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3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 15.
5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous. Veuillez
6 annoncer l'affaire, je vous prie.
7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, il s'agit de l'affaire IT-04-
8 82-T, le Procureur contre Ljube Boskoski et Johan Tarculovski.
9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.
10 Aujourd'hui, nous allons entendre le réquisitoire et les plaidoiries
11 des parties en l'espèce.
12 Monsieur Saxon.
13 M. SAXON : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Je
14 salue mes éminents confrères également.
15 Avant de commencer notre réquisitoire aujourd'hui, nous souhaiterions
16 exprimer notre gratitude au nom de l'Accusation, tout d'abord à l'égard des
17 interprètes et des autres membres des services linguistiques qui ont
18 travaillé d'arrache-pied pour que l'interprétation et la traduction soient
19 à la fois précises et complètes.
20 Nous exprimons également nos remerciements aux Juristes de la Chambre
21 qui ont aidé tant l'Accusation et la Défense avec compétence et patience
22 pour que le procès se déroule du mieux possible. Nous remercions également
23 les représentants du greffe, notamment Mme Guduric, sans qui il aurait été
24 impossible de visionner, de créer, d'enregistrer des milliers de pièces à
25 conviction qui ont été versées au dossier de l'espèce.
26 Et enfin, nous souhaitons exprimer notre gratitude à notre
27 sténotypiste qui a beaucoup souffert dans ce procès et qui a fait un
28 travail phénoménal en consignant le compte rendu d'audience des débats et
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1 qui a patiemment supporté les avocats qui parlaient trop vite, trop
2 doucement, et parfois pas toujours très clairement.
3 A toutes ces personnes, l'Accusation exprime sa sincère gratitude pour le
4 travail accompli au cours de l'année passée.
5 Monsieur le Président, je vais vous expliquer dans quel ordre les exposés
6 de l'Accusation seront présentés aujourd'hui. L'Accusation a organisé son
7 réquisitoire en cinq parties.
8 C'est M. Dobbyn qui commencera en présentant les arguments de
9 l'Accusation concernant la série de crimes survenus à Ljuboten et à Skopje
10 du 12 au 14 août 2001.
11 Puis Mme Valabhji évoquera les éléments de preuve relatifs à la
12 responsabilité pénale de M. Tarculovski au titre de l'article 7(1) du
13 Statut.
14 C'est moi qui prendrai la parole après Mme Valabhji, et je
15 présenterai les arguments de l'Accusation concernant les preuves relatives
16 à la responsabilité pénale de M. Boskoski en application de l'article 7(3)
17 du Statut.
18 Mme Regue, quant à elle, parlera des éléments de preuve établissant
19 qu'un conflit armé a bien existé en Macédoine du mois de janvier au mois de
20 septembre 2001.
21 Et enfin, pour terminer, M. Dobbyn présentera les arguments relatifs
22 à la peine qu'il convient d'infliger aux accusés dans l'éventualité où la
23 Chambre de première instance les déclarerait coupables.
24 Afin de préserver la confidentialité des éléments de preuve présentés à
25 huis clos partiel ou à huis clos total ou la confidentialité des pièces
26 versées au dossier sous pli scellé, l'Accusation demandera parfois à
27 demander à passer à huis clos partiel. Afin que les débats se déroulent
28 dans la mesure du possible, en audience publique, l'Accusation renverra
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1 parfois des pages du compte rendu d'audience sans mentionner le nom du
2 témoin qui a fourni le témoignage en question.
3 Avec votre autorisation, maintenant, Monsieur le Président, Madame et
4 Messieurs les Juges, je donne la parole à M. Dobbyn.
5 M. DOBBYN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,
6 Madame et Messieurs les Juges.
7 Comme M. Saxon vient de l'expliquer, je vais parler de la série de
8 crimes survenus à Ljuboten le 12 août 2001, et je répondrai volontiers aux
9 questions éventuelles que la Chambre souhaiterait me poser pendant mon
10 exposé ou à l'issue de celui-ci.
11 A titre préliminaire, j'indique que l'Accusation a préparé une photographie
12 panoramique annotée qui, avec l'autorisation des Juges, servira d'appui à
13 notre exposé. Nous ne demanderons pas le versement au dossier de cette
14 photo, nous ne demandons pas à ce que cette photo soit considérée comme une
15 pièce en l'espèce. Il s'agit simplement de gagner du temps et d'aider les
16 parties à bien comprendre le contexte de notre exposé. J'espère qu'il n'y
17 aura pas d'objection de la part de la Défense concernant l'utilisation de
18 cette photographie.
19 Les preuves établissant la série de crimes en question sont évoquées
20 en détail dans la mémoire en clôture de l'Accusation. Je n'ai pas
21 l'intention de m'y appesantir ni de reprendre ce qui est dit dans notre
22 mémoire. Je vais simplement vous renvoyer à quelques faits pertinents, et
23 je profiterai de cette occasion également pour revenir sur certains
24 arguments avancés par la Défense dans leurs mémoires en clôture respectifs.
25 Je demanderais tout d'abord que l'on affiche le document ERN numéro
26 N005-8308.
27 Monsieur le Président, juste après 8 heures du matin le 12 août 2001,
28 soit deux jours après l'incident de la mine à Ljubotenski Bacila, une unité
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1 de la police dirigée par Johan Tarculovski est entrée au nord-ouest de
2 Ljuboten en provenance de Ljubanci. Nous voyons ici une ligne rouge qui
3 indique l'itinéraire emprunté par l'unité de la police dirigée par l'accusé
4 Tarculovski. Elle est entrée dans le village à partir de la droite de la
5 photo et en se dirigeant vers la gauche.
6 La terreur et la cruauté infligées aux civils de Ljuboten par l'unité
7 de la police pendant les cinq heures qui ont suivi environ est illustrée de
8 façon très simple mais sans équivoque par le témoignage du Témoin M-17 qui
9 a dit à la page 630 du compte rendu : "Je ne sais pas comment décrire cela.
10 Je n'aurais pas fait ce qu'ils ont fait à un animal."
11 La brutalité est gratuite et le caractère illicite de cette attaque a
12 été manifeste dès le début avec le meurtre de Rami Jusufi. Deux témoins
13 oculaires, Elmaz et Zenep Jusufi, ont témoigné pour dire qu'à environ 8
14 heures 20 du matin, les membres de l'unité de la police de Johan
15 Tarculovski ont fait sauter le portail, et c'est ce qui indiqué par le
16 chiffre 1 sur la photo.
17 Ils ont tous les deux déposé pour dire que leur fils, Rami Jusufi, un
18 Albanais de souche âgé de 33 ans, était endormi dans son lit lorsque la
19 police est arrivée. Ils ont témoigné pour dire qu'il s'est levé, qu'il a
20 couru jusqu'à la porte et qu'une fois arrivée à la porte, il a été abattu
21 par au moins un policier dans la cour.
22 Je demande maintenant que la pièce P4 soit affichée, s'il vous plaît.
23 Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, à l'époque où
24 Rami Jusufi a été abattu, il n'était pas armé. Comme nous pouvons le voir
25 sur la photo, il était vêtu d'un tee-shirt de couleur gris clair et de
26 jeans. Il est important de noter que Peter Bouckaert de "Human Rights
27 Watch" a inspecté la scène du crime le 23 août, et ce qu'il a constaté
28 corrobore la version donnée par Jusufi des événements. Il a constaté que le
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1 portail de la cour avait été dynamité. Il a retrouvé des douilles dans la
2 cour et des traces de balles sur le portail. Je vous renvoie à la pièce
3 P352.
4 Bouckaert a également vu une flaque de sang sur le tapis, juste au
5 niveau de la porte d'entrée, à l'endroit même où les Jusufi ont dit que
6 Rami se trouvait lorsqu'il a été abattu. Il n'a rien trouvé qu'il prouvait
7 qu'il y aurait eu des tirs provenant de l'intérieur de la maison. Je vous
8 renvoie à la pièce P322, paragraphes 54 et 55.
9 Les conseils des accusés ont cherché à réfuter le témoignage de Zenep
10 et Elmaz Jusufi. Ils ont assisté sur certaines divergences apparentes dans
11 leurs témoignages. Le conseil de l'accusé Boskoski est allé même plus loin
12 en disant que les divergences de leurs témoignages rendaient leurs
13 témoignages non fiables, et ils ont dit que ces divergences prouvaient que
14 ces deux personnes ne disaient pas la vérité. Je vous renvoie au paragraphe
15 291 du mémoire en clôture de Boskoski.
16 Le fait est que sur tous les points essentiels, Zenep et Elmaz Jusufi
17 ont fourni des témoignages qui se tenaient. Les preuves montrent que Rami
18 Jusufi n'était par armé, qu'il était civil et qu'il ne prenait pas part aux
19 hostilités au moment des faits. Tout prouve qu'il a été abattu et tué par
20 les membres de l'unité de la police de Tarculovski alors qu'il se tenait
21 debout sur le seuil de la porte.
22 L'Accusation s'est acquittée de la charge de la preuve et a démontré
23 que le meurtre de Rami Jusufi avait bien eu lieu, tel qu'il est reproché
24 dans l'acte d'accusation.
25 Après le meurtre de Rami Jusufi, l'unité de la police s'était
26 déplacée vers la partie est de Ljuboten pour arriver aux maisons d'Adem
27 Ametovski et de Zija Ademi.
28 Je souhaiterais que l'on revoie la photographie panoramique, s'il
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1 vous plaît.
2 Cet endroit que je viens de mentionner est indiqué par le chiffre 2.
3 Donc, dans ces deux maisons, un certain nombre de villageois, dont aucun
4 n'était armé et qui étaient tous des Albanais de souche, avaient trouvé
5 refuge au sous-sol pour échapper à l'attaque terrestre de la police et au
6 pilonnage de l'armée. Je vous renvoie au paragraphe 95 du mémoire en
7 clôture.
8 La police a ordonné aux hommes de sortir des sous-sols. Ils leur ont
9 intimé de s'allonger par terre près du portail principal, et c'est là
10 qu'ils leur ont donné des coups de pied, des coups de poing et les ont
11 frappés avec des crosses de fusil. Je vous renvoie au paragraphe 96 du
12 mémoire en clôture. La police a torturé certains de ces hommes avec des
13 morceaux de bois incandescents et certains ont même tracé une croix sur le
14 dos de l'un de ces hommes, Ismail Ramadani, alors qu'il gisait par terre.
15 Paragraphe 98 du mémoire en clotûre.
16 Je souhaiterais que l'on passe brièvement à huis clos partiel.
17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Huis clos partiel.
18 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
19 [Audience à huis clos partiel]
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 (expurgé)
24 (expurgé)
25 (expurgé)
26 (expurgé)
27 [Audience publique]
28 M. DOBBYN : [interprétation] La Chambre, pendant le procès, a également
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1 entendu des témoignages relatifs au meurtre de deux autres Albanais de
2 souche, Sulejman Bajrami et Muharem Ramadani. S'agissant de Sulejman
3 Bajrami, pendant les sévices et après qu'un policier l'eût frappé à la
4 tête, il s'est relevé, il gémissait de douleur et il a commencé à s'en
5 aller. On l'a autorisé à marcher pendant une dizaine de mètres après quoi,
6 un policier au moins, l'a abattu. Mémoire en clôture paragraphe 97.
7 Les autres détenus ont ensuite reçu l'ordre de se diriger à pied vers
8 Ljubanci. Alors qu'ils s'éloignaient, deux vieillards, Muharem Ramadani et
9 Aziz Bajrami, ont été laissés au niveau du portail de la maison
10 d'Ametovski. Cependant, les preuves indiquent qu'au moins un policier a
11 tiré sur ces deux hommes âgés qui n'étaient par armés, suite à quoi Muharem
12 Ramadani a trouvé la mort. Mémoire en clôture paragraphe 100.
13 La Défense a cherché à réfuter ce témoignage. S'agissant du meurtre de
14 Sulejman Bajrami, le conseil de Tarculovski a même laissé entendre qu'il y
15 avait des éléments de preuve divergents et contradictoires sur la manière
16 dont il était mort. Ils ont laissé entendre qu'on ne peut pas exclure la
17 possibilité qu'il avait été tué dans le cadre d'un échange de tirs ou par
18 des tirs de forces alliées; même si la Défense a reconnu que l'unité de la
19 police se trouvait bel et bien sur le terrain à Ljuboten et aurait pu le
20 tuer. Mémoire en clôture paragraphe 260.
21 Il n'y a pas eu d'éléments de preuve contradictoires présentés. Les seuls
22 éléments de preuve fiables présentés indiquent que l'unité de la police a
23 tué Sulejman Bajrami; le reste n'est que conjecture. Les conseils des deux
24 accusés ont également affirmé que Bajrami cherchait à s'enfuir et
25 constituait par conséquent une cible légitime pour la police. Mémoire en
26 clôture de Tarculovski, paragraphe 264, mémoire en clôture de Boskoski
27 paragraphes 299 à 302.
28 Cet argument est non fondé, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord,
Page 10981
1 les éléments de preuve démontrent que Sulejman Bajrami était un civil et
2 qu'il n'était pas armé. Il ne participait pas activement aux hostilités;
3 par conséquent, il n'était pas considéré comme un prisonnier de guerre. Il
4 s'agissait, par conséquent, d'un civil détenu illégalement. Deuxièmement,
5 il s'est levé et s'est dirigé seulement après avoir été passé à tabac et
6 frappé à la tête alors qu'il gisait au sol. Il ne cherchait pas à
7 s'échapper, il essayait de mettre un terme aux sévices cruels qui lui
8 étaient infligés par la police.
9 En outre, le témoignage d'un témoin oculaire indique clairement que la
10 police a autorisé Bajrami à s'éloigner. Il n'a fait aucun effort pour
11 empêcher cet homme qui était quelque peu confus et qui n'était pas armé de
12 partir. On ne lui a pas intimé l'ordre d'arrêter; on l'a autorisé à
13 s'éloigner, on l'a regardé s'éloigner, après quoi on l'a simplement abattu.
14 Mémoire en clôture, paragraphe 97.
15 Je souhaiterais maintenant que l'on passe à huis clos partiel.
16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Huis clos partiel.
17 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
18 [Audience à huis clos partiel]
19 (expurgé)
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 (expurgé)
24 (expurgé)
25 (expurgé)
26 (expurgé)
27 (expurgé)
28 (expurgé)
Page 10982
1 [Audience publique]
2 M. DOBBYN : [interprétation] Le scénario que je viens de décrire a été
3 corroboré par Henri Bolton, qui a déclaré qu'après avoir examiné le cadavre
4 de Bajrami, il était parvenu à la conclusion que Bajrami avait été tué à
5 bout portant alors que son corps se trouvait par terre ou près du sol. Page
6 1 809 du compte rendu d'audience.
7 Les éléments de preuve montrent que ce qui s'est passé était ni plus ni
8 moins que l'exécution d'un homme blessé qui gisait à terre. Même s'il avait
9 participé activement aux hostilités, ce que l'Accusation conteste, et même
10 s'il avait cherché à s'enfuir, les preuves montrent que ce qui s'est passé
11 était un meurtre.
12 Les preuves concernant le meurtre de Muharem Ramadani sont sans
13 équivoque elles aussi. Les seuls éléments de preuve présentés devant la
14 Chambre indiquent qu'il a été tué par la police au portail de la maison
15 d'Ametovski. Le conseil de l'accusé Boskoski a laissé entendre que l'on ne
16 peut pas exclure la possibilité que Ramadani avait été tué par des coups de
17 feu en provenance des positions tenues par l'armée ou par des tirs
18 provenant de l'ALN, mes confrères ont renvoyé au témoignage d'Henri Bolton
19 pour dire que la balle qui a tué Ramadani aurait pu venir d'un endroit
20 situé à une centaine de mètres. Mémoire en clôture de Boskoski, paragraphe
21 304.
22 Le passage cité par la Défense provient d'un témoignage de Sulejman
23 Bajrami, et non pas de Muharem Ramadani. Il ne fait que décrire la vue
24 autour de Bajrami qui a été utilisée par Bolton comme point de référence
25 pour analyser la distance qui séparait la victime de l'endroit d'où les
26 tirs provenaient. Page 1 809 du compte rendu.
27 En réalité, l'opinion de Bolton était que Muharem Ramadani, tout comme
28 Sulejman Bajrami, a été tué à bout portant, pièce 1D24, numéro ERN N001-
Page 10983
1 5357.
2 Dans leurs mémoires en clôture, les conseils de la Défense cherchent
3 également à justifier les meurtres de Sulejman Bajrami et de Muharem
4 Ramadani, ainsi que les traitements cruels infligés à 11 autres hommes que
5 l'on a fait sortir des sous-sols, et ont cherché à vous faire croire que
6 tous ces hommes étaient, d'une manière ou d'une autre, engagés activement
7 dans les hostilités. A l'appui de cette théorie, nos collègues de la
8 Défense nous renvoient à un revolver et à des munitions retrouvées dans le
9 sous-sol de la maison d'Ametovski. Ils renvoient au témoignage d'Henri
10 Bolton sur ce point, pages 1 701 et 1 702.
11 Ils insistent pour dire que cela prouve que ces hommes tiraient sur
12 les forces de sécurité macédonienne. Mémoire de Tarculovski, paragraphe
13 265; mémoire de Boskoski, paragraphe 303. En réalité, le témoignage de
14 Bolton indique qu'il s'agissait d'un fusil de chasse ou d'un fusil utilisé
15 pour tirer sur les oiseaux, et non pas d'une arme à haute vélocité du type
16 de celle utilisée au combat. Page 1 702 du compte rendu. Il est également
17 dit que ce fusil de chasse se trouvait dans le sous-sol depuis quelque
18 temps et que rien n'indiquait qu'il avait été caché ou abandonné, ni qu'il
19 avait été utilisé récemment. Pièce 236.1, paragraphe 17.
20 On voit clairement qu'il n'y a rien de particulier concernant la
21 présence de cette arme utilisée pour tirer sur les oiseaux et retrouvée au
22 sous-sol de la maison d'Ametovski.
23 Le conseil de Tarculovski renvoie également à des éléments de preuve selon
24 lesquels tous les hommes qui se trouvaient dans la maison d'Ametovski
25 étaient des combattants, qui tiraient en direction de la police à l'aide
26 d'armes qu'ils ont cachées par la suite sous un réfrigérateur au sous-sol.
27 Mémoire de Tarculovski, paragraphe 265.
28 Ces "éléments de preuve" ne sont ni plus ni moins que des rumeurs,
Page 10984
1 des éléments de preuve indirects et non étayés. Ces informations
2 proviennent d'une source anonyme, et ont été communiquées au ministère de
3 l'Intérieur quelque sept mois après les événements de Ljuboten, pièce
4 1D273.
5 Il n'existe rien d'autre dans le dossier pour étayer cette rumeur. Au
6 contraire, Bolton a témoigné pour dire que lors de son inspection des lieux
7 le 14 août, alors qu'il se déplaçait le long de la route en direction de la
8 maison Jashari, c'est-à-dire la route le long de laquelle se trouve la
9 maison d'Ametovski, même s'il a retrouvé des éléments de preuve indiquant
10 que la police avait tiré en avançant depuis l'ouest, il n'a retrouvé aucun
11 élément de preuve de tirs qui auraient été dirigés contre la police. Pièce
12 P236.1, paragraphe 13.
13 De plus, il est impossible de croire que la police ait détenu ces hommes
14 non armés en croyant qu'il s'agissait de combattants qui tiraient sur eux,
15 sans même fouiller le sous-sol pour trouver des armes cachées. La police
16 n'a pas retrouvé de telles armes car il n'y en avait pas. Elle n'a pas
17 recherché de telles armes parce qu'elle ne pensait pas que ces hommes
18 étaient des combattants. Ceci est confirmé par le fait que Bolton s'est
19 rendu lui-même au sous-sol le 14 août, il n'a rien trouvé, à part l'arme
20 que j'ai mentionnée plus tôt.
21 Enfin, pour terminer, s'agissant de Muharem Ramadani, la Défense renvoie
22 aux éléments de preuve concernant une ceinture noire mystérieuse qui aurait
23 été retrouvée autour de son thorax. Mémoire de Tarculovski, paragraphe 269;
24 mémoire de Boskoski, paragraphe 303. On ne dit pas ce que la Chambre de
25 première instance va en conclure, mais la connotation est certainement très
26 sinistre.
27 Cependant, il n'existe aucun élément de preuve indiquant qu'une
28 ceinture noire a été retrouvée autour du thorax de Muharem Ramadani. Rien
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1 n'indique qu'une telle ceinture a été retrouvée lorsque l'on a procédé à
2 l'autopsie de Ramadani. Pièce P452. La seule référence faite à cette
3 ceinture mystérieuse provient du contre-interrogatoire d'Howard Tucker
4 lorsque mon confrère Me Mettraux a laissé entendre que M. Tucker -- que
5 l'on pouvait voir cette ceinture. M. Tucker a exprimé son désaccord, pages
6 5 448 et 5 449 du compte rendu. Voilà ce que l'on peut dire au sujet de ces
7 soi-disant preuves.
8 A la maison de Brace, la police a continué à frapper les détenus alors
9 qu'ils étaient conduits vers Lubanci. Paragraphe 36 du mémoire en clôture.
10 Ces hommes sont arrivés à un poste de contrôle de la police, à un endroit
11 appelé la maison de Brace, entre Ljuboten et Lubanci. C'est ce que l'on
12 peut voir sur la photographie panoramique. M-037 a déclaré que Johan
13 Tarculovski était également présent à la maison de Brace dans l'après-midi
14 du 12 août. Pages 873 à 875. Je vous renvoie au paragraphe 121 du mémoire
15 en clôture de l'Accusation.
16 M. LE JUGE PARKER : [aucune interprétation]
17 Mme LA GREFFIÈRE : [aucune interprétation]
18 [Audience à huis clos partiel]
19 (expurgé)
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 [Audience publique]
23 M. DOBBYN : [interprétation]
24 Au poste de police de Mirkovci, même s'il ne pouvait pas parler, la
25 police a continué à frapper Attula Qaili, il a ensuite été conduit à
26 l'hôpital municipal de la ville de Skopje où il a succombé à ses blessures
27 le 13 août.
28 Dans leurs mémoires en clôture, la Défense a essayé de démontrer qu'Attula
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1 Qaili n'était pas un civil non armé, mais un combattant armé lourdement.
2 Or, cette affirmation ne peut être étayée par aucune interprétation
3 raisonnable des éléments de preuve versés au dossier. La Chambre a entendu
4 le témoignage des Dr Stein, Eichner et Jakovski, qui ont renvoyé au test du
5 gant de paraffine comme étant un moyen permettant de déterminer si
6 quelqu'un s'est servi d'une arme. Paragraphe 82 du mémoire en clôture de
7 l'Accusation.
8 Pourtant, le conseil de Tarculovski affirme qu'il y a une forte
9 probabilité qu'Atulla Qaili ait été un membre de l'ALN, cette affirmation
10 se fonde exclusivement sur un test au gant de paraffine exécuté sur cette
11 personne au moment de son autopsie. Paragraphe 272 du mémoire de
12 Tarculovski. La valeur probante de ce test au gant de paraffine est claire,
13 mais je ne m'appesantirai pas sur la question.
14 Le conseil de Boskoski affirme ensuite qu'il existe des "éléments de
15 preuve" selon lesquels, au moment de sa détention, Atulla Qaili a été
16 retrouvé en possession de grenades à main. Mémoire en clôture de Boskoski,
17 paragraphe 311. Cependant, si cela était vrai, il n'existe aucune note de
18 service, aucune note officielle, aucun rapport du ministère de l'Intérieur
19 faisant référence à de telles allégations. En réalité, ces éléments de
20 preuve sont des rumeurs qui ont été présentées à l'enquêteur du bureau du
21 Procureur, Thomas Kuehnel, pendant son contre-interrogatoire, rien de plus.
22 Page 8 046 du compte rendu d'audience.
23 Enfin, nos confrères laissent entendre qu'une balle qui aurait pu
24 provenir des vêtements d'Atulla Qaili a été retrouvée près de son corps
25 lorsque ce dernier a été exhumé. Mémoire de Boskoski, paragraphe 311. En
26 réalité, une balle a été retrouvée sur le sol, autour de la fosse où se
27 trouvait Atulla Qaili la veille de l'exhumation, quelques mois après son
28 décès. Pages 5 442 à 5 445.
Page 10987
1 Et ce, après qu'il ait été détenu dans le village, puis au poste de
2 police de Mirkovci, et avant d'être conduit à l'hôpital de Skopje pour y
3 être soigné, puis autopsié. On a laissé entendre qu'une balle retrouvée en
4 sa possession n'a attiré l'attention de personne à ces endroits. Il
5 n'existe clairement aucun lien entre Atulla Qaili et cette balle.
6 Clairement, l'affirmation selon laquelle Atulla Qaili possédait, pour
7 citer mes confrères, un "arsenal d'armes au moment de sa détention" n'est
8 pas du tout étayée par les faits. D'autre part, les faits montrent
9 qu'Atulla Qaili n'était pas armé et ne participait pas aux hostilités. Il a
10 été frappé par la police alors qu'il était détenu à Ljuboten à la maison de
11 Brace et au poste de police de Mirkovci, et qu'il a succombé à ces passages
12 à tabac.
13 S'agissant des meurtres de Rami Jusifi, Sulejman Bajrami et Muharem
14 Ramadani, alors que ces dits détenus qui provenaient de la maison
15 d'Ametovski ont été conduits à la maison de Brace, l'unité de la police a
16 continué à se déplacer à l'est en traversant le village pour se diriger
17 vers la maison de Kadri Jashari. C'est indiqué par le chiffre "3" sur la
18 photographie panoramique.
19 Comme il est indiqué en détail dans le mémoire en clôture de l'Accusation,
20 cinq civils non armés s'étaient réfugiés dans la maisons de Jashari, mais
21 ont dû en sortir, après quoi ils ont été abattus par l'unité de la police
22 qui a tué trois de ces hommes, c'est Xhelal Bajrami, Bajram Jashari et
23 Kadri Jashari.
24 Dans les mémoires en clôture de la Défense, nos confrères font valoir que
25 ces trois victimes participaient activement aux hostilités. L'Accusation
26 n'accepte pas cela et renvoie aux arguments présentés dans son mémoire en
27 clôture.
28 De plus, contrairement aux éléments de preuve médico-légaux et balistiques
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1 présentés, contrairement aux témoignages de témoins oculaires et aux
2 conclusions tirées suite à l'enquête menée sur les lieux par Henry Bolton,
3 le conseil de l'accusé Tarculovski affirme que ces trois hommes ont été,
4 selon toute vraisemblance, abattus par des tireurs embusqués de l'armée.
5 Les éléments de preuve ne soutiennent pas cette affirmation, l'Accusation
6 renvoie également aux arguments présentés sur ce point dans son mémoire en
7 clôture.
8 Les éléments qui ont été présentés devant la Chambre ont également indiqué
9 que l'unité de la police dirigée par Tarculovski s'est déplacée à travers
10 le village le 12 août, et a laissé un sillage de destruction derrière elle.
11 Cette unité a endommagé ou complètement détruit au moins 14 maisons en se
12 servant de grenades à mains, d'armes de petits calibres et d'autres engins.
13 Il serait intéressant d'examiner plusieurs de ces maisons. Tout d'abord, la
14 pièce P337, versée sous pli scellé, qui indique une rangée de maisons le
15 long de la rue Ulica 5, au nord de Ljuboten. Nous trouvons les maisons de
16 Sabit [phon] Jusufi, Zefsetju Jusovski [phon] et Agim Jusufi. Nous voyons
17 les destructions le long de cette route, les toits qui ne sont plus là, les
18 murs et les cheminées qui restent sans rien autour. On a évalué les
19 dommages occasionnés à ces maisons comme étant de l'ordre de 44 à 64 %.
20 La pièce P412.07 montre le domicile de Cenan [phon] Jusufi qui se trouve
21 également sur la rue Ulica 5. L'intérieur est complètement réduit en
22 cendres et il ne reste plus rien, si ce n'est les murs et la cheminée.
23 Dommages à hauteur de 57 %.
24 Si on se déplace vers le nord-est de Ljuboten, nous voyons que la pièce 347
25 montre la propriété de Nazim Ortezani [phon]. Il y a un bâtiment sur la
26 gauche, nous voyons qu'il y a des dégâts dus au feu autour des fenêtres
27 causés par des flammes à l'intérieur de la maison. Les autres bâtiments
28 situés dans la cour ont été complètement rasés. Dommages à hauteur de 24 %.
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1 Si on se déplace vers la partie est de Ljuboten, la pièce P350 montre le
2 domicile de Cani [phon] Jashari. Là encore, nous voyons seulement les murs
3 et la cheminée qui restent. Dommages à hauteur de 60 %.
4 Le conseil de Boskoski affirme que les dommages occasionnés à ces
5 propriétés étaient limités, qu'il s'agisse du nombre de propriétés
6 concernées, de la nature des dégâts qui, d'après la Défense, sont minimaux.
7 Mémoire en clôture, paragraphe 316.
8 S'agissant du nombre de maisons endommagées, nos confrères laissent
9 entendre que l'Accusation doit établir que le village lui-même a été
10 détruit. Il s'agit d'une mauvaise interprétation du droit. Comme indiqué
11 par la Chambre de première instance saisie de l'affaire Strugar, il faut
12 prouver qu'un nombre considérable de biens ont été endommagés ou détruits,
13 paragraphe 294.
14 Là encore, l'Accusation a établi les destructions occasionnées à 14
15 maisons dans un petit village qui ne comportait qu'environ 200 bâtiments.
16 Grozdanovski a renvoyé à quatre bâtiments d'où provenait l'incendie.
17 Dans le paragraphe 154 du mémoire en clôture, nous parlons de
18 l'inspection menée par Bouckaert dans le village, qui corrobore
19 l'allégation selon laquelle ces maisons ont été détruites par la police et
20 non pas par des pilonnages de l'armée, ce qui indique clairement que l'on
21 n'a pas eu recours à certains moyens pour mettre le feu à ces maisons
22 depuis l'intérieur. Cela n'a rien à voir avec le fait de riposter
23 légitimement à des tirs hostiles. Il ressort clairement des preuves que les
24 destructions sans motif occasionnées étaient effectivement des destructions
25 sans motif, faites de façon aveugle et sans rapport avec des objectifs
26 militaires légitimes.
27 Passons maintenant aux traitements cruels en dehors de Ljuboten. Les
28 éléments de preuve de la Chambre de première instance ont montré sans aucun
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1 doute qu'un grand nombre de personnes mâles de souche albanaise ont été
2 détenus et soumis à des traitements cruels dans un grand nombre
3 d'emplacements en dehors de Ljuboten. Les résidents ont été détenus et
4 battus à plusieurs reprises par la police et avec l'encouragement des
5 villageois au point de contrôle de Buzalak.
6 Les détenus du point de contrôle de Buzalak ont été pris en groupes
7 séparés jusqu'à Cair, Kisela Voda, Bit Pazar et Karpos dans des postes de
8 police où les sévices se sont poursuivis. Un grand nombre d'entre eux ont
9 aussi été soumis à des traitements cruels au tribunal II de Skopje et à
10 l'hôpital de la ville de Skopje, traitements cruels infligés par la police
11 et avec l'encouragement et l'approbation des civils. Ces détails se
12 trouvent dans le mémoire de l'Accusation aux paragraphes 173 à 194 [comme
13 interprété].
14 Avant d'en terminer avec tout cela, j'aimerais maintenant que l'on
15 parle de la fiabilité des témoins témoignant des faits criminels.
16 Pour ce qui est des faits matériels, les éléments de preuve apportés
17 par ces témoins ont toujours été très cohérents et n'ont jamais changé. Ces
18 témoins ont toujours reconnu et identifié les auteurs physiques qui étaient
19 soit des officiers de police en uniforme, soit, pour ce qui est du
20 traitement cruel au point de contrôle de Buzalak, au tribunal de Skopje II
21 et à l'hôpital de Skopje, des civils agissant avec la permission et
22 l'encouragement de la police.
23 Ces témoins ont toujours maintenu qu'ils avaient été battus et qu'ils
24 avaient subi des sévices de la part de la police alors qu'ils étaient non
25 armés et qu'ils étaient en garde à vue. Pour ce qui est maintenant de ce
26 qui est appelé par la Défense de Boskoski comme étant l'histoire du
27 village, la Défense prétend que les villageois ont discuté de tous ces
28 moyens de preuves et ont modifié leur témoignage au cours du procès. Il est
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1 allégué qu'ils ont modifié leur témoignage, or ceci concerne les problèmes
2 collatéraux qui étaient de dire que les villageois n'étaient pas membres de
3 l'ALN.
4 Cela dit, les éléments matériels n'étaient pas de savoir si quelqu'un de
5 Ljuboten avait rejoint les rangs de l'ALN en 2001, le problème était de
6 savoir s'il y avait des éléments de l'ALN dans le village le 12 août 2001.
7 La position a toujours été identique, c'est-à-dire qu'il n'y en avait pas,
8 et ceci a été confirmé par Nazim Bushi, le commandant de la 114e Brigade de
9 l'ALN. Ceci se trouve au compte rendu à la page 5 634 à 5 639. Ceci est
10 aussi corroboré par Peter Bouckaert à la page 3 162 du compte rendu; et le
11 Témoin M-083 à la page 1 481 et 1 482 du compte rendu; ainsi que par Franz-
12 Josef Hutsch, compte rendu page 2 710 à 2 711.
13 Certains des détails de ces -- on pourrait s'attendre à ce que ces témoins
14 ne se souviennent pas exactement de la même chose. Ça, ça paraît assez
15 évident, mais les modifications dans les témoignages des témoins ne sont
16 absolument pas essentielles en l'espèce.
17 Maintenant, je vais passer la parole à ma collègue, Mme Valabhji.
18 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.
19 Mme VALABHJI : [interprétation] Bien. Maintenant, je vais vous parler de
20 nos arguments à propos de la responsabilité de M. Tarculovski au titre de
21 l'article 7(1) du Statut.
22 Il est absolument interdit de cibler des civils dans le droit international
23 coutumier. L'article 50 du Protocole 1 de la convention de Genève dont les
24 dispositions peuvent être envisagées comme reflétant le droit coutumier
25 déclare, et je cite : "Quand il y a un doute quant au statut d'une
26 personne, qu'il n'est pas certain que c'est un civil, cette personne sera
27 considérée comme étant un civil."
28 Les forces de police qui ont attaqué Ljuboten le 12 août, sous la direction
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1 de M. Tarculovski, ont violé ce principe puisqu'ils ont commis des crimes
2 contre des civils.
3 L'un des exemples les plus clairs de conduite de ce type a été démontré par
4 ce qui s'est passé dans la maison Ametovski ce jour-là à Ljuboten. Dans
5 cette maison, la police a obligé les hommes de souche albanaise à sortir de
6 la cave et l'un d'entre eux a crié sur les détenus en leur disant : "Vous
7 pensiez qu'Arkan était mort." On a obligé les détenus à chanter des chants
8 nationaux macédoniens et à glorifier Arkan. La police a découpé une croix
9 dans le dos d'un des villageois, un Albanais de souche. Alors, quelle
10 démonstration plus évidente d'un but criminel que cela, c'est-à-dire de
11 découper un symbole orthodoxe dans le dos d'un Albanais de souche ?
12 Comme M. Dobbyn vient de nous le dire, dès que les villageois sont sortis
13 de la cave, la police les a passés à tabac brutalement et a tué deux hommes
14 de ce groupe après qu'ils aient été détenus. Les villageois détenus
15 n'étaient pas des personnes qui participaient activement aux hostilités,
16 ils étaient protégés par l'article 3 du Statut. Dans la maison suivante,
17 dans la maison d'à côté, des femmes et des enfants se cachaient dans une
18 autre cave avec d'autres hommes du village. Ceci prouve à nouveau que
19 toutes ces personnes étaient des civils.
20 Pourrions-nous maintenant passer à huis clos partiel, s'il vous plaît.
21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Passons à huis clos partiel.
22 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous allons bientôt être à huis clos
23 partiel.
24 [Audience à huis clos partiel]
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12 [Audience publique]
13 Mme VALABHJI : [interprétation] Comme nous l'avons entendu, les crimes
14 commis dans la maison Ametovski n'ont pas été les seuls crimes commis à
15 Ljuboten ce jour-là. Il y a eu une série de crimes qui ont eu lieu dans
16 tout le village; des meurtres, destructions sans motifs et d'autres actes
17 de cruauté perpétrés contre des Albanais de souche par les forces de
18 police qui avaient attaqué le village.
19 Reste à savoir, comment ceci a-t-il pu arriver ? C'est arrivé parce
20 que les auteurs de ces crimes, qui faisaient partie de la police, voulaient
21 que ces crimes soient commis. Ils avaient l'intention de commettre ces
22 crimes.
23 Les éléments de preuve montrent que l'été 2001 a été extrêmement
24 violent en Macédoine. En effet, un témoin de la Défense, Petre Stojanovski,
25 qui était l'adjoint du directeur du SVR Skopje en 2001, a dit qu'il était
26 "habituel" que des actes de violence contre des biens civils et contre des
27 suspects de terrorisme albanais, tout ceci était très "habituel". Donc
28 cette violence était normale, tout à fait prévisible, suite aux victimes et
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1 aux personnes qui ont été tuées dans les rangs de la force de sécurité
2 macédonienne. Le même témoin, Petre Stojanovski, était d'accord pour dire
3 qu'en août 2001, la police devait faire très attention après qu'il y ait eu
4 des incidents au cours desquels des membres des forces de sécurité aient
5 trouvé la mort, afin d'éviter que les civils ne courent des risques, étant
6 donné l'environnement qui était extrêmement volatile.
7 Là, je fais référence au compte rendu, 9 274 [comme interprété].
8 Quelques jours avant ce qui s'est passé à Ljuboten le 8 août, l'ALN a tué
9 dix soldats venant de Prilep à Karpalak, et il s'en est ensuivi une
10 certaine violence contre les biens albanais. Par exemple, un clip diffusé à
11 la télévision macédonienne à l'époque, la pièce P00610 [comme interprété],
12 montre l'incendie de la mosquée à Prilep. Un autre témoin de la Défense,
13 Blagoja Markovski, a décrit les réactions après l'incident de Karpalak
14 comme étant une situation psychologique de grande envergure. On trouve ceci
15 à la page de compte rendu, 10 882.
16 Un autre incident est arrivé deux jours plus tard, le 10 août, à
17 Ljubotenski Bacila, qui se trouve à environ 5 kilomètres de Ljuboten. Huit
18 soldats macédoniens ont trouvé la mort et deux d'entre eux venaient de
19 Ljubanci, qui est justement le village natal de l'accusé Tarculovski.
20 M. Tarculovski, donc, a dirigé ses forces de police et les a fait
21 permis de rentrer dans Ljuboten le 12 août alors que le climat était
22 extrêmement dangereux. De plus, au sein des forces de police, il y avait
23 des criminels.
24 Pouvons-nous maintenant passer à huis clos partiel.
25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Passons à huis clos partiel.
26 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes maintenant en audience à
27 huis clos partiel.
28 [Audience à huis clos partiel]
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13 [Audience publique]
14 Mme VALABHJI : [interprétation] Je vous remercie.
15 Tout ceci est corroboré par la pièce P00592 [comme interprété]. Les
16 casiers judiciaires comprenaient coups et blessures et atteintes à
17 l'intégrité physique des personnes. Ici, je fais référence à la pièce
18 P00590 [comme interprété]. Le témoin de la Défense, Popovski, a confirmé
19 que plusieurs personnes dont le nom se trouve à la pièce P592, comme étant
20 des personnes ayant un casier judiciaire, étaient exactement les personnes
21 qui avaient été payées par le ministère de l'Intérieur en août et en
22 septembre 2001.
23 M. Tarculovski savait que des personnes faisant partie de son groupe
24 étaient des criminels, et ceci peut être déduit de la pièce P379, qui est
25 sa propre déclaration et où il dit qu'il s'était trouvé à Ljuboten avec un
26 grand nombre d'hommes et qu'il les connaissait, tous. Je fais ici référence
27 à la pièce N000-8918-8919.
28 On peut aussi déduire qu'il savait qui étaient ces personnes, parce
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1 que d'autres personnes savaient aussi qu'au sein de ce groupe se trouvaient
2 des criminels. Quand on prend tout cela en compte, on peut en déduire de
3 façon très raisonnable que M. Tarculovski savait parfaitement que certaines
4 des personnes qui sont rentrées dans Ljuboten avec lui avaient des casiers
5 judiciaires.
6 L'un des modes de responsabilité allégués dans l'acte d'accusation dressé
7 contre M. Tarculovski est l'entreprise criminelle commune. L'Accusation
8 doit prouver qu'un certain nombre de personnes ont agi de concert pour
9 mettre en œuvre un but commun. Ce but commun, on doit le faire remarquer,
10 n'a pas besoin d'avoir été organisé au préalable. Il peut être matérialisé
11 de façon extracontemporaine et peut être déduit uniquement à partir des
12 faits.
13 Ici, je fais référence à l'arrêt Stakic, paragraphe 64. La
14 participation de l'accusé dans le but commun était nécessaire, mais il n'a
15 pas besoin de commettre physiquement un crime. De plus, le participant
16 d'une entreprise criminelle commune n'a pas besoin d'être sur place
17 lorsqu'un crime est commis.
18 Dans la première forme de l'entreprise criminelle commune, tous les
19 participants doivent avoir l'intention de mettre en œuvre le but commun et
20 donc de commettre les crimes. Au paragraphe 328 du mémoire Tarculovski, la
21 Défense semble suggérer qu'il faut absolument un accord entre les
22 participants pour prouver ce mode de responsabilité. Cela dit, ceci n'est
23 absolument pas le cas et nous pouvons le prouver par le jugement Krajisnik,
24 paragraphe 883.
25 Les autres modes de responsabilité allégués contre M. Tarculovski au
26 titre de l'article 7(1) sont la planification, le commandement,
27 l'instigation et l'encouragement à la complicité. Je ne vais pas ici
28 rentrer dans les définitions juridiques de ces modes de responsabilité qui
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1 sont présentés extrêmement clairement dans le mémoire en clôture de
2 l'Accusation.
3 Mais comment pouvons-nous savoir qu'il y avait un but criminel commun
4 en ce qui concerne les crimes qui ont été commis à Ljuboten ? Nous avons
5 déjà entendu les déclarations des forces de police à la maison Ametovski ce
6 jour-là qui montrent bien qu'il y avait quand même un but commun. Nous
7 savons aussi que ces événements ont eu lieu à un moment où il était
8 habituel d'être extrêmement violent envers les Albanais de souche, surtout
9 quand les forces de sécurité macédoniennes avaient subi des pertes.
10 Pouvons-nous maintenant passer à nouveau à huis clos partiel.
11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui.
12 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
13 [Audience à huis clos partiel]
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25 [Audience publique]
26 Mme VALABHJI : [interprétation] Je vous remercie.
27 On a aussi essayé de montrer que les villageois de la maison d'Ametovski
28 étaient des terroristes. On a essayé de les faire passer, si je puis dire,
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1 pour des terroristes. La police a soi-disant trouvé trois armes et des
2 munitions près de la maison Jashari, mais les villageois qui étaient
3 détenus dans un autre endroit, la maison Ametovski, ont dû signer un
4 certificat de saisie à propos de ces armes. Ceci avait été fait uniquement
5 pour camoufler ce qui s'était passé ce jour-là.
6 Il y a d'autres documents qui reflètent qu'il y a eu tentatives pour
7 étouffer ce qui s'était passé à Ljuboten ce jour-là. On le trouve
8 d'ailleurs à la page 60 du mémoire en clôture de l'Accusation.
9 La pièce P253, par exemple, qui est un registre qui notait les notes
10 officielles à propos des événements ayant eu lieu dans le secteur
11 opérationnel de Cair, ne porte absolument rien à propos de ce qui se serait
12 passé le 12 août.
13 La première commission, c'est-à-dire la pièce P378, ne parle
14 absolument pas de la mort d'Atulla Qaili et des blessures extrêmement
15 graves qui ont été infligées aux villageois de Ljuboten ainsi que des
16 autres traitements cruels qui sont mentionnés dans l'acte d'accusation. Où
17 se trouvent tous ces rapports des traitements cruels qui auraient eu lieu
18 dans tous ces emplacements que l'on trouve dans l'acte d'accusation ?
19 La Défense avance qu'il y avait un but militaire à l'attaque de Ljuboten et
20 que l'ALN était bel et bien présent dans le village. En tout cas, les
21 forces macédoniennes le croyaient. Mais la position de l'Accusation est la
22 suivante : l'ALN n'était pas à Ljuboten. Pour en citer Bouckaert, T3162; M-
23 083, T1481 et 82; Grozdanovski, T10513 et 10514; Hutsch, T2710 et 2711;
24 P308, Bushi, T5634-5638, et cetera.
25 De plus, même si les forces macédoniennes pensaient qu'il y avait des
26 terroristes de l'ALN dans le village, ceci n'exclut pas l'existence
27 simultanée d'un but criminel commun.
28 Bien sûr, les arguments de la Défense font immédiatement naître la question
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1 suivante : si la police voulait absolument tirer sur -- enfin, voulait
2 absolument arrêter les membres de l'ALN et avait diriger ses attaques
3 contre des cibles bien sélectionnées, pourquoi ont-ils battu et ont-ils tué
4 des villageois qu'ils avait détenus ?
5 La Défense a aussi dit que l'ALN était totalement mélangée avec les
6 civils dans le village et que c'est l'ALN, en fait, qui était le fautif et
7 qui était la raison pour tout ce qui s'est passé dans le village.
8 Quelles étaient les actions qui ont été alléguées contre l'ALN ? Ces
9 actions avaient-elles à voir avec la responsabilité de M. Tarculovski ?
10 Absolument pas. Puisque dans l'acte d'accusation ici on parle de crimes et
11 de la responsabilité de ces crimes de l'accusé.
12 Ensuite, même si on considère que l'ALN se mélangeait avec des
13 civils, or l'Accusation ne sont pas d'accord avec cela, les auteurs
14 criminels de la part de la police, le 12 août, auraient quand même dû se
15 demander si les personnes qu'ils attaquaient étaient oui ou non des civils.
16 Comme nous l'avons dit précédemment, le droit coutumier déclare qu'en cas
17 de doute, quand on ne sait pas vraiment si une personne est un civil ou
18 non, cette personne doit absolument être considérée comme étant un civil.
19 La Défense de M. Tarculovski dans son mémoire a aussi avancé à
20 plusieurs reprises que le rôle de M. Tarculovski dans tout ceci n'était que
21 de surveiller les choses. Il n'était là que pour surveiller et superviser
22 ce qui se passait. Les éléments de preuve que nous avons définis dans notre
23 mémoire, se basant à la fois sur les témoignages et sur les éléments de
24 preuve documentaires, montrent que son rôle allait bien au-delà.
25 Pouvons-nous maintenant passer en audience à huis clos partiel.
26 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui.
27 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
28 [Audience à huis clos partiel]
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15 [Audience publique]
16 Mme VALABHJI : [interprétation] Merci.
17 Le lendemain, M. Tarculovski a rencontré une nouvelle fois Despodov,
18 et Despodov continuant à refuser de procéder en l'absence d'un ordre, il
19 jure à l'intention de Despodov en disant : "Avec ou sans toi, l'action aura
20 lieu." Je renvoie à la déposition de Despodov, page du compte rendu
21 d'audience 2 567.
22 La pièce P303 démontre également que M. Tarculovski déclare après 22 heures
23 le 11 août, que le lendemain, à 4 heures 30 du matin, il lancera l'action.
24 Là encore, ces mots et ces actes ne peuvent appartenir à quelqu'un qui se
25 contente de suivre ou de vérifier ce qui se passe.
26 La participation de M. Tarculovski est démontrée dans ses propres
27 déclarations devant la deuxième commission. Je renvoie chacun à la pièce
28 P379. Le 3 mars 2003, dans une note officielle, M. Tarculovski écrit en
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1 effet : "Puisque j'étais de la région, je connaissais le terrain, et je me
2 suis dirigé vers Ljuboten avec les autres hommes."
3 Cela démontre bien que M. Tarculovski était à Ljuboten en compagnie
4 de plus de 100 personnes, et qu'il les connaissait. Encore une fois, dans
5 le procès-verbal du 12 novembre, on trouve consigné par écrit le même
6 renseignement.
7 Je vais maintenant dire quelques mots au sujet de la fiabilité de ces
8 documents que je viens d'évoquer; je veux parler des documents qui font
9 partie de la pièce P379. La Défense déclare que les éléments de preuve
10 contenus dans ces documents ne méritent de se voir accorder aucun poids et
11 que toutes les déclarations fournies par M. Tarculovski sont dépourvues de
12 fiabilité. Ceci figure au paragraphe 18 du mémoire en clôture relatif à M.
13 Tarculovski.
14 L'Accusation n'est pas d'accord sur ce point et je demande une nouvelle
15 fois que nous passions à huis clos partiel.
16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Huis clos partiel.
17 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel,
18 Monsieur le Président.
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15 [Audience publique]
16 Mme VALABHJI : [interprétation] Une fois la fin de l'opération atteinte,
17 l'interprète Hutsch a vu M. Tarculovski qui semblait diriger les
18 opérations. Le témoin Kuehnel connaissait la réponse faite par le ministère
19 de la Défense au RFA, selon laquelle les opérations terrestres concernant
20 le village de Ljuboten étaient placées sous la direction de Johan
21 Tarculovski le 12 août 2001, pages 7 889 à 7 892 du compte rendu
22 d'audience.
23 Les éléments de preuve démontrent la participation de M. Tarculovski et
24 démontrent qu'il était responsable aux titres de tous les modes de
25 responsabilité évoqués à l'article 7(1) du Statut, en particulier, en tant
26 que participant à une entreprise criminelle conjointe, et en raison du fait
27 d'avoir instigué, aidé et encouragé la commission de crimes.
28 Les éléments de preuve relatifs à chacun des modes de responsabilité
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1 évoqués à l'article 7(1) du Statut ont été étudiés en détail dans le
2 mémoire en clôture de l'Accusation, donc je ne ferai que revenir rapidement
3 sur les points saillants de ces divers modes de responsabilité.
4 S'agissant de l'entreprise criminelle commune, les éléments de preuve
5 démontrent la participation de M. Tarculovski. Cette démonstration est
6 tirée également de ses propres déclarations qui indiquent qu'il dirigeait
7 l'opération et qu'il était assisté d'un certain nombre de personnes pour
8 mener à bien cette opération, il a participé de façon continue à l'attaque
9 et sa présence dans les lieux-clés pendant l'opération est avérée, y
10 compris sur des lieux où des crimes ont été commis.
11 Les éléments de preuve démontrent que M. Tarculovski était en position de
12 pouvoir hiérarchique lui donnant un pouvoir réel sur les auteurs physiques
13 des crimes commis à Ljuboten. Dans la soirée du 11 août, il a dirigé son
14 unité dans une opération de reconnaissance à Ljuboten.
15 Je demande quelques instants à huis clos partiel.
16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Huis clos partiel.
17 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
18 [Audience à huis clos partiel]
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27 [Audience publique]
28 Mme VALABHJI : [interprétation] Quant à la planification, les éléments de
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1 preuve démontrent que M. Tarculovski a organisé et conduit l'opération de
2 Ljuboten; je ne citerai que quelques exemples qui montrent le pouvoir qu'il
3 exerçait sur le personnel important participant à l'opération et qui avait
4 besoin de son appui. Il a fourni les équipements aux hommes qu'il dirigeait
5 comme, par exemple, des gilets pare-balles et des postes de radio.
6 Quand à l'instigation, les éléments de preuve démontrent que M.
7 Tarculovski, dans tous les actes entrepris par lui et dans tous les mots
8 prononcés par lui, a promu de façon importante la poursuite de l'opération
9 et était présent sur les lieux-clés, y compris sur les lieux où les crimes
10 ont été commis.
11 Sa présence, ses paroles et ses actes dans ces divers lieux ont constitué
12 des encouragements aux forces de police, les invitant à commettre ces
13 crimes. Il devait être au courant de l'effet légitimant des paroles
14 prononcées par lui ainsi que de sa présence et des actes entrepris par lui
15 devant les auteurs physiques de ces crimes.
16 M. Tarculovski a agi dans l'intention directe ou en tout cas il était au
17 courant de la probabilité substantielle que des crimes soient commis
18 pendant l'opération de Ljuboten. Il a dû être au courant du climat très
19 délicat qui régnait en Macédoine à l'époque et du danger que ce climat
20 faisait régner pour les Albanais de souche, notamment, une fois que des
21 membres des forces de sécurité macédoniennes ont été tués, et étant donné
22 l'emploi de criminels dans cette opération.
23 L'Accusation demande à la Chambre de première instance de considérer M.
24 Tarculovski coupable au titre de l'article 7(1) du Statut par rapport aux
25 charges retenues contre lui, que l'on trouve aux chefs 1 à 3 de l'acte
26 d'accusation.
27 Ceci met un terme, Monsieur le Président, à mon réquisitoire, et M. Saxon
28 va me relayer pour poursuivre. Je ne sais pas si l'heure de la pause est
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1 arrivée ou si vous souhaitez que M. Saxon reprenne directement après moi.
2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.
3 Monsieur Saxon, nous pourrions faire la pause immédiatement, à moins de la
4 faire dans un quart d'heure environ. Qu'est-ce qui vous convient le mieux ?
5 M. SAXON : [interprétation] Il serait sans doute plus sensé de la faire
6 maintenant, Monsieur le Président, après quoi je pourrai poursuivre et
7 terminer, si tout va bien, mon exposé avant la pause suivante.
8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Nous reprenons donc nos
9 débats à 16 heures.
10 --- L'audience est suspendue à 15 heures 28.
11 --- L'audience est reprise à 16 heures 05.
12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Saxon, avant que vous ne
13 poursuiviez, je vous indique que la Chambre a quelques incertitudes quant
14 au fondement justifiant que des références à certains éléments de preuve
15 aient été faites à huis clos partiel. Dans la plupart des cas, ces
16 références concernaient des dépositions de témoins identifiés nommément, et
17 il en ressort qu'en tout état de cause il semblerait préférable de traiter
18 de ces dépositions en audience publique. Il peut survenir des situations
19 particulières que vous connaissez bien, impliquant que certains éléments
20 particuliers puissent permettre d'identifier un témoin, mais c'est assez
21 rare. Nous pensons que, par conséquent, cela est sans doute assez peu
22 nécessaire.
23 Je dis cela pour vous aider, vous-même et vos collègues, dans la
24 suite des débats.
25 M. SAXON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Je
26 dirais pour ma part que vos remarques concernent également sans doute des
27 dépositions en audience publique ?
28 M. LE JUGE PARKER : [aucune interprétation]
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1 M. SAXON : [interprétation] Très bien. Merci.
2 Monsieur le Président, je vais maintenant parler de la responsabilité de M.
3 Boskoski eu égard à l'application de l'article 7(3) du Statut du Tribunal;
4 responsabilité en tant que supérieur hiérarchique. J'aurais grand plaisir,
5 bien entendu, à répondre à toute question que les Juges souhaiteraient me
6 poser, soit pendant mon exposé, soit une fois que j'en aurai terminé.
7 Les éléments de preuve démontrent le contrôle exercé de jure et de facto
8 par Boskoski sur les officiers de police et sur Tarculovski, à savoir sur
9 les auteurs des crimes commis à Ljuboten, ainsi que sur les auteurs de
10 traitements cruels infligés dans des lieux situés loin de Ljuboten et à
11 Skopje. Ils démontrent effectivement le contrôle effectif exercé par
12 Boskoski sur les officiers de police dont les actes et les omissions ont
13 permis d'aider et d'encourager les gardes de prison, le personnel de
14 l'hôpital et des civils à commettre les crimes évoqués à l'acte
15 d'accusation.
16 Les éléments de preuve démontrent également que Boskoski connaissait
17 et avait des raisons de connaître le fait que ses subordonnés auraient
18 perpétré ou aidé et encouragé à commettre les crimes évoqués dans le
19 deuxième acte d'accusation modifié.
20 Enfin, les éléments de preuve démontrent que Boskoski n'a pas pris toutes
21 les mesures nécessaires et raisonnables en vue de punir ses subordonnées
22 responsables de la commission de ces crimes.
23 J'aimerais maintenant consacrer quelques minutes à discuter du contrôle
24 effectif exercé par Boskoski sur les auteurs des crimes. Les paragraphes
25 274 à 276 du mémoire en clôture de l'Accusation décrivent le contrôle de
26 facto exercé par M. Boskoski sur les forces de police macédoniennes, y
27 compris sur les forces de réserve en 2001. Je ne reviendrai pas sur ce
28 débat aujourd'hui, mais je souhaite vous renvoyer à quelques éléments de
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1 preuve complémentaires qui illustrent à quel point M. Boskoski a exercé son
2 contrôle sur le personnel relevant du ministère de l'Intérieur et, en
3 particulier, sur les forces de police au moment où il était ministre.
4 Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Juges, aux pages 5 133 et 5
5 134 du compte rendu d'audience, le général de police, Zoran Jovanovski,
6 décrit la façon dont M. Boskoski pouvait donner à l'un de ses directeurs
7 l'ordre d'obtenir des éléments d'information complémentaires et la façon
8 dont ces ordres passaient le long de la voie hiérarchique jusqu'au niveau
9 inférieur de la hiérarchie du ministère de l'Intérieur. Après les réunions
10 du collège entre Boskoski et ses subordonnées, tel que le général
11 Jovanovski, les consignes du ministère étaient appliquées. Page 5 099 du
12 compte rendu d'audience.
13 Le 28 juillet 2001, le ministre M. Boskoski a donné consigne à ses
14 subordonnés au sein du ministère de renoncer à tous les congés annuels dans
15 la période en question et de donner consigne à tous les salariés qui
16 étaient en congé annuel à ce moment-là de revenir à leur poste de travail.
17 P00489.
18 Nous avons entendu M. Miodrag Stojanovski dire que ces consignes sont
19 bien arrivées au poste de police PSOLO. Ceci figure à la page 6 812 du
20 compte rendu d'audience.
21 Une fois que l'accord d'Ohrid a été signé le 13 août, la hiérarchie
22 du ministère de l'Intérieur a continué à fonctionner. Les ordres
23 descendaient le long de la voie hiérarchique et les rapports montaient le
24 long de cette voie hiérarchique. Le général Jovanovski a continué à
25 exécuter les ordres qui lui étaient donnés par ses supérieurs. Page 5 101
26 du compte rendu d'audience.
27 Le témoin de la Défense, M. Keskovski, membre du secteur chargé de la
28 sécurité au sein du ministère de l'Intérieur, a dit comment les membres de
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1 l'armée macédonienne se trouvaient sous son commandement dans la période
2 équivalente à l'année 2001. Page 10 083 du compte rendu d'audience.
3 Le Témoin M-084, en page 1 450 du compte rendu d'audience, dit
4 comment à l'OVR de Cair, en 2001, il y avait un commandant du poste, un
5 commandant du département et un adjoint du commandant. Tous ces hommes
6 étant subordonnés au ministère de l'Intérieur qui exerçait le commandement.
7 En page 1 452 du compte rendu d'audience, le Témoin M-084 décrit de
8 façon très illustrative le lieu où intervient le ministre dans cette
9 filière hiérarchique ainsi que le pouvoir exact qu'il exerce. Je cite : "Le
10 ministre de l'Intérieur a le droit d'émettre un ordre à l'intention de
11 quiconque et à quelque moment que ce soit et personne ne peut lui dire si
12 cela doit se passer à 4 heures du matin ou à 4 heures de l'après-midi."
13 Quant à M-052, il décrit le pouvoir exercé par le ministre, je cite : "Le
14 ministre est mon supérieur. Je ne mets pas sa parole en doute, je ne peux
15 pas mettre sa parole en doute." Page 8 438 du compte rendu d'audience.
16 Monsieur le Président, suite à sa déposition, le pouvoir cité par Boskoski
17 dans son mémoire, en note en bas de page 966, nous aide à mieux comprendre
18 la dynamique militaire qui existait au sein du ministère de l'Intérieur
19 durant l'année 2001. Dans l'article intitulé : "Responsabilités de
20 commandement hiérarchique vis-à-vis des crimes de guerre," l'auteur
21 explique en première page, je cite : "Que les subordonnés obéissent, c'est
22 la situation type et c'est la base même de la vie militaire."
23 Les éléments de preuve démontrent au-delà de tout doute raisonnable
24 que ce principe militaire était tout à fait actuel et en vigueur au sein du
25 ministère de l'Intérieur également pendant l'année 2001. Par exemple, M-056
26 dit, je cite : "Des sanctions strictes sont prévues en cas de désobéissance
27 aux ordres." Page 2 168 du compte rendu d'audience.
28 En effet, pendant l'année 2001, non seulement existait-il une filière
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1 hiérarchique qui fonctionnait au sein du ministère de l'Intérieur, mais il
2 y avait, je l'ajoute, plusieurs filières hiérarchiques opérant à ce moment-
3 là. Par exemple, le commandant de l'unité de polices spéciales des Tigres
4 était responsable dans le cadre de deux filières hiérarchiques; responsable
5 devant le ministre et responsable devant le directeur du bureau chargé de
6 la sécurité publique et le directoire du contre-renseignement. Page 2 133
7 du compte rendu d'audience.
8 Au-dessus du ministre Boskoski dans cette filière hiérarchique, on
9 trouvait le premier ministre, Ljubco Georgievski. Dans son rapport
10 d'expert, le Dr Blagoja Markovski a confirmé que le premier ministre
11 exerçait son commandement sur la police par le biais du ministre de
12 l'Intérieur. Ceci se trouve dans la pièce à conviction 2D101, au paragraphe
13 216. Par exemple, au début du conflit armé, le premier ministre Georgievski
14 a donné consigne au commandant de l'unité spéciale de la police des Tigres
15 d'élargir son unité. Ceci figure aux pages 2 253 à 2 256 du compte rendu
16 d'audience.
17 Tous ces éléments de preuve sont des éléments qui s'ajoutent aux
18 autres éléments démontrant le contrôle effectif exercé par M. Boskoski sur
19 les membres du ministère de l'Intérieur ainsi que sur la police.
20 Comme vous le savez, cet élément que constitue le contrôle effectif a
21 son importance en tant qu'élément permettant de démontrer le rapport entre
22 un supérieur et un subordonné, élément qui est exigé pour que s'applique
23 l'article 7(3) du Statut de ce Tribunal s'agissant de déterminer une
24 responsabilité.
25 Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Juges, les éléments de
26 preuve démontrent au-delà de tout doute raisonnable que les membres de
27 l'unité dirigée par Johan Tarculovski dans le village de Ljuboten étaient
28 des réservistes de la police. Pourquoi ? Parce que nous savons que les
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1 hommes qui ont suivi M. Tarculovski au moment où il a pénétré dans le
2 village de Ljuboten étaient des réservistes de la police et nous le savons
3 pour plusieurs raisons.
4 Les membres de l'unité de Tarculovski ont reçu, je cite, "des armes
5 et des uniformes et ont été inscrits sur une liste au PSOLO et au poste OVR
6 de Cair." Ceci satisfait aux critères exigés pour que soit prouvée
7 l'appartenance à une force de réserve de la police, critères décrits par M-
8 052 aux pages 8 430 à 8 432 du compte rendu d'audience.
9 Ceci correspond à la déposition de M-084, pages 1 460 à 1 462 du
10 compte rendu d'audience, qui dit que pour les hommes impliqués le 10 août,
11 je cite : "Des renseignements quant à leur identité ont été recueillis et
12 leur casier judiciaire a été vérifié. Ceux qui n'avaient pas de casier
13 judiciaire ont reçu des armes."
14 Si nous reprenons les paroles du Témoin M-084, page 1 460 du compte
15 rendu d'audience, nous voyons qu'il dit, je cite : "S'agissant de
16 compétences, une fois qu'un officier réserviste de la police revêt sa tenue
17 et entre en possession de ses armes, les officiers qui sont ses supérieurs
18 au poste de police partent du principe qu'il exerce sa compétence et assume
19 sa responsabilité."
20 Comme M-052 le dit rapidement en page 8 433 du compte rendu
21 d'audience, je cite : "Si une personne revêt un uniforme, c'est un salarier
22 du ministère."
23 En deuxième lieu, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les
24 Juges, les hommes déployés sous la direction d'un officier de police
25 régulière, à savoir M. Tarculovski, étaient subordonnés de M. Boskoski.
26 C'est un critère qui est décrit par les Témoins M-053, M-084, pages 1 990
27 et 1 460 respectivement du compte rendu d'audience. Ceci est corroboré
28 également par Miodrag Stojanovski qui dit dans sa déposition qu'un
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1 volontaire a été redéployé pour être placé sous les ordres des commandants
2 des unités auxquelles il était affecté. Ceci figure aux pages 6 838 à 6 839
3 du compte rendu d'audience.
4 En troisième lieu, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les
5 Juges, M. Tarculovski, qui dirigeait ces hommes, a dit qu'il s'agissait de
6 réservistes. Vous trouverez cela dans la note officielle de mai 2003 qui
7 fait partie de la pièce à conviction P00379, sous le numéro ERN N000-8922.
8 M-052 dit que les hommes qui sont entrés dans Ljuboten le 12 août
9 faisaient partie de la "police". Le témoin de la Défense, capitaine de
10 l'armée Grozdanovski, le dit également en page 10 511 du compte rendu
11 d'audience. D'autres témoins de l'Accusation et de la Défense qui ont servi
12 dans les rangs de l'armée macédonienne à cette époque-là ont confirmé que
13 l'armée de la République macédonienne n'avait pas pénétré dans le village
14 de Ljuboten le 12 août. Nous avons entendu cela de la bouche du Témoin
15 2D008, en page 10 574 [comme interprété] du compte rendu d'audience; nous
16 l'avons entendu de la bouche de M. Despodov, en page 2 597 du compte rendu
17 d'audience; de la bouche du Témoin 51 [comme interprété] en pages 4 136 à 4
18 137 du compte rendu d'audience; ainsi que de la bouche de M. Jurisic, en
19 page 3 319 du compte rendu d'audience.
20 Pour finir, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Juges, la
21 Défense de Tarculovski elle-même reconnaît que l'unité qui a pénétré dans
22 Ljuboten le 12 août était composée d'officiers de police. Penchez-vous sur
23 le mémoire en clôture de la Défense Tarculovski. Vous y verrez qu'à dix
24 reprises, à partir du paragraphe 205 et jusqu'au paragraphe 210, c'est ce
25 qui est écrit. C'est écrit cinq fois dans le paragraphe 265 à lui seul, et
26 c'est également écrit aux paragraphes 276, 277, 278 et 308 de ce mémoire en
27 clôture. On nous a dit que c'étaient des policiers qui ont pénétré dans le
28 village de Ljuboten.
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1 Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Juges, comme il est
2 expliqué au mémoire en clôture, aux paragraphes 303 à 307 du mémoire en
3 clôture de l'Accusation, à l'été 2001, le ministère de l'Intérieur ne
4 dépendait pas des conditions administratives officielles régissant la
5 mobilisation des réservistes de la police. Les fonctionnaires du ministère
6 s'intéressaient à l'élément de facto, à savoir la délivrance d'armes et
7 d'uniformes ainsi que le déploiement d'un policier des forces régulières.
8 Aucune condition de jure, pour autant qu'il y en ait eu, ne doit permettre
9 de déterminer le contrôle effectif exercé par Boskoski sur ces policiers.
10 Dans le jugement Blaskic, paragraphe 302, la Chambre de première instance a
11 conclu qu'il n'est pas nécessaire que les supérieurs exercent une autorité
12 légale pour empêcher ou punir les actes commis par leurs subordonnées.
13 L'élément déterminant à prendre en considération est la capacité matérielle
14 du supérieur à le faire. En l'occurrence, les preuves montrent que Ljube
15 Boskoski avait le pouvoir de facto et de jure de contrôler tous les
16 réservistes de la police, qu'ils satisfassent ou non aux conditions
17 énoncées dans les droits et décrets pertinents.
18 En l'occurrence, le fait que des réservistes de la police obéissaient
19 lorsque M. Boskoski est entré dans la cour de la maison de Brace indique
20 davantage le fait qu'il existait un lien de subordination plutôt que le
21 simple respect des critères administratifs. Je vous renvoie à la déposition
22 de M. Jakovoski, page 3 938 du compte rendu d'audience, également à la page
23 8 281 du compte rendu d'audience à huis clos partiel.
24 Et puis, il existe une autre raison pour laquelle il ne serait pas
25 judicieux d'accorder trop d'importance aux soi-disant conditions de jure
26 s'appliquant aux réservistes de la police. Les preuves montrent que pendant
27 l'été 2001, il existait des positions de commandement de la police, il
28 existait même des unités de la police de facto avant même qu'ils n'existent
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1 de jure.
2 Par exemple, aux pages 8 610 et 8 611 du compte rendu, M-052 décrit comment
3 le poste de police de réserve de Kuceviste et les activités de Marjan
4 Taskovski, en tant que commandant de ce poste de police, ont débuté avant
5 que le ministère de l'Intérieur ne décide d'établir ce poste de police le
6 15 août 2001.
7 M. Taskovski s'est plaint plusieurs fois auprès de M-052 du fait que
8 Taskovski agissait en tant que commandant de ce poste de police de réserve
9 mais qu'il ne recevait pas un salaire en conséquence car aucune décision
10 n'avait été prise officiellement le nommant à ce poste. M-052 a expliqué
11 que ce type de situation se produisait fréquemment durant cette période de
12 crise. Le témoignage de M-056, aux pages 2 235 à 2 237 du compte rendu,
13 fait état d'une situation semblable impliquant certains postes au sein de
14 l'unité posebna.
15 L'histoire de l'unité du ministère de l'Intérieur appelée les Lions fournit
16 un autre exemple de situations qui existaient de facto sur le terrain bien
17 avant qu'elles soient officialisées. Je vous renvoie à la pièce P00074, une
18 décision prise par M. Boskoski le 6 août aux fins de créer un bataillon
19 d'intervention rapide composé de membres réguliers de l'unité spéciale de
20 la police, unité posebna, de membres des forces régulières de police et de
21 membres des forces de réserve de la police. Cette unité est devenue célèbre
22 sous l'appellation des Lions.
23 Jovanovski a déclaré lors de sa déposition qu'une majorité des
24 membres de cette unité provenait de l'unité posebna; page 4 909 du compte
25 rendu d'audience. Lors du contre-interrogatoire, Jovanovski a convenu que
26 la création de l'Unité des Lions ne s'est achevée qu'à la mi-novembre 2001
27 lorsque les membres de cette unité ont reçu leur contrat d'emploi au sein
28 du ministère de l'Intérieur; pages 4 907 à 4 911 du compte rendu
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1 d'audience.
2 Cependant, lorsqu'il s'est rappelé ces années, M. Boskoski a reconnu que
3 l'Unité des Lions opérait en tant qu'"unité de réserve spéciale du
4 ministère de l'Intérieur" bien avant le mois de novembre. Fin août 2001, M.
5 Boskoski a déclaré aux médias que : "Ces forces nouvellement constituées,
6 appelées les Lions, ne constituaient pas un groupe paramilitaire composé de
7 civils armés comme l'affirment les diplomates occidentaux," mais plutôt une
8 unité de réserve spéciale du ministère de l'Intérieur. Cette unité spéciale
9 de réserve, comme l'a expliqué M. Boskoski à l'agence Reuters, était
10 chargée de mener des opérations de "fouille et de destruction sur
11 l'ensemble du territoire de la Macédoine occidentale." Les personnes
12 retrouvées en possession d'armes devaient "être punies plus vigoureusement
13 que d'habitude."
14 Je vous renvoie à la pièce P00402, numéros ERN N000-9661 - N000-9685,
15 pages 6 à 8.
16 Ce qu'affirme M. Boskoski dans le livre dont il est l'auteur est étayé par
17 la transcription de la séquence vidéo portant la cote P00439, dans laquelle
18 il est question du lien entre M. Boskoski et l'Unité des Lions en novembre
19 2001.
20 Pour bien comprendre l'histoire des Lions, il convient également de se
21 pencher sur la pièce P00518, une note officielle portant la date du 22
22 septembre 2001 où l'on décrit la présence d'un "bataillon d'intervention
23 rapide" à l'école de police d'Idrizovo à l'époque, soit six semaines avant
24 la création officielle de cette unité au mois de novembre. Dans cette note,
25 il est également fait état des préoccupations selon lesquelles les forces
26 de police devaient empêcher que des recrues albanaises de souche n'entrent
27 à l'école de police.
28 Si des unités entières pouvaient opérer en 2001 de facto avant même leur
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1 création officielle de jure, il est alors indéniable que l'on pouvait
2 déployer des individus en tant que réservistes de la police qui étaient
3 subordonnées à la chaîne de commandement du ministère de l'Intérieur, et
4 ce, avant même que ces individus ne remplissent tous les critères officiels
5 ou administratifs de rigueur.
6 De surcroît, les arguments présentés par M. Boskoski, dans son mémoire en
7 clôture à propos de l'existence des conditions devant être remplies pour
8 devenir réservistes au sein de la police, ne cadrent pas avec le témoignage
9 présenté par l'expert ayant comparu au nom de M. Boskoski. Au paragraphe 46
10 de la pièce 1D00310, le professeur Taseva énonce les cinq conditions devant
11 être remplies avant qu'un individu ne puisse devenir un réserviste de la
12 police. L'une de ces conditions étant la délivrance de pièces d'identité.
13 Mais lorsque nous lisons le paragraphe 4 du mémoire en clôture de Boskoski,
14 il n'est plus fait mention de cette condition relative à l'identification
15 d'une pièce d'identité. L'Accusation en parle aux paragraphes 308 et 309 de
16 son mémoire en clôture. Si la Défense de Boskoski n'est pas d'accord avec
17 son propre expert sur la question, ou si l'expert en question s'est trompé
18 sur ce point, alors l'Accusation fait valoir respectueusement que la
19 Chambre devrait faire preuve de prudence avant d'accorder un poids
20 important à cet argument ou avant de s'y fier.
21 Mais imaginons de façon hypothétique qu'il faille prendre en compte les
22 conditions de jure relatives à la mobilisation au sein des forces de
23 réserve de la police mentionnées par Boskoski au paragraphe 4 de son
24 mémoire s'agissant des réservistes mentionnés, en rapport avec les
25 préparatifs de défense menés au niveau du SVR.
26 L'Accusation reconnaît que de nombreux éléments de preuve ont été
27 présentés faisant mention de listes de réservistes tenues par le ministère
28 de la Défense et par le département chargé des préparatifs de la défense au
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1 sein du ministère de l'Intérieur; pages 1 453 à 1 455 du compte rendu
2 d'audience.
3 Cependant, nous savons, après avoir examiné la note officielle de M.
4 Tarculovski du mois de mai 2003, numéro ERN N000-8922, qui fait partie de
5 la pièce P00370 [comme interprété], que les policiers de réserve qui
6 l'avaient accompagné à Ljuboten étaient enregistrés auprès des forces de
7 réserve en tant que volontaires. Les preuves montrent que ces réservistes
8 volontaires de la police ont été soumis à un processus de vérification qui
9 supposait que l'on vérifie certaines informations les concernant figurant
10 dans les listes tenues par le département chargé des préparatifs de la
11 défense au sein du ministère de l'Intérieur.
12 Pourrait-on passer brièvement à huis clos partiel.
13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Huis clos partiel.
14 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
15 [Audience à huis clos partiel]
16 (expurgé)
17 (expurgé)
18 (expurgé)
19 (expurgé)
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 [Audience publique]
24 M. SAXON : [interprétation] Le département chargé des préparatifs de la
25 défense au sein du ministère de l'Intérieur disposait de données
26 communiquées par le ministère de la Défense au sujet de chaque volontaire
27 donné qu'il a examiné puis vérifié, afin de déterminer si les volontaires
28 en question avaient des antécédents judiciaires. Page 1 455 du compte rendu
Page 11022
1 d'audience, et nous vous renvoyons également au témoignage de M-083 à la
2 page 1 419 du compte rendu d'audience.
3 Les éléments de preuve produits prouvent que les personnes ayant des
4 casiers judiciaires n'ont été mobilisées au sein des forces de réserve de
5 la police que sur ordre de supérieurs du ministère de l'Intérieur. Je vous
6 renvoie au témoignage de M-052, pages 8 272 à 8 274 du compte rendu, à
7 celui de M-053, pages 1 895, et à celui de M-084, page 1 475 du compte
8 rendu d'audience.
9 (expurgé)
10 (expurgé) à ce processus avec le groupe de réservistes et de volontaires
11 qui s'est présenté à l'OVR de Cair le 10 et le 11 août. Certains de ces
12 individus ont participé à l'opération de Ljuboten, comme il ressort des
13 pages 1 461 et 1 462 du compte rendu d'audience. Avant cela, les 25 et 26
14 juillet, Miodrag Stojanovski s'est livré à un exercice quelque peu
15 différent avec le groupe de volontaires qui provenait de l'agence de
16 sécurité Kometa. Ce groupe s'est présenté au poste de police de PSOLO en
17 compagnie de Johan Tarculovski. Pages 6 804 à 6 806 du compte rendu ainsi
18 que page 6 830 du compte rendu d'audience.
19 Sur ordre des supérieurs hiérarchiques de M. Stojanovski, on a remis à ces
20 volontaires des armes et on les a renvoyés sur une autre installation du
21 ministère de l'Intérieur afin qu'ils remplissent des questionnaires
22 réservés aux policiers de réserve. Donc des procédures ont bel et bien été
23 suivies pour mobiliser ces volontaires au sein du ministère de l'Intérieur.
24 Page 6 839. Donc l'anarchie ne régnait pas. Bien au contraire, il s'agit
25 d'une procédure contrôlée qui relevait de la chaîne de commandement du
26 ministère de l'Intérieur.
27 Les articles pertinents de la Loi sur les affaires intérieures, qui
28 constituent la pièce P00086, à propos de la mobilisation des réservistes de
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1 la police, ne disposent pas que l'instruction est une condition préalable
2 pour qu'un individu devienne policier de réserve. L'article 46 de cette
3 même loi prévoit que le ministère peut mobiliser des réservistes aux fins
4 d'instructions, aux fins d'exercices de manœuvre, ou eu égard aux
5 circonstances décrites à l'article 45 de cette loi, où il est dit que les
6 réservistes de la police peuvent être mobilisés en cas de guerre, en
7 situations d'urgence ou lorsque l'ordre public est menacé à grande échelle.
8 Il n'est pas dit dans cette loi qu'un futur policier de réserve doit suivre
9 une instruction avant de devenir réserviste.
10 De même, le règlement portant sur les modalités de convocation et
11 d'engagement des membres des réservistes du ministère, pièces 1D00154
12 [comme interprété] et 1D00356, ne fait absolument pas mention du fait qu'il
13 faut d'abord suivre une instruction avant de rejoindre les forces de
14 réserve de la police. L'article 2 de cette pièce se lit comme suit : "Les
15 membres des forces de réserve du ministère participent aux exercices et aux
16 autres formes d'entraînement professionnel organisés par le ministère."
17 En d'autres termes, l'on devient d'abord membre des forces de réserve
18 avant de pouvoir participer à des exercices et à des entraînements.
19 L'article 3 de ce même texte va dans le même sens, premier paragraphe, je
20 cite : "La convocation de membres du ministère aux fins de participer à des
21 exercices ou à d'autres formes d'entraînement professionnel ou afin
22 d'exercer les activités visées à l'article 2, point 2 du règlement, est
23 organisée par le ministère à titre individuel ou à titre collectif."
24 Troisième paragraphe de l'article 3, je cite : "Les convocations
25 délivrées à titre individuel aux fins d'exercices ou d'autres formes
26 d'entraînement professionnel sont délivrés par le ministère aux membres des
27 forces de réserve du ministère."
28 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, les lois et
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1 décrets du ministère prouvent bien que l'on doit être membre des forces de
2 police de réserve avant de suivre un entraînement.
3 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, rien dans la
4 Loi sur les Affaires intérieures ou dans les décrets du ministère de
5 l'Intérieur ne nécessite qu'un réserviste reçoive une compensation avant
6 d'être déployé en tant que réserviste de la police. L'article 47 [comme
7 interprété] de la Loi sur les Affaires intérieures, P00086,
8 dispose que les membres des forces de réserve du ministère de l'Intérieur
9 "ont le droit" de recevoir une indemnité pour leurs services accomplis dans
10 les forces de réserve.
11 A l'occasion du témoignage du général de police Zoran Jovanovski, on
12 a vu les choses sous un autre angle. Au bas de la page 4 917 du compte
13 rendu d'audience, mon confrère a posé la question suivante à M. Jovanovski,
14 je cite :
15 "Question : Afin de devenir membre des forces de réserve de la
16 République de Macédoine, est-il exact qu'il est d'abord nécessaire de
17 répondre à une convocation ou de se porter volontaire dans l'éventualité où
18 la convocation serait publique ?
19 "Réponse : Oui.
20 "Question : Et pour recevoir des armes et un uniforme ?
21 "Réponse : Oui.
22 "Question : Puis, de suivre une brève instruction, laquelle, en 2001, se
23 déroulait à Idrizevo, de recevoir un document d'identité provenant des
24 forces de réserve, et d'être inscrit sur la liste des employés afin de
25 recevoir la rémunération prévue pour les forces de réserve ?
26 "Réponse : Oui. Lorsque les membres des forces de réserve sont déployés
27 pendant plus d'un mois, et lorsque leur emploi régulier est suspendu et
28 qu'ils reçoivent leur salaire du ministère de l'Intérieur."
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1 Il ressort du témoignage du général Jovanovski qu'un réserviste de la
2 police pouvait être engagé pendant moins d'un mois sans être inscrit sur la
3 liste des employés du ministère de l'Intérieur.
4 Enfin, au paragraphe 4 du mémoire de Boskoski, il est question des
5 conditions relatives à l'âge, or aucune preuve présentée lors de ce procès
6 n'indique que les hommes qui ont suivi M. Tarculovski à Ljuboten le 12 août
7 2001 étaient des mineurs ou des personnes âgées. Donc cette condition n'est
8 pas applicable en l'espèce.
9 J'en viens maintenant à un autre sujet. Aux pages 341 à 353 de son mémoire
10 en clôture, l'Accusation fait état des nombreuses preuves qui démontrent
11 que M. Boskoski savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés
12 étaient responsables des crimes reprochés dans l'acte d'accusation. Je n'ai
13 pas l'intention de m'appesantir sur ces documents aujourd'hui, mais je suis
14 tout à fait prêt à répondre à vos questions éventuelles sur ce point.
15 J'en viens maintenant au troisième volet relatif à la responsabilité du
16 supérieur hiérarchique. J'aborde maintenant le fait que M. Boskoski ne
17 s'est pas acquitté de son obligation de punir les responsables de crimes.
18 Aux paragraphes 353 à 390 de son mémoire en clôture, l'Accusation
19 fait état d'éléments de preuve qui démontrent que M. Boskoski ne s'est pas
20 acquitté de son obligation de prendre toutes les mesures nécessaires et
21 raisonnables pour punir ceux de ses subordonnés qui ont commis les crimes
22 reprochés dans l'acte d'accusation. Je souhaiterais aujourd'hui avancer
23 quelques arguments supplémentaires sur ce point.
24 Lorsque l'Accusation a démontré que l'accusé savait ou avait des
25 raisons de savoir que l'un de ses subordonnés était sur le point de
26 commettre un crime, ou l'avait déjà fait, la doctrine de la responsabilité
27 du supérieur hiérarchique ne nécessite pas que l'Accusation prouve d'autres
28 éléments relatifs à l'intention de l'accusé. Cependant, en l'espèce, les
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1 éléments de preuve présentés démontrent que M. Boskoski était déterminé à
2 veiller à ce qu'aucun de ses subordonnés ne soit tenu responsable des
3 crimes reprochés dans l'acte d'accusation. Il est important de prendre cet
4 élément en compte s'agissant du troisième volet de la responsabilité du
5 supérieur hiérarchique.
6 Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Juges, il est souvent
7 possible de dire si quelqu'un est conscient du fait que ses actions ne sont
8 pas justifiées ou, en l'occurrence, les actions commises par les
9 subordonnés, au vu de la manière dont ils cherchent à les expliquer.
10 Je vous renvoie au mémoire de M. Boskoski, P00402, N000-9794, N000-
11 9711, page 6, je cite : "Vous savez pertinemment que la Macédoine et le
12 peuple macédonien sont mécontents de la manière dont la communauté
13 internationale se comporte à l'intérieur de notre pays et au sujet de son
14 point de vue concernant la Macédoine. En particulier, elle n'est pas
15 d'accord avec les tentatives permanentes cherchant à mettre sur un pied
16 d'égalité la victime et l'agresseur. Le Tribunal politique de La Haye est
17 une invention géniale qui n'a rien à voir avec les droits de l'homme. C'est
18 une farce. Pourquoi ? Parce qu'on s'en sert pour incriminer les forces de
19 sécurité macédoniennes à propos de crimes allégués qui auraient été commis
20 à Ljuboten alors que les forces de sécurité macédoniennes ont, en réalité,
21 cherché à sauver Ljuboten."
22 Je vous renvoie également au libellé de P00378 [comme interprété] qui est
23 le rapport établi par la commission de 2001, mise sur pied par M. Boskoski
24 pour se pencher sur les circonstances de ces événements et analyser les
25 activités du ministère de l'Intérieur à Ljuboten, page 3, je cite : "Dans
26 pareilles situations, on ne peut pas ignorer le fait que dans de telles
27 circonstances, il y a l'élément humain qu'il faut prendre en compte et la
28 réaction naturelle de survie lorsqu'on est réellement menacé. C'est
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1 précisément cet élément qui, dans le cadre des actions et activités menées
2 au village de Ljuboten, a permis de déséquilibrer le lien entre l'attaque
3 et la défense dans un nombre négligeable d'événements isolés et dans des
4 limites tolérables."
5 De même, dans la pièce P00531, opinion du gouvernement macédonien datant de
6 novembre 2001, M. Boskoski a proposé que le gouvernement de Macédoine
7 refuse de soutenir une résolution provenant d'un parti politique albanais
8 de souche et critiquant l'utilisation de la force par les membres du
9 ministère de l'Intérieur. M. Boskoski a fait valoir que le nombre de cas où
10 la force avait été utilisée de façon excessive n'était pas significatif,
11 "notamment compte tenu de la situation actuelle en matière de sécurité dans
12 le pays."
13 Néanmoins, les lois de la guerre font valoir qu'un pays peut effectuer de
14 façon tout à fait correcte des campagnes militaires sans commettre de
15 crimes. Ce principe est d'ailleurs décrit dans l'article : "Responsabilités
16 de commandement en matière de crimes de guerre," dans le "Yale Law
17 Journal", numéro 82, 1 274, auquel il est fait référence dans le mémoire en
18 clôture de Boskoski à la note de pied de page 966.
19 M. Boskoski a essayé de rationaliser les erreurs de conduite de ses
20 subordonnés, qui étaient tout à fait contraires au droit international, et
21 cela illustre non seulement qu'il savait bien qu'ils commettaient des
22 crimes, mais qu'il voulait lui-même minimiser ces événements en les faisant
23 passer pour quantité négligeable.
24 En effet, la mention même de crimes commis contre des Albanais de souche
25 faisait que M. Boskoski n'essayait pas lui de remédier à ces problèmes,
26 mais en revanche d'attaquer les messagers qui apportaient les nouvelles. A
27 deux reprises à la télévision en janvier 2002, M. Boskoski a appelé le
28 dirigeant du comité macédonien à Helsinki, l'ennemi public numéro 1, en
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1 effet, parce que cette personne faisait rapport de tous les abus qui
2 avaient été commis contre les Albanais de souche. Nous apprenons cela de M.
3 Bouckaert aux pages 3 262 et 3 195 du compte rendu.
4 De plus, M. Boskoski n'a fait aucun effort pour enquêter ou pour punir les
5 allégations très détaillées d'abus épouvantables commis par ses subordonnés
6 entre les 12 et 14 août 2001. De façon tout à fait perverse et de façon
7 aussi tout à fait efficace, M. Boskoski a attaqué les innocents et a
8 protégé les coupables.
9 Le message et les intentions de M. Boskoski n'ont absolument pas changé
10 pendant tout le printemps de 2002. Dans la pièce P00277, il s'agit d'un
11 clip vidéo montrant un discours de M. Boskoski devant les Lions le 7 mai
12 2002, et je cite ce qu'a dit M. Boskoski : "Je sais que ces accusations
13 vont perdurer, mais le public macédonien se demande pourquoi tout cela.
14 C'est pour défendre la patrie, c'est pour défendre l'ordre constitutionnel.
15 Mais que voulons-nous condamner ? Non, la seule chose à condamner c'est la
16 trahison, la trahison qui ne pourra perdurer."
17 Les éléments de preuve montrent bien que l'intention de Boskoski vis-à-vis
18 de Ljuboten est importante. En effet, il ne voulait pas suivre ses
19 obligations légales. Il voulait éviter, en fait, ses obligations. Il a
20 réussi à les éviter, d'ailleurs. Il n'a absolument pas rempli les exigences
21 nécessaires pour une enquête correcte, ni lui, ni ses subordonnés, et ceci
22 montre bien que M. Boskoski et ses collègues ne voulaient absolument pas
23 identifier quels étaient les membres du ministère de l'Intérieur qui
24 avaient commis les crimes aux environs de Ljuboten et à Skopje. Comment
25 peut-on expliquer, sinon autrement qu'il n'ait pas voulu rentrer dans les
26 détails et aller au fond des choses ?
27 Si M. Boskoski avait insisté pour que des enquêtes soient faites de
28 façon correcte et compétente, il aurait dû alors affronter sa propre
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1 responsabilité en tant que supérieur hiérarchique pour les actions
2 effectuées par ses subordonnés.
3 Tout ceci montre bien quelles étaient les intentions de M. Boskoski au
4 cours de 2001 et de 2002, et tout ceci explique et souligne que M. Boskoski
5 n'a absolument pas voulu remplir ses obligations en tant que supérieur
6 hiérarchique à propos des crimes qui lui sont reprochés dans l'acte
7 d'accusation.
8 Maintenant pour parler plus spécifiquement de ce qu'il n'a pas fait. Je
9 tiens à vous dire, Mesdames et Messieurs les Juges, qu'il n'a même pas
10 voulu dénoncer ces crimes. De ce fait, il n'a même pas décidé de prendre
11 les mesures les plus simples qui étaient évidentes pour lui et qui lui
12 auraient permis d'identifier et de punir les auteurs.
13 L'Accusation n'accepte pas le fait que le ministère de l'Intérieur n'a pas
14 pu poursuivre ou conduire une enquête correcte parce que le ministère
15 public et les juges d'instruction avaient eu vent de la mort de cinq
16 personnes à Ljuboten, le 12 août. Comme nous en avons parlé dans notre
17 mémoire, au paragraphe 381, le ministère de l'Intérieur n'a donné des
18 informations à la branche judiciaire qu'à propos d'allégations d'actes de
19 terrorisme qui auraient été commis par des résidents albanais de souche à
20 Ljuboten. Le ministère de l'Intérieur n'a donné aucune information à la
21 branche judiciaire à propos de crimes qui auraient été commis contre les
22 Albanais de souche le 12 août et les jours suivants. Pour paraphraser, le
23 Témoin M-052, et je cite : "Tout le monde était là et tout le monde a tout
24 vu."
25 Mais aucun membre du ministère de l'Intérieur n'a alerté les
26 ministères publics ou le juge d'instruction pour leur faire savoir ce qui
27 s'était passé. C'est M. Boskoski qui était responsable de cette
28 défaillance.
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1 Mais même, pour la beauté de l'argument, si on pensait que la branche
2 judiciaire avait fait tout ce qu'il fallait faire pour enquêter sur les
3 événements dont il est fait allusion dans l'acte d'accusation, M. Boskoski
4 aurait pu en faire un peu plus. Par exemple, pièce P00096, manuel sur la
5 façon d'effectuer les choses au ministère des Affaires intérieures,
6 l'article 173 dispose, et je cite : "Un rapport spécial auprès du ministère
7 public compétent sera soumis en tant que supplément aux accusations
8 criminelles si une fois l'acte d'accusation dressait de nouvelles preuves
9 ou de nouveaux indices sont découverts."
10 En l'espèce, si le ministère des Affaires étrangères [comme interprété]
11 avait fait une enquête sérieuse, il aurait pu fournir des faits à propos
12 des crimes ou des faits à propos des allégations sur des crimes qui
13 auraient pu exister au ministère public. En tant que ministre d'ailleurs,
14 M. Boskoski avait la possibilité de donner des instructions à ses
15 subordonnés pour qu'ils fournissent ce "rapport spécial" au ministère
16 public. Mais M. Boskoski a plutôt préféré nier totalement que quoi que ce
17 soit se soit passé ou il a préféré minimiser la portée des erreurs de
18 conduite qui auraient pu être effectuées.
19 Le ministère des Affaires intérieures aurait pu soumettre une copie
20 aussi du rapport de "Human Rights Watch," qui est maintenant au dossier
21 d'ailleurs, au juge d'instruction ou ministère public. Mais lorsque l'on
22 regarde le dossier au tribunal de première instance de Skopje, c'est-à-dire
23 la pièce P46 à P55, on voit bien que ceci n'a pas été fait.
24 Etant donné que M. Boskoski devait tout d'abord enquêter et ensuite punir,
25 on voit bien qu'il ne pouvait pas compter sur les résultats de sa propre
26 commission d'enquête vu qu'elle n'était pas proprement constituée.
27 Le président de la Macédoine en 2001, Boris Trajkovski, a déclaré aux
28 représentants de la communauté internationale en novembre qu'il n'avait
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1 aucune confiance envers les commissions du gouvernement macédonien parce
2 qu'ils n'arrivaient à rien. Ceci se trouve dans la pièce 1D00211. C'est
3 absolument essentiel pour deux raisons. Tout d'abord, parce que cela
4 illustre le fait que les commissions qui avaient été mises sur pied pour
5 remédier à des problèmes, comme par exemple la conduite des forces du
6 ministère de l'Intérieur à Ljuboten, n'étaient que des façades;
7 deuxièmement, cela illustre implicitement que même le président qui était
8 membre du même parti politique que M. Boskoski, il n'avait aucune
9 confiance. Même le président n'avait aucune confiance dans la commission
10 mise sur pied par M. Boskoski pour étudier ce qui s'était passé dans le
11 village de Ljuboten et pour étudier la conduite des subordonnés de M.
12 Boskoski dans ce village.
13 La coopération, ou le manque de coopération, des victimes albanaises de
14 souche, victimes des crimes commis entre le 12 et le 14 août avec les
15 autorités macédoniennes ne sont pas une excuse permettant à M. Boskoski de
16 ne pas prendre toutes les mesures raisonnables et nécessaires pour punir
17 les auteurs. Par exemple, dans le jugement rendu dans l'affaire Maritza
18 Urrutia contre le Guatemala le 27 novembre 2003, le tribunal
19 interaméricain des droits de l'homme a noté, au paragraphe 104(d), que :
20 "L'obligation d'ouvrir une enquête ne peut pas dépendre d'une décision
21 prise par la victime."
22 Messieurs, Madame le Juge, cette situation de sécurité extrêmement complexe
23 qui existait en Macédoine en 2001 et en 2002 n'a pas empêché le ministère
24 de l'Intérieur d'effectuer une enquête beaucoup plus précise à propos des
25 allégations des crimes décrits dans l'acte d'accusation. Vous avez entendu
26 le témoignage du procureur de la république, Vilma Ruskovska, aux pages
27 1 523 et 1 524. Elle a décrit comment, à l'été 2001, elle a reçu des
28 menaces téléphoniques venant de l'ALN. Elle a décrit aussi la peur qu'elle
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1 a ressentie en entendant ces menaces. Mais Mme Ruskovska a quand même
2 poursuivi son travail, parce que, et je la cite : "en tant que procureur,
3 c'est notre lot. On est menacé, mais il faut poursuivre notre travail tout
4 en gardant cela à l'esprit. Soit on accepte notre travail tel qu'il est ou
5 alors on démissionne."
6 Ce même principe devait s'appliquer à M. Boskoski ainsi qu'aux
7 membres du ministère de l'Intérieur. Mais M. Boskoski est resté à son
8 poste, avec toutes les obligations, tous les pouvoirs et aussi toutes les
9 responsabilités que demandait ce poste, pendant toute la période de
10 référence décrite à l'acte d'accusation.
11 De plus, le fait que le gouvernement de Macédoine n'avait pas mis sur
12 pied à l'époque un programme de protection des témoins n'excuse pas le fait
13 que M. Boskoski n'ait pas rempli parfaitement ses obligations en l'espèce.
14 En effet, le ministre Boskoski avait suffisamment de pouvoir pour pouvoir
15 protéger ces témoins.
16 J'aimerais vous montrer une séquence vidéo. Il s'agira de la pièce
17 P00277. Ceci a été filmé en novembre 2001. On voit les membres des Unités
18 des Lions, des Tigres et de la posebna dans le cadre d'une manœuvre qui
19 s'est faite devant M. Boskoski et le premier ministre.
20 [Diffusion de la cassette vidéo]
21 M. SAXON : [interprétation] Nous avons vu des policiers. Nous avons vu
22 qu'ils étaient extrêmement bien armés.
23 Pouvons-nous maintenant continuer.
24 [Diffusion de la cassette vidéo]
25 M. SAXON : [interprétation] Nous voyons un grand nombre de véhicules
26 aussi.
27 Pouvons-nous poursuivre la séquence vidéo.
28 [Diffusion de la cassette vidéo]
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1 M. SAXON : [interprétation] On voit qu'il y a les véhicules de police à
2 gauche et les officiers de police au centre de ces manœuvres.
3 Donc, il s'agissait du programme de protection des témoins de M.
4 Boskoski. Il aurait pu choisir de l'employer puisque c'étaient des unités
5 qui existaient bien avant tout ce qui s'est passé à Ljuboten. Etant donné
6 les effectifs dont ils disposaient ainsi que les armes, le fait qu'ils
7 avaient des transports de troupes blindés, qu'ils avaient énormément
8 d'équipement leur venant du ministre de l'Intérieur, il aurait été
9 extrêmement facile pour eux de protéger leurs témoins.
10 D'ailleurs, le 12 août, grâce à un coup de téléphone passé auprès du
11 ministre, un Hermelin, donc un véhicule de transport de troupes Hermelin, a
12 été obtenu pour la protection des officiers de police qui ont attaqué
13 Ljuboten. Le Hermelin a permis de protéger les troupes, sauf une. Puisqu'il
14 y avait un réserviste de police particulièrement peu habile, Aleksander
15 Janevski appelé Kunta le jeune ou Kunta junior, qui s'est tiré dans le
16 pied, et c'est d'ailleurs la seule victime dans les rangs de la police ce
17 jour-là. Et vous trouverez ceci aux pages 8 288 à 8 289, et 8 293 à 8 295.
18 Fort heureusement, il y avait ce véhicule Hermelin qui était disponible et
19 qui a permis d'emmener rapidement le jeune Kunta à la maison de Brace. Vous
20 trouverez cela à la page 864 et 865.
21 Finalement, j'aimerais attirer votre attention sur la pièce P00148,
22 qui est une note officielle du ministère de l'Intérieur en date du 14 août
23 2001, qui indique que les personnels du ministère de l'Intérieur ont pu
24 obtenir des informations extrêmement importantes de la part d'une personne
25 née à Ljuboten sur ce qui s'était passé à Ljuboten le 12 août, informations
26 du style l'identité des personnes qui avaient été tuées à Ljuboten. Donc le
27 ministère de l'Intérieur avait accès à des informations, à toute
28 information, même dans l'ambiance extrêmement tendue qui régnait après les
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1 événements du 12 août. Vous trouverez ceci d'ailleurs à la pièce 1D189, qui
2 est un document identique en date du 15 novembre 2001.
3 M. Boskoski était tout à fait en mesure de s'assurer que les
4 officiers de police qui avaient commis des crimes du 12 au 14 août soient
5 sanctionnés. D'ailleurs, les pièces P00523 et P00530 fournissent la preuve
6 que M. Boskoski était parfaitement en mesure de sanctionner ses subordonnés
7 quand il le voulait. Deux pièces d'ailleurs le montrent bien.
8 Si nous pouvions maintenant -- non, je vais plutôt essayer de faire
9 cet exercice toujours en audience publique. Nous allons faire référence à
10 la pièce P00526, où l'on trouve le compte rendu des sanctions
11 disciplinaires engagées contre l'ex-chef de l'unité de police spéciale les
12 Tigres. Si on voit la première page de la pièce ERN N006-6076 à 6077, on
13 voit bien l'efficacité du ministère de l'Intérieur, même au sein d'un
14 conflit armé.
15 Il y avait un incident qui impliquait ce commandant à Vaksince. C'est
16 un incident qui a eu lieu le 25 mai 2001. Le directeur de la section de
17 sécurité publique de l'état-major, M. Mitevski, a soumis une proposition
18 demandant d'engager des sanctions disciplinaires au sein du comité
19 disciplinaire permanent du ministère de l'Intérieur, le 30 mai. Et le 9
20 juillet 2001, donc 45 jours après que cet incident à Vaksince ait eu lieu,
21 et après certaines procédures, le ministère a signé une décision confirmant
22 la sanction contre la personne en question. Donc le système pouvait très
23 bien fonctionner, même dans le cadre d'un conflit armé, lorsque les
24 dirigeants du ministère de l'Intérieur le voulaient bien.
25 J'aimerais aussi attirer votre attention sur la pièce P00528, procédures
26 disciplinaires engagées au début 2002 contre un membre de la police et des
27 unités de police régulière, ainsi que contre un réserviste de la police. Le
28 dirigeant de l'OVR Cair à l'époque a soumis des rapports au pénal au
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1 ministère public portant sur ces deux personnes.
2 Mes collègues qui ont parlé avant moi ont parlé d'une série de crimes qui
3 ont eu lieu entre les 12 et 14 août 2001, et au cours de vos délibérations,
4 j'aimerais que vous ne vous penchiez pas uniquement sur cette série de
5 crimes, mais surtout sur la série d'événements qui ont eu lieu après ces
6 crimes. Ceci montre que les forces du ministère de l'Intérieur ont bel et
7 bien été impliquées à Ljuboten, qu'ils ont bel et bien commis les crimes
8 aux alentours de Ljuboten et dans Ljuboten ainsi qu'aux alentours de
9 Skopje. Les éléments de preuve montrent que le ministère de l'Intérieur n'a
10 pas réussi, que M. Boskoski lui-même n'a pas réussi, n'a pas voulu conduire
11 les enquêtes qui s'imposaient.
12 Les éléments de preuve montrent que rien n'a été fait à propos de ces
13 crimes qui auraient eu lieu, que rien n'a été renvoyé devant l'autorité
14 judiciaire. Les éléments de preuve montrent aussi que tout ceci a eu lieu
15 aussi avant le 12 août ainsi qu'après le 14 août, dans le cadre de
16 brutalité policière à l'encontre des civils albanais de souche.
17 Donc l'Accusation considère que tous les éléments de preuve montrent bien
18 que M. Boskoski n'a pas rempli son obligation qui était de prendre toutes
19 les mesures nécessaires et raisonnables pour enquêter au sujet de ces
20 allégations et pour sanctionner les auteurs des crimes.
21 Maintenant, à moins que vous ayez des questions, je vais passer la parole à
22 ma collègue, Mme Regue.
23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.
24 [La Chambre de première instance se concerte]
25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous avons toujours la même question.
26 Pensez-vous qu'il vaut mieux faire la pause maintenant ou faire la pause à
27 l'heure habituelle ?
28 M. SAXON : [interprétation] Je pense qu'il serait bon de faire la pause
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1 tout de suite.
2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Nous allons donc faire la
3 pause et nous reprendrons à 17 heures 45.
4 --- L'audience est suspendue à 17 heures 16.
5 --- L'audience est reprise à 17 heures 47.
6 Mme REGUE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président.
7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Regue.
8 Mme REGUE : [interprétation] Bonjour. Je voudrais traiter du sujet du
9 conflit armé qui est une exigence, une condition préalable pour application
10 de l'article 3. Je diviserai ma présentation en trois blocs. Premièrement,
11 je traiterai très rapidement des critères juridiques exigés; deuxièmement,
12 je mettrai l'accent sur les éléments de preuve les plus pertinents relatifs
13 à l'organisation de l'ALN en tant que groupe armé et en même temps, je
14 traiterai de certaines écritures proposées par mes confrères de la Défense
15 dans leur mémoire; et enfin en troisième point, je mettrai en avant les
16 faits les plus importants qui ont un rapport avec l'intensité du conflit.
17 Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, je n'ai pas l'intention
18 de répéter les éléments de preuve déjà abordés par l'Accusation dans son
19 mémoire en clôture, par conséquent en cas d'omission, je vous renvoie aux
20 paragraphes 391 à 504 où il est question du conflit armé.
21 Commençons par les critères juridiques.
22 Les critères appliqués à l'origine sont tirés de l'arrêt en appel du
23 procès Tadic qui stipule qu'un conflit armé existe chaque fois que l'on a
24 recours à une force armée entre Etats ou que de la violence est appliquée
25 de façon prolongée entre des pouvoirs gouvernementaux et des groupes
26 organisés, ou si des violences prolongées existent dans des rapports entre
27 de tels de groupes à l'intérieur d'un Etat. Ces critères se concentrent sur
28 l'intensité du conflit premièrement et sur l'organisation des parties
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1 impliquées dans ce conflit deuxièmement.
2 Le critère de la présence d'un conflit armé prolongé a été interprété
3 dans la pratique comme relevant davantage de l'intensité de la violence
4 armée que de sa durée. A cet égard, je vous renvoie au jugement Haradinaj,
5 paragraphe 49. Par ailleurs, un certain degré d'organisation de la part des
6 parties suffit à établir l'existence d'un conflit armé. Pour l'essentiel,
7 l'objet principal de ce critère Tadic consiste à distinguer entre un
8 conflit armé, d'une part, et du banditisme ou des insurrections non
9 organisées et relativement brèves ou des actes terroristes qui ne relèvent
10 du droit international humanitaire.
11 L'Accusation a démontré au-delà de tout doute raisonnable que la
12 violence armée impliquant un recours à grande échelle d'armes classiques
13 entres les forces de sécurité macédoniennes et l'ALN, en tout cas dans la
14 période allant de janvier à septembre et impliquant le mois d'août 2001, a
15 constitué un conflit armé d'une échelle qui permet de répondre de façon
16 positive à l'application du critère Tadic eu égard à l'intensité de ce
17 conflit. Je renvoie les Juges de cette Chambre aux paragraphes 396 à 444 du
18 mémoire en clôture de l'Accusation. En deuxième lieu, les éléments de
19 preuve démontrent au-delà de tout doute raisonnable que l'ALN possédait une
20 structure militaire organisée et hiérarchisée au sein d'une filière de
21 commandement existante impliquant l'existence d'une logistique, et que cela
22 n'avait rien à voir avec un groupe armé organisé qui aurait pu intervenir
23 dans un conflit armé interne. Je renvoie les Juges de cette Chambre aux
24 paragraphes 445 à 498 du mémoire en clôture de l'Accusation.
25 L'Accusation a également prouvé l'existence d'un lien entre les crimes et
26 le conflit armé, les deux accusés étant conscients de l'existence d'un
27 certain nombre de faits caractéristiques du conflit macédonien et ayant
28 conscience de l'existence que ce conflit armé a joué un rôle substantiel
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1 dans la capacité et la décision des accusés de commettre les crimes.
2 Enfin, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, les quatre
3 critères Tadic décrit dans l'arrêt en appel de ce Tribunal, paragraphe 94,
4 sont également satisfaits. Je renvoie les Juges de la Chambre aux
5 paragraphes 501 à 503 du mémoire en clôture de l'Accusation à cet égard.
6 Je passerai maintenant, si vous le voulez bien, à la deuxième partie de mon
7 exposé qui porte sur l'organisation de l'ALN.
8 L'ALN avait une chaîne de commandement qui fonctionnait, elle avait
9 également une structure hiérarchique puisqu'elle était dotée d'un Grand
10 quartier général ainsi que de cinq brigades qui avaient été mises en
11 action, brigades qui avaient chacune son commandant, son quartier général
12 et sa zone d'opération. L'Accusation a démontré que Gzim Ostreni était chef
13 du Grand quartier général et que Shefajet comptait au nombre des membres de
14 ce Grand quartier général puisqu'il en était le porte-parole et chaque
15 brigade, je le répète, avait son propre commandant, son QG et sa zone
16 d'opération.
17 L'Accusation, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, a
18 démontré tous ces faits en faisant intervenir un certain nombre de témoins
19 qui ont été entendus de vive voix et en présentant des éléments de preuve
20 documentaires qui tous avaient une source crédible, ces sources étant
21 diversifiées.
22 Nous avons vu -- je vous renvoie à la pièce P487. La directive
23 produite par Gzim Ostreni qui concerne le début du mois de juin. Nous avons
24 également présenté la pièce P515 et trois cartes géographiques produites
25 par Gzim Ostreni qui avaient été fournies à l'OTAN et qui indiquent quelles
26 étaient les zones sous le contrôle de l'ALN au début du mois de juillet
27 2001. Mais nous avons également présenté des documents émanant du
28 gouvernement macédonien. C'est le cas, par exemple, de la pièce P485, nous
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1 avons présenté des éléments provenant de l'OTAN. C'est le cas des pièces
2 P493 et P321.
3 Donc, l'Accusation, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges,
4 affirme que tous ces documents sont fiables, pertinents et ont une valeur
5 probante qui permet d'établir l'existence d'une organisation qui avait pour
6 nom l'ALN. L'Accusation, par le biais de Gzim Ostreni, Nazim Bushi, ainsi
7 que par le biais du témoin expert de l'Accusation Viktor Bezruchenko, elle
8 a donc présenté les règlements de l'ALN qui avaient pour but d'organiser
9 cette structure pour répondre à ses besoins et fonctionner en tant qu'armée
10 organisée. Je renvoie les Juges de la Chambre au mémoire en clôture de
11 l'Accusation, paragraphes 475 à 482.
12 L'ALN avait la possibilité de parler d'une seule voix. Ce fait a été
13 démontré par l'examen des communiqués qui, en général, étaient publiés par
14 le grand quartier général et qui avait pour but d'informer l'opinion quant
15 au rôle de l'ALN et aux actions qu'elle entreprenait. Le document du
16 ministère de l'Intérieur, le livre blanc du ministère qui constitue la
17 pièce P45, reconnaît lui aussi l'existence des communiqués et reprend
18 d'ailleurs le texte de ces communiqués.
19 Je ne vais pas reprendre le contenu détaillé de tous ces documents,
20 mais je me concentrerai sur trois d'entre eux. D'abord, le communiqué
21 numéro 6, pièce à conviction P520 qui montre quels étaient les objectifs
22 principaux de l'ALN qui n'avaient pas pour but la destruction de la
23 Macédoine. L'ALN prétend que depuis le début du conflit armé, elle s'est
24 battue pour obtenir des droits égaux pour la population albanaise de
25 souche, grâce à des changements politiques, comme par exemple l'amendement
26 de la constitution. Mais le communiqué numéro 6 n'est pas le seul document
27 où nous voyons la définition du rôle de l'ALN.
28 L'accord de Prizren en est un autre. Accord conclut entre Ali Ahmeti
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1 et deux dirigeants masculins des partis politiques albanais représentés en
2 Macédoine. Je vous renvoie également aux documents adressés par Ahmeti à
3 Kofi Annan, à l'OTAN, à l'OSCE et à la Commission européenne qui sont
4 expliqués par Ostreni et reconnus par le porte-parole américain et par un
5 journaliste dans la pièce de la Défense 1D338, page 4.
6 Si nous comparons le texte de l'accord d'Ohrid, qui constitue la
7 pièce P84 avec le texte de ces trois documents, nous voyons immédiatement
8 que les exigences de l'ALN sont bien stipulées dans l'accord d'Ohrid même
9 si l'ALN n'était pas une partie signataire. Nous constatons donc qu'en
10 réalité, Ali Ahmeti restait en contact avec les parties qui négociaient et
11 qui ont obtenu la conclusion de cet accord.
12 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, l'ALN était
13 également considérée comme partie négociatrice valable par la communauté
14 internationale. La pièce P514 est encore un communiqué émis par Ali Ahmeti
15 qui explique que le retrait d'Aracinovo a été décidée de concert par Ahmeti
16 et par les représentants de l'OTAN et de l'Union européenne. Les pièces
17 P458 renvoient à l'accord conclu entre l'ALN et l'OTAN qui portait sur la
18 démobilisation de ce qu'il était convenu d'appeler l'ALN à l'époque qui,
19 ensuite, a été l'organisme responsable de l'opération.
20 Par conséquent, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges,
21 l'argument de Tarculovski que l'on trouve au paragraphe 58, selon lequel,
22 je cite : "La Défense a été incapable de tester l'organisation de ce
23 qu'elle est convenue l'ALN en raison de la non-existence d'un quelconque
24 document crédible pouvant constituer un élément de preuve." Cet argument
25 n'est pas valable.
26 Les règlements de l'ALN dont je viens de parler sont fiables,
27 pertinents et ont une valeur probante. L'auteur de ces règlements, Gzim
28 Ostreni, ainsi que le commandant de la brigade, Bushi, ont évoqué ce point
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1 dans leur déposition. Ils ont, au fil du temps, rédigé et diffusé auprès
2 des commandants de brigade par le biais du chef de grand état-major Gzim
3 Ostreni ces règlements entre le mois de mars et le mois d'avril 2001. Et
4 même et ça c'est exceptionnel, au début du mois de mai. Ostreni reconnaît
5 qu'il a utilisé ces règlements en tant que source de son texte des
6 documents de l'UCK, des règlements et autres documents en vigueur au sein
7 de la République d'Albanie.
8 Ostreni reconnaît aussi que toutes les institutions à créer n'étaient
9 pas prévues dans les règlements au début de leur application. Il a dit dans
10 sa déposition que l'ALN était une armée, autrement dit, un groupe organisé
11 en cours de développement et que celle-ci ne pensait pas que la guerre
12 s'achèverait aussi rapidement qu'elle s'est achevée.
13 J'appelle également l'attention de la Chambre sur le fait que le
14 sigle UCK traduit de l'albanais en anglais donne ALN. Par conséquent,
15 l'argument de Tarculovski que l'on trouve aux paragraphes 68 à 69 de son
16 mémoire, selon lequel les règlements de l'ALN ne sont qu'une simple copie
17 des règlements de l'UCK et des documents du KPC ne tient pas.
18 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, nombre de conflits
19 internes ont eu lieu qui ont opposé des groupes armés et des Etats ou
20 différents groupes armés. Malheureusement, les critères du droit
21 international humanitaire n'ont pas toujours été respectés au cours de ces
22 conflits.
23 Les armées allemandes et japonaises durant la Seconde Guerre
24 mondiale, les Américains au Vietnam et le régime d'Apartheid en Afrique du
25 Sud en sont de bons exemples.
26 Par conséquent, l'argument de Boskoski selon lequel la garantie de
27 l'application des critères humanitaires est un critère clé pour déterminer
28 l'existence d'un groupe armé organisé ne tient pas sur le fond. Paragraphe
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1 263 du mémoire.
2 J'aimerais maintenant appeler l'attention des Juges sur les
3 paragraphes 480 à 482 du mémoire en clôture de l'Accusation qui reprend les
4 éléments de preuve présentés au cours du procès, eu égard aux mesures que
5 l'ALN a prises pour garantir le respect des principes fondamentaux du droit
6 international humanitaire. Les règlements de l'ALN et les documents de
7 l'ALN stipulent l'obligation de respecter les conventions internationales
8 comme par exemple, les conventions de Genève durant les opérations
9 militaires et reconnaît la compétence du TPIY, pièce P00487, page 4. Pièce
10 P507 et puis nous avons également les règles de service de l'ALN qui
11 constituent la pièce P498. Et le document dont le numéro ERN est 062-6775,
12 page 6 et page 12.
13 Les règlements de l'ALN prévoyaient également des mesures
14 disciplinaires qui devaient être mises en œuvre au sein des brigades et des
15 bataillons par leur commandant respectif. Je renvoie les Juges aux règles
16 de service de l'ALN qui constituent la pièce P498, numéro ERN R062-6923,
17 pages 4 à 6. Pendant un certain temps, y compris, Monsieur le Président,
18 Madame, Monsieur les Juges, l'ALN a disposé d'une police militaire, mais
19 Ostreni a déclaré dans sa déposition que cette police militaire était
20 intégrée au sein de la brigade.
21 Ce qui ne veut pas dire que l'ALN n'avait rien à voir avec les
22 mesures disciplinaires éventuellement nécessaires pour maintenir le moral
23 des troupes à un niveau suffisant ou maintenir l'information de ces troupes
24 à un niveau suffisant. Cela ne veut pas dire non plus que l'ALN n'avait
25 rien à voir avec le sort des détenus mis en état d'arrestation ou durant
26 les périodes de formation initiale des nouvelles recrues à qui étaient
27 enseignées les lois de la guerre et les conventions internationales
28 relatives à la guerre et à qui était enseigné également le devoir de
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1 respecter les civils et les biens de ces civils.
2 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, l'ALN avait le
3 pouvoir, les moyens et la possibilité de mettre en œuvre les mesures
4 nécessaires au sein des diverses brigades au mois de juin 2001. Nous le
5 constatons à la lecture de la directive qui constitue la pièce à conviction
6 P87, directive produite par Ostreni et évoquée dans sa déposition.
7 Toutefois, le contexte politique à savoir la conclusion d'un accord de
8 cessez-le-feu ainsi que la conclusion de l'accord d'Ohrid rendait
9 impossible l'application pleine et entière de cette directive.
10 Cependant, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, les
11 éléments de preuve présentés au cours du procès ont prouvé que le Grand
12 quartier général de l'ALN avait la possibilité de mettre au point une
13 stratégie militaire unifiée et d'établir un plan et des éléments de
14 coordination destinés aux diverses brigades sur le terrain, brigades qui
15 tenaient plusieurs fronts.
16 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, je renvoie les
17 Juges de cette Chambre au paragraphe 29 de la pièce P497 ainsi qu'à la page
18 7 de la pièce P499.
19 Les brigades rendaient compte au Grand quartier général et c'était le Grand
20 quartier général qui émettait des ordres et des consignes transmis jusqu'au
21 niveau inférieur de la hiérarchie. Les membres de l'ALN avaient pour leur
22 part obligation d'exécuter ces ordres et ces consignes et je renvoie les
23 Juges de la Chambre aux règles de service de l'ALN, pièce à conviction
24 P498, numéro ERN R062-6774 page 13.
25 Les commandants des brigades étaient dans la même situation, ces
26 commandants se rencontraient et maintenaient le contact entre eux aux fins
27 de coordonner leurs opérations. La progression territoriale qui a eu lieu
28 au fil du temps ainsi que la réussite, le succès remporté sur le plan
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1 tactique au cours des opérations de l'ALN n'ont pu exister qu'en présence
2 d'un Grand quartier général apte à mettre en place une stratégie militaire
3 unifiée et à coordonner l'action des diverses brigades sur le terrain.
4 Je renvoie les Juges de la Chambre à un document d'évaluation, donc à
5 une étude de l'OTAN qui date de 2003, il s'agit de la pièce à conviction
6 P493, page 3 et page 12. L'OTAN y définit l'ALN comme une organisation bien
7 armée, disciplinée, extrêmement motivée qui jouit d'un soutien majoritaire
8 de la population locale. Eu égard à une brigade évoquée en particulier,
9 elle est évoquée comme étant extrêmement développée quant à son
10 organisation ce qui permet à cette brigade un fonctionnement efficace.
11 Par conséquent, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges,
12 l'argument de Boskoski que l'on trouve au paragraphe 263 de son mémoire
13 selon lequel des opérations concertées impliquant diverses brigades sont un
14 critère dont la nécessité doit être prouvée si l'on veut établir
15 l'existence d'un groupe armé organisé ne tient pas sur le fond. C'est peut-
16 être un argument pertinent, Monsieur le Président, mais ce n'est pas un
17 critère déterminant ou un critère clé.
18 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, l'ALN a bel et
19 bien mené des opérations simultanées sur plusieurs fronts. Par exemple, au
20 mois de juin, l'ALN opérait à Aracinovo et à Tetovo; au mois d'août, elle
21 opérait pratiquement sur tous les fronts en même temps. Au début du mois
22 d'août, elle se trouvait à Tetovo, pièce à conviction 1D229.1, on y voit
23 qu'elle était présente à Aracinovo également, pièce à conviction 1D239,
24 page 3. Elle était présente à Radusa, pièces à conviction P605 et P609; et
25 elle était présente et opérait également à Kumanovo, pièces à conviction
26 2D39 page 2 et 2D44, page 3.
27 Les rapports de l'UBK y compris rendaient compte de l'opération que menait
28 l'ALN dans cette période sur plusieurs fronts et je renvoie les Juges de la
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1 Chambre aux pièces à conviction 2D40, 2D44 et 2D49. Par conséquent,
2 l'argument de Tarculovski selon lequel les brigades de l'ALN n'avaient pas
3 la capacité d'opérer sur plusieurs fronts ou à divers lieux simultanément
4 ne tient pas. Je renvoie les Juges aux paragraphes 59 à 60 du mémoire
5 Tarculovski.
6 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, les éléments de preuve
7 présentés au procès ont démontré que les membres de l'ALN avaient
8 l'obligation de porter un uniforme lorsqu'ils participaient à des
9 opérations militaires. Toutefois, comme n'importe quel autre membre d'une
10 armée où qu'elle se trouve, lorsqu'ils étaient en permission, ils
11 revêtaient des vêtements civils. Bolton, page 1 698 et Bouckaert, page 3
12 218 du compte rendu d'audience ont dit dans leur déposition que chaque fois
13 qu'ils rencontraient des membres de l'ALN, ces hommes portaient l'uniforme.
14 Selon Bolton, c'est ce que l'on trouve en la page 1 699 du compte rendu
15 d'audience. Si un membre de l'ALN était un civil, il continuait à porter
16 son uniforme car c'était pour lui un signe distinctif démontrant qu'il
17 était membre de l'ALN.
18 Sur ce sujet, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, je vous
19 renvoie au mémoire de l'Accusation, paragraphes 471 à 472.
20 Par conséquent, l'argument Tarculovski sur ce point n'est pas fondé
21 et Tarculovski évoque ce point aux paragraphes 82 à 92 de son mémoire, mais
22 son argument n'est pas étayé par les éléments de preuve qui sont cités en
23 note de bas de page numéro 130.
24 Ostreni a été nommé chef du Grand quartier général par Ali Ahmeti. Il a agi
25 et était considéré par les membres de l'ALN et notamment par Bushi, ainsi
26 que par la communauté internationale et par les autorités macédoniennes
27 comme le chef d'état-major de l'ALN. Je renvoie les Juges de la Chambre à
28 la pièce P93, page 34. Ce document produit par l'OTAN évoque Ali Ahmeti
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1 comme étant chef du Grand quartier général de l'ALN. Je renvoie les Juges à
2 la pièce P485, page 3, document produit par le ministre de la Défense qui
3 le présente également comme chef du Grand quartier général de l'ALN.
4 Il est exact que Bushi quant à lui, a agi en tant que chef d'état-
5 major en émettant des consignes. Il relayait les ordres émanant d'Ali
6 Ahmeti, il recevait également les rapports émanant des commandants de
7 brigades. Il a participé à la rédaction des règlements, il a même émis des
8 communiqués et c'était l'homme avec qui la plupart des membres de l'ALN
9 avaient à traiter. Ainsi, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les
10 Juges, l'argument de Tarculovski au paragraphe 111 de son mémoire est
11 infondé.
12 Ostreni savait parfaitement, d'ailleurs il l'explique en page 69, ligne 5
13 que "Bushi agissait en tant que chef d'état-major en exercice." Mais ce
14 qu'il convient de lire c'est que "C'est Ostreni qui était le véritable chef
15 d'état-major."
16 Ostreni savait et a parfaitement bien expliqué où se trouvait le
17 quartier général du Grand état-major. Au départ, ce Grand quartier général
18 était situé à Beqir avant d'être déplacé à Prizren au Kosovo, alors que
19 d'autres éléments du Grand quartier général ont été déménagés ailleurs. Il
20 a dit cela dans sa déposition, pages 7 712 à 7 714 du compte rendu
21 d'audience, ainsi que dans la pièce à conviction P97, paragraphe 32. Il
22 savait également quels étaient les modes de communication utilisés entre
23 les commandants de brigades, à savoir le téléphone et internet. Ceci figure
24 aux pages 7 749 à 7 751 du compte rendu d'audience.
25 Il a également parlé dans sa déposition du nombre approximatif de pertes
26 humaines qui était de 68 hommes, ceci figure aux pages 7 749 à 7 751 du
27 compte rendu d'audience.
28 D'ailleurs, je corrige la référence que je viens de faire au sujet
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1 des modes de communication, il s'agit de la page 7 424 du compte rendu
2 d'audience et il est possible que Gzim Ostreni n'ait pas eu connaissance de
3 la structure exacte de l'ALN avant le mois de mars 2001, car il était à
4 l'étranger où il était chef d'état-major du KPC au Kosovo.
5 Par conséquent, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges,
6 les déclarations de Tarculovski à cet égard, que l'on trouve au paragraphe
7 64 de son mémoire, sont infondées.
8 Avant de passer à la troisième partie de mon exposé, j'aimerais traiter
9 rapidement de trois affirmations de la Défense. La première concerne
10 l'intention délictueuse de l'accusé eu égard aux conflits armés; la
11 deuxième, l'intention délictueuse des auteurs des actes récriminés; et la
12 troisième concerne la pertinence de la pratique mise en œuvre par l'Etat.
13 S'agissant de l'intention délictueuse des accusés, Monsieur le Président,
14 Madame, Messieurs les Juges, l'Accusation a démontré que les accusés
15 savaient ou avaient des raisons de savoir quels étaient les faits qui
16 caractérisaient le conflit armé et il appartiendra à la Chambre de première
17 instance de déterminer si les faits évoqués durant le procès sont bien
18 caractéristiques d'un conflit armé. Je renvoie les Juges de la Chambre à
19 l'arrêt en appel Naletilic, paragraphes 114 et 119.
20 L'Accusation a prouvé que Johan Tarculovski, un policier qui servait
21 d'escorte au président, savait ou des fois avait des raisons de savoir
22 quelles étaient les circonstances factuelles du conflit qui régnait en
23 Macédoine. Il a vu comment ses collègues, voire ses amis, ont été tués à
24 Ljubotenski Bacila. Il a même dirigé une opération militaire à Ljuboten en
25 disant qu'elle se déroulait en état de guerre.
26 Ljube Boskoski, lui aussi, savait ou à défaut avait des raisons de
27 savoir quelles étaient les circonstances factuelles dans lesquelles se
28 déroulait le conflit armé. Boskoski donnait des ordres, faisait des
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1 communiqués à la presse concernant les activités militaires. C'est lui qui
2 dirigeait les activités militaires sur le terrain régulièrement.
3 Partant l'argument de Boskoski selon lequel l'Accusation n'a pas
4 établi que : "Boskoski était au courant de l'existence d'un conflit armé et
5 savait quelle était la nature de ce conflit, puisque ni lui ni les
6 fonctionnaires du gouvernement n'ont été d'avis qu'un conflit armé
7 existait" est dénué de fondement.
8 Je renvoie les Juges aux paragraphes 458 à 470 du mémoire de
9 Boskoski. Tarculovski avance un argument semblable au paragraphe 117 de son
10 mémoire.
11 Monsieur le Président, Madame, et Messieurs les Juges, j'appelle
12 votre attention sur la note de bas de page 959 au paragraphe 467 du mémoire
13 de Boskoski. Afin d'étayer ses affirmations, Boskoski cite ses propres
14 mémoires, pièce P00402, numéro ERN N000-9607, page 31. Mais si nous lisons
15 cette page, nous constatons que le premier ministre, Ljubco Georgievski,
16 voulait déclarer l'état de guerre. Nous constatons comment Boskoski lui-
17 même a reconnu qu'il a travaillé 24 heures sur 24, sept jours sur sept, car
18 le conflit militaire était la première de ses préoccupations.
19 L'Accusation n'est pas tenue d'exclure la possibilité que Boskoski ait pu
20 commettre une erreur de droit ou de fait en toute bonne foi concernant la
21 question du conflit armé. L'Accusation doit simplement prouver que Ljube
22 Boskoski soit savait, soit avait des raisons de savoir quelles étaient les
23 circonstances factuelles qui prévalaient en Macédoine en 2001.
24 Il incombe à la Chambre de première instance de qualifier
25 juridiquement les circonstances en question. En prouvant que les accusés
26 étaient au courant des circonstances factuelles du conflit armé, vous
27 excluez la possibilité qu'une erreur de fait ait été commise. En ce qui
28 concerne une erreur de droit éventuelle, je vous renvoie aux paragraphes
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1 303 et 311 de l'arrêt Kordic où la Chambre d'appel a rappelé que les
2 accusés devaient être au courant des circonstances factuelles de l'espèce.
3 Par conséquent, l'argument avancé par Boskoski au paragraphe 471 de
4 son mémoire est dénué de fondement.
5 Monsieur le Président, Madame, et Messieurs les Juges, lorsqu'un
6 subordonné de l'accusé a commis un crime, l'Accusation doit prouver que
7 l'accusé savait ou avait des raisons de savoir quel était le statut de la
8 victime. Je renvoie la Chambre à l'arrêt Naletilic, paragraphe 114, note de
9 bas de page 257.
10 Par conséquent, l'argument de Tarculovski selon lequel l'accusé doit
11 être au courant du statut de la victime tel qu'avancé au paragraphe 125 de
12 son mémoire est dénué de fondement.
13 A présent, j'en viens à l'intention délictueuse de l'auteur du crime
14 évoquée par le conseil de Tarculovski au paragraphe 129 de son mémoire.
15 Lorsqu'un subordonné de l'accusé commet un crime, l'Accusation doit
16 prouver que l'auteur connaissait ou avait des raisons de connaître le
17 statut des victimes. Je vous renvoie au jugement Halilovic, paragraphe 36,
18 et au jugement Krajisnik, paragraphe 847, qui, tous les deux, traitent de
19 cette question.
20 Par conséquent, Monsieur le Président, Madame, et Messieurs les
21 Juges, l'argument avancé par Tarculovski au paragraphe 124 selon lequel le
22 critère relatif à l'intention délictueuse de l'auteur étant que l'auteur
23 doit être au courant du fait que la victime avait un statut particulier est
24 dénué de fondement. De plus, aucune référence n'a été citée pour étayer cet
25 argument.
26 Enfin, je reviendrai brièvement sur une question qui a déjà été
27 tranchée par la Chambre dans sa décision du 27 février. Au paragraphe 6 de
28 cette décision, la Chambre conclut que l'existence d'un conflit armé en
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1 Macédoine en 2001 est une question de droit et que les déclarations faites
2 publiquement par des Etats ou des organisations n'ont aucune pertinence
3 pour établir qu'il existait ou non un conflit armé.
4 Pourtant, les arguments avancés par les deux accusés aux paragraphes
5 112 et 116 du mémoire de Tarculovski et 264 à 269 du mémoire de Boskoski
6 respectivement, selon lesquels les noms donnés à l'ALN par certains pays ou
7 certaines organisations dans le cadre de déclarations publiques relèvent de
8 la pratique des Etats qui reflète l'état du droit coutumier, ces arguments
9 sont dénués de fondement.
10 L'Accusation a prouvé au-delà de tout doute raisonnable que l'ALN
11 était un groupement organisé capable de s'engager dans un conflit armé.
12 L'ALN avait une structure hiérarchique et une chaîne de commandement qui
13 fonctionnait. Tout en haut, il y avait le Grand quartier général, ensuite
14 il y avait des brigades, ensuite des unités. Les commandants de brigades
15 faisaient rapport quotidiennement au grand état-major et agissaient
16 conformément à ces instructions. L'état-major général a pu concevoir une
17 stratégie militaire cohérente et coordonner et planifier les activités
18 militaires des brigades. Les brigades et unités de l'ALN ont pu mener à
19 bien des opérations tactiques suivant les consignes du grand état-major
20 général sur plusieurs fronts. L'état-major général a pu obtenir des armes,
21 des uniformes et des équipements essentiellement grâce aux fonds levés par
22 la diaspora. L'ALN était considérée par les communautés internationales
23 comme un partenaire de négociation valide et le conflit macédonien a
24 effectivement appelé l'attention de la communauté internationale. Je vous
25 renvoie à la résolution du Conseil de sécurité qui constitue la pièce
26 1D346. Je vous renvoie aux paragraphes 491 à 498 du mémoire en clôture de
27 l'Accusation sur ce point.
28 Enfin, j'en viens maintenant à la troisième partie de mon exposé qui
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1 a trait à l'intensité du conflit armé. Le conflit armé opposant les forces
2 de sécurité macédoniennes et l'ALN a commencé au moins en janvier 2001 et
3 s'est poursuivi jusqu'à la fin du mois de septembre 2001. Il y a donc eu
4 des affrontements avant et après la période en question. Vous pourrez
5 trouver une description détaillée et chronologique du conflit armé aux
6 paragraphes 396 à 427 du mémoire de l'Accusation. Je ne traiterai pas de
7 cette question maintenant.
8 Je voulais simplement rappeler le fait qu'à un moment donné l'ALN
9 contrôlait à peu près 20 % du territoire de la Macédoine. Une autre preuve
10 de l'intensité du conflit tient au type d'armes utilisées par les forces de
11 sécurité macédoniennes pour combattre l'ALN. Ces forces se servaient
12 d'artillerie de gros calibre, de canons de défense antiaérienne, d'avions
13 de combat, d'hélicoptères, de chars, de véhicules blindés de transport de
14 troupes et, au début du conflit, l'armée a constitué des groupes
15 opérationnels tactiques ayant pour objectif d'anéantir l'ALN dans le cadre
16 d'opérations de combat.
17 S'agissant des effectifs à la disposition des parties au conflit, je
18 vous renvoie aux paragraphes 465, 468 et 469 du mémoire en clôture de
19 l'Accusation. En résumé, je dirais que l'ALN disposait d'environ 600
20 membres, même si certaines sources évoquent 8 000 membres. L'armée
21 employait environ 15 000 soldats par mois, quant à la police, au moment le
22 plus fort du conflit, elle a mobilisé environ 10 200 policiers de réserve
23 en plus des policiers des forces régulières. Ce nombre important de
24 policiers mobilisés atteste de la gravité du conflit. Le président a donné
25 des ordres concernant l'anéantissement de l'ALN, demandant à ce que l'on
26 rétablisse le contrôle du territoire qui était placé sous l'autorité de
27 l'ALN.
28 Boskoski, en tant que ministre de l'Intérieur, a pris de nombreuses
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1 mesures notamment pour constituer des forces de police spéciales, notamment
2 les Lions, il a réactivé l'unité posebna, l'unité spéciale de police qui
3 opérait dans des situations complexes lorsque l'ordre public était menacé.
4 Boskoski a également restructuré le QG opérationnel de la RAM nord,
5 ordonné le redéploiement de la police dans les zones de conflit, a demandé
6 l'établissement de postes de contrôle, et il a limité les déplacements de
7 la population dans les plus grandes villes du pays, Kumanovo, Aracinovo,
8 Tetovo et Bitola. Par conséquent, un nombre important de Macédoniens ont dû
9 quitter le pays. Je vous renvoie au paragraphe 438 du mémoire de
10 l'Accusation. Il existe de nombreuses sources sur ce point. Les sources
11 macédoniennes font état de la fuite de 80 000 Macédoniens, 86 000 ont été
12 déplacés à l'intérieur des frontières.
13 Les preuves produites au procès prouvent au-delà de tout doute
14 raisonnable que l'ALN possédait toutes les caractéristiques d'un groupe
15 armé organisé, engagé dans un conflit armé interne avec les forces de
16 sécurité macédonienne pendant la période visée à l'acte d'accusation.
17 L'intensité des violences armées opposant l'ALN et les forces de sécurité
18 macédoniennes était telle qu'elle correspondait aux critères dégagés dans
19 le jugement Tadic.
20 Je terminerai avec une citation de la pièce P464. Il s'agit d'un
21 livre écrit par trois anciens membres de l'armée macédonienne, numéro ERN
22 N006-3325, page 2, paragraphe 4 : "La Macédoine a mené une véritable guerre
23 pendant sept mois conformément aux théories et aux pratiques appliquées
24 dans toutes les guerres qui se sont déroulées jusqu'à présent. Les
25 autorités de l'Etat n'ont pas voulu reconnaître ou accepter cette
26 situation, à savoir le fait qu'il existait un état de guerre."
27 Pour le moment, j'en ai terminé de mon exposé. Je répondrai bien
28 volontiers à vos questions éventuelles. Sinon, je donne la parole à mon
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1 collègue, M. Dobbyn.
2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci beaucoup, Madame Regue.
3 M. DOBBYN : [interprétation] Nous terminerons l'exposé de l'Accusation
4 aujourd'hui par les questions relatives à la peine. Dans notre mémoire en
5 clôture, nous avons évoqué brièvement les éléments essentiels qui, selon
6 nous, doivent être pris en considération, à savoir la gravité de
7 l'infraction et les circonstances aggravantes pertinentes.
8 S'agissant de la gravité de l'infraction, l'élément principal à
9 prendre en compte lorsque l'on fixe la peine est mentionné dans l'arrêt
10 Celebici, paragraphe 731. La Chambre d'appel dans cette affaire a conclu
11 qu'il en va de même dans les affaires où la responsabilité est engagée
12 exclusivement sur la base de l'article 7(3). C'est ce qui est indiqué au
13 paragraphe 732 de cet arrêt.
14 L'Accusation a prouvé au-delà de tout doute raisonnable les accusations
15 reprochées dans l'acte d'accusation. S'agissant de Ljube Boskoski, il a été
16 prouvé que ce dernier est pénalement responsable pour n'avoir pas enquêté
17 ou sanctionné des crimes visés aux chefs 1, 2 et 3 de l'acte d'accusation.
18 En négligeant de punir ces crimes, l'accusé Boskoski a permis la commission
19 de sept meurtres, la destruction sans motif de 14 maisons et des
20 traitements cruels infligés à au moins 36 Albanais de souche. Toutes ces
21 affaires n'ont pas été élucidées. Il a également permis aux auteurs de ces
22 crimes d'échapper à toute poursuite. Il a autorisé les membres de la police
23 macédonienne, ses subordonnés, à se déchaîner dans un village qui, jusque-
24 là, était paisible et qui a connu des meurtres, des sévices et des
25 incendies, les auteurs de ces crimes n'ayant pas été puni. Ces crimes sont
26 graves en soit et le sont d'autant plus qu'ils ont eu des conséquences
27 importantes sur une petite communauté. Les dommages occasionnés et la
28 stupéfaction exprimée par les témoins de ces crimes ressort clairement de
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1 leur témoignage.
2 S'agissant des circonstances aggravantes, il faut avant tout tenir
3 compte du fait que Ljube Boskoski a abusé de ses pouvoir de ministre de
4 l'Intérieur au moment des faits. Je vous renvoie à l'arrêt Hadzihasanovic,
5 paragraphe 320, et à l'arrêt Seromba, paragraphe 230.
6 Les preuves produites montrent qu'il y a eu véritablement abus de
7 pouvoir. Comme l'a indiqué mon collègue, M. Saxon, dès le début des
8 événements l'accusé Boskoski a cherché à prouver le contraire, pour
9 reprendre les termes utilisés par sa conseillère, Sofija Galeva-Petrovska,
10 page 8 806 du compte rendu d'audience.
11 Dès le 14 août, l'accusé Boskoski déclarait aux médias qu'il ne restait
12 plus qu'à établir, pour reprendre ses mots, si les "cinq terroristes en
13 question venaient de Ljuboten même ou s'ils venaient du Kosovo ou d'autres
14 régions de l'ancienne Yougoslavie ou bien d'un autre pays d'Europe."
15 Comme l'a dit M. Saxon, en cherchant à prouver le contraire, Boskoski a
16 pris certaines mesures suite à l'attaque de Ljuboten. Il n'a pas diligenté
17 d'enquête digne de ce nom, il n'a pas puni les auteurs de ces crimes. Il a
18 cherché sans cesse à justifier ce qui s'était passé, a rationalisé les
19 événements de Ljuboten, et tout cela constitue de sa part un abus de
20 pouvoir et une violation de la confiance que le public avait mis en lui.
21 De surcroît, dans Naletilic, la Chambre de première instance a conclu que
22 le fait que Naletilic n'ait pas puni ces soldats, a donné à ces derniers
23 l'impression que leur comportement était tolérable. Paragraphe 28 du
24 jugement.
25 L'Accusation affirme que la situation en l'occurrence est semblable.
26 L'accusé Boskoski n'a pas tenu responsable les auteurs de ces crimes et le
27 fait qu'il ne l'ait pas fait a donné l'impression que ces comportements
28 illicites seraient tolérés. Ljube Boskoski, dans ses discours, par ses
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1 actions et par son manque d'actions a contribué à créer une culture de
2 l'impunité au sein du ministère de l'Intérieur. Il a outrepassé ses
3 pouvoirs pour protéger ses subordonnés et a qualifié ceux qui émettaient
4 des préoccupations concernant ces crimes comme des ennemis de la Macédoine.
5 Cet abus de pouvoir constitue une circonstance aggravante qui doit
6 être prise en considération par la Chambre.
7 Une autre circonstance aggravante tient à la vulnérabilité de nombre de
8 victimes. Je vous renvoie au jugement Aleksovski, paragraphe 277. Dans de
9 nombre cas, les victimes de ces traitements cruels ont été violemment
10 battues alors qu'elles n'étaient pas armées, qu'elles étaient sans défense
11 entre les mains de la police. Nombre de ces victimes ont été gravement
12 blessées et étaient physiquement incapables de se défendre et pourtant les
13 policiers ont continué à leur asséner des coups dans différents postes de
14 police situés autour de Skopje. La Chambre de première instance a reçu des
15 éléments de preuve selon lesquels même les plus grièvement blessés, ceux
16 qui ont été conduits à l'hôpital municipal de Skopje, ont continué à être
17 battus par la police. Nous faisons valoir qu'il s'agit là également d'une
18 circonstance aggravante qui doit se refléter dans la peine.
19 Enfin, l'absence manifeste de remords de la part de Ljube Boskoski ou son
20 manque de sympathie totale à l'égard des victimes doit être pris en compte
21 par la Chambre de première instance. Il est perturbant de voir que dans de
22 nombreuses déclarations faites par Boskoski aux médias, il n'a jamais
23 reconnu que des civils innocents avaient souffert suite aux décès, sévices
24 et destructions infligés à Ljuboten.
25 Cette absence de remords ou cette absence de reconnaissance du fait
26 que les Albanais de souche à Ljuboten ont souffert est claire dans les
27 discours tenus par Boskoski. Par exemple, dans ses mémoires, ce dernier
28 affirme, je cite : "Le Tribunal politique de La Haye est une invention
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1 géniale qui n'a rien à voir avec les droits de l'homme. Pourquoi ? Parce
2 que l'on s'en sert afin d'incriminer les forces de sécurité macédoniennes
3 en leur reprochant des crimes qui auraient soi-disant été commis à
4 Ljuboten, alors que les forces de sécurité de la Macédoine, en réalité, ont
5 sauvé Ljuboten."
6 Pièce 402, numéro ERN N000-9704, N000-9711, page6.
7 Ces mémoires ont été publiés en 2004. Si bien que même trois ans
8 après les crimes commis à Ljuboten, Boskoski ne reconnaît pas, absolument
9 pas, que des souffrances aient été causées aux villageois suite à l'attaque
10 menée. En réalité, d'après l'accusé, c'est la police qui est victime de ce
11 qui s'est passé. Les villageois ont, en réalité, bénéficié de l'attaque.
12 Cette absence de remords ou de sympathie doit être dûment prise en
13 considération en tant que circonstance aggravante lorsque la Chambre fixera
14 la peine.
15 Enfin, s'agissant de Boskoski, il est de pratique constante dans la plupart
16 des juridictions - et je vous renvoie sur ce point au jugement
17 Hadzihasanovic, paragraphe 2 074 - de tenir compte de la grille générale
18 des peines appliquées dans les juridictions internes, même si cela n'a pas
19 valeur contraignante.
20 Alors que le droit interne macédonien ne fait pas mention de l'engagement
21 de la responsabilité pour ne pas avoir puni les auteurs de crimes,
22 l'article 404 du code pénal macédonien punit les crimes de guerre, y
23 compris les infractions reprochées dans l'acte d'accusation, et prévoit une
24 peine minimale de dix ans d'emprisonnement et une peine maximale
25 d'emprisonnement à vie.
26 Il faut en tenir compte, ainsi que de la gravité des crimes sous-
27 jacents et des circonstances aggravantes présentées par l'Accusation, par
28 conséquent, d'après nous, l'accusé Boskoski est coupable des crimes
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1 reprochés et doit être condamné à une peine de 12 ans d'emprisonnement.
2 J'ai déjà parlé de la gravité des crimes et je ne vais pas en reparler
3 maintenant s'agissant de Johan Tarculovski.
4 En ce qui concerne les circonstances aggravantes, nous faisons valoir
5 que la participation directe de Tarculovski à la commission des crimes à
6 Ljuboten et sa présence au moment des faits constitue une circonstance
7 aggravante que la Chambre de première instance est en droit de considérer.
8 Nous nous appuyons à cet égard sur le jugement portant condamnation
9 Banovic, paragraphe 43.
10 Nous faisons valoir, par ailleurs, que la vulnérabilité des victimes
11 est une autre circonstance aggravante à prendre en considération, en ce qui
12 concerne notamment les traitements cruels infligés aux victimes retrouvées
13 dans la maison d'Ametovski, dans la maison de Brace. Les hommes en question
14 n'étaient pas armés. Ils ont été détenus et totalement incapables de se
15 défendre.
16 La Chambre de première instance Celebici a conclu que des intentions
17 sadiques ou cruelles constituaient une circonstance aggravante qui pouvait
18 être prise en compte. Paragraphe 1 268.
19 Les preuves montrent que de telles intentions existaient en l'espèce. Les
20 discours et surtout les actions de la police, lorsqu'elle a frappé des
21 détenus à Ljuboten, le montrent clairement.
22 Je souhaiterais maintenant que l'on montre à l'écran la pièce P195. Nous
23 voyons ici une photographie représentant une croix taillée dans le dos de
24 l'une des victimes de traitements cruels à la maison d'Ametovski.
25 Je souhaiterais maintenant que l'on affiche la pièce P14. Nous voyons ici
26 Atulla Qaili, victime de traitements cruels à Ljuboten. Lorsqu'il est
27 arrivé à la maison de Brace, il ressemblait déjà à quelqu'un sur le point
28 de mourir.
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1 Ces photographies, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les
2 Juges, montrent clairement les intentions sadiques et cruelles des
3 policiers, dirigés par Tarculovski, le 12 août 2001. Selon nous, il s'agit
4 là d'une circonstance aggravante que la Chambre de première instance doit
5 prendre en considération.
6 A instar de l'accusé Boskoski, l'accusé Tarculovski n'a pas non plus montré
7 le moindre remords, ni reconnu que des souffrances ont pu être occasionnées
8 par ses actions. Tout comme je l'ai fait pour l'accusé Boskoski, je vous
9 renvoie aux propres termes utilisés par Tarculovski, paragraphe 395 du
10 mémoire en clôture de Tarculovski, où il est dit, je cite : "M.
11 Tarculovski, lui-même, n'est pas conscient d'avoir commis le moindre crime,
12 ni causé la moindre souffrance à qui que ce soit."
13 Là encore, nous voyons une absence totale de remords, de conscience pour
14 ses actions et, selon nous, il s'agit là d'une autre circonstance
15 aggravante à prendre en considération.
16 Comme je l'ai déjà indiqué, en ce qui concerne les crimes reprochés à
17 l'accusé Tarculovski, le code pénal macédonien prévoit une peine minimale
18 de dix ans d'emprisonnement. Compte tenu de la gravité des crimes et des
19 circonstances aggravantes, nous faisons valoir qu'en l'occurrence l'accusé
20 mérite une peine plus lourde que celle prévue par la législation
21 macédonienne pertinente.
22 Nous faisons valoir qu'une peine de 15 ans d'emprisonnement serait
23 juste. Ceci met un terme au réquisitoire de l'Accusation.
24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Dobbyn. Et nous
25 remercions aussi M. Saxon et tous les membres de votre équipe pour l'aide
26 que vous avez apportée aujourd'hui.
27 Nous pouvons maintenant lever la séance, Nous reprendrons demain à 9
28 heures du matin et nous entendrons les plaidoiries.
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1 --- L'audience est levée à 18 heures 44 et reprendra le mercredi 7 mai
2 2008, à 9 heures 00.
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