Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 3 octobre 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 05.)

3 (Audience publique.)

4 (Les accusés, MM. Radoslav Brdjanin et Momir Talic, sont absents du

5 prétoire.)

6 (Audience sur requête.)

7 M. le Président: Veuillez vous asseoir. Bonjour tout le monde. Les

8 interprètes m'entendent-ils bien?

9 Interprètes: Bonjour, Monsieur le Président.

10 M. le Président: Je crois que tout le monde est branché convenablement.

11 Je voudrais demander d'abord à Mme la Greffière de bien vouloir identifier

12 l'affaire qui est inscrite au rôle de la présente audience.

13 Mme Chen (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président et Messieurs les

14 Juges.

15 M. le Président: Bonjour, allez-y.

16 Mme Chen (interprétation): Affaire IT-99-36-AR73.9, le Procureur contre

17 Radoslav Brdjanin et Momir Talic.

18 M. le Président: Bien. Je vous remercie.

19 J'aimerais que s'identifient les parties. D'abord peut-être l'appelant.

20 Est-ce que les conseils de l'appelant, de M. Randal, sont là? Est-ce

21 qu'ils peuvent s'identifier?

22 Bonjour.

23 Attendez une seconde, s'il vous plaît.

24 Madame la Greffière, nous avons, semble-t-il, un petit problème technique.

25 Mon collègue, M. le Juge Gunawardana, n'a pas d'écouteur.

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1 C'est le canal 4, n'est-ce pas?

2 Est-ce que vous m'entendez, Monsieur le Juge Gunawardana? D'accord.

3 Excusez-moi, je n'avais pas fait attention. Veuillez m'excuser.

4 J'ai donc demandé l'annonce de l'affaire, l'identification de l'affaire,

5 et j'ai demandé que s'identifient maintenant les parties. Donc je

6 recommence auprès de l'appelant, Jonathan Randal. Je vous écoute.

7 Interprète: Micro, s'il vous plaît.

8 M. le Président: Le micro, s'il vous plaît. La technique, vous savez,

9 c'est très important.

10 M. Robertson (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

11 les Juges.

12 Je représente, ici, M. Jonathan Randal, l'appelant, en compagnie de mon

13 confrère M. Steven Powles, Mme Fiona Campbell et M. Mark Stephens.

14 M. le Président: Merci. Vous pouvez vous asseoir.

15 Je voudrais maintenant me tourner vers les amici curiae qui ont été

16 désignés. Est-ce qu'ils sont là? Oui?

17 M. Abrams (interprétation): Oui, nous sommes là.

18 M. le Président: Vous prenez votre micro, s'il vous plaît, Maître. Je vois

19 que vous êtes là, mais si vous voulez bien…

20 M. Abrams (interprétation): Je m'appelle Floyd Abrams. Je suis ici avec M.

21 Joël Kurtzberg au nom des amici curiae.

22 M. le Président: Merci beaucoup.

23 Ensuite, le Procureur. J'aimerais bien que s'identifie le Bureau du

24 Procureur.

25 Mme Korner (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

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1 Juges.

2 Joanna Korner, Colin Black, avec Denise Gustin qui est notre assistante.

3 M. le Président: Merci. Bonjour.

4 Quant à la défense, je crois, Monsieur O'King(?), je pense que nous

5 n'avons pas d'accusé. Je crois que Me John Ackerman nous a fait

6 parvenir... Vous pouvez nous indiquer quelle est la position de la défense

7 dans l'affaire, s'il vous plaît?

8 M. O'King(?) (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Les deux

9 conseils de la défense ont décidé de ne pas être présents aujourd'hui, et

10 il en va de même des deux accusés en l'espèce.

11 M. le Président: Bien. Très bien.

12 Je vais faire un résumé de la procédure et puis essayer d'identifier, en

13 accord avec mes collègues bien sûr, les quelques questions qui se posent

14 dans une affaire qui est importante.

15 Je vous rappelle que nous sommes saisis, nous, Chambre d'appel, d'une

16 requête d'appel qui a été déposée le 26 juin dernier, le 26 juin 2002, par

17 le conseil de M. Randal, lequel a travaillé plusieurs années pour le

18 "Washington Post" en tant que journaliste.

19 A la suite d'une ordonnance portant calendrier qui a été délivrée le 4

20 septembre 2002, la Chambre d'appel siège aujourd'hui, donc dans le but

21 d'entendre les arguments des parties.

22 Je voudrais rappeler le contexte rapidement de l'affaire. Cette affaire

23 trouve son origine dans une décision qui a été rendue le 29 janvier 2002

24 par la Chambre de première instance II, présidée par le Juge Agius et

25 composée des Juges Janu et Taya. Dans cette décision, la Chambre de

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1 première instance a décerné, à la requête de l'accusation et en

2 application de l'Article 54 du Règlement de procédure et de preuve, une

3 injonction de comparaître confidentielle visant à contraindre M. Randal à

4 témoigner au procès.

5 Monsieur Randal a signifié son opposition à l'injonction par voie de

6 requête écrite déposée le 8 mai 2002.

7 Le 10 mai 2002, deux jours après donc, la Chambre de première instance a

8 entendu l'exposé des arguments de M. Randal et ceux de l'accusation

9 concernant la requête aux fins d'annulation de ladite injonction.

10 Le 7 juin 2002, dans sa décision relative à la requête aux fins

11 d'annulation d'une injonction de comparaître confidentielle, la Chambre de

12 première instance a confirmé l'injonction décernée à M. Randal.

13 Le 19 juin 2002, en application de l'Article 73 du Règlement, la Chambre

14 de première instance a certifié la nécessité de l'appel interlocutoire

15 interjeté par M. Randal, et celui-ci a ainsi pu déposer son acte d'appel

16 le 26 juin.

17 Je vais faire un point sur les écritures maintenant. Par une décision

18 rendue le 5 août dernier, la Chambre d'appel a autorisé un certain nombre

19 d'organes de presse et d'associations de journalistes à intervenir en

20 l'espèce en qualité d'amici curiae.

21 Le 16 août, le conseil des amici curiae a déposé un mémoire à l'appui de

22 l'appel interjeté par M. Randal.

23 L'accusation a déposé le 15 juillet une réponse au mémoire de l'appelant

24 et, le 27 août, une réponse au mémoire des amici curiae.

25 Je rappelle que, bien qu'ils en aient le droit, le conseil des accusés de

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1 MM. Brdjanin et Talic, les deux accusés dans cette affaire, n'ont pas

2 déposé de conclusions écrites concernant cet appel. Et le conseil de M.

3 Brdjanin avait, dans un premier temps, choisi d'exercer son droit

4 d'exposer ses arguments à la présente audience, mais -nous le savons

5 depuis quelques minutes- il est revenu sur cette position.

6 Quant au conseil de M. Talic, il n'a pas souhaité exercer cette option.

7 Etant donné l'importance de cette affaire, et pour des raisons d'équité

8 vis-à-vis des parties et des amici curiae, la Chambre d'appel a estimé

9 qu'il était nécessaire de tenir un débat oral. Les Juges ont pu lire les

10 nombreux mémoires détaillés déposés par les parties.

11 Il semble -je dis bien il semble-, en ressortir que les principales

12 questions posées par cet appel sont les suivantes:

13 Premièrement: les correspondants de guerre jouissent-ils d'une quelconque

14 immunité qui les protégerait contre l'obligation de témoigner dans

15 certains cas devant ce Tribunal? En particulier, le travail des

16 correspondants de guerre présente-t-il un intérêt public que le Tribunal

17 devrait protéger? La protection de cet intérêt public découle-t-elle du

18 droit international coutumier ou des principes généraux du droit? Le fait

19 de contraindre des correspondants de guerre à témoigner devant un tribunal

20 chargé de juger des auteurs présumés de crimes de guerre est-il

21 susceptible de compromettre la capacité des correspondants de faire leur

22 travail et donc, leur capacité de servir cet intérêt public?

23 Deuxième série de questions: si oui, c'est-à-dire si les journalistes

24 bénéficient d'une quelconque immunité, quel est le critère déclenchant

25 l'application de cette immunité? En particulier, le critère -s'il y en a

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1 un- étant censé protéger les correspondants, quel type d'information

2 l'immunité proposée devrait-elle protéger? Protège-t-elle aussi cette

3 immunité, les sources confidentielles?

4 Troisième série de questions: s'il existe une quelconque immunité pour les

5 correspondants de guerre, s'applique-t-elle ou non au fait de l'espèce? A

6 cet égard, je voudrais résumer très rapidement ce qui s'est passé devant

7 la Chambre de première instance lors d'une audience, en restant bien sûr à

8 la surface de la chose, du dossier.

9 Lors d'une audience tenue le 21 janvier 2002 l'accusation a demandé

10 l'admission au dossier d'un article écrit par M. Randal et qui était paru

11 le 11 février 1993, dans le "Washington Post". La défense s'est opposée à

12 ce que l'article soit admis avant qu'elle n'ait eu l'occasion de contre-

13 interroger M. Randal. L'accusation a alors demandé à la Chambre de

14 première instance de décerner une injonction de comparaître à M. Randal.

15 Monsieur Randal, je le rappelle, avait déjà fourni une déclaration écrite

16 à l'accusation mais il ne souhaitait pas témoigner au procès. Par

17 conséquent, la Chambre de première instance -et c'est la dernière

18 question-, a-t-elle eu tort de conclure qu'il était nécessaire de décerner

19 à M. Randal une injonction de comparaître en application de l'Article 54

20 du Règlement du Tribunal?

21 Voilà brièvement résumé le cadre de cette audience. Je vous propose le

22 calendrier suivant de nos travaux: après l'exposé préliminaire que j'ai

23 fait -je vois que j'ai respecté moi-même mon horaire, il était prévu de

24 commencer à 9 heures 15-, nous entendrons pendant environ 40 minutes les

25 arguments de l'appelant, c'est-à-dire les conseils de M. Randal. Ensuite,

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1 de 10 heures à 10 heures 40, nous écouterons les arguments des amici

2 curiae. Nous prendrons une pause. Les Juges poseront des questions.

3 Je rappelle que les Juges peuvent toujours poser des questions en cours

4 d'exposé, au moins pour obtenir quelques précisions, mais que, dans ce

5 présent calendrier qu'a recueilli l'accord de mes collègues, les questions

6 les plus importantes seront posées après la pause.

7 De 11 heures 30 à 12 heures 10 nous écouterons les arguments de

8 l'accusation pendant 40 minutes également. Et ensuite, ce sera le temps

9 des répliques de 12 heures 10 à 13 heures avec, de 10 minutes en 10

10 minutes, la réplique du conseil des amici curiae s'ils le jugent

11 nécessaire; ensuite la réplique du conseil de l'appelant s'il le juge

12 nécessaire; et puis il y aura à nouveau une trentaine de minutes pour les

13 questions des Juges, si les Juges souhaitent intervenir.

14 Alors, ce que je vous demanderai bien entendu, puisque vous êtes très

15 nombreux dans une audience qui est très importante -dont je vous ai situé

16 tous les enjeux-, et compte tenu que vous avez déposé de très nombreuses

17 et très denses écritures, je vous demanderai de ne pas vous contenter de

18 répéter ce que vous avez par ailleurs exposé par écrit, mais d'essayer de

19 présenter de manière claire, succincte, analytique et synthétique vos

20 principaux arguments comme, en principe, de bons professionnels que vous

21 êtes doivent savoir le faire.

22 Voilà, il est donc 9 heures 15. Je demanderai conformément à ce

23 calendrier, peut-être à Me Robertson, en tout cas au conseil de l'appelant

24 de bien vouloir prendre la parole. Merci.

25 M. Robertson (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur le Président,

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1 Messieurs les Juges. C'est un grand privilège pour moi que de représenter

2 les intérêts de Jonhatan Randal dans cet appel contre la décision rendue

3 par la Chambre de première instance à laquelle vous avez fait référence.

4 J'espère que, au cours de mon intervention, je serai en mesure de répondre

5 aux questions que vous avez cernées de manière aussi précise. La première

6 question des trois que vous avez identifiées étant celle des intérêts

7 publics qui sont en jeu lorsque la Chambre, une chambre, un tribunal fait

8 usage de ses pouvoirs de contrainte envers des correspondants de guerre.

9 Le deuxième, c'est celui des critères et la manière dont de telles règles

10 de déclenchement doivent être mises en œuvre.

11 Et la troisième question, c'est de la manière dont ce critère doit

12 s'appliquer aux faits de l'espèce.

13 J'espère que, au cours de mon intervention, j'arriverai à présenter un

14 certain nombre de réponses aux questions qui viennent d'être identifiées

15 par la Chambre.

16 Monsieur Randal, comme vous le savez, s'est vu signifier à Paris une

17 injonction de comparaître pour l'accusation dans le cadre du travail qu'il

18 avait accompli dans une zone de conflit, à savoir Banja Luka, au début de

19 l'année 1993, en février 1993, lorsque son article a été publié. Or, c'est

20 une date qui précédait l'établissement du Tribunal.

21 L'appel soulève la question que vous avez identifiée, à savoir,

22 premièrement, la question de l'intérêt public, des principes de l'intérêt

23 public; c'est une question de principe.

24 Il y a également, donc, la question du critère relatif à ces directives, à

25 ces règles à appliquer et la manière dont elles doivent s'appliquer à M.

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1 Randal.

2 La première question est de savoir… la question de principe est de savoir

3 s'il y a une règle aux termes de laquelle les correspondants de guerre

4 peuvent être contraints à déposer contre le droit déposé dans le cadre

5 d'un tribunal international, lorsque les éléments de preuve qu'ils peuvent

6 présenter sont essentiels dans une affaire et qu'ils ne peuvent être

7 obtenus par aucun autre moyen que par les pouvoirs contraignants de la

8 Chambre; est-ce que c'est le cas ou bien est-ce uniquement lorsque ce que

9 le témoin a à dire est simplement pertinent?

10 Ensuite, la dernière question est de savoir si, une fois que cette règle

11 est formulée, elle s'applique à tout témoin ou bien, si les éléments de

12 preuve que M. Randal est susceptible de donner sont suffisants pour

13 répondre aux critères que nous allons essayer de définir.

14 Vous trouverez au paragraphe 18 de nos conclusions écrites -pas notre

15 réponse mais nos conclusions écrites-, vous trouverez la formulation que

16 nous vous suggérons, avec tout le respect que nous vous devons, lorsqu'il

17 convient de décerner une demande d'injonction à comparaître à un

18 journaliste. Nous estimons que la partie qui demande cette injonction doit

19 prouver, doit convaincre la Chambre de cinq éléments, des éléments que

20 nous indiquons au paragraphe 18, aux points 2A à 2E, à savoir que le

21 journaliste récalcitrant qui est forcé de témoigner apportera des éléments

22 de preuve recevables qui sont d'une importance capitale pour déterminer

23 l'innocence ou la culpabilité de l'accusé;

24 B: des éléments de preuve qui ne peuvent être obtenus par aucun autre

25 moyen ni fournis par aucun autre témoin;

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1 C: qu'il n'aura pas à manquer à une quelconque obligation de

2 confidentialité en présentant ces éléments de preuve;

3 D: que lui-même, sa famille ou ses informateurs ne seront pas exposés à un

4 danger auquel ils ne peuvent raisonnablement s'attendre;

5 E: que la décision ne constituera pas un précédent compromettant

6 inutilement l'efficacité et la sécurité d'autres journalistes travaillant

7 dans la zone de conflit concernée, à l'avenir.

8 C'est donc, je le répète, le paragraphe 18 de nos conclusions écrites;

9 c'est l'essentiel de nos conclusions, c'est la manière dont nous voyons

10 cette directive, cette règle qui pourrait s'appliquer.

11 Bien entendu, on pourrait adopter une rédaction quelque peu différente,

12 mais l'essentiel de la règle que nous suggérons d'appliquer lorsque la

13 confidentialité n'est pas en jeu, c'est que les éléments de preuve doivent

14 être absolument cruciaux, soit pour la défense, soit pour l'accusation, et

15 que ces éléments de preuve ne peuvent être obtenus par aucun autre moyen

16 et qu'il n'y ait pas de danger encouru par la personne qui va donner les

17 éléments de preuve, bien entendu.

18 Bien entendu, j'insiste sur deux choses sur cette règle que nous vous

19 proposons: c'est que nous ne demandons pas une immunité totale pour tous

20 les correspondants de guerre. Cette immunité n'entre en jeu que lorsqu'un

21 correspondant de guerre refuse de déposer. Nous ne demandons pas une règle

22 telle que celle qui s'applique à la Croix-Rouge, pour Simic par exemple,

23 lorsqu'on décrète qu'il y a immunité de tout un groupe. Il y a des

24 journalistes qui, peut-être, estimant que les éléments de preuve qu'ils

25 ont à présenter dans une affaire sont essentiels, se porteront peut-être

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1 volontaires pour déposer sans qu'il soit nécessaire de décerner une

2 injonction à comparaître auparavant. Beaucoup de journalistes l'ont fait

3 dans ce Tribunal.

4 La deuxième chose que je souhaiterais souligner, c'est que nous ne

5 demandons pas une immunité absolue. Nous reconnaissons qu'il existe des

6 affaires, qu'il y aura des affaires à l'avenir où les éléments de preuve

7 présentés par les journalistes auront un rôle essentiel à jouer pour

8 déterminer l'innocence ou la culpabilité d'un accusé dans une affaire de

9 crime de guerre. Et, dans ces circonstances, nous pensons que, si un

10 journaliste est allé sur un site et qu'il a été le seul témoin, par

11 exemple, de l'exécution de 100 prisonniers de guerre, eh bien, dans ce cas

12 de figure, lorsque le journaliste est le seul témoin d'événements de ce

13 genre, il est clair que l'intérêt public, que l'administration de la

14 justice dans un crime aussi révoltant de crime, un crime contre

15 l'humanité, doit prendre précédence sur l'intérêt public qui justifie la

16 mise en place d'une règle que je viens d'édicter.

17 Mais l'existence de la règle que nous vous proposons va permettre d'éviter

18 des conflits peu souhaitables entre la profession de journalisme et le

19 système de droit international naissant au niveau des affaires

20 criminelles.

21 Le Bureau du Procureur, et dans une moindre mesure la Chambre de première

22 instance, disent de notre proposition de règle qu'il s'agit d'une nouvelle

23 règle. Bien entendu, puisque c'est nouveau, la situation dans laquelle

24 nous sommes, c'est nouveau: aucun journaliste n'a été contraint de déposer

25 à Nuremberg. Donc voilà une question nouvelle qui se pose dans le contexte

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1 de la justice internationale.

2 La justice internationale n'a pris réalité, en fait, qu'ici même, dans ce

3 bâtiment, il y a quelques années, avec la condamnation de Tadic. Les

4 Chambres de ce Tribunal ont entendu de nombreux témoins déposer

5 volontairement, de nombreux journalistes déposer volontairement, mais,

6 dans les coulisses, on sait bien que de nombreux journalistes ont refusé

7 les invitations du Procureur à déposer et que l'on a accepté leur

8 décision.

9 Monsieur Randal, en l'occurrence, est le premier journaliste que le Bureau

10 du Procureur a décidé de contraindre à déposer et pas son confrère, M. X,

11 qui pourrait donner des informations beaucoup plus pertinentes au sujet de

12 cette interview puisque, lui, il parle serbo-croate.

13 Monsieur Randal est le premier de nombreux journalistes récalcitrants que

14 le Bureau du Procureur souhaite contraindre à déposer devant le Tribunal.

15 Nous savons qu'il refuse de déposer pour une question de déontologie, et

16 le Bureau du Procureur le sait, mais le Procureur a décidé de prendre une

17 démarche qui risque de voir compromettre ce correspondant de guerre

18 éminent, et qui le voit même peut-être encourir le risque de sept ans de

19 prison pour outrage. C'est un véritable spectacle que veut mettre en place

20 le Bureau du Procureur. On ne peut pas, donc, accepter que le Bureau du

21 Procureur affirme que la règle que nous demandons de voir adopter par la

22 Chambre est nouvelle. Ce n'est pas cela qui est nouveau. Ce qui est

23 nouveau, c'est de voir le Bureau du Procureur insister pour mettre le

24 journaliste dans une situation très difficile.

25 Le fait que la Chambre se penche sur une telle règle pour la première

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1 fois, dans cette arène, n'est pas un argument à lui opposer. Il n'y a rien

2 d'improbable à l'affirmation selon laquelle des correspondants de guerre

3 requièrent de bénéficier d'une règle particulière en matière de

4 présentation d'éléments de preuve éventuels de leur part. Dans tous les

5 systèmes civilisés et raisonnables, on reconnaît que l'intérêt public

6 requiert que des règles particulières soient adoptées pour des témoins qui

7 exercent des professions bien spécifiques ou qui sont placés dans des

8 positions particulières.

9 Dans tout système judiciaire, on essaie d'éviter les conflits entre la

10 bonne administration et la justice, et les règles déontologiques doivent

11 suivre certaines professions. Il y a des règles particulières qui

12 s'appliquent aux médecins, aux infirmières, aux avocats; dans certains

13 systèmes, il y a même des règles pour les prêtres, il y en a pour les

14 enfants qui doivent déposer, et aussi pour les victimes, les victimes de

15 violence sexuelle ou de viol. Dans la plupart des systèmes, on prévoit des

16 règles particulières pour la déposition de ces témoins. Et souvent, pas

17 toujours, mais souvent il y a des règles particulières pour respecter la

18 confidentialité de certaines professions ou de certaines situations.

19 Pour les enfants, cela découle de la vulnérabilité de leur situation. Pour

20 les journalistes, les systèmes nationaux doivent reconnaître -et ça, c'est

21 une donnée indéniable-, les systèmes nationaux reconnaissent que leur

22 travail sert le droit fondamental humain qu'est la liberté d'expression

23 garantie par l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de

24 l'homme. Et il est stipulé que les décisions des tribunaux ne doivent pas

25 entraver la libre circulation de l'information et museler les journalistes

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1 qui jouent un rôle de chien de garde pour l'opinion publique.

2 La plus importante conséquence de cette liberté d'expression a été

3 soulignée par la Cour européenne des Droits de l'homme dans l'affaire

4 Goodwin contre le Royaume-Uni. C'est qu'il ne convient pas de contraindre

5 un journaliste à déposer parce que, si on oblige un journaliste à révéler

6 des sources confidentielles qu'il utilise, à ce moment-là, ces sources

7 seront de moins en moins disponibles. Mais la Chambre l'a pensé de façon

8 erronée; ce n'est pas la fin de l'affaire, ce n'est pas l'essentiel de la

9 règle.

10 L'essentiel de l'arrêt Goodwin, c'est que le journaliste est une sorte de

11 chien de garde pour l'opinion publique. Il lui signale ce qu'il se passe.

12 Il alerte l'opinion publique de la possibilité éventuelle de crimes. Ce

13 n'est pas une règle, une décision qui a trait directement à la

14 confidentialité; c'est l'application d'une règle plus générale relative à

15 la libre circulation de l'information. Le Bureau du Procureur et la

16 Chambre semblent penser que cette règle ne devrait s'appliquer que dans le

17 cadre de sources d'informations confidentielles. Or, ce n'est pas du tout

18 la manière dont il faut interpréter la décision Goodwin; c'est simplement

19 une application d'une règle de nature beaucoup plus générale. Et nous

20 avons prouvé que, dans la plupart des systèmes, il existe des règles bien

21 particulières qui s'appliquent aux journalistes et qui font qu'il est plus

22 difficile pour l'accusation de perquisitionner dans les bureaux d'un

23 journaliste ou d'obtenir des informations qui n'ont pas été diffusées par

24 le journaliste -vidéo ou autres.

25 Dans les informations, dans les documents que nous vous avons remis, vous

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1 trouverez à l'intercalaire n°17 le code du département de la justice

2 américaine qui précise les limites qui sont mises à la perquisition et à

3 la saisie de documents appartenant à des journalistes. Et à l'intercalaire

4 n°19, vous trouverez des informations au sujet de l'affaire Bright, à

5 l'intercalaire n°20; il est stipulé quelles démarches il convient

6 d'entreprendre avant de saisir des documents émanant de journalistes.

7 Il ne s'agit pas ici de confidentialité, mais il s'agit d'application du

8 principe général de la liberté d'expression et de faire en sorte que les

9 médias, qui jouent un rôle de "chiens de garde", comme on l'a dit pour

10 l'opinion publique, ne soient pas muselés. Il ne convient donc pas que les

11 pouvoirs coercitifs soient utilisés contre les journalistes, à moins que

12 l'intérêt de la justice ne l'exige, et cela doit être prouvé par le

13 Procureur ou par celui qui demande leur application. Et nous invitons la

14 Chambre à estimer que cette approche doit également s'appliquer aux

15 correspondants de guerre et que cette façon de voir les choses doit

16 s'appliquer à ces nouvelles institutions que sont les tribunaux pénaux

17 internationaux.

18 D'abord, le Tribunal de La Haye, le Tribunal d'Arusha, le Tribunal de la

19 Sierra Leone et, bien entendu, la Cour pénale internationale qui est le

20 dernier avatar de la justice internationale.

21 Je vais commencer par me pencher sur les intérêts publics qui sont en jeu

22 en faisant quelques remarques de nature générale. Il est accepté que le

23 Tribunal ainsi que d'autres tribunaux internationaux n'auraient jamais vu

24 le jour sans le travail des correspondants de guerre, des cameramen qui

25 sont présents sur les zones de conflit, des gens qui permettent de faire

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1 connaître aux téléspectateurs quelle est la réalité de la guerre, du

2 nettoyage ethnique, faisant en sorte que, comme l'a dit Roosevelt, "le

3 monde civilisé éprouve une pitié indignée pour les victimes de ces actes".

4 C'est cette compassion, cette pitié indignée qui est suscitée par les

5 médias et qui a suscité la détermination à prendre des mesures pour

6 empêcher que les victimes des despotes et des tyrans de toute sorte, de

7 tous ceux qui abusent de leur autorité, soient traduites en justice. Cet

8 intérêt public de la présence des organismes de médias dans les zones de

9 guerre est continu. On le voit dans l'affaire Goodwin.

10 Comme nous le disons au paragraphe 17, les médias doivent être encouragés

11 à continuer, à fournir des informations importantes au sujet des conflits

12 internationaux, à attirer l'opinion publique quant à la commission de

13 crimes de guerre, et, d'autre part, ils doivent fournir des éléments de

14 preuve permettant au Procureur de lancer des enquêtes et pouvant aboutir à

15 l'arrestation de criminels de guerre. Nous insistons sur le terme

16 "d'enquêtes". Les publications des journalistes fournissent des éléments

17 qui permettent ensuite au Procureur de mener des enquêtes et l'on voit,

18 ici, une distinction très nette entre leurs différentes fonctions. Les

19 journalistes font des enquêtes, des reportages et, beaucoup plus tard, le

20 Procureur va aller sur place peut-être pour enquêter sur ce qui a été

21 révélé en premier lieu par un journaliste, mais cette distinction est très

22 importante.

23 L'intérêt pour la justice pénale internationale du travail des

24 journalistes dans cette zone de guerre doit être reconnu et ce travail est

25 absolument essentiel. Pour cela, il est essentiel aussi que les médias

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1 puissent continuer à entrer dans les zones de guerre et qu'ils puissent

2 jouir de la neutralité qui est la leur sur place. Or, si les journalistes

3 peuvent de manière régulière être cités à comparaître devant des tribunaux

4 internationaux en tant que témoins de l'accusation, s'il n'y a aucune

5 limite au pouvoir discrétionnaire des Juges d'une Chambre de première

6 instance et des Procureurs pour citer des journalistes à comparaître, pour

7 les traîner devant les tribunaux en décernant ces injonctions à

8 comparaître, sur la base de l'intérêt potentiel et de la pertinence de ce

9 qu'ils auraient à dire pour l'affaire concernée, eh bien, dans ces

10 conditions, si c'est le cas, effectivement nous estimons que cet immense

11 intérêt public que j'ai identifié va être mis à mal. Et que, la

12 conséquence pratique, c'est que les journalistes auront beaucoup moins

13 facilement accès à ces informations que si l'on en reste à la situation

14 actuelle. Or, ceci ne serait pas le cas si l'on permet aux Juges d'une

15 Chambre de première instance de décerner à l'envie des injonctions à

16 comparaître sans que des règles bien précises ne soient établies.

17 Il existe cinq manières dont l'intérêt public -que j'ai signalé dans le

18 cadre du travail des correspondants de guerre-, il y a cinq domaines dans

19 lesquels l'intérêt du public va pâtir si la règle, si le droit est laissé

20 dans l'espèce; c'est-à-dire si l'on n'établit pas des règles

21 particulières, précises, pour la déposition de journalistes.

22 Premièrement, les correspondants de guerre vont perdre ce qui est

23 considéré comme leur neutralité professionnelle et qui est spécifiée aux

24 termes du premier protocole de la Convention de Genève de 1977. Ils seront

25 considérés non pas, comme c'est précisé par le protocole de la convention,

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1 comme tout autre citoyen; ils seront considérés donc plutôt comme des

2 espions qui travaillent du côté ou de ceux qui sont favorisés par les

3 Nations Unies ou par les pouvoirs qui détiennent la majorité au sein du

4 Conseil de sécurité qui peut renvoyer l'affaire au tribunal criminel pénal

5 afin d'en punir les auteurs. Un tribunal qui a été mis en place pourra, à

6 ce moment-là, délivrer des injonctions à comparaître. C'est la perte de

7 neutralité qui a des répercussions négatives.

8 La Convention de Genève, sur laquelle nous nous reposons et que nous

9 utilisons pour déterminer l'indépendance des journalistes en conflit de

10 guerre, figure en annexe à nos conclusions écrites. Je pense qu'il s'agit

11 de l'annexe n°4 dans la liasse des documents que vous avez reçus. Il

12 s'agit de l'article 79 où la Convention de Genève précise les mesures qui

13 s'appliquent pour assurer la protection des journalistes lorsque ces

14 personnes se livrent à des activités dangereuses, dans des zones où

15 sévissent des conflits armés.

16 Ensuite, il est question de la protection qu'il y a lieu de délivrer à la

17 population civile, et ceci, sans préjudice de leur droit d'être accrédité

18 pour couvrir une zone où sévit un conflit armé.

19 Selon les parties en présence, notamment lorsque les parties ne

20 bénéficient pas de la faveur des Nations Unies ou du Conseil de sécurité,

21 un correspondant de guerre peut être aisément invité à présenter… à venir

22 faire des dépositions et qui, par conséquent, perd ainsi sa neutralité et

23 sa protection.

24 L'annexe 5 fait état d'une observation de caractère général au sujet du

25 protocole 1 additionnel aux Conventions de Genève de 1949. Il s'agit de

Page 10175

1 l'article 79 concernant la protection des journalistes qui sont exposés à

2 des conditions dangereuses lorsqu'ils travaillent sur place. Il est fait

3 allusion, dès 1977, à la nécessité d'envisager un fondement pour assurer

4 la protection des journalistes.

5 L'annexe 6 contient une référence au comité des ministres des Etats

6 membres du conseil de l'Europe et il est précisé qu'il n'existe pas encore

7 de protection des sources d'information.

8 Dans l'annexe 8, vous trouverez la déclaration sur la protection des

9 journalistes en situation de conflit et de tension.

10 Les annexes 6 et 8 prises ensemble ont été adoptées par le conseil de

11 l'Europe au niveau du comité des ministres. Il s'agit d'une recommandation

12 sur des protections à accorder aux journalistes en situation de conflit et

13 de tension.

14 Et l'annexe 9 fait état d'une recommandation du comité des ministres aux

15 Etats membres sur la protection des journalistes en situation de conflit

16 et de tension; il s'agit là d'une règle générale visant à assurer la

17 confidentialité des sources.

18 Donc voilà tous les éléments dont il faut tenir compte.

19 En deuxième lieu, j'aimerais à présent parler des conséquences d'ordre

20 pratique de l'injonction systématique à venir faire des dépositions,

21 notamment si la partie concernée ne jouit pas des privilèges des Nations

22 Unies. Ceci pourrait éventuellement permettre la divulgation de certaines

23 sources, de certaines informations, mais il est nécessaire de veiller à ce

24 que les journalistes jouissent d'une certaine protection, qu'ils puissent

25 exercer leur profession sur place.

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1 Dans nos documents, vous trouverez quatre déclarations de témoins qui

2 interviennent au nom de plusieurs associations. Il y a M. Jones qui

3 intervient au nom de la Fédération internationale des journalistes, M.

4 Phillip Knightly, et M. Gutman, qui sont des journalistes qui jouissent

5 d'un grand prestige au niveau international. L'accusation n'a fait

6 apparaître aucun élément de preuve qui conteste les connaissances

7 spécialisées des journalistes et de la profession, et les occasions qui

8 seront offertes aux correspondants de guerre vont diminuer si on n'assure

9 pas leur protection.

10 Le troisième élément découle également du fait que les reporters de guerre

11 sont pris en otage.

12 Nous avons vu comment la crainte, la peur d'un tribunal international a eu

13 des répercussions au Timor-Oriental parce qu'on a vu qu'il y avait des

14 corps qui ont été déplacés sur plusieurs centaines de kilomètres. Au

15 Kosovo même, nous avons vu que des corps ont été enterrés en dehors de la

16 ville de Belgrade, voire jetés dans le Danube. Si les personnes

17 responsables des crimes de guerre sont prêtes à détruire les éléments de

18 preuve, à ce moment-là, il importe que les journalistes qui ont

19 connaissance de ces faits rencontreront une difficulté accrue à venir

20 comparaître.

21 Le quatrième élément est directement lié au premier élément, à savoir

22 contraindre un journaliste à venir faire une déposition. Les journalistes

23 qui ont signé un code de déontologie et qui refusent de venir déposer, il

24 y aura, à ce moment-là, une situation d'opposition au niveau même de la

25 profession. Ces confrontations éventuelles peuvent être supprimées en

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1 envisageant une règle très claire, tel que celle que nous aimerions que le

2 Tribunal adopte.

3 En fait, nous nous sommes inspirés de l'affaire Goldstone, au paragraphe

4 36 de notre document, et nous avons repris la position du Juge Goldstone.

5 Il a résumé: "Si, comme les travailleurs de l'humanitaire et des délégués

6 de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge, les journalistes venaient à être

7 considérés comme des témoins potentiels, leur sécurité et leur capacité

8 future à être présents sur le champ de bataille seraient compromises. Je

9 me prononcerai donc en faveur d'un régime juridique protégeant les

10 journalistes du risque d'être contraints à témoigner dans des situations

11 qui les exposeraient eux-mêmes ou leurs collègues à des dangers futurs."

12 Voilà donc la position qu'a adoptée le Juge Goldstone.

13 En dernier lieu, je pense qu'il est nécessaire de parler du danger que

14 court le Tribunal lui-même en s'exposant ainsi et en prêtant le flanc à la

15 critique. En règle générale, il est aisé de critiquer la presse, les

16 médias et, en règle générale, on prétend que le Tribunal est directement

17 influencé par les journalistes. Le Tribunal prête le flanc à ces critiques

18 lorsque l'accusation obtient des preuves réelles et non pas des preuves

19 circonstancielles ou par ouï-dire. Mais si une règle, qui soit

20 suffisamment souple, permettrait de combler les lacunes, si l'accusation

21 se repose uniquement sur des journalistes plutôt qu'en dernier recours, à

22 ce moment-là, ces allégations vont être fondées.

23 Par conséquent, le Tribunal se protège lui-même contre ces allégations,

24 s'il laisse les journalistes venir témoigner, venir déposer uniquement en

25 dernier recours mais en ayant épuisé toutes les autres voies de recours

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1 possibles.

2 Il s'agit là donc des cinq éléments qui viennent à l'appui de notre

3 demande, et nous nous reposons sur l'article 19 de la Déclaration

4 universelle des droits de l'homme. Nous pensons qu'il est nécessaire de

5 veiller à la liberté d'expression, à la libre circulation des

6 informations.

7 Je tiens également à faire allusion à une décision du tribunal

8 interaméricain qui précise qu'un Etat ne peut pas citer un journaliste à

9 témoigner. Il y a également l'annexe 10 de la même décision de la Cour

10 interaméricaine dans l'affaire Goodwin contre le Royaume-Uni qui se fait

11 l'écho de la position spéciale des journalistes. En fait, nous nous

12 reposons entièrement sur la Convention de Genève et le comité des

13 ministres et les autres observations qui ont été faites et qui visent à

14 protéger les intérêts publics pour assurer la protection des journalistes.

15 Voilà donc notre position de principe.

16 Nos objections ont été exposées. Nous ne pensons pas qu'il y ait lieu de

17 soulever une objection. Si M. Randal est contraint de venir déposer contre

18 son propre gré et s'il s'y refuse, il s'expose, à ce moment-là, à

19 l'accusation. Il ne s'agit donc pas là d'une question essentiellement

20 théorique.

21 D'aucuns prétendent qu'on peut se reposer sur une Chambre de première

22 instance pour faire preuve de compétence, mais il est clair que tel n'a

23 pas été le cas. En fait, cette injonction de comparaître a été décernée

24 sans penser à toutes les conséquences qui pourraient se produire.

25 Le 21 janvier dernier, dans le compte rendu d'audience, l'accusation a

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1 simplement dit qu'il souhaitait verser l'article au dossier. La défense a,

2 à ce moment-là, prétendu vouloir pouvoir exercer son pouvoir de contre-

3 interrogatoire. Donc je pense qu'il est nécessaire de citer le témoin à

4 comparaître et il n'y avait aucune justification à cet égard.

5 L'injonction à comparaître a été décernée presque automatiquement sans

6 penser aux conséquences, sans penser s'il était possible d'obtenir les

7 éléments de preuve d'autre manière et sans déterminer si cette

8 déclaration, cette déposition serait essentielle. Par conséquent, une

9 injonction à comparaître a été délivrée à M. Randal à son domicile

10 parisien.

11 Ce qui est frappant est la position de la défense parce qu'il semble -et

12 je pense que l'accusation va probablement apporter des éclaircissements à

13 cet égard-, en fait, la défense était disposée à recevoir l'article de M.

14 Randal. Ils n'ont demandé à délivrer l'injonction à comparaître que parce

15 qu'il y avait une question au niveau de l'interprétation, au niveau de la

16 traduction. Par conséquent, c'est dans l'intérêt même de la défense que

17 cette injonction à comparaître a été délivrée.

18 Maître Ackerman est intervenu au nom de l'accusé, mais il n'était pas très

19 précis parce qu'on ne sait pas si sa position est restée inchangée, à

20 savoir s'il voulait continuer à procéder au contre-interrogatoire du

21 journaliste.

22 Dans l'intervalle, après que la décision a été rendue, il a donné un

23 entretien dans un journal américain, le "Boston Globe", où il a clairement

24 précisé que, pour la première fois, la défense n'acceptait pas

25 l'exactitude du rapport. Ceci nous a étonnés parce que, si la défense

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1 accepte l'authenticité et l'exactitude du rapport, à ce moment-là, nul

2 besoin de contraindre M. Randal à venir faire une déposition. Parce que,

3 en fait, il n'était pas du tout question de remettre en cause l'exactitude

4 des propos.

5 En fait, la seule chose qu'il souhaitait obtenir c'était de pouvoir

6 obtenir des informations complémentaires concernant le contexte. Nous

7 avons eu un échange avec Me Ackerman au sujet de cette question, parce que

8 je pense qu'il était important que l'accusation insiste sur la nécessité

9 de la présence de M. Randal de telle sorte que la défense puisse procéder

10 à son contre-interrogatoire pour vérifier l'exactitude de la traduction.

11 Mais il s'agit là du deuxième document dont nous sommes saisis. Et il est

12 très clairement précisé à l'avant-dernier paragraphe -et je le cite-: "Que

13 l'insistance de Randal par rapport à l'autre témoin, et simplement parce

14 que dans le rapport de Randal -même s'il est précis-, ne précise pas le

15 contexte du moment des événements. S'il est amené à témoigner, à ce

16 moment-là, il sera amené à en préciser le contexte".

17 Il semble, à présent, qu'il souhaite poser des questions concernant le

18 contexte. Le Procureur ne peut donc plus continuer à affirmer que, quelle

19 que soit la règle que l'on adopte, si la Chambre adopte le critère que

20 nous lui suggérons -à savoir qu'il ne faut décerner une injonction à

21 comparaître à un journaliste que si les éléments de preuve qu'il a donnés

22 sont essentiels ou cruciaux pour l'accusation ou pour la défense-, en

23 l'espèce, il est manifeste que ces éléments de preuve ne sont pas

24 essentiels pour l'accusation, puisqu'il n'y a pas d'objection qui est

25 présentée par la défense quant à l'exactitude de ce qui est dit dans cet

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1 article.

2 La défense accepte l'exactitude de ce qui a été écrit dans l'article de M.

3 Randal. Ils veulent simplement lui poser quelques questions de contexte.

4 Or, ceci ne correspond absolument pas aux critères que nous proposons, à

5 savoir qu'il faut que les éléments de preuve pressentis soient absolument

6 essentiels.

7 Cela ne correspond absolument pas, non plus, aux critères de pertinence

8 qui avaient été énoncés par la Chambre de première instance, un texte qui

9 s'applique à absolument tous les témoins. Si bien qu'il faudra demander à

10 l'accusation pourquoi elle estime qu'il est finalement essentiel

11 d'entendre la déposition de M. Randal.

12 Comme nous l'avons dit dans notre réponse, ce qui est un petit peu curieux

13 dans l'affirmation du Procureur sur l'importance de M. Randal en tant que

14 témoin, c'est qu'ils ont déposé un mémoire préalable au procès de quelque

15 120 pages en octobre 2001. Et que si l'on examine ces 120 pages, eh bien,

16 les éléments de preuve présentés contre M. Brdjanin ne contiennent

17 absolument aucune mention de M. Randal ou de son article. Comment se fait-

18 il que, quelques mois plus tard, M. Randal soit soudain devenu un témoin

19 crucial pour l'accusation alors que cette même accusation ne le mentionne

20 à aucun moment lorsqu'elle présente tous les éléments de preuve dont elle

21 dispose contre M. Brdjanin.

22 A la page 22 du mémoire de l'accusation on peut lire -je cite-: "Brdjanin

23 a prononcé de nombreuses déclarations publiques pour inciter les Serbes à

24 terroriser les non-Serbes, les Musulmans et les Croates et pour qu'ils

25 fuient la région. Il l'a répété à de très nombreuses reprises aux médias

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1 que seuls 2.000 Musulmans pourraient rester dans la ville. Et un témoin

2 qui a tenu un journal à l'époque pourra parler des événements de Banja

3 Luka." (Fin de citation.)

4 Donc on ne peut pas dire que les éléments de preuve que pourraient donner

5 M. Randal, qui sont des éléments de preuve par ouï-dire -puisqu'il ne

6 parle pas le serbo-croate- sont des éléments de preuve essentiels; ce sont

7 des éléments qui pourraient être obtenus par d'autres témoins. Et comment

8 se fait-il que ces éléments de preuve, soi-disant essentiels, n'aient

9 jamais été mentionnés au moment où l'on a demandé à la Chambre de

10 confirmer l'Acte d'accusation et au moment où l'affaire a commencé? C'est

11 vraiment là une question qu'il conviendra de poser à Mme Korner, à

12 laquelle il conviendra qu'elle réponde.

13 Mais pour revenir aux questions qui ont été identifiées par le Président

14 au début de cette audience, nous estimons qu'il y a au moins cinq aspects

15 de l'intérêt public, de l'intérêt du public, qui justifient la mise en

16 place d'une règle précise, d'une règle relative à la présentation

17 d'éléments de preuve par des journalistes. Nous les avons présentés comme

18 nous l'avons pu au paragraphe 18. Il est probable que l'on peut améliorer

19 la formulation d'une telle règle, mais, quelle que soit la rédaction

20 adoptée, il est important que l'on ne force des journalistes à comparaître

21 pour déposer que lorsque c'est absolument essentiel pour prouver la

22 culpabilité d'un accusé ou bien pour étayer un doute raisonnable quant à

23 la culpabilité de cet accusé.

24 S'agissant de l'application de cette règle à cette affaire, nous nous

25 trouvons devant une situation vraiment très étrange, à savoir -je le

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1 répète- que l'accusation, dans son mémoire préalable au procès, n'a

2 nullement cité ces éléments de preuve qui sont maintenant présentés comme

3 étant si importants. Et si la défense, au départ, a semblé contester

4 l'exactitude du contenu de cet article, il semble maintenant qu'elle

5 l'accepte. Et la défense souhaite simplement poser à M. Randal des

6 questions de contexte s'il venait ici.

7 Monsieur Randal n'est pas un expert, bien qu'il ait été correspondant de

8 guerre dans la région. Ses opinions relatives à la situation, en février

9 1993, peuvent se révéler intéressantes. Cependant, sur le principe, il est

10 erroné -quel que soit le point de vue que l'on adopte-, il est erroné de

11 contraindre M. Randal à déposer si tout ce qu'il a à dire se résumera à

12 une opinion personnelle, à des informations relatives au contexte qui

13 peuvent, certes, se révéler intéressantes pour la Chambre, pour la

14 défense, mais qui n'ont absolument aucun intérêt crucial.

15 Les conséquences de la non-existence d'une règle les protégeant sont au

16 détriment des correspondants de guerre, vont également au détriment de

17 leur neutralité professionnelle, risquent également de réduire la

18 possibilité, pour eux, de découvrir des crimes de guerre. Et, peut-être,

19 dans des circonstances extrêmes, la non-existence de cette règle risque de

20 compromettre leur propre sécurité. C'est pour toutes ces raisons que nous

21 demandons à la Chambre de bien vouloir confirmer cet appel. Merci.

22 M. le Président: Je vous remercie, Maître Roberston. Je vois que vous

23 aviez l'œil sur la pendule et je vous en félicite.

24 J'appelle maintenant, pour entendre les arguments des amici curiae, celui

25 d'entre vous, Monsieur, qui veut bien prendre la parole. Oui?

Page 10184

1 M. Abrams (interprétation): (Hors micro.)

2 M. le Président: Je ne vous entends pas. Je n'ai pas de traduction. Il y a

3 toujours un problème avec le canal 5.

4 Interprète: Est-ce que vous entendez l'interprétation, Monsieur le

5 Président… Ah! C'est la console qui ne fonctionnait pas.

6 M. le Président: J'ai récupéré le canal 5. Excusez-moi de vous obliger à

7 vous faire répéter.

8 M. Abrams (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur le Président et

9 Messieurs les Juges, de me donner la possibilité de m'exprimer devant vous

10 aujourd'hui. C'est un honneur dont je me souviendrai longtemps. Et je vous

11 remercie beaucoup plus encore de la possibilité que vous me donnez de

12 m'exprimer au nom de nos clients, les amici curiae. Merci de leur

13 permettre de s'exprimer devant vous dans une affaire qui ne concerne pas

14 seulement M. Randal et tous les journalistes qui, éventuellement, seraient

15 appelés à témoigner ici, devant ce Tribunal, mais qui concerne la

16 possibilité de tous les journalistes qui déposent au sujet d'événements

17 tragiques qui ont trop souvent lieu en temps de guerre.

18 Je pense que nous n'avons pas trop insisté dans notre mémoire, nous

19 n'avons pas exagéré en disant que les éléments que nous vous présentons,

20 nos conclusions émanent du groupe de journalistes le plus important que

21 l'on ait jamais vu se mettre en commun pour produire ce mémoire. Il s'agit

22 de journalistes qui viennent de cinq continents, qui parlent les deux

23 langues officielles du Tribunal, et qui viennent de cultures très variées.

24 Mais, aujourd'hui, ces journalistes se rassemblent, ne font qu'un pour

25 demander à la Chambre son aide, pour demander au Tribunal son aide. Et

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1 beaucoup de journalistes, au nom desquels je m'exprime aujourd'hui, ont

2 eux-mêmes travaillé dans ce qu'on appelle les "zones de guerre".

3 Trois des 34 organisations que nous représentons se trouvent à Belgrade;

4 il y en a une autre qui est en Croatie; il y en a huit qui sont en Europe

5 du Sud-Est, y compris en Croatie, en Bosnie et en Macédoine. On compte une

6 autre de ces organisations qui se trouve au Sri Lanka. Et toutes ces

7 régions ont été le théâtre de conflits et d'actes d'exactions, d'actes de

8 violence dans leur propre pays. Et, au cours de ces nombreux événements,

9 dans le cadre de la couverture de ces événements, beaucoup de journalistes

10 ont trouvé la mort.

11 D'autres nations représentées dans le groupe pour lequel je m'exprime

12 aujourd'hui: le Népal, l'Afrique du Sud, la Grèce, l'Australie, les Etats-

13 Unis, le Canada, et, pour l'organisation "Reporters sans frontière", nous

14 avons ici huit pays représentés. Les organisations de journalistes aux

15 noms desquelles je m'exprime aujourd'hui ont malheureusement trop souvent

16 l'occasion de recevoir la tragique nouvelle du décès d'un des leurs dans

17 le cadre de ces conflits. Et l'essentiel de ce que je vais vous dire

18 aujourd'hui, c'est de dire que c'est en dernier recours seulement qu'il

19 faut citer un journaliste à comparaître. En dernier recours.

20 Nous vous demandons d'établir un critère juridique qui détermine si,

21 véritablement, il est nécessaire de contraindre un journaliste à déposer

22 ou si ces éléments de preuve ne peuvent pas être obtenus de manière

23 différente.

24 Du point de vue juridique, on peut considérer qu'il s'agit d'une demande

25 d'immunité. On peut considérer que c'est la demande de la mise en place

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1 d'une présomption aux termes de laquelle, a priori, les journalistes ne

2 devraient pas être cités à comparaître. Mais ceci a simplement pour

3 objectif de faire en sorte que les journalistes qui s'entretiennent avec

4 des gens qui, ensuite, sont susceptibles de comparaître devant une

5 institution telle que la vôtre… faire donc que de tels journalistes ne

6 soient pas constamment contraints de déposer contre leurs propres sources,

7 de déposer contre les personnes qu'ils ont interviewées, mais que ces

8 journalistes puissent continuer à faire leur travail de journaliste du

9 mieux qu'ils le peuvent, en toute indépendance, en toute autonomie, en

10 toute objectivité, afin de faire connaître au monde ce qu'ils ont vu et ce

11 qu'ils ont appris.

12 Je voudrais dire très clairement que j'avance ici nullement l'argument

13 selon lequel les journalistes bénéficient d'une noblesse quelconque. Il y

14 a de nombreux journalistes qui ne sont peut-être pas aussi compétents

15 qu'on le souhaiterait, ça, c'est le cas de toutes les professions. Mais,

16 quoi qu'il en soit, les journalistes jouent un rôle particulier dans la

17 société et, lorsqu'ils couvrent une situation en temps de guerre, leur

18 rôle est de décrire au mieux, de façon aussi claire que possible, de façon

19 aussi indépendante que possible ce qui est en train de se produire. Or, si

20 le Tribunal devait accepter l'énonciation d'une sorte de test, de

21 "critère-seuil" -que moi-même et Me Roberston avons essayé de définir pour

22 vous-, cela ne veut nullement dire que les journalistes ne pourront pas

23 apporter leur contribution dans le cadre des crimes de guerre qui n'ont

24 pas encore été découverts. Cela ne veut pas dire que les journalistes

25 cesseront de coopérer parce qu'ils l'ont fait, ils ont coopéré avec ce

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1 Tribunal en fournissant des informations aux enquêteurs du Tribunal.

2 Mais la manière essentielle, la façon dont les journalistes présentent ces

3 informations, c'est en écrivant au sujet de ces faits, c'est en faisant

4 des reportages au sujet de ces faits, c'est en faisant leur travail de

5 journaliste. Or, si le Tribunal devait édicter les principes que nous vous

6 demandons d'adopter -et je reprends ici la deuxième question qui a été

7 définie par le Président au début de cette audience-, cela ne veut pas

8 dire que le Tribunal aurait les mains liées, que plus jamais aucun

9 journaliste ne pourrait être cité à comparaître. Cela pourrait être le cas

10 si c'était véritablement nécessaire. Ce que nous demandons c'est une

11 immunité partielle, une immunité relative qui ferait que l'on éviterait de

12 citer à comparaître un journaliste uniquement parce que, peut-être,

13 éventuellement, il pourrait avoir des informations qui, selon l'un ou

14 l'autre, pourraient éventuellement avoir une pertinence peut-être dans

15 telle ou telle affaire.

16 Je voudrais vous dire très clairement que nous comprenons bien que la

17 décision rendue par la Chambre de première instance n'est nullement

18 hostile à l'idée de la libre expression. Il est stipulé dans cette

19 décision que, sans aucune hésitation, la Chambre reconnaît le fait que les

20 journalistes ne devraient pas être cités à comparaître de façon inutile et

21 que la convocation et l'interrogatoire d'un journaliste devant les

22 tribunaux, quels qu'ils soient, doivent être réglementés d'une manière qui

23 n'entrave pas le rôle essentiel d'investigation que doivent jouer les

24 journalistes ou les médias.

25 Dans sa décision, la Chambre est allée même plus loin en reconnaissant que

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1 dans les cas où les sources confidentielles des journalistes sont

2 impliquées -je reprends les termes de la Chambre de première instance-, ce

3 serait un pas en arrière, ce serait un coup grave porté à la liberté

4 d'expression des journalistes, à la liberté des médias de voir la Chambre

5 de première instance s'en tenir à un critère inférieur à celui qui a été

6 édicté dans l'affaire Goodwin. Et la décision a fait valoir très

7 clairement, et les arguments qui la sous-tendaient l'ont montré encore

8 plus clairement, on a vu clairement que c'était l'absence, l'absence de

9 toute source confidentielle en l'espèce qui a mené la Chambre à prendre la

10 décision qu'elle a prise. La Chambre a stipulé que c'était là l'essentiel,

11 la quintessence de ce que l'on qualifiait "d'immunité relative". Elle a

12 estimé que c'était quelque chose de fondamental, les sources

13 confidentielles.

14 Or, en l'espèce, la Chambre a conclu, qu'ici, il n'y avait rien de

15 fondamental qui était mis en jeu puisque, pour reprendre les termes

16 employés par la Chambre de première instance, on avait ici un journaliste

17 qui n'a eu aucune difficulté à faire connaître au monde la déclaration de

18 Brdjanin. Et la Chambre a décidé qu'un tel journaliste ne devait pas

19 demander à bénéficier d'une immunité particulière. La Chambre a présenté

20 ses conclusions de manière très claire en disant -et je cite-: "Une fois

21 que la décision a été prise de publier les déclarations attribuées à

22 Brdjanin, sur ce qu'il avait l'intention de faire, Randal n'a pas le droit

23 d'affirmer ou de prétendre de ne pas pouvoir être interrogé sur ce qu'il a

24 publié". Et la Chambre a ajouté: "Toute cette affaire est mal interprétée

25 par Randal". J'imagine que la Chambre entendait également par les "amis de

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1 la Chambre", les "amici curiae".

2 Avec tout le respect que nous devons à la Chambre, nous ne sommes pas

3 d'accord avec ces conclusions dont je viens de vous faire un résumé. Nous

4 estimons qu'il y a effectivement, ici, quelque chose d'absolument

5 fondamental qui est en jeu: rien de moins que la possibilité pour les

6 journalistes de couvrir les événements dans les zones de guerre, la

7 possibilité pour la presse d'interviewer des gens qui, peut-être, ont

8 commis des actes révoltants qui entrent peut-être dans la compétence de ce

9 Tribunal. Si ce n'était pas le cas, si mon client n'estimait pas que

10 c'était le cas, eh bien, il n'aurait pas été à l'origine de l'élaboration

11 de notre mémoire, de nos conclusions écrites.

12 Mais quel est le problème? Pourquoi un tribunal devrait-il traiter un

13 journaliste qui interviewe une personne donnée autrement que quelqu'un

14 d'autre? Est-ce que, comme la Chambre de première instance nous l'affirme,

15 nous interprétons mal la question qui se pose à la Chambre? Parce que la

16 Chambre de première instance, comme je l'ai dit, a déclaré qu'une fois

17 qu'il avait pris la décision de publier ces informations Randal ne pouvait

18 pas se prévaloir du droit de pas être interrogé à ce sujet.

19 Or, notre position est tout à fait simple: nous estimons que les faits qui

20 sont à la disposition de la Chambre ne peuvent mener qu'à une seule

21 conclusion, à savoir que les journalistes ne seront plus en mesure de

22 continuer à servir les intérêts de leurs lecteurs, et plus important

23 encore les intérêts de la Chambre si c'est le cas; c'est-à-dire si la

24 décision est prise de contraindre tout journaliste à déposer contre une

25 personne qu'il aurait interviewée -comme c'est le cas ici.

Page 10190

1 Et l'opinion de la Chambre de première instance est des plus claires. Elle

2 n'a pas procédé à un arbitrage, quels que soient les propos ou les

3 citations que j'ai faites précédemment. La Chambre de première instance

4 n'a nullement essayé de procéder à un arbitrage. Elle a tout simplement

5 estimé qu'il n'y avait rien à arbitrer, il n'y avait aucun intérêt à

6 arbitrer, il n'y avait pas d'équilibre à faire entre un intérêt quelconque

7 et ceux du Procureur au moment de décider si le journaliste devait

8 témoigner. Puisque les informations du journaliste avaient été publiées

9 par le journaliste en question et puisque le "Washington Post" avait

10 publié ces informations, eh bien, c'en était tout. Il était inutile de se

11 poser plus de questions du point de vue de la Chambre de première

12 instance.

13 C'est pourquoi, nonobstant les conclusions de la Chambre de première

14 instance, à savoir que les journalistes qui travaillent dans les zones de

15 guerre jouent un rôle absolument essentiel pour porter à l'attention de la

16 communauté internationale l'horreur des conflits concernés, nonobstant la

17 conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle ce sont les

18 efforts et le travail courageux des journalistes en ex-Yougoslavie qui ont

19 contribué en partie à la mise en place du Tribunal, la conclusion finale

20 de la Chambre de première instance n'a pas été qu'elle devait s'efforcer

21 de ne pas s'ingérer dans ce travail d'investigation qu'elle venait de

22 porter aux nues.

23 Mais -et je pense que, là, je ne suis pas injuste dans ma lecture de la

24 décision de la Chambre de première instance- la Chambre a dit que

25 justement parce que le travail d'un journaliste peut se révéler si

Page 10191

1 important, les journalistes doivent comprendre qu'ils doivent être

2 disponibles, ils doivent être prêts à venir déposer au sujet de leur

3 travail. Voici la façon dont la Chambre l'a présenté.

4 Ce travail, le travail des journalistes, le reportage, perdrait beaucoup

5 de son importance et de sa pertinence pour le Tribunal si l'immunité

6 prétendue pour les journalistes était définie d'une telle manière qu'elle

7 dépende totalement de la discrétion ou du bon vouloir des journalistes

8 concernés.

9 Or nous pensons que la Chambre de première instance est passée à côté de

10 la question, puisque l'utilité du travail des journalistes, c'est

11 l'information du public. Les journalistes ne font pas leur travail pour

12 être d'une utilité quelconque au départ pour un tribunal en allant déposer

13 contre les personnes qu'ils interviewent. Les journalistes sont utiles

14 pour tout le monde, y compris pour le Tribunal, parce qu'ils trouvent des

15 informations et ils font part de ces informations au public.

16 Alors quel est le problème? Quelle est notre réponse à la question n°1

17 telle qu'elle a été formulée de manière si précise par le Président?

18 Le bon sens, ainsi que les affidavits qui ont été présentés, les

19 déclarations sous serment que nous avons soumises à la Chambre, le bon

20 sens nous font comprendre que les sources éventuelles ne vont pas parler

21 avec les journalistes si ces gens-là se rendent compte que… savent que les

22 journalistes, au bout du compte, vont aller comparaître et déposer devant

23 un tribunal contre eux.

24 J'engage la Chambre à se pencher sur la déclaration que nous avons soumise

25 au nom d'un de nos clients, "Radio B92", à Belgrade. C'est une station de

Page 10192

1 radio indépendante à Belgrade qui a couvert la guerre et qui a joué un

2 rôle essentiel dans les changements culturels qui ont eu lieu dans l'ère

3 post-Milosevic en Serbie.

4 Monsieur Veran Matic, le rédacteur en chef de la radio, a dit au point D,

5 à l'annexe D de notre mémoire: "Quand on travaille comme journaliste dans

6 une région où il y a tant de criminels de guerre en liberté, et lorsque

7 l'opinion publique est toujours réticente à s'interroger sur son passé, le

8 rôle des journalistes d'investigation est absolument essentiel. B92

9 s'engage pour parler des crimes de guerre et pour divulguer les atrocités

10 du passé. Il est très difficile de poursuivre dans cette direction lorsque

11 l'état d'esprit face à ce qui vient de se passer récemment et aux crimes

12 commis reste inchangé. Ce processus est encore obstrué par la réticence

13 des autorités de contribuer à faire la lumière sur ces crimes, ainsi qu'à

14 l'absence de règlement ou de règles ou de législation qui pourraient

15 contraindre le gouvernement à donner accès aux informations nécessaires,

16 aux archives de la police, etc., et à assurer la protection des

17 journalistes."

18 Monsieur Matic continue en disant: "J'estime que les journalistes

19 devraient être protégés, qu'on devrait faire en sorte qu'ils ne soient pas

20 contraints à déposer, à moins que cela ne soit complètement nécessaire à

21 l'affaire en question, car cela mettrait en péril la position de tous les

22 journalistes et de tous les médias qui enquêtent sur les crimes dans les

23 républiques de l'ex-Yougoslavie."

24 Une autre intervention, celle de M. Safire du "New York Times" qui dit la

25 chose suivante: "La raison pour laquelle il faut s'opposer à ce que les

Page 10193

1 journalistes participent systématiquement à des procès est la suivante: si

2 les dictateurs considèrent les reporters ou les journalistes comme des

3 témoins potentiels dans un procès, les tyrans, lorsqu'ils sont en

4 difficulté, se mettront à tuer ces témoins. Les journalistes courraient un

5 très grand danger –dit-il".

6 Il ne s'agit pas ici de protection des sources puisque, en l'espèce, on a

7 cité la personne qui était interviewée. Là, il y a une question

8 essentielle qui se pose, c'est une question de protection des Droits de

9 l'homme. Est-ce que les journalistes, les journalistes courageux pourront

10 avoir accès aux zones de guerre en tant qu'objectifs observateurs, non pas

11 seulement pour dire quelle est la partie qui est en train de gagner, mais

12 pour témoigner des crimes commis à l'encontre des innocents? C'est en

13 réponse à de telles requêtes, des demandes dans lesquelles les

14 journalistes sont invités à témoigner pour divulguer leurs sources, que

15 nous vous demandons de ne faire rien de plus que de veiller ou d'essayer

16 de veiller que les journalistes ne doivent pas se présenter à moins que

17 cela ne soit véritablement, réellement nécessaire. A moins que leur

18 témoignage soit nécessaire et que leur témoignage ne puisse pas être

19 obtenu ailleurs.

20 Je répète mes propos: nous ne demandons pas une immunité absolue de la

21 part de ce Tribunal, nous ne prétendons pas qu'il n'y a pas de

22 circonstances dans lesquelles un journaliste a interviewé une personne

23 -qui, par la suite, devient un accusé devant un tribunal- peut être invité

24 à témoigner quant à ce qu'il a vu. Nous demandons simplement l'application

25 d'un principe, à savoir que les journalistes -notamment lorsqu'ils

Page 10194

1 écrivent à propos de questions dont la Cour ou le Tribunal pourrait être

2 saisi- nécessitent le niveau de protection pour faire en sorte qu'ils ne

3 doivent pas systématiquement être invités à témoigner.

4 Il ne s'agit pas, comme la décision de la Chambre de première instance

5 semble le faire croire, une question abstraite, une question purement

6 théorique. Le terme "théorique" est en règle générale utilisé dans un

7 contexte péjoratif dans le domaine juridique. Il s'agit ici d'une question

8 qui a directement une incidence sur la capacité des journalistes à

9 continuer à exercer leur profession; le travail qui permet à une Chambre

10 de première instance de fonctionner et qu'elle a reconnu d'utilité

11 lorsqu'il s'agit de porter à l'intention de la communauté internationale

12 les horreurs et la réalité d'un conflit. Ceci ne peut pas se produire et

13 ne se produira pas si les journalistes sont perçus comme des témoins

14 éventuels.

15 La déclaration sous serment que nous avons présentée sous l'annexe D par

16 Elizabeth Neuffer, un journaliste du "Boston Globe" est particulièrement

17 pertinent. Elle a fait remarquer que: "Si le Tribunal devait établir un

18 précédent juridique en fonction duquel les journalistes pourraient être

19 contraints de témoigner devant un tribunal pénal à propos de sources,

20 qu'elles soient confidentielles ou non, je pense sincèrement que la

21 plupart des activités de reportage que j'ai effectuées et que je

22 continuerai de faire au sujet de crimes de guerre n'auraient pas été

23 possible." (Fin de citation.)

24 Comme je l'ai fait remarquer, le critère retenu par la Chambre de première

25 instance ne fournit pas la protection que nous sollicitons ici,

Page 10195

1 aujourd'hui, mais, en fait, ce critère n'offre aucune protection. La

2 Chambre de première instance en refusant de faire droit à la requête de M.

3 Randal aux fins de l'annulation d'une injonction à comparaître, et en

4 refusant de reconnaître une immunité relative aux journalistes, a demandé

5 un arbitrage entre la liberté d'expression et le droit de l'accusation et

6 de l'accusé d'autre part. Nous sommes parfaitement d'accord avec cette

7 idée. Dès que les informations ont été publiées, l'équation est

8 différente. Cet arbitrage délicat doit être maintenu.

9 La norme que nous proposons présente un certain nombre d'avantages. Parmi

10 ces avantages cela évite des conflits entre les journalistes et ce

11 Tribunal ou d'autres Cours pénales internationales. Je parle d'autres

12 tribunaux également parce que je pense qu'il est juste de dire que,

13 quelque soit la décision de ce Tribunal, cela aura eu des répercussions

14 sur les travaux d'autres tribunaux lorsque ces tribunaux seront amenés à

15 statuer sur des questions de droit.

16 Notre position est la suivante: dans un système où le tribunal sollicite

17 le témoignage d'un journaliste en dernier recours, le témoignage n'est

18 très souvent pas nécessaire. Il s'agit là de notre expérience sur le

19 territoire américain. J'ai donné de nombreux exemples en faisant allusion

20 à des règles qui ont été adoptées par le département américain de la

21 justice. Il s'agit plutôt de directives internes qui émanent du

22 département de la justice. Ces directives ont recueilli un soutien et ont

23 été utilisées pour éviter tout conflit entre la presse et les pouvoirs

24 publics, pour veiller à ce que, dans la plupart des cas, lorsque

25 l'accusation a cru qu'il serait utile de faire témoigner le journaliste,

Page 10196

1 il n'était pas nécessaire d'inviter un journaliste à faire une déposition.

2 Il n'est pas nécessaire de déboucher sur une situation de conflit. Il faut

3 que le Tribunal mène à bien toutes ses activités. Et ses directives, ses

4 principes directeurs servent à éviter que l'on ait systématiquement

5 recours aux injonctions à comparaître. Mais si les informations sont

6 particulièrement pertinentes, aucun avocat ne délivrera une injonction à

7 comparaître sur une base systématique. Il s'agit là d'une approche que

8 nous invitons la Chambre à bien vouloir considérer.

9 Je pense que, de la sorte, les journalistes pourront mieux exercer leur

10 profession si la Chambre de première instance reconnaît que les

11 journalistes travaillent de façon efficace. Et certains de ces efforts,

12 qui sont repris uniquement ici en guise d'exemple, ont été reproduits dans

13 les différentes déclarations sous serment dont vous avez été saisis.

14 En demandant à la partie qui demande l'injonction et en adoptant le

15 critère que nous avons exposé, on invite les journalistes simplement à

16 dire ce qu'ils ont vu, à informer le public. Et il s'agit, en règle

17 générale, des endroits sur lesquels se rendent les différents enquêteurs.

18 Nous avons de nombreux exemples dans notre document. Les journalistes

19 travaillent main dans la main avec les enquêteurs, et bien au-delà d'une

20 simple activité de reportage.

21 J'ai fait allusion à la réalité, au danger que courent les reporters de

22 guerre sur place et les préoccupations qui ont été soulevées par les

23 différents clients que je représente. Il faut veiller à maintenir et à

24 préserver leur sécurité. Madame Neuffer, dans sa déclaration sous serment,

25 a déclaré qu'il s'agissait d'une activité particulièrement dangereuse.

Page 10197

1 Elle a précisé qu'il serait particulièrement dangereux pour certains

2 journalistes s'ils étaient tenus de comparaître devant un tribunal

3 ultérieurement.

4 Nous savons qu'aucun journaliste ni qu'aucune association de journalistes

5 peut savoir si certains événements ne s'étaient pas produits. Et on sait

6 que, s'il y a prolifération des injonctions à comparaître, à ce moment-là,

7 il n'y aura plus la possibilité d'informer le grand public des événements

8 qui se déroulent sur place. Nous essayons de transmettre la réalité. Il

9 s'agit de faire appel au bon sens, à la réalité.

10 Pourquoi est-ce qu'une personne, tel que cet accusé, a choisi de parler à

11 un journaliste en sachant que les informations seraient rendues publiques,

12 sachant que les informations seraient publiées, peut-être sollicitant même

13 que ces informations soient publiées? Pourquoi parlerait-il à un

14 journaliste s'il savait qu'il ne parlait pas simplement à un journaliste,

15 qu'il ne s'adressait pas uniquement au monde par le truchement d'un

16 journaliste, mais qu'il se mettait dans une position où le journaliste

17 serait appelé à témoigner à son encontre?

18 Trois questions continuent à venir à mon esprit. Et ces trois questions

19 ont une incidence directe à la première question qui a été évoquée par le

20 Président, ce matin. Est-il envisageable qu'une personne qui pourrait

21 faire l'objet d'une poursuite au niveau de ce Tribunal, et qui donne un

22 entretien, anticipe dès à présent que le reporteur de guerre témoignera un

23 jour à son encontre devant un tribunal pénal? Est-il possible d'imaginer

24 que M. Brdjanin aurait été aussi ouvert et franc à l'endroit de M. Randal

25 s'il pensait que M. Randal aurait été amené à témoigner à son encontre

Page 10198

1 ultérieurement? N'était-il pas envisageable que les combattants, qui

2 voient les journalistes comme des témoins potentiels, commencent à les

3 voir comme des menaces soit en ne s'adressant pas à eux ou en prenant des

4 méthodes moins pacifiques pour éviter de devoir témoigner dans des

5 conditions adverses?

6 Maître Robertson et moi-même avons été exposés à de nombreuses affaires de

7 cette espèce; nous avons été amenés à citer de nombreuses jurisprudences.

8 J'invite instamment le Tribunal à ce que le privilège ou l'immunité

9 établie par le Tribunal pour ses propres employés et fonctionnaires dans

10 l'affaire Music s'appliquent également à l'affaire en cause. Il serait non

11 seulement peu désirable de contraindre un interprète qui travaille dans

12 une zone de conflit, au nom d'une ou de l'autre partie, à se prononcer sur

13 une question qui découlerait d'une telle procédure.

14 Le Tribunal a ensuite statué que cela ne devait pas être encouragé s'il

15 existait d'autres moyens de statuer à cet égard. En fait, nous demandons à

16 présent à ce que le Tribunal prenne une décision et statue sur cette

17 affaire. Il existe peut-être d'autres façons d'obtenir ces éléments. Il

18 faudrait envisager d'autres voies avant de commencer par demander à un

19 journaliste de venir témoigner.

20 En ce qui concerne l'aspect juridique lui-même, j'invite le Tribunal, en

21 ce qui concerne l'affaire Shoen contre Shoen, le tribunal des "Trois

22 circuits" avait examiné la question afin de savoir si les journalistes

23 avaient le droit de bénéficier d'une immunité certaine. Dans l'affaire

24 Shoen, il est fait allusion à une jurisprudence et il a conclu que, d'une

25 manière générale, on peut parler d'immunité relative en ce qui concerne le

Page 10199

1 respect des documents non confidentiels ou des sources non

2 confidentielles.

3 Tout à fait distincte est la question de la règle de la majorité dans une

4 compétence nationale qui, bien sûr, ne s'applique pas à ce Tribunal. En

5 fait, le Tribunal a cité ce qui suit: c'est l'obligation contrainte et

6 forcée d'informations non confidentielles qui porte atteinte à la capacité

7 de la presse à réunir, à rassembler des informations qui ont des

8 répercussions négatives sur la confiance dans les sources confidentielles

9 et la capacité, d'une façon générale, de la presse à garder le secret et à

10 convertir ou à transformer la presse dans l'esprit public comme un bras

11 armé de l'accusation. Il s'agit plutôt de leur statut indépendant qui

12 permet aux reporters d'avoir accès -sans pour autant devoir faire preuve

13 de confidentialité-, donc d'avoir accès à des réunions, à des endroits où

14 des hommes politiques ou des policiers, des gens de la police ne seraient

15 pas les bienvenus. Les journalistes pourraient ainsi être mis à l'écart

16 par des personnes qui, autrement, leur auraient transmis des informations

17 sans leur demander de respecter la confidentialité".

18 Cela étant dit, Monsieur le Président, permettez-moi de conclure. Il me

19 semble que ce Tribunal a l'occasion unique ainsi qu'une obligation… il

20 s'agit ici d'une occasion pour trancher une question pratique qui

21 permettrait non seulement d'aider le Tribunal -je ne parle pas uniquement

22 du Tribunal, mais également de mes clients… Nous vous demandons humblement

23 de bien vouloir adopter une règle modeste.

24 Je pense qu'il serait nécessaire d'envisager un règlement pratique, un

25 règlement intérieur qui permettrait d'éviter des oppositions, une règle

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1 qui permettrait à l'accusation… parce que, comme Me Robertson l'a fait

2 remarquer, nous sommes dans une situation un peu étrange puisque

3 l'accusation souhaite le versement d'un document que la défense ne

4 souhaite plus voir figurer dans le dossier. Mais nous demandons simplement

5 au Tribunal de permettre à un journaliste qui dispose d'informations… et

6 si cette information a des répercussions sur les informations en cause, à

7 ce moment-là, et pour autant que la Cour n'ait pas pu obtenir ces

8 informations ailleurs.

9 Je vous remercie, Monsieur le Président.

10 M. le Président: Je vous remercie, Maître Abrams. Nous allons suivre notre

11 programme par la pause. Nous reprendrons, si vous le voulez bien, dans 20

12 minutes, à 11 heures.

13 Les Juges, s'ils le souhaitent, poseront des questions. Sinon, nous

14 entendrons, bien sûr, les avocats de l'accusation.

15 Voilà, l'audience est suspendue.

16 (L'audience, suspendue à 10 heures 40, est reprise à 11 heures 05.)

17 M. le Président: L'audience est reprise, veuillez vous asseoir.

18 Je me tourne vers mes collègues. Nous avons donc entendu en quelque sorte

19 tous les arguments qui vont de ceux de l'appelant comme ceux des amici

20 curiae, qui vont dans la thèse d'une immunité plus ou moins forte pour les

21 journalistes et les correspondants de guerre.

22 Et donc, est-ce que, avant d'entendre les arguments de l'accusation, est-

23 ce que mes collègues ont des questions ou préfèrent entendre l'accusation?

24 Comme vous voulez.

25 Monsieur le Juge Güney.

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1 M. Güney: Merci, Monsieur le Président.

2 Pour scinder les questions qui nous préoccupent, j'ai trois questions à

3 poser et je voudrais, si possible, que Me Robertson me réponde.

4 Conformément au droit international général ainsi que les règles du droit

5 international en mode de développement progressif, est-ce que les

6 journalistes sont parmi les catégories qui sont tenues au secret

7 professionnel? Si la réponse est affirmative, est-ce que ce secret

8 professionnel est absolu ou bien est relatif ou partiel? Si c'est relatif

9 ou partiel quelles sont donc les limites? Et est-ce que le témoignage à

10 l'égard d'une personne détenue ou jugée pour crimes ou délits, lorsque la

11 personne tenue au secret détient les preuves importantes, sans que la loi

12 ou bien sans que la règle ne lui impose de concourir ainsi à l'heure de

13 justice et parmi ces limites? Voilà les trois questions, merci.

14 M. le Président: Cela s'adresse ou Me Abrams ou à Me Robertson, Monsieur

15 le Juge, je suppose?

16 M. Güney: L'un ou l'autre.

17 M. le Président: Messieurs? Donc Maître Robertson? Je vois que Maître

18 Robertson… Oui, Maître Robertson, allez-y.

19 M. Robertson (interprétation): Je vous remercie de poser cette question au

20 sujet du secret professionnel. Je souhaiterais vous renvoyer à la décision

21 de la Cour européenne des Droits de l'homme dans l'affaire Goodwin contre

22 le Royaume-Uni; onglet ou intercalaire n°10 de la liasse d'affaires que

23 nous vous avons présentée dans le cadre de la présentation de la

24 jurisprudence.

25 Je représentais en l'espèce M. Goodwin à la Cour. Monsieur Goodwin était

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1 un jeune journaliste d'affaires qui avait fait l'objet de menaces, de

2 menaces d'outrages au tribunal, devant un tribunal britannique, parce

3 qu'il avait refusé de révéler la source d'un reportage. Le tribunal avait

4 estimé que la source, la personne qui lui avait fourni ces informations

5 avait peut-être volé un document donné. Il était donc possible que la

6 personne qui lui avait fourni ces informations était un criminel.

7 Sur la base de la décision rendue par la Cour européenne des Droits de

8 l'homme, je peux vous répondre. Elle repose, sa décision, sur l'article 10

9 de la Convention européenne qui reflète l'article 19 de la déclaration

10 universelle des Droits de l'homme, qui traite de la liberté d'expression

11 en tant que principe. La Chambre a affirmé -je cite-: "Que la protection

12 des sources journalistiques était une question qui intéressait le droit

13 international, était une question de droit international."

14 Je crois donc que, pour répondre à votre première question, je répondrai à

15 l'affirmative sur la base de ce qui a été décidé par la Cour européenne

16 des Droits de l'homme, à savoir que les journalistes sont tenus de

17 respecter le secret professionnel et que les tribunaux en droit

18 international doivent également respecter ce secret professionnel. Sinon;

19 il n'y aura plus de source journalistique disponible.

20 Deuxième question: est-ce que ce secret professionnel est partiel ou

21 limité? La réponse est que ceci est limité et qu'avant d'ordonner à un

22 journaliste de révéler ses sources, le tribunal concerné doit s'assurer

23 que ceci est parce que c'est absolument nécessaire et non pas parce que

24 cela peut se révéler utile. Il faut que la chose soit absolument

25 essentielle, serve l'intérêt de la justice, que ce soit crucial,

Page 10203

1 essentiel. Soit pour prouver la culpabilité d'un accusé dans une affaire

2 au pénal, soit pour montrer qu'il existe un doute raisonnable s'agissant

3 de l'accusé.

4 J'essaie de parcourir la décision Goodwin pour retrouver ce principe… je

5 ne sais pas s'il y a vraiment une expression particulière. En tout cas, au

6 paragraphe… c'est au paragraphe 35 que je vous renverrai et que l'on

7 énonce le principe… non, plutôt paragraphe 46, paragraphe dans la décision

8 Goodwin, où il est stipulé qu'il faut qu'il y ait un degré de

9 proportionnalité raisonnable entre l'objectif recherché par l'ordonnance

10 aux fins de divulgation et les moyens obtenus pour atteindre cet objectif.

11 Et comme dans le cas d'espèce il n'y avait pas proportionnalité, les

12 restrictions qui avaient été exercées sur la personne concernée n'étaient

13 pas acceptables dans le cadre de la protection des droits de la personne

14 concernée.

15 (Les interprètes signalent qu'ils ne disposent pas du texte.)

16 Et au paragraphe 39 qui parle de la protection des sources

17 journalistiques, à la deuxième phrase de l'article du paragraphe 39, on

18 trouve que: "C'est là une des conditions essentielles, puisque l'absence

19 d'une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques

20 d'aider la presse à informer le public sur des questions générales. En

21 conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle

22 indispensable de chien de garde. Et son aptitude à fournir des

23 informations précises et fiables pourrait s'en trouver amoindrie.

24 Eu égard à l'importance que revêt la protection des sources

25 journalistiques pour la liberté de la presse dans une société démocratique

Page 10204

1 et à l'effet négatif sur l'exercice de cette liberté que risque de

2 produire une ordonnance de divulgation, pareille mesure ne saurait se

3 concilier avec l'article 10." (Fin de citation.)

4 Donc, pour résumer, il y a une règle au niveau international qui protège

5 le secret professionnel.

6 Deuxième réponse: ce n'est pas absolu, mais les journalistes ne se verront

7 contraints de révéler leurs sources que lorsque les informations dont ils

8 disposent sont essentielles pour garantir l'intérêt de la justice et

9 lorsque ces informations peuvent permettre de prouver la culpabilité ou

10 l'innocence d'un accusé.

11 Mais je voudrais vous rappeler, qu'ici, nous ne parlons pas de sources

12 confidentielles. Mon argument, quant à moi, c'est que la règle qui protège

13 le secret professionnel des journalistes n'est pas une règle en tant que

14 telle, n'est pas une règle édictée. Mais l'on voit dans le paragraphe que

15 je viens de citer que cela découle de la liberté générale de s'exprimer,

16 du droit d'expression. Et la source en l'occurrence de M. Randal n'est pas

17 protégée puisqu'on sait qui est cette source, on sait qui lui a donné ces

18 informations.

19 Mais la pertinence de la protection des sources journalistiques est la

20 suivante: c'est-à-dire que si un journaliste doit être cité à la barre et

21 fait l'objet d'un contre-interrogatoire, il est possible que celui qui le

22 contre-interroge le cuisine, essaye d'obtenir ses calepins, arrive à se

23 procurer le nom d'autres sources. Donc, là, cela constitue une menace

24 indirecte pour les sources du correspondant de guerre, le simple fait,

25 donc, qu'il soit à la barre et qu'il soit contre-interrogé par quelqu'un

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1 qui peut lui poser toutes sortes de questions, et qui pourra obtenir des

2 informations qu'il sera susceptible ensuite de communiquer à son client au

3 sujet des sources dont le journaliste disposait à l'époque.

4 Donc bien que cette question de source ne soit pas véritablement au cœur

5 de l'affaire Randal, c'est quelque chose dont nous estimons que la Chambre

6 devrait tenir compte en mettant en place la règle que nous lui demandons

7 de mettre.

8 M. le Président: (Inaudible)… ensuite le Juge Meron, le Juge Gunawardana

9 et ensuite le Juge Shahabudden.

10 M. Gunawardana (interprétation): J'ai une question à l'adresse de Me

11 Robertson: même si nous acceptons d'édicter la règle telle que vous nous

12 la proposez, est-ce que vous souhaiteriez que la Chambre prenne une

13 décision au sujet du journaliste, M. Randal, pour savoir s'il doit être

14 protégé par une telle règle? Parce que, si vous examinez le problème dans

15 la perspective de la pertinence et de l'admissibilité, les éléments de

16 preuve qui sont contestés ici ont trait aux observations qui ont été

17 faites par M. Randal au sujet du comportement, de la conduite du témoin.

18 Et ce comportement est pertinent s'agissant de l'intention délictueuse de

19 l'accusé au regard des crimes qui lui sont reprochés.

20 Dans ce contexte, la règle que vous préconisez, que vous nous recommandez

21 d'adopter, est-ce qu'elle protégerait M. Randal? Est-ce qu'elle

22 s'appliquerait à lui?

23 M. Robertson (interprétation): Je répondrai catégoriquement par "oui". La

24 règle, la disposition que je préconise, c'est une première étape au terme

25 de laquelle la Chambre doit se convaincre que les éléments de preuve

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1 envisagés sont essentiels, ce qui est essentiel dans l'article ou la

2 déclaration de M. Randal.

3 Il est indéniable -cela n'est remis en question par personne- que cela

4 reflète de façon exacte ce qui s'est passé. Tout ce que peut relater M.

5 Randal -qui ne parle pas un mot de serbo-croate et qui ignore donc ce qui

6 s'est passé entre l'interprète X, l'autre correspondant de guerre et

7 l'accusé Brdjanin-, tout ce qu'il peut dire à ce sujet, c'est nous parler

8 du comportement de M. Brdjanin pendant l'interview.

9 Est-ce que M. Brdjanin était jovial, est-ce qu'il était furieux, est-ce

10 qu'il transpirait de tous ses pores ou est-ce qu'il était mélancolique ou

11 est-ce qu'il semblait… parce que l'expression faciale, comme l'a dit

12 Shakespeare, ne peut pas forcément permettre de deviner ce qui se cache à

13 l'intérieur du cœur de la personne concernée, n'est pas toujours quelque

14 chose sur lequel on peut s'appuyer pour arriver à des conclusions exactes.

15 Donc tout ceci est d'une pertinence marginale.

16 Le critère que nous vous demandons d'appliquer, c'est que les éléments de

17 preuve soient absolument cruciaux. Or, déposer, donner des informations au

18 sujet du comportement de la personne, c'est là des éléments qui ne sont

19 pas … qui peuvent faire l'objet de mauvaises interprétations, qui n'ont

20 pas une importance cruciale. Donc si l'on décide d'appliquer ce critère, à

21 savoir que les éléments de preuve doivent être essentiels, eh bien, ce

22 critère n'est pas rempli.

23 Donc, oui, nous voudrions que la Chambre décide que M. Randal est protégé

24 par cette disposition, par cette règle. Pourquoi? Parce que les

25 informations que l'on attend de lui au sujet du comportement, de

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1 l'attitude de M. Brdjanin sont véritablement d'une importance très

2 minimes.

3 D'autre part, nous avançons que ces éléments de preuve, on peut également

4 les obtenir de la part du Témoin X en le convoquant, puisque "X", c'est

5 celui qui a parlé avec l'accusé. "X" qui, d'ailleurs, je le signale, a été

6 contacté par l'accusation et qui refuse de déposer. Donc il serait bien

7 mieux de le citer, lui.

8 Je pense, cependant, qu'interroger notre client au sujet du comportement

9 de l'accusé, cela n'aurait finalement que peu d'intérêt. C'est peut-être

10 pertinent mais pas très important.

11 M. le Président: Juge Meron?

12 M. Meron (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

13 Les conseils qui sont intervenus l'ont dit, nous sommes ici face à une

14 affaire extrêmement importante en appel.

15 J'aurais une question à poser en premier lieu à Me Robertson et ensuite à

16 Me Abrams. Mais je souhaiterais dire en préambule que, dans le cadre de

17 cet appel, il convient que nous fassions l'arbitrage et que nous trouvions

18 l'équilibre qui doit opposer deux intérêts fondamentaux.

19 D'une part, nous avons la capacité des journalistes à faire leur travail,

20 leur travail essentiel d'investigation indépendante et énergique. C'est un

21 rôle qui est absolument essentiel et qui permet de divulguer des crimes

22 très graves à la communauté internationale.

23 De l'autre côté, il faut mettre en balance la capacité des tribunaux

24 internationaux à réunir des éléments de preuve pour arriver à des

25 jugements équitables et justes, et ce qui découle de l'obligation des

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1 individus de dire ce qu'ils savent.

2 Je me tourne maintenant vers Me Robertson. Je dois aussi dire que nous

3 comprenons bien que vous essayez d'aider le Tribunal en essayant de

4 déterminer exactement la manière dont on doit aborder cet arbitrage, cet

5 exercice d'équilibre.

6 Maître Robertson, vous nous proposez un critère, il est contenu dans vos

7 conclusions écrites. Or ces critères, cette règle me paraît très, très

8 restrictive. Il y a cinq conditions qui doivent être respectées avant que

9 l'on ne puisse décerner une injonction à comparaître. C'est là une norme

10 qui se rapproche beaucoup d'une immunité absolue. Ce matin, vous avez

11 mentionné les directives internes qui s'appliquent au sein du ministère de

12 la Justice américaine. Je dois dire que dans l'immunité que vous

13 définissez en cinq points, en cinq conditions, tout cela va bien au-delà

14 de toute immunité reconnue aux Etats-Unis, que ce soit au niveau même de

15 la jurisprudence fédérale ou ailleurs.

16 Mais je viens de remarquer qu'en répondant à la question de mon éminent

17 confrère, M. le Juge Güney, ainsi que la question de M. le Juge

18 Gunawardana, vous semblez avoir quelque peu modifié votre point de vue au

19 sujet de ces cinq points, de ces cinq conditions. Vous semblez vous

20 rapprocher quelque peu du point de vue qui a été présenté par le conseil

21 qui représente les amici, Me Abrams. Alors où en sommes-nous finalement?

22 M. Robertson (interprétation): En premier lieu, je dois vous dire que nous

23 comprenons bien qu'il n'y a pas de critère équivalent aux Etats-Unis car,

24 toute rhétorique mise à part, eh bien, il n'y a pas eu de guerre aux

25 Etats-Unis depuis bien longtemps. Depuis les années 1860, il n'y a pas eu

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1 de guerre que des journalistes étaient susceptibles de couvrir. En

2 l'occurrence, donc la situation aux Etats-Unis -et s'agissant du droit

3 américain- n'a pas eu à faire face à une situation telle que l'on a connue

4 au Rwanda, en ex-Yougoslavie. Dieu merci! Et ces règles, les règles dont

5 nous parlons et qui s'appliquent aux journalistes aux Etats-Unis, elles

6 ont été mises au point dans le cadre de la couverture de crimes de droit

7 commun, parfois d'actes de terrorisme, comme on le sait. Et il en va de

8 même en Grande Bretagne.

9 C'est la première fois que ce Tribunal se penche sur le cas des

10 correspondants de guerre. Et comme vous l'avez dit, nous invitons la

11 Chambre, au Tribunal, à édicter une règle nouvelle pour les journalistes,

12 les correspondants de guerre qui, tous les jours, doivent faire face à la

13 possibilité de recevoir une balle perdue ou non, à être kidnappés, etc.

14 Voici donc une situation très différente par rapport à celle des

15 journalistes dans leurs pays d'origine. C'est pourquoi ce qui s'applique

16 au niveau national ne correspond pas tout à fait à la situation du

17 journaliste au niveau international.

18 Le critère dont j'ai donné lecture à la Chambre ce matin, c'est une

19 suggestion, on peut l'améliorer, la formulation peut être améliorée, et il

20 conviendra que la Chambre prenne une décision.

21 En premier lieu, nous disons qu'il faut que les éléments de preuve que

22 l'on attend du journaliste soient absolument essentiels. Maître Abrams

23 utilise le terme "d'absolument essentiels", nous parlons d'importance

24 cruciale. Peu importe! Nous allons un peu plus loin. Il va falloir que la

25 Chambre décide où il convient de placer la limite.

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1 Mais, quoi qu'il en soit, nous disons que si les éléments de preuve sont

2 cruciaux, qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire qu'ils sont

3 essentiels pour que la Chambre puisse rendre correctement la justice. Je

4 crois que c'est là l'idée qui sous-tend ces deux formules quelque peu

5 différentes.

6 En d'autres termes, la Chambre doit se poser la question suivante, doit se

7 demander si le fait de ne pas disposer de ces éléments de preuve pourrait

8 l'entraîner à prendre des conclusions erronées et si l'on peut dire qu'il

9 y aurait injustice, déni de justice si l'on n'entendait pas ces éléments

10 de preuve; injustice, préjudice envers l'accusation ou envers la défense.

11 Voici à peu près la logique dans laquelle nous nous plaçons.

12 Nous reconnaissons tous que le point B, c'est un point que l'on retrouve

13 dans la législation britannique pour empêcher qu'il n'y ait saisie des

14 documents appartenant à un journaliste; c'est-à-dire que si les documents

15 ne peuvent être obtenus par un autre moyen, si l'on ne peut obtenir les

16 éléments de preuve par un autre moyen, on n'a pas besoin d'aller saisir

17 les cassettes ou les calepins d'un journaliste. Cela relève du bon sens.

18 Le point C -toujours paragraphe 18, page 9-, le point C, c'est quelque

19 chose d'un peu différent. Cela a trait à la confidentialité. Donc on

20 pourrait supprimer "C" puisque, en l'espèce, nous ne traitons pas ici de

21 confidentialité. Cela relève d'une autre règle, d'une autre disposition.

22 D: le fait que le journaliste, ou sa famille, ne soit pas exposé à un

23 danger auquel il peut raisonnablement s'attendre. On peut envisager des

24 cas de figure -et c'est peut-être le cas de X-, on peut envisager des cas

25 de figure où un journaliste vous dira: "Si je comparais dans ce prétoire,

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1 même en bénéficiant de mesures de protection, je risque ma vie ou celle de

2 ma famille qui vit dans telle ou telle région où elle sera susceptible de

3 représailles".

4 Donc, là, une situation bien particulière et qui serait sans doute un

5 facteur dans la décision de l'accusation s'agissant de n'importe quel

6 témoin, que ce soit un journaliste, un interprète ou un citoyen lambda.

7 Et point E: que la décision ne constituera pas un précédent compromettant

8 inutilement l'efficacité et la sécurité d'autres journalistes travaillant

9 dans des zones de conflit, à l'avenir.

10 Je crois que l'on peut considérer cela comme un rappel de l'intérêt public

11 qui justifie cette règle en premier lieu; c'est-à-dire que ce que nous

12 essayons d'obtenir par le biais de ce point E, c'est de rappeler à la

13 Chambre qui tranche que c'est l'intérêt public qui justifie cette règle de

14 procédure. Nous souhaitons éviter les décisions qui remettent en question

15 la sécurité ou l'efficacité des journalistes dans les zones de conflit.

16 C'est toute la raison de cette règle que nous proposons. Et, en l'espèce,

17 si vous lisez le compte rendu d'audience du 21 janvier, on peut constater

18 que les Juges avaient complètement oublié cette dimension de l'affaire et,

19 de cette manière, en inscrivant ceci dans la règle que nous proposons,

20 nous rappelons à la Chambre la raison essentielle qui sous-tend toute

21 cette règle.

22 Avec tout le respect que je vous dois, je ne pense pas qu'il s'agisse ici

23 d'immunité absolue ou de conditions très restrictives. Je reconnais qu'on

24 pourrait présenter les choses de manière différente. Mais, avec le respect

25 que nous devons à la Chambre, nous estimons qu'il est nécessaire qu'il y

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1 ait une règle relative à la présentation des éléments de preuve ayant

2 trait aux journalistes et à la possibilité pour eux d'être contraints de

3 déposer. Il vaut mieux qu'une telle règle existe plutôt que de laisser la

4 liberté à la Chambre la possibilité de décider au cas par cas.

5 M. Meron (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Si vous me le

6 permettez, j'ai une question aux amici.

7 Le critère que vous proposez, Maître Abrams, semble se rapporter beaucoup

8 plus à l'importance du témoignage pressenti pour l'affaire et à

9 l'impossibilité d'obtenir les informations par d'autres moyens. Ai-je

10 raison en pensant que le test que vous nous proposez, le critère que vous

11 nous proposez, donnerait plus de marge de manœuvre à la Chambre pour

12 obtenir des éléments de preuve qui peuvent être essentiels dans le cadre

13 de l'obligation qui est celle du Tribunal de rechercher la vérité sur les

14 faits?

15 Et je me demande si cela aurait un impact sur le processus d'évaluation

16 des éléments de preuve. Est-ce que cela aurait un impact sur la

17 possibilité de l'accusé de contester les éléments de preuve qui sont

18 présentés à son encontre?

19 M. Abrams (interprétation): Messieurs les Juges, je ne crois pas que la

20 structure des critères que je propose soit très différente des deux

21 premiers éléments envisagés dans la règle de Me Robertson. Il y a un

22 aspect plus particulièrement qui a été soulevé par l'Attorney général aux

23 Etats-Unis d'Amérique, qui est particulièrement puissant. Et, d'après eux,

24 ils donnent un exemple, ils énoncent un concept plus grand et ils disent

25 ce qui suit: "Dans les cas relevant du pénal, compte tenu des informations

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1 obtenues par des voies qui ne sont pas liées à la presse, et pour autant

2 que l'information soit déterminante pour la conclusion de l'affaire,

3 notamment pour établir la culpabilité ou l'innocence." C'est surtout la

4 dernière partie de cette phrase qui doit prévaloir et qui a une force

5 exécutoire. De nombreux éléments de preuve sont pertinents à plus d'un

6 titre. De nombreux documents permettraient d'en obtenir d'autres encore.

7 Mais rares sont les éléments de preuve qui relèvent de la catégorie qui

8 permette directement de déterminer la culpabilité ou l'innocence.

9 Concernant votre deuxième question, Monsieur le Juge, en ce qui concerne

10 la différence d'application de la règle à un accusé, je pense, pour ma

11 part, que le libellé dont je viens de donner lecture au Tribunal pourrait

12 bénéficier aux accusés dans certains cas parce que, dans certaines

13 circonstances, on pourrait jouer avec l'acception à donner au terme;

14 c'est-à-dire que l'on pourrait définir autrement le même concept selon

15 qu'on se situe du côté de l'accusation ou de la défense.

16 Si des documents permettraient de ne pas apporter la preuve ou de montrer

17 qu'il n'y a pas de relation avec la culpabilité de l'accusé, ceci relève

18 directement de quelque chose qui est fondamental, décisif, et je pense que

19 de nombreuses catégories d'éléments de preuve pourraient tomber dans cette

20 catégorie.

21 M. Meron (interprétation): Je vous remercie.

22 M. Shahabuddeen (interprétation): Je partage la position du Juge Meron. Il

23 s'agit d'une question fondamentale, et je me tiens à me faire l'écho des

24 propos qu'il a tenus pour vous remercier de l'assistance que vous avez

25 apportée à la Chambre d'appel.

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1 Maître Abrams, j'aimerais à présent revenir sur une question que vous avez

2 déjà abordée. Il s'agit de la question du caractère essentiel.

3 Prenons pour postulat que vous ayez raison. Il semblerait alors qu'il y

4 ait une contradiction, voire un conflit avec le fait que la Chambre de

5 première instance a parlé de pertinence, de caractère pertinent. Est-ce

6 que la Chambre d'appel serait confrontée à un problème de compréhension?

7 Qu'est-ce que la Chambre de première instance a voulu dire lorsqu'elle a

8 utilisé le terme de "pertinence"? Est-ce que la Chambre d'appel est

9 habilitée à interpréter ce terme à la lumière d'une pensée, d'une opinion

10 qui a été avancée par l'accusation? A savoir que les éléments de preuve,

11 s'ils se révèlent véridiques, constituent un aveu de la part de l'accusé

12 quant au chef d'accusation qui est retenu contre lui et qui figure dans

13 l'Acte d'accusation.

14 D'un point de vue purement objectif, est-ce que ces éléments de preuve

15 seraient très pertinents? Si les éléments de preuve en cause sont tout à

16 fait pertinents par rapport au chef d'accusation, est-ce que la Chambre

17 d'appel devrait interpréter la référence faite par la Chambre de première

18 instance comme étant un élément de preuve pertinent? Et si cet élément est

19 pertinent, s'il est véridique, il y a, à ce moment-là, un aveu direct et

20 il s'agit d'un élément qui est non seulement pertinent, mais tout à fait

21 pertinent en l'espèce.

22 M. Abrams (interprétation): Ma réponse constituera… est double.

23 M. Shahabuddeen (interprétation): Il s'agit là de ma question, que ne

24 partagent peut-être pas les autres Juges.

25 M. Abrams (interprétation): Je vais donc répondre à cette question. D'un

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1 point de vue purement factuel, les Juges de la Chambre de première

2 instance ont précisé leur position en ce qui concerne les éléments dont

3 ils étaient saisis et les critères qu'ils avaient reçus.

4 Il y avait notamment une citation de Me Ackerman, le conseil de la

5 défense, où il parle de cette question: "Je ne sais pas si cela pourrait

6 servir ou si c'est important qu'il vienne déposer".

7 Et la réponse a été: "Cela pourrait être utile. Le témoignage pourrait

8 être utile.

9 -Me Ackerman: Probablement.

10 -Le Juge: Non. Il s'agit de déterminer si cela est essentiel ou s'il

11 s'agit d'une autre question."

12 Et il y a d'autres citations qui s'inscrivent dans le même sillage.

13 A présent, si nous donnons lecture de ces interventions entre le Juge et

14 Me Ackerman, et si l'on revient au concept de pertinence, qu'en est-il de

15 l'application en l'espèce? S'il y avait une situation et après avoir lu

16 l'article de M. Randal, vous concluez -comme le fait remarquer

17 l'accusation dans son mémoire- qu'il s'agit là d'un aveu. A ce moment-là,

18 vous pourriez vous trouver dans une situation où il est question de

19 caractère essentiel. L'article lui-même est couché en des termes qui ont

20 été prononcés par l'accusé qui, à l'époque, ne l'était pas, qui a

21 simplement dit qu'il avait mis en cause, qu'il devrait y avoir… qu'il

22 plaide en faveur d'une simplification, qu'il faudrait envisager un exode

23 pacifique et qu'il voulait élaborer des lois permettant d'expulser la

24 population non serbe de logements d'Etat. Il ne s'agit pas là d'un aveu.

25 Peut-être qu'effectivement cela explicite quelque peu son état d'esprit,

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1 mais on ne peut pas comparer cela au matériel, au document qui a été

2 présenté par Me Robertson qui reprend des citations de l'accusé qui

3 seraient peut-être essentielles pour prouver sa culpabilité en l'espèce et

4 qui ne nécessitent pas un témoignage direct.

5 En bref, si vous concluez que l'article en question est un aveu, est un

6 aveu réel, à ce moment-là on se rapproche de ce que l'on pourrait

7 qualifier de caractère essentiel. D'après la lecture que j'en fais, pour

8 ma part, ceci n'est pas plausible et j'invite les Juges à prendre une

9 décision à cet égard. Mais si je ne me trompe pas et si le seul élément

10 pertinent est que cela pourrait avoir une relation quant à l'état d'esprit

11 de l'accusé des mois plus tard, il ne s'agit pas d'un aveu comme quoi il

12 aurait procédé à un crime, comme quoi il aurait procédé à des opérations

13 de nettoyage, mais cela pourrait peut-être expliquer son état d'esprit.

14 Mais, quel que soit le sens que souhaitait donner la Chambre de première

15 instance quant à ce caractère essentiel, ceci ne se rapproche pas du

16 niveau de pertinence qui permettrait de citer M. Randal.

17 M. Shahabudden (interprétation): Maître Abrams, suite à votre

18 intervention, les questions que j'ai posées ne doivent pas être comprises

19 comme une expression d'une opinion préalablement arrêtée par moi-même. Je

20 pourrais changer d'état d'esprit ou d'idée demain. Je voudrais à présent

21 poser une question à Me Robertson.

22 Vous avez parlé de disponibilités, à savoir que le Tribunal ne devrait pas

23 enjoindre un journaliste à venir faire une déposition à moins que le

24 témoignage puisse être obtenu par une autre source. Est-ce que vous faites

25 une distinction en ce qui concerne l'accès ou non à des sources et

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1 l'application même, la mise en œuvre de ce critère? Est-ce que vous pensez

2 que la Chambre de première instance devrait examiner cette situation et,

3 compte tenu des faits en l'espèce, nous n'allons pas demander la mise en

4 œuvre du principe de non accès, de non disponibilité?

5 M. Robertson (interprétation): Je pense que la deuxième partie de votre

6 question mérite d'être examinée dans un contexte réaliste. La mise en

7 œuvre de ce principe par le Tribunal doit être fondée sur le bon sens.

8 Ainsi, en guise d'exemple, il se pourrait que cet élément de preuve puisse

9 être obtenu par une autre personne. Dans une situation où il y aurait un

10 témoin oculaire, il y aurait une autre personne qui aurait vu les faits.

11 Ceci permettrait de citer ces éléments. Il se pourrait, comme dans le cas

12 en l'espèce, que les éléments de preuve de M. Brdjanin disant que la

13 population non serbe doit être expulsée -il s'agit là d'une situation sur

14 laquelle l'accusation se repose-, donc la population non serbe ne devrait

15 pas être exécutée, mais qu'il fallait s'en débarrasser.

16 Il ne s'agit pas là d'une citation qui reprend fidèlement tous les propos

17 qui ont été prononcés. Il n'était pas question de chiffres exacts, il

18 s'agissait là de propos qui ont été tenus lorsqu'il était question de

19 l'entreprise criminelle conjointe. Mais on aurait pu obtenir ces éléments

20 d'information de la part d'une autre source.

21 Il rajoute également que l'Etat fait trop attention aux Droits de l'homme,

22 mais peut-être qu'il ne s'agissait pas là d'une mauvaise intention de sa

23 part. Il ne fait aucun doute que la Chambre de première instance doit

24 statuer en l'espèce. Je ne dis pas qu'il faut trouver les mêmes propos,

25 mais il faut trouver des éléments similaires. Et ces éléments pourraient

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1 être obtenus de la part d'une source qui ne soit pas reliée aux

2 journalistes. Il s'agit là d'une condition à mes yeux. Nous ne savons pas

3 qui d'autre était présent à cet entretien. Peut-être qu'il y avait des

4 opérateurs de caméra, mais il s'agit là d'une question qui relève de la

5 compétence du Bureau du Procureur.

6 J'espère avoir répondu à votre question en disant qu'il fallait avoir une

7 certaine latitude, qu'il fallait se reposer sur un principe de bon sens,

8 et qu'il s'agissait peut-être de revenir sur la formulation de l'alinéa B

9 du paragraphe 2.

10 M. Shahabuddeen (interprétation): J'aimerais vous poser une dernière

11 question. Je pense, Maître Robertson, qu'il vous incombe d'y répondre.

12 J'ai cru comprendre que vous aviez fait allusion au concept de

13 "tarissement des sources d'information". Il faut essayer de parvenir à un

14 équilibre et dire que les éléments de preuve ne peuvent pas être minimes

15 ou réduits au minimum. Je me demande dans quelle mesure on ne s'écarte

16 pas, là, de l'argument.

17 Sommes-nous, ici, confrontés à un problème? Est-ce que, en adoptant une

18 approche plus limitative, on arriverait par la suite à mieux cerner la

19 totalité du problème? Si un interviewé sait que, même dans des cas

20 limites, il pourrait être appelé et cité à comparaître, est-ce que cela ne

21 suffit pas pour dire que, dans toutes les circonstances, il hésiterait à

22 s'adresser à un journaliste?

23 En d'autres termes, si l'on essaie de limiter l'affaire ou de limiter la

24 question, est-ce que l'on ne parvient pas à l'effet contraire, c'est-à-

25 dire que l'on dissuaderait d'autres personnes de participer à des

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1 entretiens avec des journalistes?

2 M. Robertson (interprétation): Une partie de votre question mérite d'être

3 examinée de façon plus approfondie. Je pense que Brdjanin ne se serait pas

4 adressé à un journaliste en 1997, voire 1998, parce que, à ce moment-là,

5 le Tribunal avait déjà commencé à fonctionner. Et il aurait su, à ce

6 moment-là, qu'un jour, il aurait pu faire l'objet d'une comparution. Mais

7 il est, certes, vrai qu'il existe des cas où des hommes politiques ont

8 fait l'objet d'une injonction à comparaître, ont été exposés à ce moment-

9 là aux médias ne sachant pas qu'ils feraient par la suite l'objet d'un

10 acte d'accusation.

11 Toutefois, si le journaliste sait qu'il peut bénéficier d'une règle qui le

12 protège aux yeux du Tribunal, à ce moment-là, et si ce journaliste peut

13 par la suite être cité à comparaître de façon régulière, la perspective…

14 si l'on constate que les journalistes systématiquement vont être convoqués

15 par le Tribunal, à ce moment-là, il sera beaucoup plus difficile à ces

16 journalistes d'obtenir ultérieurement des interviews auprès de dirigeants

17 politiques qui seront éventuellement poursuivis plus tard.

18 Bien entendu, ces dirigeants peuvent trouver une valeur de propagande à ce

19 type d'entretien et ils peuvent, parfois, faire preuve de beaucoup

20 d'habileté. Mais une des conséquences plus graves, c'est qu'ils peuvent

21 refuser aux journalistes de se rendre sur certains terrains de guerre, sur

22 certains théâtres d'opérations, ce qui entraînerait un tarissement des

23 sources journalistiques. Et cela est très favorable aux personnes qui,

24 éventuellement, pourraient être poursuivies.

25 Je pense que le premier aspect de votre question au sujet de la concession

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1 faite au secret professionnel n'est pas absolu; on le voit dans l'affaire

2 Goodwin.

3 Ma première réponse, c'est que, ici, nous n'avons pas une affaire où l'on

4 traite du secret professionnel. Pourquoi? Parce que les cas de figure où

5 la Chambre peut passer outre le secret professionnel, c'est lorsqu'il n'y

6 a pas d'inégalité.

7 Un exemple ou plutôt, deux exemples. Le journaliste reçoit les aveux,

8 mettons aux Etats-Unis, d'un tueur en série. Au même moment quelqu'un a

9 été condamné pour les mêmes faits et au moins sur le point d'être exécuté.

10 Est-ce que, à ce moment-là, le journaliste est tenu de respecter le secret

11 professionnel? A ce moment-là, la Chambre pourrait ordonner une nouvelle

12 audience avant l'exécution et on convoquerait le journaliste pour déposer

13 pour la défense qui dirait, à ce moment-là, que quelqu'un d'autre lui

14 avait confessé ce crime. La situation serait alors très claire. Il n'y

15 aurait pas à se plier au secret professionnel car un innocent allait

16 passer à la chambre à gaz. A ce moment-là, il est clair que l'ordonnance

17 de la Chambre pourrait passer outre l'obligation de respecter le secret

18 professionnel.

19 Mais nous pouvons avoir un autre cas où un journaliste a reçu de fausses

20 informations de la part d'une source criminelle qui les avait publiées, et

21 cela avait entraîné une très forte augmentation de l'action de

22 l'entreprise en question. Si bien que la source qui avait… la personne qui

23 avait communiqué ces informations fausses au journaliste en avait tiré un

24 bénéfice pécuniaire. Ça, c'est une autre situation où on pourrait dire

25 que, sur le principe, le secret professionnel devrait céder le pas devant

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1 l'obligation à comparaître.

2 Cette concession, donc, face au secret professionnel n'est donc pas

3 absolue. Et dans certains cas, un tribunal peut ordonner à des

4 journalistes de révéler leurs sources. Cependant, je ne pense pas que cela

5 doive nous éloigner de la situation des correspondants de guerre.

6 Lorsqu'elle utilise des mesures coercitives contre les correspondants de

7 guerre, avant de délivrer une injonction à comparaître, la Chambre doit

8 s'assurer que les critères stipulés au paragraphe 18 sont respectés.

9 M. Shahabuddeen (interprétation): Messieurs, je vous remercie de vos

10 réponses fort utiles.

11 M. le Président: Bien. Ecoutez, moi-même, je réserverai éventuellement des

12 questions pour un autre moment. Je voudrais que le Procureur puisse

13 s'exprimer, puisque nous avons entendu longuement les amici curiae ou les

14 avocats plaidant pour la requête de M. Randal.

15 Je me tourne donc vers le banc du Procureur. Je ne sais pas si Madame

16 Korner...

17 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

18 pourrai-je revenir -avec une certaine hésitation, vu les questions qui ont

19 été posées et l'importance sur laquelle deux des Juges de la Chambre ont

20 insisté, l'importance de cet appel-, je voudrais donc revenir à la

21 question qui sous-tend cette affaire en appel. La question est la

22 suivante: c'est de savoir si la Chambre de première instance, qui juge les

23 faits et qui entend les éléments de preuve présentés en l'espèce, a commis

24 une erreur de droit ou a commis une erreur de faits lorsqu'elle a décerné

25 une injonction à comparaître à l'intention d'une personne qui a fait une

Page 10222

1 déclaration de témoin au Bureau du Procureur en acceptant de déposer, mais

2 qui a ultérieurement changé d'avis?

3 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vu certaines des hyperboles et

4 la manière déformée dont le contexte de cette affaire a été présenté par

5 Me Robertson, je pense que, dans ces conditions, il faut que je revienne à

6 l'origine de toutes ces affaires.

7 Maître Robertson qualifie tout cela d'insouciant, il dit que l'insouciance

8 a prévalu. Or nous avançons, quant à nous, que cela est bien éloigné de la

9 réalité des événements qui ont eu lieu au sein de la Chambre de première

10 instance.

11 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, cette question a été soulevée;

12 pourquoi? Parce que l'accusation souhaitait verser au dossier l'article

13 qui était paru dans le "Washington Post" sans avoir à citer à la barre le

14 témoin. Il est exact de préciser et de signaler qu'un grand nombre

15 d'autres articles relatifs à des interviews données par l'accusé, Radislav

16 Brdjanin, un grand nombre de ces interviews ont déjà été versées au

17 dossier sans aucune objection présentée et sans qu'il soit nécessaire de

18 citer à la barre le témoin concerné.

19 C'est peut-être un signe de l'importance des propos qui sont attribués à

20 M. Brdjanin dans cet article de voir que la défense a dit très clairement

21 qu'elle souhaitait que le témoin qui avait écrit cet article soit cité à

22 la barre. L'une des difficultés présentées par les critères qui sont

23 présentés au nom de l'appelant et des amici curiae, c'est que cela

24 nécessiterait de la part de ces personnes et de la Chambre d'appel de

25 faire une enquête sur la chose sans avoir une idée précise des éléments de

Page 10223

1 preuve concernés et de la nature de l'affaire qui concerne M. Brdjanin.

2 La question s'est posée de la manière suivante -Me Robertson l'a rappelé:

3 Me Ackerman, conseil de Brdjanin, a dit qu'il souhaitait contre-interroger

4 l'auteur de cet article parce que les propos qui lui étaient attribués

5 n'étaient pas exacts. Mais à aucun moment -et j'insiste sur ce point-, vu

6 la nature quelque peu étrange des écritures qui ont été soumises à la

7 Chambre, et étant donné que Me Ackerman a décidé de ne pas comparaître

8 devant vous Messieurs les Juges, donc quel que soit ce qu'il ait dit dans

9 la correspondance qu'il a eue avec Me Robertson et ses associés, ce sont

10 des choses qu'il n'a jamais dites à la Chambre.

11 En d'autres termes, s'agissant de la Chambre et s'agissant de

12 l'accusation, sa position n'a pas changé contrairement à ce qu'il a dit

13 dans cette correspondance. Pour nous, il souhaite toujours contre-

14 interroger l'auteur de cet article au sujet de l'exactitude des propos

15 attribués à son client. Or, s'il a changé d'opinion, s'il a changé de

16 position comme cela apparaît dans la correspondance, eh bien, cette

17 procédure d'appel est encore moins nécessaire qu'avant parce que, dans ces

18 conditions, il ne pourrait plus y avoir d'objection à ce que cet article

19 soit versé au dossier.

20 Si maintenant, comme cela apparaît dans la correspondance qu'il a eue et

21 qui nous a été communiquée, si apparemment, maintenant, il reconnaît qu'il

22 ne conteste pas ces propos attribués à son client, mais ces déclarations

23 existent et la Chambre de première instance, en rendant sa décision, a

24 précisé que les déclarations attribuées à Brdjanin étaient pertinentes

25 dans le cadre de la présentation des éléments à charge; cela a été

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1 expliqué lors des débats publics. Il a été expliqué que c'étaient là des

2 éléments de preuve qui étaient pertinents, importants, et qui étaient

3 recevables.

4 Avant de passer aux faits de l'espèce, je me permettrai de répondre à deux

5 éléments qui ont été évoqués par Me Robertson.

6 Première chose, on vous a préparé un extrait du mémoire préalable au

7 procès. Maître Robertson, peut-être, ne sait pas qu'un mémoire préalable

8 au procès ne peut dépasser un certain nombre de pages, une limite

9 s'applique en l'espèce. Et dans ce mémoire préalable au procès nous avons

10 dû traiter des événements ayant eu lieu dans quelque quinze municipalités,

11 événements dont est saisie la Chambre de première instance en l'espèce.

12 Or, dans notre mémoire préalable au procès, nous avons donné très peu de

13 détails quant aux propos que tiendraient les témoins. D'ailleurs, dans ce

14 mémoire préalable au procès, nous n'avons même pas donné les noms des

15 témoins.

16 Mais ce témoin particulier, M. Jonathan Randal -et ça, Me Robertson

17 l'ignore-, M. Jonathan Randal était répertorié en tant que témoin dans les

18 résumés 65ter en annexe du mémoire préalable au procès. Il serait donc

19 inexact de dire que le fait que l'on n'ait pas rapporté les propos

20 concernés ici, dans le mémoire préalable au procès, cela ne veut pas dire

21 pour autant que, pour l'accusation, ces propos n'ont pas une très grande

22 importance. Voilà une chose déjà.

23 La deuxième chose, c'est que Me Robertson a posé une question je pense de

24 nature rhétorique. Il s'est demandé pourquoi l'accusation n'avait pas

25 décerné de citation à comparaître à l'intention du journaliste qui était

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1 présent également et qui assurait l'interprétation de l'interview. Il nous

2 dit que les raisons de ce fait sont inconnues.

3 Or, Maître Robertson, les raisons de ce fait…

4 Car nous lui avons communiqué avec l'autorisation de la Chambre le compte

5 rendu d'audience de tous les débats qui ont eu lieu au sujet de la

6 délivrance de cette citation à comparaître. Il a reçu tous les comptes

7 rendus d'audience pertinents. Si les arguments présentés au nom de M.

8 Randal ont un mérite quelconque à vos yeux, ces arguments seraient encore

9 plus prégnants s'agissant de l'autre journaliste, M. X.

10 Monsieur X est toujours journaliste, toujours journaliste en exercice, il

11 n'est pas à la retraite. Et, comme je l'ai expliqué à la Chambre, il a de

12 très bonnes raisons de craindre les conséquences pour lui d'une déposition

13 au Tribunal.

14 En conséquence, contrairement aux affirmations qui sont faites, selon

15 lesquelles l'accusation, de manière désinvolte, a décidé de décerner une

16 incitation à comparaître à l'intention de M. Randal, si l'on présentait

17 les choses de cette manière, cela ne correspond pas à la réalité.

18 L'accusation et la Chambre en l'espèce sont très conscientes de la

19 nécessité pour les journalistes de pouvoir continuer à mener leur travail

20 d'investigation et à se rendre sur les lieux où peuvent se dérouler ou

21 s'être déroulés des crimes de guerre. Cependant, nous avançons que cela ne

22 signifie pas pour autant qu'un journaliste doit être en droit de jouir

23 d'une immunité qui est niée à d'autres -j'y reviendrai un peu plus tard-,

24 à d'autres organisations peut-être plus méritantes et qui font preuve

25 d'une impartialité complète, et font un travail qui présente peut-être

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1 plus de risques que ceux que font les journalistes malgré ce qu'ils en

2 pensent.

3 Mais, Monsieur le Président, je me permettrai maintenant de traiter ce qui

4 me paraît être au cœur de cette affaire, à savoir la chose suivante:

5 d'abord ce que n'est pas cet appel. Cet appel n'est pas un appel contre

6 une ordonnance rendue par la Chambre de première instance pour qu'une

7 personne dépose ou communique à la Chambre des éléments qu'il a reçus à

8 titre confidentiel. Ce n'est pas cela.

9 Les faits sont les suivants: en premier lieu, le témoin s'est entretenu

10 par le truchement d'un interprète avec l'accusé. En deuxième lieu,

11 l'accusé a tenu des propos qui ne sont pas contestés et qui sont d'une

12 pertinence directe, si l'on examine les charges qui pèsent contre lui. La

13 conversation ou cette interview ne s'est pas faite à titre confidentiel,

14 absolument pas.

15 Ensuite, le témoin a publié un article relatif à cette conversation. Il a

16 rencontré un enquêteur du Tribunal et il a accepté de faire une

17 déclaration. Il a accepté de déposer, certes avec réticence, mais il a

18 accepté de déposer si tout ce qu'on lui demandait c'était de confirmer

19 l'exactitude des propos rapportés. Mais, ensuite, il a changé d'avis ou

20 peut-être l'a-t-on fait changer d'avis suite à l'intervention de ses ex-

21 anciens employeurs. Peu importe.

22 En tout cas, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il n'est pas vrai

23 de déclarer, non plus, que M. Randal ignorait qu'une citation à

24 comparaître allait être décernée à son encontre.

25 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, l'enquêteur le lui a dit de

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1 façon très claire. Nous en avons parlé devant la Chambre de première

2 instance à deux reprises. On s'est entretenu avec lui pour le persuader de

3 changer d'avis et de déposer volontairement. Et lors de ces entretiens, il

4 a été informé par l'enquêteur qu'une injonction à comparaître allait être

5 décernée à son encontre.

6 S'agissant des éléments de preuve en l'espèce, les deux intervenants, les

7 deux parties ont déclaré que les déclarations qui avaient été présentées

8 n'étaient pas contestées par l'accusation. En fait, c'est inexact parce

9 qu'il y a de nombreux éléments que nous n'avons pas acceptés dans ces

10 déclarations et que, s'il fallait en tenir compte, il faudrait procéder à

11 un contre-interrogatoire.

12 Mais nous avons procédé de la sorte pour la raison suivante: nous

13 soutenons que les faits de l'affaire ne nécessitent pas la comparution de

14 ces personnes. Et je parle d'autres déclarations, d'autres témoins. Mais

15 je ne peux pas laisser dire M. Randal lorsqu'il affirme qu'il ignorait

16 qu'une citation à comparaître allait être délivrée contre lui.

17 Si M. Randal n'était pas un journaliste, sur la base des faits que je

18 viens de vous communiquer, je pense que vous n'auriez aucune hésitation à

19 confirmer la décision de la Chambre de première instance de décerner une

20 injonction à comparaître. Il n'y aurait aucune discussion et cet appel

21 n'aurait même pas été envisagé. Mais étant donné qu'il est ou plutôt,

22 qu'il était à l'époque journaliste, on demande maintenant à la Chambre de

23 lui octroyer une immunité lui permettant de ne pas avoir à déposer.

24 En réalité, si l'on regarde les critères, le critère tel qu'il est énoncé

25 au paragraphe 18 du mémoire de l'appelant, ce n'est pas au journaliste

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1 qu'il conviendrait de satisfaire ces critères. Et, si j'ai bien compris,

2 c'est une règle que l'on nous propose et qui devrait s'appliquer aux

3 journalistes se trouvant dans des zones de guerre, ce que l'on a qualifié

4 de zones de guerre.

5 Donc c'est celui qui voudrait citer le journaliste à la barre qui

6 devrait…, qui aurait la charge de prouver pourquoi son immunité, certes

7 relative, ne s'appliquerait pas. Donc ce serait la partie requérante. Mais

8 qu'en serait-il si c'était la défense qui souhaitait citer le journaliste

9 à la barre?

10 Notre argument, c'est qu'une immunité de ce type, c'est que l'application

11 et la mise en place de tels critères, de tels tests, octroieraient aux

12 journalistes une immunité, des privilèges dont personne d'autre ne

13 bénéficie, personne d'autre ayant été témoin de crime de guerre et devant

14 éventuellement déposer devant un Tribunal qui s'y rapporte.

15 Je pense à qui? Je pense aux civils qui se trouvent dans cette région. Et

16 des civils qui peuvent se montrer tout à fait aussi peu enthousiastes que

17 les journalistes à déposer, mais qui ne bénéficient d'aucun de ces

18 avantages d'un journaliste, un journaliste qui voudrait donc bénéficier de

19 tels privilèges.

20 Si ce critère est applicable, parce qu'il est essentiel que l'opinion

21 publique soit tenue au courant des crimes de guerre, alors pourquoi cette

22 immunité n'est-elle pas accordée également à des organisations telles que

23 "Human's Rights Watch", une organisation chargée de veiller au respect des

24 Droits de l'homme et qui envoie des gens dans les zones de guerre pour

25 réunir des informations et les faire connaître à l'opinion publique?

Page 10229

1 Je pense également à ce que l'on a appelé l'ECMM, la "Mission

2 d'Observation de la Communauté européenne"; c'est maintenant la "Mission

3 d'Observation de l'Union européenne. Eux aussi, ils avaient des

4 collaborateurs sur le terrain pendant tout le conflit. Or ils n'invoquent

5 pour leurs collaborateurs l'adoption d'aucun test particulier, d'aucun

6 critère, d'aucune immunité avant que ces personnes ne viennent déposer.

7 Nous avons déjà vu dans l'affaire Brdjanin l'un de leurs collaborateurs

8 déposer au sujet de ce qu'il avait vu. L'ECMM n'estime pas que ceci remet

9 en cause leurs opérations, fait courir un risque à leurs collaborateurs.

10 Il y a un cas bien particulier, bien entendu, qui est celui du Comité

11 international de la Croix-Rouge et au sujet duquel il a été statué dans

12 l'affaire Simic. Là, il y a des raisons très bien expliquées dans le

13 Jugement Simic à ce sujet. Et l'une de ces raisons réside dans le fait

14 qu'il s'agit d'une organisation internationale qui est reconnue par les

15 Conventions de Genève.

16 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, comme je l'ai déjà dit, la

17 première question à se poser est de savoir pour quelle raison on

18 accorderait aux journalistes une telle immunité qui pourrait empêcher le

19 Tribunal dans sa mission de décider sur les faits, de juger sur les faits.

20 Qu'en est-il des autres personnes, des politiques, qui se rendent sur le

21 terrain, là où il y a les conflits, afin de voir ce qui s'y passe, afin de

22 publier, de rendre public ce qui s'y passe? Ils n'ont jamais demandé et on

23 ne leur a jamais accordé d'immunité.

24 Si on examine les critères qui sont présentés, que l'on propose pour

25 accorder une telle immunité, eh bien, le problème devient encore plus

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1 brûlant pour ainsi dire.

2 Tout d'abord, le premier critère, il faut savoir si le témoignage que le

3 journaliste peut donner est d'une importance cruciale pour déterminer la

4 culpabilité ou l'innocence de l'accusé. De quelle façon peut-on déterminer

5 ceci à un stade de la procédure où l'on demande à ce journaliste de venir

6 témoigner? Est-ce que les Juges vont devoir passer en revue tous les

7 moyens de preuve présentés et ensuite, juger de l'importance relative

8 présumée de ce témoin du Procureur avant d'entendre la présentation des

9 moyens de preuve de la défense? Est-ce qu'à ce stade de la procédure, les

10 Juges seront à même de déterminer, sur la base des moyens de preuve

11 présentés jusqu'alors, s'il s'agit de moyens de preuve d'un témoignage

12 crucial ou non par rapport à la détermination qu'ils auront à faire sur

13 l'innocence ou la culpabilité de l'accusé?

14 Ensuite, il faut qu'il s'agisse de moyens de preuve ne pouvant être

15 obtenus par aucun autre moyen, ni fournis par aucun autre témoin. Qu'est-

16 ce que les Juges doivent faire pour s'assurer de cela? Si le Procureur dit

17 qu'il ne peut pas obtenir ces moyens de preuve par aucun autre moyen, est-

18 ce que les Juges vont alors examiner tous les moyens possibles et

19 imaginables par le biais de ses propres enquêtes? Comment vont-ils savoir

20 que l'on ne peut pas obtenir ceci d'un autre témoin? Et c'est surtout

21 exact ici, dans ce Tribunal, car les moyens de preuve sont présentés en

22 continu, c'est-à-dire qu'on les relâche. Et on a pu voir qu'à cause de la

23 situation politique qui a changé, il y a eu des changements

24 extraordinaires qui se sont produits en ce qui concerne la présentation

25 des moyens de preuve devant ce Tribunal.

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1 Ensuite, le texte C, où l'on demande qu'un journaliste qui n'aurait pas

2 manqué une quelconque obligation de confidentialité, eh bien, nous

3 considérons que ceci ne s'explique tout simplement pas en l'espèce. Car si

4 l'on examine les précédents, les sources, y compris l'affaire Goodwin -car

5 je pense qu'il s'agit d'une affaire cruciale pour les Droits humanitaires

6 internationaux-, on va voir que, dans toutes les sources, on s'est

7 concentré sur cette question de confidentialité. Et aucun tribunal -à la

8 différence des arguments de Me Abrams-, même aux Etats-Unis, aucun

9 tribunal n'a demandé que l'on accorde cette immunité, l'immunité que l'on

10 demande au-delà de la question de confidentialité.

11 Les Statuts du Tribunal pénal international, si l'on regarde les mémoires

12 de la défense, en ce qui concerne cette question de confidentialité, eh

13 bien, elle est accordée aux avocats, aux médecins et aux prêtres. C'est ce

14 qui est dit. On ne parle pas des journalistes. C'est vrai que l'appelant

15 dit que l'on n'exclut pas les journalistes non plus, mais c'est vrai qu'on

16 n'exclut pas un grand nombre de personnes non plus. Mais le fait est qu'on

17 a limité les personnes, les catégories qui reçoivent les documents

18 confidentiels.

19 Le critère n°5: "Que lui-même, sa famille ou ses informateurs ne seront

20 pas exposés à un danger auquel ils peuvent raisonnablement s'attendre". Eh

21 bien, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, bien sûr que c'est un

22 critère que le Tribunal prend en compte pour chaque témoin, quel qu'il

23 soit, pas seulement les journalistes. Le Tribunal a eu affaire à des

24 témoins venant de l'ex-Yougoslavie et on connaît quels sont les dangers de

25 tels témoignages.

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1 A nouveau, à quoi cela ressemble-t-il si ces témoins qui témoignent avec

2 de grands risques pour leur personne ou pour leur famille… eh bien, si on

3 exemptait les journalistes de témoignages parce que cela les met en

4 danger, alors que les autres témoins témoignent tout de même parce qu'on

5 ne leur a même pas accordé la possibilité d'une éventuelle immunité?

6 Ensuite, le critère E: "Que la décision ne constituera pas un précédent

7 compromettant inutilement l'efficacité de la sécurité d'autres

8 journalistes travaillant dans des zones de conflit dans le futur". En ce

9 qui concerne la presse, les médias, il s'agit des dangers personnels

10 évidemment. Quand ils font leur reportage, ils le font avec un certain

11 degré de danger. Mais il n'y a pas de moyens de preuve concrets qui

12 démontrent que le danger vient du fait que les parties belligérantes

13 sauraient que ces journalistes pourraient être amenés à témoigner. Nous

14 considérons que le danger vient du fait ou viendrait du fait que les

15 parties belligérantes ne souhaitent pas que l'on publie ce qui se passe

16 et, ensuite, à partir du moment où l'on a déjà publié quelque chose, à

17 partir du moment où l'on peut déjà savoir ce qui s'est passé.

18 Mais la difficulté réside dans la chose suivante: il est vrai, il a été

19 vrai dans beaucoup d'affaires présentées devant ce Tribunal, que, par

20 exemple les politiques, les dirigeants sont prêts à parler aux médias. Ils

21 souhaitent utiliser les médias pour leur but, par exemple pour la

22 propagande. Et la propagande est un point très important dans la

23 présentation des moyens de preuve du Procureur contre M. Brdjanin. Les

24 citations qu'on lui attribue -par exemple que pas plus de 2 ou 3% de

25 Musulmans devraient avoir le droit de rester à Banja Luka- sont

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1 importantes.

2 Monsieur Robertson dit "qu'ils possèdent un enregistrement de cette

3 citation". Malheureusement, nous, nous ne l'avons pas, mais nous avons

4 d'autres citations, d'autres enregistrements de M. Brdjanin dans

5 différents médias, différents journaux. Mais nous n'avons pas cette

6 citation particulière, contrairement à ce que dit M. Robertson.

7 Et nous considérons qu'il s'agit de quelque chose de très important, car

8 ceci a vraiment marqué la mémoire des témoins qui se rappellent de cela

9 même dix années plus tard.

10 Donc quand l'appelant suggère qu'un journaliste qui témoignerait serait

11 mis en danger, eh bien, nous considérons qu'il n'y a pas de faits qui

12 supportent cette affirmation, car, en effet, les journalistes ont bel et

13 bien témoigné sans qu'ils aient été mis en danger à cause de cela. Et

14 nous, nous considérons exactement que le cas est le contraire de cela.

15 Monsieur le Président, il est certain que ces critères, d'après nous, ne

16 sont pas clairs, tout simplement. Ils portent à confusion et il serait

17 difficile pour les Juges de la Chambre de les mettre en œuvre. Quand on

18 formule un critère juridique, il faut que l'on sache exactement quels sont

19 les paramètres de ce critère et de quelle façon il faut les appliquer.

20 Par exemple, si vous adoptiez un critère vous permettant d'accorder aux

21 journalistes une immunité relative -et là, je pense aux journalistes

22 correspondants de guerre-, de quelle façon pourrait-on, par exemple,

23 définir un journaliste? Est-ce qu'il s'agit de quelqu'un qui travaille à

24 temps plein pour un journal ou pour un magazine? Est-ce qu'il s'agit par

25 exemple d'une personne qui a passé un contrat avec un journal pour écrire

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1 un certain nombre d'articles? Est-ce que cette catégorie comprendrait

2 aussi des personnes qui ne travailleraient pas de façon permanente pour

3 des journaux, pour des chaînes de télévision? Et de quelle façon va-t-on

4 définir aussi la catégorie des zones de guerre? Est-ce qu'il faut qu'une

5 guerre ait été déclarée? Est-ce qu'il faut qu'il y ait beaucoup de

6 combats, peu de combats, des échanges de tirs, des prises d'otages?

7 Ce sont peut-être des questions de rhétorique, mais il y en a beaucoup. Et

8 nous considérons que l'on vous demande d'élaborer un critère juridique, un

9 concept juridique qui est très difficile à mettre en œuvre. Et nous

10 considérons que ceci n'est pas nécessaire et, du point de vue de l'intérêt

11 public des autres personnes qui se trouvent dans la situation similaire,

12 il ne faudrait pas l'accorder à cette catégorie de personnes.

13 La loi applicable telle qu'acceptée par toutes les parties est comme suit:

14 il n'y a pas vraiment de source directe de précédents portant sur une même

15 situation, ni dans les juridictions nationales ni internationales.

16 La première question des cinq questions qu'a posées M. le Président de la

17 Chambre -à savoir si un correspondant de guerre jouit d'une immunité-,

18 nous, avec tout le respect que l'on vous doit, on répondrait par un "non";

19 ni dans le cadre du droit coutumier international ni dans d'autres

20 systèmes juridiques.

21 La question n°2: y a-t-il un intérêt public? Oui, il y a un intérêt public

22 à ce que les journalistes soient capables de se rendre sur les zones en

23 guerre et de mettre la lumière sur les abus des Droits de l'homme et sur

24 le nettoyage ethnique, la violation des Droits de l'homme.

25 Mais c'est juste une facette de l'intérêt public, car il est de l'intérêt

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1 public à ne pas permettre aux criminels de faire des déclarations à la

2 presse en les laissant croire ou en leur affirmant que ceci ne deviendra

3 jamais une preuve admissible devant un tribunal. Il est de l'intérêt

4 public de voir que ceux qui ont fait du mal, eh bien, qu'on les traduise

5 devant la justice pour ces crimes. Il est de l'intérêt public de traiter

6 de façon équitable les témoins, à savoir, par exemple, de refuser ou ne

7 pas accepter à témoigner. Et si l'on compare tous ces intérêts, nous

8 considérons que les journalistes n'ont pas droit à une immunité

9 particulière.

10 Ensuite, les autres questions que vous avez posées dépendent de

11 l'application, pour ainsi dire, car si vous décidez qu'il faut accorder

12 une certaine immunité, quels seront les critères? Car nous considérons

13 qu'il serait très difficile de formuler ces critères pour les raisons que

14 je vous ai déjà soumises et pour élaborer ces tests, il nous faudrait sans

15 doute beaucoup de temps. Nous considérons que vous devriez examiner les

16 faits, les faits en l'espèce et les faits de cette procédure en appel.

17 Quel que soit le critère retenu et qui a été élaboré par l'appelant, M.

18 Randal ne qualifie pas, ne répond pas à l'ensemble de ces critères, quels

19 que soient d'ailleurs les critères que l'on retiendrait. Il s'agit d'un

20 élément de preuve décisif, pertinent, qui va au cœur même d'une question,

21 à savoir l'état d'esprit de M. Brdjanin en ce qui concerne l'une des

22 accusations qui est portée contre lui, à savoir l'expulsion, le transfert

23 forcé et les persécutions. Et nous renvoyons les Juges au libellé même des

24 Actes d'accusation portés contre lui.

25 Pouvons-nous obtenir ces éléments de preuve de la part d'autres sources?

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1 La réponse est affirmative. Nous pourrions l'obtenir par le truchement de

2 l'autre journaliste qui était présent sur place. Mais si M. Randal n'est

3 pas tenu de comparaître, à ce moment-là, il en va de même pour l'autre

4 personne. Je rappelle également que cette personne n'a jamais fait de

5 déposition ou de déclaration où il accepte de témoigner.

6 Le fait que, s'il accepte de déposer, il exposerait sa famille, sa

7 personne ou ses informateurs à un danger: personne ne parle ici de citer

8 régulièrement à comparaître des journalistes afin d'obtenir des

9 dépositions. Il y a eu un débat approfondi au sujet de cette question et,

10 à un stade, l'accusation a été très claire: elle ne souhaitait pas faire

11 comparaître M. Randal, à moins que ceci ne soit absolument nécessaire et

12 pour autant que la défense l'accepte. La défense a le droit de citer à

13 comparaître M. Randal si elle l'estime nécessaire. L'accusation ne propose

14 de le citer que pour obtenir des preuves au sujet de l'article qu'il a

15 rédigé et pour verser cet article au dossier.

16 Enfin, Monsieur le Président et Messieurs les Juges, il s'agit là des

17 arguments que l'accusation souhaitait exposer. Je proposais de passer à

18 l'affaire Goodwin, mais, en fait, les conclusions de cette affaire

19 n'étayent pas l'interprétation de Me Robertson. Il apparaît clairement

20 toutefois que la question en jeu est celle de la confidentialité. Or, nous

21 ne souhaitons pas invoquer ce principe plus avant.

22 S'agissant à présent des affaires aux Etats-Unis d'Amérique, j'hésite

23 quelque peu à intervenir sur ce dossier parce que je ne suis pas au fait

24 de la juridiction qui s'applique aux Etats-Unis d'Amérique. Nous pensons

25 pour notre part que, compte tenu de la législation américaine, l'affaire

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1 qui est importante c'est celle de Branzburg. Il y a également une autre

2 affaire qui figure dans la liasse de document des Etats-Unis, dans

3 l'affaire Etats-Unis contre Smith.

4 A l'instar de Me Robertson, je connais mieux la législation en application

5 au Royaume-Uni. Dans l'affaire Goodwin, les Juges ont exercé la plus

6 grande prudence pour citer des journalistes à comparaître non seulement

7 pour des affaires au pénal, mais également pour des affaires au civil.

8 Ceci était le cas après Goodwin. Il y a une affaire très récente où un

9 journaliste a été convoqué afin de remettre des informations classées

10 confidentielles et, refusant de faire cela, a été menacé d'outrage au

11 tribunal.

12 Chaque juridiction interne adopte des règles particulières, bien

13 évidemment. Bien évidemment, le Tribunal n'est pas lié par ces

14 dispositions. Toutefois, nous vous invitons à faire preuve de la plus

15 grande prudence avant d'octroyer une immunité à une catégorie de

16 personnes, immunité dont ne jouissent pas d'autres personnes qui sont

17 soumises à des risques similaires, ce qui, au moment où il s'agit de

18 formuler cette immunité, pourra placer le Tribunal dans une situation

19 difficile quant à la façon de libeller cette immunité et quant aux

20 conditions dans lesquelles elle serait mise en œuvre et interprétée.

21 Voilà les arguments que je souhaitais exposer ce matin.

22 M. le Président: Merci, Madame Korner.

23 Il y a un droit de réplique que nous avons accordé. Je voudrais me tourner

24 vers le représentant ou l'appelant des amici curiae. Chacun pour une

25 dizaine de minutes au maximum.

Page 10238

1 Qui veut intervenir?

2 Maître Abrams?

3 M. Abrams (interprétation): Plusieurs des éléments qui ont été évoqués par

4 Mme Korner sont des éléments qui ont suscité des réflexions approfondies

5 de la part des juristes, à qui il incombe de veiller à l'application d'une

6 immunité relative. Il s'agit bien de ce type d'immunité dont il est

7 question dans notre affaire. Il n'est pas toujours aisé de faire cela,

8 cela a déjà été fait de définir ce que l'on entend par "journaliste"; des

9 décisions ont été prises à cette question. On a déjà statué à cet égard,

10 on a déterminé quelles sont les personnes qui sont en droit de bénéficier

11 d'une telle immunité. Parfois, il s'agit tout simplement d'être un

12 fonctionnaire qui travaille régulièrement pour un journal.

13 Je ne tiens pas à réduire les tâches lorsqu'il s'agit de statuer, mais

14 tout problème a une réponse. Il s'agit là de questions de routine qui

15 relèvent de la compétence de tribunaux, et même lorsqu'il s'agit de

16 sources confidentielles ou non. L'immunité accordée, lorsqu'il s'agit de

17 sources confidentielles dont il est beaucoup plus question que lorsqu'il

18 s'agit de sources non confidentielles, nécessite également une évaluation

19 de la part de juristes afin de déterminer qui est habilité à bénéficier de

20 cette immunité, quelles sont les conditions dans lesquelles l'immunité est

21 accordée pour un groupe donné de fait. Les tribunaux sont à ce moment-là

22 amenés à se prononcer. L'accusation peut intervenir en précisant que, par

23 exemple, tel ou tel type d'information est déterminante et décisive. Le

24 Tribunal ne se livre pas pour autant à une audience exhaustive, mais doit

25 avoir une preuve de la part de l'accusation qui précise que cet élément a

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1 un caractère décisif qui a une répercussion sur l'issue à donner à

2 l'affaire.

3 Voilà, en bref, une question qui peut être réglée, et ceci, abstraction

4 faite des cas, qu'il s'agisse de sources confidentielles ou non, quels que

5 soient les libellés retenus, que l'on utilise le caractère essentiel, le

6 caractère décisif déterminant ou non. Le Juge doit se prononcer, doit

7 statuer dès le début de la procédure afin de se prononcer au sujet d'une

8 immunité éventuelle, à moins que le Juge ne détermine qu'il ne peut pas

9 être question d'immunité, à moins que le Tribunal soit prêt à écouter

10 l'accusation ou le conseil de la défense. Dans ce cas particulier, nous

11 sommes confrontés à une situation un peu étrange.

12 En ma qualité d'amicus curiae, le conseil avait dit dès le début de sa

13 présentation que Me Ackerman avait changé de position et, qu'à ce moment-

14 là, l'appel est étrange parce que la seule question était la vérité de

15 l'article. Il a eu la possibilité de comparaître, il a eu la possibilité

16 de déposer des documents. Vous avez été saisis d'un document dans lequel

17 il reconnaît que l'article est exact. Et la réponse, à ce moment-là, n'est

18 pas de dire -comme Mme Korner l'a dit- que l'appel en lui-même est

19 étrange. La réponse est que, sur ce seul motif, il faut faire droit à cet

20 appel.

21 Des objections ont été soulevées en disant que les propos qui avaient été

22 tenus n'étaient pas vrais. Mais, en tout état de cause, il n'est pas

23 nécessaire pour le journaliste… notamment si le Tribunal doit décider qu'à

24 chaque fois qu'il y a une décision qui est prise, si un journaliste peut

25 être cité à comparaître, il faudrait envisager une certaine limite, un

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1 seuil. Or l'accusation n'a pas besoin de M. Randal. L'accusation souhaite

2 simplement disposer de ce document. L'accusation ne devrait même pas être

3 au cœur même du problème.

4 En fait, en d'autres termes, il ne devrait pas y avoir de problème. A mes

5 yeux, la question a été tranchée. On peut retenir soit les critères de M.

6 Robertson ou les miens. On pourrait peut-être envisager une règle encore

7 plus simple, mais à aucun titre, dans cette situation, peut-on obliger M.

8 Randal à venir faire une déposition.

9 Un dernier point: une question a été soulevée quant aux raisons à

10 solliciter de la part d'un journaliste qu'il vienne comparaître, les

11 raisons pour lesquelles on demande une immunité particulière pour les

12 journalistes. Il y a d'autres catégories de personnes qui s'exposent à des

13 risques. La réponse est que les journalistes essayent de relater les

14 faits, de transmettre ces faits au public afin que le public apprenne et

15 sache ce qui se passe. Et les journalistes, à l'instar des employés de la

16 Croix-Rouge, ont tout fait pour répondre aux trois critères retenus par le

17 Tribunal dans l'affaire Simic, à savoir la neutralité, l'impartialité et

18 l'indépendance.

19 Les journalistes ne sont pas des travailleurs de l'humanitaire, ils aident

20 ces travailleurs. Mais ils ne se rendent pas sur place pour exercer une

21 fonction des Droits de l'homme. Ils s'engagent à faire un reportage et à

22 transmettre ces informations au public. Ils aident parfois la cause des

23 Droits de l'homme et l'application du droit pénal international contre les

24 abus des Droits de l'homme.

25 Les journalistes ne se trouvent pas par hasard dans une zone en proie à un

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1 conflit. Par conséquent, il ne s'agit pas non plus de simples civils qui

2 sont soumis à des conditions difficiles. En fait, ils se rendent sur place

3 simplement pour rassembler des éléments et les transmettre à la presse.

4 Et si nous avons raison de dire qu'ils ne pourraient pas exercer leurs

5 fonctions à partir du moment où un accusé éventuel pourrait être cité au

6 sein de ce Tribunal et que ces journalistes pourraient, à ce moment-là,

7 devenir des témoins à leur encontre, à ce moment-là, la presse, le public

8 seraient dans une position défavorable parce qu'ils ne disposeraient plus

9 de ces sources d'informations.

10 Les journalistes doivent pouvoir interviewer les personnes qui sont citées

11 ici comme des accusés, même les catégories de personnes qui, parfois, font

12 des choses qui sont répréhensibles.

13 Par conséquent, nous vous invitons à assurer une certaine protection

14 juridique, quel que soit le libellé que vous choisissez de retenir, afin

15 de permettre aux journalistes de poursuivre leur profession afin de faire

16 une recherche de la vérité sur le terrain.

17 Je pense qu'une chose est très simple, ils ne peuvent pas avoir un contact

18 avec certaines personnes si ces personnes pensent, par la suite, que les

19 journalistes pourraient être cités à comparaître. Et, à cet égard, il n'y

20 a rien d'étrange à cette affaire. Il n'y a pas de preuve de caractère

21 essentiel.

22 Je viens de relire l'article dans son intégralité et je vous invite à

23 assurer une protection juridique que nous sollicitons, ici, au nom de nos

24 clients.

25 Ils appuient, bien évidemment, la position de M. Randal. Mais au-delà de

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1 M. Randal, ils défendent un principe. Ce principe est que les journalistes

2 ne peuvent pas comparaître devant un tribunal. Je vous remercie.

3 M. le Président (interprétation): Maître Robertson, vous vouliez ajouter

4 quelque chose? Vous voulez ajouter quelque chose, Maître Robertson,

5 rapidement? Vous ne replaidez pas Maître Robertson, vous répondez aux

6 quelques points, éventuellement, de l'accusation. Vous aviez quelque chose

7 à ajouter par rapport à ce qu’a dit Mme Korner?

8 Micro, s'il vous plaît.

9 M. Robertson (interprétation): A la fin de son intervention, Me Abrams a

10 dit quelque chose de très important: "Les journalistes qui se rendent dans

11 des pays étrangers y vont pour réunir des informations et ils y vont et

12 ils courent un danger. Et ils sont protégés par le droit international,

13 étant donné la qualité 'jus cogens' de l'article 19 de la Déclaration

14 universelle des Droits de l'homme et de sa traduction et de son

15 interprétation dans tous les autres traités relatifs aux Droits de

16 l'homme."

17 Et, à cet égard, les journalistes sont différents des citoyens ordinaires

18 qui se trouvent pris dans le tourbillon de ce genre de situation. Les

19 citoyens normaux ne sont pas là pour réunir des informations. Les

20 journalistes se trouvent dans une situation différente de ceux qui

21 travaillent dans une institution humanitaire ou pour la commission

22 européenne.

23 Madame Korner se demande pourquoi ces gens-là ne devraient pas bénéficier

24 d'une immunité. Eh bien, il y a une raison très simple à cela, ces gens-là

25 vont sur place pour dissuader la perpétration de droits d'exactions. Ils

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1 ne font pas secret de la raison de leur présence, car si jamais se

2 commettent des crimes de guerre, à ce moment-là, ils sont là, ces gens qui

3 travaillent pour la communauté européenne pour des organisations

4 humanitaires. Ils sont là pour les signaler. Donc, bien entendu, ils ne

5 veulent pas obtenir d'immunité, car c'est justement pour ça qu'ils vont

6 sur place, ces gens-là.

7 Quelques autres points sur lesquels je souhaite apporter des corrections.

8 Le Procureur nous dit que le problème c'est de décider, à un stade

9 précoce, du caractère central d'éléments de preuve. Dans l'affaire Kordic,

10 la Chambre a statué que la question de l'admissibilité doit être décidée

11 au moment où les documents sont pressentis. Mais cela n'empêche pas la

12 Chambre de se pencher, à nouveau, sur ces documents ultérieurement.

13 Il aurait été tout à fait possible à la Chambre de première instance, en

14 l'espèce, d'accepter le versement au dossier de cet article et, ensuite,

15 de s'interroger sur son caractère essentiel et de se demander s'il était

16 nécessaire de citer M. Randal à la barre, si l'on contestait la véracité

17 de son article. Mais il n'y a pas eu… et j'ai parlé du comportement

18 insouciant de la Chambre et je le maintiens. Je souhaite simplement

19 inviter la Chambre à examiner le compte rendu d'audience du 21 janvier, le

20 lundi, où l'on voit que, sans en avoir notifié M. Randal -qui ne s'en

21 doutait pas, sinon je l'aurais représenté le 21 janvier-, Mme Korner lui

22 dit -je cite-: "Le témoin refuse de se présenter. Il est journaliste. Nous

23 demandons une injonction à comparaître."

24 Maître Ackerman dit ensuite que les articles de presse, c'est bien connu,

25 ne sont pas précis, véridiques, mais qu'il veut contre-interroger le

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1 témoin. Alors il apparaît qu'il n'a même pas lu l'article.

2 Ensuite, on en vient au 25. A ce moment-là, il a lu l'article. Il dit: "Je

3 suis très gêné parce que je ne l'avais pas lu précédemment."

4 Ensuite, le lundi 28 janvier, Me Ackerman dit: "Après avoir consulté mon

5 client, je pense qu'il convient de citer à la barre ce témoin, ce

6 journaliste parce qu'il y a un certain nombre de questions que je souhaite

7 aborder avec lui, notamment au sujet de l'interprétation."

8 Voilà tout. Et le Juge dit: "Eh bien, cette injonction à comparaître, nous

9 allons la signer aujourd'hui. Point barre!"

10 Il s'agit là d'une procédure des plus limitées. A aucun moment, on ne se

11 demande pourquoi le journaliste ne veut pas déposer. A aucun moment on ne

12 s'interroge sur l'intérêt public qui est mis en jeu. A aucun moment, on ne

13 demande, au titre de l'Article 90, quelle a va être la nature de son

14 contre-interrogatoire puisque l'Article 90 prévoit que ce contre-

15 interrogatoire doit être pertinent, doit être clair.

16 On n'a jamais demandé à Me Ackerman ce qu'il voulait demander à M. Randal,

17 sur quel sujet. A aucun moment, la Chambre de première instance ne se

18 penche sur la question.

19 C'est pour cela qu'il est important qu'il y ait une disposition, une règle

20 précise parce que, à l'avenir, on se penchera sur ce genre de question, on

21 s'interrogera. Et du fait de la situation actuelle, vous êtes dans une

22 situation un petit peu étrange où Me Ackerman signe une lettre dans

23 laquelle il dit: "Je reconnais que ces propos sont véridiques." Et nous

24 avons Mme Korner qui, aujourd'hui, dans ce même prétoire, nous dit: "Nous

25 n'en savons rien. D'après ce que nous savons, nous, les propos de M.

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1 Brdjanin sont contestés."

2 Bien entendu, si ces propos sont contestés et si c'est là le critère qui

3 va s'appliquer ici, à ce moment-là, nous nous appuyons, quant à nous, sur

4 l'affaire Kordic qui lie la présente Chambre. Et, étant donné que M.

5 Randal ne parle pas la langue de l'accusé, il n'est pas en mesure de

6 confirmer les propos, sauf à parler du comportement, de l'attitude de

7 l'accusé ou bien de sa connaissance des capacités du Témoin X en serbo-

8 croate. Donc on peut dire qu'il n'y a pas les éléments, les indices de

9 fiabilité dont on parle dans la décision Kordic lorsqu'il s'agit de

10 déterminer l'importance d'éléments de preuve. Ces propos n'ont pas été

11 tenus sous serment. Ils n'ont pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire

12 et les propos n'ont pas été traduits par un traducteur officiellement

13 qualifié.

14 Donc on peut parler du principe, au minimum, que ces propos pourront être

15 contestés et que les éléments de preuve que pourrait donner M. Randal ne

16 correspondent pas à ce qui est stipulé dans la décision Kordic, au sujet

17 d'indices de fiabilité. Une fois encore, ici, le caractère central de ces

18 éléments de preuve pressentis ne s'impose pas.

19 Maintenant, s'agissant du mémoire préalable au procès, nous allons

20 présenter dix pages du mémoire préalable au procès où il y a des propos de

21 l'accusé au sujet de Banja Luka. Nous estimons qu'il y a suffisamment de

22 propos attribués à l'accusé -déjà dans ces dix pages- rapportés par des

23 témoins, d'autres témoins. Et, dans ces propos, il dit à peu près la même

24 chose que ce qui est rapporté dans l'article. Et il est inconcevable que,

25 dans un mémoire préalable au procès de 250 pages, on ne trouve pas des

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1 éléments de preuve dont on nous dit maintenant qu'ils sont absolument

2 essentiels.

3 Il est vrai que M. Randal a 69 ans. Il est maintenant à la retraite. Il ne

4 travaille plus pour le "Washington Post". 69 ans, c'est vieux pour un

5 correspondant de guerre, mais ce n'est peut-être pas le cas pour un juge.

6 Et M. Randal rédige actuellement un ouvrage sur le terrorisme. C'est

7 quelque chose qui l'intéresse beaucoup.

8 Enfin, les problèmes qui ont été identifiés par Mme Korner ne sont soit

9 pas des problèmes, soit des difficultés auxquelles est confrontée la

10 Chambre tous les jours. Elle nous dit: "Oh! Il n'y a pas de définition du

11 mot 'journalisme'." Mais bien sûr que si! Il existe une définition du

12 terme de "journalisme". On le trouve à l'annexe 5, en annexe de l'article

13 79 de la première Convention de Genève, paragraphe 3260, annexe 5 de notre

14 mémoire où il est stipulé que "le journaliste est également un écrivain,

15 quelqu'un qui écrit pour un quotidien, un correspondant de guerre, que

16 l'emploi habituel de ce terme se rapporte à des gens qui travaillent

17 habituellement dans la presse, etc.."

18 Donc c'est défini, c'est défini à cet endroit ce qu'est un journaliste. Je

19 réponds ici donc à Mme Korner sur ce point.

20 Elle nous dit que la Chambre doit savoir quel est l'essentiel des éléments

21 de preuve. Ceci se passe tous les jours ou toutes les semaines au Royaume-

22 Uni. Donc les problèmes auxquels est confrontée la Chambre et identifiés

23 par Mme Korner, ce sont des problèmes que le Tribunal connaît tous les

24 jours. Et, très souvent, la solution, elle se retrouve dans le bon sens,

25 dans le bon sens. Et en l'occurrence, nous pensons que c'est le cas.

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1 Si l'on examine, en effet, les éléments de preuve, on constate que les

2 choses sont très simples. On constate que M. Randal n'est pas en mesure de

3 donner des éléments de preuve cruciaux. Que ce soit pour la défense ou

4 pour l'accusation, l'article est recevable. D'ailleurs, la défense n'a pas

5 indiqué aux termes de l'Article 90, n'a pas identifié d'éléments cruciaux

6 pour la défense qu'elle souhaite obtenir de la part de M. Randal. Elle

7 souhaite apparemment simplement se livrer à une espèce de pêche à des

8 informations au sujet du contexte dans lequel tout cela s'est passé. Donc

9 cela n'a pas un impact direct sur la culpabilité ou l'innocence de

10 l'accusé. C'est indéniable. Quelles que soient les questions posées ou les

11 contestations éventuelles et hypothétiques au sujet du libellé du critère

12 que nous proposons, nous estimons que cette règle, ces critères seront

13 utiles, peut-être pas dans toutes les affaires, mais en tout cas seront

14 souvent utiles.

15 M. le Président: Je crois que tout cela, vous l'avez dit. Je crois que

16 cela a été entendu. La réplique consistait surtout à répondre à quelques

17 points que souhaitait Mme Korner. Je pense que vous avez eu largement

18 l'occasion de le faire.

19 Je me tourne vers mes collègues pour savoir s'ils ont des questions

20 supplémentaires à poser. Pas de question?

21 D'accord, Monsieur le Juge Meron.

22 M. Meron (interprétation): Je dois dire que la situation à laquelle nous

23 sommes confrontés -vu l'E-mail, le courrier électronique dont on nous a

24 informé- manque peut-être un peu de clarté.

25 Je serais très reconnaissant à Mme Korner de bien vouloir répondre à la

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1 question suivante: en partant du principe que M. Brdjanin ne conteste plus

2 l'exactitude des propos qui lui sont attribués, dans ces circonstances,

3 est-ce que vous auriez toujours besoin d'une citation à comparaître?

4 Mme Korner (interprétation): Justement, j'allais en parler. En premier

5 lieu, ce que j'essaie de faire comprendre… mon argument c'est que, bien

6 que Me Ackerman ait envoyé cet E-mail absolument incroyable,

7 extraordinaire, pas à la Chambre mais à l'appelant en lui disant qu'il ne

8 souhaite plus contester l'article, il faut que cela soit devant la Chambre

9 de première instance.

10 Deuxième chose, si la Chambre admet l'article, nous, au nom de

11 l'accusation, nous n'allons pas exiger que M. Randal témoigne. Mais Me

12 Ackerman, d'après ce que je comprends, demande toujours que si l'article

13 est versé au dossier, il faut ordonner au journaliste de venir déposer

14 pour qu'il puisse lui poser des questions de contexte. Mais tout cela est

15 un peu vague. Nous ne voulons pas, nous ne souhaitons pas citer à

16 comparaître M. Randal. Nous avons recueilli sa déposition ou sa

17 déclaration pour confirmer l'exactitude des propos. Si les propos ne sont

18 plus contestés, à ce moment-là, nous ne sommes plus intéressés à le citer

19 à la barre, sous réserve que l'article soit versé au dossier, soit admis.

20 Merci.

21 M. le Président: La technique va nous aider à interrompre cette audience,

22 puisque l'on me signale qu'il n'y a plus de vidéo. Nous sommes arrivés au

23 bout de nos travaux. Il n'y a plus de vidéo, mais il y a toujours le

24 transcript.

25 Ecoutez, tout le monde a pu avoir l'occasion de s'exprimer.

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1 Je remercie mes collègues de toutes les questions qu'ils ont posées et,

2 bien sûr, vous tous, avocats de l'appelant, les amici curiae, le

3 Procureur, ce qui va nous permettre de pouvoir maintenant délibérer.

4 Merci.

5 (L'audience est levée à 13 heures 05.)

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