Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mercredi 19 mai 2010

  2   [Jugement en appel]

  3   [Audience publique]

  4   [L'appelant Tarculovski est introduit dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 30.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame la Greffière, veuillez citer

  7   le numéro de l'affaire.

  8   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Ceci est

  9   l'affaire IT-04-82-A, le Procureur contre Ljube Boskoski et Johan

 10   Tarculovski.

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je voudrais vérifier si M. Boskoski

 12   peut suivre les débats dans une langue qu'il comprend grâce à

 13   l'interprétation.

 14   L'APPELANT BOSKOSKI : [aucune interprétation]

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Tarculovski, pouvez-vous

 16   suivre dans une langue que vous comprenez les débats ?

 17   L'APPELANT TARCULOVSKI : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

 19   Puis-je maintenant avoir les présentations pour l'Accusation d'abord ?

 20   M. ROGERS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Paul Rogers,

 21   Laurel Baig et notre commis à l'affaire, M. Colin Nawrot.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. Pour la Défense Boskoski.

 23   Mme RESIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Conseil

 24   principal, Edina Residovic, et Guenael Mettraux également, en tant que co-

 25   conseil. Merci.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. La Défense de M. Tarculovski

 27   à présent.

 28   M. N. DERSHOWITZ [via téléconférence] : [interprétation] Bonjour, Monsieur

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  1   le Président. Nathan Dershowitz pour le conseil de Johan Tarculovski, en

  2   compagnie de Antonio Apostolski et de Johan Apostolski.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci beaucoup.

  4   La Chambre d'appel rend aujourd'hui son arrêt dans la présente affaire.

  5   Conformément à la pratique de ce Tribunal, je ne donnerai pas lecture

  6   du texte intégral de l'arrêt à l'exception de son dispositif. Au lieu de

  7   cela, je résumerai les questions soulevées en appel, et les constatations

  8   de la Chambre d'appel. Le présent résumé ne fait pas partie du texte de

  9   l'arrêt à proprement parler, qui seul fait foi pour ce qui est des

 10   décisions prises, et des motifs retenus par la Chambre d'appel. Des

 11   exemplaires de l'arrêt seront distribués aux partis à la fin de l'audience.

 12   L'affaire concerne les événements survenus pendant et après l'opération de

 13   police qui s'est déroulée le 12 août 2001 dans le village de Ljuboten,

 14   situé dans la partie nord de l'ex-République yougoslave de Macédoine,

 15   également connue sous l'abréviation de FYROM ou FYROM, et je m'y référerai

 16   comme à la FYROM. A l'époque des faits, Ljube Boskoski était ministre de

 17   l'intérieur de la FYROM et Johan Tarculovski était officier de police.

 18   La Chambre de première instance a déclaré Johan Tarculovski coupable

 19   d'avoir ordonné, planifié, et incité à commettre des meurtres, des

 20   destructions sans motif et des actes de traitement cruel, qui constituent

 21   autant de violation des lois et coutumes de la guerre en application de

 22   l'Article 3 du Statut. Il a été condamné à une peine unique

 23   d'emprisonnement de 12 années. Ljube Boskoski, quant à lui, a été acquitté

 24   de tous les chefs d'accusation qui avaient été retenus contre lui.

 25   Johan Tarculovski a présenté sept moyens d'appel remettant en cause

 26   sa condamnation, et la peine prononcée. L'accusation de son côté a fait

 27   appel de l'acquittement de Ljube Boskoski.

 28   Je commencerai par les moyens d'appel présenté par Johan Tarculovski,

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  1   et puis j'examinerai l'appel de l'Accusation avant de donner lecture du

  2   dispositif en fin d'audience.

  3   Dans son premier moyen d'appel, Johan Tarculovski avance que les

  4   affrontements, survenus à l'époque des faits en ex-République et aux Serbes

  5   de Macédoine, entre les forces de sécurité de cette dernière et l'armée de

  6   libération nationale, également connue sous l'abréviation d'ALN, ne

  7   constituait pas un conflit armé dans la mesure où il ne satisfaisait pas

  8   aux critère du niveau d'intensité requis.

  9   La Chambre de première instance n'a pas commis d'erreur en concluant

 10   que le niveau d'intensité des affrontement que connaissait la FYROM d'une

 11   part, et les caractéristiques permettant de considérer l'ALN comme un

 12   groupe armé organisé d'autres parts, suffisait à établir l'existence d'un

 13   conflit armé interne, en ex-République yougoslave de Macédoine au mois

 14   d'août 2001.

 15   La Chambre de première instance ne trouve aucune erreur dans cette

 16   constatation. M. Tarculovski fait valoir par ailleurs que la compétence

 17   dont ce Tribunal s'est prévalu pour juger cette affaire, serait infondée

 18   dans la mesure où le Tribunal n'a pas déterminé si le gouvernement de la

 19   FYROM avait légalement donné l'ordre que cette opération soit déclenchée au

 20   titre de la légitime défense, et afin d'éliminer les terroristes présents

 21   parmi les villageois. Il affirme en outre que le Tribunal aurait exercé

 22   cette compétence en contradiction avec l'action du Conseil de sécurité des

 23   Nations Unies.

 24   Selon la Chambre d'appel, le fait que dans un conflit armé interne,

 25   un Etat recourt à la force contre un groupe armé, au titre de sa légitime

 26   défense, n'empêche pas en soi que certains crimes commis dans le cadre de

 27   ce recours à la force, puissent être qualifiés de violation grave du droit

 28   international humanitaire. De plus, le Conseil de sécurité des Nations

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  1   Unies n'a jamais affirmé que la compétence de ce Tribunal exclurait l'ex-

  2   République yougoslave de Macédoine.

  3   Par conséquent, le premier moyen d'appel de Johan Tarculovski est

  4   rejeté dans son intégralité.

  5   Dans son second moyen d'appel, M. Tarculovski avance que les

  6   événements du 12 août 2001, à Ljuboten, ne constituaient pas une violation

  7   des lois et coutumes de la guerre puisqu'ils résultaient de la riposte

  8   légitime et proportionnée d'un Etat souverain confronté à une attaque

  9   terroriste interne. Il conteste également l'applicabilité même des lois et

 10   coutume de la guerre, lorsqu'il s'agit de déterminer la responsabilité

 11   pénale individuelle d'une personne chargée de conduire une opération

 12   légitime planifiée par un Etat souverain.

 13   La Chambre d'appel estime que le caractère légitime du recours à la

 14   force par une partie à un conflit armé, n'affecte en rien l'application des

 15   règles pertinentes en matière de conflit armé. Par conséquent, le fait

 16   qu'un Etat agisse au titre de sa légitime défense contre des terroristes

 17   dans le cadre d'un conflit armé interne, ne disqualifie pas l'article

 18   commun numéro 3 et le fait qu'un Etat agisse au titre de sa légitime

 19   défense contre des terroristes dans le cadre d'un conflit armé interne,

 20   n'est pas pertinent non plus quant à la question de savoir si un

 21   représentant de cet Etat a commis une violation grave du droit

 22   international humanitaire pendant l'exercice par l'Etat en question de son

 23   droit à la légitime défense. Il en résulte que la Chambre de première

 24   instance n'a pas commis d'erreur en invoquant les lois et coutumes de la

 25   guerre dans la présente affaire.

 26   Par conséquent, le second moyen d'appel de Johan Tarculovski est

 27   rejeté dans son intégralité.

 28   Dans son cinquième moyen d'appel, M. Tarculovski affirme que la

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  1   Chambre de première instance aurait indûment rejeté la déposition de

  2   catégories entières de témoins, pour ensuite se fonder de façon sélective

  3   sur certaines parties de ces mêmes dépositions.

  4   La Chambre d'appel note que la Chambre de première instance a fait le

  5   choix de la prudence dans son évaluation des éléments de preuve fournis par

  6   les catégories de témoins en question. M. Tarculovski n'a pas apporté la

  7   preuve que la Chambre de première instance ait commis la moindre erreur en

  8   admettant certaines parties de leurs dépositions et en en rejetant

  9   d'autres.

 10   Par conséquent, son cinquième moyen d'appel est rejeté.

 11   Au titre d'une partie de ces troisième, quatrième, et cinquième moyens

 12   d'appel, Johan Tarculovski fait valoir que la Chambre de première instance

 13   aurait commis une erreur en considérant que pour tenir un accusé pénalement

 14   responsable d'actes prohibés par l'article commun numéro 3, il était

 15   suffisant d'établir que les victimes de ces violations ne participaient pas

 16   activement aux hostilités, au moment de la commission des crimes. Il

 17   affirme qu'il revient en outre à l'Accusation de prouver que l'auteur des

 18   actes incriminés avait ou aurait dû avoir connaissance du statut protégé de

 19   la victime.

 20   Au vu du principe de la culpabilité individuelle, la Chambre de première

 21   instance convient qu'il nécessaire de démontrer que l'auteur d'un crime de

 22   l'article commun numéro 3 avait ou aurait dû avoir connaissance du fait que

 23   la victime ne participait pas activement aux hostilités au moment de la

 24   commission du crime. Bien que le jugement en première instance ne comporte

 25   aucune constatation explicite à cet égard, sa lecture intégrale montre, et

 26   ce, clairement, que la Chambre de première instance s'est effectivement

 27   posé la question de savoir si les auteurs directs avaient ou auraient dû

 28   avoir connaissance du statut protégé des victimes, et ce, pour chacun des

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  1   crimes commis. Par conséquent, l'argument avancé par Johan Tarculovski sur

  2   ce point est rejeté.

  3   Dans son quatrième moyen d'appel, M. Tarculovski avance que les éléments de

  4   preuve étaient insuffisants pour constater au-delà de tout doute

  5   raisonnable que des meurtres, destructions sans motif et actes de

  6   traitements cruels avaient bien été commis.

  7   La Chambre d'appel constate, cependant, que la Chambre de première instance

  8   a bien identifié les auteurs des trois meurtres retenus dans l'acte

  9   d'accusation comme étant des membres du groupe de policiers dirigé par

 10   Johan Tarculovski. Les éléments de preuve suffisaient également à établir

 11   au-delà de tout doute raisonnable les circonstances du meurtre de chacune

 12   des victimes et les circonstances des traitements cruels infligés, ainsi

 13   que le statut des victimes de ces actes et la mens rea de leurs auteurs. M.

 14   Tarculovski n'est pas parvenu à démontrer que les constatations de la

 15   Chambre de première instance à cet égard seraient entachées d'erreurs.

 16   Concernant la destruction arbitraire de 12 maisons, Johan Tarculovski n'a

 17   pas apporté la preuve que la Chambre de première instance ait commis la

 18   moindre erreur en constatant qu'aucune de ces maisons n'a pris feu par

 19   accident ni suite aux pilonnages de l'armée de la FYROM ou de l'ALN; que

 20   c'était la police qui avait ouvert le feu; et qu'aucune de ces maisons

 21   n'était utilisée à des fins militaires au moment où il y a été mis feu.

 22   Par conséquent, le quatrième moyen d'appel de M. Tarculovski est rejeté.

 23   Dans son troisième moyen d'appel, Johan Tarculovski affirme que la Chambre

 24   de première instance aurait commis une erreur en invoquant les modes de

 25   responsabilité de la planification de l'incitation et de l'ordre en

 26   application de l'article 7(1) du Statut.

 27   Concernant la planification, M. Tarculovski avance que la Chambre de

 28   première instance aurait commis une erreur en concluant que la finalité

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  1   première de l'opération de police déclenchée le 12 août 2001 à Ljuboten

  2   avait été de lancer une attaque dirigée sans distinction contre tous les

  3   Albanais de souche et leurs biens. Selon lui, les éléments de preuve

  4   démontrent que l'objectif de cette opération de police était de débarrasser

  5   Ljuboten des membres de l'ALN qui y étaient présents et avaient été

  6   qualifiés de terroristes. Il réaffirme également que l'opération pouvait

  7   fort bien avoir été planifiée par le président de la FYROM ou par de hauts

  8   fonctionnaires du ministère de l'Intérieur.

  9   La Chambre d'appel ne constate aucune erreur lorsque la Chambre de première

 10   instance conclut que la finalité première de l'opération de police avait

 11   été de lancer une attaque dirigée sans distinction contre tous les Albanais

 12   de souche et leurs biens; et que Johan Tarculovski était animé de

 13   l'intention; et avait participé à la planification de l'opération.

 14   L'éventuelle participation de tierces personnes à cette planification n'a

 15   aucun effet sur la conclusion de la Chambre de première instance retenant

 16   la responsabilité pénale de Johan Tarculovski pour avoir planifié

 17   l'attaque.

 18   S'agissant de la responsabilité pour avoir incité et ordonné, M.

 19   Tarculovski fait valoir que la Chambre de première instance l'a condamné à

 20   tort sous cette forme de responsabilité en raison de l'absence totale de

 21   preuves donnant à penser qu'il aurait donné à d'autres des encouragements

 22   ou des instructions en vue de commettre un crime. Pour ce qui est de la

 23   responsabilité pour avoir ordonné, il invoque également l'absence totale de

 24   preuves attestant qu'il aurait disposé de l'autorité de fait et de droit

 25   nécessaire pour ordonner la commission de meurtres, d'intentions

 26   criminelles ou de sévices graves. Il fait aussi valoir que la Chambre de

 27   première instance a versé dans l'erreur en jugeant qu'il a été animé de la

 28   mens rea requise pour ordonner certains crimes, alors qu'elle n'avait pas

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  1   été en mesure de déterminer qui avait ordonné l'opération.

  2   La Chambre d'appel ne constate aucune erreur lorsque la Chambre de première

  3   instance conclut que M. Tarculovski a donné des encouragements et des

  4   instructions à des policiers afin que ceux-ci commettent les crimes en

  5   cause et qu'il occupait un poste à responsabilités lui donnant le pouvoir

  6   de les forcer à commettre ces crimes. Le fait qu'il ait reçu l'ordre de

  7   diriger l'opération ne le dispense pas de sa responsabilité pénale si, en

  8   exécution de l'ordre reçu, il a, à son tour, ordonné à d'autres de

  9   commettre un crime.

 10   Par conséquent, le troisième moyen d'appel de M. Tarculovski est rejeté.

 11   Le sixième moyen d'appel concerne les déclarations extrajudiciaires qu'il a

 12   faites à une commission mise sur pied par le ministère de l'Intérieur et

 13   chargée d'enquêter sur les événements de Ljuboten. Il affirme que ces

 14   déclarations extrajudiciaires ont été indûment admises parce qu'elles ne

 15   respectaient pas les conditions posées à l'article 89 du Règlement de

 16   procédure et de preuve et les grands principes du droit. Il dit aussi que

 17   puisque la Chambre a estimé que ces déclarations étaient recevables on

 18   aurait dû donner foi aux déclarations qui lui étaient favorables. La

 19   Chambre d'appel estime qu'en application de l'article 89 la Chambre de

 20   première instance était en droit de déclarer ces déclarations recevables en

 21   ce qu'elles représentaient fidèlement ce que M. Tarculovski avait dit à

 22   cette commission. Les grands principes du droit n'imposent pas l'exclusion

 23   de déclarations extrajudiciaires. De plus, la Chambre d'appel conclut que

 24   la Chambre de première instance a bien apprécié ces déclarations en tenant

 25   compte des autres éléments du dossier.

 26   En conséquence, le sixième moyen d'appel de M. Tarculovski est rejeté.

 27   Dans son septième moyen d'appel, M. Tarculovski affirme que la Chambre de

 28   première instance a eu tort de le condamner à 12 ans de réclusion. Il fait

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  1   notamment valoir que la Chambre de première instance n'a pas retenu comme

  2   circonstance atténuante le fait qu'il exécutait les ordres que lui avaient

  3   donnés ses supérieurs hiérarchiques. Il ajoute que la Chambre de première

  4   instance n'a pas tenu compte du fait que la FYROM avait par la suite

  5   accordé une amnistie générale à tous ceux qui avaient été partis au

  6   conflit.

  7   La Chambre d'appel considère que la Chambre de première instance a bien

  8   pris en compte le fait que M. Tarculovski exécutait des ordres donnés par

  9   d'autres, dans son analyse de la gravité des infractions reprochées. De

 10   surcroît, il y a dans les textes de loi concernés de la FYROM une

 11   disposition disant que les auteurs d'infractions pénales relevant de la

 12   compétence du Tribunal n'ont pas le droit de bénéficier d'une amnistie. De

 13   plus, la Chambre de première instance n'est pas tenue par la grille des

 14   peines en vigueur en ex-république yougoslave de Macédoine.

 15   En conséquence, le septième moyen d'appel de M. Tarculovski est rejeté.

 16   Abordons maintenant l'appel interjeté par l'Accusation contre

 17   l'acquittement de M. Boskoski.

 18   Selon l'Accusation, la Chambre de première instance a commis une erreur de

 19   droit à cause d'une mauvaise interprétation de l'article 7(3) du Statut

 20   selon lequel il suffirait qu'un supérieur hiérarchique transmette un

 21   rapport aux autorités compétentes, lequel aurait probablement entraîné

 22   l'ouverture d'une enquête portant sur les faits en question.

 23   Mais la Chambre d'appel est convaincue de la justesse de la conclusion de

 24   la Chambre de première instance, laquelle a jugé que dans certaines

 25   circonstances, supérieur hiérarchique peut s'acquitter de l'obligation de

 26   punir un subordonné fautif en transmettant un rapport aux autorités

 27   compétentes pour autant qu'il soit probable que ce rapport entraîne

 28   l'ouverture d'une enquête, d'une procédure disciplinaire ou d'une procédure

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  1   judiciaire.

  2   A défaut, l'Accusation invoque une erreur de faits. Là où la Chambre de

  3   première instance a conclu que M. Boskoski avait pris toutes les mesures

  4   nécessaires et raisonnables pour punir ses subordonnés fautifs.

  5   L'Accusation souligne notamment qu'il était impossible que ces rapports

  6   fournis par le ministère de l'Intérieur aux autorités compétentes

  7   entraînent vu leur nature l'ouverture d'une enquête judiciaire sur les

  8   événements survenus à Ljuboten.

  9   La Chambre d'appel fait observer que la Chambre de première instance

 10   avait conscience du caractère incomplet et insuffisant des notifications

 11   envoyées par le ministère de l'Intérieur aux autorités judiciaires

 12   compétentes. Elle admet aussi qu'aucune enquête n'a été menée d'office par

 13   les services de Police sur les événements en question. Mais la Chambre de

 14   première instance avait conclu que ces notifications auraient logiquement

 15   dû amener les autorités judiciaires à diligenter une enquête en bonne et

 16   due forme.

 17   Avant de tirer cette conclusion, la Chambre de première instance avait

 18   notamment relevé que ces notifications avaient porté la mort d'Albanais de

 19   souche à la connaissance des autorités compétentes. Mais elles ne se sont

 20   pas prononcées quant à la cause de leur mort, se contentant d'avancer une

 21   hypothèse. De plus, les éléments du dossier indiquent que des notifications

 22   ont été effectuées les 12 et 14 août 2001, et qu'une commission d'enquête a

 23   aussi été mise sur pied par les autorités judiciaires compétentes, et

 24   qu'elle s'est rendue à Ljuboten pour essayer de mener une enquête sur les

 25   lieux. Les éléments du dossier montrent aussi que M. Boskoski avait été

 26   avisé de ces notifications et de la tentative faite de mener une enquête.

 27   La Chambre de première instance a conclu que si une faute grave avait été

 28   bien commise en n'enquêtant pas suite au rapport de police transmis aux

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  1   autorités judiciaires, M. Boskoski ne serait en être tenu responsable étant

  2   donné que les autorités judiciaires ne relevaient pas de son ministère,

  3   elles n'étaient donc pas sur son autorité. La Chambre de première instance

  4   a également jugé que rien dans le dossier ne permettait de conclure que M.

  5   Boskoski aurait délibérément contrarié le déroulement des enquêtes, ou

  6   qu'il avait connaissance d'une défaillance de la police dans

  7   l'accomplissement des fonctions qui lui incombent. L'accusation n'a pas

  8   prouvé le contraire.

  9   La Chambre d'appel estime que la Chambre de première instance n'a pas

 10   commis d'erreur en concluant que les notifications auraient dû en principe

 11   amener les autorités judiciaires à diligenter une enquête en bonne et due

 12   forme sur les événements de Ljuboten. Partant de cette conclusion, la

 13   Chambre de première instance a jugé que  n'avait pas été apporté la preuve

 14   du manquement de M. Boskoski à l'obligation de prendre toutes les mesures

 15   nécessaires et raisonnables. Au vu des éléments du dossier, un juge des

 16   faits raisonnable était autorisé à prononcer l'acquittement de M. Boskoski

 17   eu égard à la responsabilité requise contre lui pour manquement à

 18   l'obligation de punir en raison des informations fournies aux autorités

 19   judiciaires.

 20   La Chambre de première instance n'a commis aucune erreur de fait dans cette

 21   conclusion.

 22   En conséquence, l'appel interjeté par l'Accusation est rejeté dans

 23   son intégralité.

 24   Je vais maintenant donner lecture du dispositif de l'arrêt.

 25   M. Boskoski, M. Tarculovski, veuillez vous lever.

 26   Par ces motifs, la Chambre d'appel, en application de l'article 25 du

 27   Statut et des articles 117 et 118 du Règlement de procédures et de preuves;

 28   Vu les écritures respectives des parties, et les arguments présentés à

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  1   l'audience, du 29 octobre 2009;

  2   Siégeant en audience publique;

  3   Rejette tous les moyens d'appel soulevés par M. Johan Tarculovski;

  4   Rejette tous les moyens d'appel soulevés par l'Accusation;

  5   Confirme l'acquittement de Ljube Boskoski et la peine imposée par la

  6   Chambre de première instance à Johan Tarculovski. La période passée en

  7   détention étant déduite de la durée totale de la peine, en application de

  8   l'article 101(C) du Règlement;

  9   Ordonne, conformément à l'article 103(C) et à l'article 107 du Règlement,

 10   que Johan Tarculovski reste sous la garde du Tribunal jusqu'à ce que soient

 11   arrêtées les dispositions nécessaires pour son transfert vers l'Etat dans

 12   lequel il purgera sa peine.

 13   Le Juge Liu joint une opinion individuelle.

 14   MM. Boskoski est Tarculovski, vous pouvez vous rasseoir.

 15   Je vais demander à Mme La Greffière de distribuer une copie de l'appel aux

 16   partis.

 17   L'audience est levée.

 18   --- L'audience est suspendue à 9 heures 59.

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