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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Vendredi 11 décembre 1998
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5 L'audience est ouverte à 10 heures 10.
6 M. le Président. - Faites entrer l'accusé, Monsieur le Greffier.
7 Bien, je salue les interprètes. Est-ce que tout le monde m'entend ?
8 L'interprète. - Monsieur le Président, bonjour.
9 M. le Président. - Bonjour. Je salue le conseil de l'accusation.
10 Je salue Maître Nobilo. J'espère que Maître Hayman n'est pas malade. Il
11 n'est jamais obligatoire d'être tout le banc au complet. Vous faites comme
12 vous voulez. Je salue l'accusé. Nous allons reprendre. Monsieur le
13 Greffier, nous avions peut-être.... Il me semble que l'accusation voulait
14 assurer le contre-interrogatoire pour l'un des témoins, expliquez-nous
15 cela.
16 M. Dubuisson. - Donc, effectivement, le Procureur, en ce qui
17 concerne le contre-interrogatoire du témoin DQ, a souhaité le faire ce
18 jour du fait qu'il ne possédait pas le prénom et le nom corrects de ce
19 témoin.
20 M. le Président. - C'est un témoin qui était protégé. Il faut
21 peut-être baisser temporairement ... c'était une audition publique mais
22 avec des mesures de protection. Il faudrait baisser les rideaux pour faire
23 entrer le témoin. Nous rouvrirons les rideaux pour continuer en audience
24 publique sauf si des éléments justifiaient que nous repassions à huis
25 clos. D'accord. Nous opérons ainsi.
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1 Nous introduisons le témoin.
2 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)
3 Témoin DQ, vous avez été contrainte de revenir. Je suis désolé
4 Ce sont les servitudes et les grandeurs de la justice. C'est le
5 co-procureur qui, compte tenu qu'il y avait eu une erreur dans votre
6 prénom, n'avait pas pu trouver sur le moment les bases de votre
7 contre-interrogatoire. Maintenant c'est le Procureur qui va vous poser des
8 questions. Au besoin le conseil de l'accusé reprendra ensuite et peut-être
9 les Juges aussi mais, pour l'instant, c'est Me Cayley. Allez-y,
10 Maître Cayley.
11 M. Cayley (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,
12 Monsieur le Juge Shahabuddeen, Monsieur Nobilo.
13 Témoin DQ, bonjour. Je m'appelle Andrew Cayley. Je suis membre
14 du bureau du Procureur. A mes côtés se trouvent mes collègues : Me Harmon
15 et Me Kehoe. Tout d'abord, au nom du bureau du Procureur, je voudrais
16 exprimer tous les sentiments que nous éprouvons pour vous et pour votre
17 souffrance. Vous verrez cet interrogatoire sera très bref.
18 Hier, à la fin de votre témoignage, vous aviez dit que
19 Darko Kraljevic avait organisé une attaque contre Stari Vitez et il
20 pensait qu'il obtiendrait le soutien du colonel Blaskic et de Mario Cerkez
21 dans le cadre de cette attaque. Vous souvenez-vous avoir dit cela aux
22 Juges ?
23 Témoin DQ (interprétation). - Oui, je m'en souviens. Il avait
24 organisé l'attaque. Il avait pensé qu'on allait l'aider, mais personne ne
25 l'a aidé. Il avait demandé l'aide. On lui a dit qu'il ne devrait pas
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1 entreprendre cette attaque et que par conséquent il ne sera pas aidé.
2 M. Cayley (interprétation). - Est-ce là une rumeur qui circulait
3 autour de Vitez et que vous auriez entendue ?
4 Témoin DQ (interprétation). - Non, non, ce n'étaient pas des
5 rumeurs , c'était la vérité.
6 M. Cayley (interprétation). - Et cette attaque qui a été
7 organisée par M. Kraljevic, a-t-elle eu lieu en juillet 1993 ?
8 Témoin DQ (interprétation). - Oui, je ne peux pas vous dire la
9 date exacte, mais je pense que c'était le mois de juillet. Oui,
10 effectivement.
11 M. Cayley (interprétation). - Et vous affirmez que M. Blaskic et
12 M. Cerkez ont refusé d'apporter leur aide à M. Kraljevic au cours de cette
13 attaque contre Stari Vitez ?
14 Témoin DQ (interprétation). - Je l'affirme et c'était comme ça.
15 C'étaient pas des rumeurs, je l'affirme.
16 M. Cayley (interprétation). - Merci beaucoup, Témoin. Je n'ai
17 plus de questions à poser au témoin. Monsieur le Président, merci.
18 M. le Président. - Merci.
19 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, juste une
20 question.
21 Le Témoin, comment avez-vous pu le savoir ? Ces femmes-là qui
22 assistaient aux obsèques. Vous l'avez su ?
23 Témoin DQ (interprétation). - J'étais dans la cuisine avec les
24 soldats, j'étais au courant. Je l'ai entendu par les soldats eux-mêmes,
25 car j'étais cuisinier et j'ai travaillé dans la cuisine. J'ai rien d'autre
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1 à ajouter.
2 M. Nobilo (interprétation). - Merci, je n'ai plus de questions.
3 M. le Président. - Témoin DQ, c'est pratiquement terminé. J'ai
4 une seule question à vous poser. Avez-vous entendu parler de l'attaque
5 d'Ahmici, puisque vous voyiez des soldats ? Vous avez entendu parler
6 d'Ahmici ?
7 Témoin DQ (interprétation). - Oui, j'ai entendu parler de
8 l'attaque d'Ahmici, mais je n'étais pas au courant de tous les détails.
9 Nous sommes quand même loin par rapport à Ahmici.
10 M. le Président. - Vous êtes à combien de kilomètres par rapport
11 à Ahmici ?
12 Témoin DQ (interprétation). - Entre six et sept kilomètres à peu
13 près, je pense.
14 M. le Président. - C'est pas très loin, on peut le faire à
15 bicyclette.
16 Témoin DQ (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, mais
17 c'était la guerre et on ne pouvait pas circuler librement. Nous ne
18 pouvions pas sortir. Ma maison se trouvait sur la première ligne de front
19 et, moi, je ne pouvais pas sortir pendant la guerre de chez moi. C'est là
20 où je suis resté. Je suis resté à Kruscica et j'ai pu également traverser
21 une forêt pour me rendre à Vitez, mais c'était très rare. Pendant quatre
22 mois, je n'ai pas véritablement circulé énormément, j'ai pas entendu
23 grand-chose. On n'a pas pu véritablement se déplacer. Il y avait des tirs,
24 des coups de feu qui ont été échangés.
25 Une fois, je me suis rendue à Vitez et il y avait quelqu'un qui
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1 avait tiré et une balle est passée juste à côté de moi, en provenance de
2 Mahala et j'avoue que je ne pouvais pas trop circuler.
3 M. le Président. - Stari Vitez est plus loin de chez vous
4 qu'Ahmici. C'est à combien de kilomètres ? A peu près ?
5 Témoin DQ (interprétation). - Stari Vitez est à
6 trois kilomètres, à peu près. Je pense.
7 M. le Président. - Vous avez souffert beaucoup de choses, je
8 vais arrêter mes questions. Comme Me Cayley l'a dit, les Juges partagent
9 avec beaucoup de compassion ce que vous avez vécu. Nous vous remercions
10 d'être venu jusqu'à La Haye, nous espérons pour vous que les jours, les
11 mois, les années à venir vous soient plus heureux que cette période qui
12 restera certainement comme une période de grandes souffrances. Merci
13 d'être venu jusqu'à La Haye.
14 A présent, on va baisser les rideaux pour que vous puissiez
15 repartir sans que vos traits n'apparaissent. Puis, nous reprendrons le
16 cours de nos travaux.
17 Témoin DQ (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
18 M. le Président - Voilà, monsieur l'huissier va vous
19 raccompagner.
20 (Le témoin quitte le prétoire.)
21 M. Nobilo (interprétation). - Le témoin prochain, c'est
22 Vidovic Mariyana. Elle n'est pas protégée, mais les deux ne sont pas
23 protégés.
24 M. le Président. - Bien, Monsieur le Greffier, nous pouvons
25 introduire la dame... On peut dire son nom, c'est cela ? Elle n'est pas
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1 protégée dans son identité. On introduit donc Mlle Mariyana Vidovic.
2 (Le témoin est introduit dans la salle d'audience.)
3 Vous m'entendez, Madame ? Restez debout pour l'instant. Vous
4 nous donnez votre nom, votre prénom, s'il vous plaît.
5 Mlle Vidovic (interprétation). - Je m'appelle Mariyana Vidovic.
6 M. le Président. - Merci. Vous allez prêter serment à partir
7 d'une formule écrite que vous allez lire à haute voix et que va vous
8 tendre l'huissier.
9 Mlle Vidovic (interprétation). - Je déclare solennellement que
10 je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
11 M. le Président. - Merci, Madame. Vous avez accepté de témoigner
12 ici devant le Tribunal pénal international de La Haye dans le procès qui
13 est intenté par le Procureur contre le colonel Blaskic -colonel à
14 l'époque-, l'accusé qui est ici présent. Vous avez accepté de témoigner à
15 la demande de la défense.
16 La défense va donc vous poser des questions. S'il y a des
17 éléments qui doivent rester confidentiels, l'avocat de la défense le
18 demandera. A ce moment-là, vous serez couverte par des mesures que nous
19 prendrons instantanément et puis, ensuite, ce sera le Procureur qui vous
20 posera des questions et peut-être les Juges également si on est amené à
21 vous poser des questions.
22 Vous vous détendez, vous n'avez pas peur, vous êtes jeune, vous
23 êtes solide, vous êtes devant des Juges, dons sentez-vous très à l'aise.
24 Si quelque chose ne va pas vous, dites : "Cela ne va pas." et on voit ce
25 qu'il y a lieu de faire pour vous venir en aide.
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1 Maître Nobilo, c'est à vous.
2 M. Nobilo (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
3 Je voudrais que l'huissier distribue une carte tout d'abord,
4 s'il vous plaît.
5 M. Dubuisson. - Document D464.
6 M. Nobilo (interprétation). - Mariyana, quand êtes-vous née et
7 où ?
8 Mlle Vidovic (interprétation). - Je suis née le 2 février 1981 à
9 Zenica.
10 M. Nobilo (interprétation). - En 1993 et 1914, où étiez-vous
11 lorsque ces événements tragiques se sont produits ?
12 Mlle Vidovic (interprétation). - Douze ans et demi.
13 M. Nobilo (interprétation). - C'était donc votre âge. Où
14 viviez-vous avec vos parents et vos frères ?
15 Mlle Vidovic (interprétation). - J'ai habité à Santici,
16 Buhine Kuce, le hameau.
17 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez sous les yeux une carte
18 que j'ai moi-même dessinée en suivant vos instructions. Cette carte
19 est-elle précise ? La flèche qui est placée indique-t-elle Buhine Kuce
20 vers Santici ?
21 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui.
22 M. Nobilo (interprétation). - Par conséquent, ce village se
23 trouve entre Vitez et Busovaca, n'est-ce pas ?
24 Mlle Vidovic (interprétation). - C'est exact.
25 M. Nobilo (interprétation). - Pouvez-vous expliquer aux Juges,
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1 au cours de 1993, qui vivait avec vous dans votre maison ?
2 Mlle Vidovic (interprétation). - Ma mère , mon papa, Nedyehjko
3 mon frère et Ladislav et les grands-parents également.
4 M. Nobilo (interprétation). - Ta mère est née en 1952 et ton
5 père en 1950, n'est-ce pas ?
6 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui. Mon frère est né en 1979
7 et, ensuite, moi en 1981, le jeune avait 8 ans.
8 M. Nobilo (interprétation). - Son nom était Branislav, n'est-ce
9 pas ?
10 Mlle Vidovic (interprétation). - Exact.
11 M. Nobilo (interprétation). - Peux-tu dire aux Juges ce qui est
12 arrivé à ton frère aîné en septembre 1993 ?
13 Mlle Vidovic (interprétation). - Au moment où il est sorti de sa
14 maison, il a été blessé par les tireurs embusqués, tous ses organes ont
15 été endommagés, le rein notamment. Il a été transporté à l'hôpital
16 franciscain.
17 M. Nobilo (interprétation). - Combien d'opérations a-t-il dû
18 subir ?
19 Mlle Vidovic (interprétation). - Sept, au total.
20 M. Nobilo (interprétation). - A-t-il réussi à survivre ?
21 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui.
22 M. Nobilo (interprétation). - Le 9 janvier 1994, cet événement
23 tragique s'est produit, l'événement dont vous êtes venue nous parler. A ce
24 moment-là, qui habitait dans la maison de Buhine Kuce ?
25 Mlle Vidovic (interprétation). - En 1993, mon grand-père Anto a
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1 été blessé, ma grand-mère était là-dedans. Il y avait ma mère, mon père et
2 moi-même et le frère cadet, car l'aîné était à l'hôpital. Il y avait
3 également mon cousin et le frère de mon père Mirko Vidovic et Drazen qui
4 étaient avec nous.
5 M. Nobilo (interprétation). - Ton village se trouvait juste à la
6 ligne de front, n'est-ce pas ?
7 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui.
8 M. Nobilo (interprétation). - Y avait-il des armes dans la
9 maison ?
10 Mlle Vidovic (interprétation). - Dans ma maison, il n'y avait
11 pas d'armes mais, sur la ligne, il y avait des armes mais pas
12 suffisamment. Par conséquent, ils ne pouvaient pas ramener les armes. Ils
13 les laissaient sur la ligne de front.
14 M. Nobilo (interprétation). - Pourrais-tu regarder les Juges
15 lorsque tu témoignes, car il important que les Juges entendent bien ce
16 témoignage. Par conséquent, aucun des hommes qui se trouvaient dans la
17 maison ne disposait d'une arme ?
18 Mlle Vidovic (interprétation). - Non.
19 M. Nobilo (interprétation). - Etait-ce le cas dans les autres
20 maisons du village, à savoir que les armes étaient conservées sur la ligne
21 de front, dans les tranchées ?
22 Mlle Vidovic (interprétation). - Il y avait des armes mais dans
23 les tranchées, pas dans les maisons. Quand il y avait les patrouilles, à
24 ce moment-là, les armes restaient dans les tranchées. Ceux qui faisaient
25 les patrouilles les prenaient.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Le 9 janvier 1994, tu dormais,
2 n'est-ce pas ? Chez toi ? As-tu entendu à quelle heure et quand ces
3 événements tragiques ont commencé ?
4 Mlle Vidovic (interprétation). - Le 9 janvier. C'était le samedi
5 au lundi, c'était donc très tôt le matin. Nous étions à la maison et, tout
6 d'un coup, on avait entendu les tirs. Il y avait les pleurs des enfants
7 également. Ils ont dit : "Levez-vous, Oustachis !". Mon papa s'est levé
8 et, puis, je ne l'ai plus revu. Il y avait des tirs qu'on avait entendus,
9 il y a ensuite maman qui est sortie, ensuite mon frère cadet et puis moi-
10 même également, je suis sortie par la suite.
11 M. Nobilo (interprétation). - Un instant, il faut que nous
12 ralentissions afin que les interprètes puissent nous suivre. Ton père
13 n'avait pas d'armes ?
14 Mlle Vidovic (interprétation). - Il était sans arme.
15 M. Nobilo (interprétation). - Par la suite, est-ce que tu t'es
16 rendue compte que ton père avait été tué ?
17 Mlle Vidovic (interprétation). - Je l'ai compris.
18 M. Nobilo (interprétation). - Tu as dit que ta mère est sortie
19 d'abord. Que s'est-il passé ensuite ?
20 Mlle Vidovic (interprétation). - Il y avait beaucoup de soldats
21 musulmans, ils étaient à deux mètres, à peu près, ils ont tiré d'abord
22 vers ma mère. Je me suis dirigée vers elle, ils ont tiré également sur
23 moi. Moi, j'ai été blessée sur ma jambe droite, j'avais six opérations.
24 Ensuite, Brano, mon petit frère a été touché au niveau de l'estomac.
25 M. Nobilo (interprétation). - Après être sortie de la maison, tu
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1 as dit avoir vu beaucoup de soldats, à quelle armée appartenaient-ils ?
2 Mlle Vidovic (interprétation). - C'étaient les soldats
3 musulmans.
4 M. Nobilo (interprétation). - A quoi ressemblaient-ils,
5 pourrais-tu les décrire un peu plus ?
6 Mlle Vidovic (interprétation). - Ils avaient les bérets verts
7 sur les têtes, je n'ai pas vu les visages, car ils portaient une sorte de
8 cagoule sur le visage.
9 M. Nobilo (interprétation). - A quelle distance te trouvais-tu
10 de ta mère ?
11 Mlle Vidovic (interprétation). - Ils ont tiré sur moi également.
12 M. Nobilo (interprétation). - Le même groupe de soldats ?
13 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui, le même groupe de
14 soldats ?
15 M. Nobilo (interprétation). - Ils ont aussi tiré sur ton frère ?
16 Mlle Vidovic (interprétation). - C'est pareil également, il
17 était à côté de moi, ils ont tiré sur lui.
18 M. Nobilo (interprétation). - Quelles étaient les blessures de
19 ton frère, comment s'en est-il sorti ?
20 Mlle Vidovic (interprétation). - Au moment où je suis partie
21 vers lui, j'ai vu qu'il y avait son intestin qui était déjà sorti, car il
22 a été blessé dans le ventre. Les soldats musulmans m'ont prise par la
23 main, ils voulaient me tuer et il y en avait un qui est arrivé là-dessus,
24 ils ont dit : "Il faut partir, on va combattre ailleurs, donc laisse-la
25 tranquille", je suis restée comme ça à cet endroit-là.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Ensuite, où es-tu allée, dans
2 quelle direction ?
3 Mlle Vidovic (interprétation). - Je suis partie vers la route,
4 il y avait beaucoup de soldats musulmans, ils voulaient me tuer là-bas.
5 Ensuite, je me suis dirigée vers les représentants de la Forpronu, car il
6 y avait une base de la Forpronu qui se trouvait en face de la route, mais
7 eux, ils ne voulaient pas m'aider. Il y avait également quelqu'un qui
8 voulait tirer sur moi.
9 M. Nobilo (interprétation). - Et ton petit frère de 8 ans, est-
10 il allé avec toi ?
11 Mlle Vidovic (interprétation). - C'est moi qui l'avais porté
12 dans mes bras.
13 M. Nobilo (interprétation). - Tu l'as porté ?
14 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui.
15 M. Nobilo (interprétation). - Et ton intention était de te
16 réfugier dans les bases de la Forpronu, n'est-ce pas ?
17 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui.
18 M. Nobilo (interprétation). - Qu'ont fait les soldats des
19 Nations Unies ?
20 Mlle Vidovic (interprétation). - Eh bien, ils ont pointé leurs
21 fusils sur nous, ils n'ont pas permis qu'on rentre dans la base.
22 M. Nobilo (interprétation). - Et que s'est-il passé ensuite ?
23 Mlle Vidovic (interprétation). - Ensuite, nous sommes partis
24 vers la route et il y avait un homme qui s'appelle Ivica Vidovic, il a
25 pris mon petit frère, il m'a pris par la main et il nous a emmenés jusqu'à
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1 un dispensaire du côté de Vitez.
2 M. Nobilo (interprétation). - Et à partir de ce dispensaire, où
3 avez-vous été emmenés ?
4 Mlle Vidovic (interprétation). - A l'hôpital franciscain à
5 Nova Bila. C'était une église, mais une église qui a été aménagée comme
6 hôpital et c'est là où se trouvaient les blessés.
7 M. Nobilo (interprétation). - Et que s'est-il passé ensuite ? Où
8 êtes-vous allés ensuite ?
9 Mlle Vidovic (interprétation). - Au bout de quinze jours, j'ai
10 ait été transportée par hélicoptère à Split, dans un hôpital, mon petit
11 frère et moi-même.
12 M. Nobilo (interprétation). - Pour résumer les choses, qui avez-
13 vous perdu ce jour-là ?
14 Mlle Vidovic (interprétation). - Mon papa, ma maman et, puis, le
15 frère de mon papa et, puis, son cousin également, le fils de mon oncle,
16 Drazen. Ensuite, ma grand-mère a perdu les deux fils, la belle-fille, le
17 petit-fils et, puis, nous sommes restés les trois enfants qui étions
18 blessés. C'est elle qui s'occupe de nous actuellement.
19 M. Nobilo (interprétation). - Dans le hameau de Bobasi,
20 quelqu'un a-t-il été arrêté à votre connaissance ?
21 Mlle Vidovic (interprétation). - Vous pensez à Buhine Kuce ?
22 M. Nobilo (interprétation). - Pardon, Buhine Kuce, quelqu'un a-
23 t-il été arrêté ?
24 Mlle Vidovic (interprétation). - Ce matin, tout ceux que j'ai
25 vus, je pense que personne n'a été arrêté. Tous ont été blessés ou tués.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Et qui est resté en vie des
2 personnes qui sont restées dans le village ?
3 Mlle Vidovic (interprétation). - Moi-même, mon petit frère et
4 Anto Grbavac, sa femme, et un enfant de deux ans a été tué. Ankica Grbavac
5 et le fils ont été tués.
6 M. Nobilo (interprétation). - Comment son fils a-t-il été tué ?
7 Mlle Vidovic (interprétation). - Quand ils sont sortis de chez
8 eux, il avait porté l'enfant dans ses bras et, au moment où on a tué sa
9 femme, on avait tiré également sur lui et c'est son petit fils qui a été
10 blessé directement au coeur.
11 M. Nobilo (interprétation). - Mais les trois enfants de votre
12 famille ont survécu dans ce village, vous et vos deux frères.
13 Vous souvenez-vous du nom de certaines personnes qui ont été
14 tuées dans ce village ?
15 Mlle Vidovic (interprétation). - Petar Perkovic,
16 Nikola Jankovic, Marko Buhic, Ankica Vidovic, ma maman, Dragan Vidovic,
17 mon papa, Mirko Vidovic, le frère de mon papa, son fils Drazen Vidovic.
18 M. Nobilo (interprétation). - Ankica Grbavac et
19 Danijela Grbavac. C'est ça ?
20 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui. Ankica Grbavac et
21 Danijela Grbavac.
22 M. Nobilo (interprétation). - Vous souvenez-vous de
23 Novka Grbavac ? C'est une femme.
24 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui, Novka Grbavac.
25 M. Nobilo (interprétation). - Je vais vous citer un certain
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1 nombre de noms. Vous pourrez me dire...
2 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui, je me souviens d'autres
3 noms : Bice...
4 M. Nobilo (interprétation). - Drazenko. Il y a d'autres noms :
5 Mirko Safradin, Drajenko Jutanda, Dragica Petkovic et Zvonko Santic. Ces
6 personnes étaient-elles vos voisins qui ont été tués ?
7 Mlle Vidovic (interprétation). - C'est exact.
8 M. Nobilo (interprétation). - Vous allez à l'école, n'est-ce
9 pas, à l'école secondaire. Dans quelle classe ?
10 Mlle Vidovic (interprétation). - Je suis dans un lycée et je
11 suis en troisième année, option commerce.
12 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez écrit une dissertation,
13 je crois. Je l'ai lue et je pense que ce serait une bonne idée que vous
14 donniez lecture de cette dissertation à haute voix pour que la Chambre
15 puisse l'entendre. Je crois que c'est une dissertation qui raconte
16 l'événement subi. Le sujet est la guerre, qu'est-ce que la guerre ?
17 Mlle Vidovic (interprétation). - "La guerre pour moi, c'était un
18 mot tout simple, ordinaire, très loin de moi-même, de nous. C'est ce que
19 je pensais sur la guerre il y a cinq ans. Mais la guerre pour moi, ça
20 existait uniquement sur le film. Ensuite, c'est devenu ma vie quotidienne.
21 L'harmonie, le bonheur de ma famille ont été détruits par ce mot terrible
22 de trois lettres.
23 Je ne peux pas vous dire ce que l'on peut éprouver en vivant la
24 guerre et quelle est la douleur. Nous pensons tous que nous pourrons vivre
25 sans ceux qui nous sont proches, mais quand ceci nous arrive, nous devons
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1 continuer la vie, porter notre croix, même si c'est triste et douloureux.
2 Nous sommes obligés de vive sans nos parents, les parents que nous avons
3 tant aimés, avec lesquels nous aurions aimé partager le bonheur, les
4 rires, la tristesse. Ce sont eux qui nous auraient compris, qui nous
5 auraient encouragés. Nous avons eu toujours un place dans leur coeur.
6 C'est cela qu'on nous a volé. Ils ne sont pas là, il n'y a plus de leur
7 amour, mais notre amour est là et nos coeurs qui vivent et ils vivront
8 dans nos coeurs.
9 Mes frères et moi-même, nous allons porter ce chagrin en
10 permanence parce qu'on nous a volé notre amour, notre bonheur. Maintenant,
11 il nous reste les souvenirs et nous savons que nous avons connu le bonheur
12 du monde, car nous avons eu des parents, les parents qui nous ont tant
13 aimés.
14 La famille a commencé à souffrir en juin 1993... Pardon, en
15 septembre 1993. C'est mon petit frère qui est sorti devant chez lui. Il se
16 souvient qu'il avait été blessé plusieurs fois. Tous ses organes ont été
17 endommagés. Il n'y a que le coeur et le rein gauche qui sont restés en bon
18 état. Il a été sauvé à l'église, à l'hôpital franciscain et les pilotes du
19 HVO ont essayé de le sauver contre les tirs et le pilonnage qui venaient
20 en provenance des Musulmans.
21 Je pensais que c'était un événement qui était le plus dur, le
22 plus éprouvant qui aurait pu frapper ma famille. Je me suis trompée. Ce
23 n'était que le début de ma tragédie, de notre tragédie qui nous est
24 survenue.
25 L'attaque sur Buhine Kuce, le village où je suis née, a commencé
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1 le 9 janvier 1994. J'ai vu les soldats musulmans, j'ai vu. Ils ont
2 commencé à tirer, à hurler, à jeter les grenades, à rentrer dans les
3 maisons. Nous sommes tous sortis. Mon papa Dragan, ma maman Ankica et nous
4 deux. Le grand-père se trouvait à Vitez, car il a déjà été blessé par un
5 tireur embusqué et ma grand-mère Mira également.
6 Moi, j'ai vu ma mère tomber à côté d'une clôture. Je n'ai pas vu
7 mon papa. Après, on m'a dit qu'il a été emmené, mais son frère et le fils
8 de son frère, Drazen, ont été tués sur place. Moi, j'ai pris mon petit
9 frère Branislav. Il ne s'était pas encore réveillé et j'ai couru avec lui
10 le long de la route. On a tiré sur moi et mon bras a été blessé. J'ai dit
11 à Branislav de courir et j'ai dit qu'il devait se rendre dans la base de
12 la Forpronu. Lui, il avait pleuré, il tenait ses entrailles dans ses mains
13 et les soldats musulmans nous ont rencontrés. Il y en avait un qui disait
14 qu'il fallait nous tuer, l'autre a demandé qu'on nous laisse partir.
15 Sur la route, nous avons vu les soldats de la Forpronu, mais ils
16 ne voulaient même pas nous regarder. Personne de nous, nous n'avons pu
17 assister à l'enterrement de ceux que nous avons aimés. Je me souviens de
18 mon petit frère Branislav à l'hôpital. Il ne savait pas ce qui s'était
19 passé avec nos parents, car il a vécu un choc. Nous n'avons pas voulu lui
20 dire, mais nous deux, nous l'avons su. Il y a quelqu'un qui lui a dit que
21 sa mère avait perdu une jambe. Lui, il nous a demandé si sa maman pouvait
22 vivre avec une jambe en moins et nous, on avait dit "oui". Lui, il a
23 demandé : "Mais pourquoi maman ne vient pas à l'hôpital pour me voir ? Eh
24 bien, il y a beaucoup de femmes ici qui sont sur les béquilles et qui
25 viennent".
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1 Eh bien, aujourd'hui, Branislav sait tout. Il sait pour sa
2 maman, pour son papa, pour son oncle, pour le petit cousin, Drazen.
3 Nedjehjko avait sept opérations, Branislav une et
4 moi six opérations. C'est comme cela que les agresseurs, les Musulmans,
5 ont laissé les cicatrices sur le corps, mais les cicatrices sur le corps
6 et dans l'âme sont beaucoup plus graves. Ce sont les cicatrices qui ne
7 vont jamais se cicatriser, car ce sont les blessures vivantes qui ne
8 peuvent pas se cicatriser avec du temps, mais qui nous blessent de plus en
9 plus. Ils nous font mal.
10 Mais moi, je ne vais pas permettre aux gens qui l'ont fait de
11 voir que je suis brisée. Moi, je vais lutter pour un avenir, pour un
12 meilleur avenir pour mes frères et pour moi-même. Je ne hais personne.
13 Dans mon coeur, il n'y a pas de place pour la haine. Mais je souhaite que
14 chacun soit responsable pour ce qu'il a fait, pour les crimes qu'il a
15 commis. Je ne souhaite que de tels criminels circulent en liberté et
16 qu'ils soient un exemple aux autres et qu'ils n'allaient pas être
17 sanctionnés pour ce qu'ils avaient fait. Ils doivent être amenés devant la
18 justice, car les gens qui ont tué une fois, ils sont capables de refaire
19 la même chose. Il faut lever les actes d'accusation contre un Musulman.
20 Ils ont les médias. Il faut nous faire entendre, quelle est notre
21 tragédie, quel est notre combat. Il faut rappeler en souvenir nos épreuves
22 car si nous, nous ne parlons pas de nos victimes à ce moment-là personne
23 n'en parlera." Je vous remercie, je m'excuse, je ne peux plus parler.
24 M. Nobilo (interprétation). - Nous en avons terminé de
25 l'interrogatoire principal, merci.
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1 M. le Président. - Merci, Maître Nobilo, Maître Harmon vous ...
2 Tu veux te reposer un peu ? Oui ?
3 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui.
4 M. le Président. - Bien, nous allons lever pendant 10 minutes.
5 Nous reprendrons ensuite.
6 (L'audience est suspendue à 10 heures 47 et reprise à
7 11 heures 03.)
8 M. le Président. - Voyons, Mariyana, tu vas mieux ? Ca va ?
9 Mlle Vidovic (interprétation). - Oui. Tout à fait.
10 M. le Président. - Qu'est-ce que tu as fait ? Tu as bu un
11 chocolat ? On ne t'a pas fait de misère ici ?.
12 Mlle Vidovic (interprétation). - J'ai pris un verre d'eau, merci
13 Monsieur le Président.
14 M. le Président. - Pas très fort, là, quand même. Ils auraient
15 pu t'offrir autre chose qu'un verre d'eau , bon enfin. Monsieur Harmon,
16 Monsieur le Procureur ... Tu vas entendre les questions que va poser le
17 Procureur.
18 M. Harmon (interprétation). - Mademoiselle Vidovic, je n'ai pas
19 de question à vous poser. Je vous souhaite de tout mon coeur une vie
20 pacifique, prospère et sereine. Je n'ai rien à ajouter Monsieur le
21 Président, Monsieur le Juge Shahabuddeen.
22 M. le Président. - Moi non plus, je n'ai pas beaucoup de
23 questions à poser, peut-être des questions qui sont un peu en dehors ...
24 oui, pardon ... il n'y a pas de droit de réplique puisqu'il n'y a pas eu
25 de question. Je ne vais pas te poser des questions sur ton témoignage.
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1 Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? Tu le sais ? Tu es grande
2 maintenant 17 ans.
3 Mlle Vidovic (interprétation). - Eh bien, je vais continuer mes
4 études.
5 M. le Président. - Tu as un idée de ton métier plus tard, tu
6 sais ce que tu veux faire plus tard ?
7 Mlle Vidovic (interprétation). - Lorsque j'ai été blessée, j'ai
8 eu l'idée de devenir infirmière mais, en fait, je n'ai pas suivi
9 régulièrement les cours et je ne voulais pas gâcher cette année et c'est
10 pourquoi je suis entrée dans une école de commerce. Ils forment des
11 commerçants, des propriétaires de magasins.
12 M. le Président. - Ecoute, on va te souhaiter, comme l'a fait le
13 Procureur, de belles choses, en tous cas de meilleures choses dans la vie
14 que celles que tu as vécues jusqu'à présent et ce que tu as dit dans ta
15 dissertation. Tu vas essayer de l'appliquer dans ta vie. Voilà c'est ce
16 qu'il faut faire. Bonne chance et merci d'être venue.
17 Mlle Vidovic (interprétation). - Merci à vous.
18 (Le témoin quitte la salle d'audience.)
19 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, le témoin
20 suivant est Mira Garic.
21 M. le Président. - Nous introduisons Mira Garic.
22 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, si vous me
23 le permettez, pour ce qui est du prochain témoin de la défense, j'ai
24 informé le conseil de la défense ce matin, du fait que l'accusation est
25 tout à fait d'accord pour qu'il y ait d'abord interrogatoire principal du
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1 témoin. Nous n'avons reçu un certain nombre de documents qu'il y a
2 seulement quelques heures, ce matin en fait. Et bien évidemment, nous ne
3 pourrons pas procéder à son contre-interrogatoire, en tout cas, pas avant
4 lundi. Nous sommes d'accord avec le fait que l'interrogatoire principal
5 ait lieu maintenant.
6 M. le Président. - Avant d'introduire le témoin comment va se
7 dérouler la journée ? Nous avons maintenant le témoignage,
8 l'interrogatoire principal de ce témoin, Mira Garic, c'est une femme ?
9 C'est cela ?
10 M. Nobilo (interprétation). - Oui, Monsieur le Président,
11 malheureusement, nous n'avons pas d'autres témoins à citer, à comparaître
12 aujourd'hui. Nous avions prévu sept témoins pour trois jours d'audience.
13 Nous n'avions même pas l'espoir de pouvoir mener à bien l'interrogatoire
14 et le contre-interrogatoire de ces témoins. Or, il s'est trouvé que
15 l'accusation n'a pas toujours procédé au contre-interrogatoire. Donc nous
16 nous trouvons à court de témoins pour le reste de l'après-midi.
17 Pourrons-nous, peut-être, envisager d'avoir le contre-interrogatoire de ce
18 témoin cet après-midi pour que le témoin n'ait pas à rester ici pendant le
19 week-end
20 M. Kehoe (interprétation). - Je ne crois pas que cela soit
21 possible car nous devons passer en revue un certain nombre de nouveaux
22 documents qui nous ont été remis ce matin, je le répète. Tous ces document
23 viennent s'ajouter à ceux dont nous avions déjà à nous occuper. Je ne sais
24 pas combien de temps il va nous falloir.
25 M. le Président. - Nous pourrions peut-être profiter de
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1 l'après-midi pour, éventuellement, si mon collègue en est d'accord et puis
2 je consulterai aussi le juriste de la Chambre, plaider à huis clos sur la
3 question du témoignage de l'expert que vous avez convoqué. Il y a des
4 problèmes de procédure, une opposition du Procureur. Peut-être
5 pourrions-nous faire cela cet après-midi, cela ne prendrait pas beaucoup
6 de temps et cela ferait gagner du temps pour lundi éventuellement.
7 Monsieur Shahabuddeen, vous êtes d'accord, je vois. Monsieur le Juriste
8 aussi.
9 Nous allons terminer avec ce témoin. Le contre-interrogatoire
10 reprendra lundi et, cet après-midi, nous pourrions nous retrouver à
11 15 heures pour plaider à huis clos sur les problèmes de principe que pose
12 le témoignage que vous avez sollicité de l'expert puisqu'il y a une
13 opposition du Procureur. Vous êtes d'accord, Maître Nobilo ?
14 M. Nobilo (interprétation). - Tout à fait, Monsieur le
15 Président, je vous remercie.
16 M. le Président. - J'en profite pour dire que vous avez l'air
17 tout étonnés d'avoir gagné beaucoup de temps. Je vais répéter une fois de
18 plus que c'est plutôt ce qui se passe cette semaine qui est normal à mes
19 yeux. Un témoin vient à la demande de la défense ou à la demande de
20 l'accusation. Vous devez vous centrer sur ce que vous attendez du témoin
21 et ne pas lui faire raconter toute la guerre, ou lui demander des choses
22 qui ne sont pas de sa compétence !
23 De ce fait, le contre-interrogatoire est facilité, voire même
24 supprimé et nous pouvons, enfin, aller vite. C'est cette procédure qui me
25 paraît normale plus que celle qui parfois
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1 a eu lieu dans cette enceinte. Voilà, sur ces bonnes paroles qui,
2 j'espère, pourront se prolonger pour la suite des événements, nous allons
3 passer au témoignage suivant.
4 Monsieur ou Mme Garic, c'est cela ? Vous me donnerez le résumé,
5 Monsieur le Greffier.
6 M. Nobilo (interprétation). - Oui. Mira Garic.
7 (Le témoin est introduit dans le prétoire)
8 M. le Président. - Vous m'entendez ?
9 Mme Garic (interprétation). - Vous allez nous dire votre nom,
10 votre prénom et, ensuite, vous prêterez serment.
11 Mme Garic (interprétation). - Je m'appelle Mira Garic. Je
12 déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que
13 la vérité.
14 M. le Président. - Merci, asseyez-vous.
15 Vous êtes devant le Tribunal pénal international qui juge
16 l'accusé ici présent qui est le colonel Blaskic. Essayez de vous détendre,
17 vous n'avez rien à craindre. Si vous ne vous sentez pas bien, on
18 interrompra.
19 Vous êtes venue à la demande de Me Nobilo, il va vous poser des
20 questions, et le Procureur vous posera des questions mais il ne pourra pas
21 vous les poser aujourd'hui, il faudra revenir lundi. Nous en sommes
22 désolés, mais c'est ainsi, ce n'est pas possible de faire autrement.
23 Détendez-vous bien et n'ayez pas peur surtout.
24 Maître Nobilo ?
25 M. Nobilo (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
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1 Bonjour, Madame Garic. Veuillez, s'il vous plaît, dire aux Juges vos date
2 et lieu de naissance.
3 Mme Garic (interprétation). - Je suis née le 26 octobre 1954 à
4 Vitez.
5 M. Nobilo (interprétation). - Pourriez-vous nous décrire de qui
6 était composée votre famille avant ces événements tragiques.
7 Mme Garic (interprétation). - J'avais trois enfants, mon mari
8 s'appelait Mirko et il y avait Mirko et Ivan, mon fils et ma fille.
9 M. Nobilo (interprétation). - Quel âge avaient vos trois enfants
10 au moment de ces événements tragiques ?
11 Mme Garic (interprétation). - Sanya avait 18 ans, Milan, 12 ans,
12 Ivan, 15 ans.
13 M. Nobilo (interprétation). - Nous allons nous concentrer
14 notamment sur l'événement le plus important. C'est cet événement qui nous
15 intéresse le plus particulièrement, c'est celui qui s'est produit le
16 10 juin 1993.
17 Ce jour-là et au cours des journées qui ont suivi, est-ce qu'il
18 y a eu un apaisement de la situation ?
19 Mme Garic (interprétation). - Oui.
20 M. Nobilo (interprétation). - Lorsque nous parlons d'apaisement,
21 qu'entendons-nous exactement ?
22 Mme Garic (interprétation). - Cela veut dire qu'il n'y avait pas
23 de combats, pas d'affrontements. Un seul obus est tombé au cours de cet
24 après-midi-là, vers 14 heures, si je ne me trompe. L'obus est tombé sur la
25 ville mais, jusqu'à ce que cet obus tombe, tout était très calme.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Lorsque les combats ont commencé
2 et en fait depuis le début de la guerre à Vitez, quelle était la situation
3 qui prévalait pour les civils ? Comment étaient les conditions de vie ?
4 Pouviez-vous vous déplacer librement ? Et vous, en tant que mère, que
5 faisiez-vous ? Est-ce que vos enfants restaient à la maison, vous
6 déplaciez-vous ?
7 Mme Garic (interprétation). - La situation était extrêmement
8 tendue, la vie était très difficile. Nous ne laissions pas les enfants
9 sortir ou se déplacer librement. Nous avions très peur des tireurs isolés,
10 des pilonnages. Les enfants, la plupart du temps, étaient placés dans des
11 abris.
12 Ce jour-là où ils ont été tués, il y a eu une accalmie de la
13 situation et nous les avons laissés sortir. Ils ont été dans un endroit
14 qui était à l'abri, qui n'était pas exposé aux tirs des tireurs isolés.
15 Nous nous attendions pas à ce que cet obus tombe et tue les enfants en
16 question.
17 M. Nobilo (interprétation). - Lorsque vous parlez de ces tireurs
18 isolés, vous voulez dire que c'était un grave problème. Les enfants
19 étaient régulièrement abattus par des tireurs isolés ?
20 Mme Garic (interprétation). - Oui. En fait, des civils dans
21 notre rue ont été abattus, trois civils ont été abattus par un tireur
22 isolé.
23 M. Nobilo (interprétation). - Pourriez-vous expliquer aux Juges
24 d'où tiraient ces tireurs isolés ?
25 Mme Garic (interprétation). - Ils tiraient de la partie
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1 musulmane de la ville, la Mahala.
2 M. Nobilo (interprétation). - L'autre nom pour Mahala, c'est
3 Stari Vitez ?
4 Mme Garic (interprétation). - Tout à fait.
5 M. Nobilo (interprétation). - Pourriez-vous, s'il vous plaît,
6 nous décrire ce qui s'est passé ce jour-là. A quelle heure les enfants
7 sont-ils sortis dans la rue pour s'aérer un peu ?
8 Mme Garic (interprétation). - Ils ont dû descendre dans la rue
9 vers 18 heures ou 18 heures 30. L'obus est tombé à ce moment-là. En fait,
10 ils étaient sortis prendre un peu l'air, c'est tout.
11 M. Nobilo (interprétation). - Avant d'en venir aux détails de
12 cet incident tragique, pourriez-vous nous dire quels étaient les enfants
13 qui se trouvaient dehors. Y avait-il vos enfants, les enfants des
14 voisins ?
15 Mme Garic (interprétation). - Oui, il y avait mes trois enfants
16 et ceux de mon beau-frère, Marinko et Dario. Et puis, il y avait de
17 nombreux enfants qui étaient dans la rue, des enfants de réfugiés, les
18 enfants de Perica Grebenar. Il y avait également les enfants Anticevic, le
19 petit Boris, et puis, il y avait également le fils d'une autre personne
20 qui s'appelait Dragan. Beaucoup d'enfants en bas âge.
21 Avant que nos enfants soient tués, les enfants de nos voisins
22 musulmans, Hakiya Cengic ont été tués. Pardon, ils sont sortis dans la rue
23 et, avant que l'obus ne tombe, ils sont rentrés à l'intérieur. Il ne leur
24 est rien arrivé.
25 M. Nobilo (interprétation). - Dites-moi, est-ce que nous pouvons
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1 donc dire qu'il y avait 17 enfants à l'extérieur...
2 Mme Garic (interprétation). - Oui.
3 M. Nobilo (interprétation). - ... qui étaient âgés de 8 à
4 18 ans, n'est-ce pas ?...
5 Mme Garic (interprétation). - Oui, mais je crois même qu'il y
6 avait des enfants qui avaient 7 ans. Donc disons de 7 à 18 ans.
7 M. Nobilo (interprétation). - Très bien, donc de 7 à 18 ans.
8 Ce quartier dans lequel jouaient les enfants, vous avez dit
9 qu'il était protégé des tirs, des tireurs isolés, mais qu'entendez-vous
10 par là ?
11 Mme Garic (interprétation). - Eh bien oui, il y avait des
12 maisons tout autour du lieu où les enfants jouaient et tous ceux qui
13 habitaient ce quartier, nous tous, nous pensions que les tireurs isolés
14 n'étaient pas capables des viser les enfants, de tirer sur eux, et les
15 enfants avaient aménagé un petit peu l'endroit. Il y avait une table
16 autour de laquelle ils se réunissaient pour discuter. Personne ne
17 s'attendait à ce que cet obus tombe.
18 M. Nobilo (interprétation). - Donc, au cours de l'après-midi,
19 les enfants sont sortis pour prendre un peu l'air.
20 Mme Garic (interprétation). - Oui.
21 M. Nobilo (interprétation). - Et cet obus, où est-il tombé et à
22 quelle heure ?
23 Mme Garic (interprétation). - Cela a dû se passer vers
24 20 heures 45, c'était au cours de la soirée, c'était l'été, donc on y
25 voyait encore très bien, il faisait très clair.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce que c'était une attaque qui
2 était lancée sur Vitez ? Est-ce qu'il s'agissait d'une série de tirs qui
3 étaient tirés par des armes d'artillerie légère ?
4 Mme Garic (interprétation). - Non, tout était très calme. Un
5 seul obus est tombé, juste à l'endroit où les enfants se trouvaient. Par
6 la suite, il n'y a rien eu, aucun tir, aucun autre obus.
7 M. Nobilo (interprétation). - Donc avant que cet obus ne tombe
8 et après qu'il soit tombé, aucun autre projectile n'a été tiré, il n'y a
9 eu aucune attaque sur Vitez ?
10 Mme Garic (interprétation). - Non.
11 M. Nobilo (interprétation). - Avant d'en venir à ce que vous
12 avez pu observer après que l'obus est tombé, essayons de voir d'abord ce
13 que certains individus ont dit à propos de cet accident et à propos de
14 votre mari, de vos voisins. Qu'est-ce qui a été établi à propos des
15 faits ? Est-ce qu'on a essayé de savoir d'où provenait l'obus ?
16 Mme Garic (interprétation). - Oui, on a dit que cela venait de
17 Grbavica et, en fait, on a entendu des cris après que l'obus est tombé et,
18 nous, les parents, nous avons commencé à crier et, sur les lignes de
19 front, on a entendu des cris qui disaient : "Vous voulez l'Herceg Bosna ?
20 Eh bien, voilà l'Herceg Bosna ! Voilà quel est votre sort ! On va vous
21 transformer en salade !".
22 M. Nobilo (interprétation). - Cet obus est tombé et ensuite vous
23 êtes sortie de la maison en courant. A quelle distance vous trouviez-vous
24 de l'endroit où l'obus est tombé ?
25 Mme Garic (interprétation). - J'étais à sept, huit, dix mètres
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1 maximum de cet endroit-là. Il y avait simplement une rue à traverser. Moi,
2 je suis sortie en courant de la maison et j'ai vu cette scène horrible :
3 il y avait de la fumée qu'il s'élevait de cet endroit-là, il y faisait
4 très chaud et j'ai vu des débris de corps, des membres dispersés sur la
5 route.
6 M. Nobilo (interprétation). - Quels corps avez-vous vus ?
7 Mme Garic (interprétation). - Le petit Boris Anticevic. Il était
8 assis, mais il lui manquait la tête, il lui manquait un oeil.
9 M. Nobilo (interprétation). - Quel âge avait-il ?
10 Mme Garic (interprétation). - Il avait 9 ans.
11 M. Nobilo (interprétation). - Et quel est l'autre enfant que
12 vous avez aperçu ?
13 Mme Garic (interprétation). - Eh bien, j'ai vu feu mon fils à ce
14 moment-là. Son corps était décapité, il ne restait que quelques lambeaux
15 de chair. Il y avait quelques touffes de cheveux. J'ai pu ramasser les
16 débris de cervelle qui étaient éparpillés au sol et, ensuite, j'ai vu
17 Dragan.
18 M. Nobilo (interprétation). - Quel âge avait votre fils, Milan,
19 à ce moment-là ?
20 Mme Garic (interprétation). - Il avait moins de 12 ans.
21 M. Nobilo (interprétation). - Qui d'autre avez-vous vu ?
22 Mme Garic (interprétation). - Dragan Ramljak. Il avait 15 ans.
23 M. Nobilo (interprétation). - Vous savez vu son corps ? A quoi
24 son corps ressemblait-il ?
25 Mme Garic (interprétation). - Il était dans un état atroce, une
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1 moitié de son dos avait été arrachée par le souffle et était couché en
2 travers du banc. Il lui manquait également la moitié du crâne. C'était
3 atroce.
4 M. Nobilo (interprétation). - Et vous avez vu d'autres corps
5 d'enfants, n'est-ce pas ? Quel est l'autre corps que vous avez vu ?
6 Mme Garic (interprétation). - C'était le corps de Cecura, il lui
7 manquait également des membres et son corps était complètement déformé.
8 M. Nobilo (interprétation). - Et ensuite, qu'avez-vous vu ?
9 Mme Garic (interprétation). - Sanya. Elle était juste à côté de
10 mon fils. Elle a été touchée à le tête et aux jambes. A ce moment-là, elle
11 était toujours en vie, c'est la raison pour laquelle on l'a transférée
12 dans l'hôpital de guerre à Vitez, puis plus tard à Nova Bila. Elle est
13 morte à Nova Bila.
14 M. Nobilo (interprétation). - Et Ivan Garic ?
15 Mme Garic (interprétation). - Ivan Garic était mon fils.
16 M. Nobilo (interprétation). - Quel âge avait-il ?
17 Mme Garic (interprétation). - Il avait 15 ans Il était assis à
18 côté de Sanya et de Boris. Il a survécu à cet accident, mais il est
19 invalide à 70 % aujourd'hui, il lui manque une partie de son ossature, il
20 ne peut pas se servir de sa jambe gauche, il est immobilisé à partir du
21 genou. Il a eu des commotions cérébrales également, mais aujourd'hui il va
22 mieux.
23 M. Nobilo (interprétation). - Que vous a-t-il dit ?
24 Mme Garic (interprétation). - "Maman, cours aider ma soeur ! Mon
25 frère a été tué, mais cours et aide ma soeur !"
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1 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez vu Nedjehjko Grebenar,
2 n'est-ce pas ?
3 Mme Garic (interprétation). - Oui.
4 M. Nobilo (interprétation). - Quel âge avait cet enfant ?
5 Mme Garic (interprétation). - Il avait 11 ans.
6 M. Nobilo (interprétation). - Velimir Grebenar également ?
7 Mme Garic (interprétation). - Oui, Augustina est sa soeur. Il
8 était également mort et son corps était dans un état abominable, il lui
9 manquait des membres.
10 M. Nobilo (interprétation). - A ce moment-là, Augustina Grebenar
11 était encore en vie, n'est-ce pas ?
12 Mme Garic (interprétation). - Oui. Elles était gravement
13 blessée, mais elle manifestait des signes de vie et elle a été emmenée à
14 l'hôpital de Nova Bila, mais elle y est décédée également.
15 M. Nobilo (interprétation). - Lorsque vous dites que ces enfants
16 ont été transférés à Nova Bila, qu'entendez-vous exactement ? De quoi
17 s'agissait-il ? D'un hôpital ?
18 Mme Garic (interprétation). - Non, c'était en fait un hôpital
19 aménagé dans une église et les conditions qui prévalaient étaient
20 extrêmement dures : les gens étaient couchés sur des dalles de béton et
21 c'est là qu'on pratiquait les opérations chirurgicales. Les blessés
22 étaient couchés sur les bancs de l'église. C'était terrible.
23 M. Nobilo (interprétation). - Et les morts, ont-ils été enterrés
24 ce même soir, le soir de l'accident ?
25 Mme Garic (interprétation). - Oui, dans le courant de la nuit,
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1 avant l'aube afin que les tireurs isolés de Mahala ne puissent pas
2 commencer à tirer contre les personnes rassemblées pour ces funérailles.
3 Certaines personnes ont été enterrées à 1 heure du matin, d'autres à
4 3 heures du matin. Les cinq garçons ont été enterrés pendant la nuit.
5 Quant aux filles, elles ont été enterrées aux premières heures du matin,
6 vers 6 heures. Ma fille Sanya est morte à l'hôpital à Split, elle a été
7 enterrée plus tard.
8 M. Nobilo (interprétation). - Dites-moi, à Vitez, est-ce qu'il
9 était habituel que des funérailles se tiennent pendant la nuit ?
10 Mme Garic (interprétation). - Non, jamais. Jamais auparavant,
11 jamais avant le conflit cela ne s'était produit, mais après le début du
12 conflit, c'est ainsi que nous avons dû procéder parce qu'il faut avoir des
13 funérailles dignes normalement, mais que nous n'avons même pas pu assurer
14 à nos enfants. Nous n'osions même pas sortir de chez nous. Ce sont
15 d'autres qui se sont chargés d'organiser ces funérailles. Ils ont été
16 enterrés sans qu'il y ait de service, sans qu'il y ait de procession.
17 M. Nobilo (interprétation). - Et tout cela à cause des tireurs
18 isolés qui se trouvaient à Mahala, n'est-ce pas ?
19 Mme Garic (interprétation). - Absolument.
20 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce que nous pourrions, s'il
21 vous plaît, diffuser deux séquences vidéo ? Est-ce que nous pourrions
22 baisser les lumières également ?
23 Je voudrais simplement signaler aux membres du public notamment
24 que les images qu'on va voir dans le cadre de la première séquence vidéo
25 sont extrêmement difficiles à supporter. Peut-être que les personnes qui
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1 se sentent particulièrement sensibles devraient quitter l'audience.
2 M. le Président. - Ce que dit Me Nobilo, c'est à l'intention du
3 public. Je connais pas moi-même cette vidéo, mais si l'avocat nous le
4 dit... Bien, on commence.
5 Si cela ne va pas, Madame, vous nous demandez d'arrêter et on
6 interrompra, d'accord ?
7 Mme Garic (interprétation). - Je vous remercie.
8 (Diffusion de la cassette vidéo.)
9 Voici mon fils Milan. Voici Velimir Grebenar. Les voix que vous
10 entendez sont celles des parents et notamment on entend celle de mon mari
11 qui est tombé à genoux à côté de son fils.
12 Voyez ici un cadavre décapité.
13 Voici le jeune Velimir Grebenar et voici la maison dont ils
14 étaient sortis. Voici Dragan Ramljak.
15 Milan à nouveau.
16 Et voici les funérailles. Cet homme est l'oncle de Velimir
17 Grebenar. Le père de Velimir était à l'hôpital. C'est pourquoi c'est son
18 oncle qui l'a enterré.
19 Voici mon mari et son frère, voici les Anticevic et, ici, le
20 père de Boris. Voici le père de Boris.
21 M. Nobilo (interprétation). - Le chiffre que nous apercevons est
22 celui de l'année de la naissance, et la date qui apparaît en haut de la
23 croix et en dessous, c'est l'année de leur mort ?
24 Mme Garic (interprétation). - Oui, voici la croix de mon fils
25 et, là, on voit le père de Dragan Ramljak. A ce moment-là, ils ont appris
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1 ce qui était arrivé à la jeune soeur de Velimir, ils ont appris qu'elle
2 était morte également.
3 M. Nobilo (interprétation). - Avant que nous ne regardions la
4 séquence vidéo suivante, je voulais vous demander quelque chose qui va
5 peut-être vous sembler un peu étrange, mais qu'est-ce que cela a provoqué,
6 cet accident ?
7 Mme Garic (interprétation). - Eh bien, cela a provoqué la colère
8 et le désespoir. Pour moi, ceci constitue un crime abominable.
9 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez parlé de Hakiya Cengic
10 qui vivait dans votre quartier.
11 Mme Garic (interprétation). - Oui.
12 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce que c'est ce même
13 Hakiya Cengic qui était commandant de la Défense territoriale avant
14 Sefkija Didic ?
15 Mme Garic (interprétation). - Oui, il était commandant de la
16 Défense territoriale. Je dois dire qu'avant la guerre, nous avions des
17 rapports assez étroits avec ces gens-là. Avant la guerre, mes enfants
18 passaient souvent la nuit chez les enfants de cet homme et les membres de
19 notre police militaire, afin d'empêcher que des représailles soient prises
20 à l'encontre de cet homme, ont emmené Hakiya et sa famille. Cet homme et
21 sa famille ont été emmenés à Zenica par les membres de la Forpronu.
22 M. Nobilo (interprétation). - Je vais demander maintenant à ce
23 que la séquence vidéo suivante soit diffusée, s'il vous plaît.
24 Il faut passer la deuxième cassette vidéo que j'ai transmise à
25 l'équipe technique ce matin.
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1 (Diffusion de la cassette vidéo.)
2 Mme Garic (interprétation). - Voici Marina Garic. Elle est
3 handicapée à 70 % aujourd'hui, c'est la fille de mon beau-frère, elle a
4 été blessée par ce même obus.
5 M. Nobilo (interprétation). - Cette scène a-t-elle été filmée
6 dans l'hôpital improvisé qui se trouvait dans l'église ?
7 Mme Garic (interprétation). - Oui. On voit qu'elle a reçu une
8 blessure au niveau de l'estomac.
9 M. Nobilo (interprétation). - Est--ce qu'elle a survécu à cette
10 blessure ?
11 Mme Garic (interprétation). - Oui mais, je le répète, elle est
12 handicapée à 70 % aujourd'hui.
13 M. Nobilo (interprétation). - Je souhaite signaler que ce sont
14 des amateurs qui ont filmé ces images, mais ce sont les seules images dont
15 nous disposons. Ce sont des images parfaitement authentiques et nous
16 tenons à les diffuser.
17 Madame, est-ce que vous reconnaissez ce jeune garçon ?
18 Mme Garic (interprétation). - Attendez, il faut que je regarde
19 d'un peu plus près. Oui, il me semble. L'image n'est pas de très bonne
20 qualité. Voici Cecura, son frère a été tué et lui aussi est aujourd'hui
21 handicapé à 70 %, il a reçu une blessure à la jambe.
22 Voici Milan Krizanovic, sa soeur Sanya a été tuée. Et lui a
23 également été gravement blessé aux deux jambes. Il est également handicapé
24 à 70 %.
25 M. Nobilo (interprétation). - A ce moment-là, est-ce qu'il
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1 savait que sa soeur avait été tuée ?
2 Mme Garic (interprétation). - Non. Sa mère devait même porter
3 des vêtements clairs, blancs, roses afin qu'il ne découvre pas tout de
4 suite ce qui c'était passé. On a attendu cinq ou six jours que son état se
5 soit stabilisé pour lui annoncer la nouvelle.
6 C'est petit Cecura et là c'est mon fils, Ivan, qui est resté
7 trois mois et demi pratiquement paralysé, maintenant à 70 % invalide et là
8 encore, Cecura.
9 M. Nobilo (interprétation). - C'est Krizanovic ?
10 Mme Garic (interprétation). - Oui. C'est la petite fille dont le
11 frère a été tué.
12 M. Nobilo (interprétation). - Merci. Nous pouvons arrêter là.
13 Madame, à part les messages du côté adverse, on vous a appelé au
14 téléphone. Est-ce que vous voulez expliquer aux juges ?
15 Mme Garic (interprétation). - Souvent, on nous avait appelé au
16 téléphone. On nous injuriait, notre mère Oustachi et il y a une voix
17 d'homme, je ne peux pas savoir qui c'était, mais il avait dit qu'il était
18 de Vitez, de Mahala, il avait demandé ma fille, Sanya, il voulait sortir
19 avec.
20 M. Nobilo (interprétation). - Elle était déjà morte ?
21 Mme Garic (interprétation). - Oui.
22 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce que la radio avait publié
23 qu'elle était morte ?
24 Mme Garic (interprétation). - Oui, trois ou quatre mois étaient
25 passés depuis et tout le monde était déjà au courant de ce qui s'était
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1 passé.
2 M. Nobilo (interprétation). - Comment, quelle était l'attitude
3 des peuples, des habitants vis-à-vis de Mahala et de l'armée bosniaque ?
4 Mme Garic (interprétation). - Nous avons eu tous peur car on ne
5 savait pas ce qui allait pouvoir se produire et il était provocateur donc
6 on avait très peur.
7 M. Nobilo (interprétation). - Quelle était l'attitude des hommes
8 vis-à-vis de Blaskic, vu son rapport à l'égard de Mahala ? Est-ce que vous
9 pouvez décrire quelque chose aux juges ?
10 Mme Garic (interprétation). - Mais ils étaient même fâchés pour
11 ne pas utiliser d'autres termes. Ils ont considéré que lui, il devait être
12 plus violent, qu'il était même protecteur. Il a même demandé qu'on protège
13 les femmes et notamment quand l'ONU se déplaçait pour distribuer l'aide
14 humanitaire nous, on savait tout ce qui se passait à Stari Vitez et
15 une heure ou deux heures plus tard après le passage des véhicules de l'ONU
16 et de l'aide distribuée, il y avait des obus.
17 Par conséquent, on savait très bien, il y avait ma belle-mère et
18 puis d'autres également personnes qui sont sorties. Il y avait d'autres
19 femmes également et M. Blaskic avait demandé que nos femmes se déplacent
20 et qu'elles ne bloquent pas la route. Il avait même été si loin de les
21 empêcher par la police de rester sur la route et de bloquer la route pour
22 que l'aide humanitaire ne passe pas.
23 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce que vous voulez dire que
24 Blaskic ne permettait pas une attaque générale sur Mahala ?
25 Mme Garic (interprétation). - Oui, bien évidemment on en a
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1 parlé, on a tout de suite fait des commentaires. On a dit : "C'est Blaskic
2 qui est coupable, c'est lui qui ne permet pas d'entreprendre aucune action
3 contre Mahala."
4 M. Nobilo (interprétation). - Je voudrais vous demander tout
5 simplement, demander l'aide de l'huissier, de distribuer ce document.
6 Je propose que toutes les photographies portent un même numéro
7 et un tiret de un à sept. Donc, la cote sous le même chiffre de un à sept.
8 M. Dubuisson. - Document D 467. Le document, la cassette que
9 nous venons de visionner où on voit les enfants qui jouent, les enfants à
10 l'hôpital c'est le numéro D 466 et la cassette précédente où on voit les
11 enfants gisant sur le sol, c'est le numéro D 465.
12 M. Nobilo (interprétation). - Madame Garic, pourriez-vous, s'il
13 vous plaît, regarder les photographies pour les identifier.
14 Numéro 1, qui est-ce ?
15 Mme Garic (interprétation). - Sanya Krizanovic.
16 M. Nobilo (interprétation). - Numéro 2 ?
17 Mme Garic (interprétation). - Milan Garic.
18 Numéro 3 : Ivan Garic
19 Numéro 5 : Milan Garic
20 Numéro 6 : Augustina Grebenar
21 M. Nobilo (interprétation). - Qui nous manque ici ?
22 Mme Garic (interprétation). - C'est Boris.
23 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, nous avons
24 terminé notre interrogatoire principal.
25 M. le Président. - Merci.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Excusez-moi, Monsieur le
2 Président, nous voudrions que les cassettes D 465, D 466 et les
3 photographies D 467 soient versées au dossier.
4 M. le Président. - Monsieur le Procureur, vous répétez, vous
5 maintenez que vous n'êtes pas en mesure d'assumer le
6 contre-interrogatoire ? Les points essentiels sont de savoir d'où venait
7 la bombe, je pense que vous voulez peut-être apporter des précisions sur
8 des points tactiques, stratégiques.
9 M. Kehoe (interprétation). - Un instant, Monsieur le Président,
10 si vous me le permettez.
11 Monsieur le Président, je ne voudrais pas retarder les débats.
12 En fait, chaque fois que nous n'avons pas eu véritablement besoin de poser
13 des questions à ces témoins, nous ne l'avons pas fait. Je voudrais
14 simplement avoir un peu de temps pour consulter ces différentes questions.
15 Comme vous le voyez, j'en ai parlé à Me Nobilo. La déclaration résumée du
16 témoin ne dit pas très exactement où les choses se sont produites. Il y a
17 quelques points vagues. Nous avons d'autres questions à examiner et je
18 m'en excuse auprès du témoin. Je souhaiterais pouvoir lui poser des
19 questions plus tard. Je pense que c'est nécessaire.
20 M. le Président. - Vous pourrez le faire plus tard. Nous devons
21 plaider à 3 heures le problème de témoin, le professeur expert, est-ce que
22 vous n'avez pas le temps jusqu'à 5 heures de l'après-midi peut-être de
23 faire le contre-interrogatoire? C'est pour le témoin, elle a souffert
24 mille choses, c'est vraiment l'obliger de rester à La Haye... je ne peux
25 pas aller plus loin ! Si, j'ai les pouvoirs d'arrêter, mais c'est pas
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1 raisonnable, les juges ne peuvent pas faire cela. Il faut un équilibre
2 dans le procès que nous devons respecter. Vous ne disposez pas, après
3 un an et demi de procès, de suffisamment de matière documentaire pour...
4 Je suppose que vous voulez contester d'où venait la bombe, du quartier de
5 Stari Vitez, de la colline occupée..., des quartiers occupés par les
6 Musulmans, et c'est cela qui vous préoccupe, ce que je peux très bien
7 comprendre, évidement. Mais, si vous insistez, on fera revenir le témoin,
8 je ne peux pas vous dire autres choses.
9 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, j'essaie
10 d'être arrangeant. La procédure que j'allais proposer, c'était d'accepter
11 la procédure proposée par la défense, à savoir de retarder un peu le
12 contre-interrogatoire. C'était là ma démarche.
13 La défense a proposé de suivre cette procédure étant donné que
14 les informations n'avaient pas été communiquées en temps opportun à
15 l'accusation.
16 Cependant, étant donné que nous allons reprendre à 3 heures, je
17 peux, peut-être, vous le faire savoir. Peut-être que si le témoin peut
18 revenir à 3 heures, je pourrais, à ce moment-là, vous donner plus
19 d'informations quant à la possibilité de commencer le contre-
20 interrogatoire à 3 heures jusqu'à 5 heures, je ne sais pas...
21 M. le Président. - Pour plaider, je vois que M. Fourmy
22 m'interpelle de loin et me fait signe qu'il faut... c'est par rapport aux
23 interprètes, je suppose.
24 Monsieur Fourmy, vous avez un, micro, prenez la parole,
25 n'hésitez pas. J'essaye de trouver des solutions à tous nos problèmes et
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1 notamment par rapport au témoin. Nous pouvons peut-être avancer le
2 témoignage, la discussion à deux heures et demie, reprendre à huis clos le
3 débat sur l'expert. Cela va durer 30 minutes et peut-être nous pouvons
4 prendre le contre-interrogatoire à... Il vous faudra combien de temps pour
5 le contre-interrogatoire, Monsieur le Procureur ?
6 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, je viens
7 d'obtenir une pile de documents ce matin. C'est un témoin qui ne devait
8 pas venir avant la semaine prochaine. J'ai obtenu cette pile de documents,
9 je n'ai pas eu le temps de les lire. Peut-être, Monsieur le Président, que
10 je n'aurai aucune question à poser à ce témoin. J'essaie simplement de
11 remplir mes obligations.
12 M. le Président. - Voilà ce que nous allons faire, nous allons
13 peut-être reprendre notre audience à deux heures et demie mais sur le
14 débat à huis clos. D'ici là, Monsieur le Procureur, vous aurez comme tous
15 les jours mangé un sandwich et lu tous les documents. Peut-être que vous
16 pourrez, après le débat, nous pourrons passer au contre-interrogatoire.
17 Le témoin va rester à la disposition du Tribunal cet après-midi,
18 c'est dans son intérêt, peut-être que nous n'aurons pas à vous faire
19 revenir. J'aurai fait le maximum mais je ne peux pas aller plus loin,
20 j'espère que vous le comprenez. Il faut que s'exercent les droits du
21 Procureur.
22 Nous allons lever l'audience, nous reprenons à deux heures et
23 demie à huis clos sur le problème de principe que pose la demande de
24 témoignage d'un expert. Le témoin reste à la disposition du Tribunal.
25 Peut-être qu'entre-temps, ou bien le Procureur pourra nous dire qu'il peut
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1 assurer le contre-interrogatoire, ou bien il ne pourra pas. S'il peut
2 assurer le contre-interrogatoire, peut-être vous partirez plus tard, mais
3 vous en aurez terminé. Sinon, il faudra rester à La Haye pendant la fin de
4 semaine.
5 Voilà tout ce que nous pouvons faire pour l'instant. Je vois que
6 le greffier se tourne vers moi, j'ai dû faire une erreur, Monsieur
7 Marc Dubuisson, non ?
8 M. Dubuisson - Non, non. Simplement l'audience de cet après-midi
9 concernant le témoignage, c'est sans doute une audience sur requête à huis
10 clos ?
11 M. le Président. - Oui, tout à fait. Deux heures et demie.
12 Oui, Maître Nobilo ?
13 M. Nobilo (interprétation). - Oui, je serai très bref, Monsieur
14 le Président. La pièce que nous voulions verser, pièces concernant le
15 témoignage précédent , en fait, je crois que j'ai oublié d'en demander le
16 versement officiellement. Vous savez le lieu de résidence du témoin et la
17 carte dont je souhaiterais en demander le versement dès maintenant.
18 M. le Président. - Nous n'avons rien à vous refuser. Bien, nous
19 nous ajournons à 14 heures 30. Reposez-vous témoin.
20 L'audience est suspendue à 11 heures 48.
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