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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
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4 Mardi 29 juillet 1997
5 L'audience est ouverte à 10 heures 10.
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7 M. le Président. - L'audience est reprise. Monsieur le Greffier,
8 veuillez faire entrer l'accusé. Monsieur Kehoe, faites entrer votre
9 témoin.
10 M. Kehoe (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.
11 Bonjour, Messieurs les Juges.
12 M. le Président. - Un petit point d'ordre, vous savez que la
13 Chambre attache de l'importance à l'organisation. Comptez-vous interroger
14 votre témoin toute la matinée ? Nous avons pris un peu de retard pour des
15 raisons indépendantes de notre volonté.
16 M. Kehoe (interprétation). - La déposition de M. Djidic va durer
17 jusque dans l'après-midi, peut-être même jusqu'à la fin de la journée.
18 M. le Président. - D'accord. Demain matin, Monsieur le Greffier,
19 nous ne siégeons pas. Nous reprendrons demain après-midi et tout jeudi.
20 (Le témoin est introduit dans la salle d’audience.)
21 Bonjour, Monsieur Djidic, m’entendez-vous ?
22 M. Djidic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président. Je
23 vous entends très bien.
24 M. le Président. - Monsieur Kehoe, vous avez la parole.
25 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
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1 Monsieur Djidic, à votre gauche, si vous voulez bien regarder,
2 il y a une carte. Hier, vous avez parlé du conflit à Novi Travnik.
3 Pourriez-vous nous indiquer où se trouve Novi Travnik sur cette carte ?
4 M. Djidic (interprétation). - Oui, je peux le faire.
5 (Le témoin montre Novi Travnik sur la carte.)
6 M. le Président. - Pouvez-vous tourner un peu la carte. C’est
7 parfait, tout le monde la voit. Allez-y.
8 M. Kehoe (interprétation). - Un éclaircissement,
9 Monsieur Djidic. Sur cette carte, le nom de Novi Travnik est Pucarevo,
10 n’est-ce pas ?
11 M. Djidic (interprétation). - Oui.
12 M. Kehoe (interprétation). - Donc si les Juges examinent la
13 carte et qu'ils voient la mention Pucarevo c’est bien l’équivalent de
14 Novi Travnik.
15 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement.
16 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, hier vous parliez
17 d'un barrage routier qui avait été érigé vers le milieu ou la fin du mois
18 d’octobre 1992. Des troupes du HVO avaient tenté de le passer pour aller à
19 Novi Travnik, n’est-ce pas ?
20 M. Djidic (interprétation). - Oui.
21 M. Kehoe (interprétation). - Où se trouvait ce barrage routier ?
22 M. Djidic (interprétation). - Ce barrage routier se trouvait
23 près du village d'Ahmici, à l'entrée de Vitez. A l'autre bout de Vitez, un
24 barrage routier était tenu par l'armée de Bosnie-Herzégovine. A la gare,
25 il y avait un barrage routier du HVO, ainsi que d'autres points de
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1 contrôle
2 M. Kehoe (interprétation). - Que s’est-il passé au barrage
3 routier d’Ahmici lorsque les troupes du HVO ont voulu le passer ?
4 M. Djidic (interprétation). - Ce barrage routier a été mis en
5 place pendant une brève période. Le HVO a chassé, en quelque sorte, la
6 Défense territoriale qui s’y trouvait. Les troupes du HVO ont ainsi passé
7 le barrage. Après cela, les gens du village d’Ahmici ont reçu l'ordre de
8 remettre leurs armes et c’est ce qu’ils ont fait. Cela signifie que le
9 village d’Ahmici a été désarmé. Le même jour, le village de
10 Donja Veceriska a aussi reçu l’ultimatum de remettre ses armes. Un soldat
11 du HVO qui s'appelait Petar Mecara, commandant du HVO à Donja Veceriska, a
12 dit aux membres de la Défense territoriale qu'une décision avait été prise
13 par le HVO en vertu de laquelle tous les Musulmans devaient se rendre.
14 Cela étant, les villageois de Donja Veceriska ont refusé de le faire. La
15 situation était assez semblable dans l'ensemble de Vitez. Tous les membres
16 de la Défense territoriale ont reçu l'ordre de la part du HVO de remettre
17 leurs armes.
18 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous nous dire quand cela
19 s’est passé, à peu près ? Je parle du désarmement des habitants d'Ahmici
20 et de l’affrontement au barrage routier d’Ahmici.
21 M. Djidic (interprétation). - Cela s'est passé les 18, 19 et
22 20 octobre 1992.
23 M. Kehoe (interprétation). - Après l'affrontement à
24 Novi Travnik, y a-t-il eu d'autres affrontements dans la ville de Vitez,
25 en particulier autour du quartier général de la Défense territoriale ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement. Des organismes
2 à caractère international, comme la FORPRONU, la mission de la Communauté
3 européenne, le CMM, ont organisé des réunions avec le HVO et la Défense
4 territoriale. Lors de ces deux ou trois journées de crise, des réunions se
5 sont tenues, dont une dans l'après-midi avec le HVO, le 20 octobre je
6 crois.
7 On a tout d'un coup entendu des coups de feu, tout proches.
8 Lorsque nous sommes sortis -nous étions en face du bâtiment des PTT, c’est
9 là que se tenait la réunion- j'ai pu voir que le service logistique avait
10 été attaqué. M. Ivica Santic a dit aux membres de la FORPRONU : "Les
11 Musulmans nous attaquent". Or ce n’était pas vrai, car une heure plus tard
12 nous avons constaté que la logistique de la Défense territoriale avait été
13 attaquée et que des gens de la Défense territoriale avait été arrêtés et
14 emmenés à l’Hôtel Vitez. Sept hommes ont été emprisonnés. Le bâtiment
15 abritant la logistique a été démoli.
16 M. Kehoe (interprétation). - Où se trouvait le quartier général
17 du général Blaskic ?
18 M. Djidic (interprétation). - A l'époque, le quartier général se
19 trouvait à l'hôtel.
20 M. Kehoe (interprétation). - A l’hôtel Vitez ?
21 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement, à l’hôtel
22 Vitez.
23 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, avec
24 l’assistance de l'huissier je voudrais que l'on replie la carte qui porte
25 la cote numéro 29 et que l'on place sur le chevalet une photo qui a déjà
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1 été versée au dossier sous le numéro 56.
2 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Dubuisson pourrait-on
3 avoir la pièce 45 pour commencer ?
4 (Les juges se concertent.)
5 M. le Président. - On peut reprendre Monsieur Kehoe.
6 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, je voudrais que
7 vous utilisiez la pièce 45 et le pointeur pour nous indiquer d'abord où se
8 trouve l'hôtel Vitez et ensuite où se trouvait le service logistique qui a
9 été attaqué.
10 M. Djidic (interprétation). - Oui. Voici l'hôtel Vitez et c'est
11 ici que se trouvait le service logistique.
12 M. Kehoe (interprétation). - Qu'est-ce qui a été attaqué après
13 le service logistique ?
14 M. Djidic (interprétation). - Après l'attaque contre le service
15 logistique, c'est mon quartier général qui a été attaqué et il se trouvait
16 ici sur la photo, à l'endroit que je viens de montrer. Des coups de feu
17 ont été tirés contre le bâtiment. Ensuite, il y a eu un cessez-le-feu. En
18 effet, à cette réunion nous sommes parvenus à un accord. On s'est mis
19 d'accord pour mettre en place une commission conjointe qui se rendrait sur
20 le terrain, qui procéderait à un échange de prisonniers et qui éliminerait
21 tous les barrages routiers à Vitez. C'est effectivement ce que nous avons
22 fait.
23 La commission était composée, du côté du HVO, de Mario Cerkez et
24 du prêtre local, et du côté de la défense territoriale, il y avait moi-
25 même et le prêtre musulman local. Nous avons essayé de convaincre les gens
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1 de supprimer tous les barrages routiers. Il y avait un point de contrôle
2 dans chaque village, qu'il soit croate ou musulman. Nous avons essayé de
3 les convaincre de démanteler ces barrages. Nous y sommes parvenus et dans
4 le même temps l'échange de prisonniers a eu lieu.
5 Sept membres de la défense territoriale et un membre du HVO ont
6 été libérés. Tous les membres de la défense territoriale avaient
7 manifestement été maltraités. Ils en portaient les traces sur le corps.
8 M. Kehoe (interprétation). - Où ces sept prisonniers de la
9 défense territoriale avaient-ils été emmenés ?
10 M. Djidic (interprétation). - Ces sept prisonniers ont été
11 libérés et ont pu rentrer chez eux. C'étaient des membres de la Défense
12 territoriale et un prisonnier, membre du HVO, a été emmené de Kruscica à
13 l'hôtel Vitez. Il ne portait pas de traces de coups sur le corps.
14 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, vous dites que les
15 sept membres de la défense territoriale qui ont été maltraités ont été
16 emmenés dans un endroit précis après leur capture. Où avaient-ils été
17 emmenés ?
18 M. Djidic (interprétation). - Ils avaient été emmenés à l'hôtel
19 Vitez.
20 M. Kehoe (interprétation). - Vous pouvez vous rasseoir,
21 Monsieur le témoin.
22 Après cette série d'événements avez-vous continué à vous réunir,
23 à rencontrer les gens du HVO ?
24 M. Djidic (interprétation). - Oui.
25 M. Kehoe (interprétation). - Sur la façon de régler ce conflit ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Oui, les réunions se sont
2 poursuivies. La même nuit, après avoir fait tout ce que je viens de
3 décrire, nous sommes allés au bar de l'hôtel. Pour représenter la Défense
4 territoriale et assister aussi à cette réunion, il y avait des gens du
5 HVO, de la FORPRONU et de la CMM. Je suis resté là une heure ou deux, et
6 lorsque j'ai voulu quitter la réunion, le HVO a proposé de me faire
7 accompagner par une escorte, c'est-à-dire un soldat du HVO qui, très
8 poliment, est venu avec moi jusqu'au carrefour, tout près de la route qui
9 va au service logistique. Je suis allé tout seul jusqu'au service
10 logistique. Je me suis assuré que personne de la Défense territoriale ne
11 s'y trouvait et ensuite je suis revenu à mon propre quartier général, qui
12 était aussi vide à ce moment-là.
13 J'ai constaté qu'on avait évacué le quartier général de l'école,
14 que les gens de la défense territoriale étaient partis en direction de
15 Stari Vitez, pendant que nous étions en train de démanteler les barrages
16 routiers.
17 Les jours suivants, les négociations se sont poursuivies. Lors
18 de ces négociations le HVO a exigé que tous les Musulmans de la Défense
19 territoriale de Vitez remettent leurs armes et se placent sous le
20 commandement du HVO. Nous avons reçu un ultimatum.
21 M. Kehoe (interprétation). - Qui vous a donné cet ultimatum ?
22 M. Djidic (interprétation). - L'ultimatum nous a été communiqué
23 par Mario Cerkez, qui m'a dit que les autorités du HVO s'étaient réunies
24 et avaient décidé que les Musulmans devaient rendre leurs armes avant
25 le 24 à midi. Je pense que c'était le 24 mai, peut-être le 25, je ne suis
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1 pas tout à fait sûr.
2 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que vous en avez parlé aussi
3 avec d'autres personnes comme Pero Skopjak que vous avez mentionné hier ?
4 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement, au moment où
5 ces négociations se tenaient, Pero Skopjak a joué un rôle important. A un
6 moment donné, il a dit que si l'armée, c'est-à-dire la Défense
7 territoriale, refusait de se mettre sous le commandement du HVO, il
8 faudrait se battre et il a dit aussi que les Musulmans n'avaient aucune
9 chance de gagner car le HVO était beaucoup plus fort et donc que nous
10 devions obtempérer.
11 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que le HVO était à ce
12 moment-là beaucoup plus fort à Vitez ? Si tel est le cas, pourquoi ?
13 M. Djidic (interprétation). - A ce moment-là, le HVO était plus
14 fort, effectivement, mais pas de manière très marquée. Le HVO était plus
15 puissant car il n'avait pas de soldats mobilisés sur la ligne de front
16 avec les Chetniks, tandis que la Défense territoriale qui possédait les
17 meilleurs armements et les meilleurs combattants, était à ce moment-là
18 engagée à Visoko et à Vlasic sur la ligne de front.
19 Un petit groupe du HVO était déployé et occupait des positions
20 contre les Chetniks, entre Travnik et Novi Travnik. Il est vrai aussi que
21 le HVO était mieux armé.
22 M. Kehoe (interprétation). - A ce moment-là, Monsieur Djidic, où
23 se trouvaient la plus grande partie des combattants de la Défense
24 territoriale ? Au front, entre Visoko et Vlasic ?
25 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement.
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1 M. Kehoe (interprétation). - A la fin du mois d'octobre, il y a
2 eu des événements dont vous avez déjà parlé. Ces événements sont survenus
3 vers le 20 octobre 1992, n'est-ce pas ?
4 M. Djidic (interprétation). - Oui.
5 M. Kehoe (interprétation). - A la fin du mois d'octobre, les
6 Serbes de Bosnie se sont emparés de Jajce, n'est-ce pas ?
7 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est exact.
8 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que cela a affecté les
9 rapports entre la Défense territoriale et le HVO ?
10 M. Djidic (interprétation). - Oui, et de manière notable. Après
11 la chute de Jajce, c'est-à-dire quand les Chetniks ont occupé Jajce, les
12 négociations et les discussions avec le HVO se sont encore intensifiées.
13 Le HVO n'exigeait plus à ce moment-là le désarmement et les réunions que
14 nous avions étaient plus modérées, au point que dix jours après cela nous
15 sommes parvenus à un accord visant à organiser une défense conjointe
16 contre les Chetniks. Nous avions fait des progrès et dans cette période,
17 en octobre, et surtout en novembre et décembre l'accord dont je parlais
18 hier a été conclu, accord entre M. Blaskic et M. Mrdan.
19 Cet accord consistait à réguler le mouvement des troupes et à ce
20 que ces troupes ne restent pas trop longtemps à un endroit. Cet accord
21 visait aussi à savoir le moment exact où les gens allaient vers un certain
22 endroit, ainsi que le nombre de ces gens. De façon générale, la situation
23 s'est améliorée.
24 M. Kehoe (interprétation). - Vous parlez de l'amélioration de la
25 situation. Cela s'est passé entre octobre et novembre, n'est-ce pas ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Oui.
2 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, je voudrais que
3 vous nous parliez de ce qui s'est passé le 20 novembre 1992 à peu près. Ce
4 jour-là, avez-vous eu une conversation téléphonique avec M. Blaskic ou
5 avec quelqu'un d'autre qui s'appelait Pasko Ljubicic ?
6 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement.
7 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous nous en dire plus ?
8 M. Djidic (interprétation). - Ce jour-là, vers 10 heures du
9 soir, j'ai reçu des renseignements comme quoi deux membres de la Défense
10 territoriale avaient été tués et un autre avait été blessé. Cela s'est
11 passé dans une localité qui s'appelle Kruscica. Ils avaient été tués par
12 des membres du HVO. Vers 11 heures du soir ou vers minuit peut-être, Pasko
13 Ljubicic m'a appelé.
14 M. Kehoe (interprétation). - Qui est Pasko Ljubicic ?
15 M. Djidic (interprétation). - Pasko Ljubicic était commandant de
16 la police régionale du HVO. Il s'agissait de la police militaire régionale
17 du HVO.
18 M. Kehoe (interprétation). - Poursuivez votre récit, Monsieur.
19 M. Djidic (interprétation). - Pasko m'a posé des questions à
20 propos de certains membres de la police militaire. Il m'a demandé s'ils
21 avaient été capturés, où ils se trouvaient à ce moment-là. Et je ne savais
22 pas où ils se trouvaient, j'ai donc parlé à certaines personnes à
23 Kruscica. Ces personnes, lorsque je les ai consultées, m'ont dit qu'elles
24 avaient capturé six membres du HVO, en guise de représailles car deux
25 membres de la Défense territoriale avaient été tués.
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1 Etant donné que l'on m'avait demandé d'obtenir leur libération,
2 j'ai ordonné qu'on libère les combattants du HVO, mais il n'était pas
3 facile d'y parvenir. Les gens à Kruscica exigèrent qu'une enquête soit
4 menée à propos de la mort de ces combattants de la Défense territoriale.
5 Il fallait, selon eux, trouver les auteurs de ces actes et si on les
6 assurait qu'il y aurait enquête, ils avaient promis de libérer les
7 combattants du HVO.
8 J'ai reparlé avec M. Ljubicic, je lui ai dit que les combattants
9 n'avaient toujours pas été libérés mais qu'ils le seraient. En guise de
10 réponse, Ljubicic m'a dit qu'avec des membres de la police régionale et
11 avec les forces militaires, il allait commencer à procéder à l'arrestation
12 des Musulmans et à la détention de ces Musulmans, un par un.
13 Vers 3 heures du matin, j'ai parlé avec M. Blaskic qui m'a donné
14 un ultimatum et a dit ceci : "Si les combattants du HVO ne sont pas
15 libérés d'ici 8 heures du matin, j'encerclerai -me disait-il- Kruscica et
16 j'attaquerai la localité".
17 Après cela, j'ai réussi à obtenir quelques assurances, des
18 promesses aussi, de la part de M. Mrdan. Il m'a promis qu'une enquête
19 serait ouverte, mais qu'il fallait libérer les combattants. Je lui ai
20 offert comme garantie ma propre vie. En ce qui concerne les soldats, j'ai
21 promis qu'il y aurait enquête afin de savoir qui avait tué ces
22 combattants, que je le ferai dès le lendemain matin, mais que pour leur
23 part, ils devaient libérer les membres du HVO sur le champ. C'est ce
24 qu'ils ont fait d'ailleurs vers 5 heures et demie du matin.
25 A 6 heures du matin, j'ai appelé M. Blaskic, je voulais lui dire
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1 qu'il y avait eu libération des combattants. Il m'a répondu : "Oui, ils
2 ont été libérés, mais ils ont été frappés, maltraités", ce sur quoi il a
3 ajouté que si avant 9 heures on ne lui donnait pas les noms des auteurs de
4 ces sévices, tant mon quartier général que Vitez seraient incendiés. Mais
5 cela n'a pas été le cas. Du moins par ce jour-là.
6 M. Kehoe (interprétation). - Poursuivez ce récit. Est-ce que des
7 soldats de la Défense territoriale ont été arrêtés pour avoir infligé ces
8 sévices aux soldats du HVO ?
9 M. Djidic (interprétation). - Oui. Dès le lendemain, M. Mrdan
10 est venu à mon quartier général. Nous sommes allés ensemble à Kruscica et
11 nous avons trouvé les auteurs de ces sévices infligés aux combattants du
12 HVO. Nous avons aussi trouvé ce qui avait été confisqué à ces soldats. Les
13 objets ont été restitués à leurs propriétaires et deux membres de la
14 Défense territoriale ont été incarcérés à la prison de Zenica.
15 Monsieur Dzemal Mrdan les y a emmenés en personne, bien sûr accompagné de
16 policiers de Zenica. Ces personnes ont fait l'objet d'un procès et elles
17 ont dû purger une peine de prison.
18 Nous n'avons jamais eu d'information en retour de la part du
19 HVO, s'agissant du sort qui avait été réservé à ceux qui avaient tué les
20 membres de la Défense territoriale.
21 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que M. Ljubicic ou
22 M. Blaskic vous ont dit à un moment donné qu'une enquête serait menée
23 quant au meurtre de ces combattants de la Défense territoriale ?
24 M. Djidic (interprétation). - Je ne me souviens pas qu'ils me
25 l'aient dit, mais je suis parti de l'idée que M. Mrdan avait sans doute
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1 parlé soit à M. Ljubicic, soit à M. Blaskic, puisqu'il m'a donné des
2 assurances, des garanties. Il m'a dit que dès le lendemain matin une
3 enquête s'ouvrirait.
4 M. Kehoe (interprétation). - Après cet incident précis,
5 Monsieur Djidic, vous-même, étiez-vous en émoi, face à cette séquence
6 d'événements, et si vous étiez vraiment bouleversé, avez-vous essayé de
7 faire quelque chose ?
8 M. Djidic (interprétation). - Oui, j'étais vraiment bouleversé,
9 et c'était vrai aussi pour tous les habitants de Vitez. A l'époque où il y
10 avait vraiment des négociations plus intenses encore avec le HVO, nous
11 avons essayé de constituer une unité conjointe réunissant des Musulmans et
12 des Croates pour les envoyer au front contre les Chetniks et j'ai
13 d'ailleurs fait une proposition dans ce sens à M. Cerkez, proposition qui
14 n'a pas été retenue. Nous sommes donc allés au front contre les Chetniks,
15 séparément.
16 M. Kehoe (interprétation). - Vous vous souvenez, Monsieur Djidic
17 du nom de l'unité à laquelle appartenaient ces soldats du HVO qui avaient
18 été capturés par la Défense territoriale et dont Kruscica était membre ?
19 Vous souvenez-vous de cette unité du HVO ?
20 M. Djidic. (interprétation). - Je pense qu'ils étaient membres
21 de la police militaire régionale.
22 M. Kehoe (interprétation). - Sous le commandement de
23 M. Ljubicic ?
24 M. Djidic (interprétation). - C'est exact.
25 M. Kehoe (interprétation). - A votre connaissance, Monsieur
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1 Djidic, est-ce qu'une enquête a été menée sur le meurtre des deux soldats
2 de la Défense territoriale ? Y a-t-il jamais eu enquête ? Y a-t-il jamais
3 eu arrestation et poursuites contre les personnes arrêtées ?
4 M. Djidic (interprétation). - Pas à ma connaissance. Je n'ai
5 jamais reçu d'informations dans ce sens
6 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, nous poursuivons
7 ce récit et nous arrivons en décembre 1992.
8 Quelle est la situation pour ce qui est des relations entre les
9 Croates et les Musulmans de la région de Vitez, alors que l'on arrive
10 presque au nouvel an 1993 ?
11 M. Djidic (interprétation). - Je vous le disais, là, c'est une
12 période où l'on peut dire que les négociations portaient leurs fruits. Il
13 y a même eu des propositions visant à ce que tous les habitants de Vitez
14 soient mobilisés à partir d'un point précis par le bureau de la Défense,
15 ce qui voulait dire que les appels à mobilisation pour les membres de la
16 défense territoriale portent le sceau de la Bosnie-Herzégovine et
17 s'agissant des Croates les documents d'appel porteraient le sceau de
18 Herceg-Bosna, et qu'il faudrait aussi trouver un nouvel emplacement pour
19 le quartier général de la défense territoriale, puisque l'endroit où nous
20 étions abrités était tout à fait insuffisant.
21 Nous avons eu des réunions avec les officiers du plus haut rang,
22 officiers de l'Armée et du HVO, de telle sorte qu'ensemble nous puissions
23 affronter les Chetniks. J'avais déjà remarqué qu'à cette époque nous
24 n'avions plus de problème pour ce qui est des armes, plus de problème non
25 plus pour ce qui est de l'exigence selon laquelle il fallait que nous
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1 soyons placés sous le commandement du HVO. Mais chacun est parti au front
2 indépendamment. Pourtant, il n'y avait pas de problème entre nous. On nous
3 donnait régulièrement des informations sur le déploiement des troupes au
4 front. Il était interdit, à ce moment-là, de porter des fusils à canon
5 lourd en ville, et cette interdiction était valable pour les membres du
6 HVO et les membres de la Défense territoriale. En effet, le HVO et la
7 Défense territoriale avaient des soldats, des combattants qui revenaient
8 régulièrement du front, qui tiraient souvent et perturbaient la vie des
9 habitants.
10 On peut donc dire que les rapports se sont nettement améliorés
11 entre le HVO et la défense territoriale, ou plutôt entre les Croates et
12 les Musulmans.
13 M. Kehoe (interprétation). - J'aimerais attirer votre attention,
14 Monsieur Djidic, sur janvier 1993 et les événements survenus à Busovaca.
15 Les combats à Busovaca ont-ils eu une incidence quelconque sur ces
16 rapports qui existaient entre les Musulmans et les Croates de Vitez ?
17 M. Djidic (interprétation). - Oui. Après les combats à Busovaca,
18 la population était vraiment bouleversée, perturbée, mais il y avait
19 encore un semblant de paix qui prévalait à Vitez alors qu'à Busovaca, il y
20 avait conflit. Certains problèmes ont surgi lorsque le HVO a mis le feu à
21 un village qui se trouve entre Vitez et Busovaca, à la ligne de
22 démarcation entre ces deux localités.
23 M. Kehoe (interprétation). - De quel village parlez-vous ?
24 M. Djidic (interprétation). - C'est le village de Kovacevac et
25 de Pezici, tout près de Gornja Rovna et de Vraniska.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que les soldats du HVO de
2 Vitez ont participé aux combats à Busovaca ?
3 M. Djidic (interprétation). - Personnellement, j'ai vu des
4 soldats du HVO emprunter la route allant vers Busovaca. J'ai même vu une
5 arme antiaérienne de 20 millimètres transportée sur un camion en direction
6 de Busovaca. Quant à savoir si ces soldats ont participé aux combats, je
7 ne sais pas, je n'y étais pas présent moi-même, mais ce que j'ai observé à
8 plusieurs reprises, c'est que des voitures privées, des camionnettes, des
9 camions du HVO transportaient des combattants en direction de Busovaca.
10 J'ai aussi vu certains soldats roulant ou revenant de Busovaca
11 en véhicule, qui ramenaient aussi certaines choses de Busovaca, surtout
12 des appareils électroménagers et des téléviseurs. Je ne sais pas d'où ils
13 les ont obtenus.
14 M. Kehoe (interprétation). - Mais lorsque vous avez vu ces
15 soldats du HVO qui transportaient des appareils électroménagers et des
16 téléviseurs, où pensiez-vous qu'ils les avaient obtenus et comment
17 pensiez-vous qu'ils les avaient obtenus ?
18 M. Djidic (interprétation). - D'abord, je n'en avais pas la
19 moindre idée. J'ai appris par la suite que ces objets avaient été volés
20 aux musulmans à Busovaca.
21 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, où vous trouviez-
22 vous lorsque vous avez vu ces soldats du HVO qui ramenaient des objets
23 qu'ils avaient pillés ?
24 M. Djidic (interprétation). - A Vitez, sur la route qui menait à
25 mon domicile. En effet, j'allais au travail et j'en revenais tous les
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1 jours. Il était possible de constater ces transports pendant la journée et
2 surtout aussi pendant la nuit, ces mouvements sont devenus plus fréquents.
3 En effet, ma maison se trouve sur la route principale qui va à Busovaca.
4 M. Kehoe (interprétation). - Alors que ceci se poursuit à
5 Busovaca, est-ce qu'il y a une paix relative à Vitez ?
6 M. Djidic (interprétation). - Oui, oui. Le HVO faisait preuve
7 d'une grande politesse. Nous avions des conversations amicales et l'idée
8 était qu'il ne fallait pas que nous nous immiscions dans les problèmes
9 qu'il y avait à Busovaca, qu'une solution serait trouvée au plan local et
10 que nous qui étions de Vitez n'avions pas à nous mêler des problèmes qu'il
11 y avait à Busovaca en ce qui concerne la défense territoriale.
12 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous ressenti qu'il y avait
13 une certaine stratégie, une certaine démarche du HVO qui voulait avoir la
14 paix dans un endroit bien précis, alors qu'il s'avançait dans un autre
15 endroit ?
16 M. Djidic (interprétation). - Oui, oui vous avez raison.
17 Apparemment, c'était la politique pratiquée par le HVO. Il s'agissait de
18 maintenir la paix dans une ville, ou dans plusieurs villes, alors qu'il
19 s'emparait d'une autre région ou d'une autre ville. C'était une tactique
20 bien connue des conflits intérieurs qui avaient eu lieu à Vitez et
21 Novi Travnik.
22 M. Kehoe (interprétation). - Au cours de ces événements de
23 Busovaca, est-ce qu'un membre quelconque du HVO a exigé certaines choses,
24 par exemple des cercueils pour les gens de Busovaca ?
25 M. Djidic (interprétation). - Je me souviens d'une réunion que
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1 nous avons eue et le maire, Ivica Santic, qui était présent à cette
2 réunion, a dit qu'une demande lui était parvenue de Busovaca visant à ce
3 qu'un nombre considérable de cercueils soient livrés.
4 Il entendait par là que nous, à Vitez, nous devions coopérer
5 pour ne pas connaître le sort des gens de Busovaca. Je ne sais pas quel
6 objectif il poursuivait en disant cela.
7 M. Kehoe (interprétation). - Pour vous, Monsieur Djidic, était-
8 il clair que ces cercueils qu'il demandait étaient pour des Musulmans de
9 Bosnie ?
10 M. Djidic (interprétation). - Cela, je ne sais pas.
11 M. Kehoe (interprétation). - Après janvier 1993, est-ce que la
12 situation s'est un peu calmée à Busovaca ?
13 M. Djidic (interprétation). - Oui.
14 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous dire au Tribunal ce
15 qui s'est passé de façon plus précise après cet apaisement relatif à
16 Busovaca ?
17 M. Djidic (interprétation). - Lorsque les conflits se
18 terminèrent à Busovaca, nombreux étaient les Musulmans qui avaient été
19 chassés de leur foyer. Des tentatives d'ordre politique ont été
20 entreprises pour parvenir à une forme d'accord et mettre fin aux conflits.
21 En fait, à ce moment-là, un accord a été signé entre le Président Tudjman
22 et le Président Izetbegovic, en vue de la paix et de la coopération. En
23 Bosnie centrale, des équipes mixtes étaient à l'oeuvre du HVO et de
24 l'armée qui avaient pour mission d'assurer la défense contre les Chetniks.
25 Cette situation a perduré jusqu'au mois d'avril.
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1 A ce moment-là, lors de plusieurs réunions, on a fait remarquer
2 qu'il fallait attendre que des décisions soient prises au niveau
3 politique, en ce qui concerne la Bosnie centrale ou la Bosnie-Herzégovine,
4 en tant que telles ; mais aussi pour indiquer que tous nos efforts
5 devaient porter sur la lutte contre les Chetniks.
6 M. Kehoe (interprétation). - Les choses ont-elles changé en
7 avril 1993 ?
8 M. Djidic (interprétation). - Oui, les choses ont changé de
9 façon spectaculaire.
10 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous dire à la Chambre ce
11 qui s'est passé en avril 1993 ?
12 M. Djidic (interprétation). - Au début du mois d'avril, les
13 vieux problèmes ont refait surface, en ce qui concerne le désarmement des
14 membres de l'armée. De nombreuses effractions ont été perpétrées contre
15 des maisons. Des voitures ont été confisquées. Des barrages routiers
16 irréguliers, sauvages, ont été établis par le HVO. A ces barrages
17 routiers, la plupart des Musulmans se faisaient piller. La situation
18 empirait de jour en jour.
19 Parallèlement, les négociations se poursuivaient. Vers le
20 13 avril, nous en sommes arrivés à un point où nous parlions d'une force
21 de police de patrouilles conjointes qui couvrirait tout le territoire de
22 la municipalité de Vitez.
23 Des promesses nous ont été faites. Des garanties nous ont été
24 données tant des dirigeants politiques que des militaires du HVO. Ils nous
25 promirent qu'il n'y aurait jamais de guerre à Vitez entre les Musulmans et
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1 les Croates, qu'il fallait cohabiter, vivre, travailler ensemble et ainsi
2 de suite.
3 M. Kehoe (interprétation). - Vous parlez des membres du HVO
4 militaire et du HVO politique. Quels sont les membres qui ont fait ces
5 promesses ? Avez-vous des noms ?
6 M. Djidic (interprétation). - Concrètement, Mario Cerkez a été
7 invité à venir participer aux célébrations du jour de l'armée,
8 célébrations qui se tenaient le 14 avril. Il a fait ce genre d'affirmation
9 le 15 avril. Des assurances semblables ont été données par M. Samija qui,
10 à l'époque, était chef de la police civile à Vitez. Il les a également
11 faites à M. Saban Mahmutovic qui, à ce moment-là, était chef de la police
12 à Stari Vitez. Affirmations indiquant que tous les problèmes avaient été
13 réglés, qu'il n'y aurait pas de guerre et que nous pouvions compter sur un
14 avenir heureux. La plupart des Musulmans ont cru ces propos, mais ce n'est
15 pas comme ça que les choses se sont finalement passées.
16 M. Kehoe (interprétation). - Certains Musulmans ont-ils modifié
17 leur comportement ou déménagé à la suite des promesses du HVO, promesses
18 qu'il n'y aurait pas de combats entre les Musulmans et les Croates ?
19 M. Djidic (interprétation). - Oui. L'un d'entre eux,
20 Saban Mahmutovic, que Samija avait convaincu qu'il n'y aurait pas de
21 guerre et que tout allait bien, est allé dans son village natal de
22 Sadovaca. Il a emmené sa famille à Vitez et l'attaque a commencé le jour
23 suivant.
24 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous nous dire où il a
25 ramené sa famille à Vitez, en vous servant de la pièce 45 ?
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1 M. Djidic (interprétation). - C'est ici (le témoin montre
2 l'endroit sur la pièce) que se trouvait la maison de Saban Mahmutovic, à
3 peu près à deux cents mètres de l'hôtel et à deux cent cinquante mètres du
4 cinéma.
5 M. Kehoe (interprétation). - L'hôtel Vitez étant le quartier
6 général de l'accusé Monsieur Blaskic, et le cinéma étant l'endroit où se
7 trouvait Mario Cerkez, n'est-ce pas ?
8 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement.
9 M. Kehoe (interprétation). - Puisque vous êtes debout près de la
10 carte Monsieur Djidic, pourriez-vous nous indiquer sur la pièce 45
11 l'endroit où, à Vitez, se trouve ce que l'on appelle Kolonija ?
12 M. Djidic (interprétation). - Kolonija, c'est cette partie-là de
13 Vitez. Il s'agit d'immeubles à appartements.
14 M. Kehoe (interprétation). - Sur cette carte, Stari Vitez se
15 trouve en dessous de Kolonija, n'est-ce pas ?
16 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement. Voici
17 l'emplacement de Stari Vitez.
18 (Le témoin montre Stari Vitez sur la carte.)
19 M Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, vous pouvez vous
20 rasseoir. Monsieur Djidic, vous avez dit que Mario Cerkez vous a donné des
21 assurances le jour où vous célébriez le jour de l'armée, n'est-ce pas ?
22 M. Djidic (interprétation). - Oui.
23 M. Kehoe (interprétation). - Quel était le supérieur de
24 Mario Cerkez quand il vous a donné ces assurances ?
25 M. Djidic (interprétation). - Son supérieur était M. Blaskic.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Vous souvenez-vous le jour où la
2 Défense territoriale, où l'armée de Bosnie-Herzégovine, a commémoré le
3 jour de l'armée ?
4 M. Djidic (interprétation). - C'était le 14 avril 1993.
5 M. Kehoe (interprétation). - Après la commémoration et les
6 cérémonies de commémoration du jour de l'armée, y a-t-il eu d'autres
7 réunions touchant la coopération entre les Croates de Bosnie et les
8 Musulmans avant le matin du 13 avril 1993 ?
9 M. Djidic (interprétation). - Oui, la commission pour le
10 maintien de la paix s'est réunie. Elle visait à régler les incidents à
11 Vitez. M. Samija et M. Saban en étaient tous les deux membres, ainsi que
12 d'autres personnes. Ce jour-là, ils se sont mis d'accord pour que le
13 16 avril ils se réunissent à nouveau, pour convenir de solutions à
14 certaines questions précises, telles que des patrouilles de police
15 conjointes. Bien sûr, cette réunion ne s'est jamais tenue puisque
16 l'offensive a été lancée le matin
17 M. Kehoe (interprétation). - Nous en arrivons au matin du
18 16 avril 1993. Que s'est-il passé, Monsieur Djidic ?
19 M. Djidic (interprétation). - Je vais essayer de vous raconter
20 ces événements.
21 M. le Président. - Nous allons faire une pause. Le Tribunal
22 reprendra à 11 heures 45.
23 * Suspendue à 11 heures 20, l'audience est reprise à 11 h 50.
24 M. le Président. - Faites entrer l'accusé.
25 (L'accusé est introduit dans la salle d'audience.)
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1 Monsieur le Procureur et Maître Hayman, avant de poursuivre
2 l'interrogatoire du témoin, un point d'organisation de nos débats. Pour
3 des raisons qui, vous vous en doutez, sont contingentes aux autres
4 affaires qui sont dans ce Tribunal, avec une seule salle d'audience, il y
5 a un nouveau changement que je voudrais vous indiquer pour demain. Demain
6 matin, nous pourrons siéger dans l'affaire Blaskic, de 10 heures 30 à
7 13 heures, et de 14 heures 30 à 16 heures, en espérant qu'il n'y ait pas
8 d'autres changements, mais je vais veiller à ce qu'il n'y en ait pas
9 d'autres.
10 Monsieur le Procureur, vous pouvez continuer.
11 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
12 Monsieur Djidic, la dernière question que je vous ai posée portait sur les
13 événements du 16 avril 1993. Pouvez-vous raconter au Tribunal ce qui s'est
14 passé le 16 avril 1993 ?
15 M. Djidic (interprétation). - Le 16 avril 1993, vous avez dit ?
16 M. Kehoe (interprétation). - Oui.
17 M. Djidic (interprétation). - Vous voulez dire le jour avant, ou
18 vraiment le jour du 16 avril 1993 ?
19 M. Kehoe (interprétation). - Vous pouvez nous parler de ce qui
20 s'est passé le jour qui a précédé, puis de ce qui s'est passé exactement
21 le 16, où vous étiez, ce que vous étiez en train de faire, ce qui s'est
22 passé, et commencer à expliquer les événements du 16 avril 1993.
23 M. Djidic (interprétation). - Le 15 avril 1993, il y a eu de
24 nombreuses arrestations de membres de l'armée, ainsi que de civils
25 musulmans. L'un de mes officiers a été arrêté au point de contrôle du HVO,
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1 sur la route qui va vers Novi Travnik, dans le virage. Son véhicule a été
2 arrêté et saisi, et lui-même a été mis en détention, incarcéré. Dans la
3 prison, il a vu de nombreux autres civils et militaires. Ces civils et ces
4 militaires avaient aussi été arrêtés à Vitez et ils étaient enfermés dans
5 l'école de Dubravica.
6 Pendant cette journée, je suis parvenu à me mettre d'accord avec
7 quelqu'un du HVO pour que mon officier soit libéré. Et effectivement, il a
8 été libéré dans l'après-midi. Mais on ne lui a pas rendu son véhicule. Les
9 gens qui étaient enfermés dans l'école n'ont pas été libérés ce jour-là.
10 Nous avons eu de longues discussions pour essayer d'obtenir la libération
11 des gens qui se trouvaient dans le bâtiment de l'école et à la gare, mais
12 nous n'avons pas obtenu cette libération.
13 La nuit s'est passée de façon assez paisible, sans incident, et
14 le matin suivant, à 5 heures 40, j'ai reçu un message disant que le
15 village d'Ahmici avait été attaqué. Quand j'ai quitté mon quartier général
16 et que je suis sorti, je pouvais clairement entendre des coups de feu et
17 j'ai vu de la fumée qui s'élevait. Des maisons étaient en train de brûler.
18 Vers 6 heures du matin, l'offensive contre Stari Vitez a
19 commencé et toute la zone de Stari Vitez a été pilonnée et attaquée avec
20 toutes sortes d'armements.
21 M. Kehoe (interprétation). - En vous aidant de cette carte, ou
22 plutôt de cette photographie -qui est la pièce à conviction de
23 l'accusation numéro 56- qui se trouve à côté de vous, est-ce que vous
24 pouvez nous montrer l'endroit dont vous venez de parler, c'est-à-dire
25 Stari Vitez qui a été pilonnée le matin du 16 avril ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Oui. Cette zone ici, cette partie
2 de Stari Vitez a été pilonnée à partir du village de Krcevine, de Mlakici,
3 de Gradina et à partir d'autres endroits, également à l'artillerie lourde.
4 M. Kehoe (interprétation). - De quel type d'artillerie lourde
5 est-ce que nous parlons ?
6 M. Djidic (interprétation). - Je parle de canons de gros
7 calibre, des canons de 105 millimètres, de lance-roquettes multiples de
8 108 millimètres et de mortiers de tous calibres.
9 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, est-ce que vous
10 pouvez nous montrer sur la carte où était votre quartier général à Vitez
11 ce matin du 16 avril ?
12 M. Djidic (interprétation). - Mon quartier général se trouvait
13 ici.
14 (Le témoin désigne le centre de la photo.)
15 M. Kehoe (interprétation). - Le matin du 16, est-ce que vous
16 pouviez entendre d'où provenaient les obus ?
17 M. Djidic (interprétation). - Oui, on pouvait entendre.
18 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que vous pouvez nous
19 montrer encore une fois où se trouve l'hôtel Vitez par rapport aux
20 endroits d'où provenaient les pilonnages ?
21 M. Djidic (interprétation). - Les obus venaient le plus souvent
22 de Krcevine, de Mlakica, de Gradina, et les canons de calibre inférieur,
23 20 et 40 millimètres, tiraient depuis Kolonija, depuis l'église et depuis
24 l'usine.
25 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, je vous
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1 demanderai, lorsque vous mettez le pointeur sur un élément de la carte, de
2 le garder quelques instants au même endroit afin que la caméra puisse
3 faire le point. Stari Vitez a été pilonnée à 6 heures du matin. Est-ce que
4 d'autres endroits, à l'intérieur ou à l'extérieur de Vitez, ont été
5 attaqués en même temps, et si tel est le cas, est-ce que vous pourriez
6 également nous les montrer à l'aide du pointeur ?
7 M. Djidic (interprétation). - Oui. Ce matin-là, nous avons donc
8 entendu le bruit des obus et nous avons été informés que Kruscica avait
9 été pilonnée, qu'Ahmici avait été pilonnée, que Grbavica avait été
10 pilonnée, ainsi qu'une partie de Donja Veceriska et Dubravica, Sibrino
11 Selo, Pocurica, et Preocica. Tout cela, ce sont des villages qui se
12 trouvent autour de Vitez.
13 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que des quartiers de la
14 ville même de Vitez ont également été attaqués, en dehors du quartier de
15 Stari Vitez ?
16 M. Djidic (interprétation). - Oui. Vers 9 heures, j'ai eu une
17 conversation téléphonique avec un officier d'état-major qui avait passé la
18 nuit dans son appartement, dans le quartier de Kolonija, qui se trouve non
19 loin de l'hôtel.
20 M. Kehoe (interprétation). - Où se trouve le quartier de
21 Kolonija sur la pièce à conviction 56 ?
22 M. Djidic (interprétation). - Ici, près de l'hôtel, l'hôtel se
23 trouve là.
24 M. Kehoe (interprétation). - Et vous avez placé le pointeur sur
25 le milieu de la photographie.
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1 M. Djidic (interprétation). - Oui. C'est aussi dans ce quartier
2 que se trouvait l'appartement de l'officier dont je viens de parler. Il
3 demandait une ambulance et il m'a dit avoir été lui-même blessé, sa femme
4 aussi.
5 Au cours de cette conversation, la communication a été
6 interrompue et la ligne a été coupée. Une heure plus tard environ, j'ai
7 appris que cet homme avait été tué, ainsi que son épouse. Le meurtre a eu
8 lieu dans leur appartement, sous les yeux de leurs trois enfants.
9 J'ai également été informé que les Musulmans étaient tués dans
10 leurs appartements à Vitez, et que des Musulmans étaient arrêtés à Rijeka.
11 M. Kehoe (interprétation). - Avant que vous ne poursuiviez,
12 Monsieur, j'indique que Rijeka est un endroit qui se trouve à gauche de
13 Kolonija lorsqu'on suit la route qui sort de la ville.
14 M. Djidic (interprétation). - Oui.
15 M. Kehoe (interprétation). - Qu'avez-vous appris au sujet des
16 événements qui avaient lieu à Rijeka ?
17 M. Djidic (interprétation). - J'ai reçu des messages m'informant
18 que des Musulmans étaient arrêtés. On les emmenait pour les emprisonner au
19 poste vétérinaire, qui se trouvait ici. Par la suite, je n'ai plus eu de
20 contact avec eux.
21 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, avant que nous
22 n'allions plus loin, je vous demanderai de donner quelques
23 éclaircissements -pour le compte rendu- sur la photographie que vous êtes
24 en train d'utiliser, pièce à conviction n° 56.
25 Le quartier de Kruscica qui a été attaqué se trouve bien en haut
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1 à droite de cette photographie, n'est-ce pas ?
2 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est ici.
3 M. Kehoe (interprétation). - Le quartier de Donja Veceriska se
4 trouve en bas à droite, n'est-ce pas ?
5 M. Djidic (interprétation). - Oui.
6 M. Kehoe (interprétation). - Le quartier de l'usine d'où
7 provenaient les pilonnages se trouve également en bas à droite ?
8 M. Djidic (interprétation). - Oui.
9 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit que des obus venaient
10 également de Krusevina. Krusevina se trouve sur la partie gauche de la
11 photographie, n'est-ce pas ?
12 M. Djidic (interprétation). - Oui, tout à fait.
13 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, vous pouvez vous
14 rasseoir. Donc le matin du 18, les obus tombaient de Krusevina, de l'usine
15 de Donja Veceriska et de Mlakici, est-ce exact ?
16 M. Djidic (interprétation). - Oui.
17 M. Kehoe (interprétation). - Dans le même temps, des Musulmans
18 se faisaient assassiner et appréhender à Kolonija, à Rijeka et Ahmici
19 était en feu, est-ce exact ?
20 M. Djidic (interprétation). - C'est exact.
21 M. Kehoe (interprétation). - Sur la base de ces informations, en
22 tant qu'officier, avez-vous abouti à la conclusion qu'il s'agissait d'une
23 attaque coordonnée de la part du HVO ?
24 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'était tout à fait évident.
25 La totalité du territoire de la municipalité de Vitez avait été attaqué.
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1 Cette attaque portait toutes les marques d'une attaque d'infanterie,
2 accompagnée de pilonnages et d'arrestations des Musulmans dans une majeure
3 partie de la municipalité.
4 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur, à quel moment de la
5 journée avez-vous reçu le coup de téléphone d'Ahmici vous annonçant
6 qu'Ahmici subissait une attaque ?
7 M. Djidic (interprétation). - A 5 heures 45, exactement.
8 M. Kehoe (interprétation). - A quel moment de la journée
9 Stari Vitez a-t-il été pilonné, ou plutôt à quel moment a commencé le
10 pilonnage de Stari Vitez le matin du 16 ?
11 M. Djidic (interprétation). - Vers 6 heures, quinze minutes
12 après Ahmici.
13 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur, était-il manifeste que
14 ces pièces d'artillerie avaient été positionnées -à Ahmici- avant 5 heures
15 du matin, avant l'attaque ?
16 M. Djidic (interprétation). - La question n'est pas claire, pour
17 moi.
18 M. Kehoe (interprétation). - Le pilonnage de Stari Vitez
19 provenait de plusieurs endroits, n'est-ce pas ?
20 M. Djidic (interprétation). - Oui.
21 M. Kehoe (interprétation). - A ce moment-là, il vous est apparu
22 clairement que le pilonnage de Stari Vitez faisait partie d'une attaque
23 coordonnée, qui avait été prévue comme devant se dérouler avant l'attaque
24 d'Ahmici ?
25 M. Djidic (interprétation). - Oui.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Pourquoi dites-vous cela ?
2 M. Djidic (interprétation). - On pouvait remarquer que le
3 pilonnage se déroulait secteur par secteur. Après la première vague
4 d'obus, ils ont lancé les attaques d'infanterie. Autrement dit, sur une
5 majeure partie du territoire de Vitez, les attaques se sont produites
6 simultanément.
7 M. Kehoe (interprétation). - Je vous demanderai de prêter
8 attention à cette photographie, pièce à conviction n° 56. Après que la
9 cessation de l'attaque par l'artillerie, d’où est venue l’attaque de
10 l’infanterie ?
11 M. Djidic (interprétation). - Il y a eu trois points d'attaque
12 contre Stari Vitez. Le premier point était l’église.
13 M. Kehoe (interprétation). - Vous êtes en train de placer le
14 pointeur sur la partie basse de la photographie et vous vous dirigez vers
15 le haut, est-ce exact ?
16 M. Djidic (interprétation). - Oui. Le deuxième point était
17 Mlakici.
18 M. Kehoe (interprétation). - Vous pointez de la droite vers la
19 gauche à partir de Mlakici ?
20 M. Djidic (interprétation). - Oui, donc le deuxième point
21 partait de Mlakici. Le troisième point partait de Kolonija.
22 M. Kehoe (interprétation). - Vous êtes en train de pointer à
23 partir de l'intérieur vers l'extérieur de Stari Vitez ?
24 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est bien cela.
25 M. Kehoe (interprétation). - Merci, vous pouvez vous rasseoir
Page 1169
1 Monsieur.
2 Monsieur Djidic, combien de soldats se trouvaient à l'intérieur
3 de Stari Vitez au moment de cette attaque ?
4 M. Djidic (interprétation). - Au moment de cette attaque, il y
5 avait à Vitez entre cinquante et cent soldats cantonnés dans un bâtiment,
6 connu sous le nom de centre des sapeurs-pompiers. Quelques soldats, ainsi
7 que les officiers, étaient cantonnés dans la maison que je vous ai
8 montrée, au quartier général. Des soldats résidaient aussi chez eux ; ils
9 étaient en permission. Quelques soldats se trouvaient sur le front, à
10 Visoko et à Vlasic.
11 En effet, à ce moment-là, la brigade avait déjà été créée, elle
12 existait. Elle avait été créée au cours de l'hiver. Un certain nombre de
13 membres de cette brigade étaient en permission à Stari Vitez, après avoir
14 combattu sur le front. Ce jour-là, ils se trouvaient, à Stari Vitez, à
15 leur domicile.
16 Il n'y avait que deux objectifs de cibles militaires dans
17 Stari Vitez.
18 M. Kehoe (interprétation). - Combien y avait-il de civils à
19 Stari Vitez, à ce moment-là ?
20 M. Djidic (interprétation). - A ce moment-là, il y avait environ
21 1600 habitants à Stari Vitez.
22 M. Kehoe (interprétation). - Ce matin du 16 avril, aviez-vous
23 prévu une attaque, Monsieur Djidic ?
24 M. Djidic (interprétation). - Je ne prévoyais pas d'attaque.
25 J'ai été vraiment surpris, comme d'ailleurs tous les habitants de Vitez.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Pourquoi ne vous attendiez-vous pas
2 à une attaque ?
3 M. Djidic (interprétation). - Je ne m'attendais pas à une
4 attaque parce que nous avions eu des pourparlers très actifs. Nous avions
5 conclu des accords et reçu des assurances sur le fait qu'il n'y aurait pas
6 de combats dans Vitez. Aucun membre du HVO, à Vitez, n’avait été arrêté.
7 Il n'y avait donc aucun élément justifiant une attaque, même si la
8 situation était assez tendue en raison des arrestations qui avaient eu
9 lieu avant le 16.
10 M. Kehoe (interprétation). - Puisque nous parlons
11 d'arrestations, une arrestation a eu lieu à Zenica, n'est-ce pas ? Un
12 commandant du HVO avait été arrêté.
13 M. Djidic (interprétation). - Je l'ai appris le premier jour de
14 l'attaque, au moment où a été décidée une réunion du HVO, en présence des
15 représentants de la FORPRONU. J'ai appris que Zivko Totic, un officier du
16 HVO, avait été arrêté, et que l'armée avait arrêté trois combattants dans
17 le village d'Opara près de Novi Travnik. Tous ces lieux se trouvent en
18 dehors de Vitez.
19 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, pour en revenir à
20 l'attaque contre Vitez le matin du 16, vous avez dit que l’attaque de
21 l’infanterie avait commencé après la fin de l'attaque par l'artillerie.
22 M. Djidic (interprétation). - C'est cela.
23 M. Kehoe (interprétation). - Savez-vous quelles sont les unités
24 du HVO qui ont participé à cette attaque d'infanterie ?
25 M. Djidic (interprétation). - Je ne le sais pas. A ce moment-là,
Page 1171
1 je ne savais pas quelles étaient les unités impliquées. Les soldats, comme
2 les policiers et les habitants de la ville, ont vu porter différents
3 uniformes. Certains avaient un uniforme de camouflage, d'autres un
4 uniforme noir. Bon nombre de ces hommes avaient un masque qui leur
5 couvrait le visage, d'autres des dessins à la peinture noire ou à la crème
6 noire sur le visage.
7 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, pouvez-vous nous
8 parler du reste de la matinée du 16 ? L'attaque par l'artillerie a
9 commencé aux alentours de 6 heures du matin. Est-ce que vous pouvez
10 simplement nous raconter le reste de la journée ?
11 M. Djidic (interprétation). - Vers 7 heures du matin, j'ai reçu
12 un message qui m'annonçait que depuis le quartier de Kolonija, des maisons
13 étaient en train de se faire incendier. Cinq ou six maisons de musulmans
14 étaient en train de brûler, et cela se voyait d'ailleurs. Dans la région
15 opposée, c'est-à-dire dans le quartier de l'église, il y avait aussi une
16 dizaine de maisons qui étaient en feu. Un habitant de Stari Vitez est
17 arrivé au quartier général et il a dit que des membres du HVO avaient fait
18 irruption dans sa maison, qu'ils avaient essayé de le tuer, et qu'ils
19 avaient mis le feu à sa maison. Cette maison se trouve tout près de la
20 barricade qui était aux mains des membres de la police civile de Vitez.
21 C'est là que les combattants se faisaient arrêter. A
22 Stari Vitez, il y avait une très grande panique, d'abord parce que les
23 obus ne cessaient de tomber, ensuite parce que les maisons étaient en feu,
24 et puis il y avait les attaques de l'infanterie. Donc l'un dans l'autre,
25 c'était vraiment une situation complètement folle. Les gens ne savaient
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1 plus où se cacher.
2 Les membres de l'armée n'avaient pas le moindre abri dans
3 Stari Vitez, ils se cachaient derrière les maisons, derrière différents
4 bâtiments. C'est à partir de ces cachettes qu'ils essayaient d'opposer une
5 résistance. Ni moi, ni personne, n'avions pu imaginer qu'une attaque de ce
6 genre pourrait survenir.
7 Les blessés ont commencé à arriver, ils étaient pris en charge
8 par le dispensaire local. Vers 10 heures, nous avons enregistré les
9 premières victimes. Les attaques par l'infanterie et certaines attaques
10 par l'artillerie ont continué pendant toute la journée, uniquement
11 interrompues par des pauses brèves, notamment lorsque les membres de la
12 FORPRONU sont arrivés à Stari Vitez.
13 M. Kehoe (interprétation). - Des maisons appartenant à des
14 civils ont été mises à feu pendant cette attaque par l'infanterie ?
15 M. Djidic (interprétation). - Toutes les maisons qui ont été
16 incendiées à ce moment-là appartenaient à des civils, sans qu'il y ait le
17 moindre doute quant à la possibilité qu'il s'agisse de cibles militaires.
18 M. Kehoe (interprétation). - Lorsque vous dites que ces maisons
19 n'avaient pas d'importance, vous voulez dire qu'elles n'avaient pas une
20 importance militaire, c'est bien cela ?
21 M. Djidic (interprétation). - C'est cela.
22 M. Kehoe (interprétation). - Continuons le récit de la journée.
23 Vous avez dit que l'attaque par l'infanterie et par l'artillerie s'est
24 poursuivie toute la journée. Y a-t-il eu des interruptions dans le courant
25 de la journée du 16, causées par la présence de la FORPRONU ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Oui. Mon quartier général a été
2 touché pendant la journée. A ce moment-là, nous avons dû partir ailleurs
3 et lorsque les représentants de la FORPRONU sont arrivés, il n'y a eu
4 qu'une trêve, qu'une accalmie assez brève, mais on continuait d'entendre
5 des obus plus loin.
6 A ce moment-là, pendant que les membres de la FORPRONU se
7 trouvaient à Stari Vitez, les tireurs embusqués du HVO n'ont pas arrêté de
8 tirer. Donc là, l'existence était tout simplement paralysée à Stari Vitez.
9 Les gens étaient terrifiés.
10 M. Kehoe (interprétation). - Y a-t-il eu un accord de cessez-le-
11 feu ou une tentative d'accord de cessez-le-feu obtenu par le bataillon
12 britannique dans le courant de la journée du 16 ?
13 M. Djidic (interprétation). - Oui, les officiers du bataillon
14 britannique sont parvenus à organiser une réunion à laquelle assistaient,
15 pour le HVO, l'officier Zoran Pilicic, qui était l'officier responsable de
16 la zone opérationnelle. Je crois qu'il remplaçait M. Blaskic. Il y avait
17 un autre officier qui s'appelait Marko Prskalo.
18 Le bataillon britannique souhaitait que les combats cessent.
19 Quant aux officier du HVO, ils ont déclaré que Zivko Totic avait été
20 arrêté à Zenica, ainsi que d'autres combattants, arrêtés eux à
21 Novi Travnik, et que si ces hommes n'étaient pas remis en liberté,
22 l'attaque se poursuivrait. Or, Vitez n'avait rien à voir avec tout cela.
23 M. Kehoe (interprétation). - Continuons à parler de cette
24 réunion. Quelle a été la conclusion finale de cette réunion tenue le 16 ?
25 M. Djidic (interprétation). - La conclusion finale a été que
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1 nous nous sommes mis d'accord pour un cessez-le-feu et une nouvelle
2 réunion devait avoir lieu le lendemain, à la base de la FORPRONU, afin de
3 voir ce qui avait été réalisé en matière de cessez-le-feu, et aussi la
4 cessation des hostilités.
5 Au cours de la nuit, la FORPRONU a établi plusieurs points de
6 contrôle et a dit qu’elle patrouillerait à Stari Vitez et Vitez afin de
7 mettre un terme aux hostilités.
8 Bien qu'on avait ouvert le feu contre les forces de la FORPRONU,
9 le major Brian Walters déclara qu'il n'avait pas -à ce moment-là- riposté
10 parce que le but de sa présence était de parvenir à la paix. Il nous a
11 demandé, à chacun d'entre nous, de donner des ordres à nos forces et à nos
12 troupes respectives pour dire qu'il ne fallait pas ouvrir le feu sur les
13 véhicules de la FORPRONU.
14 Ce jour-là, il fut dit que les combattants du HVO avaient ouvert
15 le feu sur des combattants à Ahmici. Lorsque des membres du bataillon
16 britannique sont allés voir sur place ce qui s'était passé, la chose a été
17 confirmée par le commandant du bataillon britannique, le commandant de
18 l'époque.
19 M. Kehoe (interprétation). - Au cours de la réunion qui a eu
20 lieu le 16, est-ce que Marko Prskalo a dit quoi que ce soit pour expliquer
21 l'utilisation de l'artillerie par le HVO contre Stari Vitez ?
22 M. Djidic (interprétation). - Lorsque j'ai dit qu'il y avait des
23 obus d'artillerie qui tombaient sur Stari Vitez et les localités
24 environnantes, Marko Prskalo a dit que le HVO utilisait son artillerie
25 parce qu'apparemment des membres de l'armée avaient pilonné les positions
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1 du HVO. C'était manifestement faux, même si par la suite il y a eu des
2 échanges de coups de feu.
3 M. Kehoe (interprétation). - Pourquoi était-ce manifestement
4 faux ?
5 M. Djidic (interprétation). - Il était visible que la plupart
6 des obus tombaient sur les villages musulmans, ou plutôt sur les villages
7 où la majorité des habitants était des Musulmans. Ils tombaient aussi sur
8 Stari Vitez et les environs, c'était facile à voir.
9 M. Kehoe (interprétation). - Poursuivez votre récit. Que s'est-
10 il passé après cette réunion, au bataillon britannique, le 16 avril ?
11 M. Djidic (interprétation). - Au cours de la journée, les
12 attaques d'infanterie ont cessé. Un obus ou deux tombaient sur
13 Stari Vitez. De temps à autres, un tireur embusqué tirait. Les dégâts, qui
14 avaient été causés, ont pu être réparés. Nous avons essayé d'abriter les
15 personnes dont les maisons avaient été incendiées.
16 Nous avons organisé cela avec les propriétaires qui avaient
17 encore des maisons intactes, même si ce jour-là, ce premier jour, de
18 nombreuses maisons avaient subi des dégâts visibles du fait du pilonnage
19 sur Stari Vitez.
20 En fait, tout le quartier de Stari Vitez, tout Stari Vitez,
21 était affecté. La nuit s'est passée dans un calme relatif, interrompu par
22 quelques tirs isolés.
23 C'est alors que, le 17, a repris l'attaque d'infanterie sur
24 Stari Vitez. D'habitude, de telles offensives s'accompagnaient de lourds
25 tirs d'artillerie. Il était évident que le HVO voulait s'emparer de
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1 Stari Vitez.
2 M. Kehoe (interprétation). - Par conséquent, Monsieur, après
3 l'accord débouchant sur un cessez-le-feu le 16, les tirs d’artillerie ont
4 repris le 17, c'est bien exact ?
5 M. Djidic (interprétation). - C'est exact.
6 M. Kehoe (interprétation). - Les soldats, les autres habitants,
7 de Stari Vitez ont-ils essayé de se défendre ?
8 M. Djidic (interprétation). - Oui. Nous étions au second jour,
9 c'est alors que des lignes de défense ont été constituées. Les gens se
10 sont placés derrière leurs demeures, derrière des corps de fermes et
11 divers bâtiments. Ils n'avaient pas, à proprement parler, d'abris, ni de
12 tranchées.
13 En même temps, le 17 avril, au moment de l'offensive sur
14 Stari Vitez, le village de Novaci a subi des attaques renouvelées. Il se
15 trouve tout près de Stari Vitez.
16 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous revenir à la
17 photographie qui porte la cote 56 et nous montrer cette localité de
18 Novaci. Veuillez maintenir le pointeur un instant pour que la caméra
19 puisse vraiment saisir l'endroit.
20 M. Djidic (interprétation). - Voici le village de Novaci.
21 M. Kehoe (interprétation). - C'est donc le village qui se trouve
22 à gauche de Kolonija ou de Vitez ?
23 M. Djidic (interprétation). - Oui.
24 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous vu l'attaque lancée,
25 le 17, sur ce village ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Je l'ai vue. L'attaque s'est
2 poursuivie. On entendait -très distinctement- les échanges de coups de
3 feu. Il est à peu près à cinq cents mètres de Stari Vitez. Une partie du
4 village est à flanc de colline. Il est facile, depuis Stari Vitez, de voir
5 si quelqu'un se déplace dans une partie de ce village. Là aussi, les
6 maisons étaient en feu lors de la première journée, mais également de la
7 deuxième journée.
8 Au cours de la nuit du deuxième jour, quelques quarante hommes
9 se sont enfuis en direction de Stari Vitez. Ils ne voulaient pas se
10 rendre. Leurs familles sont restées chez elles. Par la suite, ces
11 personnes ont été capturées et elles ont été placées dans les caves de
12 maisons, ainsi qu'à la prison et dans le bâtiment de l'école de Dubravica.
13 Les personnes qui sont venues à Stari Vitez y sont restées
14 pendant toute la guerre. Elles n'ont plus jamais revu leurs familles,
15 jusqu'à la trêve qui a été signée. Ces personnes m'ont beaucoup aidé à
16 défendre Stari Vitez.
17 M. Kehoe (interprétation). - Après que ces hommes aient pris la
18 fuite et que les membres des familles aient été faits prisonniers,
19 qu'est-il advenu des maisons des Musulmans à Novica ?
20 M. Djidic (interprétation). - Certaines de ces maisons ont été
21 incendiées, mais pas toutes. Elles sont encore debout. Pas une seule
22 maison appartenant à un Croate n'a été mise à feu, ces maisons sont encore
23 intactes.
24 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous vu les maisons
25 appartenant à des Musulmans en feu ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Oui, on les voyait très bien.
2 M. Kehoe (interprétation). - Donc ceci se passe le 17. Y a-t-il
3 eu d'autres réunions au bataillon britannique, réunion à laquelle ou
4 auxquelles vous auriez participé ?
5 M. Djidic (interprétation). - Oui.
6 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous nous les décrire ?
7 M. Djidic (interprétation). - Lors de cette deuxième journée,
8 une réunion a eu lieu, mais je ne me rappelle plus exactement à quel
9 endroit. Des membres du HVO y participaient aussi. L'objet de cette
10 réunion était pratiquement le même que celui des autres réunions, il
11 s'agissait de savoir comment mettre un terme aux hostilités.
12 J'avais reçu un rapport selon lequel beaucoup de Musulmans
13 avaient été faits prisonniers. J’ai exigé leur libération. J'ai aussi
14 demandé -s'il était possible- de les mettre en lieu sûr, ou bien qu'on
15 leur permette de se trouver en lieu sûr, pour éviter d’être prisonniers.
16 Dès cette seconde journée, je savais ce qui était arrivé à
17 Ahmici. J'avais appris la nouvelle par certaines personnes habitant dans
18 la région et qui avaient pris la fuite, mais aussi de membres du bataillon
19 britannique. Ce second jour s'est terminé sans que nous ayons réussi à
20 arrêter les hostilités et les combats.
21 Le troisième jour, nous sommes allés à une réunion prévue à la
22 base de la FORPRONU, à Bila. Etaient présents à cette réunion, outre
23 moi-même, le commandant adjoint de la 325ème brigade et Mario Cerkez qui
24 représentait le HVO. Il n'y avait pas d'autre représentant du HVO. Je n'ai
25 pas assisté à la réunion. J'ai attendu dans l'entrée. Cette réunion a
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1 peut-être duré deux heures.
2 Vers 16 heures 30, j'ai entendu une explosion très forte, très
3 puissante. Comme je me trouvais à la base de la FORPRONU à ce moment-là,
4 j’ai pu voir -très distinctement- un épais nuage de fumée. J’en ai conclus
5 que l'explosion venait de Stari Vitez. Cela a été confirmé par la suite.
6 Cette explosion considérable venait d'une voiture piégée qui
7 devait contenir 4 à 5000 kilos d'explosifs. Lorsque ce véhicule, ce camion
8 plus exactement, a explosé, tout Donja Mahala a été détruite. Donja Mahala
9 est une partie de Stari Vitez. Cinq civils ont trouvé la mort, ainsi qu'un
10 membre de l'armée. Plus de cinquante civils ont été blessés.
11 Avec l'aide de la FORPRONU et de la Croix-Rouge internationale,
12 ces personnes ont été évacuées à la base de la FORPRONU, à Bila. Suite à
13 cette explosion, ce fut un jour de tristesse profonde, de panique extrême,
14 à Vitez. Il y avait des blessés, des personnes tuées et de nombreuses
15 maisons détruites.
16 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, je peux vous
17 présenter, avec l’aide de l’Huissier, la pièce 81 de l'accusation. Je
18 demanderai qu'elle vous soit remise, et avec votre autorisation, je
19 demanderai que M. l'huissier nous aide aussi au rétroprojecteur. Ceci nous
20 aidera à examiner rapidement ces photos.
21 (L'huissier remet les documents au greffier.)
22 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, avec votre
23 permission, j'aimerais demander à M. l'huissier de prêter assistance au
24 témoin pour utiliser les photos et le rétroprojecteur.
25 Avant de passer à l'examen de ces photos, Monsieur Djidic, après
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1 l'explosion à Stari Vitez, le 18 avril 1993, est-ce que vous êtes revenu
2 avec Mario Cerkez dans le même char ?
3 M. Djidic (interprétation). - Oui.
4 M. Kehoe (interprétation). - Et vous saviez qu'il y avait eu une
5 explosion à Stari Vitez ; quelle était sa réaction ?
6 M. Djidic (interprétation). - Lorsque les participants de la
7 réunion sont sortis, ils étaient interloqués et silencieux. Personne n'a
8 dit mot. Nous sommes remontés dans ce même véhicule blindé, Mario, son
9 escorte, moi-même et Sifet Sivro. C'était le commandant adjoint de la
10 trois cent vingt-cinquième brigade montée. Et nous nous sommes tous rendus
11 à Stari Virtez.
12 Je suis sorti du véhicule. Le véhicule blindé a poursuivi sa
13 route en direction de Kolonija. C'est là que Mario Cerkez et son escorte
14 sont descendus du véhicule et Sifet Sivro a été conduit à Kruscica.
15 M. Kehoe (interprétation). - Et Mario Cerkez n'a jamais fait
16 aucun commentaire à propos de cette explosion à Stari Vitez pendant tout
17 le trajet qui vous a ramenés à cet arrêt Vitez, n'est-ce pas ?
18 M. Djidic (interprétation). - Il n'a pas dit un mot. Personne ne
19 disait mot.
20 M. Kehoe (interprétation). - Revenons à la pièce 81. Cette photo
21 porte le numéro PH/238. Que nous montre-t-elle, cette photo, Monsieur ?
22 M. Djidic (interprétation). - Elle montre une maison appartenant
23 à des musulmans et c'est celle qui se trouve le plus près de l'église, à
24 Stari Vitez. Je suppose que cette photo a été prise lors de la première
25 journée de l'attaque.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Revenons à cette photo. Pourriez-
2 vous dire au juge où cette photo a été prise. Est-ce que vous pourriez
3 revenir à la grande photo aérienne, pièce 56. Pourriez-vous nous situer
4 cette maison sur cette vue aérienne ?
5 M. Djidic (interprétation). - Je pense qu'il s'agit de cette
6 maison-ci.
7 M. Kehoe (interprétation). - Vous montrez donc une maison qui se
8 trouve dans la moitié inférieure, c'est bien cela ?
9 M. Djidic (interprétation). - Oui. Voici l'église, et la maison
10 de la photo se trouve ici.
11 M. Kehoe (interprétation). - C'était une maison qui appartenait
12 à un musulman ou à un Croate ?
13 M. Djidic (interprétation). - C'est une maison qui appartient à
14 un musulman.
15 M. Kehoe (interprétation). - Voyons la photo suivante, PH/257.
16 Est-ce que vous reconnaissez cet endroit, Monsieur ?
17 M. Djidic (interprétation). - Il s'agit de Stari Vitez et plus
18 exactement de Donia Mahala. C'est là que le véhicule a explosé.
19 M. Kehoe (interprétation). - Photo suivante, la PH/258, est-ce
20 que vous pourriez la retirer de la chemise et la placer sur le
21 rétroprojecteur ? Vous reconnaissez cet endroit ?
22 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est toujours ce même
23 endroit, là où le véhicule piégé a explosé.
24 M. le Président. - Monsieur le Procureur, il est près de
25 13 heures, je vois que nous n'avons pas fini cet album. Nous reprendrons,
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1 si cela ne vous ennuie pas, à 14 heures 30. D'accord ?
2 M. Kehoe (interprétation). - Volontiers, Monsieur le Président.
3 M. le Président. - L'audience est levée, nous reprenons à
4 14 heures 30.
5 L'audience est suspendue à 13 heures 00.
6 L'audience est reprise à 14 heures 35.
7 M. le Président. - L'audience est reprise. Faites entrer
8 l'accusé.
9 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs
10 les juges, bon après-midi. Je pense que nous étions en train de regarder
11 une photographie ce matin, elle portait le numéro PH/257. Est-ce bien
12 celle qui se trouve sur le rétroprojecteur ?
13 ("258", reprend l'accusation.)
14 Monsieur Djidic, que voit-on sur la photo 258, quelle est la
15 zone décrite ?
16 M. Djidic (interprétation). - C'est le quartier de Stari Vitez.
17 C'est l'endroit où le camion piégé a explosé.
18 M. Kehoe (interprétation). - Encore une fois, ce n'est pas vous
19 qui avez pris cette photo et vous n'étiez pas présent au moment de
20 l'incident, n'est-ce pas ?
21 M. Djidic (interprétation). - Non, effectivement je n'étais pas
22 là.
23 M. Kehoe (interprétation). - Pouvons-nous passer à la photo
24 suivante, qui porte le numéro 259.
25 M. Djidic (interprétation). - Cette photo montre aussi l'endroit
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1 où a eu lieu l'explosion et on y voit les maisons de Stari Vitez qui se
2 trouvaient situées à proximité de cet endroit.
3 M. Kehoe (interprétation). - S'agit-il de maisons de civils ou
4 d'installations militaires ?
5 M. Djidic (interprétation). - Il ne s'agit là que de maisons
6 appartenant à des civils.
7 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo suivante ; elle
8 porte le numéro PH/237.
9 M. Djidic (interprétation). - Ce que vous voyez ici, c'est ce
10 qui reste du camion qui a explosé au milieu de Stari Vitez. Il n'est resté
11 du camion qu'un petit morceau. Tout le reste a volé en l'air.
12 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, est-ce que cette
13 photo a été prise en regardant vers l'église, et donc en tournant le dos à
14 l'hôtel Vitez ?
15 M. Djidic (interprétation). - Oui.
16 M. Kehoe (interprétation). - Tandis que les autres photos que
17 nous avons déjà vues étaient prises en regardant vers l'hôtel Vitez et en
18 tournant le dos à l'église, n'est-ce pas ?
19 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement.
20 M. Kehoe (interprétation). - Encore une fois, s'agit-il ici de
21 bâtiments civils ?
22 M. Djidic (interprétation). - Toutes ces maisons sont des
23 maisons de civils.
24 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo suivante, elle
25 porte le numéro 243.
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1 M. Djidic (interprétation). - Il s'agit d'une maison appartenant
2 à un civil et c'est dans le voisinage immédiat que la citerne a explosé.
3 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que quelqu'un a été tué dans
4 cette maison ?
5 M. Djidic (interprétation). - Oui, un homme et une petite fille.
6 Cet homme était un civil.
7 M. Kehoe (interprétation). - Combien de personnes ont été tuées
8 à la suite de l'explosion de ce camion piégé et combien on été blessées ?
9 M. Djidic (interprétation). - Je pense que six personnes sont
10 mortes au moment de l'explosion, dont cinq civils et un militaire. Plus de
11 cinquante civils ont été blessés et la plupart d'entre eux ont été évacués
12 avec l'aide de la FORPRONU et de la Croix-Rouge internationale, tout de
13 suite après l'explosion. Ces personnes ont été emmenées à Bila, la base du
14 régiment britannique.
15 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo suivante, elle
16 porte le numéro 260.
17 M. Djidic (interprétation). - C'est une des maisons démolies,
18 encore une fois à proximité de l'endroit où le camion a explosé dans
19 Stari Vitez.
20 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo suivante, elle
21 porte le n° 263.
22 M. Djidic (interprétation). - Ici, vous pouvez voir plusieurs
23 maisons détruites par l'explosion du camion piégé, toujours, comme je l'ai
24 dit, à Stari Vitez.
25 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, est-ce que la
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1 mosquée de Stari Vitez a été détruite ou endommagée de quelque façon que
2 ce soit par ce camion piégé ?
3 M. Djidic (interprétation). - La mosquée a été endommagée. Pour
4 être plus précis, l'explosion a endommagé le toit de la mosquée ainsi que
5 les vitres qui ont été détruites.
6 M. Kehoe (interprétation). - Voulez-vous nous montrer la photo
7 suivante qui porte le n° 262 ? Ces photos ne sont pas nécessairement dans
8 l'ordre chronologique.
9 M. Djidic (interprétation). - Ici, on voit la mosquée de Vitez.
10 Vous voyez que sur cette partie de la mosquée, le toit n'avait pas été
11 endommagé auparavant.
12 Sur cette photo, une partie du toit a déjà été réparée et de
13 nouvelles fenêtres ont été installées. On voit aussi le minaret qui a été
14 touché. Il a été touché par un tir de canon qui était venu de Kolonija.
15 Cela s'est passé en octobre ou peut-être en novembre.
16 M. Kehoe (interprétation). - De 1993 ?
17 M. Djidic (interprétation). - De 1992. Pendant les tout premiers
18 affrontements qui ont eu lieu.
19 M. Kehoe (interprétation). - Mais le toit a été endommagé par
20 l'explosion du camion piégé le 18 avril à 1993.
21 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est bien ainsi.
22 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur, vous n'étiez pas présent
23 lorsque toutes ces photos ont été prises, mais selon vous reflètent-elles
24 exactement les dommages causés à Stari Vitez à la suite de l'explosion de
25 ce camion piégé ?
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1 M. Djidic (interprétation). - La plupart des photos le font,
2 mais cette photo de la mosquée a été faite quelque temps après et non pas
3 le jour qui a suivi l'explosion. Vous pouvez voir que les tuiles sont
4 neuves. Tout ce côté-ci du bâtiment avait été endommagé, notamment les
5 tuiles. Cette photo a été prise après que l'on ait déjà commencé à réparer
6 la mosquée.
7 M. Kehoe (interprétation). - Merci Monsieur. Vous avez déjà dit
8 qu'il y avait des tireurs embusqués qui tiraient sur Stari Vitez le
9 16 avril 1993, n'est-ce pas ?
10 M. Djidic (interprétation). - Oui.
11 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que les tireurs embusqués
12 ont continué à tirer pendant toute la durée du siège en1993 et 1994 et
13 jusqu'au cessez-le-feu de février 1994 ?
14 M. Djidic (interprétation). - Les tireurs embusqués tiraient
15 tout le temps, à l'exception de quelques jours de trêve. Lorsque des
16 échanges de prisonniers ont été organisés et que pour cela un cessez-le-
17 feu avait été décrété, mais même ces cessez-le-feu étaient souvent violés.
18 Donc en tout temps, on risquait d'être touché par un tireur embusqué.et on
19 ne pouvait pas se déplacer librement.
20 M. Kehoe (interprétation). - Si vous étiez à Vitez, est-ce que
21 vous pouviez entendre les coups de feu tirés par ces tireurs embusqués ?
22 Peut-on reconnaître le bruit que fait un coup de feu tiré par un tireur
23 embusqué ?
24 M. Djidic (interprétation). - Oui, je pouvais le reconnaître.
25 J'entendais ces coups de feu et je n'étais pas le seul, tout le monde les
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1 entendait.
2 Les coups de feu tirés par des tireurs embusqués font un bruit
3 caractéristique, car ce sont des coups de feux isolés qui ont une cible.
4 La cible, en l'occurrence, était à Stari Vitez . Ces coups de feu étaient
5 en général un peu plus bruyants qu'une balle normale et le plus souvent,
6 il y avait deux coups qui se suivaient. Ce qui était surtout
7 caractéristique des coups de feu tirés par les tireurs embusqués, c'est
8 qu'ils utilisaient des fusils d'un calibre plus élevé très souvent, et
9 donc ces coups de feu étaient encore plus bruyants qu'un coup de feu tiré
10 habituellement. C'était des fusils qui faisaient un calibre de 9 ou
11 de 10,5 , voire même de 12,7 millimètres. C'est l'équivalent d'un fusil
12 anti-aérien.
13 Tous ces tireurs embusqués ont fait des victimes. La plupart des
14 victimes n'étaient pas seulement des soldats, mais aussi des civils.
15 Malheureusement, ces civils étaient en général des personnes âgées et même
16 des enfants. L'enfant le plus jeune, tué par un tireur embusqué, n'avait
17 que 2 ans et demi et les personnes âgées qui sont tombées victimes des
18 tireurs embusqués avaient plus de 60 ans. Un autre enfant a été abattu
19 ainsi avec un fusil de calibre plus important et cet enfant avait 8 ans.
20 Je vois encore ces images. Elles sont très fraîches dans ma mémoire.
21 M. Kehoe (interprétation). - Passons maintenant aux deux photos
22 suivantes, Monsieur Djidic, à commencer par la photo PH 337. Que voit-on
23 sur cette photo ?
24 M. Djidic (interprétation). - C'est le premier immeuble à
25 l'extérieur de Stari Vitez. Dans la ville, on l'appelle le bâtiment jaune.
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1 A partir de ce bâtiment, les tireurs embusqués tiraient depuis la
2 direction de Kolonija ; même chose pour l'immeuble situé à côté.
3 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la dernière photo de
4 cette pièce. Il s'agit de la photo 340.
5 M. Djidic (interprétation). - On voit le bâtiment jaune. Il est
6 à une distance plus grande de Stari Vitez.
7 M. Kehoe (interprétation). - La photo est prise depuis
8 Stari Vitez en regardant vers Kolonija, quartier de Vitez.
9 M. Djidic (interprétation). - Oui.
10 M. Kehoe (interprétation). - Avec l'aide de l'Huissier, je
11 voudrais que l'on remette sur le chevalet la première photo. Il s'agit de
12 la pièce à conviction n° 45. Monsieur Djidic, en utilisant la pièce 45,
13 pourriez-vous nous indiquer où se trouve le bâtiment jaune que l'on a pu
14 voir sur les photos, ce bâtiment d’où les tireurs embusqués tiraient ?
15 M. Djidic (interprétation). - Le bâtiment jaune se trouve ici,
16 et voici l'autre immeuble situé à côté.
17 M. Kehoe (interprétation). - Donc c'est juste en haut, à gauche
18 du terrain de football, n'est-ce pas ?
19 M. Djidic (interprétation). - Oui.
20 M. Kehoe (interprétation). - A quelle distance se trouve cet
21 endroit de l’hôtel Vitez ?
22 M. Djidic (interprétation). - Entre cinquante et cent mètres.
23 M. Kehoe (interprétation). - En étant à l’hôtel Vitez ou bien
24 tout près de cet hôtel, pendant la durée du siège, pouvait-on entendre ces
25 coups de feu ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Oui, absolument.
2 M. Kehoe (interprétation). - Veuillez vous rasseoir. Monsieur le
3 Président, nous voudrions que soit versée au dossier la pièce 81, et -si
4 l'Huissier le veut bien- que les photos soient remises dans l'album.
5 M. le Président. - Pas d'observation ? Il me semble, j'ai peut-
6 être fait une faute d'inattention, que vous n'avez pas identifié qui avait
7 pris ces photos, Monsieur le Procureur. L’une de ces photos porte des
8 inscriptions, cela semble signifier que ce sont des photos officielles.
9 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, ces photos
10 ont été prises par des soldats britanniques du Régiment du Cheshire et du
11 Régiment du Prince de Galles. Beaucoup de ces personnes vont déposer. Donc
12 le Tribunal aura encore la possibilité de revenir sur ces photos lorsque
13 ces soldats viendront déposer.
14 M. le Président. - Merci, Monsieur le Procureur. C’est la
15 pièce 81, Monsieur le Greffier ?
16 M. Kehoe (interprétation). - Je pense que c'est exact, n'est-ce
17 pas Monsieur Dubuisson ?
18 M. le Greffier. - Oui.
19 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, après l'explosion
20 du camion piégé le 18 avril 1993, que s'est il passé ? Comment le conflit
21 avec le HVO a-t-il évolué ? D'autres endroits ont-ils été attaqués ?
22 Pouvez-vous nous raconter cela ?
23 M. Djidic (interprétation). - Après l'explosion qui a eu lieu le
24 18 avril, le village de Gacice a été attaqué.
25 M. Kehoe (interprétation). - Avec l'aide de l'Huissier, je
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1 voudrais que l'on mette à nouveau la pièce 56 sur le chevalet pour que
2 M. Djidic puisse nous montrer, sur cette vue aérienne, le village de
3 Gacice.
4 M. Kehoe (interprétation). - Je vous en prie, poursuivez.
5 M. Djidic (interprétation). - Voilà l'endroit où se trouve le
6 village de Gacice. Quatre à cinq cents mètres séparent le village de
7 Gacice de celui de Stari Vitez.
8 M. Kehoe (interprétation). - Très bien. Monsieur le témoin, vous
9 pouvez vous rasseoir. Avez-vous assisté à l’offensive contre Gacice ?
10 M. Djidic (interprétation). - J'ai pu observer l'attaque. J'ai
11 vu des soldats qui allaient dans la direction de Mlakici et qui
12 encerclaient le village de Gacice. Après un certain temps, des coups de
13 feu, des tirs, ont été échangés. De temps en temps, on pouvait même
14 entendre une grenade ou un obus éclater, je ne peux pas vous dire
15 exactement de quoi il s'agissait.
16 Après cela, les maisons ont été -l’une après l’autre-
17 incendiées. En une heure environ, une vingtaine de maisons de Gacice
18 étaient déjà en train de brûler. Les gens, qui étaient avec moi, ont
19 confirmé que les maisons incendiées appartenaient à des Musulmans. Par la
20 suite, cela s'est vérifié.
21 Le jour suivant, j'ai appris que le HVO avait occupé le village
22 de Gacice. Des civils avaient été détenus et emprisonnés. Plusieurs hommes
23 avaient réussi à prendre la fuite dans les bois avoisinants. Depuis ces
24 bois, ils sont passés -plus tard- dans le village de Kruscica.
25 M. Kehoe (interprétation). - Etant donné ces attaques contre
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1 Vitez, contre Gacice, contre Donja Veceriska, que pensez-vous que le HVO
2 cherchait à faire ?
3 M. Djidic (interprétation). - L'objectif du HVO était de tuer et
4 de détruire l'armée de Bosnie-Herzégovine et donc les hommes qui
5 s'élevaient dans cette armée. Ils voulaient aussi détruire des objectifs
6 civils, tuer des civils, viser des biens de civils et procéder au
7 nettoyage ethnique de la ville de Vitez. Ils y sont parvenus.
8 M. Kehoe (interprétation). - Quand vous parlez de nettoyage
9 ethnique de la ville de Vitez, vous pensez à quel groupe ethnique ? De qui
10 cherchait-on à se débarrasser ?
11 M. Djidic (interprétation). - Des Musulmans.
12 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur, vous avez donc vu les
13 attaques, vous avez vu des soldats courir vers Gacice ?
14 M. Djidic (interprétation). - Oui.
15 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous reconnu les soldats ?
16 M. Djidic (interprétation). - Je ne pouvais pas les reconnaître.
17 C'était surtout des soldats en treillis, en tenue de camouflage.
18 M. Kehoe (interprétation). - Il y a beaucoup d'unités du HVO
19 dans la vallée de la Lasva qui portaient des uniformes noirs ou des
20 treillis, n'est-ce pas ?
21 M. Djidic (interprétation). - Il y a une unité qui portait des
22 uniformes noirs. C'était une unité spéciale. On les appelait les
23 chevaliers ou les Vitezovi, les gens de Vitez. Mais il y avait d'autres
24 membres du HVO qui portaient des uniformes noirs, mais pas autant que
25 parmi ceux qu'on appelait les chevaliers.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Revenons sur ces Vitezovi,
2 qu'est-ce que ces Vitezovi ?
3 M. Djidic (interprétation). - Les Vitezovi sont une unité de
4 combattants. C'était aussi une unité du HOS, des forces armées croates sur
5 le territoire de Bosnie-Herzégovine. Plus tard, cette unité a changé de
6 nom. Elle ne s'est plus appelée HOS, elle s'est appelée Vitezovi.
7 M. Kehoe (interprétation). - Lorsque le nom est passé de HOS à
8 Vitezovi, est-ce que les membres de cette unité ont commencé à travailler
9 avec le HVO ?
10 M. Djidic (interprétation). - Les Vitezovi avaient des
11 casernements qui leur étaient propres. Ils étaient cantonnés dans l'école
12 de Duberoca* et certains de ces Vitezovi étaient cantonnés dans l'école de
13 Travnik. Mais ils agissaient toujours de concert avec le HVO.
14 M. Kehoe (interprétation). - Qui dirigeait les Vitezovi ?
15 M. Djidic (interprétation). - A la tête des Vitezovi, il y avait
16 Darko Kordic, qui était le commandant à l'époque.
17 M. Kehoe (interprétation). - Avant le conflit, le 17 avril 1996,
18 est-ce que vous avez vu ce Darko parmi des dirigeants militaires ?
19 M. Djidic (interprétation). - Oui, je l'ai rencontré. Il était
20 très souvent avec Mario Cerkez. Ces deux hommes étaient des amis qui se
21 recevaient l'un chez l'autre. J'ai vu aussi Darko Kraljevic le 20 octobre,
22 date à laquelle les responsables de la logistique qui dépendaient de moi
23 ont été attaqués à l'hôtel, dans le bâtiment de commandement du HVO. Plus
24 tard, j'ai appris qu'il avait participé personnellement à l'attaque qui
25 visait le quartier général de la Défense territoriale et les unités de
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1 logistique.
2 M. Kehoe (interprétation). - Lorsque vous parlez de l'hôtel,
3 vous parlez de l'hôtel Vitez, c'est-à-dire du quartier général de
4 Blaskic ?
5 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est cela.
6 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce qu'il y avait une unité
7 appelée les jokers dans la vallée ?
8 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement. C'était aussi
9 une unité spéciale qui remplissait les fonctions d'une sorte de police
10 militaire, dont les tâches étaient spécialement définies. Les jokers
11 étaient cantonnés dans le club des chasseurs, pas loin de Stari Vitez, et
12 certains des membres de cette unité étaient cantonnés dans le motel
13 bungalow, tout près du village d'Ahmici.
14 M. Kehoe (interprétation). - Après l'attaque contre Gacice, que
15 s'est-il passé du point de vue de ce conflit qui opposait de façon
16 continue le HVO et l'armée de la Bosnie-Herzégovine ?
17 M. Djidic (interprétation). - Quelques jours après, il y a eu ce
18 qu'on pourrait appeler une certaine accalmie. De nombreuses réunions ont
19 été organisées entre les membres de l'armée et le HVO. Un groupe conjoint,
20 a été constitué. Ce groupe était dirigé par M. Sefer Halilovic qui était,
21 à l'époque, chef d'état-major de l'armée de Bosnie-Herzégovine, et par
22 M. Petkovic qui était l'officier le plus gradé du HVO. Cette unité
23 regroupait également d'autres officiers, tant de l'armée que du HVO.
24 Ce groupe avait pour mission, avec la participation de la
25 FORPRONU, de mettre un terme à toutes les actions de combats pour tenter
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1 de rétablir la paix. Un autre objectif de ce groupe consistait à remettre
2 en liberté toutes les personnes arrêtées et à aider aux gens dans le
3 besoin. Ce groupe est entré dans Stari Vitez sans doute une dizaine de
4 jours après le début des affrontements.
5 J'ai transmis au Tribunal tous les documents relatifs à cette
6 réunion, avec des vidéocassettes. Lors de cette réunion, il a été demandé
7 qu'il soit mis fin aux combats et que tous les civils soient remis en
8 liberté.
9 A Stari Vitez, je n'avais pas de civils arrêtés. Tous les
10 Croates, qui habitaient à Stari Vitez, étaient dans les caves aux côtés
11 des Musulmans. On pouvait le constater lorsqu'on était sur place. Quand
12 cette équipe est arrivée à Stari Vitez, elle a pu le constater.
13 A ce moment-là, quatre-vingt Croates à peu près étaient à
14 Stari Vitez. Il leur a été proposé d'être transférés dans la partie
15 nouvelle de Vitez, c'est-à-dire dans le quartier de Kolonija. Certains
16 d'entre eux ont accepté cette offre, mais la majorité a décidé de rester à
17 Stari Vitez et de continuer à y vivre avec les Musulmans. Au total,
18 quarante cinq Croates et trois Serbes sont restés. Ils ont passé toute la
19 durée de la guerre à Stari Vitez. D'ailleurs, une majorité d'entre eux
20 habitent toujours à Stari Vitez.
21 Cette commission s'est donc installée dans l'hôtel. Je
22 n'habitais pas à l'hôtel, je ne m'y trouvais pas, donc je ne sais pas
23 quelle a été la teneur des conversations ultérieures. Après la réunion à
24 l'hôtel, ils ont visité le cinéma.
25 J’ai été informé que de nombreux Musulmans, des civils
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1 musulmans, qui étaient au cinéma, avaient été emprisonnés. Je n'en connais
2 pas le nombre exact. Il ne s’agissait pas uniquement de ceux qui étaient
3 au cinéma, mais également de Musulmans qui se trouvaient dans d'autres
4 lieux. Il leur avait été dit qu'ils seraient remis en liberté, que chacun
5 d'entre eux pouvait dire où il souhaitait se rendre. Je crois que ces
6 désirs ont été exhaucés le lendemain.
7 J'ai demandé à ce groupe de me donner des garanties quant au
8 sort réservé à ceux qui acceptaient de rester dans Vitez. Je demandais
9 qu'on me garantisse leur sécurité, parce qu'il n'y avait pas de
10 représentant de l'armée dans Vitez. Nous avons reçu cette garantie, mais
11 les personnes qui ont été remises en liberté à ce moment-là ont été
12 chassées de Vitez dans les trois à quatre mois qui ont suivi.
13 M. Kehoe (interprétation). - Après cet échange, avez-vous avez
14 vu quelques personnes revenir dans Vitez en raison de cet échange ?
15 M. Djidic (interprétation). - Oui, j'ai vu une dizaine d'hommes
16 arriver à Stari Vitez, dont certains possédaient une maison dans
17 Stari Vitez, d'autres un appartement à Vitez, mais ils sont venus tout de
18 même à Stari Vitez chez leurs parents. Il y en avait qui ont amené avec
19 eux leur femme et leurs enfants. Je les connaissais tous. Je parlais avec
20 eux.
21 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous regardé leurs mains ?
22 M. Djidic (interprétation). - Oui. C’était intéressant parce
23 qu'un de ces hommes s'est plaint à moi. Il m'a dit que le HVO l'avait
24 forcé à creuser des tranchées. Ses mains étaient couvertes de callosités
25 et saignaient. Il était gardien à l'usine où j'étais responsable.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous vu quelqu'un en train de
2 creuser des tranchées lorsque vous vous trouviez à Stari Vitez ? Avez-vous
3 pu voir -au loin- des gens en train de creuser des tranchées ?
4 M. Djidic (interprétation). - Oui. J'ai vu du côté de Krcevine
5 des gens creuser des tranchées, et j'ai vu qu’il s’agissait de civils. Des
6 soldats creusaient aussi. Je ne peux pas affirmer quelle était la
7 nationalité du civil que j’ai vu, car je ne distinguais pas son visage.
8 M. Kehoe (interprétation). - Vous dites que c'est autour de
9 Krcevine que ces tranchées étaient creusées. Je vous demanderai de vous
10 appuyer sur la pièce à conviction n° 56 pour nous montrer une nouvelle
11 fois où se trouve Krcevine.
12 M. Djidic (interprétation). - Toute cette zone, c'est Krcevine.
13 (Le témoin montre l’endroit sur la pièce à conviction n° 56.)
14 J'ai vu des tranchées être creusées à peu près ici, dans cette
15 zone, c'est-à-dire à 800 ou 900 mètres de Stari Vitez.
16 M. Kehoe (interprétation). - Merci Monsieur.
17 Après cette visite du général Halilovic et du général Petkovic,
18 est-il arrivé un moment où les citoyens de Stari Vitez ont enterré leurs
19 morts ?
20 M. Djidic (interprétation). - Oui.
21 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous en parler au Tribunal ?
22 M. Djidic (interprétation). - A ce moment-là, les cadavres des
23 civils, qui étaient morts à Ahmici, à Kolonija et à Donja Veceriska, ont
24 été ramassés. Le HVO voulait qu'ils soient enterrés dans le cimetière
25 municipal de Vitez, mais sur l'insistance des gens de Stari Vitez, et sur
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1 mon insistance, il a été accepté que ces gens soient enterrés à
2 Stari Vitez. C'était le douzième jour après le début du conflit. C’est
3 sous le contrôle de la FORPRONU que le HVO nous a autorisés à enterrer ces
4 personnes.
5 A Stari Vitez, les représentants de la sécurité civile sont
6 allés à Vitez. A l'école, une salle avait été consacrée à l'installation
7 des cadavres enfermés dans des sacs en plastique. Le transport des corps a
8 commencé. Tous les corps ont été transférés à Stari Vitez. Cent cinq
9 personnes ont été enterrées ce jour-là, à Stari Vitez. Nous n'avons pas pu
10 identifier plus de la moitié de ces corps. Pourtant, le HVO participait à
11 cette identification. J'ai personnellement assisté au début de cette
12 tentative d'identification des cadavres. J'ai vu trois cadavres et je n'ai
13 plus pu continuer à regarder parce qu'on peut dire que ces corps avaient
14 été massacrés, brûlés, et on trouvait là des cadavres de bébés et de
15 vieillards également.
16 Il n'y avait qu'un ou deux de ces corps qui étaient en uniforme.
17 Tous les autres étaient des civils. Cela a été un jour de grand deuil à
18 Vitez. Tout le monde pleurait, tout le monde, même les représentants de la
19 FORPRONU. Cela a été vraiment très difficile, même les hommes forts
20 pleuraient.
21 A partir de la date de cet enterrement, nous n'avons plus jamais
22 eu la paix, surtout la nuit. La guerre s'est poursuivie, les tireurs
23 embusqués du HVO n'ont cessé de tirer.
24 M. Kehoe (interprétation). - Après l'enterrement des corps à
25 Stari Vitez, est-ce que le siège de Stari Vitez, qui s'est poursuivi
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1 jusqu'en février 1994, a commencé à ce moment-là ?
2 M. Djidic (interprétation). - C'est cela. Les gens espéraient
3 que cela n'allait pas durer longtemps. Sur la base de l'expérience acquise
4 dans les conflits précédents, personne ne réussissait à croire qu'un
5 voisin pouvait agir de la sorte envers un autre voisin. Et jusqu'à ce
6 moment-là, jusqu'à l'enterrement de ces personnes, j'ai eu de très gros
7 problèmes pour obtenir que les morts soient enterrés. Personne ne voulait
8 les enterrer, parce qu'ils pensaient que la situation n'allait pas durer.
9 Mais quand ils ont vu l'enterrement de ces corps, quand ils ont vu des
10 femmes et des enfants, eux-mêmes ont couru se creuser un trou où ils
11 auraient la possibilité de se cacher pendant ces événements qui ont
12 commencé et qui étaient vraiment quotidiens.
13 Jour après jour, j'ai réussi à renforcer une ligne de défense, à
14 mettre en place un système de défense circulaire, et c'est sur ces lignes
15 que nous avons attendu la fin de la guerre.
16 M. Kehoe (interprétation). - Pourrait-on dire que depuis la fin
17 du mois d'avril 1993 et jusqu'à février 1994, Vitez a été une ville
18 assiégée, encerclée ?
19 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est tout à fait cela.
20 Stari Vitez était totalement encerclée. Il n'y avait pas une seule issue.
21 Personne ne pouvait rentrer dans Stari Vitez, et personne ne pouvait en
22 sortir.
23 Au moment où nous avons enterré les civils dont j'ai parlé,
24 l'armée a décidé de ne plus laisser sortir les civils et de les défendre
25 jusqu'au dernier, même si j'avais pu forcer un chemin pour sortir de
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1 Stari Vitez et me faufiler par cette issue avec les membres de l'armée, et
2 c'est une chose que les civils ont beaucoup apprécié chez moi, et en fait
3 chez des gens qui étaient des parents proches, parce que les membres de
4 l'armée étaient tous des frères, des maris, qui gardaient et protégeaient
5 les maisons des civils. Il y avait quelques personnes qui venaient de
6 Jajce, mais toutes les autres étaient de Vitez et nous savions tous quel
7 était notre devoir.
8 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, veuillez dire au
9 Tribunal à quoi ressemblait la vie, l'existence à Stari Vitez pendant
10 toute la durée de ce siège ?
11 M. Djidic (interprétation). - La vie à Stari Vitez pendant la
12 durée du siège a été véritablement très pénible. Nous avons eu beaucoup de
13 difficultés. Des civils étaient blessés, des maisons étaient détruites.
14 Tous les jours, quelques bâtiments étaient détruits. Cela posait le
15 problème de savoir où loger les personnes qui y habitaient. Il est donc
16 arrivé parfois que dans une seule cave, on trouve jusqu'à cent civils. Les
17 gens n'avaient pas de vêtements, de nombreuses maisons avaient brûlé ou
18 avaient sauté après qu'on y ait mis des explosifs qui ont été utilisés à
19 Stari Vitez pendant ce siège.
20 Nous avions très peu de nourriture et cette nourriture était
21 très pauvre. Elle manquait de vitamines, elle manquait de toutes sortes
22 d'éléments nécessaires, et il y avait très peu de matière grasse. On
23 remarquait que toutes ces personnes vieillissaient très rapidement. Nous
24 avons tous maigri. Beaucoup de gens perdaient leurs dents. Les gens
25 étaient en proie à un stress très important et nous avons vu un enfant de
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1 cinq ans dont les cheveux sont devenus blancs. C'est une photographie que
2 le monde entier a vue.
3 Je dirai tout simplement que la vie était insupportable. Je me
4 demande vraiment comment nous avons survécu à tous ces problèmes dont le
5 monde entier a eu connaissance.
6 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, est-ce que des
7 civils ont été tués pendant le siège ?
8 M. Djidic (interprétation). - Oui, il y en a eu.
9 M. Kehoe (interprétation). - Dites au Tribunal comment ces
10 civils sont morts.
11 M. Djidic (interprétation). - Au début de la guerre, au moment
12 de l'explosion de la citerne, des civils ont trouvé la mort. Et puis une
13 majorité des civils sont morts sous les coups de feu des tireurs embusqués
14 et j'ai déjà dit que parmi les morts, il y avait des femmes, des enfants
15 et des vieillards. Certains d'entre eux auraient vécu s'ils avaient pu
16 être évacués jusqu'à l'hôpital. Des soins médicaux appropriés n'ont pas pu
17 être dispensés, pour la simple raison que parfois il manquait un verre de
18 sang, par exemple. Certains sont morts, dans d'autres circonstances ils
19 auraient pu rester en vie. Mais à Vitez, ils étaient condamnés à mort.
20 M. Kehoe (interprétation). - Pourquoi étaient-ils condamnés à
21 mort ? Pourquoi n'ont-ils pas reçu l'autorisation de sortir pour se voir
22 dispenser des soins médicaux appropriés ?
23 M. Djidic (interprétation). - Je ne sais pas pourquoi ils n'ont
24 pas reçu cette aide médicale appropriée. Certains civils ont été évacués
25 et eux ont survécu. Mais d'autres sont morts. Lorsque je demandais des
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1 évacuations, il fallait que je donne le nom et le prénom de la personne
2 blessée, et dès que l'on voyait qu'il s'agissait d'un enfant, d'une femme
3 ou d'un vieillard, si la Croix-Rouge internationale ne se montrait pas,
4 les évacuations étaient impossibles et la Croix-Rouge, après quelques
5 jours, a dit qu'elle regrettait de ne pas pouvoir venir mais que le HVO
6 lui avait interdit de pénétrer dans la ville. A ce moment-là, les gens
7 pour lesquels nous avions demandé une évacuation étaient déjà morts ; pour
8 eux il était trop tard.
9 M. Kehoe (interprétation). - Qui était le commandant du HVO
10 lorsque vous avez appris que le HVO ne vous permettait pas, ou ne
11 permettait pas l'évacuation de ces personnes par la Croix-Rouge ? Qui
12 donnait ces ordres ?
13 M. Djidic (interprétation). - A l'époque, le commandant de la
14 Bosnie centrale était M. Blaskic.
15 M. Kehoe (interprétation). - Parlez-nous du siège. Est-ce que
16 les attaques d'artillerie ont cessé après avril 1993 ou au contraire se
17 sont-elles poursuivies ?
18 M. Djidic (interprétation). - Oui, ces attaques ont cessé, sans
19 doute parce que le HVO était à court de munitions. Mais ils ont trouvé un
20 autre moyen : vers la fin du mois de mai, ils ont commencé à utiliser des
21 explosifs qui étaient très destructeurs. Il y avait beaucoup d'explosifs
22 et on s'en servait pour détruire des bâtiments ou pour toucher des
23 personnes aussi à Vitez. Ces explosifs étaient fabriqués à partir
24 d'éléments de lutte contre l'incendie. De six à dix kilos d'explosifs
25 pouvaient être placés et ces engins explosifs étaient utilisés par le HVO
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1 qui se servait de catapultes fabriquées à la main. Et tout le territoire
2 de Vitez devenait la cible de ces engins. C'était aussi des engins
3 incendiaires.
4 Par la suite, au cours de la guerre, nous avons constaté que ces
5 engins contenaient aussi des morceaux d'acier, des clous, des vis, autant
6 d'objets métalliques. De cette façon, il y avait plus d'éclats, ils
7 étaient plus mortels, et ceci bien entendu était une source de vives
8 préoccupations. De très nombreux bâtiments ont été détruits. De ce fait,
9 la peur était aussi très grande parmi la population civile. A cause de ces
10 engins, des maisons ont été détruites. Tous ceux qui se trouvaient à
11 proximité de l'endroit où tombaient ces engins étaient tués.
12 Les gens souffraient de syndromes profonds, de stress, car
13 lorsque dix kilos d'explosifs explosent, cela fait un bruit effroyable.
14 C'était l'horreur pure !
15 C'est de mai à février que nous avons été la cible de ces engins
16 explosifs, à n'importe quelle heure de la nuit ou du jour. Je puis vous
17 dire que plus de mille de ces engins sont tombés sur Stari Vitez. Il est
18 facile de calculer la quantité totale d'explosifs que ceci représente
19 M. Kehoe (interprétation). - Et ces engins explosifs étaient en
20 fait dans des extincteurs, n'est-ce pas ?
21 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est exact.
22 M. Kehoe (interprétation). - Et je crois que le terme que vous
23 avez utilisé pour les décrire, c'était "bébés" ?
24 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est ainsi qu'on les
25 appelait.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Vous souvenez-vous d'une attaque
2 en juillet, le 18 juillet plus exactement, au cours de laquelle ces
3 "bébés" auraient été utilisés ?
4 M. Djidic (interprétation). - Nous sommes bien sur le
5 18 juillet 1993. Je m'en rappelle fort bien. Le 18 juillet 1993, il y a eu
6 une offensive générale du HVO lancée contre Stari Vitez. C'est aux
7 premières heures du jour que l'attaque a été menée, et elle a duré toute
8 la journée, pratiquement douze heures d'affilée.
9 Ce que voulait le HVO, c'était pénétrer dans Stari Vitez. Avant
10 l'attaque de l'infanterie, il y a eu des pilonnages, plusieurs tirs
11 nourris d'artillerie et quelque deux cents de ces engins que nous
12 appelions les "bébés" ont été lancés sur Stari Vitez, sur plus de la
13 moitié du territoire de la municipalité de Stari Vitez.
14 Au cours de la journée, lorsque nous avons reçu vague après
15 vague d'attaques d'infanterie, cent engins supplémentaires sont tombés sur
16 le territoire de Stari Vitez, provoquant des dégâts importants, blessant
17 de nombreux civils. Des soldats aussi furent blessés dans mes unités. Ce
18 n'est que lorsque l'attaque cessa, vers la fin de la journée, que j'ai pu
19 constater l'ampleur des dégâts. J'avais peine à le croire : après une
20 telle offensive, pas un seul bâtiment était resté intact à Stari Vitez.
21 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce qu'il s'agissait de maisons
22 appartenant à des civils ?
23 M. Djidic (interprétation). - Oui. Mais il y avait aussi ma
24 ligne de défense. Ces engins qu'on appelait les "bébés" étaient très
25 difficilement contrôlables. Vous ne saviez jamais où ils allaient tomber.
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1 L'engin qu'on utilise pour les propulser n'a pas de nom. En fait, on n'a
2 pas vraiment de cible déterminée, ça part n'importe comment.
3 M. Kehoe (interprétation). - On pourrait dire que le HVO a
4 décoché quelque trois cents de ces engins explosifs sans savoir où ils
5 allaient tomber parce qu'il n'était pas possible de viser ?
6 M. Djidic (interprétation). - C'est exact.
7 M. Kehoe (interprétation). - Et d'où les tirait-on, ce
8 18 juillet 1993 ?
9 M. Djidic (interprétation). - De divers endroits. La plupart
10 d'entre eux venaient de l'église, de l'usine, de Mlakici, du jardin
11 d'enfants, d'en face de l'hôtel. Là, il y a un espace en face de l'école
12 d'où on tirait également, et aussi des bois d'un côté de Stari Vitez. On
13 pourrait dire que ça venait de partout.
14 M. Kehoe (interprétation). - Et au moment où on lançait ces
15 engins sur Stari Vitez, c'était bien Blaskic qui était commandant du
16 secteur, n'est-ce pas, de la zone opérationnelle ?
17 M. Djidic (interprétation). - C'est exact.
18 M. Kehoe (interprétation). - Avec votre permission, Monsieur le
19 Président, j'aimerais avoir la pièce 82. Je pense que c'est bien le
20 numéro, Monsieur Dubuisson, n'est-ce pas ? Et avec l'aide de l'huissier,
21 je vous présenterai ces pièces.
22 J'aimerais, Monsieur Djidic, que nous passions en revue certains
23 des armements utilisés à l'époque sur Stari Vitez, pendant la période de
24 la première attaque, pendant le siège, pendant l'attaque par tireurs
25 embusqués, et aussi lorsque ces engins ont été lancés sur la ville.
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1 Un éclaircissement d'abord. Lorsque vous dites qu'on les lançait
2 depuis l'hôtel, vous parliez bien sûr de l'hôtel Vitez, n'est-ce pas ?
3 M. Djidic (interprétation). - C'est exact.
4 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, je vais
5 demander à M. l'Huissier de rester debout à côté de monsieur le témoin et
6 de placer chacune des photos qu'expliquera et que décrira le témoin.
7 La première photo porte la cote Z2/461. Monsieur Djidic, savez-
8 vous ce qu'est l'armement décrit sur cette photo ?
9 M. Djidic (interprétation). - Oui, je le reconnais. C'est un
10 canon antiaérien, calibre 40 millimètres. Vous le voyez placé sur un
11 camion.
12 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que vous avez vu des armes
13 de ce genre aux alentours de Stari Vitez au moment des attaques lancées
14 par le HVO ?
15 M. Djidic (interprétation). - Oui, j'en ai vu autour de
16 Stari Vitez. Je pense que c'était à Krcevine. Ce véhicule était mobile, il
17 transportait ce canon. Cela veut dire que souvent le HVO changait de
18 position. Les soldats savent pertinemment pourquoi on change fréquemment
19 de position.
20 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que vous avez eu un armement
21 de ce genre à un moment quelconque du siège à Stari Vitez ?
22 M. Djidic (interprétation). - Jamais nous n'avons eu de canon de
23 ce genre à Stari Vitez.
24 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que vous aviez des munitions
25 à Stari Vitez pendant tout le temps du siège ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Durant le siège, nous avions des
2 munitions pour les armes dont nous disposions. C'étaient surtout des armes
3 d'infanterie.
4 M. Kehoe (interprétation). - Quel est le calibre de ce canon ?
5 M. Djidic (interprétation). - 40 millimètres. C'est un canon
6 antiaérien.
7 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous prendre la photo
8 suivante, Z2/462.
9 M. Djidic (interprétation). - C'est le même canon, mais vu sous
10 un autre angle et placé sur un camion.
11 M. Kehoe (interprétation). - Il est donc placé sur un camion
12 pour pouvoir être mobile tout le temps.
13 M. Djidic (interprétation). - Oui.
14 M. Kehoe (interprétation). - Voyons la photo suivante, la
15 Z2/463. Qu'est-ce qu'on y voit ?
16 M. Djidic (interprétation). - Je pense que c'est un canon
17 antiaérien, mais de 20 millimètres de calibre.
18 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que vous avez vu ce genre de
19 canon autour de Vitez ?
20 M. Djidic (interprétation). - J'ai vu quelque chose qui y
21 ressemblait, un autre canon mais triple. C'est aussi une arme
22 antiaérienne, mais c'est une arme que le HVO avait avant même la guerre et
23 qui aussi était placée sur un camion.
24 M. Kehoe (interprétation). - Voyons la photo Z2/467. Je crois
25 que c'est la photo suivante. Qu'est-ce qu'on y voit, Monsieur ?
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1 M. Djidic (interprétation). - On voit là une maison, et ce que
2 vous voyez ici, c'est effectivement le lanceur, cette espèce de catapulte
3 qu'on utilisait pour lancer ces engins qu'on appelait les "bébés".
4 M. Kehoe (interprétation). - Là, les photos sont dans le
5 désordre, mais je crois que ces deux photos vont de pair, donc on devrait
6 avoir la 467 et la 466. Est-ce que vous reconnaissez ceci, Monsieur
7 Djidic ?
8 M. Djidic (interprétation). - Oui. Auparavant, c'était un
9 extincteur, mais en l'occurrence c'est un de ces "bébés" qui n'a pas
10 explosé. Là, il n'y a pas eu détonation et il a été envoyé sur
11 Stari Vitez.
12 M. Kehoe (interprétation). - Corrigez-moi si j'ai tort, mais
13 donc on mettait cet extincteur dans une espèce de lanceur de catapulte et
14 on y mettait feu et il partait ?
15 M. Djidic (interprétation). - C'est exact.
16 M. Kehoe (interprétation). - Et est-ce que cela partait en l'air
17 comme un missile ou est-ce que cela tournait en tombant ?
18 M. Djidic (interprétation). - Sa trajectoire était irrégulière,
19 c'était très bruyant et effectivement cela n'avait pas une trajectoire
20 linéaire. C'est en général ce qui a été notre secours, cela nous a sauvés
21 parce qu'on entendait manifestement le moment où il y avait la mise à feu.
22 L'engin partait en l'air mais tournait sur lui-même et faisait un bruit
23 tout à fait caractéristique. Vraiment on ne pouvait pas s'y tromper. On
24 savait ce que c'était. On savait exactement dans quelle direction cet
25 engin partait.
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1 Du coup les gens se cachaient, si bien sûr cela se passait
2 pendant la journée. Ceux qui étaient à l'intérieur de leur maison ne
3 pouvaient pas savoir où l'engin allait tomber, et dans chacune des maisons
4 qui ont été touchées par cet engin, tout le monde a trouvé la mort.
5 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous dire à Messieurs les
6 juges ce qu'il en est ? Pourriez-vous donner des exemples de maisons
7 touchées par ces engins de mort, qui en auraient été le résultat ?
8 M. Djidic (interprétation). - Je peux vous donner deux cas tout
9 à fait typiques. Il y avait une maison près du stade et cet engin est
10 tombé sur une vieille demeure. Il y a eu huit civils blessés dont deux
11 femmes de plus de 65 ans, deux soeurs, et elles sont mortes.
12 Autre exemple, cet engin frappe une maison à l'intérieur de
13 laquelle quatre femmes ont été tuées d'un coup. Mais le hasard a voulu que
14 deux petits-enfants survivent, échappent à la mort. Malheureusement, ils
15 en ont subi un handicap mental à vie. Une des quatre femmes tuées était
16 introuvable. Nous n'avons trouvé que des morceaux de ses vêtements. Dans
17 un coin, nous avons trouvé son pied. C'est tout ce que nous avons pu
18 retrouver de son corps. C'était vraiment l'horreur.
19 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, voyons la photo
20 suivante, la photo Z-2/464. Qu'y voit-on Monsieur ?
21 M. Djidic (interprétation). - C'est un mortier, calibre
22 120 millimètres ou peut-être 82, mais je dirais plutôt 120 millimètres.
23 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que c'est ce genre de
24 mortier, du même calibre ou d'un calibre similaire, qu'on utilisait au
25 cours du siège de Stari Vitez ou des attaques menées contre la ville ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Oui, surtout au début.
2 M. Kehoe (interprétation). - Voyons la photo suivante, la Z-
3 2/465. Qu'est-ce qu'on y voit, Monsieur Djidic ?
4 M. Djidic (interprétation). - Ici, c'est un lanceur à fusées
5 multiples. Le calibre est de 128 millimètres. C'est avec ce lanceur qu'on
6 nous pilonnait également.
7 M. Kehoe (interprétation). - Quand a-t-on utilisé ce type
8 d'armement contre vous ?
9 M. Djidic (interprétation). - Surtout au début du conflit.
10 Pendant le siège, nous avons été pilonnés, mais aussi en février, vers la
11 fin de la guerre.
12 M. Kehoe (interprétation). - Voyons la photo suivante, la Z-
13 2/468.
14 M. Djidic (interprétation). - Ce que vous voyez sur cette photo,
15 c'est un fusil particulier et ce qu'il a de particulier, c'est qu'il
16 permet de décocher des petites grenades, des petits obus remplis de
17 nitroglycérine. On utilise ce genre d'arme à l'intérieur de localité. Cela
18 a un effet plus psychologique que militaire, plus psychologique que
19 simplement destructeur. Evidemment, à distance rapprochée, l'effet
20 destructeur est énorme.
21 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce qu'on a utilisé ce genre
22 d'armes à Stari Vitez ?
23 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est une des armes qu'on
24 utilisait. Mais c'est assez ridicule par rapport au gros armement.
25 M. Kehoe (interprétation). - Voyons la photo suivante, la Z-
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1 2/469. Je vous demanderai d'examiner la 469 en même temps que la , peut-
2 être l'une après l'autre, parce qu'on y voit le même type d'armement. Vous
3 voyez ici un soldat et cette personne qui tient de la main gauche un
4 fusil. Mais qu'est-ce que c'est ?
5 M. Djidic (interprétation). - Vous avez un fusil de tireur
6 embusqué, calibre 12,7 millimètres. C'est un calibre élevé un gros
7 calibre. On a utilisé ce genre d'arme contre Stari Vitez. Je peux vous
8 affirmer avec beaucoup de certitude qu'au moins trois civils ont été tués
9 avec ce genre de fusil et que plusieurs ont été blessés.
10 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous donner au Tribunal un
11 exemple de personne qui aurait été tuée avec ce genre d'arme d'un calibre
12 de 12, 7 millimètres ?
13 M. Djidic (interprétation). - Oui. Un des civils qui a été tué
14 était un jeune homme. Il s'appelait Boris. Il était chauffeur pour le HCR.
15 Il a été touché par une balle de ce fusil. La balle a pénétré sa cage
16 thoracique et est sortie de l'autre côté, a frappé la charnière de la
17 portière et s'est arrêtée là.
18 Après l'analyse balistique menée par la FORPRONU, il a été
19 établi que ce tir provenait d'une des positions du HVO et que la balle
20 provenait d'un fusil d'un calibre de 12,7 millimètres. J'ai vu la balle
21 personnellement, et là où Boris a trouvé la mort, de ce même côté, une
22 femme de plus de 65 ans a été tuée dans son propre jardin, alors qu'elle
23 prenait de l'eau à la pompe devant sa maison. Elle a été touchée au coeur.
24 Par la suite, il a été établi que la balle était du même calibre. Un
25 enfant de huit ans a été touché par une balle venant d'un même fusil,
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1 aussi en plein coeur. Mais la balle venait du côté opposé. Beaucoup
2 d'autres civils, des femmes, ont été touchées par des balles tirées de ce
3 fusil. Mais heureusement, elles n'ont pas perdu la vie.
4 M. Kehoe (interprétation). - Je vous remercie. Pourrait-on voir
5 la 470 ? C'est l'arme dont nous avons déjà parlé ?
6 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est la même arme.
7 M. Kehoe (interprétation). - Elle porte une lunette cette arme,
8 n'est-ce pas ?
9 M. Djidic (interprétation). - Oui.
10 M. Kehoe (interprétation). - Et quelle est la raison d'être de
11 cette lunette ?
12 M. Djidic (interprétation). - Pour détruire des hommes. Les
13 fusils de ce type étaient fréquemment utilisés pour chasser l'éléphant ou
14 l'ours.
15 M. Kehoe (interprétation). - Quelle est la portée de cette
16 arme ?
17 M. Djidic (interprétation). - Je ne connais pas exactement la
18 portée de l'arme, mais avec ce fusil, il est possible de toucher n'importe
19 quelle cible avec une grande précision, à une distance de mille mètres, et
20 même plus.
21 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la dernière photo, qui
22 porte le numéro Z2/471. Qu'est-ce qu'on y voit, Monsieur ?
23 M. Djidic (interprétation). - Ici, c'est encore une fois un
24 fusil automatique antiaérien. Je crois qu'il fait aussi un calibre de
25 12,7 millimètres.
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1 M. Kehoe (interprétation). - C'est le même type d'arme que celui
2 que vous décriviez auparavant comme étant utilisé à Stari Vitez ?
3 M. Djidic (interprétation). - C'est une arme similaire.
4 M. Kehoe (interprétation). - Nous allons maintenant demander que
5 soit versée au dossier la pièce n° 82. Ces photos ont été prises par des
6 membres du régiment de Cheshire.
7 M. le Président. - Laissez terminer M. le Procureur, puis je
8 donnerai la parole à M. Hayman. Monsieur le Procureur vous voulez achever
9 d'identifier ces photos avant de céder la parole à la défense pour son
10 objection ?
11 M. Kehoe (interprétation). - Oui, je voulais simplement dire que
12 ces photos ont été prises par des membres du régiment du Cheshire, ainsi
13 que par des membres du régiment du Prince-de-Galles. Ce sont eux qui ont
14 pris les photos et qui nous les ont fournies.
15 M. le Président. - En principe, on les joindrait sous la
16 cotation pièce 82. Maître Hayman, vous avez une objection ? Oui ? Allez-y.
17 M. Hayman (interprétation). - Uniquement pour la photo Z2/463,
18 car le témoin n'a pas été à même de dire si c'était une arme qu'il
19 connaissait et qui avait été utilisée lors des combats pendant le siège de
20 Stari Vitez et des combats qui se sont déroulés dans cette région. Peut-
21 être qu'un témoin l'identifiera plus tard, mais pour l'instant cela n'a
22 pas été fait.
23 M. le Président. - Oui, mais je ne vois pas l'objection à la
24 joindre comme pièce à conviction. Votre observation est prise en compte.
25 Soit vous reposerez la question au témoin au cours de votre contre-
Page 1213
1 interrogatoire, soit votre observation a été prise au transcript. Je ne
2 vois pas d'obstacle à ce que l'ensemble de ces documents soient insérés au
3 dossier sous la cotation pièce 82.
4 Il est 16 heures 05. Nous ajournons jusqu'à 16 heures 25.
5 Suspendue à 16 heures 05, l'audience est reprise à 16 heures 35.
6 M. Kehoe (interprétation). - Puis-je poursuivre, Monsieur
7 le Président ?
8 Monsieur Djidic, vous avez dit que l'attaque au camion piégé
9 avait eu lieu le 18 avril 1993. Quel jour a eu lieu l'attaque contre
10 Gacice ?
11 M. Djidic (interprétation). - Un jour ou deux après la première
12 attaque du camion.
13 M. Kehoe (interprétation). - Pour ce qui est des tireurs isolés,
14 pourriez-vous donner une idée au Tribunal du nombre de civils tués par des
15 tireurs isolés ?
16 M. Djidic (interprétation). - A Stari Vitez, au moins dix civils
17 ont été tués par des tireurs embusqués.
18 M. Kehoe (interprétation). - Et combien de civils sont morts à
19 la suite des tirs de bébés ?
20 M. Djidic (interprétation). -Au moins quinze civils, c'est un
21 nombre minimum.
22 M. Kehoe (interprétation). - Combien de civils ont été blessés ?
23 M. Djidic (interprétation). - A Stari Vitez plus de deux cents
24 civils ont été blessés. Certains ont été blessés plusieurs fois.
25 M. Kehoe (interprétation). - Pendant le siège entre la fin du
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1 mois d'avril et 1994, est-ce que le gouvernement bosniaque ou l'armée de
2 Bosnie-Herzégovine vous a approvisionnés ?
3 M. Djidic (interprétation). - Non. Pour ce qui concerne le
4 gouvernement bosniaque et l'armée de Bosnie-Herzégovine, nous n'avons rien
5 reçu, absolument rien. Tout ce que nous avons reçu, c'est de la
6 nourriture, grâce au truchement des Nations-Unies et du HCR. C'était pour
7 l'essentiel de la farine, du riz et des lentilles.
8 M. Kehoe (interprétation). - Pendant ce temps, est-ce que le HVO
9 recevait des approvisionnements et savez-vous comment ?
10 M. Djidic (interprétation). - Souvent, nous pouvions voir des
11 convois de camions chargés de nourriture. Quand ces convois arrivaient à
12 Stari Vitez, le HVO les empêchait d'entrer dans Stari Vitez, et alors le
13 HCR a suspendu les envois de nourriture au HVO aussi, mais Stari Vitez a
14 été entièrement encerclé pendant une centaine de jours, période pendant
15 laquelle nous n'avons reçu la visite d’absolument personne. Personne ne
16 pouvait ni entrer ni sortir de Stari Vitez. Nous avions été tout
17 simplement abandonnés, sans doute pour voir combien de temps nous pouvions
18 survivre sans nourriture. Dans le même temps, le HVO était ravitaillé par
19 air. Des hélicoptères apportaient des munitions, des armes, de la
20 nourriture, sans doute aussi des troupes.
21 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous vu ces vols, ces
22 hélicoptères arriver ?
23 M. Djidic (interprétation). - Chaque fois que des hélicoptères
24 arrivaient à Vitez, on pouvait les voir ou les entendre. S'il y a du
25 brouillard, on ne les voyait pas, mais on les entendait. Nous avons compté
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1 plus d'une centaine de vols, entrant ou sortant, par hélicoptère.
2 M. Kehoe (interprétation). - Pendant cette période de temps, il
3 était impossible d’entrer ou de sortir de Vitez. Les tireurs isolés ont-
4 ils continué à harceler le quartier ?
5 M. Djidic (interprétation). - Oui, absolument
6 M. Kehoe (interprétation). - Les attaques des tireurs isolés
7 visaient-elles aussi le bétail, en plus des hommes ?
8 M. Djidic (interprétation). - Les tireurs isolés s'attaquaient à
9 tout ce qui bougeait dans Stari Vitez, à tout ce qui vivait dans
10 Stari Vitez, aussi bien les hommes que les animaux. Plusieurs vaches et
11 moutons ont été tués, alors que ces animaux nous donnaient du lait pour
12 les enfants.
13 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez parlé du brouillard.
14 Avait-il une incidence sur Stari Vitez ? Avez-vous essayé de vivre avec
15 les tireurs isolés ?
16 M. Djidic (interprétation). - Oui, Vitez est bien connu pour son
17 brouillard. Il y a souvent du brouillard, même en été. Cela s’explique par
18 le fait que la ville se trouve dans la vallée de la Lasva.
19 Pour survivre, les habitants de Stari Vitez cultivaient leur
20 jardin pendant la nuit et tôt le matin. Parfois, ils ne se rendaient pas
21 compte que le brouillard s'était levé. Ils étaient alors touchés par des
22 tireurs embusqués du HVO.
23 M. Kehoe (interprétation). - Ce couple, qui avait près de
24 soixante dix ans, et dont vous avez déjà parlé, était-il dans son jardin
25 au moment où il a été touché par des tireurs embusqués ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Oui, ils étaient tous les deux
2 dans le jardin. Ils étaient en train de bêcher le jardin pour les pommes
3 de terre et ils ont été tués. Dans le même jardin, au même endroit, dans
4 l’intervalle d’une heure, ils ont tous les deux été tués.
5 M. Kehoe (interprétation). - Je voudrais maintenant appeler
6 votre attention sur la pièce de l'accusation n° 83.
7 M. le Président. - Pensez-vous terminer à 6 heures, ce soir ?
8 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, je le pense.
9 (L'huissier remet la pièce au témoin.)
10 Monsieur Djidic, ces photos font partie de la pièce 83. N’est-ce
11 pas, Monsieur Dubuisson ?
12 M. le Greffier. - Oui.
13 M. Kehoe (interprétation). - La première photo porte le
14 n° PH/236. Vous avez dit qu’en avril 1993 des corps de gens morts à
15 Ahmici, à Kolonija et dans d’autres coins de la région de Vitez, ont été
16 enterrés à Stari Vitez. Est-ce bien ainsi ?
17 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement.
18 M. Kehoe (interprétation). - Que voit-on sur la première photo ?
19 M. Djidic (interprétation). - La première photo montre
20 l'enterrement des personnes tuées à Veceriska, à Ahmici et à Vitez.
21 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous nous montrer sur la
22 photo où l’on enterre ces personnes ?
23 M. Djidic (interprétation). - Dans le voisinage immédiat de la
24 mosquée de Stari Vitez.
25 M. Kehoe (interprétation). - A quoi correspondent les morceaux
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1 de bois qui sortent de terre ?
2 M. Djidic (interprétation). - Chacune de ces planches correspond
3 à un corps, enterré à cet endroit. La planche est placée à la hauteur de
4 la tête du défunt et porte un numéro. Ainsi, on pouvait savoir qui était
5 enterré, en tout cas pour les corps identifiables.
6 Dans le coin du cimetière, on a installé un panneau qui indique
7 les noms des gens dont nous connaissons l'identité et le numéro qui figure
8 sur la planche en bois.
9 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo suivante,
10 PH/242.
11 M. Djidic (interprétation). - Là aussi, on voit les travaux de
12 creusement que l'on a fait pour enfouir les corps. La FORPRONU nous a
13 aidés, en nous prêtant un bulldozer pour creuser le sol.
14 M. Kehoe (interprétation). - La photo suivante, PH/161.
15 M. Djidic (interprétation). - Vous voyez les corps des gens qui
16 ont été tués et la façon dont on les a couchés dans la fosse.
17 M. Kehoe (interprétation). - Photo suivante, PH/141.
18 M. Djidic (interprétation). - C’est toujours le cimetière dont
19 je parlais, mais une fois l'enterrement terminé.
20 M. Kehoe (interprétation). - Ces photos ont été prises en
21 avril 1993. Je voudrais attirer votre attention sur la photo 319. Cette
22 photo montre-t-elle à quoi ressemble le cimetière aujourd'hui ?
23 M. Djidic (interprétation). - Oui, je le pense.
24 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous décrire la façon dont
25 est aménagé ce cimetière, avec certaines tombes sur le côté et d'autres au
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1 milieu ?
2 M. Djidic (interprétation). - La rangée que vous voyez au fond
3 correspond à la fosse dans laquelle ont été enterrés les gens d'Ahmici.
4 Une autre rangée, que l'on ne peut pas voir, se trouve au milieu, ici à
5 droite ; y sont enterrés les gens qui ont été tués pendant le siège qui a
6 duré onze mois. A cet autre endroit, on voit surtout des tombes de
7 militaires et de gens victimes d’obus ou de tirs de tireurs embusqués.
8 Les civils, morts de causes naturelles, étaient enfouis dans le
9 cimetière qui se trouve à côté de la mosquée, donc dans l'enceinte de la
10 mosquée.
11 M. Kehoe (interprétation). - Passons aux deux photos suivantes,
12 267 et 266. Vous avez parlé d’un tableau qui reprenait les noms et qui
13 permet d'identifier les personnes enterrées. C'est de cela que vous
14 parlez ?
15 M. Djidic (interprétation). - Oui, ici vous voyez les numéros
16 qui apparaissent sur les planches en bois fichées dans le sol, et à côté
17 du numéro le nom de la personne enterrée. Lorsque le défunt enterré n'a
18 pas été identifié, on s'est contenté d’indiquer NN ; ce peut être un homme
19 ou une femme.
20 M. Kehoe (interprétation). - Voulez-vous placer la photo 266 sur
21 le rétroprojecteur ? Plusieurs corps n'ont pas été identifiés. Ils
22 apparaissent ici, n’est-ce pas ?
23 M. Djidic (interprétation). - Oui, effectivement. Il y en a
24 beaucoup.
25 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo suivante,
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1 PH/268. Nous pouvons également examiner les photos : 269, 270, 271 et 280,
2 dans cet ordre.
3 M. Djidic (interprétation). - Nous voyons les planches fichées
4 dans le sol, avec les numéros correspondant aux noms qui apparaissent sur
5 le tableau.
6 M. Kehoe (interprétation). - 269.
7 M. Djidic (interprétation). - C'est la même chose. Photo
8 suivante : sur cette photo, on voit aussi les planches de bois fichées
9 dans le sol avec les numéros.
10 Photo 271 : même chose, encore des planchettes fichées dans le
11 sol avec des numéros. Et cette photo-ci montre aussi ces planches avec des
12 numéros marqués dessus.
13 M. Kehoe (interprétation). - J'en arrive à la photo 272. Voulez-
14 vous la placer sur le rétroprojecteur, Monsieur ?
15 Ici, il y a une planchette qui dit "Topcic Salem" numéro 48".
16 Vous connaissiez cet homme ?
17 M. Djidic (interprétation). - Oui, je le connaissais. C'est
18 quelqu'un qui a été tué à Vitez dans le quartier de Kolonija. Il était
19 membre de la police civile.
20 M. Kehoe (interprétation). - Savez-vous comment il a été tué ?
21 M. Djidic (interprétation). - Je crois qu'il a été tué devant
22 son appartement.
23 M. Kehoe (interprétation). - Et qu'en est-il des tombes 49 et
24 50 ?
25 M. Djidic (interprétation). - Le numéro 50, c'est la tombe de
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1 Ejub Sadibasic. C'était un homme âgé. Il a été tué le premier jour de
2 l'attaque, près de l'église, et quand on a identifié les corps, on a pu
3 constater qu'il avait eu la gorge tranchée, sans doute avec une couteau.
4 M. Kehoe (interprétation). - Savez-vous quel âge il avait ?
5 M. Djidic (interprétation). - Il devait avoir plus de soixante-
6 dix ans, peut-être même quatre-vingts.
7 M. Kehoe (interprétation). - Et la tombe 49 ?
8 M. Djidic (interprétation). - C'est peut-être aussi un homme qui
9 a été tué près de l'église. Je pense que c'était un homme plus jeune. Il y
10 a un autre Sadibasic, un homme plus âgé aussi. C'était son père. Ils ont
11 été tués en même temps, le premier jour de l'attaque, près de l'église.
12 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo PH/274. Vous
13 avez parlé de quelqu'un qui était revenu à Vitez après la réunion du 14 et
14 du 15 parce qu'il pensait que les choses entre le HVO et les Musulmans
15 allaient plutôt bien, n'est-ce pas ?
16 M. Djidic (interprétation). - Oui. Oui, effectivement. Vous
17 voyez ici la tombe numéro 66 où gît Saban Mahmutovic. Il était chef de la
18 police et il a cru ce que son collègue Samija lui a raconté. Il est allé à
19 Kolonija avec sa famille et le jour d'après ou le surlendemain, il a été
20 tué. Il a été tué dans la rue, comme un chien.
21 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo suivante,
22 PH/275, qui se trouve à la page suivante. Vous connaissez les personnes
23 enterrées dans les tombes 71 et 72 ?
24 M. Djidic (interprétation). - Salih Omerdic, la tombe 71, c'est
25 quelqu'un que je connaissais. C'était un civil et il a été tué à Kolonija.
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1 A côté de lui, cette tombe avec un planchette jaune est la tombe de
2 Mira Zlotrg. C'était une Serbe mariée à un Musulman. Elle travaillait
3 comme trésorier dans mes services et si vous vous souvenez, j'ai déjà
4 parlé du fait qu'on les avait tués, elle et son mari, dans leur
5 appartement en présence de leurs trois enfants.
6 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo PH/276, page
7 suivante.
8 M. Djidic (interprétation). - Ici, vous voyez une tombe avec une
9 planche blanche. Ce n'est pas vraiment un plaque funéraire, c'est
10 simplement une façon de marquer la tombe. C'est là que Nedim Zlotrg a été
11 enterré. C'est le mari de Mira Zlotrg dont je parlais à l'instant. Je lui
12 ai parlé au téléphone quand il a demandé une ambulance, le premier jour de
13 l'attaque.
14 Ici à gauche, on peut voir la tombe d'un juriste qui avait
15 quarante-quatre ans et qui s'appelait Varupa. Lui aussi a été tué dans son
16 appartement.
17 M. Kehoe (interprétation). - C'était un civil ?
18 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'était un civil.
19 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo PH/277.
20 M. Djidic (interprétation). - Ici, vous pouvez voir la tombe
21 d'un vieil homme qui a été tué à Donja Veceriska. Je pense qu'il avait
22 plus de soixante-dix ans.
23 M. Kehoe (interprétation). - Un civil ?
24 M. Djidic (interprétation). - Oui, un civil.
25 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo 279.
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1 M. Djidic (interprétation). - Le nom que vous voyez ici sous le
2 numéro 88 est celui de Haskic Zerafeta. C'est la femme de l'homme dont je
3 viens de parler. Elle avait aussi plus de soixante-dix ans et a aussi été
4 tuée à Donja Veceriska.
5 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo suivante,
6 PH 293. La tombe à droite.
7 M. Djidic (interprétation). - Cette tombe-ci est celle d'un
8 civil tué dans sa maison quand le camion piégé a explosé. Sa maison était
9 la maison la plus proche de l'endroit où le camion a explosé.
10 M. Kehoe (interprétation). - Photo suivante, PH/315.
11 M. Djidic (interprétation). - Ce que vous voyez ici, c'est
12 l'endroit où ont été enterrés les restes de l'homme qui conduisait le
13 camion-citerne piégé.
14 M. Kehoe (interprétation). - Et en discutant avec des gens dans
15 la région, vous en avez conclu que celui qui conduisait le camion piégé
16 était un Musulman ?
17 M. Djidic (interprétation). - Nous l'avons appris plus tard de
18 la bouche de gens qui ont été remis en liberté à l'occasion d'un échange.
19 C'était quelqu'un qui avait fui Mrkonjic Grad, qui avait été arrêté et
20 emprisonné dans l'école, à la gare ferroviaire.
21 M. Kehoe (interprétation). - Et qui est-ce qui lui a demandé de
22 conduire ce camion jusqu'à Stari Vitez ?
23 M. Djidic (interprétation). - Ce sont des soldats du HVO qui
24 l'ont forcé à le faire. J'ai reçu une information selon laquelle ces
25 soldats ont demandé : "Y a-t-il ici un volontaire qui sait conduire un
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1 camion-citerne ? Si cet homme accepte de faire pénétrer ce camion dans
2 Stari Vitez, il sera remis en liberté". Cet homme s'est fait connaître et
3 il a fini en morceaux dans l'air.
4 M. Kehoe (interprétation). - La photo suivante, PH/314.
5 M. Djidic (interprétation). - Ce que vous voyez ici, c'est la
6 tombe d'un jeune garçon qui est mort à cause d'un obus.
7 M. Kehoe (interprétation). - Et celui qui se trouve à côté ?
8 M. Djidic (interprétation). - C'est la tombe d'une femme ici qui
9 est morte, comme je vous l'ai dit, en étant la cible d'un de ces engins
10 explosifs dont j'ai parlé tout à l'heure. Je crois qu'elle aussi avait
11 plus de soixante-dix ans.
12 M. Kehoe (interprétation). - Elle aussi était civile ?
13 M. Djidic (interprétation). - -Oui.
14 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photographie PH/300.
15 La tombe qui se trouve à gauche de la photographie.
16 M. Djidic (interprétation). - La personne enterrée ici était un
17 civil qui est tombé sous un obus en même temps que le jeune garçon dont
18 j'ai parlé tout à l'heure et un troisième homme. Cet obus venait de
19 Krcevine et a touché une maison dans laquelle étaient installés des
20 civils. Ces civils étaient sortis quelques instants de la cave et se
21 trouvaient devant la maison pour essayer de respirer un peu d'air.
22 M. Kehoe (interprétation). - Sur la photo suivante, PH/291, la
23 tombe qui se trouve à droite de la photographie ?
24 M. Djidic (interprétation). - Cette tombe est celle du troisième
25 homme qui est tombé sous cet obus. C'était un membre de l'armée. Sa maison
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1 se trouvait juste à côté de la maison dont j'ai parlé. Quand il est mort
2 il ne portait pas l'uniforme.
3 M. Kehoe (interprétation). - Combien de civils ont été tués par
4 cette explosion ?
5 M. Djidic (interprétation). - Trois civils ont été tués dans
6 cette seule explosion, et six autres civils ont été blessés.
7 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photographie
8 suivante : PH/289.
9 M. Djidic (interprétation). - Ce que vous voyez ici est la tombe
10 d'un civil, un ingénieur. Nous l'appelions "Dedo". Il a été atteint par la
11 balle d'un tireur embusqué, il n'a pas pu être évacué et il est mort avant
12 le matin de ses blessures.
13 M. Kehoe (interprétation). - Cette photographie porte le
14 n° PH/309. Pourquoi n'a-t-il pas pu être évacué ?
15 M. Djidic (interprétation). - Le HVO n'a pas donné
16 l'autorisation.
17 M. Kehoe (interprétation). - Passons maintenant à la
18 photographie PH/289 : Abdic Mirsad.
19 M. Djidic (interprétation). - Il s'agit d'un membre de l'armée
20 qui a été atteint par la balle d'un tireur embusqué. Pour lui non plus le
21 HVO n'a pas accordé l'autorisation d'évacuer. Il est mort deux jours après
22 avoir été blessé.
23 M. Kehoe (interprétation). - La photo suivante, PH/299 ?
24 M. Djidic (interprétation). - C'est un petit garçon de 8 ans
25 seulement qui est enterré ici. Il a été atteint dans la rue par la balle
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1 d'un tireur embusqué qui utilisait une arme de gros calibre.
2 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que c'est le petit garçon
3 dont vous avez déjà parlé tout à l'heure qui a été frappé par une arme de
4 12,7 millimètres ?
5 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est ce petit garçon. Je ne
6 sais pas si le calibre était exactement de 12,7 millimètres ou peut-être
7 un peu inférieur, mais en tout cas il avait une blessure vraiment énorme,
8 il a été atteint directement au coeur.
9 M. Kehoe (interprétation). - Quelle était la taille de l'impact
10 d'entrée et, ce qui est encore plus important, quelle est la taille de
11 l'impact de sortie dans le dos ?
12 M. Djidic (interprétation). - Le diamètre était d'un centimètre
13 à l'endroit où la balle a pénétré et de dix centimètres là où elle est
14 sortie.
15 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que vous avez tiré des
16 conclusions sur la base du calibre, en observant la dimension de cet
17 impact de sortie ? Avez-vous essayé de tirer des conclusions ?
18 M. Djidic (interprétation). - Il a été possible de conclure que
19 le calibre était soit relativement important, soit que c'était une balle à
20 fragmentation, balle interdite en vertu des conventions de Genève.
21 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photographie suivante,
22 PH/283.
23 M. Djidic (interprétation). - Ce que vous voyez ici, ce sont
24 deux tombes, les tombes d'une mère et de sa fille qui sont mortes dans
25 leur maison, tuées par un engin explosif, et avec elles, deux autres
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1 femmes sont mortes également. J'ai déjà parlé de quatre femmes qui ont été
2 tuées dans la même maison ; ici, vous avez la mère et la soeur, et ici
3 nous avons les restes du corps d'une autre femme pour laquelle nous
4 n'avons trouvé que quelques rares vêtements et un pied.
5 M. Kehoe (interprétation). - C'était des civils ?
6 M. Djidic (interprétation). - Oui, des civils.
7 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la photo suivante,
8 PH/302.
9 M. Djidic (interprétation). - Ici, vous avez la tombe de la
10 troisième femme qui a été tuée dans cette maison. Elle s'appelle
11 Katica Patkovic, Croate de nationalité, et mariée à un musulman.
12 M. Kehoe (interprétation). - La dernière photographie
13 maintenant, PH/288.
14 M. Djidic (interprétation). - Ici, est enterrée la quatrième
15 femme qui a été tuée par cet engin explosif. C'est également une civile.
16 Ces quatre femmes étaient toutes civiles.
17 M. Kehoe (interprétation). - Elles étaient civiles toutes les
18 quatre ?
19 M. Djidic (interprétation). - Oui, toutes les quatre étaient des
20 civiles.
21 M. Kehoe (interprétation). - Tuées au cours de la même
22 explosion ?
23 M. Djidic (interprétation). - Par le même engin explosif qui a
24 explosé à l'intérieur de la pièce. L'engin est passé par la fenêtre et
25 entré dans la pièce.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Dans une pièce de la maison, c'est
2 cela ?
3 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est cela.
4 M. Kehoe (interprétation). - Et quand cela s'est-il passé, vous
5 vous le rappelez ?
6 M. Djidic (interprétation). - Je crois que cela s'est passé en
7 décembre ou en janvier 1994, je ne suis pas tout a fait sûr.
8 M. Kehoe (interprétation). - Donc, environ en janvier 1994 ?
9 M. Djidic (interprétation). - C'est possible.
10 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, je voudrais
11 demander que soit versée au dossier la pièce à conviction de l'accusation
12 numéro 83, dont nous venons de discuter.
13 M. le Président. - Entendu, poursuivez, Monsieur le Procureur.
14 M. Kehoe (interprétation). - Pendant toute la durée du siège,
15 vous avez déclaré dans votre déposition que Stari Vitez a continué à subir
16 des attaques réalisées à l'aide de ces "bébés" et que de temps en temps il
17 y avait également des coups de feu tirés par des tireurs embusqués et des
18 attaques d'artillerie, est-ce exact ?
19 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est exact.
20 M. Kehoe (interprétation). - J'aimerais que nous revenions au
21 début du mois de septembre 1993 : avez-vous été en mesure d'observer
22 l'attaque menée par le HVO contre le village de Grbavica ?
23 M. Djidic (interprétation). - Oui, je l'ai vue.
24 M. Kehoe (interprétation). - Et où se trouve Grbavica,
25 Monsieur ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Grbavica est au nord de
2 Stari Vitez, à une distance d'un kilomètre et demi environ. C'est un
3 village que l'on voit très bien depuis Stari Vitez, et j'ai suivi
4 l'attaque contre Grbavica. J'ai très bien vu tout ce qui s'est passé.
5 M. Kehoe (interprétation). - Je vous demanderai de regarder la
6 pièce à conviction de l'accusation numéro 56. Peut-on dire que Grbavica se
7 trouve dans la partie inférieure de la photographie ?
8 M. Djidic (interprétation). - Sur cette photographie, on ne voit
9 pas Grbavica.
10 M. Kehoe (interprétation). - Non, mais ce que je disais c'est
11 que Grbavica se trouverait à l'extérieur de la photographie, mais dans la
12 partie inférieure.
13 M. Djidic (interprétation). - Oui, c'est cela.
14 M. Kehoe (interprétation). - Lorsque vous avez observé cette
15 attaque contre Grbavica en septembre 1993, qu'avez-vous vu ?
16 M. Djidic (interprétation). - L'attaque a duré deux jours. Le
17 premier jour, des attaques d'artillerie et des engins explosifs, des BB,
18 ont été lancés. Nous les avons vus voler.
19 Le deuxième jour, j'ai vu les maisons commençaient à flamber. Au
20 début j'ai pensé que ces maisons avaient pris feu parce qu'elles avaient
21 été touchées par des munitions, mais je me suis trompé. Plus tard, j'ai
22 regardé plus attentivement. J'ai vu des soldats, parmi lesquels se
23 trouvaient également des civils, piller les maisons de Grbavica.
24 Il est probable que l'armée s'était déjà retirée à ce moment-là
25 de Grbavica. Une fois différents objets emportés, le feu était mis aux
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1 maisons. A un moment, on a vu flamber plus de cent maisons à la fois.
2 Toutes les maisons incendiées, étaient des maisons appartenant à des
3 Musulmans. Quelques maisons appartenant à des Musulmans seulement, n’ont
4 pas été mises à feu. Il n'en est donc restées que quelques-unes dans un
5 village qui comptait plus de deux cents maisons au départ.
6 Ce jour-là, la mosquée de Grbavica a également flambé. Le
7 minaret est resté debout jusqu'à la de fin de la guerre, il n'a pas été
8 détruit à ce moment-là. Cependant il l’a été détruit en 1994 alors que le
9 cessez-le-feu avait déjà été signé. On a pu le constater à l'époque et on
10 peut le constater encore aujourd'hui.
11 M. Kehoe (interprétation). - Le fait de mettre le feu aux
12 maisons de Grbavica correspondait-il à un plan général de mise à feu des
13 maisons des Musulmans dans l'ensemble de la vallée de la Lasva ?
14 M. Djidic (interprétation). - C'est à peu près à ça que cela
15 fait penser. D'abord on pille la maison, et ensuite on y met le feu.
16 M. Kehoe (interprétation). - Poursuivons, Monsieur. Après
17 septembre 1993 et jusqu'à la fin de 1994, le siège a-t-il cessé et les
18 Musulmans ont-ils eu toute liberté pour sortir et rentrer de Stari Vitez
19 au cours de l'hiver 1993 ?
20 M. Djidic (interprétation). - Non. Les Musulmans de Vitez ont
21 été autorisés à sortir et ce sans aucun problème jusqu'à la fin du mois de
22 juillet. Je parle de ceux qui étaient immigrés à Stari Vitez. Pour eux, le
23 HVO ne posait pas de condition. Il ne créait pas de problème.
24 Mais il posait des problèmes pour l’évacuation des blessés. La
25 Croix-Rouge internationale, comme c'était son devoir et son obligation,
Page 1230
1 garantissait, qu’après avoir dispensé les premiers soins et avoir traité
2 les personnes évacuées, de réunir les familles momentanément séparées. Le
3 HVO, lui, ne donnait pas l'autorisation pour que ces personnes, évacuées
4 de Stari Vitez, puissent revenir. Seules quelques rares personnes, après
5 avoir été évacuées de Stari Vitez, ont pu revenir à Stari Vitez pour se
6 réunir à nouveau avec leur famille.
7 M. Kehoe (interprétation). - Comment le siège a-t-il pris fin,
8 Monsieur Djidic ?
9 M. Djidic (interprétation). - Le siège a pris fin le
10 25 février 1994 par la signature de l'accord de paix de Dayton, mais dix
11 jours avant deux attaques particulièrement intenses ont eu lieu contre
12 Stari Vitez.
13 Il s’agit d'attaques au cours desquelles sont intervenues et
14 l'artillerie, et l'infanterie, et dans lesquelles les effets sonores ont
15 eu une très grande importance. On a diffusé des chants bien et des cris
16 humains. On a appelé les habitants de Stari Vitez à se rendre. On a donné
17 lecture d'une ou deux phrases bien senties. Ensuite, les attaques de
18 l’artillerie ont commencé. Tout cela s'est poursuivi pendant plusieurs
19 jours.
20 Entre le 21 et le 25 février, nous avons subi les combats les
21 plus violents à Stari Vitez. Combats -marqués par des attaques qui étaient
22 réalisées par vagues- dans lesquels l'ensemble des armes lourdes ont été
23 utilisées, l'ensemble des armes lourdes que possédaient le HVO, l'objectif
24 étant de prendre Stari Vitez.
25 Ce combat a eu lieu pendant trois jours. La dernière attaque a
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1 eu lieu le 25, à 4 heures 15 du matin. Vers 8 heures, les attaques de
2 l'infanterie ont cessé. A midi, le cessez-le-feu, ce qu’on a appelé la
3 trêve, est. Il n'y a pas eu d'autres attaques sur Stari Vitez.
4 Il est intéressant de constater que l’armée de la Bosnie-
5 Herzégovine, au cours de ces trois derniers jours d’attaques sur
6 Stari Vitez, a reçu l'ordre de ne mener aucune offensive. Effectivement,
7 il n'y a pas eu d'offensive et cela où que ce soit. Personne ne nous a
8 aidé d'ailleurs, à part le soutien de l’artillerie que nous possédions.
9 Il me semble que, pendant ces trois jours, nous avons été livrés
10 à la compassion ou au manque de compassion de ceux que nous avions en face
11 de nous, et que Stari Vitez avait été abandonné au HVO. Grâce à Dieu et
12 grâce aux gens qui ont défendu Stari Vitez, le HVO n'est pas entré dans
13 Stari Vitez.
14 Ensuite, l'accord a été signé et l'interruption de la guerre est
15 intervenu. Dieu merci, depuis ce jour on ne tire plus dans Vitez. Une
16 réunion a eu lieu à la base de la FORPRONU, au cours de laquelle nous
17 avons signé les cartes géographiques qui indiquaient les lignes de
18 démarcation entre le HVO et l'armée.
19 Tous les officiers de haut rang ont participé à ces réunions,
20 notamment M. Blaskic. C’est à ce moment-là que je l’ai revu, après une
21 longue période. Je dois dire la vérité, au moment de cette signature, au
22 moment de cette rencontre, nous nous sommes tendus et serrés la main.
23 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, depuis la fin des
24 hostilités les Musulmans ont-ils réintégré leur domicile sur tout le
25 territoire la vallée de la Lasva ?
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1 M. Djidic (interprétation). - Non, Monsieur. Non, Messieurs les
2 Juges. Au jour d'aujourd'hui, à cet instant, pas un seul Musulman n’est
3 encore rentré dans Vitez.
4 L'annexe 7, notamment de l'accord de Dayton, n'est absolument
5 pas respecté à Vitez. Des efforts ponctuels sont déployés pour faire
6 quelque chose. Des gens font encore obstruction à l'application de
7 l'accord de Dayton, même si en vertu de cet accord la Fédération a été
8 proclamée : Fédération dans laquelle vivent les Croates et les Musulmans,
9 qui forment la majorité, et y compris des Serbes.
10 A l'heure actuelle, à Vitez personne n'est encore retourné à son
11 domicile. Dans d'autres villages, certains sont rentrés. Un très grand
12 nombre de Croates sont retournés à Zenica, à Travnik, à Bugojno. Quelques
13 Musulmans sont revenus à Jajce, à Zepce, à Stolac et à Busovaca. Mais à
14 Vitez, personne.
15 En conclusion de ma déposition, je vous prie de bien vouloir
16 faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que le crime ne se reproduise
17 pas, où que ce soit. Je vous prie d’apporter l'aide que vous pourrez, si
18 cela vous est possible, de quelque façon que ce soit, pour que je puisse
19 vivre à nouveau à Vitez, aux côtés de mes voisins croates et serbes,
20 voisins qui bien entendu sont en vie aujourd'hui.
21 Des Musulmans sont aussi en vie. Je souhaiterais que nous
22 puissions à nouveau vivre ensemble, dans un même Etat, parce qu'à part la
23 Bosnie nous n'avons pas d'autre Etat. Ne permettez pas, si vous en avez le
24 mandat, que les mêmes crimes se renouvellent, en quelque endroit de ce
25 territoire. Je vous remercie de votre attention
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1 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Djidic, pouvons-nous
2 revenir un petit peu en arrière ? Vous connaissez la région, vous
3 connaissez l’hôtel Vitez, vous connaissez toute la région de Vitez, est-ce
4 exact ?
5 M. Djidic (interprétation). - Oui.
6 M. Kehoe (interprétation). - Le matin du 16 avril 1993, depuis
7 l’hôtel Vitez avez-vous pu voir de la fumée sortant d’Ahmici ? Avez-vous
8 entendu des coups de feu ?
9 M. Djidic (interprétation). - Si j'avais été à l'hôtel ?
10 M. Kehoe (interprétation). - En effet !
11 M. Djidic (interprétation). - Je l'aurais vu. On pouvait voir
12 cela depuis Stari Vitez, également.
13 M. Kehoe (interprétation). - Si vous aviez été à l’hôtel Vitez,
14 auriez-vous pu voir l’attaque qui se déroulait à Kolonija ? Auriez-vous pu
15 entendre les bruits produits par cette attaque ?
16 M. Djidic (interprétation). - Oui.
17 M. Kehoe (interprétation). - A Kruscica ?
18 M. Djidic (interprétation). - Je ne puis pas sûr.
19 M. Kehoe (interprétation). - A Rijeka
20 M. Djidic (interprétation). - Oui
21 M. Kehoe (interprétation). - A Stari Vitez ?
22 M. Djidic (interprétation). - Oui.
23 M. Kehoe (interprétation). - A Donja Veceriska ?
24 M. Djidic (interprétation). - Oui, on aurait pu voir et
25 entendre.
Page 1234
1 M. Kehoe (interprétation). - Quelques jours plus tard, à
2 Gacice ?
3 M. Djidic (interprétation). - Oui.
4 M. Kehoe (interprétation). - Donc si vous vous trouviez à
5 l'intérieur de l'hôtel Vitez, vous pouviez voir pratiquement toutes les
6 activités qui ont marqué les attaques contre ces villages. Vous pouviez
7 voir les tirs d’obus et entendre le bruit produit par ces obus, n’est-ce
8 pas ?
9 M. Djidic (interprétation). - On aurait pu entendre les
10 explosions. De certaines chambres de l'hôtel, il était possible de voir,
11 je dis bien voir. Mais, il était impossible à quelqu'un qui se trouvait
12 dans la cave de l'hôtel de voir et d'entendre ; c'est le seul cas où cela
13 était impossible.
14 M. Kehoe (interprétation). - Pendant toute la durée du siège de
15 Vitez, pendant toutes ces attaques et ces offensives, y compris l'attaque
16 menée contre Stari Vitez à partir d'avril 1993 jusqu’en février 1994, qui
17 commandait le HVO dans cette région ? Je parle de la zone opérationnelle
18 de la Bosnie centrale.
19 M. Hayman (interprétation). - Objection, cette question ayant
20 déjà reçu réponse.
21 M. le Président. - L’objection est accordée, Monsieur Kehoe. A
22 plusieurs reprises, vous avez posé des questions qui ont déjà été posées
23 au témoin.
24 M. Kehoe (interprétation). - Permettez-moi un petit instant,
25 Monsieur le Président. Je n'ai plus de question à poser à M. Djidic.
Page 1235
1 M. le Président. - D’accord, merci. Monsieur Djidic,
2 l’interrogatoire est donc à présent terminé. Il est 17 heures 30.
3 Nous reprendrons demain matin à 10 heures 30. Je rappelle les
4 horaires : demain matin 10 heures 30 à 13 heures, puis 14 heures 30 à
5 16 heures pour le contre-interrogatoire.
6 Vous pensez terminer demain, Maître Hayman ou Maître Nobilo ?
7 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs
8 les Juges, nous ferons de notre mieux pour terminer le contre-
9 interrogatoire demain. Mais, vous le savez, nous ne pouvons pas procéder
10 au contre-interrogatoire tous les deux. Il faudra bien certains moments de
11 consultation entre nous. Lorsqu’on ne connaît pas le témoin qui vient à la
12 barre, c’est plus compliqué, mais nous ferons de notre mieux pour terminer
13 demain.
14 M. le Président. - Je vous en remercie, Maître Nobilo.
15 L'audience est levée à 10 heures 30.
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