Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Jeudi 16 juillet 1998

4

5 L'audience est ouverte à 10 heures 10.

6 M. le Président. - Veuillez vous asseoir.

7 Veuillez introduire l'accusé, Monsieur le Greffier.

8 (L'accusé est introduit dans la salle d'audience)

9 M. le Président. - Je salue d'abord les interprètes et les

10 transcripteurs et 39.

11 Nous allons reprendre nos travaux après ce que nous ont dit hier

12 les représentants de l’accusation et de la défense.

13 Nous saluons le retour de Maître Kehoe qui arrive peut-être avec

14 un nombre considérable de témoins à nous faire entendre ? C'est peut-être

15 cela ?

16 M. Kehoe (interprétation). - Un seul, Monsieur le Président.

17 M. le Président. - Nous vous écoutons.

18 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

19 Bonjour, Monsieur le Président, bonjour Messieurs les Juges, bonjour

20 Conseil de la défense.

21 Le témoin de ce matin est le Dr Colin Kaiser de l’Unesco. Sa

22 déposition sera axée sur les destructions de monuments du culte, en

23 majorité musulmans, qui ont été détruits dans la région de Busovaca, de la

24 Vallée de la Lasva et de Kiseljak. Le professeur Kaiser étudie ce sujet

25 depuis pas mal de temps dans l'ex-Yougoslavie, c'est-à-dire plus

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1 précisément depuis le début des années 90.

2 Pendant toute cette période, il a été affecté par le Conseil de

3 l'Europe à la réalisation d'études portant sur les monuments du culte, les

4 monuments sacrés de l'ex-Yougoslavie, et sur l'incidence de ces

5 destructions sur les diverses cultures qui ont été victimes de ces

6 destructions.

7 Il vous expliquera exactement, Monsieur le Président, à l'aide

8 de photographies qui ont déjà été versées au dossier et d'autres qui ne

9 l'ont pas encore été, quels sont les divers monuments et bâtiments du

10 culte qui étaient utilisés, pourquoi ces bâtiments ont été détruits et, je

11 le répète, l'incidence que cela a pu avoir sur les différents groupes,

12 notamment le groupe ethnique musulman.

13 Il vous apportera également des éléments de preuve quant à ce

14 que l'entité responsable de ces actes, à savoir le HVO, a pu tenter de

15 faire ou a pu vouloir faire en détruisant de tels monuments et bâtiments.

16 Sa déposition sera principalement axée sur deux chefs

17 d'accusation : d'abord le chef d'accusation n° 1, de persécution, qui

18 inclut bien entendu la persécution de la population musulmane bosniaque de

19 Bosnie centrale et donc la destruction des monuments du culte relatif à

20 cette population. Cette déposition portera également sur les chefs 11 à 13

21 qui traitent plus précisément des destructions et pillages de biens commis

22 dans la région de Busovaca, Vitez et dans la région de la Lasva.

23 Sa déposition sera d'abord de nature assez générale puis se

24 concentrera de plus en plus au fur et à mesure que nous lui présenterons

25 des photographies.

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1 Monsieur le Président, dans la mesure où ces photographies ont

2 déjà été soumises à M. Dubuisson, je me demandais si elles ne pourraient

3 pas être enregistrées ensemble et remises au témoin ensemble, de façon

4 qu'il puisse s’en servir, à l'aide du rétroprojecteur, selon les modalités

5 qui lui conviennent. Si cela ne vous ennuie pas, je pense que ce serait un

6 moyen d'aller plus vite. Il est bien entendu tout à fait acceptable que

7 les photographies soient remises au Conseil de la défense.

8 M. le Président. - Cela n'ennuie pas les juges. Cela n'ennuie

9 pas Maître Hayman non plus ?

10 (Me Hayman fait un signe de négation de la tête)

11 M. le Président. - Merci, Monsieur Harmon. Nous pouvons donc

12 procéder ainsi. Monsieur le greffier, pouvez-vous faire introduire le

13 Docteur Kaiser par Monsieur l'huissier?

14 (Le témoin est introduit dans la salle d'audience)

15 M. le Président. - Docteur, vous allez rester debout quelques

16 instants, le temps d'abord de nous confirmer votre titre, votre nom et

17 votre prénom et ensuite de lire votre déclaration solennelle.

18 M. Kaiser (interprétation). - Je m'appelle Docteur Colin Kaiser,

19 j'ai été représentant de l'Unesco en Bosnie-Herzégovine.

20 M. le Président. - Merci beaucoup. Veuillez lire votre serment,

21 Monsieur.

22 M. Kaiser (interprétation). - Je déclare solennellement que je

23 dirai la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité.

24 M. le Président. - A présent asseyez-vous, Docteur. Vous êtes

25 cité par l'accusation dans le cadre du procès intenté au colonel Blaskic,

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1 l'accusé ici présent dans la salle. Le Procureur nous a dit très

2 brièvement le sens général de votre témoignage. C'est à lui maintenant de

3 vous poser des questions, après quoi vous aurez bien entendu les questions

4 de la défense et celles des juges.

5 Maître Kehoe, c'est à vous.

6 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

7 Bonjour Monsieur Kaiser.

8 (Le témoin oscille de la tête)

9 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Kaiser, avant que nous

10 entendions votre déposition, pouvez-vous parler de votre éducation et de

11 votre carrière aux juges ? J'ai noté que vous étiez représentant de

12 l'Unesco en Bosnie-Herzégovine. Pourriez-vous dire aux juges ce que ces

13 fonctions impliquent exactement ?

14 M. Kaiser (interprétation). - Je suis historien social et

15 institutionnel de formation, spécialisé dans l'ancien régime français.

16 J'ai donc passé la plus grande partie de ma carrière à travailler

17 l'histoire ou des sujets reliés à l'histoire. J'ai étudié les bâtiments

18 religieux et bâtiments du culte et depuis dix ans. Mes intérêts se sont

19 concentrés sur le patrimoine culturel.

20 Je suis passé des monuments sacrés et religieux à l'Unesco où je

21 travaille sur le patrimoine culturel depuis le début des années 1990. En

22 1995, date du cessez-le-feu, l'Unesco m'a demandé d'accepter les fonctions

23 de représentant de l'Unesco en Bosnie-Herzégovine. Je suis directeur de

24 service et donc responsable de l'élaboration dans certains cas, et de la

25 mise en oeuvre des projets de l'Unesco en Bosnie-Herzégovine liés au

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1 patrimoine culturel et religieux.

2 Je passe beaucoup de temps en Bosnie-Herzégovine. J'y ai aussi

3 passé beaucoup de temps ainsi qu'en Croatie pendant la guerre et je

4 souhaite aujourd'hui voir reconstituer les divers éléments, les divers

5 segments de la société en Bosnie-Herzégovine. C'est un objectif qui

6 m'importe au plus au point. Je crois qu'il est souhaitable, depuis la

7 signature de la paix, d'essayer de contribuer à la réalisation de cet

8 objectif.

9 M. Kehoe (interprétation). - Au cours de votre travail pour

10 l'Unesco, vous avez été cité par le Tribunal de La Haye pour déposer ici,

11 n'est-ce pas Monsieur ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

13 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous, je vous prie,

14 commencer à expliquer aux juges de quelle façon vous êtes impliqué dans

15 l'étude des monuments religieux et bâtiments du culte en Bosnie-

16 Herzégovine, par le biais de vos fonctions au conseil de l'Europe ?

17 Je vous prierai, au fur et à mesure que nous allons du général

18 au particulier, de bien vouloir décrire ensuite aux juges ce qu'est

19 exactement votre travail, le travail que vous accomplissez actuellement,

20 et je vous demanderai de leur parler de ce que vous savez des

21 destructions de bâtiments du culte commises en Bosnie-Herzégovine.

22 M. Kaiser (interprétation). - Mon travail a commencé à l'Unesco.

23 J'étais l'un des deux représentants de l'Unesco affectés à Dubrovnik, en

24 novembre et décembre 1991. Je me trouvais à Dubrovnik le 6 décembre, le

25 jour du bombardement de la Saint Nicolas qui a été pour moi une expérience

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1 terrifiante, mais également une expérience qui m'a ouvert les yeux. En

2 effet, les destructions et les bombardements de structures religieuses

3 dans une ville totalement sans défense m'ont semblé constituer un objectif

4 important du point de vue de la défense de la ville.

5 Lorsque la guerre a éclaté en Bosnie-Herzégovine, j'ai senti que

6 ce n'était pas simplement une guerre avec des objectifs militaires au sens

7 strict du terme mais que c'était peut-être également une guerre

8 d'identité, ce qui impliquait d'autres objectifs et nous nous sommes bien

9 entendu intéressés à toutes les informations qui pouvaient provenir de

10 Sarajevo, notamment au moment où la Visnjica, la bibliothèque nationale a

11 été incendiée car cette bibliothèque faisait partie du patrimoine

12 culturel. Mais compte tenu du fait que la guerre s'est étendue à

13 l'ensemble du territoire de Bosnie-Herzégovine, nous avons commencé à

14 nourrir de graves préoccupations quant au fait que les actions militaires

15 ou postes militaires se déroulaient en fait contre les symboles de

16 l'identité populaire. Mon travail pour le Conseil de l'Europe a donc

17 commencé à l'été 1992, et ma première mission en novembre 1992 a été très

18 difficile. En effet, il se posait à l'époque un problème de mandat ; la

19 FORPRONU n'était pas mandatée pour travailler dans le domaine du

20 patrimoine culturel, pas plus que le HCR ou la Commission Européenne. Il a

21 donc fallu pas mal de temps pour arriver sur le terrain. Mon premier

22 domaine d'action était la vallée de la Neretva qui était, en fait, un

23 endroit beaucoup plus terrifiant pour travailler que Dubrovnik. En effet,

24 la première bataille de Mostar due à l'armée serbe de Bosnie a été pendant

25 les trois ou quatre premiers mois particulièrement féroce.

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1 M. Riad (interprétation). - Il est écrit ici que votre première

2 mission a eu lieu dans

3 la vallée de la Neretva. Vous voulez dire la Vallée de la Lasva ?

4 M. Kaiser (interprétation). - C'était ma première mission pour

5 le Conseil de l'Europe.

6 Ce qui était également extraordinaire, c'étaient les actions de

7 représailles. Je n'avais jamais vu dynamiter une église ; je n'avais

8 jamais vu dynamiter une église du seizième siècle ou un monastère, comme

9 cela a été le cas à Mostar. De ce point de vue, cette guerre a été

10 beaucoup plus sauvage que la guerre que j'ai pu observer dans la région de

11 Brovnik.

12 Il m'a donc fallu quelque temps pour accomplir ma mission

13 en 1993. Je recevais les informations qui arrivaient ; j'écrivais des

14 rapports au sujet de ce qui risquait de se produire. En effet, certaines

15 informations filtraient. La destruction de Banja Luka, en 1993, avait été

16 quelque peu annoncée par des informations de ce genre. La destruction du

17 vieux pont de Mostar, en novembre 1993, est un autre exemple des

18 situations auxquelles la communauté internationale s'est beaucoup

19 intéressée.

20 L'année 1994 a été le premier moment où la Bosnie s'est un peu

21 ouverte à nos activités et a rédigé des rapports pour le Conseil de

22 l'Europe. Et elle disait, dans ses rapports, espérer produire une réaction

23 auprès des Etats membres, des gouvernements membres du Conseil de

24 l'Europe. Sans information de qualité, il était impossible d'espérer que

25 les avis transmis puissent avoir la moindre incidence.

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1 En 1994, l'action des moniteurs européens, l'ECMM a commencé à

2 exister. En Bosnie, des choses tout à fait horribles se produisaient, mais

3 les Bosniaques, et les Croates d'ailleurs, étaient beaucoup plus ouverts à

4 une coopération avec le Conseil de l'Europe que les années précédentes.

5 En mars 1994, j'ai donc entamé une mission en Herzégovine

6 occidentale dans des secteurs protégés par les Nations Unies. En mai et

7 juin 1994, j'ai mené une mission en Bosnie qui était importante du point

8 de vue de l'information. En effet, nous couvrions les zones du front dans

9 lesquelles était impliquée l'armée de Bosnie-Herzégovine, et nous

10 couvrions également la Bosnie centrale qui, à l'époque, n'avait pas donné

11 lieu à de nombreuses informations.

12 Nous avions bien évidemment entendu parler du massacre d'Ahmici

13 en 1993, nous avions également entendu des rumeurs au sujet d'autres

14 endroits, rumeurs de nettoyage ethnique, nous avions été informés que le

15 monastère franciscain de Guca Gora avait été totalement détruit, que les

16 collections du monastère de Krajina Suceska* avaient été dispersées, ce

17 qui, au cas où ces rumeurs étaient prouvées, eût été un dommage

18 considérable pour le patrimoine culturel.

19 Nous nous déplacions donc avec les membres de la communauté

20 internationale et les membres de l'ECMM, mais c'était assez difficile.

21 L'ECMM m'a joint à eux et, s'agissant des éléments qui sont d'intérêt dans

22 l'affaire Blaskic, je dirais que je me suis rendu dans la poche de Vitez,

23 que j'ai pris des photographies d'un certain nombre de bâtiments dans

24 cette région, je me suis également rendu à Busovaca, je suis passé

25 rapidement par la zone de Kiseljak qui était considérée comme une zone

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1 très dangereuse -il était impossible de sortir de son véhicule dans cette

2 zone pour prendre des photographies par exemple-. Voilà quelles ont été

3 mes activités en Bosnie pendant cette année 1994.

4 J'ai continué par la suite à travailler à Mostar pour l'UNESCO.

5 J'ai d'ailleurs augmenté mes activités d'observateur pour l'ECMM par la

6 suite, activités qui impliquaient également d'observer les bâtiments de

7 culte et autres bâtiments religieux.

8 A Mostar, nous avons également continué à observer les églises

9 et les mosquées, car il a continué à y avoir des incendies de mosquées en

10 Herzégovine occidentale en particulier. Il a continué à y avoir des

11 dynamitages d'églises en Bosnie centrale, ce jusqu'aux dernières élections

12 tenues l'année dernière. Il nous fallait donc nous intéresser à ces

13 événements. En tant que représentant de l'UNESCO, l'une de mes

14 responsabilités m'impose de faire respecter les monuments et bâtiments

15 sacrés et du culte, ce qui n'est pas une nécessité aussi urgente en temps

16 de paix.

17 Au début de cette année 1998, le Tribunal pénal international de

18 l'ex-Yougoslavie m'a demandé mon aide, c'est-à-dire qu'il m'a demandé de

19 recueillir des informations sur le terrain après avoir constaté quelle

20 était la situation dans les diverses municipalités, notamment à Vitez,

21 Busovaca et Kiseljak. C'est donc ce que j'ai fait dans la dernière

22 période : j'ai observé dans cette région les mosquées, les mektebs et les

23 églises et, dans le reste de ma déposition, je parlerai des informations

24 que j'ai pu recueillir et analyserai également les informations que le

25 Tribunal a pu mettre à ma disposition.

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1 M. Kehoe (interprétation). - Avant que vous ne passiez à cette

2 description, Monsieur Kaiser, en tant que représentant de l'Unesco, ce

3 problème des monuments sacrés et du culte, et la sauvegarde de ces

4 monuments constituent-ils une mission aussi importante à vos yeux ?

5 M. Kaiser (interprétation). - C'est une mission importante pour

6 une raison qui est tout à fait inhérente à l'être humain, mais qui est

7 également quelque peu difficile à décrire. En premier point, les gens sont

8 attachés à leur environnement. En deuxième lieu, les gens sont intéressés

9 aux monuments qui incarnent leur religion.

10 Si vous prenez la Visnjica de Sarajevo par exemple, la

11 bibliothèque nationale, les gens connaissent le nom de l'architecte, ils

12 l'admirent dans tout le pays ; ils sont attachés à ce bâtiment parce que,

13 pour certains, ils ont passé des heures très heureuses à lire des livres

14 dans cette bibliothèque. C'est donc une partie de leur vie. Au fur et à

15 mesure, les gens savent de mieux en mieux ce qu'est ce bâtiment, ce qu'il

16 représente dans l'histoire de la ville, dans l'histoire de la région. De

17 façon inconsciente parfois, les gens s'attachent considérablement à leur

18 environnement, notamment aux bâtiments qui marquent cet environnement. Je

19 parle plus précisément des églises, des bâtiments culturels et autres

20 bâtiments du culte.

21 Une partie de la population est particulièrement attachée à la

22 psyché culturelle (vous

23 m'avez posé cette question). Nous appartenons à des sociétés urbanisées.

24 Nous admirons très souvent Notre Dame parce que nous savons dans quel

25 siècle Notre Dame a été construite. Nous connaissons un peu son histoire,

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1 en tout cas de façon fragmentaire, dans la mesure où elle nous a été

2 expliquée. Mais nous vivons aussi dans des sociétés sécularisées.

3 Nous ne répondons pas immédiatement au message très simple que

4 transmet la majeure partie du patrimoine sacré. Mais il y a des sociétés,

5 des populations qui, elles, sont extrêmement attachées aux bâtiments du

6 culte qui sont des symboles de leur passé. Les églises renferment souvent

7 des cimetières qui renferment les ossements des ancêtres.

8 Les églises font également partie intégrante de votre vie, car

9 il vous arrive de vous être marié dans une église et vous serez le plus

10 souvent enterré dans une église. Les églises sont des bâtiments sacrés qui

11 sont particulièrement importantes dans le cycle de la vie. Si vous avez un

12 groupe ou une société qui considère ce genre de chose comme

13 particulièrement importante, dès que vous touchez à une mosquée, dès que

14 vous touchez à une église, vous touchez à quelque chose de très important

15 pour cette population. Nous parlons ici, pour l'essentiel, de bâtiments

16 consacrés. Je crois donc que c'était, pour les populations concernées,

17 quelque chose d'intangible mais de particulièrement important.

18 M. Kehoe (interprétation). - Restons-en, si vous le voulez bien,

19 aux bâtiments ou aux monuments consacrés.

20 Si ces monuments sont endommagés ou détruits, quelle incidence

21 cela peut-il avoir sur les populations locales lorsqu'elles voient ces

22 destructions ?

23 M. Kaiser (interprétation). - Cela suscite chez ces populations

24 un sentiment de désolation, une blessure profonde. Je crois que la

25 destruction d'une mosquée ne représente pas la même chose pour un Musulman

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1 de Bosnie que la destruction d'une maison. Une mosquée, une église ou tout

2 autre bâtiment de ce genre représente un ordre pour les populations

3 mondiales. La vie individuelle n'est qu'une série d'accidents, mais la

4 mosquée et l'église représentent un ordre et, lorsque l’on détruit

5 l'église ou la mosquée, on détruit, d'une certaine façon, un ordre de

6 l'existence.

7 De ce point de vue, il m'a souvent été dit pendant la guerre -et

8 cela ne m'a pas été dit simplement au sujet des églises mais aussi au

9 sujet d'autres bâtiments culturels importants- la chose suivante : nous

10 prenons l'habitude de nous faire tuer, nous savons que la vie humaine

11 n'est pas plus tangible, pas plus concrète, pas plus durable que la vie

12 d'un papillon, mais lorsque nous voyons des bâtiments culturels détruits,

13 c’est autre chose.

14 M. Kehoe (interprétation). - Passons, si vous le voulez bien,

15 aux destructions subies par les bâtiments culturels, les bâtiments

16 consacrés, les bâtiments du culte. Je vous demanderai de commencer votre

17 déposition en nous disant de quoi exactement nous parlons, eu égard à ces

18 bâtiments. Je crois que ce serait utile.

19 M. Kaiser (interprétation). - J'aimerais revenir à la question

20 que vous avez posée précédemment, qui était plus générale, pour la

21 préciser davantage parce qu'elle concerne les régions dans lesquelles j'ai

22 travaillé.

23 M. Kehoe (interprétation). - Vous parlez de Kiseljak, de

24 Busovaca et de Vitez ?

25 M. Kaiser (interprétation). - Oui, je parle bien de ces trois

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1 municipalités qui étaient en majorité des régions rurales. Les villes de

2 Vitez, de Novi Travnik et de Busovaca sont de petites villes entourées par

3 une multitude de villages.

4 Il y a un point qu'il convient de garder présent à l'esprit

5 lorsqu'on parle de populations rurales et, plus précisément, des

6 populations rurales de Bosnie. C'est, en effet, un élément qui m'a

7 beaucoup impressionné en 1994. Quand je suis allé à Mostar, en

8 novembre 1992, j'y ai trouvé des mosquées extraordinaires mais la plupart

9 d'entre elles servaient de musée ou de galerie d'art et ne servaient pas à

10 l'exercice du culte.

11 L’une d'entre elles, la mosquée Karajorjevobegovo*, était

12 entourée d'échafaudages. On y trouvait donc à l'intérieur, par exemple,

13 toutes sortes de choses qui n'avaient rien à voir

14

15 avec le culte. Il m'est arrivé de voir la photo d'une peinture de mosquée

16 qui datait de 1920. J'ai cherché la mosquée partout et je n'ai pas réussi

17 à la trouver. Pourquoi ne l'ai-je pas trouvée ? Parce qu'elle avait, en

18 fait, été transformée par les gens et par l'imam. Chacun a un goût

19 particulier, a un sens de l'esthétique, a un sens de l'abstrait et on

20 voit, bien sûr, des populations importantes se rendre dans les mosquées.

21 J'en ai vu beaucoup à la campagne notamment. Les mosquées sont nombreuses

22 dans les régions rurales. Elles sont construites principalement à l'aide

23 des sommes envoyées par les travailleurs émigrés de Bosnie qui travaillent

24 à l'étranger.

25 Tout cela marquait une grande vitalité à la campagne, une

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1 vitalité qui était la preuve de la dévotion généralisée de la population.

2 C'est d'ailleurs quelque chose qu'on trouve un peu partout dans le monde.

3 Si on examine l'Herzégovine occidentale, on ne peut pas la

4 comprendre sans comprendre le rôle joué par les Franciscains et par

5 l'Eglise dans cette population ; et c'est la même chose en Bosnie, mais

6 cette importance vient du culte musulman.

7 Vous m'avez posé une question au sujet de ces monuments. Les

8 choses sont très simples : une mosquée, au contraire d'une mesjid, a un

9 minaret. J'étais un jour dans un village qui s'appelle Rotlje. J'ai parlé

10 à l'imam du village. C'est un village qui se trouve à l'extrémité de la

11 vallée qui continue son parcours jusqu'à Kiseljak. Puisqu'il n'y a pas de

12 mosquée dans le village, les gens vont à la mekteb. L'imam m'a dit :

13 "j'espère qu'après la guerre, la mosquée de Kiseljak sera mise à notre

14 disposition pour que nous puissions y aller pour la prière du vendredi."

15 Et c'est le jour du marché, le vendredi, sur l'ensemble du territoire,

16 mais c'est aussi le jour de la prière.

17 De tous les villages avoisinant la ville, les gens se rendent

18 dans une ville où il y a une mosquée avec un minaret. Ils vont prier, ils

19 vont y rencontrer leurs amis, ils vont échanger des nouvelles. Et c'est

20 pour moi, lorsque je vous décris ces activités, une manière de vous

21 montrer quelle est l'importance très globale de la mosquée dans la vie de

22 la population.

23 Il y avait très peu de minarets dans cette région parce que le

24 minaret est construit sur le toit de la mosquée et ne monte pas

25 particulièrement haut dans la région, mais les minarets ont monté beaucoup

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1 plus haut après la guerre.

2 M. Kehoe (interprétation). - Lorsque vous dites "après la

3 guerre", vous voulez dire la Deuxième guerre mondiale ?

4 M. Kaiser (interprétation). - Oui. En dehors des mosquées, on a

5 aussi les mektebs qui sont, pourrait-on dire, une espèce de mosquée sans

6 minaret. Ce sont des bâtiments d'une pièce ou, parfois, de deux pièces,

7 qu'on rencontre souvent à la campagne. Le deuxième bâtiment n'était pas

8 une mekteb mais autre chose.

9 Le troisième bâtiment est la mekteb qui est une espèce d'école

10 primaire ouverte aux enfants et destinée à l'étude du Coran. C'est aussi

11 l'endroit où les enfants apprennent l'arabe. Il y a le gasohana qui est un

12 bâtiment plus moderne et qui est destiné à la toilette des morts.

13 Le deuxième bâtiment était le mesjid. Traditionnellement, les

14 mesjids ont des fonctions très déterminées et très circonscrites mais,

15 plus récemment, les fonctions des différents monuments s'entremêlent et

16 les gasohanas, les mesjids et les mektebs ont un peu les mêmes fonctions.

17 On trouve désormais des mesjids qui servent aussi bien à l'éducation des

18 enfants qu'à leur fonction traditionnelle.

19 Du point de vue historique, je crois qu'il faudrait dire que les

20 bâtiments d'ici ne sont peut-être pas aussi frappants que certains

21 patrimoines dans la région de Vitez. Il n'y a rien de commun à l'exception

22 toutefois de la grande mosquée de Travnik qui se trouve près de la mosquée

23 de Kiseljak. Rien à voir avec la région de Sarajevo et de Sarajevo même.

24 Toutefois, les mosquées sont importantes.

25 A Stari Vitez, il y a une gasohana -mosquée du seizième siècle

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1 que nous avons eu la possibilité de voir- et nous avons la mosquée de

2 Vares à Busovaca ; et à Kasagici, qui se trouve au nord de Kiseljak, on

3 trouve une mosquée qui remonte au milieu du quinzième siècle. Il y a une

4 mosquée à Bukve qui se trouve au nord de Vitez, construite au dix-

5 neuvième siècle et une à Busovaca de date indéterminée.

6 Tous ces bâtiments sont des bâtiments en pierre mais ils ne sont

7 pas représentatifs du type de bâtiments anciens islamiques qu'on trouve

8 dans la région.

9 Après la Deuxième guerre mondiale, beaucoup de bâtiments en

10 brique ont été construits -et de qualité, je dois le dire- à Gromljak et

11 Cezi*. Il y a beaucoup de mektebs qui ne sont pas très faciles à

12 distinguer des maisons privées. Il y a également, ici et là, en petit

13 nombre, des türbes qui sont des tombes. Ce sont des éléments historiques

14 importants et ils ressemblent à de petites maisons. Il y a quelques

15 éléments de ce genre dans cette région.

16 A partir des années 1970, beaucoup de bâtiments de culte ont été

17 érigés en ciment, de qualité de construction très faible. Il y a des

18 minarets construits en blocs creux. Il y a eu toute une prolifération de

19 minarets aux environs des années 1950 où on a ajouté des minarets en

20 brique à beaucoup de bâtiments. Beaucoup de mosquées ne sont pas

21 construites aujourd'hui avec des minarets. C'est un signe que des

22 Musulmans habitaient là. Mais avant la guerre, donc les trente dernières

23 années, qui n'ont certainement pas été considérées comme l'âge d'or des

24 Musulmans en Bosnie; il y avait eu beaucoup plus de signes d'espoir à

25 l'horizon qu'auparavant. Vous pouvez d'ailleurs voir sur les photographies

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1 des signes de ce que je viens d'avancer.

2 Je crois que je devrais parler maintenant de la façon dont on

3 trouve ces bâtiments dans la campagne parce que c'est important.

4 En effet, si nous n'avons pas d'échantillon raisonnable de

5 quelque chose, il est difficile de tirer des conclusions de ce qu'on voit.

6 La source principale d'information qui a été fournie au Tribunal pénal

7 international était composée de listes de monuments sacrés et de monuments

8 de culte dans ces municipalités. Ces listes sont un peu embrouillées parce

9 qu'elles ne font pas de différence entre les bâtiments. Elles parlent

10 simplement de fonction. Par exemple, on dit une gasohana, et une mekteb

11 est indiquée au mesjid, mais vous ne savez pas s'il y a un ou

12 deux bâtiments, ou même peut-être trois. C'est ce qui rend les choses un

13 peu difficiles quand on essaie d'évaluer l'ensemble de la situation.

14 Ces bâtiments sur ces listes indiquent parfois des mesjids alors

15 qu'il s'agit de mekteb. Ceci exagère l'importance du bâtiment tout en nous

16 donnant une indication du changement de la fonction du bâtiment après la

17 guerre, parce que les gens, n'ayant pas accès aux mosquées, utilisaient

18 les mektebs en remplacement. Cette liste nous fait douter du fait que le

19 bâtiment a véritablement existé ou pas, et il y a plusieurs cas où

20 franchement je ne suis pas certain qu'un tel bâtiment ait existé. Dans un

21 certain nombre de cas également, les bâtiments étaient tout simplement

22 oubliés.

23 Au titre des oublis, on ne peut évidemment pas mentionner des

24 dommages. On les a peut-être oubliés parce que le djamat*, qui est une

25 sorte de paroisse pour la communauté musulmane, ne correspond pas

Page 10572

1 nécessairement aux limites de la municipalité. Voilà.

2 M. Kehoe (interprétation). - Nous allons maintenant passer à ces

3 cartes et je vais demander que l'huissier vous les présente. Nous allons

4 afficher ces cartes de façon à ce que nous puissions localiser les

5 endroits dont vous nous avez parlé.

6 M. Dubuisson. - Ce document porte le numéro 451.

7 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Dubuisson, pourrait-on

8 donner la pièce à conviction suivante ainsi que la 452 qui est une carte ?

9 Il serait d'ailleurs peut-être plus facile de donner également

10 au témoin les deux suivantes de façon à ce qu'il puisse les passer en

11 revue dans l'ordre.

12 Monsieur le Président, Messieurs les juges, à titre de

13 référence, les quatre cartes qui portent la cote 451 à 454 sont des

14 extraits de la pièce à conviction 29. Il est un peu difficile à tous de

15 voir toutes ces localités au chevalet. Je pensais donc qu'il valait mieux

16 que le Docteur Kaiser explique, sur chaque extrait présenté sur le

17 rétroprojecteur, les localités qu'il a visitées.

18 Docteur, permettez-vous qu'on utilise, si on peut le faire, ces

19 pièces à conviction ? Celle qui se trouve sur le rétroprojecteur est donc

20 la 451. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous essayez de faire et

21 pourquoi il y a différentes couleurs ?

22 M. Kaiser (interprétation). - Oui. Il y a deux couleurs sur la

23 carte que vous avez devant vous, mais vous verrez quatre couleurs

24 différentes sur les autres.

25 Le bleu représente un bâtiment détruit parce que le système de

Page 10573

1 fondation est tellement endommagé qu'il doit être rasé.

2 L'autre couleur que vous verrez, que vous ne voyez pas sur cette

3 première carte, est la couleur orange. Cela signifie que le bâtiment est

4 gravement endommagé dans sa construction par des explosifs. Ou bien, cela

5 signifie que le bâtiment a été totalement incendié à l'intérieur et à

6 l'extérieur, que tout a brûlé, qu'il a été endommagé au point qu'il est

7 impossible de le réparer mais, souvent, il semble complètement détruit.

8 Le vert signifie quelques dommages, peut-être impacts

9 d'artillerie dans les murs, peut-être quelques brûlures, mais le système

10 de structure, de construction n'est pas affecté.

11 Le jaune veut dire peu ou pas de dommages du tout et indique

12 qu'on pourrait utiliser ce bâtiment après quelques travaux.

13 Les trois autres couleurs sous-entendent que le bâtiment est

14 inutilisable. De toute évidence, il y a des cas qui ne s'inscrivent dans

15 aucune de ces catégories et je vous les indiquerai.

16 Je vais vous expliquer maintenant ce qui figure sur cette

17 première carte. Cette première carte indique des bâtiments de la liste des

18 bâtiments de la communauté islamique de l'armée de Bosnie-Herzégovine. Il

19 s'agit donc de vingt-six bâtiments d'enseignement et de culte sur cette

20 première carte. Vitez et Busovaca, ces municipalités...

21 Je ne sais pas si vous pouvez tout distinguer.

22 M. Kehoe (interprétation). - Indiquez peut-être avec le

23 pointeur, s'il vous plaît.

24 M. Kaiser (interprétation). - D'accord.

25 M. Kehoe (interprétation). - Voulez-vous qu'on tourne le

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1 rétroprojecteur vers vous ?

2 M. Kaiser (interprétation). - Cette carte représente donc les

3 municipalités de Busovaca et de Vitez...

4 En fait, pourquoi ceci figurait ainsi ? On nous a dit, dans la

5 liste qui nous a été donnée, qu'il s'agissait de bâtiments complètement

6 détruits ou bien gravement endommagés. Il fallait donc les rechercher pour

7 voir ce qui s'était passé dans cette région.

8 Mais vous pouvez voir sur cette première carte que la quasi

9 totalité de ces localités indique qu'il y a peu ou pas de dommages, à deux

10 exceptions près.

11 Une de ces exceptions est le bâtiment à Stari Vitez. Il s'agit

12 de la mosquée Ahmed Aga Mosque, l'autre étant la mosquée de Bukve. Dans

13 ces deux cas, j'ai estimé que les dommages étaient relativement faibles

14 mais, pour la mosquée de Bukve, cela aurait pu être pire mais, très

15 souvent, des réparations ont été faites. Il est donc très difficile, parce

16 qu'on vient souvent vous soumettre des photographies,... et les dommages

17 indiqués sont très souvent exagérés.

18 Il y a une photo de cette mosquée à Stari Vitez, mais il

19 faudrait peut-être d'abord passer à la deuxième carte.

20 M. Kehoe (interprétation). - C'est comme vous voulez.

21 Pardonnez-moi, nous allons passer à la pièce à conviction 452. Celle que

22 nous venons de voir portait la cote 451.

23 Il y a deux localités indiquées. Il faut pour cette pièce 452

24 savoir qu'il s'agit de la région de Kiseljak. Il y a deux coins

25 contrastés.

Page 10575

1 M. Kaiser (interprétation). - Dans le coin en haut, il s'agit de

2 la ligne de front contrôlée par l'armée de Bosnie-Herzégovine. Il s'agit

3 de bâtiments qui ont été peu ou pas endommagés puisqu'ils figurent en

4 jaune, et vous avez des bâtiments indiqués dans le coin droit. Les deux

5 bâtiments indiqués en vert sont des mosquées à Bukovica et Sokolic et,

6 dans les deux cas, il y a des dommages d'artillerie sur les mosquées, mais

7 la direction des impacts vient de l'est ou du sud-est et, en fait, il est

8 très improbable qu'ils aient été faits par le HVO.

9 Les conclusions ici, c'est que les mosquées qui se trouvaient

10 sur la ligne de front, sur les positions de l'armée, ne pouvaient souvent

11 pas être toutes atteintes parce que certaines d'entre elles n'étaient pas

12 toutes visibles, mais la conclusion ici est en fait qu'il y a très peu de

13 dommages. Ce n'est pas le type de dommages par artillerie qu'on a pu voir

14 sur les mosquées situées sur la ligne de front entre l'armée de

15 Bosnie-Herzégovine et des Serbes de Bosnie.

16 M. Kehoe (interprétation). - Voudriez-vous qu'on passe

17 maintenant aux photos ? Ou bien, voulez-vous passer aux cartes ?

18 M. Kaiser (interprétation). - C'est comme vous voulez.

19 M. Kehoe (interprétation). - Alors, Monsieur Dubuisson, si vous

20 voulez donner la série de photos en commençant par les premières qui

21 indiquent des mosquées.

22 M. Dubuisson. - Il s'agit de la pièce 455.

23 M. Kehoe (interprétation). - Nous examinons maintenant la pièce

24 455/1.

25 M. Kaiser (interprétation). - Je crois que ce sera la photo la

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1 plus idyllique de toute la série. Je l'ai prise en juin 1994. Il s'agit de

2 la mosquée Aga. C'est le bâtiment le plus remarquable de toute la région.

3 Ses fondations sont faites très finement. Il n'y a quasiment pas d'autres

4 bâtiments où vous pouvez remarquer un tel travail de construction. Le

5 minaret a été ajouté ultérieurement et il y a un cimetière autour. Vous

6 pouvez voir qu'il n'y a quasiment pas de dommages. Les dommages à cette

7 mosquée permettraient de la classer dans les dommages légers en raison du

8 dommage au minaret supérieur qui n'abîme pas toute la structure du

9 bâtiment. Vous voyez des traces légères de feu. Mais si vous examinez le

10 toit, vous voyez qu'on y a fait quelque chose.

11 Puis-je avoir une autre photo où je pourrai expliquer pourquoi

12 on considère qu'il s'agit d'un bâtiment légèrement endommagé ?

13 M. Kehoe (interprétation). - Cette photo a été prise par le

14 lieutenant Mickael Duli*, du bataillon britannique, au cours de la mission

15 Cecir*, en avril 1993.

16 M. Kaiser (interprétation). - C'est très intéressant parce que

17 vous voyez la partie de face du bâtiment. Mais vous voyez également

18 quelque chose de très intéressant sur le toit, parce qu'en examinant les

19 lignes des différentes tuiles, vous pouvez constater qu'elles sont un peu

20 déplacées, qu'elles ne sont pas alignées comme il convient, et que

21 beaucoup de tuiles du côté sud-est sont tombées.

22 Alors, qu'est-ce que cela veut dire ? Je pense que c'est le

23 résultat des camions piégés qui avaient une capacité de destruction

24 considérable. On m'a fait remarquer que cela semblait être un bâtiment qui

25 avait été détruit par un tremblement de terre. En fait, le toit s'est

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1 soulevé et il s'est effondré ensuite, ce qui explique cela. Il faut non

2 seulement remplacer les tuiles, mais il faut revoir la structure du toit

3 parce que, selon toute probabilité, la structure en bois a également été

4 endommagée, ce qui nous permet d'expliquer pourquoi nous avons dit que

5 c'était un bâtiment à dommages légers.

6 C'est tout ce que j'ai à dire sur cette photo.

7 M. Kehoe (interprétation). - Je crois que nous pouvons revenir à

8 la carte. Passons à la carte suivante qui est la 453.

9 Pouvez-vous nous dire ce que ces deux cartes que nous allons

10 voir représentent ?

11 M. Kaiser (interprétation). - Elles représentent les

12 municipalités de Vitez et de Busovaca. Il y a trois couleurs. Il s'agit

13 d'un territoire contrôlé par le HVO. Vous pouvez constater ici que trois

14 couleurs sont indiquées : une seule couleur verte qui représente les

15 dommages légers à Donja Veceriska, trois bleus qui signifient trois

16 bâtiments détruits, et quatre orange qui signifient quatre bâtiments

17 gravement endommagés.

18 C'est donc la première partie de l'autre carte.

19 Si vous reprenez l'ensemble des bâtiments pour lesquels nous

20 avons des preuves

21 photos, vous constatez que ces deux cartes contiennent vingt-six bâtiments

22 de culte ou d'enseignement sur le territoire contrôlé par le HVO. Trois

23 sont dans la municipalité de Busovaca, cinq dans la municipalité de Vitez

24 et dix-huit à Kiseljak.

25 M. Kehoe (interprétation). - Passons à la carte suivante,

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1 puisque nous avons la 453 sur le rétroprojecteur. Pour le compte rendu,

2 passons à la 454 qui représente la région de Kiseljak placée sous le

3 contrôle du HVO, et qui indique les destructions qui se sont produites

4 dans la région de Kiseljak. Est-ce juste ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Oui, tout à fait. Cette carte a

6 une couleur supplémentaire, la couleur jaune. Vous ne voyez qu'une

7 indication en bleu. Il y a toutefois un nombre important d'orange. Il y a

8 trois bâtiments modérément endommagés. Il y a toute une série

9 d'indications en jaune qui signifient peu ou pas de dommages du tout. Vous

10 voyez donc que la plupart se trouvent au sud, sud est de Kiseljak.

11 M. Kehoe (interprétation). - Poursuivez, Docteur.

12 M. Kaiser (interprétation). - Je crois qu'il faut récapituler ce

13 qui figure sur la carte. J'ai parlé de vingt-six bâtiments. Parmi ces

14 vingt-six bâtiments, plus de la moitié, c'est-à-dire quatorze, sont

15 gravement endommagés ou détruits, c'est-à-dire 44 %. Si vous y ajoutez les

16 dommages légers, cela fait dix-huit et donc 69 % des bâtiments qui ont été

17 vus ou pour lesquels nous avons une preuve photo.

18 A Vitez et Busovaca, tous les bâtiments sacrés ou de culte sont

19 modérément détruits. A Kiseljak, 10 ou 50 % se trouvent dans la catégorie

20 détruite et, là encore, j'ai dit que la catégorie la moins endommagée se

21 trouvait dans la région de Kiseljak. Maintenant, nous avons des photos.

22 M. Kehoe (interprétation). - Pour récapituler, entre ces trois

23 municipalités, celles qui sont détruites ou modérément détruites comptent

24 pour 69 %. C'est bien cela ?

25 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

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1 M. Kehoe (interprétation). - Pourrions-nous reprendre les

2 photos ? Nous allons commencer par la photo 47/1 pour laquelle le

3 Dr Kaiser a reçu une épreuve photo.

4 M. Riad (interprétation). - Attendez, le jaune signifie quoi ?

5 Peu de dommages ?

6 M. Kaiser (interprétation). - Oui, ou pas de dommages.

7 M. Riad (interprétation). - Et le vert ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Dommages modérés.

9 M. Riad (interprétation). - Et le bleu ?

10 M. Kaiser (interprétation). - Destruction. L'orange signifie

11 "gravement endommagé".

12 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous, s'il vous plaît,

13 prendre la pièce 47/1, qui est la photo de la mosquée d'Ahmici. Est-ce la

14 partie basse de la mosquée ?

15 M. Kaiser (interprétation). - Je dois dire qu'il y a quatre

16 bâtiments qui sont détruits parmi le groupe des vingt-six. Ils ont tous

17 été détruits par explosifs. Pour l'un d'entre eux, on ne sait pas s'il est

18 détruit ou gravement endommagé, mais nous avons ici la mosquée d'Ahmici,

19 récemment construite en blocs de ciment. Ce bâtiment est détruit. Il

20 semble que le bâtiment ait été miné en deux endroits, à la base et peut-

21 être également à la base du minaret.

22 M. Kehoe (interprétation). - Pour ce qui concerne le sharafe,

23 qu'est-ce que c'est ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Le sharafe est une galerie. (les

25 mosquées ont parfois deux galeries) par laquelle le responsable de la

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1 mosquée monte à l'étage supérieur et parfois au minaret.

2 Les artificiers savaient donc exactement où placer les

3 explosifs. Non seulement ils ont mis de grosses quantités, mais ils

4 savaient où les placer.

5 M. Kehoe (interprétation). - Peut-on passer à la pièce 47/30 ?

6 Ce n'est pas une photo.

7 M. Kaiser (interprétation). - C’est une mesjid Ahmici. Il y a

8 une meilleure photo

9 qu'ici.

10 M. Kehoe (interprétation). - C’est la pièce 431. Non, en fait,

11 je me trompe, c'est la pièce 47/31. Est-ce bien la 47/31, Monsieur

12 l'huissier, que vous mettez sur le rétroprojecteur ? Nous passons

13 maintenant à la 47/31. Je crois que c'était la photo dont vous parliez.

14 M. Kaiser (interprétation). - Oui, elle est plus graphique.

15 Plusieurs charges d'explosifs ont été placées dans ce bâtiment. Sur le

16 coin, on peut voir qu'il y a une structure de renforcement. Tout a

17 explosé. Il est évident que ce bâtiment est totalement détruit. On ne peut

18 rien réparer.

19 M. Kehoe (interprétation). - Pour bien comprendre, la mosquée

20 que vous avez notée au 47/1, à Armic, s'agit-il d'une mosquée

21 traditionnelle avec minaret ?

22 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

23 M. Kehoe (interprétation). - Et c'est ici un exemple de mesjid,

24 c'est-à-dire de mosquée sans minaret ?

25 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

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1 M. Kehoe (interprétation). - A-t-elle été, là encore, détruite

2 par une charge explosive dans une certaine mesure ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Par plusieurs charges. Peut-être

4 des mines de chars qui sont communément utilisées pour faire exploser les

5 bâtiments.

6 M. Kehoe (interprétation). - Peut-on passer à la photo

7 suivante ? Monsieur l'huissier, elle est dans la série et je pense qu'elle

8 porte la cote 455/3. Je pense que c'est la photo suivante dans vos séries,

9 n'est-ce pas ?

10 (Le témoin acquiesce)

11 M. Kehoe (interprétation). - Veuillez poursuivre.

12 M. Kaiser (interprétation). - C'est le mesjid que j'ai décrit à

13 Skradno. Vous voyez ici qu'il y a l'endroit pour le culte des morts, où on

14 lave la tête des morts. Les explosifs ont donc

15 été utilisés pour faire sauter le toit et l'étage supérieur. Nous n'avons

16 pas de destruction dans cette partie du bâtiment mais ils ont détruit le

17 toit. Et la photo suivante est très intéressante également.

18 M. Kehoe (interprétation). - Il s'agit de la pièce 455/4. Là

19 encore, c'est le mesjid de Skradno.

20 M. Kaiser (interprétation). - Vous pouvez voir le plafond et

21 vous voyez, à droite, que les dommages ont fait s'effondrer les murs vers

22 l'intérieur. Vous voyez l'état de fissures, vous voyez l'état du bâtiment.

23 Ce bâtiment a été construit de la même manière que ce que j'ai décrit tout

24 à l'heure et ce bâtiment a été détruit.

25 M. Kehoe (interprétation). - Je crois que la prochaine mosquée

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1 est celle de Gesing* ?

2 M. Kaiser (interprétation). - Oui

3 M. Kehoe (interprétation). - Pourrions-nous examiner, à titre de

4 référence, la pièce 68/1 et 2 ? Je ne sais pas si vous les avez

5 examinées... Nous allons vous les indiquer. Ce sont les mêmes bâtiments.

6 Il s'agit de la pièce 68/1. C'est la mosquée de Chesing* ?

7 M. Kaiser (interprétation). - Oui, et il y a également la

8 mekteb.

9 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous distinguer ces deux

10 bâtiments : quelle est la mosquée, quel est la mekteb ?

11 M. Kaiser (interprétation). - Voici la mosquée et voici la

12 mekteb ici.

13 M. Kehoe (interprétation). - Pourrait-on reprendre la

14 série 455/5 qui présente un autre angle de la mosquée de Hercezi, je

15 crois ? Monsieur l'huissier pourrait-il la placer sur le rétroprojecteur ?

16 C'est, en fait, la même mosquée prise sous un autre angle, n'est-ce pas ?

17 M. Kaiser (interprétation). - Oui, effectivement. Le seul

18 problème de cette photo, c'est la manière dont elle a été prise. Ce qui

19 s'est passé ICI, c'est que le minaret a été miné, et ceci a provoqué

20 beaucoup de dommages sur le front de la mosquée. Et si l'on regarde le mur

21 d'en face, on voit des dommages provoqués par l'explosion. Je pense que

22 c'est un bâtiment complètement détruit. Il est I

23 mpossible de le sauver.

24 Il n'est pas possible de le voir sur cette photo mais il y a

25 d'autres fissures qui sont représentatives des dommages qui ont été

Page 10583

1 infligés à ce bâtiment, et il s'agit là, en fait, d'un bâtiment qui a été

2 construit en matériaux semblables à ceux qu'on a vus tout à l'heure. Il

3 est, en fait, très facile de faire exploser ce genre de matériaux. Nous

4 avons eu un cas semblable dans la région de Kiseljak qui était quelque peu

5 douteux et, avant cela, on a parlé de trois exemples dans la région de

6 Busovaca. Et il s'agit du même type de charge qui a été placée dans le

7 minaret.

8 M. Kaiser (interprétation). - Nous allons maintenant parler de

9 l'état de mosquées qui ont été gravement endommagées, n'est-ce pas ?

10 Pouvez-vous continuer avec votre explication en vous basant sur la

11 première photo, c'est-à-dire 455/6 ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Nous allons maintenant parler des

13 bâtiments gravement endommagés. Cela veut dire qu'ils ne peuvent pas être

14 reconstruits et ils ne peuvent plus fonctionner non plus.

15 Ce premier bâtiment est un bâtiment qui a été récemment

16 construit à Grbavica. J'ai pris cette photo en juin 1994. Vous pouvez voir

17 qu'il n'y a pas de toit sur ce bâtiment. Là où le toit devrait être, il y

18 avait avant effectivement un toit, mais il a certainement brûlé. Ou bien,

19 il a été démantelé.

20 Vous pouvez également voir l'emplacement où se trouvait le

21 minaret qui est entouré maintenant de gravier. Vous pouvez voir le type de

22 dommages provoqués par l'explosion ici, ici et également ici. C'est le

23 premier exemple d'une mosquée gravement endommagée.

24 M. Kehoe (interprétation). - En ce qui concerne le toit, il a

25 brûlé ?

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1 M. Kaiser (interprétation). - D'après cette photo, on voit

2 quelques traces noires qui laissent croire qu'il a brûlé mais, tout

3 simplement, le toit n'est plus là. Je ne suis pas sûr qu'il ait

4 brûlé, mais il est sûr qu'il est inexistant.

5 M. Kehoe (interprétation). - Très bien.

6 La photo suivante montre la mosquée de Vares. Il s'agit de la

7 pièce à conviction 455/7.

8 Avant cela, je souhaite qu'on jette un coup d'oeil à la pièce à

9 conviction 60/1. La mosquée de Vares se trouve en fait dans le

10 centre-ville de Busovaca, n'est-ce pas ?

11 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

12 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce l'extérieur de la mosquée de

13 Vares ?

14 M. Kaiser (interprétation). - Effectivement. C'est pour cela que

15 j'étais très perplexe en 1994 parce que j'ai vu des bâtiments comme

16 ceux-là. C'est un bâtiment tout à fait récent et on voit des traces

17 d'incendie sur ce bâtiment.

18 M. Kehoe (interprétation). - Passons maintenant à la pièce à

19 conviction 455/7.

20 M. Kaiser (interprétation). - C'est la photo que j'ai prise en

21 juin 1994. C'est l'intérieur de la mosquée. Vous pouvez voir les traces

22 d'incendie et, ce qui est intéressant du point de vue culturel, c'est que

23 cette mosquée n'avait pas de minaret à l'extérieur, mais il a été placé

24 dans le toit. Etant donné que le toit a brûlé, la même chose est arrivée

25 au minaret.

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1 Il s'agit d'une mosquée en pierre qui a été construite au

2 XVIème siècle. Vous pouvez voir les piliers, mais vous ne pouvez presque

3 plus voir de pierres. Je sais qu'on voit ici un état lamentable de cette

4 mosquée, mais cette mosquée peut être reconstruite en utilisant la

5 structure d'origine.

6 M. Kehoe (interprétation). - Pouvons-nous voir maintenant le

7 bâtiment suivant. Il s'agit de l'interi* décrit sur la pièce à

8 conviction 455/8.

9 M. Kaiser (interprétation). - Je m'excuse de la qualité de cette

10 photo étant donné que nous ne pouvons pas très bien voir l'intérieur.

11 Il s'agit là d'un autre bâtiment. L'état dans lequel se trouve

12 ce bâtiment est très

13 délicat. Ici, à l'intérieur, sur le plafond, il y a un trou. On ne voit

14 pas cela sur cette photo mais, ici à peu près, il y a une autre structure

15 derrière des planches qui se trouvent derrière, et le mur qu'on voit ici

16 et le mur derrière ont été détruits. Le mur qui se trouvait ici a été

17 détruit et ceci a provoqué un dommage grave étant donné que l'équilibre du

18 bâtiment reposait sur ce mur. A moins que quelque chose soit fait

19 rapidement, l'équilibre va être totalement ébranlé.

20 Ce genre de dommages est provoqué par des explosions.

21 M. Kehoe (interprétation). - Voyons maintenant le bâtiment à

22 Gacica qui est la photo suivante, la pièce à conviction 455/9. Veuillez

23 également montrer au docteur la photo suivante. C'est la pièce à

24 conviction 455/10. Il sera ainsi plus facile de manipuler les photos.

25 M. Kaiser (interprétation). - Il s'agit ici de mesjids, mektebs

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1 et gasohana. Il y avait des bâtiments qui avaient les trois fonctions.

2 Cette structure était à la fois mekteb et gasohana, qui n'a pas été

3 terminée, mais qui était déjà utilisée avant la guerre.

4 J'ai peur que ceci ne soit pas suffisamment clair. Ici dans

5 l'angle, vous pouvez voir des traces d'incendie. C'est un bâtiment qui a

6 complètement brûlé. Il n'y a plus la structure en bois qui se trouvait

7 ici. Le dommage est grave, mais si on ajoute un toit, on pourrait arriver

8 à rétablir cette structure.

9 Je peux vous dire qu'un grand nombre de bâtiments gravement

10 endommagés peuvent être reconstruits. Nous avons déjà vu quatre exemples

11 de ce type.

12 M. Kehoe (interprétation). - Nous allons parler maintenant de la

13 région de Kiseljak en commençant par la mosquée de Gromiljak, n'est-ce

14 pas ?

15 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

16 M. Kehoe (interprétation). - Peut-on comparer cela aux photos

17 qui sont marquées par la cote "pièce à conviction 67/1-2" ?

18 Regardons maintenant rapidement ces photographies, à commencer

19 par la pièce à conviction 67/1. S'agit-il d'une prise de vue d'extérieur

20 de Gromiljak ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

22 M. Kehoe (interprétation). - Il s'agit de la mekteb de

23 Gromiljak ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Mosquée.

25 M. Kehoe (interprétation). - Mosquée, je m'excuse. La photo

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1 suivante, la 67/2, montre l'intérieur de la mosquée de Gromiljak ?

2 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

3 M. Kehoe (interprétation). - Peut-on maintenant montrer la photo

4 n° 455/11 ? Veuillez montrer l'ensemble de la photo, s'il vous plaît ?

5 Merci.

6 Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ?

7 M. Kaiser (interprétation). - C'est la mosquée de Gromiljak en

8 briques. C'est une belle structure construite après la deuxième Guerre

9 Mondiale. Les charges d'explosifs ont été placées à l'intérieur, ce qui a

10 provoqué beaucoup de dégâts et l'explosion du toit. La partie autour de

11 l'entrée de la mosquée a également été détruite. Il s'agit là d'un dommage

12 grave mais, souvent, les bâtiments en briques résistent mieux et peuvent

13 être reconstruits plus facilement. Je pense donc que c'est probablement

14 possible pour ce bâtiment mais le problème, c'est que si les gens

15 reviennent dans la région et s'ils voient cela, ils vont probablement

16 complètement détruire cette structure plutôt qu'essayer de la reconstruire

17 de manière difficile en utilisant un grand nombre de briques.

18 M. Kehoe (interprétation). - Pouvons-nous voir maintenant,

19 Docteur, la mosquée suivante, qui est la mosquée de Visnjica et qui est

20 représentée sur la photo qui a reçu la cote 73/1-2 ?

21 La photo 73/1, qui se trouve sur le rétroprojecteur, est une

22 photo latérale de la mosquée de Visnjica, n'est-ce pas ?

23 M. Kaiser (interprétation). - C'est exact.

24 M. Kehoe (interprétation). - La photo suivante 73/2 montre

25 l'intérieur ?

Page 10588

1 M. Kaiser (interprétation). - Effectivement. Cela montre le

2 mihrab. C'est une photo très intéressante par rapport à l'idée que l'on

3 peut acquérir sur la base de cette photo du caractère très résistant de ce

4 bâtiment.

5 M. Kehoe (interprétation). - Pouvons-nous maintenant examiner

6 les photographies dans la série 455/12 et 13 ? Il s'agit de la mosquée de

7 Visnjica.

8 M. Kaiser (interprétation). - Il s'agit des dommages semblables

9 à ceux qu'on a vus à Gromiljak. La charge explosive a été placée, cela a

10 provoqué une explosion, cela a détruit le toit et une partie de la

11 structure, mais il est probablement possible de reconstruire le bâtiment.

12 M. Kehoe (interprétation). - Et la photo suivante ?

13 M. le Président. - Nous allons faire une pause.

14 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, très

15 bien merci.

16 M. le Président. - L'audience est suspendue.

17 (L'audience, suspendue à 11 h 30, est reprise à 12 heures)

18 M. le Président. - L’audience est reprise. Veuillez introduire

19 l'accusé, Monsieur le Greffier.

20 (L'accusé est introduit dans la salle d'audience.)

21 M. le Président. - Maître Kehoe, vous pouvez continuer.

22 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président,

23 Messieurs les Juges.

24 Docteur, vous êtes allé dans la région de Kiseljak et nous avons

25 parlé des mosquées, des mektebs et des türbes qui ont été gravement

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1 endommagées. Nous avons parlé de Gromljak et de Visnjica et nous allons

2 maintenant parler de la région de Kiseljak.

3 Je vous demande maintenant, Docteur Kaiser, d'examiner la pièce

4 à conviction 63/1, 63/2 et 63/3,.

5 M. Kaiser (interprétation). - Ceci est la mosquée à Kiseljak. La

6 photo montre la mosquée de l'autre côté de la route. Le minaret a été

7 dynamité. C'est une mosquée en pierre. On a l'impression que le dôme a été

8 endommagé. Je pense que ceci a été fait par des experts, étant donné que

9 les artificiers ont réussi à faire tomber le minaret qui se trouvait en

10 haut du bâtiment. On a l'impression qu'il y a ici quelques briques, mais

11 c'est en fait surtout à côté de la mosquée.

12 M. Kehoe (interprétation). - Et la photo suivante montre

13 l'intérieur ?

14 M. Kaiser (interprétation). - Je pense que ceci est intéressant,

15 étant donné que cela montre la partie intérieure et les traces d'incendie

16 près de l'entrée de la mosquée.

17 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous pointer à cet

18 endroit ?

19 M. Kaiser (interprétation). - Voilà.

20 M. Kehoe (interprétation). - Vous montrez donc les zones noires

21 sur le plafond, n'est-ce pas ?

22 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

23 M. Kehoe (interprétation). - La dernière photo de la mosquée de

24 Kiseljak est la 73/3.

25 M. Kaiser (interprétation). - On a ici aussi des traces

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1 d’incendie et on voit également des débris. Ceci n'est pas une très bonne

2 photo, mais on voit également le mihrab ici.

3 M. Kehoe (interprétation). - C'est l'endroit que vous avez

4 montré en utilisant le pointeur, n'est-ce pas ?

5 M. Kaiser (interprétation). - On a l'impression que ceci a été

6 vandalisé. Il est difficile de voir cela à la base de la photo, mais on a

7 l'impression qu'il y a eu un incendie ici, juste devant le mihrab.

8 M. Kehoe (interprétation). - Il y a donc également des traces

9 d'incendie sur le mur ?

10 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

11 M. Kehoe (interprétation). - Pouvons-nous voir maintenant la

12 mosquée Hanploca ? C'est la pièce à conviction 398, n'est-ce pas ? Il

13 s'agit bel et bien de la mosquée d'Hanploca ?

14 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

15 M. Kehoe (interprétation). - Dans votre série de photos,

16 regardons maintenant la pièce à conviction 455/14. C'est la mosquée

17 d'Hanploca prise d'un autre angle. Cette photo a visiblement été prise à

18 un autre moment, à une autre période de l'année...

19 M. Kaiser (interprétation). - Effectivement. Il s'agit de la

20 mosquée d'Hanploca. Vous pouvez voir ici la vieille structure. Vous pouvez

21 voir la structure en gravier qui est derrière.

22 M. Kehoe (interprétation). - Vous montrez maintenant le haut du

23 bâtiment ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Ceci est la partie frontale de la

25 vieille mosquée et nous avons ici la structure plus récente, en brique. La

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1 mekteb est la gasohana. Je pense que c'est ici.

2 M. Kehoe (interprétation). - La photo suivante est la

3 photo 455/5. C'est la mekteb de Gomionica ?

4 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est une photo de cette

5 année que j'ai prise pendant mon séjour dans la région. Vous pouvez voir

6 que ceci a été très gravement endommagé. La mekteb a complètement brûlé.

7 M. Kehoe (interprétation). - Vous montrez le haut de la

8 photographie qui est en même temps le haut du bâtiment ?

9 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

10 M. Kehoe (interprétation). - C'est la mekteb de Gomionica,

11 n'est-ce pas ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Effectivement.

13 M. Kehoe (interprétation). - La photo suivante est la 455/16.

14 Veuillez expliquer.

15 M. Kaiser (interprétation). - C'est une structure très

16 intéressante, c'est un türbe et il y a ici, à l'intérieur, l'endroit où on

17 enterre la personne. Je pense qu'il s'agit du türbe de

18 Cerizakajni*, qui était un commandant de l'armée du sultan au cours du

19 quinzième siècle. Il s'agit de quelque chose qui fait partie de l'héritage

20 culturel. Les türbes semblables servaient à des personnalités importantes

21 du passé.

22 Si on regarde cette structure sur la photo, on voit qu'il ne

23 s'agit pas de la vieille structure originale, il s'agit d'une structure

24 bâtie dans les années 70 ou 80 et, d'après la photo, on a l'impression

25 qu'elle a brûlé. On voit des traces d'incendie ici.

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1 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit que vous aviez

2 entendu qu'il s'agissait de la tombe d'un commandant de l'armée du sultan

3 du quinzième siècle ?

4 M. Kaiser (interprétation). - Il s'agit d'une information qui

5 provient d'une source écrite. Il s'agit donc d'une source officielle, mais

6 il ne s'agit pas d'une source culturelle. Le problème, c'est que dans ce

7 document, le personnage qui est enterré dans ce türbe n'est pas identifié

8 et cela pose problème.

9 M. Kehoe (interprétation). - Les gens de la région pensaient-ils

10 que c'était un türbe où un leader islamique important était enterré ?

11 M. Kaiser (interprétation). - C'est une autre affaire. Je ne

12 sais pas si les gens de la région le croyaient, mais je sais qu'ils y

13 attachaient une certaine importance. Je ne sais pas si tout le monde le

14 considérait, mais je pense et je sais que les gens locaux le croyaient

15 effectivement assez souvent.

16 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous récapituler votre

17 constatation en ce qui concerne ces bâtiments dans la municipalité de

18 Kiseljak avant de passer à une autre série de questions ?

19 M. Kaiser (interprétation). - Très bien. Il y avait donc

20 six bâtiments qui ont été gravement endommagés dans la région de Kiseljak

21 comparés à quatre dans la région de Busovaca et Vitez. Quatre fois, les

22 dommages ont été provoqués par des explosifs. Quatre fois, il s'agissait

23 d'incendies et, deux fois, il s'agissait peut-être d'une combinaison

24 d'incendies et

25 d'explosifs.

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1 M. Kehoe (interprétation). - Nous parlerons maintenant d'un

2 autre domaine : il s'agit des bâtiments de culte islamique qui ont été

3 moins endommagés, n'est-ce pas ?

4 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

5 M. Kehoe (interprétation). - Veuillez placer la première

6 photo 455/17 sur le rétroprojecteur.

7 M. Kaiser (interprétation). - Je me rappelle qu'il y avait

8 quatre bâtiments dans ces municipalités qui se trouvaient dans un tel

9 état. Ce bâtiment-là est la mekteb de Donja Vecerska qui se trouve dans la

10 municipalité de Vitez. Ce bâtiment a été pillé et le toit a disparu. Nous

11 voyons des traces noires sur le toit, mais nous ne voyons pas très bien

12 d'après la photo.

13 M. Kehoe (interprétation). - La photo suivante est la

14 photo 455/18.

15 M. Kaiser (interprétation). - C'est une mosquée à Duhri qui n'a

16 pas été terminée. On voit apparemment ici des traces d'explosion. Il n'y a

17 pas beaucoup de débris provoqués par cette explosion. J'ai lu quelque part

18 que ce bâtiment avait été dynamité. Ceci est effectivement tout à fait

19 possible. De toute façon, le minaret n'était pas terminé, mais il est

20 évident que les dommages proviennent des explosifs et il s'agit de

21 dommages modérés.

22 M. Kehoe (interprétation). - En fait, vous avez mentionné une

23 autre photo qui était modérément endommagée également.

24 M. Kaiser (interprétation). - Effectivement.

25 M. Kehoe (interprétation). - Pour le transcript, pourriez-vous

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1 nous dire de quoi il s'agit ?

2 M. Kaiser (interprétation). - De la mekteb.

3 M. Kehoe (interprétation). - Je m'excuse, peut-on maintenant

4 examiner brièvement la pièce à conviction 68/1 ?

5 Nous allons un peu répéter les choses, Docteur, mais, je le

6 répète, on a la mosquée à

7 gauche et on a la mekteb à droite. C'est bien cela ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

9 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous pointer la mekteb ?

10 M. Kaiser (interprétation). - C'est le bâtiment au centre.

11 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous nous parler de ce

12 bâtiment ?

13 M. Kaiser (interprétation). - Je ne l'ai pas vu moi-même mais ce

14 bâtiment est modérément endommagé puisque nous voyons que le toit est

15 entièrement parti. Si on regarde les fenêtres du premier étage, on ne voit

16 pas d'entrée de lumière du jour. Il est possible que le toit ait brûlé ;

17 il est possible aussi qu'il n'ait pas brûlé. Il est possible qu'il y ait

18 eu dénudement des structures. C'est, en tout cas, un bâtiment modérément

19 endommagé.

20 M. Kehoe (interprétation). - Pouvons-nous passer au bâtiment

21 suivant 66/1-2 ? Il s'agit du mesjid de Yerevad*, à Svinjarevo.

22 Poursuivez, Docteur.

23 M. Kaiser (interprétation). - C'est bien le mesjid de Yerevad*

24 qui a subi un pillage et un incendie, et le toit est en partie dénudé.

25 M. Kehoe (interprétation). - Pouvons-nous passer à la

Page 10595

1 photographie suivante ? C'est bien l'intérieur du mesjid de Yerevad* ?

2 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est l'intérieur. C'est

3 difficile à déterminer ici d'après la photographie qui n'est pas de très

4 bonne qualité mais sur la photographie prise par moi après ces événements,

5 on voit qu'il y a eu tentative d'incendie de la mosquée qui n'a pas

6 provoqué de dommages importants. On constate que la structure du toit est

7 intacte de l'intérieur.

8 M. Kehoe (interprétation). - Y a-t-il eu d'autres bâtiments dans

9 la municipalité de Kiseljak qui ont subi quelques dommages ?

10 M. Kaiser (interprétation). - Oui, huit entrent, en fait, dans

11 cette catégorie, c'est-à-dire qui ont été légèrement endommagés. Dans un

12 cas, il s'agit simplement de vitres brisées à la

13 fenêtre. Il y a une photo de la mekteb qui montre ces dommages légers.

14 M. Kehoe (interprétation). - Pouvons-nous maintenant passer à la

15 pièce 455/19 ?

16 M. Kaiser (interprétation). - On voit ici la mekteb et la

17 gasohana de Gornipalj*. On constate sur le toit des dommages dus aux tirs

18 d'armes légères et, un peu plus bas, ici, j'ai l'impression qu'il y a eu

19 dénudement.

20 Il faut bien penser que les dommages sont parfois constatés au

21 niveau des tuiles et les gens viennent à ce moment-là retirer des tuiles

22 supplémentaires du toit. C'est un aspect intéressant des choses. Le toit

23 est évidemment la partie supérieure du bâtiment. On peut également penser

24 ici à des pillages commis dans le bâtiment et il ne faudrait pas grand-

25 chose pour réparer ce bâtiment, mais il était inaccessible.

Page 10596

1 M. Kehoe (interprétation). - Merci. Je crois que nous en avons

2 fini avec les photographies pour le moment. Nous allons avancer, Docteur.

3 Pouvons-nous passer maintenant aux informations que vous avez reçues au

4 sujet de ces destructions ? Pourriez-vous passer à cette partie de votre

5 déposition ?

6 M. Kaiser (interprétation). - Pour être tout à fait franc, j'ai

7 reçu très peu d'informations au sujet des dates exactes des destructions

8 pendant ma mission. S'agissant de la mosquée de Grbavica en 1994, l'ECMM

9 m'a dit qu'elle avait été incendiée en avril 1993. J'ai discuté avec

10 l'organisme des réfugiés croates sur le site de Grbavica qui m'a dit que

11 la mosquée avait été minée deux semaines avant la fin du mois de mai,

12 c'est-à-dire aux alentours du 20 mai 1994.

13 S'agissant de la mosquée de Vares, l'ECMM m'a dit qu'elle avait

14 sans doute été endommagée en septembre 1993 et que le minaret avait été

15 miné en mars 1994. Pour le mesjid de Yelinak, c’est une mesjid qui se

16 trouvait sur le territoire tenu par l'armée de Bosnie-Herzégovine et le

17 village a subi une attaque bosniaque. Un Bosnien du village m'a dit que

18 l'attaque avait eu lieu le 17 avril 1993.

19 Pour la mosquée de Skradno, un Bosnien m’a dit qu'elle avait été

20 minée pendant une attaque du HVO en octobre 1993.

21 Pour le türbe de Gomionica, une personne bosnienne qui était

22 revenue sur les lieux, avec laquelle j’ai parlé en juin, m’a dit qu'elle

23 avait été incendiée en avril 1994.

24 On m'a montré des preuves vidéos qui montrent que la Katabeta* a

25 été endommagée en avril ou mai.

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1 Voilà toutes les informations que je possède s'agissant des

2 dates.

3 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Docteur.

4 Parlons maintenant un peu des remarques générales que vous

5 pourriez vouloir faire aux juges s'agissant des bâtiments éducatifs, du

6 culte, bâtiments consacrés également dans les territoires tenus par le

7 HVO.

8 M. Kaiser (interprétation). - Lorsque l'on a une certaine

9 expérience de la région, on a tendance à comparer ce qui s'est produit

10 dans une région par rapport à ce qui est arrivé et que l’on a pu voir dans

11 d'autres régions.

12 La première remarque que je ferai est la suivante, et je vous

13 renvoie aux deux premières cartes que nous avons vues. Très peu de

14 dommages ont été provoqués par des actions émanant des positions du HVO

15 contre des positions tenues par l'armée de Bosnie-Herzégovine. Ces

16 dommages sont très légers, je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas si

17 c'est le hasard ou la volonté qui a abouti à cela, mais si l’on compare

18 aux dommages dus aux combats avec les Serbes, ces dommages peuvent être

19 considérés comme tout à fait négligeables.

20 Mon deuxième commentaire est le suivant, à savoir qu'il n'y a

21 pas eu de dommages dus aux bulldozers dans les mosquées. L'emploi des

22 bulldozers est un phénomène tout à fait urbain, qui semble démontrer une

23 approche plus raisonnable, plus raisonnée de ce que l'on fait.

24 En Republika Sopsca*, il y a eu pas mal de dommages dus à des

25 bulldozers contre les mosquées, pas seulement dans les villes, mais aussi

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1 dans les villages, à Belinova notamment, à Vitez, à Busovaca et à

2 Kiseljak. Dans ces municipalités, il n'y a pas de dommages dus aux

3 bulldozers.

4 Il est intéressant de constater que certaines mosquées qui

5 auraient pu être candidates à la destruction par les bulldozers, si la

6 volonté avait été présente, n’ont pas été détruites de cette façon. Même

7 par les mines, ils ne détruisaient en général que les minarets.

8 Je me suis trouvé dans une situation, un jour, où le bâtiment

9 avait été détruit en partie et la population s'est servie d'excuses

10 ensuite, en s'appuyant sur ces destructions partielles pour détruire le

11 bâtiment entièrement.

12 En général, lorsqu'un minaret a explosé, on vous dit que le

13 minaret est dangereux et qu'il faut le détruire, mais en général l'excuse

14 ne tient pas. Il est donc possible que l'explosion du minaret ait été une

15 forme d'invocation d'une raison justifiant cette destruction.

16 Maintenant, si vous comparez la situation dans les trois

17 municipalités que l’on trouve dans les régions tenues par le HVO, on

18 constate des différences. Bien entendu il existe moins de monuments sacrés

19 et de monuments du culte islamique dans la région de Busovaca par exemple,

20 mais de toute façon ils sont moins endommagés que les bâtiments que l’on

21 trouve dans la municipalité de Kiseljak.

22 A Kiseljak, les bâtiments qui ont survécu semblent être

23 majoritairement des mektebs. Les mektebs sont des bâtiments plus anonymes,

24 qui pour la plupart ressemblent beaucoup à des maisons. Ces bâtiments ne

25 se détachent donc pas des bâtiments généraux.

Page 10599

1 Mais lorsque c'est la population locale qui commet les

2 destructions, elle sait exactement ce qu'elle vise.

3 Cela étant, dans la municipalité de Kiseljak, les dommages ont

4 été moins nombreux, y compris sur les bâtiments du culte.

5 M. Kehoe (interprétation). - Vous dites donc qu'à Vitez et

6 Busovaca, les dommages ont été plus importants qu'à Kiseljak ?

7 M. Kaiser (interprétation). - Oui, ils ont été plus graves. Il

8 convient de dire que dans ces deux régions, les mosquées et les mesjids

9 sont endommagés gravement.

10 Il convient de rappeler qu'il n'y a pas un seul minaret dans les

11 territoires contrôlés par le HVO ; il y a un minaret à Stari Vitez, mais

12 aucun autre.

13 M. Kehoe (interprétation). - Avant de passer à un autre point,

14 vous avez dit qu'il n'y avait pas de minarets debout dans les zones tenues

15 par le HVO. Mais le minaret tient toujours à Stari Vitez ?

16 M. Kaiser (interprétation). - Mais c'était un territoire qui

17 n'était pas tenu par le HVO.

18 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que ce minaret a reçu des

19 coups de feu ?

20 M. Kaiser (interprétation). - Oui, mais ces tirs n'étaient pas

21 particulièrement déterminés. Pour récapituler, dans le territoire tenu par

22 le HVO, 54 % des bâtiments ont été gravement endommagés ou détruits, 69 %

23 ayant subi des destructions modérées. Ensuite, la gamme s'étend jusqu'à la

24 destruction totale.

25 M. Kehoe (interprétation). - Docteur, sur la base du travail que

Page 10600

1 vous avez accompli dans la région, quelle est l'importance que vous

2 attachez à ces destructions de bâtiments du culte islamique ?

3 M. Kaiser (interprétation). - La réponse la plus évidente

4 consiste à dire que ces destructions permettaient de priver la population

5 musulmane de son lieu de culte, c'est une conclusion tout à fait évidente,

6 parce que là où il y a des minarets, il y a des Musulmans. Là où il n'y a

7 pas de minarets, cela semble indiquer qu'il n'y a pas de Musulmans. Les

8 minarets scandent donc le paysage et indiquent quelle est la composition

9 ethnique ou nationale présente dans ce paysage. Si l’on retire un minaret,

10 c'est une façon de dire qu'il n'y a pas de Musulmans ici.

11 Maintenant, pour revenir à la question de savoir ce que les

12 monuments consacrés représentent exactement pour la population rurale, je

13 pense que l’on peut répondre à cette

14 question en disant qu'il s'agit d'une blessure très importante et très

15 durable qui est infligée à la population bosnienne sous la forme de ces

16 destructions. Compte tenu de l'importance de ces destructions, on peut

17 évoquer la notion de sacrilège. C'est donc une façon tout à fait

18 déterminée de dire à la population bosnienne : « Nous ne voulons plus

19 vivre avec vous ».

20 Il y a quelques autres remarques que l'on peut formuler

21 également, je pense. Lorsque l’on s'attaque à un bâtiment ancien, bien sûr

22 l'ancienne mosquée de Stari Vitez est toujours debout. Elle est associée à

23 une tradition selon laquelle la pierre serait venue d'un pont romain,

24 c'est-à-dire que la pierre n'a pas été taillée pour la mosquée, mais pour

25 un pont romain.

Page 10601

1 Lorsque l’on s'attaque à cette mosquée, on fait plusieurs choses

2 à la fois. La première est que l'on élimine le souvenir, parce que ce

3 bâtiment date du seizième siècle. On élimine donc les Musulmans dans le

4 paysage d'aujourd'hui et dans le paysage de demain, mais également dans le

5 paysage d'hier. Dans ce cas, on va même encore plus loin, c'est-à-dire que

6 l'on essaie de tuer la perception du passé quant à la population. On

7 élimine les Musulmans de la chronologie, donc du temps et pas seulement de

8 l'espace. On dit, en fait, que les Musulmans n'ont jamais été présents

9 ici.

10 Il y a une autre question qui est très importante, à laquelle

11 j'ai beaucoup réfléchi. Il est courant de considérer les destructions du

12 patrimoine culturel de l'autre comme une attaque contre l'autre. C'est une

13 vérité ; c'est tout à fait évident. Mais les choses sont, en fait, plus

14 complexes que cela parce qu'il ne s'agit pas uniquement de nettoyer

15 physiquement une société, de l'éliminer, mais cela signifie également

16 qu'on change l'identité de son propre peuple. Je crois que nous devrions

17 tous prendre cela davantage en considération aujourd'hui parce que ce qui

18 a été fait contre les Croates de la région, c'est qu'on les a séparés, on

19 les a coupés des Musulmans. On supprime donc chez eux l'expérience de la

20 vie qu'ils ont pu avoir de coexistence avec autrui. Et, dans les derniers

21 souffles du XXème siècle, c'est une façon particulière de créer l'orée de

22 temps nouveau.

23 M. Kehoe (interprétation). - Docteur, lorsque vous vous rendiez

24 dans ces régions, constatiez-vous une différence de destruction des

25 monuments consacrés -et, en utilisant ce terme, je parle des monuments

Page 10602

1 relevant de toutes les religions- dans les zones tenues par le HVO et les

2 zones tenues par l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

3 M. Kaiser (interprétation). - En 1994, nous avons essayé de nous

4 faire une idée complète des dommages subis par les bâtiments culturels et

5 bâtiments du culte parce que nous voulions être équitables et nous faire

6 une idée globale de ces destructions.

7 En 1994, j'ai voyagé dans la région mais je n'ai pas pu me

8 rendre partout, à savoir que je n'ai pas vu toutes les mosquées ou toutes

9 les mesjids pendant ce voyage. Nous avons aussi essayé de voir les églises

10 orthodoxes serbes et les églises catholiques, et j'en ai vu quelques-unes.

11 Je dirais que les dommages provoqués dans les zones contrôlées

12 par le HVO -dommages provoqués sur le patrimoine sacré bosnien- ont été

13 beaucoup plus importants que les dommages que j'ai pu constater dans des

14 églises catholiques en dehors des territoires contrôlés par le HVO.

15 Il convient de souligner également qu'il y a, à Busovaca, une

16 église orthodoxe serbe qui date du dix-neuvième siècle. Je me suis rendu

17 dans cette église. On m'a donné la clef. J'y ai pénétré. Elle était

18 parfaitement intacte à Busovaca sous le contrôle du HVO. Mais qu'est-ce

19 que j'ai vu en dehors du territoire contrôlé par le HVO ? Je me suis rendu

20 à Kacuni où j'ai vu une église moderne qui avait été pillée, vidée. Les

21 vitres devaient très probablement avoir été brisées. Je ne m'en souviens

22 pas exactement mais il n'y a pas eu d'incendie.

23 A Guca Gora, j'ai vu un monastère. J'ai été un des premiers

24 membres de la communauté internationale à avoir accès aux abords de

25 Guca Gora. On ne m'a pas laissé pénétrer à l'intérieur du monastère où il

Page 10603

1 y avait une église et je n'ai pas pu pénétrer non plus dans les bâtiments

2 entourant le monastère, mais on m'a dit -ce sont des membres de l'ECMM ou

3 de

4 l'armée de Bosnie-Herzégovine, ou des voyageurs qui me l'ont dit- que

5 l'armée de Bosnie-Herzégovine avait expulsé des mujahedeens après une

6 occupation par eux qui a duré deux semaines.

7 Le bâtiment paraissait en bon état de l'extérieur. J'avais avec

8 moi un assistant chargé du patrimoine culturel qui, quelques semaines

9 avant -parce que Guca Gora avait été inscrit sur la liste des monuments

10 nationaux de Bosnie-Herzégovine-, avait insisté pour inspecter l'église

11 et, à l'intérieur de l'église, il y avait des graffitis faits par des

12 membres de l'armée de Bosnie-Herzégovine.

13 J'ai visité des églises à Travnik et je crois que l'église

14 catholique fonctionnait encore à l'époque de ma mission. Elle n'avait pas

15 été endommagée par la population locale. L'église orthodoxe serbe était

16 légèrement endommagée à l'extérieur, peut-être en raison des combats avec

17 l'armée de Bosnie-Herzégovine. Rien n'avait été fait apparemment pour

18 perturber le fonctionnement de l'église à l'intérieur.

19 J'ai visité aussi une église à Dolac qui se trouve à

20 l'extérieur, à l'ouest de la poche de Vitez. Cette église est un très beau

21 bâtiment qui a subi quelques dommages dus au combat au niveau du toit. A

22 l'intérieur, elle a été vandalisée, pillée ; il y avait aussi quelques

23 vitres brisées, mais aucune tentative d'incendie.

24 Ce que je pourrais dire sur la base de l'échantillonnage très

25 réduit de bâtiments que j'ai visités dans la région -et je parle d'une

Page 10604

1 région qui était proche du front de l'armée de Bosnie-Herzégovine, qui ne

2 pouvait pas être vue par le HVO-, c'est que les dommages étaient bien

3 inférieurs à ceux qu'on pouvait constater au niveau des bâtiments du culte

4 islamique dans la poche de Kiseljak et de Vitez.

5 M. Kehoe (interprétation). - Dans les zones que vous avez

6 visitées à Kiseljak, Vitez et Busovaca, vous avez vu des bâtiments qui ont

7 été dynamités, parfois de façon très professionnelle selon votre

8 déposition, notamment à Vitez, n'est-ce pas ?

9 M. Kaiser (interprétation). - Oui, il y a eu quelques cas, comme

10 la mosquée d'Ahmici. Je crois qu'on peut aussi parler de la mosquée de

11 Kiseljak où le travail a vraiment été professionnel.

12 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous constaté la même chose au

13 niveau d'églises catholiques ou orthodoxes, selon ce que vous avez pu voir

14 en personne ?

15 M. Kaiser (interprétation). - En dehors des zones contrôlées par

16 le HVO, j'ai vu des églises et je n'ai vu aucun bâtiment endommagé par des

17 mines ni même de bâtiments incendiés. J'ai vu deux églises orthodoxes

18 serbes incendiées au sud de la Vallée de la Lasva, dans la vallée de la

19 Bosna, au sud de la poche de Zepce.

20 Je connais aussi des villages qui possèdent une église

21 catholique et ces églises ont effectivement été brûlées par l'armée de

22 Bosnie-Herzégovine, mais ce sont des zones qui se trouvent en dehors de la

23 région dont nous parlons.

24 Pour ce qui est de la zone en question, j'ai vu des dommages qui

25 n'étaient pas très importants comparés aux dommages constatés à

Page 10605

1 l'intérieur des enclaves.

2 M. Kehoe (interprétation). - Dans votre déposition, Docteur, il

3 y a quelques instants, vous avez dit que la destruction d'une mosquée et

4 d'un minaret était une façon d'envoyer un message aux Musulmans, ce

5 message signifiant : "nous ne voulons plus vivre avec vous".. C'est bien

6 cela ?

7 M. Kaiser (interprétation). - Oui, je crois que c'est ainsi

8 qu'on peut interpréter ce message.

9 M. Kehoe (interprétation). - Ces actes qui débouchent sur la

10 destruction de monuments du culte et de monuments consacrés peuvent-ils

11 être synonymes d'une volonté de supprimer la population musulmane de la

12 région ?

13 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est possible.

14 M. Kehoe (interprétation). - Je vous demanderai maintenant de

15 réfléchir à la notion

16 de responsabilité, Docteur, si vous le voulez bien. Que pourriez-vous

17 dire sur la base de votre expérience, du travail que vous avez accompli

18 dans la région, de la responsabilité qui était la vôtre s'agissant de la

19 défense des bâtiments culturels et des bâtiments du culte en

20 Bosnie centrale notamment ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Pour moi et pour la communauté

22 internationale impliquée dans des actes relatifs au patrimoine culturel

23 pendant les guerres, ce problème de responsabilité est presque

24 obsessionnel. Nous ne l'avons peut-être pas exercé autant que nous aurions

25 pu le faire mais, sur le plan opérationnel, on peut parler de

Page 10606

1 responsabilités pour tous les pays où les autorités civiles sont

2 responsables de la défense du patrimoine culturel et des biens publics

3 dont les noms figurent sur des listes officielles.

4 La même chose peut être dite de la Bosnie-Herzégovine. Les

5 civils ont toujours eu cette responsabilité en temps de paix -et autres,

6 d'ailleurs- eu égard à la défense des bâtiments classés. En

7 Bosnie centrale, dans cette zone contrôlée par le HVO, la mosquée de Vares

8 était classée comme un bâtiment entrant dans la catégorie 3, à savoir un

9 bâtiment d'importance régionale et d'importance locale. C'est ce qui était

10 indiqué dans les documents fournis par les instituts chargés de la défense

11 du patrimoine culturel et historique de la Bosnie-Herzégovine. Je crois

12 que la mosquée Ahmed Aga était aussi un bâtiment classé mais je n'en ai

13 pas la preuve à ce jour. En tout état de cause, les autorités civiles de

14 Busovaca avaient pour devoir -c'était leur responsabilité juridique- de

15 protéger la mosquée de Vares, et la mosquée de Vares a été incendiée, le

16 minaret a été dynamité.

17 Il y a aussi un autre niveau de responsabilité qui est celle des

18 autorités militaires. La Yougoslavie est un Etat qui avait signé la

19 convention de La Haye de 1954 relative à la protection du patrimoine

20 culturel et la Yougoslavie était traditionnellement connue comme une très

21 bonne élève eu égard à cette protection, ce qui signifie qu'il y avait des

22 bâtiments qui appartenaient au patrimoine culturel et historique et qui

23 devaient être épargnés en cas de guerre

24 sur tel ou tel territoire.

25 Les forces armées yougoslaves avaient apparemment un abord très

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1 positif du patrimoine culturel. Je me rappelle que la convention de

2 La Haye a été mentionnée à de nombreuses reprises au début de la guerre, à

3 Dubrovnik, et le drapeau de cette convention de La Haye a été soulevé à de

4 très nombreuses reprises, mais il a eu beaucoup moins d'importance dans

5 d'autres pays. Je crois que la France a refusé d'utiliser ce drapeau parce

6 qu'elle prétendait que c'était une façon d'attirer l'attention sur les

7 bâtiments en question. Quoi qu'il en soit, les militaires ont, à mon avis,

8 pour responsabilité de protéger ce type de bâtiments et, dans ce cas, la

9 mosquée de Vares aurait dû figurer sur la liste des bâtiments à protéger,

10 je le répète. Quelle que soit l'identité des personnes qui exercent la

11 responsabilité de protéger ces bâtiments, on constate aujourd'hui que

12 certains d'entre eux ont été gravement endommagés.

13 M. Kehoe (interprétation). - Vous êtes allé dans les régions

14 dont vous avez parlé ; vous avez vu les destructions à Vitez, à Busovaca

15 et à Kiseljak. Le HVO n'a donc pas rempli ses responsabilités, à votre

16 avis. C'est ce que vous dites ?

17 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

18 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, je voudrais

19 quelques instants pour m'entretenir avec mon collègue, Maître Harmon... Je

20 n'ai pas d'autres questions à poser au Dr Kaiser.

21 M. le Président. - Vous demandez le dépôt de toutes les pièces,

22 de toutes les photos, Maître Kehoe ?

23 M. Kehoe (interprétation). - Oui, les pièces 451 à 455 incluses.

24 M. le Président. - Merci. Maître Hayman ?

25 M. Hayman (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

Page 10608

1 Bonjour, Docteur Kaiser. Je m'appelle Russel Hayman et je

2 représente le général Blaskic dans ce procès.

3 Je suppose que vous avez un diplôme en histoire ?

4 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

5 M. Hayman (interprétation). - Quel était le sujet de votre

6 dissertation en PJD*?

7 M. Kaiser (interprétation). - La période des XVème et XVIème

8 siècles.

9 (L'interprète précise qu'elle n'a pas entendu la réponse)

10 M. Hayman (interprétation). - Et quel était le sujet ?

11 M. le Président. - L'interprète n'a pas entendu le titre et

12 cela m'aurait intéressé de savoir quel était le titre. J'ai entendu la

13 date.

14 M. Kaiser (interprétation). - Ce sont "Les maîtres de requête

15 pendant l'époque de centralisation 1589 à 1660".

16 M. Hayman (interprétation). - En dehors de vos rapports au

17 Conseil de l'Europe, avez-vous publié des documents sur la question dont

18 vous avez témoigné aujourd'hui ?

19 M. Kaiser (interprétation). - Non, je n'ai rien publié.

20 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous dit que vous aviez

21 témoigné antérieurement devant cette Cour ?

22 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

23 M. Hayman (interprétation). - Dans quel cas ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Dans le cas de la décision 61, en

25 ce qui concernera Donova Karadzic.

Page 10609

1 M. Hayman (interprétation). - Vous rappelez-vous du mois et de

2 la date ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Je pense que c'était en juillet,

4 il y a deux ans. C'était en 1996.

5 M. Hayman (interprétation). - Vous avez décrit votre première

6 mission dans la vallée de la Neretva et vous aviez dit qu'il y avait eu

7 des représailles en réponse aux conduites des Serbes de Bosnie. Qui a

8 engagé ces représailles ?

9 M. Kaiser (interprétation). - J'ai été guidé par deux Croates le

10 long de tous ces sites et, après une certaine hésitation de leur part, ils

11 ont dit : "Notre parti l'a fait", et ils ne sont pas entrés dans beaucoup

12 de détails. Je dirais que des spécialistes s'occupaient de cela et qu'ils

13 l'ont fait.

14 M. Hayman (interprétation). - Ceux qui vous ont guidés

15 étaient-ils des civils ou des militaires ?

16 M. Kaiser (interprétation). - Des civils.

17 M. Hayman (interprétation). - Lorsqu'on vous a emmené dans la

18 Vallée de la Lasva et à Kiseljak, y a-t-il eu des reconnaissances de

19 culpabilité ou de responsabilité par les guides de votre mission

20 concernant les destructions ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Ecoutez, mes deux guides étaient

22 des membres de l'ECMM et il s'agissait donc de membres militaires qui

23 avaient été essentiellement dans cette région, qui y avaient travaillé, et

24 l'information venait d'eux. Il n'y a pas eu d'informations émanant de

25 personnes locales ou d'avis concernant le fait de savoir qui avait détruit

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1 quoi.

2 M. Hayman (interprétation). - Vous n'avez donc pas eu de tels

3 contacts lors de cette mission ?

4 M. Kaiser (interprétation). - Non, pas avec les gens sur place.

5 J'ai eu des contacts, j'ai parlé avec un imam à Kacuni qui a accusé le

6 HVO. Si, il y a eu quelques vagues contacts. Une personne a dit : "Tout

7 ceci a été fait par le HVO". C'était ce type de commentaires qui étaient

8 faits. On le disait à propos de projectiles, d'armes de petit calibre,

9 etc.

10 M. Hayman (interprétation). - Mais rien de spécifique, pas de

11 détails ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Non, pas vraiment de détails.

13 M. Hayman (interprétation). - Vous avez décrit la destruction,

14 en mai 1993, de la mosquée de Banja Luka. Savez-vous qui a pu être

15 impliqué dans ce ou ces actes ?

16 M. Kaiser (interprétation). - Vous parlez de la destruction de

17 la mosquée d'Hya*,

18 qui est une des mosquées de Ferhadija, et de la mosquée qui a été détruite

19 en 1993 et qui a donné lieu à beaucoup d'autres destructions. C'est

20 malheureusement le résultat d'oeuvres d'experts, mais je ne sais pas qui

21 l'a fait.

22 M. Hayman (interprétation). - Qui contrôlait le territoire ?

23 M. Kaiser (interprétation). - C'était un territoire de la

24 Republika Serbska*, donc contrôlé par les autorités serbes de la

25 Bosnie-Herzégovine.

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1 M. Hayman (interprétation). - Ai-je raison de dire que vous vous

2 êtes tout d'abord rendu dans la Vallée de la Lasva ou de Kiseljak et que

3 cette visite se situe entre le 30 mai et le 22 juin 1994 ?

4 M. Kaiser (interprétation). - C'est juste.

5 M. Hayman (interprétation). - C'était donc deux mois après le

6 cessez-le-feu général et la signature de l'accord de Washington. C'est

7 bien cela ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

9 M. Hayman (interprétation). - Vous avez entrepris une étude et

10 vous avez donné les résultats statistiques au Tribunal ainsi que tous les

11 autres témoignages concernant cette étude.

12 (Le témoin acquièsce)

13 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit que vous aviez reçu

14 ici des informations au Tribunal. Pouvez-vous expliquer quelles

15 informations dans votre étude viennent de vos propres inspections et

16 quelles sont les informations que vous avez synthétisées et qui vous ont

17 été données ici au Tribunal pour la première fois ?

18 M. Kaiser (interprétation). - Je crois avoir dit qu'il y a

19 cinquante deux bâtiments dans cette région, vingt-six dans les territoires

20 contrôlés par l'armée de Bosnie-Herzégovine et vingt-six dans les

21 territoires contrôlés par le HVO. J'ai visité vingt-quatre de ces

22 bâtiments dans la zone contrôlée par l'Armiya de Bosnie-Herzégovine (il y

23 a des photographies, que j'ai prises moi-même, de la plupart de ces

24 bâtiments), et j'ai visité seize bâtiments. Je me suis arrêté devant eux,

25 je suis sorti du véhicule et j'ai pris des photos.

Page 10612

1 La mosquée de Han Ploce se trouve sur la route principale. Je

2 n'ai pas pris de photo parce que les photos avaient été prises

3 antérieurement et avaient été transmises au Tribunal.

4 M. Hayman (interprétation). - Je pense que sur dix des vingt-

5 six sites sur les territoires concernés par l'armée de Bosnie-Herzégovine,

6 vous n'avez donc pas visité... Vous avez donné des informations au

7 Tribunal et vous les avez utilisées ensuite ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Je me suis entièrement appuyé sur

9 les photos lors de mon évaluation.

10 M. Hayman (interprétation). - Les photos vous ont été fournies

11 après que vous soyez arrivé ici au Tribunal ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Avant.

13 M. Hayman (interprétation). - Attendez, corrigeons cela. Les

14 photos que vous avez décrites vous ont été données par le Bureau de

15 l'accusation avant le témoignage, c'est bien cela ?

16 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

17 M. Hayman (interprétation). - Vous avez incorporé ces

18 informations dans votre témoignage ?

19 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

20 M. Hayman (interprétation). - Où avez-vous obtenu la liste des

21 cinquante deux bâtiments qui ont constitué votre univers d'étude ?

22 M. Kaiser (interprétation). - Cette liste m'a été fournie par le

23 Tribunal au début de cette année.

24 M. Hayman (interprétation). - Par qui ?

25 M. Kaiser (interprétation). - Par un individu.

Page 10613

1 M. Hayman (interprétation). - Par un représentant du Bureau de

2 l'accusation du Tribunal ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Oui, oui.

4 M. Hayman (interprétation). - Cela vous a paru être une liste

5 complète des sites culturels de la région ?

6 M. Kaiser (interprétation). - C'était une traduction. Il y avait

7 deux versions, une version traduite et une version en serbo-croate, et

8 cela représentait ce que la communauté islamique pensait être ses biens

9 sacrés, culturels, et de culte de la région.

10 M. Hayman (interprétation). - Savez-vous qui dans la communauté

11 islamique, ou quel représentant de la communauté islamique a donné la

12 liste au Bureau du Procureur ?

13 M. Kaiser (interprétation). - Non.

14 M. Hayman (interprétation). - Vous a-t-on dit si elle venait du

15 ministère de l'Intérieur ou des services de renseignements bosniaques ?

16 M. Kaiser (interprétation). - Cela a pu être transmis par le

17 ministère de l'Intérieur de Bosnie.

18 M. Hayman (interprétation). - Mais vous ne l'avez pas demandé ?

19 M. Kaiser (interprétation). - Je dois dire que j'ai vu tant de

20 listes dans ma profession traitant du patrimoine culturel que je n'étais

21 pas particulièrement intéressé d'en connaître la source, de savoir d'où

22 elle venait. Je voulais savoir ce qu'il y avait dessus.

23 M. Hayman (interprétation). - On vous a donc prié d'effectuer

24 une étude en vous fondant sur ces cinquante deux bâtiments qui ont été

25 sélectionnés par une autre partie qui n'est pas identifiée par la Cour.

Page 10614

1 M. Kaiser (interprétation). - Ce n'étaient pas cinquante

2 deux bâtiments parce que la répartition de ces bâtiments se fait selon les

3 fonctions, comme je vous l'ai dit tout à l'heure. Cela dépendait donc de

4 la région parce qu'il y avait...

5 M. le Président. - Il faudrait d'une part ralentir et d'autre

6 part vous tourner vers les juges quand vous répondez. C'est aux juges que

7 vous répondez. Vous écoutez la question et vous vous tournez vers le

8 Conseil pour écouter la question, mais ce sont les juges qui décident en

9 fin de compte. C'est à eux qu'il faut donc vous adresser. Je sais que

10 c'est un peu compliqué, mais si vous pouvez faire ce petit effort, on vous

11 en sera reconnaissant. Merci.

12 M. Kaiser (interprétation). - Comme je l'ai expliqué, la liste

13 n'indiquait pas des bâtiments, elle indiquait des fonctions. Il ne s'agit

14 donc pas des 52 bâtiments qui figurent sur cette liste. Il y a un certain

15 nombre de fonctions qui est supérieur à cela, mais je ne sais pas de

16 combien il s'agit.

17 Vous avez donc la mekteb, la mesjid et le gasul-hame, mais vous

18 ne savez pas si on parle d'un bâtiment, de deux bâtiments ou même, le cas

19 échéant, de trois bâtiments.

20 M. Hayman (interprétation). - Toutefois, la liste comportait des

21 emplacements géographiques ?

22 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

23 M. Hayman (interprétation). - Vous avez donc pris ces

24 emplacements géographiques comme étant l'univers de votre étude aux fins

25 de ce témoignage devant ce Tribunal ?

Page 10615

1 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est bien cela. Il y a eu

2 plusieurs listes différentes. Comme je l'ai dit, j'ai été tenté de

3 comparer toutes les informations pour voir si quelque chose n'avait pas

4 été oublié parce que cela arrive parfois.

5 M. Hayman (interprétation). - Vous avez donc comparé des listes

6 différentes. Ces listes sont-elles donc parfois différentes ?

7 Contiennent-elles des sites géographiques différents qui figurent sur une

8 liste et pas sur l'autre, ou s'agit-il de sites culturels qui figurent sur

9 l'une et pas sur l'autre liste ?

10 M. Kaiser (interprétation). - Oui, il y a une autre liste. Il y

11 a une liste pour la

12 municipalité de Kiseljak qui a également été fournie par la communauté

13 islamique, mais qui ne mentionne pas le fait qu'il y a une mekteb à Bukve

14 et une autre à Donje Zezeljevo. Oui, il y a de petites différences.

15 M. Hayman (interprétation). - Une dernière question à propos de

16 ces listes : vous dites que vous les avez reçues ainsi que d'autres

17 documents avant votre témoignage. Ont-elles été reçues avant votre

18 témoignage, mais après votre inspection sur place de mai-juin 1994 en

19 Bosnie centrale ?

20 M. Kaiser (interprétation). - Avant mon inspection sur place,

21 j'avais beaucoup de choses à faire. J'ai donc essayé de limiter les

22 choses. Il est très difficile de trouver certains endroits en

23 Bosnie centrale. Ces documents m'ont donc été fournis auparavant et m'ont

24 aidé à organiser ma mission.

25 M. Hayman (interprétation). - Avant mai 1994 ?

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1 M. Kaiser (interprétation). - Non, je suis désolé, j'ai fait une

2 mission sur la demande du Tribunal en avril-mai 1998.

3 M. le Président.. - Je vous rappelle que le Tribunal a commencé

4 en novembre 1993. Docteur Kaiser, soyons très précis. Répondez très

5 précisément à la question du Conseil de la défense.

6 M. Kaiser (interprétation). - Oui. Je vous prie de m'excuser.

7 Lorsque je me suis rendu en Bosnie centrale en 1994, je ne disposais

8 d'aucune liste. Personne ne m'avait donné de liste, à l'exception des

9 listes qui m'étaient fournies, qui venaient de la guerre et qui

10 contenaient tout et n'importe quoi.

11 La liste dont je parle et sur laquelle vous posez des questions

12 est la liste qui m'a été spécifiquement donnée par le Tribunal à l'automne

13 dernier, je crois, et ce sont des documents que j'ai vus ici à l'automne

14 dernier et en janvier. C'est ceux-là que j'ai utilisés pour organiser

15 cette mission que j'ai effectuée en Bosnie centrale d'avril à juin 1998.

16 M. Hayman (interprétation). - Combien de voyages avez-vous

17 effectués ?

18 M. Kaiser (interprétation). - Cinq environ. De cinq jours

19 chacun.

20 M. Hayman (interprétation). - La photo qui constitue la

21 pièce 455, comporte-t-elle des photos que vous avez prises au cours de

22 votre visite de 1994 dans la Vallée de la Lasva ou bien au cours de votre

23 visite de 1998 ou s'agit-il d'un mélange des deux ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Oui, il y a un mélange, il y a

25 quelques photos de juin 1994 et quelques photos prises lors des visites

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1 d'avril-juin et, ensuite, il y a d'autres photos qui ne sont pas les

2 miennes.

3 M. Hayman (interprétation). - Certaines photos sont-elles

4 également de 1998, lors de votre visite ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

6 M. Hayman (interprétation). - La plupart des photos de la

7 série 455 sont-elles de votre visite de 1998 ou bien avez-vous

8 généralisé ?

9 M. Kaiser (interprétation). - Je crois qu'il y en a sans doute

10 plus qui sont dans la documentation qui m'a été fournie par le Tribunal.

11 M. Hayman (interprétation). - La plupart des photos de la

12 série 455 n'ont donc pas été prises par vous, et vous ne savez donc pas

13 quand elles ont été prises. C'est bien juste ?

14 M. Kaiser (interprétation). - Je dirais à peu près la moitié.

15 M. Hayman (interprétation). - La moitié n'ont pas été prises par

16 vous, c'est cela ?

17 M. Kaiser (interprétation). - Oui, un peu plus.

18 M. Hayman (interprétation). - Merci.

19 Vous avez décrit les communautés de Kiseljak, Vitez et Busovaca

20 comme étant essentiellement rurales, de petites villes en zone rurale.

21 Avez-vous constaté, lors de vos missions, lors de vos inspections, que les

22 quartiers résidentiels font de façon générale l'objet de ségrégations

23 religieuses ou ethniques dans ces régions ?

24 M. Kaiser (interprétation). - C'est une bonne question et la

25 seule réponse doit être nuancée parce que la société de Bosnie n'était pas

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1 mixte. Il y a une version idyllique qui est ressortie de la guerre, après

2 la guerre, à savoir qu'il s'agissait d'une société mixte mais, si vous

3 examinez chaque région, chaque ville de Bosnie, chaque endroit dans la

4 campagne, les choses ne sont pas aussi simples que cela.

5 Il y a beaucoup de villages dans ce pays qui sont mono-ethnique

6 ou mono-national et il y en a un certain nombre qui sont mixtes et qui

7 sont des villes. Prenez Stari Vitez, par exemple. Il s'agit d'une zone

8 bosniaque au sein d'une ville qui est essentiellement croate, une zone

9 bosnienne au sein d'une ville croate. En fait, il y a beaucoup plus de

10 ségrégation dans le pays qu'on ne l'a dit.

11 M. Hayman (interprétation). - Etes-vous d'accord pour dire que

12 dans la Vallée de la Lasva et de Kiseljak, d'une façon générale, les

13 villages sont mono-ethnique et qu’en général, il y a ségrégation

14 religieuse ou ethnique dans les villages ?

15 M. Kaiser (interprétation). - Les villages situés sur des

16 collines sont essentiellement mono-ethnique. Il y a un peu plus de mélange

17 dans la vallée principale de Kiseljak, mais je suis essentiellement

18 d'accord avec ce que vous dites.

19 M. le Président. - Sauf si vous avez encore une question sur la

20 composition ethnique des villages, ce serait peut-être le meilleur moment

21 de procéder à la pause.

22 M. Hayman (interprétation). - Oui, j'en ai terminé de ce

23 domaine, Monsieur le Président.

24 M. le Président. - Nous allons nous retrouver à 14 heures 30.

25 L'audience est suspendue.

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1 (L'audience, suspendue à 12 heures 55, est reprise à

2 14 heures 30.)

3 M. le Président. - L'audience est reprise. Faites entrer

4 l'accusé.

5 (L'accusé pénètre dans la salle d'audience.)

6 M. le Président. - Maître Hayman, nous poursuivons avec votre

7 contre-interrogatoire. C'est à vous.

8 M. Hayman (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

9 Monsieur Kaiser, je vous redis bonjour.

10 Vous avez dit que les mektebs, en général, ressemblaient pas mal

11 à des résidences privées de l'extérieur. Est-ce exact ?

12 M. Kaiser (interprétation). - C'est exact.

13 M. Hayman (interprétation). - Lorsque vous reconnaissez un

14 bâtiment comme une mekteb, vous faut-il une certaine connaissance du

15 milieu local ?

16 M. Kaiser (interprétation). - Il faut poser des questions, il

17 faut regarder les gens. La mekteb est parfois tout de même reconnaissable

18 par ses parois, par ses murs extérieurs.

19 M. Hayman (interprétation). - Pour le compte rendu, je souligne

20 que vous aviez des notes sous les yeux. Vous les avez toujours ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

22 M. Hayman (interprétation). - N'hésitez pas à les utiliser si

23 cela peut vous aider.

24 Je demande que la pièce à conviction 451 soit placée sur le

25 rétroprojecteur. C'est la carte géographique qui a été utilisée par le

Page 10620

1 Procureur durant la présente déposition.

2 Vous avez la carte sous les yeux, Docteur Kaiser. Je vous

3 rappelle que vous avez déclaré que les lieux surlignés en jaune étaient

4 sous le contrôle de l'armée de Bosnie-Herzégovine. Est-ce exact ?

5 M. Kaiser (interprétation). - C'est exact.

6 M. Hayman (interprétation). - A partir de quel moment ?

7 M. Kaiser (interprétation). - Je peux vous répondre sur la base

8 de ce que j'ai vu en 1994. Disons que Kruscica était sous le contrôle de

9 l'armée de Bosnie-Herzégovine. Je le sais parce que j'y étais. Stari Vitez

10 bien sûr aussi, Strane à l'est aussi, Mordjani, je n'y suis pas allé, mais

11 on voit ce village depuis la route, à l'est et à l'ouest de la Vallée de

12 la Lasva.

13 M. Hayman (interprétation). - Je ne pensais pas que nous

14 énumérerions les villages un par un, mais ma question était la suivante :

15 avez-vous surligné ces villages en jaune parce qu'ils étaient sous le

16 contrôle de l'armée de Bosnie-Herzégovine à l'époque de votre voyage, en

17 mai et juin 1994, ou est-ce quelqu'un qui a surligné ces noms parce que

18 cette personne vous a dit que ces villages avaient été, à un moment ou à

19 un autre, sous le contrôle de l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

20 M. Kaiser (interprétation). - Je vous répondrai de la façon

21 suivante : toutes les mosquées, toutes les mesjids, dont les noms

22 figuraient sur la liste et qui étaient inscrites comme ayant été

23 endommagées ou détruites, étaient des bâtiments que je souhaitais voir de

24 mes yeux.

25 Je ne savais pas, en fait, exactement où l'ensemble de ces

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1 bâtiments étaient situés. J'ai donc simplement fait une liste de ces

2 bâtiments dans le but d’aller les chercher. Lorsque je me suis trouvé dans

3 la région, la population locale de la région était bosnienne. Dans

4 certains endroits, j’ai parlé avec des habitants parce que j’avais

5 quelques incertitudes sur la localisation précise de ces bâtiments. Par

6 exemple, pour me rendre à Rovna, j’ai suivi la route que vous voyez ici,

7 vers l’est. Il n’y avait pas beaucoup d’habitations dans la région, pas

8 beaucoup d’habitants, mais il y avait des hommes âgés autour de la

9 mosquée. Je me suis approché d’eux et je leur ai posé des questions. Je

10 leur ai demandé sur quel territoire se trouvait cette mosquée pendant la

11 guerre. On m’a répondu sur le territoire tenu par l'armée de Bosnie-

12 Herzégovine. J'ai reçu une réponse complémentaire qui était : "C'est une

13 possibilité si on voit les dommages."

14 Voilà le genre de questions que je posais, sans toujours

15 recevoir des réponses précises.

16 A d'autres moments, j'ai tiré mes conclusions à partir des dires

17 de la population. On traverse quelquefois la ligne de front et on sait

18 qu'on la traverse. C'est de cette manière qu'on

19 détermine où on se trouve. On ne m'a donc pas dit que j'étais sur un

20 territoire contrôlé par l'armée de Bosnie-Herzégovine, mais je peux vous

21 le dire aujourd'hui, après ce que j'ai appris entre-temps.

22 M. Hayman (interprétation). - Vous avez donc formé votre

23 jugement. Mais est-ce en mai-juin 1994 ou en 1998 que vous avez déterminé

24 que ces villages surlignés en jaune relevaient des territoires tenus par

25 l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

Page 10622

1 M. Kaiser (interprétation). - Souvenez-vous que je n'ai vu

2 certains de ces lieux qu'une fois en 1994. Mon jugement s'est donc formé,

3 notamment au sujet de Kruscica, à l'époque. Pour le reste -je l'ai déjà

4 dit au début de ma déposition-, j'ai formé mon jugement au cours des mois

5 d'avril à juin, pendant les voyages que j'ai effectués.

6 M. Hayman (interprétation). - Avril à juin 1998 ?

7 M. Kaiser (interprétation). - Oui, 1998.

8 M. Hayman (interprétation). - Si vous appreniez que des lieux

9 tels que Yelinak, Putis et d'autres peut-être étaient des territoires qui

10 avaient été contrôlés par le HVO pendant une partie de la guerre, que

11 diriez-vous aux juges au sujet de ces villages ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Je sais que Yelinak et Strane ont

13 brièvement été contrôlés par le HVO. Yelinak, par exemple, est un endroit

14 où un habitant m'a dit avoir été renversé par un véhicule en avril 1994.

15 On m'a dit que le village avait été pris à ce moment-là.

16 Pour Putis, je ne savais pas exactement quelle était la

17 situation et je n'ai pas reçu de réponse de la population.

18 Strane semblait avoir changé de mains, car le village était

19 pillé. C'était un village bosnien. J'ai donc supposé que le HVO était

20 responsable.

21 Dans quelques cas moins nombreux, j'ai déterminé que ces

22 villages se trouvaient sur un territoire contrôlé par le HVO parce que je

23 le savais depuis quelque temps.

24 M. Hayman (interprétation). - Docteur Kaiser, pensez-vous que

25 les juges peuvent

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1 ou doivent déduire quoi que ce soit du fait, par exemple, que Yelinak et

2 Strane ont été tenus par le HVO pendant un certain temps et, qu'en dépit

3 de cela, il y a eu peu ou pas de dommages sur les bâtiments culturels dans

4 ces endroits, alors que la situation était moins bonne dans d'autres sites

5 qui avaient été contrôlés par les Croates plus longtemps et donc

6 accessibles aux vandales, aux civils... ? Pensez-vous que les juges

7 devraient déduire quoi que ce soit de ces données ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Je pense que cela dépend de la

9 durée du contrôle des uns et des autres. Je ne sais pas combien de temps

10 Yelinak a été sous contrôle du HVO.

11 M. le Président. - Ne déduisez pas tout ce que pourraient

12 déduire les juges. Les juges sont grands, ils déduiront quand ils le

13 souhaiteront et quand ce sera nécessaire. Ne faisons donc pas trop de

14 suggestions sur les déductions que pourront faire les juges. Croyez-moi,

15 ils les feront le moment venu.

16 M. Hayman (interprétation). - Il y a sans doute eu un problème

17 d'interprétation, Monsieur le Président, car je ne voulais pas laisser

18 entendre que le travail des juges consistait à agir de la sorte, et je

19 vous prie de m'excuser si c'est l'impression que vous avez retenue.

20 Docteur Kaiser, sommes-nous en droit raisonnablement de déduire

21 que si le HVO a tenu quelques semaines ou quelques mois Yelinak et que les

22 bâtiments culturels n'ont pas été détruits, quelle que soit l'identité du

23 commandant qui était en charge à cet endroit, il n'a, en tout cas, donné

24 aucune instruction, aucun ordre, visant à détruire un site culturel en ce

25 lieu ?

Page 10624

1 M. Kaiser (interprétation). - Le cas de Yelinak est intéressant

2 parce que le responsable du village m'a montré la mekteb et la mesjid et

3 m'a dit qu'une mine avait explosé. J'ai entendu un certain nombre de

4 choses. Certains m'ont dit que la mine n'avait pas sauté à la dernière

5 minute, d'autres le contraire. Les choses n'étaient pas très claires.

6 En tout cas, le bâtiment a été restauré. Je l'ai fait figurer

7 sur la liste comme légèrement endommagé. Je ne sais pas exactement quel

8 était le degré des dommages à l'époque, mais il y a eu tentative

9 d'endommagement.

10 M. Hayman (interprétation). - Que pensez-vous qu'il soit arrivé

11 à ce village ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Je pense que le village a changé

13 de mains parce qu'il y a eu pas mal de pillages. Des explosifs semblaient

14 avoir été placés en divers endroits. La mesjid est petite. De l'extérieur,

15 on peut voir qu'elle a été pillée. Elle a été pillée, c'est tout. Je ne

16 sais pas combien de temps ils ont été là.

17 M. Hayman (interprétation). - Je demande que la pièce à

18 conviction 452 soit remise au témoin. C'est la carte suivante dans l'ordre

19 des pièces à conviction.

20 Docteur Kaiser, vous avez dit que les deux localités surlignées

21 en vert avaient été frappées par des tirs d'artillerie de l'est et du sud-

22 est, c'est bien cela ?

23 M. Kaiser (interprétation). - C'est exact.

24 M. Hayman (interprétation). - Qui tenait ce territoire pendant

25 la guerre, si vous le savez ?

Page 10625

1 M. Kaiser (interprétation). - J'aurais dû vous dire précédemment

2 que j'avais des cartes des mines qui étaient plus indicatives. Elles

3 m'avaient été données par un organisme de Sarajevo. Lorsque vous regardez

4 ce genre de carte, vous voyez que de nombreuses mines avaient été placées

5 au nord des deux villes surlignées en vert. J'ai donc pensé qu'il

6 s'agissait de villages qui se trouvaient sur le territoire tenu par

7 l'armée de Bosnie-Herzégovine.

8 M. Hayman (interprétation). - Savez-vous qui tenait le

9 territoire d'où provenaient les tirs qui ont endommagé ces sites ?

10 M. Kaiser (interprétation). - Puisque la direction d'origine

11 générale était le nord-est/sud-est, j'ai déduit que ces dommages avaient

12 dû être provoqués par les forces serbes de Bosnie.

13 M. Hayman (interprétation). - Vous avez discuté des causes d'un

14 certain nombre de dommages que vous avez pu constater sur les lieux. Suis-

15 je en droit de dire que vous n'étiez pas en mesure de distinguer entre les

16 effets de différents types d'explosifs lorsqu'il y avait eu explosion ou

17 implosion dans un site culturel, ou bien ce genre de chose fait-il partie

18 de votre domaine de spécialités ?

19 M. Kaiser (interprétation). - Je dirais que je ne peux pas

20 distinguer entre des dommages dus à des tirs d'artillerie et à une

21 explosion, donc à des explosifs. Franchement, je ne pourrais pas vous dire

22 grand-chose de nature technique au sujet des explosifs.

23 M. Hayman (interprétation). - Le fait de savoir s'il s'agit

24 d'explosifs militaires, donc de mines ou d'explosifs civils, ne fait pas

25 partie des éléments sur lesquels vous pouvez vous prononcer ?

Page 10626

1 M. Dubuisson - Nous avons un problème technique sur le

2 transcript français qui nécessiterait d'avoir une légère pause.

3 M. le Président. - Nous suspendons dix minutes.

4 (La séance, suspendue à 14 h 55, est reprise à 15 h 05.)

5 M. le Président. - L'audience est reprise. Faites entrer

6 l'accusé.

7 Nous continuons, Maître Hayman.

8 M. Hayman (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

9 Docteur Kaiser, je vais reprendre la question que j'avais posée

10 tout à l'heure à laquelle vous n'avez pas eu la possibilité de répondre.

11 Est-il exact que, dans des cas précis de destruction de sites culturels,

12 vous n'êtes pas en mesure de distinguer entre la nature des explosifs

13 civils ou militaires, et l'emploi d'autres types d'explosifs qui auraient

14 provoqué ces dommages ?

15 M. Kaiser (interprétation). - S'agissant d'explosifs placés dans

16 ces bâtiments, je ne suis pas un expert ; je ne peux pas distinguer entre

17 une mine antichars, une charge importante d'explosifs civils ou d'autres

18 types d'explosifs.

19 M. Hayman (interprétation). - Lorsque vous avez parlé de la

20 mosquée de Kiseljak, je n'ai pas pu comprendre si le minaret était tombé

21 ou pas sur le toit. Auriez-vous besoin de revoir une photographie pour

22 vous rafraîchir la mémoire ou pouvez-vous répondre sans regarder de

23 photographie ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Je crois que quelques briques sont

25 tombées sur le toit. On voit un amas de débris à l'extérieur sous le toit

Page 10627

1 mais je ne crois pas que le minaret ait explosé d'une façon telle qu'elle

2 aurait entraîné sa chute sur le toit.

3 M. Hayman (interprétation). - Vous avez également dit, lorsque

4 vous parliez de cet événement, qu'il s'agissait : "d'un travail d'expert".

5 Parlez-vous du fait d'empêcher le minaret de tomber sur le toit ou

6 l'expertise vient-elle d'ailleurs ?

7 M. Kaiser (interprétation). - Oui, à mon avis, le terme "expert"

8 s'applique au fait que le minaret n'est pas tombé sur le toit mais

9 ailleurs.

10 M. Riad (interprétation). - Pourriez-vous être plus clair, je

11 vous prie ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Un expert peut faire tomber le

13 minaret là où il veut qu'il tombe. J'en déduis que la personne qui a placé

14 l'explosif dans le minaret de la mosquée de Kiseljak souhaitait que le

15 minaret aille dans un sens et pas dans un autre.

16 M. Riad (interprétation). - Pourquoi dites-vous cela ?

17 M. Kaiser (interprétation). - Pour provoquer plus ou moins de

18 dommage.

19 M. Riad (interprétation). - Mais voulait-il détruire le minaret

20 ou la mosquée ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Il voulait détruire le minaret,

22 cela ne fait aucun doute.

23 M. Riad (interprétation). - C'était donc un expert de la

24 destruction ?

25 M. Kaiser (interprétation). - Oui, un expert de la destruction.

Page 10628

1 M. Riad (interprétation). - Autrement dit, un homme agissant

2 dans le sens contraire de ce que vous faites.

3 M. Kaiser (interprétation). - Oui, dans le sens contraire. De

4 toute façon, je n'aurais

5 pas pu faire son travail. J'aurais peut-être fait tomber le minaret sur le

6 toit ou détruit tout le toit.

7 M. Hayman (interprétation). - Je crois que vous avez également

8 décrit ce qu'est un türbe, un mémorial, une tombe, quelque chose de ce

9 genre... Je n'ai pas bien suivi ce passage de votre déposition. Pourriez-

10 vous revenir sur ce point ?

11 M. Kaiser (interprétation). - La türbe dont j'ai parlé est

12 située à Gomionica Mahala.

13 M. Hayman (interprétation). - Vous avez dit qu'il se serait agi,

14 selon certaines informations, de la tombe d'un commandant de l'armée du

15 sultan.

16 M. Kaiser (interprétation). - C'est exact.

17 M. Hayman (interprétation). - Pouvez-vous nous dire de quel

18 sultan il s'agit, du sultan de quel empire ?

19 M. Kaiser (interprétation). - Un sultan ottoman. Nous parlons de

20 Mehmed Fati II*, si je ne m'abuse, au milieu du quinzième siècle.

21 M. Hayman (interprétation). - A Donja Veceriska, vous avez

22 décrit un site sur lequel le toit avait perdu ses tuiles. Dans vos études

23 au sujet des dommages causés aux monuments culturels en Bosnie-

24 Herzégovine, pouvez-vous nous dire comment vous avez abouti à la

25 conclusion qu'il y avait plusieurs types de vandalisme ?

Page 10629

1 M. Kaiser (interprétation). - Oui, il y a plusieurs types de

2 vandalisme.

3 M. Hayman (interprétation). - Comment le déterminez-vous ?

4 M. Kaiser (interprétation). - Nous étudions l'intérieur du

5 bâtiment et nous y constatons toute une gamme d'actions, d'actes de

6 vandalisme, qui peuvent parfois être commis de façon indiscriminée.

7 Si on prend l'église de Dubrovnik par exemple (les forces

8 serbes), on y constate un certain nombre de traces d'actes de vandalisme.

9 Les forces serbes de Cilipi ont commis des actes de vandalisme

10 particuliers qui consistaient notamment à couper la tête des statues.

11 C'est très spécifique. Il y a d'autres types de vandalisme, mais il est

12 rare qu'on coupe les têtes de statues.

13 Il peut aussi y avoir des tentatives d'incendie ou on peut jeter

14 des choses par la fenêtre ; on peut tirer dans certains objets, on peut

15 retirer un toit parce qu'on a besoin des tuiles, mais c’est un travail qui

16 prend un certain temps.

17 Voilà les types mineurs de vandalisme que je pourrai citer, qui

18 ne détruisent pas complètement le bâtiment, mais le vandalisme va ensuite

19 plus loin. Pour moi, incendier et placer une charge explosive dans un

20 bâtiment est également un acte de vandalisme.

21 M. Hayman (interprétation). - Est-il possible également de

22 classer au nombre des actes de vandalisme le vol et l'utilisation d'objets

23 utilisables dans un bâtiment dans le but apparemment de réutiliser ces

24 bâtiments ? Peut-on comparer cet acte avec un acte visant un symbole

25 ethnique ou politique qui peut avoir une certaine valeur en tant que

Page 10630

1 bâtiment vandalisé ?

2 M. Kaiser (interprétation). - Oui, j'ai vu cela. Il y a des gens

3 qui peuvent vandaliser un objet relevant de leur propre groupe national

4 (j'appelle cela "groupe national") parce que ces gens peuvent avoir besoin

5 de tuiles ou de bois pour faire du feu. J'établis donc effectivement cette

6 distinction.

7 M. Hayman (interprétation). - Vous avez décrit la mosquée de

8 Duhri, dont la construction n'était pas terminée. Vous vous êtes posé la

9 question de savoir si le minaret avait été construit ou pas en dépit du

10 fait qu'il était stipulé, selon des rapports que vous avez reçus, que le

11 minaret existait sur cette mosquée et qu'il avait été détruit.

12 Conviendriez-vous en général que la qualité des rapports d'ouï-

13 dire en Bosnie-Herzégovine, relatifs aux destructions et aux actes de

14 vandalisme et de violence, est très mauvaise, c'est-à-dire que ces

15 rapports par ouï-dire sont, je le répète, de très mauvaise qualité et, en

16 général, peu crédibles ?

17 M. Kaiser (interprétation). - Je crois, en effet, que c'est le

18 cas. Sur la liste remise par la communauté islamique, j'ai souligné que

19 les dommages cités étaient systématiquement

20 surestimés. C'est exact. Si vous ne possédez pas de photographies, ce

21 qu'il importe de faire, c'est d'aller sur place pour voir tel ou tel

22 bâtiment. Il est impossible de travailler sur base de preuves

23 documentaires.

24 Lorsque je travaillais en 1993 pour le Conseil de l'Europe, que

25 nous recueillions tous ces éléments, et sur la base de l'expérience que

Page 10631

1 j'avais accumulée en 1992 à Dubrovnik entre autres, je sais très bien que

2 je ne savais pas ce qu'il fallait croire dans ces documents. C'est un

3 exercice très épuisant parce qu'il est parfois répété une dizaine de fois.

4 Ces éléments ne sont donc effectivement pas de bonne qualité.

5 A Guca Gora, il m'avait été dit que le monastère avait été

6 détruit. C'était une preuve par ouï-dire et elle était inexacte.

7 M. Hayman (interprétation). - Lorsque vous êtes allé à

8 Guca Gora, vous a-t-on empêché de pénétrer à l'intérieur parce que c'était

9 une installation de l'armée de Bosnie-Herzégovine, utilisée par l'armée de

10 Bosnie-Herzégovine ?

11 M. Kaiser (interprétation). - Oui, en effet, on m'a interdit

12 l'accès de l'intérieur parce que l'armée était installée dans les lieux.

13 M. Hayman (interprétation). - Et elle l’utilisait à des fins

14 militaires, n'est-ce pas ?

15 M. Kaiser (interprétation). - A des fins militaires ? D'après ce

16 qu'on m'a dit, il s'agissait d'une sorte de protection. J'ai vu des

17 Mujahedeens -au moins ce que je pensais être des Mujahedeens- dans la

18 région. J'ai vu des villages ou des maisons croates brûler, et cela me

19 semblait tout à fait convaincant de placer des troupes dans un monastère

20 afin de les protéger par rapport à quelqu'un d'autre.

21 M. Hayman (interprétation). - Sachez que je n'essaie pas de

22 suggérer que c'était une bonne idée ou une mauvaise d'avoir des troupes de

23 l'armée de Bosnie-Herzégovine dans le monastère ou autour du monastère.

24 Mais est-il vrai qu'on ne vous a pas invité à l'intérieur, non pas parce

25 qu'ils gardaient ce monument, mais parce qu'ils étaient en train de mener

Page 10632

1 des

2 opérations militaires à cet endroit ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Je pense qu'ils savaient et qu'ils

4 ont senti que j'étais venu pour me renseigner, pour voir ce qui se

5 passait. Je pense donc que c'est à cause de cela qu'ils ont eu peur de

6 moi. Je pense aussi qu'ils ne voulaient pas que je vois que des soldats

7 vivaient dans des parties du monastère qui est réservé aux moines. Il y

8 avait certainement toutes sortes de graffitis. Ils ne voulaient

9 certainement pas que je vois ces graffitis.

10 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous entendu qu'à Guca Gora,

11 en 1993, on a détruit la moitié du monastère ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Ceci est tout à fait nouveau pour

13 moi. J'ai entendu qu'il y a eu un incendie à la fin de la deuxième Guerre

14 Mondiale, qui a été provoqué par des Allemands. Des officiels bosniaques

15 m'ont dit, dans la municipalité de Travnik, que la collection du monastère

16 avait été sauvée. Mais, quant à la bibliothèque par exemple, ou d'autres

17 parties et trésors du monastère de Guca Gora, je ne peux pas savoir ce qui

18 s'est passé.

19 M. Hayman (interprétation). - Pouvez-vous nous dire, Docteur,

20 d'où provient votre information qui est citée dans le rapport du Conseil

21 de l'Europe, du 16 mars 1995, où il est écrit : "Dans le monastère

22 franciscain de Guca Gora, environ 50 % de la bibliothèque a été détruite

23 ou perdue durant la période pendant laquelle le monastère se trouvait sous

24 le contrôle de l'armée du HVO, en 1993, mais l'armée de Bosnie-Herzégovine

25 a réussi à sauver une bonne partie de ce monastère" ?

Page 10633

1 M. Kaiser (interprétation). - Vous parlez de quel rapport ?

2 M. Hayman (interprétation). - Du rapport du Conseil de l'Europe

3 en date du 15 mai 1995, sur les dommages provoqués aux monuments

4 d'héritage culturel en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Cela commence à

5 la page 37. Ceci rafraîchit-il votre mémoire ou pas ?

6 M. Kaiser (interprétation). - Excusez-moi. Je ne me souviens pas

7 vraiment de cette information.

8 M. Hayman (interprétation). - L'huissier pourrait-il soumettre

9 cela au témoin ? C'est le seul exemplaire dont je dispose, mais je pense

10 que cela peut être utile pour que le témoin rafraîchisse sa mémoire,

11 Monsieur le Président.

12 M. le Président. - Je m'excuse. Avec mon collègue, j'ai peut-

13 être fait une erreur, mais la phrase que vous avez citée, Maître Hayman,

14 extraite de ce rapport du Conseil de l'Europe, est importante. J'avais

15 entendu dans la bouche de l'interprète que c'était occupé par le HVO et,

16 ensuite, par l'armée de Bosnie-Herzégovine. Le transcript semble parler de

17 l'armée de Bosnie. Pourrait-on répéter cette phrase, s'il vous plaît ?

18 M. Hayman (interprétation). - Je vais la répéter. Il ne

19 s'agissait pas du HVO, mais des mujahedeens qui se trouvaient sur place au

20 début et, après, ce sont les soldats de l'armée de Bosnie-Herzégovine qui

21 ont pris leur place, d'après le rapport, et ces soldats ont apparemment

22 réussi à sauver la moitié de la collection.

23 M. le Président. - Merci.

24 M. Hayman (interprétation). - Monsieur Kaiser, vous

25 souvenez-vous maintenant mieux de cette histoire ?

Page 10634

1 M. Kaiser (interprétation). - Oui, je m'en souviens mieux. C'est

2 bien ce que j'ai écrit, mais j'essaie de me rappeler d'où provient cette

3 information.

4 A l'époque, j'étais en contact avec les moniteurs européens.

5 C'est peut-être par la suite que j'ai obtenu l'information.

6 M. Hayman (interprétation). - Après votre visite, après qu'on

7 ait refusé que vous entriez dans le monastère ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

9 M. Hayman (interprétation). - J'ai lu correctement cette partie

10 de votre rapport ?

11 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

12 M. Hayman (interprétation). - Je demande que les pièces à

13 conviction 66/2 et 66/3 soient montrées maintenant. Je pense qu'il s'agit

14 de la mesjid de Svinjarevo. Je ne sais pas si ma prononciation est bonne.

15 M. Kaiser (interprétation). - Oui, il s'agit de la mesjid.

16 M. Hayman (interprétation). - Ecoutez, j'ai été un peu perplexe,

17 Docteur, je crois que vous avez dit -corrigez-moi si je me trompe- que ces

18 photos montrent les dommages que la mosquée a subis et que, plus tard, sur

19 une autre photo, vous avez vu des dommages provoqués par l'incendie, mais

20 non pas sur cette photo-là ?

21 M. Kaiser (interprétation). - J'ai des photos que j'ai prises

22 moi-même où l’on voit très clairement les traces d'incendie et les

23 dommages provoqués par la fumée, en bas du Mihrab, ici, dans cette

24 partie-là. En fait, il m'est difficile d'affirmer avec cent pour cent de

25 certitude. Je ne peux pas savoir si c'est vraiment la fumée qui a provoqué

Page 10635

1 ces dommages. Ici, il y a un autre étage. Il y a un escalier qui va vers

2 cet étage et on voit les traces d'incendie et de fumée en bas de

3 l'escalier.

4 M. Hayman (interprétation). - Vous avez vu cela en 1998 ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Oui, en 1998, et j'ai d'autres

6 photos en date de cette période-là. On voit des parties du toit qui ont

7 été endommagées par l'incendie.

8 M. Hayman (interprétation). - C'est aussi en date de 1998 ?

9 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

10 M. Hayman (interprétation). - Cela ne se voit pas selon ces

11 photos-là ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Non.

13 M. Hayman (interprétation). - Si ces photos ont été prises

14 en 1998 et que vous avez vous-même pris des photos en 1996, cela veut dire

15 qu'il y a eu ces dommages-là entre temps.

16 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

17 M. Hayman (interprétation). - En ce qui concerne les

18 informations selon lesquelles on peut conclure quelle est la période

19 durant laquelle les dommages ont été provoqués, est-il exact de dire que

20 vous n'avez pas d'autres sources pour faire une telle constatation, mises

21 à part les sources que vous avez déjà mentionnées au cours de votre

22 témoignage d'aujourd'hui ?

23 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est vrai, j'ai peut-être

24 oublié de mentionner quelque chose mais c'étaient toutes les sources que

25 j'avais et j'avoue qu'il ne s'agissait pas d'un grand nombre de sources.

Page 10636

1 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous des raisons de dire aux

2 juges que la plupart des dommages ont été provoqués après la signature des

3 accords de Washington, c'est-à-dire après mars 1994, ou croyez-vous que la

4 plupart des dommages ont été provoqués avant cette date ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Je ne peux pas m'exprimer avec

6 cent pour cent de certitude par rapport aux dates auxquelles les dommages

7 ont été provoqués.

8 M. Hayman (interprétation). - Je souhaite maintenant attirer

9 votre attention sur la pièce à conviction 451. Il s'agit de la carte où il

10 y a de nombreuses localités marquées par la couleur jaune. Croyez-vous

11 Docteur, que ces localités marquées par la couleur jaune désignent des

12 monuments culturels qui se trouvaient dans la région où il était possible

13 de recevoir l'impact de l'artillerie du HVO durant la guerre ?

14 M. Kaiser (interprétation). - Puis-je être un peu ennuyeux, s'il

15 vous plaît, en répondant ?

16 M. Hayman (interprétation). - Il n'y a que les juges qui peuvent

17 répondre à la question de savoir si vous pouvez être ennuyeux ou pas.

18 M. Kaiser (interprétation). - Je parlerai maintenant de

19 Stari Vitez. J'ai parlé de Stari Vitez, de la mosquée de Stari Vitez. La

20 mosquée à Bukve se voit très bien.

21 M. Hayman (interprétation). - Nous n'avons pas bien entendu de

22 quel lieu vous

23 avez parlé.

24 M. Kaiser (interprétation). - Preocica. Je pense que la mosquée

25 a été visible ici aussi. Ensuite Dolovici : on pouvait voir la mosquée

Page 10637

1 depuis les lignes de front du HVO.

2 M. Hayman (interprétation). - Sivrino Selo ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

4 M. Hayman (interprétation). - Rotilje ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Je doute que la mesjid était

6 visible de la ligne de front. Il y a une autre mosquée à Poculica. Je ne

7 sais pas pourquoi je ne l'ai pas marquée. On la voit d'ailleurs, mais elle

8 n'a pas été endommagée.

9 En ce qui concerne la mosquée de Vrhovine, je ne suis pas sûr si

10 on puisse la voir ou pas. A Kruscica, je pense que la mosquée était

11 visible. Le mesjid n'était pas visible et il n'était pas endommagé.

12 Veceriska, je ne pense pas que ce soit visible étant donné que

13 cela se trouve dans une vallée.

14 Rotilje était visible.

15 M. Riad (interprétation). - La dernière étaient endommagée ou

16 pas ?

17 M. Kaiser (interprétation). - A Vraniska, non.

18 M. Riad (interprétation). - Elle n'était donc pas visible depuis

19 les positions du HVO ?

20 M. Kaiser (interprétation). - Non.

21 Rovna était visible ; elle a été légèrement endommagée. Mecevo*

22 était visible et a été endommagée. Yelinak était certainement visible.

23 M. Riad (interprétation). - Et endommagée ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

25 Je pense que Putis se voit depuis la colline. Je pense qu'il y a

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1 eu des combats dans

2 cette région.

3 En ce qui concerne Strane, il s'agit d'une petite structure dans

4 une forêt.

5 Mordjani, c'était peut-être visible et peut-être pas... Je ne

6 suis pas sûr.

7 M. Hayman (interprétation). - Merci. Peut-on conclure dans ce

8 cas-là, que les endroits que vous avez identifiés comme étant visibles

9 depuis les positions d'artillerie du HVO ne donnent aucune indication

10 selon lesquelles on peut conclure qu'il ont été endommagés, visés, touchés

11 et endommagés par les activités d'artillerie du HVO ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Je pense que Bukve a été touchée,

13 Stari Vitez a été touchée, Kruscica a été touchée une fois. En ce qui

14 concerne Preocica... on a tiré une fois sur Preocica.

15 M. Hayman (interprétation). - Dites-nous, Docteur...

16 M. Kehoe (interprétation). - Permettez au témoin de terminer,

17 s'il vous plaît.

18 M. Hayman (interprétation). - Je pensais qu'il avait terminé.

19 M. Kaiser (interprétation). - Rovna a été visée et touchée, mais

20 pas par l'artillerie ; je pense qu'il s'agissait de tirs d'armes à feu.

21 Yelinak n'a pas été la cible de tirs d'artillerie. Putis, on a

22 tiré dessus et elle a été légèrement endommagée.

23 M. Hayman (interprétation). - Dites-nous, Docteur, en ce qui

24 concerne ces structures, si toutes ces structures étaient les cibles

25 d'artillerie et si les soldats qui tiraient étaient bien formés, cela

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1 voudrait-il dire que toutes ces structures seraient fortement

2 endommagées ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Oui, effectivement, c'est ce qui

4 se serait passé si les soldats étaient bien formés.

5 M. Hayman (interprétation). - Avez-vous vu de tels cas en ce qui

6 concerne l'armée des Serbes de Bosnie ? Y avait-il des centaines de cas de

7 cette nature ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Peut-être pas des centaines de

9 cas, mais il y a eu

10 effectivement des cas semblables.

11 M. Hayman (interprétation). - Et ce que vous voyez ici est

12 différent ?

13 M. Kaiser (interprétation). - Effectivement.

14 M. Hayman (interprétation). - Vous avez comparé les dommages sur

15 les sites musulmans et catholiques. Je vais vous poser quelques questions

16 sur quelques exemples. L'église de Vitez a-t-elle été endommagée par des

17 projectiles de feu ?

18 M. Kaiser (interprétation). - Oui, en fait oui. Pas gravement,

19 mais elle a été endommagée, oui.

20 M. Hayman (interprétation). - Les dommages sont-ils comparables

21 aux marques sur la mosquée de Stari Vitez ?

22 M. Kaiser (interprétation). - Non, je crois que c'est un peu

23 inférieur.

24 M. Hayman (interprétation). - S'agissait-il d'impacts de

25 mortiers ?

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1 M. Kaiser (interprétation). - Je n'ai pas de souvenir de cela

2 mais, en tout cas, pas de l'artillerie lourde.

3 M. Hayman (interprétation). - Puisque vous avez fait des

4 comparaisons générales entre les sites catholiques et musulmans,

5 permettez-moi de vous poser la question suivante : sur la liste que le

6 bureau du Procureur vous a transmise pour votre mission de 1998, y avait-

7 il des églises catholiques ou bien y avait-il uniquement des sites

8 religieux ou culturels islamiques ?

9 M. Kaiser (interprétation). - Exclusivement des sites religieux

10 et culturels islamiques, des bâtiments islamiques.

11 M. Hayman (interprétation). - Y a-t-il eu des dommages sur les

12 sites catholiques dans le village de Ducina ?

13 M. Kaiser (interprétation). - Je ne m'y suis pas rendu.

14 M. Hayman (interprétation). - Grbavica ?

15 M. Kaiser (interprétation). - Ce village est près d'un groupe

16 d’écoles où travaillait l'UNESCO il y a à peu près un an, mais je n'étais

17 pas impliqué dans cette étude à ce moment-là, je ne me souviens donc pas

18 très bien dans quel état était l'église.

19 M. Hayman (interprétation). - Stovsko* était-il dans la

20 municipalité de Kiseljak ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Je ne me souviens pas d'avoir vu

22 des dommages à l'église.

23 M. Hayman (interprétation). - L'église à Silos, près de Kacuni ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Je me demande... Attendez, parle-

25 t-on de la même église ? Parce qu'il y a une église à Kacuni. Je ne me

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1 souviens que d'une seule église sur la route principale.

2 M. Hayman (interprétation). - La description que j'ai porte sur

3 des villages situés sur la route entre Fojnica et Kiseljak. Il y a un

4 endroit qui s'appelle Natbare, et il y a Silos ensuite ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Oui, mon rapport de 1995, c'est de

6 la route de Fojnica vers Kiseljak, ce n'est pas Kacuni. Je me souviens

7 avoir emprunté cette route et avoir vu une église catholique endommagée,

8 oui.

9 M. Hayman (interprétation). - A-t-elle été incendiée ?

10 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

11 M. Hayman (interprétation). - Du point de vue de l'impact

12 psychologique sur la population civile ainsi que sur les soldats, êtes-

13 vous d'accord pour dire que l'impact psychologique de la destruction de

14 sites religieux est commun, quel que soit le groupe religieux ou

15 ethnique ?

16 M. Kaiser (interprétation). - Attendez, pourriez-vous répéter

17 parce que je ne suis pas sûr de vous avoir compris ?

18 M. Hayman (interprétation). - Etes-vous d'accord pour dire que

19 l'impact

20 psychologique sur une population, qu'elle soit catholique, musulmane ou

21 appartenant à un autre groupe religieux, est le même lorsque les sites de

22 son propre groupe religieux font l'objet de destructions, de cibles ou de

23 violence ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Je vous remercie d'avoir reformulé

25 votre question. Oui, je pense que l'impact psychologique est identique.

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1 M. Hayman (interprétation). - Pensez-vous également que l'impact

2 psychologique franchit les frontières des municipalités ? Par exemple, des

3 actes de violence dans une municipalité voisine peuvent-ils entraîner

4 l'anxiété, la crainte dans la municipalité voisine ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Evidemment.

6 M. Hayman (interprétation). - Vous êtes-vous rendu à Bugojno,

7 dans l’une de vos missions en Bosnie centrale ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Oui, je l'ai traversé lors de ma

9 mission, en 1994, mais j'ai malheureusement pu revenir depuis cette date

10 et pas seulement pour la traverser.

11 M. Hayman (interprétation). - Et qui avez-vous trouvé ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Pour dire les choses carrément,

13 les choses sont catastrophiques et très mauvaises, pour paraphraser le

14 langage de l'UNESCO.

15 Des explosifs ont été mis dans l'église et c'est une scène de

16 violence particulièrement extraordinaire, la plus violente, en fait, que

17 j'ai vue depuis la Deuxième guerre mondiale. J'ai vu cela il y a environ

18 un an.

19 Bugojno est un endroit épouvantable, où il y a un cimetière

20 catholique sur lequel j'ai écrit. J'ai écrit à l’Ulema.

21 M. Hayman (interprétation). - Et l'ex-population croate de

22 Bugojno ?

23 M. Kaiser (interprétation). - Ils ont vécu des moments très

24 pénibles.

25 M. Hayman (interprétation). - Vous êtes-vous rendu à Fojnica ?

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1 M. Kaiser (interprétation). - Oui, une seule fois au cours de ma

2 mission de

3 juin 1994. Elle semblait en très mauvaise condition. C'était une ville où

4 les observateurs ne voulaient même pas que je quitte mon véhicule. C'était

5 un territoire tenu par l'Armiya et il y avait une certaine quantité de

6 nettoyages ethniques mis en oeuvre par la population croate.

7 Nous avons visité le monastère de Fojnica parce qu'il est très

8 important et je sais qu'un incident s'était produit en octobre 1993, et

9 que deux prêtres avaient été assassinés.

10 M. Hayman (interprétation). - Par l'armée de Bosnie-Herzégovine,

11 c'est cela ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Je ne sais pas par qui ils ont été

13 assassinés, mais ils ont été assassinés, c'est sûr.

14 M. Hayman (interprétation). - Et la population croate

15 -ex-population croate- de Fojnica ?

16 M. Kaiser (interprétation). - Quand ? Avant ou après la guerre ?

17 M. Hayman (interprétation). - Comment avez-vous trouvé la

18 situation au moment de votre visite ?

19 M. Kaiser (interprétation). - C'était un endroit chargé de

20 malheur.

21 M. Hayman (interprétation). - Du point de vue de la

22 responsabilité, vous avez dit que la JNA enseignait les enseignements et

23 les principes de la convention.

24 M. Kehoe (interprétation). - Je crois qu'il y a quatre questions

25 en une ; pardonnez-moi, ce sera un peu difficile pour le transcript, mais

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1 j'aimerais qu'on se répartisse les questions.

2 M. Hayman (interprétation). - Pouvez-vous nous donner votre

3 source d'information ? Quelle est-elle lorsque vous avez dit que l'ex-JNA

4 n'a pas enseigné les principes de la convention de La Haye un certain

5 temps ?

6 M. Kaiser (interprétation). - C'est une déclaration générale.

7 C'est l'évaluation au sein de l'UNESCO. L'UNESCO a maintenant des archives

8 et est censé savoir quelque chose concernant l'application par les forces

9 armées de ces principes. Mais, enfin, c'est évidemment de

10 l'information interne à l'UNESCO.

11 M. Hayman (interprétation). - Savez-vous quelle est la source -à

12 part cette conviction- des informations de l'UNESCO ?

13 M. Kaiser (interprétation). - Non, je n'ai pas vu les derniers

14 rapports qui ont été compilés ; en tout cas, la Yougoslavie compilait les

15 rapports et les envoyait à l'UNESCO. Ils existent.

16 M. Hayman (interprétation). - Avant l'éclatement de la

17 Yougoslavie ?

18 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

19 M. Hayman (interprétation). - Y a-t-il eu d'autres rapports

20 après l'effondrement et l'éclatement de la Yougoslavie ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Je ne sais pas, j'en doute.

22 M. Hayman (interprétation). - Vous en doutez parce que la

23 situation est devenue un peu chaotique, c'est cela ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est juste.

25 M. Hayman (interprétation). - Le traité de La Haye nécessite-t-

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1 il que l'on mette un drapeau sur les monuments qui sont d'une importance

2 particulière ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Je crois que oui ; c'est

4 recommandé parce qu'on encourt des risques si le drapeau n'est pas mis.

5 M. Hayman (interprétation). - Si on met ce drapeau et que le

6 bâtiment est détruit en cours de vol, vous avez donc violé le traité,

7 c'est cela, vous avez violé le droit de protéger ce bâtiment ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Vous avez respecté la

9 recommandation, vous avez respecté la convention.

10 M. Hayman (interprétation). - Pensez-vous qu'il soit bon pour

11 toute partie de mettre un drapeau pour identifier n'importe quel site, ou

12 bien pensez-vous que de ne pas mettre

13 ce drapeau était une bonne décision, quelle que soit l'autorité qui en

14 était responsable ?

15 M. Kaiser (interprétation). - Les drapeaux étaient mis, en

16 général, en Croatie, par exemple par les instituts du patrimoine culturel.

17 Eut-il été une bonne idée de les mettre en temps de guerre ? Je ne sais

18 pas. Ces drapeaux ne faisaient pas office de grande protection.

19 M. Hayman (interprétation). - Je suppose que vous pensez qu'il

20 était improbable qu'ils aient des drapeaux, c'est cela ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Oui, dans cette région en tout

22 cas.

23 M. Hayman (interprétation). - Vous avez parlé des obligations du

24 personnel militaire par rapport aux sites figurant sur les listes.

25 Pensez-vous que le personnel militaire avait l'obligation d'agir comme une

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1 police civile et de garder physiquement ces monuments pendant le temps de

2 guerre ? C'est ainsi que vous comprenez la convention de La Haye ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Ce que je comprends en tout cas,

4 c'est qu'ils ne doivent pas donner l'ordre de tirer sur ces bâtiments.

5 Deuxièmement, s'ils considèrent qu'il y a danger pour ces bâtiments quand

6 ils sont menacés par le personnel militaire, ils ne sont pas obligés de

7 mettre des gardes devant la porte, ils peuvent y mettre une police

8 militaire.

9 M. Hayman (interprétation). - Ils ont donc l'obligation de

10 maintenir la discipline parmi leurs propres troupes. C'est juste ?

11 M. Kaiser (interprétation). - Oui. C'est l'une des obligations.

12 Il est nécessaire de protéger les bâtiments. Après Dayton, il était

13 peut-être nécessaire de protéger ces bâtiments par des militaires, par des

14 soldats. C'est aussi une solution.

15 M. Hayman (interprétation). - Très bien.

16 Vous avez parlé d'obligations juridiques. Pouvez-vous nous dire

17 en quoi consistent ces obligations juridiques pour le personnel militaire

18 en vertu de la convention de La Haye, ou bien cela sort-il de votre sphère

19 de compétence ?

20 M. Kaiser (interprétation). - Imaginez, Monsieur, j'aimerais

21 qu'on respecte les

22 principes de la convention de La Haye et j'ai pu malheureusement constater

23 que ce n'était pas le cas -en tout cas pas tellement en temps de guerre.

24 Je ne veux pas me montrer cynique mais, étant donné les circonstances, ce

25 qui m'intéresse, c'est l'esprit de la question. Qu'est-ce que les soldats

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1 doivent faire ? Le commandant doit donner des ordres à ses soldats pour

2 respecter certains bâtiments. Il devrait en faire la liste et, en dehors

3 des situations de combat, il doit essayer de garantir que ses ordres

4 soient effectivement respectés et que les soldats ne fassent pas certaines

5 choses. Si les soldats ne font pas certaines choses, si la situation se

6 développe différemment, ils doivent procéder à la garde du bâtiment.

7 M. Hayman (interprétation). - Vous parlez des bâtiments situés

8 dans la zone placée sous le contrôle d'une armée particulière par

9 opposition à des bâtiments qui sont situés ailleurs ?

10 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

11 M. Hayman (interprétation). - Si un commandant militaire donne

12 des ordres de façon répétée à ses forces pour respecter et protéger les

13 structures civiles, est-ce compatible, d'après vous, avec les obligations

14 émanant des commandants militaires en vertu de la convention de La Haye ?

15 M. Kaiser (interprétation). - Mais c'est un bon commencement ;

16 les soldats savent au moins ce qu'ils encourent.

17 M. Hayman (interprétation). - Si, à un niveau inférieur, un

18 soldat ne respecte pas cet ordre, le commandant est-il responsable d'un

19 délit criminel en vertu de la convention de La Haye ?

20 M. Kaiser (interprétation). - Si un soldat ne respecte pas un

21 ordre et que ce commandant ne fait rien pour veiller à ce qu'il soit puni,

22 alors là le commandant est responsable, mais le commandant n'est pas

23 nécessairement responsable de ce qu'un soldat subordonné fait ; il est

24 responsable de veiller à ce qu'il soit puni.

25 M. le Président. - Je rappelle, Maître Hayman, que le témoin est

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1 venu pour témoigner d'un certain nombre de destructions. Ses avis et ses

2 opinions sur les problèmes de responsabilité s'écartent peut-être un peu

3 de la consistance de son témoignage.

4 M. Hayman (interprétation). - J'ai encore deux questions

5 puisqu'il a donné un avis sur la responsabilité de commandement, et

6 j'aimerais bien pouvoir terminer. Je suppose que vous comprenez, Monsieur

7 le témoin, que la responsabilité dans le cadre de la convention de La Haye

8 n'est pas une responsabilité stricte ; ce n'est pas une obligation de

9 responsabilité stricte de la part du commandant militaire.

10 M. Kehoe (interprétation). - Je crois justement que c'est ce que

11 sous-entend la responsabilité stricte du point de vue du droit

12 international et du droit humanitaire international.

13 M. Hayman (interprétation). - Mais, Monsieur le Président, il a

14 donné un avis juridique sur les...

15 M. le Président. - Je dois dire que vous me le sortez de la

16 bouche, mais je me tourne aussi vers l'accusation. A trop demander à un

17 témoin, on s'expose ensuite à avoir des questions qui débordent. Je l'ai

18 dit, un témoin vient pour apporter sa connaissance particulière. Le

19 Docteur Kaiser n'est peut-être pas, a priori, un expert en responsabilité

20 militaire.

21 Nous allons en rester là. Vous avez posé vos questions

22 Maître Hayman. Avez-vous encore d'autres questions à poser ?

23 M. Hayman (interprétation). - Encore une et ensuite un autre

24 domaine. Avant de prononcer votre avis, avez-vous vu des ordres de mon

25 client ?

Page 10649

1 M. Kaiser (interprétation). - Non.

2 M. Hayman (interprétation). - Merci.

3 Vous avez dit qu'au cours de votre visite du mois de

4 mai/juin 1994, vous n'aviez pas pu sortir de votre voiture. Pourquoi ?

5 Etait-ce trop dangereux à Kiseljak ?

6 M. Kaiser (interprétation). - C'était l'opinion de l'ECMM.

7 J'étais sous leur contrôle.

8 Je ne l'ai pas remis en question. Je pense qu'ils pensaient (c'est une

9 expression qu'on utilisait beaucoup pendant la guerre) qu'il y avait des

10 éléments incontrôlables et l'opinion de l'ECMM était qu'il y avait

11 beaucoup d'éléments incontrôlables à Kiseljak.

12 M. Hayman (interprétation). - Vous a-t-on dit que les éléments

13 incontrôlables de Kiseljak étaient omniprésents ?

14 M. Kaiser (interprétation). - Oui, quelque chose comme cela.

15 M. Hayman (interprétation). - Vous a-t-on dit qui était ces

16 éléments incontrôlables et où ils étaient en position pendant la guerre ?

17 M. Kaiser (interprétation). - Je ne m'en souviens pas. Les

18 éléments incontrôlables étaient des éléments croates et on ne m'a pas

19 donné de détails sur ce qu'ils avaient fait ou pas fait pendant la guerre.

20 M. Hayman (interprétation). - Je vais vous demander si vous êtes

21 d'accord avec ce qui suit : à propos des actes de vandalisme et de

22 violence perpétrés sur les sites culturels en Bosnie-Herzégovine, ces

23 actes de vandalisme...

24 M. Kehoe (interprétation). - Quelle page ?

25 M. Hayman (interprétation). - C'est au paragraphe 64 de la

Page 10650

1 page 17 du rapport du 19 janvier 1994 : "Ces actes de vandalisme sont

2 perpétrés par des représentants de l'autorité, soldats et militaires et

3 probablement la police civile. On peut supposer qu'ils sont parfois

4 délibérément ordonnés par les autorités locales mais que beaucoup d'entre

5 eux sont "spontanés" entre guillemets. Etes-vous d'accord avec cela ?

6 M. Kaiser (interprétation). - Oui, je suis d'accord.

7 M. Hayman (interprétation). - Alors êtes-vous d'accord sur ceci,

8 au paragraphe 65 : "Le sens de ce terme "spontané" doit être éclairci. Les

9 unités du HVO et de l'armée de Bosnie-Herzégovine sont des armées de

10 civils, parfois dirigées par d'anciens officiers de la JNA mais souvent

11 dirigées par d'autres civils.

12 Le manque de discipline allié aux souffrances subies par nombre

13 de ces soldats, soit par eux-mêmes directement dans des camps de

14 prisonniers ou des territoires occupés, soit des souffrances encourues par

15 leur famille et leurs biens, a causé une force extrêmement dangereuse pour

16 les prisonniers, les civils et les biens matériels.

17 De plus, ils sont encouragés à commettre des actes violents par

18 des dirigeants politiques et militaires qui veulent que la Bosnie-

19 Herzégovine soit une série de petits Etats purement ethniques". Etes-vous

20 d'accord avec cette déclaration ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

22 M. Hayman (interprétation). - Etes-vous en mesure de dire aux

23 juges si vous pensez que tous les dirigeants politiques et militaires du

24 côté du HVO et de l'armée de Bosnie-Herzégovine ont encouragé les

25 personnes ou les soldats à commettre des actes graves, des abus, ou

Page 10651

1 s'agit-il seulement de certains dirigeants qui étaient engagés dans de

2 telles activités ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Je pense qu'il s'agissait de

4 certains dirigeants seulement, pas de tous.

5 M. Hayman (interprétation). - Merci Docteur. Je n'ai pas

6 d'autres questions, Monsieur le Président.

7 M. le Président. - Merci.

8 Maître Kehoe, vous voulez répliquer ?

9 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, je vous

10 remercie. Vous venez de poser toute une série de questions et toute une

11 série de questions vous ont été posées par le Conseil de la défense en ce

12 qui concerne la destruction de monuments sous les ordres de politiques et

13 de militaires. C'est ce que vous voulez dire ?

14 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

15 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez déclaré aussi que c'était

16 fait par certains dirigeants et pas par tous.

17 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

18 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit qu'il y avait des

19 dirigeants modérés parmi la population croate...

20 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

21 M. Kehoe (interprétation). -... ainsi que des chefs modérés.

22 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

23 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez également déclaré qu'il y

24 avait, au sein des militaires du HVO, des dirigeants plus extrêmes,

25 militaires et civils.

Page 10652

1 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est probablement le cas.

2 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit que quasiment 69 %

3 des monuments sacrés de Vitez, Busovaca et Kiseljak ont été détruits.

4 C'est bien cela n'est-ce pas ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Il s'agit de dommages modérés

6 jusqu'à la destruction complète.

7 M. Kehoe (interprétation). - Oui, dont certains ont même été

8 totalement dynamités. Mais c'est beaucoup plus que la moitié ? Et une

9 moindre part a été légèrement endommagée. Il y a eu un nettoyage ethnique

10 assez considérable dans ces zones, n'est-ce pas ?

11 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

12 M. Kehoe (interprétation). - Pensez-vous...

13 (Question non traduite par l'interprète)

14 M. Kaiser (interprétation). - La première proposition est exacte

15 et la deuxième non.

16 M. Kehoe (interprétation). - Mais c'était assez clair si on

17 regardait ce qui se passait dans la région, n'est-ce pas ?

18 M. Kaiser (interprétation). - Oui, en effet.

19 M. Kehoe (interprétation). - On vous a demandé de répondre à des

20 questions

21 supplémentaires...

22 M. le Président. - Je vous demanderai d'aller doucement, sinon

23 j'imposerai une nouvelle pause pour les interprètes. Il n'est pas possible

24 de continuer comme cela.

25 M. Kehoe (interprétation). - Je vous prie de m'excuser, Monsieur

Page 10653

1 le Président. Je vais essayer de ralentir.

2 Le Conseil de la défense vous a posé quelques autres questions

3 qui portaient sur les responsabilités des commandants militaires ainsi que

4 sur la conservation des documents par la JNA avant la chute de l'ex-

5 Yougoslavie. Est-ce exact ?

6 M. Kaiser (interprétation). - C'est exact.

7 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que les installations

8 religieuses ne figurent pas sur ces cartes ou n'êtes-vous pas au courant ?

9 M. Kaiser (interprétation). - Je n'ai pas tenu entre les mains

10 une carte de la JNA mais les installations religieuses étaient inscrites

11 très clairement sur les cartes que nous utilisions lorsque nous circulions

12 dans la région. J'aurais donc du mal à imaginer que de telles

13 installations ne figurent pas très clairement sur une carte de la JNA.

14 M. Kehoe (interprétation). - En tireriez-vous la conclusion que

15 les officiers entraînés de la JNA savaient que les monuments culturels,

16 religieux et consacrés ne devaient pas être détruits ?

17 M. Kaiser (interprétation). - Je pense qu'ils le savaient.

18 M. Kehoe (interprétation). - J'aimerais que nous parlions d'un

19 certain nombre de points qui ont été évoqués par Maître Hayman, à

20 commencer par la situation à Guca Gora dont il est fait état dans votre

21 rapport du 31 août 1994.

22 Eu égard à la situation à Guca Gora et aux dommages dont il a

23 été fait état à Guca Gora, je lis ce que vous avez écrit : "que la

24 solution la moins mauvaise dans la situation actuelle consisterait à voir

25 l'armée de Bosnie-Herzégovine rester dans cet ensemble jusqu'à ce que la

Page 10654

1 possibilité existe de permettre le retour des Franciscains et ce, sous

2 bonne garde". Est-il vrai que vous avez dit ceci ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est ce que j'ai dit.

4 M. Kehoe (interprétation). - Lorsque vous parliez de la

5 situation du monastère de Fojnica (là encore, Monsieur le Conseil de la

6 défense, ce passage se trouve en page 14 du rapport du 31 août 1994), vous

7 parlez de l'assassinat de deux prêtres franciscains en novembre 1993,

8 n'est-ce pas ?

9 N'avez-vous pas dit également que le monastère était gardé à ce

10 moment-là par une garde policière de l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

11 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est ce que j'ai dit.

12 M. Kehoe (interprétation). - Au cours de vos travaux de

13 recherche pendant les années que vous avez passées sur le territoire de

14 l'ex-Yougoslavie, n'avez-vous pas acquis le sentiment que le peuple

15 musulman de Bosnie dans son ensemble avait acquis une certaine sensibilité

16 par rapport à la destruction des monuments consacrés et des bâtiments du

17 culte ?

18 M. Kaiser (interprétation). - Oui, en effet, c'est la conclusion

19 à laquelle j'ai abouti, à la fois sur la base du travail accompli par moi

20 et sur la base des événements qui ont suivi. Je me rappelle après la

21 guerre, ce petit village de Pecina, non loin de Travnik, c'est un village

22 qui se trouve au sommet d'une colline et qui est vraiment isolé, loin de

23 tout, et c'est un village croate. J'ai été informé du fait, si je ne

24 m'abuse, que l'église de ce village avait été incendiée en décembre 1996.

25 Je me suis rendu dans le village. Vous savez, il faut s'y rendre avec un

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1 4/4, en utilisant une route à lacets, très difficile. Personne ne va dans

2 ce village. J'y suis arrivé et j'ai découvert que l'église avait, en

3 effet, été incendiée. A ma grande surprise, j'y ai également trouvé

4 deux soldats bosniaques qui avaient été stationnés devant l'église de

5 façon à veiller à ce qu'elle ne soit pas complètement brûlée.

6 C'est donc un exemple postérieur à la guerre. Mais si nous

7 revenons à la période de

8 la guerre, on pouvait voir, dans un certain nombre de villes situées sur

9 la ligne de front, que les autorités avaient accompli un travail assez

10 important, apparemment pour garantir que les églises catholiques et

11 orthodoxes ne soient pas agressées.

12 Je ne sais pas si les autorités y ont réussi. Il y a des villes,

13 vous savez, qui étaient pilonnées tous les jours et cela eût été un peu...

14 Il n'était pas surprenant de constater que, dans des villes, ce genre les

15 églises étaient incendiées. C'était le cas à Maglaj. Mais en tout cas,

16 dans un certain nombre de cas, les autorités bosniennes ont pris des

17 mesures pour assurer la sécurité de ces bâtiments.

18 M. Kehoe (interprétation). - Sur le terrain, avez-vous des

19 exemples que vous pourriez narrer aux juges qui permettraient d'exprimer

20 le sentiment de la base de l'armée de Bosnie-Herzégovine eu égard à la

21 destruction de monuments catholiques ? Je vous renvoie à ce que vous

22 m'avez dit au sujet de Dolac.

23 M. Kaiser (interprétation). - Vous savez, dans un certain sens,

24 lorsque la situation est très difficile à contrôler, on peut avoir des

25 dirigeants dans la capitale qui vous disent une chose et des dirigeants

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1 locaux qui vous disent quelque chose de très différent, et ces dirigeants

2 locaux peuvent, à leur tour, ne pas avoir le contrôle d'une situation dans

3 une région voisine. Ce que je veux dire par là, c'est qu'ils sont tous

4 obligés de s'appuyer sur les soldats à la base. Je suis donc allé à Dolac

5 en juin 1994. Dolac était vandalisé dans une certaine mesure mais les

6 destructions n'étaient pas terriblement spectaculaires. Je me rappelle y

7 avoir rencontré un soldat bosnien de Krajina, un réfugié, qui portait une

8 arme. Il est passé à côté de nous et il a commencé à crier à mon égard en

9 me disant : "Pourquoi n'allez-vous pas chercher les mosquées dynamitées

10 dans la Vallée de la Lasva ? Pourquoi passez-vous votre temps à examiner

11 les églises ici ?". Il a ensuite pointé le doigt vers l'église et a dit :

12 "Ceci est la maison de Dieu et elle ne sera pas détruite". C'est en tout

13 cas ce que m'a dit mon interprète. J'ai été très frappé, et tellement

14 frappé d'ailleurs que j'y ai souvent repensé depuis.

15 Que voulait-il dire ? Que signifiait sa remarque ? Signifiait-

16 elle que les Bosniens étaient plus respectueux à l'égard du patrimoine

17 culturel que ne l'étaient les Croates ou les Serbes ? Qu'est-ce que cela

18 voulait dire ? Parce que lorsqu’il a pointé le doigt sur l'église, dans

19 les circonstances dans lesquelles nous nous trouvions, c'est exactement ce

20 qu'il avait l'air de faire, c’est-à-dire manifester du respect vis-à-vis

21 du lieu de culte d'une religion autre que la sienne.

22 Il est très difficile d'analyser objectivement le comportement

23 d'un soldat croate, d'un soldat serbe, d'un soldat bosnien, etc., et de

24 les étudier de façon comparative, mais je pense finalement qu'il est

25 permis de dire qu'une partie s'est mieux comportée que l'autre.

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1 Maintenant, pourquoi cela ? Je n'arrête pas, pour ma part, de

2 chercher une réponse un peu partout, et je finirai peut-être par la

3 découvrir. Je pense que la position relative... Excusez-moi, je ne suis

4 pas très clair. Au cours de cette guerre, chacun n'a cessé de chercher des

5 réponses simples. Il y avait des membres de la communauté internationale

6 qui disaient : « Ce sont tous des sauvages, ne nous en approchons pas ».

7 D'autres disaient : « C'était un endroit extraordinaire, ils se sont aimés

8 pendant toute leur histoires, ils ont vécu ensemble, etc. ». La vérité se

9 situe sans doute à mi-chemin, quelque part.

10 Si vous pensez à l’islam, l’islam a une relation particulière

11 avec la religion chrétienne. Les Chrétiens n'avaient pas le même type de

12 rapport avec l'islam. L’islam est une religion plus jeune que la

13 chrétienté, que le christianisme. Les Chrétiens, les Juifs sont ce qu'on

14 appelle les peuples du Livre. Les prophètes existent aussi dans l’islam.

15 Tout cela établit donc un rapport particulier de l’islam vis-à-vis des

16 Chrétiens.

17 En Bosnie-Herzégovine, on trouve quelque chose de différent, à

18 savoir que les Turcs -l'empire ottoman- ont contrôlé la région pendant

19 quatre siècles. C'était un empire relativement tolérant. Bien sûr,

20 beaucoup a été dit sur la tolérance ou l'intolérance de cet empire, mais

21 c'était, en tout cas, un empire assez tolérant si on le comparait aux

22 monarchies chrétiennes

23 de l'époque.

24 Je pense donc qu'il y a eu un certain militantisme de la part

25 des Bosniens. Les Bosniens ont toute une histoire de tolérance vis-à-vis

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1 des religions tierces. Rappelez-vous du pouvoir de la civilisation

2 ottomane qui remonte à très loin dans l'histoire.

3 Cela a donc conféré un certain sens de supériorité aux Musulmans

4 du point de vue de la tolérance et du respect. De ce point de vue, je

5 pense que les Chrétiens, que l'on parle des catholiques ou des orthodoxes,

6 n'en ont pas oublié quelque chose, eux non plus. Ce quelque chose, c'est

7 qu'ils ont eux-mêmes été ceux qui ont été tolérés. Le rapport des uns vis-

8 à-vis des autres, et vice-versa, est différent.

9 Voilà. Je suis en train de réfléchir à haute voix ; je cherche

10 des raisons qui pourraient expliquer tout cela. Je ne crois pas non plus

11 que Sarajevo aurait nécessairement donné un ordre qui aurait, en toute

12 circonstance, été respecté par tous. Mais ce que je dis, c'est que, plus

13 profond dans le populaire individuel et quelles qu’en soient les raisons,

14 il y a quelque chose qui a une valeur. Qu'on soit serbe, croate ou

15 bosnien, ce quelque chose a sa valeur.

16 S'agissant du patrimoine culturel, lorsque l'inventaire sera

17 dressé, je pense qu'il sera prouvé que les Bosniens se sont mieux

18 comportés que la partie adverse. J'ai écrit cela en 1994 et je le crois

19 encore aujourd'hui.

20 M. Kehoe (interprétation). - Quelques questions de suivi,

21 Docteur, eu égard à quelques questions qui vous ont été posées dans le

22 contre-interrogatoire.

23 M. le Président. - Je souhaiterais, Témoin, que vous répondiez

24 aux questions. Ne débordez pas trop parce que cela peut quand même

25 apporter un déséquilibre par rapport à la défense. Normalement, la défense

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1 ne peut plus s'exprimer. Vous répondez donc aux questions. Le droit de

2 réplique appartient maintenant au Procureur. Vous essayez de répondre le

3 plus précisément possible aux questions. Merci.

4 M. Kehoe (interprétation). - Docteur Kaiser, des questions vous

5 ont été posées au

6 sujet de la liste des monuments islamiques qui vous avait été remise par

7 un représentant du bureau du Procureur et qui avait été remise au bureau

8 du Procureur par l'Institut islamique de Sarajevo. C'est bien cela ?

9 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est cela.

10 M. Kehoe (interprétation). - Cette liste est-elle exacte ?

11 M. Kaiser (interprétation). - J'ai souligné qu'il y avait

12 quelques problèmes au sujet de cette liste, mais j'ai dit aussi que 95 %

13 de la liste était exact.

14 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous étudié vous-même ces

15 sites ? Vous y êtes-vous rendu ? Avez-vous déterminé personnellement si

16 les monuments avaient été gravement endommagés, légèrement endommagés ou

17 autres, ou ce jugement vient-il d'un institut tiers ?

18 M. Kaiser (interprétation). - Non, j'ai vérifié tout cela à

19 partir de la liste qui m'avait été remise par la communauté islamique.

20 Personne ne m'a dit : « Vous devez aller là ou ne pas aller là ».

21 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez pris vos décisions vous-

22 même ?

23 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

24 M. Kehoe (interprétation). - J'aimerais vous prier de regarder

25 la pièce à conviction 390 A. C'est une carte qui a été versée au dossier

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1 ou un plan de Gomionica. Peut-on placer la pièce sur le rétroprojecteur ?

2 C'est une photo aérienne. Vous avez dit précédemment, dans votre

3 déposition, qu'il y avait une mekteb à Gomionica, n'est-ce pas ?

4 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est exact.

5 M. Kehoe (interprétation). - Figure-t-elle au niveau du point 3

6 sur la photographie aérienne ?

7 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c’est exact.

8 M. Kehoe (interprétation). - Le Conseil de la défense vous a

9 posé quelques questions destinées à identifier les mektebs. Je crois me

10 rappeler que vous avez dit, en réponse à l'interrogatoire principal et au

11 contre-interrogatoire, qu'il était souvent difficile de reconnaître ou

12 d'identifier une mekteb. Est-ce exact ?

13 M. Kaiser (interprétation). - C'est exact.

14 M. Kehoe (interprétation). - En réponse aux questions du contre-

15 interrogatoire, vous avez dit que vous pouviez parfois identifier la

16 mekteb à partir des murs extérieurs. Est-ce exact ?

17 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

18 M. Kehoe (interprétation). - Dans ces conditions, ne pouviez-

19 vous pas identifier un monument du culte islamique en pénétrant à

20 l'intérieur ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Oui, bien sûr.

22 M. Kehoe (interprétation). - Si on vous pose des questions au

23 sujet de la türbe de Gomionica, toujours sur la base de la pièce à

24 conviction 390 A, est-ce que la türbe correspond au n° 2 sur le plan ?

25 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

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1 M. Kehoe (interprétation). - Merci.

2 Monsieur l'Huissier, j'en ai fini avec cette pièce à conviction

3 et j'aimerais que nous nous consacrions maintenant à l’examen des cartes.

4 Commençons par la première carte, si vous le voulez bien, la

5 pièce 451. Docteur Kaiser, vous avez identifié ces zones figurant sur la

6 pièce 451 comme étant des localités situées sur la ligne de front.

7 M. Kaiser (interprétation). - Comme des zones du front.

8 M. Kehoe (interprétation). - Bon, des zones du front. En

9 général, les soldats dans une zone de front sont assez occupés, n'est-ce

10 pas ?

11 M. Kaiser (interprétation). - Cela dépend, enfin, oui. Ils

12 peuvent être très occupés mais, quelquefois, ils attendent.

13 M. le Président. - En général, des soldats sont occupés. Alors,

14 posez directement votre question.

15 M. Kehoe (interprétation). - Il y a des combats dans ces zones.

16 Des tranchées sont creusées dans ces régions. On peut supposer que les

17 soldats sont occupés dans les tranchées, est-ce exact ?

18 M. Kaiser (interprétation). - C'est exact.

19 M. Kehoe (interprétation). - A se défendre ou à mener une

20 offensive ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Bien sûr, bien sûr, oui.

22 M. Kehoe (interprétation). - Les deux cartes que vous nous avez

23 données, les pièces à conviction 354 et 353, montrent des localités qui

24 ont subi des destructions sur le territoire du HVO. Ces localités se

25 trouvent donc sur les lignes du HVO, n'est-ce pas ?

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1 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

2 M. Kehoe (interprétation). - Les dommages les plus importants

3 que vous avez constatés dans ces régions se trouvaient dans des zones

4 contrôlées par le HVO ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Oui;

6 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, je n'ai pas

7 d'autres questions.

8 M. le Président. - Je voudrais consulter mes collègues.

9 (Les juges se consultent sur le siège.)

10 (Le Président se demande s’il ne s’agit pas plutôt des deux

11 pièces 451.)

12 M. le Président. - Voilà. Les interprètes vont être les juges.

13 C'est donc à eux de prendre la décision.

14 J'ai consulté mes collègues. Nous avons encore environ 20 à

15 25 minutes de questions des juges, en évaluant à peu près le niveau des

16 réponses. Après quoi, Maître Harmon et Maître Kehoe, vous n'avez pas

17 d'autre témoin. Il y a un autre témoin ?

18 M. Kehoe (interprétation). - Non, effectivement, Monsieur le

19 Président, c'est le

20 dernier témoin de la journée.

21 M. le Président. - Les interprètes sont fatigués.

22 (L'audience, suspendue à 16 heures 15, est reprise à

23 16 heures 45.)

24 M. le Président. - L'audience est reprise pour les questions que

25 nous, les juges, souhaitons poser. Je me tourne vers Monsieur le

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1 Juge Riad.

2 Monsieur le Juge, c'est à vous.

3 M. Riad (interprétation). - Bonjour, Docteur Kaiser.

4 (Le témoin effectue un geste de salutation.)

5 M. Riad (interprétation). - J'aimerais que vous m'apportiez

6 quelques informations complémentaires, même si votre déposition a déjà été

7 très riche de ce point de vue, mais j'aimerais pouvoir profiter de vos

8 connaissances. Je vous prie de m'excuser si mes questions sortent parfois

9 du champ de votre spécialité.

10 Vous êtes bien sûr expert à deux titres : vous êtes expert en

11 matière de patrimoine culturel et vous avez une grande expérience des

12 événements qui se sont produits. Vous êtes allé en Bosnie en juin 1994,

13 puis en avril 1998, n'est-ce pas ? Deux fois donc.

14 M. Kaiser (interprétation). - Monsieur le Juge, j'y suis allé

15 dans la période mai-juin 1994, en mission auprès de l'ECMM pour le Conseil

16 de l'Europe et depuis l'automne 1994 et jusqu'à l'été 1995, j'ai beaucoup

17 travaillé à Mostar. En octobre 1995, je suis devenu représentant de

18 l'UNESCO en Bosnie-Herzégovine. Depuis octobre 1995, j'y suis donc de

19 façon permanente.

20 M. Riad (interprétation). - De façon permanente. Alors, vous

21 êtes vraiment un témoin oculaire ?

22 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

23 M. Riad (interprétation). - Mais la liste vous a été remise par

24 le Tribunal pénal international de l'ex-Yougoslavie en avril 1998 et elle

25 vous a permis de vérifier les dommages sur les lieux. Or, ces dommages

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1 datent de 1994 ou 1993 et sont donc antérieurs, n'est-ce pas ?

2 (Le témoin acquiesce.)

3 M. Riad (interprétation). - Dans l'intervalle, les dommages

4 ont-ils augmenté ou y a-t-il eu des réparations ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Les dommages se sont bien

6 évidemment aggravés parce que lorsqu'un toit est endommagé, la pluie le

7 traverse et les matériaux pourrissent ou, lorsqu'un bâtiment a été

8 dynamité et qu'il n'a pas été réparé, la situation se détériore.

9 M. Riad (interprétation). - A votre avis, la majeure partie de

10 ces bâtiments s'est-elle dégradée encore davantage ou a-t-elle été

11 réparée ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Le plus grand nombre des mektebs

13 qui se trouvent sur le territoire contrôlé par l'armée de

14 Bosnie-Herzégovine ont été réparés en cas d'endommagement préalable, mais

15 dans les autres territoires, lorsqu'il y a eu des dommages, il n'y a pas

16 eu de réparation.

17 M. Riad (interprétation). - Pour les localités occupées par le

18 HVO, rien n'a été réparé ?

19 M. Kaiser (interprétation). - Non, rien n'a été réparé, à une

20 exception près, une exception à Rotilje. La mekteb n'a pas été endommagé

21 par les soldats du HVO, mais par les réfugiés qui s'y sont installés. Ces

22 dommages sont donc de nature tout à fait différente et ce bâtiment a été

23 réparé, mais c'est une exception.

24 M. Riad (interprétation). - Parlant des dommages, vous avez dit

25 qu'il en existait diverses sortes. Je crois vous avoir entendu dire qu'il

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1 n'y avait pas de minarets debout dans les territoires qui avaient été

2 contrôlés par le HVO ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

4 M. Riad (interprétation). - Considérez-vous que les tentatives

5 de disparition de tous ces minarets ont été systématiques ?

6 M. Kaiser (interprétation). - Oui puisqu'ils ont tous disparu.

7 M. Riad (interprétation). - Il ne s'agissait donc pas d'actes

8 individuels commis sous l'effet de la colère de la part de la population

9 locale, des habitants qui auraient été en colère contre la police et qui

10 auraient voulu détruire quelque chose simplement ?

11 M. Kaiser (interprétation). - Mais il s'agit là de destructions

12 par explosifs pour faire sauter un minaret.

13 M. Riad (interprétation). - Mais ils l'ont fait de façon

14 régulière ; je crois que c'est ce que vous avez dit.

15 M. Kaiser (interprétation). - Je crois que c'étaient en général

16 des professionnels qui plaçaient les explosifs et les mines ; dans

17 d'autres cas non, mais c'était en général le cas.

18 M. Riad (interprétation). - En général, c'étaient donc des actes

19 d'expert ?

20 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

21 M. Riad (interprétation). - En général, s'agissait-il

22 d'explosifs très puissants, de mines très puissantes ?

23 M. Kaiser (interprétation). - Il y avait assez d'explosifs pour

24 faire le travail. Bien sûr, on pourrait établir une échelle mais la dose

25 était, en tout cas, appropriée. Tout dépendait si le bâtiment était

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1 construit en pierre, en brique, en béton... Il y a différentes sortes de

2 bâtiments.

3 M. Riad (interprétation). - Vous pensez donc qu'il y avait un

4 savoir-faire professionnel ?

5 M. Kaiser (interprétation). - La plupart du temps, oui.

6 M. Riad (interprétation). - Excluriez-vous la possibilité que

7 tous ces minarets aient pu être détruits au cours des combats ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Quand vous combattez, vous êtes

9 occupé à quelque

10 chose d'autre. Il n'y a aucune raison de tirer sur une mosquée, à moins

11 qu'elle ait une utilisation militaire. Aucune raison. Je ne crois pas, en

12 fait, que les mosquées aient été endommagées au cours des combats. Je

13 crois savoir que les dommages dus à des opérations militaires ont été très

14 peu nombreux sur le front.

15 M. Riad (interprétation). - Vous pensez donc que c'étaient des

16 dommages qui ont été provoqués intentionnellement et qui n'ont pas été dus

17 au hasard ?

18 M. Kaiser (interprétation). - Le minage des minarets constitue

19 une destruction spécifique en dehors des combats. Si vous brûlez une

20 mosquée qui a un toit comme à Hanploca, le minaret traverse le toit. Si

21 vous avez un bâtiment de brique, de béton armé, vous utilisez des mines ou

22 d'autres types d'explosifs.

23 M. Riad (interprétation). - Vous avez dit aussi que la plupart

24 des bâtiments appartenant au patrimoine sacré avaient été gravement ou

25 totalement endommagés à Vitez. Totalement ou gravement ?

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1 M. Kaiser (interprétation). - Oui, dans la municipalité de Vitez

2 sous contrôle du HVO.

3 M. Riad (interprétation). - Disons que Vitez était le quartier

4 général, le siège de l'autorité ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

6 M. Riad (interprétation). - Et aucune protection n'a été assurée

7 par les autorités ? Vous avez parlé de Pecine, par exemple, un village où

8 vous avez trouvé le monastère protégé par deux soldats de l'armée de

9 Bosnie-Herzégovine ?

10 M. Kaiser (interprétation). - Oui, de l'armée de Bosnie-

11 Herzégovine, mais après la guerre.

12 M. Riad (interprétation). - Après la guerre ?

13 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

14 M. Riad (interprétation). - Mais le but était d'empêcher des

15 dommages ?

16 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

17 M. Riad (interprétation). - Y a-t-il eu des faits similaires à

18 Vitez pour la protection du patrimoine culturel et religieux ?

19 M. Kaiser (interprétation). - Vous me posez la question au sujet

20 de la période de la guerre ?

21 M. Riad (interprétation). - A quelque moment où vous avez été

22 présent sur les lieux.

23 M. Kaiser (interprétation). - Je n'ai vu aucune protection des

24 sites. Ils étaient tous endommagés. Il n'y avait pas de policiers et il

25 n'y avait pas non plus de soldats aux abords de ces bâtiments.

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1 M. Riad (interprétation). - Ils étaient tous endommagés ?

2 M. Kaiser (interprétation). - Oui ; ceux que j'ai vus, oui.

3 M. Riad (interprétation). - Vous avez dit "entièrement" ou

4 "gravement" endommagés. C'est bien ce que vous maintenez ?

5 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

6 M. Riad (interprétation). - Vous avez aussi parlé de faire

7 flotter un drapeau afin d'indiquer qu'il s'agit d'un site religieux ou

8 culturel. Est-ce bien exact ?

9 M. Kaiser (interprétation). - Je pense qu'il est recommandé

10 d'agir de la sorte. La liste de ces bâtiments doit être normalement

11 communiquée aux deux parties belligérantes et donc, même s'il n'y a pas de

12 drapeau, les deux parties sont censées connaître leur localisation.

13 M. Riad (interprétation). - Vous pensez qu'un tel drapeau aurait

14 dû également être planté sur un minaret ou un minaret ne se suffit-il pas

15 par lui-même ?

16 M. Kaiser (interprétation). - Planter un drapeau pour le

17 protéger ?

18 M. Riad (interprétation). - Pour protéger un minaret. Est-ce

19 obligatoire ou ne peut

20 on pas reconnaître un minaret même sans drapeau ?

21 M. Kaiser (interprétation). - De toute façon, qu'il y ait un

22 drapeau ou pas importe peu ; on n'est pas censé tirer sur un minaret.

23 M. Riad (interprétation). - Votre déposition était très

24 détaillée et je crois que je suis bien informé. Je vous remercie,

25 Monsieur.

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1 M. le Président. - Merci, Monsieur le juge et, si vous avez des

2 questions supplémentaires, vous pourrez les poser quand vous voudrez,

3 après votre collègue le Juge Shahabuddeen ou moi-même, Monsieur le juge.

4 M. Shahabuddeen (interprétation). - Docteur Kaiser, pensez-vous

5 que je sois en droit de segmenter votre déposition de la façon suivante :

6 elle a comporté une partie générale dans laquelle vous nous avez parlé -et

7 d'une façon très intéressante si vous me permettez de le dire- de la

8 nécessité ressentie par les populations de s'identifier d'une façon ou

9 d'une autre. Et vous êtes passé à une partie plus spécifique dans laquelle

10 vous nous avez fait part des observations que vous avez pu faire en

11 Bosnie, et vous avez essayé d'établir un lien entre les deux parties de

12 votre déposition. Est-ce une bonne description de votre déposition ?

13 M. Kaiser (interprétation). - Oui, tout à fait, absolument.

14 M. Shahabuddeen (interprétation). - Reprenons la partie générale

15 de votre déposition si vous le voulez bien. Vous ai-je bien compris

16 lorsque je dis la chose suivante : toutes les populations ressentent le

17 même besoin de s'identifier et elles le font d'une façon ou d'une autre.

18 Certaines populations peuvent recourir davantage que d'autres à un moyen

19 déterminé pour ce faire.

20 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

21 M. Riad (interprétation). - Au nombre des méthodes employées, on

22 trouve l'histoire, la culture, la religion, la construction de bâtiments

23 du culte, ainsi que des objets du culte entre autres, n'est-ce pas ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

25 M. Shahabuddeen (interprétation). - Examinons l'histoire :

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1 avez-vous présenté votre thèse de doctorat en France ?

2 M. Kaiser (interprétation). - Je l'ai présentée à Londres mais

3 elle portait sur l'histoire française.

4 M. Shahabuddeen (interprétation). - Merci de cette correction.

5 En tout cas, cela ne change rien à la question que je m'apprêtais à vous

6 poser qui est la suivante : sans manquer de respect le moins du monde à un

7 pays ou à un autre, pensez-vous que je suis en droit d'affirmer que le

8 gros des écrits historiques relatifs à la France est plus dense et plus

9 volumineux que le nombre d'écrits portant sur la Bosnie ?

10 M. Kaiser (interprétation). - Je crois que c'est effectivement

11 le cas.

12 M. Shahabuddeen (interprétation). - Etant établi que le volume

13 des écrits historiques est différent, suis-je en droit de dire que la

14 population, qui détient un volume inférieur d'écrits historiques, aura

15 tendance à accorder une plus grande importance aux bâtiments religieux,

16 aux objets religieux, aux bâtiments culturels également et ce, afin de

17 satisfaire ce besoin, que toutes les populations ressentent, de

18 s'identifier ?

19 M. Kaiser (interprétation). - Je crois, en effet, que ce serait

20 une proposition raisonnable.

21 M. Shahabuddeen (interprétation). - Dans ces conditions, suis-je

22 en droit de dire qu'en Bosnie, le fait de provoquer des dommages sur un

23 bâtiment religieux aura tendance à créer une blessure plus importante du

24 point de vue de la perception par le peuple de son identité que cela ne

25 serait le cas dans un pays qui pourrait s'appuyer davantage sur le

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1 sentiment historique ?

2 M. Kaiser (interprétation). - Cela pourrait être le cas. Par

3 exemple, à la suite de la Première Guerre mondiale en France qui, en 1919,

4 possédait déjà une mémoire écrite très riche

5 et très ancienne, la nécessité de reconstruire les églises détruites par

6 les bombardements a été ressentie avec une très grande force et des

7 ressources énormes ont été consacrées à la reconstruction de ces églises.

8 Ce que vous venez de dire pourrait donc être le cas mais devrait néanmoins

9 être quelque peu nuancé.

10 M. Shahabuddeen (interprétation). - Oui, en effet, c'est sans

11 doute le cas, mais ce qui m'intéresse, ce n'est pas la nécessité absolue

12 ressentie par les gens de reconstruire les églises mais l'aspect relatif

13 lié à cette question. Alors passons maintenant, si vous le voulez bien, à

14 la question des villages mono-ethniques. J'ai cru comprendre, dans ce que

15 vous nous avez dit, qu'il existait, en effet, de nombreux villages en

16 Bosnie qui étaient mono-ethniques. Alors vous ai-je bien compris si je dis

17 qu'un village mono-ethnique, parce que sa population est croate, pouvait

18 néanmoins coexister avec un autre village mono-ethnique mais dont la

19 population était serbe ou bosnienne ?

20 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

21 M. Shahabuddeen (interprétation). - Etabliriez-vous une

22 distinction entre, d'une part, une situation dans laquelle, au sein d'une

23 même région, il y aurait coexistence de plusieurs villages mono-ethniques

24 et, d'autre part, une situation dans laquelle une région serait

25 entièrement composée de villages mono-ethniques ?

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1 M. Kaiser (interprétation). - Oui, j'établirai une distinction.

2 M. Shahabuddeen (interprétation). - Et si l'évolution fait

3 passer de la première situation à la deuxième, je crois comprendre -ce que

4 vous nous avez dit dans votre déposition- que cette transformation aurait

5 des effets négatifs sur l'identité des deux populations. Est-ce exact ?

6 M. Kaiser (interprétation). - Oui, c'est exact, en effet.

7 M. Shahabuddeen (interprétation). - Passons maintenant à la

8 question des "représailles" ; c'est le mot que vous avez utilisé et je ne

9 le reprends pas ici dans un sens plus

10 technique que celui que vous avez utilisé vous-même. Serais-je justifié à

11 penser que ce que vous nous avez dit, c'est que, oui, en effet, des cas ou

12 des dommages ont été provoqués du côté des Bosniens sur des bâtiments de

13 culte catholique, etc., mais que ces actes ont été commis à titre de

14 représailles, c'est-à-dire en tant qu'acte de représailles ponctuelles ?

15 Ai-je raison de vous comprendre de la sorte ou devrais-je

16 comprendre que ces actes signifient également l'adoption par les Bosniens

17 d'une politique de séparation ethnique ?

18 M. Kaiser (interprétation). - Je crois qu'il y a un problème de

19 chronologie qu'il importe toujours de régler. C'est un point important,

20 sinon il est impossible de déterminer qu'un acte est un acte de

21 représailles. C'est pour répondre à la première partie de votre question.

22 Maintenant, pour répondre à la deuxième partie de votre

23 question, à savoir s'il y a évolution vers une solution par toutes les

24 parties de la mono-ethnicité en cas de guerre -je crois que c'est ce que

25 vous m'avez demandé-, je réfléchis à cette question dans le cadre de la

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1 perspective de la paix. Je pense qu'en cas de guerre, dans certaines

2 régions... C'est également arrivé dans les territoires contrôlés par

3 l'armée de Bosnie-Herzégovine.

4 M. Shahabuddeen (interprétation). - Etait-ce la politique de

5 l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

6 M. Kaiser (interprétation). - Non, je ne pense pas que c'était

7 une politique de l'armée de Bosnie-Herzégovine.

8 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous nous avez dit -et je me

9 permets de traduire les termes que vous avez utilisés- quelle était la

10 prédisposition religieuse des Bosniens qui avaient tendance à considérer

11 avec un certain respect les lieux de culte catholique. Est-ce exact ?

12 M. Kaiser (interprétation). - C'est exact.

13 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous nous avez dit avoir vu

14 des soldats ou des policiers de l'armée de Bosnie-Herzégovine qui

15 gardaient des lieux de culte catholique

16 endommagés ?

17 M. Kaiser (interprétation). - Dans certains cas, oui.

18 M. Shahabuddeen (interprétation). - Avez-vous jamais vu, de

19 l'autre côté, des soldats ou des policiers du HVO garder des lieux de

20 culte bosnien endommagés ?

21 M. Kaiser (interprétation). - Après la guerre oui, mais pas

22 pendant la guerre.

23 M. Shahabuddeen (interprétation). - Tenons-nous en à la période

24 de la guerre. Etait-ce un fait de notoriété publique que des soldats et

25 des policiers de l'armée de Bosnie-Herzégovine gardaient et protégeaient

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1 les lieux de culte catholique endommagés ?

2 M. Kaiser (interprétation). - Je ne peux pas vraiment répondre à

3 cette question, je ne sais pas.

4 M. Shahabuddeen (interprétation). - Passons, si vous le voulez

5 bien, quelques instants au sujet de Bugojno. Vous y avez vu, je crois, des

6 dommages causés à un lieu de culte catholique, n'est-ce pas ?

7 M. Kaiser (interprétation). - Oui.

8 M. Shahabuddeen (interprétation). - Et vous avez eu la

9 possibilité de vous adresser à l'Ulema. Pour le compte rendu, suis-je en

10 droit de dire que l'Ulema est un homme très instruit sur le plan religieux

11 et que c'est un dirigeant de la communauté ?

12 M. Kaiser (interprétation). - Oui, en effet.

13 M. Shahabuddeen (interprétation). - Quelle a été sa réaction ?

14 M. Kaiser (interprétation). - Il ne m'a pas répondu par écrit,

15 mais j'ai entendu dire qu'il avait été furieux.

16 M. Shahabuddeen (interprétation). - Furieux parce que vous lui

17 aviez écrit ou furieux à cause des dommages ?

18 M. Kaiser (interprétation). - Furieux parce qu'il estimait que

19 je devrais m'intéresser davantage aux cimetières musulmans et ne pas

20 évoquer ce problème des lieux de culte

21 catholique.

22 M. Shahabuddeen (interprétation). - Ah, je vois.

23 C'était la dernière question que je souhaitais vous poser.

24 Merci.

25 M. le Président. - Je vais vous poser très peu de questions. Mon

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1 collègue, le Juge Riad, a peut-être encore une ou deux questions à vous

2 poser et vous en aurez terminé ensuite.

3 Je vais vous poser une question un peu indiscrète : y a-t-il eu

4 d'autres études sur cet aspect culturel, de destruction culturelle ? Vous

5 dirigez des travaux, vous avez des étudiants qui sont intéressés. Y a-t-il

6 eu d'autres études, dans d’autres endroits du monde, qui se sont

7 intéressées à cet aspect de la guerre en ex-Yougoslavie ?

8 M. Kaiser (interprétation). - Pendant la guerre, le Dr Wensel*,

9 qui est spécialiste connu du pays, a également écrit un rapport pour le

10 Conseil de l'Europe. Elle a également participé à cette initiative. Mais

11 je crains devoir dire que je n'ai pas été informé d'un grand nombre

12 d'initiatives de ce genre en dehors de la Croatie et de la Bosnie-

13 Herzégovine.

14 Il y avait une tendance à faire circuler des listes de bâtiments

15 appartenant au patrimoine culturel. Ces listes étaient tout à fait

16 incontrôlables, invérifiables.

17 Après la guerre, l'intérêt s’est bien sûr accru vis-à-vis du

18 patrimoine culturel.

19 M. le Président. - Si j'ai bien compris, les mektebs ne se

20 distinguent pas de façon évidente comme les mosquées ou les églises.

21 A votre avis, pour les détruire d'une façon assez systématique

22 et bien ciblée, diriez-vous qu'il faut être un soldat originaire de la

23 région pour pouvoir les individualiser rapidement ?

24 M. Kaiser (interprétation). - Oui, dans le cas des mektebs et

25 dans le cas de certaines mesjids. On n'est pas obligé de savoir de quoi il

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1 s'agit. Il faut provenir de la région pour le savoir. Pour une mosquée,

2 les choses sont, bien entendu, différentes.

3 M. le Président. - Les destructions pouvaient-elles, à votre

4 avis, être le fait de civils échappant au contrôle des militaires,

5 enflammés par la propagande, par exemple ? Est-ce possible pour vous ?

6 M. Kaiser (interprétation). - Absolument. J'ai montré une

7 photographie où on voit le toit qui est dénudé et ce, jusqu'à la partie

8 inférieure. Je crois que cela a été l'acte de civils qui avaient besoin

9 des tuiles.

10 Il y a également d'autres types de dommages, dans la mekteb de

11 Donji par exemple où on voit les traces d'une tentative avortée d'incendie

12 sur le sol. Je crois que cela aurait même pu être l'acte d'enfants, parce

13 que les adultes auraient sans doute été plus déterminés, auraient mieux

14 réussi. Les soldats, eux-mêmes, auraient été mieux équipés.

15 M. le Président. - Sur le plan de la proportion même -peut-être

16 pas trop précise mais assez globale-, y a-t-il des types plus rituels que

17 d'autres dans les types de vandalisme ? Et -deuxième question-, dans le

18 cas affirmatif, vos observations vous ont-elles amené à penser qu'on avait

19 plutôt des types de vandalisme rituels ?

20 Première question : y a-t-il des types rituels de vandalisme ?

21 Par exemple une église catholique... On peut pilonner les murs d'une

22 église, c'est déjà un vandalisme rituel fort. Mais si vous allez, par

23 exemple, dans le tabernacle, que vous sortez les hosties, que vous les

24 jetez par terre, c'est un acte de vandalisme rituel encore plus fort.

25 Dans les destructions que vous avez constatées, avez-vous pu

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1 voir qu'on allait généralement au coeur même du rituel et de la symbolique

2 religieuse ?

3 M. Kaiser (interprétation). - S'agissant de la destruction d'une

4 église catholique par les Serbes, les deux religions sont si semblables

5 qu'ils ne savaient apparemment pas où viser pour détruire complètement.

6 Mais s'agissant des Musulmans et des Chrétiens, je ne crois pas que la

7 situation soit tout à fait la même. J'ai vu quelques cas où il est

8 possible qu'un rituel ait été mis en place par les responsables des

9 destructions. La mihrab, comme nous le savons, est dirigé

10 dans la direction de La Mecque et, dans le cas de la mosquée de Kiseljak,

11 on a l'impression que des coups de feu ont été tirés dans la direction de

12 la mihrab puisque des briques sont tombées. Mais à moins d'envisager que

13 la destruction d'un minaret ait été un rituel inventé par les responsables

14 de ces destructions, il me semble que nous n'en sommes tout de même pas au

15 coeur de la désacralisation.

16 M. le Président. - J'ai encore deux questions à vous poser.

17 Seriez-vous d'accord avec moi pour dire qu'il y a des guerres qui sont

18 plutôt des guerres économiques et territoriales et qu'il y a des guerres

19 qui sont plutôt ethniques ? Dans la première catégorie, on peut peut-être

20 estimer, puisque vous semblez être un spécialiste de l'histoire française,

21 que la guerre de 1914/1918, par exemple, a été faite en principe pour

22 l'obtention du territoire de l'Alsace-Lorraine, etc..

23 Si vous aviez à formuler une observation sur ce territoire que

24 vous connaissez bien, la caractéristique majeure de cette guerre est-elle

25 ce côté de guerre rituelle, religieuse, consistant à aller abattre son

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1 ennemi, qui était son ami d'hier, dans les symboliques religieuses, par

2 exemple ? Est-ce une caractéristique forte de cette guerre, à votre avis ?

3 M. Kaiser (interprétation). - Je pense qu'elle l'est devenue.

4 Votre question est difficile mais ceux qui ont déchaîné la guerre l'ont

5 apparemment déchaînée pour des raisons qui leur étaient propres. Ils

6 avaient leurs motifs à eux qui n'avaient pas grand-chose à voir avec les

7 questions dont nous débattons ici aujourd'hui, mais ils avaient, sans

8 aucun doute, de bonnes connaissances quant à la façon de mobiliser

9 l'énergie de leur peuple, et à la fin, je crois en effet, la guerre se

10 poursuivant, que la lutte a revêtu de plus en plus cet aspect.

11 M. le Président. - Enfin, une dernière question : vous avez

12 réussi à tracer une sorte de carte où il y a une adéquation presque

13 parfaite entre un territoire occupé par le HVO, une mosquée détruite et un

14 clocher maintenu en bon état.

15 M. Kaiser (interprétation). - Je crois.

16 M. le Président. - Je vous remercie, Docteur, mais je sais que

17 mon collègue et ami le Juge Riad avait une ou deux questions

18 supplémentaires à poser. C'est bien volontiers que vous avez à nouveau la

19 parole.

20 M. Riad (interprétation). - Docteur Kaiser, répondant à mon

21 éminent collègue, le Juge Shahabuddeen, vous avez dit quelque chose qui

22 m'a remis en mémoire d'autres déclarations faites par vous dans ce qu'il a

23 appelé la partie générale de votre déposition. Vous n'avez pas été

24 simplement un témoin devant ce Tribunal, mais je crois pouvoir dire que

25 vous êtes également un témoin de l'histoire.

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1 Vous avez dit que la destruction des minarets était destinée à

2 envoyer un message parce que là où il y a des minarets, il y a des

3 Musulmans, et que ce message était à l'intention des Musulmans : "nous ne

4 voulons plus vivre avec vous". Ce message consistait donc à exprimer la

5 volonté de supprimer les Musulmans de la mémoire historique, de la mémoire

6 du peuple, éliminer les Musulmans de la "chronologie" -vous avez utilisé

7 ce mot qui est un mot très fort. Les Bosniens acceptaient pourtant la

8 coexistence. Il me semble que c'est ce parallèle qui a également été

9 établi par le Juge Jorda dans ses questions. Je crois donc que vous

10 parliez d'ethnicité, d'appartenance ethnique. Pensez-vous que la volonté

11 consistait à agir sur le patrimoine culturel pour anéantir la présence,

12 éliminer la présence des Bosniens musulmans ?

13 M. Kaiser (interprétation). - Oui, je crois que c'est cela qui

14 était en cours effectivement.

15 M. Riad (interprétation). - Je ne sais pas si c'était

16 réciproque. A votre avis, ce n'était pas réciproque ?

17 M. Kaiser (interprétation). - Les choses qui sont survenues en

18 Bosnie étaient terriblement contagieuses.

19 M. Riad (interprétation). - Vous pensez donc que c'était le fait

20 des deux côtés ? Mais est-ce que vous pensez que c'était vraiment une

21 volonté d'éliminer les Bosniens de l'histoire

22 et par le biais de cette destruction de minarets et du patrimoine

23 culturel, éliminer physiquement les gens, s'en débarrasser, les supprimer

24 de la mémoire de la région et, comme je l'ai déjà dit, les sortir de la

25 vue des Croates, en tant que groupe ethnique ?

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1 M. Kaiser (interprétation). - Pour changer les Croates dans ces

2 régions, vous aviez des villages mono-ethniques où les gens ne vivaient

3 pas..., mais les gens pouvaient néanmoins vivre ensemble et, désormais,

4 ils doivent vivre séparément la plupart du temps sans interaction. Je

5 parle bien de la vie quotidienne, de la façon dont les choses se font.

6 M. Riad (interprétation). - Merci.

7 M. le Président. - Merci, Monsieur le Juge, merci, Docteur. Cela

8 a été long et donc intéressant. Vous l'avez vu. Nous allons donc

9 maintenant vous renvoyer à vos études passionnantes et nous devons vous

10 remercier. Nous allons continuer mais, Monsieur le Greffier, vous pouvez

11 peut-être demander à l'huissier de raccompagner le Dr Kaiser. Merci.

12 (Le témoin est reconduit.)

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