Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-95-14-T

2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

3

4 Jeudi 07 mai 1998

5

6 LE PROCUREUR

7 c/

8 TIHOMIR BLASKIC

9

10 La séance est ouverte à 10 heures 10.

11

12 M. le Président. - Veuillez faire entrer l'accusé, s'il vous

13 plaît. L'audience est reprise.

14 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

15 M. le Président. - Je suppose que tout le monde m'entend ? Je

16 salue l'interprète. Nous commençons. C'est M. Andrew Cayley, je pense.

17 Bonjour.

18 M. Cayley (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

19 Messieurs les Juges, conseil de la défense. Le témoin suivant est le

20 capitaine Jean-Marc Lanthier, un officier de l'armée canadienne qui a

21 servi dans les rangs de la Forpronu de 1992 à 1994. Je vais donc passer

22 directement au résumé du témoignage de ce témoin, si vous le souhaitez.

23 M. le Président. - Nous vous écoutons.

24 M. Cayley (interprétation). - Le témoin a donc servi dans les

25 rangs du CanBat ou bataillon canadien. Il s'agissait là de la contribution

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1 du gouvernement canadien aux forces de protection des Nations Unies en

2 Bosnie-Herzégovine d'octobre 1992 à mai 1993. Par la suite, il est revenu

3 sur les lieux, d'octobre 1993 à mai 1994. Le bataillon canadien était basé

4 dans la municipalité de Visoko, municipalité limitrophe de celle de

5 Kiseljak.

6 La plupart des éléments qu'il apportera concerneront les

7 événements auxquels il a assisté dans la municipalité de Kiseljak. Tout

8 d'abord, il parlera de la structure du commandement militaire du HVO et

9 notamment de deux conversations : l'une qu'il a eue avec M. Mario Bradara

10 au quartier général du HVO de Kiseljak et qui portait sur la structure et

11 les différents éléments du commandement du HVO ; il parlera également

12 d'une autre conversation qu'il a eue avec le colonel Blaskic à Vitez, qui

13 lui a confirmé que la structure décrite par M. Bradara était effectivement

14 la structure du HVO. Il dira également que toutes les forces qui se

15 trouvaient dans la municipalité de Kiseljak étaient placées sous le

16 commandement du colonel Blaskic. Il parlera de son expérience dans le

17 cadre de la commission conjointe à Busovaca et vous expliquera

18 l'impression qu'il a eue de la relation existant entre M. Dario Kordic et

19 le colonel Blaskic.

20 Il passera ensuite à des événements qui ont eu lieu après le

21 16 avril 1993 dans les municipalités de Vitez et Kiseljak. Il vous dira ce

22 qu'il a pu observer à Ahmici et ce qui est arrivé à la mosquée de ce

23 village. Il dira qu'il a tenté de rencontrer le colonel Blaskic au

24 quartier général de Vitez afin d'avoir une meilleure idée de la situation

25 à l'époque. Malheureusement, ces deux visites ont été vaines, il vous dira

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1 pourquoi. Il décrira ensuite la violence et les destructions qui ont eu

2 lieu par la suite dans la municipalité de Kiseljak. Il vous communiquera

3 les informations sur les destructions de villages musulmans qui ont eu

4 lieu après le 16 avril. Il parlera notamment du village de Rotilj. Il

5 témoignera sur ce qu'il a vu, sur les atrocités qui ont eu lieu, sur les

6 mauvais traitements infligés à des civils, et sur l'utilisation d'hommes

7 qui devaient aller creuser des tranchées.

8 Il parlera d'un certain nombre de plaintes qu'il a formulées sur

9 ce qu'il a vu et qu'il a envoyées au quartier général du HVO de Kiseljak

10 et il relatera les explications qui lui ont été données quant à la nature

11 des opérations militaires qui avaient lieu, des pratiques un peu

12 particulières dans le cadre de la sécurité du HVO et également à

13 l'encontre de civils musulmans. Il parlera également des informations dont

14 il dispose sur la détention de civils dans le quartier général du HVO à

15 Kiseljak, dans la caserne également et il dira qu'il a reçu finalement des

16 menaces de mort suite aux questions qu'il ne cessait de poser. Il parlera

17 ensuite de sa seconde période de service en Bosnie d'octobre à mai 1994

18 et il parlera notamment des événements qui se sont déroulés dans la

19 municipalité de Fojnica. Il dira que le bataillon canadien a assuré, à ce

20 moment-là, le fonctionnement d'un hôpital dans la ville de Bakuvice, qui

21 devait assurer des soins pour des personnes blessées ou qui subissaient

22 des handicaps. Il dira également que le bataillon canadien a donc assumé

23 cette responsabilité. Il expliquera comment le HVO a interdit à tout

24 membre de l'hôpital de revenir pour y travailler et comment le HVO a

25 utilisé des patients atteints d'un handicap mental pour déminer certains

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1 champs. Il dira comment les convois de la Forpronu étaient l'objet de tirs

2 continuels de la part du HVO lorsqu'ils se déplaçaient entre Kiseljak et

3 Fojnica. Il parlera notamment d'un convoi en particulier qui contenait des

4 médicaments, des biens de première nécessité destinés à l'hôpital, qui au

5 départ avait reçu l'autorisation de se déplacer de Kiseljak et qui a

6 finalement subi une attaque, alors que le symbole de la Croix-Rouge

7 figurait clairement sur le convoi. Il parlera de la plainte qu'il a

8 formulée au quartier général du HVO suite à cette attaque.

9 Pour finir, il parlera des unités organisées, unités militaires

10 bosniennes dans la municipalité de Kiseljak. Il parlera également de la

11 voix hiérarchique du HVO et des structures de communication qui était

12 mises à la disposition du HVO : communications radio, fax, lignes

13 téléphoniques et liens routiers entre les différentes zones contrôlées par

14 le HVO. Il vous donnera également une opinion de soldat sur la nature des

15 opérations militaires qu'il a pu observer au cours de sa première période

16 de service dans les municipalités de Vitez et de Kiseljak. Le témoignage

17 illustre, je crois, les paragraphes 3, 4, 5, 5.1 et 5.2 de l'acte

18 d'accusation au chef d'accusation premier (persécution), les paragraphes

19 6.0 à 6.7, chefs d'accusation 2 à 4, 8 chefs d'accusation 5 à 10,

20 paragraphe 9, chefs d'accusation 11 à 13 (destructions et pillages de

21 propriété) qui est le paragraphe 10 de l'acte d'accusation, chef

22 d'accusation 14 (destruction d'édifices consacrés à la religion) -il

23 s'agit du paragraphe 11- et enfin, chefs d'accusation 15 à 20 (traitements

24 inhumains, prises d'otages), il s'agit des paragraphes 12 à 16

25 M. le Président - Merci. C'est très clair, Maître Cayley. Nous

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1 nous en tiendrons donc à ce schéma et je le dirai d'ailleurs au témoin

2 pour qu'il s'en tienne bien au schéma que vous avez dû lui préparer pour

3 essayer de ne pas trop nous attarder plus qu'il ne serait nécessaire, bien

4 entendu. Pour combien de temps prévoyez-vous ce témoignage, pour votre

5 propre partie ?

6 M. Cayley (interprétation). - Je dirais une heure et demie à

7 deux heures, Monsieur le Président.

8 M. le Président - Monsieur le Greffier, nous pouvons introduire

9 le capitaine Lanthier.

10 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)

11 M'entendez-vous ?

12 M. Lanthier. - Parfaitement, Monsieur le Président.

13 M. le Président - Vous allez d'abord nous rappeler votre nom,

14 votre prénom et votre grade dans l'armée.

15 M. Lanthier. - Capitaine Jean-Marc Lanthier.

16 M. le Président - Bien. Restez debout encore dix secondes, le

17 temps de lire votre déclaration.

18 M. Lanthier. - Je déclare solennellement que je dirai la vérité,

19 toute la vérité et rien que la vérité.

20 M. le Président - Merci, capitaine. Vous pouvez vous asseoir.

21 Vous êtes cité par l'accusation devant le Tribunal pénal international

22 dans le procès contre M. Blaskic, l'accusé ici présent. Le Procureur,

23 comme les Juges le lui demandent, nous a donné un sommaire de votre

24 témoignage. Nous vous demandons donc de ne pas vous perdre dans les

25 détails et de rester sur les axes principaux de votre témoignage. Votre

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1 nom est bien Lanthier ? L A N T H I E R ?

2 M. Lanthier. - Oui, c'est bien cela.

3 M. le Président. - Il faut rester sur les arêtes principales de

4 votre témoignage étant entendu que, si certains points jugés importants

5 par l'accusation ont été omis, le Procureur vous posera bien sûr les

6 questions. Monsieur le Procureur, c'est à vous.

7 M. Cayley (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

8 Bonjour, capitaine Lanthier. Je vous demanderai -et je ferai la même

9 chose- de parler relativement lentement afin que les interprètes puissent

10 interpréter vos propos. Je crois que vous avez rejoint les forces armées

11 canadiennes en quittant l'université en 1989, c'est cela ?

12 M. Lanthier. - C'est bien cela.

13 M. Cayley (interprétation). - Je crois que vous êtes officier de

14 cavalerie et que vous avez ensuite intégré le douzième régiment blindé du

15 Canada ?

16 M. Lanthier. - C'est exact.

17 M. Cayley (interprétation). - Je crois que vous avez occupé un

18 certain nombre de postes dans le cadre de l'armée. Vous avez été dirigeant

19 de troupes, officier dans un escadron et je crois que vous avez travaillé

20 avec le général Canes pendant deux ans.

21 M. Lanthier. - C’est exact.

22 M. Cayley (interprétation). - Je crois que vous avez assisté aux

23 cours de l'école des officiers à Kingston.

24 M. Lanthier. - C’est exact.

25 M. Cayley (interprétation). - Ai-je raison de dire que, entre

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1 octobre 1992 et mai 1993, vous avez servi dans les rangs du deuxième

2 régiment canadien, à Visoko, en Bosnie-Herzégovine ?

3 M. Lanthier. - (Hors micro)... le deuxième bataillon du Working

4 Regiment.

5 M. Cayley (interprétation). - Je vais répéter la question. Ai-je

6 raison de dire que, entre octobre 1992 et mai 1993, vous avez servi avec

7 le deuxième régiment canadien, à Visoko, en Bosnie-Herzégovine ?

8 M. Lanthier. - C'était le deuxième bataillon, "working

9 regiment".

10 M. Cayley (interprétation). - Mais je crois que le régiment

11 était stationné pendant un certain temps à Lipik, pendant trois mois et

12 que vous vous êtes ensuite déployé à Visoko, en février 1993 ?

13 M. Lanthier. - C'est correct. Le deuxième bataillon devait se

14 déployer à Banja Luka, en Bosnie-Herzégovine , mais notre arrivée a été

15 retardée à peu près de trois mois, car nous n'avions pas accès de Lipik à

16 Banja Luka. Nous nous sommes déployés par la côte à Visoko, à la mi-

17 février.

18 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous expliquer aux Juges,

19 en bref, l'objet de la mission du régiment canadien en Bosnie-

20 Herzégovine ?

21 M. Lanthier. - Cette mission de la Forpronu pour le bataillon

22 canadien était initialement de fournir le support demandé par le HCR. On

23 parlait principalement d'escorte de convoi. C'était la mission première du

24 bataillon canadien.

25 M. Cayley (interprétation). - Peut-on montrer la pièce 329 au

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1 témoin, s'il vous plaît ?

2 (L'huissier s'exécute.)

3 Je voudrais informer les techniciens qu'il y a des rayures sur

4 l'écran, mais je pense que le témoin et toutes les personnes concernées

5 disposent déjà de cette pièce. Monsieur le témoin, de quoi s'agit-il ?

6 M. Lanthier. - Cela représente principalement le secteur de

7 responsabilité du bataillon canadien en 1993 lors de notre arrivée en

8 Bosnie-Herzégovine. Mon écran n'est pas assez clair. Je vais donc

9 travailler à partir du document. M'entend-on tout de même ? Vous voyez ici

10 les différentes municipalités dans lesquelles le bataillon canadien

11 opérait. Nous étions basés à Visoko. Les autres secteurs dans lesquels

12 nous avons opéré sont les suivants : Visoko, Kiseljak, Kresovo, Fojnica,

13 Breza, Ilehac, Orovo, Vares et Kakanj. Busovaca ici ne nous appartenait

14 pas mais c'était une route principale pour se rendre dans la poche de

15 Kiseljak donc je l'ai empruntée, j'étais très familier avec le secteur de

16 Busovaca. Tuzla, également ne nous appartenait pas comme telle, mais on

17 avait une compagnie déployée à Srebrenica. On avait également un peloton

18 déployé dans la municipalité de (Zaviduvici) et nos convois, pour se

19 déployer à Srebrenica passaient par (Zaviduvici), Tuzla, (Sbornec) et à

20 Srebrenica. Donc, les secteurs en foncé montrent les secteurs de

21 responsabilité du bataillon canadien ou les secteurs que je connaissais

22 très bien étant donné que je travaillais à partir de ces secteurs-là.

23 M. Cayley (interprétation). - Quelle était votre position au

24 sein du bataillon canadien, de février à la mi-mai 1993 ?

25 M. Lanthier. - J'étais l'officier de liaison en faction

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1 belligérante. Les implications de ce rôle là étaient dans les secteurs de

2 responsabilité, les trois factions belligérantes étaient présentes, les

3 forces bosniaques du gouvernement que l'on appelait BiH, on avait le HVO,

4 la Bosnian Serb Army. Les trois factions belligérantes étaient dans notre

5 secteur. Mon rôle était d'établir les liaisons avec eux, de s'assurer que

6 l'on ait la liberté de mouvement dont on avait besoin pour accomplir nos

7 fonctions et je m'assurais également d'obtenir la liberté de mouvement

8 pour le HCR qui circulait et assurait l'aide humanitaire dans notre

9 secteur de responsabilité. Egalement dans ce même rôle, mais ce n'était

10 pas une fonction explicite mais plutôt implicite, j'étais appelé à faire

11 la liaison avec le HCR. Il y avait toujours un manque critique de

12 "field officers". c'est-à-dire d'agents pour travailler sur le terrain.

13 Mon rôle était de déterminer, jusqu'à un certain point, les besoins en

14 aide humanitaire requis dans le secteur de responsabilité. Je passais ces

15 informations au HCR. Egalement en tant qu'officier de liaison travaillant

16 sur le terrain, j'étais capable de donner au HCR des briefings quotidiens

17 sur l'état de la situation, donc là où les combats avaient lieu et le

18 besoin d'escorte pour leur convoi, s'il existait. Cela résume en gros

19 l'étendue de mes fonctions. Bien que j'étais l'officier de liaison aux

20 factions belligérantes, nos relations avec l'armée serbe à ce moment là en

21 Bosnie, étaient très pauvres. On n'a pas réussi à maintenir un contact,

22 donc j'étais en contact quotidien plutôt avec le HVO et le BiH.

23 M. Cayley (interprétation). - Capitaine Lanthier, puis-je vous

24 demander, s'il vous plaît de faire un effort pour ralentir votre débit

25 parce que les interprètes pourront interpréter plus facilement vos propos.

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1 Afin de résumer, vous étiez principalement officier de liaison entre les

2 trois factions belligérantes, les forces du gouvernement bosniaque, les

3 forces serbes et les forces du HVO ?

4 M. Lanthier. - C'est bien cela.

5 M. Cayley (interprétation). - Je crois qu'en tant qu'officier de

6 liaison, peu de temps après votre arrivée sur les lieux, vous avez dû

7 entrer en contact avec les quartiers généraux locaux ou les commandements

8 des trois factions belligérantes. Pourriez-vous dire aux Juges comment

9 vous avez procédé ?

10 M. Lanthier. - Dès mon arrivée, on a commencé à se déployer à

11 la mi-février. La première semaine, on a établi notre camp à Visoko, donc

12 je n'ai pas immédiatement commencé la liaison, bien que le secteur dans

13 lequel on est arrivé, n'appartenait à aucune force de la Forpronu. Le plus

14 proche bataillon était le bataillon britannique situé à Vitez à ce moment

15 là. Un officier de liaison britannique, dont je ne me souviens pas du nom,

16 avait déjà établi des liaisons,...

17 M. le Président. - Pardon capitaine. Nous sommes en mi-février

18 quand vous arrivez ?

19 M. Lanthier. - 1993.

20 M. le Président. - D'accord. Merci.

21 M. Lanthier. - Donc, à ce moment là, cet officier de liaison

22 britannique avait déjà établi certains contacts avec les différentes

23 forces sur le terrain. Il m'a délégué ces responsabilités parce que lui

24 était maintenant concentré uniquement dans le secteur de responsabilité du

25 bataillon britannique. Il m'avait rapidement montré l'emplacement des

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1 différents quartiers généraux dans mon secteur de responsabilité, sans

2 toutefois me présenter aux différents commandants, à l'exception d'un, le

3 commandant de la 304ème brigade BiH situé à Breza, M. Senad... je ne me

4 souviens plus de son nom de famille. Donc ma première étape, étant donné

5 que nous étions les nouveaux arrivés, a été de me présenter aux différents

6 commandants des quartiers généraux. Le premier quartier général auquel je

7 suis allé, était celui situé dans les baraques de Kiseljak. Lorsque je

8 suis arrivé, le commandant s'est présenté à moi comme M. Ivica Rajic et la

9 première réaction de M. Rajic a été de ne pas montrer un intérêt

10 particulier à vouloir entretenir une discussion avec moi, cette journée-

11 là. Il m'a plutôt adressé à son commandant adjoint Mario Bradara et m'a

12 dit que M. Bradara s'occuperait d'entretenir les discussions avec moi, et

13 que ce serait à lui que j'aurais à m'adresser pour tous points sur

14 lesquels je voudrais discuter.

15 Donc M. Bradara a été introduit par M. Rajic comme étant son

16 commandant adjoint, et à ce moment là, je lui ai expliqué que le bataillon

17 canadien venait d'arriver la semaine auparavant à Visoko. J'ai expliqué la

18 mission et les rôles du bataillon canadien dans notre secteur de

19 responsabilité. Je savais un peu l'organisation des forces du HVO dans

20 notre secteur de responsabilité, l'officier britannique m'avait montré un

21 peu le secteur et m'avait expliqué en termes très généraux comment les

22 forces étaient réparties sur le terrain. Mais pour clarifier cela, lors de

23 mon entretien avec M. Bradara, je lui ai demandé de m'expliquer la

24 structure et la chaîne de commandement à ce moment là des forces HVO dans

25 notre secteur de responsabilité et en Bosnie centrale, parce que,

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1 évidemment, la chaîne de commandement débordait et n'était pas identiques

2 à notre secteur de responsabilité. Donc à ce moment là, c'était

3 clair :M. Rajic commandait, Mario Bradara était son commandement adjoint.

4 On m'a expliqué la structure au niveau plus bas. Il contrôlait quatre

5 forces, quatre unités. Les quatre quartiers généraux subalternes à

6 M. Rajic étaient les villes ou municipalités de Vares, Kiseljak, Kresevo

7 et Fojnica. Donc, ça c'était la structure de base sur le terrain. La

8 nature ou l'étendue, la grosseur des forces ne m'était pas claire à ce

9 moment là. Parlait-on de bataillon ou de brigade ?

10 M. Lanthier. - On ne m'a pas identifié si c'était une brigade ou

11 un bataillon, moi je vous ai expliqué les quatre municipalités. Ces quatre

12 unités ou formations dépendaient de Kiseljak et Kiseljak lui-même en tant

13 que groupe opérationnel répondait à son quartier général à Vitez qui était

14 connu sur une zone opérationnelle que commandait le colonel Blaskic.

15 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous attendre un instant,

16 s'il vous plaît, capitaine Lanthier, parce que le compte rendu s'est

17 arrêté sur l'écran. Monsieur le Président, je crois que le système ne

18 fonctionne pas actuellement, qu'il n'y a plus de compte rendu apparaissant

19 simultanément sur l'écran. Peut-être pourrions-nous faire une pause,

20 Monsieur le Président, afin de régler ce problème technique ?

21 M. le Président. - L'audience est suspendue.

22

23 L'audience, suspendue à 10 heures 30, est reprise à

24 10 heures 50.

25

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1 M. le Président. - Nous reprenons l'audience. Asseyez-vous. Je

2 pense que nous ferons une pause plutôt vers 11 heures 30, à ce moment là.

3 Allons-y. Peut-être faut-il reprendre en arrière, Monsieur Cayley ?

4 M. Cayley (interprétation). - Oui, je suis d'accord avec vous,

5 Monsieur le Président. Pourrait-on montrer la pièce 330 au témoin ?

6 (L'huissier s'exécute.)

7 Capitaine Lanthier, rappelez-vous, si vous le voulez bien, de

8 parler lentement. Pourriez-vous revenir à la visite que vous avez rendue à

9 la caserne à Kiseljak et à votre rencontre avec M. Bradara et M. Rajic,

10 occasion à laquelle M. Bradara vous a expliqué la hiérarchie du

11 commandement en Bosnie centrale ? Je voudrais que vous utilisiez ce

12 diagramme. Avant que vous répondiez à la question principale, est-ce vous

13 qui avez dessiné ce diagramme à l'intention du Bureau du Procureur ?

14 M. Lanthier. - Effectivement, c'est moi qui ai dessiné ce

15 diagramme. Lorsque que l'on s'est rencontrés, vous m'avez demandé de le

16 schématiser donc j'ai dessiné à la main ce que l'on m'a expliqué lors de

17 ma rencontre avec M. Bradara. C'est ce que représente ce diagramme sur

18 ordinateur.

19 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous résumer brièvement à

20 l'intention des Juges ce que M. Bradara a pu vous dire concernant la

21 structure de commandement à Kiseljak ?

22 M. Lanthier. - Comme je l'ai dit précédemment, on m'a expliqué

23 lors de cette rencontre, de cet entretien avec M. Bradara, que le quartier

24 général de Kiseljak contrôlait les quatre régions que l'on voit

25 identifiées là, en bas : Fojnica, Kresovo, Kiseljak et Vares. Ces quatre

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1 unités ou formations m'étaient inconnues, leur importance m'était

2 inconnue. Plus tard, en travaillant sur le terrain, j'ai connu

3 l'importance de Vares comme une brigade connue sous le nom de Bobovac.

4 Celle de Kiseljak était également une brigade connue sous le nom de

5 Ban Jelacic. Kresovo et Fojnica, je n'ai jamais été vraiment certain s'il

6 s'agissait d'un bataillon ou d'une brigade mais ces quatre formations ou

7 unités étaient sous le commandement du quartier général opérationnel de

8 Kiseljak. Kiseljak, quant à lui, répondait à Vitez qui est un quartier

9 général au niveau zone opérationnelle pour la Bosnie centrale, qui était

10 commandée par... Il se passe quelque chose avec l'écran.

11 M. Cayley (interprétation). - Quel était le nom de la brigade à

12 Vares, s'il vous plaît ?

13 M. Lanthier. - Je l'ai connue sous le nom de brigade Bobovac.

14 M. Cayley (interprétation). - Quel était le nom de la brigade

15 qui se trouvait à Kiseljak ?

16 M. Lanthier. - Ban Jelacic.

17 M. Cayley (interprétation). - Vous dites Ban Jelacic ?

18 M. Lanthier. - C'est bien cela.

19 M. Cayley (interprétation). - Pour la structure à Kiseljak et

20 les unités subordonnées, cela vous a été expliqué par Mario Bradara,

21 commandant adjoint ?

22 M. Lanthier. - Je lui avais demandé de m'expliquer quelles

23 étaient les forces sur le terrain. Je connaissais le secteur. Vares était

24 une enclave à ce moment-là, enclave dans la mesure où elle était entourée

25 par le BiH et la Bosnian Serb Army à droite. Kiseljak contenait également

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1 certaines forces. Je lui avais demandé qu'il m'explique les unités de

2 formation et la chaîne de commandement pour toutes ces unités et

3 formations dans mon secteur de responsabilité. C'est à ce moment-là qu'il

4 m'a expliqué ce qu'il en était.

5 M. Cayley (interprétation). - Je pense que, par la suite, vous

6 avez rendu visite au colonel Blaskic à Vitez, car M. Bradara vous a

7 expliqué que le colonel Blaskic était le supérieur et se trouvait à

8 Vitez ?

9 M. Lanthier. - C'est exact. J'ai décidé de rendre visite, dans

10 le quartier général de Vitez, au colonel Blaskic, bien que Vitez n'ait pas

11 été dans mon secteur de responsabilité. En fait, la région de Vitez

12 appartenait au bataillon britannique basé à Vitez. C'était important pour

13 moi d'être présenté auprès du colonel Blaskic. Les raisons qui motivaient

14 cette visite étaient que, premièrement, nous étions nouveaux dans la

15 région. Nous travaillions sur une portion du terrain contrôlée par le HVO

16 qui était sous le contrôle et le commandement du colonel Blaskic. C'était

17 important pour moi d'être présenté et de présenter le bataillon canadien à

18 ce moment-là au colonel Blaskic.

19 C'était également important pour moi de connaître le supérieur

20 de M. Rajic. En effet, étant militaire, la chaîne de commandement est

21 vitale. Je devais être capable, si un problème survenait dans la région de

22 Kiseljak ou de Vares, de remonter la filière et d'essayer de régler le

23 problème au niveau supérieur. C'est la raison pour laquelle j'avais pris

24 rendez vous avec le colonel Blaskic et, subséquemment...

25 M. le Président. - Parlez plus doucement, capitaine, pour que

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1 les sténotypistes anglaises puissent suivre.

2 M. Lanthier. - J'avais pris rendez-vous avec le colonel Blaskic

3 et je l'ai rencontré.

4 M. Cayley (interprétation). - A cette réunion, avez-vous posé au

5 colonel Blaskic des questions concernant la hiérarchie et, notamment, la

6 caserne de Kiseljak ?

7 M. Lanthier. - La première chose lors de cette visite a été

8 d'être présenté personnellement et de présenter également le bataillon

9 canadien, de décrire sa mission et ses rôles. Par la suite, je lui ai

10 expliqué pourquoi j'étais venu le rencontrer, puis j'ai expliqué que

11 c'était pour les raisons que je vous ai indiqué précédemment. J'ai

12 également expliqué que c'était important pour moi de pouvoir le voir si

13 j'avais des problèmes que je ne pouvais par régler avec le quartier

14 général de Kiseljak. Il m'a confirmé l'étendue de son commandement et de

15 son contrôle face aux unités et formations qui étaient dans le secteur de

16 responsabilité du bataillon canadien.

17 M. Cayley (interprétation). - Le colonel Blaskic vous a-t-il dit

18 que toutes les forces du HVO dans la région de Kiseljak étaient placées

19 sous son commandement ?

20 M. Lanthier. - Oui, à ce moment-là, il m'avait effectivement

21 confirmé que le quartier général du groupe opérationnel de Kiseljak lui

22 répondait directement et qu'il le contrôlait et le commandait.

23 M. Cayley (interprétation). - Vous en avez conclu que les unités

24 subordonnées à Fojnica, Krajevo, Kiseljak et Vares étaient toutes, en fin

25 de compte, sous les ordres du colonel Blaskic ?

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1 M. Lanthier. - A travers le quartier général de Kiseljak ; la

2 chaîne de commandement que moi j'ai comprise à ce moment-là, le

3 colonel Blaskic me l’a expliquée à partir du quartier général d'armée qui

4 était situé à Mostar -lui répondait directement à Mostar- et contrôlait

5 Kiseljak qui, elle-même, contrôlait les quatre unités-formations sur ce

6 diagramme.

7 Juge Riad (interprétation). - Je voudrais que l'on répète ceci.

8 M. Lanthier. - Ce que je viens de dire, c'est que ce que l'on

9 m'a expliqué : le colonel Blaskic commandait la zone opérationnelle de

10 Vitez et était sous le commandement du quartier général de l'armée situé à

11 Mostar ; Vitez contrôlait le groupe opérationnel situé dans les casernes

12 de Kiseljak, qui lui-même contrôlait les quatre unités-formations de

13 Fojnica, Krajevo, Vares et Kiseljak.

14 M. Cayley (interprétation). - Ai-je raison de dire qu'à cette

15 réunion, le colonel Blaskic a dit que, bien que sa porte soit toujours

16 ouverte, il ne vous serait pas nécessaire de lui rendre visite à lui car

17 Kiseljak était directement sous ses ordres militaires ?

18 M. Lanthier. - Exact. L'entretien que j'ai eu avec le

19 colonel Blaskic a été un entretien très cordial dans lequel il m'a

20 certainement mentionné que sa porte demeurait ouverte, que j'étais le

21 bienvenu. Tout ce que j'avais à faire pour le rencontrer était de prendre

22 rendez-vous avec lui mais, selon lui, je n'aurais pas besoin de le revoir

23 puisque je pourrais régler mes problèmes en m'adressant directement à

24 Kiseljak, Kiseljak répondant directement de lui. A ce moment-là, cela

25 avait été clair que je devais m'adresser à Kiseljak pour régler tous les

Page 8460

1 problèmes dans mon secteur de responsabilité, Kiseljak contrôlant toutes

2 les forces qui étaient situées dans le secteur de responsabilité du

3 bataillon canadien. Toutefois, si j'en ressentais le besoin, je ne devais

4 pas hésiter à le contacter.

5 M. Cayley (interprétation). - Vous avez aussi indiqué sur ce

6 diagramme deux autres groupes opérationnels. Connaissiez-vous leur

7 existence ?

8 M. Lanthier. - On m'avait expliqué la structure générale en

9 Bosnie des forces HVO en Bosnie. Les détails, les noms exacts des autres

10 groupes opérationnels et des autres zones opérationnelles m’échappent.

11 J'étais particulièrement intéressé par les forces et la structure qui

12 étaient dans ma zone de responsabilité étant donné que c'est là que l'on

13 opérait principalement, mais je savais qu'il existait d'autres groupes

14 opérationnels. Je m'en souviens très bien.

15 M. Cayley (interprétation). - Ces autres groupes opérationnels

16 étaient placés sous le commandement du colonel Blaskic ?

17 M. Lanthier. - Exact. Similairement à celui de Kiseljak.

18 M. Cayley (interprétation). - Merci. Revenons maintenant à

19 M. Bradara qui s'est présenté comme étant le commandant adjoint à

20 Kiseljak. Je voudrais que l'on montre la pièce 331 au témoin.

21 (L'huissier s'exécute.)

22 Vous avez vu une bande vidéo, la pièce 260, et ceci est un

23 instantané pris de cette bande vidéo. Quel est l'homme dont le visage est

24 entouré d'un cercle rouge ?

25 M. Lanthier. - Il s'agit de Mario Bradara.

Page 8461

1 M. Cayley (interprétation). - Pourrait-on montrer la pièce 332

2 au témoin ?

3 (L'huissier s'exécute.)

4 Encore une fois, c'est un instantané pris de la bande vidéo 260.

5 Reconnaissez-vous l'homme dont le visage est entouré d'un cercle rouge ?

6 M. Lanthier. - Il s'agit encore de M. Bradara.

7 M. Cayley (interprétation). - Combien de fois avez-vous

8 rencontré M. Bradara ?

9 M. Lanthier. - Lors de mon premier séjour en Bosnie,... vous

10 donner un chiffre précis serait difficile. Je l'ai rencontré plusieurs

11 fois par semaine. La première fois, fin février, puis je suis parti à la

12 mi-mai, donc je l'ai rencontré une trentaine de fois, quarante fois,

13 régulièrement.

14 M. Cayley (interprétation). - C'est une approximation

15 satisfaisante, je pense. Toujours sur cette réunion avec M. Bradara et

16 M. Blaskic : quand ces deux réunions ont-elles eu lieu ? A quelles

17 périodes à peu près ?

18 M. Lanthier. - Il s'agirait probablement de la première semaine

19 de mars 1993.

20 M. Cayley (interprétation). - Ce sont les deux réunions où la

21 filière de commandement du HVO vous a été expliqué ?

22 M. Lanthier. - Exact.

23 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le témoin, pouvez-vous

24 dire aux Juges le genre d'uniforme que portait M. Bradara quand vous

25 l'avez rencontré ?

Page 8462

1 M. Lanthier. - Les deux seuls uniformes dans lesquels je l'ai vu

2 étaient... la première fois, c'était un uniforme noir. Il portait deux

3 badges, celui des forces HVO en Bosnie, honnêtement, je ne me souviens pas

4 de ce que représentait le deuxième. Le seul autre uniforme que je l'ai vu

5 porter était un uniforme de camouflage urbain, un uniforme gris et blanc

6 qui se porte normalement lors de combats en milieu urbain.

7 M. Cayley (interprétation). - M. Mario Bradara pouvait-il

8 toujours prendre des décisions de sa propre initiative ou devait-il se

9 référer à la voie hiérarchique pour les questions militaires ?

10 M. Lanthier. - J'ai eu l'impression que la voie hiérarchique

11 devait être suivie à de nombreuses occasions. Tout ce que j'obtenais de

12 M. Bradara était une attente déterminée et la réponse me parviendrait lors

13 d'une réunion ultérieure. Ce qui indiquait bien qu'une autorité lui était

14 déléguée par M. Rajic lors de la première réunion que j'avais eue avec

15 eux, que M. Bradara devait régulièrement consulter son supérieur pour des

16 décisions importantes.

17 M. Cayley (interprétation). - Lorsque vous parlez de son

18 supérieur, vous pensez à M. Rajic ?

19 M. Lanthier. - Effectivement.

20 M. Cayley (interprétation). - Donc vous avez eu l'impression,

21 quand vous étiez là, que la filière de commandement fonctionnait, que les

22 subordonnés rendaient des comptes à leur supérieur et inversement ?

23 M. Lanthier. - Absolument.

24 M. Cayley (interprétation). - Je voudrais avancer maintenant

25 dans le temps et je voudrais que vous expliquiez au Tribunal ce dont vous

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1 vous souvenez à propos de la commission conjointe de Busovaca. Cela s'est

2 passé la première semaine du mois de mars, je pense ?

3 M. Lanthier. - Effectivement, c'était la première ou deuxième

4 semaine de mars 1993. Je n'étais pas un membre actif de la commission de

5 Busovaca. En revanche, j'y avais été invité par un des membres de l'ECMM

6 qui, lui, était membre. J'avais été invité en temps qu'observateur plutôt

7 que membre et donc mon rôle n'était pas un rôle de participation active,

8 mais plutôt d'écouteur. Je suivais les discussions qui avaient lieu dans

9 le cadre de la commission conjointe de Busovaca. Etant donné que je

10 travaillais sur le terrain, que je connaissais l'état des choses autant du

11 point de vue humanitaire que militaire dans le secteur de responsabilité

12 du bataillon canadien, c'était dans cet esprit-là que l'on m'avait invité

13 à prendre part, ou tout au moins à participer de façon inactive, si on

14 peut dire, à la commission conjointe de Busovaca.

15 A la première réunion à laquelle j'étais allé, parmi les

16 différentes personnes qui avaient participé à cette réunion, il y avait

17 évidemment le représentant de l'ECMM, ainsi qu'un observateur militaire :

18 (Leon Mo), différents représentants des factions, M. Franjo Nakic qui

19 m'avait été présenté comme étant le commandant adjoint de la zone

20 opérationnelle de Vitez. S'y trouvaient aussi le commandant du Troisième

21 corps du BiH, M. Mrdan, ainsi qu'un certain nombre d'individus dont les

22 noms m'échappent. C'était la première réunion à laquelle j'ai participé.

23 J'ai participé à quelques-unes, pas à un nombre énorme. Sous le

24 couvert de la commission, ou dans l'esprit de la commission, en tant

25 qu'observateur, j'ai participé à d'autres réunions. Je crois que le nom

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1 exact était le comité de coordination. Ce dernier n'impliquait pas les

2 commandants adjoints des différentes forces, mais plutôt les commandants,

3 en particulier celui auquel, à deux ou trois reprises, j'ai participé, le

4 colonel Blaskic était présent, le colonel Steward était le commandant du

5 bataillon britannique basé à Vitez. Il y avait également le commandant du

6 Troisième corps, ainsi que Dario Kordic et une dame du côté des politiques

7 bosniaques, dont le nom m'échappe.

8 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous décrire à

9 l'intention des Juges l'interaction que vous avez pu observer entre le

10 colonel Blaskic et M. Dario Kordic ?

11 M. Lanthier. - Comme je l'ai dit précédemment, j'étais là comme

12 observateur, donc je n'étais pas à la table comme un membre actif mais

13 plutôt en arrière-plan. J'ai participé à ces réunions avec un des

14 traducteurs qui m'assistaient. On m'avait introduit et j'ai parlé lors de

15 la première réunion avec M. Dario Kordic qui m'avait été présenté comme

16 étant un des chefs politiques du côté croate en Bosnie. L'impression qui

17 s'en est dégagée, lorsque j'ai écouté les conversations et les discussions

18 qui ont eu lieu, était que M. Kordic pourrait être décrit comme le

19 conseiller en matière politique auprès du colonel Blaskic. C'est tout du

20 moins l'impression que j'en ai eu avec ce que j'ai pu comprendre des

21 discussions qui avaient lieu.

22 M. Cayley (interprétation). - Dans le compte rendu, il apparaît

23 que vous avez dit qu'il était l'un des principaux responsables politiques

24 pour le côté bosniaque en Croatie. Vous voulez sans doute dire l'inverse ?

25 Le représentant politique des Croates de Bosnie ?

Page 8465

1 M. Lanthier. - Oui, effectivement.

2 M. Cayley (interprétation). - D'après ce que vous avez vu et

3 d'après ce que vous disait votre interprète, comment pourriez-vous décrire

4 les rapports entre M. Kordic et le colonel Blaskic ?

5 M. Lanthier. - Pour les questions militaires parce que, dans mon

6 souvenir, ces réunions couvraient un assez vaste éventail de sujets : des

7 questions économiques, des questions militaires, sociales et humanitaires.

8 La relation que j'ai pu observer, celle qui m'intéressait particulièrement

9 était le côté militaire, en tant qu'officier de liaison aux factions

10 belligérantes. La perception que j'ai eu était, comme je l'ai dit, que

11 M. Kordic était le conseiller du côté politique mais, du côté militaire,

12 c'était le colonel Blaskic qui avait le dernier mot et prenait les

13 décisions, ratifiait les ententes ou donnait expressément son accord aux

14 ententes.

15 M. Cayley (interprétation). - Le 17 avril, vous avez rendu

16 visite à un commandant des forces de l'armée de Bosnie-Herzégovine, dans

17 le groupe Istok, et cette personne vous a dit -je pense- qu'il était

18 préoccupé par la municipalité de Vitez. Pourriez-vous raconter aux Juges

19 cette rencontre et votre visite ensuite à la municipalité de Vitez ?

20 M. Lanthier. -Je vais peut-être clarifier la raison pour

21 laquelle je rencontrais le commandant d'Udzi Istok. Nous étions basés à

22 Visoko, le quartier général du bataillon canadien était basé à Visoko. A

23 peu près à trois ou quatre cents mètres de notre camp se trouvait le

24 quartier général du groupe opérationnel Istok. C'était le groupe

25 opérationnel musulman qui contrôlait les différentes brigades musulmanes

Page 8466

1 dans mon secteur de responsabilité. Ce quartier général contrôlait

2 la 302ème brigade située à Visoko, la 304ème brigade située à Breza et une

3 troisième brigade.

4 A cause de la proximité de nos camps et des relations que

5 j'avais avec ce quartier général, j'avais l'habitude de commencer ma

6 journée en me présentant à 7 heures 30 au quartier général d'Udzi Istok.

7 Le commandant Behamil Memisevic me donnait à ce moment-là un compte rendu

8 de la situation, des choses qui s'étaient passées lors des dernières

9 vingt-quatre heures. Etant donné que je le rencontrais quotidiennement,

10 cela me permettait de savoir ce qui se passait dans le secteur de

11 responsabilité que je n'avais peut-être pas pu observer. C'est de cette

12 façon-là que je glanais les informations sur ce qui se passait. Après,

13 j'ai été capable de rechercher plus en détail. Lors de cet entretien

14 quotidien, le 17, M. Memisevic m'avait rapporté que, dans la poche de

15 Vitez, il semblait alors y avoir un conflit et que des citoyens musulmans

16 vivant dans la poche de Kiseljak avaient été victimes d'une attaque lancée

17 par les forces croates de la poche de Vitez.

18 M. Cayley (interprétation). - Je vous interromps. Vous venez de

19 dire que des civils musulmans vivant dans la poche de Kiseljak avaient été

20 attaqués. Vous parlez plutôt de la poche de Vitez ?

21 M. Lanthier. - Oui. Effectivement, des citoyens musulmans de la

22 poche de Vitez avaient été victimes d'une attaque. Plusieurs maisons

23 avaient été brûlées, des citoyens avaient été faits prisonniers et

24 certains crimes avaient été commis contre eux. Il me demandait si j'étais

25 en mesure de lui donner des informations sur ce rapport qu'il avait reçu.

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1 Je n'avais à ce moment-là aucune information qui me permettait de lui

2 confirmer ou de lui infirmer un tel rapport. J'ai donc décidé de me rendre

3 moi-même dans la poche de Vitez, bien que Vitez ne soit pas dans mon

4 secteur de responsabilité. Mon inquiétude était que, si une telle chose

5 s'était produite dans la poche de Vitez -c'était aussi l'impression de

6 M. Memisevic-, une telle attaque pourrait s'étendre dans la poche de

7 Kiseljak. Face à cela, ma réaction a été de me rendre à Vitez pour

8 constater de visu si, effectivement, il s'était passé quelque chose et

9 également pour rencontrer le colonel Blaskic afin d'obtenir plus de

10 détails sur ce qui s'était effectivement passé. J'ai donc pris la route et

11 j'ai pu voyager à travers la poche de Vitez pour me rendre jusqu'au

12 quartier général situé à Vitez.

13 M. le Président - Quel jour ?

14 M. Lanthier. - Ce serait le 18 ou le 19 avril,

15 approximativement. En passant à travers la poche de Vitez où j'allais

16 assez régulièrement puisque je visitais régulièrement le bataillon

17 britannique à Vitez, j'ai remarqué que des demeures avaient été brûlées.

18 Il était évident qu'il y avait eu combats. La ville même de Vitez était

19 beaucoup plus tranquille que d'habitude : pas d'enfants qui jouaient dans

20 les rues, rien. Elle donnait un peu l'impression d'une ville fantôme. Ce

21 serait peut-être la meilleure façon de décrire ce que j'ai ressenti.

22 En me présentant au quartier général de Vitez, en demandant à

23 rencontrer le colonel Blaskic, le garde à l'extérieur même de l'hôtel où

24 était le quartier général m'a dit tout simplement que personne n'était

25 disponible pour me rencontrer. Je suis retourné sur mes pas et je suis

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1 revenu au camp canadien. Mais, en passant, en débordant de la route

2 principale et en montant au village au nord d'Ahmici pour voir ce qui

3 s'était passé, j'ai remarqué que la tour de la mosquée était détruite.

4 L'impression qui s'en dégageait est qu'il y avait eu attaque contre les

5 populations musulmanes de la poche de Vitez.

6 M. Cayley (interprétation). - Vous êtes retourné encore une

7 fois, je pense, au quartier général du HVO à Vitez pour essayer de voir le

8 colonel Blaskic et poser des questions sur ce que vous aviez vu dans la

9 municipalité de Vitez. Pourriez-vous nous parler de cette deuxième visite

10 au quartier général ?

11 M. Lanthier. - Je n'avais toujours pas de réponse. J'avais parlé

12 avec les officiers de liaison du camp britannique qui m'avaient donné

13 certains détails. J'étais donc en mesure de savoir ce qui s'était tout de

14 même passé dans la poche de Vitez, mais j'avais besoin de plus de

15 renseignements étant donné notre inquiétude que le conflit s'étende dans

16 la poche de Kiseljak. Le lendemain, je me suis rendu de nouveau à Vitez

17 dans le but de rencontrer le colonel Blaskic. Cette fois, j'ai pu pénétrer

18 dans le quartier général, mais je n'ai pas réussi à rencontrer le

19 colonel Blaskic. On m'a dit qu'il était encore absent. M. Nakic n'était

20 pas présent non plus et j'ai parlé à un des officiers d'état-major. C'est

21 lui qui m'a donné l'information que le commandant et le commandant adjoint

22 n'étaient pas présents. J'ai donc demandé si lui, en tant qu'officier

23 d'état-major, était en mesure de donner des détails sur les événements

24 survenus dans les jours précédents...

25 M. Cayley (interprétation). - Capitaine Lanthier, le compte

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1 rendu indique que M. Rahic n'était pas présent au quartier général. Je

2 pense que vous voulez dire M. Nakic

3 M. Lanthier. - C'est ce que j'ai dit : M. Franjo Nakic.

4 M. Cayley (interprétation). - Quelle était sa position au

5 quartier général de Vitez ?

6 M. Lanthier. - C'était le commandant adjoint du colonel Blaskic.

7 M. Cayley (interprétation). - Je vous ai interrompu alors que

8 vous expliquiez que l'un des représentants du colonel Blaskic vous avait

9 rencontré au quartier général. Que vous a dit cette personne ?

10 M. Lanthier. - Non pas un représentant, mais un officier d'état-

11 major du quartier général m'a dit que ni le commandant ni le commandant

12 adjoint n'étaient présents. Lorsque je lui ai demandé de me donner des

13 éclaircissements sur les événements survenus les jours précédents, il m'a

14 répondu qu'il n'avait aucun commentaire à faire sur cela. C'est ce qui a

15 terminé notre discussion.

16 M. Cayley (interprétation). - Je pense que vous êtes retourné à

17 Visoko et que vous avez informé votre officier supérieur au sujet de ce

18 que vous aviez vu dans la municipalité de Vitez. J'aimerais maintenant que

19 nous passions au 19 avril, date à laquelle -je crois- vous avez rencontré

20 M. Memisevic une nouvelle fois. Ce jour là, il vous a parlé de certaines

21 activités du HVO qui avaient commencées dans la municipalité de Kiseljak.

22 Pouvez-vous parler au Juge de ce jour là, de ce que vous avez fait

23 également ensuite ?

24 M. Lanthier. - Effectivement, le lendemain matin, ou le 19 au

25 matin, j'ai rencontré encore, comme je le faisais tous les matins,

Page 8470

1 M. Memisevic. A ce moment-là, il m'avait fait état d'un rapport qu'il

2 avait reçu, selon lequel des activités similaires à celles qui étaient

3 survenues à Vitez la journée du 16 étaient maintenant commencées dans la

4 municipalité de Kiseljak. Il me rapportait qu'il semblerait, parce que lui

5 n'était pas en mesure de me le confirmer de façon précise son rapport,

6 qu'il y avait également eu des attaques contre les citoyens musulmans de

7 la poche de Kiseljak. Il m'avait, à ce moment-là, identifié certains

8 villages qui avaient une forte proportion de citoyens musulmans. Avec

9 cette information là, j'ai décidé de passer à travers la poche de Kiseljak

10 pour confirmer de visu, si effectivement, de telles activités avaient

11 lieu. Donc, au lieu d'aller directement de Visoko à Kiseljak par la route

12 directe, j'ai pris la longue route de Visoko à Busovaca en descendant vers

13 le sud-est, à travers la poche de Kiseljak. J'avais vu à ce moment-là

14 qu'il y avait effectivement de nombreuses résidences, qui auparavant

15 n'avaient pas été endommagées, qui maintenant étaient brûlées,

16 vandalisées, détruites.

17 En m'approchant un peu plus de la ville même de Kiseljak,

18 j'avais remarqué, au nord de la route, sur un terrain un peu plus haut sur

19 une colline, qu'il y avait une mitrailleuse lourde qui tirait vers des

20 maisons, à peu près à 1500 mètres plus au nord-est de sa position. C'était

21 un tir dirigé, assez nourri, puis les maisons frappées par les projectiles

22 étaient enflammées. Ce qui m'avait conduit à croire, à ce moment-là, qu'il

23 s'agissait, soit de rondes incendiaires qui étaient utilisées ou de

24 traceuses de matière combustible dans les projectiles qui avaient comme

25 conséquence de mettre la maison en feu. C'était une mitrailleuse lourde

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1 d'un calibre assez élevé, j'avais estimé qu'il s'agissait d'un 20 ou

2 30 mm, donc probablement un canon antiaérien.

3 M. Cayley (interprétation). - Avez-vous vu des coups de feu

4 tirés à partir de ces maisons, sur lesquelles tirait cette mitrailleuse

5 lourde ?

6 M. Lanthier. - Absolument pas. Tout ce que je pouvais constater,

7 c'est que c'était un feu qui venait d'une direction seulement, donc ce

8 n'était pas un engagement, mais bien une attaque sans réponse. Il n'y

9 avait absolument rien qui m'indiquait qu'il s'agissait là d'un combat à

10 deux parties. J'avais vraiment l'impression qu'il s'agissait uniquement

11 d'une attaque sur ces résidences qui ne donnaient aucun signe d'activité

12 militaire ou rien qui aurait indiqué qu'il s'agissait d'une avance ou

13 d'une défense ou d'un combat de rencontre. Ce n'est pas ce que j'en ai

14 déduit.

15 M. Cayley (interprétation). - Vous avez également déclaré avoir

16 remarqué que, apparemment, des demeures étaient incendiées au moment ou

17 ces rondes de munitions de la mitrailleuse lourde les atteignait. Avez

18 vous pu en déduire le type de munitions qui étaient utilisées ?

19 M. Lanthier. - Mon impression était qu'il s'agissait de rondes

20 incendiaires ou avec une traceuse, un combustible à l'arrière de la ronde

21 qui nous permet de suivre sa trajectoire. Donc si la traceuse n'a pas fini

22 de brûler lorsque qu'elle atteint une matière combustible, elle va

23 déclencher un feu. Ou c'était carrément des rondes incendiaires dont le

24 résultat était automatiquement le feu. Cela a été mon impression.

25 M. Cayley (interprétation). - Je crois qu'ensuite, vous vous

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1 êtes rendu au quartier général du HVO à Kiseljak pour essayer de découvrir

2 ce qui était en train de se passer. Pouvez-vous parler aux Juges de cette

3 visite ?

4 M. Lanthier. - Effectivement, le but de ma visite, en ayant

5 passé par le long chemin pour me rendre à Kiseljak, était de me rendre à

6 Kiseljak. Je ne pouvais pas me rendre directement de Visoko à Kiseljak,

7 sans avoir une idée de ce qui se passait. Mais le but principal de ma

8 visite était d'intervenir dans la situation que je voyais. Donc, je me

9 suis dirigé vers les casernes de Kiseljak, dans le but de rencontrer

10 Mario Bradara. Lorsque je me suis présenté aux baraques, on m'a tout

11 simplement indiqué à la porte principale. Quand on rentrait dans la

12 caserne de Kiseljak, il y avait une barrière de métal. On m'a tout

13 simplement indiqué que M. Bradara n'était pas disponible, qu'il n'était

14 pas présent.

15 M. Cayley (interprétation). - Je crois qu'à ce moment-là, vous

16 avez informé le quartier général de la force de protection des Nations

17 Unies de Kiseljak au sujet de ce qui se passait et vous avez tenté

18 d'accéder au village de Rotilj. Pourriez-vous parler aux Juges de votre

19 première tentative pour entrer dans ce village de Rotilj ?

20 M. Lanthier. - Oui. Comme vous l'avez dit, en quittant le

21 quartier général de Kiseljak, le quartier général de la Forpronu est situé

22 tout près, à la jonction de la route du quartier général de Kiseljak, donc

23 je m'y suis arrêté et j'ai donné un compte rendu au chef d'état-major des

24 opérations du quartier général de la Forpronu, et également au G5, celui

25 qui s'occupe des relations civilo-militaires. Après cela, je me suis

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1 rendu, ou j'ai tenté de me rendre dans le village de Rotilj. La raison

2 pour laquelle j'essayais d'avoir accès à ce village était que Memisevic

3 l'avait identifié comme ayant une forte proportion de citoyens musulmans.

4 Donc, pour avoir accès à ce petit village, lorsque l'on était sur la route

5 principale de Kiseljak, il fallait tourner à gauche sur une route

6 secondaire, puis il y avait une petit côte à monter. En haut de la côte,

7 il y avait un barrage occupé par une voiture de police et quelques soldats

8 Croates. On m'a tout simplement refusé l'accès au village. Je n'ai pas

9 réussi, lors de cette journée, à pénétrer dans le village de Rotilj .

10 M. Cayley (interprétation). - La police et les soldats qui se

11 trouvaient à ce barrage, étaient-ils des membres de la police civile ou de

12 la police du HVO ?

13 M. Lanthier. - Il s'agissait de policiers civils, de voitures

14 civiles, avec des policiers en uniforme bleu.

15 M. Cayley (interprétation). - Y avait-il aussi des soldats du

16 HVO présents à ce barrage ?

17 M. Lanthier. - Effectivement, c'étaient deux ou trois soldats du

18 HVO, je ne sais pas le nombre exact, mais c'étaient quelques-uns.

19 M. Cayley (interprétation). - Pour que les choses soient tout à

20 fait claires, bien que cela ne soit pas absolument important, vous avez

21 parlé du G5. Suis-je en droit de dire que "G5" est un terme de l'Otan

22 destiné à désigner un membre des forces armées qui s'occupe des affaires

23 civiles ?

24 M. Lanthier. - Effectivement, c'est l'un des postes d'état-

25 major, une des branches de l’état-major de l'Otan.

Page 8474

1 M. Cayley (interprétation). - Maintenant, je pense que, à ce

2 moment-là, vous êtes retourné au bataillon à Visoko. Vous avez informé

3 votre officier de commandement et l'officier responsable des opérations au

4 sujet de ce que vous aviez vu dans la municipalité de Kiseljak. Après

5 quoi, le 20 avril, vous avez reçu en fait l'autorisation de vous rendre à

6 Rotilj.

7 M. Lanthier. - Oui, le 20, j'avais reçu l'autorisation de me

8 rendre au village de Rotilj, sous escorte toutefois. On m'avait donné deux

9 soldats des forces croates de Kiseljak pour m'accompagner. J'avais...

10 M. Cayley (interprétation). - Permettez-moi de vous interrompre,

11 capitaine Lanthier. J'aimerais que l'on montre au témoin la pièce à

12 conviction 333 qui l'aidera, sans aucun doute, à expliquer les choses

13 aux Juges.

14 (L'huissier s'exécute.)

15 Vous avez dit avoir reçu une autorisation mais, auprès de qui

16 deviez-vous demander cette autorisation afin de vous rendre à Rotilj ?

17 M. Lanthier. - Je suis allé au quartier général de Kiseljak pour

18 obtenir l'accès, étant donné que c'étaient deux soldats croates qui

19 m'avaient refusé l'accès au village de Rotilj. C'est au quartier général

20 que je me suis présenté pour obtenir l'autorisation.

21 M. Cayley (interprétation). - Vous parlez du quartier général du

22 HVO à Kiseljak, n'est-ce pas ?

23 M. Lanthier. - Oui.

24 M. le Président. - Lorsque vous parlez de soldats croates, il

25 faudrait préciser.

Page 8475

1 M. Lanthier. - Des Croates bosniaques du HVO.

2 M. le Président. - Merci.

3 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous, grâce à cette

4 photographie aérienne qui se trouve sur le rétroprojecteur et qui apparaît

5 sur l'écran devant vous, expliquer aux Juges la visite que vous avez

6 rendue à Borina et à Rotilj et leur dire ce que vous avez découvert dans

7 ces villages, le 20 avril ? Je vous rappelle, s'il vous plaît, la

8 nécessité de parler lentement.

9 M. Lanthier. - On m'a donné accès à Rotilj en me donnant une

10 escorte, comme je l'ai dit précédemment. L'escorte qui nous précédait nous

11 a emmenés, a pris une des petites rues qui menaient vers l'ouest dans

12 Kiseljak et nous ont emmenés dans ce qu'ils nous ont présentés comme étant

13 le village de Rotilj. J'étais accompagné par un représentant de l'ECMM, le

14 colonel Rémi Landry, qui travaillait dans le secteur de Bosnie centrale.

15 J'avais également avec moi une traductrice. L'escorte nous a emmenés dans

16 le village de Borina, identifié ici par le cercle 1. On m'a dit : "Voici

17 le village de Rotilj". Je ne sais pas si c'était une erreur de lecture de

18 carte de la part de notre escorte, mais il nous paraissait évident, à moi

19 et au colonel Landry, que ce n'était pas le village de Rotilj. Nous avons

20 donc demandé la permission à notre escorte de sortir de notre véhicule et

21 d'examiner d'un peu plus près les lieux. Ils nous ont permis de le faire

22 et nous sommes allés, le colonel Landry, moi-même et la traductrice, à

23 pied sans escorte. Nous avons descendu la côte, représentée par une flèche

24 qui va du cercle 1 au cercle 2. Nous sommes allés du village de Borina au

25 village de Rotilj.

Page 8476

1 Lors de notre arrivée dans Rotilj, nous avons été accueillis par

2 une trentaine de personnes. Tout le monde se bousculait un peu pour nous

3 voir. C'était la première présence des Nations Unies depuis les événements

4 qui s'étaient déroulés quelques jours auparavant. A ce moment-là, on nous

5 a expliqué qu'il y avait eu une attaque contre le village de Rotilj et que

6 plusieurs crimes avaient été commis. La première personne, ou l'un des

7 premières qui sont venues par la suite se présenter directement à moi et

8 au colonel Landry était un homme d'une trentaine d'années. Il était resté

9 à l'intérieur d'une maison et était sorti. Il nous a emmenés dans sa

10 maison, dont la porte principale était verrouillée. Il a déverrouillé la

11 porte et nous a emmenés dans le salon.

12 Il nous a expliqué que, lorsque l'attaque était survenue, il

13 était à l'extérieur, dans ses champs. C'était un fermier. Il nous a

14 expliqué que sa femme, qui était seule à la maison, avait été victime d'un

15 viol, que tous les soldats qui étaient entrés dans la maison l'avait

16 violée et qu'elle avait par la suite été exécutée d'une balle dans la

17 tête. Bien que le corps n'ait plus été là, toutes les traces évidentes

18 physiques y étaient encore : sur la table dans le salon, il y avait une

19 flaque de sang séché ; il y avait également des sous-vêtements qui avaient

20 été arrachés, souillés de sang sur le plancher, des douilles vides sur le

21 tapis du salon, plusieurs morceaux d'os qui avaient éclaboussé le bas du

22 mur et le tapis. Donc, bien que je n'aie pas pu voir le corps de la

23 victime, l'évidence physique que je pouvais voir me permettait de conclure

24 que, effectivement, les événements qui m'étaient relatés avaient eu lieu.

25 Nous sommes ensuite ressortis et, à ce moment-là, les autres

Page 8477

1 membres des familles de victimes se sont présentés à moi et au

2 colonel Landry. On m'a dit aussi qu'un couple âgé avait été attaché et

3 brûlé vivant dans leur demeure. Une fois qu'ils avaient été attachés, on

4 avait mis le feu à leur demeure et ils étaient morts. Un homme d'une

5 quarantaine d'années et son jeune adolescent avaient été attrapés sur le

6 chemin principal. On les avait exécutés, puis tranché la tête et, là où

7 l'on m'a emmené, les dépouilles n'étaient plus là mais il y avait encore

8 une flaque de sang et des morceaux de cerveau qui jonchaient la route. Une

9 dame m'a rapporté que son mari avait été capturé, qu'on l'avait brûlé avec

10 l'acide des batteries de voiture. Je ne me souviens plus si c'est la cause

11 de sa mort ou s'il avait été exécuté par balle, mais lui aussi avait été

12 victime de ses assaillants. Je n'ai pas vu les dépouilles déjà enterrées.

13 On m'a emmené au cimetière, à l'entrée du village, à gauche. On

14 m'a montré où les corps avaient été enterrés, dans le cimetière. Il y

15 avait huit emplacements où l'on voyait que la terre avait été remuée ;

16 elle était encore humide et n'avait pas eu le temps de sécher. On m'a dit

17 -si je me souviens bien- qu'il y avait eu dix-sept personnes qui avaient

18 été victimes de cette attaque-là. D'après ce que j'ai cru comprendre, on

19 avait enterré les membres d'une même famille dans une seule tombe. C'est

20 pour cela qu'il y avait moins de tombes que de victimes.

21 En posant plus de questions, je voulais que l'on m'explique

22 comment l'attaque avait eu lieu. On m'a expliqué que, le 18 dans la

23 soirée, des soldats étaient apparus, s'étaient assuré que personne ne

24 pouvait s'échapper du périmètre du village, que l'on avait installé une

25 mitrailleuse lourde au milieu du village. Des soldats étaient passés de

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1 maison en maison, en sortant les citoyens et en les ramassant. D'après ce

2 que l'on me décrivait, j'avais l'impression que c'était un poste de

3 commandement situé sur le terrain principal, le terrain un peu plus élevé,

4 au nord de Rotilj. Ils étaient tout simplement passés de maison en maison

5 et, c'est en passant dans ces maisons-là, que certains des résidants ont

6 été exécutés.

7 L'impression qui s'en est dégagée immédiatement était que cette

8 attaque était conduite selon des tactiques de bas niveau, tactique de

9 peloton d'infanterie, combat en milieu urbain, délimitation du périmètre,

10 utilisation tactique du terrain, communication... Le terme que l'on utile

11 en jargon militaire est "filed up areas and build up areas". C'est

12 l'impression qui s'en est dégagée. Le colonel Landry et moi avons

13 poursuivi et on a marché. Le diagramme indique un troisième cercle, le

14 numéro 3, dans lequel nous sommes descendus pour voir ce qui s'était

15 passé. Plusieurs maisons, surtout dans le cercle 2, avaient été détruites

16 et brûlées... Plus on se dirigeait vers...

17 M. Riad (interprétation). - Un peu plus lentement, s'il vous

18 plaît.

19 M. Lanthier. - ...vers l'est, moins il y avait de destructions.

20 Voilà ce qui s'est passé lors de ma première visite dans le village de

21 Rotilj.

22 M. Cayley (interprétation). - Je pourrais conclure mes questions

23 après la pause, Monsieur le Président, si vous le souhaitez.

24 M. le Président. - Parfait. Nous suspendons pour vingt minutes.

25 (L'accusé est reconduit hors de la salle d'audience)

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1

2 L'audience, suspendue à 11 heures 40, est reprise à 12 heures 05.

3

4 M. le Président. - L'audience est reprise. Introduisez l'accusé.

5 (L'accusé est introduit dans la salle d'audience)

6 Monsieur le Procureur, nous reprenons.

7 M. Cayley (interprétation). - Merci, Monsieur le Président. Je

8 demanderai que le rétroprojecteur soit allumé, s'il vous plaît.

9 (L'huissier s'exécute.)

10 Capitaine Lanthier, nous étions en train de parler des

11 conséquences de l'attaque à laquelle vous avez assisté dans le village de

12 Rotilj. Les villageois ont-ils identifié les soldats qui ont attaqué le

13 village ?

14 M. Lanthier. - Juste une correction sur votre question. Je n'ai

15 pas assisté à l'attaque. Ce que l'on m'a donné, ce sont des survivants des

16 victimes qui m'ont raconté ce qu'ils avaient vu. Je n'ai pas été un témoin

17 oculaire de cela. On m'a rapporté, le terme utilisé était "C'étaient des

18 soldats du HVO qui avaient commis cette attaque."

19 M. Cayley (interprétation). - Vous avez dit qu'un certain nombre

20 de maisons avaient été incendiées et je me demandais si vous pourriez, sur

21 la photographie, indiquer des endroits où vous avez vu maisons incendiées.

22 M. Lanthier. - C'était principalement dans le cercle identifié

23 par le chiffre 2. Je ne peux pas identifier des maisons individuelles,

24 après quatre ou cinq ans.

25 M. Cayley (interprétation). - Dans la zone notée par le

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1 numéro 3, avez-vous vu des maisons incendiées ?

2 M. Lanthier. - Je crois me rappeler qu'il y en avait quelques-

3 unes, mais le niveau de destruction était minime comparé à ce dont je me

4 souviens dans le cercle identifié par le numéro 2.

5 M. Cayley (interprétation). - Le procès-verbal indique que le

6 niveau de destruction était à peu près équivalent à celui que j'ai indiqué

7 dans le cercle numéro 2 alors que, je crois, vous avez dit que le niveau

8 de destruction n'était pas comparable, très minime par rapport à celui que

9 vous aviez constaté dans le cercle 2.

10 M. le Président. - Que se passe-t-il dans le procès-verbal ?

11 Cela me paraît très fréquent. Ce sont des erreurs fondamentales.

12 Monsieur le Greffier, avez-vous une explication ? Ce ne sont pas des noms

13 estropiés, c'est le sens qui change. Je n'impute de responsabilité à

14 personne, mais il faudrait s'en préoccuper. On ne peut avoir de procès-

15 verbal qui comporte des erreurs. Heureusement, M. Cayley y fait très

16 attention en même temps, mais ce ne doit pas être facile de faire

17 l'interrogatoire principal et de surveiller si le sens même d'une phrase

18 est bien répertorié.

19 M. Dubuisson. - En fait, il s'agit d'une nouvelle équipe et nous

20 allons étudier la question de ce problème qui est nouveau.

21 M. le Président. - Oui, il s'agit d'erreur humaine, il faut dire

22 ce qui est. C'est tout de même préoccupant, je dois dire, au-delà des

23 problèmes techniques. Je demande vraiment à l'équipe qui est en place, en

24 mesurant bien tout ce que représente la difficulté de ce passage en

25 compte-rendu, de vraiment y prendre garde. Peut-être le témoin pourrait-il

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1 parler un peu plus doucement. Nous changeons d'équipe parce que nous avons

2 une nouvelle salle d'audience, donc une équipe nouvelle qui n'est pas

3 encore habituée à ce travail complexe, mais je voudrais que le procès-

4 verbal relate bien ce que dit le témoin. Pour le contre-interrogatoire

5 évidemment, la défense va s'appuyer sur le procès-verbal. Voilà,

6 l'incident est clos et parlons lentement pour essayer de faire en sorte

7 que les erreurs soient limitées au maximum. Merci. Allez-y, continuez.

8 M. Lanthier. - Juste pour répondre à votre question, le niveau

9 de destruction dont je me souviens dans le cercle identifié numéro 3

10 était, de beaucoup, moindre par rapport à celui identifié dans le

11 numéro 2.

12 M. Cayley (interprétation). - Capitaine Lanthier, comment vous-

13 même et les personnes qui vous accompagnaient avez réagi à ce que vous

14 avez vu dans le village de Rotilj ?

15 M. Lanthier. - Ma réaction initiale a été d'être horrifié par la

16 nature sauvage des actes. La violence, l'agressivité démontrées par

17 l'attaque, que je n'ai pas vue mais dont l'évidence physique était encore

18 là, m'avait abasourdi. C'est une réaction de dégoût, autant de ma part que

19 de celle du colonel Landry. Je me souviens que le colonel Landry m'a dit,

20 en parlant de l'une des victimes, qu'une des victimes survivantes avait

21 éclaté en sanglots. Dans une des maisons, ma traductrice a été obligée de

22 sortir, malade devant ce qu'elle voyait et entendait. La nature même des

23 actes est absolument révoltante.

24 M. Cayley (interprétation). - Bon. Nous allons avancer. Je

25 demanderai que l'on montre au témoin la pièce à conviction 334.

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1 (L'huissier s'exécute.)

2 Un dernier point, Monsieur Lanthier. Pourquoi pensez-vous que le

3 HVO a d'abord frappé le village de Borina et non celui de Rotilj ?

4 M. Lanthier. - Mon impression est que ce n'était pas un acte

5 involontaire, mais délibéré. Tout simplement pour que l'on ne découvre pas

6 vraiment ce qu'il y avait à Rotilj à ce moment-là. C'est mon impression.

7 M. Cayley (interprétation). - Le village de Borina était intact,

8 n'est-ce pas ? A quelle distance se trouve le village de Rotilj de la

9 caserne de Kiseljak ?

10 M. Lanthier. - Le village est linéaire. Il suit une route mais

11 la distance moyenne est entre 1 500 et 2 000 mètres, approximativement,

12 des baraques de Kiseljak.

13 M. Cayley (interprétation). - Excusez-moi. Je vous ai interrompu

14 en fait avant que vous n'ayez terminé la réponse à la question que je vous

15 avais posée. Le village de Borina était-il intact, le premier village que

16 vous avez visité ?

17 M. Lanthier. - Lorsque nous sommes arrivés au village de Borina,

18 effectivement, je ne me souviens pas d'avoir vu de destructions.

19 M. Cayley (interprétation). - Vous avez la pièce à

20 conviction 334 sous les yeux, je vous demanderai de dire aux Juges ce qui

21 s'est passé lors de la visite que vous avez rendu le 21 ou

22 le 22 avril 1993 dans ces villages et je vous demanderai de dire si vous

23 vous rappelez ce que vous avez vu dans les villages qui sont surlignés sur

24 la carte.

25 M. Lanthier. - Je suis retourné dans les villages qui sont

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1 identifiés avec la couleur orange. Lors de ma première visite, après le

2 rapport de Memisevic, j'avais conduit sur la route principale, mais je

3 n'avais pas pu, à ce moment là, aller dans le village même. Il y avait

4 encore, comme je l'ai rapporté, du feu dirigé vers certaines maisons et

5 moi, comme officier de liaison, tout ce que j'avais, c'était un véhicule

6 de type jeep avec un toit de vinyl, donc je n'avais aucune protection

7 blindée pour m'aventurer dans les secteurs où le feu était encore nourri.

8 Deux jours plus tard, lorsque l'attaque semblait maintenant terminée, j'ai

9 physiquement été dans ces villages là et je suis sorti de mon véhicule.

10 Ensuite, je me suis promené à l'intérieur du village, afin d'essayer de

11 comprendre , de voir, s'il y avait des évidences quelconques de ce qui

12 s'était passé. J'ai pénétré dans plusieurs maisons personnellement. La

13 première chose est que je n'ai pas eu besoin de forcer l'accès des maisons

14 dans lesquelles je suis entré, les portes étaient soit arrachées, soit

15 ouvertes. En pénétrant dans ces maisons, le vandalisme et le vol

16 semblaient avoir été commis. Ce qui me fait croire ça, c'est que le

17 contenu des tiroirs étaient renversés sur les planchers, les armoires

18 vidées, la vaisselle brisée sur le plancher. Ces indices m'indiquaient que

19 du vandalisme avait eu lieu dans ces maisons. Des maisons avaient été

20 brûlées, d'autres adjacentes à celles-ci avaient des granges où du bétail

21 était mort. Dans certaines autres, le bétail était encore en vie, mais en

22 piteux état. On voyait là que ces maisons avaient été délibérément

23 saccagées.

24 M. Cayley (interprétation). - Nous disons pour le procès-verbal,

25 qu'il s'agit des villages de Svinjarevo, Gomionica, Polje, Visnjica,

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1 Gromiljak, et je crois que, comme vous l'avez dit aux Juges, vous vous

2 étiez déjà rendu précédemment dans le village de Rotilj une fois.

3 M. Lanthier. - Exact. Ce sont les villages indiqués en orange

4 sur la carte.

5 M. Cayley (interprétation). - Je crois que, lorsque vous êtes

6 passés par le village de Gromiljak, vous avez vu une maison qui était

7 intacte. Pouvez-vous parler aux Juges de cet événement ?

8 M. Lanthier. - En me promenant de village en village, une des

9 particularités qui m'avaient frappé était que, juste au nord de Gromiljak,

10 de ce côté nord de la route, il y avait un groupe de trois maisons

11 isolées, dont les deux maisons, à chaque extrémité, étaient détruites,

12 mais celle du centre était parfaitement intacte. On voyait qu'il y avait

13 de l'activité dans cette maison. Je suis allé à cette maison, celle du

14 centre, celle qui était intacte, j'ai frappé et demandé à parler au

15 résident. La personne qui était dans la maison à ce moment-là n'a pas

16 voulu me répondre, n'a pas voulu répondre à mes questions. J'ai ouvert la

17 porte, mais elle n'a pas voulu me parler. Par la suite, j'ai appris, en

18 parlant avec d'autres personnes plus tard, que cette maison appartenait à

19 un citoyen d'origine croate. Donc, cela semblait me confirmer à ce moment-

20 là que ce qui s'était passé dans la poche de Kiseljak était ce que l'on

21 appelait le nettoyage ethnique, où on avait délibérément attaqué des

22 citoyens d'origine musulmane et uniquement eux. On avait laissé les

23 autres. Donc ce n'était pas au village, en tant que tel, qu'on en voulait,

24 mais à certains habitants particuliers de ce village. C'est ce que cette

25 visite m'a permis de déduire.

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1 M. Cayley (interprétation). - Vous rappelez vous avoir vu des

2 habitants dans ces villages, lorsque vous vous y êtes rendu ?

3 M. Lanthier. - Non. Les villages étaient désertés. Les seules

4 choses qui restaient, c'était certains animaux de bétail, des vaches, des

5 poules, des choses comme ça. A l'exception de la maison que je vous ai

6 mentionnée, juste au nord de Gromiljak, je n'ai vu aucune présence de vie

7 humaine dans ces villages. Où était les résidents, à ce moment-là ? Je

8 l'ignorais. Je n'ai pas trouvé là de victimes ou de morts qui jonchaient

9 les maisons ou les rues, donc ma supposition était que, soit on s'était

10 évadé lors de l'attaque et que l'on s'était enfui, soit que l'on avait

11 capturé les résidents. A ce moment-là, je n'étais pas en mesure de

12 déterminer ce qui s'était produit avec les résidents de ces villages là.

13 M. Cayley (interprétation). - Je crois qu'après avoir vu tout ce

14 que vous avez vu dans les villages qui sont surlignés sur cette carte,

15 vous vous êtes rendu au quartier général du HVO à Kiseljak, pour voir

16 M. Mario Bradara. Pouvez-vous nous parler de cette visite ?

17 M. Lanthier. - Oui. Avec ce que j'avais pu accumuler comme

18 connaissance de la situation, il était évident qu'il y avait eu un

19 nettoyage ethnique similaire à ce que le bataillon britannique m'avait

20 rapporté dans la poche de Vitez et je suis donc allé au quartier général

21 du HVO de Kiseljak pour m'informer ce de qui s'était passé, pour que l'on

22 me donne des explications sur la nature des événements qui avaient eu

23 lieu. J'ai rencontré M. Bradara. A ce moment-là, il m'a expliqué qu'il

24 s'agissait d'actes isolés commis par des citoyens révoltés, fatigués de la

25 situation qui prévalait, que c'était hors de son contrôle, que c'était

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1 quelque chose qui était arrivé "comme ça". Il m'a répondu la même chose

2 pour le village de Rotilj, qu'il s'agissait d'actes isolés de citoyens

3 révoltés -"frustrés" est le terme qu'il a employé, pour être précis. Je

4 lui ai alors exprimé mon opinion personnelle ; je ne croyais pas que ce

5 puisse être le fait de simples citoyens. Cela m'apparaissait plutôt comme

6 quelque chose de synchronisé, de nature militaire. La nature de l'attaque

7 sur Rotilj correspond parfaitement aux tactiques employées par un peloton

8 d'infanterie pour conduire de telles choses : une défense de périmètre,

9 l'utilisation tactique du terrain, les communications, la présence

10 d'armements lourds indiquent qu'il s'agit d'une unité militaire. Le fait

11 que ces actions, commises dans la poche de Kiseljak, surviennent 48 heures

12 environ après ce qui s'était passé dans la poche de Vitez, semblait me

13 confirmer que c'était quelque chose de synchronisé et non pas le fruit du

14 hasard. J'avais donc exprimé mes sentiments à M. Bradara à ce moment-là et

15 lui m'avait répondu que ce n'était pas le cas, que c'étaient tout

16 simplement des citoyens qui avaient réagi à la situation.

17 M. Cayley (interprétation). - Donc, M. Bradara vous mentait au

18 sujet de ce qui s'était passé dans l'enclave de Kiseljak ?

19 M. Lanthier. - Absolument, j'ai eu l'impression qu'il n'était

20 pas honnête envers moi.

21 M. Cayley (interprétation). - Ensuite, je crois que vous avez

22 décidé de vous rendre toutes les semaines dans le village de Rotilj. Je

23 vous demanderai de bien vouloir expliquer aux Juges ce qui s'est passé au

24 cours de ces visites et également de dire à qui il vous fallait demander

25 l'autorisation pour vous rendre dans ce village chaque fois que vous avez

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1 voulu y aller.

2 M. Lanthier. - Je savais que Rotilj avait été attaquée et qu'il

3 demeurait des résidents dans cette ville. C'était le seul endroit où

4 j'avais vu encore une présence après l'attaque. Comme je l'ai dit, les

5 autres villages étaient tous abandonnés, mais il y avait toujours du monde

6 qui vivait dans ce petit village-là. J'avais à ce moment-là demandé à

7 M. Bradara l'autorisation qui m'a été accordée de visiter le village

8 régulièrement ; on devait m'accorder 24 heures à l'avance la permission de

9 visiter le village de Rotilj, sur une base hebdomadaire et pour un but

10 humanitaire. Le but de mes visites était de m'assurer que les conditions

11 de vie de base des habitants étaient adéquates ; je parlais d'eau, de

12 médicaments, de vêtements, des commodités de base. Lorsque l'autorisation

13 m'a été accordée la première fois et que je suis arrivé dans le village de

14 Rotilj, il y avait approximativement quelques centaines de résidents, mais

15 je n'ai jamais eu de chiffre exact. Il s'agissait de personnes qui étaient

16 en détention dans le village de Rotilj. Ce que moi j'ai vu, c'était

17 principalement des enfants, des femmes et surtout des couples âgés. A ce

18 moment-là, dans le village, il n'y avait aucune présence d'hommes dans la

19 force de l'âge, en mesure de travailler. Les seuls hommes qui restaient

20 dans le village étaient des jeunes enfants ou des personnes âgées, pouvant

21 difficilement accomplir quelque tâche que ce soit.

22 J'obtenais à l'avance une autorisation de Bradara, j'allais dans

23 le village et je parlais avec la population. Ils me disaient, à ce moment-

24 là, qu'ils vivaient dans des conditions de surpopulation : pas loin d'une

25 dizaine de personnes vivaient dans une seule résidence. L'eau potable

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1 était un problème : bien qu'il y avait un puits et un aqueduc, la quantité

2 d'eau était insuffisante pour les personnes du village. Il y avait

3 également plusieurs problèmes de santé ; par la suite j'ai souvent emmené

4 avec moi des représentants de l'Organisation Mondiale de la Santé, des

5 médecins ou des spécialistes qui pouvaient s'occuper de ceux dont l'état

6 de santé était précaire. On pouvait "sentir" dans le village, j'ai employé

7 le terme "détenus", physiquement personne n'était menotté, menacé avec une

8 arme quelconque devant mes yeux, mais on ressentait -c'était dit à mots

9 couverts- qu'ils étaient prisonniers. Ils n'auraient pas pu tenter de

10 s'échapper du village.

11 Quand on regarde la position sur la photo aérienne, on voit que

12 Rotilj est quand même assez isolée, dans la nature. On pourrait penser que

13 c'est facile, sous couvert de la nuit, de s'échapper du village, mais en

14 parlant avec les résidents du village, on avait l'impression que personne

15 n'osait s'échapper de peur qu'en cas de fuite, il y ait des sanctions

16 prises contre ceux qui n'auraient pas réussi à s'échapper. Il y avait

17 plusieurs personnes âgées et plusieurs très jeunes enfants, il aurait été

18 impossible de faire une évasion massive, la répression serait certainement

19 survenue s'ils avaient tenté de s'échapper. Lors d'autres discussions, un

20 vieux couple s'est présenté à moi, ils avaient probablement soixante ans.

21 Ils m'ont expliqué qu'en avril 1992, ils étaient venus visiter de la

22 famille à Rotilj ; lorsque qu'ils avaient voulu rentrer à Sarajevo où ils

23 résidaient, on les avait empêchés de quitter la poche de Kiseljak et

24 ramenés à Rotilj, où ils étaient retenus contre leur gré depuis

25 avril 1992. En avril 1993, un an après, ils étaient toujours là. Ils

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1 m'avaient donné le numéro de téléphone de leur garçon resté en France ;

2 j'ai essayé de le contacter, je n'y suis jamais parvenu. C'était un

3 exemple de personnes retenues contre leur propre gré. J'avais demandé où

4 étaient les hommes, parce que qu'on voyait qu'il n'y avait pas d'hommes

5 dans la force de l'âge dans le village. On m'a dit qu'ils étaient pris le

6 matin, on les emmenait sur les lignes de front et qu'ils creusaient des

7 tranchées dans la journée. Ces renseignements m'ont été communiqués par

8 les résistants du village.

9 Avec ces informations-là, après ma première visite du village de

10 Rotilj, je suis allé voir Bradara et je l'ai questionné sur ce que l'on me

11 rapportait, en lui demandant pourquoi on détenait ces personnes contre

12 leur gré. Bradara m'a répondu que c'était pour leur propre sécurité, afin

13 d'éviter que ce qui était peut-être arrivé ailleurs ne se produise, qu'on

14 les retenait là pour leur bien. A ma question "Pourquoi emmène-t-on des

15 hommes creuser des tranchées ?", Bras m'a répondu : "On ne les emmène pas

16 de force, ce sont des volontaires, des sympathisants de notre cause qui

17 nous aident de leur propre gré à creuser des tranchées". Ces commentaires

18 m'avaient paru farfelus et je lui avais fait part de mon incrédulité. On

19 venait de massacrer leurs parents, leurs amis, et on me dit qu'ils vont

20 aller creuser des tranchées volontairement ? C'est dur à croire... J'avais

21 également proposé à Bradara d'emmener, par l'intermédiaire de la

22 Commission Internationale de la Croix-Rouge, ces résidents à Visoko, à

23 majorité musulmane à ce moment-là, mais qui était contrôlée par les forces

24 du gouvernement bosniaque. Mais Bradara avait refusé cette proposition et

25 m'a dit "Non; ils restent ici, c'est pour leur bien qu'on va les retenir".

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1 Tout cela m'indiquait que premièrement, c'était effectivement des

2 prisonniers, des personnes détenues contre leur gré et que, deuxièmement,

3 on utilisait certains de ces résidents, de ces détenus, comme main

4 d'oeuvre forcée sur la ligne de front. Mes visites m'ont permis de

5 conclure cela.

6 M. Cayley (interprétation). - Je suis donc en droit de dire que

7 le HVO a effectivement reconnu utiliser des hommes en âge de combattre ou

8 de travailler pour aller creuser des tranchées sur les lignes de front ?

9 M. Lanthier. - Absolument.

10 M. le Président. - Evitez de trop répéter, Maître Cayley. Nous

11 avons compris. Merci.

12 M. Cayley (interprétation). - Afin de décrire l'atmosphère qui

13 régnait à Rotilj, dans ce camp, pourriez-vous expliquez brièvement quelle

14 a été votre impression et quels étaient les sentiments ressentis par les

15 personnes qui se trouvaient dans ce village ?

16 M. Lanthier. - Je l'ai dit brièvement : on ne parlait pas

17 ouvertement. Je n'étais pas sous escorte, mais on ressentait la peur et

18 presque la panique que ce monde vivait. On essayait de me parler, mais

19 sans que personne ne voie. On m'emmenait derrière une maison pendant que

20 je visitais, et lorsqu'on était à l'abri d'un mur ou des oreilles

21 indiscrètes, on me racontait certains faits. Il y avait une peur palpable.

22 C'est probablement le meilleur terme pour décrire ce qui existait dans ce

23 village.

24 M. Cayley (interprétation). - Combien de fois vous êtes-vous

25 plaint au quartier général du HVO à Kiseljak, de la situation qui régnait

Page 8491

1 à Rotilj ? Vous en souvenez-vous ?

2 M. Lanthier. - Je visitais hebdomadairement le village de

3 Rotilj. Je suis parti vers la mi-mai, donc j'ai visité trois ou quatre

4 fois le village de Rotilj entre ma première visite et mon départ. A chaque

5 fois, il y avait quelqu'un qui venait me voir, un(e) détenu(e) qui me

6 racontait quelque chose et qui me demandait, me suppliait d'intervenir. A

7 chaque fois, j'ai fait état de mes plaintes à Mario Bradara, donc au moins

8 trois ou quatre fois immédiatement après une visite et à quelques autres

9 occasions, parce que j'étais appelé, dans l'exercice de mes fonctions, à

10 voir M. Bradara régulièrement, plusieurs fois chaque semaine. J'ai au

11 moins à quatre reprises apporté des plaintes à M. Bradara.

12 M. Cayley (interprétation). - Passons à la suite, à la fin du

13 mois d'avril, au début de mois de mai. On vous a fait état de détenus

14 civils qui se trouvaient dans la caserne de Kiseljak. Je vais donc placer

15 la pièce 335 devant vous et, en vous appuyant sur cette pièce, je vous

16 demanderai de nous détailler les informations dont vous disposez sur la

17 présence de détenus civils dans la caserne de Kiseljak.

18 (L'huissier s'exécute.)

19 M. Lanthier. - On m'avait rapporté qu'on détenait des

20 prisonniers dans les casernes de Kiseljak. Je n'avais alors aucune preuve

21 qui pouvait confirmer ou infirmer ce que l'on m'avait rapporté dans la

22 ville de Kiseljak. Mais en me rendant à la caserne lors d'une de mes

23 visites régulières à Mario Bradara, j'avais remarqué plusieurs enfants qui

24 jouaient sur le terrain devant les baraques entourées par le cercle n° 2.

25 Le cercle n° 1 représente l'endroit où se trouvaient les bureaux du

Page 8492

1 quartier général de Kiseljak. Pour rendre visite à M. Bradara, je passais

2 là et j'avais une bonne visibilité sur les baraques identifiées dans le

3 cercle n° 2. J'avais remarqué plusieurs enfants qui jouaient là et du

4 linge de femmes, des robes, des voiles, des châles qui séchaient sur des

5 cordes à linge. Et, que je sache, il n'y avait aucune raison pour que ces

6 enfants et ce linge soient là puisque c'était une caserne militaire et pas

7 un centre d'hébergement. J'avais donc demandé à M. Bradara ce qu'il en

8 était et qui était détenu ou s'il y avait quelqu'un de détenu dans les

9 baraques. Il avait alors effectivement admis qu'il y avait une centaine de

10 personnes qui étaient dans les baraques. Je lui avais demandé pourquoi

11 elles étaient là. Il m'avait répondu, là encore, que c'était pour leur

12 bien, pour éviter qu'elles ne soient victimes d'attaques d'autres citoyens

13 dans la poche de Kiseljak. Je l'avais questionné et sa réponse avait

14 changé : "Si on les libère, ils constitueront une menace pour le HVO".

15 Menace des enfants et des femmes... je ne voyais pas où était la menace.

16 Lors d'une visite subséquente, j'ai demandé la permission de

17 visiter ces détenus pour vérifier leurs conditions de vie, m'assurer que

18 le niveau de base était adéquat. Cette permission m'a été refusée, je n'ai

19 pas reçu l'autorisation d'aller physiquement les visiter. Lors de cet

20 entretien-là avec Bradara, j'ai abandonné le sujet, j'ai pensé aux autres

21 points de l'ordre du jour. Pour se rendre à la bâtisse n° 1, on doit

22 dépasser les bâtisses qui sont dans le cercle n° 2 et lors d'une autre

23 visite, ultérieurement, plutôt que de me diriger directement vers ce

24 bâtiment, j'ai plutôt bifurqué vers les baraques. J'avais liberté de

25 mouvement parce que j'allais très fréquemment aux baraques de Kiseljak,

Page 8493

1 lorsqu'on voyait mon véhicule arriver à la barrière principale, qu'on

2 voyait que j'en étais l'occupant, on me saluait, on me laissait rentrer

3 sans même me demander ma carte de la Forpronu, sans vérifier mon

4 identité ; on me reconnaissait de visu, on me laisser aller tout seul

5 jusqu'au quartier général.

6 J'ai tenté d'aller visiter les deux édifices dans le cercle

7 numéro 2, j'ai réussi à m'en approcher, mais un garde m'a rapidement

8 intercepté et dirigé dans la bonne direction, vers le quartier général.

9 Lorsque je suis rentré dans le bureau de Bradara, c'était la deuxième ou

10 troisième porte à droite, la fenêtre donnait sur l'intérieur du complexe.

11 Une de ses premières remarques a été que je devais arrêter de poser des

12 questions et essayer de laisser tomber le sujet. Il m'a dit d'ailleurs :

13 "Si vous n'abandonnez pas ce sujet, regardez dehors." Il y avait un soldat

14 qui était armé d'un fusil avec une mire qu'il pointait sur moi. Bien sûr,

15 il y avait la vitre mais le message était clair. Je devais cesser de

16 questionner sur la présence de ces détenus et la discussion a été terminée

17 sur ce sujet. J'ignore ce qui est arrivé à ces détenus parce que je suis

18 parti. On était rendu vers la mi-mai et je suis donc parti pour retourner

19 au Canada. Ce sont les circonstances dans lesquelles j'ai été mis au

20 courant de la présence de détenus dans la caserne de Kiseljak, présence

21 qui a été admise par M. Bradara.

22 M. Cayley (interprétation). - Afin d'apporter une précision sur

23 cette photographie, la zone représentée par le cercle 1 est le bâtiment du

24 quartier général du HVO, n'est-ce pas ?

25 M. Lanthier. - Oui, c'est le bâtiment dans lequel j'avais mes

Page 8494

1 entretiens avec M. Bradara.

2 M. Cayley (interprétation). - Le cercle 2 représente deux

3 bâtiments et, dans l'un des bâtiments, les détenus civils y étaient

4 emprisonnés ?

5 M. Lanthier. - Oui. Je ne me souviens pas exactement lequel, si

6 c'est celui qui est le plus à gauche ou à droite. C'est dans l'un des

7 deux. C'est pourquoi, quand on montre la photo, j'ai encerclé les deux. Je

8 ne me souviens avec précision dans lequel c'était.

9 M. Cayley (interprétation). - Comment les approvisionnements

10 arrivaient-ils dans cette poche de Kiseljak, au cours de votre premier

11 séjour ? Je parle de munitions, d'aliments, de combustibles, etc.

12 M. Lanthier. - Une chose intéressante, que j'avais remarquée dès

13 mon arrivée en Bosnie centrale, était que la poche de Kiseljak et la

14 petite poche de Vares, au nord de notre secteur de responsabilité, avaient

15 la particularité d'être particulièrement bien équipées. Je veux dire que

16 les boutiques fonctionnaient. Des choses comme le chocolat, la bière,

17 étaient sur les étalages. Il n'y avait aucun manque de diesel ou de

18 carburants. Les stations d'essence fonctionnaient. Tout semblait presque

19 fonctionner comme dans un état normal.

20 Ce que j'entends par un état normal, cela ne semblait pas être

21 une situation dans laquelle une poche isolée en guerre contre ceux qui

22 l'entourent devrait existait. On allait à Visoko, ou ailleurs, à Breza, où

23 toutes ces commodités n'existaient pas. Du côté du territoire contrôlé par

24 les forces bosniaques, toutes ces commodités étaient inexistantes. Cela

25 m'étonnait de voir la qualité de vie à Vares et à Kiseljak. Je ne parle

Page 8495

1 pas uniquement du village ou de la ville, mais bien de l'enclave

2 représentée par Kiseljak. Ces commodités étaient toutes présentes, ce qui

3 était surprenant. Si je prends un exemple, je ne me souviens pas du prix

4 exact du litre de diesel, mais c'était quelques Deutsche Marks, à Kiseljak

5 trois ou quatre. Le même litre se vendait à Visoko 20 dollars,

6 ou 20 Deutsche Marks et s'obtenait uniquement sur le marché noir tandis

7 que, à Kiseljak, vous alliez à la station d'essence comme si de rien

8 n'était.

9 Par curiosité, j'avais questionné Mario Bradara à ce sujet et il

10 m'avait expliqué avec un peu de fierté -je dois le dire- que la Croatie

11 envoyait des convois de ravitaillement à Kiseljak. Leur essence, leurs

12 carburants et toutes ces choses parvenaient de la Croatie qui envoyait des

13 convois par le Sud de la Bosnie dans le territoire contrôlé par l'armée

14 serbe bosniaque qui arrivait par la suite du côté Est de la poche de

15 Kiseljak. En effet, le côté Est de la poche de Kiseljak était une ligne en

16 contact direct avec l'armée serbe bosniaque ; ils payaient leur passage à

17 travers les lignes serbes avec du carburant, diesel, essence. Pour l'armée

18 serbe bosniaque, un de leurs plus gros problèmes était l'approvisionnement

19 en carburants. Les sanctions existantes alors les empêchaient d'accéder

20 facilement à cela. Il y avait sûrement eu une entente entre les deux

21 parties et la Croatie parvenait à pourvoir à ces besoins-là, pour

22 Kiseljak. On ne m'avait pas dit la nature exacte de ce qui existait, mais

23 c'était facile de voir ce qui existait. Je crois également que les

24 munitions parvenaient de la Croatie. Les raisons qui m'avaient porté à

25 croire à cela étaient qu'il y avait énormément de munitions d'armes

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1 légères qui circulaient, mais un des véhicules que l'on voyait souvent

2 circuler dans les rues était un canon antiaérien monté sur un véhicule

3 quatre roues ; à l'arrière, c'était rempli de boîtes de munitions.

4 Lors d'une de mes visites, lorsque je revenais de Sarajevo vers

5 Kiseljak, la route avait été bloquée. J'ai marché près d'un kilomètre pour

6 me rendre là où cela bloquait sur la route. J'ignore le terme en français.

7 On appelle cela en anglais "MLRS". C'était un lanceur de rockets ou de

8 missiles. Cette arme n'est pas facile à fabriquer et le simple fait qu'on

9 l'utilisait sur la route principale, cette arme était un véhicule à roues

10 avec une série de lanceurs à l'arrière du véhicule pointaient vers la

11 route de Kakanj. Comme j'arrivais, ils ont effectivement lâché une volée

12 de ces missiles. La situation tactique à ce moment-là ne nécessitait

13 aucunement l'emploi d'un tel armement. Si on était capable de brûler -pour

14 des raisons futiles selon moi- une telle quantité de munitions, cela

15 voulait dire qu'il y en avait amplement. Ce ne sont pas des munitions

16 fabriquées comme des armes légères, mais qui requièrent une certaine

17 technologie pour les produire. On ne fait pas cela dans la cave d'une

18 maison. Cela m'indiquait donc que, probablement des armes et des munitions

19 venaient sur ces convois venant de Croatie.

20 M. Cayley (interprétation). - Qui a reconnu auprès de vous que

21 ce ravitaillement arrivait de la République de Croatie ?

22 M. Lanthier. - M. Bradara lui-même.

23 M. Cayley (interprétation). - Je crois que vous avez dit qu'il

24 était même assez fier de vous dire que, effectivement, ces ravitaillements

25 arrivaient de la Croatie.

Page 8497

1 M. Lanthier. - Oui, quand il m'avait expliqué cela, on le voyait

2 avec un sourire à peine caché qu'il avait une certaine fierté à dire cela.

3 M. Cayley (interprétation). - Ces ravitaillements traversaient

4 des territoires contrôlés par les Serbes de Bosnie, n'est-ce pas ?

5 M. Lanthier. - Par le sud et après, en montant vers le nord, en

6 arrivant de l'est vers l'ouest, dans la poche de Kiseljak. Même chose pour

7 Vares. Les convois allaient tout simplement vers le nord et vers l'ouest,

8 vers Vares.

9 M. Cayley (interprétation). - Je voudrais que nous parlions de

10 votre deuxième séjour en Bosnie-Herzégovine, qui s'est étalé entre

11 octobre 1993 et mai 1994, je crois. Quelle était votre position et votre

12 poste au sein du bataillon canadien, à ce moment-là ?

13 M. Lanthier. - Lors de mon deuxième voyage, j'avais été nommé

14 officier de liaison senior. J'avais cinq officiers de liaison qui

15 travaillaient pour moi. La situation avait changé. Le bataillon avait

16 changé : on marche par rotation de six mois. J'avais été là six mois,

17 j'étais retourné au Canada six mois. Un bataillon canadien avait remplacé

18 mon bataillon. Avant mon retour, ils avait réussi à développer une bonne

19 relation avec les Serbes bosniaques, donc on était en contact quotidien

20 avec les trois factions belligérantes. J'avais un officier de liaison avec

21 chacune de ces factions, un quatrième qui travaillait à Sarajevo et un

22 cinquième qui remplissait les demandes supplémentaires de liaison. Mon

23 rôle principal était de travailler avec le HCR, d'établir les besoins en

24 aide humanitaire, de leur donner des exposés quotidiens sur l'état de

25 sécurité, de déterminer les besoins en escorte, les routes à utiliser.

Page 8498

1 C'était l'étendue de mes responsabilités.

2 M. Cayley (interprétation). - Peut-on montrer au témoin la

3 pièce 336, s'il vous plaît ?

4 (L'huissier s'exécute.)

5 Au cours de votre deuxième séjour, avec qui étiez-vous en

6 contact au quartier général du HVO de Kiseljak ?

7 M. Lanthier. - Lors de mon deuxième tour, le point de contact

8 qui m'avait été donné à ce moment-là pour discuter de tout le sujet avec

9 le HVO été Vinko Lukic. Il s'était présenté à moi comme étant l'officier

10 de liaison provenant du quartier général de l'armée croate bosniaque HVO

11 de Mostar. Il m'a indiqué que c'était maintenant à lui que j'aurais

12 affaire. Je connaissais encore un peu la structure à ce moment-là.

13 Ivica Rajic était toujours à ma connaissance le commandant, mais n'était

14 plus physiquement à Kiseljak. A ce moment-là, on m'avait dit qu'il était

15 rendu à Busovaca. Mario Bradara était encore là, je l'ai croisé à une ou

16 deux reprises pendant mon séjour. On n'a pas eu la chance d'avoir un

17 entretien, mais on s'est salué. Donc Vinko Lukic était celui avec lequel

18 je faisais affaire quotidiennement ou presque.

19 M. Cayley (interprétation). - A l'époque, vous avez compris que

20 c'était le colonel Blaskic qui était encore le commandant de la zone

21 opérationnelle de la région ?

22 M. Lanthier. - Mes discussions avec Lukic m'indiquaient que le

23 colonel Blaskic était toujours à Vitez et était toujours le commandant de

24 la zone opérationnelle pour la Bosnie central du HVO.

25 M. Cayley (interprétation). - En utilisant la carte qui se

Page 8499

1 trouve devant vous, pourriez vous expliquez aux Juges quelle était la

2 situation tactique dans la zone de Fojnica lorsque vous êtes arrivé ?

3 M. Lanthier. - Je dois revenir un peu en arrière dans le temps.

4 Lors de mon premier séjour en Bosnie au printemps 1993, l'une des

5 particularités de la ville de Fojnica était l'atmosphère qui y régnait

6 alors qu'ailleurs, c'était évident qu'il y avait des conflits. A Fojnica,

7 l'atmosphère était complètement différente. L'impression qui s'en

8 dégageait était qu'il n'y avait jamais eu de conflit à Fojnica. La guerre,

9 quand on était à Fojnica, on n'en avait pas conscience. Tout le monde

10 était sur les terrasses, il y avait des forces sur le terrain, il y avait

11 des soldats du BiH, du HVO, les deux étaient là, présents dans la ville,

12 il n'y avait pas de conflit évident. Cela m'avait un peu frappé. C'était

13 unique et particulier à la ville de Fojnica.

14 Lors de mon retour en octobre 1993, la situation était toute

15 autre. A ce moment-là, des combats avaient eu lieu et la bataille avait

16 fait rage à Fojnica. La ville de Fojnica avait été lourdement endommagée.

17 Les officiers du bataillon qui appartenaient au deuxième royal 22ème, le

18 bataillon qui était là lorsque je ne n'y étais pas, m'avaient expliqué que

19 lors des combats, les forces croates du HVO avaient dû se replier vers le

20 sud-est et lorsqu'ils s'étaient repliés, ils avaient mis le feu à

21 plusieurs résidences et industries de Fojnica. En particulier, à Fojnica,

22 il y avait une importante industrie de bois. Les arbres étaient traités et

23 on fabriquait des planches et autres matériaux de bois. Cette usine avait

24 été complètement rasée.

25 Mais la situation tactique qui prévalait est que maintenant

Page 8500

1 -c'est représenté d'une façon plutôt graphique lorsque vous voyez sur

2 votre écran. Le BiH contrôlait une partie du territoire. Est-ce qu'on

3 m'entend quand même lorsque je pointe ici ? Les forces HVO étaient au sud

4 de la ligne bleue. Donc ils contrôlaient le territoire au sud. Comme je

5 l'ai dit, ne prenez pas cette ligne-là comme la ligne de la position

6 défensive, il s'agit uniquement d'une représentation graphique. Les forces

7 du BiH contrôlaient -voyez la petite ligne verte- ce qui était au nord,

8 donc ce qui était au nord de la ligne bleue était contrôlé -y compris la

9 ville de Fojnica- par les forces du BiH. La raison pour laquelle j'ai

10 représenté une ligne verte est une situation que j'expliquerai : la

11 situation lorsqu'on se rendait à Fojnica.

12 Ce qui n'est pas relié, mais qu'il est important de savoir,

13 c'est que lorsque ces conflits ont eu lieu dans la région de Fojnica, il

14 existait deux hôpitaux psychiatriques dans la région de Fojnica. Un

15 premier a Drin identifié par le chiffre 1, un deuxième à Bakuvice,

16 représenté par le chiffre 2. Un de ces hôpitaux avait surtout des jeunes

17 patients, des enfants, des infirmes, des handicapés mentaux et physiques

18 et à Bakuvice se trouvaient surtout des patients adultes. Quoi qu'il en

19 soit, on totalisait approximativement 400 à 500 patients dans ces deux

20 hôpitaux. Lorsque les combats ont eu lieu, le personnel médical et civil,

21 je parle du personnel de soutien de ces hôpitaux ont abandonné carrément

22 les deux hôpitaux. Donc en juin 1993, lors de l'une des patrouilles du

23 bataillon canadien, on a découvert ces deux hôpitaux abandonnés avec les

24 patients laissés à leur sort. A ce moment-là, le bataillon canadien est

25 intervenu en donnant à chaque hôpital un peloton pour s'occuper des

Page 8501

1 hôpitaux. Le but était de maintenir la vie puis de sauver la vie de ces

2 patients, qui avaient été abandonnés plusieurs jours sans eau, sans

3 nourriture, sans aucun soin. L'état physique de ces patients était

4 horrible et on a d'ailleurs enterré plusieurs de ces pauvres patients.

5 Mais à partir de juin 1993, le bataillon canadien avait une

6 présence physique dans les deux hôpitaux, approximativement la taille d'un

7 peloton, donc un peu moins que l'effectif d'un peloton qui est de 30

8 personnes pour un peloton canadien. Donc on l'a maintenu et jusqu'à ce que

9 je parte en mai 1994, on avait toujours une présence militaire canadienne

10 dans ces deux hôpitaux et leur tâche était purement d'agir pour le bien-

11 être des patients. Ils les nourrissaient, les lavaient, les soignaient,

12 ils faisaient fonctionner les cuisines, s'occupait des installations.

13 C'était presque le rôle d'une compagnie pour ces deux hôpitaux. Il avait

14 un certain rôle par rapport à ce que le bataillon canadien pouvait

15 accomplir comme mission.

16 M. Cayley (interprétation). - Ai-je raison de dire qu'au début

17 du mois de novembre 1993, le HVO a lancé une offensive en direction du

18 nord vers l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

19 M. Lanthier. - Oui. D'où l'importance de nos troupes sur le

20 terrain. La ligne bleue représente approximativement l'endroit où le

21 territoire contrôlé par le HVO se termine : du sud-est vers le nord-ouest.

22 Vous voyez que Bakuvice est sur la ligne de front. Je ne sais pas si c'est

23 visible sur vos écrans, mais si vous regardez les contours de la carte

24 topographique, le terrain qui est à l'arrière de Bakuvice s'élève.

25 Bakuvice est dans le fond d'une vallée. La route orange qui va de Bakuvice

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1 à Drin* est une vallée avec deux flancs de montagne à l'ouest et à l'est.

2 Si je me souviens bien, c'est le 2 novembre 1993, certainement la première

3 semaine de novembre 1993, parce que mon régiment -le 12ème régiment blindé

4 du Canada- a fait une relève en place avec le deuxième 22. Cette soirée-

5 là, on avait toujours un peloton à l'hôpital de Bakuvice, dont le rôle

6 était de s'occuper des patients, mais on avait également un poste

7 d'observation, c'est-à-dire des soldats qui occupent un point

8 d'observation pour voir ce qui se passe autour de leur position afin de

9 donner une certaine sécurité physique à l'hôpital et à nos militaires.

10 Dans la soirée, après la tombée de la nuit, ils nous ont

11 rapporté qu'une offensive provenait du sud-est, qui montait le long de la

12 route. Cette offensive provenait des forces du HVO. Pour la première fois,

13 il nous rapportaient l'utilisation de véhicules chenillés. C'était assez

14 unique, des véhicules chenillés, que ce soient des transporteurs de

15 troupes blindées ou des chars d'assaut étaient rarement vus en Bosnie

16 centrale, ce n'était pas fréquent. On pouvait occasionnellement en voir un

17 de façon isolée qui se promenait, mais c'était extrêmement rare. Ce soir-

18 là, bien qu'ils n'aient pas vu de leurs yeux les véhicules blindés, ils

19 ont entendu le bruit des chenilles. Mon régiment est un régiment blindé,

20 on travaille sur des chars d'assaut, des transporteurs de troupes blindés,

21 le bruit des chenilles, vous ne pouvez pas vous tromper, le bruit des

22 chenilles avec le poids, avec le bruit des moteurs, pour nous, c'est

23 quelque chose qui est facilement reconnaissable, particulièrement le style

24 de chenilles utilisées par les forces en Bosnie. Ce sont des véhicules de

25 type soviétique et ce sont des chenilles qui ne sont pas portées. Ce sont

Page 8503

1 des chenilles qui tombent, dont le bruit est très évident. On est capable

2 d'identifier la nature, quelquefois même le type de véhicule seulement au

3 bruit.

4 A ce moment-là, une attaque a été lancée parce les forces du HVO

5 avec comme but semble-t-il de monter le long de la vallée de Bakuvice vers

6 Drin, probablement dans le but de recapturer Fojnica. Lors de cette

7 attaque, l'hôpital qui se trouve dans le bas de la vallée donne de façon

8 indirecte un certain couvert à ceux qui veulent s'avancer, donc les

9 soldats croates qui voulaient s'avancer à pied pour faire l'offensive. Des

10 soldats du HVO ont pénétré dans l'hôpital et l'ont utilisé comme position

11 à partir de laquelle ils ont fait feu. A ce moment-là, le peloton était

12 sous le contrôle du sergent Stevenson. Sa réaction a été d'emmener les

13 patients du premier étage dans les autres étages. Ils ont tenté de déloger

14 les soldats du HVO non pas par la force, mais en leur disant que c'était

15 un hôpital et qu'il était inacceptable d'utiliser un hôpital pour

16 bénéficier du couvert afin de pouvoir faire feu.

17 Ils ont réussi à les contenir c'est-à-dire que les soldats

18 croates n'ont utilisé que le premier étage, mais ils ont quand même fait

19 feu de cette position. La réaction est que l'hôpital a été également

20 l'objet de répliques du feu bosniaque qui provenait du nord-ouest. C'est

21 un peu ce qui s'est passé à ce moment-là. On a également reçu un rapport

22 plus tard comme quoi des gaz chimiques avaient été utilisés lors de cette

23 attaque. Par contre, notre enquête n'a pas permis d'établir

24 qu'effectivement des gaz avaient été utilisés. Donc c'est un rapport que

25 je ne peux ni infirmer ni confirmer. Je n'ai eu aucun indice qui

Page 8504

1 m'indiquait que des gaz chimiques avaient été utilisés.

2 M. Cayley (interprétation). - Dans le compte-rendu, on lit qu'en

3 fait, les soldats canadiens se sont mis d'accord avec les forces de

4 Bosnie-Herzégovine pour quitter l'hôpital. S'agissait-il des forces de

5 l'armée de Bosnie-Herzégovine ou du HVO qui occupaient l'hôpital ?

6 M. Lanthier. - Les soldats canadiens ont demandé aux soldats du

7 HVO qui occupaient le premier étage pour faire feu de quitter les lieux.

8 C'était un hôpital et c'était inacceptable d'utiliser un lieu médical

9 selon les lois normales de la guerre pour se défendre et se battre. Nos

10 soldats ont demandé aux soldats du HVO de quitter les lieux.

11 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Président, je pense

12 qu'il est peut-être temps de prendre notre pause déjeuner.

13 M. le Président. - Tout à fait d'accord, nous reprenons à

14 14 heures 30.

15 (L'accusé est reconduit hors du prétoire.)

16

17 L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à 14 heures 35.

18

19 M. le Président. - L’audience est reprise. Monsieur le greffier,

20 vous pouvez faire introduire l'accusé.

21 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

22 M. Cayley, vous pouvez poursuivre.

23 M. Cayley (interprétation). - Bon après-midi, Monsieur le

24 Président, Messieurs les Juges, le conseil de la défense. Pourrait-on

25 allumer le rétroprojecteur ?

Page 8505

1 (L'huissier s'exécute.)

2 Capitaine Lanthier, avant la pause, vous nous parliez de

3 l'hôpital de Bakuvice et de l'usage qui en avait été fait par le HVO en

4 guise de couverture dans leur attaque contre Fojnica. Je voudrais

5 maintenant que vous disiez aux Juges ce que vous savez des patients dans

6 l'hôpital et de l'usage qui en était fait dans les champs de mines dans la

7 localité de Bakuvice.

8 M. Lanthier. - L'hôpital de Bakuvice et la propriété qui

9 l'entoure n'étaient pas équipés avec une clôture formant une enceinte

10 fermée, donc il était normal pour les patients d'être à l'extérieur et de

11 sortir un peu de l'hôpital. Ces patients qui faisaient ces sorties mais

12 demeuraient à proximité de l'hôpital ne pouvaient pas être surveillés

13 individuellement d'une façon constante. Il n'était pas rare que les

14 patients s'écartent un peu plus loin que l'enceinte immédiate de l'hôpital

15 de Bakuvice. Il m’a été rapporté, lorsque nous avons fait le changement

16 avec le deuxième bataillon du Royal 22ème, qu'à certaines occasions,

17 certains de ces patients s'étaient un peu éloignés de l'hôpital et étaient

18 pris par des soldats du HVO et qu'on les a utilisés pour vérifier la

19 présence de mines. C'est une posture militaire normale que d'utiliser des

20 mines anti-personnelles dans une position défensive et l'usage de mines en

21 Bosnie était très fréquent.

22 Ce qui s'est alors produit, c'est que certains des patients ont

23 été pris par des soldats du HVO. On leur a demandé de s'avancer dans une

24 direction quelconque afin de vérifier la présence de mines. Si le patient

25 peut effectivement s'avancer sans faire sauter une mine, on sait alors que

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1 l'on a une brèche, c'est-à-dire un endroit où on peut passer de façon

2 sûre. Si au contraire le patient déclenche une mine, premièrement le

3 patient subit des blessures sérieuses s'il n'en meurt pas, mais également

4 on vient de prouver qu'il y a un champ de mines, donc c'est une façon de

5 détecter les mines. Cela m'a été rapporté par le groupement tactique qui

6 était là avant nous. A notre arrivée, un cas en particulier m'a été

7 rapporté par les soldats qui étaient là. Une patiente handicapée mentale

8 un peu plus âgée s'était également faite prendre par un soldat du HVO afin

9 de vérifier l'existence d'un champ de mines. Elle avait fait déclenché une

10 mine et en était morte. Avec ce rapport-là, j'étais allé voir Vinko Lukic

11 en lui demandant que l'on arrête de telles pratiques qui étaient

12 absolument inhumaines. Sa réponse avait été que ce n'était pas une

13 pratique prêchée par eux, mais qu'il se pouvait qu'effectivement des

14 patients s'écartent, se perdent et fassent sauter une mine. De toute

15 façon, ce n'était pas très important à ses yeux. Il était évident d'après

16 le rapport que j'avais eu de nos soldats à l'hôpital qu'il ne s'agissait

17 pas de patients qui s'étaient égarés, mais de patients à qui on avait

18 demandé et n'ayant pas toute leur tête, ils avaient accepté d'aller là où

19 le soldat du HVO l'avait indiqué, avec le résultat que l'on connaît. Une

20 pratique absolument inhumaine mais c'était évident qu'on n'y attachait pas

21 d'importance au quartier général de Kiseljak.

22 M. Cayley (interprétation). - Vous avez rendu compte de cela à

23 M. Vinko Lukic au quartier général du HVO à Kiseljak

24 M. Lanthier. - Exact.

25 M. Cayley (interprétation). - Suis-je en droit de dire que le

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1 personnel de l'hôpital de Bakuvice souhaitait y retourner et soigner les

2 patients ?

3 M. Lanthier. - Une des choses que j'ai tenté de faire et qui

4 occupait beaucoup de mon temps a été de permettre le retour des employés

5 civils qui travaillaient aux hôpitaux de Drin et Bakuvice. Lors de

6 l'arrivée de mon régiment en octobre 1993, ni l'un ni l'autre des hôpitaux

7 n'avaient d'employé civil qui y travaillait. C'était à ce moment-là

8 l'unique responsabilité du bataillon canadien de s'occuper de ces

9 patients. Une fois que l'on a été en place, il n'a pas été tellement

10 difficile de ramener des employées à Drin, l'hôpital situé tout près de

11 Fojnica. A Bakuvice, j'ai eu beaucoup plus de difficultés et j'ai tenté à

12 de nombreux reprises de faciliter le retour des employés. Bakuvice est sur

13 la ligne de front ou presque comme le démontre la ligne bleue sur votre

14 écran. Je négociais le retour de ces employés à ce moment-là avec l'ancien

15 administrateur de la municipalité de Fojnica qui vivait maintenant à

16 Kiseljak et qui avait ces hôpitaux sous sa responsabilité, en particulier

17 celui de Bakuvice, étant donné qu'il était désormais du côté du territoire

18 contrôlé par le HVO. A plusieurs reprises, je suis parvenu à une entente

19 avec lui afin de permettre le retour de ces employés. L'entente consistait

20 à ce que l'on maintienne une présence réduite dans l'hôpital, une section

21 plutôt qu'un peloton et à fournir une escorte blindée à ces employés.

22 L'entente était que nous ramasserions les employés vers 8 heures le matin

23 et nous les emmènerions par la montagne plutôt que par la route en orange

24 sur l'écran, -la qualité de la photocopie ne permet pas de vous

25 l'identifier- par une route passant par le sud à Astugaci et qui arrivait

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1 à Bakuvice. Voilà l'entente. Mais à deux ou trois reprises, une fois

2 l'entente conclue, lorsque notre patrouille s'est présentée à Kiseljak

3 pour ramasser les employés, l'entente n'était plus valide sans que l'on

4 puisse m'expliquer pourquoi une entente conclue la veille ne tenait plus

5 le lendemain matin. Cela m'a amené à sérieusement questionner le pouvoir

6 de l'administrateur des hôpitaux, sa capacité à gérer son personnel et

7 l'impression claire que j'en ai eu, c'est que le HVO refusait de permettre

8 aux employés de retourner à leur travail. C'est une impression qui s'est

9 formée avec le refus de la part des autorités civiles de m'expliquer

10 pourquoi l'entente ne pouvait pas être respectée et le refus du HVO de

11 discuter de ce dossier. C'est l'impression que j'en ai eu.

12 M. Cayley (interprétation). - Nous pouvons progresser maintenant

13 dans le temps, passez à la troisième semaine de janvier et je voudrais que

14 vous décriviez à l'intention des Juges les événements entourant un convoi

15 d'aide humanitaire qui amenait des fournitures urgentes, médicales et

16 autres, pour l'hôpital de Bakuvice. Pourriez-vous raconter cette histoire

17 au Tribunal depuis le HVO à la caserne de Kiseljak jusqu'à Bakuvice, un

18 long voyage marqué en orange sur la carte, à laquelle vous pouvez faire

19 référence pour aider les Juges à comprendre votre déposition.

20 M. Lanthier. - Je suis encore là pour expliquer les

21 circonstances de cette attaque sur le convoi. Comme je l'ai dit-on a

22 maintenu une présence dans les hôpitaux de Drin et Bakuvice jusqu'à mon

23 départ en mai 1994. La position des forces sur le terrain faisait que la

24 route orange que vous voyez, qui initialement passe par à l'est de votre

25 carte, donc à droite, la route orange va de l'est vers l'ouest. A un

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1 moment donné, cette section que je montre sur la carte présentement se

2 trouve dans le milieu que l'on appelle dans le jargon militaire "no man's

3 land", un terrain qui physiquement n'est pas contrôlée par une force

4 présente sur le terrain, mais qui peut être contrôlée par le feu, c'est-à-

5 dire en apportant un tir d'armes légères ou autres, dans ce cas, surtout

6 d'armes et de mitrailleuses.

7 Puisque cette route était particulièrement sensible à toute

8 attaque, nous avions recommandé au HCR de nous confier la tâche d'emmener

9 les commodités nécessaires aux hôpitaux de Drin et Bakuvice. Plutôt que le

10 HCR fournisse ses véhicules civils et ses chauffeurs civils et les mette

11 en danger, nous avons pris sous notre égide d'emmener l'aide humanitaire

12 fournie par le HCR dans nos propres véhicules militaires jusqu'aux

13 hôpitaux de Drin et Bakuvice. Les procédures pour faire de tels convois

14 nécessitaient l'autorisation préalable du quartier général de Kiseljak.

15 24 heures à l'avance au minimum, nous devions nous présenter au quartier

16 général de Kiseljak, demander l'autorisation d'avoir un convoi d'aide

17 humanitaire, expliquer ou citer chaque véhicule qui serait présent sur ce

18 convoi, décrire chaque commodité et la quantité emmenée.

19 Les commodités que nous transportions à ce moment là, étaient

20 principalement du charbon, pour permettre de chauffer les deux hôpitaux,

21 la farine et autres ingrédients pour nourrir les patients, l'essence pour

22 faire fonctionner les génératrices, étant donné que les deux hôpitaux

23 fonctionnaient sur une génératrice de 10 KW et les médicaments et autres

24 besoins médicaux nécessaires à la santé des patients. Donc, il fallait

25 détailler tous ces faits et nous obtenions alors de Vinko Lukic une

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1 autorisation écrite sur un papier signé par lui, qui nous permettait alors

2 de passer à travers les différents barrages routiers qui existaient sur la

3 route pour se rendre jusqu'aux hôpitaux de Drin et Bakuvice. Comme je l'ai

4 déjà expliqué, cette route avait de particulier qu'elle était située dans

5 un "no man's land". Elle pouvait être contrôlée par le tir et

6 effectivement, à chaque occasion que des véhicules du bataillon canadien

7 ont utilisé cette route, il y a eu un tir qui provenait du sud, des

8 positions du HVO. J'ai personnellement essuyé, à plusieurs reprises, le

9 tir sur cette position. La majeure partie du temps, c'était un tir pour

10 nous intimider seulement, ce tir n'était pas efficace, car il n'atteignait

11 pas mon véhicule, comme je l'ai déjà dit, je voyageais dans un 4x4 non

12 blindé, donc n'importe quel projectile aurait fait mouche, mais on visait

13 à l'avant de mon véhicule, les trois quarts du temps, on voyait les éclats

14 sur les pavés, les éclats des projectiles. Donc, il était facile de

15 déterminer de quel côté provenait le tir.

16 A chaque occasion, je me suis plaint de ces attaques

17 injustifiées au quartier général de Kiseljak, et invariablement, la

18 réponse qui m'était donnée était que ces actes étaient isolés, qu'ils

19 n'étaient pas sanctionnés et que c'était tout simplement une initiative

20 locale des soldats sur le terrain. Une initiative locale peut-être, mais

21 la responsabilité du commandant aurait été à ce moment-là, s'il ne

22 sanctionnait pas de telles attaques ou intimidations, d'ordonner à ses

23 troupes de cesser le tir ou de relever ses commandants qui n'étaient pas

24 capables de respecter les ordres émis, ce qui n'a pas été le cas et ce qui

25 m'a conduit à croire que c'était peut-être des initiatives locales, mais

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1 que le commandant avait failli à son devoir, en ne prenant pas les mesures

2 nécessaires pour arrêter de telles attaques.

3 Quoi qu'il en soit, l'attaque principale qu'ont subi nos

4 soldats, a eu lieu la troisième semaine de janvier 1994. Alors qu'un

5 convoi, si je ne me trompe pas, c'était le mardi matin, a quitté Visoko

6 pour Kiseljak afin de ravitailler les deux hôpitaux, il est tombé sous le

7 tir des positions HVO. A ce moment là, le tir qui était normalement dirigé

8 uniquement sur les véhicules blindés, j'ai dit que moi, en tant que

9 véhicule non blindé, on faisait des tirs intimidants, mais les véhicules

10 blindés étaient souvent la proie de balles qui ricochaient sur leurs

11 tourelles blindées qui souvent résistent à ce type d'armes. Ce matin là,

12 le convoi est encore tombé sous une pluie de balles. La différence, cette

13 fois là, c'est que l'on a également ciblé les véhicules à roues non

14 blindés qui transportaient l'aide humanitaire. Donc, il y avait des

15 Cougars, des véhicules canadiens à roues avec une tourelle et un canon

16 76 mm, des véhicules 10 tonnes, un véhicule cargo qui transportait l'aide

17 humanitaire et qui était connu, puisque nous avons reçu l'autorisation

18 écrite de M. Lukic de transporter cette aide et de la livrer. Il y avait

19 également, dans le convoi, une ambulance qui transportait les fournitures

20 médicales. Souvent celles-ci doivent être réfrigérées et l'ambulance est

21 clairement identifiée avec le sigle de la Croix-Rouge qui couvre tout le

22 côté du véhicule, presque un mètre et demi de haut. C'est difficile à

23 manquer.

24 Le convoi a été attaqué, est tombé sous le tir des

25 mitrailleuses. Nous avons, à ce moment-là, subi des pertes humaines et

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1 deux véhicules. Le véhicule de 10 tonnes a été frappé dans la partie

2 avant, le chauffeur à reçu deux à trois balles dans le pied, mais a réussi

3 à garder le contrôle de son véhicule et l'a emmené jusqu'à Drin. L'autre

4 chauffeur, lui, bien qu'il n'aie pas été atteint, n'a pas su maîtriser

5 aussi bien son véhicule et est tombé dans un fossé du côté nord de la

6 route. Ce véhicule transportait du diesel. Plus tard, on a fait sauter le

7 véhicule sur place pour qu'il ne puisse pas être réutilisé par quelqu'un

8 d'autre. On n'avait pas les moyens physiques de retirer le véhicule du

9 fossé, le ravin ne nous le permettait pas. Donc, on l'a laissé là, on l'a

10 fait sauter sur place. Cette attaque a été rapidement rapportée à

11 Vinko Lukic et a fortement protesté.

12 C'était une attaque injustifiée, notre présence était connue,

13 autorisée, c'était de l'aide humanitaire pour les patients des deux

14 hôpitaux. La réponse donnée par Lukic était la même encore une fois.

15 C'était initiative locale, quelque chose que lui n'avait pas ordonné et il

16 démentait que cela ait été ordonné. Mais encore ici, il a fait preuve à

17 mes yeux d'un manquement à son devoir, en sachant très bien que nous

18 étions souvent la proie des attaques, de ne pas s'être assuré qu'une telle

19 initiative ne se reproduise pas. Donc, c'est l'attaque que l'on a vécue

20 dans la troisième semaine de janvier 1994.

21 M. Cayley (interprétation). - Pour préciser, vous dites que vous

22 étiez en rapport avec M. Vinko Lukic, au quartier général de Kiseljak et

23 que vous vous êtes plaint auprès de M. Lukic. Vous parlez bien du quartier

24 général du HVO ?

25 M. Lanthier. - C’est bien ça. M. Lukic était, comme je vous l'ai

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1 déjà dit, mon point de contact au quartier général à Kiseljak.

2 M. Cayley (interprétation). - Il avait effectivement autorisé ce

3 convoi à parcourir cette route de Kiseljak à l'hôpital de Bakuvice ?

4 M. Lanthier. - Absolument. Un point de contrôle existait à

5 l'endroit que j'indique présentement sur la carte. Il était impossible de

6 se diriger vers Drin ou Bakuvice, sans avoir une autorisation écrite de la

7 part du HVO pour des convois, une patrouille, c'est-à-dire que deux

8 véhicules blindés pouvait passer sans problème, sans autorisation écrite,

9 mais un convoi nécessitait l'autorisation écrite de M. Lukic.

10 M. Cayley (interprétation). - Ce convoi affichait bien le

11 symbole du comité international de la Croix-Rouge ?

12 M. Lanthier. - L'ambulance qui accompagnait le convoi

13 effectivement avait le sigle de la Croix-Rouge sur les deux côtés du

14 véhicule. Il n'y avait pas d'erreur quant à l'identité du véhicule.

15 M. Cayley (interprétation). - Pourrait-on montrer la pièce 80/5

16 au témoin, pièce qui a déjà été déposée ?

17 (L'huissier s'exécute).

18 M. Cayley (interprétation). - Capitaine Lanthier, pouvez-vous

19 identifier l'un ou l'autre des individus qui se trouvent sur cette photo ?

20 M. Lanthier. - A droite M. Vinko Lukic, colonel Blaskic, le nom

21 m'échappe, je l'ai rencontré une fois. Il m'avait été présenté comme le

22 commandant de l'armée croate en Bosnie, HVO. Le nom m'échappe.

23 M. Cayley (interprétation). - Ainsi donc l'homme à l'extrême-

24 droite de la photo est M. Vinko Lukic, à sa gauche immédiatement le

25 colonel Blaskic et à la gauche du colonel Blaskic, un homme dont vous

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1 savez qu'il était le commandant des forces croates de Bosnie. Très bien

2 merci.

3 M. Riad (interprétation). - Un instant s'il vous plaît. Qui

4 était M. Lukic par rapport au général Blaskic ?

5 M. Lanthier. - M. Lukic lui-même s'était présenté comme

6 l'officier de liaison du quartier général de l'armée HVO à Mostar. Donc il

7 répondait du quartier général de Mostar.

8 M. Cayley (interprétation). - Nous en arrivons à la conclusion

9 de l'interrogatoire principal. Pouvez-vous dire aux Juges ce que vous

10 savez de la présence de forces gouvernementales bosniaques organisées dans

11 la municipalité de Kiseljak ?

12 M. Lanthier. - A ma connaissance, dans la poche de Kiseljak en

13 tant que tel, il n'y avait aucune force de l'armée gouvernementale

14 bosniaque présente. Les forces organisées y étaient absentes, elles

15 étaient à l'extérieur de la poche de Kiseljak, sur les lignes de

16 confrontation. Donc il n'y avait pas d'unités militaires formées à

17 l'intérieur de la poche de Kiseljak.

18 M. Cayley (interprétation). - Capitaine Lanthier, sur la base

19 exclusive de la connaissance que vous avez des faits sur le terrain,

20 pourriez-vous décrire à l'intention du Tribunal, l'efficacité de la

21 filière de commandement du HVO dans les régions de Vitez, Kiseljak, et

22 Vares, d'après votre expérience durant vos deux périodes de service dans

23 la région ?

24 M. Lanthier. - La chaîne de commandement du côté du HVO m'a

25 semblé fonctionner sans difficulté. Des exemples concrets que je peux

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1 apporter, un des premiers, lors de mon premier entretien avec le colonel

2 Blaskic, je lui avais expliqué la raison pour laquelle je désirais me

3 présenter à lui. En cas de problème avec Kiseljak, je pourrais me référer

4 à lui pour trancher le problème qui pourrait se présenter.

5 J'ai fait appel à lui a deux reprises dont je me souviens. Les

6 détails des problèmes m'échappent, maintenant. Je crois qu'ils étaient

7 reliés à une question de liberté de mouvement qui m'avait été refusée par

8 Kiseljak, alors que je pensais qu'elle n'aurait pas dû l'être. Je me suis

9 adressé au colonel Blaskic à ce sujet. Donc, je me souviens, et ceci

10 démontre que la chaîne de commandement fonctionnait, puisque ces

11 situations se sont résorbées après que le colonel Blaskic soit intervenu.

12 Du côté de l'exercice de la chaîne de commandement, l'un des

13 critères essentiels sont les communications et le HVO possédaient

14 d'excellentes communications entre les différents emplacements de ses

15 quartiers généraux, en particulier la présence de téléphones et lignes

16 civiles. Dans la poche de Kiseljak, le HVO contrôlait le building PTT. Les

17 lignes PTT fonctionnaient. Il était donc possible de communiquer par

18 lignes téléphoniques. Les fax fonctionnaient également. J'avais vu le fax

19 à Kiseljak et à l'hôtel à Vares, où se trouvait la brigade de Vares.

20 Zvonko, qui était l'adjoint d'Emil Arah, le commandant des brigades à

21 Vares, avait reçu un fax en ma présence. Donc, cela fonctionnait.

22 Egalement, la présence d'antennes pour les communications à hautes

23 fréquences étaient là et il y avait également des téléphones cellulaires

24 qui existaient. La présence d'antennes paraboliques sur le toit des

25 quartiers généraux ne m'avait pas échappé. Donc on voit une grande

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1 possibilité de communication qui existait entre les différents quartiers

2 généraux qui permettent, à ce moment là, au commandant d'exercer le

3 commandement et le contrôle de ses troupes.

4 M. Cayley (interprétation). - Que vous a dit votre interprète

5 au sujet des capacités de communication de la caserne de Kiseljak ?

6 M. Lanthier. - En 1992, mon interprète avait été un opérateur

7 radio pour l'armée croate en Croatie, il était donc familier avec les

8 communications et m'avait montré l'emplacement de certaines antennes

9 utilisées par les quartiers généraux. Je suis moi-même très familier avec

10 les différentes fréquences utilisées, les modes de propagation des ondes,

11 mais il m'avait un peu plus expliqué le système utilisé en Bosnie pour les

12 communications. L'ex-Yougoslavie possédait, dans le temps, un des

13 meilleurs réseaux de communication haute fréquence en Europe et ce réseau

14 a certainement été utilisé à bon escient. Il a certainement été très

15 utilisé.

16 M. Cayley (interprétation). - Serait-il exact de dire, qu'à

17 votre avis, les capacités de communication du HVO en Bosnie centrale

18 étaient réellement très bonnes ?

19 M. Lanthier. - Oui. C'est mon impression qui a été confirmée en

20 constatant les différents moyens de communication présents.

21 M. Cayley (interprétation). - Parlons maintenant des relations

22 physiques entre Kiseljak et Vitez. Êtes-vous au courant de l'existence

23 d'une route de Kiseljak à Vitez, qui n'implique pas de passer par la route

24 principale traversant Busovaca ?

25 M. Lanthier. - Il existe, à ma connaissance, au moins une route

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1 ou un sentier entre Kiseljak et Vitez. J'ai eu la chance de connaître à

2 fond le secteur dans lequel j'opérais. La route à laquelle je me réfère

3 était une route de terre battue qui partait du sud de Vitez et qui

4 descendait vers le sud-est pour tourner vers l'est par la suite et qui

5 permettait avec un véhicule tout terrain... Il ne s'agit pas d'une route

6 officielle, mais plutôt d'une route, d'un sentier de terre battue. J'ai,

7 au moins à une occasion, voyagé sur cette route, de Kiseljak à Vitez. Les

8 cartes topographiques étaient des photocopies de carte. Cette route-là

9 n'est pas sur une carte, je l'ai trouvée presque par pur hasard en

10 naviguant à travers la montagne. C'est une route extrêmement accidentée.

11 Il faut traverser une chaîne de montagne, plusieurs virages en tête

12 d'épingle, mais la route existe effectivement.

13 M. Cayley (interprétation). - Donc, c'était une route qui

14 permettait d'éviter l'emploi de la route principale de Vitez à Kiseljak ?

15 Celle qui traverse Busovaca ?

16 M. Lanthier. - Effectivement.

17 M. Cayley (interprétation). - Quel commentaire apporteriez-vous

18 au sujet du degré de coopération dont vous avez bénéficié de la part des

19 forces du gouvernement bosniaque et de la part du HVO pendant les neuf

20 mois que vous avez passés en Bosnie ? Quelle comparaison faites-vous entre

21 les deux ?

22 M. Lanthier. - Je dois dire que la coopération du BiH, des

23 forces du gouvernement bosniaque a été de beaucoup supérieure à celle du

24 HVO. Comme je l'ai dit lors de mon premier tour en particulier, je faisais

25 une visite quotidienne tous les matins au quartier général d'Udzi Istok à

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1 Visoko. Memisevic, le commandant à ce moment-là, me donnait un aperçu de

2 ce qui s'était passé dans le territoire qu'il contrôlait. Cela me

3 permettait d'avoir une bonne idée, la présence de nos troupes et notre

4 mission faisaient que l'on n'était pas en mesure d'être au courant de tout

5 ce qui se passait dans notre secteur de responsabilité, relativement

6 grand. Donc j'étais capable d'avoir une idée de ce qui se passait et avec

7 les informations que je recevais, je pouvais donner un "focus" à mes

8 recherches et voir ce qu'il en était vraiment selon les rapports reçus. A

9 l'occasion, on m'a même remis des cartes topographiques de l'armée

10 bosniaque qui m'indiquaient l'emplacement de toutes leurs armes,

11 l'emplacement des armes connues du côté du BSA et du HVO, lorsque

12 l'entente sur la zone d'exclusion a eu lieu. Le degré de coopération du

13 BIH était bon.

14 Avec le HVO, la situation était un peu différente. Je n'étais

15 pas "co-localisé" parce que je n'étais pas dans la même ville, mais je me

16 déplaçais presque quotidiennement pour aller à Kiseljak pour parler soit

17 avec Mario Bradara, soit avec Vinko Lukic, selon la période à laquelle on

18 se réfère, mais les discussions n'ont jamais été aussi fructueuses. Pour

19 pouvoir obtenir l'information, on aurait dit que je leur arrachais une

20 dent. Souvent, l'information qu'on me donnait ne semblait pas correspondre

21 avec ce que moi je pouvais déduire en regardant ce qui s'était passé. Je

22 vous ai donné plusieurs exemples ce matin. Donc le degré de coopération

23 était différent.

24 M. Cayley (interprétation). - Pour finir, je fais

25 particulièrement référence au mois d'avril 1993 dans la durée totale de

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1 votre mission, quelle est votre avis professionnel quant aux opérations

2 militaires que vous avez vu se dérouler à ce moment-là à Vitez et

3 Kiseljak ?

4 M. Lanthier. - Il était clair dans mon esprit et encore plus en

5 rétrospective que les opérations menées dans les poches de Vitez et

6 Kiseljak ont été un nettoyage ethnique contre la population musulmane qui

7 y résidait. Elles ont été conduites d'une façon militaire. Les tactiques

8 utilisées, l'emploi du terrain et tous les autres facteurs que j'ai déjà

9 un peu mentionnés indiquent clairement qu'il ne s'agit pas d'un fermier

10 qui décide un jour de tuer son voisin, mais bien d'une extermination

11 systématique ou d'un essai d'extermination systématique commis par des

12 forces organisées d'une façon synchronisée. On regardera ce qui s'est

13 passé à Vitez, deux jours après, cela se poursuit dans la poche de

14 Kiseljak. En même temps, quelques jours plus tard, le commandant de la

15 304ème brigade de Breza m'indiquait que la même chose semblait se préparer

16 dans le coin de Vares, le fameux village de Stupni Do et qu'il craignait

17 pour ce village de Stupni Do. L'histoire a démontré plus tard que la même

18 chose allait se produire à Stupni Do. C'est systématique, c'est organisé

19 et selon moi, il n'y a aucune doute : il s'agit d'une opération militaire

20 contre une population civile.

21 M. Cayley (interprétation). - Merci, capitaine Lanthier. Je

22 n'ai pas d'autre question et je demande le versement au dossier des pièces

23 à conviction 329 à 336, Monsieur le Président.

24 M. le Président. - Je pense qu'il n'y a pas d'observation de la

25 défense.

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1 M. Hayman (interprétation). - Une observation seulement,

2 Monsieur le Président. La pièce 329 : il y a une municipalité qui est

3 surlignée et qui ne se trouvait pas dans la zone de combat relevant de la

4 municipalité de Kiseljak. Or le témoin a dit que toutes les localités

5 qu'il a citées relevaient d'une zone de combat, donc je demande qu'une

6 note soit inscrite sur cette carte.

7 M. Cayley (interprétation). - En fait, l'objet de la réponse du

8 témoin ne consistait pas seulement à montrer la zone de responsabilité

9 mais également à indiquer qu'il y avait des municipalités dans lesquelles

10 il s'était physiquement rendu. Donc je suggère aux Juges qu'il n'est pas

11 nécessaire d'apporter un amendement à la carte. Bien entendu si la

12 question fait l'objet de contestations, une question supplémentaire peut

13 être posée au témoin à titre d'éclaircissement.

14 M. le Président. - Vous savez que ce sont des problèmes qui n'en

15 sont pas. Je crois que Maître Hayman vient de faire une observation, elle

16 est marquée sur le compte-rendu et la pièce est admise comme pièce à

17 conviction avec les observations faites par maître Hayman. Maître Hayman,

18 est-ce vous qui prenez le contre-interrogatoire ?

19 M. Hayman (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

20 M. le Président. - Capitaine, vous allez recevoir les questions

21 de Maître Hayman, qui est un des défenseurs du général Blaskic. Allez-y,

22 Maître Hayman.

23 M. Hayman (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

24 Messieurs les Juges. Bonjour capitaine. Au cours de votre premier séjour

25 en Bosnie, étiez-vous l'officier de liaison des troupes de combat dans

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1 votre secteur ou étiez-vous officier de liaison adjoint dans ce secteur ?

2 M. Lanthier. - J'étais l'officier de liaison aux factions

3 belligérantes et non pas l'adjoint.

4 M. Hayman (interprétation). - Aviez-vous des hommes d'officiers

5 de liaison sous vos ordres comme cela s'est passé pendant votre deuxième

6 séjour ou votre fonction était-elle différente au moment de votre premier

7 séjour ?

8 M. Lanthier. - Lors de mon premier séjour j'étais l'unique

9 officier de liaison avec les parties belligérantes, je n'avais pas

10 d'autres officiers de liaison qui travaillaient sous mes ordres.

11 M. Hayman (interprétation). - Lorsque vous dites "officier de

12 liaison avec les factions belligérantes", y avait-il d'autres officiers de

13 liaison que vous-même, chargés des troupes de combat, pendant votre

14 premier séjour ?

15 M. Lanthier. - Un seul autre individu remplissait cette double

16 fonction, le capitaine Lambert avait comme rôle, en plus de celui

17 d'officier de service au poste de commandement du régiment, de se rendre

18 une fois par semaine au HCR pour y donner à certaines occasions des

19 briefings. C'est un rôle de liaison, étant donné qu'il coordonne avec une

20 agence extérieure au régiment, mais il n'avait aucun contact avec les

21 factions belligérantes. Donc j'étais l'unique officier de liaison sur le

22 terrain.

23 M. le Président. - Capitaine Lanthier, quand vous recevez la

24 question, il est normal que vous vous tourniez vers l'avocat, mais quand

25 vous répondez, il est tout aussi normal que vous vous adressiez d'abord

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1 aux Juges. Merci.

2 M. Hayman (interprétation). - Est-il donc permis de dire que

3 vous étiez le seul officier de liaison pour les factions belligérantes et

4 que vous étiez le seul homme responsable pour la région de Kakanj, Vares,

5 Visoko, Kiseljak, Fojnica et Kresevo ?

6 M. Lanthier. - Du point de vue de la liaison, oui, mais je ne

7 n'étais pas seul sur le terrain. Évidemment, le rôle du groupement

8 tactique du deuxième RCR était de faire des escortes donc eux étaient sur

9 la totalité du terrain.

10 M. Hayman (interprétation). - Mais je crois comprendre que vous

11 étiez le seul officier de liaison responsable du maintien de contacts avec

12 les factions belligérantes dans les municipalités que je viens

13 d'énumérer ?

14 M. Lanthier. - Pas nécessairement. J'établis la liaison

15 initiale, mais c'est un concept courant qu'une fois la liaison initiale

16 établie, la localisation de tous les quartiers généraux dans le secteur de

17 responsabilité est communiquée à tous les membres du groupement tactique.

18 Par exemple, si une patrouille, escortant un convoi qui s'en va vers le

19 nord, rencontre un problème et que je ne peux pas les assister, eux vont à

20 ce moment-là se déplacer au quartier général pour parler avec un de ses

21 membres. Donc je ne suis pas le seul à avoir un contact direct avec les

22 membres des quartiers généraux dans notre secteur de responsabilité.

23 M. Hayman (interprétation). - Je crois comprendre qu'il serait

24 plus précis de dire que vous étiez le seul officier de liaison à plein

25 temps pour les factions belligérantes dans les municipalités que je viens

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1 d'énumérer. Est-ce exact ?

2 M. Lanthier. - Exact.

3 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit être arrivé Visoko à

4 la mi-février 1993. Combien de temps après cette date êtes-vous allé pour

5 la première fois dans la caserne de Kiseljak ?

6 M. Lanthier. - Etablir notre camp a dû prendre une semaine, donc

7 vers la toute fin février ou les tous premiers jours de mars. C'est la

8 période approximative, je ne me souviens pas de la date exacte.

9 M. Hayman (interprétation). - Je demanderai que la pièce à

10 conviction 330 soit remise au témoin et placée sur le rétroprojecteur,

11 Monsieur le Président, je vous prie.

12 (L'huissier s'exécute.)

13 Vous avez parlé d'une discussion ou d'une réunion d'information

14 avec M. Bradara lors de votre première visite à la caserne de Kiseljak.

15 Est-il exact qu'en tant qu'officier de liaison, l'une de vos fonctions

16 consistait à vous familiariser avec l'identité des commandants sur le

17 terrain avec lesquels vous auriez à mener votre travail de liaison ?

18 M. Lanthier. - Oui. Je pense que c'est à peu près ce que j'ai

19 expliqué dans mon témoignage plus tôt.

20 M. Hayman (interprétation). - Vous avez identifié la brigade

21 Bobovac comme l'unité du HVO à Vares. Pourriez-vous nous dire qui était le

22 commandant de cette brigade, à quelque moment que ce soit, pendant votre

23 séjour ?

24 M. Lanthier. - Il s'agissait d'Emil Arah.

25 M. Hayman (interprétation). - Etait-ce pendant votre premier,

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1 deuxième séjour, ou pendant les deux séjours ?

2 M. Lanthier. - Je m'en souviens particulièrement bien lors de

3 mon premier séjour. Honnêtement, cela m'échappe si, lors de mon deuxième

4 séjour, il l'était toujours. A ce moment-là, je n'étais plus l'officier de

5 liaison aux factions belligérantes, mais au HCR. Mon rôle était différent

6 et le nom des commandants n'est pas aussi clair. Surtout que, à ce moment-

7 là, dès notre arrivée, Vares -on s'en souviendra- était attaquée par le

8 BiH et était ensuite tombée. Ce qui est arrivé avec la brigade à Vares, je

9 sais que bon nombre s'en sont échappé et se sont retrouvés à Kiseljak.

10 C'est pourquoi j'ignore qui était le commandement à Vares à ce moment-là.

11 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous jamais entendu dire que,

12 après le massacre de Stupni Do, Emil Arah ait été relevé de son poste de

13 commandement du HVO à Vares ? Avez-vous jamais entendu parler de cela ?

14 M. Lanthier. - Honnêtement, je ne peux pas m'en souvenir avec

15 précision.

16 M. Hayman (interprétation). - Vous ne pouvez pas vous souvenir

17 avec précision mais, vous rappelez-vous quoi que ce soit au sujet de cet

18 événement ?

19 M. Lanthier. - Après le massacre de Stupni Do, nos forces, nos

20 policiers militaires ont conduit une enquête détaillée à Stupni Do,

21 escortés par des patrouilles du groupement tactique. C'est à peu près la

22 majorité des détails. Je me souviens, j'ai eu rapport de l'implication de

23 Ivica Rajic à Stupni Do, mais les autres détails, honnêtement... C'était

24 au tout début de notre arrivée. Cela venait de se produire lorsque l'on

25 est arrivé sur le terrain. Les détails m'échappent.

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1 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit il y a quelques

2 instants que Stupni Do était tombée. Entendez-vous par là que l'unité du

3 HVO de Vares a été expulsée et que le deuxième corps de l'armée de Bosnie-

4 Herzégovine a pris le contrôle de Vares en décembre 1993 ?

5 M. Lanthier. - Une attaque a été menée par le BiH et la ville a

6 en partie été prise par le BiH.

7 M. Hayman (interprétation). - Cela s'est-il passé

8 approximativement en décembre 1993, à votre connaissance ?

9 M. Lanthier. - Ce serait plutôt en novembre.

10 M. Hayman (interprétation). - De 1993 ?

11 M. Lanthier. - Oui.

12 M. Hayman (interprétation). - Passons maintenant à la

13 municipalité de Kiseljak. Lorsque vous avez rencontré pour la première

14 fois Ivica Rajic, commandant de la brigade Ban Jelacic, comme vous l'avez

15 dit, vous a-t-on dit ou avez-vous appris depuis combien de temps

16 Ivica Rajic était commandant de la brigade à Kiseljak ?

17 M. Lanthier. - Je ne crois pas avoir dit que M. Rajic commandait

18 la brigade de Kiseljak. Je crois plutôt avoir dit qu'il était le

19 commandant du quartier général à Kiseljak et qu'il avait sous sa charge

20 les quatre formations ou unités -mais on ne le voit pas sur l'écran- de

21 Vares, Kiseljak, Kresovo et Fojnica. A ma connaissance, la brigade de

22 Kiseljak, Ban Jelalic, était commandée par... le nom qui me vient à

23 l'esprit, mais je ne suis pas certain, est Mijo Bozic, mais pas M. Rajic.

24 M. Hayman (interprétation). - J'accepte que vous me corrigiez

25 dans ce que vous venez de dire de façon plus précise dans votre

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1 déposition. Donc, selon votre déposition, M. Rajic n'était pas commandant

2 de la brigade, mais simplement commandant du groupe d'opération de

3 Kiseljak. C'est bien cela ?

4 M. Lanthier. - Effectivement, c'est ce que j'ai compris de la

5 filière de commandement.

6 M. Hayman (interprétation). - Savez-vous qui était le commandant

7 de la brigade à la fin février ou au début de mars 1993, date à laquelle

8 vous avez rendu visite à la brigade pour la première fois ?

9 M. Lanthier. - Comme je viens tout juste de vous dire, je ne

10 suis pas certain du nom. Le nom de Mijo Bozic me vient en tête mais je ne

11 peux pas vous affirmer que c'était le nom du commandant. Ma relation,

12 étant donné que c'est un quartier général supérieur à Kiseljak et qui

13 contrôlait toutes les troupes du HVO dans notre secteur de responsabilité,

14 je n'étais pas appelé à travailler avec les commandants de brigades ou

15 d'unités au niveau subalterne.

16 J'ai travaillé principalement avec M. Bradara, qui était le

17 commandant adjoint de Rajic pour le groupe opérationnel de Kiseljak. C'est

18 la raison pour laquelle le nom des commandants d'unités et de formations

19 sous Rajic, je les ai rencontrés à une ou deux reprises ; dans le cas de

20 Vares un peu plus, parce que Vares était isolée de Kiseljak physiquement

21 et, d'une certaine façon, pas complètement isolée. C'est pourquoi le nom

22 des commandants de Fojnica, Kresovo et Kiseljak m'échappe.

23 M. Hayman (interprétation). - Le nom "Mijo Bozic" vous dit-il

24 quoi que ce soit en rapport avec le commandant de la brigade Ban Jelalic ?

25 M. Lanthier. - J'ai déjà dit à deux reprises que c'est le nom

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1 qui me revenait. Ma prononciation est peut-être mauvaise, mais deux fois

2 j'ai utilisé ce nom.

3 M. Hayman (interprétation). - Cela vous rappelle-t-il un lien

4 quelconque avec éventuellement le poste de commandant de la brigade de

5 Kiseljak ? Ce nom vous rappelle-t-il un lien quelconque ?

6 M. Lanthier. - J'ignore un peu.

7 M. le Président - Vous pouvez poser vos questions plus

8 directement, Maître Hayman. C'est un jeu de questions qui est d'une telle

9 subtilité qu'il vaudrait mieux tout simplement -vous avez affaire à

10 des Juges professionnels- que vous posiez directement vos questions, s'il

11 vous plaît. Sinon, nous perdons un peu de temps.

12 M. Hayman (interprétation). - Capitaine, avez-vous jamais

13 entendu dire que Mijo Bozic était le commandant de la brigade de Kiseljak

14 pour le HVO ?

15 M. Lanthier. - Pour la troisième fois, je vais vous répéter que

16 le nom m'échappe, mais que j'associe le nom de Mijo Bozic au commandant de

17 la brigade Ban Jelacic. Je ne peux pas vous assurer que c'était

18 effectivement le commandant, mais c'est le nom qui me vient en tête. Cela

19 fait trois fois que vous posez la même question de façon différente.

20 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous jamais entendu dire que

21 M. Bradara était devenu commandant de la brigade Ban Jelalic à Kiseljak ?

22 M. Lanthier. - Non, Mario Bradara ne m'a jamais été présenté

23 comme le commandant de la brigade de Kiseljak. Il m'a été présenté comme

24 étant le commandant adjoint au groupe opérationnel de Kiseljak et c'est

25 dans ces conditions que j'ai conduit mes entretiens avec lui. Si à un

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1 moment ou à un autre, il a changé de position, il ne m'en a pas avisé,

2 mais dans mes entretiens avec lui lors de mon premier séjour, c'est dans

3 sa condition de commandant adjoint que j'ai été appelé à travailler avec

4 lui.

5 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous jamais entendu dire que

6 Ivica Rajic avait reçu le poste de commandant de la brigade en sus du

7 commandement du groupe opérationnel basé à Kiseljak ?

8 M. Lanthier. - Pour bien comprendre la question, s'il

9 chapeautait les deux rôles, du commandant du groupe opérationnel et de la

10 brigade ?

11 M. Hayman (interprétation). - Je vous demande si vous avez

12 jamais entendu dire en avril ou mai 1993 qu'Ivica Rajic avait reçu un

13 poste double, en tant que commandant de la brigade et commandant du groupe

14 opérationnel.

15 M. Lanthier. - Non, cette information ne m'a pas été

16 communiquée, si c'était le cas.

17 M. Hayman (interprétation). - A Visoko, y avait-il une unité du

18 HVO ?

19 M. Lanthier. - Lors de mon séjour, il n'y avait pas d'unité

20 formée du HVO à Visoko.

21 M. Hayman (interprétation). - Quels corps de l'armée de Bosnie-

22 Herzégovine se trouvaient à Visoko ?

23 M. Lanthier. - Il n'y avait pas un corps, il y avait

24 l'Udzi Istok qui répondait au premier corps de Sarajevo. A Visoko, c'était

25 une formation subalterne au premier corps dont le quartier général était

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1 localisé à Sarajevo.

2 M. Hayman (interprétation). - Des unités du premier corps de

3 l'armée de Bosnie-Herzégovine stationnaient-elles à Visoko ?

4 M. Lanthier. - Il faut faire attention en répondant à cela parce

5 que, lorsque l'on parle d'une unité appartenant à un corps je viens de

6 vous dire qu'une formation appartenait au premier corps. L'Udzi Istok est

7 un groupe opérationnel, c'est une formation qui répond à son quartier

8 général supérieur qui est le premier corps. Une unité qui appartiendrait

9 au premier corps serait une unité dont la chaîne de commandement sauterait

10 Udzi Istok et irait directement de cette unité et répondrait directement

11 au corps. On parle alors des troupes du corps plutôt que d'une formation

12 subalterne. C'est une subtilité qui pour moi est importante. Vous pouvez

13 peut-être redire votre question de façon différente pour m'assurer que je

14 la comprenne bien.

15 M. Hayman (interprétation). - Eh bien, je vais la reformuler. Le

16 premier corps de l'armée de Bosnie-Herzégovine était-il basé à Visoko ?

17 M. Lanthier. - Le premier corps était à Sarajevo et Udzi Istok

18 répondait au premier corps basé à Sarajevo.

19 M. Hayman (interprétation). - Une partie de votre réponse

20 seulement a été traduite. Cela signifie-t-il groupe opérationnel Istok ?

21 Je ne suis pas sûr de bien comprendre. Ces mots ne sont pas clairs.

22 Pourriez-vous m'aider dans l'interprétation de ces mots ? Le groupe que

23 vous avez identifié à Visoko est-il le groupe opérationnel Istok, I-S-T-O-

24 K ?

25 M. Lanthier. - Exactement.

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1 (L'interprète ajoute que Istok veut dire "Est".)

2 M. Hayman (interprétation). - A Fojnica, y avait-il une brigade

3 du HVO ?

4 M. Lanthier. - Il y avait une formation, ou unité. Comme je l'ai

5 dit plus tôt, Fojnica était une formation particulière dans la mesure où,

6 lors de mon premier séjour, l'absence de guerre à Fojnica était évidente.

7 Je n'ai donc pas été appelé avec le commandant de l'unité ou de la

8 formation qui était à Fojnica. Je me souviens de l'avoir rencontré à une

9 reprise au moins, son nom m'échappe; bataillon ou brigade, je ne serais

10 pas en mesure de vous dire quelle était la quantité des effectifs alors à

11 Fojnica.

12 M. Hayman (interprétation). - A votre connaissance, Mijo Bozic

13 est-il jamais devenu commandant d'une brigade du HVO, à Fojnica ?

14 M. Lanthier. - Je l'ignore.

15 M. Hayman (interprétation). - Mario Bradara est-il jamais

16 devenu commandant de la brigade du HVO ou commandant d'une autre ou de

17 plusieurs autres unités du HVO à Fojnica ?

18 M. Lanthier. - S'il l'a été, il ne m'en a jamais fait part.

19 M. Hayman (interprétation). - Entre le moment où vous avez

20 quitté le théâtre des opérations, à la fin de votre premier séjour, et le

21 moment où vous êtes revenu pour le début de votre deuxième séjour, le HVO

22 a été expulsé de Fojnica et l'armée de Bosnie-Herzégovine a pris le

23 contrôle de Fojnica ?

24 M. Lanthier. - C’est la situation qui correspond à mon arrivée

25 en octobre 1993. On m’a expliqué qu’il y avait eu des combats dans la

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1 région et que maintenant, la ville de Fojnica était contrôlée par les

2 forces du gouvernement bosniaque.

3 M. Hayman (interprétation). - Est-ce que l'on vous a dit

4 également que près de 6 000 Croates avaient été déplacés de Fojnica suite

5 à ce conflit à Fojnica ?

6 M. Lanthier. - Le nombre m'échappe. Encore une fois, mon rôle à

7 ce moment-là n'était plus le rôle d'officier de liaison sur le terrain, je

8 travaillais plutôt avec le HCR la majorité du temps. Je peux probablement

9 faire une supposition que, s'il y a eu des combats, il y a eu des

10 mouvements de population. Cela semble avoir été fréquent lors de combats

11 en Bosnie.

12 M. Hayman (interprétation). - Vares était-elle une enclave du

13 HVO ?

14 M. Lanthier. - C'était une des enclaves du HVO.

15 M. Hayman (interprétation). - Kiseljak, après votre arrivée, ou

16 après janvier 1993, et par conséquent, avant votre arrivée en

17 février 1993, était-elle également une enclave du HVO ?

18 M. Lanthier. - Effectivement, la poche de Kiseljak était

19 contrôlée par le HVO.

20 M. Hayman (interprétation). - Cette poche était encerclée,

21 n’est-ce pas, par l'armée de Bosnie-Herzégovine et par l'armée des Serbes

22 de Bosnie également ?

23 M. Lanthier. - Oui.

24 M. Hayman (interprétation). - Et la poche constituée de Vitez et

25 de Busovaca était également une enclave entourée par l'armée de Bosnie-

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1 Herzégovine, cette fois ?

2 M. Lanthier. - Exact.

3 M. Hayman (interprétation). - Vous nous avez indiqué sur la

4 pièce 330 deux autres groupes opérationnels. Si vous ne pouvez pas me

5 répondre, faites-le moi savoir, mais Maglaj était-elle également une

6 localité contrôlée dans le cadre de la zone opérationnelle de Bosnie

7 centrale et était-ce également une enclave contrôlée par le HVO avant sa

8 chute ?

9 M. Lanthier. - Honnêtement, je ne m'en souviens pas par coeur.

10 Je le savais dans le temps, maintenant, après cinq ans... parce que Maglaj

11 n'était pas dans mon secteur. Je ne m'en souviens plus.

12 M. Hayman (interprétation). - Je comprends tout à fait. Qu’en

13 est-il de Zepca ? Etait-ce également une enclave du HVO dans la région de

14 Bosnie centrale ?

15 M. Lanthier. - Je crois que oui, mais là encore, ma mémoire ne

16 me sert pas suffisamment pour affirmer.

17 M. Hayman (interprétation). - Enfin, Busora était-elle également

18 une enclave du HVO dans la zone opérationnelle de Bosnie centrale ?

19 M. Lanthier. - J'ignore complètement cela.

20 M. Hayman (interprétation). - Entre ces différentes enclaves,

21 celles que vous nous avez indiquées, vous-même avez-vous pu observer la

22 présence d'unités de l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

23 M. Lanthier. - Juste pour bien comprendre votre question, vous

24 voulez savoir si des forces du BiH entouraient complètement chacune de ces

25 enclaves, si j'ai bien compris le sens de votre question ?

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1 M. Hayman (interprétation). - Je vais être plus précis. Par

2 exemple, entre l'enclave de Kiseljak et celle de Vitez-Busovaca, vous-même

3 avez-vous pu observer la présence d'unités de l'armée de Bosnie-

4 Herzégovine qui séparaient ces deux enclaves, en quelque sorte ?

5 M. Lanthier. - Il y avait effectivement des forces du

6 gouvernement bosniaque sur le terrain. En revanche, il ne s'agit pas là de

7 lignes continues ou de positions défensives complètes qui entourent une

8 région de façon "seamless", selon le terme que l’on utilise en anglais.

9 M. Hayman (interprétation). - Par exemple, à Kacuni et

10 Bilalovac, sur la route principale menant de Busovaca à Kiseljak, vous-

11 même avez-vous pu observer l'existence de positions, de lignes de

12 confrontation, entre le HVO et l'armée de Bosnie-Herzégovine à chacun des

13 endroits que je viens de mentionner ?

14 M. Lanthier. - Oui, éventuellement. Je ne me souviens pas si,

15 dès mon arrivée, ces positions-là existaient déjà. On sait que c'est la

16 route qui va de Kiseljak à Busovaca, Bilalovac et Kacuni, donc cette

17 route-là, de par sa définition, devient une route principale, un axe

18 d'avance possible. Je m’en souviens parce que lorsqu'il y a eu les accords

19 de Washington, l'une des fonctions du bataillon était devenue de

20 patrouiller les lignes de front et je sais qu'en avril 1994, il y avait à

21 ce moment-là des positions à Bilalovac et à Kacuni. Je serais plutôt en

22 mauvaise posture pour vous dire si, effectivement, il y avait des

23 positions défensives creusées à ces endroits-là.

24 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous utilisé cette route qui

25 allait de Busovaca à Kiseljak au cours de vos deux séjours ?

Page 8534

1 M. Lanthier. - Oui, comme je l'ai mentionné dans mon témoignage

2 plus tôt ce matin, c'est une route que j'ai utilisée à maintes reprises.

3 M. Hayman (interprétation). - Et y avait-il des points de

4 contrôle ou des barrages routiers, de l'armée de Bosnie-Herzégovine à la

5 fois dans la zone de Bilalovac et dans celle de Kacuni lorsque vous l’avez

6 empruntée ?

7 M. Lanthier. - Il y en avait effectivement. A quel moment sont-

8 ils apparus ? Etaient-ils là dès le début de mon arrivée ? Là encore, je

9 ne pourrais pas vous affirmer avec précision le moment où ces points de

10 contrôle, ou ces barrages routiers, existaient. Effectivement, un temps,

11 lors de mon mois de séjour en Bosnie, des points de contrôle ont existé à

12 Bilalovac et à Kacuni.

13 M. Hayman (interprétation). - Puis-je demander à M. le Greffier

14 si la pièce 330 et sur le rétroprojecteur, et si c'est le cas, peut-on

15 l’avoir à l'écran ?

16 (Le greffier s'exécute.)

17 Merci. Sur la pièce 330, il est indiqué que Franjo Nakic était

18 le commandant adjoint de la zone opérationnelle ; d'où avez-vous tiré

19 cette impression ?

20 M. Lanthier. - La première fois, si je me souviens bien, que

21 j'ai rencontré M. Nakic, c'était lors de la réunion de la commission

22 conjointe de Busovaca. C'est à cette fonction qu'on me l'avait présenté,

23 si je m'en souviens bien de ce moment-là.

24 M. Hayman (interprétation). - Outre les protocoles et les

25 décisions de cette commission conjointe, quelqu'un vous a-t-il parlé de la

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1 position de Franjo Nakic ?

2 M. Lanthier. - Je me souviens d'avoir rencontré M. Nakic à

3 l'hôtel de Vitez. Je crois -mais je ne suis pas certain- qu'il était

4 présent lors de l'un de mes entretiens avec le colonel Blaskic. Encore là,

5 les détails sont flous. Je l'ai rencontré à quelques occasions et je l'ai

6 rencontré à Vitez et Busovaca.

7 M. Hayman (interprétation). - Vous nous avez parlé d'une visite

8 que vous aviez faite au colonel Blaskic, une visite courtoise, afin de

9 vous présenter ; peut-on effectivement appeler ainsi votre visite ?

10 M. Lanthier. - Visite de courtoisie... le but de ma visite était

11 de présenter le bataillon canadien qui venait d'arriver sous l'égide de la

12 Forpronu en Bosnie centrale, qui opérait dans une partie du terrain

13 contrôlé par le HVO. Donc c'était un peu plus qu'une visite de courtoisie,

14 c'était dans le but d'établir une relation précise et non pas seulement

15 dans le but de me présenter à lui.

16 M. Hayman (interprétation). - Quand vous êtes-vous rendu chez

17 M. Blaskic ?

18 M. Lanthier. - Si je me souviens bien, la première semaine de

19 mars 1993.

20 M. Hayman (interprétation). - Et vous êtes allé à Vitez pour le

21 rencontrer, n'est-ce pas ?

22 M. Lanthier. - Effectivement.

23 M. Hayman (interprétation). - Etait-ce parce que vous saviez que

24 son quartier général se trouvait à Vitez ?

25 M. Lanthier. - Oui. L'officier britannique qui effectuait la

Page 8536

1 liaison dans la région avant mon arrivée m’avait, comme je l’ai déjà dit

2 ce matin, identifié la position des différents quartiers généraux et étant

3 donné que le camp britannique était relativement près du quartier général

4 à Vitez, il m'avait également montré l'emplacement du quartier général de

5 Vitez.

6 M. Hayman (interprétation). - Votre réponse se termine par "et

7 puisque nous étions relativement proches du quartier général de Vitez",

8 avez-vous quelque chose à ajouter ?

9 M. Lanthier. - C’est une erreur de traduction. J'ai dit "étant

10 donné que le camp britannique était près du camp de Vitez, l'officier

11 britannique qui m’avait montré l’emplacement m'avait évidemment montré

12 l'emplacement du quartier général du HVO à Vitez", donc ce n'est pas le

13 camp canadien qui était à Vitez, mais le camp britannique.

14 M. Hayman (interprétation). - Et l'officier de liaison du

15 bataillon britannique vous a-t-il dit que le quartier général du colonel

16 Blaskic se trouvait dans l'hôtel de Vitez en mars 1993, à peu près ?

17 M. Lanthier. - Il m'avait montré l'endroit. Je n'arrive pas à me

18 souvenir s’il m’avait à ce moment-là identifié par un nom le

19 colonel Blaskic. C'est une passation de responsabilités qui s'était faite

20 très rapidement, on a traversé la totalité du secteur de responsabilité au

21 cours d'une journée. Donc j'ignore si on m'avait indiqué par un nom que le

22 colonel Blaskic commandait la zone opérationnelle de Vitez.

23 M. Hayman (interprétation). - La conversation que vous avez eue

24 avec le colonel Blaskic, je crois que c'était la première semaine de mars

25 1993, a-t-elle été possible grâce à un interprète ?

Page 8537

1 M. Lanthier. - Effectivement ; étant donné que ma connaissance

2 du langage serbo-croate était nulle, elle s'est faite avec l'aide d'un

3 interprète.

4 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit que vous avez abordé

5 avec lui le sujet de sa zone de responsabilité en termes généraux, c'est-

6 à-dire la zone opérationnelle de Bosnie centrale. Quels termes précisément

7 ont-ils été utilisés à ce moment-là pour décrire cette zone de

8 responsabilité ? Etait-ce "zone de responsabilités", "zone de

9 commandement" ou "contrôle" ? Quels termes ont été précisément utilisés,

10 si vous vous en souvenez ?

11 M. Lanthier. - Les termes exacts, non, je ne pourrai pas vous

12 donner les termes précis qui ont été employés encore là. Les concepts me

13 sont familiers. Je me souviens des concepts généraux, de certaines choses

14 précises, mais les termes ou les mots exacts employés, non.

15 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous pris des notes à ce

16 moment-là ? Quelque chose qui pourrait vous rafraîchir la mémoire afin

17 d'être plus précis ?

18 M. Lanthier. - Malheureusement, oui. Je dis malheureusement

19 parce que, comme je vous l’ai expliqué, les bataillons font des rotations.

20 Lorsque je suis parti, pour chaque réunion à laquelle j'ai assisté, des

21 notes étaient prises et pour chaque personnalité que j'ai rencontrée,

22 j'avais une fiche que j'appelais une "fiche d'information". Lorsque je

23 suis parti, c'était normal de donner ce cahier-là à mon successeur. Mon

24 successeur a transféré certaines de ces notes, mais n'a pas conservé mon

25 cahier, donc lorsque je suis revenu à mon deuxième tour en octobre 1993,

Page 8538

1 je n'ai pas pu reprendre possession de mon carnet, donc je n'ai plus de

2 notes qui décrivent en détail le contenu de mes conversations et de mes

3 entretiens avec les différentes personnes que j'ai pu rencontrer pendant

4 mon séjour en 1992-1993.

5 M. Hayman (interprétation). - Au cours de cette conversation,

6 avez-vous parlé avec le colonel Blaskic des difficultés que pouvait

7 représenter la responsabilité d'une zone incluant les enclaves de Vitez-

8 Busovaca, Vares, Kiseljak et peut-être d'autres encore, Zepce et Usora,

9 par exemple ? En avez-vous parlé lors de cette conversation ?

10 M. Lanthier. - Non, à ce moment-là, il ne m'a pas indiqué qu'il

11 rencontrait des difficultés à contrôler ces enclaves-là. Je dirai même que

12 ce serait dans le sens inverse, étant donné qu'il m’a dit que sa porte

13 était ouverte, que si j'avais besoin de le revoir, ne pas hésiter à

14 prendre rendez-vous avec lui, que lui, comme commandant d'un quartier

15 général supérieur, pourrait, à ce moment-là m’aider à résoudre une

16 situation qui pouvait survenir à Kiseljak. Cela semblait plutôt m’indiquer

17 qu’il était en mesure d’exercer le commandement et le contrôle des

18 différentes formations sous sa responsabilité.

19 M. Hayman (interprétation). - Il vous a donc dit que sa porte

20 vous était ouverte, mais avez-vous abordé avec lui ce sujet-là, à savoir

21 tout ce qui impliquait d'avoir la responsabilité d'une zone qui était

22 divisée en différentes enclaves isolées ? En avez-vous parlé ?

23 M. Cayley (interprétation). - La question vient d'être posée

24 deux fois, M. Hayman l’a déjà bien exprimée et le témoin y a répondu.

25 M. Hayman (interprétation). - Il a répondu que le colonel

Page 8539

1 Blaskic avait dit "ma porte vous est ouverte", mais il n'a pas dit s’ils

2 ont abordé ce sujet ou non. Je voudrais simplement que le témoin réponde à

3 la question.

4 M. le Président. - Il vous a répondu. Il vous a très exactement

5 répondu même, et peut-être d'une façon qui ne vous convient pas, mais il

6 vous a répondu que le problème n'a pas été abordé, mais que ce qu’a dit le

7 colonel Blaskic pouvait lui laisser à penser que le colonel Blaskic

8 disposait d'une marge d'autonomie, donc d'un type de responsabilité

9 important à ses yeux. Je crois que c'est répondu. Vous passez à la

10 question suivante, s'il vous plaît.

11 M. Hayman (interprétation). - Je vais poursuivre, mais mon

12 interprétation n'a pas été aussi claire que celle que vous avez peut-être

13 reçue.

14 M. le Président. - (Hors micro)

15 M. Hayman (interprétation). - Excusez-moi un instant,

16 Monsieur le Président. Mon collègue m'indique que quelque chose dans le

17 compte rendu indiquait que M. Blaskic était à Kiseljak, mais vous l'avez

18 rencontré à Vitez, n'est-ce pas ?

19 M. Lanthier. - Effectivement, j’ai dit dans mon témoignage que

20 je m'étais déplacé à Vitez pour rencontrer le colonel Blaskic.

21 M. Hayman (interprétation). - Passons maintenant à la commission

22 conjointe de Busovaca. Savez-vous pourquoi elle a été créé ?

23 M. Lanthier. - Elle a été créée avant mon arrivée. L'origine et

24 le but exact de cette commission ne m'ont pas été expliqués de façon

25 précise. J'en ai déduit que l'un des buts était de rétablir, jusqu'à un

Page 8540

1 certain point, une normalité des choses dans la région. Je me souviens de

2 discussions de nature militaire, économique et sociale. Maintenant, la

3 nature même et le mandat exact de la commission conjointe de Busovaca

4 m'échappent.

5 M. Hayman (interprétation). - Où se tenaient les réunions de la

6 commission conjointe de Busovaca ? Je parle des réunions auxquelles vous

7 avez assisté.

8 M. Lanthier. - Je ne peux pas vous donner d'adresse, de rue,

9 pour la première réunion ; je me souviens que c'était à Busovaca, mais

10 l'endroit précis m'échappe.

11 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous assisté à d'autres

12 réunions de la commission en d'autres endroits, ou toutes ces réunions se

13 tenaient elles à Busovaca ?

14 M. Lanthier. - Je me souviens d'une réunion qui a eu lieu à

15 Vitez. J'ignore si c'était une réunion de la commission ou une réunion du

16 comité de coordination, mais je me souviens d'une réunion à Vitez.

17 M. Hayman (interprétation). - Le colonel Blaskic a-t-il

18 participé à ces réunions de façon active, a-t-il pris la parole ?

19 M. Lanthier. - Le colonel Blaskic n'était pas présent à la

20 réunion des domaines de Busovaca, c'était plutôt M. Nakic qui était là. Le

21 colonel Blaskic, ainsi que le colonel Steward, commandant du bataillon

22 britannique, étaient présents à l'autre réunion, dont le nom était "comité

23 de coordination". Lors de cette réunion, le colonel Blaskic a pris la

24 parole à plusieurs reprises.

25 M. le Président. - Nous allons peut-être procéder à une pause.

Page 8541

1 Maître Hayman, pour combien de temps en avez-vous à peu près ?

2 M. Hayman (interprétation). - Je crois que j'en suis à peu près

3 à la moitié de mon contre-interrogatoire, Monsieur le Président.

4 M. le Président. - Merci. Nous suspendons l’audience pour

5 vingt minutes.

6 (L'accusé est reconduit hors du prétoire)

7

8 L'audience, suspendue à 5 heures 50, est reprise à 16 heures 10.

9

10 M. le Président. - L'audience est reprise. Faites entrer

11 l'accusé.

12 (L'accusé est introduit dans le prétoire)

13 Maître Hayman, veuillez poursuivre.

14 M. Hayman (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

15 Capitaine, avant la pause, vous disiez qu'il y avait eu une réunion à

16 laquelle avaient participé le colonel Steward et le colonel Blaskic. Vous

17 pensez qu'il s'agissait d'une réunion du comité de coordination, à

18 laquelle vous avez également assisté, d'ailleurs. Est-ce exact ?

19 M. Lanthier. - Oui

20 M. Hayman (interprétation). - Y a-t-il eu d'autres réunions, des

21 réunions officielles telles que celle de la commission conjointe de

22 Busovaca ou d'autres entités officielles, auxquelles vous avez assisté et

23 auxquelles assistait aussi le colonel Blaskic ?

24 M. Lanthier. - En dehors de ce que je vous ai décrit, des

25 quelques réunions auxquelles j'ai participé, je me souviens pas avoir

Page 8542

1 participé à d'autres réunions au cours desquelles le colonel Blaskic était

2 présent.

3 M. Hayman (interprétation). - La réunion du comité de

4 coordination dont vous venez de parler était-elle la réunion à laquelle

5 assistait aussi M. Kordic ?

6 M. Lanthier. - Effectivement.

7 M. Hayman (interprétation). - Au cours de cette réunion, le

8 colonel Blaskic a-t-il dit quelque chose, et si oui, quoi ?

9 M. Lanthier. - Comme je l'ai dit, je me souviens que le

10 colonel Blaskic a parlé à plusieurs reprises. Mais je ne me souviens plus

11 précisément des sujets discutés et de la teneur exacte des propos.

12 M. Hayman (interprétation). - Je crois que vous avez dit que

13 vous pensiez que M. Kordic était le conseiller politique du

14 colonel Blaskic. Est-ce votre opinion ou était-ce l'opinion de votre

15 interprète ? Est-ce l'opinion qu'elle vous a exprimée ?.

16 M. Lanthier. - C'est mon opinion personnelle. Je n'étais pas un

17 membre actif de la commission, j'étais plutôt, selon le terme anglais,

18 "back venture". Il était possible pour ma traductrice de me communiquer la

19 teneur des discussions. Sa fonction était de me traduire ce qui se disait,

20 surtout qu'on m'avait présenté Dario Kordic comme l'un des chefs

21 politiques du côté HVO en Bosnie centrale L'impression que je me suis

22 formée, c'était que M. Kordic s'adressait au colonel Blaskic un peu comme

23 conseiller politique. C'est mon opinion personnelle.

24 M. Hayman (interprétation). - Est-ce parce que vous les avez vus

25 ensemble à d'autres réunions que vous avez pu formuler cette opinion ?

Page 8543

1 M. Lanthier. - J'ai participé à deux ou trois réunions et la

2 teneur des propos échangés entre les deux hommes, qu'a pu me rapporter ma

3 traductrice, m'ont permis de me forger cette opinion.

4 M. Hayman (interprétation). - Par conséquent, à combien de

5 réunions avez-vous vu le colonel Blaskic et M. Kordic ensemble ?

6 M. Lanthier. - A deux ou trois reprises, pas plus.

7 M. Hayman (interprétation). - S'agissait-il de réunions de la

8 commission conjointe de Busovaca ou d'autres types de réunions ?

9 M. Lanthier. - Comme je l'ai déjà dit, je ne crois pas qu'il

10 s'agissait des réunions de la commission conjointe de Busovaca, mais

11 plutôt de celles du niveau supérieur. Je crois que ces réunions

12 s'appelaient "comités de coordination" mais je ne peux pas vous l'assurer

13 à 100%.

14 M. Hayman (interprétation). - Pouvez-vous nous rapporter

15 quelques uns des propos qu'a prononcés le colonel Blaskic au cours de

16 l'une de ces réunions ?

17 M. Lanthier. - Cela fait trop longtemps. Je ne peux pas me

18 souvenir de la teneur exacte des propos échangés ; je peux me rappeler des

19 concepts échangés ou de ce que les personnes représentaient pour moi.

20 C'est pourquoi dans ma déclaration, j'emploie mes propres termes et je

21 décris les personnes en des termes souvent généraux. Je me souviens des

22 concepts et pas des endroits précis, des adresses exactes, des mots exacts

23 employés. Cela remonte à un peu plus de cinq ans.

24 M. Hayman (interprétation). - Pouvez-vous nous dire quelque

25 chose sur la teneur des propos échangés entre M. Blaskic et M. Kordic au

Page 8544

1 cours des réunions ?

2 M. le Président. - Voulez-vous passer à une autre question ? Il

3 y a dix minutes qu'on essaie de savoir quels étaient les propos entre

4 M. Kordic et M. Blaskic. Que cherchez-vous ? La déstabilisation du

5 témoin ? Il a répondu tout ce qu'il voulait. Changez de question. Nous

6 savons maintenant ce qui a été dit, ce que le témoin peut ou ne peut pas

7 se rappeler. Essayez d'avancer. Je répète, et c'est une évidence, que vous

8 avez affaire à des Juges professionnels. Nous entendons, nous écoutons. Je

9 vous en prie, passez à une autre question maintenant.

10 M. Hayman (interprétation). - Peut-on montrer au témoin la

11 pièce 80/9, s'il vous plaît. Et peut-on la placer sur le rétroprojecteur ?

12 (L'huissier s'exécute)

13 Capitaine, je vous demanderai de regarder cette pièce 80/9 et

14 d'identifier, si c'est possible, M. Kordic sur cette photographie.

15 M. Lanthier. - Je crois que je désigne, avec mon pointeur,

16 M. Kordic.

17 M. Hayman (interprétation). - Peut-on avoir l'interprétation,

18 s'il vous plaît ? Pourriez-vous vous diriger vers le micro afin que les

19 interprètes vous entendent ?

20 M. Lanthier. - Je désigne avec mon pointeur un individu, je

21 crois que c'est M. Kordic. Comme je vous l'ai dit, je ne l'ai rencontré

22 qu'à quelques reprises et ce n'était pas des entretiens personnels. Le nom

23 m'est familier, je l'ai rencontré, mais l'individu... je crois que c'est

24 M. Kordic, mais je ne peux pas vous l'assurer avec précision.

25 M. Hayman (interprétation). - Pour le compte rendu, Monsieur le

Page 8545

1 Président, le témoin a indiqué la personne portant l'uniforme de

2 camouflage, la troisième personne à partir de l'extrême-droite de la

3 photo, derrière deux hommes qui ne portent pas d'uniforme et qui ont des

4 chemises à rayures verticales. J'en ai terminé avec cette pièce,

5 Monsieur le greffier, merci. Passons maintenant au 17 avril 1993. Vous

6 avez dit avoir eu une conversation avec un commandant de l'armée de

7 Bosnie-Herzégovine à Visoko, portant sur le conflit à Vitez. Vous a-t-il

8 dit qu'il avait reçu des informations par la voie hiérarchique de l'armée

9 de Bosnie-Herzégovine portant sur ce conflit à Vitez ?

10 M. Lanthier. - Non. Lors de mon entretien matinal avec

11 Behamil Memisevic, le commandant d'Udzi Istok m'a dit que des rapports lui

12 étaient parvenus, qu'il y avait effectivement eu des conflits à Vitez. Il

13 ne m'a pas dit si ces rapports venaient de formations subalternes, de ses

14 flancs ou du niveau hiérarchique supérieur. Il a fait état simplement

15 d'une situation qui existait.

16 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit que vous avez tenté

17 de rencontrer le colonel Blaskic le 18 ou le 19 avril 1993 et que vous

18 vous êtes rendu à Vitez pour essayer de le rencontrer, n'est-ce pas ?

19 M. Lanthier. - Effectivement.

20 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous pris rendez-vous avec

21 lui avant de vous rendre à Vitez ? Avez-vous téléphoné ?

22 M. Lanthier. - Non. Comme je crois l'avoir mentionné, il n'y

23 avait pas de lignes téléphoniques qui existaient à partir de Visoko

24 fonctionnant avec Vitez. Je n'ai pas pu prendre de rendez-vous. Oui, le

25 colonel Blaskic m'avait dit de ne pas hésiter à le voir et de prendre un

Page 8546

1 rendez-vous. Ce n'était pas facile à faire et l'urgence de la situation ne

2 me permettait pas d'attendre de pouvoir prendre un rendez vous avec le

3 colonel Blaskic avant de le voir.

4 M. Hayman (interprétation). - Parlons des lignes téléphoniques.

5 La ligne téléphonique reliant Vitez à Kiseljak passait-elle par Kacuni et

6 Bilalovac ?

7 M. Lanthier. - Je ne connais pas l'endroit précis, physique, où

8 les lignes étaient situées.

9 M. Hayman (interprétation). - Savez-vous si, d'un téléphone se

10 trouvant à Vitez, vous pouviez joindre Kiseljak au cours des deux périodes

11 que vous avez passées en Bosnie-Herzégovine et vice versa ?

12 M. Lanthier. - Les lignes téléphoniques, à ma connaissance,

13 fonctionnaient. D'ailleurs, lorsque j'ai rencontré M. Bradara, à la fin

14 février ou début mars, -c'est d'ailleurs lui qui avait pris le téléphone

15 pour me prendre rendez-vous avec le colonel Blaskic- il m'a indiqué alors

16 qu'une ligne téléphonique fonctionnait.

17 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit que vous avez essayé

18 de rencontrer à nouveau le colonel Blaskic. Je parle de la deuxième fois

19 où vous avez tenté de le rencontrer, après votre réunion à Visoko avec le

20 commandant de l'armée de Bosnie-Herzégovine. Etait-ce le lendemain, le

21 surlendemain ? Pouvez-vous nous aider ?

22 M. Lanthier. - J'y étais une première fois, si je me souviens,

23 le 18, et ce serait donc le 19 que je serais retourné à Vitez... ou le 18.

24 C'était le lendemain, à deux jours consécutifs. J'ignore si c'est le 17-18

25 ou le 18-19 précisément, mais ce sont deux jours consécutifs et non pas le

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1 surlendemain ou le jour suivant.

2 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous téléphoné à ce moment-là

3 pour essayer d'obtenir un rendez-vous lorsque vous y êtes retourné la

4 seconde fois ? Ou avez-vous essayé de voir le colonel Blaskic à votre

5 arrivée ?

6 M. Lanthier. - Etant donné que la ligne ne fonctionnait pas plus

7 le lendemain, je n'ai pas pu prendre rendez-vous et je me suis encore

8 présenté à Vitez.

9 M. Hayman (interprétation). - Le 19 avril, vous nous avez dit

10 que vous vous étiez rendu de Visoko à Kiseljak et que vous êtes passé par

11 Busovaca. Vous avez suivi l'itinéraire Nord, si je puis dire. Est-ce

12 exact ?

13 M. Lanthier. - De Visoko, on monte à Busovaca et on redescend

14 vers le Sud-Est, vers Kiseljak.

15 M. Hayman (interprétation). - Pourquoi avez-vous suivi cet

16 itinéraire au lieu de vous rendre de Visoko directement à Kiseljak par le

17 Sud ?

18 M. Lanthier. - J'ai bien expliqué ce matin le rapport que

19 m'avait donné M. Memisevic, qui m'avait expliqué que des attaques

20 similaires avaient eu lieu dans la poche de Kiseljak. Je n'allais pas me

21 présenter à un quartier général à Kiseljak en disant "les forces de la BiH

22 m'ont dit ceci, pourquoi avez-vous fait cela ?" Mon approche a été de

23 passer sur le terrain qui permet de confirmer ou d'infirmer le rapport, ce

24 qui me permet... Si je n'avais rien vu, je n'aurais certainement pas été

25 voir le quartier général de Kiseljak pour leur poser des questions sur

Page 8548

1 quelque chose qui n'existait pas. Mais ce que j'ai pu voir m'a permis de

2 confirmer que le rapport de Memisevic semblait vrai et j'ai alors tenté de

3 rencontrer M. Bradara à Kiseljak.

4 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit que vous avez vu une

5 mitrailleuse qui prenait pour cible une maison ; dans quel village cela

6 s'est-il produit ? Le savez-vous ?

7 M. Lanthier. - Je ne me souviens pas du village exact. C'était

8 juste au Nord-Ouest de la ville de Kiseljak. J'ai l'image dans la tête.

9 C'est un terrain relativement ouvert, qui monte vers l'Est et la

10 mitrailleuse faisait feu vers le Nord-Ouest. Mais je ne peux pas vous dire

11 le village exact. C'est un terrain ouvert au Nord-Ouest de Kiseljak, du

12 côté Nord de la route.

13 M. Hayman (interprétation). - Pendant combien de temps êtes-vous

14 resté à observer cette scène ?

15 M. Lanthier. - Je ne suis pas resté sur cette position. C'est en

16 conduisant que j'ai observé le tir effectif et j'ai continué ma route pour

17 me rendre au quartier général, à Kiseljak.

18 M. Hayman (interprétation). - Peut-on communiquer la pièce 333

19 au témoin et la placer sur le rétroprojecteur ?

20 (L’huissier s’exécute)

21 Je vous demande maintenant de nous parler du 20 avril 1993. Vous

22 avez dit que, tout d'abord, on vous avait emmené à Borina. D'un point de

23 vue géographique, Borina est-elle plus élevée que Rotilj ?

24 M. Lanthier. - D'après ce dont je me souviens, oui, parce que je

25 me souviens bien d'avoir vu, ou plutôt d'avoir descendu une côte en me

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1 rendant avec le colonel Landry du village montant vers le Nord, donc le

2 terrain, selon mes souvenirs, était plus haut. Je pourrais vous le

3 confirmer en regardant les lignes de contours sur une carte précise.

4 M. Hayman (interprétation). - Combien de personnes avaient été

5 tuées dans le conflit qui s'était déroulé sur les lieux ? En tout cas,

6 combien de personnes vous ont dit cela ?

7 M. Lanthier. - Pouvez-vous répéter la question, s'il vous

8 plaît ?

9 M. Hayman (interprétation). - Les résidents musulmans de Rotilj

10 vous ont dit que des personnes avaient été tuées dans le cadre du conflit

11 qui s'était déroulé dans ce village. Combien de personnes avaient été

12 tuées, selon ces Musulmans ?

13 M. Lanthier. - Ce qui m'a été rapporté alors, si je me souviens

14 bien, c'était 17.

15 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous parlé à des résidents

16 croates de Rotilj au cours de votre visite ?

17 M. Lanthier. - A ce moment-là, les personnes que je rencontrais

18 ne se présentaient pas "bonjour, je suis croate, voici ce qui s'est

19 produit" ; les personnes qui sont venues me voir m'ont tout simplement

20 décrit ce qui était arrivé à leur famille et aux personnes qu'elles

21 connaissaient dans le village de Rotilj.

22 M. Hayman (interprétation). - Quelqu'un vous a-t-il dit à cette

23 occasion si des Croates avaient été tués durant le conflit qui venait de

24 survenir à Rotilj ?

25 M. Lanthier. - Non. Personne ne m'a expliqué que des personnes

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1 d'une ethnie croate avaient été tuées.

2 M. Hayman (interprétation). - Quelqu'un vous a-t-il dit qu'un

3 certain nombre de Musulmans en âge de porter les armes portaient jusqu'à

4 50 armes avant le conflit ?

5 M. Lanthier. - Je pense avoir perdu la traduction de votre

6 question. J'ai compris "qui portaient jusqu'à 50 armes".

7 M. Hayman (interprétation). - Oui, là où vous êtes allé, quand

8 vous avez parlé à un certain nombre de résidents du village de Rotilj,

9 certains vous ont-ils dit qu'il y avait des hommes en âge de porter les

10 armes dans le village ? Des Musulmans à Rotilj, avant le conflit, qui

11 possédaient 50 fusils ou plus ?

12 M. Lanthier. - Oui, on m'a dit qu’il y avait des hommes qui

13 étaient dans la force de l'âge et qui, a priori, étaient capables de se

14 battre. On ne m'a pas dit qu'ils possédaient des armes. Je sais, après

15 avoir passé un total de 13 mois en Croatie et Bosnie, qu'une grande

16 majorité des résidents possédaient des armes, que cela soit des armes de

17 chasse ou d'autres types d'armes, c'était fréquent. Mais on ne m'a jamais

18 dit que des hommes avaient des caches d'armes, si on veut employer cette

19 expression, qui restaient à Rotilj. Donc, on ne m'a pas dit que Rotilj

20 était une cible militaire possible.

21 M. Hayman (interprétation). - Des habitants vous ont-ils dit que

22 des négociations avaient eu lieu entre des représentants du village et le

23 HVO quant à la remise de ces armes qui étaient en possession d'habitants

24 du village ? Cela vous a-t-il été mentionné ?

25 M. Lanthier. - Non, on ne m'en a jamais fait état. Ni les

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1 résidents présents, ni Mario Bradara. Quand on lui a parlé, il ne m'a

2 jamais indiqué que des tractations avaient eu lieu et que, suite à celles-

3 ci, Rotilj avait été attaqué. C'est un sujet qui n'est jamais venu sur le

4 tapis.

5 M. Hayman (interprétation). - Pouvez-vous nous dire, dans le

6 cercle 2 de la pièce 333, combien de maisons brûlées vous avez pu voir ?

7 M. Lanthier. - Je ne peux pas me souvenir du nombre exact de

8 maisons. Si on agrandit la photo, je suis certain que l'on peut compter le

9 nombre de maisons détruites. Dans mes souvenirs, il y en avait un certain

10 nombre, mais je ne peux pas vous dire un nombre précis.

11 M. Hayman (interprétation). - Une estimation, peut-être ? Je

12 n'essaie pas ici de vous forcer à donner un chiffre.

13 M. Cayley (interprétation). - Le témoin répond très clairement à

14 cette question : il ne peut pas donner ce chiffre.

15 M. le Président. - Non, Maître, sinon j'aurais arrêté Maître

16 Hayman avant que vous fassiez l'objection et demandé une estimation

17 possible.

18 M. Lanthier. - Non, parce que je ne pourrai même pas vous dire

19 combien il y avait de maisons. Ce que je peux vous dire, c'est que dans le

20 cercle 2 , une grande majorité l'était, et dans le cercle 3 , c'était

21 plutôt minime, comparé au cercle 2 . C'est à peu près ce que je peux

22 faire.

23 M. le Président. - Le témoin a répondu.

24 M. Hayman (interprétation). - Seriez-vous d'accord pour dire

25 qu'il y avait des centaines de maisons dans le village dans son ensemble ?

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1 M. Lanthier. - Des centaines me semble un peu élevé, comme

2 chiffre. Je voudrais regarder la photo plus en détail, je ne pourrais pas

3 vous dire un nombre de maisons sur l'étendue du village.

4 M. Hayman (interprétation). - Pourrait-on donner au témoin la

5 pièce 334 , s'il vous plaît ?

6 (L’huissier s’exécute)

7 Vous avez dit que, le 21 ou le 22 avril 1993, vous vous êtes

8 rendu dans les villages qui apparaissent sur la pièce 334. A l'exclusion

9 du village de Rotilj, dont nous avons déjà parlé, je crois vous avoir

10 entendu dire, mais je voudrais le vérifier, qu'il n'y avait pas

11 d'habitants dans les cinq autres villages marqués sur la pièce 334, au

12 moment où vous vous y êtes rendu, le 21 et le 22 avril 1993.

13 M. Lanthier. - Dans les maisons que j'ai vues et dans les

14 endroits où je suis passé, à l'exception du Nord de Gromiljak, je n'ai

15 effectivement rencontré personne dans les maisons et les endroits que j'ai

16 visités. Je n'ai pas visité chaque maison. Il faut comprendre qu'à ce

17 moment, même si l'attaque n'était plus en cours, j'étais la cible de tirs.

18 A plusieurs reprises, j'ai été obligé "d'embrasser le plancher des vaches"

19 pour éviter d'être frappé. Ce n'était pas nécessairement une tâche facile,

20 pour moi, d'inspecter la totalité des villages. J'ai observé ce que j'ai

21 vu et je n'ai pas vu de signe de vie autre que celui du bétail, dont j'ai

22 fait mention précédemment.

23 M. Hayman (interprétation). - Pouvez-vous nous dire, s'agissant

24 des cinq villages indiqués sur la pièce 334, à l'exclusion de Rotilj,

25 quelle est la proportion, ou un pourcentage, des maisons incendiées à

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1 l'occasion de votre visite ?

2 M. Lanthier. - La très grande majorité. Un pourcentage en

3 chiffre, je ne saurai vous le donner, mais la très grande majorité.

4 M. Hayman (interprétation). - Dans chacun de ces villages, c'est

5 ce que vous dites ?

6 M. Lanthier. - D'après ce dont je me souviens. Je suis certain

7 que si l'on regarde une photo aérienne, on pourra déterminer précisément

8 ce qu'il en est.

9 M. Hayman (interprétation). - Vous dites que vous êtes allé voir

10 M. Bradara après cette inspection, que vous vous êtes entretenu avec lui

11 et qu'il vous a donné des explications dont vous n'étiez pas satisfait ;

12 est-ce que je me trompe ?

13 M. Lanthier. - Le terme "inspection" est peut-être un peu fort.

14 Je n'ai pas inspecté comme tel, j'ai plutôt constaté de visu ce que je

15 pouvais constater. Les explications de M. Bradara, que vous avez

16 mentionnées, m'ont semblé très improbables. C'était mon opinion, suite à

17 notre entretien.

18 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous des informations

19 concernant la brigade de Kiseljak ou le groupe à Kiseljak et ce que celui-

20 ci aurait pu dire au colonel Blaskic concernant les événements survenus

21 dans la municipalité de Kiseljak à ce moment-là ?

22 M. Lanthier. - Je ne suis pas certain de vraiment bien

23 comprendre votre question. Vous demandez si je suis au courant de ce que

24 le quartier général de Kiseljak aurait répondu à Vitez au sujet de cette

25 question ? J'ai du mal à saisir votre question.

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1 M. Hayman (interprétation). - Je reformule ma question. Avez-

2 vous des informations concernant ce que la brigade de Kiseljak ou le

3 groupe opérationnel de Kiseljak, aurait pu rapporter au colonel Blaskic à

4 propos des événements survenus, étant donné la réponse fournie par

5 M. Bradara, lequel vous a dit que ces éléments étaient localisés et commis

6 par des personnes isolées ?

7 M. Lanthier. - Je n'ai aucun rapport de ce qui a été communiqué

8 vers le haut de la chaîne de commandement.

9 M Hayman (interprétation). - Vous avez dit avoir vu Rotilj, plus

10 tard, et vous y êtes rendu chaque semaine ; était-ce lors de votre

11 deuxième séjour ou durant le premier séjour ?

12 M. Lanthier. - C'est lors du premier séjour, suite aux

13 événements qui ont eu lieu vers le 18 avril, dans la semaine qui a suivi.

14 J'ai commencé à faire des visites hebdomadaires à Rotilj.

15 M Hayman (interprétation). - Savez-vous si, au moment de votre

16 deuxième séjour, les habitants de Rotilj recevaient une aide alimentaire

17 régulière de Caritas ou de Merhamet ?

18 M. Lanthier. - Je ne pourrais pas vous dire quel était

19 l'organisme qui a fourni l'aide humanitaire. C'était Merhamet du côté

20 musulman ou Caritas. Je ne peux pas vous le dire. Pour ce qui est de la

21 teneur et de la quantité d'aide humanitaire reçue, encore là, je serais

22 incapable de citer les quantités reçues.

23 M Hayman (interprétation). - A la caserne de Kiseljak, avez-vous

24 vu des détenus ?

25 M. Lanthier. - Je n'ai pas vu les détenus. Je me reprends...

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1 j'ai vu des enfants qui jouaient sur le parterre à l'avant. Mon impression

2 a été qu'ils étaient détenus. C'est également ce que M. Bradara m'a dit :

3 "qu’ils étaient détenus pour leur sécurité". Je n'ai pas vu autre chose

4 que des enfants jouant à l'extérieur. J'ai vu d’autres signes, pour

5 employer l'expression anglaise "tell tale signs", qui m'indiquaient la

6 présence de femmes dans les baraques de Kiseljak. Donc j'ai seulement vu

7 des enfants, mais M. Bradara a admis que, pour leur propre sécurité, selon

8 lui, des personnes étaient détenues dans les baraques de Kiseljak.

9 M Hayman (interprétation). - Vous avez décrit les fournitures et

10 les produits que l'on pouvait trouver en abondance dans l'enclave de

11 Kiseljak ; avez-vous jugé que les conditions étaient différentes dans

12 l'enclave de Busovaca pendant votre premier séjour, lorsque vous vous êtes

13 rendu dans cette enclave, pour ce qui est donc des produits disponibles à

14 des prix raisonnables, notamment cigarettes, essence, bière, chocolat,

15 etc. ? Est-ce que c'était différent de Kiseljak ?

16 M. Lanthier. - Busovaca n'était pas dans mon secteur de

17 responsabilité. J'ai voyagé à travers Busovaca, mais je ne m'y suis pas

18 vraiment arrêté, à part pour les quelques réunions dont je vous ai parlé.

19 Je n'ai pas entretenu de liaisons avec les autorités civiles ou

20 militaires. Mon souvenir de Busovaca est un peu moins bon que celui de

21 Kiseljak. J'y ai passé beaucoup moins de temps. Donc, de façon précise, je

22 ne pourrais pas vous dire si Busovaca était aussi bien nanti que Kiseljak.

23 D'après ce dont je me souviens, ma réponse serait non, il n'était pas

24 aussi bien nanti que Kiseljak, mais les détails sont flous dans mon

25 esprit.

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1 M Hayman (interprétation). - Pouvez-vous dire aux Juges s'il y a

2 eu un territoire contrôlé par l'armée serbe de Bosnie était adjacent à

3 l'enclave de Vitez-Busovaca, de même qu'il y avait ce genre de territoires

4 limitrophes à l'enclave de Kiseljak ?

5 M. Lanthier. - D'après ce dont je me souviens, la section Est,

6 certainement pas. Pour ce qui est de la section Ouest, je ne pourrais pas

7 visualiser le tracé des lignes de front. Je n'en ai pas le souvenir.

8 M Hayman (interprétation). - Avez-vous jamais reçu des

9 informations ou des rapports concernant ceux qui profitaient de la vente

10 de produits pétroliers ou d'autres produits entrés en contrebande ? Qui

11 donc, dans l'enclave de Kiseljak, profitait de ces activités ?

12 M. Lanthier. - Je ne peux pas dire qu'il s'agissait uniquement

13 de contrebande, savoir qui en bénéficiait, à moins qu'il y ait eu des

14 pressions sur les commerçants qui vendaient des marchandises et qui

15 avaient une ristourne qu'ils devaient retourner à ceux qui organisaient

16 les convois. Cela, je serais incapable de vous le dire, mais à mes yeux,

17 c'était beaucoup plus que de la contrebande, c'était organisé par les

18 autorités et il ne s'agissait pas uniquement de marchandises emportées en

19 cachette des autorités. C'était sanctionné et les propos que Mario Bradara

20 a eus avec moi m'indiquaient clairement que c'était connu et sanctionné.

21 Si cela avait été de la contrebande, cela n'aurait pas été sanctionné.

22 C'est une impression.

23 M Hayman (interprétation). - Passons à votre deuxième séjour et

24 à la situation que vous avez décrite à Fojnica et aux alentours de

25 Fojnica. S'agissant de ces deux hôpitaux psychiatriques, ils avaient été

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1 sous administration civile ou militaire, la première fois où les

2 événements pertinents ont été appelés à votre attention ?

3 M. Lanthier. - Ils étaient sous autorité civile. Un

4 administrateur civil en avait la charge. Il y en avait un dans chaque

5 hôpital, finalement.

6 M Hayman (interprétation). - Est-il vrai que vous n'étiez pas

7 présent lors de la première chute de Fojnica ?

8 M. Lanthier. - Effectivement, cela s'est produit, d'après ce que

9 l'on m'a rapporté, au printemps et au tout début de l'été 1993. Moi, à ce

10 moment-là, j'étais en manoeuvre au Canada. C'est le briefing que j'ai reçu

11 lorsque l'on a fait la passation des responsabilités entre les deux

12 groupements tactiques, en octobre 1993.

13 M Hayman (interprétation). - Vous avez dit que des maisons

14 étaient incendiées pendant ces événements-là ; savez-vous s'il s'agissait

15 de maisons musulmanes ou de maisons croates ?

16 M. Lanthier. - Je l'ignore. Tout ce que l'on m'avait rapporté,

17 c'est que des maisons avaient été brûlées par les forces croates en

18 retrait. Je ne me hasarderai pas à faire une supposition sur l'origine et

19 l'appartenance de ces maisons.

20 M Hayman (interprétation). - Plus tard, dans le courant du mois

21 de novembre, vous avez décrit de nouvelles difficultés dans ces hôpitaux ;

22 étiez-vous là ou avez-vous reçu des rapports venant d'autres, concernant

23 ces activités ?

24 M. Lanthier. - Si vous faites référence à l'attaque ou à

25 l'offensive lancée par le HVO au tout début novembre, je n'étais pas là.

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1 C'était en soirée ; nous avions des troupes canadiennes qui répondaient

2 directement aux forces de commandement, à cause de l'importance de ce qui

3 se passait et de l'urgence de la situation. J'étais dans le poste de

4 commandement du régiment. Ce poste de commandement du régiment est en

5 contact direct avec les troupes donc je suis capable de suivre le

6 développement de la situation. La raison pour laquelle je suis sûr

7 directement, c’est que si la situation s'aggravait, même si on était en

8 soirée, je pouvais, alors, à ce moment-là, avoir un rapport à date complet

9 sur la situation et me déplacer à Kiseljak pour essayer d'intervenir

10 auprès du quartier général de Kiseljak si le besoin s’en faisait sentir.

11 Evidemment, voyager à la faveur de la nuit, en Bosnie centrale, pour la

12 Forpronu, était très risqué. Les quelques occasions où on l'a fait, je ne

13 me souviens pas d'avoir réussi à passer à travers un point de contrôle

14 d'aucune des factions, l'accès de nuit était toujours refusé. Mais j'étais

15 dans le PC régimentaire pour suivre sur les radios le déroulement des

16 événements qui nous étaient rapportés par notre peloton qui était en

17 place.

18 M Hayman (interprétation). - Encore une fois, ma question est

19 très simple : étiez-vous là ? Je vais poser une autre question courte et

20 je vous demanderai de vous concentrer au mieux sur cette question. Êtes-

21 vous jamais allé pendant l'offensive de novembre à l'hôpital ou avez-vous

22 accompagné un convoi, avez-vous une connaissance personnelle de ces

23 événements ?

24 M. Lanthier (interprétation). - Je n'ai pas vu de mes yeux vu

25 l'attaque, j'ai une connaissance personnelle car j'ai entendu les rapports

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1 des hommes sur le terrain, j'ai entendu leur voix sur les radios.

2 M. Hayman (interprétation). - Les rapports que vous avez reçus

3 sur ces événements étaient-ils écrits ou oraux ?

4 M. Lanthier (interprétation). - Si c'est sur les ondes, c'est

5 oral. Il y a peut-être votre manque de connaissance des systèmes de

6 communication. Il s'agit d'une radio VHF donc on parle à un endroit, c'est

7 transmis, c'est une onde à très haute fréquence qui est transmise donc la

8 radio, c'est émetteur/récepteur. Sur le récepteur, au poste de

9 commandement, on reçoit les rapports et les comptes rendus oraux en temps

10 réel transmis par la personne qui est à l'émetteur.

11 M. Hayman (interprétation). - S'agissant des soldats qui sont

12 entrés dans l'un des hôpitaux, savez-vous s'il s'agissait d'un peloton,

13 d'un groupe plus large ou de soldats isolés ? Combien de soldats sont

14 entrés dans cet hôpital, si vous le savez ?

15 M. Lanthier (interprétation). - Tout ce que je peux vous dire

16 d'après les rapports que j'ai entendus, c'est que le poste de commandement

17 du peloton qui était là nous a rapporté que des soldats avaient pénétré

18 dans l'hôpital et faisaient feu à partir de l'hôpital. Je ne suis donc pas

19 en mesure de vous donner le nombre de soldats.

20 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit qu'un peloton se

21 trouvait là. Vous faites référence au peloton CanBat ?

22 M. Lanthier (interprétation). - Effectivement, on avait

23 l'équivalent d'une trentaine de personnes pour s'occuper de l'hôpital et

24 ce sont eux qui faisaient les rapports. Je ne peux pas vous donner le

25 nombre de soldats du HVO qui ont utilisé l'hôpital ou s'ils faisaient

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1 partie d'un peloton, d'une compagnie ou d'un bataillon.

2 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous reçu des informations

3 comme quoi des patients avaient été blessés dans l'hôpital ou aux

4 alentours de l'hôpital lors de ces événements que vous avez décrits ?

5 M. Lanthier (interprétation). - Heureusement, non. Nos soldats,

6 lorsque la situation s'est déclarée, ont déplacé les patients vers les

7 étages supérieurs comme je l'ai déjà dit. Leur présence d'esprit a permis

8 d'éviter que des patients soient blessés. J'ignore si, effectivement, ils

9 ont prévenu toutes les blessures : l'hôpital même a été la cible des

10 forces du BiH qui ont répondu aux tirs qui provenaient de l'hôpital.

11 J'ignore s'il peut y avoir eu un fragment ou un morceau de shrapnel qui

12 peut avoir blessé quelqu'un. Mais de prime abord, nos soldats ont déplacé

13 les patients pour éviter une telle situation.

14 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit qu'il y avait des

15 allégations comme quoi des armes chimiques avaient été utilisées durant le

16 conflit en novembre 1993 à Fojnica et aux alentours. Quelle est la partie

17 qui aurait utilisé ces armes chimiques ?

18 M. Lanthier (interprétation). - Juste pour être précis sur cela,

19 c'est le BiH qui a rapporté que le HVO les aurait utilisées. Notre enquête

20 ne nous a pas permis de trouver quelque chose et la conclusion que le

21 bataillon canadien en a tirée est qu'il n'y avait eu aucune utilisation de

22 gaz chimique. Mais c'est un rapport qu'on a reçu. Je n'ai même pas amené

23 le point à personne parce que notre enquête n'a absolument pas permis de

24 divulguer. On a des Sony-cam, c'est un appareil qui permet de détecter

25 l'utilisation de ces produits. Lorsqu'on a fait appel à ces appareils, on

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1 n'a rien trouvé, absolument aucune preuve que de tels agents chimiques ont

2 été utilisés.

3 M. Hayman (interprétation). - Vous avez parlé d'allégations

4 comme quoi des patients étaient envoyés dans des champs de mines pour

5 déceler la présence de mines. Cela vous a-t-il été rapporté par d'autres

6 membres du CanBat comme étant des activités qu'ils avaient vues ou des

7 activités qui leur avaient été rapportées par des patients des hôpitaux

8 psychiatriques, si vous connaissez la réponse ?

9 M. Lanthier (interprétation). - Pour revenir dans le temps,

10 lorsqu'on a fait les exposés de passation de responsabilité, on nous a dit

11 que ceci s'était produit. J'ignore si ces activités ont été rapportées pas

12 des patients aux membres du CanBat qui nous ont donné l'exposé ou si

13 c'était de visu. Par contre, je sais que, dans un cas particulier, ce sont

14 nos soldats qui ont été témoins de ce qui s'était passé : une patiente

15 âgée avait été emmenée par les soldats du HVO.

16 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit à un moment

17 particulier, "un soldat était témoin". Qu'entendez-vous par ce moment ?

18 M. Lanthier (interprétation). - Cela doit être la traduction. Le

19 sens s'est un peu perdu. Ce que je disais, c'est que dans une circonstance

20 précise, il ne s'agit pas d'un compte-rendu, c'est un soldat, un des

21 membres du bataillon canadien a été témoin de la scène.

22 M. Hayman (interprétation). - Et cela consistait à envoyer un

23 patient dans un champ de mines ?

24 M. Lanthier (interprétation). - Effectivement.

25 M. Hayman (interprétation). - Le patient était-il musulman ou

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1 croate, le savez vous ou vous l'a-t-on indiqué ?

2 M. Lanthier (interprétation). - Cela n'a pas vraiment

3 d'importance pour nous. Je ne me souviens pas qu'on m'ait dit l'origine

4 ethnique du patient.

5 M. Hayman (interprétation). - Les convois que vous avez décrits

6 qui ont été attaqués, qui ont essuyé des coups de feu en allant vers

7 l'hôpital de Bakuvice et vers Drin, étaient-ce des convois du HCR ?

8 M. Lanthier (interprétation). - Non, comme je l'expliquais, la

9 route lorsqu'on tournait vers l'ouest à partir de Kiseljak, la route

10 Kiseljak-Busovaca qui monte vers le nord-ouest et la route pour aller à

11 Fojnica qui se dirige seulement vers l'ouest et qui court vers le sud-

12 ouest, la première portion de cette route-là était sous le contrôle du

13 HVO. Et après cela, on tombait dans un no man's land, cette portion était

14 constamment sous le feu. Pour cette raison, nous avions fortement

15 recommandé au HCR de ne pas utiliser des camions et des véhicules civils,

16 à cause du danger implicite d'être attaqués. Donc il s'agissait de nos

17 propres véhicules, des véhicules militaires. Ce qui n'excuse absolument

18 pas l'acte, étant donné que, à chaque fois qu'on avait un convoi, j'avais

19 une autorisation écrite. Il était connu que c'était de l'aide humanitaire

20 qui provenait du HCR mais véhiculés dans des véhicules du bataillon

21 canadien. Les forces en place, c'est-à-dire le HVO, savait très bien la

22 nature du convoi et l'origine des biens transportés dans ce convoi.

23 M. Hayman (interprétation). - Pourrait-on apporter le chevalet,

24 je voudrais poser quelques questions ?

25 (L'huissier s'exécute)

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1 Entre temps, vous avez dit qu'à votre connaissance, il n'y avait

2 pas de présence de l'armée BiH dans l'enclave de Kiseljak. Vous vous

3 rappelez avoir dit cela ?

4 M. Lanthier (interprétation). - Il n'y a pas d'unité formée du

5 BiH qui opérait à l'intérieur de l'enclave de Kiseljak, effectivement.

6 M. Hayman (interprétation). - A quels moments, au singulier ou

7 au pluriel, pensez-vous lorsque vous faites cette déclaration : est-ce que

8 c'est l'entière période de vos deux séjours ou faut-il être plus précis ?

9 M. Lanthier (interprétation). - Pour la durée de mon séjour, de

10 mon arrivée au printemps 1993 et lors de mon deuxième séjour,

11 d'octobre 1993 à mai 1994.

12 M. Hayman (interprétation). - Durant vos deux séjours, vous

13 dites ?

14 M. Lanthier (interprétation). - Effectivement.

15 M. Hayman (interprétation). - Savez-vous ce qu'est la Défense

16 territoriale ou la TO ?

17 M. Lanthier (interprétation). - Oui, le concept m'est familier.

18 M. Hayman (interprétation). - Y avait-il des unités de la TO

19 dans l'enclave de Kiseljak pendant l'une ou l'autre de vos deux périodes

20 de service ?

21 M. Lanthier (interprétation). - Il n'y avait pas, à ma

22 connaissance, d'unité formée pour la Défense territoriale. Si on peut dire

23 comme cela, il restait des hommes d'origine ethnique musulmane qui

24 vivaient toujours dans la poche de Kiseljak. Comme j'ai dit, il n'était

25 pas rare, il était même très fréquent que ces hommes-là possèdent des

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1 armes personnelles, des armes de chasse. A ce moment-là, il est fort

2 probable, si une attaque était lancée contre un village, que ces hommes-là

3 protègent leur propre famille.

4 Si on veut dire maintenant que l'ensemble de ces hommes

5 constituait une unité formée qui répond à une chaîne de commandement qui

6 appartient au BiH, non je ne suis pas d'accord avec une ligne de pensée

7 comme celle-là.

8 M. Hayman (interprétation). - Pourrait-on placer la pièce 125 à

9 disposition du témoin, s'il vous plaît, sur l'autre sur le

10 rétroprojecteur ? Ce document, capitaine, est en langue BSC, c'est un

11 document qui se veut un schéma organisationnel de la Défense territoriale

12 ou de la TO, des unités de la TO dans certains endroits de Bosnie-

13 Herzégovine, y compris pour la municipalité de Kiseljak. Je vais demander

14 à mon confrère de lire les noms des endroits qui sont écrits sous

15 l'encadré, la case qui porte le nom de Kiseljak en bas au centre du

16 document.

17 M. Nobilo (interprétation). - Le titre de tout le document est

18 "Quartier général municipal des forces armées" et nous y trouvons les

19 unités qui dépendent du quartier général des forces armées de Kiseljak, au

20 niveau municipal. Si nous lisons au centre, nous voyons "l'unité de

21 Kiseljak, l'unité du 4 juillet, l'unité de Rotilj, l'unité de Palej et

22 l'unité de Palejcupria. A droite, nous voyons Topole, Radanovic, Han

23 Ploca, l'unité Lepeniza, l'unité Bukovica et, à gauche, l'unité Gromiljak,

24 l'unité Brestovsko et l'unité Bilalovac.

25 M. Hayman (interprétation). - Je suppose, Capitaine, que vous

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1 seriez surpris d'apprendre qu'il existait des unités de la Défense

2 territoriale dans ces localités en 1992 et 1993 ?

3 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Président, ferme

4 objection à ce stade. Ce document n'a pas été versé au dossier, le témoin

5 ne l'a pas reconnu hier, ce témoin ne l'a jamais vu, il ne comporte aucune

6 date, il ne peut pas être situé dans le temps. Il est absolument absurde

7 d'interroger ce témoin pour savoir s'il connaît quoi que ce soit au sujet

8 de ce document.

9 M. Hayman (interprétation). - Ce qui est important, Monsieur le

10 Président, c'est que si le témoin ne peut pas le reconnaître, cela soit

11 consigné au procès-verbal car si, finalement, ce document s'avère être

12 authentique et représenter la réalité de la situation dans des périodes

13 pertinentes, ce sont des informations nécessaires aux Juges. Maintenant,

14 si le témoin n'a pas d'information à ce sujet, je crois que les Juges

15 doivent en être informés, mais c'est mon avis.

16 M. le Président. - En tout cas, l'avis des Juges, hier, a été de

17 dire -et je crois qu'à l'avenir nous nous tiendrons à cette règle- qu'il

18 convient d'abord que le document soit admis ou non, en tout cas que le

19 débat sur l'admission du document ait lieu. Nous n'allons pas discuter à

20 perte de vue sur un document qui, en fin de compte, ne serait pas admis.

21 D'autre part, ce document... Oui ? Monsieur le Greffier me signale qu'il a

22 été admis, Maître Cayley.

23 M. Cayley (interprétation). - Ce que j'avais compris et ce que

24 mon confrère Maître Harmon avait compris, c'est qu'il n'avait pas été

25 admis.

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1 M. le Président. - Monsieur le Greffier.

2 M. Dubuisson. - En ce qui concerne le document D125, hier, il a

3 été dit que le témoin n'avait pas reconnu ce document parce qu'il ne

4 l'avait jamais vu. Cependant, le cachet était le même que la pièce D124

5 et, de ce fait, la Chambre a admis la pièce D125.

6 M. le Président. - De toute façon, le débat était valable pour

7 le témoin d'hier. La question ici, c'est -j'interroge maintenant le

8 témoin- est-ce que cette pièce, vous pouvez l'identifier, soit par le

9 tampon soit par les données, soit par son contenu ?

10 M. Lanthier (interprétation). - Je n'ai pas vu le document comme

11 tel. Le timbre est extrêmement flou, il n'est pas daté, on reconnaît le

12 symbole au centre. En revanche, lors de la durée de mon séjour, je n'ai

13 jamais vu un tampon qui identifiait l'armée du BiH avec ce que je vois

14 ici, bien que cela ne soit pas complet, qui est Kiseljak. Donc, je ne

15 reconnais pas le document.

16 M. le Président. - Donc ce document n'est pas reconnu par vous ?

17 M. Lanthier. - Je ne le reconnais pas, en effet.

18 M. le Président. - Ce document n'étant pas reconnu, il n'est pas

19 admis. Ce n'est donc pas la peine de discuter plus avant sur un document

20 pas admis. Par contre, vos observations sont consignées au procès-verbal.

21 M. Lanthier. - Puis-je faire une observation ?

22 M. le Président (interprétation). - Oui, faites une observation.

23 M. Lanthier. - Je crois personnellement, ayant discuté avec la

24 majorité des autorités civiles et militaires sur le terrain, en

25 particulier, à propos de Bilalovac, de Kacuni et d'autres municipalités,

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1 que si ces forces de défense avaient toujours été présentes, les

2 représentants et les autorités en place m'en auraient certainement glissé

3 un mot. Donc je n'étais pas au courant et j'ai affirmé que des unités

4 organisées n'existaient pas et l'une des raisons qui me force à croire

5 cela, c'est qu'ayant parlé aux autorités municipales de ces différents

6 lieux, on ne m'a jamais dit que des forces territoriales existaient. Or,

7 je pense, étant donné la nature de mes relations avec les autorités

8 municipales, qu'on me l'aurait indiqué. C'est l'observation que je voulais

9 faire, Monsieur le Président.

10 M. le Président. - Cette observation vous satisfait-elle, Maître

11 Hayman ?

12 M. Hayman. - Le témoin a répondu à la question. Je vous remercie

13 d'avoir autorisé le témoin à verser sa réponse au dossier. Merci,

14 capitaine.

15 M. le Président (interprétation). - Poursuivez. Passons à une

16 autre question.

17 M. Hayman (interprétation). - Oui, c'est ce que je vais faire,

18 Monsieur le Président. Vous avez décrit la chaîne de commandement du HVO,

19 telle que vous l'avez perçue. Savez-vous si l'un des objets de la

20 Commission mixte de Busovaca était d'envoyer des commandants sur le

21 terrain pour tenter de convaincre les commandants locaux et les soldats

22 d'obéir, d'obtempérer aux ordres de cessez-le-feu émanant du

23 colonel Blaskic et du général Haniasanovic du 3ème corps d'armée. Etait-ce

24 l'un des objets de la Commission mixte de Busovaca ?

25 M. Lanthier. - Je n'arrive pas à me rappeler si c'était l'un des

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1 points précis de la Commission, malheureusement.

2 M. Hayman (interprétation). - Etes-vous d'accord avec la

3 qualification suivante ? Je cite : "Soudain une colonne très importante de

4 civils très désespérés est apparue à Vitez. Ce n'étaient pas des soldats,

5 très peu avait eu une formation, ils pouvaient porter des armes, mais à

6 peine. C'était en fait des civils qui portaient un uniforme". Je cite

7 l'ouvrage "Broken lines" du colonel Steward, page 92. Etes-vous d'accord

8 avec cette qualification qui concerne certains des soldats HVO ?

9 M. Lanthier. - Je n'ai pas eu le plaisir de lire l'ouvrage du

10 colonel Steward. C'est un extrait pris hors contexte. De quelle période

11 parle-t-on exactement ? Il est difficile pour moi de le qualifier ou

12 d'assurer la véracité de ce commentaire du Colonel Steward dans ce cas-là.

13 L'autre point que je voudrais indiquer, c'est que je n'opérais pas à

14 Vitez. Je suis passé à Vitez à quelques occasions pour aller au bataillon

15 britannique ou au quartier général de Vitez, mais Vitez ne faisait pas

16 partie de mon secteur de responsabilité. Je ne pense pas être apte à

17 répondre à la question.

18 M. le Président. - Passez à une autre question, Maître Hayman.

19 M. Hayman (interprétation). - Vous nous avez dit que Vinko Lukic

20 était l'officier de liaison posté à Kiseljak par le Commandement central

21 du HVO de Mostar. Est-ce exact ?

22 M. Lanthier. - C'est effectivement sous cette qualité qu'il

23 s'est présenté à moi.

24 M. Hayman (interprétation). - Et vous avez compris que cela

25 signifiait qu'il était directement responsable du commandement de HVO de

Page 8569

1 Mostar, c'est bien cela ,

2 M. Lanthier. - Effectivement, c'est une pratique commune de

3 détacher des officiers de liaison dans différents quartiers généraux. La

4 liaison doit s'effectuer du haut vers le bas et de la droite vers la

5 gauche. Ce sont les principes militaires pour la liaison.

6 M. Hayman (interprétation). - Est-il exact également que pendant

7 le laps de temps pendant lequel vous aviez des contacts avec Vinko Lukic,

8 vous n'aviez aucun contact avec des officiers de liaison responsables de

9 la zone opérationnelle de Bosnie centrale, c'est bien cela ?

10 M. Lanthier. - Je n'ai eu aucun contact, parce que l'on m'a dit

11 que mon point de contact serait Vinko Lukic et uniquement Vinko Lukic. Je

12 ne suis pas en mesure de vous dire pourquoi on m'a imposé cette

13 restriction. C'est une constatation et c'est un fait avec lequel j'ai dû

14 vivre. Lukic n'était pas un commandant, il était officier de liaison. Donc

15 j'aurais du mal à vous dire pourquoi on a mis Lukic là. Cela n'a jamais

16 été clair dans mon esprit comme jamais n'a été claire la raison pour

17 laquelle je devais travailler avec Lukic plutôt qu'avec le commandant qui

18 était responsable de la zone dans laquelle le bataillon canadien était

19 situé.

20 M. Hayman (interprétation). - Merci. Vous avez dit avoir

21 emprunté un chemin de terre entre Vitez et Kiseljak. Vous vous rappelez

22 cette partie de votre déposition et vous avez dit avoir emprunté ce chemin

23 de terre une fois. Pouvez-vous nous dire en étant aussi précis que

24 possible, à quel moment vous avez emprunté ce chemin de terre, à quelle

25 période ?

Page 8570

1 M. Lanthier. - A ce moment-là, cela aurait été tout à fait à la

2 fin avril, début mai 1993.

3 M. Hayman (interprétation). - Je vous invite maintenant à

4 regarder les cartes. Il y a deux cartes superposées : l'une qui montre la

5 région de Vitez, Busovaca, et l'autre, la région de Kiseljak. Donc je vous

6 invite, si vous le souhaitez, à regarder ces cartes avant de répondre à ma

7 question. Mais dites-moi, s'il vous plaît, la route quitte Vitez vers le

8 sud. Passe-t-elle par Krucica ? Si vous voulez, vous pouvez regarder sur

9 la carte pour situer Krucica, n'hésitez pas.

10 M. Lanthier. - Je ne vais pas faire perdre du temps à la Cour.

11 J'ai tenté, quand je me suis préparé à venir ici, de retrouver la route.

12 Comme je l'ai expliqué, les cartes topographiques que j'utilisais étaient

13 des photocopies. J'ai souvenance approximativement de la route qui part du

14 sud de Vitez et qui se dirige initialement vers le Sud et coupe ensuite

15 vers le Sud-Est. Je ne suis pas capable -j'ai tenté d'analyser la carte-

16 de vous retracer la route. En revanche, si vous avez une photo aérienne,

17 qui est à l'altitude appropriée, je suis certain qu'on est capable de

18 retracer et de trouver cette route-là. Je vois le marqueur dans vos mains,

19 je serais incapable de vous retracer la route sur la carte.

20 M. Hayman (interprétation). - Etes-vous en train de dire que

21 vous ne pourriez pas dessiner ce chemin de terre sur une carte

22 topographique comme celle de la JNA qui montre la région de Zenica ?

23 M. Lanthier. - Comme je l'ai dit dans mon témoignage tôt ce

24 matin, on m'avait informé qu'une route existait, je l'ai trouvée presque

25 par hasard en tâtonnant sur le terrain. Je suis arrivé à une intersection

Page 8571

1 de deux sentiers, j'ai décidé de tourner à droite plutôt qu'à gauche et

2 j'ai navigué à l'aveuglette, car ma carte ne me permettait pas de le

3 faire. Je suis incapable de vous redessiner ce chemin sur la carte.

4 M. Hayman (interprétation). - Nous allons passer à d'autres

5 questions et je demanderai à mon confrère de la défense de rechercher un

6 transparent et de demander l'aide de l'huissier pour localiser plusieurs

7 photographies aériennes. Je sais que plusieurs figurent au dossier. Une

8 photo aérienne de la région de Vitez permettrait au témoin de tracer au

9 moins le début de ce chemin de terre, de façon à nous permettre d'en

10 déterminer l'origine.

11 (L'huissier s'exécute)

12 Je n'ai plus beaucoup de questions, Monsieur le Président, donc

13 je passe à mes autres questions et peut-être mon confrère pourra-t-il

14 trouver cette pièce.

15 M. le Président. - D'abord, demandez bien la confirmation au

16 capitaine Lanthier que peut-être avec une photo aérienne il arriverait à

17 retrouver ce chemin.

18 M. Lanthier. - Si vous avez une photo aérienne qui couvre de

19 Vitez jusqu'à l'enclave de Kiseljak, il y aura possibilité de retrouver la

20 route qui va de l'une à l'autre.

21 M. le Président. - Maintenant, poursuivez vos questions, Maître

22 Hayman.

23 M. Hayman (interprétation). - Merci. Je vous demande de bien

24 vouloir excuser l'absence de M. Nobilo pendant quelques instants, il va

25 rechercher la pièce nécessaire. Pouvez-vous nous parler d'une quelconque

Page 8572

1 occasion pendant l'un ou l'autre de vos deux séjours où un membre du HVO a

2 utilisé ce chemin de terre ?

3 M. Lanthier. – Je n'ai pas de connaissances personnelles et je

4 n'ai accompagné personne du HVO qui aurait effectivement utilisé cette

5 ligne-là. Ma constatation c'était que tout simplement une route existait.

6 M. Hayman (interprétation). – Savez-vous si cette route

7 traversait des territoires sous contrôle de l'armée de Bosnie-

8 Herzégovine ?

9 M. Lanthier. – Oui, parce que, comme on y a fait allusion

10 précédemment, des forces du BiH entouraient les enclaves. Le point que je

11 tiens à souligner ici, c'est qu'il ne s'agit pas de positions défensives

12 continues. Autrement dit, on n'a pas un système de tranchées et

13 d'obstacles qui font la totalité de ce périmètre. Donc, il est possible,

14 dans de bonnes conditions, de voyager selon moi d'un endroit à l'autre

15 même si on traverse à certains moments des territoires qui peuvent être

16 contrôlés par d'autres.

17 M. Hayman (interprétation). - Vous avez décrit le niveau de

18 coopération dont vous avez bénéficié de la part de l'armée de Bosnie-

19 Herzégovine par rapport à celui dont vous avez bénéficié de la part du

20 HVO, y a-t-il eu des circonstances durant lesquelles pendant l'un ou

21 l'autre de vos deux séjours, vous avez eu nécessité de faire appel à des

22 forces de combat contre des combattants ?

23 M. Lanthier. - Pour être certain que j'ai bien compris la

24 question, vous voulez savoir si on a été appelé à déployer nos éléments

25 canadiens contre l'une des deux ou l'une des trois factions belligérantes.

Page 8573

1 Est-ce votre question ?

2 M. Hayman (interprétation). - Ma question était : est-ce que des

3 circonstances ont surgi pendant l'un ou l'autre de vos deux séjours où le

4 bataillon canadien a été appelé à tirer sur des soldats de l'armée de

5 Bosnie-Herzégovine, sur des Croates, sur des membres du HVO, sur des

6 membres de l'une ou l'autre des deux factions belligérantes ? Est-ce que

7 cela est apparu et devenu nécessaire à un moment ou à un autre ?

8 M. Lanthier. – Effectivement, le bataillon canadien, à quelques

9 reprises, a fait feu sur les trois factions belligérantes. On a même, à un

10 certain moment donné, conduit une opération de blocage au niveau d'équipes

11 de combat dans le cadre de la zone d'exclusion de Sarajevo. Donc, oui,

12 nous avons répondu pour notre protection, pour notre autodéfense par le

13 tir aux trois factions belligérantes.

14 M. Hayman (interprétation). - Vous nous avez donné votre avis,

15 vous nous avez dit que, selon vous, le HVO était engagé dans un nettoyage

16 ethnique systématique qui était illustré en partie par le massacre de

17 Stupni Do. J'aimerais vous demander si vous avez jamais reçu les

18 informations suivantes, et si ce n'est pas le cas, si le fait de les

19 recevoir va modifier votre opinion. Je vous lirai un extrait d'un résumé

20 quotidien de l'ECMM en date du 2 novembre 1993. Je peux fournir un

21 exemplaire de ce document aux Juges qui pourront lire en même temps que

22 moi et je souhaiterais qu'un exemplaire de ce document soit versé au

23 dossier.

24 (L'huissier s'exécute)

25 Au paragraphe 1, nous voyons les mots suivants : "HCC (je

Page 8574

1 suppose que c'est une référence à l'un des centres de l'ECMM dans la

2 région rencontrée, et là je ne cite pas le nom au cas où il ne devrait pas

3 être cité) membre du groupe opérationnel du BiH à Deravina qui a expliqué

4 après qu'on lui ait posé la question pourquoi le massacre de Stupni Do

5 avait eu lieu. Stupni Do était l'entrée locale dans le territoire contrôlé

6 par l'armée de Bosnie-Herzégovine, ce qui faisait de cet endroit un centre

7 très lucratif pour le marché noir. Les résidents de Stupni Do

8 connaissaient bien la situation, mais devaient payer un pourcentage de

9 leur gain au HVO. Au début du mois d'octobre, le HVO a exigé une

10 proportion beaucoup plus importante que jusqu'à ce moment-là et les

11 autorités de Stupni Do ont refusé d'augmenter le pourcentage.

12 Suite à cette réponse, les autorités du HVO de Kiseljak, de

13 Vares et de Kakanj ont coordonné les activités qui suivent. Ceux qui ont

14 été tués à cette Stupni Do ont été exécutés délibérément pour avoir

15 participé à des activités de marché noir. Les camions du HVO ont, à ce

16 moment-là, enlevé de la région le butin du HVO et tout ce qui avait de la

17 valeur et l'ECMM a déjà rendu compte de la situation du marché noir à

18 Stupni Do. Tout ce qui a été dit à ce sujet n'est pas forcément tout à

19 fait exact, mais en tout cas est plausible. (Fin de citation)

20 L'interprète. - Les interprètes n'ont pas eu le texte.

21 M. Hayman (interprétation). - Capitaine, avez-vous reçu des

22 informations de ce genre pendant votre deuxième séjour en Bosnie-

23 Herzégovine ?

24 M. Lanthier. – Non, je n'ai participé ni de près ni de loin à

25 l'enquête sur Stupni Do. Je sais pertinemment bien que nos policiers

Page 8575

1 militaires ont fait une enquête détaillée. Par contre, ce que je peux vous

2 dire -mais cela ne correspond pas à ce que je connaissais de la situation

3 de Stupni Do, comme je l'ai exprimé lors de mon témoignage ce matin- qu'à

4 la fin avril 1993 le commandant de la 304ème brigade de l'armée bosniaque,

5 des forces gouvernementales bosniaques située à Breza m'avait rapporté

6 qu'il craignait qu'une situation similaire à ce qui s'était passé à

7 Kiseljak et à Vitez se répète dans le coin de Vares, il m'avait demandé à

8 ce moment-là de bien aviser Vares et de ne pas conduire une telle

9 opération. Personnellement, j'étais allé à ce moment-là visiter Stupni Do

10 à la fin avril 1993. Entre autres, le rapport du commandant de la 304ème

11 brigade précisait que des "base plates" (c'est la base sur laquelle le

12 mortier est inséré pour le stabiliser) menaçaient Stupni Do.

13 Donc quand je suis allé visiter le village de Stupni Do, j'ai en

14 effet trouvé ces "base plates" qui étaient dans le territoire contrôlé par

15 le HVO et qui, en regardant la portée d'un mortier 80 mm, pouvaient

16 correspondent effectivement à une attaque du village de Stupni Do. Donc,

17 on parle là d'avril, donc sept mois avant que le massacre de Stupni Do aie

18 lieu et déjà certains indices semblaient indiquer cela. L'autre point qui

19 me fait douter un peu, peut-être pas douter, mais qui me laisse sceptique,

20 c'est que j'ignore l'auteur de ce document auquel vous faites référence.

21 Il s'agit d'une enquête. On fait allusion, si j'ai bien compris, au

22 rapport d'un individu et non pas à une enquête systématique menée par des

23 enquêteurs professionnels. Donc, est-ce une perception ? Je ne peux pas

24 vraiment vous dire. Je ne change pas d'opinion après avoir entendu la

25 lecture du document.

Page 8576

1 M. Hayman (interprétation). - J'ai encore quelques questions,

2 Monsieur le Président. Après quoi, j'aimerais que nous essayions de voir

3 si nous avons une carte qui conviendra. Vous avez dit que vous aviez

4 mandat pour traiter avec le HCR. Est-ce que le mandat des Nations Unies

5 consistait à maintenir la sécurité sur les routes vitales placées dans

6 votre zone de responsabilité, y compris à 500 mètres des deux côtés de

7 ces principales lignes de circulation ou routes ?

8 M. Lanthier. – Non, je n'ai pas l'énoncé de mission, c'est ainsi

9 qu'on en réfère au mandat, mais les grandes lignes étaient supportées dans

10 ces opérations en Bosnie-Herzégovine à ce moment-là. Il n'y avait pas de

11 définition pour tenir les voies de communications ouvertes ou dégagées à

12 500 mètres. De telles conditions n'étaient pas associées au mandat de la

13 Forpronu comme tel.

14 M. Hayman (interprétation). - Très bien. Puis-je demander au

15 greffier si les transparents ont pu être trouvés pendant les quelques

16 instants qui viennent de s'écouler.

17 M. Dubuisson. - Je pense avoir ce que vous voulez.

18 M. Hayman (interprétation). - Capitaine, pourriez-vous avoir

19 l'amabilité de vous lever pour regarder cette photo aérienne et nous dire

20 si vous estimez pouvoir nous montrer au moins le début de ce chemin de

21 terre à la sortie de Vitez, auquel cas nous placerons un film transparent

22 sur la photo aérienne, si vous êtes capable de nous dire de quel point

23 émane cette route dans la région de Vitez. Mais il n'y a pas de micro

24 autour de vous, capitaine. Donc, si vous êtes prêt à répondre, je crois

25 qu'il faudra à ce moment-là revenir au micro.

Page 8577

1 M. le Président. - On n'a pas de micro pour le capitaine ?

2 M. Dubuisson. – Non, il n'y a pas de micro disponible.

3 M. le Président. - Il faudrait que le capitaine se mette un peu

4 de côté, sinon les Juges ne voient plus rien, il faut qu'il se mette non

5 loin de son micro, de façon quand même à ce que la caméra puisse se

6 projeter sur la photo.

7 M. Lanthier. – Pourrais-je avoir accès à une carte topographique

8 qui corresponde à la région qui concerne ce site ?

9 M. le Président. - La défense va vous la fournir. Le greffier

10 pourrait-il nous donner la cote de cette pièce à conviction ?

11 M. Dubuisson. - Il s'agit de la pièce 45 du Procureur.

12 M. le Président. - Monsieur le Procureur, si vous voulez vous

13 approcher.

14 M. Cayley (interprétation). - Je crois que je vais attendre

15 Monsieur le Président, la fin de ce que va dire le capitaine Lanthier afin

16 de savoir s'il peut identifier la route.

17 M. Hayman (interprétation). - Pour le procès-verbal, le témoin a

18 sous les yeux la pièce à conviction identifiée par le greffier, ainsi

19 qu'une carte topographique intitulée Zenica 4 qui est une carte

20 topographique de la JNA, dont l'échelle est aux 50 millièmes et dont il a

21 déjà été question un peu plus tôt dans cette déposition.

22 M. le Président. - Prenez votre temps, cet exercice n'est pas

23 facile.

24 M. Hayman (interprétation). - Pendant que le capitaine examine

25 le document, Monsieur le Président, je demande que le résumé quotidien de

Page 8578

1 l'ECMM soit enregistré simplement, je ne demande pas encore son versement

2 au dossier, mais je pense qu'il faudrait l'enregistrer et j'aimerais en

3 remettre un exemplaire au greffe et au Bureau du Procureur pour être

4 juste.

5 M. Dubuisson. - Il s'agit de la pièce D134.

6 M. Lanthier. - Je regarde. Monsieur le Président, je ne suis pas

7 capable d'identifier laquelle de ces routes que l'on voit est celle que

8 nous cherchons. On en voit plusieurs qui se dirigent vers le sud et vers

9 le nord ; je ne suis pas capable avec cela d'identifier quelle route j'ai

10 pu prendre. Je regrette.

11 M. le Président. – Cette réponse, Maître Hayman est la seule que

12 vous obtiendrez vraisemblablement s'agissant de ce chemin.

13 M. Hayman (interprétation). - Je l'accepte et j'en ai fini de

14 mes questions, Monsieur le Président. Merci, capitaine.

15 M. le Président. - Je me tourne vers Me Cayley. Avez-vous des

16 questions complémentaires ?

17 M. Cayley (interprétation). – J'aurai quelques questions

18 simplement, Monsieur le Président. Capitaine Lanthier, mon collègue,

19 Me Hayman, vous a posé de nombreuses questions au sujet de l'enclave de

20 Kiseljak, Vares et Vitez. Je ne vous demande pas d'opinion, mais des

21 faits. Est-il possible de passer de l'enclave de Kiseljak à l'enclave de

22 Vares sans traverser un territoire sous contrôle de l'armée de Bosnie-

23 Herzégovine ? Est-ce que le HVO pouvait le faire ?

24 M. Lanthier. - Absolument. Les deux enclaves de Vares et de

25 Kiseljak ont du côté Est un contact avec l'armée serbe bosniaque et les

Page 8579

1 déplacements entre les deux enclaves étaient facilement possibles à

2 travers le territoire qui était sous le contrôle de l'armée serbe

3 bosniaque. D'ailleurs, lorsque Vares a subi l'offensive du BiH à

4 l'automne 1993, il y a eu un déplacement massif de la population de Vares

5 vers Kiseljak à travers les lignes tenues par l'armée serbe de Bosnie.

6 M. Cayley (interprétation). – Sans parler du chemin de terre que

7 vous dites avoir emprunté entre Vitez et Kiseljak, était-il possible de

8 passer de l'enclave de Kiseljak à l'enclave de Vitez ?

9 M. Hayman (interprétation). – La question est trop vague.

10 M. Cayley (interprétation). – Je vais être plus précis.

11 M. le Président. - Je voudrais qu'il soit bien clair que les

12 questions que vous posez doivent se situer par rapport à ce qu'a été le

13 contre-interrogatoire. Vous savez que la question des communications est

14 une question qui revient depuis pratiquement le début du procès Blaskic.

15 Donc, si vous relancez cette question à titre principal, en ne restant pas

16 dans les limites du contre-interrogatoire, je serai obligé à ce moment-là

17 de redonner la parole à la défense, car c'est une question très sensible,

18 vous le savez, faites-y très attention. Vous restez dans les limites du

19 contre-interrogatoire, s'il vous plaît.

20 M. Cayley (interprétation). – Monsieur le Président, je crois

21 que c'est une question qui a trait à d'autres questions qui ont déjà été

22 posées, je ne veux pas rentrer dans ce domaine, mais je voudrais seulement

23 poser la question suivante : outre la route dont vous a parlé mon collègue

24 et qu'il vous a demandé d'identifier, était-il possible de voyager entre

25 les poches de Kiseljak et de Vitez à votre connaissance ?

Page 8580

1 M. le Président. - Cette question a déjà été posée,

2 Maître Cayley. Capitaine, vous pouvez reprendre votre réponse.

3 M. Lanthier. - Comme je l'ai dit, j'ai connaissance de l'une des

4 routes, mais si vous voulez une opinion de quelqu'un qui était sur le

5 terrain et qui a vu certaines choses, il n'est pas impossible de se

6 promener en tant qu'individu ou en très petits groupes d'une place à

7 l'autre, le terrain appartient à l'une des factions et là, je ne ferai

8 référence à aucune faction en particulier. Mais il est possible de se

9 déplacer d'un endroit à l'autre, car chaque pouce de terrain n'est pas

10 contrôlé, n'est pas tenu ou couvert par observation ou par tir. Donc il

11 est possible, dans de bonnes conditions d'obscurité, de se promener d'un

12 endroit à l'autre.

13 M. Cayley (interprétation). – Passons à un autre domaine et j'en

14 ai presque terminé Monsieur le Président. En ce qui concerne la réunion

15 que vous avez eue avec le colonel Blaskic à Vitez, le colonel Blaskic a-t-

16 il dit très clairement au cours de cette réunion que c'était lui qui

17 commandait les forces du HVO qui se trouvaient dans la municipalité de

18 Kiseljak ?

19 M. Lanthier. – Oui, il a été clair. Effectivement, il m'a dit

20 qu'il était le commandant supérieur de la région de Kiseljak.

21 M. Cayley (interprétation). – Et un membre du HVO vous a-t-il

22 dit quoi que ce soit qui vous fasse penser le contraire ?

23 M. Lanthier. - Je n'ai pas eu de rapports ou d'observations

24 personnelles qui m'ont amené à penser autrement.

25 M. Cayley (interprétation). – Merci, je n'ai plus de questions,

Page 8581

1 Monsieur le Président.

2 M. le Président. – Capitaine Lanthier, vous allez

3 vraisemblablement maintenant recevoir des questions des Juges, nous

4 commençons par M. le Juge Riad.

5 M. Riad. - Votre témoignage a été clair, détaillé, mais je

6 voudrais néanmoins vous poser quelques questions pour mieux cerner

7 certains points qui découlent certainement de votre témoignage. Première

8 chose : vous avez dit catégoriquement que le général Blaskic avait le

9 dernier mot sur le plan militaire. Vous l'avez dit en pur français.

10 M. Lanthier. - Oui.

11 M. Riad. - Que veut dire le plan militaire, quel genre

12 d'opérations couvre le plan militaire ? Peut-il couvrir, par exemple, le

13 nettoyage ethnique ? Et dans quelle mesure cela peut couvrir le nettoyage

14 ethnique en principe ? Ou cela couvre-t-il simplement les moyens de

15 procéder au nettoyage ethnique ? Cela comporte-t-il les moyens militaires

16 de procéder au nettoyage ou le principe du nettoyage ?

17 M. Lanthier. - Ce que j'entends par là, c'est l'utilisation des

18 forces qui vont faire le nettoyage ethnique, donc l'ensemble des moyens

19 utilisés pour le nettoyage ethnique.

20 M. Riad. - C'est-à-dire l'exécution du nettoyage ethnique.

21 M. Lanthier. - Exactement.

22 M. Riad. - Exterminer la population, la chasser ou la

23 transporter en autobus, c'est cela ?

24 M. Lanthier. - Exactement. Non pas la conception nécessairement

25 du plan du nettoyage ethnique, mais l'exécution du nettoyage ethnique.

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1 M. Riad. - Mais pas le principe même. Le principe est au niveau

2 politique.

3 M. Lanthier. - Je crois que oui.

4 M. Riad. - Dans l'exécution du nettoyage ethnique, où s'arrêtent

5 les responsabilités ? Par exemple, quand vous avez dit qu'il y avait des

6 envois d'handicapés mentaux pour découvrir les mines, puis d'autres

7 actions, comme vous l'avez dit, le passage d'une maison à l'autre pour

8 brûler, violer ou tuer, quel est le niveau de la responsabilité ? Est-ce

9 le commandement principal dont vous parlez qui est le commandement suprême

10 ou les subordonnés ?

11 M. Lanthier. - La responsabilité s'étend à la chaîne de

12 commandement au complet. La responsabilité commence avec le commandant qui

13 a ordonné qu'une telle opération soit faite. Elle s'étend également au

14 commandant qui, lorsqu'il sait qu'une telle opération s'est exécutée, sans

15 son ordre, ne prend pas les mesures correctrices, c'est-à-dire soit passer

16 en cour martiale les commandants qui ont effectué cela et les soldats qui

17 l'ont fait. La responsabilité s'étend du soldat qui a commis l'acte

18 jusqu'au principal décideur.

19 M. Riad. - Les actes qui son exécutés sur un plan, disons

20 secondaire dans un village, et vous ayant une connaissance de première

21 main de ces lieux, était-ce difficile que le commandement suprême prenne

22 connaissance, à la longue, de ce qui se passait ?

23 M. Lanthier. - Il n'y a aucune raison qu'à la longue cela ne

24 soit pas connu. On ne peut pas nécessairement prévenir chaque acte

25 individuel. Un soldat doit être tenu responsable de ses actions, donc si

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1 un soldat, d'une façon isolée, décide de commettre un crime, oui, le

2 commandant en est responsable parce qu'il ne peut jamais se décharger de

3 l'imputabilité qui est associée à son commandement. Par contre quand ces

4 actes se répètent et se répètent et se répètent, le commandant en devient

5 responsable parce qu'il n'a pas su exercer son commandement sur ses

6 subordonnés. C'est la façon militaire de voir les choses.

7 M. Riad. - J'ai compris que vous avez soumis des plaintes aux

8 autorités. Ces plaintes ont-elles été prises en considération ? Avez-vous

9 été informé des mesures prises, ou des punitions en cour martiale dont

10 vous parlez ?

11 M. Lanthier. - Je n'ai jamais reçu de rapports qui m'indiquaient

12 que des actions avaient été prises. Lorsque j'ai fait des plaintes, on m'a

13 toujours donné des excuses disant que c'était hors de leur contrôle.

14 Excuses, qui selon moi, sont un très pauvre échappatoire des

15 responsabilités de commandant qui viennent avec tout commandement qu'une

16 personne peut se voir octroyer.

17 M. Riad. - Effectivement, vous m'avez dit que vous vous êtes

18 plaint à M. Bradara et vous avez dit que ce sont des actes isolés par des

19 citoyens révoltés. Et vous avez complètement exclu cette hypothèse.

20 M. Lanthier. - Effectivement.

21 M. Riad. - L'autre hypothèse est que les actes ont été commis

22 par des groupes de soldats individuels et cette hypothèse vous avez l'air

23 de l'exclure aussi du fait que c'est organisé.

24 M. Lanthier. - Du point de vue d'une unité. Si on parle d'un

25 groupe de soldats qui appartiennent à une force... S'il s'agit d'un groupe

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1 de soldats qui appartiennent à des forces organisées qui commettent ces

2 crimes, la chaîne de commandement en devient responsable surtout, lorsque

3 ces choses se répètent.

4 M. Riad. - Vous excluez aussi le fait que c'étaient quelques

5 soldats ivres, par exemple le cas où cette femme a été violée puis tuée,

6 d'autres vieux bonhommes ont été tués, etc.

7 M. Lanthier. - C'est organisé ces massacres. On ne parle pas

8 d'un petit village isolé le 18 avril, on parle de l'ensemble de la poche

9 de Kiseljak. C'est quelque chose qui est orchestré.

10 M. Riad. - D'envergure, oui. Orchestré.

11 M. Lanthier. - Exactement.

12 M. Riad. - Je voulais aussi vous poser une question concernant

13 les armes sophistiquées que vous avez repérées. Vous avez dit qu'il y

14 avait des lanceurs de rockets à missiles. Il y avait aussi des véhicules à

15 chenilles, etc. Avez-vous considéré que ces armes étaient techniquement

16 avancées ? Si j'ai bien compris, c'est difficile en partie de se les

17 procurer ?

18 M. Lanthier. - Du côté logistique, j'essayais que les armes

19 soient là, lorsque la JNA s'est retirée de l'ensemble de la Bosnie.

20 Plusieurs systèmes d'armements disponibles sont demeurés en place, ont été

21 retenus par l'une ou l'autre des factions. Mais utiliser une munition

22 telle qu'un missile pour un lanceur multiple de missiles, lorsque la

23 situation tactique ne le dicte pas, m'indique que cette munition est très

24 facilement disponible. Donc, cela me disait que la filière logistique qui

25 amène les munitions doit être ouverte, donc la facilité de se procurer des

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1 munitions. Et je sais très bien que dans la poche de Kiseljak, il n'y

2 avait pas d'industrie qui permettait la production de tels armements. Des

3 lance-rockets multiples sont des armes qui sont normalement retenues au

4 niveau division. Dans l'Otan, je parle de ma connaissance de l'Otan, les

5 lance-rockets multiples sont une arme que le commandant de division

6 retient à sa discrétion. Par conséquent, un bataillon, une brigade n'a pas

7 ces armes. Ce sont des systèmes sophistiqués, retenus au plus haut niveau

8 de commandement normalement. Je ne peux pas dire que c'est le cas là-bas,

9 mais je peux dire que si on tirait d'une façon et l'on dilapidait cette

10 munition, c'est parce qu'on était capable de se la procurer facilement

11 ailleurs que dans la poche de Kiseljak.

12 M. Riad. - Oui, c'est-à-dire la Croatie.

13 M. Lanthier. - Exactement.

14 M. Riad. - Finalement, il y a un petit détail dont vous avez

15 parlé. A Rotilj, on a gardé les femmes et les enfants en détention. A quoi

16 servent ces détentions, pourquoi les garder en détention ?

17 M. Lanthier. - Selon la réponse que l'on m'a donnée, c'était

18 pour leur bien-être ou pour sauvegarder leur intégrité. On m'a également

19 dit que les hommes étaient aussi détenus, mais pendant la journée moi, je

20 ne les ai jamais vus. Je ne les ai pas vus, à l'exception de ma toute

21 première visite à Rotilj où j'ai vu un homme en âge de travailler. Tous

22 les autres hommes je ne les ai jamais vus. On m'a dit qu'ils étaient

23 emmenés pendant la journée, travailler dans les tranchées. Pourquoi les

24 garde-t-on ? D'où viennent ces résidents, c'est la première question. Ils

25 viennent de l'ensemble de la poche de Kiseljak, où ce sont des résidents

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1 d'origine musulmane, puis ce qui me semble être un processus de nettoyage

2 ethnique : on nettoie la poche, on accumule ces personnes dans un même

3 endroit. Je sais que plus tard, on a utilisé certaines de ces personnes

4 pour faire des échanges de prisonniers. S'il y avait d'autres prisonniers,

5 de guerre ou d'autres types de prisonniers, donc des personnes civiles

6 détenues ailleurs, on les utilisait comme moyen de négociation. Je vais

7 libérer tant d'otages contre cet otage-là. C'était un moyen de

8 négociation. Je vois deux facettes. Selon moi, il y a deux raisons pour

9 lesquelles on garde ces prisonniers : comme processus de nettoyage

10 ethnique et "bargaining change"...

11 L'interprète. - Comme monnaie d'échange.

12 M. Lanthier. - Merci pour la traduction.

13 M. Shahabuddeen (interprétation). - Capitaine, vous avez parlé

14 au cours de votre témoignage, de civils qui portaient des uniformes. Je

15 suppose donc que vous pouvez faire la différence entre un officier de

16 carrière et un civil qui porte un uniforme.

17 M. Lanthier. - Honnêtement, Monsieur le Juge, je ne me souviens

18 pas exactement à quel moment, dans mon témoignage, j'ai parlé de civils

19 qui portent des uniformes. Cela m'échappe un peu. De visu, vous me

20 présentez un individu en uniforme...

21 M. le Président. - Il me semble, vers la fin de votre

22 témoignage, quand vous avez parlé de Vitez, effectivement il me semble...

23 M. Lanthier. - Peut-être faites vous référence au passage du

24 livre du colonel Steward lu par M. Hayman. Excusez-moi, je ne me souviens

25 pas avoir dit cela. Mais quand même pour répondre à votre question...

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1 M. Shahabuddeen (interprétation). - D'accord, Je ne crois pas

2 que le fait que vous en ayez parlé ou non soit véritablement important, je

3 voudrais simplement vous demander s'il existe et si vous connaissez la

4 distinction à faire, par exemple lorsqu'un homme politique, donc un civil,

5 porte un uniforme militaire même s'il n'est pas un officier ou un membre

6 de l'armée ?

7 M. Lanthier. - Il y a certainement une distinction à faire. De

8 visu, je ne peux pas vous dire, en regardant quelqu'un en uniforme, s'il

9 est militaire professionnel ou si c'est quelqu'un d'autre. Le port de

10 l'uniforme de camouflage était répandu partout et plusieurs personnes le

11 portaient, pas nécessairement des militaires professionnels ou des

12 militaires membres d'unité formée.

13 M. Shahabuddeen (interprétation). - Très bien. Passons à

14 M. Kordic. L'avez-vous rencontré ?

15 M. Lanthier. - Je l'ai personnellement rencontré à deux ou trois

16 reprises. Mon interaction avec M. Kordic a été une poignée de mains.

17 M. Kordic m'a appelé "Capitaine Lanthier", voici l'étendue de nos

18 discussions.

19 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je crois que vous l'avez

20 décrit comme ayant une certaine autorité politique, est-ce exact ?

21 M. Lanthier. - Les représentants de l'ECMM qui m'ont présenté ou

22 qui m'ont décrit les personnes présentes à l'assemblée, m'ont présenté

23 Dario Kordic, comme un des chefs politiques du côté HVO. Lui ne s'est pas

24 présenté à moi comme tel. On me l'a présenté de façon indirecte. De cette

25 façon là.

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1 M. Shahabuddeen (interprétation). - Portait-il un uniforme du

2 HVO ou un quelconque uniforme à l'époque ?

3 M. Lanthier. - Je crois, si ma mémoire est bonne, qu'il portait

4 effectivement un uniforme de camouflage.

5 M. Shahabuddeen (interprétation). - Avez-vous eu l'impression, à

6 l'époque, que c'était un officier de carrière ou bien que c'était un civil

7 qui portait un uniforme militaire ?

8 M. Lanthier. - J'ai eu 'impression, bien que j'ignore ses

9 antécédents, que c'était un civil qui portait un uniforme.

10 M. Shahabuddeen (interprétation). - Merci. Parlons maintenant

11 brièvement de Stupni Do. Certains événements se sont produits là-bas et,

12 après le déroulement de ces événements, vous vous êtes rendu sur les lieux

13 et vous avez pu observer l'état de l'endroit.

14 M. Lanthier. - J'ai visité Stupni Do pour la première fois à

15 l'extrême fin avril 1993, avant les événements de l'automne 1993. Après

16 les événements qui ont eu lieu à l'automne 1993, j'ai visité très

17 brièvement Stupni Do. Je n'ai pas été impliqué de près ou de loin à

18 l'enquête qui a eu lieu à Stupni Do. Honnêtement, je me souviens un peu de

19 sa destruction mais je n'ai pas participé activement à l'examen qui a

20 suivi.

21 M. Shahabuddeen (interprétation). - Oui, capitaine, mais je

22 n'étais pas en train de suggérer que vous avez participé à l'enquête qui a

23 suivi ces événements. D'après vos observations sur les lieux après

24 certains événements, pouvez-vous aider cette Chambre de première instance

25 en lui disant si, oui ou non, l'état des lieux correspondait au phénomène

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1 du nettoyage ethnique ou s'il s'apparentait plus à des exécutions motivées

2 par des volontés commerciales en quelque sorte ?

3 M. Lanthier. - Mon impression, Monsieur le Juge était que cette

4 opération était conduite de la même façon que ce qui s'était passé dans

5 les lignes générales à Vitez et à Kiseljak, un autre épisode de nettoyage

6 ethnique. C'est mon impression, Monsieur le Juge.

7 M. Shahabuddeen (interprétation). - Merci. Je voudrais vous

8 poser des questions sur un dernier domaine. Vous en avez parlé au cours de

9 votre témoignage. Vous l'avez abordé à plusieurs reprises d'ailleurs :

10 vous avez parlé avec le colonel Blaskic et, sur le terrain, vous avez

11 observé l'organisation militaire dont il était le responsable. D'après les

12 conversations que vous avez eues avec lui et d'après vos observations sur

13 le terrain, observations de son organisation militaire en opération,

14 pouvez-vous dire au Tribunal si des unités armées dans le camp croate se

15 trouvaient en dehors de son autorité, exclues de son autorité ?

16 M. Lanthier. - Je n'ai pas de preuve qui me suggère

17 qu'effectivement des groupes indépendants opéraient. Lors de ma

18 conversation initiale avec le colonel Blaskic, au tout début de mars 1993,

19 il n'a pas fait mention que de telles organisations pouvaient exister. Il

20 existe deux façons de regarder les choses, c'est une question de fierté :

21 un commandant pourrait hésiter à me dire que des organisations opèrent en

22 dehors de son commandement ; cela pourrait être une des raisons. L'autre,

23 c'est qu'il n'y en avait pas. J'ai l'impression qu'il n'y en avait pas à

24 l'extérieur de la chaîne de commandement qui opéraient de façon

25 indépendante.

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1 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vous remercie, capitaine.

2 M. le Président. - Capitaine, vous avez répondu à beaucoup de

3 questions et de façon très claire. Je partage l'avis de mes collègues,

4 deux ou trois précisions en ce qui me concerne. Combien de kilomètres y a-

5 t-il entre Kiseljak et Vitez par la route normale ?

6 M. Lanthier. - Je dirais probablement une trentaine, mais il

7 faudrait mesurer, pour être précis.

8 M. le Président. - Vous avez parlé de ce chemin qui ne

9 permettait pas des relations faciles pour faire passer des convois mais,

10 en tout cas semble-t-il, vous l'avez utilisé avec votre "command car" ou

11 votre véhicule. Cela vous paraît-il donc plausible que le colonel Blaskic

12 puisse passer par ce chemin, dans ces conditions assez rapides -s'agissant

13 tout de même d'un chef d'état-major ? Cela vous paraît-il plausible ?

14 M. Lanthier. - Monsieur le Président, je peux affirmer que la

15 route ne se prête pas à faire passer un convoi. On parle vraiment là d'un

16 sentier. Si je me souviens bien, cela m'avait pris une bonne heure et

17 demie à utiliser cette route, ce que l'on appelle en canadien français,

18 "le temps de traire la vache". Je ne sais pas si l'expression vous est

19 connue ?

20 M. le Président. - Oui, elle est très connue en France. 0n a dû

21 vous prêter cette expression. Pensez-vous que le niveau de responsabilité

22 à l'époque du colonel Blaskic supposait qu'il puisse passer comme cela à

23 travers ce sentier ? Vous qui êtes un militaire professionnel, pensez-vous

24 tout de même raisonnable qu'un chef d'état-major, en pleine situation

25 d'opérations militaires, puisse tout de même perdre son temps à travers ce

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1 sentier, si tant est que cela soit le seul sentier possible ou cela vous

2 paraît-il possible mais pas probable ?

3 M. Lanthier. - Je crois que c'est possible. Les moyens de

4 communication étaient redondants. Il existe plusieurs moyens de

5 communication mais, à un moment donné, un commandant doit imposer son

6 commandement par sa présence physique. Un commandant ne peut pas commander

7 seulement à distance. Le colonel Blaskic donnait l'impression d'être le

8 commandant de ses troupes et le commandement de ces troupes là -même si

9 cela nécessite une heure et demie de voyage- je trouve plausible que le

10 colonel Blaskic utilise cette route-là.

11 M. le Président. - Votre impression générale était qu'il était

12 au fond dans ses deux quartiers généraux, d'une façon tout à fait égale,

13 selon les niveaux d'alerte. Cela vous apparaît, maintenant après cinq ans

14 de réflexion, tout à fait possible. En tout cas, il ne vous a pas donné

15 l'impression de délaisser Kiseljak ?

16 M. Lanthier. - Non, il ne m'a pas donné cette impression... Je

17 ne dirais pas qu'il était présent souvent à Kiseljak. Je n'ai moi-même

18 jamais vu le colonel Blaskic à Kiseljak. Je ne l'ai pas rencontré à

19 Kiseljak. La nature de ce sentier, les responsabilités d'un commandant à

20 ce niveau correspondent ni plus ni moins à l'équivalent d'un commandant de

21 division, selon les normes latines. Je suis certain qu'il n'aurait pas

22 perdu son temps à voyager inutilement, mais je suis convaincu que, s'il

23 avait vraiment besoin de s'y rendre, il pouvait certainement le faire.

24 M. le Président. - Etait-il possible d'utiliser un hélicoptère,

25 par exemple, ou pas ?

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1 M. Lanthier. - Il aurait été facile d'utiliser un hélicoptère si

2 un tel moyen avait été disponible. Je sais que les factions belligérantes

3 avaient des hélicoptères à leur disposition. J'en ai vu.

4 M. le Président. - Dans un autre ordre d'idée, quand le

5 commandant Bradara vous a dit que le ravitaillement arrivait de Croatie,

6 il vous a parlé de moyens logistiques et de ravitaillement. Avez-vous eu

7 l'impression que des troupes, des soldats de Croatie donnaient un coup de

8 main dans toutes ces opérations ?

9 M. Lanthier. - Il y avait des soldats croates en Bosnie

10 centrale. Je ne peux pas vous dire s'ils sont venus avec des convois. Je

11 ne peux pas faire de commentaires précis. Je sais, en ayant parlé avec des

12 soldats sur le terrain -on parle souvent entre militaires de nos origines,

13 de nos expériences- qu'il y avait des soldats de la Croatie qui étaient en

14 Bosnie. De là à dire qu'ils sont venus par cette route, je ne suis pas

15 prêt à sauter le pas, Monsieur le Président.

16 M. le Président. - J'ai une dernière question à vous poser à

17 propos de l'hôpital de Bakuvice ou de Drin. Lorsque vous dites que

18 certains patients ont été utilisés pour détecter les mines, c'est

19 terrible ; à votre niveau, vous qui faisiez beaucoup de rapports, avez-

20 vous su si le CICR avait été saisi de la question ?

21 M. Lanthier. - J'ai travaillé en anglais. Parle-t-on du comité

22 international de la Croix-Rouge ? Oui.

23 M. le Président. - Savez-vous si le comité international de la

24 Croix-Rouge est venu ?

25 M. Lanthier. - J'ignore s'ils se sont déplacés pour faire une

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1 enquête sur ce sujet précis.

2 M. le Président. - Capitaine, le Tribunal vous remercie. Vous

3 avez répondu de façon tout à fait complète. Je me tourne à nouveau vers

4 mes collègues pour savoir s'ils ont des questions complémentaires. Il n'y

5 a pas d'autres questions. La Chambre va lever son audience pour ce soir.

6 Elle reprendra demain, pour la matinée seulement, à 10 heures. Juste une

7 question d'organisation : vous savez que nous sommes très visités. J'ai su

8 qu'il y avait nombre de juristes qui venaient assister à l'audience. Il ne

9 s'agit pas du tout de prévoir tout ce qui va se passer, mais la séance de

10 demain est-elle à huis clos ?

11 M. Kehoe (interprétation). - Demain matin, nous n'avons pas

12 d'audience à huis clos. Nous avons un témoin protégé. Nous demanderons

13 donc certaines mesures de protection mais ce ne sera pas une audience à

14 huis clos.

15 M. le Président. - Je vous remercie. Dans ces conditions, nous

16 pouvons lever l'audience.

17 (Le témoin est reconduit hors du prétoire)

18 (L'accusé est reconduit hors du prétoire)

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20 L'audience est levée à 17 heures 55.

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