Affaire n° : IT-02-60-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Volodymyr Vassylenko
Mme le Juge Carmen Maria Argibay

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
28 septembre 2004

LE PROCUREUR

c/

VIDOJE BLAGOJEVIC
DRAGAN JOKIC

____________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA NOTIFICATION PAR L’ACCUSATION DU DÉPÔT DE DÉCLARATIONS EN APPLICATION DE L’ARTICLE 92 BIS DU RÈGLEMENT

____________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Peter McCloskey

Les Conseils des Accusés :

M. Michael Karnavas et Mme Suzana Tomanovic pour Vidoje Blagojevic
MM. Miodrag Stojanovic et Branko Lukic pour Dragan Jokic

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A (la « Chambre de première instance  ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la notification du dépôt de déclarations en application de l’article 92 bis du Règlement (Prosecution’s Notice of Filing Rule 92 bis Statement ), la « Notification », déposée par l’Accusation à titre confidentiel le 8 septembre 2004, sollicitant une décision finale quant à l’admission, en application de l’article 92 bis A) du Règlement de procédure et de preuve (le Règlement ») de deux déclarations du Témoin W36 (le « Témoin »), datées1 l’une du 6 septembre 1995 et l’autre du 29 novembre 1999 (les « déclarations »), dont l’Accusation avait initialement demandé le versement au dossier dans sa requête aux fins d’admission de déclarations de témoins et de témoignages antérieurs présentés en application de l’article 92 bis du Règlement, accompagnée d’une requête in limine aux fins de l’admission de pièces à conviction y afférentes ( Motion for Admission of Witness Statements and Prior Testimony Pursuant to Rule 92 bis and Incorporated Motion In Limine to Admit Related Exhibits ), en date du 14 février 2003 et déposée sous scellés le même jour,

VU la réponse de Vidoje Blagojevic à la Notification de l’Accusation (la « Réponse »), déposée à titre confidentiel le 22 septembre 2004, par laquelle la Défense de Vidoje Blagojevic (la « Défense ») s’oppose à l’admission des Déclarations aux motifs que :

1) l’Accusation n’a pas fait preuve de toute la diligence voulue, puisque l’attestation n’a été obtenue qu’après la clôture de la présentation principale des moyens à charge, et que la Notification omet de s’en expliquer2,

2) les déclarations ne peuvent être admises ni évaluées par la Chambre de première instance en l’absence d’un contre-interrogatoire, puisque le Témoin a précisé au moment de l’attestation qu’il ne gardait « aucun souvenir propre de certains événements 3 décrits dans [la déclaration de 1999] en raison du laps de temps écoulé entre les événements de 1995, ma déclaration de 1999 et le temps présent »4,

3) l’Accusation n’explique pas quelle serait la valeur probante de « la déclaration d’un témoin qui ne se souvient pas d’événements dont il disait se souvenir et qui prétend maintenant ne pas avoir une connaissance directe des événements qu’il a décrits dans sa déclaration antérieure (c’est-à-dire une déclaration contradictoire ) »5,

4) par conséquent, le Témoin doit être soumis à un contre-interrogatoire « serré  » malgré le fait que « de son propre aveu, il déclarerait n’avoir aucun souvenir de l’un quelconque des événements décrits dans la déclaration6, et que

5) l’admission des Déclarations est assimilable à des éléments de preuve en réplique en raison du stade avancé de la procédure et du fait que le Témoin n’a aucun souvenir propre des événements décrits7,

VU la Première décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’admission de déclarations de témoins et de témoignages antérieurs présentés en application de l’article 92 bis du Règlement (la « Première décision »), rendue le 12 juin 2003, par laquelle la Chambre de première instance, dans l’attente de l’attestation des déclarations suivant l’article 92 bis B) du Règlement, a admis lesdites déclarations, ordonné à l’Accusation d’obtenir l’attestation requise et de présenter les déclarations dûment certifiées, et a réservé sa décision quant à la nécessité de soumettre le Témoin à un contre-interrogatoire,

ATTENDU que la seule question soulevée par la Première décision qui reste à examiner est celle de savoir s’il y a lieu de soumettre le Témoin à un contre- interrogatoire,

ATTENDU que les Déclarations ont été certifiées en conformité avec l’article 92 bis B) du Règlement le 7 septembre 2004,

ATTENDU que, compte tenu du fait que dans la Première décision la Chambre de première instance a « [encouragé] l’Accusation à examiner si ces éléments de preuve [étaient] nécessaires à sa cause », l’Accusation aurait dû faire certifier les déclarations avant de clore la présentation de ses moyens une fois la décision prise de maintenir ce Témoin sur sa liste, mais que la Chambre n’a aucune raison de penser que l’Accusation a délibérément retardé l’attestation des déclarations,

ATTENDU que, suivant le Règlement et la jurisprudence du Tribunal, comme l’a bien précisé la Chambre de première instance dans sa Directive pour l’admission d’éléments de preuve8, et à laquelle la Défense souscrit9, c’est à la Chambre de première instance qu’il revient de déterminer la valeur probante de tout élément de preuve admis,

ATTENDU que la Défense cite de façon inexacte les informations fournies par le Témoin lors de l’attestation : premièrement, le Témoin ne déclare pas « ne pas avoir une connaissance directe »10 des événements décrits dans la déclaration de 1999 ; il dit qu’il ne garde à l’heure actuelle aucun souvenir propre de certains événements, ce qui est une tout autre affaire ; deuxièmement, et plus important encore, le Témoin ne dit pas qu’il « n’a aucun souvenir de l’un quelconque des événements décrits dans la déclaration [de 1999] », mais il indique les deux événements à propos desquels il n’a aucun souvenir propre, un fait que la Défense ne pouvait ignorer,

ATTENDU que l’explication que donne le témoin de son absence de souvenir propre à cet égard, à savoir les neuf années écoulés entre les événements et l’attestation, est crédible,

ATTENDU, cependant, que le fait que le témoin n’a actuellement aucun souvenir propre des deux événements spécifiquement mentionnés ne compromet ni la fiabilité des déclarations ni leur authenticité et, dès lors, qu’il n’y a pas lieu de soumettre le Témoin à un contre-interrogatoire,

ATTENDU qu’il existe des contradictions mineures entre la déclaration de 1995 et celle de 1999 en ce qui concerne les deux événements mentionnés,

ATTENDU que le Témoin a déclaré n’avoir aucun souvenir propre des deux incidents mentionnés et qu’il serait donc inutile de le citer à comparaître pour éclaircir ces contradictions,

ATTENDU, par ailleurs, que les déclarations ne contiennent aucun autre élément qui nécessiterait de contre-interroger le Témoin et, partant, qu’il n’y a pas lieu de le faire,

ATTENDU que la présente question a été soulevée pendant la présentation principale des moyens à charge et que les déclarations ont été admises dans le cadre de la Première décision, et, par conséquent, qu’elle ne fait intervenir aucun élément de preuve en réplique, un fait que la Défense ne pouvait ignorer,

EN APPLICATION des articles 54 et 92 bis du Règlement,

ADMET OFFICIELLEMENT les déclarations sans citer le Témoin à comparaître pour un contre-interrogatoire.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 28 septembre 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
__________
Liu Daqun

[Sceau du Tribunal]


1 - Comme l’a indiqué le Témoin au moment de l’attestation.
2 - Réponse, par. 3 à 6.
3 - Énumérés dans la déclaration de témoin du 7 septembre 2004 portant attestation de la Déclaration.
4 - Notification, déclaration du 7 septembre 2004, numéro ERN 03610465.
5 - Réponse, par. 9.
6 - Réponse, par. 12 c).
7 - Réponse, par. 10.
8 - Adoptée le 23 avril 2003.
9 - Accused Blagojevic’s Comments Concerning the Trial Chamber’s Draft Guidelines on the Standards Governing the Admission of Evidence & Request for Oral Argument, 3 mars 2003.
10 - Réponse, par. 9, non souligné dans l’original.