LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge David Hunt, Président
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge Liu Daqun

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
8 novembre 2000

LE PROCUREUR

C/

Radoslav BRDANIN et Momir TALIC

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DÉCISION RELATIVE À LA TROISIEME REQUETE DE L’ACCUSATION
AUX FINS DE MESURES DE PROTECTION

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Le Bureau du Procureur :

Mme Joanna Korner
Mme Anna Richterova
Mme Ann Sutherland

Le Conseil de la Défense :

M. John Ackerman, pour Radoslav Brdanin
Me Xavier de Roux et Me Michel Pitron, pour Momir Talic

 

1. La requête

1. Selon l'article 66 A) ii) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal pénal international («le Règlement»), l'Accusation est tenue de communiquer à l'accusé , dans le délai fixé par la Chambre de première instance ou par le Juge de la mise en état, les copies des déclarations de tous les témoins que le Procureur entend citer à l'audience. Cette obligation de communication est subordonnée aux dispositions des articles 53 et 69 du Règlement1, ces derniers faisant fond sur l'article 22 du Statut2. Bien qu'un tel délai ait été fixé en l'espèce, l'Accusation, sans avoir communiqué aucune de ces déclarations, a été autorisée dans l'intervalle à déposer une requête sollicitant des mesures de protection s'agissant de l'identité des témoins ayant fait une telle déclaration et qu'elle se proposait de citer 3.

2. La requête dont il est ici question vise à obtenir certaines mesures de protection pour les témoins que l'Accusation entend citer à l'audience 4. Les mesures demandées permettraient d'éviter, à ce stade de la procédure, que l'identité et les coordonnées actuelles des témoins à charge ne soient divulguées aux accusés et aux équipes de la défense 5. Ladite requête ne vise pas à obtenir les mesures de protection qui sont le plus souvent sollicitées, à savoir la non-divulgation de ces informations au public, mais pas aux accusés. Les mesures demandées sont de deux ordres :

1. L'autorisation d'expurger des déclarations de tous les témoins que l'Accusation se propose de citer, toute information relative aux coordonnées actuelles de chacun d'eux, et de ne communiquer ces informations aux deux accusés et aux équipes de la défense que «pour peu qu'ils présentent une raison valable» 6.

2. L'autorisation d'expurger des déclarations de quatre témoins toute information relative à l'identité de ceux-ci, et de ne pas communiquer ces informations aux deux accusés et aux équipes de la défense avant «une date plus proche du procès»7.

2. Non-divulgation des coordonnées actuelles des témoins

3. L'accusé Momir Talic («Talic») ne s'oppose pas à l'expurgation des coordonnées actuelles de l'ensemble des témoins à charge8. L'accusé Radoslav Brdanin («Brdanin») ne s'oppose pas aux mesures demandées, pour autant que les informations visées lui soient communiquées au plus tard soixante jours avant l'ouverture du procès9.

4. Les mesures demandées n'ayant pas été contestées, sous réserve du droit de l'accusé à obtenir la divulgation des informations expurgées, la Chambre rendra une ordonnance y faisant droit. Il est inutile, à ce stade, de déterminer la date à laquelle, le cas échéant, les coordonnées actuelles des témoins seront divulguées. Toutefois, il convient de faire observer une fois encore à cet égard que c'est à la partie sollicitant des mesures de protection en vertu de l'article 69 qu'il incombe de justifier les expurgations des éléments visés, et non à la partie adverse d'en justifier la divulgation10. Si un litige survenait à ce propos, c'est par conséquent à l'Accusation qu'il incomberait de justifier pourquoi elle persiste à ne pas divulguer les coordonnées actuelles de ces témoins .

3. Prorogation du délai prévu pour la divulgation de l'identité des témoins

5. Talic s'oppose totalement à la demande de prorogation du délai fixé pour la divulgation de l'identité des quatre témoins considérés, tandis que Brdanin s'y oppose partiellement .

Procédure ex parte

6. S'agissant de deux des témoins (les témoins 7.74 et 7.75) 11, c'est uniquement par le biais d'une procédure ex parte que l'Accusation a soumis l'ensemble des éléments sur lesquels elle s'appuie. Talic conteste une telle utilisation de cette procédure et fait valoir que les arguments invoqués pour justifier les mesures de protection demandées doivent être exposés de telle manière que les motifs de la requête soient précisés, dans toute la mesure du possible, sans révéler l'identité du témoin dont la protection est demandée 12.

7. La question de l'utilisation des écritures déposées ex parte dans ces conditions a été récemment débattue par la Chambre de première instance à la suite du dépôt d'une requête par l'Accusation en application de l'article 66 A) i), qui demandait la non-divulgation de l'identité des personnes dont les déclarations étaient jointes à l'Acte d'accusation lorsque la confirmation de celui-ci a été demandée 13. La Chambre a indiqué que la procédure suivie alors par l'Accusation, et à laquelle elle a de nouveau recours dans le cas présent, qui consiste à communiquer ex parte tous les éléments justifiant les mesures demandées, prive les accusés de toute possibilité de décider s'ils doivent ou non s'opposer à une telle requête, et que les motifs de la requête doivent être exposés, dans toute la mesure du possible, sans révéler l'identité du témoin dont la protection est demandée14. La partie soumettant une requête ex parte est tenue de préciser de façon assez détaillée pourquoi la divulgation à la partie adverse du contenu de la requête causerait un préjudice excessif soit à la partie introduisant la requête soit à toute autre personne impliquée ou concernée par ladite requête15.

8. Étant donné qu'en rendant cette décision, la Chambre de première instance a énoncé un principe général - lequel ne se limite pas aux questions relatives à la communication des pièces16 - cette procédure doit être également applicable aux requêtes déposées en application de l'article 66 A ) ii).

9. Il n'était pas justifié, de la part de l'Accusation, de faire en l'espèce une utilisation aussi large de la procédure ex parte. On voit difficilement ce qui pourrait justifier la non-divulgation de chaque détail des pièces étayant la requête. On peut donner un exemple (qui ne se rapporte pas à l'une ou l'autre des requêtes déposées ex parte en l'espèce) montrant qu'il est possible de communiquer ex parte les principaux détails d'une requête aux fins de mesures de protection sans pour autant divulguer l'identité du témoin concerné. L'Accusation pourrait indiquer (à titre confidentiel uniquement) :

Le témoin, un Musulman de Bosnie, réside actuellement en dehors de l'ex-Yougoslavie , mais a l'intention de revenir vivre dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine d'ici un mois, dans une municipalité dont la majorité des habitants sont des Serbes de Bosnie et au sujet de laquelle [l'organisme XYZ] a indiqué qu'il y avait actuellement un risque important de représailles si l'on venait à apprendre qu'un Musulman allait témoigner contre un Serbe.

Le témoin devrait apporter un témoignage direct sur la participation de l'accusé à la planification de certains faits allégués dans l'acte d'accusation. Il a fait part de ses craintes à un enquêteur du Bureau du Procureur quant à sa sécurité et celle de sa famille si l'accusé venait à apprendre son identité, et a indiqué que le fondement objectif de ces craintes était qu'il avait appris, par d'autres témoins à charge que l'Accusation envisageait de citer, que ceux-ci avaient reçu des coups de téléphone anonymes proférant des menaces de violences à leur égard et à l'égard de leurs familles s'ils témoignaient en l'espèce. Les personnes ayant proféré ces menaces ont dit agir pour le compte de l'accusé. Ces autres témoins à charge ont déjà signalé au Bureau du Procureur qu'ils avaient également reçu de telles menaces . Le Bureau du Procureur dispose de déclarations certifiées faites sous serment par le témoin considéré et les autres témoins qu'il entend citer, qui corroborent ces informations. Le Bureau du Procureur n'a pas été en mesure de confirmer que les personnes ayant proféré ces menaces agissaient effectivement pour le compte de l'accusé.

Toute enquête pour le compte de l'accusé se déroulera forcément, du moins en partie , dans la municipalité où le témoin résidera.

Des détails supplémentaires pourraient alors être communiqués par le biais d'une procédure ex parte, en précisant la municipalité considérée, la teneur du témoignage qu'on attend du témoin, et tout lien éventuel entre le témoin et l'accusé . L'Accusation pourrait également communiquer par le biais d'une procédure ex parte les pièces supplémentaires (y compris les déclarations certifiées faites sous serment) sur lesquelles elle s'appuie pour affirmer que, malgré les obligations qui incombent aux accusés et aux équipes de la défense, il ne convient pas à ce stade de leur communiquer les informations visées17.

10. Une telle requête aux fins de mesures de protection déposée par l'Accusation pourrait, sans divulguer l'identité du témoin, fournir aux accusés suffisamment d'informations pour décider s'ils doivent ou non s'y opposer.

11. L'Accusation est tenue de soumettre, à titre confidentiel et sans révéler l'identité des témoins 7.74 et 7.75, les motifs qui justifient la non-divulgation desdites identités aux accusés et aux équipes de la défense, de sorte que les accusés disposent d'informations suffisantes pour leur permettre de décider s'ils doivent ou non s'opposer aux mesures demandées. L'Accusation peut aussi, si elle le souhaite, compléter les pièces ayant déjà été déposées par le biais d'une procédure ex parte.

Procédure inter partes

12. S'agissant des deux autres témoins pour lesquels l'Accusation demande l'autorisation d'attendre une date plus rapprochée du procès avant de communiquer leur identité aux accusés et aux équipes de la défense (les témoins 7.72 et 7.73), les pièces sur lesquelles s'appuie la requête de l'Accusation ont été communiquées à titre confidentiel par le biais d'une procédure inter partes. Talic s'oppose aux mesures demandées18, tandis que Brdanin remet en cause le droit de l'Accusation à déposer une telle requête, puisqu'apparemment celle-ci repose uniquement sur les craintes exprimées par les témoins19.

13. On peut désormais considérer que les propositions suivantes ont été établies par la jurisprudence récente de la Chambre de première instance :

1) ce que l'Accusation doit démontrer, pour justifier une requête aux fins de mesures de protection visant à empêcher la divulgation de l'identité d'un témoin aux accusés et aux équipes de la défense jusqu'à une date plus rapprochée du procès, c'est qu'à ce stade, malgré l'obligation qui est faite à l'accusé et à l'équipe de la défense de ne pas divulguer une telle information au public («sauf si directement et spécifiquement nécessaire à la préparation et la présentation de l’espèce») ou aux médias (non- divulgation quelles que soient les circonstances)20, la divulgation d'une telle information ferait courir au témoin «un danger ou des risques»21.

2) Les craintes exprimées par le témoin potentiel, selon lesquelles il pourrait courir un danger ou des risques, ne suffisent pas en soi à démontrer qu'il existe une réelle probabilité que la divulgation d'une telle information à la défense lui fasse effectivement courir un danger ou des risques. Il en faut davantage pour justifier de léser le droit de l'accusé de connaître l'identité d'un témoin à charge22. En tout état de cause, il faut que ces craintes aient un fondement objectif23.

3) Plus le délai entre la divulgation de l'identité d'un témoin et la déposition de ce dernier est long, plus les risques de pressions exercées sur le témoin sont élevés, et à partir du moment où la défense commence (à juste titre) à enquêter sur les antécédents des témoins dont l’identité lui a été communiquée, le risque existe que les personnes avec lesquelles les membres de l’équipe de la défense se sont entretenus puissent révéler à des tiers l’identité des témoins concernés, ces derniers risquant alors d’être la cible de pressions 24.

4) L'article 20.1 du Statut du Tribunal s'attache en priorité aux droits de l'accusé , tandis que la nécessité de protéger les victimes et les témoins vient ensuite, ce que l'Accusation a reconnu à juste titre25. La façon dont cet équilibre est atteint dépend des faits propres à chaque affaire 26.

Témoin 7.72

14. L'Accusation a indiqué concernant le témoin 7.72 :

Un enquêteur du Bureau du Procureur a récemment parlé avec ce témoin qui habite actuellement hors de l’ex-Yougoslavie. Il a déclaré s’inquiéter pour sa sécurité personnelle et celle de sa famille. Il a dit avoir reçu trois appels téléphoniques anonymes depuis décembre 1999, durant lesquels une voix d’homme demandait : «[... ] de combien as-tu besoin pour renoncer à témoigner [...]». Le témoin n’a pas pu identifier la personne qui l’appelait et il ne sait pas qui est responsable de ces appels. Il a donné des détails au TPIY sur des meurtres dont il a été témoin (par exemple, des noms et la description des tueurs et des victimes).

Talic a fait valoir qu'étant donné que la qualité de témoin de la personne susvisée est d'ores et déjà connue de personnes autres que la défense, cette dernière est également fondée à connaître son identité. De plus, ce témoin étant amené à témoigner sur des événements précis, il est «extrêmement important» pour la défense de pouvoir vérifier la fiabilité de celui-ci 27.

15. Le premier argument exposé ci-dessus ne permet pas raisonnablement de conclure que la divulgation de l'identité du témoin à la défense ferait courir à celui-ci un danger ou des risques supplémentaires. Le second argument tend à placer le témoin dans la mauvaise catégorie. Dans la Décision relative à la Première Requête, et en accord avec les arguments avancés alors par Talic, la Chambre de première instance a reconnu que la divulgation de l'identité des témoins qui ne mettent pas directement en cause la responsabilité des accusés ne serait pas d'une grande utilité à la Défense dans sa préparation du procès en l'espèce, tandis que les témoins dont l’identité est beaucoup plus utile à la préparation de la défense des accusés sont ceux qui mettent directement en cause la responsabilité de ces derniers en tant que supérieur hiérarchique ou complice28. Rien n'indique que le témoin 7.72 appartienne à la deuxième catégorie. Au contraire , tout porte à croire qu'il relève de la première. Toutefois, rien de tout cela ne permet de se prononcer sur la requête de l'Accusation et d'y faire droit, puisque c'est à la partie sollicitant des mesures de protection en vertu de l'article 69 qu'il incombe de justifier les expurgations des éléments visés, et non à la partie adverse d'en justifier la divulgation.

16. La requête présente un certain nombre de problèmes en ce qui concerne la non -divulgation à la défense des informations considérées, quel qu'en ait été le bien fondé si elle avait eu pour objet la non-divulgation de ces informations au public. Les propos qui auraient été tenus au témoin «[...] de combien as -tu besoin pour renoncer à témoigner [...]» s'apparentent plutôt à une tentative de subornation, même s'il est indéniable qu'une menace soit prévisible en cas de refus du témoin. Rien n'indique que le Bureau du Procureur ait cherché à confirmer les circonstances dans lesquelles ces propos ont été tenus, ou à savoir exactement comment le témoin les a interprétés. Aucun élément, mis à part les propos tenus au téléphone , n'indique que le témoin avait de bonnes raisons de penser que l'auteur de cet appel ait un lien avec la défense. Il suffit généralement que, venant s'ajouter à des circonstances exceptionnelles, un témoin exprime des craintes reposant sur des fondements objectifs selon lesquelles il court un danger ou des risques quelle qu'en soit la source, pour que des mesures de protection comportant la non-divulgation de son identité au public soient accordées, mais, pour justifier la non-divulgation de son identité à l'accusé et aux équipes de la défense, il est essentiel que l'Accusation établisse, en plus des circonstances exceptionnelles, que la divulgation d'une telle information ferait courir au témoin un danger ou des risques supplémentaires.

17. Rien n'indique que la divulgation de l'identité du témoin à l'accusé et aux équipes de la défense puisse faire courir à celui-ci un danger ou des risques supplémentaires ou soit d'une nature telle qu'il est justifié de léser les droits de l'accusé. L'Accusation n'a pas laissé entendre, par exemple, que la déposition du témoin 7.72 mettrait directement l'accusé en cause, ou que la famille du témoin réside dans une localité où auront nécessairement lieu des enquêtes effectuées pour le compte de l'accusé . Il en ressort manifestement que le témoin lui-même a été réinstallé dans un autre pays où il vit sous une nouvelle identité.

18. L'Accusation n'est pas parvenue à démontrer que si les équipes de la défense procédaient à des enquêtes portant sur les éléments que le témoin serait susceptible d'apporter, ce dernier courrait un danger ou des risques supplémentaires, et cette requête spécifique est rejetée. Une nouvelle requête aux fins de mesures de protection peut cependant être déposée pour que l'identité du témoin ne soit divulguée au public qu'au moment voulu.

Témoin 7.73

19. L'Accusation a indiqué au sujet du témoin 7.73 :

Un enquêteur du Bureau du Procureur a récemment parlé avec ce témoin qui habite actuellement dans un village dans une municipalité de la Fédération. Il s’agit d’une veuve, mère d’un enfant en bas âge. Elle a déclaré qu’elle souhaitait retourner à la fin de l’année dans son ancien foyer, qui se trouve dans une municipalité de Republika Srpska. Elle y habiterait avec son enfant. Elle a donné au TPIY des détails portant sur des événements dont elle a été témoin (par exemple, les noms et la description d'auteurs d’infractions et de victimes)

Talic a fait valoir que le simple fait que le témoin ait l'intention de s'installer sur le territoire de la Republika Srpska n'est pas suffisant pour ne pas lui communiquer son identité. Il réitère que le fait que le témoin témoigne sur des événements précis est une raison valable pour que la Défense connaisse son identité, afin qu'elle puisse vérifier sa fiabilité29. Une fois de plus, le second argument place apparemment le témoin dans la mauvaise catégorie .

20. S'agissant du premier argument, faute de nouveaux éléments plus probants, le risque spécifique qu'encourt un témoin déposant contre une personne appartenant à un groupe ethnique différent du sien dépendra de la municipalité dans laquelle réside le témoin (ou dans laquelle il se réinstalle) et de l'appartenance ethnique de ce dernier et de l'accusé30. On peut supposer que le témoin 7.73 est un Musulman de Bosnie (bien que l'Accusation aurait dû expressément en faire état). Les accusés en l'espèce sont des Serbes de Bosnie. Cela n'implique pas automatiquement que le témoin court un danger ou des risques et s'expose à des représailles s'il retourne vivre sur le territoire de la Republika Srpska. Les rapports du HCR, ainsi que d'autres documents produits par l'Accusation31, donnent à penser qu'un risque considérable subsiste pour les Musulmans de Bosnie qui retournent vivre sur le territoire de la Republika Srpska, bien que le problème ne se pose pas de la même façon dans l'ensemble de cette entité. L'Accusation n'a même pas indiqué à la Chambre de première instance, même par le biais d'une procédure ex parte , où le témoin a l'intention de se réinstaller et, en conséquence, les rapports qu'elle lui a fournis ne se révèlent guère utiles à la Chambre.

21. Quels que soient les risques encourus par le témoin, on peut également supposer qu'ils seraient plus importants si d'aucuns venaient à apprendre qu'il allait témoigner contre des Serbes de Bosnie, eu égard en particulier à l'identité des deux accusés . Une telle situation justifierait à l'évidence que le témoin bénéficie de mesures de protection visant à empêcher que son identité ne soit communiquée au public . Mais, une fois encore, aucun élément n'indique que le fait de divulguer à ce stade son identité aux accusés et aux équipes de la défense lui ferait courir un danger ou des risques ou ne soit tel qu'il serait justifié de léser les droits de l'accusé, ce qui est la conséquence de la non-divulgation d'une telle information. À nouveau, l'Accusation n'a pas fait valoir, par exemple, que la déposition du témoin 7.73 mettrait directement en cause l'accusé, ou que le témoin entende résider dans une localité où auront nécessairement lieu les enquêtes effectuées pour le compte de l'accusé. La Chambre de première instance ne saurait se perdre en conjectures à ce propos.

22. Puisqu'une solution doit être recherchée en fonction des faits propres à chaque affaire, il convient de rejeter la requête aux fins de mesures de protection du témoin 7.73. Toutefois, une nouvelle requête pourra être déposée aux fins de la non-divulgation de l'identité du témoin au public.

4. Dispositif

23. Pour ces raisons, la Chambre de première instance ordonne ce qui suit :

1. L'accusation est autorisée à expurger des déclarations de tous les témoins qu'elle entend citer à comparaître en l'espèce les coordonnées actuelles de chacun d'eux .

2. S'agissant des témoins pour lesquels des mesures de protection ont été demandées par le biais d'une procédure ex parte, l'Accusation est tenue de déposer, à titre confidentiel uniquement et sans révéler l'identité des témoins, les motifs justifiant la non-divulgation de leur identité aux accusés, de sorte que ces derniers disposent de suffisamment d'informations pour leur permettre de décider s'ils doivent ou non s'opposer aux mesures demandées.

3. S'agissant des témoins 7.72 et 7.73, la requête aux fins de mesures de protection , demandant que leur identité ne soit pas communiquée à ce stade aux accusés et aux équipes de la défense, est rejetée.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 8 novembre 2000
La Haye (Pays-Bas)

Le Président
(signé)
Le Juge David Hunt

[Sceau du Tribunal]


1- L'article 53 («Non-divulgation»), pour autant qu'il soit applicable en la matière, stipule : «A) Lorsque des circonstances exceptionnelles le commandent, un juge ou une Chambre de première instance peut ordonner dans l'intérêt de la justice la non-divulgation au public de tous documents ou informations et ce, jusqu'à décision contraire. [...] C) Un juge ou une Chambre de première instance, après avis du Procureur, peut également ordonner la non-divulgation au public de tout ou partie de l'acte d'accusation, de toute information et de tout document particuliers, si l'un ou l'autre est convaincu qu'une telle ordonnance est nécessaire pour donner effet à une disposition du Règlement ou préserver des informations confidentielles obtenues par le Procureur ou encore que l'intérêt de la justice le commande [...]». L'article 69 («Protection des victimes et des témoins»), pour autant qu'il soit applicable en la matière, stipule : «A) Dans des cas exceptionnels, le Procureur peut demander à la Chambre de première instance d'ordonner la non-divulgation de l'identité d'une victime ou d'un témoin pour empêcher qu'ils ne courent un danger ou des risques, et ce jusqu'au moment où ils seront placés sous la protection du Tribunal. [...] C) Sans préjudice des dispositions de l'article 75 ci-dessous, l'identité de cette victime ou de ce témoin devra être divulguée avant le commencement du procès et dans des délais permettant à la défense de se préparer.» L'article 75 («Mesures destinées à assurer la protection des victimes et des témoins»), pour autant qu'il soit applicable en la matière, stipule : «A) Un Juge ou une Chambre peut, d'office ou à la demande de l'une des parties, de la victime, du témoin intéressé ou de la Section d'aide aux victimes et aux témoins, ordonner des mesures appropriées pour protéger la vie privée et la sécurité de victimes ou de témoins, à condition toutefois que lesdites mesures ne portent pas atteinte aux droits de l'accusé. [...]»
2- L'article 22 du Statut («Protection des victimes et des témoins») stipule : «Le Tribunal international prévoit dans ses règles de procédure et de preuve des mesures de protection des victimes et des témoins. Les mesures de protection comprennent, sans y être limitées, la tenue d'audiences à huis clos et la protection de l'identité des victimes.»
3- Conférence de mise en état, 20 juillet 2000, Compte rendu, p. 189.
4- Troisième Requête de l'Accusation aux fins de mesures de protection pour des victimes et des témoins, 31 août 2000, («la Troisième Requête»). Cette Requête porte la mention «confidentiel». La présente Décision ne mentionne aucun élément à caractère confidentiel figurant dans la Troisième Requête.
5- Troisième Requête, par. 4.
6- Troisième Requête, par. 6.
7- Ibid., par. 4 et 5.
8- Réponse à la Troisième Requête du Procureur aux fins de mesures de protection en date du 31 août 2000, 8 septembre 2000 («la Réponse de Talic»), par. 2.
9- Réponse à la Troisième Requête confidentielle du Procureur aux fins de mesures de protection et à la Demande aux fins d’obtenir l’autorisation de ne pas communiquer l’identité de certains individus, 6 septembre 2000 («la Réponse de Brdanin»), par. 4. La Demande à laquelle se réfère Brdanin a été tranchée par une ordonnance rendue le 19 septembre 2000. Cette question est abordée dans la Décision relative à la Deuxième Requête de l'Accusation aux fins de mesures de protection, rendue le 27 octobre 2000 («la Décision relative à la Deuxième Requête»), par. 24.
10- Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection, 3 juillet 2000. («la Décision relative à la première Requête»), p. 16.
11- Troisième Requête, Projet d'ordonnance, p. 2.
12- Réponse de Talic, par. 5.
13- Décision relative à la Deuxième Requête, par. 8 à 11 et 14 à 16.
14- Ibid., par. 14.
15- Ibid., par. 11.
16- Le Procureur c/ Simic, affaire n° IT-95-9-PT, Décision relative 1) à la Requête de Stevan Todorovic aux fins de réexaminer la Décision du 27 juillet 1999, 2) à la Requête du CICR aux fins de réexaminer l’Ordonnance portant calendrier du 18 novembre 1999 et 3) aux conditions d’accès aux pièces, 28 février 2000, par. 41.
17- Voir en particulier la Décision relative à la Deuxième Requête, par. 18.
18- Réponse de Talic, par. 4.
19- Réponse de Brdanin, par. 1.
20- Décision relative à la première Requête, par. 65 3) et 65 4).
21- Article 69 A) du Règlement.
22- Décision relative à la première Requête, par. 26; Décision relative à la Deuxième Requête, par 19. L'Accusation a déposé une demande d'autorisation d'interjeter appel de la Décision relative à la Deuxième Requête (Requête de l'Accusation aux fins d'autorisation d'interjeter appel de la Décision de la Chambre de première instance, 3 novembre 2000). Toutefois, c'est davantage l'application des propositions énoncées à la fois dans la Décision relative à la Première Requête et dans la Décision relative à la Deuxième Requête (dont elle n'a pas cherché à interjeter appel) qui sont contestées, plutôt que les propositions proprement dites.
23- Décision relative à la Deuxième Requête, par. 19.
24- Décision relative à la Première Requête, par. 24 et 28, Décision relative à la Deuxième Requête, par. 18.
25- Précisions relatives à la «Requête aux fins de mesures de protection», 8 février 2000, par. 4. Lors des exposés oraux consacrés à la Requête ayant débouché sur la Décision relative aux mesures de protection, le 24 février 2000, l'Accusation a reconnu qu'il fallait «[...] prendre en compte les droits de l’accusé et que le droit de la victime pass[ait] après». Compte rendu, p. 83, Décision relative à la Première Requête, par. 20, Décision relative à la Deuxième Requête, par. 18. L'article 20.1 du Statut stipule : «La Chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que l'instance se déroule conformément aux règles de procédure et de preuve, les droits de l'accusé étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée». Les dispositions de l'article 22 du Statut («Protection des victimes et des témoins») citées à la note 5 ci-dessus ne limitent pas la proposition figurant au paragraphe 13 4) de la présente Décision. Voir également le Procureur c/ Tadi}, Décision relative à l'exception préjudicielle soulevée par le Procureur aux fins d'obtenir des mesures de protection pour les victimes et les témoins, (1995) Recueils judiciaires du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Vol. I, p. 150, par. 30.
26- Le Procureur c/ Tadic, affaire n° IT-94-1-T, Décision sur la Requête du Procureur en vue d'obtenir des mesures de protection pour le témoin R, 31 juillet 1996; p. 4. Décision relative à la Première Requête, par. 7, Décision relative à la Deuxième Requête, par. 18.
27- Réponse de Talic, par. 4.1.
28- Décision relative à la Première Requête, par. 34.
29- Réponse de Talic, par. 4.2.
30- Décision relative à la Deuxième Requête, par 21.
31- Voir la Décision relative à la Deuxième Requête, par. 21.