Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Vendredi 28 novembre 1997

4 L'audience est ouverte à 9 heures 35.

5 M. le Président - Veuillez-vous vous asseoir. Monsieur le

6 Greffier, veuillez faire entrer l'accusé.

7 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

8 M. le Président. - Bonjour aux interprètes. Tout le monde

9 m’entend ?

10 L’Interprète. - Bonjour, Monsieur le Président. Oui, Monsieur le

11 Président, nous vous entendons.

12 M. le Président. - M'entendez-vous, Monsieur Blaskic ?

13 M. Blaskic (interprétation). - Oui.

14 M. le Président. - Très bien. Nous sommes réunis pour une

15 première partie de notre matinée de travail. Cette première partie sera

16 consacrée à une audience publique concernant la discussion de deux

17 requêtes qui ont été déposées.

18 Une première requête, déposée le 17 septembre par la défense,

19 est une requête en français aux fins de réexamen des décisions qui avaient

20 été prises par la Chambre et qui avaient abouti à déclarer irrecevables

21 des éléments de preuve documentaires authentiques à décharge.

22 Tout un échange d'écritures a eu lieu sur cette requête. Les

23 dernières écritures en date étant la réponse du Procureur du 5 novembre.

24 Ensuite, nous passerons à la deuxième requête qui a été déposée

25 le 30 septembre, toujours par la défense, qui posait le problème de la

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1 recevabilité des témoignages par ouï-dire.

2 Cela a également donné lieu à un échange d'écritures ; la

3 dernière écriture étant toute récente.

4 A ce propos d'ailleurs, Monsieur le Greffier, ma traduction

5 n'est pas datée ; je me permet de vous le signaler. C'est peut-être une

6 erreur, en tout cas, c'est une écriture qui me paraît récente.

7 En revanche, nous ne traiterons pas ce matin d'une troisième

8 requête qui a été déposée tout récemment ; requête du Procureur qui a pour

9 objectif de clarifier une ordonnance dans laquelle nous ordonnions à

10 l'accusation de communiquer les noms des témoins préalablement aux

11 audiences. Il y a, semble-t-il, une question de terminologie, une question

12 peut-être plus importante de sens. Je ne sais pas s'il s'agit d'une

13 question de traduction ou de signification. Nous ne traiterons pas cette

14 troisième requête, comme nous l'avons dit récemment, pour la raison très

15 simple que nous n'avons pas d'écriture en réponse de la part de la

16 défense. Je pense que cela ne saurait tarder. Peut-être pourrons-nous y

17 consacrer un moment lorsque nous reprendrons nos travaux en décembre.

18 Sans plus tarder, s'il n'y pas d'observation préliminaire, nous

19 pourrions nous tourner vers Maître Hayman pour lui demander de nous

20 indiquer brièvement, en éclairant sa requête du 17 septembre et sa

21 réplique, ce qu'il demande à la Chambre. Ensuite, nous entendrons M. le

22 Procureur. Maître Hayman, vous avez la parole.

23 M. Hayman (interprétation). - Je vous en remercie, Monsieur le

24 Président. Messieurs les Juges, conseils de l'accusation.

25 Avez-vous dit, Monsieur le Président, que vous vouliez commencer

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1 par la requête relative à l'ouï-dire ou par la question de

2 l'authentification ?

3 M. le Président. - J'ai simplement pris comme méthode la

4 chronologie. Il m'a semblé que la première requête datait du 17 septembre.

5 C'est une manière comme une autre de trancher, mais si vous préférez

6 commencer par l'ouï-dire, cela m'est égal. Je pense que nous

7 pourrions commencer par le réexamen de la décision visant à

8 déclarer irrecevable, sauf observation contraire de la part des parties.

9 M. Hayman (interprétation). - Si je pouvais commencer par l'ouï-

10 dire, ce serait plus d'un ordre logique à mon avis, si vous me le

11 permettez.

12 M. le Président. - Si vous introduisez un argument de logique,

13 Maître Hayman, je me tourne vers mes collègues pour leur demander s'ils ne

14 voient pas d'inconvénient à ce que l'on commence par l'ouï-dire.

15 M. Riad (interprétation). - Non.

16 M. le Président. - Bien, place à la logique donc. Il n'y a pas

17 d'opposition de la part du Procureur.

18 Maître Hayman, vous avez choisi de faire des requêtes. Vous avez

19 pratiquement le choix des armes, allez-y. Vous commencez donc par l'ouï-

20 dire.

21 M. Hayman (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le

22 Président. J'aimerais poser trois questions et essayer par la suite d'y

23 répondre de façon précise s'agissant de cette requête.

24 La première question qu'il semble utile de poser pour la défense

25 est de savoir s'il y a une limite quant à l'utilisation et aux méthodes de

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1 présentation d'éléments de preuve par ouï-dire devant ce Tribunal ?

2 Deuxième question : quelles sont les sources d'autorité

3 utilisées par le Tribunal pour répondre à cette question ?

4 Troisième question : quel article ou quels articles la défense

5 présenterait-elle à la Chambre en vue d'une adoption de ces articles pour

6 ce qui est de la question de l'ouï-dire en matière d'éléments de preuve ?

7 S'agissant de la première question, y a-t-il une limite que l'on

8 puisse poser à la méthode et à l'utilisation de l'ouï-dire devant ce

9 Tribunal. La position du Procureur peut être

10 résumée de la façon suivante : toutes les questions relatives à

11 l'ouï-dire portent en fait sur le poids, et non pas sur la question de la

12 recevabilité et la forme des prestation. C'est-à-dire que l'ouï-dire

13 devait être présenté, s'il y a un élément de preuve par ouï-dire, comme

14 les autres. Et il incombera au juge de trier et d'accorder le poids qu’il

15 revient à l'élément de preuve.

16 La défense ne met pas en doute les compétences extraordinaires

17 qu'ont les juges à accorder le poids qu'il faut à tel ou tel élément, mais

18 il y a à notre avis certaines limites quant au mode de présentation de

19 l’ouï-dire, car personne, y compris vous, éminents Juges, ne peut accorder

20 le poids qu'il faut à un élément de preuve sans d'abord identifier

21 l’information relative à l'élément de preuve et les circonstances qui ont

22 donné lieu à cet élément de preuve.

23 Nous estimons également qu'il faut qu'il y ait une limite quant

24 à l'utilisation au fond de l'ouï-dire. En effet, et entre autre, il y a

25 des éléments dans l'article 21-4(E) du Statut qui assurent à l'accusé le

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1 droit au contre-interrogatoire de tous les témoins à charge. Aucune

2 chambre de première instance, avec tout le respect que je dois à la

3 Chambre n° 2, qui a émis des décisions relatives à l'ouï-dire n'a vraiment

4 énoncé de façon claire les limites qu’il faut poser à l’utilisation et aux

5 méthodes de présentation de l’ouï-dire devant ce Tribunal.

6 La Chambre n° 2 a effectivement dit qu'une Chambre devrait

7 examiner un élément de preuve par ouï-dire pour évaluer la teneur du

8 document d’élément de preuve et les circonstances dans lesquelles cet

9 élément a été établi, pour déterminer s'il y a suffisamment de fiabilité

10 et de crédibilité pour qu'il y ait la valeur probante dont il faut avoir

11 la présence pour dire, en respect de l'article 89(C), que la Chambre peut

12 admettre des éléments de preuve qui ont une valeur probante. S'il n'y a

13 pas de valeur probante, autant exclure l'élément puisque nous perdons

14 notre temps à l'examen et à l'appréciation d'éléments qui n'ont pas de

15 valeur probante.

16 Nous ne suggérons pas non plus qu'il faille adopter une démarche

17 plus civiliste ou davantage de Common Law s’agissant de l’ouï-dire. Les

18 pratiques exercées devant le Tribunal doivent être examinées pour établir

19 quels sont les éléments qui devraient régir l’utilisation de

20 l’ouï-dire devant ce Tribunal.

21 Question n° 2 : quelles sont les sources dont devrait s'inspirer

22 le Tribunal pour se guider ? Il y a déjà des éléments de droit interne et

23 international. Nous connaissons bien les éléments relatifs à la

24 Common Law, mais je ne m'attarderai pas sur ce point. Je me contenterai de

25 noter que dans mon système américain toutes les règles de ouï-dire

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1 s'appliquent aussi bien lorsqu'il y a des travaux devant des juges

2 professionnels que devant un jury. On ne fait pas de distinction quant aux

3 règles de ouï-dire selon le fait que nous avons un procès avec jury ou

4 pas.

5 La démarche civiliste est plus intéressante pour moi qui viens

6 de la Common Law, c'est plus inspirant, mais c’est sans doute un sujet un

7 peu dangereux étant donné la compagnie qui est la mienne dans ce prétoire,

8 mais je vais quand même tenter le coup.Tout d'abord, le droit de l'ex-

9 Yougoslavie revêt une certaine importance à cet égard. Au titre de la loi

10 de 1976 sur la Procédure pénale, section 232-2, un témoin est requis

11 d'établir ou d’énoncer la source de son témoignage, de son élément de

12 preuve. On est censé identifier, si tout ou partie, du témoignage repose

13 sur l'ouï-dire. A ce moment-là, effectivement le témoignage est recevable,

14 mais il est en général considéré comme suspect dans le cadre du droit

15 yougoslave.

16 Une utilisation plus vigoureuse semble être le fait de la

17 Convention Européenne des Droits de l'Homme dans la partie VI(D) où on

18 assure le droit à l'accusé d’examiner ou de contre-interroger j'ai les

19 témoins à charge. Vous noterez que ce chapitre de la convention ressemble

20 à l'article 21-4(E) du Statut du Tribunal.

21 On peut donc s'inspirer de ces éléments, mais il y a quand même

22 une marge pour l’interprétation. La défense estime que cette Chambre, ce

23 Tribunal, devrait représenter un modèle pour toute jurisprudence à venir

24 en matière pénale internationale. Où le Tribunal pourrait-il chercher

25 l’inspiration ? Il faut se tourner vers des procédures d'établissement de

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1 faits qui sont saines pour s'en inspirer pour nos travaux étant donné le

2 caractère unique du Tribunal.

3 La première règle pourrait être que le témoin n'a pas besoin de

4 dire avec clarté si le

5 témoignage est direct, s'il en a été le destinataire ou s'il est

6 secondaire, c’est-à-dire basé sur des témoignages ou des éléments de

7 preuve indirects, documents notamment. Jusqu'à présent on n'a jamais

8 établi quels étaient les éléments de base à poser si nous avons à faire à

9 un témoignage ou un élément de preuve indirect, à savoir que le témoin a

10 reçu une information de quelqu'un d'autre, et il faudrait établir de

11 quelle façon.

12 Nous avons entendu des arguments qui ont montré que finalement

13 on a mélangé un peu les éléments directs et indirects sans qu'un effort

14 soit fait pour démêler tout cela. Il y a eu le témoignage d’Abdula Ahmic,

15 ce n’était pas un témoignage qui portait à polémique, je ne mets pas en

16 cause ce qui s'est dit. Mais rappelez-vous les vingt-quatre ou les vingt-

17 neuf maisons qu’il y avait dans le village d'Ahmici, lorsque le témoin a

18 identifié les personnes par leur nom et dit que toutes ces personnes

19 avaient été tuées le 16 avril 1993. En interrogatoire principal, rien n'a

20 été posé en matière de base. Il y a eu contre-interrogatoire par Me Nobilo

21 et il a révélé que M. Ahmic a fourni cette information non pas parce qu'il

22 était sur le lieu des événements mais parce qu'il avait lu un article dans

23 le journal après son arrivée à Zenica.

24 On pourrait faire nombre de commentaires à cet égard, mais le

25 commentaire le plus élémentaire est que tous les Juges du Tribunal peuvent

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1 lire un journal. Ce serait une façon plus efficace pour obtenir une

2 information.

3 En tout état de cause, il faut poser les éléments de base et le

4 dossier d'audience devrait être clair quant à l'origine des témoignages.

5 La charge incombe à la partie qui cite le témoin. Il ne suffit pas de dire

6 qu’il faut laisser ceci ou cela au contre-interrogatoire.

7 Pourtant, s'agissant de l'intégrité du processus d'établissement

8 de faits qui est le propre de ce Tribunal, pourquoi l'ouï-dire, le

9 témoignage indirect, devrait subir un traitement différent qu'un autre

10 témoignage ? Je pense à plusieurs choses. Il y a d'abord la déclaration de

11 l’auteur qui le fait hors prétoire et qui ne se fait pas sous serment. Le

12 serment est un caractère fondamental de toute procédure et, ici, les

13 déclarations hors audience ne se font pas sous

14 serment.

15 Des déclarations sont faites un petit peu à la légère, avec une

16 pointe d'humour ou bien encore sous la contrainte, mais quelque soit la

17 modalité ce ne sont pas des témoignages sous serment.

18 Deuxième élément : des déclarations hors audience ou hors

19 prétoire faite par un auteur se font hors votre présence, Messieurs les

20 Juges. Vous n'avez pas l’occasion d'observer le comportement de l'auteur

21 de la déclaration.

22 Troisième élément : la Chambre n'a pas non plus l'occasion

23 d'examiner l'auteur de la déclaration pour lui poser des questions amenant

24 des précisions que souhaiteraient les Juges de la part de l'auteur.

25 Quatrième et dernier élément : si je reviens à la Convention

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1 Européenne des Droits de l'Homme, ainsi qu'à l'article 21 de notre Statut,

2 lorsqu'on admet des déclarations hors audience, l'accusé -via son conseil-

3 n'a pas l'occasion de contre-interroger. N'oublions pas que le témoin,

4 s'il répète des déclarations hors audience à une autre personne, ce témoin

5 n'est pas un témoin de l'affaire dont on est saisi, mais plutôt un

6 messager, un véhicule. En effet, le témoin, la personne qui a

7 effectivement vu ou entendu et a traduit oralement la teneur de ce qu'il a

8 vu ou entendu, n'est pas là. Ce témoin est ailleurs, il n’est pas ici pour

9 être examiné, contesté ou observé, pour voir s'il y a éventuellement telle

10 ou telle tendance à l'aspect tendancieux et des répercussions quant à la

11 possibilité d'avoir observer l'événement.

12 On en arrive à une extrême, dans ce genre de problématique,

13 lorsque l'auteur de la déclaration hors audience n'est même pas identifié,

14 dans le récit que fait le témoin. C'est ce que nous appelons l'ouï-dire

15 anonyme. Cela étant si l'auteur n'a même pas été identifié, cela veut dire

16 que le conseil de l'accusation ne peut pas mener une enquête sur l'auteur

17 de la déclaration. Nous ne pouvons même pas essayer de récuser de façon

18 cohérente la déclaration faite hors audience par le témoin par le biais

19 d'autres éléments de preuve ou de témoignages puisque nous

20 ne connaissons pas l'identité de l'auteur de la déclaration.

21 Ceci m'amène à ma dernière question en cette matière : quels

22 sont les articles que nous demandons à la Chambre d'examiner et,

23 éventuellement, pour autant qu'elle les juge adéquats d'adopter ? Nous

24 estimons qu'il faudrait qu'il y est un article du Règlement qui régisse la

25 question de l'ouï-dire et du témoignage indirect. La Chambre, les parties,

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1 doivent être informées du fait que nous allons recevoir de l'ouï-dire. Il

2 ne faudrait pas que, par inadvertance, ce soit dissimulé ou mélangé à

3 d'autres éléments de preuve. Il faut poser la base, le fondement, de

4 l'ouï-dire.

5 Il ne suffit pas de les laisser entre guillemets une

6 clarification, une précision, qu'il s'agirait d'apporter au moment du

7 contre-interrogatoire. D'abord parce qu'à mon avis cette procédure n'est

8 pas équitable à égard de la partie qui mène le contre-interrogatoire, que

9 ce soit la défense ou l'accusation. De plus, comme nous l'avons constaté,

10 la partie qui mène le contre-interrogatoire doit parcourir le récit du

11 témoin, déterminer ce qui est ouï-dire, retrouver tous les fils de

12 l'écheveau et tout ceci nécessite un temps énorme. C'est une dépense

13 inutile qu'il ne faut pas réaliser, car la base c'est qu'il faut établir

14 le fondement de tout témoignage par ouï-dire.

15 A cet égard que faut-il savoir, que doivent savoir les parties

16 ou le Tribunal pour savoir s'il y a recevabilité ?

17 Premièrement, s'agit-il d'un témoignage direct ou indirect

18 dérivé ? Deuxièmement, s’il s'agit effectivement du direct, qui est

19 l'auteur ultime de la déclaration ? Qui est le locuteur hors audience ? Et

20 s'il s'agit d'ouï-dire de seconde ou troisième main quels sont les

21 intermédiaires, ces messagers qui ont participé à la transmission de la

22 déclaration narrée par le témoin en audience ? Troisièmement, quel est le

23 contenu de cette déclaration ? Si la déclaration est claire, par exemple :

24 "on m'a dit par x, y, z...", non pas quelque chose de général, mais un

25 énoncé clair de la teneur de la déclaration faite hors audience. Ceci

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1 permettra qu'il n'y ait pas de confusion entre ce que le témoin lui-même

2 aurait vu. Quatrièmement, nous estimons qu'il faut

3 savoir, dans la mesure où ceci est connu du témoin, quand et

4 dans quelles circonstances cette déclaration était faite ? Dans une

5 situation idéale, on parlera d'un lieu, d'un temps et peut-être de

6 personnes présentes, mais ceci n'est peut-être pas connu dans toutes les

7 circonstances. Nous ne voulons pas suggérer qu'il faudrait un article

8 dogmatique, il faudrait qu'il soit souple et d’application aisée.

9 Nous vous enjoignons, en matière de règlement, à quelque chose

10 qui se pratique bien dans quelque système que ce soit. Il faut établir le

11 fondement du témoignage d'un témoin et ceci contribuerait à la netteté du

12 processus d'établissement de faits.

13 Si la Chambre retenait cette démarche, comment pourrait elle se

14 mettre en oeuvre ? Il revient bien sûr à vous, Messieurs les Juges, de

15 décider, mais modestement nous procéderions de la façon suivante. Si un

16 témoin est invité à faire un récit, on pourrait dire au témoin : "Dites-

17 nous ce que vous avez vu de vos propres yeux, ce que vous avez vécu, et si

18 vous faites état de quelque chose que quelqu'un d'autre vous a dit, dites-

19 le nous, dites-nous qu'il s'agit d'ouï-dire.". Nous serons dès lors au

20 courant.

21 Et puis, la charge incombe aux parties, au moment du suivi, à

22 donner un fondement à tout témoignage indirect pour qu'un fondement plus

23 solide soit établi. Par exemple, on peut demander si le témoin a eu une

24 conversation avec cette personne, à quel moment s'est-elle déroulée et

25 qu'en était la teneur. Cela ne prendra pas beaucoup de temps, mais ceci

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1 contribue à établir de façon claire les faits qu'il faut établir ici ou

2 dans tout autre affaire, pour autant que cette démarche soit adoptée.

3 Cette règle de procédure -si elle était adoptée, permettrait à

4 la Chambre d'identifier tout ouï-dire qui, à son avis, n'a pas tous les

5 éléments suffisants de crédibilité pour être reçu, et même si la Chambre

6 refuse d'avoir tout élément seuil pour établir la recevabilité- permettrez

7 à la Chambre d'avoir les faits, les outils, dont elle a besoin pour

8 établir le poids qu’il convient à l’ouï-dire, lorsque vous passerez à vos

9 délibérations, ce qui est important et critique, pour notre

10 client et ses intérêts.

11 Faute de cette information qui permet d'identifier, comment un

12 juge, qui établit les faits, peut-il accorder le poids qu’il faut à tout

13 témoignage indirect ?

14 Ceci nous permettra de mieux centrer l’élément de preuve directe

15 d'un témoin pour les éléments qu'ils ont perçus. Cela devrait déboucher

16 sur un interrogatoire principal plus direct, plus efficace, et raccourcir

17 le contre-interrogatoire, étant donné la charge injuste qui reposait sur

18 nous puisqu'il nous fallait revoir tous les faits relatés pour établir

19 l'élément direct ou l'élément indirect. Et, si ce n'est pas tout à fait

20 résolu, en tout cas la situation serait meilleure en matière de contre-

21 interrogatoire.

22 Il y a un autre article que nous vous demandons de considérer,

23 ce n'est pas une règle de procédure, mais plutôt une règle de fond. Une

24 règle au fond qui reconnaîtrait que, pour donner un effet réel à

25 l'article 21-4(E) et à l'article 89(C), il se présentera des occasions où

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1 il faudra que la Chambre exclut des éléments d’ouï-dire dont l'admission

2 risquerait de violer soit le 21-4(E), soit le 89(C).

3 Par exemple, prenons le 89(C), s’il n’y a pas suffisamment de

4 crédibilité ou de fiabilité pour avoir une valeur probante, il faut

5 exclure ceci. Et, en vertu du 21-4(E), si le témoignage était reçu, cela

6 violerait le droit qu'à l'accusé de contre-interroger sur la source, même

7 si ce terme n’a pas ici une signification particulière. Nous y reviendrons

8 plus tard, au cours de la matinée.

9 Mais, en tout cas, la Chambre doit se voir reconnaître la

10 compétence qu’elle aurait d'exclure l'ouï-dire au titre de l'un ou l'autre

11 de ces articles.

12 La Cour a déjà reconnu la validité de l'exclusion de l'ouï-dire

13 en vertu du 21-4(E) lorsque la Chambre a exclu la lettre du Président

14 Izetbegovic qui a été offerte par l’accusation dans les tous premiers

15 jours du procès. Cette lettre a été exclue non pas parce qu'elle n'avait

16 pas suffisamment de fiabilité en vertu du 89(C) -nous n'avions pas de

17 doute qu'il s'agissait bien

18 d’une lettre du Président Izetbegovic- mais elle l’a été en

19 vertu du 21. Si on refuse à l’accusé la possibilité de contre-interroger

20 l'auteur, il aurait été injuste d'accepter cette lettre.

21 Nous invitons donc instamment les membres de la Chambre

22 d'instance à admettre que ces deux situations peuvent être mises en oeuvre

23 et peuvent servir à exclure certains éléments de preuve par ouï-dire.

24 Nous ne disons pas que les membres de la Chambre devraient

25 examiner dans le plus grand détail des situations hypothétiques. Non, pas

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1 du tout !

2 Nous pensons simplement qu’il conviendrait de mettre en place et

3 d’appliquer deux règles, l'une qui serait une règle de procédure, l’autre

4 une règle de fond, qui toutes deux faciliteront le règlement de ce type de

5 problèmes dans les jours et les mois qui viennent.

6 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, voilà les

7 commentaires que je souhaitais formuler eu égard à ce problème de l'ouï-

8 dire, je vous remercie.

9 M. le Président. - Merci, Maître Hayman. Vous pourrez

10 éventuellement apporter quelques précisions complémentaires, après les

11 explications que va à présent nous donner Maître Harmon.

12 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, bonjour.

13 Bonjour, conseils de la partie adverse.

14 Au cours de ce procès, la défense a d'abord invité les membres

15 de la Chambre d'instance à interdire les éléments de preuve par ouï-dire

16 et les Juges ont rejeté cette requête.

17 Dans sa requête d'aujourd'hui, la défense présente des

18 objections à l'ouï-dire sur la base de deux arguments, l'un est un élément

19 de fond, l’autre étant un élément concernant la validité prouvée dans un

20 contexte judiciaire de ces éléments de preuve.

21 L'accusation estime qu'il ne peut être question de parler de

22 validité, à moins que deux conditions soient rassemblées. Premièrement, le

23 fait que le locuteur qui s’exprime dans le prétoire identifie le locuteur

24 qui s’est exprimé hors du prétoire. Deuxièmement, les déclarations

25 rapportées doivent être bien précisées par le témoin.

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1 La défense, dans son document écrit, cite en tant qu'exemple des

2 éléments de preuve par ouï-dire. Elle demande à rejeter le témoignage de

3 Fouad Zeco qui a déclaré avoir été détenu dans l’école de Dubravica et

4 dans le poste vétérinaire, et évoque également l'exemple d'un certain

5 nombre de détenus qui ont parlé du HVO les contraignant à aller creuser

6 des tranchées.

7 La défense cherche à poser des conditions qui sont très

8 semblables à celles en vigueur dans les systèmes judiciaires relevant du

9 droit romain. Le Règlement du Tribunal et la décision de l'affaire Tadic

10 ne stipulent pourtant pas des exigences du même ordre que celles que la

11 défense tente maintenant d’imposer à la Chambre de première instance.

12 Cette Chambre de première instance est une institution unique en

13 son genre, qui possède son propre Règlement, qui relève d'obligations qui

14 lui sont propres. Ces obligations ont été reconnues à de très nombreuses

15 reprises, y compris dans le prétoire lorsqu'il a été stipulé que les

16 chambres de première instance de ce Tribunal ne sont liées par aucune

17 disposition d'un droit national et par aucune procédure en vigueur dans

18 d'autres systèmes judiciaires.

19 L'article du Règlement applicable à la recevabilité des éléments

20 de preuve par la Chambre de première instance est l'article 89, notamment

21 le paragraphe (C) de cet article. Les deux exigences stipulées à

22 l’article 89(C) sont d'une part la pertinence et d'autre par la valeur

23 probante. Dans cet article, rien n'est exigé quant à la nécessité de

24 fonder les éléments de preuve, ni d'ailleurs en matière de validité des

25 éléments de preuve reçus par la Chambre de première instance.

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1 Dans l'affaire Tadic, Monsieur le Président, Messieurs les

2 Juges, la décision rendue a été unanime et elle reconnaît à l'unanimité

3 que la valeur probante d'un élément de preuve intervient de façon tout à

4 fait essentielle. La Chambre de première instance déclare également

5 qu'il convient de prêter attention à un autre élément que la

6 fiabilité, à savoir si la déclaration a été faite de façon volontaire, si

7 elle est fidèle à la vérité et si on peut lui faire confiance. La Chambre

8 de première instance qui a statué dans l'affaire Tadic laisse donc

9 entendre que les Juges qui entendent des éléments de preuve par ouï-dire

10 devraient prendre en compte les circonstances dans lesquelles ces éléments

11 de preuve ont été obtenus, ainsi que le contenu des déclarations

12 apportées.

13 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, cette Chambre de

14 première instance, ainsi que les autres Juges de ce Tribunal, ont une

15 expérience qui leur permet de se prononcer et de déterminer la fiabilité

16 de ce qu'ils entendent, et qui leur permet également de déterminer la

17 confiance qu'il convient d'accorder à ce qui leur est dit dans le

18 prétoire. Lorsqu'ils statuent en la matière, les Juges peuvent appliquer

19 un certain nombre de facteurs qui ne sont d'ailleurs pas des facteurs qui

20 les lient totalement. Ils peuvent par exemple examiner la gestuelle du

21 témoin, se demander si le témoin est partial ou impartial, ils peuvent

22 aussi se demander si les propos de tel ou tel témoin sont corroborés en

23 partie ou totalement par d’autres témoins qui ont comparus dans le même

24 procès.

25 Par exemple, Monsieur le Président, lorsqu'un élément de preuve

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1 par ouï-dire apparaît, pris isolément il peut paraître sujet à caution, il

2 importe de le mettre en rapport avec les autres éléments de preuve

3 apportés par d'autres témoins. La conclusion contraire peut être tirée en

4 dernière analyse. L'inverse est vrai également, c’est-à-dire qu’un élément

5 par ouï-dire qui au départ peut paraître tout à fait digne de foi, une

6 fois lié et comparé aux autres éléments de preuve proposés par les autres

7 témoins, peut finalement apparaître comme dépourvu de fiabilité.

8 Monsieur le Président il y a également le paragraphe (D) de

9 l'article 89 qui stipule que la Chambre peut exclure tout élément de

10 preuve dont la valeur probante est largement inférieure à l'exigence d'un

11 procès équitable. Ce paragraphe est également très important.

12 Le paragraphe 19 de l'opinion Tadic sur les déclarations par

13 ouï-dire, je cite, a également son importance : « Par ailleurs,

14 l'article 89(D) fournit une protection supplémentaire contre le préjugé de

15 la défense par rapport à l'admission de certains éléments de preuve sur

16 base de pertinence et de valeur probante. En vertu de ce paragraphe, les

17 juges de la Chambre d'instance ont la possibilité de prendre en compte les

18 éléments de preuve qui leur sont soumis, de les placer dans leur contexte

19 et d’en exclure certains lorsque leur valeur probante est largement

20 inférieure à l'exigence d'un procès équitable. »

21 Je vous rappelle donc ces deux éléments, ainsi que le témoignage

22 du Dr Fouad Zeco et celui des détenus qui sont allés creuser ses

23 tranchées, ont été admis par la Chambre de première instance. Convenait-il

24 de l’exclure ? Les Juges ont entendu le Dr Zeco, vétérinaire de Vitez, les

25 Juges ont pu le regarder parler et se faire une opinion quant à sa

Page 4611

1 gestuelle. Il a identifié neuf endroits différents où des détenus ont été

2 emmenés par les troupes du HVO pour creuser des tranchées. Les Juges ont

3 également entendu le Dr Zeco dire que pendant la période de captivité,

4 aussi bien au centre vétérinaire qu’à l’école de Dubravica, il a eu la

5 possibilité d'entendre parler de camarades à lui, qui étaient également

6 détenus et qui sont allés creuser ces tranchées. Ce témoin a déclaré que

7 pendant sa captivité, il lui est apparu clairement qu’un grand nombre

8 d’hommes musulmans, qui étaient emmenés pour creuser les tranchées, l'ont

9 été à plusieurs reprise et qu'ils le faisaient près des lignes de front.

10 Ils étaient donc épuisés. En conséquence de quoi, lui-même et deux autres

11 hommes se sont rendus au commandement du HVO et ont proposé que les

12 Musulmans eux-mêmes soient chargés de choisir les hommes qui allaient être

13 emmenés creuser des tranchées, de façon à ce que la charge de travail et

14 la pénibilité soient partagées de façon plus équitable.

15 Vous avez également entendu un autre témoin vous dire qu’un

16 commandant croate était allé à l'école de Dubravica pour demander un jour

17 que les Musulmans choisissent les hommes destinés à être envoyés pour

18 creuser des tranchées, ce qui corrobore le témoignage du

19 Dr Zeco.

20 La Chambre d’instance a également entendu d'autres témoins

21 parler de Musulmans emmenés pour creuser des tranchées. Cela a été cité

22 dans les éléments de preuve à plusieurs reprise. Vous avez entendu parler

23 du poste vétérinaire, du cinéma, de l’école de Dubravica et d’autres

24 endroits à partir desquels ces Musulmans ont été emmenés creuser des

25 tranchées. Vous avez entendu d’autres éléments de preuve qui parlaient

Page 4612

1 d’autres civils également emmenés creuser des tranchées.

2 La pratique des soldats du HVO consistant à emmener des

3 prisonniers creuser des tranchées en divers endroits était une pratique

4 routinière.

5 Monsieur le Président, la déposition du Dr Zeco a également

6 porté sur les lieux où ces détenus étaient emmenés creuser ces tranchées.

7 Ce qu'il a dit à ce sujet, Monsieur le Président, à notre avis devrait

8 être rejeté car, quatre ans après, il a été incapable d'identifier avec

9 précision les lieux en question. Le Dr. Zeco n'a pas pu non plus citer

10 précisément les noms des personnes qui ont été emmenées creuser des

11 tranchées dans ces endroits. Ce fait, compte tenu des circonstances de sa

12 captivité et d'autres circonstances qui ont été évoquées au cours du

13 procès, n'enlève rien à la fiabilité qu'il convient d'accorder à son

14 témoignage, dont nous disons qu'il doit être pris en compte par les Juges

15 de la Chambre de première instance.

16 Je vous ai donc donné ces exemples, Monsieur le Président, pour

17 prouver à quel point les Juges ont la possibilité de se faire une opinion

18 et de trancher sur ce type de témoignage. Je n'ai pas d'autre commentaire,

19 Monsieur le Président. Notre mémoire écrit est tout à fait clair sur ce

20 sujet. Merci beaucoup.

21 M. le Président. - Maître Hayman, voulez-vous exercer votre

22 droit de réplique sur certains points, sans replaider bien entendu ;

23 uniquement sur le points qu'a soulevés l'accusation. Allez-y ,si vous le

24 souhaitez.

25 M. Hayman (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

Page 4613

1 Quelques instants, si

2 vous me le permettez.

3 Eu égard à la déposition du Dr Zeco dont il vient d'être

4 question, si l'on regarde de plus près ce que ce bon docteur a dit et si

5 l'on compare ses propos aux témoignages de témoins oculaires qui ont des

6 connaissances directes de première main au sujet de ces tranchées qui ont

7 été creusées, nous nous rendons compte que le témoignage du Dr Zeco n'est

8 pas fiable. Il a identifié des lieux qui ne pouvaient pas l'être. Il a par

9 exemple donné des noms de lieux comme étant des lieux où les tranchées ont

10 été creusées alors que ces lieux se trouvaient à l'époque de l'autre côté

11 des lignes de front. Si ces déclarations devaient être considérées comme

12 des éléments de preuves factuelles dans le cadre de ce procès, nous

13 estimons que cela ne sera pas le cas, mais si cela devait être le cas,

14 nous estimons que les Juges de la Chambre de première instance

15 s'appuieraient sur des éléments anonymes, des éléments d'ouï-dire, des

16 éléments que nous ne pouvons pas, nous, confirmer ou infirmer. Nous disons

17 que ce serait une erreur dans le cadre des débats de ce procès.

18 Je ne pense pas que la question se pose d'ailleurs car je suis

19 convaincu que ces éléments de preuve ne seront pas pris en compte.

20 Je vous donnerai un autre exemple : la semaine dernière encore,

21 le Colonel Watters est venu témoigner ici et a parlé de l'avis d'un

22 interprète présent sur les lieux. A mon avis, le seul élément de preuve

23 soumis à la Chambre d'instance à ce jour, et susceptible d'avoir un

24 rapport avec la situation de l'accusé, est en fait un avis formulé hors du

25 prétoire à quelqu'un qui n'a pas été cité pour témoigner en qualité de

Page 4614

1 témoin dans le cadre de ce procès. Monsieur le Président, il est tout à

2 fait regrettable que cet élément de preuve ait été versé au dossier et

3 figure donc dans les éléments à prendre en compte par les Juges.

4 Je n'ai pas entendu le Procureur nous parler d'un point qui, à

5 mes yeux, est important. Pourquoi, proposons-nous qu'il y ait

6 explicitation du fondement de l'élément de preuve par ouï-dire ? Pourquoi

7 l'accusation dit-elle que ce n'est pas important. Nous pensons

8 qu'il faut que ce fondement soit exposé très clairement devant

9 les juges et que ceux-ci traitent de ce fondement de la façon qu'il se

10 doit, Monsieur le Président.

11 M. le Président. - Avez-vous terminé, Maître Hayman ?

12 M. Hayman (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

13 M. le Président. - Je me tourne vers mes collègues. Monsieur le

14 Juge Riad, voulez-vous porter des précisions ou poser des questions ?

15 M. Riad (interprétation). - Bonjour, Monsieur Hayman. Pourriez-

16 vous compléter mes connaissances, je vous prie ? Vous avez parlé du droit

17 yougoslave. J'aimerais savoir si vous êtes en possession de détails

18 complémentaires sur la façon dont l'ex-Yougoslavie abordait le problème de

19 l'ouï-dire.

20 M. Hayman (interprétation). - Je ne sais pas exactement,

21 Monsieur le Juge, mais je sais que les témoins en tout cas étaient invités

22 à citer leurs sources. Il y avait nécessité d'admettre l'élément. Peut-

23 être Me Nobilo pourrait-il prendre le relais pour vous dire cela dans la

24 langue du pays en question.

25 M. Nobilo (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.

Page 4615

1 Dans mon système juridique, le témoignage par ouï-dire est accepté,

2 seulement exceptionnellement au cas où il est impossible de contacter le

3 témoin qui est à la source de l'information. S'il y a une personne qui a

4 les informations directes, c'est la personne qu'il faut citer à la barre

5 et non pas quelqu'un qui va raconter son histoire à lui.

6 Si cela est impossible, dans ce cas-là, le témoin doit dire très

7 exactement d'où vient ce rapport, dans quelles circonstances il a eu ce

8 récit et tous les autres détails pertinents par rapport à cette

9 information. C'est le système qui s'applique quant aux témoignages par

10 ouï-dire dans notre système juridique.

11 M. Riad (interprétation). - Merci, Maître Hayman, merci

12 Maître Nobilo.

13 M. le Président. - La parole est à Monieur Shahabuddeen.

14 M. Shahabbudeen (interprétation). - Maître Hayman les arguments

15 que vous avez présentés m'ont parus extrêmement intéressants. Suis-je en

16 droit de comprendre ce que vous venez de dire comme étant l'expression de

17 la position suivante de votre part, à savoir que vous ne remettez pas en

18 cause le principe selon lequel les éléments de preuve par ouï-dire sont

19 admissibles, mais vous dirigez vos attaques sur les limites du cadre

20 d'admissibilité de ces éléments de preuve.

21 M. Hayman (interprétation). - Oui, en effet, Monsieur le Juge.

22 M. Shahabbudeen (interprétation). - Effectivement, à la lecture

23 de l'article 89/C du Règlement du Tribunal et à la lecture également de

24 l'article 89(E), nous trouvons dans ces deux paragraphes des éléments qui

25 iraient dans le sens de l'admissibilité de l'ouï-dire.

Page 4616

1 Mais regardons également l'article 21 du Statut, paragraphe 4(E)

2 que vous avez, également à très juste titre, évoqué. Si l'on part de

3 l'hypothèse que les éléments de preuve par ouï-dire sont admissibles, en

4 principe, le Tribunal ne devrait-il pas interpréter les articles du

5 Règlement relatifs à l'interrogatoire dans ce cas comme n'étant pas

6 nécessairement équivalents à un droit de remise en cause de la source dont

7 émanent les éléments de preuve par ouï-dire en question ? N'ai-je pas

8 raison de voir les choses de cette façon ?

9 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Juge, il convient de

10 tenir compte de la Convention Européenne des Droits de l'Homme sur

11 laquelle s'appuie le libellé de l'article 21. Nous savons que les

12 rédacteurs de l’article 21 ont donc interprété les dispositions de la

13 Convention Européenne des Droits de l'Homme de façon à créer un lien entre

14 le droit de comparaison, le droit d'affrontement, le droit de comparaison

15 des sources et le contre-interrogatoire, aussi bien dans le prétoire que

16 dans d'autres circonstances. Les éléments de preuve principaux sur

17 lesquels ce Tribunal s'est appuyé, par rapport à l'accusé, sont des

18 éléments de preuve qui ne remettent pas en cause ce droit.

19 Je suis d'accord que la question de savoir qui est le témoin

20 suppose de savoir, si le

21 témoin vient dans le prétoire pour rendre compte d'une

22 conversation entendue de la bouche d'un tiers, s’il est un témoin ou un

23 messager. Le Tribunal devrait-il considérer le témoin comme la personne

24 qui est la source réelle de l'élément de preuve, ou bien le Tribunal, dans

25 ces conditions, ne devrait-il pas simplement considérer le témoin

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1 simplement comme quelqu'un qui rapporte un élément de preuve extérieure ?

2 Nous disons que les Juges doivent avoir à leur disposition autre

3 chose que simplement l'observation du témoin lorsqu'il dépose. Sinon, nous

4 entrons dans un champ beaucoup trop large, n'importe qui pourrait venir,

5 ici, dans le prétoire et servir de témoin en nous disant à peu près

6 n'importe quoi. Nous pensons que le contre-interrogatoire qui porte sur la

7 vie, sur la narration d'un témoin, sur les événements qu'il a vécus,

8 doivent être associés à l'expression d'un fondement, et ceci se retrouve

9 dans tous les systèmes judiciaires, avec tout le respect que je vous dois,

10 Monsieur le Juge.

11 M. Shahabbudeen (interprétation). - Merci. Mais examinons un

12 autre aspect de la question ; si l'on part du principe que les éléments de

13 preuve par ouï-dire sont en principe admissibles, le droit de confronter

14 les éléments de preuve est illimité, le droit de confronter l'élément de

15 preuve fourni avec la source originale des propos rapportés dans le cadre

16 de l'article 21.

17 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Juge, les choses ne

18 sont pas absolument tranchées. Il serait prudent pour le Tribunal

19 d'adopter une attitude assez équilibrée de ce point de vue. Il y a un

20 grand nombre d'éléments de preuve par ouï-dire qui ne sont pas au coeur-

21 même de l'établissement de la preuve et qui ne contribuent pas, comme les

22 éléments de preuve cités aujourd'hui, à établir une relation directe avec

23 l'accusé ; dans ce cas, s'il n'y a pas violation de l'article 21/4(E),

24 nous sommes d'accord pour l'admettre. Mais, dans d'autres cas, nous

25 pensons qu'il peut y avoir violation de cette disposition.

Page 4618

1 M. Shahabbudeen (interprétation). - Vous n'iriez donc pas

2 jusqu'à dire que les

3 dispositions de l'article 21/4E du Statut sont destinées

4 entièrement à garantir et permettre ce droit de confrontation, n'est-ce

5 pas ?

6 M. Hayman (interprétation). - Oui, je crois qu'il faut une

7 lecture plus mesurée, effectivement, Monsieur le Juge.

8 M. Shahabbudeen (interprétation). - Parce que si vous estimiez

9 que l'article 21/4E est uniquement destiné à autoriser la confrontation,

10 alors il y aurait des difficultés à parler de limites et à établir un

11 cadre, n'est-ce pas ?

12 M. Hayman (interprétation). - Oui, effectivement et cela nous

13 ramène au problème de la fiabilité et de la défense du droit de l'accusé

14 de confronter des éléments de preuve important.

15 M. Shahabbudeen (interprétation). - Si nous nous fondons sur

16 l'idée de principe que les éléments de preuve par ouï-dire sont

17 admissibles, auriez-vous une observation à formuler à la proposition selon

18 laquelle ce que l'article 21-4(E) a pour but de donner aux parties -et je

19 parle plutôt de la défense dans ce cas précis- c’est le droit d'interroger

20 le témoin qui est à la barre et donc la possibilité par le biais de la

21 déposition du témoin d'attaquer ou de remettre en cause les sources de cet

22 élément de preuve par ouï-dire, ou bien dans le cas contraire de fonder de

23 façon solide et ferme cet ouï-dire ?

24 M. Hayman (interprétation). - C'est une interprétation un peu

25 erronée, si telle était l'interprétation à donner à cet article, je crois

Page 4619

1 que le Tribunal aurait dû accepter la lettre du président Izetbegovic. A

2 mon avis, l'article 21-4(E) n'a pas pour seul but de donner aux parties la

3 possibilité d'interroger le messager de propos tenus par des tiers.

4 M. Shahabuddeen (interprétation). - Cet article ouvre la

5 possibilité d’accorder le droit de confronter l'accusé à l'élément de

6 preuve. Et, si tel n’est pas le seul but, alors l’article 21-4(E) donne

7 également la possibilité, à l'une quelconque des parties, d'interroger le

8 témoin, mais dans un but particulier et se but consiste à prouver aux

9 Juges de la Chambre

10 d'instance soit que l'élément de preuve n'est pas fiable, soit

11 qu'il n'est pas fondé. N'est-ce pas votre interprétation ?

12 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Juge, votre

13 interprétation est tout à fait claire. Vous lisez le texte et vous lui

14 associez une interprétation claire et ferme. Mais, pour ma part, si vous

15 me le permettez, je dirai que si l'accusation cite à comparaître ces

16 représentants pour narrer toutes les horreurs, les atrocités et les

17 tragédies que ces témoins ont vécues, sans en particulier nous donner les

18 sources de ces narrations, dans ce cas-là le Tribunal devrait s’interroger

19 sur ces éléments de preuve, en vertu de l'article 21-4(E), et dire : non,

20 ces éléments de preuve n'ont pas leur place ici, ni en vertu de la

21 Convention Européenne des Droits de l’Homme, ni au niveau des principes,

22 ni sur le principe, ni non plus dans le cadre d'un grand nombre de droits

23 nationaux.

24 M. Shahabuddeen (interprétation). - J'aurais une dernière

25 question. Ce que vous venez de nous présenter dans votre argumentation me

Page 4620

1 pose encore un léger problème.

2 Si vous admettez que les éléments de preuve par ouï-dire sont

3 admissibles et si nous reprenons toujours l'article 21-4(E) du Statut,

4 pensez-vous que l'admissibilité de l'ouï-dire peut concorder avec le fait

5 que l'article 21-4(E) nous dit que ces éléments de preuve ne peuvent pas

6 se limiter à ce que fournissent les personnes déposant devant le

7 Tribunal ?

8 M. Hayman (interprétation). - Je suppose que votre question

9 revient à se demander si, étant donné que l'article 89 est un article du

10 Règlement qui dispose généralement de l’admissibilité des éléments de

11 preuve par ouï-dire, comment cela peut concorder avec les dispositions de

12 l'article 21-4(E) qui permettent de prendre en compte d'autres personnes

13 que les témoins déposant devant ce Tribunal.

14 M. Shahabuddeen (interprétation). - Oui, en effet.

15 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, il convient

16 là de prendre en compte le libellé utilisé dans les deux textes et

17 également la jurisprudence.

18 Les droits fondamentaux de l'accusé sont respectés, aussi bien

19 dans l'article 21-4(E) que dans l’article 89. Il convient que le Tribunal

20 admette que ces droits sont effectivement à la base du libellé de

21 l'article 21-4(E) notamment.

22 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vous remercie de vos

23 explications complémentaires. Je suis très ouvert sur la question.

24 M. le Président. - Merci, d'abord à mes chers collègues qui par

25 leurs questions pertinentes m’ont permis d'éclairer peut-être les quelques

Page 4621

1 questions que je pourrais poser.

2 Une question préalable. Les témoignages qui sont pris en dehors

3 de l'audience sont-ils, Monsieur Harmon, sous serment ou non ? Si j’ai

4 bien compris, ils sont pris hors serment ?

5 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, cette

6 déclaration faite hors audience ne se fait pas sous serment.

7 Effectivement, le messager lui est sous serment, si on l'appelle ainsi,

8 sous ces réserves de l'examen par les Juges et les conseils quant aux

9 circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite et quant à la

10 fiabilité de ladite déclaration.

11 M. le Président. - Je parle du témoin qui vient là, du Dr Zeko

12 par exemple. Quand il a fait sa déclaration préalable devant vos

13 enquêteurs, il a témoigné sous serment ! Nous sommes d'accord ?

14 M. Harmon (interprétation). - Il y a eu une déclaration qui se

15 trouve à la fin de la déclaration préalable du témoin, c'est une

16 déclaration, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit faite sous serment. En

17 tout cas, elle est jointe à la déclaration. Et tout témoin comparaissant

18 devant cette Chambre va bien sûr prêter serment.

19 M. le Président. - Oui, d’accord. C’était simplement la

20 déclaration préalable. Il n’est donc pas du tout sûr que ce soit un

21 serment. En tout cas, le témoin qui est aujourd’hui devant nous, lorsqu'il

22 a répondu à vos questions il y a trois ou quatre ans, ne l'a pas fait sous

23 serment.

24 Maître Hayman, vous voulez apporter, je ne veux pas perdre le

25 fil de mes questions. C'est une précision simplement, car je vous voudrais

Page 4622

1 aller au bout de mes questions, allez-y.

2 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, je ne veux

3 pas interrompre Me Harmon.

4 M. le Président. - Il est vrai que c’est une chaîne

5 d'interruptions ! Comme nous sommes ici dans une structure libérale, je

6 voudrais d'abord entendre l'interruption de Me Hayman, puis celle de

7 Me Harmon, puis peut-être pourrais-je aller jusqu’au bout de mon

8 raisonnement. Donc, Maître Hayman, allez-y pour apporter une simple

9 précision.

10 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, cela

11 permettra de gagner du temps.

12 Lorsque je parle de déclarations qui ne sont pas sous serment,

13 je pense effectivement à celui qui est l'auteur d’une déclaration hors

14 audience. Cette personne qui n'a pas été identifiée, cette homme de

15 l’école de Dubravica qui a fait une déclaration par le truchement du

16 Dr Zeco. S’agissant de déclarations préalables de témoins, effectivement

17 il y a une déclaration de la part du témoin, mais elle n’est pas liée à

18 une saction. Il n’y a pas de menaces en cas de faux témoignage, enfin ce

19 genre de choses.

20 M. Harmon (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

21 M. le Président. - Je poserai alors une question à

22 Maître Hayman. Quand vous bâtissez votre contre-interrogatoire, le plan de

23 votre contre-interrogatoire, vous avez en main toutes les déclarations

24 préalables. En tout cas, c'est ce que le Tribunal a ordonné. D’ailleurs,

25 vous ne manquez pas de les citer, de mettre en contradiction le témoin.

Page 4623

1 Je suppose que vous êtes en train de réfléchir, et plus que de

2 réfléchir, de bâtir votre plan votre plan de citation de témoins. Rien ne

3 vous empêche, c'est une question que je vous pose, de faire venir sur un

4 point qui vous apparaîtrez important, dans le cadre de vos droits

5 contre-interrogatoires qui sont prévus à l'article 21-4(E), un

6 autre témoin, ou peut-être même le même témoin, parlons du Dr Zeco, pour

7 qu'il soit soumis à vos questions concernant la fiabilité de ce qu'il a

8 entendu ? Rien ne vous l'empêche ?

9 Avez-vous bien compris ma question Maître Hayman ou voulez-vous

10 que je la reprécise ? Vous avez le droit au contre-interrogatoire à la

11 fois au moment. Vous n'êtes plus tout à fait le maître en contre-

12 indication et lui faire dire qu'il n'a qu'un témoignage à apporter d'une

13 part et si le témoin vous apparaît à ce point important ou les propos

14 qu'il aurait pu prononcer, se basant sur le témoignage indirect vous

15 apparaît à ce point préjudiciable à votre client, qu'est-ce qui vous

16 empêche dans trois ou quatre mois lorsque vous citerez vos propres témoins

17 de, soit le faire revenir, soit apporter à la barre d'autres témoignages

18 qui le mettrait en contradiction, en tout cas mais très à bas, par terre

19 ce témoignage. Qu'est-ce qui vous en empêche ? Cela c'est

20 l'article 21/4(E). Vous avez entièrement ce droit !

21 M. Hayman (interprétation). - Nous avons la possibilité

22 d'essayer d'appeler ou de rappeler un témoin.

23 Mais nous avons trois objections fondamentales à la pratique qui

24 a été celle de l'accusation jusqu'à présent.

25 Tout d'abord, s’il n'y a pas d'éléments de fondement, s'il y a

Page 4624

1 des choses cachées, je ne dis pas nécessairement à dessin, mais dissimulé

2 ou du moins niché dans le récit général, rien n'a été fait pour essayer de

3 dissocier les éléments. Je crois que ceci est une charge injuste à l'autre

4 partie, parce que la Chambre aura des limites quant à la patience qu'elle

5 aura lorsque l'on va répéter un récit pour essayer de déterminer ce qui

6 est direct ou indirect , comme éléments de preuve. Je pense que c'est

7 injuste.

8 L'auteur de la déclaration est anonyme, alors comment voulez-

9 vous que nous nous allions rechercher les témoins qui soient en mesure de

10 contester ce que l'auteur de la déclaration a dit, c'est difficile

11 concernant un auteur anonyme, alors qu'il n'y a pas de délimitation quant

12 au

13 temps ou à l'espace, quant à un endroit et plusieurs jours.

14 Le dernier élément est le plus important, s'il y a vraiment un

15 élément critique, j'espère que la Chambre ne s'appuiera pas du tout sur

16 les opinions hors audience, par exemple qui étaient celles de l’interprète

17 dont a parlé le Colonel Watters, pour certaines des raisons que nous avons

18 pu élucider, mais avec beaucoup de difficultés, vous vous en souviendrez

19 au cours du contre-interrogatoire.

20 Il y a là un point où sont violés les droits fondamentaux.

21 Tenons en compte, de sorte à avoir un cadre référence pour les débats à

22 venir et lorsque ces questions des droits se reposeront.

23 M. le Président - Allez-vous jusqu'à dire que l'article 89 n'est

24 pas conforme au Statut ? Certainement pas !

25 M. Hayman (interprétation). - On peut examiner l'article 89 pour

Page 4625

1 essayer de comprendre et d'interpréter l'article 21 du Statut. Le

2 juge Shahabbudeen a fait une suggestion qui me convient.

3 L'article 89 semble indiquer que les droits énoncés au 21/4E ne

4 sont pas absolus, et nous en sommes d'accord. Mais, je ne veux pas laisser

5 entendre que l'article 89 manque de validité. Il faut donner du muscle à

6 l'article 21/4E. En effet si l'article du Règlement dit qu'il n'y a pas de

7 limite à la recevabilité de l'ouï-dire, à ce moment-là ce serait un

8 précédent dangereux qu'il ne serait pas bon de reprendre.

9 M. le Président - Maître Hayman, pensez-vous que les Juges sont

10 capables de faire la distinction entre un témoignage direct et un

11 témoignage indirect ?

12 M. Hayman (interprétation). - Si le témoignage n'est pas

13 identifié de façon adéquat dans le témoignage du témoin, personne ne peut

14 opérer cette distinction. Rappelez-vous par exemple, le témoignage...

15 M. le Président - Je dois dire que je suis un peu étonné de

16 votre réponse,

17 Maître Hayman. Tous les systèmes judiciaires démocratiques de la

18 planète -le mien, sans pour autant le citer, car vous en seriez effrayé,

19 il ne vous faut pas allez plaider en France, parce que vous seriez très

20 malheureux devant une Cour d'assise française- connaissent le témoignage

21 indirect. C'est classique qu'un témoin dise : "Oui, j'ai vu des maisons

22 brûlées. Je crois que toutes les maisons d'Ahmici ont été brûlées-

23 mettons- par le HVO." Le rôle de la défense est de dire, mais vous le

24 croyez sur quoi ? Alors on va dire : "je l'ai entendu dire".

25 Je crois que le juge, quand même, fait une distinction entre ce

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1 que le témoin dit ce qu'il a entendu dire. Peut-être que le vice du

2 système -et je m'arrêterai là pour ne pas dévoiler ce qui sera le délibéré

3 entre les Juges- et je dois dire que c'est anticiper sur la Conférence de

4 mise en état- est qu'il qui ne fait, peut-être, appel qu'aux témoignages

5 physiques. Il est vrai que l'on pourrait imaginer un système judiciaire de

6 preuves, d'administrations des preuves, de la part du Procureur

7 aujourd'hui, comme de votre part dans quelques semaines, qui permettrait

8 aux Juges de corroborer.

9 Evidemment, un système qui n'est basé que sur les témoignages,

10 il ne faut pas s'étonner qu'il y ait ces doctes et savantes distinctions

11 entre le témoignage direct et indirect.

12 Je voudrais terminer en disant qu'en ce qui me concerne,

13 Monsieur Riad, je suis un lecteur de textes, redoutable peut-être, mais,

14 en tout cas je suis un exigeant lecteur de textes. C'est vrai que les

15 textes sont ce qu'ils sont pour l'instant, ce qui n'empêche pas la

16 jurisprudence et les Juges d'apporter des limites et nous le faisons dans

17 chacune de nos décisions.

18 Simplement, je me demande Maître Hayman si vous ne demandez pas

19 aux Juges d'apporter là quelque chose qui est de l'ordre des

20 préoccupations d'un système juridique qui est le vôtre, mais je le

21 rappelle n'est pas celui du Statut et du Règlement. Le Statut et le

22 Règlement, je l'ai toujours rappeler, ne disent pas aux Juges de faire de

23 la Common Law ou de la Civil Law. Les Juges sont là pour essayer de se

24 faire une opinion à travers un certain nombre de règles, l'opinion d'un

25 lien de responsabilité criminelle. Je crois que c'est cela.

Page 4627

1 Le Juge Riad voulait ré-intervenir sur cette question.

2 Monsieur le Juge.

3 M. Riad (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le

4 Président. J'aimerais opérer une petite synthèse pour que tout soit clair

5 dans mon esprit.

6 Vous parlez des conditions qui sont plutôt d'ordre procédural,

7 vous dites qu'il faudrait une méthode d'application par laquelle le témoin

8 dirait ce qui est témoignage direct et ce qui est témoignage indirect.

9 Cela est une condition énoncée de façon très claire.

10 Puis vous avez fait état d'autres conditions qui étaient d'une

11 certaine manière des directives destinées au Tribunal, directives à

12 prendre en compte lorsque les juges examinent la crédibilité ou la

13 fiabilité de l’ouï-dire. Vous dites qu'il faut établir la filière des

14 auteurs de déclarations de façon claire. Voilà autant de directives

15 adressées aux juges et qui ne sont pas stricto sensu des conditions de

16 procédures.

17 M. Hayman (interprétation). - Vous avez raison, Monsieur le

18 Juge, même si le témoin connaît l'heure, le moment, les circonstances, je

19 crois que ceci doit être expliqué, la partie qui cite le témoin devrait

20 avoir cette responsabilité parce que c'est une façon plus efficace de vous

21 présenter des éléments de preuve.

22 M. Riad (interprétation). - Vous pensez que ceci pourrait

23 éclairer le Tribunal ?

24 M. Hayman (interprétation). – Absolument. Cela nous permettrait

25 aussi d'économiser du temps pour éviter que moi-même ou Me Nobilo ne

Page 4628

1 soyons obligés de revenir sur chacun des faits d'un long témoignage pour

2 essayer d'opérer un tri. Mais je suis sûr en fait que nous avons raté

3 plusieurs éléments.

4 Des questions sont apparues dans les dernières questions du

5 contre-interrogatoire, qui étaient relatives à des témoignages indirects.

6 S'agissant de certains éléments de preuve, nous ne pourrons jamais savoir

7 s'il s'agissait d'éléments directs ou indirects. Ce n'est pas une

8 situation idéale, il faudrait que tout soit dévoilé pour que les juges

9 puissent examiner tous les éléments dans le cadre de l'établissement des

10 faits.

11 M. Riad (interprétation). - Vous le dites très clairement, il

12 faut établir ce qui est dérivé et ce qui est direct, et tout ceci doit se

13 faire en audience. Le reste est le fait des juges et vous suggérez de

14 donner certains conseils aux juges pour qu'ils gardent ceci à l’esprit.

15 Effectivement, une fois qu’une règle de procédure est en place, le

16 Tribunal sera à même de mettre en oeuvre toute règle de fond relative à

17 l'ouï-dire qui lui semble adéquate.

18 Mais si vous n'avez pas une règle de procédure qui vous permet

19 de dire ce qu'est l'ouï-dire, de l'identifier, vous ne pouvez pas vraiment

20 avoir un critère porteur pour la fiabilité, ni non plus un critère sérieux

21 pour permettre l'exercice des droits énoncés à l'article 21-4(E).

22 M. Riad (interprétation). - Merci.

23 M. Shahabuddeen (interprétation). - Une dernière question. Votre

24 argument est tellement intéressant que vous je suis tenté de vous poser

25 une dernière question. A supposer que vous acceptiez qu'en principe l'ouï-

Page 4629

1 dire est recevable, pensez-vous qu'il soit juste de laisser le soin aux

2 juges d'appliquer une règle coutumière d'appréciation qui pourrait tenir

3 compte de plusieurs éléments, dont par exemple le fait de savoir si c'est

4 un ouï-dire de première main, de seconde main ou de troisième main. Vous

5 savez qu'en règle générale les juges tiennent cet élément en compte.

6 Pensez-vous que les juges pourraient tenir compte de cet élément ?

7 M. Hayman (interprétation). - Si l'ouï-dire a été identifié en

8 tant que tel et si les circonstances ont été énoncées, dévoilées, je pense

9 que la Cour a bien sûr toute latitude d'évaluer à sa guise la question de

10 la crédibilité et, si elle lui paraît suffisante, elle va effectivement

11 retenir cette pièce comme étant recevable.

12 M. Shahabuddeen (interprétation). - Revenons sur cette remarque.

13 Si toutes les circonstances ont été énoncées à l'intention des juges, est-

14 ce qu’il ne conviendrait pas qu'une partie contribue à présenter toutes

15 ces circonstances aux juges, en examinant, en interrogeant le témoin sur

16 des points qui sont importants, pour savoir si effectivement nous avons

17 affaire à un ouïr dire de première, de deuxième, ou de troisième main par

18 exemple. Est-ce que ceci ne serait

19 pas utile pour la Chambre ?

20 M. Hayman (interprétation). – Effectivement, et ceci fait partie

21 des obligations qui incombent aux conseils, mais à notre avis, il nous

22 faut d'abord établir le fondement, à ce moment-là l'élément est identifié

23 et vous pouvez faire votre choix comme bon vous semble.

24 M. le Président. - Vous dites que l'avocat de la défense n'est

25 pas à même, n'a pas le temps, la disponibilité ou les moyens de faire ces

Page 4630

1 distinctions. Vous dites qu’il faudrait que le juge ait une règle, qu'il

2 invente une règle. Le juge applique les règles, il ne les invente pas.

3 Iriez-vous jusqu'à estimer que le juge doit avoir un rôle beaucoup plus

4 actif à l'audience, puisqu'il faut être logique, si vous-même, qui avez eu

5 les déclarations préalables, dites qu'il vous est difficile dans votre

6 contre-interrogatoire d'arriver à discerner le témoignage de première ou

7 de deuxième main, les juges auront encore plus de difficultés.

8 D'après le texte, dans le doute ils peuvent exclure. Ils

9 estiment que par suite de l'interrogatoire, du contre-interrogatoire,

10 l'anonyme qui a dit que toutes les maisons avaient brûlé dans le village

11 n'est pas identifié. Iriez-vous jusqu'à dire que le juge doit avoir un

12 rôle encore plus actif à l’audience, que nous devrions avoir une sorte de

13 dossier de toutes les déclarations et un véritable plan d’interrogatoire ?

14 Vous voyez que ma remarque s'exerce déjà sur la dernière partie

15 de la matinée, sur la Conférence de mise en état. Je suppose que vous

16 allez me dire non.

17 M. Hayman (interprétation). – Non, Monsieur le Président. Nous

18 voulons que les juges aient davantage d'activités, que vous preniez part

19 de façon plus active au procès parce que ceci va l'accélérer. Mais

20 s'agissant de l'ouï-dire, voici ce que je dis : il incombe aux conseils de

21 montrer les circonstances de l'ouï-dire avec l'aide des juges bien sûr,

22 pour que ceux-ci puissent apprécier. Mais aucun effort n'a été entrepris

23 de la part de l'accusation afin de déterminer ce qui est ouï-dire et ce

24 qui ne l’est pas. Il ne s'agit pas là d'une procédure solide et saine, et

25 je suis sûr que les juges peuvent donner des instructions quant aux

Page 4631

1 questions de fondement et ceci relève

2 parfaitement des compétences de la Cour.

3 M. le Président. - Nous avons déjà embrayé sur nos travaux de la

4 fin de matinée. Je crois qu'on peut peut-être terminer s'il n'y a aucune

5 autre question sur cette question de l'ouï-dire, et que nous pourrions

6 vous redonner la parole, Maître Hayman.

7 Je ne sais pas c'est un manque de confiance envers les juges qui

8 est au soutien de la deuxième requête, mais il s'agit du réexamen de la

9 décision des juges. Je suis un peu inquiet (je fais une transition avec ce

10 qui vient de se passer), puisque nous avons pris des décisions et vous

11 voudriez les faire réexaminer par les mêmes juges.

12 Pouvez-vous nous expliquer ce qui est au soutien de votre

13 requête du mois de septembre également et qui vise à faire demander à

14 cette Chambre le réexamen de la décision par laquelle on s’était autorisé

15 à déclarer irrecevables des éléments de preuve à décharge, qui avaient

16 préalablement été identifiés comme des preuves authentiques ? Pouvez-vous

17 nous donner votre sentiment brièvement, nous résumer vos arguments

18 principaux, et en ajouter d'autres si vous le souhaitez ?

19 M. Hayman (interprétation). - Je vous remercie. Nous avons

20 longuement et mûrement réfléchi à cette question avant de la soulever

21 devant vous. Effectivement, c'est une question épineuse et il est assez

22 malaisé de demander à la Chambre de réexaminer une décision qu’elle a

23 prise. Je ne pense pas que nous ayons eu recours à cette procédure très

24 souvent. Mais si nous l'avons fait cette fois-ci c'est que cela nous

25 semblait important.

Page 4632

1 Par le biais de cette requête, nous demandons à la Chambre de

2 réexaminer la décision qu'elle a prise selon laquelle, même après qu'un

3 document ait été authentifié le conseil de la défense doit fournir à

4 l'accusation, bien sûr à la Chambre, mais aussi, ce qui est important, à

5 l'accusation, des informations relatives aux modalités d'obtention de tel

6 ou tel exemplaire d'un document soumis au témoin qui l'a identifié.

7 De ce fait, nous dévoilons nos sources et nos méthodes

8 d'enquête. Nous sommes

9 convaincus, Messieurs les Juges, si j’examine les circonstances

10 dans lesquelles les questions se sont posées, que ceci n'a pas été une

11 question posée par l'accusation et qui fasse écho à une véritable

12 inquiétude quant à l'authenticité d'un document soumis au témoin, en

13 l’occurrence M. Djidic qui avait authentifié ce document.

14 Le Procureur essayait de gagner un avantage tactique en imposant

15 une obligation de communication qui n'existe pas dans le Statut ni dans le

16 Règlement, et qui est sans précédent dans toute autre Chambre de ce

17 Tribunal et dans toute autre affaire dont est saisie une Chambre. Nous

18 avons vérifié les comptes rendus, rien dans les autres affaires n'indique

19 qu'il y ait une condition obligatoire de cette nature.

20 La Chambre a fait allusion à une nouvelle requête à laquelle

21 nous allons répliquer la semaine prochaine, requête qui, de la part du

22 Procureur, exigerait une nouvelle obligation de communication. Dans notre

23 réplique, nous avons discuté des différences existant entre

24 l'authenticité, le fait de l’auteur…

25 M. le Président. – Excusez-moi, je souhaite juste une précision,

Page 4633

1 pour comprendre. Vous parlez de la requête qui n’est pas plaidée

2 aujourd’hui ?

3 M. Hayman (interprétation). - Effectivement, dans la réplique

4 que nous allons fournir à la requête du Procureur s'agissant de

5 l'authenticité des documents... J'espère que vous avez reçu ce document,

6 je sais qu'il a été traduit et j'ai vu notre réplique dans les deux

7 langues officielles du Tribunal.... nous nous sommes donc efforcés

8 d'apporter des précisions sur ces termes.

9 Je ne vais pas vous imposer une répétition de ce que nous avons

10 dit, mais ce qui compte, c'est que par le biais de cette requête, nous ne

11 voulons limiter ni le Procureur ni les juges qui voudraient contester

12 l'authenticité du document soumis à leur examen ; pas du tout. Le

13 Procureur a toute latitude d'exprimer toute inquiétude qu'il ressentirait

14 à propos de l'authenticité d'un document. Cela est vrai également des

15 juges. Mais je vous en conjure, il

16 suffit d'examiner la réponse apportée par l'accusation. Rien

17 n'indique qu'il y ait des doutes quant au document.

18 L'accusation n'a toujours pas formulé d'inquiétude quant à

19 l'authenticité des faits. Lorsqu'on demande comment ces documents ont été

20 authentifiés, ils l'ont été par un témoin à charge. Alors, cela veut-il

21 dire que l'accusation conteste ses propres témoins ? L'accusation essaie

22 de gagner un certain avantage tactique en imposant à la défense une

23 obligation de communication qui n'existe pas et -c'est important- ne

24 devrait pas non plus exister.

25 La question qui se pose est celle-ci : comment déterminer

Page 4634

1 l'authenticité dans les travaux de la Chambre ? Pour nous, l'authenticité

2 doit se déterminer par le témoignage de témoins compétents ou par

3 stipulation entre les parties.

4 En effet, si une partie veut contester l'authenticité après

5 identification apportée par un témoin, on peut demander à surseoir à la

6 décision sur le document, on peut aussi l’entendre de la bouche du

7 témoin ; on peut dire que le processus d'identification a été terminé.

8 Mais cela ne s'est pas produit en notre instance. Cette requête

9 n'a pas été formulée ; on a simplement demandé que le conseil de la

10 défense joue le rôle des témoins et dévoile ce qui, à notre avis, est une

11 information confidentielle et tout à fait privilégiée puisqu'elle porte

12 sur nos méthodes d'enquête.

13 Quoi que nous soyons, Me Nobilo ou moi même, nous sommes des

14 avocats, nous ne sommes pas des témoins ! La chose serait différente si

15 nous avions été cités à comparaître dans un système civil pour déposer

16 devant un tribunal, devant une chambre.

17 Etant donné le caractère fondamentalement contradictoire des

18 procédures et des débats de ce Tribunal, nous estimons qu'il est injuste

19 d'imposer à un conseil, contre son gré et sans le consentement du client

20 de ce conseil, à savoir l'accusé, et on ne peut pas nous y forcer, de

21 dévoiler l'information relative à nos méthodes confidentielles et à nos

22 tactiques. Sinon, il y aurait de ce fait une confusion de rôle dans un

23 système qui reste contradictoire dans ce Tribunal

24 pénal international pour l'ex-Yougoslavie.

25 Un point corollaire serait le suivant : comment manipuler des

Page 4635

1 documents qui n'auraient pas été encore authentifiés ? Là, des avis

2 divergents ont déjà été exprimés sur cette question. En effet, le Bureau

3 du Procureur a laissé entendre que si un document n'a pas encore été

4 authentifié, il ne peut pas être montré à un témoin. Un témoin ne peut pas

5 recevoir de questions relatives à ce document s'il n'a pas été

6 authentifié.

7 Nous ne sommes pas d'accord avec ces prémices. D'abord, nous

8 devons avoir la liberté de montrer un document à un témoin pour

9 l'identifier, ou du moins pour tenter de l'identifier. Ensuite, il y aura

10 des cas où un témoin ne peut pas authentifier un document qui n'aurait pas

11 été authentifié par un témoin précédent. A ce moment-là, il faut le

12 montrer au témoin qui est à la barre et lui poser des questions sur ce

13 document. Car si nous ne sommes pas en mesure de le faire, cela veut dire

14 -si le document est authentifié et identifié par la suite- qu'il faudra

15 peut-être reciter tous les témoins précédents qui auraient des éléments

16 pertinents à fournir sur ce document. Cela veut dire que des documents que

17 l'on ne peut pas encore authentifier ou identifier devraient être

18 enregistrés aux fins d'identification.

19 Nous devrions avoir toute latitude, toute liberté, nous, comme

20 l’accusation, lorsque l'on passera à la conséquence des charges pour

21 montrer au témoin ce document, eu égard à l'année si ces nécessités.

22 Il faudrait pouvoir interroger les témoins avant que le document

23 ne soit versé au dossier. Bien sûr, si ce document n’est jamais

24 authentifié, ni admis, il ne sera jamais un élément de preuve en tant que

25 tel au dossier. Ce n'est pas contesté de notre part.

Page 4636

1 Enfin, il y a une question dérivée, question relative aux

2 informations au titre de l'article 68. Il s'agit là de documents, tels que

3 des documents d'informations militaires, les Mil Info Summ, qui nous ont

4 été remis par l’accusation en application de la nécessité de fournir les

5 éléments à décharge, de les communiquer, de la part de l’accusation.

6 Et là, nous avons rencontré une difficulté. Laquelle ? C’est que

7 ces documents sont souvent expurgés, c’est vrai de la plupart d'entre eux,

8 et qu'on ne sait plus exactement ce que représente ces documents. Il y a

9 peut-être une information manuscrite au sommet du document Mil Info Summ

10 et la date ; comme par exemple c’était le cas avec le Colonel Watters.

11 Etait-ce un point d'information qui trouvait dans ce document ? D’où vient

12 de document ? Qu’est-ce qu’il est ? Que véhicule-t-il comme information ?

13 Est-ce vraiment une information militaire ?

14 Nous avons soumis certains de ces documents. Mais plus avant, au

15 départ, une objection avait été soulevée, à savoir que le Procureur ne

16 savait pas comment ils avaient obtenu ce document qui nous avait été

17 transmis. Ce qui veut dire que ce document n’a pas pu être reçu, parce que

18 la défense savait uniquement qu'elle l'avait obtenu de l’accusation, et

19 que l'accusation n'était pas en mesure de dire d'où elle le tenait.

20 Nous pensons que c'est de la part de l'accusation une position

21 intenable. Sur cette question secondaire, qui est traitée de façon plus

22 complète dans notre mémoire, nous demandons simplement que le Tribunal

23 aborde cette question, y réfléchisse et nous rende une décision claire en

24 la matière avec soit acceptation, soit rejet, mais que les choses soient

25 claires ; je vous remercie.

Page 4637

1 M. le Président. - Maître Kehoe, allez-y. Avant votre

2 intervention Maître Kehoe, Monsieur Dubuisson je suis en état de la

3 réponse du Procureur. Y a-t-il eu un autre document ? Je voudrais

4 comprendre.

5 Peut-être une précision, Maître Hayman, simplement pour mieux

6 comprendre. J'ai eu l’impression que vous développiez, à l’instant,

7 certains arguments qui s'écartaient de votre requête primitive, que vous

8 aviez élargi le champ de vos observations. Est-ce que je me trompe ? Ou

9 est-ce que l'élargissement, à supposer qu'il existe, était contenu dans

10 votre droit de réplique, en quelque sorte, dont je demandai au Greffe si

11 cela m'avait été communiqué ?

12 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, les

13 commentaires que je

14 viens de formuler sont restés dans le cadre de la requête

15 primitive. Nous avons effectivement déposé un mémoire en réplique le

16 21 novembre qui a été traduit dans les deux langues du Tribunal. J'en ai

17 un exemplaire en français d'ailleurs.

18 M. le Président. - Le Juge qui vous parle ne l’avait pas encore.

19 Il n’y a aucune accusation à l’égard du Greffe. Ce sont les difficultés

20 des lenteurs.

21 Je voulais simplement. comprendre. J'avais le sentiment que dans

22 vos observations brèves vous aviez un peu mixé plusieurs éléments, alors

23 que les conclusions de votre requête étaient surtout fondées sur le

24 problème de la source, de la source par rapport à la décision ou aux

25 décisions, puisque nous en avons pris plusieurs, qui concernaient les

Page 4638

1 obligations que nous avions jugé équilibrées à l'égard de la défense comme

2 de l’accusation sur les sources et notamment les auteurs de certains

3 documents. Voilà pourquoi je m'étais permis de vous poser la question.

4 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, il est

5 possible que sur le plan sémantique la question soit plus large que celles

6 que j'ai traitées. A savoir que nous pensons qu'il y a une grande

7 différence entre le fait de savoir si un document est authentique, le fait

8 d’en connaître la source ou le fait d’en connaître l'auteur.

9 Nous ne demandons pas que dans le cadre des débats de ce

10 Tribunal l’accusation ou les Juges soient appelés à examiner l’autenticité

11 d'un document à la loupe. La source d'un document est également un élément

12 qui diffère de l'identité de son auteur.

13 Ce qui nous intéresse, c'est comment la défense peut obtenir

14 physiquement un exemplaire d'une déclaration faite par une personne qui

15 est donc un témoin de l’accusation. De ce point de vue, il faut parler de

16 la façon dont se fait l'obtention de ce document. Devons-nous l’acheter

17 sur le marché noir ? Devons-nous l'obtenir du témoin de l'accusation ?

18 Doit-il être envoyé par la poste ? Comment, physiquement, pouvons-nous

19 accéder à cet élément ? Avec tout le respect que je dois au Tribunal...

20 M. le Président. - Ce n'est pas tout à fait quand même la

21 requête primitive de réexamen de la décision que nous avions prise, me

22 semble-t-il !

23 Vous êtes en train de poser la question de savoir comment vous

24 pouvez obtenir certains documents. Je ne crois pas que, dans les décisions

25 que nous ayons prises, nous ayons contesté ou préjudicié à l'obtention du

Page 4639

1 document de votre part de la part ou de la part de l'accusation. Ou, en

2 tout cas, si c'était le cas nous avons répondu dans d’autres décisions,

3 notamment dans la requête sur la production des documents ; il me semble.

4 Mais comme je n'ai pas lu votre dernier mémoire, je suis peut-être un peu

5 handicapé.

6 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, j'ai lu une

7 nouvelle fois notre requête, hier soir. Peut-être qu'il y a là un problème

8 sémantique. Je ne sais pas pas comment le mot source, sense en anglais, a

9 été traduit. Je ne sais pas comment le terme anglais authenticity a été

10 traduit. Mais, pour ce qui nous concerne, nous avons cherché à être aussi

11 clair et aussi cohérent que possible dès le départ.

12 Nos méthodes d'enquête sont privées, confidentielles. Si un

13 document est authentifié, l'accusation devrait avoir la possibilité de

14 citer des témoins pour contester ce qu'il a à contester et présenter ce

15 qu'il veut présenter au Tribunal. Mais, ce sont deux points de vue

16 différents.

17 M. le Président. - Maître Kehoe.

18 M. Kehoe (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.

19 Bonjour, conseils de la partie adverse.

20 La requête de la défense porte essentiellement sur le désir de

21 revenir sur une décision déjà prise par les Juges de cette Chambre

22 d'instance, à savoir une demande, donc à l'accusation et à la défense, de

23 citer les sources des informations qu'elles fournissent.

24 Ce que la requête de la défense fait donc c'est restreindre les

25 pouvoirs de ce Tribunal. Il paraît manifeste qu'en vertu de

Page 4640

1 l'article 89(E) ce Tribunal, comme tout autre

2 tribunal, est en droit de demander que soit vérifiée

3 l'authenticité d'un document. Vérifiée ! Vérifiée, pourquoi ? Pour que ce

4 Tribunal puisse statuer de façon convenable quant à la valeur qu'il

5 convient d'accorder à ce document ? Doit-il être pris au sérieux ? doit-il

6 être considéré comme un document important ou moins important ?

7 Les pouvoirs établis dans l'article 89 du Règlement, avec à

8 l’appui bien sûr l'article 89 dans sa totalité, ainsi avec celui des

9 ordonnances du Tribunal citées à l'article 98, ces pouvoirs sont très

10 élargis et permettre au Tribunal, au Président et aux membres de la

11 Chambre d'instance de demander la comparution de témoins supplémentaires

12 pour obtenir des éléments de preuve supplémentaires.

13 Je ne reviendrais pas Monsieur le Président sur l'ensemble des

14 éléments que nous avons établis, dans notre document écrit. Mais pour

15 synthétiser, je pense simplement, qu'aucun pouvoir conféré à ce Tribunal

16 ne doit être limité ou restreint. Il faut pouvoir poser des questions

17 quant à la fiabilité des éléments, il faut que puisse être posées toutes

18 les questions que cette Chambre de première instance juge nécessaires pour

19 statuer, comme le stipule l'article 89/E et comme il l'a été dit dans

20 l’affaire Tadic, dans la décision relative à l'affaire Tadic, la fiabilité

21 d'un document est liée de façon intrinsèque à sa valeur probante.

22 Nous avons obtenu un exemple tout à fait éloquent des problèmes

23 qui peuvent se poser en la matière, dans ce même prétoire il y a

24 environsix mois. Malheureusement, cela s'est déroulé plusieurs semaines

25 après que nous ayons déposé notre requête ou plutôt notre réponse à une

Page 4641

1 requête. Où avons-nous vu cet incident ? Nous l'avons vu sur la bande de

2 la BBC qui a été présentée par la défense, lors du premier contre-

3 interrogatoire du Capitaine Tudor Ellis, puis au moment du contre-

4 interrogatoire du Lieutenant-colonel Watters : il y a eu montage d'un

5 morceau de bande vidéo qui pouvait faire penser que des soldats du

6 bataillon britannique étaient, en fait, des soldats musulmans.

7 Malheureusement lorsque l'on regarde ces images de la BBC d'un peu plus

8 près, on constate que c'est tout simplement un officier dans un bataillon

9 des

10 Nations unies en train d'examiner une arme.

11 Il faut que le Tribunal ait le pouvoir et le droit de vérifier

12 la provenance d'un document quelle qu’en soit la source. L'accusation va

13 jusqu'au point de dire que, même si la défense et l’accusation s'entendent

14 sur l'admission d'une bande vidéo, d'un élément de preuve de quelque

15 nature qu'il soit ou d'un document, il faut même dans cette situation que

16 les Juges aient encore la possibilité de poser des questions

17 supplémentaires aux parties pour en vérifier l'authenticité, et ce dans le

18 cadre de l'article 89 dans sa globalité, du 89(E) ou comme je l'ai déjà

19 dit du 98.

20 Aucune des parties présentes dans ce prétoire ne doit être

21 limitée dans ces pouvoirs. le conseil de la partie adverse vient

22 d'exprimer un certain nombre de choses il y a quelques minutes, mais il

23 est incapable d’utiliser les documents qu'il souhaite utiliser dans son

24 contre-interrogatoire parce que ces documents n'ont pas de sources

25 établies.

Page 4642

1 Il se trouve que je n'ai pas tout à fait le même avis. J'en

2 appelle à votre mémoire, Monsieur le Président, par rapport aux mémoires

3 écrits qui ont été déposés. Je crois que c'est l'admissibilité ultime du

4 document qui prévaut, s'agissant de la possibilité d'utiliser ou de ne pas

5 utiliser les documents. Des documents ont été utilisés de façon tout à

6 fait importante et cela s'est fait jusqu'à présent. Concernant ces

7 éléments de preuve ou ces documents, la seule possibilité de les utiliser

8 de façon moins large, c'est de les mettre en réserve jusqu’à ce que la

9 source ait été communiquée.

10 Si vous me permettez d’intervenir sur quelque chose que je viens

11 de dire, aucune restriction n'a été imposée par cette Chambre de première

12 instance à la défense s'agissant d'utiliser des documents dans le cadre du

13 contre-interrogatoire, des documents dont la source a été citée et avérée.

14 La question à régler est la suivante : compte tenu que les Juges

15 ont autorisé la défense à utiliser ces documents d'une façon tout à fait

16 extensive, et qu'ils n'ont demandé des

17 renseignements supplémentaires au sujet de la source, il est

18 manifeste qu'aucun préjudice n'est subi par la défense dans sa possibilité

19 de développer et d'exposer ses arguments comme elle le souhaite, et donc

20 de mettre en oeuvre son système de défense.

21 La réalité, Monsieur le Président, en réponse à ce que nous

22 venons d'entendre, c'est que les faits qui ont été évoqués très simplement

23 n'ont pas eu lieu. Le Tribunal a accordé à la défense des possibilités

24 très larges d'utiliser les documents qu'elle souhaite utiliser aux fins de

25 mise en oeuvre de son système de défense.

Page 4643

1 Il y a un argument dans la requête de la défense qui porte sur

2 l'effet intimidant que pourrait avoir sur elle l'obligation de divulguer

3 ses sources. Je répète encore une fois que la défense a pu utiliser les

4 documents de la façon la plus large. Il faut également ajouter que le

5 Tribunal a été très ouvert sur la possibilité d'accorder des mesures de

6 protection aux témoins, mesures qui garantissent à la personne qui vient

7 déposer ici des assurances tout à fait imposantes quant à sa sécurité

8 physique.

9 Dans le Règlement appliqué par ce Tribunal, dans le Statut, il y

10 a un certain nombre d'articles qui donnent toute garantie de protection à

11 une personne qui divulguerait la source de ces informations, cela revient

12 à dire qu'utiliser la possibilité de tel ou tel document est une espèce

13 d'intimidation pour la défense. Je dis, Monsieur le Président, que ceci

14 est une attitude qui ne concorde pas avec les procédures, en général,

15 appliquées par ce Tribunal et que cela ne doit pas exister.

16 Enfin, le conseil de la défense dit que l'accusation a

17 communiqué des documents dont les sources ne sont pas précisées. Je dirai

18 qu'à plusieurs reprises et, ce à la demande de la défense, je tiens à vous

19 le souligner, Monsieur le Président, qu’il n'y a pas eu communication

20 mutuelle des documents, parce que la défense a choisi de ne pas

21 fonctionner de cette manière.

22 En dépit de cela, des milliers de documents ont été fournis à la

23 défense par l’accusation en vertu de l'article 66(A) du Règlement, selon

24 lequel l'accusation est contrainte de

25 fournir aux conseils de la partie adverse des documents de

Page 4644

1 confirmation ; documents qui ont précédemment été communiqués au Juge qui

2 a confirmé l'acte d'accusation. Dans le cadre de l'article 68 du

3 Règlement, également, des milliers de pages au sens littéral, ont été

4 communiquées à la défense par l'accusation, en plein respect des

5 obligations incombant à l'accusation en matière de communication de

6 pièces.

7 Ce que nous disons au sujet des informations fournies est très

8 simple : si la défense demande au Bureau du Procureur de citer la source

9 d'un document précis que l'accusation a fourni à la défense, soit en vertu

10 de l'article 68/A du Règlement, soit en vertu de l'article 68, la seule

11 chose que la défense doit faire pour obtenir ce renseignement c'est de le

12 demander.

13 Mais contraindre le Procureur à passer des heures et des heures

14 de travail aux fins d'établir la source de totalité des documents fournis

15 par l'accusation à la défense, dont la plupart ne seront même pas utilisés

16 dans les débats, n’est pas possible à réaliser, étant donné les

17 insuffisances dont nous souffrons en matière d'effectif humains.

18 Par conséquent, Monsieur le Président, mon collègue et moi-même

19 proposons une solution très simple : plutôt que d'exiger l'établissement

20 d'une règle stricte au sujet de la communication mutuelle des pièces, nous

21 proposons à la partie adverse de nous demander quelle est la source de tel

22 ou tel document lorsqu'elle en a besoin.

23 Enfin, Monsieur le Président, je ne passerai pas en revue

24 l'ensemble des arguments que nous avons évoqués, me semble-t-il de la

25 manière la plus éloquente dans notre document écrit. Je sais que j'ai

Page 4645

1 parfois tendance à me lever trop souvent et à parler un peu trop

2 longuement.

3 Voilà, Monsieur le Président, ce sera la fin de mes observations

4 pour ce matin.

5 M. le Président. - Merci, Maître Kehoe. Me Hayman, veut-il

6 apporter quelques précisions, brièvement ,en réponse?

7 M. Hayman (interprétation). - Peut-être n'ai je pas la sagesse

8 de mon collègue de

9 la partie adverse, mais je ne parlerai que quelques minutes;

10 Monsieur le Président.

11 L'article 89 F est très intéressant. Que signifie :

12 "Vérification de l'authenticité" ? Si l'authenticité est établie, que peut

13 bien signifier la nécessité de la vérifier ? Y a-t-il des sources

14 indépendantes et multiples qui vont établir la même authenticité. Est-ce

15 cela que veut dire cet article ?

16 Nous disons qu'une fois que l'authenticité a été établie à la

17 satisfaction du Tribunal, pour autant qu'il y ait pertinence, cette

18 authenticité existe et la pièce doit être admise.

19 Vérifier l'authenticité ne peut pas signifier, à notre avis,

20 qu'une fois que le Tribunal a établi l'authenticité d'un document, une

21 enquête complémentaire doit être menée. A notre avis, cela est impossible.

22 Bien entendu, nous ne contestons pas l'autorité et le pouvoir

23 des juges de vérifier qu'un document authentifié est bien traité comme un

24 document authentique. C'est tout à fait normal.

25 Ce problème qui vient d'être évoqué concernant la bande de la

Page 4646

1 BBC, les arguments qui viennent d'être développés, n'ont tout simplement

2 aucune valeur. Nous avons dit que lorsque nous avons entendu le

3 Colonel Watters et le Capitaine Ellis nous ne savions pas s'ils étaient en

4 mesure d'authentifier cette cassette de la BBC. Effectivement, ils n'ont

5 pas pu l'authentifier.

6 Dans un système contradictoire, tous ces articles qui régissent

7 l'authenticité et d'autres aspects sont là précisément pour aboutir à la

8 conclusion que nous recherchons. C'est ce qui s'est passé. Nous avons

9 entendu ces deux représentants de l'armée britannique qui nous ont dit ne

10 pas être en mesure d'authentifier la cassette. Le Capitaine Tudor Ellis

11 nous a parlé d'une bande composite qui a été créée par ITN ; bande

12 composite sur laquelle figurent des morceaux de témoignages et des

13 séquences musicales. Nous essayons toujours de mettre la main sur cette

14 bande pour voir de plus près ce qu'elle contient.

15 L'argument qui vient d'être évoqué par la partie adverse n'a, à

16 notre avis, tout simplement aucune valeur. Je suis satisfait d'entendre la

17 partie adverse nous dire qu'elle demande qu'un document soit enregistré et

18 identifié, même sans avoir été authentifié. Nous pensons donc qu'il n'y a

19 pas de problème entre nous sur ce point, mais cela ne signifie pas

20 -pensons-nous- que la défense ne peut avoir la possibilité de demander une

21 règle excluant des documents, à moins que ces documents aient vu leur

22 source établie.

23 Le problème qui se pose pour nous est que si une règle doit être

24 adoptée, nous voulons en voir le libellé, nous voulons en voir les

25 dispositions de façon plus précise avant de pouvoir nous prononcer.

Page 4647

1 Nous disons que toute obligation qui nous serait faite aurait

2 sur nous un effet intimidant, car nous pensons que cela modifie la charge

3 de la preuve et la façon dont cette preuve est administrée. Nous pensons

4 que les documents fournis à la Chambre d'appel sous scellés doivent

5 également être évoqués, eu égard au problème dont nous discutons ici de

6 façon à ce que toute décision, si elle doit être prise, soit la plus

7 claire possible.

8 Enfin, le Procureur parlant des documents qu'il nous a fournis,

9 nous dit en fait qu'il aimerait que nous lui disions avant notre contre-

10 interrogatoire ce que seront les documents que nous allons utiliser de

11 façon à ce qu'il puisse en établir la source. Nous pensons que ce n'est

12 pas équitable. Il ne nous semble pas normal que le témoin puisse entendre,

13 avant le contre-interrogatoire, la liste des documents que nous allons lui

14 soumettre. Cela permettrait au témoin de se préparer exagérément à

15 l'avance. Ce n'est pas une mesure judicieuse ; c'est une manière de nous

16 imposer une obligation complémentaire, par la petite porte.

17 Je pense que si le Tribunal doit modifier les règles établies

18 sans ces pouvoirs, à savoir que la charge repose davantage sur

19 l'authenticité que sur la fiabilité de l'élément de preuve, à ce moment-là

20 il n'est même plus nécessaire de traiter de cette question.

21 En effet, dès lors qu'un document provenant de l'accusation nous

22 serait remis, il n'y

23 aurait plus de question à poser au sujet de son admissibilité.

24 Merci, Monsieur le Président.

25 M. le Président. - Des précisions, des questions à apporter ?

Page 4648

1 M. Riad (interprétation). - Maître Hayman, une question

2 uniquement pour mieux comprendre le fond de votre analyse. Vous demandez

3 au Procureur d'authentifier l'ensemble des documents qu'il vous remettra

4 le cas échéant. Est-ce ce exact ?

5 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le juge, le Procureur

6 nous a communiqué un certain nombre de documents en vertu des règles

7 régissant la communication des pièces. A moins que les juges ne sachent

8 comment telle ou telle partie a obtenu un document, nous disons que nous

9 voulons que le Procureur nous dise comment il a obtenu ces documents. Car

10 nous dépendons complètement de l'accusation dans cette affaire. S'il

11 existe un règlement, un article du Règlement en la matière, nous disons

12 que le Procureur doit pouvoir nous dire quelle est la source de ces

13 documents.

14 M. Riad (interprétation). - Mais, vous refusez la réciprocité.

15 Vous refusez de pratiquer de même à l'égard de l'accusation !

16 M. Hayman (interprétation). - Non, Monsieur le Juge. Nous

17 pensons en fait qu'aucune des deux parties -ni l'accusation ni la défense-

18 ne doit être transformée en témoin et ne doit se voir contrainte de

19 déposer sur la façon dont elle a obtenu ces documents.

20 Nous pensons que si une règle est établie, il convient qu'elle

21 soit bilatérale, réciproque et à la satisfaction des juges. Si le Tribunal

22 est satisfait de l'authenticité d'un document, alors nous disons que le

23 document doit être admis si sa pertinence est établie. Si le Tribunal

24 estime que l'authenticité n'est pas prouvée, le document doit alors être

25 rejeté. Il ne peut être admis dans ce cas-là que s'il existe un article

Page 4649

1 spécial du Règlement pour accepter cette admission.

2 M. Riad (interprétation). - Merci. Dans ce cas Maître Hayman,

3 votre dernière

4 remarque m'intéresse particulièrement. Cela ne revient-il pas de

5 votre part à demander à l’accusation, lorsqu'elle vous communiquera la

6 déclaration préalable à décharge, et à lui demander également de vous

7 apporter des preuves de l'authenticité de cette déclaration ? Vous venez

8 de dire que cette demande de votre part ne sera maintenue que si les juges

9 maintiennent leur décision primitive.

10 M. Hayman (interprétation). - Je crois qu'il y a un lien entre

11 les deux. Il y a des raisons me semble-t-il qui justifient ce maintien.

12 Mais si règle il y a, il faut que ce soit une règle indépendante.

13 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je pose cette question parce

14 qu’en bas de la page 6 de votre document, vous dites que le fait de savoir

15 si la défense invite la Chambre d’instance à revoir ses décisions,

16 indépendamment du fait de savoir si les juges le feront ou pas,

17 conviendrait de demander à l'accusation de fournir à la défense des

18 informations dans ce cadre. Il n'y a pas de lien là.

19 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le juge, nous avons des

20 documents, je l'ai déjà dit, qui lorsque nous les recevons sont tellement

21 expurgés qu'il est vraiment très difficile dans connaître l'origine. Je

22 crois donc qu'il y a des raisons indépendantes qui justifient notre

23 requête. Si un article autonome n’est pas établi en la matière, je

24 n'insisterai pas, et en fait pour nous c'est cet article autonome qui a

25 donné à la crise que nous vivons une dimension monumentale.

Page 4650

1 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous savez, Monsieur le

2 Procureur, que le Tribunal est très jaloux de ses pouvoirs. Lorsque vous

3 dites que Maître Hayman demande au Tribunal de restreindre les pouvoirs

4 conférés aux juges, vous imaginez bien que les juges vous accordent la

5 plus grande attention. Accepteriez-vous l'idée que Maître Hayman n'a pas

6 besoin de s'excuser de demander aux juges de revoir une décision prise par

7 vous antérieurement.

8 M. Kehoe (interprétation). – Oui, Monsieur le juge, je suis

9 d'accord avec vous, je

10 ne demande pas à Maître Hayman de s’excuser de demander aux

11 juges de revenir sur l’une de leurs décisions. En revanche, je dis que la

12 demande présentée par la défense revient, lorsqu’on l’a examinée dans le

13 détail, à demander une restriction des pouvoirs conférés aux juges.

14 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vais vous dire la chose

15 de la façon suivante : je suppose que vous acceptez la distinction

16 coutumière entre les notions d'admissibilité et de poids accordé à un

17 témoignage ?

18 M. Kehoe (interprétation). - Oui, en effet, Monsieur le juge.

19 M. Shahabuddeen (interprétation). - Est-ce que j'interprète bien

20 les propos de Me Hayman comme signifiant qu'en présence d'un témoin à la

21 barre qui dirait : « Je reconnais ce document, j'en connais la signature

22 et j'ai même déjà vu ce document par le passé » ? Est-ce que vous admettez

23 que dans ce cas le document devient admissible et que toute autre question

24 concernant l'authenticité ou la source de ce document n'aura pour effet

25 que d'agir sur le poids que les juges peuvent accorder à ce témoignage.

Page 4651

1 Etes-vous d'accord avec cela ?

2 M. Kehoe (interprétation). - Oui Monsieur le juge. Il y a des

3 situations dans lesquelles cela est effectivement le cas.

4 M. Shahabuddeen (interprétation). – En effet.

5 M. Kehoe (interprétation). – Il y a des situations où aucune des

6 deux parties ne contestera l'admissibilité d'un document dans ce genre de

7 situation. Mais il n'en reste pas moins que les juges d'une Chambre

8 d'instances ont toujours le pouvoir de demander d'où vient le document en

9 question. Si on prend l'exemple particulier de cette bande vidéo, nous

10 pouvons dire, à titre d'hypothèse, que le capitaine Ellis, au moment où il

11 a témoigné, aurait pu dire : « Oui, je me souviens de cette bande, je me

12 rappelle que la BBC l’a projetée ». Il aurait même pu dire : « Je me

13 souviens d'avoir vu cette émission ». Si cet élément de preuve est

14 finalement versé au dossier, cela n'empêche tout de même pas les juges de

15 poser la question au témoin

16 quant à la source de cette cassette vidéo. Nous disons donc

17 qu'aucun pouvoir d'interrogation conféré aux juges des Chambres d'instance

18 de ce Tribunal ne doit souffrir la moindre restriction.

19 M. Shahabuddeen (interprétation). – Oui, je comprends bien.

20 M. Kehoe (interprétation). - Si finalement les juges disaient

21 qu’un témoin a authentifié un élément de preuve mais qu’il y a des

22 insuffisances au niveau de la source et qu’ils n'acceptent pas

23 l’authentification, nous disons nous-mêmes, du côté de l’accusation, que

24 la décision de versement au dossier appartient aux juges, y compris sur

25 l'authenticité.

Page 4652

1 M. Shahabuddeen (interprétation). – Je comprends ce que vous

2 voulez dire. J'ai entendu que les deux parties ont fait référence à

3 l'article 89 E du Règlement. Pensez-vous qu'il serait possible

4 d'interpréter cet article comme signifiant qu'il confère aux juges la

5 possibilité de vérifier l'authenticité d'un document mais que l'exercice

6 de ce pouvoir n'a pas pour but d'imposer un précédent relativement à

7 l'admissibilité du document en question et que donc le fait de savoir si

8 le document est admissible dépend de sa pertinence et de sa valeur

9 probante et que ces deux éléments continuent à être pris en compte, même

10 en l'absence d'authenticité. comment traitez-vous ce problème ?

11 M. Kehoe (interprétation). - Cela pourrait être le cas.

12 Effectivement, si ceci se produit en fin de procès et si la Chambre est

13 satisfaite de ces conditions par rapport à l'authenticité et pense que le

14 document a été vérifié, il éclaire que le Bureau du Procureur ne verrait

15 aucune objection à ce que la Chambre reçoive ce document comme élément de

16 preuve. C'est bien sûr laissé à la discrétion de la Chambre qui décidera

17 en toute sagacité, il n'est pas question d'attacher des restrictions à ce

18 pouvoir que du contraire.

19 La Chambre, eu égard à plusieurs facteurs liés à la reproduction

20 de documents, à la lecture de cassettes a exigé que leur source lui soit

21 fournie. Si celle-ci le demande, le Bureau du Procureur s'exécutera et la

22 défense devrait aussi s'exécuter. Mais en fin de compte, si la

23 Chambre estime qu'un document a été authentifié et devrait alors

24 être reçu, qu'il en soit ainsi, à ce titre.

25 M. Shahabbudeen (interprétation). - Dès lors, si vous estimez

Page 4653

1 que l'article 89/E confère à la Chambre le pouvoir d'exiger la

2 revérification de l'authenticité d'un document, ceci ne porte-t-il pas sur

3 la recevabilité mais bien sur le poids à accorder aux dits éléments ? La

4 Chambre pourrait-elle se trouver dans une situation où sa requête n'aurait

5 pas été suivie des faits, en matière d'identification et qu'elle n'accorde

6 aucun poids ou pratiquement aucun poids aux dits documents ?

7 M. Kehoe (interprétation). - Permettez-moi de répondre à un

8 degré à un peu supérieur parce que cela porte sur les deux éléments : la

9 Chambre, étant donné l'absence de vérification, peut exclure le document,

10 l'article 89 le permet ou elle peut le recevoir et lui donner le poids

11 qu'elle souhaite adéquat ou qu'elle voit adéquat.

12 Vous avez en fait toute une gamme de possibilités en tant que

13 Juges, recevabilité, non-recevabilité, si recevabilité il y a, question de

14 poids.

15 M. Shahabbudeen (interprétation). - Vous voyez le 89(E) comme

16 porte aussi sur la recevabilité.

17 M. Kehoe (interprétation). - Effectivement.

18 M. Shahabbudeen (interprétation). - Effectivement, nous devrons

19 étudier la question, je vous remercie.

20 M. le Président - Maître Hayman, je voudrais savoir comment vous

21 définissez l'authenticité d'un document, est-ce relié à la source ?

22 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président,

23 l'authenticité soulève la question de savoir si le document est bien ce

24 qu'il prétend être.

25 En d'autres termes, si un document est en fait un accord entre

Page 4654

1 deux factions belligérantes en date d'une date précise et portant une

2 signature, est-ce effectivement le

3 document qui a été créé, signé et exécuté ce jour-là ? Est-ce

4 une copie conforme et authentique, si ce n'est pas l'original, voilà

5 comment je définis l'authenticité.

6 M. le Président - Quand vous parlez de la copie conforme déjà

7 vous êtes dans le domaine de la source ?

8 M. Hayman (interprétation). - Je ne pense pas Monsieur le

9 Président, avec tout le respect que j'ai pour vous.

10 S'agissant d'un document : un témoin va peut-être examiner un

11 document, comme l'a fait M. Djidic, va peut-être dire : "Effectivement

12 c'est bien le document et je l'ai déjà vu, je le reconnais, je reconnais

13 les noms, la signature, voilà le document que nous avons produit à peu

14 près à cette date-là." C'est ce qui diffère de l'élément de preuve

15 physique, comme je l'ai soulevé dans ma réplique. Il faut qu'il y ait en

16 fait une régularité de transmission, par exemple pour un échantillon

17 sanguin ou pour des cheveux humains, parce que tout ceci peut changer, non

18 seulement on peut les modifier, mais aussi ils peuvent se modifier au fil

19 du temps et en fonctions des conditions de conservation.

20 S'agissant d'un document, si l'on parle de la teneur d'un

21 document et non d'une empreinte, aucune Chambre n'exige cette régularité

22 de transmission et de conservation pour des documents, c'est ce que

23 j'avance. Ce qui est requis, c'est qu'un témoin authentifie un document,

24 qu'il est bien est ce qu'il prétend être, que c'est un original.

25 M. le Président - Pourriez-vous imaginer des situations où

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1 toutes les parties, tout le monde authentifie un document et où ce

2 document ne serait pas authentique et qu'il aurait suffi de connaître la

3 source pour l'authentifier plus simplement.

4 Je prends l'exemple d'un acte notarié, il est authentique, je

5 parle d'un notaire français, mais je pense qu'aux Pays-Bas ou USA, il y a

6 un équivalent de quelqu'un qui authentifie un acte, par ce qu'il en est la

7 source créatrice. Si vous inversez le processus, le jour où l'on vous

8 présente un acte notarié, vous en connaissez en même temps la source. Je

9 ne

10 remets pas du tout en question, les distinctions dans notre

11 article 89/E. Je pense qu'effectivement la distinction coutumière entre la

12 valeur probante, l'identification et l'authenticité reste toujours

13 valable. Vous êtes d'accord peut-être avec moi, c'est quand même plus

14 subtil que cela : la bande vidéo en fin de compte est quand même un

15 élément qui est, effectivement, sur ce plan là -je ne révélerai pas, bien

16 sûr, ce que j'en pense- vous montre bien que dans certaines hypothèses, il

17 peut y avoir une confusion. Tout le monde peut être d'accord sur le fait

18 que c'est une bande vidéo, tout le monde peut être d'accord que cela

19 provient d'une telle émission de télévision, pourtant chacun en tirera sur

20 l'authenticité, des choses identiques sur la valeur probante, certainement

21 rien. Je crois que nous sommes tous d'accord autour de cette table, pour

22 dire que sur la valeur probante, rien, donc vous avez une certaine idée de

23 la valeur, l'accusation aussi. Il n'empêche qu'il y a un lien beaucoup

24 plus complexe qu'on ne pense entre l'identification superficielle et

25 l'authenticité. Et que celle-ci est quand même déjà un pied dans la valeur

Page 4656

1 probante.

2 Après tout, si tout le monde est d'accord dans votre système

3 peut-être, vous avez l'air de me dire que si tout le monde est d'accord

4 sur la valeur authentique, du coup il va avoir une valeur tout à fait

5 particulière et originale. Ce n'est peut-être pas toujours le cas. Mais,

6 ce ne sont que des observations. Ce n'est pas du tout une question sauf si

7 vous avez quelque chose à ajouter, Maître Hayman, sinon nous avons encore

8 l'ordre du jour, allez-y.

9 M. Hayman (interprétation). - Effectivement, ce sont des

10 commentaires extrêmement pertinents. Je vous en félicite, mais la question

11 d'avoir une copie certifiée conforme d'un document qui existe quelque part

12 qui a été conservé, par exemple, au Greffe, c'est quelque chose de tout à

13 fait souhaitable. Mais en l'occurrence, qu'allons-nous constater, étant

14 donné le chao qui régnait au cours de la guerre et qu'il n'y a pas de

15 dépositaire central ou d'archives complètes qui reprennent tous les

16 documents, étant donné le caractère chaotique, les gens ont pris les

17 documents, ils ont pris la fuite. Si on pense au type de documents

18 certifiés

19 avec le sceau du notaire, par exemple, ce sera difficile de

20 rencontrer de telles pièces, en cette affaire.

21 Il me semble important que les documents qui vont être présentés

22 ne se limitent pas à une catégorie de document, qu'aucune des parties ne

23 pourra obtenir.

24 M. le Président - Je voulais seulement démontrer que la question

25 était peut-être plus complexe.

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1 A présent, nous avons terminé nos travaux nous allons reprendre

2 dans un petit quart-d'heure pour trois quart-d'heure, une heure environ.

3 Nous allons faire le point sans robe sur le procès et la situation

4 actuelle du procès du Général Blaskic. L'audience est donc levée. Elle

5 reprend sous une autre forme, à huis clos, en Conférence de mise en état,

6 sans robe, dans un quart d'heure.

7 L'audience est suspendue à 11 heures 40.

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