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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-95-14-T
2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE
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4 Vendredi 24 avril 1998
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6 LE PROCUREUR
7 c/
8 TIHOMIR BLASKIC
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10 L'audience est ouverte à 14 heures 40.
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12 M. le Président. - Nous pouvons faire entre l'accusé, s'il vous
13 plaît.
14 (L'accusé est introduit dans la salle d'audience.)
15 Monsieur Kehoe, nous allons reprendre. Tout le monde m'entend ?
16 Je salue nos amis interprètes, le banc de la défense, le banc du
17 Procureur. Nous allons comme il se doit pour la justice siéger dans la
18 sérénité. Monsieur Kehoe, vous savez que nous avons un ordre du jour
19 chargé. Il vous appartient de gérer le temps le mieux possible pour
20 essayer de terminer dans les délais. J'ai parlé de siéger dans la sérénité
21 malgré le bruit ambiant. Monsieur Kehoe, vous êtes maître du temps, les
22 parties sont maîtres du temps, je vous ai indiqué les conditions, sinon le
23 témoin sera dans l'obligation de revenir. Maître Kehoe, allez-y.
24 M. Kehoe (interprétation). - Bonjour Monsieur le Président.
25 Bonjour Messieurs les Juges. Je vais brièvement vous présenter mes
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1 premières remarques conformément au désir du Tribunal.
2 Il y aura très peu de questions posées par le Procureur au cours
3 de cette audition, conformément à vos instructions, Monsieur le Président.
4 90 % de cette déposition sera présentée sous la forme d’une narration.
5 Cette déposition se concentrera pour sa majeure partie sur les allégations
6 contenues au point 5.2 de l'acte d'accusation. Le Procureur face aux
7 accusations de crime contre l'humanité doit prouver que les actions
8 étaient à grande échelle et systématiques. Les charges contenues dans
9 l'acte d'accusation portent également sur des persécutions à grande
10 échelle et systématiques de la population bosniaque-musulmane dans les
11 villes et les municipalités placées sous le commandement du
12 colonel Blaskic, à Vitez, Kiseljak et Busovaca. Mais il convient aussi que
13 le Procureur prouve que cela faisait partie d'un plan à grande échelle
14 applicable dans ce que l'on appelle ici l'Herceg-Bosna.
15 Le témoin que nous allons entendre est un reporter du Guardian
16 qui a reçu de nombreuses récompenses de la communauté internationale. Il a
17 également écrit et publié un ouvrage intitulé : "Une saison en enfer". Il
18 vous parlera des expériences qu'il a vécues en Bosnie centrale, en Bosnie
19 du sud et plus précisément en Herceg-Bosna. Cela vous permettra de
20 déterminer qu'il existait bien un plan, un plan dressé au niveau supérieur
21 à partir de Mate Boban, dirigeant de la Herceg-Bosna, et s'étendant à tous
22 les niveaux, y compris aux troupes sur le terrain et notamment aux troupes
23 commandées par le général Blaskic. Il décrira ce qu'il a vu après avoir
24 conversé avec Mate Boban en août, ce qu'il a vu en octobre 1992, les
25 observations qu'il a tirées de ce qu'il a vu après ces conversations,
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1 c'est-à-dire qu'il vous parlera du début du nettoyage ethnique de la
2 population musulmane par le HVO.
3 Vous entendrez le nom de plusieurs municipalités. Je ne crois
4 pas, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que vous ayez entendu
5 parler précédemment de toutes ces municipalités mais elles sont énumérées
6 au point 5.2, notamment Duvno qui est également décrite sous le nom de
7 Tomislavgrad. Tomislavgrad est donc la même municipalité que Duvno et
8 c'est le terme de Duvno qui est repris dans l'acte d'accusation. Une autre
9 municipalité est celle de Stolac. Bien sûr, vous avez entendu parler,
10 Monsieur le Président, de Mostar. Il sera question également du nettoyage
11 ethnique à Prozor et à Caplina. Le témoin vous décrira donc les
12 expériences qu'il a vécues dans l'ex-Yougoslavie au cours du conflit en
13 Bosnie en vous disant que les activités menées par le HVO étaient
14 systématiques, organisées, et répondaient à une direction déterminée qui
15 se situait au point le plus élevé. Il vous dira qu'il existait un plan
16 global de nettoyage ethnique des Musulmans, ou en tout cas un plan destiné
17 à marginaliser les Musulmans dans ce que l'on a l'habitude d'appeler
18 l'Herceg-Bosna.
19 Dans l’intérêt d’un gain de temps, Monsieur le Président, je
20 pense qu'il n'est pas nécessaire pour moi de reprendre tous les points qui
21 seront couverts par le témoin dans sa déposition. Il me suffira de vous
22 dire que le témoin expliquera la façon dont les choses se sont déroulées à
23 Vitez et Busovaca sous le commandement de l'accusé. Ces événements
24 faisaient partie d'une réalité plus vaste qui existait dans l'ensemble de
25 la Bosnie et de l'Herceg Bosna.
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1 M. le Président. - Pouvez-vous introduire le témoin s'il vous
2 plaît ? C'est un reporter du Guardian ?
3 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, un
4 journaliste du Guardian.
5 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)
6 M. le Président. - Vous m'entendez ?
7 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.
8 M. le Président. - Dites-nous d’abord votre nom puis votre
9 prénom.
10 M. Vulliamy (interprétation). - Je m'appelle Vulliamy Edward.
11 M. le Président. - Restez debout le temps de lire la déclaration
12 solennelle qui est en quelque sorte votre serment.
13 M. Vulliamy (interprétation). - Je déclare solennellement que je
14 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
15 (Le témoin s’exécute)
16 M. le Président. - Vous pouvez vous asseoir. Vous avez été cité
17 à comparaître devant le Tribunal Pénal International dans le procès
18 intenté contre le général Blaskic, l'accusé ici présent ; c'est le
19 Procureur qui vous a fait citer. C'est donc lui qui va commencer par vous
20 poser les questions. Il nous a décrit sommairement votre témoignage et il
21 a dû vous dire comment nous comptions entendre votre déposition.
22 Monsieur Kehoe, c'est à vous pour quelques brèves questions
23 introductives. Nous vous écoutons.
24 M. Kehoe (interprétation). - Merci Monsieur le Président.
25 Bonjour Monsieur Vulliamy.
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1 M. Vulliamy (interprétation). - Bonjour.
2 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Vulliamy, j'aurai d'abord
3 quelques premières questions à vous poser avant que vous nous présentiez
4 le gros de votre déposition. Pouvez-vous dire quelle est votre cursus ?
5 M. Vulliamy (interprétation). - Bien sûr. Je suis journaliste
6 depuis 1977. J'étais reporter à la télévision de 1978 à 1986, date à
7 laquelle je suis entré au quotidien le Guardian de Londres et c'est pour
8 ce quotidien que je travaille depuis cette date. Je suis devenu ce que
9 l'on peut appeler un reporter international, c'est-à-dire que je me
10 déplace un peu partout et que par défaut, sans vraiment l’avoir souhaité,
11 je suis devenu reporter de guerre.
12 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Vulliamy, dans quels
13 endroits êtes-vous allé au cours des dix dernières années dans le cadre de
14 votre mission en tant que reporter international ?
15 M. Vulliamy (interprétation). - J'ai fait des films un peu
16 partout : au Moyen-Orient en particulier, en Europoe, au Liban, aux Etats-
17 Unis. Pour le Guardian, j'ai couvert l'Europe de l'est, communiste,
18 l'Allemagne de l'est, je suis allé en Irlande également, j'ai couvert la
19 guerre du Golfe, la guerre à partir de l'Irak pendant la durée de cette
20 guerre et immédiatement après, et en 1990 j'ai été basé en Italie. On
21 m'avait donné pour mission de couvrir les événements qui se déroulaient en
22 Italie avec possibilité d'aller éventuellement de temps en temps en ex-
23 Yougoslavie. Mais en fait, j'ai passé de très nombreux moments en ex-
24 Yougoslavie, notamment en Slovénie et en Croatie. Je me trouvais dans ces
25 endroits pendant la guerre qui s'est déroulée en Croatie. Je me suis
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1 trouvé en particulier à Vukovar et j'ai circulé dans toute la Croatie.
2 En 1992, j'ai été amené par les événements et par le développement de la
3 violence à me trouver en Bosnie-Herzégovine.
4 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit que vous avez couvert
5 les événements de l'ex-Yougoslavie, Croatie, Bosnie à partir de 1991
6 environ jusqu'à approximativement 1996.
7 M. Vulliamy (interprétation). - J'y ai été pratiquement jusqu'à
8 la fin des événements, notamment en 1994 et 1995, avec des interruptions.
9 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Vulliamy, sur la base de
10 ce que vous avez écrit sur le plan international, avez vous reçu un
11 certain nombre de prix d'organismes internationaux et d’organes de presse
12 internationaux notamment ?
13 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, j'ai reçu la récompense de
14 Reporter international de l'année en 1992, la récompense du Correspondant
15 international de l’année en 1992, le prix d'Amnesty international en 1992,
16 le prix James Cameron (que l'on appelle le Pulitzer britannique) en 1994
17 et le prix du Reporteur international de l'année en 1996 pour les écrits
18 que j'avais publiés au sujet de la Bosnie-Herzégovine et ce de façon
19 rétrospective.
20 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Vulliamy, pourriez-vous
21 dire brièvement aux Juges comment vous avez eu accès aux événements de
22 l'ex-Yougoslavie ? Puis je vous prierai de concentrer votre narration sur
23 les événements qui se sont déroulés entre les Croates et les Musulmans
24 bosniaques entre 1993 et 1994.
25 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, absolument. Comme je l'ai
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1 déjà dit, j'ai couvert la guerre en Croatie pendant toute la durée de
2 cette guerre, à savoir juin-juillet 1991 jusqu'à la fin de cette guerre
3 fin 1991. Mon travail en Bosnie a d'abord été totalement concentré sur les
4 violences infligées par les Serbes aux Croates et aux populations croates
5 et musulmanes. A savoir que j'ai travaillé dans un certain nombre de
6 camps, notamment les camps serbes d'Omarska et de Ternopolje. En août
7 1992, je travaillais à Sarajevo. J'ai travaillé avec une équipe de
8 cameramen pour tourner un certain nombre de films, donc j'étais tout à
9 fait au courant des conflits qui pouvaient survenir entre les Croates et
10 l'armée gouvernementale en Bosnie, au moment où ces conflits sont
11 survenus.
12 Les rapports les plus terribles se répandaient et je les
13 connaissais dès avant ma rencontre avec M. Boban. Je l'ai rencontré en
14 Voïvodine en 1991 pour la première fois. J'ai participé à une rencontre en
15 Voïvodine entre le Président Tudjman de Croatie et le Président Milosevic
16 de Serbie. Nous connaissions les rumeurs quant à l'existence d'une
17 discussion portant sur la division de la Bosnie,, donc cette idée de
18 division de la Bosnie était déjà dans nos esprits à ce moment-là. Nous
19 avions également connaissance de la réunion de Graz qui s'était déjà
20 déroulée entre M. Mate Boban, le Président d’Herceg-Bosna, l'Etat
21 indépendant déclaré en mars 1992 au sein de la Bosnie avant même
22 l'indépendance de la Bosnie par rapport à la Yougoslavie.
23 Nous étions donc vaguement au courant de ce qui se passait. Tous
24 ces événements étaient présents à notre esprit. Nous savions que les
25 Serbes exerçaient une violence sauvage contre les Musulmans et les Croates
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1 qui semblaient être alliés pour leur résister.
2 J'ai rencontré M. Boban pour la première fois le 13 août 1992.
3 Ceci s'est passé au moment où j'ai répondu à un défi des Serbes après
4 notre découverte des camps. J'ai donc été défié par les Serbes et j'ai
5 décidé de relever ce défi. J'ai mené une enquête dans un camp, je ne vais
6 pas vous ennuyer avec les détails au sujet de ce camp croate où il y avait
7 des prisonniers serbes. Nous avons dit discuté avec M. Boban. Un conflit
8 existait entre le HVO de M. Boban et une petite milice appelée le HOS qui
9 existait à l'époque. Nous sommes donc allés discuter avec lui de ces
10 difficultés. Il était Président de l'Herceg-Bosna, ce petit Etat, il
11 n'était pas Président du HDZ, le parti politique qui était la branche
12 bosniaque du parti au pouvoir du Président Tudjman en Croatie. Il nous a
13 parlé de l'Herceg-Bosna ce soir là à Grude et a dit qu’économiquement
14 cette partie de la Croatie devait être séparée du reste de la Croatie pour
15 des circonstances historiques malheureuses. Etant donné la nature de la
16 guerre, j'ai pensé que ces circonstances malheureuses renvoyaient aux
17 événements de l'histoire, mais j'ai compris plus tard qu'il avait à
18 l'esprit l'indépendance de la Croatie par rapport au reste de la région.
19 Il a déclaré qu'il n'acceptait pas la constitution de la Bosnie-
20 Herzégovine parce qu'il estimait que cette constitution défendait bien les
21 droits individuels mais ne défendait pas néanmoins les droits du peuple.
22 Le terme utilisé pour peuple est "narod". J'ai compris au bout d'un
23 certain temps que ce terme signifiait à la fois "peuple" et "nation".
24 Donc, c'étaient les droits de ce peuple qu'il voulait défendre et il ne
25 pensait pas que la constitution garantissait les droits du peuple, du
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1 "narod", croate en Bosnie. Il a poursuivi en déclarant que la Bosnie-
2 Herzégovine, à son avis, était un espace où vivaient historiquement des
3 Croates ; ce sont les termes qu'il a utilisés. Ensuite, nous avons discuté
4 du démembrement de la Bosnie-Herzégovine. Il a parlé de la création
5 possible de cantons ou de provinces ; ce sont les termes qu'il a utilisés.
6 Il a déclaré sur la base d'une idée émanant de la structure de la Suisse
7 et dans l'esprit de l'Union européenne, et j'ai cru comprendre à l'époque
8 qu'il avait l'intention de faire appel à l'aide de l'Union européenne à ce
9 moment là. En tout cas, il a utilisé ces termes de canton et de province.
10 Je me permets de vous dire qu'à mon avis ces termes ont été reflétés par
11 la suite dans le plan Vance-Owen. Le Dr. Owen n'avait pas encore été placé
12 au poste qu'il a occupé dans la Conférence pour la Paix, cela se passait
13 quelques mois avant. Mais, en tout cas, on peut trouver l'écho de ces
14 termes dans le plan Vance-Owen. Finalement, il a souligné que le peuple
15 croate s'était armé et équipé pour défendre sa liberté.
16 Nous l'avons quitté à l'issue de cette conversation, nous lui
17 avons dit au revoir. Nous avons estimé que cette conversation était très
18 intéressante. La première chose qui m'a frappée, et cette conversation
19 avait duré longtemps, au moins deux heures, c'est que ce qu'il a dit
20 s'adressait bien davantage contre ses prétendus alliés musulmans et le
21 gouvernement de Sarajevo, auquel je pensais qu'il était censé être fidèle,
22 que contre son prétendu ennemi serbe. J'ai commencé à me souvenir des
23 faits dont j’avais connaissance et notamment aux relations avec M. Tudjman
24 et au rapport un peu bizarre d'une rencontre qui aurait eu lieu entre
25 M. Tudjman et Karadzic, le dirigeant des Serbes de Bosnie à Graz, plus tô
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1 cette année-là. Mon collègue a demandé à rencontrer M. Boban et n'est pas
2 parvenu à le faire. Donc ces propos étaient principalement dirigés contre
3 Sarajevo et ses prétendus alliés, ce qui nous paraissait un petit peu
4 étonnant. L'armée musulmane de Bosnie avaient combattu avec le HVO dans la
5 période précédente et ces combats s'étaient déroulés depuis Mostar
6 jusqu'aux montagnes de la région. Des victoires avaient été remportées.
7 Notre conversation se déroulait dans l'aura de cette victoire, donc les
8 remarques de M. Boban nous ont paru un petit peu étonnantes. La deuxième
9 chose qui nous a frappé dans ses propos, c'est que l'Herceg-Bosna ne
10 faisait pas partie de la Bosnie-Herzégovine mais de la Croatie. Il a
11 terminé la conversation en disant que le peuple croate s'était armé et
12 équipé pour défendre sa liberté ; malheureusement nous étions déjà un peu
13 habitués à ce genre de propos, il s'agissait d'une guerre qui se menait
14 prétendument au nom de la liberté. En tout cas, cette conversation a duré
15 un certain temps et nous avons repris notre travail par la suite, c'est-à-
16 dire les priorités de notre mission qui consistaient à couvrir les
17 événements qui étaient le fait des Serbes, et ce que les Serbes faisaient
18 aux Croates et aux Musulmans un peu partout dans le pays. J'ai donc
19 poursuivi mon travail dans ce sens.
20 En septembre 1992, je me suis trouvé à Travnik. J'accompagnais
21 des Musulmans et des Croates qui passaient par les montagnes car ils
22 avaient été regroupés à la fin du mois d'août par les Serbes. Je suis donc
23 retourné sur les lieux, j'ai écrit un rapport, j'ai parlé d'incidents que
24 j'avais observés, des incidents impliquant des coups de feu, à Kiseljak
25 notamment, ainsi que d'autres incidents impliquant également des échanges
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1 de coups de feu autour d'une usine de Novi Travnik qui se trouvait un peu
2 plus haut dans la vallée. J'ai entendu parler d'un homme qui était
3 commandant du HVO de Travnik. Je le connaissais depuis la première guerre
4 de Croatie. Il s'agissait de M. Pokrajecic. Il a déclaré qu'il n'avait
5 aucune intention de céder à la pression de quelque côté qu'elle vienne ;
6 ce qui impliquait qu'il pouvait y avoir une pression venant des Musulmans
7 et des Croates, mais il ne s'est pas expliqué plus avant. Il a déclaré, je
8 cite à peu près ses termes : "Pour céder à la pression, il faudra passer
9 sur mon corps. Je combattrai toujours pour les victimes de cette guerre,
10 pour les deux types de victimes." J'ai cru comprendre qu'il parlait des
11 Musulmans et des Croates. En tout cas, il y avait quelque chose dans
12 l'air, comme je l'ai dit. J'ai donc repris mon travail sur les bases des
13 priorités qui m'étaient assignées à l'époque.
14 J'avance maintenant pour parler du mois d'octobre de cette même
15 année.
16 M. Kehoe (interprétation). - Octobre 1992 ?
17 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, octobre 1992. Nous
18 observions avec la plus grande attention les combats. Une évolution
19 intéressante s'est produite à ce moment-là. Il nous a semblé qu'il y avait
20 très peu de combats entre le HVO, en Bosnie centrale et en Bosnie
21 méridionale en tout cas, et les Serbes. Les Croates déplaçaient leurs
22 troupes vers des régions qui étaient sous contrôle musulman et dans
23 lesquelles il y avait plus d'habitants croates que de Serbes. Les Serbes,
24 eux, concentraient leur attention sur les zones musulmanes dans lesquelles
25 la population serbe était majoritaire par rapport à la population croate.
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1 Je ne parlerai pas de Gorazde mais cela fait partie de tout le problème.
2 Donc c'est l'idée du partage de la Bosnie qui m'est revenue à
3 l'esprit. Par la suite, les choses se sont déroulées très rapidement. Nous
4 nous trouvions à Split où nous résidions souvent pour des raisons
5 logistiques. C'est une ville qui se trouve sur la côte. Le
6 20 octobre 1992, j'ai appris que Mate Boban s'était rendu à Travnik et
7 avait déclaré que Travnik faisait partie de l'Herceg-Bosna. Nous avons
8 ressenti ceci comme un choc. C'est un événement très important car Travnik
9 se trouve assez loin en Bosnie centrale, à quelques kilomètres des lignes
10 serbes, donc très à l'intérieur de la Bosnie centrale. Les Musulmans
11 étaient le groupe ethnique le plus important dans cette ville et cela a
12 été une surprise pour nous d'entendre que M. Boban s'était rendu à Travnik
13 pour déclarer que cette ville faisait partie de l'Herceg-Bosna, notamment
14 si l'on se rappelle ce que l'Herceg-Bosna était censée être selon les
15 informations du 15 août.
16 Le lendemain, le 21 octobre, nous avons entendu parler de
17 rapports faisant état de coups de feu échangés à une station d'essence de
18 Novi Travnik. Les raisons justifiant cet échange de coups de feu,
19 apparemment en tout cas, c'est ce que j'ai appris par la suite, étaient
20 les approvisionnements. Ils se divisaient de façon égale entre l'armée
21 bosniaque principalement musulmane et le HVO jusqu'à cette date.
22 Apparemment, en tout cas ce sont les rumeurs qui ont courues à l'époque,
23 le HVO avait déclaré aux Musulmans : "Vous ne recevrez plus la même
24 quantité d'essence." Des coups de feu ont été échangés par la suite et un
25 soldat a été tué au cours de cet échange.
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1 Nous avons essayé de déterminer si c'était un incident anodin ou
2 grave, mais compte tenu de ce que Boban avait dit et de sa visite à
3 Travnik la veille, nous avons décidé de nous rendre sur les lieux pour
4 voir ce qui s'était réellement passé. Ce que nous avons découvert était
5 très surprenant et très déprimant. Nous avons emprunté une route passant
6 par Mostar et Kiseljak pour nous rendre vers Busovaca. Il y a avait
7 beaucoup de circulation sur cette route, en particulier à partir de
8 Kiseljak. De très nombreux camions, des véhicules de toutes sortes,
9 transportaient des soldats qui se rendaient dans la région de Vitez et de
10 Novi Travnik.
11 M. Kehoe (interprétation). - Quels genres de soldats ?
12 M. Vulliamy (interprétation). - Des soldats du HVO, tous.
13 Lorsque je parle de Croates, je parle du HVO, à moins que je ne fasse une
14 distinction. La nuit tombait, nous ne sommes pas parvenus à arriver à
15 Novi Travnik avant la nuit. L'atmosphère avait complètement changé, il y
16 avait de très nombreux barrages routiers sur la route, de nouveaux
17 barrages routiers tenus par le HVO. Nous sommes arrivés jusqu'à Vitez.
18 Nous essayions de tuer le temps, nous sommes donc allés dans une maison où
19 il y avait un poste de radio. Toutes les parties de ce conflit
20 embryonnaire était représentées sur place. Il y avait le HDZ croate, le
21 HVO également. C'est Pero Skolpjak qui représentait le HVO. Je me rappelle
22 l'avoir entendu dire que le HVO n'était pas la seule autorité légale, je
23 cite : "Dans la région où le pouvoir était partagé jusqu'à ce moment-là".
24 C'est la première fois que nous avons entendu parler du village d’Ahmici.
25 Plus tard j'ai relu mes notes et j'ai trouvé une référence à Ahmici, un
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1 homme du HDZ, dont je ne me souviens pas le nom malheureusement, a déclaré
2 qu'à Ahmici les Musulmans avaient chanté des chants qui avaient offensé
3 les Croates. Je vous demande de comprendre qu'au fils des événements nous
4 avons bien sûr pris de nombreuses notes, mais les événements étaient assez
5 tragiques et à ce moment là je n'ai pas pris davantage de notes, donc je
6 n'ai pas tous les détails. En tout cas, il y a eu une conversation entre
7 ces hommes au sujet d'événements survenus à Ahmici dont je n'ai pas le
8 détail.
9 La raison pour laquelle je n'ai pas pris de notes à ce moment-
10 là, c'est qu'il y avait un balcon dans ce bâtiment qui surplombait une
11 partie de la ville et de nombreux combats se déroulaient à ce moment-là.
12 Des gens venaient fournir des explications. Ils ont parlé du fait que les
13 Musulmans avaient créé des barrages routiers pour isoler Stari Vitez et
14 qu'ils tiraient à partir de Stari Vitez. Je suis sûr que cela a bien été
15 le cas, nous avons effectivement observé de nombreux échanges de coups de
16 feu à partir du balcon de l'immeuble. Je connaissais, bien sûr, le son des
17 armes antiaériennes, des missiles Sol-Sol et j'ai entendu ce son ce soir-
18 là même si je n'ai pas vu quoi que ce soit de mes yeux. La réunion a fini
19 par se terminer, nous avons décidé de rester sur place.
20 Nous avons rencontré un homme du nom de Sacha Smica qui était un
21 tenant de la ligne dure croate, je dois dire. Nous avons décidé ensuite de
22 nous rendre à l'hôtel. Le HVO avait deux hôtels dans la région, l'hôtel
23 Orient à Travnik et l'hôtel Vitez à Vitez évidemment. Donc le HVO
24 stationnait des soldats dans ces hôtels qui étaient transformés en centre
25 militaire, mais si vous leur offriez un certain nombre de deutsche marks
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1 ils n'opposaient aucune difficulté à libérer une chambre, à déplacer les
2 soldats qui étaient dans cette chambre pour mettre cette chambre à votre
3 disposition. Il nous a été dit que nous pouvions rester à l'hôtel Vitez.
4 Nous sommes arrivés dans cet hôtel Vitez que nous avons découvert très
5 changé par rapport à notre dernière visite. Il y avait des hommes qui
6 dormaient dans le hall d'entrée, dans le bar. On nous a répondu que nous
7 ne pouvions pas rester dans cet hôtel car c'était désormais un quartier
8 général militaire. Ce Sacha connaissait un des hommes sur place. Il
9 faisait nuit, il y avait des barrages routiers, des coups de feu étaient
10 échangés un peu partout. Nous avons dit que nous ne pouvions aller nulle
11 part, que nous voulions rester sur place, mais on nous a dit que
12 malheureusement c'était impossible, qu'il fallait que nous partions. Ce
13 n'était pas très agréable, donc nous avons fini par partir et nous nous
14 sommes retrouvés cette nuit-là à traverser des barrages routiers et à un
15 barrage routier nous avons appris qu'un Musulman avait été enlevé.
16 L'atmosphère était vraiment très désagréable.
17 Le jour suivant, nous étions quelque part près de Fojnica. Nous
18 sommes repartis pour Travnik. Nous avions l'intention d'entrer dans la
19 ville pour essayer de voir quels étaient les combats qui avaient cours
20 dans la ville, nous n'avons pas pu atteindre le centre de la ville, nous
21 avons été arrêtés derrière un mur.
22 M. le Président (interprétation). - Quand vous dites le jour
23 suivant, quel jour est-ce très exactement ? Vous l’avez dit je crois, je
24 n’ai pas fait atention.
25 M. Vulliamy (interprétation). - Je ne crois pas du tout avoir
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1 mentionné de dates. Le 22 octobre, c'est le jour où nous sommes partis et
2 c'est là où nous avons eu cet entretien avec la radio et que nous avons
3 essayé de coucher dans l'hôtel. Le lendemain c'est le 23 octobre, excusez-
4 moi, je ne l'avais pas précisé.
5 M. le Président (interprétation). - Pouvez-vous parler un peu
6 plus lentement pour les interprètes car le débit est très rapide ?
7 M. Vulliamy (interprétation). - Bien sûr. Mes excuses aux
8 interprètes et à vous Monsieur le Président.
9 Donc le lendemain le 23 octobre, nous nous sommes levés et nous
10 sommes partis vers Novi Travnik. Nous n'avons pas pu atteindre ce point
11 parce qu'il y avait des combats. Nous nous sommes retrouvés coincés devant
12 un mur qui était tenus par un certain nombre de soldats du HVO. D'après
13 eux, ils venaient de Vitez et de Tomislavgrad, que l'on appelle aussi
14 Duzno je le précise, c'est son nom précédent.
15 Ils tiraient avec des armes antiaériennes, ces armes que l'on
16 porte sur l'épaule et qui sont assez puissantes. Nous étions tenus
17 derrière ce mur et sous la menace de tireurs isolés. Et nous essayions
18 désespérément de rentrer dans la voiture. Donc nous avons passé quelques
19 heures sur place. C'était assez terrifiant parce que la personne qui
20 m'accompagnait m'a dit qu'elle était hémophile, alors bien sûr ce n'était
21 pas très rassurant.
22 Nous avons fini par pouvoir nous échapper et avons pris la
23 direction de l'hôpital. Je savais assez bien à cette époque-là où se
24 trouvait l'hôpital à Travnik car nous y avons passé un certain temps
25 durant cette période-là. Je connaissais un homme à l'hôpital qui y avait
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1 été traité parce qu'il avait été littéralement déchiré par la balle d'un
2 tireur isolé et par des éclats de mortier. Donc nous avons eu une
3 interview à l'hôpital jour-là. Parmi les gens que nous avons interrogés,
4 il y avait deux jeunes enfants, un enfant de chaque côté comme cela s'est
5 trouvé.
6 Nous sommes partis de Novi Travnik ce soir-là. Nous sommes
7 revenus vers un endroit où nous pouvions téléphoner, nous étions vraiment
8 dans un état assez lamentable parce que c'était un conflit ouvert
9 désormais. Nous étions en plein dans une guerre ouverte et tout s'était
10 passé en 48 heures. C'était la première fois de mon séjour en Yougoslavie
11 que je m'apercevais du fait que les Serbes dans ce conflit-là ne prenaient
12 pas partie. D'ailleurs je me rappelle que certains Serbes plaisantaient à
13 propos de ce fait. Ils se trouvaient sur les sommets des montagnes et ils
14 faisaient des plaisanteries à ce sujet, parce qu’ils étaient simple
15 observateurs, vous comprenez. Je pense que c’est pour ça qu’ils en
16 faisaient un sujet de plaisanterie.
17 Nous sommes revenus à Split pour voir certains de nos collègues.
18 Nous voulions absolument repartir sur le terrain assez rapidement parce
19 qu'il y avait eu un ultimatum émis depuis Mostar, qui était la capitale de
20 l'Herceg-Bosna à l'époque, un ultimatum lancé à l'égard de la Bosnie-
21 Herzégovine selon lequel ils devaient absolument déposer les armes et se
22 rendre sous le contrôle du HVO. Nous ne savions pas à quoi nous attendre,
23 nous sommes donc allés à Mostar très tôt le lendemain matin.
24 A Mostar, la situation était complètement différente de ce qui
25 avait prévalu au cours de l'été précédent, à savoir de l'état d'alliance
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1 et de coopération qui existait auparavant. Le HVO avait pris le contrôle
2 de tous les centres de télécommunications, de la mairie, du Tribunal. Ils
3 avaient posé un cordon de garde autour du quartier général de l'armée de
4 Bosnie qui se trouvait alors juste à côté, dans une des parties de la
5 ville, qui était en fait la partie de la ville la moins exposée aux
6 Serbes. Nous sommes allés interviewer le commandant de ce quartier
7 général, M. Arif Pasalic.
8 M. Kehoe (interprétation). - Le commandant de quel côté ?
9 M. Vulliamy (interprétation). - Le commandant de la Bosnie-
10 Herzégovine. Donc nous avons traversé ce cordon de gardes croates pour
11 pouvoir rentrer dans le quartier général de l'armée de Bosnie-Herzégovine
12 pour interviewer le commandant Pasalic. Il nous a déclaré qu'effectivement
13 il avait reçu l'ordre de déposer les armes. Il a dit : « Je refuse de
14 déposer les armes, comment déposer les armes en pleine guerre, c'est
15 impossible ». Il a également précisé : « Vous savez ce n'est pas un petit
16 conflit local, c'est véritablement la mise en oeuvre d'un plan, d'une
17 politique qui émane de Grude et de Mate Boban et si jamais cette politique
18 est mise en oeuvre ici alors il y aura une guerre, une vraie guerre à
19 Mostar ». Et moi c'est ce que j'ai compris à l'époque, il ne voulait pas
20 dire guerre à Mostar, comme cela avait été le cas dans l'ensemble de la
21 région jusqu'alors, mais guerre à l'intérieur même de Mostar entre deux
22 alliés, entre deux forces qui étaient précédemment alliées. C'était cela
23 qu'il voulait dire.
24 Ensuite il y a eu des mesures prises à l'encontre des réfugiés.
25 Il fallait que les réfugiés se rendent dans le quartier général du HVO
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1 pour obtenir de nouveaux papiers délivrés par le HVO et portant le cachet
2 du HVO. S'ils souhaitaient rester à Mostar et bénéficier de la sécurité
3 pouvant être accordée dans le cadre de la ville de Mostar, il fallait
4 qu'ils se soumettent à ces mesures. Il s'agissait pour la plus grande
5 partie de Musulmans qui provenaient de territoires désormais placés sous
6 le contrôle des Serbes.
7 Nous avons terminé notre visite par un entretien avec le
8 commandant du HVO au sein même de son quartier général qui se trouvait
9 dans un bâtiment où se trouvaient nombre d'armes toutes neuves. Nous
10 sommes entrés dans cette caserne, il y avait un certain nombre de fusils
11 qui se trouvaient par terre, et puis tout le monde portait un fusil. Il y
12 avait une montagne de boîtes de munitions et des sacs de sable tout autour
13 des murs. Nous nous sommes assis face au commandant, le commandant Lasic
14 je crois, qui nous a d'ailleurs versé un fort bon whisky si je me rappelle
15 bien, et qui nous a expliqué ce qu'était désormais le HVO., et j'en ai
16 pris bonne note parce que j'ai trouvé que c'était intéressant. Il nous a
17 dit que c'était la seule autorité militaire et civile à l'intérieur de la
18 ville. Moi j'étais très intéressé parce que cela me prouvait bien qu'il
19 établissait un lien très étroit entre ce qui était civil et ce qui était
20 militaire. Il a eu également une remarque qui m'a rappelé exactement ce
21 que m'avait dit M. Skolpjak, lorsque je l'avais rencontré à Vitez il y
22 avait déjà un certain temps. Lasic a dit qu'il : « n'y aurait désormais
23 plus de représentation musulmane légale à Mostar à partir de maintenant »
24 (Fin de citation). Je lui ai dit : « Mais qu'en est il de l'armée ? ». Lui
25 a dit : « L'armée doit déposer les armes ». Il a dit et je le cite
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1 encore : « Je les invite à se retirer des lignes de front ». C'était une
2 remarque particulièrement ironique, n'est-ce pas ? Il était en train de
3 dire que le HVO allait être beaucoup plus à même de défendre Mostar des
4 Serbes si l'armée musulmane se retirait des lignes de front, c'était
5 complètement contradictoire. Nous savions tous que les positions de
6 l'armée de Bosnie à l'est de Mostar étaient très avancées par rapport à
7 celles tenues par le HVO, donc du point de vue militaire c'était
8 complètement antithétique que l'on demande au poste le plus avancé de se
9 retirer et de sortir de la ligne de front. Cela, bien sûr, facilitait le
10 travail des Serbes si ceux-ci désiraient prendre la ville. Là encore, il
11 me revient à l'esprit cette idée de la division de la Bosnie dont j'avais
12 déjà tant entendu parler. Vous vous rappellerez peut-être que l'accord
13 passé entre les Serbes et les Croates était que Mostar signifiait la ligne
14 de démarcation entre les deux parties de la Bosnie désormais divisée.
15 Donc pour conclure pour ce qui est de Mostar, nous sommes partis
16 de Mostar ayant à l'esprit tout ce que nous avions entendu et complément
17 découragés par la rhétorique qui nous y avait été tenue quant à ce qui se
18 passait. En fait ce qui se passait à Mostar, c'est ce qui se passait
19 simultanément à Vitez, à Novi Travnik, en d’autres lieux encore, mais nous
20 n'étions pas déjà au courant. C'était très alarmant parce que le processus
21 avançait de façon extrêmement rapide et s'accélérait terriblement.
22 Nous avions vu M. Boban deux ou trois jour auparavant à Travnik
23 et c'est à cette époque-là que nous avions entendu les premiers coups de
24 feu. Subitement tout se précipitait dans une cohérence parfaite,
25 apparemment en tout cas. Je crois que nous avons essayé de nous dire qu'en
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1 fait tout cela ne se passait pas comme c'était en train de se passer. Nous
2 avons essayé de nous dire que nous n'avions pas vraiment une guerre entre
3 deux peuples qui précédemment avaient été des alliés.
4 Quoi qu'il en soit nous sommes revenus vers Split. Nous nous
5 sommes dit qu’il fallait tenir bon et avoir un entretien avec Mate Boban à
6 propos de tout cela Nous avons donc décidé de repartir vers Grude.
7 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous nous donner une date,
8 s'il vous plaît ?
9 M. Vulliamy (interprétation). - Ce doit être le 24 octobre, un
10 samedi si je me rappelle bien. Donc nous sommes retournés vers Grude pour
11 avoir un nouvel entretien avec Mate Boban, moi-même et un journaliste qui
12 travaillait pour l'agence Reuters. Nous sommes arrivés à Grude, il avait
13 transféré son quartier général. En fait son quartier général avait pris
14 beaucoup d'ampleur et il était désormais situé dans un hôtel de l'autre
15 côté de la rue de son bureau précédent. Je crois que c'était dans l'hôtel
16 Grude, je n'en suis pas absolument certain. Nous sommes allés dans la cave
17 de cet hôtel. L'hôtel vibrait d'activités, il y avait des gens qui
18 partaient à droite et à gauche, beaucoup de gens qui parlaient, mais qui
19 se sont montrés assez hostiles à notre égard au départ. Puis nous avons
20 demandé à le voir. Or, il était en réunion avec certaines personnes,
21 derrière un rideau qui était tiré. Puis le rideau a été réouvert, les gens
22 sont partis et nous sommes entrés. Et lui nous a dit : "Je viens d'être
23 nommé président du parti HDZ de la Bosnie". Nous l'avons félicité parce
24 qu'il semblait très heureux de ce fait et nous avons pensé que c'était la
25 chose à faire, que c'était poli. Et lui nous a félicités, il nous a dit :
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1 "Vous savez, c'est quelque chose d'assez extraordinaire que de pouvoir
2 mener à bien le premier entretien avec le président du HDZ de Bosnie-
3 Herzégovine".
4 Surtout n'hésitez pas à m'interrompre si je pars dans des sujets
5 qui ne sont pas absolument pertinents, mais je voulais dire quelque chose
6 à propos du poste occupé jusqu'alors par Mate Boban au sein du HDZ. Le HDZ
7 est le parti fondé par M. Tudjman en Croatie et c'était lui le dirigeant.
8 Le HDZ en Bosnie-Herzégovine, c'était en fait la branche de ce parti en
9 Bosnie-Herzégovine, c'est tout à fait logique, qui faisait partie de la
10 même structure de parti mais séparée du parti principal. M. Boban a
11 d'ailleurs dit que les deux branches du parti avaient d’ailleurs été
12 séparées par des circonstances malheureuses, je m'en souviens.
13 Il y avait également ce M. Stjepan Kujic qui se trouvait à
14 Sarajevo. Cet homme a reconnu l'autorité du gouvernement de Sarajevo. Il
15 était en fait l'ancien président du HDZ. Même s'il n'était pas un membre
16 du gouvernement, s'il n'était pas un membre du parti au pouvoir, il était
17 un Croate qui faisait partie de ces Croates qui étaient pour l'alliance
18 musulmane croate. Il avait toujours dit que la Bosnie-Herzégovine devait
19 rester unie, un pays habité par trois peuples différents mais vivant
20 ensemble. D'après lui, le HDZ, son parti, devait représenter les meilleurs
21 intérêts de la population croate dans une telle structure. Donc la
22 position de M. Kujic était complètement à l'opposé de celle proposée par
23 M. Boban au mois d'août lors de notre entretien. J'ajoute encore une
24 chose. J'ai vu M. Kujic beaucoup plus tard, l'année suivante. Il s'est
25 rappelé de ce jour où il avait été éjecté du parti et où Boban avait pris
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1 sa place.
2 J'en reviens maintenant à ce que je disais précédemment. Nous
3 nous sommes assis face à Mate Boban pour avoir un entretien avec lui. Je
4 n'oublierai jamais cette réunion, il avait quelque chose à dire, il
5 voulait absolument que nous le répétions fidèlement. Il a commencé par
6 nous parler de la communauté croate en elle-même. Il a dit et je le cite
7 parce que j'ai pris des notes en sténographie à l'époque : "Il n'y a pas
8 un seul Croate qui ne prendra part aux négociations de Genève" (qui
9 étaient alors en cours), "Seuls ceux qui se trouvent habilités par moi à
10 le faire pourront le faire". Donc Mate Boban devenait le porte-parole des
11 Croates au sein des négociations de Genève qui étaient alors en cours,
12 comme je viens de le dire. Il était bien clair que personne d'autre
13 n'allait pouvoir y prendre part, sauf lui-même et les personnes qu'il
14 habilitait à le faire. Il a dit d'autre part et je le cite : "Nous avons
15 un programme politique et toute personne qui est en désaccord avec ce
16 programme devra partir, ou en quittant le parti, ou en partant d'une autre
17 façon" (Fin de citation). Bien sûr, c'est très clair, c'était lui qui
18 était responsable, il était interdit de manifester un désaccord à ses
19 idées. Il a ensuite un peu plus détaillé les arguments qu'il venait
20 d'avancer. Je me rappelle lui avoir posé des questions à propos de
21 l'armée, je lui ai dit : "Mais nous avons vu ces choses-là à Mostar, à
22 Novi Travnik, à Vitez, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?". Lui nous a
23 dit qu'il ne reconnaissait pas non plus l'armée de Bosnie-Herzégovine, il
24 a déclaré qu'il s'agissait, je le cite : "D’une milice entièrement
25 musulmane" (Fin de citation). Ce qui s'est avéré vrai par la suite, mais
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1 qui à l'époque n'était pas encore vrai. Et il a déclaré que le HVO était :
2 "La seule armée digne de ce nom dans le territoire libre" (Fin de
3 citation). "Le territoire libre", cela veut dire en fait tous les
4 territoires qui n'étaient pas encore passés sous le contrôle des Serbes, y
5 compris Sarajevo, Tuzla et tous les autres endroits qui composaient la
6 Bosnie-Herzégovine à l'époque. Il a déclaré, je cite, que : «Le HVO était
7 prêt à prendre le contrôle de tout le territoire de l'Herceg-Bosna" (Fin
8 de citation). Je lui ai posé la question de la situation à Mostar et il a
9 déclaré que : « Seul, le HVO pouvait disposer d'une police armée à
10 Mostar », pas d'armée bosniaque, en tout cas certainement pas. Pas d'armée
11 musulmane. Enfin, la dernière chose qu'il a dite à l'époque m'a paru sur
12 le coup peu pertinente face à la situation, mais par la suite j'ai bien
13 compris ce qu'il voulait dire. Il a précisé toute cette histoire à propos
14 des cantons et des provinces. Il a déclaré qu'il pensait que : « La
15 Bosnie-Herzégovine devait être divisée en trois parties différentes qui à
16 leur tour devaient être subdivisées en neuf provinces distinctes ».
17 Cela s'est passé, je le répète, le 24 octobre, les négociations
18 de Genève sont en cours. MM. Vance et Owen sont entrés en négociation avec
19 les différentes parties au conflit, mais tout n'est encore qu'en cours,
20 rien n'a encore abouti, et remarquez le caractère absolument
21 extraordinaire de cet entretien ; je peux le dire maintenant avec le
22 bénéfice de la perspective. Car il parle d'un nombre de provinces très
23 précis et en fait lorsqu'il parle des trois parties, qui doivent être
24 constituées à partir du territoire de la Bosnie-Herzégovine, il est en
25 plein dans ce qui est devenu par la suite le plan Vance-Owen lorsque que
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1 celui-ci a été publié. Lorsque ce plan a été publié, nous avons plaisanté
2 à propos du fait de savoir si l'auteur en était évidemment Lord Owen ou
3 bien peut-être Mate Boban parce qu'il avait été si précis dans ce qu’il
4 avait dit lors de cette réunion, avant même que le plan ne soit publié.
5 En fait, il y avait une plaisanterie à l'époque selon laquelle
6 le sigle HVO voulait dire « H Vance-Owen » parce que ce sont les mêmes
7 initiales. C'est la plaisanterie qui courait à l'époque.
8 Avec la perspective maintenant, je me rends compte en tout cas à
9 quel point cet entretien était placé sous le signe de l’ironie.
10 Maintenant, parlons un peu d'autre chose. Je me rappelle avoir
11 par la suite parlé de cet entretien avec des collègues et nous étions tous
12 assez préoccupés, j'en ai parlé notamment à ce collègue de l'agence
13 Reuters. Nous nous sommes dit à l'époque que c'était en fait une
14 déclaration d’autorité absolue au sein de la communauté croate, c'était à
15 cela que nous venions d'assister. C'était la déclaration de la prise d'un
16 commandement total, la déclaration d'une autorité absolue sur le plan
17 militaire du côté croate. Il était clair que c’était le HVO qui était le
18 parti principal et qu'il y avait un certain nombre de milices qui
19 gravitaient autour du HVO. D'ailleurs, j'ai parlé du HOS et j’y
20 reviendrai. Il y avait également le fait que Mate Boban, au cours de cet
21 entretien, avait déclaré sa décision d'imposer son autorité sur ses ex-
22 alliés, sur l'armée de Bosnie et le côté musulman. Nous n'avions plus
23 aucun doute à l'esprit. Il était clair qu’il y avait une seule chaîne de
24 commandement et qu’à la tête de cette chaîne de commandement il y avait un
25 homme, Mate Boban. Il n’y avait aucune place pour les dissidents, aucune
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1 place pour un avis opposé. Il l'a fort bien exprimé lui-même.
2 Tout ceci explique l'enchaînement de tous les événements qui
3 s'étaient passés au cours de la semaine précédente, tout ce qui a pu se
4 passer à Travnik ou à Novi Travnik. Tout s’est fait dans une cohérence
5 parfaite et cela correspondait tout à fait à la réunion que nous avions
6 eue précédemment avec lui. Tout s'est transformé en l'espace de quelques
7 jours. Le panorama du territoire sur lequel nous nous trouvions avait été
8 entièrement modifié, les alliances existantes avaient été annulées et
9 entièrement revues.
10 Je me souviens également de ce que nous avons entendu à
11 l'époque, notamment de Serbes qui se trouvaient aux alentours de Vukovar
12 et qui exprimaient leur crainte principale. Nous avons entendu des Croates
13 également, qui se trouvaient dans certaines parties de la Croatie,
14 exprimer cette même crainte. A chaque fois, les gens disaient craindre
15 certaines attaques qui étaient menées contre les civils et qui avaient
16 pour but soit d'abattre ces civils soit de les expulser des lieux où ils
17 se trouvaient. Il y a eu un moment, je me rappelle, où j'ai eu comme un
18 éclair de lucidité. Peu de temps après que nous ayons quitté Boban cette
19 nuit-là, je me suis demandé si les Musulmans auraient le droit de rester
20 en Herceg-Bosna et si c'était le cas dans quelles circonstances, comment
21 auraient-ils le droit de rester sur le territoire. Pour la première fois,
22 nous nous sommes dit que les Musulmans n’auraient peut-être pas le droit
23 de rester en Herceg-Bosna et nos craintes ont été confirmées par la suite.
24 Elles l'ont été très vite en fait et de façon assez atroce.
25 Nous sommes passés le lendemain à travers une petite ville
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1 appelée Prozor, c’était un dimanche. Apparemment, tout était normal. Le
2 jour suivant, nous étions accompagnés par des membres de l’armée
3 britannique, qui eux-mêmes accompagnaient un convoi d’aide qui devait
4 atteindre Sarajevo. Ils ont été détournés de leur but, non pas par des
5 Serbes mais par des Croates qui, pour une raison quelconque, ne voulaient
6 pas que ce convoi emprunte telle ou telle route. Deux jours plus tard,
7 nous avons enfin compris pourquoi. Nous sommes revenus par la route de
8 Prozor le mardi suivant, le 27. Deux jours après, tout était calme. Et en
9 fait, nous avons trouvé une ville absolument terrifiante, une ville qui
10 n'avait rien à voir avec celle que nous avions vue deux jours auparavant.
11 Nous avons vu d'abord des blindés du HVO et des armes lourdes qui étaient
12 placées en certains endroits près du village de Rumboci.
13 L’Interprète. - Monsieur le Président, peut-on demander au
14 témoin de ralentir, les interprètes ne peuvent pas suivre ce rythme.
15 M. le Président. - Les interprètes vous demandent de ralentir,
16 s’il vous plaît.
17 M. Vulliamy (interprétation). - Je m'excuse auprès des
18 interprètes.
19 M. le Président. - Pas pardon pour moi, pardon pour eux.
20 M. Vulliamy (interprétation). - Absolument. Je reprends. Sur la
21 route principale de Prozor qui, le dimanche précédent, était remplie de
22 gens qui prenaient un café aux terrasses, dans cette même rue un immeuble
23 sur trois avait été incendié ou détruit d'une façon ou d'une autre. Il y
24 avait partout des traces de pilonnage, des traces de tirs très intensifs,
25 que ce soit des tirs d'armes lourdes ou d'armes légères. Il y avait des
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1 bandes de soldats qui pillaient les habitations, qui se servaient
2 véritablement dans les magasins qui se trouvaient là, qui prenaient des
3 meubles et tout ce qui leur tombait sous la main. Ce qui m'a frappé parce
4 que je n'avais jamais vu cela auparavant, c'est que chaque soldat
5 (certains portaient les insignes du HVO mais pas tous) portait un petit
6 ruban rouge à l'épaulette. Jamais je n'avais vu ce signe auparavant et je
7 ne savais pas du tout ce que cela représentait.
8 Nous ne voulions pas nous arrêter pour demander ce qui s'était
9 passé, nous étions la seule voiture sur la route. C'était très bizarre
10 parce qu'à l'extérieur de la ville, juste derrière nous, ce qui devait
11 être en fait le côté croate de la ville, il y avait des enfants qui
12 jouaient, qui s'amusaient dans la rue, mais lorsque nous sommes arrivés au
13 milieu de la ville, tout était différent, tout était déserté. Nous ne
14 voulions pas nous arrêter du tout.
15 Il faut savoir que lorsqu'on quitte la ville, on passe à côté
16 d'une mosquée qui se trouve sur le côté gauche, puis il y a un virage à
17 gauche et la route monte le long du flanc d'une colline. A l'époque, j'ai
18 cru qu'il s'agissait du quartier musulman parce qu'il y avait la mosquée.
19 Le minaret n'était pas entièrement détruit mais il avait été endommagé. La
20 plupart des bâtiments qui entouraient la mosquée étaient également
21 endommagés soit par des tirs de mortier, soit simplement par des armes
22 légères, ou bien ils étaient en train de se consumer. Il y avait un cheval
23 mort qui gisait sur la route, il n'y avait aucune trace de corps humains,
24 ni rien, juste ce cheval mort qui gisait sur la route. Et puis en haut de
25 la montagne, tout en haut, il y avait cette espèce de petit chalet, ce
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1 refuge pour skieurs, qui avait été transformé en petite garnison. Il y
2 avait plein de soldats.
3 M. Kehoe (interprétation). - Des soldats du HVO ?
4 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, du HVO. Ils avaient aussi
5 ces petits rubans sur leurs épaulettes. Et à l'époque, je n'avais toujours
6 pas compris de quoi il s'agissait.
7 Puis nous avons poursuivi et nous avons trouvé sur notre chemin
8 de nouveaux barrages routiers alors qu'auparavant ce territoire était
9 parfaitement sûr ou pouvait être emprunté sans crainte aucune. Puis la
10 route ensuite continue vers Gorni Vakuf. Il y avait toutes sortes de
11 mouvements sur la route, comme s'il y avait eu une opération militaire
12 rapide et efficace quelque temps auparavant. Mais ce qui est le plus
13 important, c'est qu'il semblait que les Musulmans avaient entièrement
14 déserté la ville.
15 J'aimerais m'interrompre un instant pour préciser une chose.
16 Prozor avait une importance stratégique très particulière. Il faut savoir
17 que Prozor, cela veut dire "fenêtre". Et Prozor est effectivement une
18 fenêtre entre l’Herzégovine et la Bosnie centrale. Cela se trouve au creux
19 d'une vallée. Si l'on veut obtenir le contrôle de la Bosnie centrale, et
20 nous savons aujourd'hui que c'est bien ce que voulaient faire Mate Boban
21 et le HVO, Prozor est la première étape. Celui qui garde Prozor garde
22 l'axe principal qui pénètre en Bosnie centrale en venant de l'Herzégovine,
23 c'est-à-dire que c'est la route d'approvisionnement de l'essence, l'accès
24 à la côte, etc. C'est donc en fait l'axe vital pour atteindre la Bosnie
25 centrale. Et puis la deuxième raison pour laquelle Prozor occupe une
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1 telle importance stratégique, c'est que c'est véritablement le point
2 crucial qui se trouve sur ce que l'on a appelé à l'époque "la route
3 diamant". C'est l'armée britannique, enfin le bras britannique de l'armée
4 des Nations Unies qui a appelé cette route ainsi. La "route diamant" était
5 une route qui avait été construite à partir d'une ancienne voie
6 ferroviaire par les ingénieurs royaux. Cette route partait de
7 Tomislavgrad, c'est-à-dire Duvno, passait par Prozor, par Gorni Vakuf et
8 atteignait Vitez. En fait, c'était une ligne d'approvisionnement vitale là
9 encore pour la Bosnie centrale. Il y avait des routes asphaltées qui
10 partaient de l'est et qui traversaient Mostar. Cette route était en cours
11 de construction depuis un certain temps, depuis le mois d'août. Elle a été
12 également appelée par un certain nombre de personnes "la route de la
13 survie". Là encore, si l'on contrôlait la "route diamant", on contrôlait
14 le robinet d'aide de la Bosnie centrale. Il y a même eu des périodes où le
15 contrôle de la "route diamant" signifiait également le contrôle de l'axe
16 de communication avec la capitale, avec Sarajevo, où des centaines de
17 milliers de personnes, comme tout le monde le sait, étaient encore
18 soumises à un siège parce que toutes les autres routes menant à Sarajevo
19 étaient entièrement barrées. Il fallait absolument s'assurer le contrôle
20 de la "route diamant" si l'on voulait pouvoir faire quelque chose pour
21 Sarajevo. Il fallait même s'assurer le contrôle de la "route diamant" pour
22 aller à Kiseljak, mais cela supposait de passer à un point de contrôle
23 serbe.
24 Prozor était vraiment la colonne vertébrale de toute la
25 structure d'aide humanitaire et d'approvisionnement. Evidemment, la route
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1 qu'emprunte un homme pour apporter une aide humanitaire est également la
2 route qu'emprunte un autre homme pour approvisionner ses troupes en armes
3 militaires. Donc le HVO avait besoin de s'assurer le contrôle de la "route
4 diamant", avait besoin de Prozor. Je le répète, si vous contrôliez cette
5 route, vous pouviez envoyer vos troupes, vos blindés et tout ce que vous
6 vouliez en Bosnie centrale. Donc il était évident que les Croates
7 voulaient s'assurer le contrôle de Prozor de façon militaire.
8 Je reviens au fil de mon récit. Nous, nous ne voulions pas
9 repasser par Prozor. A ce moment-là, il commençait à faire sombre et nous
10 avons décidé de ne pas prendre ce risque parce qu'il y avait des tirs à
11 Travnik. Ce que nous voulions tout d'abord, c'était un lit, nous voulions
12 dormir et c'est ce que nous avons fait.
13 Nous sommes allés voir le commandant de l'armée de la
14 Bosnie-Herzégovine à Travnik, un homme appelé Haso Ribo. C'était un homme
15 assez incroyable. Quand nous l'avons rencontré, il était absolument
16 furieux, il était hystérique. Jamais je ne l'avais vu dans cet état
17 auparavant et jamais je ne l'ai revu dans cet état depuis. Il a déclaré,
18 nous l'avons écrit et nous l'avons publié plus tard : "Tout ce que nous
19 voulons, c'est que ces gens nous aident à combattre notre ennemi commun,
20 les Serbes". Il l'a dit, c'était comme un leitmotiv, il l'a affirmé et
21 affirmé encore et encore. Il a dit : "Je lance un appel à quiconque
22 m'entendra, il faut absolument mettre un terme à tout cela". Il a dit :
23 "D'après mes rapports, il y a 5.000 Musulmans portés disparus à Prozor,
24 nous ne savons pas où ils sont et la nuit est en train de tomber ». Bref,
25 fin de la journée. Le lendemain, nous nous réveillons et la seule chose à
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1 faire apparemment était de partir à la recherche de ces 5.000 Musulmans
2 portés disparus. Nous sommes repartis vers Prozor en traversant
3 Gorni Vakuf. Les Musulmans n'étaient nulle part. Nous avons emprunté la
4 route qui va de Prozor vers Jablanica, il pleuvait très fort.
5 Nous en sommes maintenant au 28 octobre, soit huit jours
6 seulement après la visite de Mate Boban à Travnik, et sept jours seulement
7 après les premiers échanges de coups de feu à la station d'essence. Nous
8 avons donc décidé de suivre cette route et nous avons trouvé le premier
9 incident.
10 Là encore, je m'excuse auprès des interprètes.
11 Nous avons donc suivi cette route qui nous a fait sortir de
12 Prozor et qui allait en direction de Jablanica. Nous avons trouvé les
13 premiers incidents sur la route, les hommes. Il y avait également des
14 femmes et des enfants. Je me rappelle que certains portaient encore leur
15 pyjama. Nous avons donc arrêté notre véhicule, nous en sommes sortis et
16 nous leur avons dit : "Mais qui êtes-vous et que faites-vous là ? Et que
17 se passe-t-il ?". Ils ont déclaré qu'ils avaient passé la nuit à chercher
18 des grottes ou des endroits pour s'abriter parce que des groupes de
19 soldats étaient en train de massacrer les gens qui erraient sur les
20 routes, dans la campagne. Nous avons pris des notes et, à ce moment-là,
21 une vieille camionnette est arrivée, un vieil homme en est sorti. Nous
22 avons dit que nous étions des journalistes. Il a dit : "Très bien". Il a
23 dit qu'il ne pouvait pas faire entrer tout le monde dans sa voiture, mais
24 que la plupart des gens pouvait peut-être rentrer dans son taxi. Nous
25 avons dit que nous allions également transporter dans notre véhicule
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1 certains de ces hommes et de ces femmes qui étaient sur la route. Puis
2 nous avons suivi ce petit taxi. Il a pris une route qui allait dans les
3 collines, au sud-est de Prozor. Nous avons conduit pendant un certain
4 temps, nous avons suivi ce petit taxi pendant un certain temps. Au moment
5 où nous sommes arrivés dans un endroit assez dégagé, nous avons vu des
6
7 tas de personnes qui se trouvaient dans les champs, qui étaient assises au
8 bord de la route, sur le seuil de petites maisons. En fait, c'étaient les
9 Musulmans de Prozor qui se trouvaient dans les montagnes. Nous nous sommes
10 arrêtés à nouveau. Nous avons posé des questions aux gens qui se
11 trouvaient là. Une femme qui s'appelait Nadja nous a dit que ses voisins
12 croates avaient commencé à quitter les lieux, sans donner de plus amples
13 explications, au cours du week-end. Et je crois que c'était le dimanche
14 soir ou le lundi soir, je ne me souviens plus, je n'ai pas pris de notes.
15 Je crois que c'était le lundi soir, nous allions vers le mardi matin, mais
16 je ne sais plus, c'était l'une ou l'autre de ces journées. Le pilonnage
17 avait commencé à ce moment-là, le soir. Les gens avaient passé la nuit
18 dans leur cave et, le lendemain matin, les soldats étaient venus, ils
19 hurlaient, certaines personnes avaient été tuées. Elle avait réussi à
20 s'enfuir. Elle était encore en chemise de nuit. Elle s'était cachée dans
21 un fossé. Un soldat a déclaré que des corps avaient été chargés dans un
22 camion et qu'ils avaient été évacués de la ville en tracteur. Et lui,
23 Senad -je crois que c'était le nom de ce soldat- a dit qu'il avait fait
24 partie de l'armée bosniaque. Il a dit qu'ils avaient accepté le drapeau de
25 l'Herceg-Bosna dans sa ville. Il a dit : « Nous avons accepté les cachets
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1 de l'Herceg-Bosna sur nos papiers d'identité », (il y avait plusieurs
2 cachets sur les papiers d'identité dans ce pays). Malgré tout, les
3 incidents qu'il décrivait s'étaient produits.
4 Ensuite, nous les avons laissés afin de repartir vers Prozor.
5 Juste à l'extérieur de la ville, une voiture que nous n'avions pas aperçue
6 auparavant était sur le côté. Il y avait beaucoup d'impacts de balles sur
7 le véhicule, mais pas de traces de personne blessée. Visiblement, il avait
8 été la cible de tirs au moment où il sortait de la ville. Cela ne nous a
9 pas beaucoup plu. Nous avons recommencé à traverser la ville. Il y avait
10 des hommes qui se servaient encore dans les différentes boutiques.
11 M. Kehoe (interprétation). - C'était bien des hommes du HVO ?
12 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, ils étaient tous du HVO.
13 Ils avaient le ruban sur l'épaule.
14 Nous avons suivi la route vers Tomislavgrad. Nous avons aperçu
15 trois ou quatre camions pleins de soldats qui portaient à nouveau cette
16 épaulette, des insignes du HVO également. Ils chantaient tous des
17 chansons, ils étaient un peu saouls. Je connaissais très bien les chansons
18 qu'ils chantaient. A l'époque, c'étaient des chansons oustachies de la
19 Deuxième Guerre mondiale. Par conséquent, visiblement, ces gens revenaient
20 de la ligne de Tomislavgrad et il y en avait plein d'autres qui y étaient
21 restés. Je pense d'ailleurs que c'étaient les gens locaux qui étaient
22 restés sur les lieux. Mais ceux-là revenaient de la ligne de front.
23 A Tomislavgrad, l'atmosphère était tout à fait extraordinaire.
24 Il y avait des soldats absolument partout. Nous sommes allés à
25 l'hôtel Tomislav afin de pouvoir téléphoner. Avant, nous pouvions rester
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1 dans cet hôtel, mais nous ne pouvions plus. Nous avons réussi à négocier
2 pour obtenir une chambre et pour pouvoir téléphoner également, parce qu'il
3 y avait d'autres individus qui travaillaient dans l'hôtel, la mission de
4 l'ECMM y travaillait. Nous avons pu raconter notre histoire et dire ce qui
5 s'était passé.
6 Nous avons demandé à rencontrer le commandant du HVO à
7 Tomislavgrad, Joko Selik. Il est descendu. Il était âgé. Nous avons eu un
8 dîner. Il y a eu, de temps en temps, des salves de balles qui ont été
9 tirées dans la rue. Nous étions un petit peu préoccupés et il nous a
10 répondus : « Ne vous inquiétez pas, ce ne sont que des jeux, une fête a
11 été organisée à l'extérieur » et puis il a montré des cartes dont il
12 disposait. Pendant un certain temps, il a insisté sur l'importance de ces
13 différentes cartes. C'était des cartes de la Croatie au fils des siècles.
14 Il a décrit en détail ce que représentait chacune de ces cartes.
15 L'expansion de la Croatie pour certaines et le rétrécissement de la
16 Croatie pour les autres. La dernière carte, la carte n°12 était intitulée
17 "Future Fédération croate" et montrait toutes ou presque toutes les
18 parties de la Bosnie-Herzégovine qui devaient devenir Croates ou qui
19 devaient faire partie de la Croatie, et cela l'intéressait énormément.
20 Notre attention a été attirée par une nouvelle catastrophe qui
21 était la chute de Jajce. Environ 40.000 personnes sont descendues des
22 montagnes et des collines, et ont été soumises à des coups de feu. Les
23 Serbes avaient pris Jajce à ce moment-là et c'était un jour tout à fait
24 exceptionnel. Les Serbes sont venus de Travnik. Ce jour-là, l'incident qui
25 nous a le plus marqué est que les soldats qui défendaient la ville de
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1 Jajce, les alliés Croates, devaient faire rapport à leur commandement
2 respectif du HVO à Travnik et de l'armée de Bosnie. Au haut-commandement
3 de l'armée de Bosnie-Herzégovine, beaucoup de Croates étaient en train de
4 faire des rapports. Ils avaient des insignes que je n'avais jamais vu
5 auparavant. Il y avait le lys de la Bosnie en haut à droite et le damier
6 de la Croatie en bas à gauche sur cet écusson qui était porté par les
7 soldats. Il y avait donc le signe d'une alliance et ces hommes étaient
8 tout à fait furieux. Ils ont dit : « Nous aurions pu défendre Jajce ». Je
9 ne sais pas s'il avaient tort ou raison, ils déclarait qu'il y avait eu
10 une négociation entre Karadzic et Boban, qu'il fallait les ramener de la
11 ligne de front et s'ils y étaient restés ils auraient pu combattre.
12 C'était ce qu'ils disaient à ce moment-là, je ne sais pas s'ils avaient
13 raison, ou si la défense de Jajce était impossible et insupportable et
14 s'ils avaient décidé effectivement de rendre la ville, faute de mieux.
15 Mais ces soldats disaient : « Je ne vais pas aller me battre pour Mate
16 Boban contre nos amis, c'est terminé ». C'est la dernière fois que j'ai
17 entendu parler de cet élément de l'histoire en 1992, mais elle a continué.
18 Ensuite, je voudrais arriver à fin janvier 1993. Je voulais
19 faire un film pour la BBC.
20 M. Kehoe (interprétation). - Avant d’aborder ce point, dans la
21 zone de Prozor en octobre 1992 avez-vous eu connaissance d'un point de
22 contrôle du HOS à Rumboci ?
23 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, effectivement.
24 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous dire quelles sont vos
25 observations après la conversation que vous avez eue avec Mate Boban sur
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1 ce point de contrôle ?
2 M. Vulliamy (interprétation). - Cela nous ramène à une semaine
3 bien remplie en événements, la semaine du 20 octobre 1992. Il y avait
4 beaucoup de points de contrôle en Bosnie et il fallait apprendre à y
5 passer. Tout le monde avait des points de contrôle et il fallait les
6 traverser sans arrêt. J'étais à l'époque dans un véhicule Citroën
7 britannique que l'on pouvait reconnaître assez facilement et il avait un
8 grand drapeau britannique sur une partie de la carrosserie. Donc certaines
9 personnes occupaient un point de contrôle sur la route. Une blague avait
10 cours à l'époque qui était que personne ne voudrait voler cette voiture
11 puisque le volant était placé du mauvais côté. Donc, il y avait ce point
12 de contrôle à Rumboci qui était au sud-ouest de Prozor et qui était occupé
13 par le HOS et non pas par le HVO, le sigle HOS était inscrit sur la petite
14 maison à côté du barrage routier et ils portaient des tee-shirts noirs
15 afin de se distinguer des membres du HVO. Cela se situait dans cette
16 semaine-là. En fait, c'était avant l'un des voyages à Prozor ou c'était
17 peut-être un des voyages à Prozor, en tout cas c'était avant notre retour
18 à Novi Travnik. Au cours de cette semaine, lorsque nous sommes arrivés à
19 ce barrage routier, il y avait de nouveaux uniformes du HVO avec des
20 insignes du HVO sur le bras, évidemment nous en avons plaisanté, nous
21 avons dit : « Je vois ce qui s'est passé avec le HOS, il n'y a plus de
22 HOS, c’est terminé ». Ils n'avaient plus leurs tee-shirts noirs etc..
23 Enfin ce n'était pas moi, c'étaient surtout les interprètes qui
24 s'amusaient de cet état de fait. Nous, nous savions qu'il y avait eu des
25 soldats du HOS et qu'ils n'étaient plus là, que c'était des soldats du HVO
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1 qui les avaient remplacés. C'est la dernière fois en fait que j'ai vu des
2 membres d'une milice alors que quelques temps auparavant il y avait eu des
3 dizaines, des centaines, de membres de ces milices au cours de l'été 1992.
4 Et puis à la fin, il semblait que toutes ces brigades du HOS avaient fini
5 par fusionner avec le HVO et qu'elles avaient laissé de côté leurs
6 uniformes.
7 M. Kehoe (interprétation). - Avant de passer à janvier Monsieur
8 Vulliamy, à la fin du mois d'octobre, vous avez observé ce qui s'était
9 passé à l'hôtel Vitez et à Vitez. Vous avez pu observer ce qui s'était
10 passé à Mostar, l'ordre de désarmement, ainsi que les ordres émanant du
11 commandement du HVO. Vous avez vu également ce qui s'était passé à Prozor,
12 la transformation des unités du HOS en unités du HVO. Quelle conclusion en
13 avez-vous tiré ?
14 M. Vulliamy (interprétation). - Que toutes les prédictions de
15 Mate Boban au cours de la première et de la deuxième réunions s'étaient
16 véritablement produites, que tout avait été appliqué avec beaucoup
17 d'efficacité, que tout était cohérent, qu'il n'y avait pas d'éléments
18 marginalisés ou qui ne voulaient pas répondre aux ordres, que la chaîne de
19 commandement qui avait été appliquée fonctionnait parfaitement et que les
20 gens répondaient et exécutaient les ordres.
21 M. Kehoe (interprétation). - Veuillez poursuivre.
22 M. Vulliamy (interprétation). - En janvier 1993 donc, j’y suis
23 retourné un reportage pour la BBC. C’était beaucoup plus facile, je
24 n'avais pas à conduire une voiture Citroën, nous avions un véhicule blindé
25 et c'était bien nécessaire parce que, là encore, la situation avait
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1 changé. La route diamant était bloquée à moment-là. Nous avons utilisé un
2 autre itinéraire pour aller vers Kiseljak. Il y avait de nouveaux barrages
3 routiers sur toute la route allant de Kiseljak vers Vitez en passant par
4 Busovaca, surtout des barrages routiers du HVO mais également de l'armée
5 de Bosnie-Herzégovine, en tout cas au moins deux. Des maisons avaient été
6 incendiées le long de la route sur le territoire contrôlé par les deux
7 factions en présence, ce qui n'était pas le cas auparavant. Donc il y
8 avait une guerre tout simplement, il y avait un nettoyage ethnique.
9 C'était le principe "oeil pour oeil, dent pour dent" qui fonctionnait sur
10 le terrain. Nous n’avions pas besoin de poser de questions pour le savoir.
11 Nous avons vu à la nuit tombée que des voitures avaient été
12 écartées sur le côté, qu'elles avaient subi des tirs et que l'atmosphère
13 était très pesante, très préoccupante. Ceci avait commencé en octobre 1992
14 et la situation avait empiré. Ce film avait pour sujet les Musulmans de
15 Travnik. Ceci ne nous intéresse pas particulièrement, sauf qu'il y a eu un
16 incident qui je crois avait une incidence particulière. Le commandant du
17 HVO à Travnik avait changé. Ce n'était plus le vieil homme que nous avions
18 rencontré auparavant, Kukralcic, mais une autre personne qui s'appelait
19 Filip Filipovic qui semblait vouloir exprimer ses opinions. La guerre
20 durait depuis un certain temps entre l'armée et le HVO, mais Filipovic ne
21 voulait pas en entendre parler. Mate Boban n'avait pas eu beaucoup de
22 chance à Travnik. Nous avions une caméra évidemment, personne n'en avait à
23 Travnik et depuis pas mal de temps, alors le commandant Filip Filipovic a
24 dit qu’il avait des contacts réguliers avec Ahmed Kulinovic qui était son
25 homologue dans le camp musulman. Il voulait que nous allions sur le mont
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1 Vlasic avec lui et le commandant Musulman Kulinovic parce qu'il
2 s'intéressait à la possibilité d'attaquer le sommet de la montagne qui
3 était tenu par les Serbes et qui détenaient un poste radio, donc qui
4 avaient une possibilité d'établir une certaine communication dans toute la
5 zone. Filipovic voulait faire cela avec l'aide des Musulmans. Il voulait
6 donc que nous montions au sommet de la montagne avec son homologue sous le
7 nez des Serbes, c'était un voyage très dangereux, donc accompagnés du
8 commandant de Bosnie-Herzégovine ; nous en avons beaucoup parlé en
9 montant.
10 C'est la troisième fois qu'a été mentionné le nom du colonel
11 Blaskic. Je ne l'avais jamais rencontré, mais par deux fois un officier du
12 régiment du Cheshire m'en avait parlé et un homme du Haut-commissariat aux
13 réfugiés m'en avait également parlé. A l'époque, il était question d'un
14 accord de cessez-le-feu qu'il avait été obligé de signer par le colonel
15 Blaskic. En fait, il ne voulait pas le signer, mais il avait un peu obligé
16 son homologue Hadzihuseinovic à le signer, mais ce n'était pas une
17 situation facile. Enfin bref, c'était la troisième fois que j'entendais
18 son nom parce que le colonel Filipovic, ou le major, je ne sais plus très
19 bien, a juré sur le nom de Mate Boban et du colonel Blaskic. Il a dit :
20 « Ils me mettent dans une position inconfortable et ils me font marcher
21 sur le fil d'un couteau » et c’est son expression. Je crois qu'à l'époque
22 il voulait dire que si vous tombez cela fait très mal évidemment, mais que
23 surtout il allait soit tomber d'un côté du couteau et, dans ce cas,
24 s'allier aux Musulmans, désobéir aux ordres, renoncer au commandement de
25 son armée, soit être obligé de tomber de l'autre côté du couteau et
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1 s'engager dans une relation hostile avec ses homologues musulmans, et être
2 obligé de faire quelque chose qu'il n'avait absolument pas envie de faire,
3 parce qu'il avait peut-être des raisons personnelles et aussi des raisons
4 militaires de ne pas le faire. Il a donc choisi cette petite mise en
5 scène, à savoir d'avancer avec son homologue de l'autre camp à la
6 télévision pour exprimer cette idée. J'ai trouvé cela très intéressant
7 avec le recul.
8 Autre point très intéressant, à l'époque malgré les souffrances,
9 le manque d'eau, d'électricité, etc, des travaux avaient été faits afin
10 d'installer un système de télécommunication. Là, je vais avancer un peu
11 dans le temps. Il a fallu peut-être un an avant de terminer cela, mais à
12 partir du bureau de poste on pouvait enfin passer des appels téléphoniques
13 à partir de fils téléphoniques normaux et non pas à partir de satellites.
14 Je dois dire qu'en janvier et en février 1993, et je précise que cet
15 événement avec M. Filipovic a eu lieu fin février, il était assez
16 difficile de passer des appels téléphoniques. En quelques mois, on pouvait
17 appeler une ville contrôlée par les Croates, mais on ne pouvait pas par
18 exemple appeler quelqu'un qui se trouvait à Zenica ou à Sarajevo.
19 L'importance de tout cela, c'est que l'indicatif téléphonique pour la
20 Croatie était 385 et pour la Bosnie-Herzégovine 387. En fait, cela était
21 le reflet exact de ce qui se passait dans la zone contrôlée par les
22 Serbes. Ces éléments d'infrastructure différents qui avaient été installés
23 semblaient être extrêmement importants alors que c'était un endroit où la
24 vie quotidienne était totalement troublée et perturbée. Malgré les
25 différentes épreuves auxquelles devaient se soumettre la population, il y
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1 avait ce type d'infrastructures. Même chose pour l'immatriculation des
2 voitures ; toutes les plaques d'immatriculation portaient des
3 immatriculations de l’Herceg-Bosna. C'était un signe assez intéressant,
4 même s'il présageait d'événements bien pires par la suite.
5 Je ne suis pas retourné en Bosnie avant l'été suivant. Au cours
6 de cette période, le plan Vance-Owen avait été signé par les Croates avec
7 un grand désir de le faire pour des raisons évidentes. Je ne vais pas
8 entrer dans les détails à nouveau, mais ce plan avait été rejeté par les
9 Serbes. Les violences les plus intenses avaient eu lieu en Bosnie
10 centrale. Je me rappelle que le HVO avait déclaré de façon unilatérale :
11 "Nous avons notre propre interprétation du plan Vance-Owen" et à l'époque
12 l'Herceg-Bosna était une institution qui fonctionnait. Ceci en
13 juillet 1993, je le rappelle.
14 Je ne suis resté en Bosnie centrale que très peu de temps à ce
15 moment-là. En fait, entre le mois d'octobre et la fin du mois de
16 janvier/février 1993, je l'ai dit, l'atmosphère avait changé, mais lorsque
17 j'y suis retourné en juillet elle avait changé du tout au tout. Il y avait
18 des affrontements à Bugojno. Gornji Vakuf n'était plus qu'un champ de
19 bataille. La ligne de front traversait la ville, la divisait en deux. Il y
20 avait même un tireur isolé sur la colline de l'armée de Bosnie-Herzégovine
21 lorsque nous étions à Vitez près de la base britannique.
22 C'est la seule occasion au cours de laquelle j'ai pu rencontrer
23 le colonel Blaskic qui est maintenant général. Il fallait un laissez-
24 passer spécial pour se rendre à Sarajevo, à Mostar, à Split ou à Zagreb et
25 malheureusement je n'en avais pas. Il fallait obtenir ce papier afin de
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1 pouvoir se rendre dans tous ces endroits. Ce laissez-passer émanait du
2 HVO, bien sûr. Il fallait ce laissez-passer pour traverser un village qui
3 s'appelait Novi Bila, on m'a dit qui fallait que je me rende à l'hôtel
4 Vitez pour obtenir ce document et qu'il fallait que je m'adresse au
5 colonel Blaskic. Donc je lui ai demandé si je pouvais obtenir ce document,
6 j'ai utilisé des interprètes bien sûr. Je crois qu'il a consacré à peu
7 près une demi seconde à mon problème. Sans doute avait-il d'autres choses
8 à faire. On m'a dit de m'adresser à une autre personne qui pourrait peut-
9 être me donner ce document, ce qu'il n'a pas fait d'ailleurs. Mais
10 effectivement, j'ai bien compris que j'étais en train de faire perdre son
11 temps au colonel Blaskic en lui posant des questions sur mon laissez-
12 passer. Il y avait urgence dans d'autres endroits de la Bosnie-
13 Herzégovine. En effet, à ce moment-là certains rapports faisaient état du
14 nettoyage ethnique à grande échelle dans la zone de Mostar et qu'il y
15 avait des combats intenses dans Mostar, dans la ville même.
16 Nous sommes retournés au quartier général de M. Boban, à Grude.
17 Il s'était encore déplacé. Il était maintenant dans des locaux d'une
18 entreprise à la périphérie de la ville. Nous avons demandé à aller à
19 Mostar, à l'est de Mostar, dans le quartier musulman. La réponse a été
20 non, que personne n’allait s’y rendre, et d'ailleurs personne ne s'y est
21 rendu pendant les deux mois qui ont suivi. Nous avons demandé à nous
22 rendre à Capljina et on nous a répondu la même chose. Nous avons dit :
23 « Pourquoi ? » Il a répondu, je ne parle pas de M. Boban, je parle de son
24 porte-parole qui s'appelait George, un canadien, je ne sais pas quel est
25 son nom de famille, nous l'appelions George le Canadien. Il a dit que nous
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1 ne pouvions pas aller à Capljina parce que c'était une zone d'actions.
2 J'ai dit :"Mais comment ça ? C'est à dix kilomètres de la ligne de front".
3 Il nous a dit : « Eh bien, de toute façon vous ne pouvez pas y aller ».
4 Cependant, nous devions nous rendre à Capljina. Si on nous interdisait
5 l'accès de cette ville, c'est qu'il devait y avoir une bonne raison.
6 Donc nous sommes retournés au point de contrôle et là nous avons
7 commencé à avoir une bonne idée de la situation. Nous avions un traducteur
8 du Washington Post avec nous. Le véhicule de ce traducteur s'est garé
9 derrière nous. Grâce à lui, nous avons fini par rentrer dans la ville de
10 Capljina et ce que nous avons vu était tout à fait terrifiant. Cela nous
11 rappelait les jours où les Serbes étaient mêlés au combat, où il y avait
12 des combats à Prijedor et à Banja Luka, parce que qu'il y avait des
13 soldats qui jonchaient les rues. Cela ne ressemblait pas à Prozor, mais il
14 y avait des bâtiments et des boutiques qui avaient été brûlés, des maisons
15 qui avaient été choisies visiblement et qui avaient été détruites, il y
16 avait des graffitis partout. Nous avons trouvé un vieil homme, le seul
17 civil qui se trouvait dans la rue. L'interprète lui a demandé ce qui se
18 passait et il a répondu : « On a emmené mes fils ». Une femme est apparue
19 vers la mosquée, donc nous sommes allés vers la mosquée, où se trouvait
20 l’imam, avec des femmes qui paniquaient. Il nous a dit à ce moment-là que
21 depuis le 4 juillet, et nous étions le 18 juillet 1993, les craintes de
22 tous les hommes musulmans dans la ville s'étaient confirmés et presque
23 tous avaient plus ou moins été arrêtés. Ils étaient partis de la ville et
24 les femmes qui étaient restées sur les lieux, notamment les femmes qui
25 étaient avec l'imam à ce moment-là, ne savaient pas où se trouvaient leurs
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1 proches, leurs parents. L’une d'entre elles avait dit que l'un des hommes
2 avait été emmené alors qu'il était en train de s'entraîner ; il faisait
3 partie d'une équipe de football à l'époque. D'autres ont déclaré que leur
4 mari et leurs proches avaient été emmenés sur la ligne de front au moment
5 des combats contre le HVO. Il y avait beaucoup de Musulmans, et c'était
6 assez impressionnant, qui combattaient dans les rangs du HVO à l’époque.
7 Il n’y avait pas de formations de Bosnie-Herzégovine en tant que telles
8 dans cette région. Ils avaient donc été arrêtés sur les lignes de front.
9 Elles ne savaient pas où ils se trouvaient mais les femmes avaient entendu
10 parler de deux camps, Dretelj et Garbelja. Elles nous ont dit qu'elles
11 avaient essayé de retrouver la trace de leurs maris, de leurs fils, mais
12 qu'elles n’avaient pas pu se rendre à ces endroits.
13 Je dois dire que cela me rappelait beaucoup de choses. Je ne
14 suis pas ici pour témoigner de ce qui s’est passé à Banja Luka et à
15 Prijedor, mais c’était la même chose, c’était le même schéma qui était
16 suivi. On arrivait dans ces endroits, il y avait des femmes qui étaient à
17 moitié folles, qui ne savaient pas où leurs maris et leurs fils avaient
18 été emmenés ; donc tout cela me semblait extrêmement connu.
19 Nous sommes rentrés au quartier général de Mate Boban. Nous
20 avons rencontré à nouveau Georges le Canadien. Monsieur Mate Boban ne
21 souhaitait pas nous voir. Nous avons dit que nous revenions de Caplinja et
22 Georges nous a dit : « Non, ce n’est pas possible, vous n’avez pas le
23 droit de vous y rendre. » Nous lui avons répondu : « Eh bien, c’est
24 dommage parce que nous en venons justement et que nous avions regardé ce
25 qui s'était passé sur les lieux ». J'ai déclaré que je voulais inspecter
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1 le camp de Dretelj. Il a dit : « Non, personne ne peut y aller. » Alors
2 j’ai demandé : « Et à Gabelja, qu’est-ce qui se passe ? ». J'avais entendu
3 parler de ce camp-là également. Il m’a dit : « Gabelja est sur la
4 frontière croate, c'est une zone d'action, vous ne pouvez pas vous y
5 rendre non plus. » Nous sommes repartis vers le Haut-commissariat aux
6 réfugiés, nous leur avons posé des questions sur la situation, je parle du
7 bureau du Haut-commissariat aux réfugiés de Medzugorije.
8 M. le Président. - Nous allons faire une pause. Nous reprenons
9 dans un quart d'heure.
10
11 La séance, suspendue à 16 heures 10, est reprise à 16 heures 30.
12
13 M. le Président. - L'audience est reprise. Veuillez introduire
14 l'accusé.
15 (L'accusé est introduit dans la salle d’audience).
16 (Le témoin également).
17 M. le Président. - Maître Kehoe ?
18 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
19 Monsieur Vulliamy, nous étions sur le point de parler de la
20 réunion d'information du HCR à Medzugorije. Mais avant, j'aimerais vous
21 poser une question. Vous avez parlé de Caplinja. Vous avez dit qu'au
22 moment où vous vous y trouviez, il y avait des troupes dans la région.
23 Etaient-ce des troupes du HVO ?
24 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, absolument.
25 M. Kehoe (interprétation). - Bien. Poursuivez Monsieur,
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1 continuez à raconter aux Juges ce qui s'est passé à partir de cette
2 réunion d'information et situez les événements dans le temps, je vous
3 prie. A quel moment, à peu près, s'est déroulée cette réunion de
4 Medzugorije ?
5 M. Vulliamy (interprétation). - C'était le 18 juillet 1993. Nous
6 avions passé la majeure partie de l'après-midi à Caplinja, avec ces femmes
7 à qui nous parlions. Il y a toujours des détails intéressants. Je me
8 rappelle d'une femme qui a décrit comment le HVO était arrivé, les soldats
9 étaient entrés dans sa maison pour prendre l'argent et les bijoux. Elle
10 avait de l'argent dans ces sous-vêtements mais, finalement, ils l'ont
11 trouvé et l'ont pris.
12 Donc, il y avait des camps dans la région. Ce soir-là, nous nous
13 sommes rendus dans le bureau du HCR, à Medzugorije où l'on pouvait avoir
14 un lit. Il y avait deux personnes à cet endroit, elles nous ont donné des
15 informations très intéressantes. Elles nous ont dit qu'elles avaient
16 entendu parler de ce qu'elles ont qualifié de réseaux de camps, donc un
17 réseau de camps dans lequel, d'après ces personnes, 10.000 personnes
18 avaient été transportées. Elles ont cité les noms de Dretelj et de
19 Garbelja, ainsi que le nom de Rodoc dans les environs de Mostar.
20 Ensuite, ces deux personnes nous ont raconté une histoire
21 extraordinaire au sujet d'une réunion à laquelle elles ont été obligées
22 d'assister dans la ville de Makarska sur la côte croate. Cette réunion
23 avait eu lieu la semaine précédente. Lors de cette réunion, il leur avait
24 été dit -et c'étaient les autorités d'Herceg-Bosna qui leur avaient dit
25 cela- que leur souhait consistait à déporter quelques 50.000 hommes vers
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1 des pays tiers par le truchement d'un camp de transit qu'ils avaient
2 l'intention de créer dans une ville appelée Ljubuski, dans les environs.
3 M. Kehoe (interprétation). - 50.000 hommes Bosniaques-
4 Musulmans ?
5 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, 50.000 hommes Bosniaques-
6 Musulmans d’Herceg-Bosna, tout cela par le truchement d'un camp capable de
7 contenir 50.000 hommes, à Ljubuski, dans les environs. Les responsables du
8 HCR nous ont raconté qu'ils étaient absolument ébahis par cette idée et
9 également par le fait que Mate Granec, le ministre des Affaires étrangères
10 de Croatie, donc de Zagreb, avait assisté à cette réunion et avait dit que
11 son gouvernement allait coopérer avec le HCR si le HCR souhaitait être
12 impliqué dans ce projet.
13 Ce concept nous était déjà quelque peu connu sur la base de ce
14 qu'il s'était passé un an auparavant. Lorsque nous couvrions les violences
15 commises par les Croates contre les Musulmans dans le nord-est de la
16 Bosnie, ce que Radovan Karadzic et ses hommes avaient réussi à faire
17 c'était de contraindre le HCR -en tout cas, c'est ce qui nous a été répété
18 cette nuit-là à Medzugorije et c'est ce qui avait déjà été dit- à se
19 trouver dans une situation grotesque, une situation où l'on ne peut
20 distinguer la poule de l'oeuf ; c'est-à-dire que le HCR se voyait
21 contraint soit de coopérer au nettoyage ethnique en participant à ces
22 opérations, soit d'autoriser l'emprisonnement de ces hommes dans des
23 camps, dans une situation bien connue, alors que la Croix-Rouge
24 internationale n'était toujours pas autorisée à pénétrer dans ces camps.
25 C'était donc un choix impossible, un choix entre deux maux. Le HCR se
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1 trouvait à Medzugorije à ce moment-là confronté exactement à ce même
2 terrible dilemme que celui auquel leurs collègues s'étaient trouvés
3 confrontés à Prijedor et Banja Luka au moment des événements tragiques qui
4 se sont déroulés dans ces deux endroits.
5 A certains moments, nous avons posé des questions au sujet de
6 Caplinja et du maire. Nous n'avions pas réussi à localiser le maire et
7 n'avions pas de temps à perdre pour essayer de le trouver. On nous a dit
8 qu'il s'appelait Pero Markovic et on nous a dit avoir vu un document -qui
9 n'a pas pu nous être montré- dont il était l'auteur. Ce document évoquait
10 ce qui nous a été mentionné comme étant un plan de contrôle des naissances
11 destiné à empêcher l'admission d'un certain nombre de femmes pour
12 accoucher à l'hôpital. Je cite ce que les représentants du HCR nous ont
13 dit, je cite : "Ces femmes auraient donc été rejetées de l'hôpital après
14 avoir été taxées d'élément antisocial et anti-autorité".
15 J'ai finalement quitté la Bosnie, je pensais partir pour l'été
16 pour rédiger un livre. Mais, à la fin du mois d'août, mon projet a été
17 contrecarré. En effet, à ce moment-là, le premier convoi est entré dans
18 l'est de Mostar et peu de temps à près les premières caméras de télévision
19 ont également pénétré dans l'est de Mostar. J'ai vu des scènes tout à fait
20 atroces à la télévision et il ne me restait plus rien d'autre à faire que
21 d’y retourner pour aller moi-même dans l'est de Mostar.
22 Mais je reviens à Medzugorije. Il y avait deux problèmes urgents
23 qui exigeaient d'être traités très rapidement, à savoir Mostar et Dretelj.
24 Nous étions déjà au mois de septembre à ce moment-là et personne n'était
25 encore allé dans le camp de Dretelj.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Vulliamy, vous parlez de
2 septembre 1993 ?
3 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, septembre 1993. Pour les
4 dates exactes, je crois que c'était la deuxième semaine du mois, je ne me
5 souviens pas exactement quel jour je suis arrivé à Medzugorije, mais je
6 crois être assez précis, deuxième semaine du mois. Dretelj existait
7 toujours et n'avait toujours pas été inspecté, même pas par la Croix-
8 Rouge. Mais des articles avaient été publiés dans la presse qui traitaient
9 des premiers prisonniers libérés et donc sortis de Rodoc et de Garbelja.
10 Selon des articles que j'avais lus dans mon journal écrit par un confrère,
11 ces prisonniers libérés avaient été contraints de traverser le no man's
12 land pour se rendre à Jablanica qui se trouvait sur leur territoire et des
13 coups de feu avaient été tirés au-dessus de leur tête, me semble-t-il, au
14 moment où ils traversaient ce no man's land. Je ne sais pas si quiconque
15 avait été tué mais en tout cas c'est ce qui était écrit dans ces articles.
16 Et Dretelj était devenue un problème urgent.
17 Je me suis rendu à Grude. Georges le Canadien toujours -je vous
18 prie de m'excuser pour l'absence de son nom de famille- est allé voir
19 Mate Boban qui ne souhaitait pas le rencontrer, et il a dit qu'il voulait
20 entrer dans Dretelj. On lui a dit : "Ne soyez pas idiot, vous y êtes déjà
21 allé". Il s'est opposé à cette décision. Nous avons donc insisté auprès de
22 Mate Boban qui ne voulait pas nous rencontrer, mais le commandant du HVO,
23 Slobodan Praljak était un autre homme, auquel nous avons pensé pouvoir
24 nous adresser pour lui poser la même question, et à ma très grande
25 surprise il a répondu par l'affirmative.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Avant cette conversation avec
2 Praljak, des articles avaient-ils été publiés dans la presse parlant de la
3 relation du Président Tudjman avec des personnes d'Herceg-Bosna au sujet
4 de ces camps ?
5 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, j'allais arriver à cela. Je
6 crois que Praljak a répondu par l'affirmative parce que ce matin-là, dans
7 un journal, Slobodan Praljak avait été interviewé et cet article stipulait
8 que le Président Tudjman de Zagreb avait écrit une lettre à Mate Boban en
9 insistant pour que toutes les mesures soient prises afin de respecter les
10 lois humanitaires dans les camps. Après deux mois -les camps existaient
11 depuis plus de deux mois-, cette phrase paraissait un peu étonnante. Sauf
12 qu'au niveau diplomatique, la Grande Bretagne et
13 les Etats-Unis avaient menacé Zagreb de sanctions si les Croates de Bosnie
14 ne respectaient pas le droit international dans ces camps. La Croatie à
15 l'époque craignait beaucoup cette menace de sanctions. Des pressions, je
16 crois, ont été exercées sur M. Boban et la panique s'est répandue à
17 Zagreb. Les Américains étaient très insistants et disaient que si la
18 Croatie n'appliquait pas la loi en Bosnie, des sanctions seraient
19 décrétées aux Nations Unies. Donc je suppose que c'est la raison pour
20 laquelle, à ma grande surprise et à la grande surprise de mes confrères,
21 Praljak nous a répondu que nous pouvions aller à Dretelj. Nous avons
22 demandé un ordre écrit et le secrétaire qui l'a rédigé était très surpris
23 également, de même que le personnel qui nous a rencontrés à notre arrivée
24 à Dretelj.
25 Pour moi, c'était une impression de déjà vu parce que je savais
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1 lorsque nous parlions de Dretelj que c'était un camp du HOS que j'avais
2 visité par le passé, au moment où il était en fait un camp abritant des
3 prisonniers serbes. Je l'avais donc visité en août 1992, le jour où
4 j'avais pour la première fois rencontré Mate Boban. En tout cas nous
5 sommes arrivés à Dretelj, nous avons été accueillis par le commandant du
6 camp, un certain Tomo Sakota.
7 Nous avons visité la zone de l'hôpital ; un euphémisme bien sûr.
8 Il s'agissait d'une salle qui subissait la chaleur torride de cet été-là.
9 Il y avait des hommes allongés sur des lits, couverts uniquement par une
10 couverture. On voyait leurs os qui ressortaient au niveau des épaules. Ils
11 avaient les yeux qui pleuraient et ils étaient très malades. Ils avaient
12 été soignés par des médecins musulmans qui étaient des médecins
13 prisonniers et qui nous ont dit avoir essayé de les traiter contre la
14 malnutrition, avoir essayé de traiter leurs côtes fracturées. Certains
15 hommes étaient morts de mort naturelle, disait-on. Nous avons continué
16 notre visite.
17 Les règles du jeu avaient été stipulées par le commandant. Nous
18 n'avions l'autorisation d'interviewer les prisonniers qu'en présence du
19 commandant et avec l'aide des interprètes. Il avait décidé qu'aucune
20 interview ne se déroulerait sans qu'il puisse l'entendre et que ces
21 interviews devraient se dérouler individuellement en allemand ou en
22 anglais.
23 Nous avons fini par arriver dans des espèces d'abris,de petites
24 baraques, qui lors de ma première visite, au moment où le camp était un
25 camp du HOS, abritaient des femmes. Mais ce jour-là c'était un camp du HVO
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1 qui abritait des hommes musulmans. Les lieux étaient tellement surpeuplés
2 que les hommes prisonniers ne pouvaient qu'être accroupis au sol et ne
3 pouvaient pas s'allonger. Et tous leurs objets personnels devaient êtres
4 placés au-dessus de leur tête. Il n'y avait pas de place sur le sol pour
5 ces objets.
6 Nous avons donc réussi assez rapidement et assez facilement à ne
7 pas respecter les règles du jeu. Nous étions représentants de la BBC et il
8 y avait parmi nous d'autres représentants de la BBC et du Daily Telegraph.
9 J'ai parlé à un disc-jockey de la localité de Stolac qui m'a dit
10 que les portes étaient verrouillées pendant des soixante-douze heures
11 d'affilée et qu'à ces moments-là il leur fallait essayer d'évacuer les
12 excréments par la fenêtre située plus haut dans le mur de façon à ne pas
13 succomber à la puanteur. Pendant les périodes où les portes étaient
14 verrouillées, ils ne recevaient ni eau, ni alimentation. Ils étaient
15 obligés pour éviter la déshydratation de boire leur propre urine.
16 Nous avons poursuivi notre visite et nous sommes arrivés dans un
17 secteur du camp que je n'avais pas vu au moment où le camp était sous le
18 contrôle du HOS, le HOS nous avait empêché d'accéder à ce secteur. Nous y
19 avons trouvé deux bâtiments se faisant face avec un espace entre les deux.
20 Ces bâtiments s'enfonçaient sous le sol. Les portes étaient constituées de
21 grilles métalliques. Les portes étaient ouvertes évidemment parce que nous
22 étions là. A ce moment-là, nous ne respections pratiquement plus les
23 règles du jeu et à notre grande surprise nous avions une certaine liberté
24 pour parler à qui nous voulions Ceux à qui nous avons parlés nous ont dit
25 que les choses s'étaient un peu améliorées depuis l'arrivée de M. Sakotam
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1 et que le pire avait eu lieu plutôt durant l'été, notamment au moment où
2 les portes étaient verrouillées soixante-douze heures d'affilée, cela nous
3 a été répété. Mais il y avait aussi des moments où il n'y avait aucune
4 possibilité d'évacuer les excréments parce que les hommes étaient enfermés
5 dans le noir le plus complet, sans la moindre fenêtre ouverte, qu’ils
6 buvaient leur urine, je le répète, et qu’il y avait des moments où les
7 gardes s'enivraient et tiraient avec leurs mitraillettes à travers la
8 porte. On nous a parlé de dix à douze victimes lors de ces exercices et
9 ils nous ont montré également les preuves de leurs dires puisque nous
10 pouvions voir des traces de balles sur le mur, nous les voyions très
11 clairement dans le mur du fond et dans la porte. Donc nous avons encore
12 entendu des récits de mauvais traitement très nombreux.
13 Ce qui nous a surpris le plus c'est ce qui nous a été dit au
14 sujet de la visite de la Croix-Rouge qui nous l'avons découvert ce jour-là
15 avait eu lieu la veille. Nos interlocuteurs n'étaient pas toujours
16 d'accord sur le fait que les conditions s'étaient améliorées quelques
17 jours auparavant, c’était soit au cours des trois derniers jours, soit
18 quelques semaines auparavant ; les avis différaient sur ce point. Mais un
19 homme nous a dit que cent-vingts prisonniers qui étaient dans l'état le
20 plus misérable avaient été évacués avant l’arrivée de la Croix-Rouge. Nous
21 avons posé des questions au secrétaire du camp à ce sujet et il nous a été
22 dit que Mate Granec avait téléphoné deux jours avant la visite prévue de
23 la Croix-Rouge et avait demandé au secrétaire et je cite les paroles de
24 l'homme en question : « Que la vie des prisonniers soit rendue un peu plus
25 facile avant la visite de la Croix-Rouge ».
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1 Notre visite a continué. Nous avons vu les conditions très
2 humiliantes dans lesquelles les prisonniers étaient détenus. Vingt à
3 trente hommes étaient obligés de courir pour traverser l'espace séparant
4 les bâtiments et de manger à toute vitesse accroupis sur le sol, leur
5 nourriture dans une espèce de gamelle métallique pendant que les gardiens
6 mangeaient. Ensuite il leur fallait laver cette gamelle, et courir à
7 nouveau vers le bâtiment où ils étaient enfermés.
8 J'ai encore une fois été frappé par la réticence des prisonniers
9 à s'approcher de la zone du hangar la plus proche de la porte. Ils
10 s'entassaient tous vers le mur du fond, accroupis et serrés les uns contre
11 les autres. Quand nous leur avons demandé pourquoi ils ne profitaient pas
12 de la chance offerte par l'ouverture la porte, ils nous ont répondu qu'ils
13 avaient trop peur des gardes et qu'il n'était pas autorisés à s'approcher
14 de cette porte
15 Donc voila ce que je peux vous dire au sujet de Dretelj que nous
16 avons finalement quitté ce jour-là. J’ai un autre épisode à vous raconter.
17 Sur la route, nous avons pris un raccourci pour retourner à Medzugorije.
18 Alors que nous étions en route nous avons vu une voiture arriver sur la
19 route qui portait une plaque l'immatriculation du HVO, ccette voiture a
20 fait quelque chose d'assez désagréable à mon encontre ; c'est-à-dire que
21 sans me pousser complètement dans le fossé, comme on peut le voir dans les
22 films, j'ai tout de même reçu un petit coup sur le côté car la voiture m'a
23 frôlé de trop près. J'ai pensé que le message à notre retour du camp était
24 tout à fait clair.
25 La Bosnie à l'époque peut se comparer à un véritable cauchemar.
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1 J'ai visité un certain nombre de camps serbes : Omarska, Ternopolje. Je ne
2 suis pas allé à Keraterm, mais dans une prison appelée Kula, proche de
3 Sarajevo. C'est un peu grotesque, mais ce que j'essaie de faire pour votre
4 bénéfice, c'est de placer Dretelj sur une espèce d'échelle comparative.
5 Ternopolje se trouvait près de Prijedor, au nord ouest de la Bosnie. A mon
6 avis, Dretelj avait des conditions sans doute pires que celles de
7 Ternopolje mais qui n'étaient absolument pas comparables et bien moins
8 pénible qu'Omarska. Omarska était vraiment un endroit abominable. Donc je
9 n'établirai pas de comparaison avec Omarska, mais je dirai que Dretelj
10 peut se comparer tout de même à Omarska qui est le pire. En tout cas,
11 Dretelj était ce qu'il y avait de pire du point de vue croate et, si on
12 mesure les conditions de vie de Dretelj en les comparant aux conditions de
13 vie dans les camps serbes, ce n'est pas une bonne méthode d'évaluation,
14 mais si on compare les conditions de vie dans les camps serbes c'était un
15 camp qui était légèrement pire que Ternopolje.
16 Le HCR a été évidemment l'objet de notre visite suivante. La
17 Croix-Rouge ne souhaitait pas s'exprimer sur tous ces sujets, c'était son
18 droit, mais les représentants du HCR nous ont dit : « Nous confirmons tout
19 ce que vous dites avoir vu et entendu, bien que nous n’ayons pas visité le
20 camp. » Le commandant Sakotam avait évalué le nombre des prisonniers à
21 1.400 et le HCR estimait que ce chiffre était assez exact. En été, il
22 s'était trouvé jusqu’à 2.500 prisonniers dans ce camp. Honnêtement,
23 l'entassement des prisonniers ne pouvait que rendre les conditions de vie
24 plus terribles.
25 Les autorités d’Herceg-Bosna étaient à l'époque difficiles à
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1 rencontrer mais elles ont, c’est indubitable, fait un effort pour nous
2 parler. Le lendemain, des autorités d’Herceg-Bosna sont venues nous voir
3 en masse. Nous avons vu arriver un peloton de dirigeants de la Herceg-
4 Bosna qui nous proposait une conférence de presse et de satisfaire tous
5 nos désirs. C'est quelque chose que je n'avais jamais vu avant et que je
6 n'ai pas vu ensuite. Boban n'était pas présent, Praljak non plus et c'est
7 Kazimir Zubak qui était en fait le dirigeant le plus important. Il nous a
8 été présenté comme vice-président du HVO. Je ne sais pas très bien comment
9 interpréter ce titre. Plus tard, il est devenu président de la fédération.
10 Il a insisté pour nous dire que l'internement de ces hommes était un
11 impératif, c'est le mot qu'il a utilisé, en raison du fait que les
12 Musulmans en âge de porter les armes devaient, comme il l’a dit, être
13 isolés. Il a toutefois admis que les critères prévus dans les Conventions
14 de Genève n'étaient pas respectés dans ces camps et il a trouvé un
15 prétexte pour justifier ce fait en nous parlant de la rapidité extrême
16 avec laquelle il avait été contraint d'enfermer tous ces hommes. Nous
17 avons posé des questions au sujet des mauvais traitements et il a répondu
18 qu'aucun ordre n’avait été donné pour maltraiter les prisonniers, mais que
19 les mauvais traitements étaient peut-être le résultat d’actes d'individus
20 irresponsables, comme il les a appelés, mais que le commandement du HVO
21 n'avait reçu aucun rapport quant au fait que des prisonniers avaient été
22 maltraités. Etant donné que Mate Granec avait pris son téléphone pour
23 demander de nettoyer le camp, que ce camp existait depuis déjà deux mois
24 et que la Croix-Rouge n’avait pas reçu d'autorisation de le visiter, je
25 n'ai pas cru à ce prétexte.
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1 M. Riad (interprétation). - Que voulez-vous dire, Monsieur,
2 lorsque vous parlez de nettoyer les lieux ?
3 M. Vulliamy (interprétation). - Je parlais du coup de téléphone
4 dont Sakotan nous avait parlé, en disant que Mate Granec de Zagreb, le
5 ministre des Affaires étrangères de la Croatie, avait téléphoné pour
6 demander que la vie des prisonniers soit rendue un petit peu plus facile.
7 Je n'ai pas repris les mots exacts, excusez-moi.
8 En tout cas, Zubak nous a présenté un homme qui était censé être
9 le responsable des échanges de prisonniers. Cet homme nous a dit qu’à son
10 avis les conditions dans le camp répondaient exactement aux critères
11 prévus dans le droit international et que si les hangars étaient
12 suffisants pour la JNA ils devaient être suffisants pour des prisonniers
13 musulmans. Bien entendu, les soldats de la JNA lorsqu’ils utilisaient ces
14 lieux avaient de véritables lits alors que ce n'était pas le cas des
15 prisonniers. Je rappelle que Dretelj était une caserne avant la guerre.
16 Parlons maintenant de Mostar, un autre problème très important.
17 Lorsque nous avons demandé où les hommes avaient disparu dans l'est de
18 Mostar, la réponse a été tout à fait atroce. Le contingent espagnol qui se
19 trouvait dans la ville de Mostar avait quitté la ville la veille de
20 l'offensive croate, le 9 mai, je dirai même qu'il s'est agi d'une fuite.
21 Ce contingent espagnol se trouvait à Medzugorije et patrouillait deux fois
22 par semaine dans la ville. Mais il n'y avait pas beaucoup de volontaires.
23 Encore une fois, je suis contraint d'établir une comparaison pour votre
24 profit et j'espère que cela vous sera utile. Tous les sièges ont été
25 atroces. Sarajevo a été atroce, chacun le sait. De même que Srebrenica.
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1 Dieu sait ce qui s'est passé pendant le siège subi par ces deux villes.
2 Mais Mostar, Mostar vraiment, a été la ville la plus terrifiante que j'ai
3 visitée. Je ne peux penser qu’à Bosanska Krupa qui avait été assiégée par
4 les Serbes et qui avait subi un siège pire que celui de Mostar. Le siège
5 de Mostar a été bien pire que celui de Sarajevo. J'ai interrogé un
6 chirurgien (du cerveau) qui m'a dit sans l'ombre d'une difficulté, et cet
7 homme venait de Sarajevo, que le siège de Mostar était particulièrement
8 atroce en raison de la concentration de blessés (hommes, femmes et
9 enfants) dans cette ville. La population de la petite poche musulmane qui
10 se trouvait à l'est de la Neretva, entre un petit village appelait Blagaj
11 au nord et Berut à l'est, était de 2.000 personnes lorsque j'y suis arrivé
12 en mai 1993, mais en septembre on estimait la population à
13 50.000 habitants. Ce sont des vieillards, des femmes et des enfants qui
14 constituaient le gros de ce surcroît de population. En passant le pont, à
15 l'ouest de Mostar, on se trouvait dans une galerie qui subissait les coups
16 de l'artillerie. Au moment où nous y sommes arrivés, de très nombreuses
17 personnes étaient mortes dans les hôpitaux souterrains, mais un grand
18 nombre avait également tué dans les rues.
19 L'homme qui essayait de gérer l'hôpital nous a dit qu'il avait
20 subi 50 coups directs de l'artillerie depuis l'autre côté de la ville,
21 malgré la Croix-Rouge très évidente sur le toit du bâtiment. C'est son
22 entrepôt de médicaments qui avait subi le plus gros des dommages. Il se
23 trouvait trop près du toit. Il n'y avait pas d'eau dans l'hôpital, les
24 gens devaient aller à la rivière pour essayer de trouver de l'eau. La
25 veille de notre arrivée, une mère et ses deux enfants avaient été tués au
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1 moment où ils essayaient de se procurer de l'eau dans la rivière, tués par
2 des tirs de missile provenant de l'autre côté.
3 Le danger était énorme. Il y avait une grande rue qui passait à
4 travers ce qui restait des maisons. Lorsque l'on quittait la route
5 principale, on traversait en fait des salons, des chambres à coucher, des
6 salles à manger, comme dans une espèce de dédale. Il était assez bizarre
7 de passer dans les maisons de toutes ces personnes, on pouvait même passer
8 par la boutique d'un coiffeur et se faire coiffer pour un paquet de
9 cigarettes. Un paquet de cigarettes suffisait pour obtenir une très bonne
10 coupe de cheveux.
11 Enfin je ne vais pas insister sur les conditions en vigueur à
12 Mostar, vous pouvez me poser des questions ultérieurement, si vous le
13 souhaitez. Mais l'Union Européenne à l'époque avait essayé d'évoquer un
14 projet de division entre deux communautés est et ouest. M. Boban avait été
15 entendu à la radio comme disant je cite : "Pas question de diviser Mostar,
16 c'est la capitale de la Bosnie-Herzégovine et ce ne sera que cela."
17 Puis, je voudrais signaler un autre détail, à savoir que les
18 Croates avaient placé des haut-parleurs de l'autre côté de la rivière qui
19 hurlaient de la musique avec des sons métalliques et des chants oustachis
20 que l'on entendait à longueurs de journées de l'autre côté. Je suppose que
21 ces actes visaient deux objectifs, d'abord écouter ce bruit terrible pour
22 perdre la tête encore plus que ce n'était le cas sans cette musique et
23 également devenir de plus en plus angoissé et nerveux.
24 J'ai encore un épisode à vous raconter. J'ai rencontré Mate
25 Boban à l'aéroport de Zagreb au moment où j'allais à Split. J'étais avec
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1 un confrère du Washinton Post avec lequel il a accepté de parler, à moi il
2 n'avait pas très envie de parler, mais tout de même nous avons posé une
3 question au sujet de Mostar et il a répondu : « Mostar ne sera jamais
4 divisé, c'est la capitale de la Bosnie-Herzégovine ». A ce moment-là, le
5 HCR avait réussi à faire pénétrer un véhicule blindé dans la poche de
6 Medzugorije. JaveJum, un homme remarquable, faisait passer des gens grâce
7 à ce blindé. Il était accueilli par la population locale comme un sauveur
8 et il est mort plus tard d'un cancer. Je pense qu'il savait déjà qu'il
9 avait un cancer et que c'est pour cette raison qu'il n'hésitait pas à
10 prendre des risques. En tout cas, Jave Jum, au moment où nous sommes allés
11 à Mostar, souhaitait voir quels étaient les médicaments et équipements
12 médicaux disponibles. Il souhaitait ouvrir un nouvel hôpital. Des coups de
13 feu ont été tirés sur nous, de l'autre côté la rivière. Il y a eu
14 également des tir de missiles Sol-Sol. Les médecins ont été appelés.
15 Lorsque les pompiers sont arrivés, en fait c'était un camion avec des
16 seaux pleins d'eau, ils ont été pris pour cible également. Nous avons
17 passé la majeure partie de ces trois jours qui ont suivis dans la cave
18 tandis que les obus tombaient sans arrêt. Je vais donner une estimation
19 extrêmement approximative ; je déteste donner des chiffres concernant
20 cette guerre d'une façon générale, mais je pense qu'une personne sur
21 quarante a été abattue dans cette poche durant cette période. Donc, les
22 victimes ont été de 1.000 environ, si ce n'est un petit peu plus, et parmi
23 ces personnes il y avait un nombre majoritaire de femmes et d'enfants
24 M. Kehoe (interprétation) - Vous parlez de quand exactement ?
25 M. Wulliamy (interprétation). - Je parle du 9 mai jusqu'au mois
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1 de février 1994.
2 Donc, nous étions dans cette cave et, bien sûr, la population
3 d'une façon générale avait très peu de chances de survie. C'était vraiment
4 le jeu du chat et de la souris. Il fallait s'arrêter au coin de la rue,
5 attendre que deux tirs de fusil aient lieu et ensuite courir vers
6 l'endroit où vous vouliez aller. Il y avait notamment le problème de la
7 traversée de la rivière qui se posait et le côté ouest de la rivière était
8 toujours tenu par les Musulmans. Et puis il y avait ce pont bien connu en
9 arc qui avait été détruit par les fusilleurs croates. Bien sûr un pont
10 métallique avait été construit pour le remplacer. Quand vous décidiez de
11 traverser le pont, les balles ricochaient dessus et vous étiez
12 généralement atteint. De l'autre côté du bâtiment, il y avait des
13 bâtiments entourés de sacs de sable. En fait, c'était des bâtiments faits
14 de sacs de sable. Il n'y avait plus rien debout. Moi, j’ai pris ce chemin,
15 j'ai été guidé par quelqu'un, j'ai vu de la fumée sortir de quelque part
16 et j'ai dit : "Mais, qui se trouvent là-bas ?" et il ma dit : "Il y a des
17 personnes qui vivent dans ce trou là-bas", j’ai dit : "Peut-on aller les
18 voir ?" et il m'a dit : "Ne soyez pas stupide, vous êtes en train de
19 vouloir aller sur la ligne de front et ensuite vous espérez revenir ?". En
20 fait, effectivement je me suis rendu près de ce trou qui était entouré de
21 sacs de sable. Certaines personnes avait résisté pendant neuf mois dans ce
22 type d'emplacement et avaient réussi à s'en tirer. Ensuite je suis vite
23 revenu de l'autre côté, j'ai eu très vraiment très peur. Nous sommes
24 restés dans la partie est de Mostar la nuit du 22 février dans cette cave.
25 Entre-temps, dans le monde par ailleurs, il y avait le diplomate
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1 américain, Charles Redman essayait d'établir des négociations de paix
2 entre les Croates et l'armée de Bosnie. Ces négociations ont été
3 couronnées de succès. Nous avons appris cela à Mostar ce jour-là, le 22,
4 on nous a dit : "La paix va arriver, c'est imminent", et nous nous sommes
5 dit : "Ce n'est pas possible, il faut que nous sortions de la cave et pour
6 en savoir plus sur cet accord de paix", donc nous sommes partis.
7 Le lendemain, c'est-à-dire le jour prévu de l'entrée en vigueur
8 de cet accord de paix, soit le 24 février, nous sommes passés dans le côté
9 ouest de Mostar. La première chose qui m'a frappé, c'est le contraste qui
10 existait entre Mostar est et Mostar ouest. C'était frappant, il y avait de
11 l'essence, des cafés, les gens parlaient normalement, s'asseyaient aux
12 terrasses. C'était incroyable, ces deux parties n'étaient séparées que par
13 une rivière. Ce qui était le plus frappant de ce côté-là, c'était le
14 silence qui régnait, il n'y avait pas de tirs. Alors quel qu'ait été
15 l'accord passé entre Washinton et Zagreb, il faut croire qu'il a
16 fonctionné.
17 Nous nous sommes rendus au quartier général du HVO, nous avons
18 dû attendre, nous voulions nous entretenir avec Veso Vegar qui était, en
19 fait, le porte-parole du HVO en Bosnie. Nous lui avons demandé : « Mais
20 est-ce que cela va vraiment marcher, cet accord ? » Il a dit : « Oui, le
21 cessez-le-feu va être respecté, l'artillerie va être repositionnée juste
22 au cas où (je le cite) les hostilités reprendraient contre les Serbes ».
23 Il nous a rappelé que le HVO n'acceptait pas le fait qu’il y ait deux
24 armées en présence à Mostar, mais il a cependant précisé que le cessez-le-
25 feu serait imposé et respecté. Nous avons un petit peu de mal à le croire.
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1 Il a dit : « Accompagnez-moi ». Il a désigné un garde pour que celui-ci
2 nous emmène à une position où il y avait des canons à mortier. En fait,
3 c'était juste au-dessus de l'endroit où nous avions été terrés le matin
4 précédent. C'était incroyable, cette scène : un silence extraordinaire
5 régnait, c'était une belle après-midi, c’était assez incroyable. Les
6 mortiers étaient couverts de draps et ce n’est pas vraiment que les hommes
7 qui les entouraient étaient contents, mais un homme a dit : « Vous savez,
8 c'est notre ville et moi si j'ai à le faire, eh bien, je la dépècerai
9 pierre par pierre ». Mais en tout cas, les mortiers étaient recouverts. Ce
10 qui est incroyable, c'est que ce jour-là la guerre qui avait commencé à
11 l'époque de la réunion de Travnik venait de s'arrêter. C’était absolument
12 extraordinaire.
13 Nous sommes revenus vers nos camarades et j'ai entendu par des
14 collègues que la même chose s'était passée à Vitez, à Novi Travnik. Dans
15 tout le reste de l’Herzégovine, la même chose s’était passée. C'était
16 comme si on avait éteint l'interrupteur. Aussi vite que la chose avait
17 commencé, tout s'était arrêté. Tout ce qui avait commencé par ces tirs à
18 la station d’essence à Travnik il y avait si longtemps s'était arrêté
19 d'une façon absolument inattendue et subite.
20 La conclusion était évidente : il y avait une structure de
21 commandement, une structure qui fonctionnait très bien, qui avait eu des
22 conséquences désastreuses en octobre 1992, mais qui avait fonctionné de
23 manière remarquable, et qui heureusement avait fonctionné de façon
24 efficade en février 1994 puisqu’elle a mis un terme à la guerre.
25 Pratiquement, aucun tir de fusil n'a été tiré depuis. A cette époque-là,
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1 tout le monde était reconnaissant et rendait grâce à la capacité
2 d’efficacité, de fonctionnement efficace qu'avait cette structure de
3 commandement.
4 Je suis parti de la Bosnie en mars 1994, j'ai passé un an à
5 l'étranger, je suis revenu dix mois plus tard seulement pour écrire un
6 certain nombre d'articles rétrospectifs sur ce qui s'était passé.
7 M. Kehoe (interprétation). - Avec votre autorisation, Monsieur
8 le Président, je vais juste poser quelques questions au témoin, des
9 questions relatives à ce qui a été dit dans le cadre du témoignage.
10 Première question, Monsieur Vulliamy : je vous demande de
11 consulter la pièce qui se trouve accrochée au chevalet qui se trouve à
12 votre gauche. Monsieur Dubuisson, il me semble que c'est la pièce 29 ?
13 M. Dubuisson. - La pièce 29L.
14 M. Kehoe (interprétation). - Veuillez prendre ce feutre bleu,
15 s’il vous plaît. Je vais demander à l’huissier de vous le faire passer.
16 (L’huissier s’exécute)
17 Pouvez-vous nous indiquer l'emplacement de la ville de Prozor
18 sur cette carte et nous montrer l'emplacement de la route que vous appelée
19 « la route diamant » ?
20 M. Vulliamy (interprétation). - Je vais le faire.
21 M. Kehoe (interprétation). - Peut-être va-t-il vous falloir vous
22 appuyer sur le chevalet pour écrire sur la carte.
23 M. Vulliamy (interprétation). - J'ai beaucoup parlé de
24 Tomislavgrad, cela se trouve en bas de la carte.
25 M. Kehoe (interprétation). - Si vous parlez, il faut le faire
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1 dans le micro.
2 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. J’ai beaucoup parlé de
3 Tomislavgrad dans le cadre de mon témoignage. Pardon, je vous tourne le
4 dos, Monsieur le Président.
5 M. le Président. - Il faut choisir ! Je vous en prie.
6 M. Vulliamy (interprétation). - Tomislavgrad est ici en bas, et
7 là nous avons la ville de Prozor. Voici la route diamant. Ici, il y a
8 Rumboci dont j'ai parlé. A partir de ce point-là, la route est asphaltée
9 et arrive dans Prozor. La route diamant poursuit ensuite au nord de
10 Prozor. J'indique le chemin qu'elle parcourt avec le feutre bleu ; c'est
11 une estimation. C'est une route de qualité relativement mauvaise, mais
12 enfin tout de même elle est asphaltée. Elle traverse Gornji Vakuf, passe
13 par la rue principale, puis ne devient qu’un chemin de terre, un chemin de
14 montagne. L'état de cette route a été quelque peu amélioré pendant la
15 guerre. Ensuite, la route part vers le nord de la façon que j'indique,
16 elle traverse un certain nombre de communautés, elle suit cette route de
17 montagne et atteint ce qui est indiqué sur la carte comme étant Pucarevo ;
18 je lui ai donné son nouveau nom Novi Travnik au cours de mon témoignage.
19 J'espère ne pas me tromper. Il y a ici Nova Bila. Donc la route débouche
20 sur la route principale, juste au nord de Nova Bila, et Vitez est juste à
21 côté.
22 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez marqué toutes ces
23 indications avec le feutre bleu sur la pièce 29L, n’est-ce pas ?
24 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, la route diamant est
25 indiquée en bleu, enfin approximativement.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Vulliamy, asseyez-vous
2 s’il vous plaît, nous allons rapidement passer au second document que je
3 veux vous soumettre.
4 M. Vulliamy (interprétation). - Je voudrais préciser qu'il était
5 prévu que la route continue jusqu'à Tuzla, mais Tuzla n'apparaît pas sur
6 la carte.
7 M. Kehoe (interprétation). - Je ne vais pas respecter l'ordre
8 chronologique que vous avez suivi, mais vous avez parlé à plusieurs
9 reprises du secteur de Mostar. Monsieur Dubuisson a une carte de ce
10 secteur.
11 (L'huissier s'exécute).
12 M. Kehoe (interprétation). - C'est la pièce 306 ?
13 M. Dubuisson. - Oui.
14 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur l'huissier, veuillez
15 donner simplement cette carte au témoin. Il n'est pas nécessaire de la
16 placer sur le chevalet.
17 (L’huissier s’exécute)
18 Monsieur Vulliamy, vous et moi, nous avons passé un certain
19 temps à indiquer un certain nombre d'emplacements sur cette carte pour
20 aider les Juges. Ces villes, vous les avez citées dans votre témoignage,
21 n'est-ce pas ?
22 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.
23 M. Kehoe (interprétation). - Les noms de trois villes sont
24 soulignés en orange au centre de la carte et je crois que ces indications
25 marquent l'emplacement des camps dont vous avez parlé, les camps du HVO,
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1 n’est-ce pas ?
2 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. Ils sont soulignés en
3 orange, il y a Rodoc au sud de Mostar, Dretelj juste au-dessus de Caplinja
4 et Garbleja qui se trouve près de la frontière croate.
5 M. Kehoe (interprétation). - Merci. Vous avez dit qu'en
6 juillet 1993, vous vous étiez rendu à Caplinja, n'est-ce pas ? Cette ville
7 apparaît juste en dessous de Dretelj ?
8 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement.
9 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez déclaré avoir rencontré
10 certaines personnes, des hommes musulmans de Bosnie, dans le camp de
11 Dretelj, ces hommes venaient de la ville de Stolac, cette ville est
12 indiquée en bas à droite de la carte, n'est-ce pas ?
13 M. Vulliamy (interprétation). - Les hommes ont dit qu'ils
14 venaient de cette ville, mais effectivement Stolac apparaît à l'endroit de
15 la carte que vous avez précisé. Moi, je n'y suis jamais allé.
16 M. Kehoe (interprétation). - Au-dessus de Caplinja et de
17 Dretelj, il y a l'endroit à partir duquel vous rayonnez, à savoir
18 Medzugorije, n'est-ce pas ?
19 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.
20 M. Kehoe (interprétation). - Vous nous avez parlé d'une réunion
21 que vous avez tenue avec le HCR au cours de laquelle il a été fait
22 allusion à une conférence qui avait eu lieu sur la côte dalmate avec les
23 autorités croates et avec les autorités de Bosnie. Cette conférence était
24 relative au transfert de 50.000 hommes musulmans vers des pays tiers. Vous
25 vous rappelez avoir dit cela ?
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1 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.
2 M. Kehoe (interprétation). - Où ces hommes devaient-ils être
3 rassemblés ?
4 M. Vulliamy (interprétation). - Le camp de transit, comme on l'a
5 appelé à l'époque, devait se situer à Ljubuski qui se trouve à gauche de
6 la carte.
7 M. Kehoe (interprétation). - Parfait. Cela apparaît en vert à
8 gauche de la carte. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce
9 document vous sert simplement à vous repérer.
10 Je vais maintenant vous demander d'apporter certains
11 éclaircissements. Je vais d'abord vous faire passer la pièce 80/4. Je
12 souhaite qu'elle soit placée sur le rétroprojecteur.
13 (L'huissier s'exécute)
14 M. le Président. - Quelle est la cotation de cette carte ?
15 M. Dubuisson. - La dernière carte porte le numéro 306.
16 M. le Président. - Merci.
17 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce la pièce 80/4 ou est-ce que
18 je me trompe ?
19 M. Dubuisson. - 80/6.
20 M. Kehoe (interprétation). - Merci. Monsieur Vulliamy, je ne
21 vais pas vous poser de questions relatives à tout ce dont que vous avez
22 parlé dans votre témoignage, mais vous avez parlé d'un entretien que vous
23 avez eu avec le commandant Kulenovic, le commandant de l'armée de Bosnie-
24 Herzégovine, et d'un entretien avec Filip Filipovic, commandant du HVO.
25 Vous avez eu cet entretien en haut du mont Vlasic. C'était à la fin de
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1 février 1993 ?
2 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.
3 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que Filip Filipovic, la
4 personne avec laquelle vous vous êtes entretenu, apparaît sur la
5 photographie 80/6 ?
6 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. Il a les cheveux argentés,
7 on le voit ici, à l'endroit que j'indique.
8 M. Kehoe (interprétation). - Et il est assis à côté de l'accusé,
9 le colonel Blaskic ?
10 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.
11 M. Kehoe (interprétation). - Dans votre témoignage, vous avez
12 déclaré que Filipovic avait injurié Boban et Blaskic, n'est-ce pas ?
13 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.
14 M. Kehoe (interprétation). - Et il a dit qu'il était « en train
15 de marcher sur le fil du couteau », n'est-ce pas ?
16 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.
17 M. Kehoe (interprétation). - D'après vous, qu'est-ce qui le
18 préoccupait ?
19 M. Vulliamy (interprétation). - J'ai compris que ces deux hommes
20 dont il avait parlé l'avaient obligé à marcher sur le fil de la lame.
21 Lorsqu'il a dit cela, j'ai compris qu'il était en train d'être forcé par
22 ces deux hommes à obéir à des ordres qui arrivaient jusqu'à lui et qui
23 émanaient de Boban, qui émanaient de Vitez, des ordres qui le poussaient à
24 entrer dans une guerre avec ceux qui étaient pour lui ses Musulmans
25 alliés, et lui ne voulait pas du tout entrer dans ce type de conflit.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Nous allons maintenant revenir à la
2 fin de votre déposition. Je vais vous faire passer un document qui a été
3 versé au dossier. Il s'agit de la pièce 25, Monsieur Dubuisson. Il s'agit
4 d'un article et cet article, Monsieur le Président, a été versé il y a
5 bien longtemps lorsque M. Donja est venu déposer ici. C'est un article
6 tiré de Slobodan Dalmatia. Veso Vegar qui est cité dans cet article.
7 Monsieur Vulliamy, dans le cadre de votre déposition, vous avez
8 dit qu'au cours de l'été 1993, après le rejet du plan Vance-Owen par les
9 Serbes, à cette époque donc les Croates de Bosnie avaient établi un plan
10 qui visait à leur permettre de mettre en œuvre leur propre projet ?
11 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.
12 M. Kehoe (interprétation). - Et je crois que vous avez suivi
13 cela de très près et que cela apparaît dans votre livre ?
14 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, j'ai suivi cela de très
15 près.
16 M. Kehoe (interprétation). - Vous n'avez pas vu cet article qui
17 est paru dans ce journal croate et qui a été rédigé par Veso Vegar, c'est
18 bien le cas n'est-ce pas ?
19 M. Vulliamy (interprétation). - Non, je ne l'ai pas vu.
20 M. Kehoe (interprétation). - Savez-vous d'où vient cet article ?
21 M. Vulliamy (interprétation). - Je crois que c'est Reuters qui a
22 été à l'origine de cela. Mais ce qui a été dit c'est que le HVO,
23 maintenant que le plan Vance-Owen avait été rejeté par les Serbes, allait
24 appliquer unilatéralement son programme. Enfin, à l'époque, c'est ce qui a
25 été compris.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Ce Veso Vegar, est-ce bien la même
2 personne avec laquelle vous vous êtes entretenu le 23 ou le
3 24 février 1994 ?
4 M. Vulliamy (interprétation). - Je crois pouvoir affirmer que
5 oui. Veso Vegar est l'homme que nous devions voir dans la partie ouest de
6 Mostar le jour où cette partie de la guerre est arrivée à son terme.
7 M. Kehoe (interprétation). - Mais Veso Vegar était-il un porte-
8 parole, comme certaines organisations en ont, ou bien était-ce un
9 représentant des forces armées ?
10 M. Vulliamy (interprétation). - C'était un porte-parole du HVO,
11 c'était un homme qui avait beaucoup de pouvoir, qui avait un poste
12 d'importance. Il était revêtu d'un uniforme militaire et non d'un costume-
13 cravate.
14 M. Kehoe (interprétation). - L'homme qui a rédigé cet article,
15 le 4 avril 1993, dans le quotidien croate Slobodna Dalmatia est donc bien
16 l'homme que vous avez vu le 23 ou le 24 février 1994 ?
17 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.
18 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que les événements se sont
19 déroulés exactement de la façon qu'il avait décrite, lorsque qu'il a dit
20 que le cessez-le-feu allait être appliqué ?
21 M. Vulliamy (interprétation). - Mais oui. Il a dit que le
22 cessez-le-feu allait être respecté et c'est ce qu'il s'est passé.
23 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur Vulliamy. Je n'ai
24 plus de questions, Monsieur le Président.
25 M. le Président. - Maître Hayman, pour l'organisation de nos
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1 travaux, je ne voudrais pas interrompre les débats à un moment qui ne
2 serait pas cohérent. Je voudrais savoir, à peu près, pour combien de temps
3 vous en avez. Dites bien le temps qu'il vous faut. Sinon, nous demanderons
4 au témoin de revenir soit la semaine prochaine, soit à un autre moment,
5 parce que les Juges ont certainement des questions à poser.
6 M. Hayman (interprétation). - Je ne crois pas pouvoir terminer
7 aujourd'hui, Monsieur le Président. J'en ai pour une heure, au moins.
8 M. le Président. - J'aurais pu prolonger encore, mais pas pour
9 une heure. Monsieur Vulliamy, je suis désolé, auriez-vous l'amabilité de
10 pouvoir revenir devant le Tribunal, à une date qui, bien entendu, sera
11 accordée au mieux de vos convenances ?
12 M. Vulliamy (interprétation). - Si c'est nécessaire et si le
13 Tribunal le souhaite, bien sûr.
14 M. le Président. - C'est nécessaire ! Vous n'avez pas beaucoup
15 de choix, je dois le reconnaître. Pour la clarté des débats, je ne veux
16 pas interrompre le contre-interrogatoire. En toute hypothèse, il faut une
17 heure pour Me Hayman. Donc, même si nous avions eu une après-midi totale
18 -et j'étais prêt à aller jusqu'à 18 heures ou 18 heures 10, nous n’aurions
19 pas pu terminer. Je ne veux pas non plus que nous-mêmes, mes collègues et
20 moi-même, nous puissions être frustrés dans nos questions. Dans ces
21 conditions, je me tourne vers mes collègues.
22 (Les Juges se consultent sur le siège.)
23 Les Juges ont décidé de reporter le contre-interrogatoire et
24 leurs propres questions à une date ultérieure. De toute façon il y a les
25 comptes-rendus, donc la mémoire des débats sera vite rafraîchie pour les
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1 uns et pour les autres. Je crois que c'est beaucoup plus clair. Le témoin
2 a beaucoup de choses à dire et je ne voudrais pas que Me Hayman se sente
3 l’obligation d’accélérer son contre-interrogatoire. Je vous demande,
4 Monsieur le Procureur, d'essayer de trouver la date la plus adéquate avec
5 M. Vulliamy.
6 M. Kehoe (interprétation). - Bien sûr, Monsieur le Président.
7 Avant de lever la séance cependant, j'aimerais verser au dossier la
8 pièce 29L et la pièce 306, s'il vous plaît.
9 M. Hayman (interprétation). - Pas d'objection, Monsieur le
10 Président. Moi-même, je voudrais absolument obtenir un exemplaire des
11 notes que le témoin a consultées lors de sa déposition, si le Procureur
12 n'a pas d'objection.
13 M. Kehoe (interprétation). - Eh bien, parlons-en, justement. Le
14 témoin a été informé du fait que, s'il ne montrait ses notes ni à
15 l'accusation ni à la défense, il pourrait les garder par devers lui. Il me
16 semble, Monsieur le Président, qu'il y a quelque temps vous avez rendu une
17 ordonnance allant dans un certain sens. M. Vulliamy n'a pas communiqué ses
18 notes ni à l'accusation ni à la défense, donc il n'est pas dans
19 l'obligation de les communiquer à qui que soit.
20 M. Hayman (interprétation). - Mais, Monsieur le Président, la
21 décision était la suivante ! Il y a d'une part les notes auxquelles il est
22 fait référence de temps en temps et d'autre part la situation que nous
23 avons eue sous les yeux aujourd'hui. Le témoin a très souvent consulté ses
24 notes pour essayer de se rappeler d'une date ou d'un point précis. Je
25 crois qu'il s'agit d'une autre question, ici.
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1 M. le Président. - Nous avons tous des pratiques nationales un
2 petit peu différentes. Moi, je suis dans un pays où le système de la
3 justice criminelle oblige le témoin à témoigner sans aucune note. Mais il
4 peut y avoir d'autres systèmes. Nous avons par ailleurs rendu une
5 décision, donc je consulte.
6 (Les Juges se consultent sur le siège)
7 La Chambre estime qu'il s'agit d'un aide-mémoire personnel qui
8 n'a été fourni ni à l'accusation ni à la défense. De sorte, ces notes
9 resteront donc personnelles au témoin.
10 L'audience est levée.
11 L'audience est levée à 17 heures 30.
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