple

20 est une objection qui a été soulevée par la défense concernant le

21 versement d'une pièce à conviction sur la base de l'argument que cette

22 pièce n'est pas pertinente. Les décisions qui consistent à savoir si, oui

23 ou non, une pièce à conviction est pertinente, cette décision est une

24 question légale, mais la base de cette décision légale repose sur le fait.

25 Par conséquent, la Chambre entend les arguments et analyse les

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1 autres pièces à conviction, les autres éléments de preuve ainsi que les

2 détails de la pièce en question afin de décider s'il y a lieu de la

3 considérer comme pertinente ou non.

4 Les faits qui sont produits à l'appui de l'argument concernant

5 une pièce donnée, concernant le fait de savoir si cette pièce est

6 pertinente ou non, ne doivent pas aller aussi loin que de démontrer au-

7 delà de tout doute raisonnable sa pertinence.

8 Dans le jugement de Celebici paragraphe 602, la Chambre dit :

9 "La charge est différente lorsque c'est l'accusé qui formule des

10 allégations ou lorsque les allégations formulées par l'accusation ne

11 constituent pas un élément essentiel des charges retenues dans l'acte

12 d'accusation. En pareil cas, la charge juridique au civil doit s'analyser

13 eu égard à la qualité de la preuve exigée des parties."

14 D'autres exemples de la même situation comprendraient les

15 allégations qui sont contenues dans un acte d'accusation. Par rapport à

16 ces allégations particulières, l'accusation cherchera à les démontrer sur

17 la base de l'équilibre des probabilités, mais ne devrait pas satisfaire la

18 Chambre de première instance au-delà de tout doute raisonnable.

19 Pour illustrer, le paragraphe 7 de l'acte d'accusation précise

20 la personnalité de l'accusé et il y est dit que ses parents sont Tale et

21 Eva et, afin de déterminer son identité, l'identité de l'accusé, il

22 pourrait être utile, pour que l'accusation démontre que ses parents

23 étaient effectivement Tale et Eva... Mais si cela n'a pas été démontré au-

24 delà de tout doute raisonnable, l'accusé ne pourrait pas sur cette base-là

25 avoir droit à un acquittement.

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1 Il ne fait aucun doute que de la manière de laquelle les

2 Conventions de Genève ont été rédigées, leur intention était que les

3 infractions graves seraient utilisées dans un contexte d'un conflit armé

4 international, que les personnes protégées seraient les personnes qui se

5 trouveraient prises au sein d'un conflit armé international, et je ne

6 conteste pas cela. Je ne pourrais pas le faire compte tenu de la

7 formulation et de la manière dont sont rédigées les Conventions.

8 Toutefois, dans cette affaire, le Procureur affirme l'existence

9 d'un conflit armé international en Bosnie en 1993. Le caractère

10 international du conflit est allégué par l'accusation en tant qu'une

11 composante juridictionnelle de l'acte d'accusation, mais cela ne signifie

12 pas qu'il doit être démontré au-delà du doute raisonnable afin que

13 l'accusé soit condamné.

14 Compte tenu du fait que l'exigence de la nature internationale

15 du conflit armé est uniquement un élément qui concerne les Etats qui

16 exercent leur compétence extra-territoriale et que cela, d'aucune manière,

17 n'entrave la compétence d'un Tribunal international, ainsi que compte tenu

18 du fait que l'article 2 du Statut du Tribunal ne fait aucune référence au

19 conflit armé international, j'estime que le fait de prouver l'existence

20 d'un conflit armé international ne peut pas constituer un ingrédient

21 essentiel de l'accusation. La question de savoir si, oui ou non, il

22 devient un élément essentiel pour un Tribunal interne d'Etat qui exerce sa

23 compétence, ceci heureusement n'est pas une question que nous devons

24 résoudre ici, devant ce Tribunal.

25 Par conséquent, puisque la question de la preuve de l'existence

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1 d'un conflit armé international n'est pas un élément essentiel de

2 l'accusation, qui ne doit pas être prouvé par l'accusation au-delà de tout

3 doute raisonnable, le fait que cela n'a pas été prouvé ne peut donner

4 droit à l'acquittement de l'accusé. L'existence d'un conflit armé

5 international est une question de compétence, une question légale de

6 compétence. Les faits dont la Chambre peut tenir compte afin de prendre sa

7 décision n'atteignent pas le point où cette question est décidée selon une

8 norme pénale. Le Tribunal peut prendre en compte un certain nombre de

9 faits, pas nécessairement les faits qui ont été présentés par

10 l'accusation. Si vous me le permettez, les Juges peuvent se fonder sur

11 leur connaissance générale ou leur expérience générale.

12 S'agissant concrètement de ce conflit armé, quel élément de

13 preuve serait suffisant pour vous afin de décider si, oui ou non, ce

14 conflit était international ? La réponse à cette question est tout à fait

15 claire et simple. Le conflit devient international par sa nature si, à un

16 moment quelconque dans le temps, une partie qui est impliquée dans ce

17 conflit, n'est pas..., n'appartient pas au même Etat souverain que les

18 autres parties impliquées dans le conflit.

19 Le Tribunal ne doit pas entrer dans la question qui est de

20 savoir quel est le degré de leur implication. Il n'est pas nécessaire de

21 démontrer que ces parties exercent une influence prédominante ou que ces

22 forces étaient présentes sur l'ensemble du territoire d'un Etat donné. Une

23 fois que cela a été montré, je considère que vous pouvez considérer -s'il

24 y a un élément de preuve à votre disposition qui montre qu'il y a une

25 différence entre les deux Etats qui a entraîné l'intervention des membres

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1 des forces armées de ces Etats, quelle que soit la durée du conflit ou

2 quel que soit le volume des assassinats qui ont eu lieu-, une fois que

3 cela a été établi, que sur la base de l'équilibre des probabilités,

4 l'article 2 du Statut implique que vous pouvez, à partir de ce moment-là,

5 vous pencher sur les éléments du crime afin de déterminer si, oui ou non,

6 il a été établi au-delà de tout doute raisonnable que l'accusé avait

7 l'intention de soumettre les détenus bosniaques musulmans à un traitement

8 inhumain, ou s'il y a eu le fait de causer intentionnellement de grandes

9 souffrances ou de porter atteinte grave à l'intégrité physique ou à la

10 santé, comme cela est visé à l'article 7 1.

11 Dans cette affaire, nous disposons d'un grand nombre d'éléments

12 de preuve montrant que la République de Croatie disposait de forces

13 militaires en Bosnie. Elles sont arrivées en 1992, elles sont restées

14 jusqu'en 1993 et au-delà. Il ne fait aucun doute que les forces militaires

15 de Croatie étaient liées au HVO qui était l'organisation des Croates de

16 Bosnie. Il ne fait aucun doute que le HVO était en conflit avec l'armée de

17 Bosnie-Herzégovine en 1993. Vous n'avez pas besoin de rentrer là-dedans

18 pour décider que vous avez compétence concernant les infractions graves.

19 Bien entendu, vous avez bien davantage d'éléments de preuve que cela. Mais

20 c'est cela dont vous avez besoin.

21 La Chambre d'appel disposait de suffisamment d'éléments de

22 preuve au moment de l'arrêt en appel Tadic pour décider de la question

23 lorsqu'elle a dit, je cite : "Le conflit dans l'ex-Yougoslavie est devenu

24 international par l'implication de l'armée croate de Bosnie-Herzégovine."

25 (page 39, paragraphe 72).

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1 Ceci a décidé de la même question que la question dont vous

2 devez décider ici. La même question a également déjà été tranchée dans

3 l'affaire Rajic au titre de -dans l'audience- l'article 61, lorsque la

4 Chambre de première instance a affirmé que les éléments de preuve étaient

5 suffisants pour démontrer qu'un conflit interne a été transformé en

6 conflit international.

7 La même question était décidée par la Chambre de première

8 instance dans l'affaire Celebici lorsque celle-ci a affirmé qu'il

9 s'agissait d'un conflit international armé en Bosnie-Herzégovine à partir

10 du moment où l'indépendance de cet Etat a été reconnue le 6 avril 1992

11 jusqu'à la signature des accords de Dayton en 1995.

12 Par conséquent, lorsque vous devez vous pencher sur cette

13 question, dans cette affaire, cette question aura déjà été analysée et

14 décidée au moins quatre fois. Bien entendu, cette fois-ci, rien n'est

15 différent et, compte tenu des quatre situations où cela a déjà été décidé,

16 donc décidé que le conflit était bien un conflit armé international, il

17 n'y a pas de raison pour que vous ne reteniez pas ce point de vue qui a

18 été retenu de manière consistante jusqu'à présent.

19 Si cette Chambre suit le raisonnement adopté dans les autres

20 affaires et, compte tenu de ce que je viens de dire, je ne pense pas qu'il

21 vous sera difficile d'arriver à la conclusion qu'un conflit international

22 armé existait bel et bien sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine à

23 l'époque qui nous concerne.

24 Vous pouvez aller plus loin en appliquant le même raisonnement

25 que j'ai déjà évoqué qui est -cela n'a pas été de manière expresse

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1 mentionné dans l'article 2 du Statut du Tribunal- : vous pouvez décider

2 que l'article 2 du Statut du Tribunal s'applique également aux conflits

3 armés internes et internationaux.

4 Dans le jugement Celebici, la Chambre de première instance a

5 étudié la possibilité de se prononcer sur cette question mais a renoncé à

6 le faire et, à la page 88, paragraphe 235 de leur jugement, ils disent :

7 "Etant arrivée à cette conclusion, la Chambre de première instance ne se

8 prononce pas sur la question qui est de savoir si l'article 2 du Statut

9 peut être appliqué à une situation d'un conflit armé international ou si

10 ces dispositions sont applicables également à des conflits armés

11 internes."

12 Je me tourne maintenant sur la question de la responsabilité

13 hiérarchique. Dans l'affaire Celebici, le jugement de la première Chambre

14 affirme à la page 346, (l’interprète se reprend) paragraphe 346, page 128,

15 que les éléments qui doivent être réunis afin d'établir l'article 7 3,

16 donc la responsabilité hiérarchique en vertu de cet article, sont les

17 suivants :

18 premièrement, l'existence d'un lien entre le supérieur et le

19 subordonné ; deuxièmement, le supérieur doit savoir ou avoir des raisons

20 de savoir qu'un acte criminel sera commis ou a été commis et,

21 troisièmement, le supérieur a omis de prendre des mesures nécessaires et

22 raisonnables afin d'empêcher un crime d'être commis et de punir ses

23 auteurs.

24 La situation dans l'ex-Yougoslavie était une situation où les

25 structures formelles s'étaient effondrées, où des instances et des

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1 structures improvisées de contrôle et de commandement ont été mises en

2 place. Ces structures souvent étaient mal définies mais ce facteur lui-

3 même, à lui seul, n'empêche pas l'application de la doctrine de la

4 supériorité hiérarchique qui est visée à l'article 7.3.

5 S'il est possible d'établir qu'un individu exerçait

6 effectivement le contrôle de ces structures improvisées, qu'il disposait

7 du pouvoir d'empêcher et de punir les crimes des personnes qui se trouvent

8 effectivement sous son contrôle, alors cet individu peut être tenu

9 responsable pour son manquement à faire cela. Par conséquent, des

10 individus qu'ils soient des individus engagés dans des structures civiles

11 ou militaires peuvent porter une responsabilité pénale, selon la doctrine

12 de la responsabilité supérieure, sur la base de leur position de

13 supériorité de fait ou de droit.

14 La simple absence d'une autorité légale formelle de contrôler

15 les actions de ses subordonnés n'empêche pas l'existence d'une

16 responsabilité criminelle, comme cela figure à Celebici paragraphe 354. Il

17 est donc évident qu'il n'y a pas de limitation expresse restreignant la

18 portée de la responsabilité hiérarchique au commandant militaire aux

19 situations qui se produisent sous un commandement militaire.

20 En revanche, l'utilisation du terme "supérieur" dans

21 l'article 7.3 juxtaposé à l'affirmation de la responsabilité pénale

22 individuelle des chefs d'Etat ou de hauts fonctionnaires dans

23 l'article 7.2 indique clairement que son applicabilité s’étend au-delà de

24 la responsabilité des commandants militaires, pour englober également les

25 dirigeants politiques et d'autres supérieurs civils qui occupent des

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1 postes de responsabilité, paragraphe 356 page 132.

2 Dans l'affaire Pohl, la culpabilité a été établie contre

3 l'accusé qui était un officier des Waffen SS, qui était un homme

4 d'affaires à la tête d'un grand complexe industriel, qui embauchait la

5 main d'oeuvre des camps de concentration, et cette décision peut être le

6 mieux interprétée sur la base du fait qu'il jouissait du pouvoir de

7 contrôle. De fait, accusé d'être responsable des conditions dans

8 lesquelles étaient exposés ses ouvriers, il a basé sa défense

9 partiellement sur le fait que tous les mauvais traitements des prisonniers

10 qui ont été provoqués ont été dus aux gardiens du camp de concentration

11 sur lesquels il n'avait aucun contrôle.

12 Et ceci a été rejeté par le Tribunal de Nuremberg qui a constaté

13 que Pohl faisait partie intégrante de l'ensemble du processus des camps de

14 concentration. S'il y a eu des excès dans des industries qui étaient

15 placées sous son contrôle, non seulement il le savait mais il aurait pu

16 faire quelque chose.

17 Par conséquent, les pouvoirs d'influence, le pouvoir

18 d'influence, lorsqu'il n'est pas équivalent au pouvoir formel de

19 commandement, représente néanmoins une base suffisante pour qu'on puisse

20 imputer la responsabilité hiérarchique.

21 Les affaires où la responsabilité pénale est imputée, pour avoir

22 manqué d'agir à des postes civils de responsabilité, indiquent également

23 que ces individus peuvent répondre pénalement pour des actes qui ont été

24 commis par des personnes qui se trouvaient sous leur autorité formelle,

25 bien que selon la loi nationale, cette autorité est limitée ou n'existe

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1 pas. Alors quels que soient les arguments que puisse avancer la défense

2 concernant l'autorité de jure d'Aleksovski, nous avons des éléments de

3 preuve montrant que les commandants d'équipe ne pouvaient pas….

4 M. le Président. - Excusez-moi de vous interrompre, mais je

5 constate que la traduction française va avec un délai d'au moins

6 20 lignes. Si on compare ce que je vois dans le transcript et ce que

7 j'entends dans mes écouteurs, on à un retard de 20 lignes pour la

8 traduction française. Il faut peut-être laisser un peu de temps pour la

9 traduction française.

10 L'interprète. - Oui, Monsieur le Président.

11 M. le Président. – On peut peut-être ralentir un peu. C'était

12 pour cela que je vous avais fait signe avant. Je crois qu'il faudrait

13 peut-être attendre un peu que les interprètes françaises rattrapent le

14 retard et on doit faire le chemin en même temps. Cela va pour vous ?

15 L'interprète. - Oui, Monsieur le Président.

16 M. le Président. – Maître Niemann, vous arrêtez un peu. La

17 traduction française va se mettre en parallèle avec la traduction anglaise

18 et on peut reprendre après.

19 L'Interprète. - La cabine française va rattraper le discours de

20 Me Niemann.

21 Quels que soient les arguments que la défense puisse avancer

22 concernant l'autorité de jure d'Aleksovski, nous disposons de suffisamment

23 d'éléments de preuve nous montrant que les commandants d'équipe n'avaient

24 aucune possibilité de donner des instructions de leur propre chef, qu'ils

25 devaient tout d'abord recevoir des instructions de la part du directeur

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1 (voir dans le compte rendu pages 30-34).

2 Nous avons également amplement d'éléments de preuve montrant

3 qu'Aleksovski donnait des ordres aux gardiens, qu'il a même donné des

4 ordres aux gardiens, qu'il leur intimait de battre des prisonniers (voir

5 dans le compte rendu P 13-89).

6 Il est dénué de sens de suggérer qu'il n'exerçait pas de

7 contrôle sur les gardiens du camp. Il était le directeur, il avait la

8 responsabilité de gérer cet établissement et le seul moyen qui aurait pu

9 lui permettre..., le seul moyen par lequel il aurait pu le faire était en

10 exerçant son contrôle sur le personnel y compris les gardiens de la

11 prison.

12 Si une personne est un supérieur et si elle dispose du pouvoir

13 d'influencer un événement, il ne peut pas invoquer en sa défense le manque

14 d'autorité formelle ou de jure puisqu'il a manqué d'entreprendre une

15 action. Ainsi un supérieur est un supérieur, un supérieur dans sa position

16 occupe un poste de supériorité par rapport à ceux qui perpètrent des

17 faits. Ainsi, il dispose d'un savoir nécessaire concernant les événements,

18 les événements qui se produisent et, s'il n'agit pas, ce qui est dans ses

19 pouvoirs, soit pour empêcher que d'autres crimes ne se produisent, soit

20 pour punir ceux qui ont perpétré les faits déjà commis, alors dans ces

21 circonstances, il est coupable selon le principe de la responsabilité

22 hiérarchique. Il ne peut pas dire : "Eh bien j'étais le directeur de la

23 prison."

24 La cabine française pense avoir rattrapé.

25 M. le Président. - La cabine française a rattrapé la cabine

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1 anglaise. On peut donc continuer mais en sachant que la cabine française

2 va un peu plus lentement, et je crois que pour la cabine anglaise, un peu

3 de lenteur serait bien aussi, non ? Oui.

4 Donc, Maître Niemann, vous pouvez poursuivre après ces petits

5 règlements techniques. Je ne doute pas de la compétence technique des

6 interprètes, cela doit être clair.

7 Vous pouvez continuer Maître Niemann.

8 M. Niemann (interprétation). - Merci. L'accusé ne peut pas

9 dire : Eh bien, moi, j'étais le directeur de la prison, je savais que les

10 détenus étaient maltraités contrairement aux prévisions, aux dispositions

11 des Conventions de Genève, mais ces gardiens n'étaient pas sous mon

12 commandement parce que moi, j'étais sous la compétence du département de

13 la justice et les gardiens se trouvaient sous l'autorité du département de

14 la défense." Mais le fait est qu'il aurait pu agir s'il avait voulu, par

15 exemple, lorsque deux détenus musulmans Ermin Elezovic et Jasmin Sehovic

16 ont été sortis afin de creuser des tranchées, quand ils ont été soumis à

17 un mauvais traitement et finalement tués, à ce moment-là, il n'a pas

18 invoqué un manque d'autorité, il a entrepris l'action appropriée en

19 lançant une enquête formelle et en montrant qu'il était loin de manquer de

20 pouvoir.

21 La défense souhaiterait que vous croyiez qu'à moins de posséder

22 la totalité de l'autorité de jure sur la destinée de ces subordonnés,

23 alors l'article 7.3 du Statut ne peut pas s'appliquer, et ceci simplement

24 n'est pas vrai, ceci n'est pas vrai de dire que l'article 7.3 ne

25 s'applique qu'aux situations où il peut entreprendre une action punitive

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1 directe.

2 Il y a beaucoup de choses qu'il aurait pu faire. Par exemple, il

3 aurait pu donner un ordre aux gardiens de ne pas battre les détenus au

4 lieu de faire le contraire, à savoir en leur ordonnant de battre des

5 prisonniers. Il aurait pu éviter de montrer un mauvais exemple aux

6 gardiens lorsque lui-même a pris part à des passages à tabac des

7 prisonniers, il aurait pu faire un rapport concernant les gardiens qui

8 battent les prisonniers, il aurait pu dire aux observateurs européens

9 quelle était la situation. Il aurait pu s'adresser au CICR sur le supplice

10 des détenus musulmans au lieu de leur mentir au moment où ils ont demandé

11 qui était enfermé dans la cellule. Il a dit que cette cellule ne contenait

12 que des produits alimentaires alors qu'en fait, un prisonnier était

13 enfermé dedans, qui avait été grièvement battu (voir dans le compte

14 rendu B1472). Il aurait pu dire à l'équipe médicale du centre médical de

15 Busovaca qui a cherché apparemment à aider un certain nombre de

16 prisonniers en prescrivant un traitement médical à domicile, il aurait pu

17 partir, quitter son poste. Il a eu tellement de possibilités d'agir,

18 tellement de possibilités à sa disposition, mais il n'a rien fait.

19 Pourquoi ? C'est clair, il soutenait entièrement la cause croate

20 nationale, il adhérait pleinement au projet du nettoyage ethnique de la

21 vallée de la Lasva et il exécutait sa part du projet. Aleksovski avait une

22 connaissance directe de ce qui se produisait sur le terrain, il était

23 présent lorsque des détenus musulmans ont été emmenés creuser des

24 tranchées. Il était sur place lorsqu'ils ont été tellement épuisés qu'ils

25 ont perdu connaissance à force de creuser des tranchées. Il était là

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1 lorsqu'il y a eu constitution de bouclier humain. Il était là lorsqu'ils

2 ont été battus, il était là lorsqu'ils ont été si gravement battus qu'ils

3 avaient besoin de soins médicaux, il était là lorsqu'ils avaient besoin de

4 dormir et qu'ils ne pouvaient dormir que sur des planches en bois, il

5 était là lorsque les cellules étaient trop pleines de personnes, il était

6 là lorsqu'il faisait froid et qu'ils n'avaient pas la possibilité de se

7 couvrir, il n'y avait pas suffisamment de couvertures. Il était là quand

8 ils étaient malades et quand ils ne recevaient pas de soins médicaux

9 adéquats.

10 Il avait une connaissance directe de toutes ces affaires et non

11 pas une connaissance indirecte. Nous n'invoquons pas ici une connaissance

12 indirecte ici, nous n'en avons pas besoin, nous avons suffisamment

13 d'éléments de preuve de sa connaissance directe et de sa participation

14 personnelle.

15 Dans le jugement Celebici, la Chambre de première instance a dit

16 que des informations spécifiques devaient être à la disposition d'un

17 supérieur qui l'informeraient des délits commis par ses subordonnés. La

18 Chambre de première instance a cependant noté que l'information n'avait

19 pas besoin d'être suffisante pour entraîner une conclusion sur l'existence

20 des crimes, mais qu'elle devrait être suffisante pour entraîner une

21 enquête sur l'existence possible des crimes qui avaient été commis.

22 Tout ce qui est nécessaire est l'information d'une nature

23 suffisamment générale et fiable qui, comme le dit cette section, aurait dû

24 lui permettre d'en déduire. Mais ces formulations ne s'appliquent que dans

25 les circonstances où il n'y a pas de connaissance directe de sa présence,

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1 lorsque les crimes sont effectivement commis.

2 Compte tenu des éléments de preuve dans cette affaire, il n'est

3 nullement contesté qu'Aleksovski était directeur ou commandant du camp. Il

4 l'admet lui-même clairement.

5 Mais indépendamment de tout ce qu'il peut dire, il existe des

6 preuves prépondérantes de sa position de responsabilité et, comme cela est

7 noté dans le jugement Celebici, au paragraphe 750, la Chambre de première

8 instance dit : "Il ressort à l'évidence du témoignage de tous les détenus

9 que Zdravko Mucic était le commandant du camp." Ils sont parvenus à cette

10 conclusion parce que M. Delic l'appelait "commandant" ou parce que Mucic

11 se présentait comme commandant lui-même, ou encore parce que son

12 comportement envers les gardiens était celui d'un commandant. En bref,

13 tous les actes de Mucic portaient la marque et les signes extérieurs de

14 l'exercice d'une autorité de fait. Même en l'absence d'une autorité

15 explicite de jure, l'exercice par un supérieur d'un contrôle de fait peut

16 le rendre responsable pénalement des actes de ses subordonnés.

17 Dès lors que Mucic -et c'est le cas en l'espèce- exerce ses

18 pouvoirs et toutes les fonctions qu'il aurait eues s'il avait été nommé

19 officiellement à ce poste, il est inutile de débattre plus en avant. Au

20 paragraphe 261, la Chambre de première instance affirme que la portée

21 précise des tâches des supérieurs n'est pas pertinente à la question. Il y

22 avait des éléments de preuve de sa présence dans le camp et de l'exercice

23 de fait de son autorité sur le personnel du camp. Il serait difficile de

24 trouver un exemple plus convaincant d'autorité hiérarchique que celle

25 d'Aleksovski sur la base des éléments de preuve que nous avons entendus

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1 ici et qui sont franchement incontestables.

2 Je passe maintenant à la question des chefs d'accusation de

3 moindre gravité. La question qui est de savoir si la Chambre de première

4 instance est compétente pour déclarer l'accusé non coupable d'un chef

5 d'accusation grave spécifié dans l'acte d'accusation mais, sur la base des

6 éléments de preuve, de le déclarer coupable de chefs d'accusation de

7 moindre gravité. Ceci est une question qui n'est pas sans soulever de

8 controverses.

9 La Chambre de première instance, dans le cas Tadic, a décidé

10 qu'elle n'avait pas la compétence de déclarer l'accusé coupable de chefs

11 d'accusation moins graves dans ces circonstances où l'accusé a été

12 acquitté de chefs d'accusation plus graves. La Chambre de première

13 instance de Celebici a cependant été du point de vue contraire. Au

14 paragraphe 866, je cite : "Toutefois, il est manifeste que M. Delic et

15 M. Landzo ont, à tout le moins, perpétré des actes odieux qui ont causé de

16 grandes souffrances physiques à la victime et, même s'ils ne sont pas

17 accusés de ce chef, il est un principe de droit qui veut qu'un crime grave

18 englobe un crime moins grave."

19 Donc, la Chambre de première instance conclut que "M. Delic et

20 M. Landzo ne sont pas coupables d'homicide intentionnel et de meurtre,

21 mais elle les reconnaît coupables d'avoir causé intentionnellement de

22 grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la

23 santé, une infraction grave selon les Conventions de Genève de 1949,

24 sanctionnée par l'article 2 du Statut du Tribunal, et coupables de

25 traitements cruels constitutifs des violations des lois ou coutumes de la

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1 guerre, sanctionnés par l'article 3."

2 Eu égard au fait que le Tribunal pénal international ne se

3 limite pas à un seul système juridique, il serait totalement approprié et

4 raisonnable pour cette Chambre de première instance de suivre et d'aller

5 au-delà de ce qu'a fait la Chambre de première instance Celebici et

6 d'introduire le principe de crime moins grave comme étant inclus dans le

7 délit sur les bases généralement applicables à l'ensemble des crimes dont

8 ce Tribunal a compétence de juger.

9 Monsieur le Président, j'aimerais maintenant passer à un autre

10 point et aborder brièvement les arguments de la défense. Au

11 paragraphe 2.1, la défense affirme dans son mémoire que le Procureur n'a

12 pas prouvé qu'il y avait une situation de conflit armé international ou

13 d'occupation partielle sur le territoire de la municipalité de Busovaca

14 dans la période allant de janvier à la fin mai 1993. Elle a tout à fait

15 raison. Nous n'avons pas été aussi précis, et la raison de cela est due au

16 fait que, juridiquement, nous n'avions pas pour obligation d'apporter

17 cette preuve pour que les dispositions relatives aux infractions graves

18 des Conventions de Genève s'appliquent.

19 Il n'a pas été déclaré dans l'acte d'accusation que nous avons

20 pour obligation d'apporter cette preuve, et nous n'avons jamais dit que

21 nous allions le faire. Le Procureur, cependant, au paragraphe 22.1 de

22 l'acte d'accusation a allégué qu'une situation de conflit armé

23 international existait dans la République de Bosnie-Herzégovine à l'époque

24 pertinente, et c'est un fait que nous avons sans aucun doute prouvé.

25 Lorsque nous parlons des paramètres du conflit, en parlant des

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1 paramètres du conflit, la Chambre de première instance Celebici a exprimé

2 l'avis suivant (page 79, paragraphe 209) :"Avant d'aller plus loin, la

3 Chambre de première instance estime nécessaire de faire une mise au point

4 pour prévenir toute confusion quant aux paramètres de ce concept de

5 conflit armé international. Pour déterminer si le conflit était

6 international ou interne, nous ne nous arrêterons pas au cas de la

7 municipalité de Konjic et des forces particulières engagées dans les

8 combats dont elle a été le théâtre. En fait, si le conflit en Bosnie-

9 Herzégovine était considéré comme international, les règles du droit

10 humanitaire international s'appliqueraient sur tout son territoire jusqu'à

11 la cessation générale des hostilités. A moins qu'on puisse prouver que

12 dans certaines régions, les conflits étaient des conflits internes

13 distincts sans rapport avec le conflit armé international plus large."

14 Je pense qu'il n'est pas nécessaire que je m'arrête plus

15 longuement sur cette question qui est de nature factuelle principalement

16 et qui sera discutée plus en détail par mon collègue Me Meddegoda.

17 La défense, dans son mémoire aux pages 14 et 15, est d'accord

18 avec l'accusation qui affirme que l'accusé a commencé à travailler en tant

19 que directeur de la prison de Kaonik en janvier 1993 et qu'il exerçait son

20 contrôle sur l'ensemble du camp. Mais la défense affirme que parce que

21 nous n'avons pas prouvé qu'il était membre du HVO, parce qu'il n'avait pas

22 de grade, parce qu'il n'était pas commandant d'une unité militaire, et

23 parce qu'en raison donc de tous ces faits, il y a de notre part une

24 défaillance fondamentale.

25 L'accusation n'a jamais allégué que l'accusé avait un grade

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1 militaire ou qu'il commandait une unité militaire. Cela n'est pas stipulé

2 dans l'acte d'accusation. Cela n'a pas été stipulé dans l'acte

3 d'accusation parce que sur le plan du droit, ce n'était pas une obligation

4 légale incombant à l'accusation que d’en apporter la preuve.

5 Dans le jugement Celebici, page 261, la Chambre de première

6 instance se réfère à l'argument de la défense au sujet du fait que

7 l'accusé était le commandant de Celebici -il s'agit de Mucic- et qu'il

8 n'avait pas officiellement été investi de ce poste de commandement

9 officiellement. Cependant, Mucic ne pouvait donc pas être tenu pour

10 responsable.

11 La défense... Le jugement fait référence à la position de la

12 défense selon laquelle Mucic a fait ce qu'il a pu dans les limites de son

13 autorité, et elle conclut qu'il était en position d’aider les détenus. Et

14 la Chambre de première instance ajoute : "Les personnes investies d'une

15 autorité que ce soit dans le cadre de structures civiles ou militaires

16 peuvent être tenues pour pénalement responsable en vertu de la doctrine de

17 la responsabilité du supérieur hiérarchique, eu égard à leur situation de

18 supérieur de droit ou de fait. Le défaut d'autorité sur les subordonnés au

19 regard de la loi ne devrait donc pas empêcher d'engager cette

20 responsabilité.".

21 Page 17 du mémoire de la défense, il est déclaré que

22 l'accusation n'a pas réussi à prouver que l'accusé connaissait la

23 commission des délits en contravention des Conventions de Genève ou le

24 fait que des personnes étaient sur le point de commettre de tels crimes.

25 Cette déclaration est tout à fait extraordinaire si l’on tient compte des

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1 éléments de preuve qui ont été apportés au cours du procès.

2 Aleksovski, lui-même, admet que des délits en contravention des

3 Conventions de Genève ont bel et bien été commis et qu'il a participé à la

4 commission de ces crimes, qu'il était présent au moment où ces crimes ont

5 été commis, et il aurait donc fallu qu'il soit dans un état comateux pour

6 ne pas avoir su ce qui se passait dans le camp de Kaonik pendant la

7 période pertinente. Or, personne n'a jamais suggéré qu'Aleksovski était

8 dans le coma à l'époque.

9 La défense poursuit ensuite, en bas de page 17, en faisant un

10 commentaire absolument infondé : "L'analyse des positions des témoins au

11 sujet des faits contestés donne l'impression indubitable que les témoins

12 ont reçu des instructions et ont été manipulés par l'AID, police secrète

13 contrôlée par les Musulmans de Bosnie."

14 M. le Président. - Seulement pour vous dire que vous pouvez

15 ralentir un peu parce qu'à la fin, on peut vous faire un cadeau d'extra-

16 time.

17 M. Niemann (interprétation). - Je vous remercie. Ce qui me

18 préoccupe davantage, c'est mon collègue, le temps dévolu à Me Meddegoda,

19 mais je vais ralentir.

20 Les témoins auraient donc reçu des instructions et auraient été

21 manipulés par l’AID, police secrète contrôlée par les Musulmans de Bosnie,

22 ce qui est indiqué par le fait que leur déposition a été prise dans les

23 locaux de la police au cours de procédure préalable au procès.

24 Je voudrais nier absolument le fait que ces témoins auraient pu

25 être manipulés ou recevoir des instructions de la part de la police

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1 secrète au cours de leur déposition préalable au procès.

2 En effet, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ces

3 déclarations préalables au procès ont été recueillies par des enquêteurs

4 professionnels du bureau du Procureur. Les témoins n’ont absolument pas

5 été manipulés. Il n'existe absolument rien pour prouver ce fait, et, à

6 notre avis, une telle allégation est le signe d'une grande lâcheté, si on

7 tient compte du fait que les témoins n'ont jamais été contre-interrogés

8 sur ce point. Ils sont venus à La Haye, ils se sont soumis à un contre-

9 interrogatoire, mais personne parmi les conseils de la défense n'a eu le

10 courage de les mettre face à ces allégations sans fondement et

11 injurieuses. Les conseils de la défense ont attendu qu'ils retournent chez

12 eux de façon à pouvoir formuler ces allégations dans leur dos, dans des

13 circonstances dans lesquelles les témoins n'avaient plus la moindre

14 possibilité de répondre.

15 A la page 18 du mémoire de la défense, celle-ci se plaint du

16 fait que nous n'avons produit aucun dossier médical relatif aux personnes

17 décédées. Eh bien, il y a une très bonne raison à cela, et cette raison,

18 c'est que l'accusé M. Aleksovski n'a pas été mis en accusation pour un

19 quelconque assassinat, pour l'assassinat de qui que ce soit. Mais nous

20 sommes tout à fait prêts à rendre service à la défense, s'il nous est

21 demandé de fournir ces éléments de preuve à condition que nous puissions

22 les découvrir.

23 Eu égard à l'élément de preuve portant sur une atteinte à

24 l'intégrité physique ou mentale, eh bien, de nombreuses preuves ont été

25 apportées sur ce point, mais rien n'est exigé de nous dans ce domaine, je

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1 le répète, il n'est pas en tout cas exigé que nous étayions nos preuves

2 par des dossiers médicaux lorsqu'il existe des témoins oculaires des

3 faits.

4 Aussi bien les Chambres de première instance Tadic que Celebici

5 ont estimé que la corroboration des preuves n'était pas une obligation au

6 terme du droit coutumier en droit international et, cela étant, cela ne

7 doit pas être régulièrement demandé par ce Tribunal International,

8 paragraphe 594 du jument Celebici, paragraphe 539 du jugement Tadic et

9 paragraphe 132-236 de l'affaire Akayesu*. En conséquence, des dépositions

10 dues à des témoins oculaires suffisent pour établir de tels faits et le

11 témoignage d'experts médicaux sur ces questions n'est pas exigible.

12 C'est un témoin oculaire qui a témoigné en parlant de ce fait,

13 et donc les Chambres de première instance Tadic et Celebici se sont

14 appuyées sur ces dépositions dans les deux cas. Les témoignages de témoins

15 oculaires ou de victimes ont été considérés comme généralement acceptables

16 et véridiques et donc fiables.

17 Ce qui est intéressant, c'est que la défense ne conteste pas le

18 fait que la police du HVO emmenait des Musulmans pour le faire… des

19 Musulmans prisonniers hors du camp de Kaonik pour qu'ils creusent des

20 tranchées. La défense répète qu'elle considère établi que Jasmin Sehovic

21 et Ermin Elezovic ont été tués le 7 février 1993 alors qu'ils avaient été

22 emmenés par la force creuser des tranchées à Kula par le HVO.

23 Eu égard à cela, la défense dit que l'accusé, la police

24 militaire et les tribunaux compétents ont pris les mesures qui

25 s'imposaient. La réponse du Procureur consiste à dire que l'accusé avait

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1 donc connaissance du fait. Il était en pouvoir d'intervenir, d'agir s'il

2 le souhaitait. Il savait exactement combien il était dangereux pour les

3 Musulmans d'être emmenés creuser des tranchées et ceci est clairement

4 admis en outre par l'accusé, ce qui ne peut que le rendre plus coupable.

5 S'agissant du classement du conflit en tant que conflit

6 international et du statut de personnes protégées, dans les aspects et

7 catégories juridiques, 4ème chapitre du mémoire de la défense, la défense

8 s'appuie presque exclusivement sur le jugement Tadic, ce qui se comprend

9 puisque le jugement Celebici n'était pas encore prononcé à l'époque.

10 Cependant, nous avons constaté -et je viens d'en discuter- que sur ce

11 point, le jugement Tadic est différent du jugement Celebici. Ce qui est

12 intéressant en page 41 du mémoire de la défense, c'est que celle-ci

13 concède ce qui suit : "La défense estime qu'il n'existe aucun doute quant

14 au fait que les victimes alléguées sont couvertes par l'acte d'accusation

15 et étaient des civils."

16 Bien sûr, cet acte d'accusation Aleksovski concerne plusieurs

17 accusés et certains ont donc été séparés de lui, des procès séparés

18 s'étant tenus. De nombreuses allégations de l'acte d'accusation

19 s'appliquent exclusivement à d'autres accusés sans avoir la moindre

20 influence sur M. Aleksovski. Cependant, il y a quelques paragraphes qui

21 s'appliquent, par exemple, le paragraphe 1. A notre avis, le Procureur a

22 prouvé l'allégation concernant le conflit contenu dans ce paragraphe.

23 Certaines des allégations….

24 M. le Président. - Excusez-moi, il faut attendre un peu plus la

25 traduction française qui va avec un retard considérable. La cabine

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1 française, pouvez-vous continuer jusqu'au moment où Me Niemann s'est

2 arrêté, s'il vous plaît ?

3 L'Interprète. - Certaines de ces allégations dans le

4 paragraphe 1 ne sont que des détails et n'ont pas besoin d'être prouvées

5 au-delà de tout doute raisonnable, mais ont néanmoins été prouvées.

6 Paragraphe 7 :"Les détails sur l'accusé ont été prouvés au

7 niveau requis.

8 Paragraphe 20 :"Le Procureur a prouvé au-delà de tout doute

9 raisonnable que l'accusé était commandant de Kaonik à la période

10 pertinente, qu'il était dans un poste de supériorité par rapport aux

11 autres dans le camp, qu'il exerçait le rôle de commandant parce qu'il a pu

12 rencontrer des responsables de la communauté internationale. Le Procureur

13 a également prouvé au niveau requis qu'il comprenait les Conventions de

14 Genève".

15 Paragraphe 21...

16 L'interprète a rattrapé, Monsieur le Président.

17 M. le Président. – Maître Niemann, vous pouvez continuer. Peut-

18 être un peu plus lentement pour éviter cette situation, s'il vous plaît.

19 Maître Niemann. Excusez-moi.

20 M. Niemann (interprétation). - Absolument, Monsieur le

21 Président.

22 Paragraphe 21 :"Le Procureur a prouvé qu'Aleksovski exerçait son

23 contrôle sur la prison de Kaonik."

24 Paragraphe 22.1 : "Le Procureur a prouvé au niveau requis qu'un

25 conflit armé international et une occupation partielle existaient en

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1 Bosnie-Herzégovine dans la période pertinente."

2 Paragraphe 22.2 : "Le fait que des infractions graves alléguées

3 se sont produites au cours d'un conflit armé international a été prouvé

4 au-delà du niveau requis à notre avis".

5 Paragraphe 22.3 : "Le Procureur a prouvé que les crimes

6 poursuivis en tant que crimes contre l'humanité ont été commis dans le

7 cadre d'une attaque généralisée et systématique."

8 Paragraphe 22.4 : "Les victimes étaient protégées au titre de la

9 Convention de Genève et ceci a également été prouvé."

10 Paragraphe 22.5 : "Le fait que l'accusé était lié par les

11 Conventions de Genève a été établi par des éléments de preuve."

12 Paragraphe 31 : "Il a été établi qu'à la période pertinente,

13 l'accusé Aleksovski a accueilli et placé en détention des centaines de

14 civils musulmans bosniens des mains du HVO et de ses agents. Ces civils

15 étaient pour la plupart originaires des municipalités de Vitez et de

16 Busovaca. Le fait que nombre des détenus aient subi un traitement inhumain

17 qui englobait des sévices physiques et psychologiques au cours des

18 interrogatoires, des travaux forcés et y compris le fait d'avoir à creuser

19 des tranchées et de servir de bouclier humain et que certains des détenus

20 ont été assassinés ou tués d'une autre manière a été prouvé."

21 Paragraphe 37 : "Le fait que l'accusé était responsable au titre

22 de l'article 7, paragraphes 1 et 3 du Statut du Tribunal, responsable donc

23 de traitements inhumains contraires aux dispositions de l'article 2 b du

24 Statut, responsable d'avoir causé intentionnellement de grandes

25 souffrances ou des atteintes importantes à l'intégrité physique et à la

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1 santé, en contradiction aux dispositions de l'article 2 c du Statut, et

2 responsable d'outrage à la dignité personnelle en contradiction à

3 l'article 3 du Statut, tout cela a été prouvé au niveau requis. De sorte

4 que, à notre avis, l'accusé est coupable des charges retenues contre lui."

5 J'aimerais maintenant, Monsieur le Président, Messieurs les

6 Juges, parler de la sentence. Encore une fois, en tenant compte de la

7 décision de la Chambre de première instance Celebici aux paragraphes 1237

8 à 1248, nous voyons que cette Chambre de première instance discute des

9 éléments particulièrement intéressants que sont les critères appliqués à

10 Pavo Mucic, commandant du camp-prison de Celebici et donc dans un poste

11 très analogue à celui d'Aleksovski, les critères pris en compte pour

12 déterminer la sentence qu'il convenait de lui imposer.

13 Contrairement à la situation dans laquelle se trouve

14 M. Aleksovski, la Chambre de première instance reconnaît qu'il n'y a aucun

15 élément de preuve crédible fourni au cours du procès de M. Mucic prouvant

16 que celui-ci ait participé effectivement à des actes de violence contre

17 les prisonniers et qu'il ait donc pu, de temps à autres, prévenir ces

18 actes de violence.

19 Mais la Chambre de première instance Celebici n'utilise pas

20 cette distinction pour réduire la culpabilité de Mucic. Au contraire, aux

21 paragraphes 1242 et 1243, le jugement de Celebici fait observer ce qui

22 suit : "Les conditions d'emprisonnement au camp de détention de Celebici

23 étaient dures et, de fait, inhumaines. Nul ne semblait se préoccuper de la

24 survie des détenus. C'est Zdravko Mucic, chef du camp de détention de

25 Celebici, après sa création, qui a créé ces conditions. Mucic était

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1 responsable des conditions de vie dans le camp de détention et de la

2 détention illégale des civils qui y étaient emprisonnés. Il n'a rien fait

3 pour empêcher les gardiens de maltraiter les prisonniers ou pour les en

4 punir, ou même pour enquêter sur les cas de mauvais traitements, notamment

5 le décès de détenus.

6 Donc, eu égard à la responsabilité au titre de l'article 7,

7 paragraphe 3, la responsabilité pénale individuelle de Mucic n'avait aucun

8 rapport avec le fait de savoir s'il avait participé directement à des

9 actes de violence contre des prisonniers ou pas."

10 Je considère que cette décision est en accord avec les

11 commentaires de la Croix-Rouge internationale qui stipule de quelle façon

12 les supérieurs sont souvent dans une position unique qui leur permet de

13 réduire les souffrances en cas de guerre.

14 Au paragraphe 1248, la Chambre de première instance Celebici

15 fait observer : "Dans l'ensemble, la Chambre de première instance a pris

16 en considération le comportement de l'accusé, alors qu'il détenait un

17 pouvoir immense et qu'il avait droit de vie ou de mort sur les détenus du

18 camp de détention.

19 La Chambre de première instance a tenu compte du fait qu'aucun

20 témoin n'a désigné l'accusé comme ayant pris une part active à l'un des

21 meurtres ou actes de torture pour lesquels sa responsabilité en tant que

22 supérieur hiérarchique est engagée.

23 Le tableau qui est fait semble plutôt indiquer une défaillance

24 due à la faiblesse humaine qu'une intention de nuire. La responsabilité

25 pénale de M. Mucic tient entièrement au fait qu'il a omis d'exercer son

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1 autorité de supérieur hiérarchique au bénéfice des prisonniers du camp de

2 détention de Celebici."

3 Monsieur Aleksovski, en revanche, a participé directement aux

4 passages à tabac et aux interrogatoires des prisonniers. C'est lui qui a

5 envoyé des prisonniers sur le front pour creuser des tranchées jour après

6 jour. Il a caché des prisonniers qui avaient subi des sévices aux

7 délégations de la Croix-Rouge internationale, et il a promis à l'un des

8 gardes que Hamdo Dautovic ne sortirait pas vivant de Kaonik.

9 Si l'on applique la logique que l'on trouve dans le jugement

10 Celebici, l'intention de nuire répétée, manifestée par Aleksovski,

11 intervient comme facteur aggravant qui devrait alourdir sa sentence, y

12 compris pour des actes de violence commis par des subordonnés et auxquels

13 Aleksovski n'a pas participé directement.

14 Aleksovski avait la possibilité de prévenir les maux subis par

15 les prisonniers et, ce qui est encore plus important, il était de son

16 devoir de prévenir ces maux. L'accusé a accepté un mandat du gouvernement

17 du HVO et de l'armée, mandat qui faisait de lui la personne responsable du

18 fonctionnement de la prison. Il avait une grande autorité sur cette

19 institution, sur les gardes de la prison et sur la vie des prisonniers.

20 L'accusé avait un diplôme universitaire et une expérience

21 professionnelle antérieure sur la base de laquelle il était totalement

22 conscient des normes à appliquer pour faire fonctionner une prison. Il n'a

23 déployé aucun effort sérieux pour remplir son devoir et alléger les

24 souffrances ou améliorer les déplorables conditions de vie des prisonniers

25 bien que la domination qu'il exerçait sur la structure de la prison et sur

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1 les gardes lui aurait rendu la tâche très aisée en la matière.

2 Toute abrogation de la responsabilité de l'accusé au titre de

3 l'article 7 3, en tant que supérieur hiérarchique, serait un acte plus

4 coupable encore que la commission des crimes précis qui lui sont reprochés

5 et ce, parce qu'en établissant la théorie de la responsabilité du

6 supérieur hiérarchique dans les protocoles additionnels aux Conventions de

7 Genève de 1949, la communauté internationale a établi que

8 l'accomplissement de son devoir par un supérieur était capital pour

9 réduire les souffrances liées à la guerre.

10 C'est dans ce contexte que la Cour suprême d'Argentine a conclu,

11 suite à la sale guerre d'Argentine, que la culpabilité d'une personne qui

12 avait commis un délit particulier perdait de son importance en comparaison

13 avec un accusé contrôlant la totalité d'une institution. En vertu de

14 l'article 101 B, petit 2 du règlement, le Procureur affirme qu'il n'existe

15 pas de circonstances atténuantes ou d'exemples de coopération

16 particulièrement importante avec le Procureur qui pourraient valoir une

17 réduction de la sentence à l'accusé.

18 Eu égard au degré de participation directe de l'accusé dans la

19 commission des crimes qui lui sont imputés -participation directe qui

20 montre bien quel était son état d'esprit- et eu égard au fait que les

21 délits commis par lui sont graves, nous rappelons que la pratique du

22 Procureur consiste à s'exprimer sur ce qu'il estime devoir être la

23 sentence appropriée au moment de la condamnation d'un accusé. Par

24 conséquent, j'ai pour instruction de faire savoir à la Chambre de première

25 instance que le Procureur considère qu'après avoir tenu compte de toutes

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1 les circonstances relatives à cette affaire, la sentence appropriée dans

2 le cas de M. Aleksovski est une sentence qui ne devrait pas être

3 inférieure à dix ans d'emprisonnement.

4 Je vous remercie, Monsieur le Président. J'en suis arrivé au

5 terme de mon réquisitoire et j'aimerais maintenant donner la parole à mon

6 collègue Me Meddegoda qui traitera des faits.

7 M. le Président. - Merci, Maître Niemann. Je crois que nous tous

8 connaissons la capacité d'analyse et de synthèse de Me Meddegoda. On va

9 donc lui accorder une pause de 20 minutes, ainsi que pour nous, avant

10 qu'il ne commence. Une pause de 20 minutes donc.

11 (L'audience, suspendue à 16 heures 40, est reprise à 17 heures.)

12 M. le Président. - Il faudrait peut-être donner une petite

13 explication à propos de la traduction. Les traductrices devraient avoir

14 plusieurs textes, notamment le texte officiel de votre traduction de la

15 décision de Celebici. Pour traduire, elles auraient dû avoir la traduction

16 officielle, mais c'est dépassé, je crois, parce qu'on a fait appel à la

17 capacité de synthèse de Me Meddegoda. Le cadeau, c'était pour le

18 Procureur, pas seulement pour Me Niemann !

19 Je peux vous dire aussi que nous avons réorganisé un peu le

20 cadre de nos travaux et donc la Chambre va avoir la matinée et l'après-

21 midi parce qu'on aura peut-être besoin de temps supplémentaire pour la

22 réplique et la duplique.

23 Maître Meddegoda, de cette façon, nous n'allons pas voir

24 vraiment quelle est votre capacité de synthèse, mais nous croyons vraiment

25 que vous avez cette capacité. Il faut donc aller lentement, parce que les

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1 interprètes doivent aussi prendre l'interprétation officielle. Quand vous

2 citez, les interprètes doivent prendre la version originale de Celebici ou

3 Tadic, ou quelque chose comme cela. Je crois que le moment est si

4 important pour la Chambre et pour l'affaire qu'il faut prendre le temps

5 nécessaire pour bien faire les choses.

6 Maître Meddegoda, vous prenez votre temps, en sachant qu'à

7 6 heures, on finira pour aujourd'hui, mais vous pouvez continuer demain en

8 sachant aussi que le conseil de la défense va aussi avoir son temps.

9 Demain, on reprendra à 9 heures 30 jusqu'à une 13 heures le matin.

10 L'après-midi, on recommencera à 14 heures 30 jusqu'à 18 heures si

11 nécessaire. Il faut donc parler lentement, que ce soit pour le Procureur,

12 que ce soit pour la défense. C'est donc à vous maintenant,

13 Maître Meddegoda. Nous allons vous écouter avec intérêt.

14 M. Meddegoda (interprétation). - Je respecterai totalement vos

15 directives. Quant à moi, Messieurs les Juges, je me pencherai sur les

16 questions de fait et j'examinerai les éléments de preuve présentés à cette

17 première instance. Au cours de la présentation de ces moyens de preuve,

18 l'accusation a cité 37 témoins à la barre devant cette Chambre. Je suis

19 d'opinion que les moyens de preuve soumis à cette Chambre établissent au-

20 delà de tout doute raisonnable que l'accusé Zlatko Aleksovski est coupable

21 des charges qui lui sont imputées dans l'acte d'accusation.

22 Je voudrais maintenant passer en revue les différents éléments

23 de preuve qui vous ont été soumis afin de prouver que l'accusation a

24 prouvé ces allégations au-delà de tout doute raisonnable.

25 Vahid Hajdarevic, un résident musulman bosnien de Busovaca, a

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1 déclaré "qu'il avait été mobilisé dans la Défense territoriale en

2 avril 1992 et qu'il a été posté sur la ligne de front en juin 1992, puis

3 en septembre et en décembre de cette même année afin de "défendre

4 l'intégrité de la Bosnie-Herzégovine", alors que les membres du HVO à

5 l'époque faisaient toujours partie de certaines forces armées et qu'ils se

6 concentraient surtout à entraver le travail des autorités de Busovaca et à

7 tenter de soumettre la ville à un blocus".

8 Par conséquent, à partir du mois d'octobre environ, différents

9 incidents de mauvais traitements et d'agression ont eu lieu. Des membres

10 de la Défense territoriale ont été désarmés et certains biens ont été

11 pillés. Par exemple, le témoin a dit : "Je sais que certains de nos

12 véhicules qui allaient en Slovénie ont été confisqués par le HVO et toute

13 une série d'incidents et de pillages ont eu lieu. Mais avant cela, il y a

14 eu certains incidents mineurs qui ont été résolus par la négociation. Mais

15 à partir d'octobre, pour autant que je m'en souvienne, les dirigeants

16 politiques du HDZ, bien entendu aidés par les unités armées du HVO, ont

17 pris le contrôle d'un certain nombre d'institutions dans la municipalité".

18 Se remémorant les incidents d'agression et de mauvais

19 traitements, le témoin a déclaré que "des Musulmans intellectuels ont été

20 arrêtés par le HVO pour être soumis à des interrogatoires. Des bars, des

21 magasins et des biens appartenant à des Musulmans ont été détruits par

22 explosion et, le 21 janvier 1993, Mirsad Delija a été tué. Cet assassinat

23 a provoqué une augmentation, une exacerbation des tensions et un sentiment

24 de peur parmi la population musulmane de Busovaca".

25 Le 24 janvier 1993, le témoin et son père, Sehad, avaient été

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1 arrêtés par le HVO à la gare ferroviaire de Busovaca et ils ont été

2 emmenés à la gare routière où ils ont été arrêtés et détenus avec

3 d'autres, notamment avec Remzija Kutic et Mirsad Dizdarevic. Plus tard

4 dans la soirée, le témoin et neuf autres personnes ont été transférés au

5 camp de Kaonik où ils ont été incarcérés dans une petite cellule.

6 Lorsqu'il a décrit le bâtiment et qu'il a dit qu'il s'agissait d'un

7 hangar, il a dit que les cellules étaient placées de chaque côté d'un long

8 couloir. Il avait été lui-même placé dans trois cellules différentes

9 environ. Il a parlé des conditions qui régnaient dans les cellules et il a

10 décrit l'absence de toute hygiène. Pour aller aux toilettes par exemple,

11 il devrait frapper sur la porte de la cellule et, si le gars qui se

12 trouvait là estimait cela approprié, il leur donnait l'autorisation de se

13 rendre aux toilettes.

14 Il n'y avait pas de chauffage dans la cellule non plus et il n'y

15 avait rien qui permettait aux détenus de pratiquer le rite et rituel

16 religieux. Il a déclaré qu'au cours de la période de détention, l'accusé

17 était le commandant du camp, un fait qu'il a appris au cours de

18 conversations avec certains des gardes et lorsqu'il a vu l'accusé donner

19 certains ordres aux gardes. « Il n'était pas difficile de parvenir à cette

20 conclusion », dit le témoin.

21 Il faisait partie des détenus nombreux qui ont été emmenés sur

22 le terrain pour creuser des tranchées sur les lignes de front du HVO, à

23 Prosje, Podjele et Kula.

24 En décrivant la façon dont les détenus étaient appelés hors de

25 leur cellule, lorsqu'on devait les emmener creuser des tranchées et

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1 participer à d'autres tâches encore, le témoin dit que : "Selon les

2 besoins du HVO, les gardes commençaient à citer des noms en se basant sur

3 une liste. Il fallait simplement répondre et le garde ouvrait la porte et

4 il donnait les différents prisonniers à la personne qui était venue les

5 chercher.

6 Il nous emmenait alors en ces différents endroits et il fallait

7 faire ce qu'il voulait que nous fassions. Il dit qu'il devait creuser des

8 tranchées pendant de longues périodes, parfois même pendant 36 heures. Dès

9 que nous étions amenés sur place, les soldats maltraitaient et frappaient

10 systématiquement les gens afin de déterminer si, oui ou non, ils cachaient

11 certains biens de valeur. Lorsque nous creusions des tranchées, nous

12 n'avions pas le droit de nous redresser, il fallait travailler encore et

13 encore parce que, si on décidait de s'étirer, eh bien un soldat nous

14 frappait, soit avec la crosse de son fusil, soit avec ses chaussures."

15 En se remémorant la douleur, l'humiliation et les souffrances

16 qu'il a vécues lorsqu'il a été frappé par un soldat du HVO, incident qui

17 débouchait sur deux côtes cassées sur son flanc droit, M. Hajdarevic a

18 dit : "J'ai dû m'agenouiller devant lui pour qu'il me pose des questions

19 et, si les réponses ne lui plaisaient pas, il me frappait comme un ballon

20 de football".

21 Le témoin a également fait référence aux assassinats de

22 Jasmin Sehovic et de Ermin Elezovic à Kula et à l'assassinat d'une

23 personne surnommée Cakara, à Prosje lorsque les hommes étaient emmenés

24 pour creuser des tranchées.

25 Le 24 janvier 1993, le témoin A a été arrêté par des soldats du

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1 HVO et emmené dans le camp de Kaonik où il a été incarcéré. Il a décrit la

2 cellule comme étant très petite et comme n'ayant aucune ampoule

3 électrique. Il y avait un sol en bois d'environ 50 centimètres de haut et

4 c'était là que les gens devaient dormir. Deux ou trois jours après son

5 arrivée à Kaonik, le témoin a déclaré que l'accusé s'était présenté comme

6 étant le commandant du camp et que ce dernier a déclaré "que nous serions

7 sous son autorité".

8 Le témoin a été l'un des prisonniers nombreux à être emmené sur

9 les lignes de front pour creuser des tranchées. Il y a été emmené à

10 quatre reprises et, à chaque fois, des coups de feu sporadiques ont été

11 tirés. Il a même été soumis à des mauvais traitements psychologiques par

12 des soldats du HVO. Le lendemain, il a été emmené à un village qui se

13 trouvait dans la direction de Donja Rovna. Le lendemain, à nouveau, la

14 même routine a eu lieu, cette fois dans la région de Donja Solakovici ou

15 Milavice où le groupe a dû creuser des abris souterrains, des tranchées,

16 etc., jusqu'à une heure très tardive, presque jusqu'à minuit.

17 La quatrième fois qu'il s'est rendu sur le terrain pour creuser

18 des tranchées, c'était à Kula où -je cite : « Ils nous ont dit de vider

19 nos poches, d’y enlever tout ce que nous y avions, argent, bijoux, tout ce

20 que nous avions autour du coup et de faire un tas de tous ces objets ».

21 Après cela, le groupe a continué dans la direction de Kula où les

22 prisonniers ont continué à creuser des tranchées jusqu'à environ 6 heures.

23 Ensuite les soldats ont été emmenés dans une vieille maison où il ont été

24 soumis à des mauvais traitements violents, des actes de torture et une

25 agression verbale.

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1 Le témoin se souvient de cet événement et raconte : " L'un des

2 détenus a d'abord été emmené et il a été frappé à l'extérieur de la

3 maison, et puis il y en a eu un autre qui a aussi été frappé. Nous

4 entendions ses cris. Après, cela a été mon tour. J'étais la troisième

5 personne. Ils m'ont donc fait sortir, et un soldat m'a frappé dans le dos

6 avec un objet contondant, et je suis tombé au sol. Il m'a dit de me

7 relever, j'ai tenté de le faire mais je n'ai pas pu à ce moment-là. Et il

8 m'a frappé à nouveau. Il m'a frappé avec ses bottes de militaire au nez et

9 mon nez s’est mis à saigner. Il a hurlé à nouveau. Il m'a dit de me lever

10 mais je n'ai pas pu et il m'a frappé. Il m'a donné un cou-de-pied dans

11 l'oreille qui a commencé à saigner également. Il ne cessait de hurler et

12 il me disait de me relever mais je n'y parvenais pas et il m'a dit de

13 retourner dans la maison. Et alors que je m'exécutais, il m'a frappé de

14 façon incessante. Après cela, d'autre détenus ont été emmenés à

15 l'extérieur et c'était le sort qu'on nous réservait".

16 Après cela, il a décrit le premier passage à tabac ou la série

17 de passages à tabac : "C'était une attaque sauvage et barbare contre des

18 victimes innocentes, des civils innocents qui n'étaient détenus que parce

19 qu'ils étaient Musulmans. Pendant que j'étais dans ce groupe, puisque je

20 saignais, mes amis se sont enduits de mon sang afin de faire croire qu'ils

21 avaient déjà été frappés. Les soldats sont alors entrés dans la maison et

22 ils ont commencé à nous frapper tous. L'un d'entre eux avait un couteau et

23 il poignardait les prisonniers avec son couteau. L'autre utilisait la

24 crosse de son fusil pour nous frapper. Il y en avait un qui avait une

25 chaîne en métal très épaisse et un autre qui avait un bâton. Cela a duré

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1 environ deux heures.

2 Après cela, la situation s'est apaisée. Ils nous ont forcé à

3 prier, à dire des "Notre Père", à embrasser leur croix. Après cela,

4 Jasmin Sehovic a été emmené et frappé à nouveau. Nous l'entendions gémir

5 et pleurer. Et, après cela, nous avons entendu des coups de feu provenant

6 d'un fusil automatique et à nouveau tout s'est calmé pendant quelques

7 minutes. Puis Ermin Elezovic a dû sortir. Il avait également reçu des

8 coups de couteau dans l'estomac. Il a été frappé à l'extérieur. Nous

9 l'avons entendu gémir et nous avons ensuite entendu des coups de feu d'un

10 fusil automatique.

11 Outre Jasmin Sehovic et Ermin Elezovic, un jeune homme de

12 Rogatica avait également été poignardé".

13 Le témoin B, un Musulman bosnien, a dit que, le 25 janvier 1993,

14 lui et ses voisins s'étaient rendus au HVO, après quoi les soldats les

15 avaient maltraités en disant : "Regarde, ici, c'est un endroit croate pour

16 un seul peuple, une seule communauté ethnique devrait vivre dans cette

17 région." Après leur arrivée au camp, ils ont dû aller jusqu'au hangar,

18 leurs mains derrière le dos. A ce moment-là il y avait déjà deux cents à

19 trois cents Musulmans qui étaient enfermés dans le hangar. Ce nombre a

20 augmenté et est passé à cinq cents le lendemain.

21 Il décrit le processus d'enregistrement des personnes se

22 trouvant dans le hangar, et dit que les membres du HVO ne cessaient de

23 jeter de plus en plus de Musulmans dans le hangar, qu'il y avait des

24 palettes en bois sur le sol et une couverture qui devait être partagée

25 entre deux personnes : "Pendant que nous étions dans le camp, il y avait

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1 deux morceaux de pain, une assiette pour deux prisonniers. Nous devions

2 manger dans la même assiette. Il y avait une sorte de soupe de haricots.

3 La nourriture était soit non salée, soit très salée. Et pour ce qui est de

4 l'eau, nous devions frapper à la porte de la cellule si nous avions soif,

5 et si le garde était une bonne personne, ils demandaient de l'eau. Mais

6 parfois les gardes nous répondaient : "Mais pourquoi voulez-vous de

7 l'eau ?"

8 Lorsque le témoin a répondu à des questions relatives à

9 l'intérieur de la cellule, il l'a fait en détail : il a parlé de

10 l'intérieur de la cellule, des structures ou du manque de structures

11 nécessaires. Il a dit que la cellule se trouvait dans le coin droit à côté

12 des toilettes, à l'extrémité du hangar. Lorsque les membres du HVO

13 appelaient des noms de Musulmans, les Musulmans disaient dans quelle

14 cellule ils se trouvaient. Ensuite, on entendait des coups, et ensuite on

15 entendait de l'eau qui était jetée au sol afin de ramener le Musulman à

16 lui après le passage à tabac.

17 Lorsqu'il parle de ses expériences personnelles, il dit qu'il

18 lui est arrivé d'être emmené à Podjele avec dix autres Musulmans afin de

19 creuser des tranchées pendant toute la journée, et ce jusqu'à minuit le

20 lendemain. Le témoin B et vingt autres personnes ont été emmenés à Kula

21 pour creuser des tranchées pendant toute la journée et pendant toute la

22 nuit.

23 Lorsqu'il a été question d'une visite du CICR au camp, un groupe

24 de détenus a été ramené, et dès que les membres du CICR ont quitté le

25 camp, il y a eu un autre appel et les Musulmans ont été remmenés à Kula

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1 afin de continuer à creuser des tranchées. Ils ont dû creuser sans cesser

2 de le faire jusqu'au lendemain matin.

3 Le témoin a déclaré que l'un des membres du HVO lui a ordonné

4 d'ouvrir la bouche et a placé un pistolet automatique dans sa bouche. Il a

5 déclaré, je cite : "D'une certaine façon, je ne sais pas comment j'ai

6 réussi à bouger ma tête, et le canon du fusil est sorti de ma bouche et

7 est tombé sur mon épaule. Aucune des balles ne m'a touché, je ne sais pas

8 comment. En fait, le pistolet est tombé de ma bouche vers mon épaule, et

9 c'est là que la balle est partie".

10 Non seulement le témoin a été frappé, mais d'autres détenus qui

11 ont participé à ce creusement de tranchées. Ils ont été battus gravement,

12 et à l'époque de sa détention Zlatko Aleksovski s'est présenté comme étant

13 le directeur du camp de Kaonik.

14 Le témoin D, Messieurs les Juges, a été arrêté par le HVO au

15 moment où les hostilités se sont déclenchées à Busovaca, le 25 ou le

16 26 janvier 1993. A son arrivée à Kaonik, lui et les autres ont été placés

17 dans une cellule. Après quoi ils ont été interrogés par Marko Krilic et un

18 garde du nom de Marko Petrovic. Il a aperçu des personnes de 13 à 14

19 jusqu'à 65 ans qui étaient détenues dans le camp : "Il y avait un garçon

20 de Prosje qui était avec nous dans le camp, et il avait entre 13 et

21 14 ans."

22 Lorsqu'il décrivait les conditions dans le camp, il a dit que la

23 nourriture n'était que de la nourriture bouillie, que deux personnes

24 devaient partager une seule assiette, qu'on ne pouvait pas prendre un

25 bain, qu'on ne pouvait pas se raser. Vingt à vingt-cinq personnes

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1 dormaient dans la même cellule, certaines personnes réussissaient à

2 s'allonger et d'autres devaient rester assises pour dormir.

3 Ce témoin a été emmené pour creuser des tranchées à plusieurs

4 reprises avec d'autres détenus de son groupe. Il a dû creuser des

5 tranchées et des abris jusqu'à une heure tardive dans la nuit sans être

6 nourri et sans pouvoir boire. A plusieurs reprises, des tirs ont été

7 entendus, des tirs sporadiques, et il a dû le faire en janvier, début

8 février, alors que le temps était glacial. Selon lui, "Il faisait très

9 froid, le sol était gelé. Nous n'avions pas de vêtements chauds." C'est

10 dans ces conditions terribles que ce témoin et d'autres détenus, notamment

11 le jeune garçon de 13 ans, ont été obligés de creuser des tranchées à

12 Milavice, Prosje, Kovacevac et Kula, entre autres lieux.

13 Je reviens maintenant sur le témoignage du témoin F,

14 Messieurs les Juges. Il a décrit les événements de Busovaca, événements

15 qui se sont produits au cours de la seconde moitié de janvier 1993, en

16 disant qu'il s'agissait des nuits les plus terribles parce que des choses

17 pas très propres se passaient, des explosions : "Des engins étaient placés

18 à côté de tous les magasins, boutiques, tenus par des Musulmans. Il y

19 avait environ cinquante magasins dans le centre ville, à tel point que

20 le 19, deux ou trois explosions ont détruit deux cafés et que le 20 juin,

21 le soir, les choses ont mal tourné à nouveau. Nous l'avons remarqué

22 lorsque les lignes téléphoniques ont été coupées et nous avons su

23 immédiatement que quelque chose allait se produire.

24 Des mesures restrictives ont également été prises par le HVO

25 avec à sa tête Dario Korkic, Anto Sliskovic et d'autres encore à

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1 l'encontre des Musulmans", dit ce témoin. Je cite à nouveau : "Plus un

2 seul Musulman ne pouvait se déplacer librement. Les seules personnes à

3 pouvoir se déplacer étaient les policiers, soldats du HVO, des

4 combattants. Par conséquent, seuls eux pouvaient être responsables,

5 personne d'autre."

6 Tard au cours de la soirée du 20, la maison du témoin a été

7 victime d'une attaque et ses biens ont été pillés. A nouveau, le

8 24 janvier, des tirs, une explosion et un pilonnage ont eu lieu. "Il y

9 avait des tireurs embusqués aux quatre coins de la ville et la panique

10 s'est emparée de la population. Un couple, quelques personnes ont été

11 blessées, quelques personnes ont été tuées, et la quasi totalité de la

12 population a été prise de panique. Les soldats du HVO se rapprochaient de

13 toutes parts, ils étaient de plus en plus proches, c'était une situation

14 assez horrible", dit le témoin.

15 A 3 heures 30 environ, de soixante à soixante-dix Musulmans ont

16 été arrêtés et emmenés à Kaonik. Selon le témoin, Messieurs les Juges, des

17 soldats portant des insignes du HVO et des insignes de la HV se trouvaient

18 à Busovaca à ce moment-là. Il a déclaré que "certains hommes portaient les

19 insignes du HVO, des hommes que je connaissais personnellement. Il y avait

20 également des soldats qui portaient des insignes du HVO et de la brigade

21 Runolist. Ils avaient des accents différents, ils ne venaient pas de

22 Busovaca."

23 Vous verrez que le témoignage de cette personne est très clair.

24 Il y avait des soldats de l'armée croate qu'il a qualifiés d'étrangers,

25 qui ne venaient pas, qui n'étaient pas originaires de cette région et qui

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1 travaillaient avec les soldats du HVO au cours de cette période. En

2 réponse à des questions spécifiques, le témoin a répété qu'il avait vu des

3 soldats portant à la fois des insignes de la HV et des insignes du HVO le

4 26 janvier 1993.

5 Lorsqu'il a été amené au hangar, ou lui et d'autres personnes,

6 ils ont été alignés contre le mur et fouillés. Et à ce moment-là l'accusé,

7 M. Aleksovski, en s'adressant à eux a répondu : "Ne craignez rien, on ne

8 touchera pas à un cheveu de votre tête".

9 La première nuit passée à l'intérieur du hangar sur le sol en

10 béton avait été terriblement froide. A un moment donné de la nuit,

11 quelques soldats sont entrés et ont fait sortir quelques jeunes hommes. En

12 parlant des gardes qui se trouvaient dans le camp, le témoin a dit qu'ils

13 étaient tous des soldats : "Le garde était lui-même un soldat, il portait

14 également des insignes appartenant au HVO. Il portait des parties

15 d'uniforme de camouflage, que ce soit le pantalon ou la veste."

16 Il avait vécu des expériences tout à fait différentes à partir

17 du moment où il était arrivé. Le témoin dit : "Juste après le crépuscule,

18 peut-être une demi-heure après, on m'a fait sortir dans le hall et on m'a

19 frappé. Ceci arrivait tous les soirs, toutes les nuits. Généralement,

20 c'était une personne qui me faisait sortir. Cette personne devait avoir

21 reçu des instructions. Cet homme avait ma description puisqu'il savait

22 très bien qui j'étais. Il me faisait donc sortir de la cellule. La porte

23 de la cellule était à peine fermée que je recevais déjà des coups et que

24 je commençais à saigner. Il n'a cessé de revenir chaque nuit et de me

25 frapper. Heureusement, il me frappait surtout avec ses poings et avec ses

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1 pieds, il n'a pas utilisé d'autres instruments. Il me frappait donc avec

2 ses pieds, avec ses mains, et me frappait violemment".

3 Le témoin décrit également ce qui lui est arrivé lorsque lui et

4 un autre détenu ont été emmenés dans le bâtiment de l'unité d'intervention

5 à l'entrée du camp. Parlant de son expérience, le témoin a dit : "Le

6 troisième jour après le début de ma détention, dans la cellule, j'ai été

7 choisi moi-même et un autre type, et nous avons été amenés au bâtiment à

8 l'entrée, pour un entretien d'information ; en tout cas c'est comme cela

9 qu'on nous a décrit la chose. Un jeune soldat nous a emmenés jusqu'à

10 l'entrée du camp. Nous avons immédiatement été enfermés à clef dans une

11 cellule. L'autre homme a été emmené. On m'a laissé là assis sur un lit

12 militaire. Dix ou quinze minutes plus tard, ce jeune homme a été ramené

13 après avoir été frappé, et c'est moi qu'on a emmené et on m'a emmené dans

14 une pièce assez grande. Au milieu de cette pièce, il y avait une table. A

15 la table, deux hommes étaient assis, deux soldats que je connaissais très

16 bien, que je connaissais personnellement. J'étais en fait heureux de les

17 voir. Cependant, j'allais être très vite déçu. Ils m'ont proposé des

18 cigarettes et du café que j'ai acceptés. Puis une sorte de conversation à

19 débuté mais je dois ajouter qu'il y avait, sur cette table, six ou

20 sept bâtons, des bâtons en caoutchouc, en métal et même des matraques de

21 police. J'étais assis sur une chaise à une extrémité de la table et, après

22 la cigarette et le café, ils ont commencé à me poser des questions sur

23 tout un tas de choses, même sur certains Croates qui entretenaient

24 certaines relations avec nous. Après chaque réponse, les trois hommes qui

25 se trouvaient derrière moi me frappaient avec tout ce qui leur tombait

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1 sous la main. Peut-être le plus simple était de me frapper avec leurs

2 bottes. Ceci a duré trois heures et demie. Il y a eu certains moments

3 terribles. A un moment donné, Marelja est rentré, l'homme qui me frappait

4 toutes les nuits. Il m'a frappé avec son poing en plein milieu du visage

5 et il m'a fracturé la mâchoire. Après environ trois heures de cette

6 torture, l'un des hommes m'a attrapé par les cheveux, a poussé ma tête en

7 arrière et a placé une lame de couteau contre ma gorge. J'ai essayé moi-

8 même de pousser mon cou contre la lame parce que je n'en avais plus rien à

9 faire".

10 Le témoin décrit également ses expériences lorsqu'il a dû

11 creuser des tranchées. Il a été emmené notamment à Gavrine Kuce près de

12 Putis où il a passé une nuit entière, et le lendemain jusqu'à midi

13 environ, à creuser des tranchées. Pendant qu'il faisait cela, vers midi,

14 "trois soldats qui venaient toutes les cinq ou dix minutes m'ont frappé

15 avec leur poings, avec leurs pieds et, à midi environ, ces trois-là sont

16 venus, se sont regroupés et se sont assis à côté de moi". Selon lui, ces

17 trois hommes étaient des soldats portants des insignes du HVO. "L'un

18 d'entre eux a roulé une page de journal et l'a allumée afin d'en faire une

19 sorte de torche et un autre a mis le feu à ma barbe qui était, à l'époque,

20 de 2 ou 3 centimètres de long. Et il a fait cela des deux côtés.

21 Après cela, une heure s'est passée peut-être et j'ai continué à

22 creuser. Ils ne m'ont pas donné d'eau. J'ai demandé de l'eau, mais

23 j'aurais mieux fait de m'abstenir parce qu'en fait, ceci ne m'a apporté

24 que plus de coups encore dans le dos. Deux d'entre eux sont revenus et

25 m'ont fait enlever mon chapeau. Ils l'ont placé sur un bâton et,

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1 lorsqu'ils ont réussi à le brûler (environ à 70 %), ils m'ont demandé de

2 le manger. J'étais à l'époque très fatigué à cause de tout le travail que

3 j'avais fait. Je n'avais pas eu d'eau et j'ai dû manger mon chapeau. Si

4 j'arrêtais ou si j'essayais de me sortir de cette situation, je recevais

5 un coup de poing ou un coup de pied. En tout cas, j'étais frappé".

6 Lorsqu'il parle de sa libération dans le cadre d'un échange

7 organisé par le comité international de la Croix-Rouge, le témoin affirme

8 que "l'échange a été retardé à cause de ces deux hommes qui avaient été

9 tués dans la nuit du 7 au 8. En effet, la Croix-Rouge a insisté pour que

10 ces hommes soient retrouvés mais, bien sûr, ils ne pouvaient pas être

11 refusés. Au cours de l'échange, il y avait beaucoup de personnes ; tous

12 les gardes étaient là ; Sliskovic était là, Aleksovski était présent

13 également". Ils étaient tous présents selon le témoin.

14 Messieurs les Juges, le témoin C a corroboré le témoignage

15 d'autres témoins cités par l'accusation. Il a parlé de son arrestation par

16 les forces du HVO, le 27 janvier 1993. Il a parlé également de sa

17 détention ultérieure dans le camp de Kaonik et du mauvais traitement qui

18 lui a été réservé là-bas.

19 Je ne vais pas rentrer dans les détails de ce témoignage, mais

20 je tiens à dire que les témoignages sur tous les points abordés par ce

21 témoin correspondent au témoignage des autres témoins de l'accusation.

22 Dans la cellule où lui et son fils ont été placés, il y avait environ 18 à

23 20 détenus. Les conditions qui y régnaient étaient très mauvaises. Au

24 cours de sa détention, puisqu'il avait été violemment frappé, qu'il ne

25 pouvait pas dormir et qu'il n'y avait pas suffisamment de place pour

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1 s'allonger, il restait assis dans la cellule à écouter les pleurs et les

2 gémissements venant du couloir.

3 Comme le témoin souffrait beaucoup suite aux passages à tabac, à

4 sa demande, il avait été emmené au centre médical de Busovaca. En réponse

5 à une question portant sur un éventuel traitement qu'il aurait pu recevoir

6 au centre médical, le témoin a répondu : "Je ne peux pas vraiment dire que

7 ceci m'ait aidé d'une quelconque façon".

8 Plus loin dans son témoignage, le témoin a affirmé que les

9 gardes et les responsables du camp permettaient à des gens extérieurs de

10 rentrer dans les cellules et de frapper les prisonniers, et il a identifié

11 l'accusé Zlatko Aleksovski comme étant le commandant du camp. Parlant du

12 début du conflit entre le HVO et l'armée de Bosnie-Herzégovine au mois de

13 janvier 1993, le 27, le témoin a déclaré qu'après son arrestation, il

14 avait été frappé et maltraité par des soldats du HVO, qu'il avait été

15 emmené à Bare. De là, il avait été emmené à la gare routière de Busovaca

16 et ensuite au camp de Kaonik.

17 C'était sa première période de détention à Kaonik. Il y est

18 resté jusqu'au 8 février 1993. Le lendemain de son arrivée à Kaonik, un

19 groupe d'environ 20 détenus, y compris le témoin, ont été emmenés à

20 Podjele pour y creuser des tranchées. Ils ont creusé pendant toute la

21 journée jusqu'à environ 20 heures, sans pouvoir prendre de repos , et

22 ensuite de 22 heures jusqu'au lendemain matin.

23 La seconde période de détention du témoin a débuté lorsque lui

24 et le témoin M ont été arrêtés par des soldats du HVO qui ont attaqué son

25 village le 16 avril 1993. Lors de son arrivée à Kaonik, Zlatko Aleksovski,

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1 qui s'est présenté comme étant le commandant du camp, attendait avec

2 d'autres gardes. Ils ont été placés dans une cellule, à la suite de quoi

3 les membres de la police militaire du HVO, Zarko et Miro, ont commencé à

4 les maltraiter.

5 Nous étions allongés sur les palettes. Ils ont sauté sur les

6 palettes et ont commencé à nous frapper, nous donnant des coups de pied

7 dans le dos, dans les reins et dans la tête. Après avoir maltraité les

8 deux détenus pendant un certain temps, ils sont partis promettant de

9 revenir. Comme convenu, Zarko et Miro sont effectivement revenus et Miro a

10 commencé à frapper son collègue pendant que Zarko regardait la scène.

11 A ce moment-là, l'accusé Aleksovski avait prévenu Zarko en lui

12 disant : " Mais qu'attends-tu, pourquoi ne fais-tu pas la même chose que

13 Miro ? ". Et Zarko avait lui-même commencé à le frapper.

14 Ces deux hommes les ont maltraités à nouveau par la suite, pour

15 la troisième fois un peu plus tard. " Et puis est arrivé Goran Medzugorac,

16 un membre du HVO, qui a commencé à me maltraiter ; il m'a frappé, m’a

17 donné des coups, principalement dans la région des reins et à la tête ".

18 Il a également été soumis à des mauvais traitements et à des tortures par

19 Anto Sakic " qui venait à peu près toutes les 15 minutes. Il m'avait

20 demandé de prendre la position du salut militaire, et il venait toutes les

21 15 minutes pour vérifier si j'étais toujours debout. Et il me frappait de

22 temps en temps, avec son pied ou avec son poing ".

23 Le témoin a également parlé de la procédure de sélection des

24 détenus qui étaient envoyés pour creuser des tranchées. Il a parlé de ses

25 propres expériences au cours de sa seconde période de détention, lorsqu'il

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1 a été emmené à Carica, Strane, Kula, Loncari et Polom. A Strane, des

2 tireurs isolés tiraient sur le terrain et des balles sifflaient. En tous

3 ces endroits, ils ont dû creuser des tranchées du matin jusqu'au soir,

4 tard le soir.

5 Il a parlé également des conditions de détention qui étaient,

6 selon lui, très mauvaises. Il a décrit la nourriture comme étant

7 dégoûtante et il n'a pas pu prendre une seule douche pendant toute cette

8 période. Il a déclaré également que toute personne pouvait venir au camp à

9 n'importe quel moment pour imposer des violences aux détenus.

10 Son collègue, le témoin M, qui a également été arrêté à la même

11 période -au même moment même- a confirmé le témoignage donné par le

12 témoin L. Il a fait référence à des incidents de passage à tabac et

13 notamment à un incident au cours duquel deux soldats l'ont sauvagement

14 frappé à l'initiative de l'accusé Aleksovski qui était resté là pendant

15 tout le temps, selon le témoin.

16 Ce jour-là, il avait été frappé six fois. Et au cours d'un

17 passage à tabac, il a perdu conscience. Tout son corps était bleu et noir

18 jusqu'au chevilles et jusqu'au cou. Ce témoin dit : " Il y avait des

19 contusions visibles sur tout mon corps ". " Ce passage à tabac a été

20 décrit, dit-il, comme un bal ".

21 Messieurs les Juges, les témoignages des témoins L et M sont

22 tout à fait cohérents et ils se confirment également sur des détails plus

23 pratiques. Ils faisaient également partie des détenus qui ont été emmenés

24 à Strane, Loncari, Putis, Kula, Solakovici, et Polom afin de creuser des

25 tranchées et ce, dans des circonstances dangereuses et alors qu'ils

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1 étaient soumis à des passages à tabac violents, à des agressions et à des

2 mauvais traitements graves alors qu'ils creusaient des tranchées. A

3 Strane, il avait été frappé et fouetté.

4 Il a déclaré : " Pendant toute la période passée à Kaonik, on

5 m'a emmené pour creuser des tranchées et d'autres tâches de travaux

6 forcés, alors que sur les deux paumes de mes mains, j'avais 56 ampoules ;

7 et de la date où j'ai été arrêté le 16 avril jusqu'à la date de mon départ

8 le 19 juin 1993, à aucun moment je n'ai pris un bain. Nous ne pouvions

9 même pas nous laver les mains, même lorsqu'on allait aux toilettes, si on

10 avait de la chance et si le garde nous laissait nous laver les mains et

11 peut-être le visage. Les vêtements que je portais étaient tous les

12 vêtements que j’avais. Le reste, tous les vêtements que j'ai portés

13 pendant cette période se sont désintégrés, tout était moisi. Par

14 conséquent, je les ai jetés pendant que j'étais au camp et je n'avais

15 aucun vêtement de rechange. Je n'en ai jamais eu ".

16 Se remémorant sa libération de Kaonik, le témoin dit que

17 l'accusé s'adressant à lui et à son collègue dit : " Vous serez

18 récompensés si vous revenez ici : vous n'en sortirez pas vivants ". C'est

19 ce que le témoin a déclaré au cours de son témoignage.

20 Le témoin a également dit que les conditions étaient très

21 mauvaises dans le camp serbe, mais que personne n'osait en parler, même

22 avec le CICR.

23 Et même après l'enregistrement par le CICR des détenus et après

24 que l'accusé ait reçu les conseils du CICR, à savoir que les détenus ne

25 doivent pas être emmenés afin d'exécuter certaines tâches de travaux

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1 forcés dans des conditions dangereuses, la même nuit, vers minuit, les

2 détenus ont à nouveau été emmenés à Strane pour y creuser des tranchées.

3 Le témoin M savait également que les prisonniers arabes étaient

4 ceux qui étaient frappés le plus violemment. Un détenu qu'il a décrit

5 comme étant l'Arabe de Syrie était dans un état terrible. Il avait été

6 frappé et maltraité. C'était terrible. De mai jusqu'à mon échange, il a

7 été frappé tous les jours. Il a été agressé. Différents hommes se

8 remplaçaient pour lui faire ce genre de choses.

9 Le témoin a également dit que lorsque des responsables du CICR

10 ont visité les cellules du camp, l'accusé leur a refusé l'accès à la

11 cellule n° 4 disant qu'il s'agissait simplement d'une pièce utilisée pour

12 l'entreposage de différentes choses, qu'il n'y avait pas besoin de

13 regarder dans cette pièce, qu'il n'y avait personne et qu'il n'avait pas

14 la clef.

15 Le témoin N, Messieurs les Juges, également Musulman bosnien,

16 s'est vu infliger le même sort au camp de Kaonik. Le témoin N a déclaré

17 que l'accusé qui était le directeur du camp avait dit que les prisonniers

18 étaient à partir de maintenant sous son autorité.

19 Ce témoin, Messieurs les Juges, a parlé de l'utilisation des

20 détenus en tant que boucliers humains. Il a déclaré : "Le lendemain après-

21 midi, quinze témoins, moi y compris, avons été appelés par Marko Krilic",

22 et qu'ils devaient être utilisés en tant que boucliers humains. Ils ont

23 été emmenés à Skradno où ils ont dû se rendre vers le village, suivis par

24 les soldats du HVO. Puis ensuite, ils ont été emmenés à Strane, là encore

25 ils ont fait office de boucliers humains. A ce moment-là, un des soldats

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1 du HVO tirait dans leur dos vers Strane.

2 Il a également été emmené pour creuser des tranchées et il a été

3 soumis à des mauvais traitements par des soldats du HVO. Comme il le dit :

4 "Ces soldats nous frappaient avec des crosses de fusil, avec des pelles,

5 c'était tout à fait indescriptible. Il y a eu des moments au cours

6 desquels on voulait pleurer et d'autres au cours desquelles on voulait

7 mourir." Il était complètement épuisée à ce moment-là. Certaines personnes

8 avaient des côtes fracturées, et il n'y avait pas une seule personne qui

9 n'avait pas été soit agressée soit sévèrement frappée.

10 Messieurs les Juges, le témoin O, qui a témoigné donc sous un

11 pseudonyme, a également été utilisé en tant que bouclier humain, à

12 Skradno, à Strane également, et il a décrit les tirs qui se sont produits

13 alors qu'ils étaient utilisés en tant que boucliers humains à Strane. Le

14 lendemain, il a été remmené à Merdani pour être utilisé à nouveau comme

15 bouclier humain.

16 Les témoins P et Q étaient également des civils musulmans

17 bosniens qui ont été arrêtés par des soldats du HVO et placés en détention

18 dans le camp de Kaonik. Ils ont confirmé les témoignages d'autres témoins

19 quant à l'utilisation de boucliers humains à Skradno, à Strane et à

20 Merdani également. Le témoin P a déclaré que sa libération, le

21 8 février 1993, était en fait son deuxième anniversaire.

22 Le témoin Q a été emmené à Kula et Prosje. Il a été frappé et

23 maltraité. Il avait été emmené pour creuser des tranchées et des abris

24 souterrains.

25 Le témoin R, Messieurs les Juges, a également parlé de ses

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1 expériences au cours de sa détention au camp de Kaonik. Il a été arrêté

2 par le HVO en janvier 1993. Au cours de sa détention, il a été emmené à

3 Merdani pour servir de bouclier humain. Le témoin R a déclaré que le

4 commandant du camp, Aleksovski, se trouvait là, se tenait à proximité

5 lorsque ces détenus ont été appelés afin de servir de boucliers humains.

6 Le témoin S était également un civil, Musulman de Bosnie. Il

7 avait été arrêté par le HVO le 25 janvier 1993 et emmené au camp de Kaonik

8 où il a été incarcéré. Lui aussi a été emmené à Skradno et à Strane afin

9 de servir de bouclier humain. Il a déclaré qu'au cours de sa détention il

10 avait été emmené à Donja Polje, Donja Solokovici et Bare afin de creuser

11 des tranchées pour le HVO. Il avait parlé à l'accusé, demandant qu'on lui

12 épargne cette tâche parce qu'il avait des ampoules aux mains. L'accusé

13 n'avait pas répondu. Il l'avait ignoré et était passé à côté de lui, et le

14 témoin dit : "J'ai été remmené pour creuser des tranchées".

15 Messieurs les Juge, en parlant de la situation préalable à la

16 guerre et de la vie à Busovaca en particulier, Edin Novalic a déclaré que

17 la situation était plus que normale, les rapports entre membres de

18 différents groupes ethniques étaient très cordiaux et amicaux. Les

19 différences sont apparues seulement après les premières élections

20 multipartites de 1991. Les différences étaient de plus en plus profondes

21 dans la vie quotidienne. Des affiches du HVO étaient placardées dans toute

22 la ville, et petit à petit ils ont commencé à s'armer de façon illégale.

23 Ils sont devenus de plus en plus forts, tous les jours, et à un

24 moment donné, au cours de la seconde moitié de 1992, le HVO par la force a

25 pris le contrôle total de la ville de Busovaca. Il y avait des barrages

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1 dans toute la ville. De l'opinion du témoin, c'est Dario Kordic et

2 Anto Sliskovic qui étaient les personnalités les plus importantes à

3 Busovaca.

4 En janvier 1993, le conflit s'était déclenché à Busovaca. Les

5 magasins et les entreprises musulmanes faisaient l'objet d'attaques par le

6 biais d'engins explosifs et ce, au cours de la nuit du 22 janvier.

7 Le 23 janvier 1993, des Musulmans -y compris le témoin- avaient

8 été arrêtés et emmenés au camp de Kaonik. A leur arrivée, ils avaient été

9 soumis à une fouille et à la mise en détention en la présence de l'accusé.

10 Corroborant les récits faisant état de boucliers humains, M. Novalic a

11 déclaré qu'il avait été emmené à Strane et à Merdani afin de négocier la

12 reddition de deux villages.

13 Un autre civil musulman de Bosnie, Meho Sivri du village de

14 Strojkovici, qui avait été arrêté, le 13 avril 1993 est amené au camp de

15 Kaonik. Au cours de sa détention, le témoin avait été emmené à Jelinak à

16 deux reprises afin d'y creuser des tranchées. La première fois, il dit

17 "que les conditions étaient très dangereuses, que nous aurions pu tous

18 être tués, parce qu'une salve de tirs avait été ouverte sur nous pendant

19 qu'un soldat du HVO nous emmenait".

20 La deuxième fois, il a dû creuser des tranchées dans le même

21 village et ce, pendant toute la nuit, et jusqu'à l'aube.

22 A ce moment-là, ils ont entendu des explosions avec la panique

23 qui s'en est suivie, le commandant a ordonné que le groupe de détenus soit

24 emmené et tué. Le témoin a dit qu'il pensait que c'était la fin, "que nous

25 allions tous être exécutés. En chemin vers Loncari, nous sommes presque

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1 arrivés au village. Les tirs ont commencé, les tirs provenant du HVO, les

2 balles touchaient les arbres et les éclats tombaient en pluie au-dessus de

3 nous." Le témoin nous a décrit de façon tout à fait vivante comment il a

4 profité du chaos et de la panique qui s'en sont suivis pour s'échapper,

5 traversant les champs en courant, sautant par-dessus les clôtures et

6 dévalant les pentes jusqu'aux territoires contrôlés par l'armée de Bosnie-

7 Herzégovine.

8 Vous vous souviendrez sans doute l'émotion de ce témoin

9 lorsqu'il a parlé de ces événements et a déclaré que, suite à cela, il a

10 dû se faire opérer au bras droit dont il a retrouvé l'usage, mais

11 seulement à 60 %.

12 Un autre témoin musulman, Rasim Karanovic, Messieurs les Juges,

13 a déclaré qu'au début de 1993 les choses ont commencé à changer. Lorsque

14 de drôles de choses ont commencé à se produire, très probablement de

15 Zagreb, par le biais du HVO, la police du HVO : ils ont commencé à ignorer

16 leurs voisins, les Bosniens. "Il y a eu de moins en moins de contacts avec

17 les Bosniens et un poste de contrôle du HVO a été érigé juste à côté de

18 chez moi", dit-il.

19 Le 14 avril 1993, il a été arrêté et en allant vers Busovaca, il

20 est passé par un poste de contrôle tenu par l'armée croate disposant de

21 lance-roquettes légers et d'autres armes encore. A son arrivée au camp de

22 Kaonik, après la procédure routinière d'enregistrement et de fouille, le

23 témoin a été placé dans le hangar. Il a décrit la nuit qu'il avait passée

24 dans le hangar et a dit que la nuit avait été extrêmement dure pour lui :

25 "Elle était très froide et j'ai eu des crampes très douloureuses dans la

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1 poitrine. Certaines personnes étaient assises sur des palettes et la

2 plupart étaient par terre sur le béton, et moi je suis resté sur le béton.

3 Et ensuite, ils ont tracé une espèce de ligne imaginaire en disant que

4 toute personne qui traverserait cette ligne serait tuée".

5 Le lendemain matin, il s'est plaint qu'il ne se sentait pas très

6 bien. Il avait été emmené pour voir le camp de commandant

7 Zlatko Aleksovski qui l'avait interrogé et qui l'avait placé dans une

8 cellule où il est resté pendant tout le temps de sa détention.

9 Il a déposé au sujet des détenus qui ont été tous les jours

10 emmenés pour creuser des tranchées. Il a déposé au sujet des passages à

11 tabac qui étaient très fréquents ou relativement fréquents. Il a dit que

12 les noms étaient épelés à partir d'une liste qui a été apportée du bureau

13 d'Aleksovski : "J'ai entendu des passages à tabac et des coups

14 relativement loin dans d'autres cellules. Il y a eu des personnes qui ont

15 été torturées dans le corridor. Nous entendions lorsque cela se passait,

16 quand ils étaient passés à tabac. Depuis ma cellule, deux personnes ont

17 été entraînées, sorties et passées à tabac. C'était Mustafa Ocic et

18 (expurgé) et ceci s'est gravé dans mes souvenirs parce qu'ils ont été

19 battus de manière si brutale que (expurgé) a eu une blessure grave de sa

20 colonne vertébrale. Il est resté sans bouger et il souffrait des

21 conséquences de ce passage à tabac. (expurgé) a dit que Zlatko l'a battu

22 une ou deux fois pendant qu'il passait".

23 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, un autre témoin...

24 M. le Président. - Je crois que c'est le bon moment pour

25 interrompre nos travaux pour aujourd'hui. Je vous rappelle donc qu'on se

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1 retrouvera demain ici à 9 heures 30. Il faut tenir compte parce qu'à la

2 fin vous avez soit une demi-heure pour travailler, soit pour dormir selon

3 vos souhaits ! Donc à demain.

4 Maître Mikulicic, avez-vous quelque chose à dire ?

5 M. Mikulicic. - Veuillez m'excuser si j'ai réagi trop tard. Ce

6 que je voulais vous demander conformément à la demande de mon client

7 M. Aleksovski, je souhaitais qu'aujourd'hui à son retour au quartier

8 pénitencier, il lui soit permis de prendre l'air puisqu'il est resté

9 aujourd'hui à l'intérieur toute la journée et demain il en sera de même.

10 Pour lui permettre de bien supporter la journée de demain, nous vous

11 demandons de l'autoriser à avoir une promenade dehors ce soir.

12 M. le Président. - Je crois que cela peut être accordé, mais

13 avant tout j'aimerais bien demander à M. le Greffier, Marc Dubuisson.

14 M. Dubuisson. - Je ne pense pas qu'il y ait le moindre problème

15 à l'exécution de cette demande.

16 M. le Président. – Donc, c'est accordé pour vous et pour la

17 bonne santé de M. Aleksovski.

18 M. Mikulicic. - Je vous en remercie, je vous remercie de votre

19 compréhension.

20 M. le Président. - A demain donc.

21 L'audience est levée à 18 heures 05.

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