Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 29 octobre 2009

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé Tarculovski est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 9 heures 30.

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bonjour. Je souhaiterais que Mme la

  6   Greffière cite la cause.

  7   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges.

  8   Il s'agit de l'affaire IT-04-82-A, le Procureur contre Ljube Boskoski et

  9   Johan Tarculovski.

 10   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Boskoski, êtes-vous en

 11   mesure de m'entendre et de suivre l'audience ?

 12   L'ACCUSÉ BOSKOSKI : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie. Et Monsieur

 14   Tarculovski, qu'en est-il, est-ce que vous m'entendez et est-ce que vous

 15   pouvez suivre l'audience grâce à l'interprétation ?

 16   L'APPELANT TARCULOVSKI : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 17   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.

 18   Je souhaiterais que les parties se présentent, en commençant par

 19   l'Accusation.

 20   M. ROGERS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

 21   Messieurs les Juges. Paul Rogers au nom de l'Accusation. Je suis

 22   aujourd'hui accompagné de Mme Laurel Baig, M. François Boudreault ainsi que

 23   Mme Nadia Shihata. Ils s'occuperont de la partie de l'appel qui correspond

 24   à M. Tarculovski. Cet après-midi, deux de mes collègues se joindront à moi,

 25   donc il va y avoir un changement parmi les rangs de l'Accusation cet après-

 26   midi pour ce qui est de l'appel relatif à M.  Boskoski. Donc je vous

 27   avertis pour vous dire que cela va se passer.

 28   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vois que vous avez moult

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  1   ressources à votre disposition, Monsieur Rogers. Vous avez de la chance.

  2   Qu'en est-il de l'équipe de la Défense pour M. Boskoski.

  3   Mme RESIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Pour

  4   assurer la Défense de M. Boskoski, je suis présente, Maître Edina

  5   Residovic, accompagnée de Me Guenael Mettraux et de Mlle Jestan

  6   Karasidovic, ainsi que de nos assistants juridiques qui vont représenter M.

  7   Boskoski ce matin.

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qu'en est-il -- Maître Dershowitz,

  9   microphone, s'il vous plaît.

 10    M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Monsieur le Président, Alan Dershowitz

 11   pour l'appelant M. Tarculovski, et mon frère Me Nathan Dershowitz se joint

 12   à moi. Je vais m'occuper de la première demi-heure pour la présentation de

 13   nos arguments, et mon frère parlera pendant 45 minutes. Et je voulais

 14   également dire que si nous n'utilisons pas tout le temps qui nous a été

 15   imparti pour le début de nos arguments, nous souhaiterions pouvoir utiliser

 16   ce temps pour nos arguments présentés en réplique.

 17   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons nous pencher sur cette

 18   question, Maître Dershowitz.

 19   Je souhaiterais maintenant résumer cet appel. Cet appel qui a trait aux

 20   événements qui se sont déroulés pendant et après une opération de police

 21   effectuée le 12 août 2001, dans le village de Ljuboten, ce village se

 22   trouve dans la partie nord de l'ancienne République yougoslave de

 23   Macédoine. Johan Tarculovski et l'Accusation ont interjeté appel contre un

 24   jugement rendu le 10 juillet 2008, jugement rendu par la Chambre de

 25   première instance numéro II. La Chambre d'instance a déclaré coupable Johan

 26   Tarculovski des chefs d'inculpation suivants : il a ordonné, planifié et

 27   incité à commettre des meurtres, une violation du droit ou des coutumes de

 28   la guerre, chef numéro 1; il a été responsable de destruction sans motif,

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  1   une violation du droit ou des coutumes de la guerre, chef numéro 2; et de

  2   traitements cruels, une violation du droit ou des coutumes de la guerre,

  3   chef d'accusation numéro 3.

  4   La Chambre d'accusation a condamné Johan Tarculovski à une peine unique

  5   d'emprisonnement de 12 années. Ljube Boskoski n'a pas été déclaré coupable

  6   des chefs d'accusation qui lui avaient été reprochés et l'Accusation a

  7   interjeté appel contre son acquittement. Johan Tarculovski a, dans un

  8   premier temps, déposé son acte d'appel le 8 août 2008 et a énoncé 15 moyens

  9   d'appel. Le 12 janvier 2009, il a déposé son mémoire en appel dans lequel

 10   il expose sept moyens d'appel. Avec l'aval de la Chambre d'appel, le 2

 11   avril 2009, Tarculovski a déposé son acte d'appel amendé qui correspond à

 12   son mémoire en appel. L'Accusation a déposé son mémoire en réplique le 9

 13   avril 2009, et Tarculovski a déposé son mémoire en duplique le 24 avril

 14   2009. L'Accusation a déposé son acte d'appel le 6 août 2008, ainsi que son

 15   mémoire en appel le 20 octobre 2008. Ljube Boskoski a déposé son mémoire en

 16   réponse le 1er décembre 2008, et l'Accusation a déposé sa réplique le 16

 17   décembre 2008.

 18   J'aimerais maintenant résumer brièvement les différents moyens d'appel.

 19   Johan Tarculovski avance sept moyens d'appel et demande un

 20   acquittement pour tous les chefs d'accusation. Par son premier moyen

 21   d'appel, Tarculovski avance que l'exercice de la compétence du Tribunal en

 22   l'espèce est abusif, étant donné que le Tribunal n'a pas posé la question

 23   essentielle pour déterminer si le gouvernement de l'ancienne République de

 24   Macédoine a ordonné de façon légale l'opération qui leur a permis de se

 25   défendre pour expulser les terroristes qui se trouvaient parmi les

 26   villageois.

 27   Par son deuxième moyen d'appel, Tarculovski a avancé que les

 28   événements qui se sont déroulés le 12 août 2001 ne représentaient pas une

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  1   violation du droit ou des coutumes de la guerre, étant donné qu'ils étaient

  2   le résultat d'une réponse légitime et mesurée de la part d'un Etat

  3   souverain face à une attaque terroriste interne. Il remet en question

  4   également l'applicabilité du droit ou des coutumes de la guerre à

  5   déterminer la responsabilité pénale individuelle pour une personne qui a

  6   été affectée à l'exécution d'une opération légitime planifiée par un Etat

  7   souverain.

  8   Par son troisième moyen d'appel, Tarculovski avance que la Chambre de

  9   première instance a commis une erreur lorsqu'elle a utilisé et appliqué

 10   l'article 7(1) du Statut eu égard à la planification, au fait qu'il a donné

 11   l'ordre et qu'il a incité à commettre ces actes.

 12   Par son quatrième moyen d'appel, Tarculovski allègue que les éléments

 13   de preuve ne suffisaient pas pour déterminer que les meurtres, que les

 14   destructions sans motif et les traitements cruels avaient été déterminés

 15   au-delà de tout doute raisonnable.

 16   Son cinquième moyen d'appel a trait à l'évaluation des éléments de

 17   preuve. Tarculovski avance que la Chambre de première instance a rejeté de

 18   façon injustifiée le témoignage de catégories entières de témoins, alors

 19   qu'elle a choisi par la suite de tenir compte de façon sélective des

 20   témoignages qui avaient été censés être rejetés.

 21   Son sixième moyen d'appel a trait aux déclarations qu'il a faites à

 22   une commission créée par le ministère de l'Intérieur pour enquêter sur les

 23   événements de Ljuboten. Tarculovski avance que ces déclarations ont été

 24   versées au dossier de façon injustifiée ou à titre subsidiaire, qu'elles

 25   n'ont pas été utilisées de façon légitime.

 26   Finalement, par son septième moyen d'appel, Tarculovski demande à la

 27   Chambre d'appel de diminuer sa peine.

 28   L'Accusation fait valoir un moyen d'appel eu égard à l'acquittement

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  1   de Ljube Boskoski. L'Accusation soutient que la Chambre de première

  2   instance a commis une erreur de droit en estimant, en concluant que

  3   Boskoski avait pris les mesures nécessaires et raisonnables aux fins de

  4   punir, conformément à l'article 7(3) du Statut, et que la Chambre de

  5   première instance a utilisé le critère juridique erroné. A titre

  6   subsidiaire, l'Accusation avance que la Chambre de première instance a

  7   commis une erreur de fait, étant donné que Boskoski n'a pas pris certaines

  8   mesures qui étaient nécessaires et raisonnables afin de punir ses

  9   subordonnés qui étaient l'auteur de ces délits. L'Accusation fait valoir

 10   qu'il était possible, nécessaire et raisonnable que Boskoski mène à bien

 11   une enquête sur les faits de ces crimes, signale le comportement criminel

 12   allégué de ses subordonnés aux autorités compétentes et diligentes, une

 13   procédure disciplinaire contre ses subordonnés.

 14   J'aimerais attirer l'attention des parties sur une lettre du 20

 15   octobre 2009, lettre par laquelle la Chambre invitait les parties à se

 16   pencher sur une question bien précise lors de cette audience. Point n'est

 17   besoin de réitérer la teneur de cette lettre.

 18   Cette audience va se dérouler conformément à l'ordonnance, portant

 19   calendrier délivré le 2 septembre 2009. Le conseil de M.Johan Tarculovski

 20   présentera sa thèse ce matin, et ce, pendant une heure et quart. Ils nous

 21   ont indiqué comment ils allaient répartir le temps qui leur a été imparti.

 22   A la suite de cela, nous aurons une pause de 30 minutes et l'Accusation

 23   répondra pendant une heure, puis les conseillers de M. Johan Tarculovski

 24   répondront pendant 20 minutes. Nous aurons une pause d'une heure.

 25   L'audience reprendra l'après-midi et commencera par l'appel de l'Accusation

 26   qui durera une heure et quart. Nous aurons la réponse du conseil de M.

 27   Ljube Boskoski pendant une heure ainsi que la réplique de l'Accusation

 28   pendant 20 minutes.

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  1   Nous aimerions rappeler aux parties qu'il serait judicieux qu'ils

  2   présentent leurs thèses de façon précise et claire. Mme la Greffière nous

  3   aidera à faire le décompte du temps utilisé.

  4   J'invite maintenant le conseil de M. Tarculovski à présenter ses

  5   arguments.

  6   M. A DERSHOWITZ: [interprétation] Je m'appelle Alan Dershowitz et je

  7   représente les intérêts de M. Johan Tarculovski. Et je dirais que pour ce

  8   qui est de cet appel -- est-ce que vous m'entendez maintenant?

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

 10   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Voilà, vous m'entendez ? Bien.

 11   Je disais donc qu'en ce qui concerne cet appel, les questions sont

 12   présentées de façon très directe par les parties, car l'Accusation a

 13   toujours soutenu dans son mémoire qu'il s'agissait de savoir si l'opération

 14   de Ljuboten était un acte d'autodéfense contre les terroristes est n'est

 15   pas pertinent. C'est la thèse qu'ils soutiennent pendant tout le mémoire.

 16   Nous indiquons que cela est essentiel et central, et que cela est

 17   extrêmement important pour ce qui est de la compétence et pour ce qui est

 18   de la responsabilité. Car il y a une grande différence entre une opération

 19   qui ne correspond à aucune exigence militaire, opération de génocide, de

 20   destruction sans motif, meurtre sans motif et une opération militaire

 21   légitime qui occasionne certains décès civils lors de cette défense contre

 22   le terrorisme. Les actes de terrorisme sont quasiment routiniers dans le

 23   monde entier. Le terrorisme est un phénomène qui se produit, qui

 24   transgresse les frontières, les océans et les mers. Les Etats qui sont

 25   victimes de ces actes terroristes réagissent très souvent en disant qu'ils

 26   ne ciblent que les terroristes. Les Etats qui accueillent des terroristes

 27   et les protègent, avancent très souvent que les cibles sont des civils.

 28   Pour ce qui est de savoir si une victime est un terroriste ou une

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  1   civile, il faut savoir que tout n'y est qu'une question de nuance. Car une

  2   personne peut se livrer à un acte de terrorisme, ensuite reprendre son

  3   statut de civil. Un village peut soutenir, de façon active et cacher des

  4   terroristes, ou les villageois peuvent également être des victimes et

  5   peuvent être contraints de protéger des terroristes et peuvent ainsi faire

  6   office de boucliers humains pour les terroristes. Il faut savoir quel est

  7   le droit applicable à ces différentes situations, et cela fait le sujet de

  8   débats passionnés au sein du monde professionnel aujourd'hui.

  9   L'Accusation a avancé qu'en l'espèce, l'accusé devait mener une

 10   recherche dans le village de Ljuboten pour retrouver un homme qui répondait

 11   au nom de M. Assani, et qu'il a agit après cet ordre. La Chambre de

 12   première instance a estimé :

 13   "Qu'il y avait certaines preuves qui pouvaient être considérées pour

 14   indiquer que les résidants, les habitants de Ljuboten avaient participé au

 15   positionnement de la mine terrestre du 10 août qui avait occasionné le

 16   décès de huit soldats macédoniens. Pour cette raison que la Chambre a

 17   accepté que sur la base des informations disponibles à la police, ils

 18   avaient des raisons légitimes pour entrer dans le village de Ljuboten le 12

 19   août du fait de la présence suspectée de l'ALN."

 20   Il s'agit d'une situation tout à fait différente à la situation où il

 21   n'existe aucune raison légitime militaire. Il faut savoir que le droit et

 22   les coutumes de la guerre sont très clairs. Car lorsqu'il n'y a pas de

 23   raison militaire légitime, la loi est très claire. Mais elle n'est pas très

 24   claire lorsqu'il y a une action militaire qui est menée à bien contre des

 25   terroristes qui se dissimulent parmi la population civile et qu'ils ne

 26   portent pas un uniforme militaire.

 27   En l'espèce, l'Accusation a avancé que le gouvernement de Macédoine

 28   n'avait pas le droit d'entrer dans le village de Ljuboten le 12 août 2001,

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  1   que peu importait si le gouvernement croyait honnêtement et raisonnablement

  2   que l'ALN était présente dans Ljuboten et avait dirigé cette opération

  3   contre l'ALN. D'après l'Accusation, toute action militaire ce jour-là

  4   n'était pas appropriée, parce que l'ALN qui avait tué dix soldats le 8 août

  5   et huit soldats près de Ljuboten le 10 août avait créé une situation

  6   incendiaire.

  7   Madame, Messieurs les Juges, réfléchissez aux conséquences de cet

  8   argument. S'il était adopté, un Etat souverain ne pourrait jamais réagir à

  9   la suite d'actes terroristes.

 10   M. LE JUGE ROBINSON : Maître Dershowitz, on me dit que la cabine française

 11   vous demande de ralentir.

 12   M. DERSHOWITZ : [interprétation] Je m'excuse. Je vais essayer de parler

 13   plus lentement.

 14   Je disais donc que la thèse de l'Accusation est telle, qu'à chaque fois

 15   qu'il y a un acte de terrorisme, il faut savoir que cela engendre une

 16   situation volatile.

 17   En fait, l'Accusation est en train de présenter des arguments pour dire que

 18   plus il faut intervenir pour se défendre, moins les gens auront le droit ou

 19   les Etats auront le droit de le faire. Ce principe n'a jamais été accepté

 20   en droit international. Qui plus est, le Tribunal sait, en fait, que l'on

 21   ne peut pas véritablement se demander quelles sont les décisions militaires

 22   souveraines prises par un Etat si elles sont prises dans le cadre d'actes

 23   raisonnables d'autodéfense. Si un Etat membre peut s'engager dans des

 24   actions de prévention au-delà des frontières, a fortiori, un Etat peut

 25   réagir pour se défendre dans les limites de son propre territoire.

 26   Ce Tribunal, la Chambre de première instance, en fait, n'a jamais

 27   réglé cette question et les arguments de l'Accusation ne prennent pas en

 28   considération des normes internationales acceptées, des normes juridiques.

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  1   Des érudits tels que, par exemple, M. Schmitt, le doyen du centre européen

  2   pour les études juridiques aux Etats-Unis, a conclu qu'il s'agit d'un

  3   problème particulièrement complexe. Il s'agit de savoir quel est le droit

  4   d'un Etat souverain lorsque des terroristes se cachent parmi des civils.

  5   Donc il faut savoir qu'il n'y a pas de traité, il s'agit du "non in lex

  6   scripta", et il n'y a pas de traité permettant de se pencher sur cette

  7   question. Il n'est pas surprenant que ni l'Accusation ni la Chambre de

  8   première instance n'ont cité une seule source ou une seule citation à ce

  9   sujet.

 10   Le Tribunal a compétence pour poursuivre seulement, et je

 11   cite : "Des personnes qui ont violé le droit ou les coutumes de la guerre."

 12   Et nous avançons qu'il n'y a pas de droit ou de coutumes de la guerre qui

 13   régissent à l'heure actuelle le comportement dont il est question en

 14   l'espèce. L'armée qui expulse des terroristes qui se dissimulent parmi des

 15   boucliers humains pose un véritable dilemme. C'est quelque chose qui est en

 16   cours, le débat fait rage parmi les professionnels.

 17   Il y a, bien entendu, les règles de la proportionnalité, et même les

 18   règles de la proportionnalité sont extrêmement complexes lorsque l'on se

 19   penche sur les activités terroristes. J'en veux pour preuve la situation en

 20   Afghanistan, en Iran, à Gaza, et dans un certain nombre d'autres régions

 21   dans le monde. Il n'y a même pas de consensus qui règne à propos du

 22   fonctionnement ou de la façon dont on peut utiliser les règles de

 23   proportionnalité. Il y a certains professeurs qui indiquent trois

 24   différents règlements en la matière, mais il faut savoir que l'accusé ici

 25   n'a pas été accusé de violer les règles de proportionnalité. Ce n'est pas

 26   ainsi que l'Accusation a présenté sa thèse. Et la raison pour laquelle elle

 27   ne l'a pas fait vient du fait que lorsque trois personnes sont tuées dans

 28   le cadre d'une attaque militaire où trois non-terroristes ont perdu la vue

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  1   lors d'une attaque militaire, pour réagir au fait que 18 personnes avaient

  2   été tuées précédemment, ils auront beaucoup de mal à faire passer la thèse

  3   de la proportionnalité. Il a également été inculpé d'avoir planifié, incité

  4   à commettre. Et nous indiquons, en fait, qu'il s'agit d'une conclusion

  5   circulaire. Je cite ce qui a été dit par le Tribunal et je cite : "Ce qui a

  6   été fait," - donc j'insiste - "ce qui a été fait par un groupe de policiers

  7   dans le village en présence du dirigeant du groupe," - nous ne sommes pas

  8   d'accord, d'ailleurs, avec ce détail - "ce qui a été fait nous permet de

  9   savoir, en fait, -- est un indice important et fiable pour permettre de

 10   comprendre l'objectif de l'opération." Et en utilisant cette déduction qui

 11   est circulaire et qui n'est pas justifiée, ils aboutissent à la conclusion

 12   suivante, et qui est la suivante. Apparemment - et je souligne cet adverbe

 13   - apparemment, l'objectif qui prévalait était d'attaquer de façon

 14   indiscriminée les civils. Et le mot "apparemment," le mot "apparemment"

 15   permet, en fait, d'admettre qu'il s'agit de déductions, de suppositions et

 16   de manque d'éléments de preuve absolus en l'espèce. Et mon frère reviendra

 17   par le menu sur le manque d'éléments de preuve.

 18   Mais si l'on revient sur l'ancienne notion britannique qui porte sur les

 19   conséquences naturelles du comportement, il faut savoir que cela a été

 20   rejeté. La Cour suprême des Etats-Unis avait dit que conformément à la

 21   constitution américaine, on ne pourrait pas déduire qu'il y a eu une

 22   intention à partir du résultat. Donc c'est une conclusion qu'il convient de

 23   remettre en question. Mais il faut savoir que dans une situation qui est

 24   celle que nous connaissons, c'est une déduction qui est particulièrement

 25   irrationnelle et fallacieuse. Parce que l'Accusation et le Tribunal ont

 26   accepté que l'objectif premier était d'expulser les terroristes. Personne

 27   n'a présenté d'éléments de preuve prouvant le contraire à propos de cette

 28   réunion importante qui a eu lieu la veille de l'opération.

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  1   Deuxièmement, le Tribunal a conclu "qu'il y avait des raisons

  2   légitimes d'entrer dans le village et qu'il se pouvait qu'il y ait des

  3   terroristes qui se cachaient parmi la population civile."

  4   Troisièmement, que trois des décès étaient des décès de terroristes

  5   de l'ALN et qu'une assistance médicale avait été portée à certaines des

  6   personnes blessées.

  7   Quatrièmement, que le Tribunal "acceptait que les militaires avaient

  8   pu croire qu'il se pouvait qu'il y ait eu des tirs dirigés contre la police

  9   lors de cette opération."

 10   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Dershowitz.

 11   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Oui.

 12   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] J'aimerais revenir sur un de

 13   vos propos. Parce que si le Tribunal a conclu, non pas "apparemment," mais

 14   avec certitude et au-delà de tout raisonnable doute que l'objectif était

 15   une attaque de façon indiscriminée contre les civils, est-ce que cela

 16   abonderait dans votre sens ?

 17   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Mais cela dépend de la nature de

 18   l'opération, en fait. Nous n'allons pas faire l'économie de nos arguments à

 19   ce sujet, mais s'il y a compétence, s'il y a compétence rationnée, alors

 20   s'il y a des preuves qui ont été présentées, si, par exemple, il y avait un

 21   enregistrement audio de la réunion, je pense, par exemple, à une conférence

 22   qui s'est produite en Allemagne, pendant les années 40, il y a eu une

 23   conversation, il y a eu enregistrement, ils ont décidé lors de cette

 24   réunion qu'ils allaient de façon systématique rassembler et tuer les Juifs.

 25   Ou s'il y avait une cassette vidéo pour ce qui est de Srebrenica. Mais s'il

 26   y avait des preuves suivant lesquelles il ne s'agissait pas d'une opération

 27   militaire et que cela s'inscrivait dans le cadre d'un nettoyage ethnique,

 28   là, bien entendu, nos arguments seraient différents.

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  1   Mais ce que nous avançons, en fait, c'est qu'il n'y a aucune preuve qui a

  2   été présentée pour indiquer que l'objectif n'était pas d'expulser les

  3   terroristes depuis le début. En fait, la position de repli de la Chambre

  4   est comme suit -- je ne cite pas - mais l'Accusation, et je cite maintenant

  5   : "Le plan aurait pu être - et je cite : "Le plan n'a peut-être pas été mis

  6   en place avant l'entrée de la police dans le village, mais aurait pu

  7   évoluer après que les premiers crimes ont été commis."

  8   Donc réfléchissez à cela, Madame, Messieurs les Juges. Ce dont il s'agit,

  9   ce dont il est question, en fait, c'est qu'il n'y a pas eu de plan au début

 10   de l'opération. L'opération était tout à fait légitime et militaire. Puis

 11   il y a ces premiers crimes qui ont été commis et tout à coup, il y a un

 12   plan qui a été mis au point et l'accusé - et aucune preuve n'a été

 13   présentée - l'accusé que je représente et que je défends a tout à coup mis

 14   au point un plan. Il s'agit, en fait, d'un changement de théorie, et c'est

 15   la façon que l'Accusation a de reconnaître à quel point leur thèse est

 16   faible.

 17   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur le Juge Meron.

 18   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je dois vous dire que c'est un argument

 19   extrêmement intéressant.

 20   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Je vous remercie.

 21   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Mais pensez à l'article 51. Parce que

 22   est-ce que vous êtes en train de nous dire qu'il s'agissait d'une action

 23   menée par des forces publiques chargées du maintien de l'ordre ?

 24   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Nous indiquons qu'il s'agit d'une

 25   opération mixte. Il y avait participation de la police, mais à l'heure

 26   actuelle, dans la guerre contre le terrorisme, la police dispose

 27   d'hélicoptères, souvent de véhicules blindés. La différence entre une

 28   action de la police et une action militaire est une question de nuance, car

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  1   nous, nous pensons que cela était plutôt une action de police qu'une action

  2   militaire. Mais bien entendu il y avait les deux qui se sont retrouvées

  3   dans cette action.

  4   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Mais s'il s'agissait d'une action de la

  5   police, il aurait fallu que la police agisse avec la modération, qu'il lui

  6   ait demandé dans le -- parce qu'il s'agit de cibler, on leur demande d'agir

  7   avec beaucoup plus de modération que lorsqu'il s'agit d'une situation de

  8   guerre.

  9   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Mais en matière de terrorisme et pour

 10   ce qui est de faire respecter l'ordre public, et lorsqu'il y a une question

 11   militaire, en fait, on ne peut pas répondre de façon simple à cette

 12   question. N'oubliez pas qu'il s'agissait de questions complexes. Il

 13   s'agissait d'une personne qui avait 26 ans à l'époque, des faits qu'il ne

 14   savait rien du droit international humanitaire, qui a été incarcérée parce

 15   qu'il n'a pas su faire la part des choses entre ce qui était bien et ce qui

 16   n'était pas, et ce, en plus, en pleine guerre.

 17   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Mais quels sont les paramètres que vous

 18   avancez pour indiquer qu'il s'agissait d'activités menées à bien par la

 19   police. Si votre argument, votre thèse, repose sur un acte d'autodéfense

 20   contre un acte de terrorisme, est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a très

 21   peu de règles qui pourraient être applicables ?

 22   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Oui.

 23   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Pensez au Soudan, partout, cette

 24   menace existe, et les juges internationaux sont de plus en plus confrontés

 25   à ces normes de droit international.

 26   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation]Oui, je suis tout à fait d'accord

 27   avec vous, Monsieur le Président. Ce Tribunal a déjà déclaré qu'il y avait

 28   terrorisme, qu'il y avait eu acte terroriste et qu'il y avait intention

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  1   légitime pour essayer d'expulser ou d'éradiquer les terroristes. Donc ce

  2   n'est pas la même chose que pour le Soudan.

  3   Deuxièmement, vous avez les règles de proportionnalité. Il me semble

  4   que ce sont les règles de proportionnalité qui devraient régir ce genre de

  5   situation. Et il y a une question extrêmement complexe au cœur de ce débat,

  6   et je suis sûr que vous en êtes conscient. Parce qu'il y a une règle qui

  7   dit que lorsque vous avez un doute, vous devez supposer qu'une personne est

  8   civile et n'est pas un combattant. Mais ensuite, les règles au-delà de tout

  9   doute raisonnable spécifient que le Tribunal doit véritablement prendre la

 10   position inverse, à savoir que la personne qui est sur le terrain doit

 11   toujours supposer qu'une personne est civile, alors que la Chambre doit

 12   supposer que l'accusé n'est pas conscient que la personne est civile.

 13   Donc moi, j'ai écrit un ouvrage sur la question et je demande qu'une

 14   nouvelle jurisprudence soit mise au point pour faire en sorte de régir ces

 15   questions. Et je ne suis pas cavalier seul en ce sens. Je dirais que toute

 16   la profession reconnaît que les règles ne sont pas précises. Je comprends

 17   tout à fait le point de vue d'un tribunal international qui veut absolument

 18   appliquer, utiliser les règles de droit mais qui ne peuvent pas les

 19   appliquer de façon rétroactive. D'ailleurs, ce n'est pas la fonction de ce

 20   Tribunal que de créer de nouveaux règlements et de faire en sorte que le

 21   Tribunal les applique à un accusé qui se trouvait en pleine guerre. Il

 22   serait tout à fait raisonnable que ce Tribunal indique ce qui, d'après lui,

 23   représente des problèmes complexes pour reconnaître et reconnaisse ce que

 24   l'accusé en l'espèce ne pouvait pas véritablement savoir quels étaient ses

 25   devoirs. Et lorsque le Président lui donne un ordre, ce qui a été reconnu

 26   par la Chambre, par le Tribunal, par l'Accusation, il n'a pas lui-même

 27   exécuté cette tâche. Il se trouve dans une situation intermédiaire. Ce

 28   n'est pas lui qui a planifié, ce n'est pas lui qui a tué. Mais il est

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  1   l'intermédiaire de la chaîne. On a dit de lui que c'était la personne qui

  2   avait dirigé les opérations, ce que nous n'acceptons pas. Mais même si cela

  3   était vrai, quelles étaient ses obligations au-delà de la proportionnalité,

  4   parce que pour ce qui est de la proportionnalité, c'est une décision prise

  5   à un nouveau supérieur. Il s'agit de savoir si la décision d'entrer dans

  6   telle ville ou dans telle bourgade pourra être réglée par le biais de la

  7   proportionnalité. Il s'agit d'un problème extrêmement complexe, mais,

  8   Monsieur le Président, tout ce que nous devons faire, c'est persuader la

  9   Chambre du fait que le droit n'est pas clair. Et le droit international

 10   humanitaire et le droit de la guerre ne fournissent aucune orientation

 11   précise, aucune directive précise. Il faut savoir que lorsque des actes de

 12   ce style sont menés, cela donne inévitablement le décès de certains civils.

 13   Regardez le résultat. Trois terroristes ont été tués. Il y a eu

 14   également trois personnes dont on allègue qu'elles n'étaient pas

 15   terroristes, qui étaient tous des hommes qui portaient tous une tenue

 16   noire. Ces personnes ont été tuées conformément à la règle de

 17   proportionnalité. Je vous remercie, Monsieur le Président.

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Juge Liu, s'il vous plaît.

 19   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. J'aimerais

 20   quelques précisions de votre part en ce qui concerne votre premier moyen.

 21   M. A. DERSHOWITZ: [interprétation] Tout à fait.

 22   M. LE JUGE LIU : [interprétation] En vertu de la jurisprudence établie par

 23   ce Tribunal, pour savoir si l'attaque fut une opération préventive ou

 24   offensive a peu d'intérêt sur le plan du droit, est-il dit par la

 25   jurisprudence. La question est de savoir si l'accusé a commis une

 26   infraction pendant cette opération militaire.

 27   Dites-vous que tant que l'opération militaire est légale, justifiée,

 28   juste, ce Tribunal n'aura aucune compétence eu égard à ce qui s'est passé

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  1   pendant l'action militaire ?

  2   M. A. DERSHOWITZ: [interprétation] Non, ce n'est pas ce que nous

  3   disons. Certes, ce Tribunal aurait compétence. Prenons Srebrenica. Ces

  4   événements à Srebrenica, au départ, étaient une tentative légitime

  5   d'enrayer le terrorisme, puis tout d'un coup une décision est prise

  6   d'assassiner 7 000 personnes. Ceux qui sont responsables de la prise de

  7   cette décision et ceux qui l'ont exécutée seraient responsables. Mais ce

  8   que nous disons c'est que dans un tel cas, lorsque vous avez un nombre

  9   assez faible de personnes qui sont tuées, proportionnellement, peu de biens

 10   détruits finalement, comparés à la taille du village et à ce qui s'était

 11   passé auparavant, à ce moment-là ce qui compte, sans nul doute, ce qui est

 12   pertinent, c'est que l'opération était légitime. C'est un des principaux

 13   facteurs à prendre en compte. Les lois, le droit est différent pour une

 14   opération de génocidaire qui aurait commencé comme génocide qui n'avait

 15   aucune finalité militaire et une opération qui au départ était légitime, et

 16   au cours de laquelle peut-être quelque chose a dérapé. Surtout pour

 17   l'intermédiaire. L'auteur présumé intermédiaire qui n'a pas donné l'ordre

 18   de l'opération et celui qui ne l'a pas exécuté, mais pour la personne qui

 19   se trouve dans une catégorie intermédiaire au niveau de la responsabilité.

 20   Vous avez évoqué une citation qui parle, bien sûr, de l'importance de la

 21   prévention de toute une série d'autres facteurs. Nous pensons

 22   qu'effectivement c'est un dicton mais qu'il ne s'applique pas ici au fait

 23   de la présente espèce. Il serait révolutionnaire pour la loi de la guerre

 24   de dire qu'il n'y a aucune différence, que c'est sans intérêt, que ça ne

 25   fait pas de différence de savoir si une opération est légale ou pas. Parce

 26   que ceci concerne l'intention délictueuse, la mens rea de l'accusé. Si vous

 27   avez un homme de 26 ans à qui on dit de se livrer à une opération correcte

 28   mais qui échappe par contrôle et qui commence à déraper, à ce moment-là,

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  1   manifestement, la situation est différente que celle d'un homme de 27 ans à

  2   qui on dit d'aller tuer des civils.

  3   Ici, en l'occurrence manifeste, regardez les résultats, résultats qui

  4   nous montrent peu de personnes tuées, des personnes ont été envoyées à

  5   l'hôpital pour être soignées. Ce n'est pas ce qu'on fait normalement

  6   lorsqu'on veut se livrer à une opération massive génocidaire. Il y a toute

  7   une série d'autres facteurs qui montrent sans nul doute qu'ici, au pire, au

  8   pire c'était une opération militaro-policière au cours de laquelle des

  9   policiers, dont on n'a pas réussi à trouver l'identité, se sont peut-être

 10   livrés à des crimes, et le résultat c'est qu'il n'y a pas d'élément de

 11   preuve qui montrerait que notre client aurait décidé, incité à commettre ou

 12   aurait une quelconque responsabilité.

 13   Non. Non, effectivement, ça ne met pas un terme au débat si on

 14   estimait que c'était une opération militaro-policière légitime, mais ça met

 15   un terme aux possibilités de l'Accusation en tant qu'organe de poursuite

 16   dans ce Tribunal. Parce que l'Accusation dit qu'il est inadmissible, qu'il

 17   n'était pas autorisé d'avoir une opération militaire ce jour-là dans cette

 18   ville. Au fond, c'était la cause défendue par l'Accusation, et nous disons

 19   que ce n'est pas là une situation qui est acceptable au plan du droit

 20   international humanitaire.

 21   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Vous savez que depuis l'affaire Tadic

 22   de 1995, ce Tribunal n'a eu de cesse de dire qu'il existe des règles

 23   applicables, des règles du droit international qui s'appliquent aussi à des

 24   conflits internes à un pays.

 25   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Oui.

 26   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Voici ce que je

 27   proposerais : plutôt que de vous attacher tant à une justification ver nom

 28   [phon], dont on essaie en général de s'écarter, pourquoi n'essayez-vous pas

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  1   à dire à la Chambre pourquoi, au plan technique, on a appliqué ou pas les

  2   règles gouvernant le loi et le droit de la guerre.

  3   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  4   M. LE JUGE MERON : [interprétation] C'est dans notre intérêt. En général,

  5   ce n'est pas intéressant pour nous de savoir si une opération militaire ou

  6   policière était justifiée ou non. Depuis de nombreuses années, le droit

  7   international humanitaire insiste pour dire que quelle que soit la

  8   légitimité ou l'illégitimité d'une opération militaire, il faut respecter

  9   les règles régissant les conflits militaires.

 10   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Oui, nous comprenons ceci, parce qu'il

 11   y a les règles régissant l'attaque et pendant l'attaque. Même si le

 12   Tribunal acceptait tous les arguments présentés par l'Accusation ou tous

 13   les faits établis et constitués par ce Tribunal - et là, je réponds à votre

 14   question, Monsieur le Juge Meron - la logique aboutirait à une conclusion

 15   tout à fait inverse.

 16   Imaginons qu'il est possible de voir l'intention délictueuse, et si

 17   on peut la circonscrire à partir des résultats ici, et c'est la raison pour

 18   laquelle nous estimons qu'il n'y a pas eu violation du droit de la guerre.

 19   Mon frère va en parler avec beaucoup plus de détails. Nous avons une

 20   réunion où il y a planification. C'est le point de départ. Au cours de

 21   cette réunion, tout ce qu'on a comme élément de preuve, c'est que ce plan

 22   était parfaitement légitime. Puis les événements se reportaient d'un jour.

 23   Pourquoi ? Parce qu'il faut faire des activités de reconnaissance. Si on

 24   veut faire du génocide, on ne fait pas de reconnaissance. Si on fait une

 25   reconnaissance, c'est parce qu'on veut savoir quelles seront les maisons,

 26   quelles seront les personnes qui sont des terroristes et où ces terroristes

 27   se cachent. Puis on voit le résultat. Trois morts sur 1 000 personnes. Ces

 28   trois personnes sont les trois soupçonnées d'être des terroristes de l'ALN,

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  1   à tort, peut-être à raison. Puis on voit qu'on apporte une aide médicale à

  2   certains des blessés. Si on voulait tuer à l'aveuglette beaucoup de civils,

  3   il y aurait eu beaucoup plus de victimes. Beaucoup plus d'enfants, de

  4   femmes tués. Je ne connais aucune situation dans la jurisprudence

  5   internationale où on a constaté un crime de guerre partant du nombre très

  6   faible de personnes tuées, ceci mis à part le fait qu'il y a tout un débat

  7   sur la question de savoir si tout ce conflit en Macédoine avec l'ALN est

  8   même un conflit qui a l'intensité d'un conflit armé. Soit dit en passant,

  9   le Tribunal avait des doutes sérieux à ce propos. Il a conclu quelque chose

 10   qui laisse transparaître une préoccupation sérieuse. On se demande s'il y a

 11   ces doutes. La Chambre dit qu'en dépit de l'escalade, il y a eu finalement

 12   très peu de blessés de part et d'autre parmi les civils. Au maximum,

 13   l'estimation en 2001 pour les victimes à la suite d'un affrontement armé

 14   est 168, puis on donne d'autres chiffres sur les biens assez faibles.

 15   La question des événements en tant que tels est posée ici, mais ce que nous

 16   disons, c'est qu'ici il n'y a pas eu d'éléments de preuve. Il n'y a pas

 17   d'éléments de preuve directs, de preuves de crimes de guerre. Tout ce qu'on

 18   a comme élément de preuve concerne les résultats. On ne peut pas partir du

 19   résultat pour remonter à la source, à notre avis. On ne peut pas conclure,

 20   ce faisant, qu'il y a eu des crimes de guerre.

 21   Je ne veux pas ici minimiser la mort de trois hommes civils, sans

 22   doute innocents, le fait qu'il y a beaucoup de maisons endommagées et des

 23   mauvais traitements imposés à d'autres. Ce n'est pas un crime de guerre, ce

 24   n'est pas non plus un crime pour un conflit armé intense qui serait,

 25   pourtant, de la compétence de ce Tribunal.

 26   Regardez les chiffres ici. Ils sont beaucoup moindres, par exemple, qu'en

 27   Irlande du Nord. Et je pense que l'Accusation l'a concédé, le conflit en

 28   Irlande du Nord n'aurait pas été de la compétence d'un tribunal

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  1   international. Personne n'a affirmé que c'est le genre de conflit armé dont

  2   pouvait connaître un tribunal international. C'est un des événements ici,

  3   celui qui a fait l'objet de se poser, un des événements les plus minimes.

  4   Et nous avons donc une compétence exercée sur un conflit vraiment limité.

  5   Dans un conflit général très limité aussi, ceci a des conséquences

  6   périlleuses pour le droit international et pour ce Tribunal aussi, pour sa

  7   jurisprudence.

  8   Parce que ce serait en vous faire passer un message tout à fait

  9   erroné, à savoir qu'un homme jeune, sans expérience, était le pire accusé

 10   en Macédoine, dans ce conflit, parce que c'est le seul qui est emprisonné à

 11   la suite du conflit intervenu en Macédoine. On fait l'équivalent, les

 12   cohésions entre cet homme et d'autres qui font, à juste titre, l'objet de

 13   la justice internationale.

 14   Parce que l'objectif ultime de ce Tribunal c'est d'encourager la paix.

 15   Récemment, les représentants albanais qui représentaient les victimes

 16   albanaises ont dit qu'ils ne s'opposeraient pas à ce qu'il soit mis un

 17   terme à cette situation, parce que l'emprisonnement de mon client est

 18   considéré comme un obstacle à l'établissement de la paix. Une question

 19   grave se pose; c'est celle de la compétence qu'aurait ce Tribunal alors que

 20   l'incident concerné est assez circonscrit et limité, et que ce n'est pas un

 21   crime de guerre. Nous avons présenté des facteurs, celui de la légitimité

 22   de l'opération, du fait qu'il y a eu finalement peu de victimes, mon client

 23   est un homme jeune, et tout ceci pose la question de savoir si ce Tribunal

 24   est en droit de connaître de son procès. Mon frère va en parler.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce que vous dites c'est que ce qui

 26   s'est passé n'a pas atteint le degré d'intensité d'un conflit armé.

 27   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Deux choses : il y a d'abord la

 28   question générale, celle d'un conflit de courte durée. En fait, finalement,

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  1   peu de victimes, tout à fait internes à un pays, avec des déclarations

  2   faites par des Nations Unies de part et d'autre, tout ceci n'a pas atteint

  3   le degré d'un conflit armé.

  4   Deuxième chose, les incidents qui font l'objet de l'acte d'accusation en

  5   l'espèce ne suffisaient pas à élever cet incident au niveau d'un crime de

  6   guerre, surtout si ceci découle au départ d'une opération qui était

  7   initialement tout à fait légitime, et aussi parce que notre client était un

  8   intermédiaire. Nous attaquons la légitimité de ce Tribunal pour juger de

  9   ceci, parce que d'abord il y a la question du conflit de Macédoine,

 10   question qui n'est toujours pas réglée par la Chambre d'appel, et la

 11   compétence sur ce qui, à notre avis, n'est pas du tout un crime de guerre.

 12   Si ça avait été un crime, il aurait dû être sanctionné en Macédoine. Le

 13   gouvernement de Macédoine était prêt à le faire, mais le présent Tribunal

 14   en a pris la primauté. C'est beaucoup plus une infraction locale. Ce n'est

 15   pas vraiment quelque chose que vous avez l'habitude d'aborder comme sujet.

 16   Vous avez bien plus l'habitude de connaître de procès comme celui de

 17   Karadzic et d'autres crimes de guerre.

 18   Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Président.

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.

 20   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Je m'appelle Nathan Dershowitz.

 21   J'aimerais revenir plus précisément - et c'était là mon intention -

 22   sur la question posée par les Juges. M. le Juge Meron et M. le Juge

 23   Robinson posaient précisément cette question. Je reviens à la question

 24   posée par M. le Président, est-ce qu'on avait su exactement quelle était la

 25   fin de l'opération avec certitude plutôt que de façon apparente, est-ce que

 26   nous serions ici. Et je dis : Sans nul doute.

 27   Parce qu'ici les conclusions ne sont pas du tout appropriées. Vous êtes ici

 28   pour revoir les constatations et les conclusions juridiques qui ont un

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  1   effet matériel et substantif sur la décision finale que vous allez prendre.

  2   Revenons à la question du Juge Meron. Supposons que ce Tribunal est

  3   compétent, ce que nous ne concédons pas, et sur la décision déjà prise, à

  4   savoir qu'ici en l'occurrence, quand on voit uniquement M. Johan

  5   Tarculovski, rien ne permet de décider qu'il était coupable.

  6   C'est manifeste et c'est une lapalissade, mais les chefs retenus contre

  7   lui, c'est une violation de l'article 7(1), s'agissant de la responsabilité

  8   du supérieur, la Chambre le sait, on dit qu'une personne qui a planifié,

  9   incité à commettre, ordonné, commis, ou autrement aidé et encouragé à la

 10   commission de la planification de l'exécution d'un crime - et là c'était

 11   l'article 2 qui était considéré - et quand on voit l'ordre suivi, la

 12   chronologie, on voit les différents modes de responsabilité, M. Tarculovski

 13   a été déclaré responsable de la violation au chef d'accusation 1, de

 14   meurtre et violation des lois et coutumes de la guerre au titre de

 15   l'article 3 du Statut pour avoir ordonné, planifié et incité à commettre.

 16   J'insiste sur le côté alternatif, la conjonction de coordination "ou,"

 17   parce que quand on voit la décision rendue, il est impossible de dire si la

 18   décision disait qu'il était coupable de planification en tant qu'élément

 19   constitutif d'un crime qui était différent du fait d'ordonner ou si, en

 20   fait, on a fait l'amalgame des trois et qu'on a pris ici ou là des éléments

 21   constitutifs de l'une des trois possibilités pour finalement prendre la

 22   décision rendue. Et nous estimons que ceci est en violation des Règlements

 23   de ce Tribunal, comme le prévoit l'article 23 et l'article 98 ter, car il

 24   faut toujours motiver une décision.

 25   Mais supposons, ne serait-ce qu'un instant, que quand on dit "ou," ça veut

 26   dire qu'il a été condamné pour chacune des trois possibilités de

 27   responsabilité. Parcourons-les. Je vais vous montrer que quand on procède à

 28   un examen minutieux - je dis bien minutieux - du jugement, on voit qu'il y

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  1   a de façon patente, ici, une condamnation injustifiée.

  2   Chef 1 : chef d'assassinat. S'agissant du mode de planification en

  3   matière de responsabilité, une condition est posée dans la jurisprudence,

  4   vous le savez, et ceci est corroboré dans plusieurs affaires. L'élément

  5   matériel de la planification exige qu'une personne ou plusieurs planifient

  6   ou conçoivent les deux, les deux éléments : la préparation et la phase

  7   d'exécution. Deuxièmement, du comportement criminel à l'origine de

  8   l'infraction, puis est définie l'intention délictueuse, la mens rea, et

  9   c'est là qu'on dit que l'accusé doit avoir agi dans l'intention de faire

 10   commettre ce crime ou sachant qu'il était fort probable que ce crime allait

 11   être commis dans le cadre de l'exécution de l'action.

 12   On a ici, s'agissant de l'élément matériel, on a deux éléments

 13   spécifiques et qu'il faut remplir. On dit chaque fois dans tous les

 14   jugements que planifier implique qu'une ou plusieurs personnes ont envisagé

 15   la commission du crime, aussi bien dans la phase de la préparation que dans

 16   la phase de l'exécution.

 17   Ceci étant, quand on examine les faits de la cause, s'agissant de la

 18   phase de la préparation, on voit qu'il y a une lacune manifeste dans les

 19   moyens de preuve présentés. La Chambre a conclu que l'opération avait été

 20   planifiée le 10 août 2001 et que ceci avait provoqué par des mines la mort

 21   de huit soldats. Aujourd'hui, maintenant l'Accusation dit que c'est sans

 22   intérêt, mais la conclusion avait été précise. Cette constatation est

 23   présentée sur plusieurs pages, sur plusieurs paragraphes, et c'est une

 24   réponse précise à l'assassinat de huit personnes qui avaient été tuées en

 25   début de journée et qu'il y avait six personnes qui avaient été blessées

 26   pendant qu'on avait fait sauter le tank. Il faut éviter cette confusion

 27   qu'on trouve partout, qui est omniprésente entre la planification d'une

 28   opération et le fait de planifier un crime au titre de l'article 3.

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  1   Planifier une opération, ce n'est pas nécessairement synonyme de la

  2   planification du crime, tel qu'il a été retenu dans l'acte d'accusation. Ce

  3   qui est intéressant ici, c'est que l'opération était planifiée le 10 août

  4   et qu'elle a été exécutée le 12 août. Et il n'y a aucun doute. Je vais vous

  5   dire pourquoi. C'était pour reprendre Davir Assani et ceux qui avaient des

  6   activités terroristes. C'est ce que la Défense dit. Mais c'est aussi ce que

  7   l'Accusation a dit. Le Procureur, dans son propos liminaire, qu'a-t-il dit

  8   ? Il dit que Boskoski pensait que Assani avait la responsabilité de la mort

  9   de huit soldats, qu'il se cachait à Ljuboten et que Boskoski a dit à

 10   Tarculovski de faire une fouille de Ljuboten pour trouver enchaîné le chef

 11   de l'ALN. C'est ce que l'Accusation vous a dit, a dit à la Chambre de

 12   première instance. A la page 353 du compte rendu d'audience, l'Accusation

 13   disait expressément que Tarculovski avait reçu l'ordre d'aller à Ljuboten

 14   pour capturer des terroristes, parce que ses supérieurs hiérarchiques

 15   pensaient qu'il y avait des terroristes qui se cachaient dans cette ville.

 16   Donc on a les deux parties qui s'accordent à dire que l'objectif du plan

 17   c'était de capturer des terroristes. Une question sérieuse se pose :

 18   pourquoi est-ce qu'il n'y a pas une présupposition, une supposition, que

 19   fait le Tribunal à propos de la planification ?

 20   Il n'y a eu aucun élément de preuve direct qui montrerait qu'on avait

 21   discuté ou planifié ou que le plan préparé le 10 août, c'était une attaque

 22   aveugle dirigée contre les Albanais. Chaque élément de preuve, chaque

 23   témoin, chaque document, et j'irais même à dire que chaque déduction qu'on

 24   a tirée des règles quant à ce qui s'est passé pendant la phase de

 25   préparation va aboutir à la conclusion - je ne parle pas maintenant de la

 26   phase de l'exécution, je parle de la phase de la préparation - et il faut

 27   prouver au-delà de tout doute raisonnable pour qu'il y ait condamnation

 28   pour planification qu'on aurait prévu l'assassinat. Ce n'est pas le cas.

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  1   Vous avez ce qu'ont dit les témoins, vous avez les documents, vous avez

  2   l'historique des événements, un retard dans l'exécution de l'opération,

  3   chaque élément, chacun des éléments. Et la Chambre de première instance a

  4   regardé tout ce qui s'était passé avant cet événement. Ils concernent tous

  5   ces événements, l'ALN, ce que l'ALN faisait dans le conflit, ce qu'elle

  6   avait avec le gouvernement de Macédoine. Tout ceci montre que c'était en

  7   rapport avec le fait de capturer ceux de l'ALN dont les ministres et peut-

  8   être aussi le président pensaient que ces hommes se cachaient dans le

  9   village.

 10   Ici, l'Accusation n'a pas réussi à montrer de façon légitime que le plan,

 11   dans sa phase préparatoire qui est une condition préalable, une condition

 12   sine qua non, et que tout ceci aurait été illégal, aurait violé les

 13   principes du droits international. Et sans apporter de preuves,

 14   l'Accusation a dit que l'objectif réel c'était une attaque discriminatoire

 15   sur les Albanais de souche. Qu'est-ce que nous avons ici ? En fait, c'est

 16   un effet de manche, on n'a aucune preuve que ceci aurait été l'objectif

 17   pendant la phase de la préparation.

 18   Reconnaissons que c'est un objectif légitime. L'Accusation aurait pu faire

 19   valoir, par exemple, qu'on s'est peu soucié des civils. Elle aurait pu dire

 20   que c'était une action disproportionnée, qu'elle a eu un effet

 21   disproportionné sur les civils, elle aurait pu dire que c'était une action,

 22   qu'il était prévisible que des civils allaient être tués. Mais si

 23   l'Accusation avait présenté un tel argument, la Chambre aurait dû tirer des

 24   conclusions sur le droit qu'il fallait appliquer. Même mon frère l'a

 25   expliqué, il n'y a pas de droit véritable; et même à supposer qu'il y en a

 26   un, la Chambre de première instance aurait dû énoncer le droit applicable

 27   en l'espèce et tirer des conclusions une fois qu'elle aurait présenté les

 28   principes de droit applicable. Et ce n'est pas un processus facile, ici.

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  1   Et là, je réponds maintenant à la question de M. le Juge Robinson.

  2   Finalement, elle a monté ça de toutes pièces. Regardez les conclusions de

  3   la Chambre - et j'y viendrai dans un instant - il n'y en a aucune, il n'y a

  4   pas de fondement, pas de socle du tout, s'agissant de ce qu'il faut pour

  5   conclure au moment de la planification, pour conclure ce que la Chambre a

  6   conclu; parce qu'il fallait essayer de louvoyer et de ne pas vraiment

  7   aborder la question qu'il leur a fallu poser. Il n'y a eu aucun fondement

  8   pour dire qu'on avait cet objectif discriminatoire au moment de la

  9   préparation.

 10   Mais je prends l'exemple sur ce que j'allais dire et je vous ai dit qu'il

 11   n'y a aucune preuve au niveau de la phase de la préparation. Mais qu'a fait

 12   la Chambre, à mon avis, de façon injustifiée ? Elle a pris la phase de

 13   l'exécution, elle a éliminé la phase de préparation. Donc on en a besoin.

 14   Elle n'a examiné que la phase de l'exécution. Elle a dit, partant de la

 15   phase de l'exécution, maintenant, nous allons déduire et tirer des

 16   conclusions sur la phase de la préparation. Ça élimine un des éléments

 17   constitutifs de l'opération. Ça ne peut se faire. Il faut prouver tous les

 18   éléments constitutifs, qu'ils ont été constitués. On ne peut pas simplement

 19   en éliminer un parce qu'il est trop difficile à prouver. Il faut prouver

 20   les deux, la phase de préparation et la phase de l'exécution.  

 21   Mais j'aimerais maintenant voir quels sont les éléments de preuve indirects

 22   qu'on déduit de ce qui a fini par se passer et montrer que ceci n'a pas été

 23   bien utilisé pour essayer de trouver des preuves quant à la phase de

 24   préparation. J'estime que ce n'est pas possible de le faire. Mais voyons ce

 25   qui a été fait.

 26   Le paragraphe capital ici, c'est le paragraphe 571 du jugement. C'est un

 27   paragraphe capital, qui dit ceci. Je dois dire le tout, car c'est important

 28   :

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  1   "Comme ceci a déjà été dit, il y a des éléments de preuve qui semblent

  2   indiquer ou dire qu'ici il y a l'objectif de l'opération; c'est, à un

  3   certain égard, l'objectif de la police s'agissant des personnes détenues ne

  4   pouvant pas être considérées comme [inaudible]--"

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Les interprètes vous demandent de

  6   ralentir.

  7   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Oui, j'avais déjà averti les

  8   interprètes de la vitesse de mon débit. Je m'en excuse. Oui, je poursuis la

  9   lecture de la citation :

 10   "Il y a d'autres facteurs qui démontrent que l'opération n'était pas

 11   simplement une opération des forces de la droite dirigées contre l'ALN ou

 12   des terroristes."

 13   Mais maintenant, on arrive aux facteurs qui sont importants et qu'il faut

 14   tous examiner, ne serait-ce que pour démontrer que partant des éléments

 15   indirects de preuve, la conclusion tirée à propos de la phase de

 16   préparation n'est tout simplement pas licite au regard des autres

 17   conclusions tirées par le Tribunal. Je ne parle pas ici du fait qu'on a

 18   extirpé un sujet de son contexte, je parle d'autres irrégularités lorsqu'on

 19   a dit: Voilà, nous n'acceptons pas l'aspect militaire. Comment ne peut-on

 20   pas accepter tout l'aspect militaire ou tout le reste de la police dans ces

 21   circonstances ? Comment voulez-vous que M. Tarculovski se défende ? C'est

 22   impossible. Les seuls qui avaient une connaissance de la situation c'était

 23   les militaires et la police. Et si vous dites: Voilà, c'est une catégorie

 24   qu'on exclut, vous avez éliminé les deux seules façon dont on peut se

 25   défendre. Ceci est inadmissible.

 26   Mais je vais vous lire ces trois éléments : 

 27   "La composition de l'unité de police qui a mené l'opération, qui ne

 28   se composait pas de policiers ordinaires, qui avaient l'expérience des

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  1   enquêtes pénales ou juridiques, mais c'était des réservistes qui étaient

  2   des volontaires."

  3   Ce qui est dit ne cadre pas du tout avec beaucoup d'autres

  4   paragraphes du jugement. La Chambre conclut ailleurs qu'elle ne pouvait pas

  5   déterminer la composition des forces de police, qu'il lui était impossible

  6   de savoir qui était ces forces de l'ordre.

  7   La Chambre dit qu'elle n'est pas convaincue que les Lions, les Tigres

  8   et un autre groupe qui se trouvait précisément sous le contrôle du ministre

  9   Boskoski, se seraient eux aussi trouvés en ville. Mais ceci n'élimine pas

 10   ce facteur du doute raisonnable.

 11   Aux paragraphes 492 à 496 du jugement, la Chambre détaille la façon dont

 12   les réservistes ont été appelés, qui avait la responsabilité de cette

 13   mobilisation, quelles étaient les fonctions, comment on a donné les

 14   responsabilités et le pouvoir dont ils étaient investis. Et ces conclusions

 15   démolissent toute déduction tirée du paragraphe référant. Dans des

 16   circonstances normales, toutes les activités policières sont le fait de

 17   forces de police régulières, mais des forces de réserve ont été appelées

 18   dans des conditions de guerre ou d'urgence. Puis on précise quelles sont

 19   ces situations.

 20   On a appelé légitimement les réservistes.

 21   On dit ensuite que ceux-ci sont appelés par le ministre de

 22   l'intérieur suite à un ordre donné par le président et par le Conseil de

 23   sécurité. Puis on donne le détail des responsabilités imposées aux

 24   réservistes. On dit ensuite comment ils agissent comme policiers ou

 25   militaires à part entière. Vous avez quelquefois de ces militaires qui ont

 26   été versés dans des unités de police de l'armée ou dans la Défense civile.

 27   Mais la Chambre conclut alors ceci à cet égard. Les membres de la police de

 28   réserve qui sont entrés dans le village de Ljuboten le 12 août 2001, et

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  1   ceux qui étaient en poste au poste de police à l'époque étaient tous en

  2   uniforme et équipés par la police alors qu'il semblerait que certains

  3   avaient un casier judiciaire; ceci n'a pas été prouvé.

  4   On dit ensuite que ça n'a pas été prouvé par des éléments de preuve

  5   présentés.

  6   Au paragraphe 497, on dit quelles sont ces forces de sécurité privées. On

  7   dit qu'en fait on a passé un contrat entre le ministre de l'Intérieur et

  8   cette compagnie privée, Kometa. Et on dit que ces personnes ont été

  9   considérées comme étant des réservistes d'active à ce moment-là, et on

 10   parle de l'équipement. On dit qu'ils avaient reçu cet équipement

 11   auparavant. Et on dit que ces événements indiquent que les hommes envoyés

 12   par Kometa se trouvaient dans la liste des réservistes de la police du

 13   ministère de l'Intérieur qui devaient se présenter pour des obligations de

 14   réserve en tant que volontaires ou après avoir été convoqué expressément,

 15   et qui avaient été acceptés en tant que membres d'active des forces de

 16   police.

 17   La Chambre conclut que Kometa était là et qu'il n'y avait pas de casier

 18   judiciaire chez ces hommes. Quand on comprend que c'est le ministre de

 19   l'Intérieur qui a convoqué ces hommes et qu'il fallait pour ça un ordre du

 20   président, comment peut-on conclure que Johan Tarculovski quelque part,

 21   implicitement, aurait trempé dans cette phase préparatoire ? Moi, je dis

 22   que c'est impossible. J'aimerais bien que l'Accusation vous explique, à la

 23   lumière des autres conclusions tirées par la Chambre, qu'elle vous explique

 24   pourquoi ceci renforcerait l'idée qu'au moment de la préparation,

 25   Tarculovski avait l'intention de concevoir un plan, plan qu'il a conçu,

 26   destiné à lancer des attaques aveugles sur des membres de la communauté

 27   albanaise. C'est impossible. On ne peut pas aller de A à B au vu des

 28   conclusions tirées.

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  1   Deuxièmement, on dit:

  2   "L'opération avait à sa tête Tarculovski qui n'avait aucune

  3   expérience; il s'agit d'une activité pénale, et normalement il n'aurait pas

  4   pu avoir le poste de chef du groupe."

  5   N'oublions pas qu'une conclusion a été formulée, celle qu'il avait

  6   reçu l'ordre d'exécuter cette opération. On ne peut pas condamner la

  7   personne qui a reçu un ordre d'exécution. Il faut condamner ceux qui lui

  8   ont donné l'ordre de l'exécuter. Cela ne montre en aucune façon la

  9   culpabilité d'un responsable de rang inférieur à qui l'on a dit de se

 10   rendre sur place, d'essayer de trouver les terroristes tout en

 11   reconnaissant qu'il manque d'expérience. Qui a cette responsabilité ? Est-

 12   ce la personne de rang inférieur qui se rend sur place ou la personne qui

 13   lui donne cet ordre qui doit être considérée comme responsable du fait

 14   qu'il manque d'expérience ?

 15   Et pour finir, la Chambre procède ainsi. Elle passe aux infractions

 16   qui se sont produites dans le village afin d'en déduire ce qui avait été

 17   planifié précédemment. Et j'avance que le même problème se présente pour

 18   tous les chefs d'accusation en l'espèce. Il y a un manque total d'éléments

 19   de preuve.

 20   Et je voudrais juste souligner la chose suivante : l'Accusation a

 21   persisté à dire que nous ne tenions pas compte, que nous n'accordions pas

 22   crédit aux constatations faites par la Chambre. Je voudrais souligner que

 23   nous comprenons les constatations faites dans le jugement, mais nous

 24   affirmons que ces constatations ne seront fondées sur aucun élément de

 25   preuve. Je voudrais vous donner quelques exemples.

 26   Ils disent que nous -- jamais on ne cite le fait qu'il n'y aurait eu

 27   qu'unité militaire. Même dans les conclusions, vous ne trouverez jamais une

 28   mention de cette citation, ni dans le dossier.

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  1   Puis l'Accusation cite le jugement, mais pas le dossier à l'appui de

  2   ce qu'elle conclut; parce que cet élément de preuve, il n'existait pas,

  3   malgré qu'on en tire une conclusion. On ne peut pas se contenter d'énoncer

  4   des conclusions. A quoi servirait un procès si c'était possible ? Un

  5   procès, il est là pour présenter des éléments de preuve, puis le jugement

  6   s'appuie sur les éléments de preuve. Bien sûr qu'on peut tirer des

  7   déductions que nous attaquons aussi. Mais moi, je ne parle pas ici des

  8   déductions, je parle des constatations et conclusions. Y a-t-il le moindre

  9   élément de preuve à l'appui d'une conclusion pourtant importante, car elle

 10   concerne la phrase de la planification. Que s'est-il passé effectivement ?

 11   La dernière partie de ce paragraphe est particulièrement

 12   intéressante. Il est dit qu'on souhaite se fonder sur le fait que la police

 13   n'a pas procédé dans le village par les différentes routes qui le

 14   permettaient, et qu'elle n'a pas inspecté toutes les maisons qui étaient

 15   habitées par des Albanais et qui pouvaient être atteintes à partir de la

 16   route principale.

 17   Mais penchons-nous plus en détail sur cela. Ce que nous avons c'est que la

 18   police est entrée dans une maison où se trouvaient, d'une part, les hommes,

 19   dix à 15 hommes, et les femmes étaient dans une autre partie. Est-ce qu'on

 20   conclut, à partir de ce qui a été fait dans une maison, le fait qu'il se

 21   serait agi d'une attaque aveugle, ne s'agissait-il pas plutôt d'une

 22   opération ciblée concernant une personne dont on estimait qu'elle pouvait

 23   se trouver dans cette maison particulière ?

 24   Ils se rendent ensuite à une seconde maison. Ils n'entrent pas. Il y

 25   a cinq personnes qui tentent de s'échapper, dont trois sont tuées. Et la

 26   Chambre n'a pas été en mesure d'établir que c'étaient des membres de l'ALN.

 27   Donc cela ne montre absolument pas qu'il s'agirait d'une attaque

 28   aveugle.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Juge Meron, allez-y.

  2   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Il me semble que le Président a posé

  3   une question essentielle qui se trouvait partiellement une réponse dans les

  4   propos de M. Alan Dershowitz. Mais je pense qu'il serait important

  5   d'approfondir.

  6   Le Président a demandé, concernant le conflit qui nous intéresse,

  7   s'il remplissait les critères qui nous permettraient de lui apporter une

  8   qualification et de le considérer comme un conflit armé interne.

  9   Dans l'affaire Tadic, que j'ai mentionnée précédemment au paragraphe

 10   70, il y a une discussion très intéressante concernant l'intensité que l'on

 11   doit considérer comme nécessaire pour qualifier un conflit de conflit

 12   interne ou de conflit international.

 13   Ensuite, au paragraphe 78 de l'arrêt Tadic, me semble-t-il, il est

 14   dit que la compétence du Tribunal international devrait couvrir à la fois

 15   des conflits armés internes et des conflits armés internationaux.

 16   Or, je comprends que l'argument avancé par M. Dershowitz était le

 17   suivant, à savoir que le conflit en l'espèce n'avait pas atteint

 18   l'intensité requise pour le qualifier de conflit armé international. Mais

 19   il serait utile d'approfondir cette justification.

 20   Et je voudrais que vous nous expliquiez pourquoi l'on n'aurait pas

 21   atteint ce seuil.

 22   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Monsieur le Juge Meron --

 23   M. BOUDREAULT : [interprétation] Excusez-moi, Messieurs les Juges, si je

 24   puis me permettre d'interrompre. Nous n'avons jamais soulevé la question de

 25   savoir s'il s'agissait d'un conflit armé interne ou non. Dans le mémoire en

 26   réponse, la Défense a accepté qu'il s'agissait d'un conflit armé interne,

 27   et cela ne devrait pas être laissé de côté.

 28   Merci.

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  1   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Monsieur le Président --

  2   [La Chambre de première instance se concerte]

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous avez raison sur le point de la

  4   procédure, mais si la Chambre d'appel considère que ceci est une question

  5   importante, nous pouvons entendre la réponse de la partie concernée. Nous

  6   devrons prendre des dispositions en termes de temps.

  7   Monsieur Alan Dershowitz, sur ce sujet particulier, vous avez dit que

  8   l'Accusation avait reconnu que les événements qui s'étaient produits en

  9   Irlande du Nord n'auraient pas atteint l'intensité nécessaire pour pouvoir

 10   qualifier d'un conflit armé. Où pouvons-nous trouver cela exactement ?

 11   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Monsieur le Président, je crois que

 12   nous aurions besoin d'une petit moment pour le retrouver pendant que mon

 13   confrère continue.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Entendu.

 15   M. N. DERSHOWITZ : [aucune interprétation]

 16   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Pour poursuivre, si c'est ici une

 17   question qui a trait à notre compétence --

 18   M. LE JUGE GUNEY : Merci, Monsieur le Président.

 19   Monsieur Dershowitz, vous avez persisté sur le fait que l'opération de la

 20   police était une opération régulière.

 21   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Je dois changer de canal.

 22   M. LE JUGE GUNEY : [interprétation] Je vais répéter ma question.

 23   [en français] Vous avez persisté sur le fait que l'opération --

 24   Mes excuses.

 25   M. N. DERSHOWITZ : [aucune interprétation]

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Numéro 4

 27   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Quatre. Merci.

 28   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Pendant que mon frère cherche le canal,

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  1   est-ce que je peux vous répondre et vous donner la situation.

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non. D'abord, permettez au Juge

  3   Guney de poser sa question.

  4   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Excusez-moi.

  5   M. LE JUGE GUNEY : Vous avez persisté sur le fait que l'opération de la

  6   police était une opération régulière. D'autre part, vous avez également dit

  7   que c'était une opération dans le cadre on a fait appel aux réservistes. Il

  8   y a quelque chose de contradictoire. S'il s'agissait d'une opération de la

  9   police, une opération régulière de la police, on n'aurait pas dû faire

 10   appel aux réservistes. Donc je voudrais avoir votre opinion sur ce point.

 11   Veuillez bien éclaircir vos idées.

 12   Merci.

 13   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Monsieur le Juge, je n'ai jamais

 14   indiqué qu'il s'agissait d'une opération régulière de la police. Ce que

 15   j'ai dit c'est qu'il s'agissait d'une opération menée dans un cadre qui

 16   était normal et conformément aux dispositions d'un Statut que la Chambre a

 17   examiné et qui prévoit l'intervention des réservistes. En d'autres termes,

 18   lorsqu'il y a un conflit, qu'il soit de petite ou de grande échelle, dès

 19   qu'il y a un conflit, il existe un droit de faire appel aux réservistes et

 20   de les inclure dans la défense civile ou dans les forces armées. En effet,

 21   il a fait été appel aux réservistes qui ont été intégrés à l'opération.

 22   Par exemple, les personnes qui étaient à bord de ces chars et qui ont

 23   été tuées, les hommes qui étaient dans le char, à cette date du 10 août, il

 24   s'agissait de soldats mais pour qui la plupart étaient réservistes. En

 25   d'autres termes, vous étiez dans une situation dans laquelle ce droit de

 26   faire appel aux réservistes et de les intégrer aux forces armées et de les

 27   faire fonctionner comme les forces armées ou la police à laquelle ils

 28   étaient intégrés, existait, ce droit existait.

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  1   Et la Chambre de première instance a fait cette constatation.

  2   Donc je ne dis pas que c'était une opération de police régulière,

  3   mais que c'était sous l'autorité de la police et dans le cadre des

  4   compétences qui étaient les leurs, notamment de faire appel à la réserve.

  5   Les forces régulières, les effectifs réguliers de la police ont été

  6   utilisés, par ailleurs. Alors la Chambre ne veut pas dire qu'elle ne peut

  7   pas faire de détermination sur ce point. A bord du véhicule Hermelin, par

  8   exemple, c'était des membres réguliers de la police, nombre d'entre eux

  9   l'étaient.

 10   Encore une fois, le point que j'essaie de souligner est qu'il est

 11   absolument indispensable de faire la constatation qu'il y avait eu une

 12   phase de planification préalable au crime, conformément à la jurisprudence

 13   de ce Tribunal. La déduction qui consiste à dire qu'il y avait des

 14   effectifs de réserve et que, par conséquent, il y a eu une planification,

 15   n'est pas cohérente avec les constatations relatives aux recours à la

 16   réserve en général. Il conviendrait de savoir qui a fait appel à la réserve

 17   et qui était disponible pour être mobilisé, parmi quels hommes pouvaient-on

 18   choisir ?

 19   On ne dit nulle part que c'est Tarculovski qui a mobilisé ces

 20   réservistes. C'est pas du tout correct avec le jugement. On ne dit pas que

 21   c'est lui qui les a choisis pour lancer l'attaque. Mais ailleurs dans le

 22   jugement, quand on parle de Boskoski, on dit que Kometa avait fait l'objet

 23   d'un contrat qui avait mobilisé cet homme. C'était le ministre, ce n'était

 24   pas un subalterne qui dit : Voilà, c'est vous, je veux, vous, dans mon

 25   équipe. Ce ne sont pas les faits présentés ici.

 26   Pour répondre à votre question, Monsieur le Juge Meron, vous avez fait une

 27   présupposition, me semble-t-il, dans votre question du moins, à savoir que

 28   s'il y a quelque part un conflit armé, tout ce qui se produit est

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  1   nécessairement régi uniquement par les règles applicables au conflit armé,

  2   et c'est cette présupposition que je voudrais souligner. Parce que,

  3   imaginons, par exemple, que nous ayons une opération militaire mais qu'on

  4   soit entré dans la ville pour d'autres raisons, pour retrouver des

  5   personnes, par exemple, je me demande si cela est toujours régi par ce que

  6   vous avancez.

  7   Deuxièmement, et de façon plus importante, si l'on suppose que nous avons

  8   ici affaire à des sujets qui sont couverts par la jurisprudence du

  9   Tribunal, la question devient la suivante : s'il y a des membres de l'ALN

 10   dans la ville et si la personnes est chargée, entre autres choses, de

 11   participer à ces activités, on l'accuse d'avoir participé à la préparation.

 12   Alors quelles sont les règles applicables dans ce cas-là ? Que se passe t-

 13   il si vous voulez entrer de façon régulière et légitime dans une ville ?

 14   Pouvez-vous le

 15   faire ? L'Accusation suggère que ce n'est pas possible. Et les terroristes

 16   ont réussi à créer un sentiment de terreur auprès de la population civile.

 17   Et cela voudrait dire que vous ne pouvez pas rentrer dans la ville et vous

 18   opposer aux terroristes, cela voudrait dire que les terroristes ont gagné

 19   dans un cas comme celui-là.

 20   Alors ce que je voudrais couvrir pendant encore quelques instants, c'est

 21   l'autre lacune essentielle au compte rendu. Cela a trait à la conclusion

 22   qu'il avait procédé à la planification au-delà de tout doute raisonnable.

 23   En fait, cela est tout démontré au-delà de tout doute raisonnable.

 24   Si nous passons aux autres conclusions en l'espèce, nous trouvons

 25   également dans le jugement la conclusion qu'il aurait incité à la

 26   commission de crime, nous ne parlons pas ici de l'opération, mais il

 27   s'agit, par exemple, de violation au titre de l'article 3 du Statut, de

 28   conclusion alléguant qu'il aurait ordonné la commission de meurtres. C'est

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  1   ça qu'il aurait constaté, un ordre pour que des meurtres soient commis.

  2   Il y a ici un fossé considérable à franchir qui permettrait de

  3   montrer qu'il était véritablement présent auprès de la police au moment où

  4   cette dernière s'est rendue dans la ville.

  5   Ce que j'avance c'est qu'en lisant les éléments de preuve, et notamment la

  6   déposition du témoin M-037, personne n'a témoigné que l'accusé avait été

  7   présent en ville. Vous ne pouvez pas parvenir à cette conclusion, par

  8   conséquent, au-delà de tout doute raisonnable. Il n'a pas lui-même commis

  9   les meurtres, il ne les a pas non plus ordonnés. Et il n'y a aucun élément

 10   de preuve qu'il ait ordonné l'un quelconque de ces meurtre.

 11   J'ai dit qu'il n'y avait aucun élément de preuve prouvant qu'il ait

 12   été sur place. Mais supposons même qu'il ait été présent. Si quelqu'un tire

 13   à l'intérieur d'une maison, comment franchissez-vous ce pas supplémentaire

 14   entre l'accusé censé avoir ordonné cela et les événements qui se sont

 15   produits ?

 16   Vous avez une indication concernant le second incident à propos des

 17   tentatives de s'échapper. Mais d'autres éléments montrent que Tarculovski

 18   n'était pas présent au moment des faits, la seule personne qui tienne coup

 19   pour ce qui est de la chronologie des événements. Et je peux vous dire que

 20   quand on examine de près la chronologie des événements, vous verrez qu'on

 21   voit 8 heures dans l'acte d'accusation pour le premier assassinat, 11

 22   heures, 11 heures 30 pour le deuxième, ou midi. Mais dire qu'il n'y a que

 23   le groupe de Tarculovski, il n'y a que Tarculovski qui était là, bien, la

 24   Chambre laisse de côté pour ne pas être précis; il parle tout simplement de

 25   plus tard. Parce qu'on a l'impression que d'abord le premier crime s'est

 26   passé à 8 heures du matin alors que Tarculovski n'était pas là. Puis plus

 27   tard on dit : Voilà, c'est ce qu'on dit. Mais ça veut dire quoi plus tard ?

 28   Deux heures, trois heures plus tard ? Car il faut montrer qu'il aurait été

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  1   présent tout du long. Quand on dit plus tard, il faut quand même prouver ce

  2   qu'on dit. Mais ce n'est pas donné parce qu'on fait un raccourci et on

  3   utilise des termes vagues.

  4   Mais prenons le deuxième, s'il est absent, et même s'il était présent, est-

  5   ce qu'il a donné l'ordre à ces hommes de tirer ? On a l'impression qu'ici

  6   c'est un homicide intentionnel, tout à fait inadmissible. Pourquoi est-ce

  7   qu'on l'en accuse ? Tout simplement parce qu'une mauvaise conclusion est

  8   tirée, qu'on utilise un terme aussi abusif, à savoir qu'il aurait dirigé ce

  9   groupe. S'il était présent, en chair et en os, et la personne était

 10   présente et a donné l'ordre, à ce moment-là, c'est le crime d'ordonner qui

 11   est retenu. Pour inciter et commettre, il faut avoir quelque chose de

 12   précis qui montre qu'on a incité à commettre. Le troisième crime dont il

 13   est accusé - et la Chambre quand il s'est passé ni comment il s'est passé

 14   et qui l'a fait - la seule preuve mentionnée est que le fils et quelqu'un

 15   d'autre a dit en prison plus tard qu'ils avaient entendu dire que c'était

 16   la police qui avait tiré.

 17   C'est la seule preuve que j'ai pu trouver. A l'appui de ce qui a été

 18   affirmé, que même si c'était la police qui l'avait fait, et en plus on

 19   dirait que c'est Tarculovski qui a la responsabilité d'avoir ordonné ce

 20   crime alors qu'on ne sait même pas s'il était présent et qu'on a pas la

 21   preuve qu'il y aurait un ordre, à mon avis, ceci ne remplit pas les

 22   critères de qualification. Vous avez ici l'obligation de juger au-delà de

 23   tout doute raisonnable, et je le comprends pas. Sauf le respect que je dois

 24   à la Chambre, il y a des questions un peu bateau, et elles sont sans doute

 25   un peu plus intéressantes, mais il s'agit ici quand même de trancher sur

 26   des faits. Et moi, j'ai examiné les faits, j'ai trouvé ça laborieux. Mais

 27   si on énonce simplement des choses sans les corroborer, s'il n'y a pas de

 28   fondement à ces conclusions, dans un article qu'a écrit le Juge Meron, il

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  1   dit que la régularité d'une procédure doit respecter les principes

  2   régissant la jurisprudence du Tribunal.

  3   Mais qu'est-ce qu'il y a de plus fondamental qu'une procédure

  4   régulière ? On ne peut pas condamner quelqu'un sans preuve. Il y a une

  5   présomption d'innocence qui vaut ici, et l'obligation de juger coupable au-

  6   delà de tout doute raisonnable. Le fait d'annoncer qu'il était à la tête

  7   d'un groupe, nous croyons qu'il a toujours été sur les lieux. Ça n'est pas

  8   prouvé au-delà de tout doute raisonnable. On peut écrire un rapport, mais

  9   il faut reconstituer les devants pour avoir une histoire un peu logique.

 10   Oui, faites-le. Mais ce n'est pas là un jugement qui doit respecter les

 11   conditions de l'égalité posée par ce Tribunal. Il faut quand même que ce

 12   jugement s'appuie sur des preuves au-delà de tout doute raisonnable.

 13   Et moi, ce que je dis à ce Tribunal, c'est qu'ici - bon, on l'a fait

 14   de façon superficielle une annonce, on peut le répéter autant de fois qu'on

 15   veut - mais s'il n'a rien en appui, on ne peut pas faire de déduction, si

 16   on n'a pas de preuve au-delà de tout doute raisonnable, on a là une

 17   violation fondamentale du principe de la régularité de la procédure.

 18   Ce qui est du dernier point que nous souhaitons aborder dans notre

 19   présentation c'est celui de la peine qui a été prononcée.

 20   L'une des dispositions de la cour macédonienne - je pense que c'est

 21   l'article 40 - veut que dans des circonstances exceptionnelles il soit

 22   approprié, donc dans des circonstances atténuantes et exceptionnelles, il

 23   soit approprié de prononcer une peine inférieure que celle qui est citée

 24   dans le jugement comme correspondant à la loi macédonienne.

 25   Et dans de telles circonstances, il est envisageable de prononcer une

 26   peine d'un minimum de cinq ans.

 27   Alors la Chambre a simplement décidé d'ignorer cette disposition. Et

 28   si s'est présentée une situation dans laquelle vous auriez pu examiner ces

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  1   circonstances atténuantes qui étaient bien présentes, vous auriez pu le

  2   voir. L'accusé n'a jamais été impliqué dans quoi que ce soit. Toutes les

  3   autres personnes qui ont été accusées ont été acquittées. Et dans les

  4   circonstances présentes, on ne peut conclure qu'au caractère excessif d'une

  5   peine de 12 ans d'emprisonnement puisque l'accusé est le seul à avoir été

  6   emprisonné.

  7   S'il n'y a pas d'autres questions, je voudrais conserver du temps pour une

  8   phase ultérieure.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Alan Dershowitz, vous

 10   vouliez fournir des éléments supplémentaires ?

 11   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Oui, Madame et Messieurs les Juges. La

 12   question de l'Irlande du Nord a été versée par voie de témoignage, et pour

 13   être bref c'était dans la présentation des éléments à décharge de M.

 14   Boskoski. C'est en page 1 654 et 1 655 du compte rendu d'audience. Nous

 15   fournirons d'autres détails. Mais apparemment, un témoin principal de

 16   l'Accusation a reconnu que les événements d'Irlande du Nord n'ont pas été

 17   qualifiés d'un conflit armé. Ça apparaît en page 80 [comme interprété] du

 18   jugement. Il est dit que les événements et les troubles d'Irlande du Nord

 19   n'ont jamais été reconnus comme étant un conflit armé dans la pratique

 20   prévalant entre les Etats, et il s'agit de quelque chose que la Défense

 21   Boskoski également a fait valoir. A mon sens, l'Accusation n'a pas remis en

 22   cause ce que son propre témoin expert a affirmé en l'espèce.

 23   Un autre aspect que nous souhaitions mettre en avant est que le conflit

 24   d'Irlande du Nord n'était pas un conflit armé du type que la Cour semble

 25   envisager, si l'on envisage la durée, le nombre des victimes, et également

 26   l'intensité des événements considérés.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

 28   Je voudrais que nous prenions maintenant une pause d'une demi-heure.

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  1   M. ROGERS : [interprétation] Avant de lever la session, pourrions-nous

  2   obtenir juste une précision concernant l'intensité requise pour qualifier

  3   un conflit de conflit armé interne. Dois-je comprendre que la Chambre

  4   d'appel souhaite que l'Accusation se penche en détail sur la question de

  5   savoir si l'intensité du conflit armé était telle que l'on puisse parvenir

  6   à cette qualification ? Est-ce que c'est ce que la Chambre d'appel souhaite

  7   ? La Chambre souhaite-t-elle que nous développions des aspects qui ne l'ont

  8   pas été dans nos mémoires en appel ?

  9   Le jugement consacre à peu près un tiers de son volume à cette question.

 10   Nous n'avons pas été avertis à l'avance que cela représentait un sujet qui

 11   serait traité de façon approfondie. M. Dershowitz soulève maintenant la

 12   question d'Irlande du Nord. Je ne suis pas sûr que ce soit là un sujet sur

 13   lequel nous puissions nous pencher au cours de la pause de 20 minutes dont

 14   nous allons disposer.

 15   A mon sens, si j'ai bien compris, il s'agit d'un sujet que, alors la

 16   Chambre souhaite peut-être que nous abordions, mais à ma connaissance, cela

 17   n'a été développé à aucun endroit dans le mémoire en appel en tant que

 18   sujet important que nous étions censés traiter.

 19   Je voudrais également vous poser la question suivante, peut-être que je

 20   pourrais l'aborder brièvement maintenant : peut-être que nous seront

 21   emmenés à demander à la Chambre d'appel de lever l'audience pendant un

 22   certain temps pour que nous puissions examiner une question particulière.

 23   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Rappelez-vous, pour ce qui est de la

 24   procédure, nous avons déposé un acte d'appel modifié, parce qu'on avait dit

 25   que si les choses ne se trouvaient pas dans l'acte d'appel, ce n'était pas

 26   bon. Il fallait que tout soit conduit dans l'acte d'appel. Moi, j'étais pas

 27   d'accord là-dessus mais c'était, en fait, ce que disait l'Accusation.

 28   Prenons les paragraphes 16, 17, 18, 19. Là, je parcours ces notes. Ils

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  1   portent tous sur le fait que le jugement n'est pas juste sur ces points. M.

  2   le Juge Meron a parlé, parce que si le jugement porte sur la question de la

  3   compétence du Tribunal, vous pouvez en parler. Nous avons donc soulevé le

  4   sujet de façon explicite aussi dans nos moyens ce matin, mais nous l'avons

  5   fait de façon détaillée, par écrit dans l'acte d'appel modifié que nous

  6   avons dû déposer après le premier acte d'appel à la demande de

  7   l'Accusation, sur l'insistance de celle-ci avec l'accord de la Chambre.

  8   [La Chambre de première instance se concerte]

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Rogers, nous allons nous en

 10   tenir au programme. Donc nous allons avoir cette pause, cette pause

 11   maintenant, pause d'une demi-heure, ensuite nous verrons si vous pourrez

 12   bénéficier d'un temps supplémentaire. Et si cela est nécessaire, nous vous

 13   l'accorderons, ce temps.

 14   M. ROGERS : [interprétation] Oui. J'aimerais juste obtenir une précision.

 15   Est-ce que vous souhaitez que nous essayions quand même de nous pencher sur

 16   cette question lorsque nous répondrons ?

 17   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Et si nous décidons de vous

 18   accorder davantage de temps puisque vous nous l'avez demandé, nous vous

 19   accorderons ce temps supplémentaire.

 20   Mais nous allons lever l'audience pour une demi-heure.

 21   --- L'audience est suspendue à 11 heures 04.

 22   --- L'audience est reprise à 11 heures 38.

 23   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons maintenant entendre M. ?

 24    M. BOUDREAULT : [interprétation] M. Boudreault.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] M. Boudreault. Bien. Je m'excuse.

 26   Donc nous allons entendre votre réponse.

 27   M. BOUDREAULT : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges.

 28   Alors je vais traiter des moyens d'appel numéros 1 et 2. Ma consoeur,

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  1   Laurel Baig, se penchera sur les moyens d'appel 3 à 5 et Nadia Shihata

  2   traitera des moyens d'appel 6 et 7.

  3   Avant de commencer, j'aimerais vous présenter une personne qui n'a pas été

  4   présentée. C'était une erreur. Il s'agit de notre commis aux affaires, M.

  5   Colin Nawrot.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Manifestement, la personne la plus

  7   importante de l'équipe.

  8   M. BOUDREAULT : [interprétation] Oui.

  9   Et je commencerai par traiter de la question de l'existence d'un conflit

 10   armé interne.

 11   Comme cela a déjà été mentionné, cette question ne figure pas dans le

 12   mémoire en appel de l'appel. De surcroît, au paragraphe 86 de son mémoire

 13   en appel, l'appelant accepte l'existence du conflit armé. Cela a été

 14   indiqué au paragraphe 27 de la réponse de l'Accusation et je dois dire que

 15   nous n'avons obtenu aucune réponse à ce sujet.

 16   Pour maintenant parler de ce sujet à proprement parler. Voilà comment nous

 17   répondons. La Chambre de première instance a analysé et pris en

 18   considération de façon très méticuleuse le droit et les éléments de preuve

 19   avant de conclure à l'existence d'un conflit qui opposait l'ALN et les

 20   forces macédoniennes, conflit qui était donc un conflit armé interne. Cela

 21   figure aux paragraphes 175 à 292 du jugement de première instance.

 22   La Chambre a, dans un premier temps, identifié les critères pertinents qui

 23   ont été donnés dans la décision Tadic. Premièrement, il y a deux critères

 24   qui sont pertinents. Vous avez premièrement l'intensité du conflit, qu'il

 25   faut prendre en considération; et deuxièmement, l'organisation des partis

 26   au conflit armé.

 27   Aux paragraphes 177 à 206, la Chambre énonce le droit ainsi que les

 28   facteurs pertinents qui sont utilisés dans le cadre de ces deux critères.

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  1   Entre les paragraphes 208 et 249, la Chambre fait valoir les éléments de

  2   preuve qui ont été retenus par rapport à l'intensité du conflit entre l'ALN

  3   et les forces macédoniennes pour parvenir à la conclusion suivant laquelle

  4   le conflit avait atteint l'intensité d'un conflit armé.

  5   La Chambre a analysé tous les événements qui se sont déroulés en Macédoine

  6   à partir du mois de janvier 2001 jusqu'au mois d'octobre 2001. Cela fait

  7   l'objet des paragraphes 212 à 228 du jugement en première instance. La

  8   Chambre a conclu que l'ALN avait contrôlé un certain territoire, à savoir

  9   des douzaines de villages. Paragraphe 242 du jugement en première instance.

 10   La Chambre a également indiqué qu'il y avait un effort de

 11   mobilisation important effectué par l'armée de la Macédoine et par la

 12   police pour contrecarrer et juguler l'offensive de l'ALN, et qu'un certain

 13   nombre de soldats, un grand nombre de soldats macédoniens et de membres de

 14   la police se trouvaient dans les parties septentrionales de la Macédoine en

 15   droit où la menace de l'ALN était la plus importante. Il y a eu plusieurs

 16   ordres donnés par le président pour que cette mobilisation devienne une

 17   réalité.

 18   Troisièmement, de nombreuses armes modernes ont été utilisées par les

 19   forces de la Macédoine. Cela inclut notamment des avions à ailes fixes, qui

 20   ont bombardé les positions de l'ALN, des hélicoptères, des chars, de

 21   l'artillerie lourde, des grenades propulsées, des mitrailleuses et des

 22   mines.

 23   Quatrièmement, il faut savoir qu'il y a eu des victimes dans les deux

 24   camps, dans tous les camps. Et même s'il est difficile de déterminer

 25   exactement le chiffre exact des victimes de l'ALN, ce qu'il faut souligner,

 26   ce qui est important est qu'il y a eu des victimes qui sont tombées des

 27   deux côtés.

 28   Cinquièmement, le conflit a provoqué le déplacement interne de milliers

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  1   d'Albanais de souche et de Macédoniens de souche, sans oublier le fait que

  2   des milliers de personnes ont quitté le pays.

  3   Sixièmement --

  4   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pour ce qui est du paragraphe 248,

  5   on nous dit qu'il est indiqué qu'il y a eu des déplacements importants de

  6   personnes qui ont quitté leur foyer et leur village, 64 000 de ces

  7   personnes sont devenues réfugiées et

  8   70 000 étaient des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays.

  9   M. BOUDREAULT : [interprétation] Oui, tout à fait,  Monsieur le Président.

 10   Je parlais donc du sixième élément qui a trait à l'intensité du conflit. Il

 11   s'agit, en fait, de la durée du conflit, car ce conflit a commencé en

 12   janvier 2001 et s'est poursuivi jusqu'à l'automne, jusqu'à l'automne de

 13   l'année 2001.

 14   Et le dernier élément qui a été repris par la Chambre de première instance,

 15   que j'aimerais souligner, porte sur la portée des dégâts occasionnés par le

 16   conflit. Cela figure au paragraphe 241 du jugement en première instance.

 17   Je vous inviterais à vous pencher sur notre mémoire final en première

 18   instance, si vous souhaitez avoir de plus amples références. Il est

 19   question justement de l'intensité du conflit armé. Nous y énumérons tous

 20   les éléments de preuve qui ont trait à cette question. Il s'agit d'éléments

 21   de preuve qui ont été acceptés par la Chambre de première instance pour

 22   déterminer que l'intensité du conflit était telle que cela était devenu un

 23   conflit armé.

 24   Toutes ces conclusions de la Chambre de première instance ont été

 25   présentées en se fondant sur le droit exact, et ces éléments de preuve sont

 26   tout à fait raisonnables. Ils n'ont pas été considérés comme non

 27   raisonnables. Voilà ce que nous avançons à ce sujet. Toutefois, si vous

 28   souhaitez obtenir de plus amples renseignements à ce sujet, nous pourrions

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  1   vous les fournir en présentant des écritures supplémentaires.

  2   Je commencerai par vous parler maintenant du premier moyen d'appel qui,

  3   d'après nous, doit être rejeté pour les raisons que nous avançons dans

  4   notre réponse, notre mémoire en réponse. Qui plus est, j'aimerais vous

  5   rappeler votre décision du 12 octobre 2009, dans l'affaire Karadzic, aux

  6   paragraphes 36 et 39, où vous expliquez justement que la portée de la

  7   compétence du Tribunal dépend entièrement du Statut et que cette compétence

  8   ne peut être limitée que par une résolution du Conseil de sécurité.

  9   Je dirais donc que le Statut est absolument limpide et clair. Il n'y

 10   a pas d'exception à la compétence du Tribunal pour des personnes qui

 11   prétendent commettre des actes d'autodéfense contre des terroristes. De

 12   surcroît, il n'y a pas de résolution du Conseil de sécurité qui limite de

 13   façon implicite ou expressément la compétence du Tribunal pour ce qui est

 14   des événements en République de Macédoine en 2001.

 15   Par conséquent, le Tribunal a compétence pour traduire en justice

 16   l'appelant et le premier moyen d'appel doit être rejeté.  

 17   J'aimerais maintenant aborder le moyen d'appel numéro 2, le droit

 18   applicable.

 19   Je vous dirais qu'il n'y a pas d'incertitude à propos du droit et des

 20   coutumes de la guerre qui sont utilisés ici. La Chambre de première

 21   instance a conclu que le conflit qui opposait les forces macédoniennes et

 22   l'ALN constituait un conflit armé interne, une conclusion d'ailleurs qui

 23   n'a même pas été contestée par l'appelant.

 24   L'existence d'un conflit armé interne a déclenché l'application et

 25   l'utilisation d'un certain nombre de règles du droit international

 26   humanitaire qui doivent être respectées par toutes les parties au conflit.

 27   Ces règles incluent notamment l'article 3 commun et l'interdiction de

 28   destruction sans motif ou de dévastation non justifiée par des exigences

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  1   militaires.

  2   Que les forces macédoniennes agissaient pour se défendre contre des

  3   terroristes n'a aucune pertinence au jus in bello applicable. Il s'agit

  4   d'un principe fondamental, et il faut savoir qu'à partir du moment où il y

  5   a existence d'un conflit armé, les règles du droit international

  6   humanitaire doivent être appliquées de façon égale à toutes les parties au

  7   conflit. J'aimerais attirer votre attention sur les paragraphes 30 à 32 de

  8   notre réponse.

  9   Ce principe a d'ailleurs été réitéré par le Conseil de sécurité dans

 10   son paragraphe 7 de la résolution du 21 mars 2001 qui traite précisément de

 11   la situation en Macédoine. Il s'agit de la pièce 1D230. Et dans son

 12   paragraphe 7 de la résolution, le Conseil de sécurité, et je cite :

 13   "Souligne également qu'il importe que toutes les parties agissent avec

 14   modération et dans le plein respect du droit international humanitaire et

 15   des droits de l'homme."

 16   L'appelant fait valoir que le droit applicable fait l'objet de

 17   "débats passionnés" pour ce qui est des réactions des Etats face au

 18   terrorisme. Toutefois, les seules incertitudes auxquelles il fait référence

 19   ont trait aux questions relatives au jus ad bellum, à savoir est-ce que les

 20   Etats peuvent, de façon licite, faire usage de la force pour répondre ou

 21   réagir face à des terroristes qui opèrent à partir d'autres Etats. Cela

 22   fait l'objet d'une discussion dans l'article de Beck et Arend, auquel fait

 23   référence l'appelant. Mais il n'y a pas d'incertitude pour ce qui est du

 24   jus in bello, parce que dès qu'il y a existence d'un conflit armé, qu'il

 25   soit interne ou international, toutes les parties doivent respecter le

 26   droit humanitaire applicable. Cela a également été reconnu par Beck et

 27   Arend, qui déclarent que des actes d'autodéfense contre des actes de

 28   terrorisme ne sont pas exemptés de respecter les règles humanitaires

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  1   applicables au conflit armé.

  2   J'aimerais également faire référence à la décision qui a été prise

  3   dans l'affaire la Cour suprême contre Rumsfeld, décision de 2006, où la

  4   majorité a indiqué à la page 66 à 68, et je cite :

  5   "L'article 3 commun aux conventions de Genève est appliqué pour

  6   chaque conflit armé, même dans le cas de conflit armé contre des

  7   terroristes tels que al-Qaeda."

  8   J'aimerais faire référence également au rapport de la mission

  9   d'enquête des Nations Unies sur le conflit de Gaza du 16 septembre 2009, le

 10   rapport de Goldstone au paragraphe 270.

 11   Donc il n'y a pas d'incertitude pour ce qui est des dispositions de

 12   l'article 3 commun, pour ce qui est de la façon dont elles doivent être

 13   respectées par toutes les parties participant à tout conflit armé. Et

 14   c'était une situation qui prévalait bien avant le mois d'août 2001. Les

 15   dispositions de l'article 3 commun mettent en évidence les considérations

 16   les plus élémentaires humanitaires et doivent être respectées par toutes

 17   les parties aux conflits armés sans aucune exception ou sans aucune limite.

 18   Vous vous souviendrez certainement beaucoup plus récemment de l'arrêt dans

 19   l'affaire Mrskic du paragraphe 70 et de votre décision du 9 juillet 2009

 20   prise dans l'affaire Karadzic aux paragraphes 23 à 26.

 21   L'appelant fait également valoir que les dispositions de l'article 3

 22   commun ne doivent pas être utilisées et appliquées dans la situation

 23   actuelle, parce que l'ALN s'était dissimulée parmi la population civile, ce

 24   qui avait rendu extrêmement difficile la tâche des forces macédoniennes qui

 25   ne parvenaient à faire la différence entre les personnes qui participaient

 26   activement aux conflits et aux hostilités. L'appelant a demandé à la

 27   Chambre d'appel de modifier le droit et de créer, ce faisant, une exception

 28   à une règle fondamentale du droit international humanitaire, ce qui pose de

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  1   nombreux problèmes.

  2   Premièrement, il appartient aux Etats de modifier le droit par des

  3   traités ou en changeant les pratiques et l'opino juris.

  4   Deuxièmement, bien qu'il ne soit pas toujours facile de faire la

  5   différence entre des combattants et des civils, cela n'est pas un nouveau

  6   problème. C'est un problème qui est commun à de nombreuses guerres, à de

  7   nombreux conflits armés. Mais cela ne signifie pas pour autant que les

  8   parties doivent se considérer exemptées d'essayer de faire la différence ou

  9   d'appliquer l'article 3 commun. Soutenir le contraire rendrait le droit

 10   international dénué de sens. Les Etats pourraient échapper à leurs

 11   obligations en matière de droit international humanitaire, tout simplement

 12   en apposant une étiquette de terroristes à tous les groupes avec lesquels

 13   ils sont engagés dans un conflit armé.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je pense que dans l'intérêt du

 15   public, il serait utile de ne pas utiliser le sigle DIH, mais de dire droit

 16   humanitaire international.

 17   M. BOUDREAULT : [interprétation] Oui, tout à fait.

 18   Je disais donc que les Etats pourraient tout à fait échapper à leurs

 19   obligations en matière de droit international humanitaire, tout simplement

 20   en apposant une étiquette de terroristes avec lesquels ou contre lesquels

 21   ils sont engagés dans un conflit armé. Les civils ne participant pas aux

 22   hostilités, les personnes hors de combat perdraient ainsi leur protection.

 23   Ces dangers sont parfaitement illustrés dans l'affaire qui nous occupe.

 24   Et contrairement à l'affirmation présentée par l'appelant, le fait

 25   que l'article 3 commun est valable à toutes les parties au conflit armé,

 26   n'éviscère pas le droit d'un Etat à utiliser ou à faire usage de la force

 27   contre des soi-disant terroristes. Et ce type d'action peut justement

 28   occasionner des victimes civiles. Les victimes civiles sont devenues des

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  1   victimes en toute légalité tant qu'elles sont des victimes collatérales et

  2   proportionnées. Bien entendu, il s'agit du rapport entre l'avantage

  3   militaire obtenu et les victimes parmi le groupe de la population civile;

  4   mais il ne s'agit pas de la notion qui est appliquée au jus ad bellum dans

  5   le contexte de l'article 51 qui est l'article qui évoque le droit à

  6   l'autodéfense. Il s'agit d'une question tout à fait différente.

  7   Donc les civils peuvent être considérées comme des victimes légales

  8   lorsqu'il s'agit de victimes collatérales. Mais il faut faire la différence

  9   entre ceci et une attaque qui est considérée comme non légale. Donc lorsque

 10   ces victimes participent aux hostilités, elles peuvent être considérées

 11   comme des victimes qui sont devenues des victimes légalement. Donc il et

 12   absolument manifeste que le droit reconnaît que parmi les civils, il peut y

 13   avoir des civils qui deviennent victimes de façon légale.

 14   En ce qui nous concerne, je dirais que ces victimes civiles ne

 15   participaient absolument pas de façon active aux hostilités, il ne s'agit

 16   pas de dégâts collatéraux ou proportionnels. Et ma consoeur, Mme Laurel

 17   Baig, reviendra là-dessus.

 18   Pour toutes ces raisons, nous demandons que soit rejeté le moyen

 19   d'appel 2A.

 20   Pour ce qui est du moyen d'appel 2B, j'aimerais vous demander de vous

 21   pencher sur le paragraphe 35 où nous expliquons que l'article 7(4) du

 22   Statut indique de façon très, très claire que si l'on agit conformément à

 23   un ordre, cela ne signifie pas pour autant que la responsabilité pénale de

 24   la personne est dégagée; et cela peut aussi être considéré pour le prononcé

 25   de la peine.

 26   Je ne sais pas si vous avez des questions, mais si vous n'avez pas de

 27   questions, j'en ai terminé avec la présentation de notre réponse relative

 28   aux moyens 1 et 2 de l'appel.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur

  2   Boudreault.

  3   Oui, Madame Baig.

  4   Mme BAIG : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président.

  5   Je m'appelle Laurel Baig, et je vais répondre aux moyens d'appel 3 à 5

  6   présentés par l'appel de M. Tarculovski.

  7   En fait, ce sont des moyens qui se concentrent sur l'évaluation de la

  8   Chambre, l'évaluation des éléments de preuve, des conclusions factuelles et

  9   des conclusions juridiques. Il faut savoir que la condamnation se fonde sur

 10   la totalité des éléments de preuve et sur le droit qui a été utilisé.

 11   L'appelant n'a pas su présenter ces critères en appel, car il n'a pas

 12   pu prouver que les constatations factuelles et les conclusions factuelles

 13   de la Chambre de première instance sont non raisonnables. Il n'a pas pu

 14   démontrer qu'il y avait eu erreur juridique.

 15   C'est pour cela que nous avançons qu'il ne faut pas retenir les

 16   moyens 3 à 5 de l'appel de Tarculovski.

 17   J'aimerais replacer les arguments de l'appel dans le contexte dont il les

 18   avait extraits. Après cette analyse générale, j'aimerais répondre à trois

 19   de ces arguments de façon plus détaillée, et je vous parlerai du statut

 20   protégé des victimes, de l'objectif illicite de l'opération et de la

 21   planification de cette même opération.

 22   La Chambre de première instance a conclu que le 12 août 2001, Johan

 23   Tarculovski a dirigé un groupe composé d'un minimum de 60 à 70 membres

 24   portant l'uniforme de la police de réserve macédonienne dans le village de

 25   Ljuboden, qui était un village essentiellement albanais de souche. Il se

 26   trouvait avec le groupe de police qui se déplaçait dans le village. Dans ce

 27   village, ils ont assassiné trois civils non armés, ont fait subir des

 28   brutalités à 13 hommes et ont détruit 12 maisons. L'Accusation a prouvé que

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  1   Tarculovski avait planifié, ordonné et incité à commettre l'attaque dont

  2   l'objectif principal était d'organiser des représailles contre la

  3   population civile de Ljuboten, car ce village était perçu comme étant un

  4   village apportant son soutien à l'ALN, à savoir l'Armée de libération

  5   nationale albanaise.

  6   Au paragraphe 572 du jugement, la Chambre de première instance établit un

  7   lien entre cette attaque, à savoir ces représailles contre les civils dans

  8   le village et l'explosion de la mine terrestre qui avait explosé deux jours

  9   précédemment et qui s'était soldée par la mort de huit soldats macédoniens.

 10   Deux des personnes décédées étaient originaires de la ville natale de

 11   Tarculovski, de la ville de Ljubanci, qui est la ville d'appartenance

 12   macédonienne adjacente à Ljuboten. Tarculovski était très proche de l'un de

 13   ces hommes qui est décédé. Cet incident s'est passé à environ à 10

 14   kilomètres de Ljuboten, et d'aucuns pensaient que les auteurs de cet

 15   incident se sont enfuis vers Ljuboten après l'accident.

 16   J'aimerais faire référence à deux pièces à conviction. Le premier est un

 17   document que j'ai remis à M. l'Huissier. J'ai remis le document à M.

 18   l'Huissier, parce qu'il s'agit d'un document qui avait été versé sous pli

 19   scellé et je ne veux pas l'afficher à l'écran. Donc j'aimerais que Mme la

 20   Greffière puisse le distribuer.

 21   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Est-ce que vous pourriez me dire de

 22   quel document il s'agit, pour que je puisse le consulter.

 23   Mme BAIG : [interprétation] Oui, c'est un document du greffe.

 24   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame Baig, est-ce que vous

 25   pourriez peut-être nous indiquer de quoi il s'agit.

 26   Mme BAIG : [interprétation] Monsieur l'Huissier, est-ce que vous pourriez

 27   peut-être remettre une copie de ces documents à mes collègues de la

 28   Défense.

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  1   En fait, il s'agit tout simplement d'une photographie qui vous permettra de

  2   vous repérer dans le village de Ljuboten. Vous verrez dans cette

  3   photographie que la Chambre de première instance avait estimé qu'il y avait

  4   environ 3 000 habitants dans Ljuboten. Pour vous orienter, vous pouvez

  5   remarquer la mosquée qui se trouve dans le coin supérieur gauche de la

  6   photo.

  7   Je vais également faire référence à la pièce P411, et c'est une pièce dont

  8   je vais demander l'affichage à l'écran parce qu'il s'agit d'une pièce

  9   publique.

 10   Madame, Messieurs les Juges, il s'agit d'une carte partielle de Ljuboten.

 11   L'IMG, à savoir l'International Management Group, a préparé cette carte. Et

 12   sur cette carte nous voyons les dégâts provoqués au niveau des foyers dans

 13   le village. Je vais utiliser cette carte, car grâce à cette carte nous

 14   allons pouvoir suivre l'évolution de la situation dans le village au fur et

 15   à mesure de la progression du groupe de police dans le village.

 16   J'aimerais vous rappeler qu'il s'agit d'une carte partielle. Donc

 17   vous ne retrouvez pas sur cette carte toutes les maisons que vous avez par

 18   contre sur la photo que je vous ai distribuée. Par contre, vous pourrez y

 19   voir les maisons qui ont été endommagées. La carte contient d'autres

 20   informations telles que le niveau de dégâts, et inclut des maisons qui

 21   avaient été endommagées pendant d'autres jours qui ne sont pas pertinents

 22   pour ce jugement. Mais lors de ma présentation, de ma réponse, je vais

 23   mettre en exergue les éléments d'information pertinents en ce qui vous

 24   concerne pour que vous puissiez suivre et voir exactement de quelles

 25   maisons il s'agissait et des maisons où les crimes se sont déroulés.

 26   Il faut savoir, Monsieur le Président, que le matin du 12 août, après avoir

 27   bombardé avec des mortiers de l'armée, après ces premiers bombardements,

 28   Tarculovski a dirigé la police dans le village à environ 8 heures du matin.

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  1   Un véhicule Hermelin est entré dans le village peu de temps après. Il était

  2   là pour apporter son soutien à l'attaque. La Chambre de première instance a

  3   conclu que Tarculovski a personnellement dirigé l'opération de la police et

  4   se trouvait avec ce groupe de police alors qu'il se déplacait dans le

  5   village, ce qui figure au paragraphe 564 du paragraphe.

  6   Vous avez donc cette conclusion qui se fonde sur l'intégralité des

  7   éléments de preuve apportés, notamment le témoignage de M-37, auquel a fait

  8   référence mon estimé confrère. Mais il y a également d'autres éléments de

  9   preuve qui ont été apportés à propos de la façon dont Tarculovski dirigeait

 10   le groupe, notamment ce qu'il a lui-même admis, ce qui peut être trouvé

 11   dans la pièce P397.01 de l'Accusation et P397.02. Il a, d'après ses propres

 12   dires, indiqué qu'il avait lui-même choisi les hommes, qu'il les avait

 13   armés et qu'il se trouvait avec le groupe alors qu'il se déplaçait dans le

 14   village. Je vais maintenant aborder d'autres conclusions pertinentes.

 15   Je vais annoter la carte que vous avez pour vous montrer l'itinéraire

 16   suivi par la police dans le village tel que cela est indiqué dans le

 17   jugement.

 18   La police de Tarculovski s'est, dans un premier temps, arrêtée au

 19   foyer d'Elmaz Jusufi, qui se trouvait juste un peu à l'écart de la route

 20   principale. Il s'agit de la maison numéro 137, une maison jaune qui se

 21   trouve dans le coin supérieur gauche de la carte. Je l'ai encerclée en

 22   bleu.

 23   Ce matin-là, la famille Jusufi a entendu une déflagration importante.

 24   Rami Jusufi a couru jusqu'à sa porte d'entrée, on lui a tiré dessus et il a

 25   été tué. La Chambre a estimé qu'il s'agissait d'un civil qui n'avait pas

 26   participé de façon active aux hostilités. La police de Tarculovski n'a pas

 27   fait d'effort pour essayer d'élucider ceci. Ils se sont contentés de lui

 28   tirer dessus, ils n'ont même pas pénétré dans la maison. Au lieu de cela,

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  1   ils ont incendié la voiture de Jusufi et ses autres biens. La police,

  2   ensuite, a brûlé cinq autres maisons dans les environs. Je les ai marquées

  3   à l'aide d'un X sur la carte.

  4   La police de Tarculovski s'est ensuite dirigée dans la même rue, vers

  5   l'est du village avec le véhicule de transport de troupes Hermelin qui

  6   transportait de l'essence et d'autres matériels incendiaires ou

  7   combustibles utilisés pour brûler les maisons. Lorsqu'ils sont arrivés dans

  8   le quartier qui se trouvait près de la mosquée, ils ont brûlé quatre autres

  9   maisons. Aucune de ces maisons n'a fait l'objet de perquisition. Vous

 10   pouvez voir la mosquée qui se trouve dans le coin supérieur gauche de la

 11   photo, ce qui vous permettra de vous orienter entre la carte et la

 12   photographie. Je pense qu'il va falloir que vous retourniez la photo pour

 13   que les lignes correspondent.

 14   La police de Tarculovski est ensuite arrivée chez Adem Ametovski, qui

 15   est représenté par un cercle bleu sur vos écrans. La police a tiré dans une

 16   fenêtre qui se trouvait au sous-sol, et quelque dix hommes qui s'y

 17   cachaient en sont sortis en arborant un drapeau blanc. Ils ont pris leurs

 18   monnaies, leurs biens, leurs cartes d'identité. La maison d'Ametovski a été

 19   la seule maison qui fit l'objet de perquisition dans tout le village, mais

 20   aucune arme, aucun matériel militaire n'y a été trouvé par la police.

 21   Tarculovski et sa police ont ensuite détenu 13 hommes dans la cour

 22   avant du domicile d'Ametovski. Ils leur ont fait subir des sévices, les ont

 23   roués de coups brutalement à plusieurs reprises avec leurs armes, leur ont

 24   donné des coups de pied, et des coups de poing. Un policier a gravé une

 25   croix sur le dos de l'un des hommes, un autre a tiré sur la main d'Aziz

 26   Bajrami, son fils Sulejman Bajrami fut ensuite frappé au niveau de la tête.

 27   Il a reçu un coup de pied au niveau de la tête. La police lui a permis de

 28   se déplacer quelques mètres avant de lui tirer dessus, ce qui a occasionné

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  1   son décès.

  2   Dix des hommes détenus chez Adem Ametovski ont ensuite dû marcher

  3   pieds nus à travers le village vers le poste de police qui se trouvait chez

  4   Brace, qui se trouve juste en marge du haut de la carte. Une fois de plus,

  5   au domicile de Brace, ils ont subi d'autres traitements cruels, d'autres

  6   sévices. Ils ont été roués de coups de telle façon que certains ont perdu

  7   connaissance. Deux hommes âgés ont été laissés à la garde de la police chez

  8   Adem Ametovski. L'un de ces hommes, Muharem Ramadani, a été tué par la

  9   police.

 10   Aucune arme n'a été trouvée en leur possession. Il faut savoir qu'à

 11   l'époque ils ont été soit roués de coups, soit tués alors qu'ils se

 12   trouvaient détenus par la police et que de ce fait ils ne participaient pas

 13   de façon active aux hostilités.

 14   Finalement, un peu plus loin le long de la route, la police de Tarculovski

 15   s'est déployée dans trois autres domiciles. Trois hommes ont été tués dans

 16   un champ qui se trouvait près de ces maisons. Mais la Chambre de première

 17   instance n'a pas exclu la possibilité que les tirs auraient pu provenir de

 18   l'armée. Qui plus est, la Chambre de première instance a considéré comme un

 19   doute raisonnable le fait que ces hommes auraient pu participer de façon

 20   active aux hostilités.

 21   Tarculovski et sa police sont ensuite revenus chez Brace, où ils ont

 22   rejoint les dix prisonniers.

 23   Finalement, il s'agissait, en fait, d'une attaque de représailles menées à

 24   bien contre des civils dans le village de Ljuboten, ce qui s'est soldé par

 25   le résultat suivant : trois personnes ont été assassinées, 13 ont fait

 26   l'objet de traitements cruels et 12 foyers ont été détruits sans aucun

 27   motif. Il ne s'agissait pas d'une opération de police légitime. Il

 28   s'agissait tout simplement d'une attaque menée contre un village civil.

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  1   J'aimerais maintenant répondre à trois des arguments principaux de

  2   l'appelant. Je ne vais plus utiliser la carte mais pourrais y revenir si

  3   cela est important.

  4   J'aimerais, dans un premier temps, que nous parlions du statut protégé des

  5   victimes en l'espèce qui a été considéré par la Chambre de première

  6   instance lorsqu'elle a analysé les éléments de preuve et les arguments

  7   présentés par les parties. Ce fut une question qui a été débattue en

  8   première instance. La Chambre de première instance a évalué le statut de

  9   chacune des victimes et a abouti à des conclusions raisonnables. Lorsqu'il

 10   y avait un doute à propos du statut des victimes, par exemple, lorsque la

 11   Chambre a entendu des éléments suivant lesquels ils auraient pu tirer sur

 12   la police, la Chambre prend cela en considération dans le paragraphe 348 du

 13   jugement.

 14   Mais lorsqu'il n'y a pas de doute que les victimes de traitements

 15   cruels ou de meurtres étaient des civils qui ne participaient pas aux

 16   hostilités, la Chambre de première instance a prononcé une condamnation à

 17   juste titre. Et ici, j'aimerais insister sur le fait que pour toutes les

 18   victimes, à l'exception d'une des victimes pour laquelle Tarculovski a été

 19   condamné, toutes les victimes se trouvaient, en fait, en détention ou

 20   étaient détenues par la police au moment où elles ont fait l'objet

 21   d'attaque où elles ont été tuées. Au vu de cette circonstance, même s'il

 22   s'agissait de membres actifs de l'ALN, ces personnes étaient hors de

 23   combat. Elles auraient dû être protégées par l'article 3 commun. Le fait

 24   d'être justement en détention donne à la personne détenue un statut

 25   protégé, ce qui est manifeste pour tout le monde, notamment les auteurs des

 26   crimes.

 27   La seule victime qui n'était pas détenue était Rami Jusufi. Il a été

 28   tué alors qu'il se trouvait dans la porte d'entrée de sa demeure familiale

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  1   alors qu'il n'était pas armé, qu'il portait une paire de jeans et un tee-

  2   shirt blanc. La Chambre a conclu que les éléments de preuve apportés ne

  3   permettaient pas d'étayer une conclusion suivant laquelle il n'était

  4   absolument pas un civil non armé. Et en concluant que les membres de la

  5   police qui ont tiré avaient le mens rea requis pour ce meurtre, au

  6   paragraphe 312 du jugement, la Chambre de première instance a fait

  7   remarquer qu'ils lui ont tiré dessus quasiment à bout portant et qu'il

  8   était habillé en vêtements civils, qu'il n'était pas armé et qu'il n'a

  9   opposé aucune résistance à la police.

 10   Vous savez, Messieurs les Juges, un civil dans un conflit armé non

 11   international est une personne qui ne fait pas partie des forces armées de

 12   l'Etat, en l'occurrence, les forces de sécurité macédoniennes, qui n'est

 13   pas un combattant d'un groupe armé organisé dans un conflit armé avec

 14   l'Etat; dans ce cas, un combattant de l'ALN.

 15   Une personne ne peut devenir un membre d'un groupe armé organisé,

 16   conformément au droit international humanitaire que si elle a une fonction

 17   de combattant continue. Ceux qui exercent cette fonction de combat continue

 18   sont considérés de façon équivalente à des membres des forces armées de

 19   l'Etat et l'on peut considérer que ces personnes participent de façon

 20   active aux hostilités.

 21   Par opposition, une personne ne perd pas son statut de civil, et vous

 22   avez la protection qui est assurée par l'article 3 commun, lorsque cette

 23   personne se contente tout simplement d'apporter un soutien à un groupe

 24   armé. Comme l'a expliqué la Chambre dans l'arrêt Strugar au paragraphe 177,

 25   il y a de nombreux moyens par lesquels un civil peut, de façon indirecte,

 26   apporter son soutien dans les hôpitaux, par exemple, en exprimant sa

 27   sympathie pour la cause en question, en fournissant des aliments et

 28   d'autres ravitaillements.

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  1   J'aimerais attirer votre attention sur un concept qui a été expliqué

  2   récemment par le CICR et qui est le concept de la participation directe au

  3   conflit. Car conformément à ce qu'a indiqué le CICR, une personne devient

  4   un membre d'un groupe armé, donc exerce et a une fonction de combat

  5   continue qui peut être considérée comme équivalant aux forces armées de

  6   l'Etat.

  7   Mais il faut savoir que d'autres qui apportent leur soutien à un

  8   groupe armé restent des civils et conservent la protection qui est la leur.

  9   La Chambre a fait remarquer dans le jugement en première instance qu'il y

 10   avait environ un millier de membres de l'ALN qui se contentaient tout

 11   simplement de fournir un soutien non-combattant. Bien qu'elles soient

 12   affiliées d'une certaine façon à l'ALN, ces personnes continuaient à être

 13   des civils et étaient perçues en tant que civils conformément au droit

 14   international humanitaire et devaient conserver leur protection contre des

 15   attaques directes.

 16   Quoi qu'il en soit, en l'espèce, il n'y a aucun élément de preuve crédible

 17   qui a été apporté pour indiquer que Rami Jusufi faisait partie de l'ALN.

 18   L'appelant n'a pas su montrer l'erreur commise par la Chambre de première

 19   instance lorsqu'elle a évalué son statut ou le statut de toute autre

 20   victime placée en détention.

 21   J'aimerais maintenant parler de l'objet de l'attaque. L'appelant avance

 22   qu'il s'agissait d'une attaque légitime, dont le but était d'expulser les

 23   terroristes de l'ALN dans le village. La Chambre de première instance a

 24   examiné de façon très détaillée ces arguments qu'elle a rejetés, car elle a

 25   été d'avis que l'objectif essentiel de l'attaque était des représailles

 26   contre des civils albanais parce qu'ils pensaient que le village protégeait

 27   ces personnes. Ces représailles étaient censées constituer un avertissement

 28   lancé aux autres habitants du village quant aux conséquences auxquelles il

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  1   convenait de s'attendre pour le soutien fourni à l'ALN.

  2   La Chambre de première instance, au paragraphe 40, a reconnu qu'il y

  3   avait des raisons potentiellement légitimes pour la police pour qu'elle

  4   puisse entrer dans le village puisqu'un membre suspecté d'appartenir à

  5   l'ALN était censé s'y trouver. Mais le fait de reconnaître cela ne revient

  6   pas et ne justifie pas le type de représailles criminelles sur lequel je

  7   suis revenu, l'attaque dont la Chambre de première instance a constaté

  8   l'existence, la planification et l'exécution par Tarculovski et la police

  9   le même jour.

 10   Ce n'était pas une attaque légitime qui a dégénéré. Ce n'était pas le

 11   fait de quelques officiers qui auraient échappé à tout contrôle. Il

 12   s'agissait de représailles planifiées et exercées contre des civils, et

 13   c'était une action destinée à adresser un avertissement et qui visait des

 14   personnes appartenant au groupe ethnique albanais sans aucune référence à

 15   leur connexion réelle ou non avec l'ALN.

 16   Lorsqu'elle est parvenue à sa conclusion figurant au paragraphe 572 du

 17   jugement selon laquelle l'objectif premier de l'attaque n'était pas le

 18   maintien de l'ordre et de la loi mais d'exercer des représailles contre les

 19   Albanais de souche pour les actions commises par l'ALN, la Chambre a

 20   énuméré un certain nombre de facteurs pertinents, dont les activités

 21   criminelles délibérées de la police, y compris le meurtre d'hommes albanais

 22   qui ne représentaient aucune menace, les violences infligées à des détenus,

 23   l'incendie volontaire de maisons, le vol d'objets de valeur appartenant à

 24   des hommes et des femmes prisonniers. Cela ne constitue en rien une

 25   opération de maintien de la loi, Madame et Messieurs les Juges.

 26   Du point de vue de la Chambre de première instance, ces événements

 27   sont en contradiction directe avec l'objectif de l'opération tel que

 28   formulé par Tarculovski aux fins d'identifier les maisons pouvant

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  1   éventuellement abriter des terroristes. C'est le paragraphe 558 du

  2   jugement, où la Chambre de première instance rejette cette idée.

  3   Je voudrais rappeler à Mme et MM. les Juges que la conclusion qui a

  4   été faite aux termes de laquelle les actions commises par la police l'ont

  5   été en présence de son chef, Tarculovski. Au paragraphe 565 du jugement, la

  6   Chambre de première instance y voit une indication claire de l'intention et

  7   de l'objectif qui étaient ceux de l'opération. Cela relève du bon sens.

  8   Ensuite, au même paragraphe, paragraphe 572, la Chambre de première

  9   instance s'est penchée sur les allégations relatives à la composition de

 10   ces forces de police et au chemin qui a été suivi lors du déroulement de

 11   l'attaque que je viens de montrer sur la carte. La Chambre de première

 12   instance a noté que la police n'a pas procédé à une inspection de toutes

 13   les maisons ni même de toutes les maisons peuplées d'Albanais de souche.

 14   L'inspection n'a porté que sur une seule maison. Ils se sont contentés de

 15   s'écarter de la route principale et ils n'étaient, à vrai dire, à la

 16   recherche de personne.

 17   En se basant sur l'ensemble des éléments de preuve, la Chambre de

 18   première instance a justement conclu que l'objectif premier de cette

 19   attaque était d'exercer des représailles contre des civils albanais. Elle

 20   était fondée à conclure que Tarculovski, comme c'est formulé au paragraphe

 21   576, avait bien l'intention que des crimes soient commis et, à défaut de

 22   cela, qu'il était conscient de la forte probabilité que ces crimes se

 23   produiraient dans la mise en œuvre de cette opération qui était la sienne.

 24   Tarculovski n'a pas réussi à démontrer la moindre erreur de

 25   raisonnement à cet égard.

 26   Et enfin, je voudrais aborder la question de la planification.

 27   A l'inverse de ce que l'appelant a affirmé, la Chambre de première

 28   instance a justement conclu que Tarculovski avait bien planifié l'attaque.

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  1   Juste pour préciser les choses, il n'y a pas d'obligation, d'un point de

  2   vue juridique, contrairement à ce que suggère l'appelant, d'inclure dans la

  3   phase de planification une phase préparatoire et une phase d'exécution; et

  4   il n'y a pas de distinction à établir ici entre la préparation au sens

  5   strict et l'exécution qui suivrait. On peut en trouver la confirmation dans

  6   plusieurs jugements en première instance, notamment dans le jugement -- et

  7   dans le jugement en appel Kordic, au paragraphe 26.

  8   Et --

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelle était la référence que vous

 10   faisiez ?

 11   Mme BAIG : [interprétation] Je me référais à Kordic. Il me semble que je

 12   l'ai ici, Monsieur le Président.

 13   Monsieur le Président, dans l'arrêt Kordic, il est dit, je

 14   cite :

 15   "L'actus reus de la planification requiert qu'une ou plusieurs personnes

 16   conçoivent le comportement criminel constituant en un ou plusieurs crimes

 17   couverts par le Statut qui sont ultérieurement commis. La planification est

 18   un facteur qui contribue de façon substantielle à la commission de tels

 19   comportements."

 20   Et cela concerne l'actus reus que je m'apprêtais à aborder en rapport avec

 21   le mens rea. Cela figure au paragraphe 30 et concerne l'intention directe.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Et vous affirmez que cela n'établit

 23   aucune distinction entre la phase préparatoire et la phase de mise en œuvre

 24   ou d'exécution.

 25   Mme BAIG : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président. Mais en

 26   l'espèce, comme je voudrais le montrer, les faits montrent qu'il y a eu une

 27   longue phase de préparation pour ces crimes, et conformément aux

 28   constatations de la Chambre de première instance, cela a été fait avec

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  1   l'intention directe ou indirecte ou la conscience d'une forte probabilité

  2   que ces crimes se produisent.

  3   Comme nous l'avons expliqué dans notre mémoire, il n'est pas

  4   nécessaire qu'il y ait eu planification de commettre le crime. Autrement,

  5   une intention indirecte visant à planifier ne serait plus possible.

  6   Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, pour répondre à

  7   votre question portant sur les faits, cette attaque était  une attaque

  8   coordonnée qui n'aurait pas pu se produire par accident. La Chambre de

  9   première instance a conclu que l'attaque avait été planifiée et que cette

 10   constatation était amplement fondée par les éléments de preuve.

 11   Les constatations étayent la condamnation de Tarculovski pour

 12   planification et peuvent être regroupées en trois catégories : tout

 13   d'abord, le schéma dans lequel entraient les comportements; deuxièmement,

 14   la préparation; troisièmement, la coopération avec les forces armées.

 15   Comme j'ai déjà indiqué précédemment, la Chambre de première instance

 16   a souligné les crimes qui se sont produits. Au paragraphe 573, la Chambre a

 17   exclu la possibilité que ces comportements se soient produits par hasard,

 18   par erreur ou par suite de confusion ou de façon accidentelle.

 19   Tarculovski était présent lors de la commission des crimes. Il n'y a

 20   pas d'éléments de preuve indiquant qu'il ait désapprouvé ces crimes, qu'il

 21   se soit efforcé de les arrêter une fois qu'ils avaient commencé ou qu'il

 22   ait entrepris quelque mesure ou sanction que ce soit contre les membres de

 23   la police concernés, et ce, ultérieurement. Au contraire, quand il a

 24   comparu devant la commission, il n'a fait mention d'aucune conduite

 25   criminelle et a refusé de révéler l'identité des officiers de police

 26   concernés.

 27   Concertant les préparatifs, la Chambre de première instance a établi

 28   qu'il était responsable de la préparation de l'attaque. Cela figure aux

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  1   paragraphes 555 et 560. Il était en charge de cette mission. Et Tarculovski

  2   a confirmé qu'il avait personnellement choisi les officiers de police

  3   réservistes qui s'étaient portés volontaires. Il était en charge également

  4   de la chronologie des opérations. Il était responsable du décalage dans le

  5   temps, donc faisant passer l'opération du 11 au 12 août. Il a été impliqué

  6   dans la fourniture de gilets pare-balles, de matériel radio, du véhicule

  7   blindé Hermelin qui a transporté de l'essence à travers le village; et il a

  8   sécurisé le transport le jour précédant l'attaque lorsqu'il était à la tête

  9   de la mission de reconnaissance.

 10   Enfin, il a joué un rôle-clé dans la coordination avec les forces

 11   armées. Il a tenu cette réunion de planification le 10 août afin d'aborder

 12   cette opération avec des officiers supérieurs de l'armée et des forces de

 13   la police. Il a eu des appels téléphoniques avec des représentants de

 14   l'armée. Et le simple fait que l'attaque s'est déroulée avec des tirs de

 15   mortiers et d'autres formes de tirs qui se sont produits au début, à partir

 16   des positions de l'armée entourant le village, confirme cela. Les

 17   événements à répétition qui se sont produits dans le cadre de l'attaque,

 18   les crimes constatés et la coopération étroite avec les forces armées

 19   étayent la conclusion raisonnable qui est celle de la Chambre de première

 20   instance.

 21   Par conséquent, cette dernière était tout à fait fondée à conclure

 22   que Tarculovski avait planifié les crimes, qu'il avait ordonné et incité à

 23   commettre ces derniers soit avec une intention directe, soit en étant

 24   conscient de la forte probabilité de la commission de ces crimes.

 25   L'appelant n'a pas réussi à démontrer la moindre erreur dans les

 26   constatations et conclusions de la Chambre de première instance.

 27   Pour ce qui est donc des moyens d'appel 3 à 5, cela conclut notre

 28   réponse.

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  1   A moins qu'il n'y ait des questions de la Chambre d'appel, ma

  2   consoeur, Nadia Shihata, va maintenant aborder les moyens d'appel 6 et 7.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

  4   Mme SHIHATA : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Je

  5   suis Nadia Shihata. Je vais présenter la réponse de l'Accusation aux moyens

  6   d'appel numéro 6 et 7.

  7   Concernant le moyen d'appel numéro 6, la Chambre de première instance était

  8   fondée à recourir aux déclarations de l'appelant devant une commission

  9   macédonienne enquêtant sur les événements de Ljuboten.

 10   Comme cette Chambre d'appel le sait bien, les décisions portant

 11   recevabilité de ces éléments de preuve entrent tout à fait dans le pouvoir

 12   inhérent à la Chambre de première instance.

 13   La Chambre de première instance a exercé ce pouvoir inhérent de façon

 14   particulièrement soigneuse. Elle a établi dans une décision de 25 pages, en

 15   identifiant tout à fait précisément les règles applicables et la

 16   jurisprudence pertinente, les fondements de cette décision. Elle a conclu

 17   que les déclarations en question avaient été données de façon volontaire,

 18   qu'elles étaient pertinentes et qu'elles constituaient des indices

 19   suffisants et présentaient une valeur pertinente suffisante pour être

 20   versées.

 21   La Défense n'a pas remis en question ces constatations. Au lieu de cela,

 22   son argument repose uniquement sur des considérations générales, à savoir

 23   que cette Chambre aurait adopté une règle nouvelle pour exclure des

 24   déclarations qui n'ont pas été données dans son cadre, dans le cadre du

 25   Tribunal, mais dans le cadre de poursuites devant des juridictions

 26   nationales.

 27   Cet argument est présenté pour la première fois dans l'appel et

 28   devrait, par conséquent, être rejeté au titre de la renonciation par la

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  1   Défense à faire valoir cet argument précédemment.

  2   Malgré, M. Tarculovski a paru à deux reprises devant cette commission

  3   pour donner sa version des événements. De plus, dans le cours du procès, la

  4   Chambre de première instance a la possibilité de recevoir les documents et

  5   d'évaluer leur valeur pertinente, ce qui rentre tout à fait dans le cadre

  6   de la mission du Tribunal.

  7   Cette façon de raisonner consiste à confondre la valeur prima facie

  8   des pièces et la question de savoir s'ils seront versés ou non à une phase

  9   ultérieure de l'évaluation des éléments de preuve.

 10   Je vais maintenant passer brièvement au moyen d'appel numéro 7.

 11   La Chambre de première instance n'était pas tenue de considérer comme

 12   circonstance atténuante le fait que la Macédoine avait amnistié les

 13   personnes qui se trouvaient des deux côtés des hostilités entre la

 14   Macédoine et l'ALN. Tout d'abord, la Défense n'a jamais mentionné

 15   l'amnistie comme étant une circonstance atténuante dans ses arguments en

 16   première instance.

 17   Cela, nous en trouvons amplement trace dans le jugement Bralo,

 18   paragraphe 18 et dans les sources qui sont citées en notes de bas de page

 19   67.

 20   Ce principe devrait être suivi ici et l'argument visant à mettre en

 21   avant l'amnistie devrait être rejeté. De plus, cet argument qui s'appuie

 22   sur la loi d'amnistie, versé comme pièce à conviction P83 est avancé de

 23   façon incorrecte. La loi exclut de façon spécifique les crimes commis et

 24   qui tombent sous la juridiction du TPIY, je

 25   cite : "Les actes criminels constituant des crimes contre l'humanité et le

 26   droit international n'entrent pas dans le cadre de l'amnistie et de la

 27   réduction de la peine."

 28   J'attire l'attention des Juges de la Chambre d'appel sur les articles 1 et

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  1   3 de la loi correspondante.

  2   Toute personne ayant commis des crimes, comme M. Tarculovski, ou

  3   d'autres violations du droit international humanitaire ne se sont jamais vu

  4   accorder une amnistie. Par conséquent, la Chambre de première instance n'a

  5   pas abusé de son pouvoir inhérent en écartant, en ne considérant pas le

  6   facteur de l'amnistie pour accorder des mesures similaires à M.

  7   Tarculovski. Pour finir, nous notons que cet argument de l'amnistie a déjà

  8   été avancé et rejeté dans le cas du Procureur contre Brima, Kamara et Kamu

  9   devant le tribunal spécial pour la Sierra Leone. La Chambre de première

 10   instance a rejeté cet argument aux paragraphes 137 et 138 de son jugement

 11   du 19 juillet 2007 et cela a été confirmé en appel.

 12   La Défense avance également dans son moyen d'appel numéro 7 le fait que la

 13   Chambre de première instance n'aurait pas considéré l'article 40 du code

 14   pénal macédonien, ce qui aurait résulté en une détermination incorrecte de

 15   la peine.

 16   Mais tout d'abord, la Chambre n'est pas tenue de tenir compte de la

 17   pratique en termes de détermination de la peine qui est celle des tribunaux

 18   macédoniens. Deuxièmement, la Chambre de première instance n'a pas à

 19   considérer l'article 40 parce que celui-ci n'est pas pertinent. L'article

 20   40 prévoit une atténuation de la peine dans des circonstances dans

 21   lesquelles la Chambre conclut à l'existence de "circonstances atténuantes

 22   exceptionnelles."

 23   Les circonstances atténuantes auxquelles la Chambre a conclu sont les

 24   suivantes : M. Tarculovski a été considéré comme étant apte et comme étant

 25   un officier capable; deuxièmement, il s'est rendu au Tribunal;

 26   troisièmement, il a eu une bonne conduite en détention et pendant le

 27   procès.

 28   Aucune de ces circonstances n'est à caractère exceptionnel. Par conséquent,

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  1   il n'y avait pas de raison pour la Chambre de première instance de se

  2   référer à l'article 40 du code pénal macédonien.

  3   Cela conclut la réponse de l'Accusation au moyen 7 de la Défense

  4   Tarculovski, s'il n'y a pas de questions de la part de la Chambre d'appel.

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Madame Shihata.

  6   Maintenant, nous allons avoir la réplique du conseil de M. Tarculovski.

  7   Monsieur Alan Dershowitz.

  8   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  9   L'Accusation se contente de dérouler le raisonnement à l'envers lorsqu'elle

 10   dit que ce n'est pas de jus in bellum, mais de jus ad bellum  qu'il s'agit.

 11   Or, ce n'est jamais de jus ad bellum qu'il s'agit lorsqu'il est question de

 12   terrorisme et c'est très clair dans l'article 51 de la charte. La question

 13   qui se pose est celle des actions qui peuvent être entreprises. Toute la

 14   controverse porte sur le jus ad bellum. Quelles sont les règles

 15   applicables. Peut-on tirer sur un terroriste qui est protégé par des civils

 16   ? Peut-on viser la maison qui abrite un terroriste ? Quelles sont les

 17   règles de proportionnalité applicables ? Comment fait-on la distinction

 18   avec les civils ?

 19   L'argument selon lequel il y a des règles claires qui permettent de

 20   distinguer les civils des combattants nous fait revenir en 1900 ou en 1940

 21   où on considérait que tout un chacun était un combattant. Des personnes qui

 22   se préparent à un attentat suicide et qui se mêlent à la population

 23   doivent-elles être considérées comme des civils ? Des personnes qui portent

 24   un tee-shirt noir et qui portent l'insigne de personnes qui protègent

 25   volontairement des terroristes doivent-elles être considérées comme des

 26   civils ? Toute la communauté des juristes s'accorde sur le fait que le

 27   rapport Goldstone est --

 28   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] On vous demande de ralentir, Maître.

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  1   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Excusez-moi.

  2   Le Juge Goldstone, dans son récent rapport, affirme qu'Israël aurait dû

  3   envoyer des commandos dans les zones urbaines plutôt que de procéder à des

  4   bombardements aériens. C'est un argument qui revient à ce qui a été fait

  5   ici.

  6   Lorsqu'on a affaire aux terroristes, quelle est la pertinence du

  7   droit international humanitaire ? Ces règles ont été écrites avant

  8   l'apparition de ce phénomène, les terroristes qui visent des civils et qui,

  9   ensuite, utilisent les mêmes civils comme la justification même de ce

 10   qu'ils font afin d'encourager d'autres à les rejoindre, c'est cela même le

 11   type de conflit auquel nous avons affaire et c'est cette question-là qui

 12   n'a pas été reçue au titre des conditions nécessaires à la mens rea.

 13   Lorsque vous avez affaire à quelqu'un qui est dans un rôle intermédiaire,

 14   cette personne n'est pas censée savoir comment apporter une réponse à des

 15   questions. Comment pourrait-il le savoir ?

 16   Les questions que nous avons soulevées concernant la compétence du

 17   Tribunal, je voudrais revenir spécifiquement à la question posée plus tôt

 18   par le Juge Meron. Nous avons remis en question à la fois l'échelon global

 19   et dans le détail, les questions de compétence. Cela se trouve dans notre

 20   mémoire au paragraphe 29. Même si on considère qu'il y avait un conflit

 21   armé et même si on considère que l'intensité de ce dernier était

 22   suffisante, la question suivante qui se pose est que dans ces circonstances

 23   spécifiques, comment fait-on intervenir le droit international humanitaire.

 24   Si au milieu d'un conflit armé des policiers se rendent dans une

 25   ville donnée et volent des objets qui sont la propriété de certaines

 26   personnes, cela ne déclenche pas automatiquement la compétence du présent

 27   Tribunal. Ce n'est pas suffisant pour conclure qu'il y a un conflit armé

 28   d'intensité suffisante et c'est cela la question globale qui est ici en

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  1   jeu.

  2   A tout le moins, il faudrait prendre en compte cette question globale

  3   lorsqu'on décide de questions qui se trouvent à un échelon inférieur, des

  4   questions particulières. S'il y a un doute concernant l'intensité du

  5   conflit armé, dans ce cas-là, si nous avons une poignée d'hommes qui sont

  6   des civils et qui sont tués dans le cours d'une opération, ce qui est fort

  7   regrettable, la question est de savoir si le droit international

  8   humanitaire s'applique bien dans ce cas-là et la question demeure de savoir

  9   ce qu'est le droit international humanitaire, ce qu'il en subsiste

 10   lorsqu'il s'agit de lutter contre les terroristes.

 11   Supposons que nous ayons un conflit, une opération légitime, mais

 12   vous savez qu'il y aura sans doute des crimes qui seront commis.

 13   L'Accusation affirme que vous ne pouvez envoyer de soldats si vous savez

 14   que des crimes pourront être commis, même si vous n'avez pas l'intention

 15   que cela soit le cas. Dans toute l'histoire de la guerre et des opérations

 16   policières, on a constaté que les soldats se livrent à des viols, à des

 17   pillages, que la police vole, qu'il y a des incendies volontaires et dans

 18   une telle situation, vous êtes condamné à vous attendre à ce qu'il se

 19   produise des événements de cette nature. Est-ce que cela vous empêche pour

 20   autant d'engager une réponse dans le cadre des hostilités ? Non. Les règles

 21   de proportionnalité s'appliquent et il n'est pas surprenant que

 22   l'Accusation n'ait pas formulé de chef d'accusation concernant les règles

 23   de proportionnalité et leur éventuel non-respect.

 24   Pour ce qui est de la compétence, on a eu des cas dans lesquels il y

 25   a eu plus de morts parmi les civils qu'en l'espèce, mais cela n'a pas été

 26   considéré comme tombant dans la compétence du présent Tribunal. Lorsqu'on

 27   se contente d'examiner juste un incident s'étant produit sur une période de

 28   temps très court et qu'on choisit d'y appliquer le droit international

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  1   humanitaire tout en fermant les yeux sur des cas où il y a eu des victimes

  2   beaucoup plus nombreuses, je pense que nous sommes dans une situation

  3   problématique.

  4   Il y a des hommes qui arrivent à la porte d'une maison qui est

  5   supposée abriter des terroristes. Il y a un homme qui se présente à la

  6   porte de la maison et il essuie un tir, mais cela se passe partout, à New

  7   York et partout ailleurs dans le monde. Personne ne peut conclure du tir

  8   qui est le fait d'un seul homme au moment où une porte s'ouvre ou se ferme

  9   que cela faisait partie d'une action coordonnée visant à commettre des

 10   crimes, visant à tuer l'individu en question et que cela ait été prémédité

 11   et coordonné. Cela ne fait aucun sens.

 12   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Dershowitz, je voudrais vous

 13   proposer de revenir à une affirmation qui a été avancée précédemment.

 14   Vous avez dit que même en supposant qu'il y a un conflit armé - et

 15   d'un point de vue général, cela ne suppose qu'une intensité suffisante -

 16   vous avez dit qu'à un moment donné, un groupe de policiers se rendrait dans

 17   cette situation dans une ville, déroberait des objets, tout cela restant à

 18   petite échelle.

 19   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Entendu.

 20   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce que vous affirmez, si j'ai bien

 21   compris, est que l'échelle à laquelle tout cela se déroule, cette échelle

 22   réduite, ne permettrait pas d'apporter la qualification de conflit armé,

 23   même si cela peut être intégré à des événements de plus grande échelle, si

 24   vous parlez de Shabraj Satila [phon], par exemple.

 25   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Je ne dirais pas cela, parce qu'il y a

 26   deux questions ici sur lesquelles il faut se prononcer. Pour ce qui est de

 27   l'applicabilité du droit international humanitaire, je ne vais pas revenir

 28   là-dessus. Tout cela est précisé dans la page 38 du mémoire en appel --

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  1   excusez-moi.

  2   En d'autres termes, ce que nous avançons, Madame et Messieurs les

  3   Juges, c'est que ces autres facteurs qui sont requis sont tout à fait

  4   indépendants pour ce qui est de la position prise par le Tribunal par

  5   rapport à la question du conflit armé. Si la position est celle qu'un

  6   incident particulier constituait une violation du droit international

  7   humanitaire et si cela ne découle pas automatiquement d'un incident en

  8   particulier qui était une partie seulement d'un conflit armé, cela ne

  9   constitue pas obligatoirement une violation du droit international

 10   humanitaire.

 11   Juste pour revenir à la question précédente du Juge Meron et répondre

 12   en même temps à la vôtre, Monsieur le Président, oui, si c'était une option

 13   de police, il est possible que cela présente davantage d'exigences pour ce

 14   qui est de protéger les civils, mais cela va à l'encontre de la version

 15   selon laquelle on aurait affaire à un conflit armé international. Si nous

 16   avons un procès dans un cadre national d'un officier de police, cadre dans

 17   lequel ce dernier peut se défendre, dans ce cas-là, c'est au soldat qu'il

 18   incombe de se défendre dans un contexte militaire.

 19   Les restrictions qui incombent à un officier de police lorsqu'il

 20   intervient sont des restrictions nationales, mais les restrictions

 21   internationales, elles s'appliquent à la police, elles s'appliquent aux

 22   soldats, mais si c'est une action menée par autodéfense et de façon

 23   proportionnelle, ce n'est pas constitutif d'une violation du droit

 24   international humanitaire simplement du fait qu'il se fait que cette action

 25   s'est déroulée pendant qu'il y avait un conflit armé intense qui se

 26   déroulait.

 27   J'espère avoir répondu à votre question.

 28   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais les règles

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  1   d'administration de la preuve disent qu'on a pris à l'aveuglette, de façon

  2   aveugle, comme cibles des civils, même si l'acte était de faible portée, de

  3   faible envergure. A ce moment-là, ça constituerait quand même une violation

  4   du droit international humanitaire.

  5   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Mais il faudrait prouver qu'il y a eu

  6   une volonté délibérée de prendre ces civils pour cibles. S'il s'était passé

  7   ceci, s'il y avait un plan, nous, nous avons pensé qu'il n'y en avait pas,

  8   ou plutôt, comme nous pensons que ce fut le cas de rechercher des

  9   terroristes et si dans le cours de l'exécution de ce plan un policier fait

 10   ce qu'un policier fait souvent, un soldat policier, pendant qu'on est en

 11   guerre, si à ce moment-là, ça transforme le bon exercice de l'autorité en

 12   préoccupation du côté du droit international humanitaire, c'est ce que nous

 13   contestons.

 14   Nous pensons qu'il y a les deux choses : c'est un point fort

 15   intéressant pour ce qui est de l'administration de la preuve, parce que

 16   vous pourrez renvoyer une affaire en première instance pour voir s'il y a

 17   eu effectivement violation, mais on a mal appliqué le droit qui devait

 18   s'appliquer.

 19   Ça n'a jamais été jugé ici. Il faut voir quels sont les éléments

 20   permettant au Tribunal d'être compétent. Il y a eu un doute raisonnable. On

 21   a pratiquement admis qu'il y avait un doute raisonnable. Or, il fallait le

 22   prouver au-delà de tout doute raisonnable. Si j'en avais le temps, je

 23   reprendrais votre décision, mais on dit simplement : Nous sommes convaincus

 24   que et nous pensons au contraire que ceci ne remplit pas les critères du

 25   procès au-delà de tout doute raisonnable. Nous ne pensons pas que les bons

 26   critères aient été appliqués.

 27   Je vois que j'ai utilisé tout mon temps et mon frère est en train de

 28   me gronder. A moins que vous n'ayez des questions.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais c'est vous qui êtes le plus

  2   qualifié pour ne pas trop écouter votre frère.

  3   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Mais oui, mais il a de la force sur moi

  4   et il se plaint souvent.

  5   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Mais ça ne marche pas toujours.

  6   L'article 35 dit que la Chambre accueillera un appel pour des personnes qui

  7   ont été condamnées aux motifs suivants : Erreur de droit ou erreur de fait

  8   qui aurait entraîné un déni de justice. 98 %, si ce n'est 100 % des

  9   éléments que vous avez entendus par

 10   l'Accusation s'agissant des moyens 3, 4 et 5, n'ont fait que répéter des

 11   conclusions qui furent celles de la Chambre de première instance. Et nous

 12   persistons à dire que si vous voulez utiliser le pouvoir qui est le vôtre,

 13   de voir s'il y a eu des erreurs de fait, il faut que vous voyiez si les

 14   conclusions de la Chambre de première instance se basaient sur des faits,

 15   des preuves. Je le répète, la Chambre a tiré des conclusions qui vous

 16   empêchent de faire votre travail.

 17   Permettez-moi de vous donner quelques exemples très précis de la

 18   chose.

 19   L'Accusation a, au fond, mentionné deux éléments de preuve qu'elle

 20   montre que Tarculovski était effectivement à la tête de ce groupe et de

 21   cette situation. On a fait référence au MO 37. Regardez ce qu'il a dit. Si

 22   vous voulez, on peut passer à huis clos partiel. Je pourrais parcourir de

 23   façon détaillée son témoignage, et je vous montrerai qu'il est inimaginable

 24   d'utiliser ceci pour conclure qu'il était présent sur chacun des lieux

 25   concernés, et qu'il était allé là pour commettre un crime sur chacun de ces

 26   lieux.

 27   Vraiment, c'est trop dire, c'est exagéré. Oui, c'est vrai que la Chambre a

 28   tiré une conclusion, elle a fait un effort pour dire qu'elle s'était

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  1   appuyée sur les dires de MO 37. Mais si vous relisez les pages de sa

  2   déposition, vous verrez que ceci ne permet pas de conclure cela. Et je

  3   laisse entendre à la Chambre que celle-ci a l'obligation d'appliquer le

  4   point B pour revenir là-dessus. C'est pas parce que l'Accusation le dit que

  5   c'est vrai. C'est pas parce que la Chambre de première instance le dit que

  6   c'est vrai. Vous n'avez pas ces moyens de preuve.

  7   Puis on dit aussi que la déclaration de Tarculovski corrobore cela.

  8   Mais sa présence dans le village ne permet pas de conclure qu'il était

  9   présent lorsque qu'on a tiré sur Jusufi, lorsqu'il était à la maison

 10   d'Ametovski quand on a tiré, ou qu'il était présent. On ne savait même pas,

 11   où il était, où qui que ce soit était lorsque la troisième personne a été

 12   abattue.

 13   Oui, bien sûr, que c'est ce que dit le dossier, mais c'est faux, en

 14   droit.

 15   S'agissant de l'élément matériel. C'est la première fois que la

 16   partie adverse laisse entendre que la Chambre s'est fourvoyée lorsqu'elle a

 17   énoncé les éléments constitutifs de l'élément matériel. Jamais ça n'a été

 18   dit par l'Accusation, et on cite plusieurs décisions de la Chambre à propos

 19   des deux éléments nécessaires, à la phase préparatoire et à la phase de

 20   l'exécution. Maintenant, dire que la Chambre s'est trompée, que ses

 21   conclusions, que le droit était faux en l'occurrence, j'estime que c'est là

 22   quelque chose qu'on ne peut pas soulever maintenant. Les conditions de la

 23   Chambre de première instance se sont basées sur toutes les conclusions de

 24   ceci, disant qu'il faut à la fois la phase de la préparation et la phase de

 25   l'exécution. Si maintenant, vous, vous décidez qu'en droit c'est bien une

 26   condition requise - et là je lis, c'est le paragraphe donné par

 27   l'Accusation - attendez. Ça représente la note de bas de page du paragraphe

 28   572. On décrit les conditions requises de l'élément matériel. Vous, vous

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  1   avez à décider de la question de savoir si la Chambre de première instance

  2   s'est bien prononcée en l'absence d'une objection.

  3   Pour ce qui est de l'élément moral mens rea, c'est seulement dans ce

  4   contexte-là que la condition de la très grande visibilité intervient. C'est

  5   à ce moment-là qu'il faut voir la question.

  6   Je m'y attarde un instant. Trois références sont données dans la

  7   totalité du jugement sur le fait qu'il est fort probable qu'un crime va se

  8   commettre. Il y en a deux qui se trouvent dans la définition de l'intention

  9   délictueuse, mens rea, et la troisième référence se trouve en queue de

 10   jugement, où on dit à titre subsidiaire :

 11   "Il est possible de conclure que la probabilité était grande qu'il

 12   était au courant."

 13   On ne fait pas d'analyse, on ne fait pas de description. Mais en

 14   plus, si on laisse entendre, et si on se souvient qu'il ne s'agissait pas

 15   d'un homme chevronné, comment peut-on déduire qu'il savait qu'il y avait

 16   une forte probabilité que des crimes allaient être commis dans l'exécution

 17   du plan. Parce qu'il a peu d'expérience, il n'y a pas de planification.

 18   Alors comment peut-on se baser sur des dispositions constitutives de la

 19   mens rea ? Moi, je pense que la Chambre, tout du moins, a eu l'obligation

 20   d'analyser ceci, de motiver sa décision. On ne peut pas se contenter de

 21   dire, d'énoncer, que - et ceci est dans la dernière phrase - qu'il était au

 22   courant qu'il avait cette connaissance sans procéder à l'analyse.

 23   Mais je dois revenir à l'essentiel de mon propos. Si on fait le

 24   résumé, comme l'a fait l'Accusation, de toutes les conclusions de la

 25   Chambre de première instance, sans jamais se demander pourquoi, sur quoi

 26   elle s'est basée, à ce moment-là, à mon avis, un problème grave est

 27   soulevé.

 28   Une dernière chose.

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  1   L'Accusation l'a souligné, ce n'est qu'un exemple. Elle a dit que

  2   Jusufi a été touché à bout portant. On cite le rapport d'autopsie. Mais

  3   rien dans l'autopsie. Rien, absolument rien dans le rapport d'autopsie nous

  4   dit que Jusufi a été tué à bout portant. On aurait pu tirer sur lui depuis

  5   la colline que surplombaient les militaires, l'armée, mais c'était

  6   important qu'il a été tué à bout portant parce que la police était près.

  7   Mais on a confectionné cet élément-là. C'est une erreur factuelle,

  8   substantielle. L'Accusation vous a dit que c'était un facteur matériel,

  9   alors qu'il n'y a nulle trace de cela dans le dossier. Oui, on dit "à bout

 10   portant," oui, l'Accusation le répète, oui, il y a eu des échanges de tirs.

 11   Mais est-ce que c'est ce tir-là qui a tué Jusufi, qui était à bout

 12   portant ? Rien ne soutient cette affirmation.

 13   Je vous remercie.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci beaucoup. Nous allons

 15   maintenant faire une pause d'une heure.

 16   Veuillez vous lever.

 17   --- L'audience est levée pour le déjeuner à 12 heures 56.

 18   --- L'audience est reprise à 14 heures 00.

 19   [La Chambre de première instance se concerte]

 20   LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Rogers, s'agissant de

 21   Boskoski, vous avez la parole.

 22   M. ROGERS : [interprétation] Merci. Madame et Messieurs les Juges, je vais

 23   vous parler de la peine interjetée après la déclaration d'acquittement pour

 24   tous les chefs retenus à l'acte d'accusation. J'aborderai dans ce cadre cet

 25   après-midi trois domaines.

 26   Tout d'abord, les notions et le principe régissant la doctrine de la

 27   responsabilité du supérieur hiérarchique et l'état de droit en vertu de

 28   cette doctrine.

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  1   Puis la question du fait de signaler et de savoir si la mesure est

  2   suffisante pour que le responsable hiérarchique s'acquitte de l'obligation

  3   légale qui lui impose l'article 7(3), et dans ce cadre j'essaierai de

  4   répondre à vos questions.

  5   Et je terminerai par la question de l'application du principe aux

  6   faits établis.

  7   Tout d'abord, j'aimerais faire le résumé de l'appel interjeté par

  8   l'Accusation, comme suit : le paragraphe 16 de l'appel interlocutoire de

  9   Hadzihasanovic en matière de responsabilité du supérieur hiérarchique. La

 10   Chambre d'appel a dit que :

 11   "La responsabilité du supérieur hiérarchique est la méthode la plus

 12   efficace qui permet d'appliquer la notion de commandement responsable grâce

 13   au droit pénal international."

 14   Le fait d'instiller ces principes chez un supérieur c'est une façon

 15   de veiller à ce que les subordonnés de ce supérieur respectent les

 16   principes de droit régissant le conflit armé.

 17   Le CICR a fait une recherche empirique dans un ouvrage appelé "Les

 18   origines du comportement dans la guerre," et on voit là les façons les plus

 19   efficaces d'empêcher des violations de droit international humanitaire. On

 20   a étudié le comportement de 15 000 civils et combattants dans 15 zones de

 21   guerre, et après examen de toute la théorie scientifique, voici ce que

 22   conclut cette organisation :

 23   "L'essentiel ce n'est pas de persuader des combattants qu'ils doivent

 24   se comporter autrement ni d'en convaincre chacun d'entre eux, mais

 25   d'influencer ou d'influer sur les gens qui ont de l'ascendance sur eux."

 26   Dans le contexte d'un conflit armé, lorsque s'appliquent les règles du

 27   droit international humanitaire, ceux qui ont une situation d'autorité sur

 28   des subordonnés ont l'obligation d'exercer cette autorité de façon

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  1   responsable. Un commandement responsable exige que les supérieurs agissent

  2   de façon responsable. A notre avis, M. Boskoski n'a pas agi de la sorte. La

  3   Chambre a constaté qu'il était en possession d'information alarmante

  4   indiquant que des crimes, dont des meurtres illicites, avaient été commis,

  5   paragraphe 527, et qu'au plus tard le 5 septembre 2001, il a eu

  6   connaissance d'allégations graves pesant sur la police, s'agissant des

  7   événements survenus à Ljuboten le 12 août et les jours suivants, paragraphe

  8   451. Et ceci englobait des crimes commis au poste de police mais aussi la

  9   destruction, les traitements cruels et les meurtres à la suite de l'attaque

 10   du village.

 11   Rappelons-nous, c'est important, qu'il y a deux catégories de crimes.

 12   Il y a, disons, les crimes de Ljuboten et aussi les crimes au poste de

 13   police.

 14   Mais Boskoski, à notre avis, n'a pas véritablement pris d'action

 15   positive pour veiller à ce que les crimes commis par ses subordonnés soient

 16   punis. Aucun des rapports qu'il a reçu ne mentionnait des crimes commis par

 17   la police, que ce soit à Ljuboten, ou pour l'une quelconque des victimes de

 18   traitements cruels au poste de contrôle de Buzalak, au poste de police de

 19   Butel, à celui de Prolece ou celui de Bit Pazar, ou encore celui de Karpos.

 20   Jamais les auteurs de crimes n'ont été signalés -- ou les crimes de

 21   la police n'ont été signalés aux autorités compétentes.

 22   Les déclarations publiques qu'il a faites indiquent qu'il n'avait

 23   aucunement l'intention de veiller à ce que des enquêtes soient diligentées

 24   suite aux crimes commis par la police. Dans son livre, qui est devenu la

 25   pièce P402, il relate ces événements, et il parle de l'enquête menée par

 26   l'OSCE à Ljuboten. Il accuse cette organisation, qui a effectué une visite

 27   le 14 août à Ljuboten, il l'accuse d'essayer - et je cite : "De désinformer

 28   l'opinion publique en disant qu'apparemment les forces de sécurité de

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  1   Macédoine, dans ces affrontements n'avaient pas tué cinq terroristes mais

  2   avaient tué, au contraire, cinq citoyens de Ljuboten."

  3   Il rejette d'un revers de main ces allégations qui sont des allégations de

  4   meurtres commis par les forces de l'ordre, et il dit que c'est vraiment une

  5   calomnie ou diffamation. Ces allégations étaient confortées, allégations

  6   fournies par l'OSCE par une enquête, suivies d'un rapport de "Human Rights

  7   Watch." En répondant aux allégations de crimes présumés de la police, dans

  8   les médias, il dit ceci :

  9   "Je vais déposer plainte devant le Tribunal des droits de l'homme à

 10   Strasbourg," dit-il, "parce que "Human Rights Watch" affirme, et je le cite

 11   : "S'attaquer, non seulement à la dignité du ministère macédonien de

 12   l'intérieur mais aussi à ma propre dignité."

 13   Paragraphe 450 du jugement, pièce P359.

 14   Madame et Messieurs les Juges, il a fourni des entretiens, des

 15   interviews, et jamais il n'a dit quelque chose qui ressemblerait à ceci, et

 16   vous avez la pièce dans le dossier. Il aurait dit : Je prends ces réponses,

 17   dit-il, très au sérieux. Nous avons décidé de diligenter des enquêtes suite

 18   à ces allégations de crimes qui seraient commis par la police, et nous

 19   ferons l'impossible pour retrouver les auteurs. Vous estimerez peut-être

 20   qu'on aurait pu s'attendre à ce genre de déclaration de sa part après ces

 21   faits.

 22   L'erreur commise ici, c'est que la Chambre a commis une erreur en

 23   décidant de ne pas le déclarer coupable, de ne pas avoir puni le

 24   comportement répréhensible de ses subordonnés à la suite de l'attaque de

 25   Ljuboten le 12 août.

 26   La Chambre a pris une optique trop étroite quand elle s'est

 27   demandée ce qu'il aurait pu, ce qu'il aurait dû faire pour réagir face au

 28   comportement criminel de ses subordonnés. Si la Chambre l'a fait, c'est

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  1   parce qu'elle n'a pas appliqué le bon critère juridique d'Etat. Maintenant,

  2   ce qu'on peut attendre d'un commandant en vertu de l'article 7(3)du Statut,

  3   s'agissant de punir les crimes commis par des subordonnés. La Chambre s'est

  4   dit qu'il suffisait de le signaler, c'est-à-dire aussi qu'il était probable

  5   qu'ainsi une enquête était ouverte, au lieu de se demander quelle mesure il

  6   aurait pu prendre étant donné le pouvoir qu'il avait de sanctionner les

  7   actes de ses subordonnés. La Chambre a ignoré la totalité de ce qu'il

  8   aurait pu faire et s'est contentée d'examiner la question sous l'angle du

  9   fait de signaler aux autorités compétentes.

 10   C'est ignorer ainsi les faits qui sont qu'il avait d'autres mesures à

 11   sa disposition et que ses rapports ne suffisaient pas à redresser la

 12   situation après le comportement répréhensible de ses subordonnés de telle

 13   façon qu'on aurait rempli les conditions requises, s'agissant de la

 14   nécessité de punir en prenant les mesures nécessaires et raisonnables.

 15   Ce sont les facettes diverses d'une même erreur de fait, à savoir que

 16   des rapports ne suffisaient pas pour qu'il satisfasse à son obligation que

 17   lui impose l'article 7(3) du Statut de punir ses subordonnés.

 18   Revenons davantage sur le principe régissant la responsabilité du

 19   supérieur hiérarchique. Le principe d'un commandement responsable, c'est au

 20   cœur même de l'article 7(3). C'est un concept qui dit comment un supérieur

 21   hiérarchique en situation d'autorité est censé exercer les pouvoirs qui lui

 22   sont propres, que lui confèrent son poste.

 23   Dans un conflit armé, cette autorité, elle doit s'exercer tout en

 24   respectant pleinement les principes énormes du droit international

 25   humanitaire applicables. Ainsi, le supérieur hiérarchique devra veiller à

 26   ce que les civils ne soient pas indûment pris pour cibles, que les

 27   prisonniers soient bien traités, et cetera.

 28   Lorsque ceux qui sont subordonnés au supérieur hiérarchique agissent

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  1   en ignorant ces règles et pour veiller à ce que ces règles soient

  2   finalement respectées par ces subordonnés comme par d'autres, le commandant

  3   a l'obligation supplémentaire de veiller, en cas de manquement, à ce que

  4   ces personnes soient punies et c'est bien ce que dit le Statut en son

  5   article 7(3).

  6   La Chambre d'appel a dit dans l'appel interlocutoire Hadzihasanovic,

  7   paragraphe 22, je cite :

  8   "Les éléments constitutifs de la notion de la responsabilité du

  9   supérieur hiérarchique dérivent de ceux du commandement responsable."

 10   Et je cite : "La notion de commandement responsable s'intéresse aux

 11   obligations qui s'attachent à l'idée du commandement."

 12   La Chambre qui essayait d'élaborer les paramètres juridiques de cette

 13   responsabilité, ce faisant, elle a essayé de ne pas imposer un fardeau

 14   absolu, inadéquat au commandant ou au supérieur. Elle exige d'abord la

 15   preuve qu'il est bien en situation d'autorité et que ces personnes sont

 16   effectivement des subordonnés du commandant. A cette fin, la Chambre a

 17   développé le concept du contrôle effectif.

 18   Ici, en l'espèce, la Chambre de première instance le fait, aux

 19   paragraphes 513, 514, 515, 516 du jugement de première instance.

 20   La Chambre d'appel exige ensuite qu'il soit prouvé que le supérieur

 21   hiérarchique avait connaissance ou avait des raisons de connaître.

 22   C'est la thèse, le principe de l'avertissement, de la mise en garde

 23   ou de l'information. La Chambre en parle aux paragraphes 527 et au

 24   paragraphe 536. Nous en parlons dans notre mémoire aux paragraphes 60 et

 25   61.

 26   Enfin, et c'est important, la Chambre pose la condition suivante : Le

 27   commandant doit prendre une - vous connaissez bien ces termes, "les mesures

 28   raisonnables et nécessaires" - pour empêcher les crimes ou en punir les

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  1   auteurs. Ceci vient de l'arrêt Halilovic, paragraphe 59.

  2   La Chambre explique alors la signification de cela, toujours dans

  3   l'arrêt Halilovic, paragraphe 63, elle définit ce que c'est qu'une mesure

  4   nécessaire et raisonnable comme suit :

  5   "Sont considérées comme nécessaires les mesures appropriées pour que

  6   le supérieur hiérarchique s'acquitte de son obligation (en montrant qu'il

  7   s'est véritablement efforcé d'empêcher l'infraction ou de la punir) et sont

  8   considérées comme raisonnables les mesures qui sont celles qui sont

  9   raisonnablement en son pouvoir."

 10   On pourrait dire que dans une certaine mesure, c'est un peu un raisonnement

 11   circulaire que celui-là. Mais une chose est claire, c'est un critère qui

 12   est tout à fait large, qui n'est pas restreint ni restrictif. Il est aussi

 13   clair que les mesures prises doivent être de véritables mesures, des

 14   mesures réelles, des mesures véridiques.

 15   L'obligation d'empêcher un comportement criminel ou d'en punir l'auteur

 16   est, à notre avis, un devoir actif. Ce n'est pas un devoir passif. Il

 17   demande que le supérieur hiérarchique prenne l'initiative de prendre des

 18   mesures pour contrôler, pour maîtriser ceux qui lui sont subordonnés. Ceci

 19   vient de l'affaire Etats-Unis contre Karl Brandt. Je vois que M. Mettraux

 20   connaît parfaitement ces dispositions. C'était dans l'arrêt Halilovic au

 21   paragraphe 63, note de bas de page 167.

 22   Dans le jugement de première instance Strugar, paragraphe 376, voici ce que

 23   dit la Chambre, je cite :

 24   "Les tribunaux militaires internationaux établis après la Seconde Guerre

 25   mondiale interprètent cette obligation comme étant une obligation incombant

 26   au supérieur de diligenter et d'ouvrir une véritable enquête - là, on parle

 27   de Yamashita, note de bas de page

 28   1 099 - et de prendre des mesures énergiques pour s'assurer que les auteurs

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  1   seront traduits en justice. Affaire du haut commandement, note de bas de

  2   page 1 100. Ce qui compte ici, dit-on, c'est la question de savoir si le

  3   supérieur a exigé un rapport suite à l'incident et autre élément important,

  4   c'est de savoir si l'enquête fut vraiment circonstanciée. Tojo, note de bas

  5   de page 1 101, lorsque ce tribunal militaire international l'a condamné

  6   pour n'avoir pris aucune mesure pour sanctionner les auteurs des crimes et

  7   d'éviter le renouvellement de faits semblables à l'avenir. Il n'a pas

  8   demandé l'établissement d'un rapport sur les faits, il s'est enquis pour la

  9   forme, mais n'a pas pris de mesures. Personne n'a été puni."

 10   C'est un devoir affirmatif, car si vous avez des subordonnés

 11   indisciplinés c'est un danger, un péril intrinsèque. La Chambre d'appel le

 12   reconnaît dans son arrêt Hadzihasanovic au paragraphe 30 :

 13   "Si un supérieur hiérarchique ne punit pas un crime, il est probable

 14   que cette omission soit comprise par ses subordonnés comme étant au bas mot

 15   une acceptation, si ce n'est un encouragement à commettre un tel

 16   comportement, ceci ayant pour effet d'accroître le risque de voir se

 17   renouveler ce genre de crimes."

 18   C'est la raison pour laquelle il a l'obligation d'agir.

 19   La Chambre elle-même, la Chambre de première instance, a accepté le

 20   fait qu'il aurait dû prendre des mesures proactives pour veiller à ce que

 21   les auteurs présumés soient punis. Paragraphe 519 du jugement.

 22   C'est la raison pour laquelle il doit prendre toutes les mesures

 23   nécessaires et raisonnables en son pouvoir matériel pour punir.

 24   C'est un devoir qu'on ne peut pas faire passer à la trappe.

 25   Ce devoir proactif exige un supérieur hiérarchique qui fasse tout ce

 26   qui est en son pouvoir pour veiller à ce que les subordonnés concernés

 27   soient punis. Ceci est corroboré par la façon dont la Chambre de première

 28   instance évalue la responsabilité dans l'affaire Aleksovski, paragraphe 117

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  1   du jugement, où on voit la responsabilité d'Aleksovski comme suit, je cite

  2   :

  3   "Malgré l'autorité dont il disposait, l'accusé n'a pris aucune mesure

  4   visant à prévenir les exactions commises. L'accusé n'a pas non plus

  5   cherché, dans la mesure de ses pouvoirs, à sanctionner les gardes

  6   responsables de ces exactions."

  7   Ceci n'a pas été rejeté par la Chambre d'appel lorsqu'elle a

  8   accueilli l'appel ou a été saisie de l'appel de l'accusé et l'a rejeté

  9   parce qu'il n'avait pas puni les gardes de la prison pour leur comportement

 10   criminel.

 11   Ce qui est intéressant quand on voit les faits en première instance

 12   d'Aleksovski, la Chambre de première instance conclut ceci :

 13   "Aucun des rapports transmis au commandant de la police militaire ou

 14   au président du tribunal militaire de Travnik ne concernait les brutalités

 15   commises par des gardes ou des soldats du HVO à la prison de Kaonik."

 16   L'intimé et la Chambre s'appuient sur cette dernière affaire pour

 17   laisser entendre que, je cite : "Des supérieurs civils qui n'ont peut-être

 18   pas les pouvoirs de sanction ou disciplinaires d'un commandant militaire

 19   peuvent s'acquitter leurs obligations de punition en signalant un crime

 20   chaque fois qu'il est connu aux autorités compétentes, si un tel rapport

 21   est supposé déclencher une enquête ou lancer une procédure disciplinaire ou

 22   pénale."

 23   Paragraphes 418 et 519.

 24   Mais quand on voit le jugement Aleksovski en première instance, au

 25   paragraphe 78, qui est supposé à la base de ceci, ça ne concernait pas les

 26   mesures nécessaires et raisonnables mais plutôt la question de savoir si

 27   l'accusé avait un pouvoir de facto ou de jure sur les gardes et la capacité

 28   de signaler de telle façon qu'il était probable qu'une enquête serait

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  1   ouverte. C'est ça qui est important ici. Lorsque l'accusé est un supérieur

  2   civil, c'est la place qu'il occupe dans la hiérarchie qui va influer sur la

  3   probabilité de la punition et qui va, à ce moment-là, permettre d'établir

  4   un rapport de contrôle effectif.

  5   D'ailleurs, les rapports dans l'affaire Aleksovski ne parlaient pas

  6   des crimes commis par les subordonnés d'Aleksovski. Dans cette affaire-là,

  7   c'était les gardes de la police militaire. Par conséquent, il a été

  8   condamné.

  9   La Chambre ne se posait pas la question des mesures nécessaires et

 10   raisonnables dans le jugement Aleksovski, paragraphe 78.

 11   La notion de faire tout ce qui est en son pouvoir, ceci est élaboré dans le

 12   jugement de première instance Hadzihasanovic, paragraphe 1061. Celui-ci a

 13   été acquitté parce qu'une fois l'affaire signalée aux juges d'instruction,

 14   il était, je cite, "incapable de mener lui-même ses propres enquêtes ou

 15   d'influer sur le suivi du dossier dès lors que l'affaire a été transmise ou

 16   le dossier avait été transmis au juge d'instruction ou au procureur

 17   compétent."

 18   Il ne pouvait rien faire de plus ici. La police avait toujours la

 19   possibilité de poursuivre des enquêtes ou d'en engager à la phase de mise

 20   en état, comme le dit l'article 142 du code de procédure pénal, pièce 88 de

 21   l'Accusation. Même si le devoir absolu de le faire n'existait pas, elle en

 22   avait toujours le pouvoir. Je vous rappelle la note de bas de page 1982 du

 23   jugement où on élabore cette idée de ce qui aurait pu être fait.

 24   Effectivement, on aurait pu donner davantage de rapports. Boskoski aurait

 25   pu en faire davantage, ce qui n'était pas le cas pour Hadzihasanovic.

 26   Pour assurer une diminution du risque de crime, il faut que ces

 27   mesures soient immédiates, qu'elles soient visibles. Pour cela, il faut une

 28   action affirmative, proactive, l'initiative du commandant.

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  1   Dans l'arrêt Hadzihasanovic, paragraphe 152, voici ce que dit la

  2   Chambre d'appel :

  3   "Effectivement, alors que des mesures immédiates et visibles telles

  4   que des dissensions pour raisons disciplinaires étaient nécessaires. La

  5   sanction disciplinaire d'une peine inférieure à 60 jours" ne suffisait pas

  6   vu les faits de la cause.

  7   Même la Chambre Hadzihasanovic a reconnu qu'il fallait des mesures

  8   immédiates et visibles, même si, partant d'effet de cette cause, ces

  9   mesures n'auraient pas suffi. Il fallait en faire plus et pas seulement ce

 10   qui a été fait.

 11   Voyons la question de la nécessité de signaler. Une bonne partie de

 12   ce procès s'est concentrée, bien entendu, sur cette question. Nous

 13   rappelons que ce n'est là qu'une mesure, entre autres, une mesure

 14   susceptible de suffire, mais qu'il faut la voir et en tenir compte avec les

 15   autres mesures que le supérieur hiérarchique a à sa disposition et qui se

 16   trouvent dans son pouvoir matériel. Ici, le critère ou l'application des

 17   normes est large. Elle n'est pas étroite. Le fait de signaler ne satisfait

 18   pas automatiquement l'obligation de punir.

 19   Comme le disait l'arrêt Hadzihasanovic, paragraphe 154 :

 20   "Un supérieur n'a pas nécessairement le besoin de dispenser cette

 21   punition personnellement, il peut s'acquitter de ce devoir en signalant

 22   l'affaire aux autorités compétentes."

 23   On dit qu'il est possible de le faire.

 24   Cela citait aussi le jugement Blaskic qui disait ceci et qui a été

 25   conforté par l'arrêt Blaskic : 

 26   "Ce que peuvent être ces mesures c'est, par exemple, le fait de tenir

 27   de certaines circonstances."

 28   "Ce qui constitue ces mesures, ce n'est pas une affaire de droit

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  1   substantiel, mais de preuves."

  2   Je pense que là, c'est répondre en partie à votre question.

  3   A l'arrêt Blaskic, paragraphe 417, la Chambre d'appel conforte cette

  4   approche, cette démarche, lorsqu'elle approuve ce que disait le procès

  5   Celibici, lorsqu'elle dit ceci :

  6   "Nous concluons qu'un supérieur devrait être tenu responsable pour ne

  7   pas avoir pris les mesures qui se trouvent dans ses capacités matérielles."

  8   Dans l'arrêt Halilovic, paragraphe 182, la Chambre d'appel le réitère

  9   :

 10   "La Chambre de première instance a eu raison de rappeler l'obligation

 11   de punir qui emporte, pour le moins, l'obligation d'enquêter sur les crimes

 12   ou de faire diligenter une enquête, d'établir les faits et de les signaler

 13   aux autorités compétentes si le supérieur hiérarchique n'a pas le pouvoir

 14   de sanctions."

 15   Pour le dire autrement, s'il avait des possibilités qui s'offraient à lui,

 16   il aurait dû les exploiter. Mais ceci présuppose qu'il y a une enquête

 17   avant d'envoyer un rapport, qu'un rapport est alors envoyé qui va déboucher

 18   sur des sanctions prises par d'autres, si le commandant n'en a pas lui-

 19   même. La responsabilité de sanctions, elle n'est pas déplacée, mais plutôt

 20   en fonction des cas, des faits, il peut y avoir une enquête suivie d'un

 21   rapport et cela peut suffire.

 22   En dépit de ce qui est cité par l'intimé au paragraphe 17 de son

 23   mémoire et en dépit de son libellé très clair, il affirme avec audace que :

 24   "La Chambre d'appel a dit clairement que le fait de signaler à des

 25   autorités compétentes satisfait l'obligation du supérieur hiérarchique de

 26   punir chaque fois qu'il n'a pas lui-même le pouvoir de punir et de

 27   sanctionner les crimes de ses subordonnés."

 28   C'est là une affirmation pleine d'audace. Ça voudrait dire qu'il ne

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  1   faut qu'un rapport, que ça suffit et que ceci met fin -- c'est comme un

  2   couperet à l'obligation qui termine l'obligation et la responsabilité de

  3   sanction. Il dit aussi que le fait de signaler déplace l'obligation du

  4   supérieur hiérarchique et l'impose à d'autres, paragraphe 27. Et que la

  5   jurisprudence de ce Tribunal soutient cette idée. Il cite à cet effet

  6   l'arrêt Halilovic, paragraphe 182.

  7   Hélas, pour l'intimé, aucune des affaires citées ne vient appuyer

  8   cette idée.

  9   Que faut-il signaler ?

 10   Ça tombe sous le sens. Ce qu'il faut signaler, c'est qu'on soupçonne

 11   qu'un subordonné a commis un crime et c'est le crime supposé qui doit être

 12   sanctionné. Faire moins que cela, ce n'est pas s'acquitter de sa

 13   responsabilité de commandant qui découle de la situation de responsabilité

 14   qu'on a vis-à-vis d'un supérieur.

 15   L'arrêt Oric, paragraphe 59, dit ceci, la Chambre insistait dans cet

 16   arrêt, et je cite sur le fait que : 

 17   "La connaissance d'un crime et la connaissance du comportement

 18   criminel d'une personne sont, en droit comme en fait, des choses séparées,

 19   distinctes."

 20   En quoi est-ce que ceci est pertinent ? La seule connaissance d'un

 21   crime ne déclenche pas l'obligation de punir, parce que ce n'est pas relié

 22   aux subordonnés dont est responsable le supérieur hiérarchique. Par

 23   conséquent, c'est la connaissance du comportement criminel ou des raisons

 24   de savoir qu'il s'est comporté de façon criminelle, que ceci déclenche la

 25   responsabilité éventuelle et c'est ça qui doit être puni. Ou dans le

 26   contexte de l'obligation de signaler, c'est ça qui doit être rapporté,

 27   signalé.

 28   En l'occurrence, ici, dans ce procès, voici ce qu'a déclaré la

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  1   Chambre de première instance, au paragraphe 536, je cite :

  2   "Il avait à sa disposition suffisamment d'informations pour

  3   comprendre que la police avait peut-être commis des crimes. Etant le

  4   supérieur de ces éléments, Ljube Boskoski avait l'obligation de signaler

  5   cela aux autorités compétentes."

  6   Pourtant, les rapports envoyés ne disaient pas que des crimes avaient été

  7   commis, que nous lisons, et ces rapports ne disaient pas non plus que ces

  8   crimes avaient été le fait des subordonnés de Ljube Boskoski. Soyons plus

  9   précis. Jamais on a mentionné les crimes commis au poste de police dont il

 10   avait aussi la responsabilité. Ce qu'on a dit à propos de décès dans le

 11   village n'était pas du même poids.

 12   L'intimé applique mal ce qui a été dit dans les opinions individuelles de

 13   l'affaire Strugar pour dire qu'une autorité indépendante ayant examiné un

 14   incident, l'obligation de punir est déplacée sur cette autorité.

 15   Rappelez-vous, vous vous en souvenez, ceci se référait au principe de

 16   l'unité du commandement dans la JNA où vous aviez un supérieur hiérarchique

 17   qui a aussi sa responsabilité en vertu de l'article 7(3) se trouve dans la

 18   même voie hiérarchique que l'accusé. Donc ce n'est pas une autorité

 19   indépendante où il prend la relève, si vous voulez, et déclenche une

 20   enquête sur le comportement de subordonnés, subordonnés étant les

 21   subordonnés tant de l'accusé que de l'autorité ayant ouvert l'enquête. Mais

 22   comme l'accusé est lui-même le subordonné de cette autorité qui a pris la

 23   relève et étant donné que les subordonnés leur sont subordonnés à tous

 24   deux, la notion de l'unité du commandement déplace l'accusé. A ce moment-

 25   là, sa fonction, elle est reprise par une autre personne se trouvant dans

 26   la même voie hiérarchique.

 27   Mais ici, il n'y a pas de commandement supérieur, alors que c'était

 28   le cas dans l'affaire Strugar. Ici, on a tout au plus une organisation

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  1   parallèle qui, elle-même, n'encoure pas de responsabilité au titre de

  2   l'article 7(3) du Statut et à qui le rapport est fait.

  3   Ce n'est que si un rapport suffisamment détaillé et en bonne et due forme

  4   qui couvre le cas des subordonnés ayant commis des infractions est envoyé

  5   que l'on peut considérer comme suffisant le fait de se décharger ainsi de

  6   sa responsabilité pénale au titre de l'article 7(3); et ce n'est qu'après

  7   avoir considéré quelles étaient les autres mesures possibles à prendre pour

  8   lui et après avoir montré qu'il s'était sincèrement efforcé de faire tout

  9   ce qu'il pouvait, tout ce qui était en son pouvoir pour punir.

 10   Dans l'espèce, le ministère de l'Intérieur a été en mesure de poursuivre

 11   une enquête en vertu de l'article 142 du code de procédures pénales. C'est

 12   ce qu'il pouvait faire au sens des pouvoirs du juge d'instruction.

 13   J'utilise ce terme dans le sens de mener une enquête pour déterminer si un

 14   crime a été commis. Le sens général sous lequel il faut entendre le terme

 15   d'enquête n'est pas le sens technique qui apparaît dans le code de

 16   procédures pénales.

 17   Ensuite, ils ont pu poursuivre leur enquête malgré des rapports adressés

 18   aux autorités judiciaires. Et l'intimé reconnaît qu'en l'espèce - il le

 19   reconnaît dans son mémoire en réponse au paragraphe 115 - bien qu'il dise

 20   qu'il n'a pas été obligé de faire cela, ils ont été en mesure de collecter

 21   ces informations. Et cela, à mon sens, constitue une enquête.

 22   Alors, en l'espèce, Madame et Messieurs les Juges, les crimes commis par

 23   les subordonnées de Boskoski n'ont jamais fait l'objet d'une enquête. Il a

 24   affirmé qu'aux termes de la loi macédonienne, il était courant de signaler

 25   un incident. Cela figure au paragraphe 216 du mémoire. Mais suggérer qu'il

 26   y a un rapport qui fait état de façon très générale d'un incident où

 27   plusieurs crimes ont éventuellement été commis est une chose.

 28   La déclaration citée vient d'un rapport de Taseva, pièce à conviction

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  1   1D310, paragraphe 85 qui, à son tour, cite un élément de preuve de

  2   Ruskovska à la page du compte rendu d'audience T1541-2 et Toskovski, T4373-

  3   4. Il apparaît clairement, à partir de la lecture de ces éléments de

  4   preuve, que les témoins se référent, en fait, à un juge d'instruction qui

  5   aurait pu élargir l'objet de l'enquête, mais cela apparaît à une étape

  6   ultérieure à l'envoi du rapport. Et ce n'est pas la même chose que

  7   d'envoyer une information générale une fois pour toutes. En effet,

  8   Ruskovska se réfère à la capacité du juge de demander au procureur public

  9   d'élargir le cadre de l'enquête à un crime supplémentaire ou un

 10   perpétrateur supplémentaire. Page du compte rendu d'audience 1 542.

 11   De plus, le témoin Taseva se réfère aux articles 557-8 du code pénal, mais

 12   encore une fois, il s'agit de dispositions qui interviennent au stade de

 13   l'enquête et qui correspondent aux pouvoirs par lesquels le juge

 14   d'instruction peut élargir le cadre de l'enquête.

 15   En tout cas, l'article 158 du code de procédures pénales macédonien est

 16   tout à fait clair, je cite :

 17   "L'enquête n'est faite qu'en rapport avec le crime ou l'accusé auquel la

 18   décision de conduire une enquête se référait."

 19   Et cela se trouve dans la pièce P88.

 20   Pour ce qui concerne la question de la délégation, d'un point de vue

 21   général, Madame et Messieurs les Juges, Boskoski affirme qu'il n'avait pas

 22   le pouvoir de signaler des crimes parce qu'il n'avait pas compétence pour

 23   faire cela, et en tout état de cause il savait que cela s'était produit.

 24   Cela figure aux paragraphes 164 à 167 du mémoire en réponse. Mais tout

 25   d'abord, la Chambre de première instance n'a pas constaté qu'il savait que

 26   des crimes avaient été signalés, mais plutôt qu'il savait qu'un rapport

 27   avait été envoyé faisant état de morts, un rapport envoyé au système

 28   judiciaire. C'est au paragraphe 529 du jugement. La Chambre de première

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  1   instance continue en affirmant que si suite y avait été donnée en bonne et

  2   due forme, cela aurait pu conduire à la découverte des crimes. Paragraphe

  3   529.      

  4   La question de la compétence de signaler ne comprenait pas un pouvoir

  5   explicite de faire cela. Voir le mémoire en réponse, paragraphes 164 à 167.

  6   Et cela a été rejeté par la Chambre de première instance comme une

  7   incompréhension de la législation pertinente. La Chambre de première

  8   instance a notamment noté que le ministre avait l'obligation de s'assurer

  9   que le travail accompli par son ministère l'était de façon légale et

 10   efficace. Cela signifie que le ministre doit être capable d'ordonner et de

 11   déterminer les tâches à accomplir et de s'assurer de leur conformité.

 12   Aux paragraphes 513 et 516 du jugement, la Chambre a constaté qu'il avait

 13   de jure et de facto autorité pour s'assurer que la police criminelle du

 14   ministère s'acquittait de ses tâches de façon efficace et légale et qu'il

 15   pouvait effectivement exercer la responsabilité de commandement.

 16   Boskoski affirme qu'il pouvait déléguer sa responsabilité et supposait que

 17   cette dernière avait fait l'objet d'une mise en œuvre compétente en

 18   l'absence d'informations signalant le contraire. Il dit qu'il s'agit d'une

 19   question de droit international. Paragraphes 170 et 176 du mémoire en

 20   réponse. Il se réfère au cas de commandement Suprême. Mais l'analyse

 21   contextuelle du jugement montre que la question en jeu était différente. Il

 22   cite les paragraphes 555 et 558 de cette affaire du commandement supérieur

 23   dans son mémoire en réponse, paragraphes 170 et 176.

 24    Mais lorsque l'on se penche sur le cas de von Leeb, on s'aperçoit

 25   qu'il s'agissait de savoir s'il avait connaissance d'une activité illégale

 26   du point de vue de la cour, puisque cette dernière était préoccupée de ne

 27   pas le condamner uniquement parce que c'était des subordonnées qui avaient

 28   commis des crimes.

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  1   La question posée par la Chambre :

  2   "La question de droit, consistant à savoir s'il est possible pour un

  3   supérieur de s'acquitter de son obligation au titre de l'article 7(3) du

  4   Statut, s'il ne prend aucune mesure nécessaire ou raisonnable visant à

  5   punir ses subordonnés parce qu'il est informé que ses subordonnés --

  6   [La Chambre de première instance se concerte]

  7   M. ROGERS : [interprétation] Puis-je continuer ?

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, allez-y.

  9   M. ROGERS : [interprétation] Très bien.

 10   Je vais revenir juste à la question.

 11   Donc la Chambre d'appel demande, je cite :

 12   "En tant que question de droit, est-il possible pour un supérieur de

 13   s'acquitter de son obligation au titre de l'article 7(3) du Statut s'il ne

 14   prend dans les faits aucune mesure nécessaire ou raisonnable visant à punir

 15   ses subordonnés, et ce, parce qu'il est informé, parce que ses subordonnés

 16   ont entrepris certaines mesures qui pourraient éventuellement résulter en

 17   leur sanction."

 18   Notre réponse est non.

 19   L'accusé doit s'assurer que les auteurs seront punis dans toute la

 20   mesure de ses capacités matérielles. Les mesures qu'il doit prendre sont

 21   celles qui entrent raisonnablement dans le cadre de ses capacités

 22   matérielles, à savoir ce qu'il est raisonnablement capable d'entreprendre

 23   aux fins de punir. Ce que les mesures nécessaires et raisonnables sont

 24   dépendra nécessairement des faits. S'il devra s'appuyer sur des

 25   subordonnées pour prendre toutes ou partie de ces mesures est une chose.

 26   Mais à tout le moins, le supérieur doit exercer un suivi pour déterminer

 27   quelles sont les mesures à prendre et qu'elles ont bien été entreprises, et

 28   devra également prendre toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que

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  1   les comportements criminels sont punis dans toute la mesure de ses

  2   possibilités.

  3   Ceci implique nécessairement une action expresse de sa part et se

  4   traduira nécessairement par un comportement positif pouvant être considéré

  5   comme équivalant à des mesures nécessaires et raisonnables. Et suivant les

  6   faits, il pourrait y avoir également d'autres mesures à prendre.

  7   Je suis conscient du fait que la réponse que j'ai donnée est peut-être un

  8   peu circulaire. Peut-être est-ce parce que la jurisprudence disponible

  9   présente un tel certain degré de circularité. Mais j'espère que cela

 10   contribue malgré tout à apporter une réponse.

 11   Ce que je dis, c'est que la réponse que nous apportons est correcte,

 12   parce que nous pouvons trouver une confirmation de cela dans le jugement en

 13   première instance d'Aleksovski qui a constaté et conclu que l'accusé

 14   n'avait pas, je cite :

 15   "…fait usage de tous les moyens qui étaient en son pouvoir pour essayer de

 16   punir les gardes responsables."

 17   Cette constatation n'a pas été remise en cause en appel comme étant

 18   incorrecte pour ce qu'il était tenu de faire.

 19   En effet, la Chambre d'appel a considéré dans Aleksovski, et cela n'a

 20   pas été remis en cause, que l'appelant avait convenu avec la Chambre de

 21   première instance qu'il était tenu par une obligation, je cite :

 22   "…de prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir

 23   la commission de crimes ou punir les auteurs de crimes."

 24   Cette approche est cohérente avec l'obligation aux termes de l'article 86

 25   et la notion de commandement responsable, ainsi que les tentatives sincères

 26   de sanctionner et de punir.

 27   Alors, en l'espèce, Boskoski avait le pouvoir de contrôler et de donner des

 28   instructions à la police - c'est le paragraphe 513 du jugement - ce qui

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  1   comprenait également le fait de s'assurer que la police responsable de

  2   l'enquête sur les événements avait accompli ses tâches de façon efficace et

  3   légale. C'était un homme qui disposait de la force de personnalité et de

  4   l'énergie qui auraient permis d'exercer une influence et de guider le

  5   personnel du ministère afin de s'assurer que ses propositions étaient bien

  6   suivies des faits. Il bénéficiait d'une forte loyauté et d'une coopération

  7   significative à tous les échelons du ministère. Boskoski était au faîte des

  8   allégations que des crimes avaient été commis et ces informations lui sont

  9   parvenues rapidement. Paragraphe 527 et 536 du jugement.

 10   Le 12 août, il était présent dans les environs de Ljuboten pendant une

 11   bonne heure. Il a vu les incendies de maisons et a entendu des coups de

 12   feu. Il a vu les personnes détenues à la maison de Brace. Paragraphe 523.

 13   Il a été interviewé pour la télévision à la maison de Brace ce même jour.

 14   Paragraphe 525 du jugement. L'idée, Madame et Messieurs les Juges, c'est

 15   qu'il était impliqué de façon très claire dans les événements. Il était

 16   présent. Il a agi de façon active. Il était impliqué. Il occupait un poste

 17   d'autorité au sein du ministère. Il exerçait une influence sur le cours des

 18   événements.

 19   Il avait en sa possession des informations alarmantes sur les crimes

 20   commis, y compris les crimes de meurtres tout à fait illégaux. Paragraphe

 21   527 du jugement. Et c'est au plus tard le 5 septembre 2001 que cela a été

 22   vérifié. Boskoski était au courant des allégations graves pesant contre la

 23   police à Ljuboten pour les événements du 12 août et au-delà. Paragraphe 451

 24   du jugement. Cela comprendrait les crimes commis aux postes de police aussi

 25   bien que les crimes de destruction sans motif, de traitement cruel, et les

 26   allégations de meurtres.

 27   Il a reçu quatre rapports entre le 14 et le 17 août 2001. Les pièces 1D361,

 28   1D364, 1D373 et 1D374. C'est le paragraphe 447 du jugement. Cela avait

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  1   trait précisément aux événements de Ljuboten et ces rapports concernaient

  2   précisément les actions et les enquêtes entreprises. Aucun de ces rapports

  3   ne mentionnait les crimes commis par ses subordonnés.

  4   Dans son ouvrage, qui est la pièce P402, il s'est exprimé sur ce sujet. Il

  5   s'est référé aux incidents. Je cite :

  6   "Dans le communiqué du ministère des Affaires intérieures, nous avons été

  7   contraints de souligner que les représentant de l'OSCE qui ont réussi à

  8   entrer dans le village se sont livrés à une tentative de désinformation du

  9   public en alléguant que les forces de sécurité macédoniennes, au cours de

 10   ces affrontements, n'avaient pas tué cinq terroristes mais cinq citoyens de

 11   Ljuboten."

 12   Il continue en affirmant que le ministère de l'Intérieur avait condamné la

 13   propagation de cette désinformation par l'OSCE comme étant la forme la plus

 14   éhontée de calomnie concernant les forces de sécurité de la République de

 15   Macédoine.

 16   Les interviews qu'il a données à l'époque confirment son hostilité à toute

 17   allégation d'une activité criminelle étant le fait de la police. Voir la

 18   pièce P362, le 14 août 2001, et le compte rendu de l'interview de Boskoski

 19   lorsqu'il dit :

 20   "Les résidants du village de Ljuboten ont enterré ces cinq terroristes.

 21   Tout ce qui reste à faire aujourd'hui est d'établir s'ils étaient

 22   originaires de Ljuboten même ou si ces terroristes étaient venus

 23   d'ailleurs. Et cela a certainement été fait dans le but de couvrir toute

 24   trace des crimes qu'ils ont commis. Afin de découvrir la vérité, le

 25   procureur devra recevoir l'autorisation de procéder à une exhumation

 26   conformément à la procédure en vigueur s'il veut que la vérité soit

 27   avérée."

 28   Il est clair que Boskoski avait une notion tout à fait différente de la

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  1   vérité, mais nous avançons que la vérité était qu'il cherchait à confirmer

  2   qu'il n'y avait aucun crime commis par la police et qu'au contraire les

  3   terroristes étaient venus de l'extérieur de Ljuboten.

  4   Comme la Chambre de première instance l'a constaté, paragraphe 535, il y

  5   avait plus de mesures qu'il aurait pu prendre afin de s'assurer que la

  6   police avait bien accompli ses fonctions afin que le procureur et le juge

  7   d'instruction se trouvent dans une position plus favorable pour déterminer

  8   ce qui s'était réellement passé et décider si les charges d'accusation au

  9   pénal pesant contre la police étaient justifiées ou non.

 10   Ceci est cohérent avec la phase préalable à l'enquête au pénal en vertu de

 11   l'article 142 du code de procédure pénale qui met à la charge du ministère

 12   la prise des mesures nécessaires pour retrouver l'auteur de crimes, pour

 13   recueillir les éléments de preuve, et signaler les éléments d'information

 14   nécessaires pour, je cite, "une conduite efficace de l'enquête au pénal".

 15   Et en effet, en admettant que les crimes commis par la police auraient dû

 16   faire l'objet d'une enquête, la police a bien été capable d'enquêter sur

 17   les crimes allégués des terroristes en envoyant notamment des rapports

 18   détaillés pesant à leur charge et précisant les auteurs aussi bien que les

 19   crimes. Ils ont effectué des analyses à la paraffine, les terroristes

 20   allégués ont envoyé des rapports additionnels concernant les éléments

 21   qu'ils ont découverts. Et en effet, le rapport supplémentaire concernant

 22   Atulla Qaili, sur lequel la Chambre de première instance s'est appuyée pour

 23   montrer que sa mort avait bien été signalée, ont été élaborés en rapport

 24   avec l'enquête qui était diligentée contre eux [comme interprété], et non

 25   pas contre les crimes commis par la police.

 26   En tant que ministre de l'Intérieur, au fait de toute une série de

 27   crimes commis le 12 août, et ce, au plus tard le 5 septembre 2001, ayant

 28   reçu toute une série de rapports, y compris le rapport de la commission

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  1   P378, aucun d'entre eux, d'ailleurs, ne mentionne des crimes commis par ses

  2   subordonnés, il ne pouvait pas se décharger de son devoir de punir.

  3   Notamment pour ce qui concerne les crimes commis au poste de police, aucun

  4   rapport à ce sujet n'a jamais été fait.

  5   Les rapports concernant Atulla Qaili n'a fait état que de sa mort et

  6   non pas de la cause de la mort. Il n'a été fait aucune mention de mauvais

  7   traitements au poste de police, ou avant. Aucune mention n'a été faite d'un

  8   comportement criminel de la police par rapport à d'autres victimes

  9   survenues dans les postes de police ou au poste de contrôle de Buzalak.

 10   Cela concerne sept victimes à Buzalak, une au poste de Butel, sept au poste

 11   de Prolece, cinq victimes au poste de Bit Pazar et deux au poste de Karpos.

 12   Il avait le pouvoir d'apporter son concours à l'enquête et de donner

 13   instruction à la police de coopérer. L'article 142 prévoyait la possibilité

 14   d'enquête complémentaire opérée par la police, bien que les organes

 15   judiciaires soient déjà impliqués. Il disposait de mesures disciplinaires.

 16   Il aurait pu demander des informations quant à la façon dont l'enquête sur

 17   ces crimes se déroulait afin de s'assurer que les crimes seraient punis

 18   dans toute la mesure de ces possibilités.

 19   En effet, la Chambre de première instance a constaté, paragraphe 157

 20   du jugement, que :

 21   "L'inaction de la police constituait une tentative scandaleuse et

 22   grave de protéger les hommes impliqués et représente un échec grave pour ce

 23   qui est de s'acquitter de leurs responsabilités à l'échelon du département

 24   des Affaires étrangères de Cair."

 25   Madame et Messieurs les Juges, je reconnais que la Chambre n'avait pas

 26   constaté l'existence de raisons pour l'accusé de savoir que les choses ne

 27   se déroulaient pas comme il aurait fallu. Mais c'est cela qui se

 28   produisait, en fait, et la Chambre a constaté cela.

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  1   Madame et Messieurs les Juges, le 14 août 2001, au paragraphe [comme

  2   interprété] P362, la Chambre de première instance cite un extrait de

  3   l'interview de Boskoski. En effet, le procureur adjoint Dragoljub Cakic a

  4   déclaré, je cite :

  5   "Notre objectif n'était pas d'élucider ce qui s'était passé à

  6   Ljuboten. Notre objectif n'était que de procéder à une exhumation et

  7   d'identifier les personnes inhumées dans le cimetière local du village de

  8   Ljuboten."

  9   Paragraphe 456 du jugement.

 10   Le droit international humanitaire imposait une obligation à Boskoski afin

 11   que ce dernier s'assure que les crimes de ses subordonnés seraient bien

 12   punis. Il avait le pouvoir de s'assurer qu'une enquête était diligentée, et

 13   il avait le pouvoir également de fournir des informations aux autorités

 14   compétentes afin de s'assurer également qu'un rapport en bonne et due forme

 15   avait été rédigé et transmis. Il avait le pouvoir d'exercer une supervision

 16   et de prendre des mesures disciplinaires. Il aurait pu exercer une

 17   meilleure supervision. C'est ce que dit le paragraphe 535 du jugement.

 18   Malgré ces obligations, il n'a rien fait et il a été acquitté pour

 19   n'avoir rien fait.

 20   Madame et Messieurs les Juges, nous vous invitons à annuler cet

 21   acquittement et à le remplacer par une condamnation en rapport avec les

 22   crimes pour lesquels il a été mis en Accusation.

 23   Cela conclut l'intervention de l'Accusation.

 24   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Le Juge Liu a une

 25   question.

 26   M. ROGERS : [interprétation] Oui.

 27   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Rogers,

 28   notamment pour avoir répondu aux questions que nous vous avions posées à

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  1   propos de l'article 7(3), qui est l'article de la responsabilité du

  2   supérieur hiérarchique.

  3   Dans la pratique dans certaines situations, lorsque nous parlons

  4   d'une structure telle qu'un ministère, par exemple, le ministère de

  5   l'Intérieur ou de la Justice, le ministre à proprement parler ne peut pas

  6   véritablement participer personnellement à toute enquête ou à toute mission

  7   d'enquête. Il peut déléguer ses pouvoirs en matière d'enquête à la police,

  8   à ses subordonnés, pour que justement eux fassent cette enquête. Et en

  9   l'espèce, la Défense pourrait indiquer que c'est une question dont il a

 10   pris soin justement et qu'il a confié cela à ses subordonnés. Donc

 11   j'aimerais vous poser une question, Monsieur : est-ce que vous pensez que

 12   le chef d'un ministère, lorsqu'il délègue son pouvoir en matière d'enquête

 13   à son subordonné, déplace également sa responsabilité de supérieur

 14   hiérarchique vers son subordonné ?

 15   Et j'aimerais vous poser une deuxième question qui est plus précise :

 16   avez-vous des moyens de preuve à apporter pour démontrer que M. Boskoski

 17   savait que la police ne s'était pas acquittée de sa tâche en matière

 18   d'enquête sur la question ? Est-ce qu'il savait que les rapports n'étaient

 19   pas exhaustifs ou n'étaient pas suffisamment détaillés à propos de ces

 20   incidents ?

 21   Merci.

 22   M. ROGERS : [interprétation] Madame et Messieurs les Juges, il y a ici

 23   toute une série de questions dans la même question. Alors je vais essayer

 24   de la décomposer.

 25   Pour ce qui est de la question de savoir s'il peut déléguer sa

 26   responsabilité de supérieur hiérarchique à ses subordonnés, la réponse est

 27   claire; non. Il ne peut pas déléguer sa responsabilité de supérieur

 28   hiérarchique. Il conserve cette responsabilité. Elle lui est inhérente et

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  1   personnelle. Et j'ai essayé, en entrant dans les détails, d'établir

  2   l'origine historique de cette notion. Il ne peut pas simplement s'en

  3   décharger en déléguant. Il doit s'assurer que ces tâches ont été accomplies

  4   de façon efficace et satisfaisante. Et même s'il délègue la conduite de

  5   l'enquête à quelqu'un d'autre, il subsiste pour lui l'obligation de

  6   s'assurer que cette enquête a bien été menée de façon satisfaisante, et que

  7   les informations nécessaires ont été transmises et que tout cela a été

  8   suivi d'actes et d'effets, car c'est à lui qu'incombe la responsabilité de

  9   prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables visant à punir et à

 10   s'assurer qu'il y a bien eu punition.

 11   Alors, Madame et Messieurs les Juges, bien entendu, pour ce qui concerne le

 12   droit international humanitaire et ses violations, nous ne parlons pas ici

 13   du vol d'un sachet de bonbons pour lequel, évidemment, on pourrait imaginer

 14   qu'il pourrait ne pas assurer de suivi. Nous parlons ici de violations

 15   graves du droit international humanitaire et de ce principe qui met en jeu

 16   sa responsabilité pénale individuelle pour les crimes commis par ses

 17   subordonnés. Ce n'est pas du tout la même chose que de parler de ces

 18   obligations découlant du droit national, aux termes desquelles tout un

 19   chacun a l'obligation de signaler des infractions auprès de la police

 20   locale, par exemple.

 21   Ici, il s'agit de deux notions qui, sous un certain angle, peuvent sembler

 22   coïncider, mais qui sont distinctes en raison des fonctions particulières

 23   qui étaient les siennes au sein du ministère de l'Intérieur.

 24   Il conserve donc cette responsabilité pénale individuelle, qui est

 25   tout à fait essentielle en vertu du droit international humanitaire, qui

 26   assure l'application de cette responsabilité. C'est pourquoi il ne peut pas

 27   faire l'objet d'une délégation.

 28   Pour ce qui concerne les éléments de preuve montrant qu'il était au courant

Page 135

  1   de l'échec de la police de s'acquitter de ses tâches, les rapports qu'il a

  2   reçus pour lesquels, en tout cas, la Chambre de première instance a

  3   constaté qu'ils les avait reçus, il s'agissait de quatre rapports sous la

  4   cote 1D363, je ne me rappelle pas maintenant toutes les cotes, mais ces

  5   quatre constituaient la base de la connaissance que la Chambre de première

  6   instance avait, sur laquelle elle a basé sa constatation que Boskoski avait

  7   signalé les incidents. Mais ces quatre rapports ne font aucune mention de

  8   crimes commis par des subordonnés ni d'enquête portant sur ces crimes. Par

  9   conséquent, il ne peut pas avoir eu connaissance du fait que des crimes

 10   commis par ces subordonnés auraient fait l'objet d'une enquête. Il ne

 11   pourrait pas non plus se considérer comme satisfait ni considérer que son

 12   devoir avait été accompli.

 13   Pour ce qui est de la réponse à la question de Madame et Messieurs les

 14   Juges, ce sont les cotes 1D361, 364, 373 et 374.

 15   Pour ces rapports qui sont aussi mentionnés dans le jugement, je peux

 16   vous donner la référence. C'est le paragraphe 447. Il faudrait également

 17   revenir au paragraphe 529 et 526, la note de bas de page 1976, et aussi la

 18   pièce P402 qui est un ouvrage, ainsi que d'autres rapports que la Chambre

 19   de première instance a considéré comme étant pertinents dans la période

 20   concernée.

 21   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Juste une question de suivi.

 22   M. ROGERS : [interprétation] Oui.

 23   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je pense que vous avez dit qu'il

 24   disposait d'informations suffisantes suivant lesquelles la police aurait pu

 25   commettre des crimes.

 26   M. ROGERS : [interprétation] Oui, oui, tout à fait.

 27   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je pense que cela fait partie du

 28   jugement en première instance. Et je me demande si cela inclut les

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  1   incidents qui se sont produits dans les postes de police.

  2   M. ROGERS : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, cela inclut ces

  3   incidents dans des postes de police, parce que ces incidents, nous y

  4   trouvons une référence dans le rapport de "Human Rights Watch," qui a été

  5   reconnu par la Chambre. Alors je ne sais pas ce qu'il en est, par contre,

  6   de la question posée par l'OSCE, mais cela se trouve de toute façon dans le

  7   rapport de "HRW."

  8   Mais je vais vérifier tout cela et je vous indiquerai ce qu'il en est.

  9   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

 10   M. ROGERS : [interprétation] Je vous remercie.

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Rogers.  

 12   M. ROGERS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

 13   [La Chambre de première instance se concerte]

 14   LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur

 15   Rogers.

 16   M. ROGERS : [interprétation] Je vous remercie.

 17   [La Chambre de première instance se concerte]

 18   M. METTRAUX : [interprétation] Je pense que le calendrier ou le programme

 19   avait prévu une pause, mais je suis tout à fait disposé à commencer de

 20   suite, si vous le souhaitez.

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons faire une pause d'une

 22   demi-heure.

 23   --- L'audience est suspendue à 15 heures 02.

 24   --- L'audience est reprise à 15 heures 31.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Mettraux, nous vous écoutons.

 26   M. METTRAUX : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

 27   Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Je me présente, Maître Guenael

 28   Mettraux, représentant les intérêts de M. Boskoski.

Page 137

  1   Je vais commencer en revenant sur un certain nombre de questions

  2   juridiques qui émanent de cet appel, notamment pour ce qui est de la

  3   question qui a été posée par le Président M. Robinson la semaine dernière

  4   aux parties. Donc il s'agit de déterminer ce que le droit est à ce sujet,

  5   et non pas ce que l'appelant considère être comme le droit.

  6   En réponse à votre question, nous répondrons de façon nuancée, mais

  7   nous répondrons quand même par l'affirmative, car la façon dont, en matière

  8   de droit international, un supérieur hiérarchique peut satisfaire à son

  9   obligation de punir dépend des circonstances de l'affaire. Lorsqu'un

 10   supérieur a le pouvoir et l'autorité d'imposer une punition, il peut

 11   prendre ses mesures lui-même pour diligenter une enquête et pour punir, ou

 12   il peut déléguer cette responsabilité à d'autres. C'est justement ce qui a

 13   été considéré comme pertinent dans l'affaire Aleksovski, l'affaire qui a

 14   été citée par l'Accusation cet après-midi.

 15   Toutefois, lorsqu'il ne dispose ni de ce pouvoir ni de cette

 16   autorité, le droit international coutumier dispose qu'il peut satisfaire à

 17   cette obligation de punir en faisant en sorte de transmettre cette

 18   questions aux autorités compétentes. Et je vais, en fait, citer un certain

 19   nombre de sources que vous trouverez à l'intercalaire numéro 1 du classeur

 20   que nous avons distribué. Et je dirais que le droit international considère

 21   que ce type de mesure est à la fois légitime et suffisant pour satisfaire à

 22   l'obligation d'un supérieur hiérarchique de punir chaque fois que le

 23   supérieur ne dispose pas lui-même de cette autorité pour punir ou pour

 24   sanctionner des subordonnés.

 25   Et j'aurai pour preuve les paragraphes 440 et 442 [comme interprété]

 26   de la confirmation récente relative à M. Bemba, pour la CPI. Voilà ce que

 27   le Tribunal a dit :

 28   "Le devoir à punir exige que le supérieur prenne des mesures

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  1   nécessaires pour sanctionner la commission des crimes, et ce devoir peut se

  2   faire de deux façons différentes. Soit le supérieur lui-même prend les

  3   mesures nécessaires et raisonnables pour punir ses forces ou, s'il n'a pas

  4   l'aptitude pour ce faire, il peut déléguer la question aux autorités

  5   compétentes."

  6   Et au paragraphe 442 [comme interprété], la CPI poursuit et stipule

  7   que :

  8   "Le devoir à déléguer cette question aux autorités compétentes est

  9   une façon de remédier à une situation lorsque les commandants n'ont pas

 10   l'aptitude de sanctionner leurs forces."

 11   Je dirais qu'il est pertinent de remarquer qu'aux paragraphes 519 et

 12   418 la Chambre de première instance a estimé que M. Boskoski n'avait pas de

 13   pouvoir, personnellement, pour punir ses subordonnés des crimes qui leur

 14   étaient reprochés. Et l'Accusation, d'ailleurs, n'a pas fait appel contre

 15   cela.

 16   Ce qui fait que M. Boskoski avait tout à fait le droit, conformément

 17   au droit international, de satisfaire à son devoir de punir en se

 18   comportant de cette façon et en signalant les problèmes aux autorités

 19   compétentes, ce qui s'est passé en l'espèce.

 20   En ce sens, le fait de renvoyer le problème à l'autorité compétente

 21   peut constituer une mesure nécessaire et raisonnable pour ce qui est du

 22   devoir d'un supérieur hiérarchique, tel que cela est indiqué au paragraphe

 23   632 dans l'arrêt Blaskic, qui figure à l'intercalaire premier de votre jeu

 24   de documents. Il a été bien établi, conformément au droit international

 25   coutumier, que le supérieur hiérarchique ne doit pas prendre

 26   personnellement des mesures pour prévenir ou pour punir et qu'il peut,

 27   effectivement, déléguer cette responsabilité à d'autres.

 28   Un exemple de cela figure dans l'arrêt Hadzihasanovic aux paragraphes

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  1   146 à 154. Lorsque des rapports de crimes commis dans le magasin de meubles

  2   Slavonija ont été signalés auprès du procureur du district de Bugojno, non

  3   pas par M. Hadzihasanovic lui-même sur son orientation expresse, mais cela

  4   a été fait par des subordonnés agissant pour s'acquitter de leur

  5   obligation.

  6   La Chambre d'appel a été convaincue qu'au vu de ces circonstances, M.

  7   Hadzihasanovic pouvait être considéré comme ayant satisfait à son

  8   obligation de punir.

  9   Il est pertinent de remarquer ici que la Chambre d'appel a tiré cette

 10   conclusion en dépit du fait que M. Hadzihasanovic n'avait pas vu le rapport

 11   à proprement parler; et deuxièmement, en dépit du fait qu'il n'y a pas

 12   d'élément de preuve indiquant qu'une enquête avait bel et bien été

 13   diligentée par les autorités judiciaires; et troisièmement, qu'aucun des

 14   auteurs de ces crimes n'ait jamais été puni.

 15   Nous trouvons les mêmes conclusions qui ont été faites dans le procès

 16   en première instance de M. Hadzihasanovic pour ce qui est des crimes commis

 17   à Dusina.

 18   Ces précisions judiciaires sont équivalentes également à la

 19   proposition selon laquelle un supérieur ne doit pas forcément agir s'il est

 20   satisfait et convaincu que la question a été renvoyée aux autorités

 21   compétentes par les subordonnés ou si ces autorités ont indiqué de façon

 22   très claire qu'elles se considèrent compétentes.

 23   En fait, ce que le droit international coutumier criminalise n'est

 24   pas un manquement à agir en soi, mais un manquement à agir lorsque l'on

 25   sait que ce type de manquement constituera une négligence importante de ses

 26   devoirs.

 27   Et il est indiqué qu'un supérieur ne doit pas forcément participer

 28   pour que soit considéré qu'il ait satisfait à son obligation de punir s'il

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  1   sait que les autorités en question pourront poursuivre et mener à bien une

  2   enquête, si elles sont compétentes et peuvent être saisies de cette

  3   question. Dans l'affaire Ford contre Garcia, les instructions suivantes ont

  4   été données au jury, et ce, conformément au droit international. Et je cite

  5   :

  6   "Un commandant peut être dégagé de son obligation à mener à bien une

  7   enquête ou à punir les auteurs de crime si une autorité civile ou militaire

  8   supérieure établit un mécanisme permettant d'identifier et de punir les

  9   auteurs des crimes. Dans une telle situation, le commandant doit simplement

 10   ne rien faire pour ne pas compromettre l'enquête ou l'entraver.

 11   "Un commandant peut satisfaire à son obligation d'enquêter et de

 12   punir des auteurs de crimes s'il délègue cette obligation à un subordonné

 13   responsable. Un commandant a le droit de supposer que s'il confie sa tâche

 14   à un subordonné responsable, cette tâche sera exécutée en bonne et due

 15   forme. Par ailleurs, le devoir à enquêter et à punir ne sera pas considéré

 16   comme satisfait si le commandant sait, ou devrait savoir raisonnablement,

 17   que le subordonné ne va pas exécuter la mission de bonne foi ou si le

 18   commandant entrave ou compromet l'enquête."

 19   Je dirais que cela n'est pas considéré comme un précédent contraignant.

 20   Mais il faut savoir que ce jugement a été considéré comme ayant

 21   suffisamment de poids pour être pris en considération par le CICR, qui

 22   s'appuie là-dessus pour ses études de droit coutumier comparé. Il est

 23   également pertinent de remarquer que ces instructions ne se basent pas sur

 24   une interprétation du droit américain, mais ont l'intention de présenter

 25   une déclaration générale de principes généraux. Il n'est pas surprenant de

 26   voir --

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous interromps. M. le Juge Meron

 28   a une question à poser.

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  1   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Est-ce que vous pourriez peut-être,

  2   Maître, nous expliquer quelles sont les différences entre la responsabilité

  3   d'un supérieur civil et la responsabilité d'un supérieur militaire.

  4   M. METTRAUX : [interprétation] J'en venais justement à ce fait, Monsieur le

  5   Président.

  6   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Mais ici M. Boskoski n'a pas l'autorité

  7   pour punir. Qu'en est-il ?

  8   M. METTRAUX : [interprétation] Je développerai cette question lorsque

  9   j'arriverai à cette idée.

 10   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci.

 11   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je m'excuse, mais je n'ai pas trouvé

 12   l'affaire que vous mentionnez dans ce classeur que vous avez distribué.

 13   Est-ce que vous pourriez peut-être nous indiquer où cela se trouve ?

 14   M. METTRAUX : [interprétation] Oui. Cela devrait figurer à l'intercalaire

 15   numéro 1 de votre classeur, page 28. Et je m'excuse si cela n'a pas été

 16   suffisamment clair.

 17   Et comme je vous l'ai indiqué, ces instructions dans l'affaire Ford contre

 18   Garcia se fondaient sur une manifestation du droit international. Et il

 19   n'est pas surprenant de constater que ces instructions, en fait, ont repris

 20   deux des dossiers les plus importants de la pratique américaine en droit

 21   international. La première étant le volume numéro 1, pages 308 à 309,

 22   Pratiques des Etats-Unis en droit international, et vous avez également le

 23   volume 95, page 2. Il faut savoir que cela est d'une logique imparable.

 24   Etant donné que la répartition des pouvoirs et de la compétence au sein

 25   d'un Etat donné, compte tenu d'une chaîne de commandement, perdrait tout

 26   sens si cela n'était pas le cas.

 27   Pensez, par exemple, au président des Etats-Unis qui, du point de vue

 28   constitutionnel, est le commandant suprême des forces armées américaines.

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  1   Si toutefois que l'on pense que des crimes ont été commis par les forces

  2   américaines, l'autorité compétente en matière d'enquête doit être saisie de

  3   la question, doit diligenter une enquête et, si cela est approprié, doit

  4   engager des poursuites. Dans la quasi-totalité de ces cas, le président des

  5   Etats-Unis ne participera absolument pas à la procédure en dépit du fait

  6   qu'il est le supérieur de la personne qui a commis un crime, et il se peut

  7   d'ailleurs qu'il ne soit jamais même informé de cette procédure.

  8   En tant que supérieur de la personne qui a commis ces crimes, il a

  9   tout à fait le droit de supposer, du point de vue du droit international,

 10   que les organes compétents s'occupent de ces questions, à moins qu'il n'en

 11   soit informé de façon contraire. La participation à une enquête pénale d'un

 12   supérieur hiérarchique qui, parfois, essaie de protéger des subordonnés

 13   peut déclencher une intervention non voulue et une interférence au sein

 14   d'une affaire.

 15   Cette déclaration judiciaire représente également un autre principe,

 16   car un supérieur hiérarchique peut penser que les subordonnés s'acquittent

 17   de leur tâche en toute légalité et que les auteurs seront reconnus. Et

 18   c'est quelque chose qui est reconnu dans le droit international, à moins

 19   qu'il y ait des éléments de preuve pour contester cela.

 20   En fait, j'ai répondu à votre première réponse [comme interprété] par un

 21   oui nuancé, parce que le droit international coutumier établit certaines

 22   limites à propos de la façon dont un supérieur peut se reposer sur les

 23   actes d'autres. C'est une limite qui est exposée dans l'affaire du

 24   commandement supérieur. Lorsqu'on utilise à nouveau l'exemple du président

 25   des Etats-Unis, le tribunal a dit ce qui suit, je cite : 

 26   "Le président a le droit de supposer que des détails qui ont été confiés à

 27   des subordonnés responsables seront mis en vigueur de façon tout à fait

 28   légale. Le président des Etats-Unis est le commandant suprême de ces forces

Page 144

  1   militaires. Des actes criminels commis par ses forces ne peuvent pas lui

  2   être reprochés sur la base de la théorie de la subordination. Il en va de

  3   même pour d'autres commandants supérieurs de la chaîne de commandement. La

  4   criminalité n'est pas attachée à chaque personne faisant partie de cette

  5   chaîne de commandement. Il faut qu'il y ait une négligence personnelle qui

  6   se soit produite. Cela ne peut se produire que si l'on peut tracer

  7   directement l'acte jusqu'à cette personne ou si son manquement à superviser

  8   en bonne et due forme ses subordonnés constitue une négligence criminelle

  9   de sa part.

 10   Il faut qu'il y ait une négligence personnelle qui soit équivalente

 11   d'un manquement à agir et qui représente une acceptation de ce que ses

 12   subordonnés ont fait."

 13   Et je vous dirais qu'il y a deux situations au titre du droit coutumier qui

 14   rappellent cet exemple. Vous avez, dans un premier temps, le scénario

 15   Strugar avec une enquête qui n'est qu'une parodie. Deuxièmement, vous avez

 16   l'affaire Ford contre Garcia, en vertu duquel le supérieur a des raisons de

 17   savoir que le subordonné n'a pas exécuté la mission qui lui avait été

 18   confiée en bonne foi ou si le commandant a entravé l'enquête en question.

 19   Il est assez important de savoir à ce sujet - et peut-être que cela

 20   répondra à la question posée par le M. le Juge Liu - qu'aucun de ces

 21   scénarios n'a été prouvé et que la Chambre de première instance a constaté,

 22   au paragraphe 536 du jugement, que, et je cite : 

 23    "Il n'a pas été prouvé que le manquement de la police à s'acquitter de

 24   leurs fonctions a été attribué à ses ordres."

 25   Il s'agit des ordres de M. Boskoski.

 26   "Ou que cela était connu de M. Ljube Boskoski à l'époque pertinente

 27   ou que cela aurait dû être prévu par lui."

 28   Outre ces deux exceptions mentionnées ci-dessus, la responsabilité du

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  1   supérieur hiérarchique ne dépend pas des preuves qui sont données suivant

  2   lesquelles l'enquête a, en fait, été déclenchée. La Chambre d'appel dans

  3   l'affaire Hadzihasanovic a noté à juste titre, au paragraphe 1 062, que

  4   lorsqu'il a été prouvé qu'une enquête a été déclenchée, cela prouve que :

  5   "L'accusé n'a pas manqué à son obligation de prendre les mesures

  6   nécessaires et raisonnables pour punir les auteurs."

  7   Donc sous réserve de ces deux exceptions mentionnées ci-dessus, il suffit

  8   aux fins du droit international coutumier, dans un premier temps, que cela

  9   soit signalé aux autorités compétentes; deuxièmement, que le supérieur soit

 10   conscient de la situation, et qu'il n'a pas de raison de penser que ses

 11   subordonnées ne vont pas exécuter leur mission en bonne foi.

 12   Il est pertinent de savoir que dans ce contexte M. Boskoski a d'ailleurs

 13   été remercié par le bureau du Procureur pour l'aide que lui-même et les

 14   organes du ministère leur ont apporté à ce sujet, et qu'à aucun moment

 15   pendant la période pertinente il n'a été suggéré que l'organe compétent du

 16   ministère de l'Intérieur a manqué à son devoir. Bien au contraire, le

 17   bureau du Procureur a exprimé sa satisfaction eu égard au travail accompli

 18   par les organes macédoniens dans cette enquête.

 19   Si plus d'une possibilité de punition était requise par le droit, la

 20   responsabilité du supérieur dépendrait également des actes des personnes

 21   sur lesquels le supérieur n'a absolument aucun contrôle, ce qui fait qu'il

 22   ne peut pas faire progresser l'enquête et ne peut pas augmenter les

 23   possibilités de punition. En l'espèce, au paragraphe 536, la Chambre de

 24   première instance a conclu que M. Boskoski ne disposait pas de l'autorité

 25   sur les autorités judiciaires compétentes, ce qui fait qu'il n'avait aucun

 26   moyen d'influer sur leurs choix et leur décision dans le cadre de cette

 27   enquête.

 28   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Mettraux, je vois la

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  1   différence fondamentale entre votre point de vue et le point de vue de

  2   l'Accusation. Voilà comment j'entrevois cette différence:  l'Accusation,

  3   d'après ce que je comprends, dit que s'il y a délégation de la part du

  4   commandant, le commandant a toutefois la responsabilité de procéder à des

  5   vérifications ultérieures pour garantir qu'une punition en bonne et due

  6   forme a été exécutée et imposée.

  7   Et vous réfutez cet argument.

  8   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Non seulement

  9   nous réfutons cet argument, mais nous déterminons que ce que l'Accusation a

 10   dit est erroné et n'est absolument pas corroboré ni par les faits ni par le

 11   droit. Et nous allons utiliser la jurisprudence de cette Chambre, notamment

 12   dans l'affaire Hadzihasanovic et dans l'affaire Blaskic. Car contrairement

 13   à ce qu'a affirmé l'Accusation, cela n'est pas une exigence préconisée par

 14   le droit international coutumier ou par la jurisprudence de ce Tribunal, et

 15   j'arriverai à cet argument dans un petit moment.

 16   Donc pour en revenir à M. Boskoski et à ses liens avec l'enquête menée à

 17   bien sur les événements en Macédoine à l'époque, il faut remarquer que M.

 18   Boskoski n'avait pas le droit et n'avait pas accès non plus au dossier

 19   judiciaire qui contenait le résultat de l'enquête judiciaire.

 20   En ce sens, le ministère de l'Intérieur n'a pas reçu et n'avait d'ailleurs

 21   pas le droit de recevoir les résultats des autopsies qui ont été effectuées

 22   à Ljuboten; il n'a pas non plus reçu le rapport balistique; il n'a pas non

 23   plus reçu le rapport relatif aux échantillons d'ADN des victimes, ce qui

 24   fait que M. Boskoski n'aurait pas été à même de déterminer si les

 25   possibilités de punitions devaient être importantes ou non, ou n'avait pas

 26   la possibilité de savoir si l'enquête aboutirait à la punition de ses

 27   subordonnés ou s'il existait une réelle probabilité qu'il soit puni.

 28   Dans un tel cas, il aurait été erroné et injuste d'ailleurs de s'attendre

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  1   de la part du supérieur de faire davantage que ce qui lui était demandé, et

  2   il faut savoir que cela n'est pas repris par le droit international

  3   coutumier. Donc il n'est pas surprenant de savoir qu'au cours de 15 années

  4   aucune Chambre de première instance de ce Tribunal et aucun procureur de ce

  5   Tribunal n'ont avancé cet argument, et certainement pas dans l'affaire

  6   Boskoski, ce qui, à notre avis, est très représentatif de ce qu'indique le

  7   droit.

  8   Et il y a un autre danger qui est le résultat de l'utilisation de ce type

  9   de critère. Il s'agit de la tentation de la rétrospective. Car la Chambre

 10   de première instance a déterminé, à raison, qu'il ne pouvait pas remettre

 11   en doute à l'époque que cette question n'avait pas été bien traitée par

 12   l'organe judiciaire.

 13   Un critère plus élevé de certitude aurait pu créer le type de

 14   transfert de compétences depuis les organes judiciaire vers le supérieur -

 15   le CICR d'ailleurs nous met en garde contre ceci dans son paragraphe 3 562

 16   - car il est indiqué que cela ne peut pas résulter de la doctrine de

 17   responsabilité du supérieur hiérarchique. Au contraire, une fois que la

 18   question a été confiée aux organes compétents, il leur appartient de mener

 19   à bien l'enquête et de décider jusqu'où ils peuvent aller. Et lorsque le

 20   supérieur hiérarchique n'a pas le pouvoir personnel pour punir - ce qui est

 21   le cas en l'espèce - le supérieur hiérarchique respecte ou satisfait à son

 22   obligation de punir s'il confie cela aux autorités compétentes.

 23   Et nous pouvons, en fait, établir ces différents faits en utilisant

 24   la jurisprudence adoptée par cette Chambre.

 25   Dans l'affaire Hadzihasanovic, la Chambre d'appel a été d'avis que le

 26   simple fait de signaler un incident à une autorité chargée d'enquêtes - et

 27   c'était un subordonné de M. Hadzihasanovic qui le faisait - suffisait à

 28   satisfaire à son obligation de punir sans prendre en considération le fait

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  1   de savoir si une enquête avait bien été diligentée par les organes

  2   compétents; et sans pour autant prendre en considération la possibilité que

  3   M. Hadzihasanovic aurait pu faire des efforts pour trouver les coupables,

  4   et en dépit du fait qu'il n'y a pas d'élément de preuve indiquant qu'une

  5   enquête avait bel et bien été diligentée par les organes compétents. Je

  6   fais référence au paragraphe 147.

  7   Dans l'affaire Blaskic, la Chambre d'appel, aux paragraphes 418 à

  8   420, estime que l'on peut considérer que le supérieur hiérarchique

  9   satisfait à son obligation de punir lorsqu'un rapport est présenté aux

 10   autorités compétentes à propos d'un incident particulier. Mais si le

 11   supérieur n'a pas reçu d'autres informations, il n'a absolument pas la

 12   possibilité d'établir si la punition a bel et bien été exécutée.

 13   Il en va de même dans l'arrêt dans l'affaire Blaskic, paragraphes

 14   504, 507 et 507.

 15   Il faut également savoir se pencher sur les conclusions contre

 16   lesquelles aucun appel n'a été interjeté dans l'affaire en première

 17   instance dans l'affaire Hadzihasanovic où il est indiqué de façon très

 18   claire que l'on peut indiquer qu'Hadzihasanovic s'est acquitté de son

 19   obligation de punir les crimes à Dusina, alors que des subordonnés ont

 20   signalé l'affaire aux autorités judiciaires compétentes, bien qu'il n'y ait

 21   aucune indication que Hadzihasanovic ait su quoi que ce soit à propos de

 22   l'enquête diligentée.

 23   Il est également important de remarquer qu'en dépit du fait que le

 24   ministère de l'Intérieur avait notifié les autorités judiciaires

 25   compétentes, M. Boskoski a continué à prendre des mesures actives pendant

 26   toute la période pertinente afin d'assurer que les organes du ministère de

 27   l'Intérieur aident les organes judiciaires dans le cadre de cette enquête;

 28   et c'est ce qui est exigé de lui en droit international ainsi qu'en droit

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  1   interne. J'arriverai à cette question dans un petit moment. Cela fait

  2   l'objet de l'intercalaire 13.

  3   Mais il faut savoir que lorsque le bureau du Procureur avait annoncé

  4   qu'ils allaient faire droit de primauté sur l'affaire Ljuboten, et lorsque

  5   cela a été renvoyé à ce Tribunal, l'enquête judiciaire en Macédoine était

  6   en cours et l'Accusation avait suggéré que l'une des raisons qui militaient

  7   en faveur du renvoi de cette affaire était le risque qu'il puisse y avoir

  8   collision entre les enquête en Macédoine et les enquêtes menées à bien par

  9   le bureau du Procureur, et que cela aurait peut-être une incidence négative

 10   pour ce qui était de trouver les coupables.

 11   Et pour placer cela dans le juste contexte, il faut savoir qu'en

 12   dépit de toute la bonne volonté, ce Procureur n'a pas donné davantage de

 13   possibilités permettant de punir les auteurs des crimes à Ljuboten.

 14   J'en viens maintenant au premier moyen d'appel, Monsieur le

 15   Président. Alors au vu du temps qui m'a été imparti, je vous demanderais de

 16   bien vouloir prendre l'intercalaire 3 de votre classeur, où vous trouverez

 17   le texte des paragraphes 406, 415, 416, 417, 536 ainsi que les sous-titres

 18   de la page 178 du jugement. Les sections qui ont été surlignées dans ces

 19   paragraphes sont autant de références explicites aux critères juridiques

 20   pertinents pour les raisons nécessaires et raisonnables qui, d'après

 21   l'Accusation, n'ont pas été prises. Mais ce qui est important, c'est que

 22   dans le paragraphe 536 du jugement, il y a un de ces paragraphes qui n'a

 23   absolument pas tenu compte de ce qui a été dit, et je cite :

 24   "Il n'a pas été démontré qu'il…" -il s'agit de M. Boskoski-- "…n'a

 25   pas pris les mesures nécessaires et raisonnables."

 26   Voilà le critère juridique qui, d'après l'appelant, aurait dû être

 27   utilisé par la Chambre, ce qu'elle n'a pas fait. Et comment est-ce que

 28   l'Accusation explique la présence de ces constatations qui, de façon très

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  1   simple et c'est inévitable, de façon incontournable, contredit ce qu'ils

  2   avancent ?

  3   Dans son mémoire en appel, l'Accusation ne mentionne absolument pas

  4   ces conclusions, elle ne mentionne absolument pas non plus les autres

  5   paragraphes pertinents. Donc, Monsieur le Président, il s'agit d'un

  6   appelant qui s'attache aux constatations qui lui plaisent.

  7   Au paragraphe 18 de son mémoire, et après que l'appelant ait

  8   absolument ignoré de façon tout à fait aveugle ce qui avait été indiqué

  9   dans le mémoire de l'intimé, l'appelant refuse tout simplement de se

 10   pencher sur ces constatations et indique au paragraphe 536, et je cite :

 11   "Il confirme tout simplement le fait que la Chambre a utilisé le

 12   mauvais critère juridique."

 13   Il faut savoir, Monsieur le Président, que le jugement peut contenir de

 14   nombreuses indications claires et incontournables, tel que cela est

 15   identifié dans notre mémoire ainsi qu'à l'intercalaire 3, suivant

 16   lesquelles la Chambre de première instance a identifié et a utilisé le

 17   juste critère juridique pour adopter le point de vue que M. Boskoski avait,

 18   en fait, adopté des mesures nécessaires et raisonnables au vu des

 19   circonstances.

 20   Par conséquent, nous concluons que le premier moyen d'appel présenté

 21   par l'Accusation n'est absolument pas fondé et doit être rejeté, de ce

 22   fait.

 23   Prenons maintenant le deuxième moyen subsidiaire. La Défense a expliqué

 24   dans son mémoire pourquoi l'Accusation n'a pas le droit de soulever à

 25   l'appel un sujet qui n'a pas été évoqué en première instance - nous avons

 26   les pages 65 et 66 - et l'Accusation l'a bien concédé.

 27   Il n'est pas inutile de rappeler que l'Accusation n'a pas posé une

 28   seule question à un seul témoin à propos des documents 1D6 et P467, qui

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  1   font l'objet pourtant de l'appel. L'Accusation n'a pas, une seule fois,

  2   fait référence à l'un ou l'autre de ces documents dans son mémoire en

  3   clôture ni dans ses réquisitions, et ceci, en dépit de l'interrogatoire et

  4   du contre-interrogatoire par la Défense de ce document et des quelque 40

  5   références que l'on trouve dans son mémoire en clôture.

  6   Dans son mémoire en appel, l'Accusation n'essaie pas du tout d'expliquer

  7   pourquoi, au moment du procès, elle n'a même pas essayé de reconnaître

  8   l'existence ni la pertinence de ces documents dans son mémoire en réplique.

  9   Une fois ce manquement mis à nu, l'appelant vous dit que l'article

 10   90(H)(ii) exige seulement de l'Accusation qu'elle présente l'essentiel même

 11   d'une déposition d'éléments de preuve contraires au témoin, et ceci, c'est

 12   dit aux pages 9 249 jusqu'à

 13   9 256 du compte rendu d'audience.

 14   En ce qui concerne ces pages mentionnées par l'appelant, la Chambre

 15   d'appel n'aura aucun mal à vérifier le fait que ni les documents ni leur

 16   contenu ne sont - ne serait-ce que mentionnés par l'Accusation dans ces

 17   pages-là du compte rendu d'audience - ni non plus qu'on y trouvera une

 18   indication de la part du Procureur qu'on aurait fait comprendre au témoin

 19   que le fait que le ministère de l'Intérieur n'avait pas bien signalé la

 20   chose à l'appareil judiciaire ou que M. Boskoski aurait manqué à son

 21   obligation de punir.

 22   De plus, l'article 90(H)(ii) n'est pas pertinent ici, non pas parce

 23   que l'Accusation a oublié de le faire à l'égard de ses propres témoins et

 24   aussi pas parce qu'elle ne l'a pas fait dans le contre-interrogatoire, mais

 25   si on prend l'arrêt Blaskic, paragraphe 222, on voit qu'une partie a

 26   l'obligation de soulever devant la Chambre de première instance "toute

 27   question qui doit être tranchée."

 28   Vu l'utilisation prolongée de ces deux documents par la Défense à

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  1   propos de la troisième branche de la responsabilité du supérieur

  2   hiérarchique, l'appelant ne peut pas maintenant feindre la surprise à voir

  3   la Chambre s'appuyer sur ces documents sur ce problème.

  4   De plus, lorsqu'on a admis P46, c'est un dossier judiciaire contenant

  5   notamment le document P4616, la Chambre a tenu compte de ce qu'avait dit

  6   l'Accusation, à savoir qu'on disait de ce dossier qu'il concernait le

  7   manquement présumé de Boskoski à l'obligation d'enquêter et de punir ses

  8   subordonnés, et l'a admis à ce titre. Rappelez-vous la décision de la

  9   Chambre du 14 mai 2007, paragraphe 22.

 10   Par conséquent, aucune indication n'avait été fournie que le Procureur

 11   aurait mal compris, aurait pu ignorer le fait que ce document devait être

 12   considéré comme étant un document important pour sa cause.

 13   La pièce 1D6 a été versée et admise le 15 mai 2007 par le biais du

 14   Témoin M-037. Rappelez-vous, Madame et Messieurs les Juges, les pages 848 à

 15   857 du compte rendu d'audience. Ce document a été présenté, on en a demandé

 16   le versement dans le dossier, car il montrait le système de communications

 17   et d'informations entre le ministère de l'Intérieur et les organes

 18   judiciaires, ce qui était important pour établir la contribution du

 19   ministère de l'Intérieur au fait de déclencher et de soutenir une enquête

 20   judiciaire sur les événements de Ljuboten. L'Accusation n'a fait aucune

 21   objection à l'admission, ni à la pertinence de ce document eu égard aux

 22   charges retenues.

 23   Ceci étant, aucun conseil diligent n'aurait pu manquer à l'obligation

 24   de faire valoir son point de vue sur la pertinence et le poids de ces

 25   documents, et on peut considérer que vu son silence il abandonne ses droits

 26   à soulever cette question seulement à l'appel.

 27   C'est la raison pour laquelle il faudrait rejeter sans examen ce

 28   deuxième moyen d'appel.

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  1   Mais si la Chambre veut s'intéresser à ce deuxième moyen, je vous

  2   appelle le paragraphe 142 de l'arrêt Hadzihasanovic. Vous l'avez dit

  3   clairement, le critère à appliquer pour le troisième élément de la

  4   responsabilité du supérieur hiérarchique, c'est de savoir si un juge

  5   raisonnable conclurait que là où les mesures adoptées par un supérieur

  6   hiérarchique dans certaines circonstances peuvent être considérées comme

  7   nécessaires et raisonnables, en ces circonstances-là.

  8   Ce droit reflète et intègre le fait qu'en vertu de la doctrine du

  9   supérieur hiérarchique, celui-ci bénéficie, et je cite :

 10   "D'une latitude considérable quant aux modalités qu'il emploie pour

 11   remplir ses devoirs."

 12   Ici, je cite les rapports du droit du jugement des criminels de

 13   guerre de la Deuxième Guerre mondiale, volume 12, page 83 et 110. Ceci veut

 14   dire qu'au titre du droit international, un supérieur hiérarchique n'a pas

 15   le droit de voir sa responsabilité pénale encourue s'il a choisi tel ou tel

 16   cap ou pour avoir choisi tel ou tel jeu de mesures, les préférant à

 17   d'autres, à moins que ce choix n'équivaille à un manquement grave au titre

 18   du droit coutumier international équivalant à une acquiescence avec les

 19   crimes commis.

 20   La même logique s'applique, et le Tribunal du haut commandement a dit

 21   qu'il n'était pas possible de voir s'engager la responsabilité d'un

 22   supérieur, parce qu'il aurait préféré ou privilégié les mesures

 23   disciplinaires à des sanctions pénales, ou l'inverse, s'il estimait que ces

 24   mesures étaient adéquates, vu les circonstances.

 25   Page 524 du jugement, voici ce que dit le tribunal américain :

 26   "Le devoir imposé à un chef militaire est la protection de la

 27   population civile. Que cette protection soit garantie par la poursuite de

 28   soldats accusés d'infraction à l'encontre de la population civile ou par

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  1   des mesures disciplinaires ou autrement importe peu dans l'optique

  2   internationale, ou est indifférent."

  3   C'est la raison, notamment, pourquoi dans l'affaire Blaskic, après

  4   avoir constaté que les événements à l'origine d'Amici qui étaient

  5   pertinents aux chefs d'accusation avaient été signalés aux autorités

  6   judiciaires compétentes, la Chambre d'appel n'a pas mené d'autre enquête ni

  7   n'a cherché à établir la question de savoir si l'accusé aurait pu adopter

  8   des mesures disciplinaires ou mener d'autres enquêtes. La Chambre d'appel

  9   n'a pas non plus pensé que sa responsabilité en raison de ce manquement

 10   était engagée.

 11   L'arrêt Hadzihasanovic dit que la question de savoir si un supérieur

 12   a rempli son obligation n'est pas résolue par la question de savoir si

 13   c'était des mesures pénales ou disciplinaires, ou les deux, mais plutôt de

 14   savoir si les mesures adoptées étaient appropriées au vu des circonstances.

 15   Cette démarche adoptée par la Chambre de première instance Boskoski

 16   correspond bien à ce que dit l'article 87(3) du Protocole additionnel I. Si

 17   cette démarche qu'adopte l'appelant était acceptée en tant que droit, à ce

 18   moment-là, on abolirait non seulement la discrétion du supérieur

 19   hiérarchique, mais ce serait aussi pour la déférence que reconnaît la

 20   Chambre de première instance lorsqu'elle détermine si, vu les circonstances

 21   d'une affaire, les mesures adoptées furent nécessaires et raisonnables.

 22   Dans quelques instants, je vais vous montrer pourquoi et comment la

 23   Chambre de première instance est restée dans le cadre d'appréciation qui

 24   est le sien lorsqu'elle a estimé que M. Boskoski avait rempli son devoir de

 25   punir, vu les circonstances. Et je le ferai en posant et en répondant à

 26   trois questions.

 27   Première question : dans quelles circonstances le droit international

 28   estime-t-il que le fait de signaler une affaire aux autorités compétentes

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  1   suffit pour que l'officier supérieur remplisse son devoir de punir ?

  2   Nous l'avons vu, le droit international dit qu'il le fait en

  3   signalant les crimes aux autorités compétentes chaque fois qu'il n'a pas

  4   lui-même le pouvoir de le faire, le pouvoir de punir ou de sanctionner.

  5   Je reviendrai à cette question lorsque je parlerai de Hadzihasanovic

  6   et Blaskic.

  7   Ici, dans notre affaire, l'Accusation n'a jamais affirmé et la

  8   Chambre, à juste titre, indique qu'au titre du droit yougoslave, M.

  9   Boskoski n'avait ni pouvoir ni autorité de sanction au regard des crimes de

 10   meurtres, traitements cruels et destruction sans motif à la base des chefs

 11   retenus ici. Par conséquent, la Chambre ne s'est pas trompée, et vu la

 12   marge d'appréciation qui était la sienne, a eu raison de penser que M.

 13   Boskoski pouvait se contenter de signaler l'affaire aux autorités

 14   compétentes, et il avait été affirmé que ça s'était passé. Donc pas

 15   question de le condamner pour cela.

 16   Deuxième question. Quel est l'effet que peut avoir, en droit, le fait de

 17   signaler aux autorités compétentes une affaire ? Quel est l'effet sur

 18   l'obligation de punir du supérieur hiérarchique ?

 19   Je l'ai déjà dit, tout ce que dit le droit international est clair et

 20   sans réserve. Lorsqu'un supérieur n'est pas en mesure d'imposer lui-même

 21   une punition, et dès lors qu'un supérieur ou ses subordonnés ont signalé la

 22   chose aux autorités compétentes, l'obligation de punir incombant au

 23   supérieur hiérarchique est déplacée. Son obligation n'a plus lieu d'être.

 24   Et quand on voit ce que disent les Juges Meron et Kwon dans leur opinion,

 25   paragraphe 3, dans l'affaire Strugar, où les Juges n'avaient pas de

 26   dissension sur un point de droit et lorsqu'ils avaient rejeté ce qu'avait

 27   avancé l'Accusation, à savoir qu'un supérieur conservait son obligation

 28   d'enquête même si une autre personne avait été chargée de mener cette

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  1   enquête.

  2   Je rappelle tout particulièrement la note de bas de page de ce paragraphe.

  3   Cette déclaration de principe est tout à fait saine et peut se retrouver

  4   dans les arrêts Hadzihasanovic et Blaskic. Rappelez-vous, dans ces deux

  5   affaires, les subordonnés des accusés avaient envoyé des rapports aux

  6   autorités d'instruction compétentes. Dans ces deux affaires, la Chambre

  7   d'appel a estimé que les accusés avaient assez rempli leur obligation de

  8   punir au regard des crimes commis dans le contexte des incidents qui

  9   avaient été signalés. Et la Chambre n'a pas cherché à s'enquérir davantage

 10   de ce qu'il en était dans le dossier pour voir si le supérieur aurait pu

 11   prendre des mesures supplémentaires.

 12   Les conclusions de la Chambre d'appel sur les faits de signaler, dans

 13   ces deux affaires, étaient des conclusions absolues, globales et sans

 14   réserve.

 15   C'est la raison pour laquelle aussi, comme je le dirai dans un

 16   instant, la Chambre d'appel n'a jamais laissé entendre qu'une fois la chose

 17   signalée, comme dans l'affaire Blaskic, la Chambre aurait dû se demander et

 18   se convaincre que l'accusé aurait pu prendre d'autres mesures, des mesures

 19   disciplinaires ou d'autres mesures d'instruction, ce que demande maintenant

 20   ici dans ce procès l'appelant. La Chambre avait parfaitement raison et est

 21   restée dans les confins de son pouvoir discrétionnaire parce qu'elle s'est

 22   dit, puisqu'il y avait eu signalisation de la question aux autorités

 23   compétentes, en l'absence d'autres idées ou de suggestions disant que M.

 24   Boskoski aurait commis une erreur, on peut estimer qu'il avait rempli son

 25   devoir de punir.

 26   Troisième et dernière question. En droit, quelles sont les conditions

 27   requises pour que le fait de signaler déplace l'obligation de punir du

 28   commandant à quelqu'un d'autre pour remplir son obligation de punir ?

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  1   Aux dires de l'Accusation, M. Boskoski était censé rapporter :

  2   "L'allégation d'un comportement criminel par ses subordonnés," il est

  3   dit à plusieurs endroits, "et aurait dû appliquer d'autres conditions

  4   formelles."

  5   Mais il n'y a rien dans le droit ni dans l'administration de la

  6   preuve qui appuie cela. En fait, il y a des précédents de votre

  7   jurisprudence qui le contredisent.

  8   Le droit coutumier international n'impose aucune condition formelle

  9   ou de fond à cet effet. Je le répète, toutes les déclarations juridiques

 10   que vous trouverez, pour certaines d'entres elles, à l'onglet 1, ce sont

 11   des déclarations qui sont sans réserve en matière de droit. Et ce qui est

 12   peut-être encore plus intéressant ici, ce sont les constatations de la

 13   Chambre de première instance dans l'application de ces critères et le

 14   principe qu'on peut en déduire.

 15   Prenez, par exemple, le paragraphe 418 de l'arrêt Blaskic. Rappelez-vous,

 16   la Chambre d'appel a dit que Blaskic avait requis une enquête après les

 17   événements d'Amici et que c'était aussitôt le SIS de Mostar qui s'en était

 18   chargé. L'instruction donnée par Blaskic à son responsable de la sécurité

 19   était, je cite :

 20   "C'est qu'il fallait mener une enquête suite à l'incident afin qu'un

 21   rapport puisse être envoyé à Mostar."

 22   La Chambre d'appel a considéré que c'était suffisant pour que son

 23   obligation de punir soit déplacée s'agissant de tous les crimes commis à

 24   Amici, et ceci, en dépit du fait que la Chambre d'appel savait que

 25   l'enquête avait fait l'objet d'obstacles qui avaient été posés sur sa voie

 26   et n'avait pas été bien menée, pas avec compétence.

 27   Aucune référence n'a été faite non plus pour dire qu'on aurait dû

 28   indiquer des subordonnés comme étant des suspects potentiels, pas plus

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  1   qu'on aurait dû énumérer les crimes supposés commis.

  2   Aux paragraphes 420 et 422, l'arrêt Blaskic disait que Blaskic avait rempli

  3   ses obligations en vertu de l'article 7(3) et devrait être acquitté de ses

  4   crimes. Même conclusion aux paragraphes 504, 507  et 511 de l'arrêt

  5   Blaskic.

  6   Cette même conclusion, vous la tireriez si vous voyiez l'arrêt

  7   Hadzihasanovic. En son paragraphe 146, la Chambre d'appel a conclu qu'un

  8   subordonné de M. Hadzihasanovic avait déposé un rapport devant le procureur

  9   municipal de Bugojno à propos d'un incident survenu le 5 août 1993. Ce

 10   rapport ne présentait aucune référence à tous les crimes dont on

 11   soupçonnait qu'ils s'étaient produits pendant une période qui a entraîné la

 12   culpabilité de M. Hadzihasanovic, mais la Chambre n'a pas estimé qu'il

 13   était coupable, parce que ce rapport était incomplet, il n'énumérait pas

 14   tous les crimes. Le fait qu'il n'y a pas eu de preuve montrant qu'une

 15   enquête avait vraiment été ouverte par le procureur local n'a pas été tenu

 16   en compte non plus, pas plus que le fait que ce rapport ne donnait pas le

 17   nom des subordonnés en tant que suspects potentiels.

 18   Ce qui était important pour déclarer M. Hadzihasanovic coupable en

 19   application du 7(3), c'est le fait que l'incident au cours duquel les

 20   crimes étaient censés avoir été commis a été renvoyé aux autorités

 21   compétentes de telle sorte que le rapport semait un doute raisonnable sur

 22   la question de savoir si ses subordonnés avaient ouvert une enquête sur la

 23   totalité des crimes commis à cet endroit. Et contrairement à ce qu'essaie

 24   de faire entendre l'appelant, la Chambre d'appel a conclu, expressis

 25   verbis, que l'absence d'une référence à certains de ces crimes supposés

 26   être commis là n'enlevait pas le doute raisonnable faisant croire que le

 27   rapport avait eu comme effet de rapporter ce que la Chambre d'appel a

 28   qualifié de dossier complet au procureur de Bugojno.

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  1   Une fois que la chose avait été signalée en droit international, M.

  2   Boskoski avait rempli son devoir.

  3   Dans le droit national de Macédoine, cette obligation d'enquêter et

  4   de mener l'enquête appartient à l'appareil judiciaire. Vous le verrez, les

  5   autorités ont été saisies de la totalité des allégations qui constituent

  6   maintenant la base des chefs retenus dans l'acte d'accusation. Une fois le

  7   rapport envoyé aux autorités compétentes, M. Boskoski n'avait rien d'autre

  8   à faire en vertu du droit coutumier international, seulement s'il avait

  9   appris qu'il y avait des obstacles posés à l'enquête par ses subordonnés,

 10   ce qui n'a jamais été le cas.

 11   Par conséquent, la Chambre a consisté qu'il se comportait

 12   conformément à ses obligations et la Chambre a eu raison d'appliquer son

 13   pouvoir discrétionnaire.

 14   Mais si vous dites, dit l'appelant, si vous n'êtes pas satisfait des

 15   conclusions de la Chambre, vous devez condamner Boskoski, renversant ainsi

 16   l'acquittement. L'appelant affirme cela sans dire un seul mot dans son

 17   mémoire sur la façon dont vous, les Juges, pourriez parvenir à une telle

 18   conclusion, sans dire un seul mot sur le dossier qui pourrait se trouver à

 19   être un obstacle entre un renversement de cette décision et le recours

 20   demandé par l'appelant. Ici, c'est simplement vous demandez de croire

 21   l'accusation qui est faite sans examiner le dossier.

 22   Mais nous voudrions que vous vous basiez sur les éléments de preuve

 23   que nous signalons dans notre mémoire et qui sont décrits de façon

 24   détaillée à l'onglet 30 [comme interprété].

 25   Par exemple, dans le mémoire en appel, on ne dit pas que le 13 août

 26   2001, un jour après les événements, et à sa demande, M. Boskoski a

 27   rencontré le chef de la délégation de l'OSCE pour discuter des événements

 28   de Ljuboten. Que ce jour-là, aussitôt après la réunion, il a annoncé

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  1   publiquement qu'il fallait faire la vérité sur ce qui s'était passé et il a

  2   aussitôt créé une commission d'enquête et il a désigné les trois

  3   représentants officiels les plus haut placés du ministère à la tête de

  4   cette commission, montrant qu'il était prêt, qu'il était décidé et résolu à

  5   examiner la question et faire passer un message très clair à tous les

  6   organes du ministère qu'ils devaient aider l'organe judiciaire pour trouver

  7   une solution à ce problème et élucider ce problème.

  8   Dans sa réplique, le Procureur dit que la Chambre ne pouvait pas tenir

  9   compte de cette mesure car c'était, dit-il, un mandat très étroit et

 10   inexact, parce qu'en fait, on disait que le ministère de l'Intérieur avait

 11   répondu à une attaque terroriste. Mais ceci a été pris en compte par la

 12   Chambre de première instance qui a, malgré tout, conclu - au paragraphe 528

 13   - que la création de cette commission indique, et je cite : 

 14   "…une action qui pouvait être considérée comme relevant de l'obligation

 15   qu'il remplit ainsi en application de l'article 7(3)."

 16   Et le mandat, avec le recul on le constate, était en partie inexact, mais

 17   la Chambre ne dit nulle part qu'il le savait, M. Boskoski, et que les

 18   éléments de preuve sont clairs. Il faisait ce à quoi il avait droit au vu

 19   des informations qu'il avait à l'époque.

 20   De plus, il a ordonné l'examen des rapports qu'il avait reçus et il a

 21   cherché à vérifier s'ils étaient exacts. L'Accusation veut aussi ne pas

 22   tenir compte de l'appel qu'il lance au public ce jour-là, le 13, lorsqu'il

 23   dit qu'il faut une enquête complète sur la question, et il essaie vraiment

 24   de faire valoir sa force politique pour que cette enquête soit menée à

 25   bien.

 26   L'Accusation dit : N'en tenez pas compte, parce que M. Boskoski

 27   pensait que les victimes étaient des terroristes, et pas des civils. Mais

 28   il est clair, à la lecture de la pièce 1D203, de concert avec la pièce 1D24

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  1   notamment, que ce que pensait M. Boskoski sur ce point, c'était quelque

  2   chose qu'il pensait de bonne foi vu les informations reçues, tant de l'OSCE

  3   que de son ministère, et qui correspondaient bien à l'avis qu'il avait

  4   exprimé.

  5   Je vous l'ai dit, un supérieur a le droit de faire confiance aux

  6   informations qu'il reçoit de sa voie hiérarchique et de les appliquer, à

  7   moins qu'il ait des raisons de ne pas les croire, ce qui n'est pas le cas

  8   ici.

  9   L'Accusation essaie de jeter le doute sur la déclaration publique de M.

 10   Boskoski, mais la pièce P302 [comme interprété] le dit clairement, je le

 11   cite :

 12   "Pour découvrir la vérité, l'Accusation aura besoin de l'autorisation

 13   de faire une exhumation dans le respect de la procédure légale si nous

 14   voulons que se confirme la vérité."

 15   Ce n'était pas des paroles creuses, car en son nom, une recommandation

 16   écrite a été envoyée aux autorités judiciaires compétentes pour qu'il y ait

 17   exhumation et autopsie, ce qui s'est fait. Et quand on voit le rapport

 18   Mitevski, pièce 378, cette mesure avait pour vocation de permettre une

 19   étude exhaustive et complète :

 20   "…afin de prendre toutes les mesures légales nécessaires permettant

 21   de confirmer tous les faits pertinents et d'avoir une réponse sur les

 22   événements."

 23   La Chambre a estimé que la commission n'avait pas bien fait son travail,

 24   mais la Chambre remarque - au paragraphe 436 - que dans son rapport la

 25   commission a bien dit qu'il fallait exhumer les personnes enterrées, que

 26   c'était une façon de confirmer les faits pertinents, et a reconnu que les

 27   questions restées ouvertes n'avaient toujours pas trouvé de réponses.

 28   M. Boskoski a continué de prendre des mesures pour donner plus

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  1   d'importance à cette question de l'enquête de Ljuboten pendant toute la

  2   période des faits pour faire comprendre à tous ceux qui étaient partie

  3   prenante qu'ils devaient élucider l'affaire. Ainsi, le 20 août et le 4

  4   septembre 2001 respectivement, M. Boskoski a fait rapport des premières

  5   conclusions de son ministère, aussi bien à l'organe de la coordination de

  6   la gestion de crises qu'au gouvernement. Dans sa réplique, au paragraphe

  7   41, l'Accusation vous dit de ne pas en tenir compte, parce que M. Boskoski

  8   a dit dans son rapport qu'on croyait que les victimes étaient des

  9   terroristes.

 10   Mais je le répète, l'Accusation attribue un pouvoir de sagacité

 11   rétrospective à M. Boskoski qu'il n'a malheureusement pas. M. Boskoski

 12   avait le droit d'agir partant des informations qui lui avaient été

 13   transmises par les autorités compétentes.

 14   Et en ce qui concerne les victimes, ou deux [comme interprété] de ces

 15   victimes, la Chambre a dit qu'il n'était pas possible de conclure au-delà

 16   de tout doute raisonnable que c'était des civils. C'est M. Boskoski aussi

 17   qui a insisté pour qu'il y ait un rapport conjoint de la Défense et de

 18   l'Intérieur, qui a donné un nouvel élan à l'enquête et a empêché que

 19   l'enquête de Ljuboten perde de son importance politique en Macédoine. Et

 20   c'est lui qui a fourni un complément d'informations au gouvernement sur

 21   l'incident le 25 septembre 2001.

 22   C'est lui aussi qui, publiquement, a soutenu l'idée qui était de dire

 23   que c'est le Procureur de ce Tribunal-ci qui devrait participer à

 24   l'enquête, et donnait des informations à ce bureau du Procureur. Ceci

 25   montrait bien qu'il n'essayait de protéger personne. Et lorsqu'au début de

 26   l'année 2002 il a offert une fois de plus d'aider dans le processus

 27   d'exhumation à Ljuboten, le même bureau du Procureur a rejeté l'assistance

 28   de la police, alors qu'aujourd'hui l'Accusation dit qu'il aurait dû en

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  1   faire plus pour aider l'Accusation.

  2   Il a placé tous les organes pertinents du ministère à la disposition

  3   de l'appareil judiciaire compétent. Et chaque fois qu'on le lui a demandé,

  4   il a aidé le bureau du Procureur. Il n'a rien fait qui pourrait être

  5   considéré comme une obstruction au travail des organes compétents.

  6   Et quelles sont ces centaines de mesures prises par les organes compétents

  7   du ministère de l'Intérieur ? Aucune de ces mesures n'est mentionnée par

  8   l'appelant dans son mémoire, comme si ce n'était pas important, alors qu'on

  9   demande à une Chambre d'appel de le condamner pour un manquement de punir.

 10   Si vous voulez croire l'appelant, il ignorait le fait que c'est le

 11   ministère de l'Intérieur qui a signifié aux organes judiciaires compétents

 12   qu'on avait eu un recours à la force dans ce village et qu'il y avait des

 13   morts dans les rues de Ljuboten. Ignorait aussi que ce sont les rapports du

 14   ministère de l'Intérieur qui ont déclenché l'action judiciaire. Ignorait

 15   aussi que ce sont les organes compétents du ministère qui ont cherché à

 16   obtenir des informations des villageois à propos de ce qui s'est passé.

 17   Ignorait que ce sont les membres du ministère qui faisaient partie de

 18   l'équipe d'enquête. Que c'est sur recommandation du ministère qu'il y a eu

 19   exhumations et autopsies. Que ce sont les dirigeants professionnels du

 20   ministère qui ont essayé de contacter les organisations internationales

 21   présentes alors en Macédoine pour qu'elles enquêtent. Que ce sont les

 22   organes compétents qui ont répondu à toutes les demandes d'assistance dans

 23   la mesure du possible. Que c'est eux qui ont participé à toutes les

 24   réunions préparatoires organisées par les organes judiciaires compétents.

 25   Qu'ils ont participé à ce processus d'exhumation et d'autopsie et qu'ils

 26   ont mené toutes les activités médicolégales importantes dans le cadre de

 27   l'enquête. Qu'il a fourni informations et soutien au bureau du Procureur

 28   tout ce temps. Que personne pendant cette période ne s'est plaint du

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  1   travail fait par le ministère de l'Intérieur. Ignorait que ce dernier a été

  2   remercié pour les efforts faits, notamment par le bureau du Procureur. Et

  3   qu'au paragraphe 452 et suivants du jugement, la Chambre constate que

  4   plusieurs mesures pertinentes ont été prises. Et si la Chambre avait estimé

  5   le contraire, elle l'aurait dit à ce moment-là. Ignorait aussi la situation

  6   très sensible en matière de sécurité à l'époque en Macédoine.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Et n'oubliez pas que les interprètes

  8   vous demandent de ralentir.

  9   M. METTRAUX : [interprétation] Je présenterai mes excuses aux interprètes.

 10   Excusez-moi de les avoir fait souffrir.   

 11   Ignorait aussi que la sécurité était très précaire en Macédoine et ne

 12   permettait pas aux autorités, pendant plusieurs mois, d'entrer dans le

 13   village. Que l'absence de coopération des villageois n'a pas permis aux

 14   autorités d'entendre des témoins oculaires, ce qui aurait pu aider à

 15   l'identification des auteurs. Et que les ressources de l'Etat de Macédoine,

 16   et que les ressources du ministère de l'Intérieur, en particulier, étaient

 17   épuisées par le fait que le ministère de l'Intérieur participait aux

 18   combats qui, d'après la Chambre de première instance, représentaient un

 19   conflit armé.

 20   On vous dit dans la réplique de l'Accusation qu'il faut oublier ce

 21   qu'a fait le ministère, parce que les résultats ont été utilisés par

 22   l'appareil judiciaire, notamment pour l'enquête des crimes contre les

 23   villageois albanais mais aussi pour les enquêtes sur les crimes terroristes

 24   de l'ALN.

 25   D'après l'appelant, le ministère de l'Intérieur et son ministre

 26   devraient être tenus pénalement responsables, parce que l'appareil

 27   judiciaire que ce ministère ne contrôlait pas a privilégié d'utiliser ce

 28   matériel à une fin plutôt qu'à un autre.

Page 168

  1   Ce que l'Accusation vous demande est déraisonnable, et c'est sans

  2   rapport avec le dossier de l'instance. C'est donc sans rapport avec le

  3   droit régissant la responsabilité du supérieur hiérarchique en droit

  4   coutumier international. Mais comme l'Accusation n'est jamais à bout

  5   d'arguments, elle vient d'en trouver un nouveau dans le cadre de son

  6   mémoire en appel. L'Accusation dit maintenant que dans la mesure où on a

  7   peut-être pris certaines mesures d'enquête, c'était une enquête qui ne

  8   voulait pas établir les faits et les circonstances en l'espèce, mais

  9   uniquement l'identité des sept morts.

 10   Est-ce que l'appelant, avant de vous le dire, a examiné les rapports

 11   d'autopsie ? La déposition de ses propres témoins, notamment le légiste

 12   Jakimovski, qui a fait ces autopsies qui portaient non seulement sur

 13   l'identité mais sur les causes et les circonstances du décès de ces

 14   personnes, est-ce que l'appelant s'est demandé ceci : si l'identité était

 15   la seule concernée, pourquoi est-ce que le chef de la police de Mirkovci,

 16   au moment de ces exactions, a été interrogé par son collègue ? Est-ce que

 17   l'appelant a tenu compte du fait que l'enquête portait sur les événements

 18   du 12 août mais aussi de la période du 10 au 14, qui englobe tous les

 19   crimes retenus dans l'acte d'accusation, et pas seulement la mort de ces

 20   sept personnes ? Paragraphes 213 à 230 du mémoire de l'intimé.

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il vous reste une minute.

 22   M. METTRAUX : [interprétation] Passons à l'intercalaire 14, 24 et aussi 14,

 23   25, intercalaire 12. On fait dans ces documents référence non pas à

 24   l'identité des victimes mais aux causes, circonstances et autres questions

 25   relatives à ces événements. Je vous rappelle aussi que dans son mémoire en

 26   réplique, l'Accusation cherche à affirmer que dans sa déclaration, M. Cakic

 27   avait indiqué qu'il voulait seulement identifier les victimes, rien

 28   d'autre. Si c'est le cas, c'est lui qui doit en prendre la responsabilité.

Page 169

  1   Mais nous vous rappelons les pièces P5510, 11, 13, signées par M. Cakic en

  2   personne, et qui font clairement référence aux causes, temps et

  3   circonstances de ces décès.

  4   Je vais corriger une dernière chose avant de terminer. Dans son mémoire en

  5   réplique, l'Accusation fait référence à ce qu'on appelle le contrôle

  6   interne, et elle conteste ce que la Défense a dit, à savoir que le contrôle

  7   interne ne peut pas être enclenché s'il n'y a pas plainte déposée par un

  8   citoyen ou une victime. Et on dit que Ruzeski ne le dit pas au paragraphe 6

  9   de sa déclaration, pièce P385.

 10   C'est vrai, c'est dit au paragraphe 3 de la déclaration de M.

 11   Ruzeski.

 12   Avant de terminer, je répète ce que j'ai dit dans notre mémoire de

 13   l'intimé, et avant de rendre la parole à l'Accusation, je tiens à vous

 14   remercier pour votre patience, Madame et Messieurs les Juges.

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Le Juge Meron a une question.

 16   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je ne suis pas sûr que vous avez

 17   répondu à ma question concernant la distinction entre le supérieur

 18   militaire et le supérieur civil.

 19   M. METTRAUX : [interprétation]  Je suis en effet sûr que je n'ai pas tout à

 20   fait répondu à votre question, mais je crois que vous me permettrez peut-

 21   être de le faire si c'est ce que la Chambre souhaite.

 22   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous

 23   expliquer comment serait exercée la responsabilité de M. Boskoski s'il

 24   n'avait pas été un ministre civil mais un responsable militaire ?

 25   M. METTRAUX : [interprétation] Excusez-moi de ne pas avoir répondu à votre

 26   question plus tôt. J'aurais dû le faire en temps voulu.

 27   La réponse est complexe. Je crois que le problème principal qui est ici

 28   pertinent est l'absence de chaîne de commandement similaire à ce que l'on

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  1   trouve dans un contexte militaire. La responsabilité de garantir les normes

  2   du droit international humanitaire incombe, comme l'indique l'Accusation,

  3   de façon prédominante aux responsables et aux commandants militaires.

  4   Dans le contexte d'un supérieur civil, la répartition de cette

  5   responsabilité est faite d'une façon complètement différente, que ce soit

  6   en Macédoine ou n'importe où ailleurs, pour ce qui est de la responsabilité

  7   de prévenir et de punir. Cette responsabilité est distribuée de façon

  8   différente entre différents organes en fonction de la constitution et des

  9   dispositions légales en vigueur. Dans le contexte de la Macédoine, nous

 10   avons affaire à un système de droit civil, et la responsabilité de mener

 11   une enquête au pénal n'incombe pas à la police mais au système et aux

 12   autorités judiciaires qui ont l'autorité nécessaire pour requérir

 13   l'assistance de la police dans ce contexte.

 14   A cet égard, Messieurs les Juges, si vous voulez discerner la

 15   structure qui est pertinente pour ce qui est de l'application de la

 16   responsabilité du supérieur hiérarchique civil, c'est très différent en

 17   l'espèce. De plus, il y a une différence ou un facteur important, qui est

 18   celui du parcours professionnel de M. Boskoski, qui est avocat de formation

 19   et qui a occupé une fonction politique. Donc il y a une ligne hiérarchique

 20   professionnelle qui s'arrête au ministre, alors que dans un contexte

 21   militaire nous avons affaire à des subordonnés qui ont tous le même

 22   parcours et le même type de responsabilités.

 23   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Le statut de Rome serait pertinent

 24   également pour cette question, n'est-ce pas ?

 25   M. METTRAUX : [interprétation] Nous aurions affaire ici à un autre type de

 26   mens rea, et je vous remercie de mettre cela en avant. Dans le Statut, il

 27   est expressément prévu que lorsqu'un subordonné n'a pas la possibilité de

 28   mener une enquête en personne, enquête qui pourrait mener à la punition

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  1   nécessaire, il a ou elle a, de fait, la possibilité d'en référer à

  2   l'autorité compétente. Donc je réponds par l'affirmative.

  3   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie.

  4   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Pour faire suite à cette question, est-ce

  5   que vous estimez que dans la jurisprudence du présent Tribunal il n'y a pas

  6   de différence faite entre la mens rea d'un commandant militaire et d'un

  7   responsable civil ?

  8   M. METTRAUX : [interprétation] A mon sens, pour ce qui est de la

  9   jurisprudence de ce Tribunal, il n'y a pas, Monsieur le Juge, de

 10   différence, effectivement, pour ce qui est de la mens rea entre un

 11   commandant militaire et un responsable civil. Et pour ce qui est des

 12   mécanismes à la disposition d'un commandant militaire qui ne sont pas à la

 13   disposition d'un responsable civil, cela peut avoir mené à un certain

 14   nombre de déductions dans le contexte de ce Tribunal, notamment lorsque

 15   l'on est dans un contexte militaire et dans celui d'une chaîne de

 16   commandement qui existe avec des finalités totalement différentes.

 17   Mais à la différence du cas de la CPI, je dirais qu'il n'y a

 18   effectivement pas de distinction entre la mens rea qui s'applique à un

 19   commandant militaire et à celle d'un responsable civil.

 20   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

 21   M. ROGERS : [interprétation] Je crois que l'on peut dire justement que les

 22   positions sont particulièrement tranchées dans cette affaire, et je ne vais

 23   pas répéter tout ce que j'ai déjà dit. Madame et Messieurs les Juges, je

 24   voudrais juste revenir sur trois éléments, et ce, brièvement.

 25   Le premier a trait à l'affaire Bemba. Nous avons déjà vu qu'il s'agit d'un

 26   cadre statutaire différent et que, par conséquent, cela pourrait ne pas

 27   être tout à fait pertinent.

 28   Pour ce qui est de Hadzihasanovic et de Blaskic auxquels mon estimé

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  1   confrère s'est référé en détail pour préciser ce qui était sa notion de la

  2   délégation, puisque cela vient en partie appuyer cette notion, je me suis

  3   penché rapidement sur le jugement en appel dans Blaskic, et je trouve

  4   étrange que pour ce qui est des paragraphes qu'il a cités, la conclusion de

  5   la Chambre d'appel qui a reçu des éléments de preuve supplémentaires, était

  6   que l'appelant manquait de contrôle effectif sur les unités militaires

  7   responsables de la commission des crimes dans la zone de Ahmici.

  8   Par conséquent, la conclusion finale n'était pas relative à la

  9   question de savoir s'il avait pris ou non toutes les mesures nécessaires et

 10   raisonnables, bien qu'il y ait une certaine confusion à cet égard - au

 11   paragraphe 420 - il apparaît que la Chambre d'appel s'est penchée bien

 12   davantage sur la notion de savoir s'il exerçait ou non un contrôle effectif

 13   sur ses subordonnés. Donc il y a peut-être là quelque chose à revoir pour

 14   ce qui est de ce paragraphe particulier qui viendrait, soi-disant, étayer

 15   la position de la Défense.

 16   Deuxièmement, pour ce qui concerne Hadzihasanovic, le problème est peut-

 17   être qu'encore une fois, en apparence, la Chambre d'appel a constaté qu'il

 18   y avait un doute raisonnable concernant la question de savoir si les

 19   rapports avaient été envoyés. La question était de savoir s'il avait ou non

 20   entrepris des poursuites judiciaires. Et la Chambre d'appel dans

 21   Hadzihasanovic avait conclu que la question de savoir comment on qualifiait

 22   ces procédures, qu'elles soient des procédures judiciaires ou non, n'était

 23   pas en elle-même pertinente.

 24   Cependant, Hadzihasanovic était au courant qu'il y avait eu une

 25   enquête, que des auteurs avaient été identifiés, que les crimes également

 26   avaient été identifiés et qu'une forme ou une autre de punition, au minimum

 27   60 jours d'emprisonnement, leur avait été imposée, et il a déclaré, je cite

 28   : "A mon sens, ils ont été punis." Toutes les mesures qui devaient être

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  1   prises avaient été prises. La Chambre d'appel a conclu que les mesures en

  2   question étaient de nature disciplinaire et que, par conséquent, d'autres

  3   mesures étaient requises. Cependant, la Chambre d'appel a également

  4   constaté qu'il existait un doute raisonnable quant à savoir si les rapports

  5   ont bien été transmis jusqu'aux services du procureur et que, par

  6   conséquent, l'accusé devait bénéficier de ce doute raisonnable sur la base

  7   duquel il a été acquitté.

  8   Je ne suis pas tout à fait sûr que l'on puisse considérer que cela

  9   vient étayer les affirmations avancées par mon estimé confrère.

 10   Comme je l'ai déjà dit, les positions sont particulièrement

 11   tranchées. Nous avons abordé en détail les questions qui sont soulevées par

 12   les parties. Je n'ai pas l'intention d'en dire plus à cette étape, si ce

 13   n'est pour ce qui est de revenir sur le classeur qui a été remis à la

 14   Chambre d'appel. Je ne l'ai vu que juste avant la reprise d'audience, donc

 15   je n'ai pas eu l'occasion de me pencher dessus pour voir s'il contenait

 16   quoi que ce soit qui n'aurait pas dû être présenté à la Chambre d'appel.

 17   Je suis particulièrement préoccupé pour ce qui est de l'intercalaire

 18   numéro 13. Il semblerait qu'il y ait là une présentation de documents

 19   indue, puisqu'il y a un commentaire qui y figure pour ce qui est des

 20   mesures prises par les organes compétents du ministère de l'Intérieur, et

 21   je crois que cela sort quelque peu du cadre de ce qui est présentable à la

 22   Chambre d'appel au titre des éléments supplémentaires.

 23   Je pense, par conséquent, Madame et Messieurs les Juges, que cela

 24   devrait être retiré du classeur, parce que cela n'est pas issu du compte

 25   rendu en première instance, ce n'est pas un élément de preuve, ce n'est pas

 26   issu du jugement ni des références utilisées par l'intimé. Par conséquent,

 27   de notre point de vue, la présentation de ces éléments n'est pas

 28   réglementaire.

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  1   Ces éléments devraient être retirés.

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Mettraux.

  3   M. METTRAUX : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  4   Je voudrais juste expliquer la nature de ce document. Il s'agit simplement

  5   d'un support documentaire que nous avons utilisé pour documenter les

  6   différentes mesures qui ont été prises. Il ne s'agit de rien d'autre qu'une

  7   présentation chronologique de toutes les mesures que nous avons énumérées

  8   dans notre mémoire. Il n'y a là rien de nouveau en termes de présentation

  9   ou de versement. Il n'y a que des références qui sont faites à ce que nous

 10   avons déjà dit dans notre mémoire. Cela n'a été fait que pour apporter

 11   notre concours à la Chambre afin qu'elle puisse avoir une vue d'ensemble

 12   par ordre chronologique de toutes les mesures qui auraient été entreprises

 13   personnellement par M. Boskoski d'une part, et d'autre part, par les

 14   différents organes du ministère de l'Intérieur, comme nous l'avons

 15   expliqué. Par ailleurs, de notre point de vue, il n'y a ici rien de nouveau

 16   ni aucun préjudice possible auquel pourrait se référer l'Accusation. Il ne

 17   s'agit que d'un souhait de gagner du temps dans la présentation et de venir

 18   en aide à la Chambre d'appel en présentant une vue chronologique des

 19   mesures prises.

 20   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Peut-être, Monsieur Rogers, serait-

 21   il bon que vous puissiez avoir la même approche que celle de Me Mettraux.

 22   M. ROGERS : [interprétation] Le problème est que nous avons un certain

 23   nombre de règles qui nous sont imposées, et lorsque nous nous rendons à

 24   l'audience et que nous essayons d'inclure des éléments qui comprennent une

 25   argumentation, c'est quelque chose que l'Accusation ne se verrait pas

 26   autorisée à faire. Par conséquent, l'intimé ne devrait pas non plus se voir

 27   permettre un tel comportement.

 28   S'il avait souhaité organiser ses documents d'une façon différente,

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  1   il aurait dû le faire dans son mémoire.

  2   Je comprends l'explication fournie par Me Mettraux, mais cela aurait

  3   dû prendre place dans le mémoire, et non à cette phase.

  4   C'est ce que je souhaitais avancer.

  5   [La Chambre de première instance se concerte]

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Mettraux, nous n'allons pas

  7   inclure cet intercalaire numéro 13.

  8   Ce qui subsiste maintenant est la question de savoir si M.

  9   Tarculovski souhaite profiter de cette occasion pour faire une déclaration

 10   à titre personnel.

 11   Si, Monsieur Tarculovski, vous souhaitez faire cela, vous devez savoir que

 12   vous ne pourrez pas disposer de plus de 15 minutes.

 13   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] L'accusé souhaite le faire. Merci.

 14   L'ACCUSÉ TARCULOVSKI : [interprétation] Madame et Messieurs les Juges, tout

 15   d'abord, je souhaiterais souligner que je regrette profondément les vies

 16   qui ont été perdues. Puisque j'ai moi-même ma propre famille, j'exprime

 17   toute ma sympathie pour la souffrance des victimes.

 18   Ces victimes sont innocentes. C'est le président qui m'a demandé

 19   d'être sur place afin d'exercer une coordination et d'envoyer des rapports

 20   concernant les événements sur place -- enfin, de signaler s'il y avait des

 21   problèmes dans l'interaction entre la police et les forces armées.

 22   Je n'ai pris aucune mesure visant à causer préjudice à qui que ce

 23   soit ni à blesser qui que ce soit. Je suis profondément désolé des

 24   souffrances qui sont survenues des deux côtés, et j'espère que la Macédoine

 25   connaîtra la paix, et que la paix pourra être accordée à toutes les

 26   parties.

 27   Merci beaucoup.

 28   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Monsieur Tarculovski.

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  1   [La Chambre de première instance se concerte]

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous pouvez vous asseoir, Monsieur

  3   Tarculovski.

  4   [La Chambre de première instance se concerte]

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Boskoski, c'est le moment

  6   maintenant de vous demander si vous voulez faire une déclaration.

  7   Maître Mettraux.

  8   M. METTRAUX : [interprétation] Nous avons abordé cette question, Madame et

  9   Messieurs les Juges, avec M. Boskoski avant l'audience et il nous a indiqué

 10   qu'il n'était pas nécessaire pour lui de profiter de cette opportunité,

 11   mais il souhaite vous en remercier.

 12   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. Je suppose que nous pouvons

 13   maintenant lever l'audience.Je souhaite remercier toutes les parties pour

 14   leur contribution, contribution que la Chambre d'appel considère comme tout

 15   à fait constructive.

 16   --- L'audience est levée à 16 heures 55.

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