Affaire n° : IT-95-14-R77.2

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge O-Gon Kwon, Président
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
7 octobre 2005

LE PROCUREUR

c/

IVICA MARIJACIC
MARKICA REBIC

___________________________________________

DÉCISION RELATIVE AUX DEMANDES D’AUTORISATION DE MODIFIER L’ACTE D’ACCUSATION PRÉSENTÉES PAR L’ACCUSATION

___________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. David Akerson

Le Conseil d’Ivica Marijacic :

M. Marin Ivanovic

Le Conseil de Markica Rebic :

M. Kresmir Krsnik

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international ») est saisie de deux demandes, présentées par le Bureau du Procureur (l’« Accusation »), d’autorisation de modifier l’acte d’accusation établi contre Ivica Marijacic et Markica Rebic, auxquelles elle donne suite par la présente décision.

I. Rappel de la procédure

1. Dans l’acte d’accusation initial établi contre Ivica Marijacic et Markica Rebic (les « Accusés ») et confirmé le 10 février 2005, les Accusés devaient répondre d’un chef d’outrage au Tribunal. Le 23 juin 2005, en partie en réponse à une demande de rejet de l’acte d’accusation présentée par Ivica Marijacic, l’Accusation a déposé une demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation (Motion for Leave to Amend the Indictment) (la « première Demande de modification »). Le 29 août  2005, elle a déposé une seconde demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation (Second Motion for Leave to Amend the Indictment) (la « seconde Demande de modification » ou, globalement, les « Demandes de modification »). Le 7 juillet  2005, Markica Rebic a déposé à titre confidentiel une réponse à la première Demande de modification (Response of the Accused Markica Rebic to the Prosecutor’s Motion for Leave to Amend the Indictment) (la « première Réponse de Markica Rebic ») et, le 11 juillet 2005, l’Accusation a déposé à titre confidentiel une réplique donnant suite à la première Réponse de Markica Rebic (Reply to the Response of the Accused Markica Rebic to the Prosecutor’s Motion for Leave to Amend the Indictment ) (la « Réplique de l’Accusation »). L’Accusation n’a présenté pour ce faire aucune demande d’autorisation en application de l’article 126 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement »).

2. La Chambre de première instance, également saisie de deux demandes de rejet de l’acte d’accusation présentées par les Accusés, a rendu le 6 septembre 2005 une Décision relative aux demandes de rejet de l’acte d’accusation et ordonnance relative aux demandes d’autorisation de modifier l’acte d’accusation (la « Décision »), dans laquelle elle a ordonné, d’une part, à l’Accusation de communiquer le 9 septembre  2005 au plus tard des copies de l’ordonnance ou des ordonnances que les Accusés auraient violées en particulier, en indiquant quelles en sont les parties en cause, et, d’autre part, aux Accusés de déposer le 16 septembre 2005 au plus tard toute réponse supplémentaire aux Demandes de modification, notamment tout argument répondant aux clarifications fournies par l’Accusation en exécution de la Décision.

3. Le 9 septembre 2005, l’Accusation a déposé à titre confidentiel une réponse à la Décision (Response to the Decision on Motions to Dismiss the Indictment and Order on Motions to Amend the Indictment) (la « Réponse de l’Accusation à la Décision »). Le 15 septembre 2005, après avoir été saisie d’une demande de prorogation de délai présentée par Ivica Marijacic, la Chambre de première instance a rendu une ordonnance repoussant au 23 septembre 2005 la date limite qu’elle avait fixée pour le dépôt de toute réponse supplémentaire aux Demandes de modification. Le 21  septembre 2005, Ivica Marijacic a déposé une réponse à la Décision dans laquelle il s’opposait à la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation présentée par l’Accusation, réponse qui contenait en outre une requête en application de l’article  73 A) du Règlement aux fins du rejet de l’acte d’accusation pour incompétence ratione personae et pour incompétence ratione materiae (Defendant Ivica Marijacic’s Response to the Trial Chamber’s Order of 6 September 2005 Opposing the Prosecution’s Motion to Amend, and Motion Pursuant to Rule 73(A) to Dismiss the Indictment due to Lack of Personal Jurisdiction and Lack of Subject Matter Jurisdiction ) (la « Réponse d’Ivica Marijacic »). Le 23 septembre 2005, Markica Rebic a déposé à titre confidentiel une réponse du même ordre aux Demandes de modification et à la Réponse de l’Accusation à la Décision, réponse qui incluait elle aussi une requête en application de l’article 73 A) du Règlement aux fins du rejet de l’acte d’accusation pour incompétence ratione personae et pour incompétence ratione materiae (Response of the Accused Markica Rebic to the Prosecutor’s Motions to Amend and Prosecution’s Response to the Decision on the Motions to Dismiss the Indictment and Order on Motions to Amend the Indictment and Motion pursuant to Rule  73(A) to Dismiss the Indictment due to Lack of Personal Jurisdiction and Lack of Subject Matter Jurisdiction) (la « seconde Réponse de Markica Rebic »).

4. Le 27 septembre 2005, l’Accusation a déposé une réplique donnant suite à la Réponse d’Ivica Marijacic (Reply to the Defendant Marijacic’s Response to the Trial Chamber’s Order of 6 September 2005), réplique dans laquelle l’Accusation aborde aussi bien les questions soulevées par cet accusé en réponse aux deux Demandes de modification que la nouvelle requête pour incompétence que celui-ci a introduite. Le même jour, l’Accusation a déposé une réplique similaire donnant suite à la seconde Réponse de Markica Rebic (Reply to the Response of the Accused Markica Rebic to the Prosecutor’s Motions to Amend and Prosecution’s Response to the Decision on the Motions to Dismiss the Indictment and Order on Motions to Amend the Indictment and Motion pursuant to Rule 73(A) to Dismiss the Indictment due to Lack of Personal Jurisdiction and Lack of Subject Matter Jurisdiction) (ces écritures sont dénommées ci-après les « Répliques de l’Accusation »). L’Accusation n’a présenté pour ce faire aucune demande d’autorisation en application de l’article 126 bis du Règlement.

II. Arguments des parties

A. L’Accusation

5. L’Accusation soutient que la Chambre de première instance devrait accueillir la première Demande de modification aux motifs que « les modifications proposées sont relativement mineures, elles ne constituent pas de nouvelles accusations portées contre les Accusés, elles exposent de manière plus détaillée la thèse de l’Accusation et elles permettront à la Chambre de première instance de s’assurer que les véritables questions en l’espèce sont tranchées1  ». Elle avance également que « les Accusés n’en subiront aucun préjudice puisque l’affaire en est au début de la mise en état, et que les modifications demandées ne feront qu’aider les Accusés à mieux préparer leur défense2  ».

6. La version modifiée de l’acte d’accusation – qui est jointe à la première Demande de modification – diffère de la version initiale comme suit3  :

i) La première phrase du paragraphe 3, page 2, est maintenant ainsi libellée : « [u]n témoin protégé a fait une déclaration aux enquêteurs du Bureau du Procureur le 1er et le 2 août 19974 » ;

ii) Le paragraphe 6, page 2, est entièrement nouveau ; il fournit des détails sur les trois ordonnances que les Accusés auraient violées, à savoir : « a. [l]a Décision de la Chambre de première instance I sur les requêtes du Procureur des 12 et 14  mai 1997 en matière de protection des témoins, datée du 6 juin 1997 ; b. [l]’ordonnance orale rendue par la Chambre de première instance lorsque le témoin a comparu durant une journée devant le TPIY le 16 décembre 1997 ; et c. [l]’injonction faite par la Chambre de première instance dans son ordonnance aux fins de mettre un terme immédiat aux [violations des] mesures de protection octroyées à des témoins, en date du 1er décembre 2000 » ;

iii) Le paragraphe 8, page 3, est maintenant ainsi libellé : « [l]’article met en évidence le fait qu’Ivica Marijacic et Markica Rebic savaient tous deux que la divulgation et la publication de l’identité du témoin protégé et de sa déposition protégée étaient interdites et constituaient une violation [en connaissance de cause] des ordonnances de la Chambre de première instance5  » ;

iv) Le paragraphe 10, page 3, est entièrement nouveau ; il fournit des détails sur les actes qu’Ivica Marijacic aurait commis séparément de son co-accusé ; il est accusé d’avoir « délibérément et sciemment entravé le cours de la justice à trois égards et ce, en publiant : a. l’identité du témoin protégé ; b. la déclaration du témoin  ; et c. le fait que le témoin avait déposé en audience non publique devant le Tribunal  » ;

v) Les références faites à Ivica Marijacic ont été supprimées du paragraphe 11, page  3, qui a été modifié et se lit maintenant comme suit : « Markica REBIC a délibérément et sciemment entravé le cours de la justice en violant en connaissance de cause une ordonnance d’une Chambre à trois égards et ce, en divulguant : a. l’identité du témoin protégé ; b. la déclaration et le compte rendu de la déposition du témoin ; et c. le fait que le témoin avait déposé en audience non publique devant le Tribunal6 » ;

vi) Le chef d’accusation qui figure au paragraphe 12, page 3, a été modifié et se lit maintenant comme suit : « CHEF 1 : Outrage au Tribunal, infraction sanctionnée en vertu du pouvoir inhérent à ce Tribunal, et par l’article 77 A) et l’article  77 A) ii) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal7  » ;

7. Les modifications supplémentaires proposées dans le projet d’acte d’accusation joint à la seconde Demande de modification sont plus substantielles, bien que moins nombreuses, que celles qui sont exposées ci-dessus, à savoir :

vii) Le chef d’accusation qui figure au paragraphe 12, page 3, a de nouveau été modifié et se lit maintenant comme suit : « Par leurs actes et omissions, Ivica Marijacic et Markica Rebic se sont rendus coupables ou complices de : CHEF 1 : Outrage au Tribunal, infraction sanctionnée en vertu du pouvoir inhérent à ce Tribunal, par punissable par le Tribunal en vertu de son pouvoir inhérent et en application de l’article 77 A), et par de l’article 77 A) ii) et de l’article  77 A) iv) du de son Règlement de procédure et de preuve du Tribunal8.  »

8. L’Accusation soutient que ces modifications sont nécessaires « afin de prendre en considération les développements récents de la jurisprudence du Tribunal en matière d’outrage », développements qui ressortent du jugement rendu le 27 mai 2005 dans l’affaire Le Procureur c/ Beqa Beqaj9. Elle avance en outre que la Chambre de première instance devrait accepter les modifications puisque celles-ci sont mineures et ne donnent lieu à aucune accusation supplémentaire contre les Accusés. Elle répète que « les Accusés n’en subiront aucun préjudice puisque l’affaire en est au début de la mise en état10  ».

9. Dans les parties de ses Répliques qui ont trait aux Demandes de modification, l’Accusation fait valoir a) que les Accusés n’ont rien présenté qui puisse étayer leur position selon laquelle l’accusation portée à leur encontre en application de l’article 77 A) iv) du Règlement est sans aucun fondement, b) que les Accusés ont commis une erreur dans leur interprétation de l’article 77 A) iv), et notamment de son effet juridique selon lequel, de l’avis de l’Accusation, la divulgation de l’identité d’un témoin protégé revient à contrecarrer les efforts de protection des témoins déployés par le Tribunal, et c) que les Accusés n’ont pas établi que les modifications proposées les pénaliseraient injustement. L’Accusation précise également qu’elle n’abandonne pas ses allégations fondées sur l’article 77 A) ii ) du Règlement, mais qu’elle en ajoute une fondée sur l’article 77 A) iv) puisque les Accusés auraient « de toute autre manière fait pression sur » un témoin11.

B. La Défense

a) Markica Rebic

10. Dans sa première Réponse, Markica Rebic aborde les modifications que l’Accusation propose dans la première Demande de modification. Il soutient que l’Accusation n’a pas rempli les conditions posées par l’article 50 A) ii) du Règlement pour modifier un acte d’accusation. Il affirme notamment que les ordonnances qui sont énumérées dans l’acte d’accusation – et que les Accusés auraient violées – ne lui étaient pas adressées puisqu’il n’est jamais intervenu dans l’affaire Blaskic (dans laquelle les ordonnances visées ont été rendues), et qu’aucune ordonnance dans cette affaire ne lui était destinée en particulier. Il avance par ailleurs qu’il ne pouvait d’aucune manière avoir connaissance de ces ordonnances et qu’il ne pouvait donc les violer « délibérément et sciemment ». Il fait valoir enfin que les allégations portées contre lui sont « particulièrement absurdes s’agissant des ordonnances que la Chambre a rendues oralement durant la déposition faite par le témoin durant une journée » puisque les débats en question se sont tenus à huis clos12.

11. Markica Rebic s’oppose à l’ajout d’une référence à l’article 77 A) du Règlement dans l’acte d’accusation modifié aux motifs qu’« on ne pourrait pas du tout savoir de quels actes punissables en application de l’article 77 A) il serait accusé ou, si l’Accusation avait l’intention de proposer un acte d’accusation pour tous les actes visés à l’article 77 A), on ne pourrait pas du tout savoir de quelle manière M. Rebic est supposé avoir commis ces actes13  ». Il soutient donc que les modifications proposées ne rempliraient pas les critères énoncés à l’article 47 C) du Règlement.

12. Dans sa seconde Réponse, en plus de son désaccord sur l’ajout d’une référence à l’article 77 A), Markica Rebic s’oppose aussi à ce que l’Accusation invoque de surcroît l’article 77 A) iv). Il avance qu’aucune de ces dispositions du Règlement ne permet de le mettre en accusation pour les faits qui lui sont reprochés. Les autres points qu’aborde Markica Rebic dans sa seconde Réponse portent sur le fait qu’il conteste la compétence du Tribunal et font l’objet d’une décision distincte.

b) Ivica Marijacic

13. Dans sa réponse, Ivica Marijacic marque lui aussi son désaccord sur l’ajout d’une référence à l’article 77 A) du Règlement en général dans l’acte d’accusation modifié. Il s’oppose également à ce que l’Accusation invoque de surcroît l’article  77 A) iv) au motif que si elle lui reproche d’avoir violé des ordonnances de mesures de protection rendues par la Chambre de première instance, elle doit le faire sur la base de l’article 77 A) ii)14. Il défend cette position en soutenant que si l’on applique le principe d’interprétation juridique selon lequel la mention de l’un est l’exclusion de l’autre (expressio unius est exclusio alterius), la conclusion qui s’impose est que les juges du Tribunal considéraient que la divulgation d’informations qui n’a pas été commise en violant en connaissance de cause une ordonnance d’une Chambre ne constituait pas une infraction pour outrage15. Il avance aussi que le principe, selon lequel un texte de droit devrait être interprété de telle sorte que chacune de ses dispositions a un sens, est applicable et qu’il faut donc rejeter l’interprétation que donne l’Accusation de l’article 77 et du « pouvoir inhérent » du Tribunal. La base de cette argumentation est que l’article  77 A) ii) n’aurait plus aucune signification si l’Accusation pouvait accuser une personne d’outrage pour avoir divulgué des informations sur un témoin en l’absence d’une ordonnance d’une Chambre, parce que l’Accusation n’aurait jamais à prouver que ces actes ont été commis en violant en connaissance de cause une telle ordonnance 16.

14. Ivica Marijacic soutient par ailleurs que la Chambre Blaskic a implicitement rejeté la thèse selon laquelle la publication de la déposition d’un témoin non protégé peut néanmoins constituer une entrave au cours de la justice et donc un outrage au Tribunal. Partant, il affirme que cette position adoptée par la Chambre Blaskic est incompatible avec l’argument de l’Accusation, selon lequel la publication de la déposition d’un témoin peut constituer un outrage même en l’absence d’une ordonnance d’une Chambre17.

15. Ivica Marijacic avance enfin que la large interprétation que donne l’Accusation à l’article 77 A) et au pouvoir inhérent du Tribunal aurait un effet inhibant sur les journalistes puisqu’ils ne pourraient plus savoir ce qu’ils ont le droit ou non de publier18.

16. Les autres points qu’aborde Ivica Marijacic dans sa Réponse portent sur le fait qu’il conteste la compétence du Tribunal et font l’objet d’une décision distincte.

III. Le Règlement

17. En matière d’outrage au Tribunal et de modifications des actes d’accusation, les dispositions du Règlement pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

Article 77
Outrage au Tribunal

A) Dans l’exercice de son pouvoir inhérent, le Tribunal peut déclarer coupable[s] d’outrage les personnes qui entravent délibérément et sciemment le cours de la justice, y compris notamment toute personne qui :

i) étant témoin devant une Chambre refuse de répondre à une question malgré la demande qui lui en est faite par la Chambre ;

ii) divulgue des informations relatives à ces procédures en violant en connaissance de cause une ordonnance d’une Chambre ;

iii) méconnaît, sans excuse valable, une ordonnance aux fins de comparaître devant une Chambre ou aux fins de produire des documents devant une Chambre ;

iv) menace, intimide, lèse, essaie de corrompre un témoin, ou un témoin potentiel, qui dépose, a déposé ou est sur le point de déposer devant une Chambre de première instance ou de toute autre manière fait pression sur lui ; ou

v) menace, intimide, essaie de corrompre ou de toute autre manière cherche à contraindre toute autre personne, dans le but de l’empêcher de s’acquitter d’une obligation découlant d’une ordonnance rendue par un Juge ou une Chambre.

B) Toute incitation à ou tentative de commettre l’un des actes sanctionnés au paragraphe  A) est assimilée à un outrage au Tribunal et est passible de la même peine.

[…]

E) Les règles de procédure et de preuve énoncées aux chapitres quatre à huit du Règlement s’appliquent, mutatis mutandis, aux procédures visées au présent article.

[…]

Article 50
Modifications de l’acte d’accusation

A) i) Le Procureur peut modifier l’acte d’accusation :

[…]

c) après l’affectation de l’affaire à une Chambre de première instance, sur autorisation de la Chambre ou de l’un de ses membres statuant contradictoirement.

ii) Indépendamment de tout autre facteur entrant en ligne de compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, l’autorisation de modifier un acte d’accusation ne sera accordée que si la Chambre de première instance ou le juge saisi est convaincu qu’il existe à l’appui de la modification proposée des éléments de preuve répondant au critère défini à l’article 19, paragraphe 1), du Statut.

[…]

B) Si l’acte d’accusation modifié contient de nouveaux chefs d’accusation et si l’accusé a déjà comparu devant un juge ou une Chambre de première instance conformément à l’article 62, une seconde comparution aura lieu dès que possible pour permettre à l’accusé de plaider coupable ou non coupable pour les nouveaux chefs d’accusation.

C) L’accusé disposera d’un nouveau délai de trente jours pour soulever, en vertu de l’article 72, des exceptions préjudicielles pour les nouveaux chefs d’accusation et, si nécessaire, la date du procès peut être repoussée pour donner à la défense suffisamment de temps pour se préparer.

IV. Discussion

18. Les modifications de l’acte d’accusation sont régies par l’article 50 du Règlement, lequel s’applique aux procédures pour outrage en vertu de l’article 77 E). La Chambre de première instance a conclu dans une autre affaire « qu’avant de se prononcer sur une demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation, il convient de déterminer si les modifications en question pénaliseront injustement l’accusé19  ». Elle a dit également que, « pour déterminer si les accusés sont lésés en quoi que ce soit par la modification de l’acte d’accusation, il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce20  ».

19. La Chambre de première instance (ou le Juge) a le pouvoir discrétionnaire de faire droit à une demande de modification de l’acte d’accusation à condition qu’elle soit convaincue que, comme l’exige l’article 19 1) du Statut, il existe à l’appui de la modification proposée des charges suffisantes pour engager de ce fait des poursuites. Il est de jurisprudence au Tribunal que les charges « sont suffisantes pour engager des poursuites au titre de chacun des chefs d’accusation retenus, pour autant que les faits matériels exposés dans l’acte d’accusation constituent une cause crédible qui (si l’accusé n’apporte pas à cet égard d’éléments contradictoires valables) suffirait à déclarer l’accusé coupable au titre de ce chef21  ». Ce critère des charges suffisantes pour engager des poursuites doit être appliqué, d’une part, par les juges chargés de l’examen de l’acte d’accusation en application de l’article 47 du Règlement et, d’autre part, lorsqu’il s’agit de décider de modifications de l’acte d’accusation en application de l’article 50 A) ii). Par conséquent, le juge qui a confirmé l’acte d’accusation initial dans la présente affaire devait être convaincu qu’il y avait lieu de poursuivre les Accusés, et ce n’est pas à la Chambre de première instance qu’il revient de revoir cette décision. Il s’ensuit que ce n’est que si la modification proposée donne naissance à une nouvelle accusation que la Chambre de première instance doit être convaincue que les charges suffisent à justifier cette modification.

20. La Chambre de première instance doit par conséquent examiner chaque modification proposée par l’Accusation dans ses deux Demandes de modification afin de déterminer au cas par cas si elle pénalisera injustement les Accusés. Lors de cet examen, la Chambre se doit notamment de vérifier si l’une ou l’autre de ces modifications constitue une nouvelle accusation, auquel cas il y aurait lieu non seulement d’appliquer les dispositions prévues par les articles 50 B) et C) du Règlement, mais aussi d’estimer si l’Accusation a établi qu’il existe des charges suffisantes pour porter cette nouvelle accusation.

a) Première modification proposée

21. La première modification proposée qui figure sur la liste dressée plus haut n’est que la correction d’un fait : le témoin protégé a été interrogé par les enquêteurs de l’Accusation durant deux jours, à savoir le 1er et le 2 août 1997, ces deux dates étant indiquées dans sa déclaration comme étant les « Dates de l’entretien ». Aucun des Accusés ne s’est opposé à cette modification, et la Chambre de première instance considère que cet ajout ne pénaliserait pas injustement les Accusés.

b) Deuxième modification proposée

22. La deuxième modification proposée concerne l’ajout d’un paragraphe énumérant les trois ordonnances de la Chambre Blaskic que les Accusés auraient violées. Il est important de noter que cette modification a été proposée dans la première Demande de modification, laquelle a été déposée avant que la Chambre de première instance ne dise dans la Décision qu’il était nécessaire que l’acte d’accusation précise les ordonnances que les Accusés auraient violées22. La deuxième modification proposée donne donc des détails supplémentaires sur le fondement de l’accusation initialement portée contre les Accusés. Cette modification n’ajoute cependant aucune nouvelle accusation ni aucune allégation factuelle à l’appui de l’accusation existante. Il n’est donc pas nécessaire à ce stade, pour déterminer s’il y a lieu de poursuivre les Accusés, que la Chambre de première instance examine la teneur des ordonnances qu’auraient violées ces derniers en particulier et qui sont spécifiées dans l’acte d’accusation modifié proposé. Il est sûr que lorsque le Juge Orie a confirmé l’acte d’accusation initial, il devait être convaincu que le Procureur avait établi qu’il existait des charges suffisantes pour porter contre Markica Rebic et Ivica Marijacic les accusations d’outrage telles qu’elles étaient formulées, et ce n’est pas à la Chambre de première instance qu’il revient de revoir cette décision.

23. La Chambre de première instance considère que la deuxième modification proposée ne pénaliserait pas injustement les Accusés, et elle avait d’ailleurs, dans la Décision, ordonné à l’Accusation de fournir les informations qu’apporte cette modification.

c) Troisième et quatrième modifications proposées

24. La troisième modification proposée est liée à la quatrième dans la mesure où elle fournit des détails supplémentaires sur les actes spécifiques qu’aurait commis Ivica Marijacic, auquel il est reproché d’avoir « publié » des informations « divulguées  » par Markica Rebic. D’après l’Accusation, tous deux savaient que la publication et la divulgation de ces informations étaient interdites et constituaient une violation d’ordonnances de la Chambre. L’ajout des termes « la publication » et « en publiant  » dans ces troisième et quatrième modifications proposées, conjugué avec la mention distincte dont Ivica Marijacic fait l’objet, permet de mieux appréhender la forme que revêt la divulgation illégale d’informations en l’espèce et ne peut donc être assimilé à une nouvelle accusation portée contre cet accusé.

25. La suppression des termes « en connaissance de cause » au paragraphe 8 n’en modifie par fondamentalement la signification puisqu’il y est indiqué par ailleurs que les Accusés savaient que leurs actes étaient interdits et constituaient une violation des ordonnances de la Chambre de première instance. L’insertion de l’adjectif « interdites » peut paraître superflue car si les Accusés savaient que leurs actes constituaient une violation des ordonnances de la Chambre de première instance, ils devaient alors également savoir que ces actes étaient interdits. Quoi qu’il en soit, l’ajout de ce mot ne constitue pas une nouvelle accusation et la Chambre considère que les troisième et quatrième modifications proposées ne pénaliseraient pas injustement les Accusés.

d) Cinquième modification proposée

26. Dans la logique de la quatrième modification proposée, la cinquième modification vise à supprimer du paragraphe 9 la référence faite à Ivica Marijacic. Partant, ce paragraphe spécifie l’acte qu’aurait commis Markica Rebic, à savoir la divulgation de certaines informations. Markica Rebic n’est plus accusé d’avoir divulgué seulement la déclaration, mais aussi le compte rendu de la déposition du témoin protégé devant le Tribunal. Il est dit au paragraphe 6 de l’acte d’accusation initial que Markica Rebic a révélé à Ivica Marijacic certaines informations concernant le témoin protégé, notamment son identité ainsi que des copies de sa déclaration devant les enquêteurs du Bureau du Procureur et du compte rendu de sa déposition dans l’affaire Blaskic. Pourtant, il n’est pas question de la divulgation de ce compte rendu au paragraphe  9 de l’acte d’accusation initial, qui précède directement le chef d’accusation et énumère les trois faits que l’on reproche aux Accusés d’avoir commis « en violant en connaissance de cause une ordonnance d’une Chambre ». On pourrait considérer pour cette raison que la modification proposée est une nouvelle allégation factuelle sous-tendant l’outrage.

27. La Chambre de première instance a dit dans une autre affaire que, « dans la mesure où la nouvelle allégation pourrait constituer le seul acte ou omission dont l’Accusé pourrait être déclaré coupable, cette modification constitue une “nouvelle accusation” donnant lieu à un chef d’accusation “nouveau” au sens de l’article 50 du Règlement23 ». En ce qui concerne Markica Rebic, l’acte allégué consiste en la divulgation de certaines informations, et on ne peut prétendre que l’addition du compte rendu sur la liste des éléments qu’il aurait dévoilés ajouterait beaucoup à cet « acte ». De plus, la Chambre de première instance est d’avis, d’une part, qu’au paragraphe 6 de l’acte d’accusation initial, la mention de la divulgation du compte rendu par Markica Rebic donnait à ce dernier suffisamment d’informations sur les allégations formulées à son encontre et, d’autre part, que l’ajout d’une autre mention de cette divulgation dans l’acte d’accusation modifié proposé ne constitue pas une allégation entièrement nouvelle. On ne peut donc parler ici d’une nouvelle accusation portée contre Markica Rebic. En outre, les Accusés ne se sont pas opposés à cette modification, et la Chambre de première instance considère que celle-ci ne les pénaliserait pas injustement.

28. Au paragraphe 11, la suppression des termes « en violant en connaissance de cause une ordonnance d’une Chambre » semble faire partie des efforts que déploie l’Accusation pour mettre l’accent moins sur l’article 77 A) ii) du Règlement et davantage sur l’article 72 A) dans son ensemble ainsi que sur le pouvoir inhérent du Tribunal de poursuivre et de punir les auteurs d’outrage, ce dont il est question plus loin. La Chambre de première instance considère que la suppression de ces termes ne modifie profondément ni la teneur de ce paragraphe ni la nature des accusations, et qu’elle ne pénalise pas injustement non plus les Accusés.

e) Sixième et septième modifications proposées

29. Les sixième et septième modifications soulèvent des questions portant sur la définition de l’infraction pour outrage au Tribunal. Ces modifications proposées ont trait notamment aux modes de perpétration de l’infraction d’outrage et aux modes de responsabilité. Les accusations sont multiples en substance lorsqu’il existe une grande différence entre les modes de perpétration sous-jacents énumérés et lorsqu’un accusé pourrait être déclaré coupable à raison d’un mode de perpétration et non coupable à raison d’un autre. En pareil cas, la Chambre de première instance doit estimer si l’Accusation a établi qu’il y a lieu d’ajouter des modes de perpétration sous-jacents. De même, l’ajout d’un nouveau mode de responsabilité (complicité d’outrage ) donne lieu à une nouvelle accusation que les charges doivent suffisamment fonder.

30. La Chambre de première instance va d’abord examiner l’ajout proposé des références faites à l’article 77 A) et à l’article 77 A) iv) au paragraphe 12 de l’acte d’accusation modifié, puis celui du terme « complices » d’outrage.

i) L’article 77 A) et l’article 77 A) iv) du Règlement

31. Il est de jurisprudence bien établie que le Tribunal a le pouvoir inhérent de poursuivre et de punir les auteurs d’outrage24. Au lieu de donner une définition complète de l’outrage, l’article 77 du Règlement n’en « dessine que les linéaments25  ». Comme l’indique le début du paragraphe A) de l’article 77, les personnes qui entravent délibérément et sciemment le cours de la justice peuvent être déclarées coupables d’outrage y compris lorsque leur comportement participe de ceux qu’énumèrent les alinéas i) à v), mais cette liste de modes de perpétration n’est pas exhaustive. Il est donc possible d’accuser une personne d’outrage en vertu du pouvoir inhérent du Tribunal défini par l’article 77 A) lorsque les éléments de preuve indiquent qu’elle a entravé délibérément et sciemment le cours de la justice, et que le mode de perpétration en cause n’entre pas dans la gamme de ceux que prévoient les alinéas i) à v). Dans le même ordre d’idées, il est possible d’accuser une personne d’outrage en application de l’un des alinéas de l’article 77 A) et aussi en vertu du pouvoir général mentionné dans la partie introductive de ce paragraphe lorsque des allégations supplémentaires caractérisent un acte qui ne correspond à aucun de ceux qu’énoncent les alinéas i) à v). Il en découle aussi qu’une personne peut être accusée d’outrage en application de plusieurs de ces alinéas lorsqu’il ressort des éléments de preuve que son comportement entre dans leurs cadres respectifs.

32. Dans sa première Demande de modification, l’Accusation n’explique pas pourquoi elle souhaite invoquer de surcroît l’article 77 A) au paragraphe 12 de l’acte d’accusation. Initialement, Ivica Marijacic et Markica Rebic étaient accusés d’outrage, infraction punissable par le Tribunal en vertu de son pouvoir inhérent et en application de l’article 77 A) ii) de son Règlement (divulgation d’informations relatives à ses procédures en violant en connaissance de cause une ordonnance d’une Chambre). En proposant cette modification, l’Accusation souhaite sans doute ouvrir la porte à une application de l’article 77 A) et, partant, à une accusation distincte. On ne sait pas clairement ce qui pourrait justifier d’élargir les accusations à ce point, puisque rien dans les documents déposés ne donne à penser que les Accusés se soient engagés dans des actes qui sortent du champ d’application de l’article 77 A) ii). Au contraire, lesdits documents laissent entendre que les actes reprochés aux Accusés entrent dans le cadre de l’article 77 A) ii), conformément aux accusations initiales, et il n’existe aucune nouvelle allégation se rapportant à un comportement des Accusés qui ne relève pas de cet alinéa.

33. La situation est comparable s’agissant de l’article 77 A) iv) du Règlement que l’Accusation souhaite également invoquer de surcroît. L’Accusation pourrait accuser une personne d’outrage en application de l’article 77 A) ii) et de l’article  77 A) iv) si elle met en avant des faits distincts à l’appui de ce nouveau mode de perpétration sous-jacent. Si elle s’appuie sur les mêmes faits, mais n’est pas sûre que la Chambre de première instance conclura que tous les éléments de ce mode de perpétration sont réunis, elle peut accuser cette personne en alléguant un deuxième mode de perpétration à titre subsidiaire voire même cumulatif. En l’espèce, l’Accusation pourrait accuser Ivica Marijacic et Markica Rebic en application de l’article 77  A) ii) et/ou de l’article 77 A) iv).

34. Indépendamment du fait que les accusations soient portées à titre cumulatif ou subsidiaire, l’ajout de références à de nouveaux modes de perpétration n’est possible que si la Chambre de première instance est convaincue que l’Accusation a établi qu’il existe des charges suffisantes pour le justifier. L’article 77 A)  iv) semble à première vue ne pas se rapporter aux faits en cause, raison pour laquelle il est difficile de conclure que l’Accusation a établi qu’il y a lieu de porter une accusation en application de cet alinéa. Dans ses Répliques, l’Accusation s’appuie visiblement sur une interprétation des termes « de toute autre manière fait pression sur un témoin » que la Chambre d’appel Aleksovski a donnée dans son arrêt relatif à l’outrage26. Dans cette affaire, la Chambre d’appel a cité un exemple du Royaume-Uni montrant un comportement assimilable à un outrage, à savoir la publication de l’identité d’un témoin bénéficiant de mesures de protection, « lorsque l’outrage repose non pas sur la violation de l’ordonnance aux fins de mesures de protection mais sur le fait que la divulgation de l’identité du témoin entrave le cours de la justice27  ». L’Accusation cherche à fonder sur cette citation l’argument selon lequel la publication de l’identité d’un témoin protégé revient à faire « pression sur lui », même s’il apparaît que le texte cité va plus dans le sens d’une accusation portée en application de l’article 77 A) en général.

35. En conséquence, la Chambre de première instance rejette l’ajout proposé d’une référence à l’article 77 A) iv) du Règlement puisque aucun fait matériel exposé dans l’acte d’accusation modifié ne constitue une cause crédible qui (si les Accusés n’apportent pas à cet égard d’éléments contradictoires valables) suffirait à déclarer les Accusés coupables d’avoir menacé, intimidé, lésé, essayé de corrompre un témoin, ou un témoin potentiel, qui dépose, a déposé ou est sur le point de déposer devant une Chambre de première instance ou de toute autre manière fait pression sur lui28.

36. En outre, la Chambre de première instance n’est pas convaincue que les faits matériels exposés dans l’acte d’accusation modifié constituent une cause crédible qui (si les Accusés n’apportent pas à cet égard d’éléments contradictoires valables ) suffirait à déclarer les Accusés coupables en application de l’article 77 A) dans le cadre d’une accusation distincte de celle formulée sur la base de l’article 77  A) ii). L’Accusation n’a fourni aucune explication et n’a fait état d’aucun fait distinct permettant d’invoquer de surcroît l’article 77) A). Si – comme cela semble être le cas – l’Accusation allègue un outrage en application de l’article 77 A) sur la base des mêmes faits qu’elle met en avant à l’appui d’une accusation portée pour outrage en application de l’article 77 A) ii), l’ajout d’une référence particulière à l’article 77 A) est superflu. Puisqu’il énonce un mode de perpétration d’une infraction pour outrage défini à l’article 77 A), l’article 77 A) ii) incorpore les termes généraux et les conditions de cet article.

ii) complicité d’outrage

37. Dans l’affaire Beqaj, l’accusé était mis en cause pour avoir pris part aux infractions suivantes : chef 1 : outrage au Tribunal ; chef 2 : tentative d’outrage au Tribunal ; et chef 3 : incitation à outrage au Tribunal. Dans l’acte d’accusation, il était également reproché à cet accusé d’avoir « incité à commettre, tenté de commettre, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à commettre un outrage au Tribunal29 ». Dans le jugement passé en force de chose jugée, la Chambre de première instance a conclu dans cette affaire que le premier chef d’accusation englobait deux formes de responsabilité, l’une découlant de « la commission » et l’autre de « la complicité »30. La Chambre de première instance a déclaré l’accusé coupable du chef 1 et l’a acquitté du chef de tentative d’outrage au Tribunal et du chef d’incitation à outrage au Tribunal. Elle n’a cependant pas indiqué si elle a reconnu l’accusé coupable pour avoir commis l’outrage ou pour en avoir été complice.

38. La Chambre de première instance I n’ayant pas abordé la question dans ce jugement, on ne sait pas bien si elle considérait que « la complicité » est une forme de responsabilité qui relève de la compétence du Tribunal en matière d’outrage. Quoi qu’il en soit, l’article 77 du Règlement n’envisage aucune « complicité » d’outrage. La question qui se pose donc est celle de savoir si le Tribunal peut poursuivre ou condamner une personne pour complicité d’outrage. La Chambre d’appel a estimé que chacune des infractions visées aux paragraphes A) à D) de l’article 77 relève du pouvoir inhérent, sans toutefois le limiter, qu’a le Tribunal d’exercer des poursuites pour outrage et d’en punir les auteurs31. Elle a dit aussi que « [c]’est à partir des sources usuelles du droit international que le contenu de ce pouvoir inhérent peut être défini32  ».

39. Même si, de prime abord, la complicité d’outrage n’entre pas dans le champ de l’article 77 du Règlement, la Chambre de première instance conclut que le Tribunal doit détenir le pouvoir inhérent de poursuivre une personne pour outrage sur la base de cette forme de responsabilité, qui représente une forme atténuée de la responsabilité découlant de la perpétration de l’outrage.

40. Si l’on applique le critère de la Décision Halilovic, l’ajout du terme « complices » entraînerait l’introduction dans l’acte d’accusation d’une base entièrement nouvelle, dans les faits et dans le droit, sur laquelle pourrait être prononcée une déclaration de culpabilité, et doit donc être considéré comme une nouvelle accusation. Toutefois, la Chambre de première instance n’est pas convaincue que l’Accusation ait produit des charges suffisantes pour accuser Ivica Marijacic ou Markica Rebic de complicité d’outrage puisqu’elle ne précise pas qui les Accusés auraient aidé et encouragé ni quels actes constitutifs de ce mode de participation à l’infraction ils auraient commis. Par ces motifs, la Chambre de première instance rejette la proposition faite par l’Accusation d’engager de surcroît la responsabilité des Accusés pour complicité d’outrage.

III. Dispositif

41. En application de l’article 50 du Règlement, la Chambre de première instance ACCUEILLE les Demandes de modification pour ce qui est des points suivants  :

a) La première modification proposée est acceptée dans son intégralité ;

b) La deuxième modification proposée est acceptée dans son intégralité ;

c) La troisième modification proposée est acceptée dans son intégralité ;

d) La quatrième modification proposée est acceptée dans son intégralité ;

e) La cinquième modification proposée est acceptée dans son intégralité ; et

REJETTE les Demandes de modification pour ce qui est des points suivants  :

f) La sixième modification proposée est refusée ;

g) La septième modification proposée est refusée.

42. En application de l’article 54 du Règlement, la Chambre de première instance ORDONNE

1) à l’Accusation de déposer un acte d’accusation modifié dans les sept jours de la présente décision.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance

_________________
O-Gon Kwon

Le 7 octobre 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Première Demande de modification, par. 6.
2 - Ibidem, par. 7.
3 - Les numéros de page et de paragraphe indiqués correspondent à ceux de l’acte d’accusation joint à la première Demande de modification.
4 - Le texte rajouté est souligné.
5 - Le texte rajouté est souligné, le texte supprimé est barré.
6 - Idem.
7 - Idem.
8 - Idem.
9 - Seconde Demande de modification, par. 5.
10 - Ibidem, par. 6.
11 - Prosecution’s Reply to Defendant Marijacic’s Response to Trial Chamber’s Order of 6 September 2005, par. 19.
12 - Première Réponse de Markica Rebic, par. 9.
13 - Ibidem, par. 13.
14 - Réponse d’Ivica Marijacic, par. 8.
15 - Ibidem.
16 - Ibid., par. 10.
17 - Ibid., par. 6.
18 - Ibid., par. 11.
19 - Le Procureur c/ Sefer Halilovic, affaire n° IT-01-48-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de modifier l’acte d’accusation, 17 décembre 2004 (la « Décision Halilovic »), par. 22.
20 - Le Procureur c/ Zeljko Meakic, Momcilo Gruban, Dusan Fustar, Predrag Banovic et Dusko Knezevic, affaire n° IT-02-65-PT, Décision relative à l’acte d’accusation conjoint, 21 novembre 2001, p. 5, où il est fait référence à Le Procureur c/ Naletilic & Martinovic, affaire n° IT-98-34-PT, Décision relative à l’opposition de Vinko Martinovic et à l’exception préjudicielle de Mladen Naletilic concernant l’acte d’accusation modifié, 14 février 2001.
21 - Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, Milan Milutinovic, Nikola Sainovic, Dragoljub Ojdanic et Vlajko Stojiljkovic, affaire n° IT-99-37-I, Décision relative à l’examen de l’acte d’accusation et ordonnances y relatives, 24 mai 1999, par. 4.
22 - Le fait que l’Accusation a déposé sa première Demande de modification tout de suite après le dépôt par l’un des Accusés d’une demande de rejet de l’acte d’accusation au motif, entre autres, que les ordonnances que les Accusés auraient violées n’y étaient pas précisées, a nettement retardé le règlement des requêtes préalables au procès et n’est pas recommandable. L’Accusation ferait mieux de répondre aux demandes de rejet de cet ordre en faisant part de sa volonté d’apporter certaines modifications à l’acte d’accusation et, une fois cette question réglée, de déposer une demande de modification. En outre, si cette procédure avait été suivie en l’espèce, la seconde Demande de modification aurait été superflue.
23 - Décision Halilovic, par. 34.
24 - Voir par exemple Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-A-R77, Arrêt relatif aux allégations d’outrage formulées à l’encontre du précédent Conseil, Milan Vujin, 31 janvier 2001 (l’« Arrêt Vujin relatif à l’outrage »), et Le Procureur c/ Beqa Beqaj, affaire n° IT-03-66-T-R77, Jugement relatif aux allégations d’outrage, 27 mai 2005 (le « Jugement Beqaj »).
25 - Jugement Beqaj, par. 9.
26 - Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, affaire n° IT-95-14/1-AR77, Arrêt relatif à l’appel de la décision portant condamnation pour outrage au Tribunal interjeté par Anto Nobilo, 30 mai 2001.
27 - Ibidem, par. 40.
28 - Voir supra le paragraphe 19 où il est question du critère des charges suffisantes pour engager des poursuites.
29 - Le Procureur c/ Beqa Beqaj, affaire n° IT-03-66-T-R77, Indictment, 29 octobre 2004, par. 2 (non souligné dans l’original).
30 - Voir Le Procureur c/ Beqa Beqaj, affaire n° IT-03-66-T-R77, Jugement relatif aux allégations d’outrage, 27 mai 2005, par. 23.
31 - Arrêt Vujin relatif à l’outrage, par. 26.
32 - Ibidem, par. 13.