Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le lundi 18 juillet 2005

2 [Jugement]

3 [Audience publique]

4 [L'appelant est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 17.

6 Mme LE JUGE MUMBA : [interprétation] Bonjour.

7 Monsieur le Greffier, veuillez annoncer le numéro de l'affaire inscrite au

8 rôle, je vous prie.

9 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, il s'agit de l'affaire IT 03-72-

10 A, le Procureur contre Milan Babic. Merci.

11 Mme LE JUGE MUMBA : [interprétation] Merci. Je vais demander aux parties de

12 se présenter à commencer par la Défense.

13 M. MUELLER : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Je

14 m'appelle Peter Michael Mueller, je suis le conseil principal.

15 M. FOGELNEST : [interprétation] Robert Fogelnest, le co-conseil.

16 Mme LE JUGE MUMBA : [interprétation] Merci. Pour l'Accusation.

17 M. McKEON : [interprétation] L'Accusation est représentée par M. Mark

18 McKeon, Xavier Tracol, Kristina Carey et, à ma droite, Susan Grogan, notre

19 commis à l'affaire.

20 Mme LE JUGE MUMBA : [interprétation] Merci.

21 Avant de commencer, je rendrai une ordonnance verbale autorisant la prise

22 de photographies pendant cette audience. La Chambre d'appel, après avoir

23 examiné la requête du Greffe, en application de l'Article 81(D) du

24 Règlement et de l'Article 107 du Règlement, ordonne, par la présente, la

25 prise de photographies par les photographes habilités et autorise ceux-ci à

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1 prendre des enregistrements audiovisuels pendant cette audience, ceci a été

2 autorisé par le chef de la Sécurité du Tribunal.

3 La Chambre d'appel va à présent rendre son arrêt. Comme indiqué dans

4 l'ordonnance portant calendrier du 30 juin 2005, la Chambre d'appel est

5 réunie aujourd'hui pour rendre son arrêt relatif à la sentence en l'espèce.

6 Milan Babic a interjeté appel du jugement portant condamnation rendu par la

7 Chambre de première instance I du Tribunal le 29 juin 2004. La présente

8 affaire concerne des événements survenus en Croatie et dans le cadre

9 desquels l'appelant a participé à une entreprise criminelle commune dont

10 l'objectif était d'expulser à jamais la majorité de la population croate et

11 des autres populations non-serbes d'environ un tiers du territoire de la

12 Croatie afin d'y créer un Etat dominé par les Serbes. Pour ce faire, des

13 crimes contre l'humanité et des violations des lois ou coutumes de la

14 guerre ont été perpétrés. L'entreprise criminelle commune a existé du 1er

15 août 1991 au mois de juin 1992 au moins. Milan Babic y a participé jusqu'au

16 15 février 1992.

17 Le 12 janvier 2004, Milan Babic et l'Accusation ont déposé conjointement un

18 accord sur le plaidoyer et un exposé des faits pendant lesquels Milan Babic

19 acceptait de plaider coupable du chef 1 de l'acte d'accusation, chef de

20 persécution pour des raisons politiques, raciales et religieuses, un crime

21 contre l'humanité sanctionné par l'Article 5(H) du Statut du Tribunal, et

22 ce, en tant que complice d'une entreprise criminelle commune.

23 Après avoir examiné l'accord sur le plaidoyer et l'exposé des faits, la

24 Chambre de première instance a émis des doutes quant à l'exactitude de la

25 qualification juridique donnée à la participation de Milan Babic aux crimes

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1 reprochés qui était celle de complice. Les parties se sont alors

2 rencontrées et se sont convenues de déposer un nouvel accord sur le

3 plaidoyer où il était indiqué que Milan Babic avait participé aux crimes

4 reprochés en tant que co-auteur. L'Accusation a recommandé une peine

5 maximale de 11 ans d'emprisonnement.

6 Le 27 janvier 2004, Milan Babic a plaidé coupable du chef 1 de l'acte

7 d'accusation pour avoir participé en tant que co-auteur à une entreprise

8 criminelle commune. Le lendemain, la Chambre de première instance a accepté

9 le plaidoyer de culpabilité de Milan Babic et l'a déclaré coupable du chef

10 1 de l'acte d'accusation.

11 Le 29 juin 2004, la Chambre de première instance a condamné Milan

12 Babic à une peine de 13 ans d'emprisonnement. Milan Babic a interjeté appel

13 de la sentence le 3 septembre 2004. Une audience consacrée à l'appel s'est

14 tenue le 25 avril 2005.

15 Conformément à la pratique du Tribunal, je ne donnerai pas lecture du

16 texte de l'arrêt, à l'exception de son dispositif. Je résumerai les

17 questions soulevées dans le cadre de la procédure d'appel ainsi que les

18 conclusions de la Chambre d'appel.

19 Je tiens à souligner que le résumé qui suit ne fait pas partie intégrante

20 de l'arrêt, seul fait autorité, l'exposé des conclusions et motifs de la

21 Chambre d'appel que l'on trouve dans le texte écrit de l'arrêt dont des

22 copies seront mises à la disposition des parties et du public à l'issue de

23 l'audience.

24 Je ne traiterai pas en détail du critère d'examen applicable en appel, ni

25 des dispositions applicables en matière de peine, ces questions ayant déjà

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1 été abordées lors de la déclaration que j'ai faite au début de l'audience

2 consacrée à l'appel.

3 Dans son acte d'appel, Milan Babic a initialement soulevé 12 moyens

4 d'appel. Il a ensuite retiré son douzième moyen d'appel. Je passerai

5 brièvement en revue les 11 moyens d'appel restants en procédant de façon

6 thématique et sans nécessairement suivre l'ordre dans lequel ils ont été

7 présentés.

8 Dans son premier moyen d'appel, l'appelant soutient qu'il a été contraint

9 par la Chambre de première instance à plaider coupable en tant que co-

10 auteur des crimes allégués dans l'acte d'accusation. Il affirme que la

11 Chambre de première instance a commis des erreurs de fait et de droit et

12 qu'elle a outrepassé ses pouvoirs, premièrement, lorsqu'elle a refusé

13 d'accepter l'accord sur le plaidoyer initial par lequel il s'engageait à

14 plaider coupable en tant que complice; et deuxièmement, lorsqu'elle a

15 refusé à l'autoriser, à défaut, à réserver son plaidoyer concernant le

16 crime de persécution, ce qui aurait permis à la Chambre de se prononcer sur

17 son intention après avoir entendu les exposés des parties lors de

18 l'audience consacrée à la fixation de la peine.

19 S'agissant de la première tranche de ce moyen, il ressort clairement du

20 dossier de l'affaire que Milan Babic savait parfaitement qu'il pouvait

21 choisir de soumettre l'accord sur le plaidoyer initial à la Chambre de

22 première instance pour examen et que cette dernière n'a pas obligé les

23 parties à conclure un nouvel accord sur le plaidoyer.

24 Les parties ont décidé d'elles-mêmes de déposer un nouvel accord sur le

25 plaidoyer sur la base duquel Milan Babic plaiderait coupable. Lorsqu'elle a

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1 émis des doutes sur la qualification juridique de donner la responsabilité

2 de Milan Babic, la Chambre de première instance a agi dans les limites de

3 l'Article 62 bis du Règlement pour apprécier les faits sur lesquels se

4 fondait le plaidoyer de culpabilité. Le 28 janvier 2004, la Chambre a

5 déclaré Milan Babic coupable, convaincue que son plaidoyer avait été fait

6 délibérément et en connaissance de cause, qu'il n'était pas équivoque et

7 que les faits sur lesquels il reposait étaient suffisants.

8 S'agissant de la deuxième branche de ce moyen, la Chambre d'appel observe,

9 comme le soulignait à juste titre l'Accusation, qu'un accusé comparaissant

10 devant le Tribunal n'a jamais réservé ainsi son plaidoyer et que l'on voit

11 mal comment la Chambre de première instance aurait pu l'accepter à la

12 lumière de l'Article 62 bis du Règlement.

13 Milan Babic n'a pas démontré en quoi le rejet de sa demande de réserver son

14 plaidoyer aurait entaché le caractère délibéré du plaidoyer ou la validité

15 de ce dernier. Dans l'accord sur le plaidoyer, Milan Babic a expressément

16 accepté de plaider coupable du chef 1. La Chambre de première instance,

17 pour sa part, s'est acquittée de l'obligation qui était la sienne de

18 s'assurer que l'accord sur le plaidoyer avait été conclu librement et

19 délibérément.

20 Le premier moyen d'appel est donc rejeté.

21 Dans son deuxième moyen d'appel, Milan Babic soutient que la Chambre

22 de première instance a commis des erreurs de droit et de fait en omettant

23 d'exposer ses motifs et allègue, à cet égard, deux erreurs. En premier

24 lieu, l'appelant fait valoir que le jugement portant condamnation fait état

25 d'arguments, de déclarations, d'affirmations et de questions à propos

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1 desquels l'appelant et l'Accusation ont adopté des positions communes, sans

2 que la Chambre de première instance ne précise pour autant dans ses

3 conclusions si elle acceptait la véracité de ces faits. La Chambre d'appel

4 estime qu'une Chambre de première instance n'a pas à rendre de conclusions

5 détaillées au sujet de faits admis par les parties ou de faits non

6 litigieux. Le simple fait de les mentionner indique que la Chambre en

7 accepte la véracité. En l'espèce, ces faits non litigieux ont été

8 mentionnés dans le jugement portant condamnation et rien n'indique la

9 Chambre de première instance en a contesté la véracité. En deuxième lieu,

10 l'appelant avance que le jugement portant condamnation ne comporte aucun

11 raisonnement de nature à expliquer en quoi une peine de 13 ans

12 d'emprisonnement satisferait aux exigences de la justice, alors qu'une

13 peine conforme aux recommandations de l'Accusation qui avait requis une

14 peine maximale de 11 ans n'y satisferait pas.

15 Il a ensuite comparé son cas à celui de Biljana Plavsic. S'agissant

16 de savoir si la Chambre de première instance a eu tort de ne pas expliquer

17 en quoi la peine recommandée par les parties n'étaient pas juste, la

18 Chambre d'appel rappelle que les Chambres de première instance ne sont pas

19 liées par les accords conclus entre les parties, mais que, néanmoins, dans

20 le contexte particulier d'un jugement portant condamnation rendu à la suite

21 d'un accord sur le plaidoyer, les Chambres de première instance doivent

22 prendre dûment en considération les recommandations formulées par les

23 parties. Si elles s'en écartent nettement, en donner les raisons.

24 En l'espèce, la Chambre de première instance a estimé que, je cite :

25 "La réquisition par le Procureur d'une peine maximale de 11 ans

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1 d'emprisonnement ne satisfaisait pas aux exigences de la justice compte

2 tenu des principes régissant la fixation de la peine et de la gravité du

3 crime commis par Milan Babic considérés à la lumière des circonstances

4 aggravantes et atténuantes."

5 Cela montre bien que la Chambre de première instance a pris dûment en

6 considération les recommandations de l'Accusation et a expliqué pourquoi

7 elle ne pouvait les suivre.

8 S'agissant de savoir si la Chambre de première instance a eu tort de

9 ne pas infliger une peine similaire à celle prononcée à l'encontre de

10 Biljana Plavsic, la Chambre d'appel rappelle que les peines déjà prononcées

11 par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et le Tribunal

12 pénal international pour le Rwanda ont une valeur de précédent très

13 limitée, et qu'en outre, elles ne sauraient être invoquées pour contester

14 une conclusion à laquelle une Chambre de première instance est parvenue

15 dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière de peine. Il

16 n'est guère utile de comparer plusieurs affaires dans le but de convaincre

17 la Chambre d'appel d'alourdir ou de réduire la peine infligée dans la

18 mesure où les différences y sont souvent plus importantes que les

19 similarités, et que les circonstances atténuantes et aggravantes propres à

20 chaque affaire donnent lieu à des décisions différentes.

21 En l'espèce, même si l'on part de l'hypothèse que les deux affaires

22 en question sont similaires au point d'être véritablement comparables, la

23 peine infligée à Milan Babic n'est pas déraisonnablement lourde par rapport

24 à celle infligée à Biljana Plavsic, au point de tendre à indiquer une

25 décision arbitraire ou excessive. La Chambre d'appel ne procédera pas à une

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1 comparaison des deux affaires.

2 Le deuxième moyen d'appel est donc rejeté.

3 Dans son troisième moyen d'appel, Milan Babic avance que la Chambre

4 de première instance a commis des erreurs de droit et de fait et qu'elle a

5 outrepassé ses pouvoirs en négligeant d'examiner, comme il faut, les

6 éléments de preuve concernant sa participation limitée aux persécutions

7 dont il a plaidé coupable et de leur accorder le poids qui convient. Il

8 soutient que sa peine doit être réduite en conséquence.

9 La Chambre d'appel estime que la Chambre de première instance était

10 en droit de juger que la contribution de Milan Babic à une entreprise

11 criminelle commune n'était pas aussi limitée que ce que les parties en

12 laissaient entendre.

13 Le troisième moyen d'appel est donc rejeté.

14 La Chambre d'appel va se pencher à présent sur les quatrième,

15 cinquième, sixième et dixième moyens d'appel soulevés par Milan Babic,

16 lesquels ont trait à l'appréciation des circonstances atténuantes par la

17 Chambre de première instance.

18 Dans son quatrième moyen d'appel, Milan Babic avance que même si la

19 Chambre de première instance a reconnu qu'en acceptant de coopérer

20 largement avec l'Accusation, il avait mis gravement en danger sa sécurité

21 et celle de ses proches, elle a commis des erreurs de droit et de fait et a

22 outrepassé ses pouvoirs en retenant cet élément comme une simple

23 circonstance atténuante et non pas comme une circonstance atténuante

24 importante.

25 La Chambre d'appel estime que cet argument est infondé. La Chambre de

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1 première instance ayant expressément déclaré qu'elle accorderait un poids

2 substantiel à cet élément lors de la fixation de la peine.

3 Le quatrième moyen d'appel est donc rejeté.

4 Dans son cinquième moyen d'appel, Milan Babic affirme que la Chambre

5 de première instance a commis des erreurs de droit et de fait et qu'elle a

6 outrepassé ses pouvoirs en jugeant qu'en l'absence de circonstances

7 exceptionnelles, la bonne moralité d'une personne avant les faits ne peut,

8 prise isolément, être retenue comme circonstance atténuante. La Chambre

9 d'appel observe que, même s'il est exact de dire que la bonne moralité

10 d'une personne a souvent été retenue comme circonstance atténuante, cette

11 pratique n'est pas systématique et varie en fonction des circonstances

12 propres à chaque affaire. Bien que les éléments relatifs à la situation

13 personnelle de l'accusé, comme sa bonne moralité avant les faits, soient

14 retenus comme des circonstances atténuantes, il leur est accordé peu de

15 poids. En l'espèce, l'appelant n'a pas démontré que la Chambre de première

16 instance avait outrepassé ses pouvoirs, qui plus est, la Chambre d'appel

17 estime que la Chambre de première instance était parfaitement en droit de

18 ne pas considérer la bonne moralité de Milan Babic avant les faits comme

19 une circonstance atténuante.

20 Le cinquième moyen d'appel est donc rejeté.

21 Dans son sixième moyen d'appel, l'appelant soutient que la Chambre de

22 première instance a commis une erreur de droit et de fait et outrepassé ses

23 pouvoirs en refusant d'admettre que son comportement après les faits

24 constituait une circonstance atténuante. Il fait valoir que le passage du

25 jugement portant condamnation et concernant son comportement après le crime

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1 dont il a été déclaré coupable ne fait pas état des efforts qu'il a

2 entrepris pour mettre fin aux hostilités de concert avec Peter Galbraith,

3 ambassadeur des Etats-unis d'Amérique en Croatie, en accord avec le plan de

4 paix Z-4, et pour remédier aux problèmes rencontrés dans les prisons en y

5 engageant du personnel qualifié.

6 La Chambre d'appel considère que la Chambre de première instance a

7 mal interprété l'appréciation portée par la Chambre de première instance

8 dans l'affaire Plavsic sur le comportement de cette dernière après le

9 conflit en concluant à tort que le comportement de l'appelant après les

10 persécutions ne pouvait constituer une circonstance atténuante, et ce,

11 uniquement parce qu'il n'avait rien fait pour atténuer les souffrances des

12 victimes. En outre, la Chambre de première instance disposait de preuves du

13 comportement de l'appelant après les faits et des efforts qu'il avait faits

14 en faveur de la paix. La Chambre d'appel est convaincue que l'appelant a

15 tenté de restaurer la paix après les persécutions et conclut que la Chambre

16 de première instance a commis une erreur de droit lorsqu'elle a refusé

17 catégoriquement de considérer ces tentatives comme une circonstance

18 atténuante au motif qu'elles n'ont pas directement atténué les souffrances

19 des victimes. Or, aux yeux de la Chambre d'appel cette erreur n'entraîne

20 pas automatiquement une réduction de la peine. Vu la gravité du crime dont

21 l'appelant a été déclaré coupable et les circonstances de l'espèce, la

22 Chambre d'appel conclut à la majorité qu'il n'y a pas lieu d'accorder un

23 point important aux efforts entrepris par l'appelant pour promouvoir la

24 paix.

25 Quant à l'argument de l'appelant selon lequel la Chambre de première

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1 instance aurait dû tenir compte du fait que, pendant la période couverte

2 par l'acte d'accusation, il a tenté de remédier aux problèmes rencontrés

3 dans les prisons en y engageant un personnel qualifié, la Chambre d'appel

4 relève que, comme l'a reconnu l'appelant au cours de l'audience consacrée à

5 l'appel, c'est au stade de l'appel que cet argument a été soulevé pour la

6 première fois. La Chambre de première instance n'a donc pas failli en ne

7 prenant pas en compte cet élément comme une circonstance atténuante. Il

8 n'existe aucun élément de preuve au vu duquel la Chambre d'appel pourrait

9 prendre en compte cet argument. De plus, la Chambre d'appel rappelle qu'un

10 appelant ne saurait attendre de la Chambre d'appel qu'elle examine en appel

11 des éléments de preuve relatifs à des circonstances atténuantes qui étaient

12 disponibles en première instance, mais qui n'ont pas été produits.

13 Dans son dixième moyen d'appel, l'appelant avance que la Chambre de

14 première instance a commis une erreur de droit et de fait et outrepassé ses

15 pouvoirs en n'accordant pas le poids qu'il convient à la totalité des

16 circonstances atténuantes dont elle a reconnu l'existence, notamment à la

17 reconnaissance par l'appelant de sa culpabilité, au sérieux et à l'étendue

18 de sa coopération, au remords qu'il a exprimé, à sa reddition volontaire,

19 ainsi qu'à sa situation personnelle et familiale. La Chambre d'appel n'a

20 pas entrepris de déterminer, comme le demandait l'appelant, si prises

21 ensemble les circonstances atténuantes mentionnées par lui ont été

22 correctement appréciées par la Chambre de première instance. En effet, un

23 appelant ne peut obtenir l'infirmation de la décision d'une Chambre de

24 première instance concernant le poids accordé à une circonstance atténuante

25 qu'en démontrant que la Chambre de première instance a commis une erreur

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1 manifeste concernant une circonstance précise.

2 La Chambre d'appel a choisi d'examiner les erreurs alléguées pour chacune

3 de ces circonstances atténuantes et a conclu que l'appelant n'avait pas

4 démontré que la Chambre de première instance avait commis une erreur

5 manifeste dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a

6 apprécié les circonstances atténuantes en question.

7 Dans son septième moyen d'appel, l'appelant fait valoir que la Chambre de

8 première instance a commis une erreur de droit et de fait et outrepassé ses

9 pouvoirs en concluant qu'il jouait un rôle essentiel dans le cadre de

10 l'entreprise criminelle commune et en estimant que cela constituait une

11 circonstance aggravante, justifiant ainsi un alourdissement de sa peine. La

12 Chambre d'appel considère que, contrairement à ce qu'affirme l'appelant, la

13 Chambre de première instance n'a pas retenu ce rôle majeur au sein de

14 l'entreprise criminelle commune comme circonstance aggravante, mais qu'elle

15 a conclu que et je cite : "Le fait que Milan Babic ait exercé de hautes

16 fonctions politiques et soit resté à son poste, est à retenir comme une

17 circonstance aggravante."

18 La Chambre de première instance a examiné dans le détail le comportement

19 que l'appelant avait adopté en tant que dirigeant politique régional et

20 elle a souligné qu'elle retenait ses hautes fonctions comme une

21 circonstance aggravante, parce qu'il avait usé de son autorité pour mettre

22 les ressources de la SAO de Krajina au service de l'entreprise criminelle

23 commune, parce que, d'autre part, en prononçant des discours incendiaires

24 au cours de manifestations publiques et des les médias, il avait préparé la

25 population serbe à accepter l'idée que ses objectifs pouvaient être

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1 atteints par des actes de persécution et aggravé les conséquences de la

2 campagne de persécution en la laissant se prolonger.

3 La Chambre de première instance n'a pas tenu compte de la seule position

4 d'autorité de l'appelant. Elle a également pris en compte la manière dont

5 il a exercé cette autorité.

6 Le septième moyen d'appel de l'appelant est rejeté.

7 Dans son huitième moyen, l'appelant soutient, dans son acte d'appel, que la

8 Chambre de première instance a commis une erreur de droit et de fait en

9 outrepassant également son pouvoir d'appréciation en se méprenant sur

10 l'étendue de son rôle et de sa participation à l'entreprise criminelle

11 commune. Toutefois, dans son mémoire, l'appelant se contente de reprendre

12 les arguments présentés dans ses troisième et septième moyens d'appel. Le

13 seul argument nouveau qui apparaisse et que la Chambre d'appel examine dans

14 un souci de précision, c'est l'existence au sein du Tribunal international

15 d'une prétendue "politique" qui viderait de leur sens les accords sur le

16 plaidoyer en permettant, notamment, aux Chambres de première instance de

17 passer outre aux recommandations de l'Accusation et de ne pas tenir compte

18 de la teneur de l'exposé des faits sans motiver aucunement sa décision.

19 L'idée qu'il existerait une telle politique au sein du Tribunal

20 international est dénuée de tout fondement et l'appelant ne fournit aucune

21 preuve à l'appui de ces affirmations. En cas de plaidoyer de culpabilité,

22 les Chambres de première instance doivent, conformément à l'Article 62 bis

23 (iv) du Règlement de procédure et de preuve, déterminer "s'il existe des

24 faits suffisants pour établir le crime et à la participation de l'accusé à

25 celui-ci, compte tenu, soit d'indices indépendants, soit de l'absence de

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1 tous les accords déterminants entre les parties sur les faits de

2 l'affaire."

3 En cas d'accord sur le plaidoyer, une Chambre de première instance

4 déclare l'accusé coupable sur la base des faits admis par les parties et

5 mentionnés dans l'acte d'accusation, ainsi que dans l'exposé des faits. On

6 ne saurait donc affirmer qu'une Chambre de première instance peut, au

7 moment de prononcer la peine, négliger purement et simplement ces faits qui

8 sont à l'origine même de la déclaration de culpabilité qu'elle a prononcée.

9 De plus, bien qu'une Chambre de première instance ait le pouvoir de

10 prononcer une peine supérieure à celle recommandée par les parties, en

11 application de l'Article 62 ter (B) du Règlement de procédure et de preuve

12 qui dispose expressément que la Chambre de première instance n'est tenue

13 par aucun accord conclu entre les parties, elle est également tenue de

14 prendre en compte le cadre particulier d'un accord sur le plaidoyer dans

15 lequel l'accusé reconnaît sa culpabilité et doit dûment tenir compte des

16 recommandations des parties.

17 La Chambre de première instance ne peut pas tout simplement, comme

18 l'avance l'appelant, s'écarter de ces recommandations sans s'en expliquer.

19 En l'espèce cependant, il a été dûment tenu compte de la reconnaissance par

20 l'appelant de sa culpabilité et, comme l'a déjà conclu la Chambre d'appel

21 en examinant le deuxième moyen d'appel, la Chambre de première instance n'a

22 pas manqué de prendre en compte l'exposé des faits, ni d'expliquer pourquoi

23 elle s'écartait des recommandations des parties en matière de peine. En

24 conséquence, les arguments de l'appelant relatifs à un problème de

25 politique général sont sans fondement.

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1 Son huitième moyen d'appel est rejeté.

2 Dans son neuvième moyen d'appel, l'appelant soutient que la Chambre

3 de première instance a commis une erreur de droit et de fait et outrepassé

4 ses pouvoirs en fondant sa décision sur des événements et des faits qui

5 sortent du champ temporel du chef numéro 1 de l'acte d'accusation. Il

6 avance que la Chambre de première instance a mal interprété son rôle en le

7 considérant comme responsable de persécutions sur un tiers du territoire

8 croate. La Chambre d'appel conclut que la Chambre de première instance a

9 bel et bien indiqué le champ temporel du crime et l'objectif de

10 l'entreprise criminelle commune et que les arguments de l'appelant

11 procèdent d'une incompréhension des conclusions de la Chambre de première

12 instance.

13 La Chambre de première instance n'a jamais laissé entendre, comme le

14 soutient l'appelant, que le territoire de la SAO de Krajina représentait un

15 tiers de la République de Croatie. La Chambre d'appel conclut donc que les

16 arguments de l'appelant sur ce point sont dénués de tout fondement.

17 Le neuvième moyen d'appel de l'appelant est rejeté.

18 Dans son onzième moyen d'appel, l'appelant soutient pour l'essentiel

19 que c'est à tort que la Chambre de première instance a fondé sa sentence en

20 partie sur le fait qu'il n'avait jamais reconnu l'importance de son rôle

21 dans le conflit armé de la Krajina en 1991 et 1992. Il avance que la

22 Chambre de première instance a commis une erreur de droit et de fait et

23 outrepassé ses pouvoirs en lui imposant la charge vague et inacceptable de,

24 je cite : "La convaincre qu'il avait toujours reconnu toute l'importance du

25 rôle qu'il avait alors joué en Croatie."

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1 La Chambre d'appel conclut que la Chambre de première instance n'a

2 pas imposé une charge de la preuve vague et inacceptable à l'appelant,

3 qu'elle n'a pas non plus commis l'erreur de tenir compte dans la sentence

4 de l'incapacité de ce dernier à convaincre la Chambre de première instance.

5 Si la Chambre de première instance avait eu l'intention de conclure que

6 l'appelant n'avait pas pleinement reconnu qu'il était effectivement le co-

7 auteur de l'entreprise criminelle commune, elle n'aurait pas été en mesure

8 d'accepter son plaidoyer de culpabilité en application de l'Article 62 bis

9 du Règlement. Pour la chambre d'appel, la remarque en question renvoie aux

10 arguments des parties sur le caractère limité de la participation de

11 l'appelant au crime vu le rôle secondaire qu'il a joué dans le cadre de

12 l'entreprise criminelle commune. Dans le présent moyen d'appel, l'appelant

13 reprend de fait en s'y référant les arguments déjà présentés pour démontrer

14 que son rôle était plus limité que ne l'a jugé la Chambre de première

15 instance. Comme la Chambre d'appel a déjà conclu que l'appelant n'avait pas

16 mis en évidence d'erreur manifeste commise par la Chambre de première

17 instance dans l'appréciation de sa participation limitée aux crimes dont il

18 a plaidé coupable, il est inutile d'examiner plus avant cet aspect du

19 présent moyen d'appel. L'appelant ne présente aucun nouvel argument à la

20 Chambre d'appel.

21 Le onzième moyen d'appel de l'appelant est rejeté.

22 Je vais maintenant donner lecture du dispositif de l'arrêt de la Chambre

23 d'appel. Je vais demander à Monsieur Babic de bien vouloir se lever.

24 Par ces motifs, la Chambre d'appel en application de l'Article 25 du Statut

25 et des Articles 117 et 118 du Règlement, vu les écritures respectives des

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1 parties et leurs exposés à l'audience du 25 avril 2005, siégeant en

2 audience publique :

3 Accueille partiellement, à l'unanimité des Juges, le sixième moyen

4 d'appel soulevé par l'appelant en jugeant que : (1), la Chambre de première

5 instance a conclu à tort que le comportement de l'appelant après les

6 persécutions ne pouvait constituer une circonstance atténuante et ceci

7 uniquement parce qu'il n'avait rien fait pour atténuer les souffrances des

8 victimes; et (2), la Chambre de première instance a commis une erreur de

9 droit en ne retenant pas comme circonstance atténuante les efforts

10 entrepris par l'appelant en faveur de la paix. Cependant, la Chambre

11 d'appel conclut à la majorité, le Juge Mumba étant en désaccord, que tout

12 bien considéré cette erreur n'a pas d'impact sur la peine.

13 Rejette à l'unanimité chacun des autres moyens d'appel soulevés par

14 l'appelant :

15 Confirme à la majorité, le Juge Mumba étant en désaccord, la peine de 13

16 ans d'emprisonnement prononcée par la Chambre de première instance.

17 Ordonne, en application des Articles 103(C) et 107 du Règlement que

18 l'appelant reste sous la garde du Tribunal international jusqu'à ce que

19 soient arrêtées les dispositions nécessaires pour son transfert vers l'Etat

20 dans lequel il purgera sa peine.

21 Madame la Greffière, veuillez distribuer des copies de l'arrêt aux parties.

22 Monsieur Babic, vous pouvez vous rasseoir.

23 Je suis sûre qu'une fois l'impression de tous les exemplaires, il y aura

24 des copies supplémentaires disponibles. La lecture de l'arrêt de la Chambre

25 d'appel étant arrivée à son terme, l'audience de la Chambre est levée.

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1 --- L'audience est levée à 14 heures 49.

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