Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le jeudi 5 février 2004

2 [Audience publique]

3 --- L'audience est ouverte à 14 heures 21.

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Madame la Greffière, pouvez-vous

6 appeler l'affaire s'il vous plaît ?

7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, il s'agit de

8 l'affaire IT-99-36-T, le Procureur contre Radoslav Brdjanin.

9 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Bonjour, Monsieur Brdjanin. Pouvez-vous

10 nous écouter dans une langue que vous comprenez ?

11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, je peux suivre les

12 débats.

13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci. Je crois maintenant que

14 l'interprétation marche, qui a préalablement dit, je n'ai pas entendu

15 l'interprétation en anglais de ce qu'a dit M. Brdjanin. Y a-t-il un

16 problème avec l'interprétation ? Y a-t-il des problèmes avec

17 l'interprétation ? Non, Monsieur Brdjanin, ce n'est pas à vous que je pose

18 la question. Je crois qu'il faut que je m'arrête ici. On est en train de

19 devenir compliqué.

20 Madame Korner, s'il vous plaît, veuillez vous présenter. Monsieur Brdjanin,

21 si un moment ou un autre, vous n'entendez pas ce qui se passe, vous ne

22 pouvez pas nous suivre dans une langue que vous comprenez, vous me faites

23 signe s'il vous plaît.

24 Alors Madame Korner, s'il vous plaît, la partie pour le Procureur.

25 Mme KORNER : [interprétation] Denise Gustin, commise à l'affaire, Ann

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1 Sutherland et Joanna Korner. Bonjour, Monsieur le Président, Mesdames les

2 Juges.

3 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Bonjour. La partie pour la Défense.

4 M. ACKERMAN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Mesdames les

5 Juges. Mon nom est John Ackerman. Je suis aujourd'hui ici avec David

6 Cunningham et Aleksander Vujic.

7 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci. Je comprends qu'il y a des

8 questions préliminaires, Madame Korner.

9 Mme KORNER : [interprétation] Oui. Simplement une seule question, Monsieur

10 le Président, nous comptons parce qu'il y a quelques temps déjà, vous nous

11 avez demandé de donner des copies de tous documents dans lesquels Brown

12 dans son rapport à fait allusion, mais qui ne sont pas versés au dossier.

13 C'est ce que nous avons fait, j'aimerais que cet ensemble de CD devienne

14 une pièce au dossier. Il s'agit de la pièce P2416.2. Si quelqu'un souhaite

15 les utiliser et ensuite leur donner un numéro de pièce différent, il n'y

16 aura aucun problème, en ce qui me concerne.

17 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci. Dès que le mieux serait que nous

18 puissions terminer cette affaire le plus rapidement, parce que moi Mme

19 Korner et Me Ackerman, j'ai de moins en moins de place dans mon bureau. Il

20 commence à y avoir de plus en plus de boîtes, et cela devient assez

21 ingérable.

22 Alors cela remercie, Madame Korner. Y a-t-il d'autres questions avant que

23 nous fassions entrer le témoin. Non, il va très bien. Nous pouvons faire

24 entrer le témoin, s'il vous plaît Monsieur l'Huissier.

25 Je trouve bien que vous utilisiez ces supports, parce qu'autrement, cela

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1 deviendrait de pire en pire, cela deviendrait impossible avec le nombre de

2 documents que l'on a dans cette affaire et dans les autres affaires.

3 Mme KORNER : [interprétation] Je crois que le Tribunal pénal pour l'ex-

4 Yougoslavie depuis qu'il a commencé a déjà peut-être détruit au moins deux

5 forêts équatoriales.

6 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] La seule autre affaire dans laquelle

7 j'ai eu autant de documents était une affaire concernant une fraude

8 bancaire et s'avait duré trois mois, et j'avais une pièce entière pleine de

9 documents à ce moment-là. Cela semble évidemment.

10 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

11 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Bonjour, Professeur Shoup.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Vous avez des problèmes à ce que je

14 vois, avec un dossier que vous voudriez avoir et que vous n'avez pas.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Effectivement. Je ne l'ai pas avec moi,

16 mais il n'y a rien d'urgent. Je ne sais pas quelle est la procédure à

17 suivre étant donné que je ne suis pas censé avoir de contact avec l'avocat

18 de la Défense, mais c'est vrai que j'ai oublié quelque chose lundi, et je

19 souhaiterais simplement vous passer une note.

20 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Qui est M. Hackworth ?

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Ici, John.

22 M. ACKERMAN : [interprétation] Je suis M. Hackworth.

23 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Ah, vous êtes M. Hackworth.

24 Le professeur Shoup m'informe du fait qu'il a laissé un dossier qui fait 61

25 pages dans votre bureau il aimerait les avoir.

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1 M. ACKERMAN : [interprétation] Avec votre permission Monsieur le Président,

2 j'aimerais qu'il soit remis à son hôtel.

3 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Est-ce que vous avez des objections,

4 Madame Korner ?

5 Mme KORNER : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

6 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci.

7 Bonjour, Professeur.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

9 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Vous voici de retour ici. Nous allons

10 commencer votre contre-interrogatoire. [comme interprété]

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, bien sûr.

12 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] En fait, non. Nous allons continuer

13 votre interrogatoire principal. Puis-je vous rappeler que vous êtes

14 toujours sous serment.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

16 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Monsieur Hackworth ou Monsieur Ackerman

17 --

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis désolé, je suis terrible avec les

19 noms.

20 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] -- va vous poser des questions

21 supplémentaires. Maître Ackerman ?

22 M. ACKERMAN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

23 LE TÉMOIN : PAUL SHOUP [Reprise]

24 Interrogatoire principal par Me Ackerman : [Suite]

25 Q. [interprétation] Bonjour Professeur, comment êtes-vous aujourd'hui ?

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1 R. Vous pouvez m'appeler par le nom que vous souhaitez.

2 Q. Alors, c'est intéressant à savoir. J'espère que vous avez apporté avec

3 vous votre dossier avec les pièces.

4 R. Oui, je crois. Ah, non. Je crois qu'il y a des questions qui vont être

5 posées concernant ce dossier, avec les pièces.

6 Q. Oui.

7 R. Je ne les ai pas avec moi.

8 Q. On va, quand même, en arriver à ce point-là. Cela va, juste, prendre un

9 peu plus longtemps. J'aimerais que l'on vous passe à présent la pièce

10 DB195, s'il vous plaît. Nous ne l'avons pas avec nous dans la salle

11 d'audience, je crois.

12 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je l'ai, si cela peut vous aider pour

13 poursuivre votre audience, je vais la passer à l'Huissier.

14 M. ACKERMAN : [interprétation] Je vous remercie. Cela ira beaucoup plus

15 vite, si nous faisions une pause de 15 minutes, et si nous le laissons

16 aller chercher le document, parce que l'hôtel est juste en face. Je pense

17 que ce serait mieux qu'il aille chercher le document et cela permettra

18 d'accélérer les choses, à long terme.

19 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Est-ce que vous allez utiliser ces

20 documents ?

21 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui.

22 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Mais nous les avons ici. Je peux lui

23 laisser utiliser mes pièces, je partagerai avec Mme Janu et Mme Taya. Cela

24 nous évitera de perdre du temps.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, je connais ce document.

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1 M. ACKERMAN : [interprétation]

2 Q. Le document que vous avez devant vous est DB195. Il s'agit d'un rapport

3 de combat normal, du commandement du 5e Corps de la JNA, du 26 mars 1992.

4 R. C'est exact.

5 Q. La seule partie de ce document qui m'intéresse et que j'aimerais que

6 vous regardiez, c'est la deuxième page, en ce qui concerne ?l'état du

7 moral?.

8 R. C'est exact.

9 Q. Vous verrez que : ?Tous, unanimement, pensent que le retrait de la JNA

10 de la Bosnie-Herzégovine ne devrait pas être permis à aucun prix.?

11 R. Mm-hmm.

12 Q. C'est la fin qui m'intéresse.

13 R. Oui, merci.

14 Q. La question que j'aimerais vous poser en ce qui concerne votre

15 connaissance de ce qui se passe ici, en Bosnie-Herzégovine : est-ce que

16 vous pouvez nous dire quelle est l'importance de ce passage ?

17 R. Oui, merci. La date de ce document, d'après ce que je comprends, est le

18 26 mars 1992. Avant le début de la guerre, le 6 ou 7 avril, je crois qu'il

19 s'agit d'un cri de douleur, d'une certaine façon, parce que ce sont là des

20 soldats qui se battent certainement en Croatie jusqu'à ce moment-là. Ils

21 sont, simplement, de retour en Bosnie, après avoir travaillé au sein de la

22 JNA. La plupart de ces soldats sont, certainement, de la Bosnie elle-même,

23 parce que, à ce moment-là, la JNA était, déjà, réorganisée de façon à ce

24 que les soldats qui étaient en Bosnie, seraient de Bosnie.

25 A l'intérieur des rangs de la JNA, à ce moment-là, il y avait également des

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1 musulmans. La question qui s'est posée est : ces unités allaient-elles

2 essayer d'être utilisées pour maintenir la paix et la stabilité en Bosnie ?

3 Ou devaient-elles participer à une sorte de conflit qui allait se produire

4 du côté des Serbes ? Franchement, je ne peux pas vous dire que, lorsqu'ils

5 disent qu'ils souhaitent rester en Bosnie, s'ils pensent de la première ou

6 de la deuxième façon. Mais, moi, ce que je crois, c'est qu'ils pensent des

7 deux manières. A la fois, ils veulent la paix et la stabilité en Bosnie,

8 comme la plupart des gens à ce moment-là, de l'autre côté, ils sont, aussi,

9 prêts à utiliser leurs armes, comme ils les ont utilisées face aux Croates,

10 s'il y a besoin, contre l'ennemi serbe. C'est tout ce que je peux dire

11 concernant ce document particulier.

12 Q. D'accord.

13 Mme KORNER : [interprétation] Monsieur le Président, avant que nous

14 continuions --

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

16 Mme KORNER : [interprétation] -- je voudrais demander à Me Ackerman et au

17 Témoin d'expliquer -- ou le Témoin -- est-ce qu'il est en train de faire

18 des suppositions, comme visiblement, il est en train de le faire ici, ou

19 alors s'il est en train d'étayer ce qu'il dit sur une connaissance qu'il

20 aurait d'un autre document ou d'une autre source. Parce que, pour

21 l'instant, je pense qu'il comptait faire une objection, parce qu'il s'agit

22 de suppositions et de spéculations, uniquement.

23 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, effectivement. Professeur Shoup,

24 vous avez entendu quel est le message qui vous est donné, ici ?

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. J'ai bien entendu, mais il ne s'agit pas

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1 de spéculations ou de suppositions uniquement. C'est ce qui se passait en

2 Bosnie, à ce moment-là. Je ne fais pas de spéculations en ce qui concerne

3 ma connaissance de la région et des gens. C'était clair, pour moi, qu'ils

4 voulaient rester. Il y en a qui voulaient rester pour défendre les Serbes,

5 au cas où il y ait une guerre imminente. Certains d'entre eux étaient,

6 probablement, musulmans et ils voulaient rester en tant que force de

7 stabilisation. Je ne crois que c'est quelque chose que je dise comme cela,

8 que j'invente sur le moment.

9 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, Maître Ackerman.

10 M. ACKERMAN : [interprétation]

11 Q. Le document suivant que j'aimerais que vous regardiez est la pièce P80,

12 s'il vous plaît.

13 R. Merci.

14 Q. Je vais vous demander de regarder l'Article 35 de ce document.

15 R. Oui.

16 Q. Vous savez de notre conversation précédente qu'il s'agit, là, des

17 statuts de la région autonome de Krajina, qui a été adopté le 16 septembre

18 1991. La partie, que j'aimerais que vous étudiez actuellement, est le

19 deuxième paragraphe de l'Article 35 où on lit la chose suivante : ?Les

20 décisions et la conclusion de l'Assemblée seront contraignantes pour les

21 municipalités associées, une fois qu'elles auront approuvé les assemblées

22 de municipalités.?

23 A nouveau, sur le fondement de votre connaissance de la future politique de

24 l'ex-Yougoslavie, est-ce que ce passage vous surprend ou pas ?

25 R. Oui d'une certaine façon, et d'une autre façon, non, parce que la

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1 culture politique de la Yougoslavie sous Tito et l'organisation des organes

2 de l'état sous le régime titoiste en Bosnie mettaient un accent très

3 important sur les municipalités et sur les opstinas et ils avaient beaucoup

4 de pouvoir. Il s'agit là d'un témoignage qui va même plus loin. On voit

5 que, pendant la période de confusion en Bosnie, les municipalités ont eu

6 encore plus de pouvoir. Je crois qu'on pourrait, même, dire, et il

7 semblerait ici oui, effectivement, que je suis en train de faire une

8 supposition et cela n'est pas fondé sur ma connaissance de la région.

9 Mme KORNER : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais faire une

10 objection.

11 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Vous avez raison, Madame Korner.

12 Mme KORNER : [interprétation] Je suis contre tout témoignage --

13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Non, non, vous avez raison.

14 Mme KORNER : [interprétation] -- qui est fondé, uniquement, sur des

15 spéculations, sur des suppositions.

16 M. ACKERMAN : [interprétation] Je suis d'accord, je suis d'accord avec

17 vous. Nous n'allons pas continuer plus loin dans cette objection. Je suis

18 d'accord.

19 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Le Professeur Shoup, s'il vous plaît,

20 je vous demanderais de ne faire que des affirmations et des conclusions,

21 pour fonder votre témoignage; des faits et non pas simplement des

22 hypothèses, des suppositions.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Je comprends très bien. Tout ce que je voulais

24 dire, c'était conclure que, en ce qui concerne l'Article 35, il semble que

25 les décisions de la région autonome de Krajina devront être approuvées par

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1 les municipalités. Cela semble, et ce n'est pas de la spéculation de ma

2 part, que c'est en accord avec la structure du système politique sous Tito.

3 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président--

4 Q. D'abord, je vais poser une question au Professeur Shoup. Nous allons

5 passer à un passage de votre ouvrage et je vais vous poser des questions à

6 ce sujet.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, certainement.

8 M. ACKERMAN : [interprétation] J'ai besoin de l'aide de l'Huissier. J'en

9 avais plusieurs copies dans mon attaché-case hier qui sont toujours ici et

10 je n'ai pas ma valise avec moi. Je vais utiliser ce document comme pièce.

11 Mme KORNER : [interprétation] S'agit-il du livre ?

12 M. ACKERMAN : [interprétation] Non, je l'ai donné au témoin. Alors,

13 veuillez passer cela à Mme Korner.

14 Q. Monsieur, en ce qui concerne votre ouvrage, je vais parler de votre

15 livre qui a été lu par une personne, et dont le rapport -- je viens de le

16 faire passer à Mme Korner.

17 R. Oui.

18 M. ACKERMAN : [interprétation] Il a écrit par Stjepan de l'université Texas

19 A&M, et qui dit la chose suivante :

20 L'INTERPRÈTE : Demande que Me Ackerman ralentisse, s'il vous plaît.

21 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui, effectivement, je vous prie de bien

22 vouloir m'excuser.

23 Vous avez la seule copie que j'ai, je puis vous dire toutefois, qu'elle est

24 quelque part. Je n'invente rien du tout.

25 Q. "Alors que Burg and Shoup pose plus de questions, qu'il ne donne de

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1 réponses, si toutes les parties sont coupables, si la guerre avait été

2 principalement locale, si les dirigeants n'avaient pas le contrôle absolu

3 de la chaîne du commandement ou des politiques, les implications, en

4 parlant des idées concernant la purification ethnique et le génocide dans

5 cette région, semblent problématiques. Une fois qu'on a terminé de lire ce

6 livre, on a l'impression qu'il y a eu un véritable chaos, alors que les

7 crimes contre l'humanité semblent demander qu'il y ait un certain ordre et

8 une intention claire."

9 Pensez-vous qu'il s'agisse d'une analyse juste de votre livre ?

10 R. Alors, j'aimerais commencer par dire que ce livre a été versé au

11 dossier. La Chambre pourra, elle-même, juger des questions, et de leur

12 impression du livre. Je trouve ce commentaire assez amusant, parce que

13 lorsque j'ai lu cet article, j'avais l'impression que M. Mestrovic

14 cherchait des réponses claires aux problèmes en Bosnie, en particulier, qui

15 était le méchant et qui était le gentil, et lorsqu'il ne l'a trouvé, il a

16 été surpris. Je sais que c'est souvent la réaction que les gens ont, en

17 lisant mon livre.

18 Alors, pour consoler cette personne, je ne pense pas qu'on puisse lire,

19 quelque part dans mon livre, quelque chose qui dise que les politiques

20 concernant la purification ethnique, par exemple, sont quelque chose qui

21 sont décidées à un niveau local. On parle, par exemple, du fait que les

22 Serbes se seraient rendus coupables de purification ethnique. On ne peut

23 pas dire que cela est quelque chose qui est fait comme cela sur le coup. Ce

24 n'est pas ce que nous disons dans le livre. Vous verrez, qu'au fur et à

25 mesure que le livre avance, on parle des motifs, des leaders très

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1 précisément que ce soit Karadzic, ou Izetbegovic. En fait, ce que nous leur

2 attribuons les politiques qui ensuite étaient observées.

3 Ce que je voudrais dire pour conclure, c'est que le sujet du livre, c'est

4 l'interaction entre la communauté internationale, d'un côté et les

5 dirigeants, de l'autre côté. En fait, ces leaders nous les traitons, dans

6 ce livre, comme s'ils étaient des porte-parole, des représentants de leurs

7 partis politiques, ou de leur point de vue. Je pense que, peut-être, nous

8 simplifions un peu la fracture qui existait entre ces différents groupes et

9 ces différents partis. J'aimerais terminer en disant que certains des

10 documents, auxquels nous avons accès à présent, les rapports de la CIA et

11 de ce type, montrent qu'il y avait, encore, plus de différence entre ces

12 groupes, que ce que le professeur Burg et moi-même avions compris, à

13 l'époque où nous avons écrit le livre.

14 Q. Comme question suivante, est-ce que vous trouvez qu'il y a des

15 différences entre l'organisation en fonction du niveau des structures que

16 vous avez étudiées ?

17 R. Peut-être que vous pourriez nous donner pour clarifier la question, un

18 exemple plus précis de ce à quoi vous pensez ?

19 Q. Vous avez parlé de l'interaction entre la communauté internationale et

20 les dirigeants ?

21 R. Oui.

22 Q. Il semblerait que ce n'est pas exactement les mots que vous avez

23 utilisés, mais qu'ils étaient assez bien organisés. Je voulais savoir si

24 vous trouviez ce type d'organisation à des niveaux plus bas, au niveau de

25 l'opstina, par exemple ?

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1 R. J'aurais du mal à dire oui ou non, parce que ceux d'entre vous qui ont

2 lu le livre, savent que, dans la plupart des cas, nous ne parlons pas des

3 éléments qui se sont passés à ce niveau-là. Je pense que je ne pourrai pas,

4 vraiment, répondre à cette question.

5 Q. Très bien. Je vais vous demander, maintenant, de passer à votre livre,

6 DB1, page 17.

7 R. Oui.

8 Q. Je vais vous demander de regarder la page 17, environ à deux tiers du

9 haut de la page.

10 R. Oui, bien sûr.

11 Q. Je vais vous lire le passage suivant : "C'est l'éclatement de la

12 Yougoslavie qui a ouvert la porte à la guerre en forçant la question de

13 l'autodétermination de la Bosnie-Herzégovine et de ses nationalités

14 respectives. Le passé violant de la Bosnie a augmenté les peurs et a

15 produit des mentalités qui, au niveau communautaire, ont empêché la

16 solidarité et une réconciliation mutuelle. Si la Yougoslavie avait survécu

17 et que la question de l'autodétermination n'avait pas été soulevée, si la

18 dissolution de la Yougoslavie avait été gérée au niveau international et à

19 l'intérieur du pays de façon à résoudre les conflits entre les républiques

20 et les nations de manière pacifique, les communautés ethniques de la Bosnie

21 auraient, très certainement, pu continuer à vivre dans la paix."

22 R. Oui, oui.

23 Q. Je vous demande si vous pouvez nous donner plus de détail sur ce

24 passage qui tire semble-t-il des conclusions.

25 R. Il y a plusieurs points que je souhaiterais soulever. D'abord, il faut

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1 dire que, comme il est écrit ici, le passé violent en Bosnie a ouvert le

2 chemin aux peurs. Ensuite, lorsque la question de la Yougoslavie est venue,

3 là, on a compris que la Bosnie était susceptible d'avoir une guerre civile.

4 Dans l'avenir nous allons, probablement, pouvoir parler de cette question,

5 et de cette culture politique et sociale et de ce caractère concernant la

6 Bosnie.

7 Il n'est pas très connu qu'il y a eu un rapport qui a été émis par l'agence

8 de renseignement des Etats-Unis où il était, tout à fait, clair qu'une

9 telle guerre civile était presque certaine. Si on parle de cela, les peurs,

10 les craintes, où quelque chose d'horrible pourrait arriver en Bosnie, je

11 crois que nous tous qui connaissions la Yougoslavie, nous anticipions

12 qu'une telle chose pourrait survenir.

13 Deuxièmement, je souhaiterais dire que si la Yougoslavie a survécu, si la

14 question de l'autodétermination n'avait pas été soulevée à ce moment-là, la

15 Yougoslavie aurait, systématiquement, gardé ses communautés de la Bosnie,

16 et les gens auraient vécu dans une Yougoslavie pacifique. Cette question de

17 communauté à l'intérieur de la Bosnie dépendait, d'une façon importante,

18 sur la présence de l'état yougoslave auquel les Musulmans et les Serbes de

19 Bosnie avaient exprimé leur loyauté. Je crois que c'est un concept qui est

20 assez facile à comprendre. Je crois qu'il ne faut pas y revenir.

21 Q. Professeur, vous devez vous rappeler qu'il faut ralentir le débit, je

22 vous prie.

23 R. Oui, certainement. Je vais m'efforcer de ralentir le débit.

24 Donc, en conclusion, ce que je souhaite dire, ici, pour répondre à votre

25 question, est simplement que précise quelque chose de très important à la

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1 fin du paragraphe. Nous lisons que les dirigeants nationaux faisaient face

2 à quelques obstacles qui jouaient sur cette peur. Quelle est la raison

3 pour laquelle, ils n'avaient pas fait face à l'opposition, à ce qu'on

4 anticipait ? Je crois que cela peut être posé comme question, mais je

5 souhaite dire, maintenant, c'est que ce qui est arrivé à la Yougoslavie

6 était assez tragique pour les Bosniens. Cela les a laissés à faire des

7 choix qu'ils ne voulaient par faire, surtout le fait de devoir faire le

8 choix de l'indépendance.

9 Lorsqu'ils ont du faire face à ce genre de choix là, ils ont des problèmes

10 qui sont survenus. La question qui est survenue surtout à ce moment-là,

11 c'est la question nationaliste. Les dirigeants nationalistes ont profité de

12 cette situation. Je crois que je vais m'arrêter ici.

13 Q. Cela nous ramène à la question suivante que je souhaiterais vous poser.

14 C'était la question qui a été soulevée par un passage qui se trouve à la

15 page 5 de votre livre, dans l'introduction. Vous avez appelé cela, vous

16 avez dit : ce qui est arrivé en Bosnie était quelque chose qui a été

17 appliqué qu'en Europe, dans l'est. En Europe orientale, nous avons pu lire

18 qu'il s'agissait de relations interethniques pour la plupart, c'est quelque

19 chose qui a été réservé

20 au groupe minoritaire et vous avez parlé ici de la question nationale.

21 Je crois de nouveau qu'il s'agit d'une question qu'il faut élaborer.

22 R. Oui, certainement. Lorsque l'on parle de la question nationale dans un

23 contexte comme celui-ci, dans un contexte où on parle de tout ce qui est

24 arrivé en Yougoslavie, il y a quelque chose d'important là. Lorsqu'on parle

25 de la question nationale en tant que scientifique, en tant que politicien,

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1 nous parlons du rôle de la relation qui existe entre l'état e la nation, et

2 les questions constitutionnelles qui y sont survenues.

3 Après ceci, je veux parler ici de la question à savoir quelle communauté

4 ethnique, quelle nation allait -- était titulaire de la nationalité, c'est-

5 à-dire la nation selon laquelle l'état serait nommé. C'était une question

6 importante. Ensuite il y a la question des droits, la question des

7 minorités et la question également de savoir qui a le droit de se séparer

8 du pays ?

9 Cela nous distingue de cette notion de la dynamique ethnique, c'est-à-dire

10 il y avait toutes ces rivalités entre les groupes ethniques, entre les

11 différents groupes ethniques. Il existait ce rapport entre les groupes

12 ethniques.

13 Je souhaiterais également ou je vais plutôt souligner, parler de la

14 distinction qui existait entre les rivalités ethniques car il y avait des

15 différences culturelles qui existaient chez les habitants de Bosnie, chez

16 les Bosniens.

17 Mais je souhaiterais dire quelque chose et c'est une observation

18 personnelle, bien sûr, mais je crois que dans le cadre du témoignage et

19 cela va transparaître c'est que la question nationale, la question à savoir

20 si une communauté ethnique précise avait le droit de bénéficier de

21 l'indépendance ou pouvait se prétendre nationalité titulaire était la force

22 conductrice derrière la désintégration de la Yougoslavie. En réalité même

23 si les rivalités ethniques étaient très importantes et ont causé un grand

24 nombre de problèmes en Bosnie-Herzégovine, c'était plutôt la question

25 nationale qui était la force conductrice et c'est elle qui se trouvait

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1 derrière la dissolution de Bosnie. Cela et les différentes disputes qui se

2 trouvaient en Bosnie dans ce cas-ci, c'est à savoir s'il devait y avoir un

3 état bosnien, simultanément si les Serbes avaient le droit de se séparer ou

4 si les Croates avaient le droit de se séparer, droit à la sécession, était

5 à savoir.

6 En disant ceci, il n'est pas près de savoir que dans -- pendant -- la

7 Yougoslavie de Tito et pendant la Bosnie de Tito, il n'y avait pas

8 d'animosités entre les différents groupes ethniques. Il y avait des

9 souvenirs du passé, des luttes très violentes qui ont eu lieu pendant la

10 Deuxième guerre mondiale. Nous allons en parler. Mais ce qui a introduit la

11 question de la rivalité ethnique, d'une certaine façon c'était la question

12 ethnique qui était derrière le tout. C'est-à-dire la sécession de la

13 Slovénie, la sécession de la Croatie et plus tard ce qui a suivi, c'est-à-

14 dire devrait-il y avoir une Bosnie ou non. Je crois que la question

15 nationale, comme j'essaie d'expliquer était selon moi ce qui est --

16 représente la question la plus importante. C'est une question primordiale

17 et c'est la question qui a fait en sorte que la Yougoslavie a éclaté.

18 Q. Je voudrais suivre de -- vous poser une question sur quelque chose que

19 vous avez dit. Vous avez dit que bien sûr il y avait une question a-t-elle

20 été vraiment posée ? A-t-il existé un débat, a-t-il existé autour de cette

21 question ?

22 R. Oui, toujours, bien sûr. Cela a toujours existé, simplement parce qu'au

23 début du 19e siècle et plus tard les serbes nationalistes et les croates

24 nationalistes croyaient toujours que la -- enfin essayaient toujours de se

25 partager la Bosnie pendant la Deuxième guerre mondiale. Vous savez que le

Page 24346

1 gouvernement Oustachi avait annexé la Bosnie, l'ensemble de la Bosnie parce

2 qu'ils ont toujours estimé que la Bosnie faisait partie de la Croatie et

3 cette question se pose même aujourd'hui à savoir s'il devrait y avoir une

4 Bosnie après la dissolution de la Yougoslavie. Ce n'est pas une nouvelle

5 question. La question n'est pas encore résolue. Bien sûr, les Serbes en

6 Bosnie avaient une autre opinion, une autre compréhension de la chose et

7 ils croyaient qu'ils avaient le droit à la sécession. Ils avaient

8 l'impression qu'ils n'appartenaient pas à la Bosnie.

9 Q. Y a-t-il eu des réunions ? Y a-t-il eu des discussions menées qui

10 auraient pu faire en sorte que la Bosnie disparaisse ? Est-ce que ces gens

11 en ont parlé ? Est-ce que les dirigeants en ont discuté de cela ?

12 R. Je ne peux pas vous donner de réponse précise là-dessus. Mais je dois

13 dire que la question qui se posait aux Serbes et qui a été posée par une

14 groupe de Croates, c'était le sécession de la Bosnie, c'est-à-dire que si

15 les Musulmans de Bosnie avaient décidé d'appeler ce qui restait de la

16 Bosnie, il n'y avait aucune objection à cela. Je ne suis pas tout à fait

17 certain pour dire si quelqu'un essayait de dire à quelques moments que ce

18 soit que la Bosnie avait complètement disparue. Pour faire une parallèle

19 avec ce que la commission Badinter avait dit que vous savez la Yougoslavie

20 est en état de dissolution même si la Bosnie n'existait plus en 1991.

21 Q. Très bien. Revenons maintenant au paragraphe 2, paragraphe par lequel

22 nous avons commencé --

23 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Que voulez-vous dire lorsque vous dites

24 que la Bosnie avait cessé d'exister en 1991, c'est ce que je souhaite dire.

25 Que voulez-vous dire par là ?

Page 24347

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je souhaiterais insister là-dessus. Je crois

2 que nous allons y revenir. J'essaierai d'être bref. A partir de 1989, selon

3 moi, et par la suite, il y a eu une mobilisation assez importante au sein

4 des communautés ethniques de la part de leurs propres dirigeants. Dans

5 certaines parties de la Bosnie en 1990 -- il n'y avait plus de gouvernement

6 dans l'Herzégovine occidentale et c'est en réalité cela que je voulais

7 dire. Il y avait un mini état si vous voulez. Ensuite il y a eu les

8 élections en Bosnie en décembre 1990 et nous allons maintenant revenir en

9 janvier 1991. Il y a une compétition entre eux -- les groupes ethniques

10 divers qui se trouvaient à l'intérieur de l'état lui-même, c'est-à-dire une

11 dualité entre le gouvernement de Bosnie à Sarajevo et le gouvernement au

12 niveau local. La conséquence de ceci est qu'il y avait comme une paralysie

13 en Bosnie. J'ai mis dans mon rapport une observation. J'ai dit que la

14 Bosnie était en fait devenu paralysée à cette époque-là puisqu'il y avait

15 des confits ethniques à l'intérieur et au sein de la Yougoslavie.

16 Mais par -- enfin selon mes commentaires, je veux dire que la Bosnie

17 n'avait pas légalement cessé d'exister. Ce n'est pas ce que j'essayais de

18 dire.

19 Q. Mais de façon fonctionnelle, elle a cessé d'exister ?

20 R. Oui.

21 Q. Au chapitre 2, page 16, je vous prie. Vous commencez le chapitre en

22 disant et je cite : "Pour la plupart de son histoire et je ne vous demande

23 pas de nous poser une question longue ici, mais pour la plupart de son

24 histoire, la société bosnienne a été partagée entre les Bosniens, les

25 Serbes et les Croates qui étaient alors divisés dans des groupes très

Page 24348

1 distincts et communautés distinctes."

2 R. Oui, oui, oui.

3 Q. Très bien. Voulez-vous nous dire brièvement quelque chose là-dessus ?

4 R. Je peux vous répondre à cette question de deux façons. D'abord à la fin

5 de l'aire communiste et je parle du règne de 45 ans de communisme, la

6 plupart des distinctions qui ont fait -- qui ont distingué la vie en Bosnie

7 jusqu'à cette époque-là, c'était différents niveaux entre les classes et

8 les groupes et quelqu'un peut dire que bien sûr des changements

9 fondamentaux ont eu lieu en Bosnie à cette époque-là. Néanmoins, ce qui

10 restait de cette relation sociale, culturelle, économique et politique qui

11 divisaient les communautés ethniques depuis les -- l'époque précédente

12 étaient quand même restées, on pouvait l'avoir, mais la Bosnie était

13 séparée d'une autre façon. C'est-à-dire que pendant le régime Titiste, elle

14 était séparée d'une autre façon, je veux en parler parce que je crois cela

15 va revenir un peu plus tard, la société était segmentée simplement parce

16 que ces questions où cette république a été développée seulement

17 partiellement.

18 La différence entre les villages et les zones urbaines étaient très

19 distinctes à cette époque-là. C'était très remarqué, il y avait différentes

20 traditions également qui existaient au sein de la Bosnie, j'en parle dans

21 mon rapport d'ailleurs. De plus vous trouverez que -- ou peut-être pas

22 tellement en Bosnie mais en Croatie, et c'est un phénomène que la Chambre

23 doit tenir compte de cela, ce qui s'est passé après la Deuxième Guerre

24 mondiale, et les conséquences de la Deuxième Guerre mondiale fait en sorte

25 qu'il y a eu dans les villages où les Allemands étaient partis c'était une

Page 24349

1 nouvelle phase de la société. Il y avait de nouvelles personnes qui

2 s'étaient installées dans ces villages. Lorsque la crise est survenue en

3 1991 et 1992, les nouveaux venus et les personnes qui étaient déjà sur

4 place, avaient une différence façon de réagir à la guerre. C'est-à-dire,

5 que les nouveaux venus qui venaient de la Bosnie et de la Croatie étaient

6 ceux qui prônaient pour la guerre. J'ai peut-être donné une réponse un peu

7 plus longue que vous ne l'aviez souhaité, mais je crois qu'il est

8 absolument important de savoir qu'il y a deux types d'habitants et c'est la

9 raison pour laquelle j'en ai parlé.

10 Q. Je suis très heureux de vous avoir demandé de répondre brièvement, je

11 me demande de quoi aurait eu l'air une question un peu plus longue. Mais il

12 faut nous en tenir au temps qui nous est imputé. Il faut essayer de nous en

13 tenir aux questions plus longues. Quand je vous demanderai d'élaborer, je

14 vous le demanderai, mais pour l'instant, je vous demande de vous en tenir à

15 des réponses un peu plus courtes, je vous prie.

16 R. Très bien.

17 Q. A la page suivante, juste avant la citation que j'ai citée tout à

18 l'heure.

19 R. De quelle page s'agit-il ?

20 Q. Il s'agit de la page 17. Alors vous dites ici, "L'histoire violente de

21 Bosnie doit être prise en considération si l'on veut comprendre la guerre."

22 Dites-nous simplement pourquoi vous avez dit cela ?

23 R. Oui. Je serai bref. Alors lorsqu'on dit ceci, c'était bien sûr, Cela a

24 fait l'objet de discussion, Malcolm m'a dit que oui, ce n'était pas violent

25 mais s'il faut considérer l'impact de la Deuxième Guerre mondiale, la

Page 24350

1 Deuxième Guerre mondiale a eu un impact très important sur les gens. Il y a

2 eu de grands massacres, de génocides, il y a eu lieu pendant cette époque,

3 la plupart d'entre vous le savaient, il n'est pas important d'entrer là-

4 dedans. Mais deuxièmement, je crois que lorsque vous parlez de l'histoire

5 violente de Bosnie, il faut absolument tenir compte du fait qu'il y avait

6 une zone qui appartenait à l'empire Austro-Hongrois, et il y avait une

7 frontière militaire qui séparait l'empire Ottoman de l'empire Austro-

8 Hongrois, et c'était une zone habitée par des gens qui étaient toujours

9 prêts à prendre les armes. Ce n'était pas une unité vide, mais vous pouvez

10 comprendre et je vais arrêter, je vais m'arrêter après cela. Mais je

11 souhaite simplement dire que dans nos rapports à la page 44 et à la page

12 45, je crois plutôt, j'en parle brièvement, je parle d'une lutte qui a eu

13 lieu à Medjugorje d'une bataille en réalité, et je crois que vous savez

14 sûrement de quoi je parle. C'était un anthropologue néerlandais qui a

15 parlé. La violence de cette bagarre était très importante, c'était entre

16 deux familles croates. Il ne s'agissait même pas d'un conflit ethnique, il

17 se coupait la gorge les uns aux autres, ils pendaient les membres de

18 famille, et c'est une cruauté assez surprenante que l'on voit dans cette

19 zone de la Bosnie-Herzégovine. Mais je peux dire qu'il faut être prudent et

20 de ne pas bien sûr utiliser ceci comme une explication à tout.

21 Q. Fort bien. Un des dilemmes auquel je fais face est la chose suivante.

22 Je vais vous poser la question de la manière suivante. C'est-à-dire, que

23 nous avons tous entendu parler longuement de ce qui s'est passé en Bosnie

24 et dans la zone de Bosanska-Krajina pendant la Deuxième Guerre mondiale.

25 Quelle était la situation qui existait entre les groupes ethniques qui

Page 24351

1 vivaient dans cette zone-là en Bosnie parlant de 1953 par exemple, huit ans

2 après la Deuxième Guerre mondiale ?

3 R. Je ne me suis pas trouvé dans camp d'arme en 1953. Quelques années plus

4 tard, je me suis trouvé en Bosnie, je peux vous en parler. Je pourrais

5 peut-être vous donner une réponse un peu plus générale. Je ne veux pas

6 prétendre que je me trouvais à Banja Luka à cette époque-là.

7 Q. Bien. Je vais peut-être reformuler ma question.

8 R. Oui. Faites, je vous prie.

9 Q. Y a-t-il eu quelques choses dans la façon dont le régime de Tito était

10 structuré ? Est-ce que cela a affecté les rapports qui existaient entre les

11 groupes ethniques après la Deuxième Guerre mondiale ?

12 R. Oui. Absolument. Je suis allé en Yougoslavie et brièvement j'ai fait un

13 séjour en Bosnie en 1952 et 1953 en tant qu'étudiant. Je dois vous dire

14 qu'il s'agissait d'une époque pendant laquelle le prestige de la

15 Yougoslavie était très élevé, Tito était adoré par tous les Yougoslaves, et

16 l'idéologie du régime était tel que les gens croyaient que la Yougoslavie

17 était un modèle de l'avenir des socialistes, mais ils ont cru, ils

18 croyaient à la fraternité, et à l'égalité. Pour ce qui est de la vie

19 quotidienne, il s'agissait d'une époque pendant laquelle des groupes

20 internationaux, d'étudiants venaient nous prêter mains fortes à construire

21 des autoroutes ainsi de suite, c'était un pays qui était très optimiste, un

22 grand optimiste régnait dans leur pays et je crois qu'eux à ce moment-là

23 les rivalités avaient été mises de côté. Cela ne veut pas dire que les

24 mentalités avaient changé, mais on ne voyait pas cela. Il y avait

25 fondamentalement des Serbes, des Croates, et des Bosniens, ils avaient une

Page 24352

1 identité ethnique que les gens avaient néanmoins gardée, mais les rivalités

2 entre les républiques ne s'étaient pas encore avérées,si vous parlez de

3 1953 il s'agissait d'une époque très optimiste.

4 Q. Que s'est-il passé avec les gens, les extrémistes et les nationalistes

5 extrémistes qui étaient là, pendant la Deuxième Guerre mondiale ? Etaient-

6 ils encore là ?

7 R. Oui. Tout à fait. J'ai rencontré en tant qu'étudiant des Chetniks qui

8 étaient venus me voir et ils voulaient me parler de ce qui s'était passé

9 durant la Deuxième Guerre mondiale, et ce qu'ils avaient fait. Ils étaient

10 sur place, ils étaient là. Mais je dois dire que les dirigeants eux même

11 n'étaient pas là, ils s'étaient fais arrêter, ils avaient été exécutés.

12 C'était ainsi, mais il est tout à fait possible de rencontrer dans la rue,

13 et cela m'est arrivé souvent, bien sûr, soit en Croatie ou ailleurs, des

14 personnes qui étaient soit très violentes qui étaient des nationalistes

15 très violents et cela m'a donné un sentiment assez étrange assez épeurant.

16 Q. Bien. Mais pour comparer ce que l'on voyait aujourd'hui en Bosnie, ce

17 que l'on voit aujourd'hui en Bosnie, c'était différent.

18 R. Je pense oui, tout à fait.

19 Q. Neuf ans plus tard, après la guerre, dites-nous qu'est-ce qui a

20 changé ? Quelle est la différence entre la Bosnie d'aujourd'hui neuf ans

21 après la guerre et la Bosnie de l'époque huit ans après la Deuxième Guerre

22 mondiale ?

23 R. Oui. C'était bien différent. Alors je vais élaborer. Les Bosniens

24 étaient tout à fait satisfaits de la place qu'ils occupaient au sein de

25 l'Yougoslavie. D'abord parce que pour les Musulmans c'était important

Page 24353

1 d'avoir une république à eux. Mais ce qui a été également important, c'est

2 que tous les Musulmans esclave se trouvaient au sein de l'Yougoslavie. Il

3 faisait partie de l'Yougoslavie et les Serbes également ils se sentaient

4 bien à l'aise avec la constitution de l'époque et tous adoraient Tito, et

5 c'était un point assez important qu'il faut dire.

6 Deuxièmement, c'est qu'ils se sentaient en sécurité et c'était un régime

7 qui était assez dur, en Serbo-Croate on dit : "cvrsta ruka" une main dure.

8 Mais ce sentiment de sécurité et de sûreté, était un sentiment qui était

9 très important, mais dans les petits villages par exemple, en Krajina ou

10 ailleurs, les gens se sentaient en lieu sûr, et je l'ai vu par moi-même. Ce

11 sont ces deux éléments que l'on ne retrouve pas aujourd'hui.

12 Q. Bien. Maintenant les membres les Juges de la Chambre ont entendu les

13 témoignages de bon nombre de personnes provenant de Bosnie concernant par

14 exemple en fait des personnes qui sont venues témoigner de village bosnien,

15 ils nous disaient qu'avant la guerre tout allait bien, il n'y avait pas de

16 tension interethnique, les gens se mariaient entre les différents groupes

17 ethniques et qu'il y avait des fêtes qui se faisaient lors de ces mariages,

18 que tout le monde venait à cette fête-là et que les rapports qui existaient

19 entre les personnes étaient bons, et ce que l'on peut conclure, et on peut

20 se poser la question, comment est-ce que les choses ont telles pu se

21 détériorer si facilement ? Lorsque la guerre a éclaté en 1991 ?

22 R. D'abord avant tout, il est important de comprendre que les choses

23 n'étaient pas parfaites, idéales, pendant la Yougoslavie de Tito. Les

24 rivalités existant entre les républiques; ils étaient en train de se faire

25 sentir sur des rivalités économiques concernant l'investissement,

Page 24354

1 l'économie, par exemple. En 1960 et avant 1960, on peut dire que le Kosovo

2 était un état politique, sous contrôle Serbe. N'importe qui, qui s'était

3 rendu sur place, à cette époque-là, avait pu entendre dire d'un Albanais

4 qu'il vivait dans un état policier.

5 J'étais là dans les années 1960 également. Ce que je veux dire par là,

6 c'est que, à l'époque cela n'affectait pas la vie quotidienne des gens, les

7 gens qui vaquaient à leurs besoins et qui vivaient normalement. Mais, il y

8 avait un système uni partite et les personnes se faisaient donner des

9 postes et, dans le cadre de la vie quotidienne, les gens ne comprenaient

10 peut-être pas, ne savaient peut-être pas, ne voulaient peut-être pas savoir

11 ce qui se passait exactement entre les républiques et parmi les

12 [imperceptible]. Et cela a existé jusqu'en 1990, 1991. C'est la raison pour

13 laquelle, les gens ont été tellement surpris. Les personnes n'avaient pas

14 tout à fait bien saisi ce qui se passait entre les régions elles-mêmes.

15 Q. Si l'on passe à la page 40 de votre livre, nous pouvons lire qu'il y a

16 quelques passages qui parlent du sujet justement duquel nous avons parlé

17 pendant les minutes qui ont précédé. Dans le premier paragraphe que l'on

18 peut lire, après la première phrase, nous pouvons lire que : ?La

19 possibilité du communisme de transformer la Bosnie et l'Herzégovine

20 [imperceptible] modèle selon lequel les gens vivaient dans la

21 multiethnicité, était très surprise puisqu'il ne faut pas oublier que,

22 pendant le régime communiste, qui a été un régime autoritaire, un contrôle

23 absolu était exercé sur les communautés ethniques de Bosnie.?

24 Plus tard, nous pouvons lire : ?Le succès remarquable des communistes de

25 consolider le pouvoir en Bosnie doit être attribué aux méthodes

Page 24355

1 draconiennes qui étaient utilisées pour éliminer les nationalistes, après

2 la guerre et les segments nationalistes aux fins de la population

3 bosnienne.?

4 Donnez-nous quelques commentaires là-dessus.

5 R. Je serai bref. Justement parce que c'est ce que j'ai essayé de vous

6 dire jusqu'à présent. C'est qu'il s'agissait de piliers de stabilité en

7 Bosnie. D'un côté, il y avait un régime qui était répressif mais assurait

8 aux personnes et leur disait qu'elles étaient en sûreté; et le deuxième,

9 c'étaient ces arrangements constitutionnels qui faisaient en sorte que les

10 Bosniens étaient tout à fait d'accord avec lui. C'est-à-dire que la

11 Yougoslavie était responsable de la Bosnie et qu'elle avait une autorité

12 sur eux.

13 Q. Je vous ai demandé un peu plus tôt de nous donner quelques commentaires

14 sur quelque chose, mais je suis encore tout à fait étonné qu'il y ait eu

15 tant de différences entre 1953 à 1994. Donc, si nous passons à la page

16 suivante, il s'agit de la page 42. Au début du dernier paragraphe de cette

17 page, vous pouvez lire : ?Les manifestations publiques d'intolérance

18 nationaliste étaient réprimées par le régime communiste.?

19 R. Oui.

20 Q. Si c'était la guerre après la Deuxième guerre mondiale, ce n'est pas le

21 cas aujourd'hui.

22 R. Oui, tout à fait. De nouveau, il s'agit de ce sentiment de sécurité qui

23 régnait chez les personnes lorsque la guerre a éclaté en Bosnie. C'était

24 différent. Avec le nettoyage ethnique, ces régions en Bosnie, ces régions

25 étaient homogènes, elles ne se sentaient pas insécures à l'intérieur de

Page 24356

1 leur propre enclave, mais ils sentaient cette insécurité quant à l'avenir

2 de leur propre enclave ou de leur propre identité.

3 Q. Ce qui nous mène, bien sûr, à la question suivante. Je souhaiterais que

4 vous élaboriez un peu là-dessus. Nous avons parlé d'une rigidité qui

5 existait pendant l'ère communiste. Nous avons vu une Yougoslavie qui sort

6 de cette rigidité et qui tient des élections multipartites. Quel était

7 l'effet que ce système rigide avait sur les efforts déployés pour essayer

8 de partager le pouvoir entre ceux qui étaient devenus des partis ethniques

9 plus tard ?

10 R. Je crois que quand on se réfère à la Bosnie, on parle de la Yougoslavie

11 dans son ensemble.

12 Q. Oui, très bien.

13 R. Cela est très important. La Bosnie avait une réputation, pendant l'ère

14 de Tito, d'être la république la plus doctrinaire, la plus rigide au sein

15 de la Yougoslavie. Il ne permettait absolument pas de mouvements

16 dissidents, tels que certains mouvements qui existaient en Slovénie, par

17 exemple. Ou même à Belgrade où les intellectuels étaient assez

18 indépendants, si l'on parle des années 1980, par exemple. Mais la

19 conséquence de ceci était que les différences politiques étaient tenues à

20 l'écart du public. Effectivement, même s'il y a eu de tels conflits, nous

21 avons pu le voir en Bosnie-Herzégovine en 1980, cela eu un effet assez

22 destructif sur le parti mais cela ne s'est pas traduit plus tard dans un

23 dynamisme de changement et de réforme. Mais ce qui est peut-être encore

24 plus important de dire, c'est qu'il n'y a jamais eu de mouvement dissident

25 en Bosnie, qui aurait pu outrepasser les barrières ethniques. S'il y avait

Page 24357

1 eu de tels mouvements, tel en Slovénie, lorsque les élections ont eu lieu,

2 on aurait pu voir un parti réformiste peut-être un peu plus puissant, qui

3 aurait pu inclure les trois communautés ethniques en obtenant un soutien

4 des zones urbaines de Bosnie.

5 En dernier lieu, à cause de cette rigidité au sein du régime bosnien, il

6 n'est absolument pas prêt, après les élections, lorsque les élections ont

7 eu lieu, ils n'avaient pas compris comment vivre et survivre ensemble.

8 C'était une situation de survie.

9 Q. Je crois que nous allons voir quelques exemples un peu plus tard,

10 lorsque nous allons revoir les documents qui proviennent de l'institut

11 Néerlandais.

12 A l'époque où la Ligue des communistes est en train de se dissoudre, on a

13 l'impression qu'un système tripartite va se développer, est-ce que l'on

14 ressentait le danger venant justement de cette partie ethnique en Bosnie ?

15 R. Oui, en effet. La première réaction de la Ligue des communistes était

16 d'essayer d'empêcher de telles élections. Ensuite d'empêcher les partis

17 nationaux à participer à ces élections. Evidemment, les deux tentatives,

18 comme nous le savons aujourd'hui, n'ont pas abouti. Je ne veux pas parler

19 des raisons pour cela, pour l'instant. Mais je pense qu'il est important de

20 savoir qu'il existait cette peur qui était tangible et ils avaient peur de

21 ce qui allait se passer si jamais, à l'issue de ces élections, un groupe

22 national, un parti national, vient à dominer les autres groupes, les

23 [imperceptible].

24 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, Madame Korner.

25 Mme KORNER : [interprétation] J'en ai déjà parlé hier, mais le professeur

Page 24358

1 Shoup en a déjà parlé hier et d'ailleurs aujourd'hui à nouveau, il parle de

2 choses qui figurent déjà dans le rapport du Dr Donia. Si vous regardez, par

3 exemple à la page 26 du rapport du Dr Donia, je pense qu'il n'est vraiment

4 pas nécessaire de parler de cela à nouveau.

5 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Madame Korner, pour être franc, hier je

6 me suis demandé justement si nous étions en train de juger M. Brdjanin ou

7 bien si nous étions dans une autre affaire. Mais je suis très patient, je

8 suis très patient, parce que c'est dans ma nature. Je ne souhaite pas, pour

9 l'instant, interrompre le témoin. Mais c'est vrai que nous pourrions

10 restreindre les questions et les réponses à ce qui est vraiment pertinent

11 en l'espèce et je pense qu'il conviendrait de continuer en étant plus

12 pragmatique.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais essayer d'être aussi bref que possible

14 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je voulais simplement demander à Maître

15 Ackerman. Je pense qu'il sait exactement ce que je veux dire.

16 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, merci.

17 Q. Je voudrais à présent discuter de la page 63 de votre livre. Nous en

18 sommes au paragraphe 3 qui est

19 intitulé : "La descente vers la guerre." Il y a trois points que je

20 souhaite soulever par rapport à ce chapitre. Je voudrais connaître vos

21 commentaires à ce sujet. Vous dites vraiment à la fin de la page 63, les

22 quelques dernières lignes.

23 Vous dites, je cite : "Le gouvernement de Sarajevo a été largement

24 contrôlé par le SDS puisque la Bosnie-Herzégovine était un état hautement

25 centralisé, ses dangers étaient tout à fait réels. Les dangers que la

Page 24359

1 communauté musulmane exclut les autres communautés du pouvoir, tout au

2 moins du cercle du pouvoir central, du gouvernement."

3 Comment se fait-il que le gouvernement de Sarajevo a été contrôlé à ce

4 moment-là par le SDA ?

5 R. Peut-être que les choses sont un petit peu simplifiées dans cette

6 phrase. Mais là nous sommes dans une période entre les élections, qui ont

7 eu lieu en 1990 et le 4 avril 1992, au moment où Izetbegovic déclare la

8 mobilisation générale à Sarajevo et les Serbes quittent Sarajevo. Après le

9 4 avril 1992, on sait exactement qui décide, qui détient le pouvoir. Mais

10 moi, je parle de cette tradition qui était la tradition bosniaque que

11 d'avoir un gouvernement centralisé. Les Serbes avaient de bonnes raisons

12 pour croire que le gouvernement bosniaque allait tomber entre les mains des

13 Musulmans. Je vais vous donner un exemple et je vais être très bref.

14 Tout d'abord, toutes les municipalités de Sarajevo avaient été habitées

15 majoritairement par des Musulmans sauf à Pale. Donc le pouvoir, la lutte

16 pour le pouvoir au niveau municipal continue et bien sûr, ce sont les

17 Musulmans qui gagnent le contrôle de ces différentes municipalités.

18 Ensuite, c'est ce qui est encore plus important. Si vous regardez ce qui se

19 passe avant le 4 avril 1992, vous allez voir que, Izetbegovic se comporte

20 comme un chef d'état. Le chef de la Bosnie, c'est lui qui décide, même s'il

21 existe encore une présidence collective de sept personnes, tournantes, mais

22 c'est lui qui décide de tout. Et quand il s'agit de discuter avec la

23 communauté internationale ou avec la JNA, et cetera, c'est Alija

24 Izetbegovic qui parle au nom du gouvernement de Bosnie.

25 Et ensuite vous avez aussi la peur des Serbes qu'il faut prendre en compte,

Page 24360

1 la peur que le gouvernement centralisé va, à la fin, tout simplement les

2 exclure.

3 Q. Très bien. Ensuite on parle de ce qui se passe en dehors de Sarajevo.

4 C'est dans le paragraphe suivant, vous dites : "Les Serbes du SDS ont

5 consolidé leurs pouvoirs là où les Serbes étaient majoritaires. A la veille

6 de la guerre au printemps 1992, il y avait des rapports indiquant que le

7 SDS avait purgé les gouvernements locaux dans les régions qui étaient

8 habitées majoritairement par les Serbes et insisté pour que les biens de la

9 communauté soient divisés entre différentes communautés ethniques."

10 R. Oui, c'est exact.

11 Q. Quand vous parlez de biens de la communauté, de la division, du partage

12 de ces biens, de quoi parlez-vous exactement ?

13 R. Si vous lisez le journal de l'époque, vous allez comprendre de quoi il

14 s'agit. Par exemple, vous avez les stations à essence, vous avez des

15 kiosques de vente de journaux, et cetera. Et c'était très simple, ils

16 voulaient les diviser entre différentes personnes. Je pense que tout le

17 secteur socialiste, qui était la propriété de la société à l'époque, est

18 devenue la propriété de la municipalité, y compris, les usines par exemple.

19 S'il s'agissait d'une usine extrêmement importante, c'était extrêmement

20 important de savoir, qui allait contrôler cette usine.

21 Et il en va de même pour les relais télé, les stations radio, télévision,

22 et cetera.

23 Q. Ceux qui allaient remporter la victoire --

24 R. Oui effectivement, il y aussi les postes de député au sein du

25 gouvernement municipal, les partis voulaient les monopoliser, pour eux,

Page 24361

1 pour leur donner le plus de postes. Evidemment, il y avait beaucoup de

2 luttes entre les communautés pour cela.

3 Q. Dans la phrase suivante, je pense que vous donnez justement l'exemple,

4 un exemple de ce processus.

5 Vous dites : "A Gorazde, le SDA commence à licencier les Serbes des postes

6 importants. Ces efforts n'ont pas plu à la communauté mixte des

7 intellectuels, qui ont essayé de calmer les tensions ethniques dans la

8 ville. Mais tout de même au cours de la troisième semaine du mois de mars,

9 Gorazde était une ville divisée par les barricades."

10 R. Ce passage, que vous venez de lire, a été écrit en 1988 -- en 1999. Moi

11 et le professeur Burg, nous avons pu avoir accès à un certain nombre de

12 documents et nous disons exactement d'où vient cette information, d'où nous

13 tenons cette information. Ce que je veux dire, c'est que tout cela était

14 confirmé par le rapport du professeur Duijzings, de l'institut Néerlandais,

15 pour la documentation de la guerre, qui a analysé en détails la situation à

16 Srebrenica et à Gorazde. Si vous voulez, ces deux récits sont parallèles,

17 contemporains et je pense que cette description est tout à fait exacte et

18 véridique.

19 Q. A présent je voudrais parler de votre rapport, Professeur ?

20 R. Oui.

21 Q. Tout d'abord, je pense que vous pourriez expliquer aux Juges de la

22 Chambre de quelle façon vous vous êtes acquis de cette tâche ?

23 R. Le matériel de mon rapport vient tout d'abord et avant tout du livre où

24 il y a beaucoup d'informations concernant l'histoire de Bosnie. Ensuite,

25 j'ai essayé d'introduire des matériaux venant des sources publiques qui

Page 24362

1 sont très importants pour le conflit en Bosnie. Il y en a trois. Tout

2 d'abord, l'institut Néerlandais pour la documentation de la guerre, c'est

3 une étude immense très fouillée et qui n'est accessible en langue anglaise

4 que dans sa forme électronique.

5 Ensuite, il y a aussi une étude en deux volumes venant de la CIA, qui est

6 intitulée : "Les guerres dans les Balkans"; et le troisième livre --

7 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas entendu la troisième source.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Ensuite, j'ai essayé de soulever un certain

9 nombre de points qui étaient contradictoires. Je savais très bien qu'ils

10 allaient intéresser les Juges de Chambre. C'est pour cela que j'en ai parlé

11 dans mon rapport, car il est important de déterminer la responsabilité pour

12 le nettoyage ethnique, la nature de la guerre et des haines ancestrales.

13 Tout cela, j'ai pu le trouver dans la bibliographie qui relève de

14 l'anthropologie et de la sociologie. Ensuite, je vais parler de cette

15 stratégie où l'on se pose en victime. Je ne pense pas qu'on ait parlé de

16 cela, auparavant. Je voudrais, tout simplement, vous dire quelque chose

17 également.

18 Je n'essaye pas de défendre la cause de qui que ce soit. Je voudrais que

19 ceci soit absolument clair, si l'on parle des conflits ethniques où vous

20 aurez souvent la transgression de normes du comportement international, et

21 des deux côtés. C'est un parti pris, vous ne pouvez pas avoir les bons d'un

22 côté et les mauvais de l'autre côté. Il ne faut pas regarder les choses

23 comme cela.

24 Je pense qu'il faut bien connaître les Balkans. Il faut savoir ce que

25 c'est. On ne peut pas dire que c'est une autre région, que se ne sont pas

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1 les Balkans. Vous avez toute une tendance parmi les professeurs et les

2 chercheurs, qui fait en sorte comme si cela n'était pas particulier à la

3 région où cela s'est passé. Je pense que les Balkans ont une histoire

4 unique et qu'il faut en tenir compte. C'est un critère qui est, absolument,

5 crucial.

6 Q. A la page 3 de votre rapport, en haut de la page, vous dites : "Il faut

7 commencer par la Yougoslavie. Ce pays était, en dépit de son succès initial

8 d'unifier les Slaves du sud, basé sur un certain nombre de contradiction.

9 Tout d'abord, c'était un pays qui était, fondamentalement, instable. La

10 nature même de son contrat social était contradictoire, si on peut

11 l'appeler comme cela, entre les peuples qui se trouvaient unis dans un état

12 commun. La deuxième contradiction vient du caractère autoritaire du régime

13 qui était en place aussi bien avant qu'après Deuxième Guerre mondiale. La

14 troisième contradiction vient du fait que cet état n'a pas réussi à créer

15 une idiologie commune pour les Slaves du sud."

16 Nous n'avons, jamais, parlé de cela, je pense. Est-ce que vous pourriez

17 nous faire un commentaire, nous dire davantage au sujet de ces

18 contradictions, mais pas trop longuement ? Nous allons parler des deux

19 premières, mais pas de la troisième. De quoi voulez-vous parler exactement

20 quand vous dites qu'une idiologie commune yougoslave n'a pas pu être créée

21 ?

22 R. Je vais essayer d'être assez bref. Le professeur Donia, car moi, je

23 suis un chercheur en politique. Le professeur Donia est un historien. Il a,

24 probablement, parlé des trois choses. Il y avait, au début du siècle, un

25 véritable sentiment pro yougoslave dans le pays des Slaves du sud. C'est

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1 pour cela que la Yougoslavie a été créée. Si vous lisez le livre "Black

2 Lamb and Grey Falcon", vous allez voir qu'il y avait des individus qui

3 croyaient, vraiment, en la Yougoslavie. En 1929, quand la dictature a été

4 établie par le roi Alexandre, vous voyez aussi l'angle serbe, si on peut le

5 dire ainsi, qui essaye de préserver la Yougoslavie en tant qu'état. Cette

6 notion va au-delà des sentiments nationaux de la plupart des nationalités.

7 Je ne voudrais pas en dire davantage, mais il faut, tout de même, se

8 rappeler des communistes après la Deuxième Guerre mondiale qui ont parlé

9 justement de cet échec. Je parle, là, des années 60. Ces gens ne se

10 sentaient pas comme des Yougoslaves.

11 Là, nous parlons de 1963. Même les enfants comprennent de quoi je parle.

12 Par exemple, une jeune fille de Macédoine qui va à la 4e ou 5e classe de

13 l'école élémentaire dont le père est Slovène et dont la mère est

14 Macédonienne m'a écrit une lettre, en disant qu'elle était contente d'être

15 Yougoslave. Cela vous montre, mieux que quoi que ce soit, à quel point ces

16 tendances nationalistes sont absurdes.

17 Q. Pourriez-vous attendre quelques secondes avant de répondre à mes

18 questions, parce qu'apparemment, nous allons beaucoup trop vite pour les

19 interprètes.

20 R. Oui, bien sûr.

21 Q. A la page 5, vous parlez de ces nuances, les nuances dont vous avez

22 parlé donc dans la phrase qui précède celle-ci. Les nuances qui existent

23 dans la relation entre les Serbes et les Croates en Bosnie, d'un côté et

24 leurs pays respectifs en dehors de la Bosnie, à savoir, la Serbie et la

25 Croatie. "Les Serbes et les Croates de Bosnie se tournaient tantôt vers

Page 24365

1 Zagreb ou Belgrade pour accéder au pouvoir. Ceci est surtout valable pour

2 l'époque de crise."

3 Des trois peuples en Bosnie, les Serbes, les Croates, et les Musulmans,

4 est-ce que vous voulez dire, qu'en réalité, les Serbes se tournaient vers

5 la Serbie en temps de crise, que les Croates se tournaient vers la Croatie

6 en temps de crise, mais les Musulmans, eux qu'est-ce qu'ils faisaient ?

7 R. Je voudrais, tout d'abord, dire quelque chose d'autre, et c'est très

8 important pour la guerre en Bosnie. C'est que les relations entre, par

9 exemple, Belgrade et les Serbes en Bosnie ont toujours été tendues. Ceci à

10 cause de Milosevic qui voulait, avant tout, poursuivre ses propres

11 intérêts, qui concernaient avant tout la Serbie. Les intérêts de Belgrade

12 étaient avant les intérêts des Serbes de Bosnie, et cetera. Il y a un

13 exemple que je vais vous donner pour cela. En Croatie, un accord est passé,

14 laissant les forces de Nations Unies ou FORPRONU venir occuper ces régions

15 où les Serbes étaient minoritaires. Les dirigeants serbes, il y en a un qui

16 a témoigné contre ceci, Babic, par exemple, était au pouvoir à l'époque. Il

17 était contre cela. Milosevic lui a dit : "Tu dois nous comprendre, tu dois

18 comprendre que nos intérêts viennent avant les vôtres." Milosevic était,

19 tout à fait, prêt à laisser ces gens en Croatie, si cela n'était pas de son

20 intérêt de les aider. C'était la même chose en Bosnie à la fin de la

21 guerre. Je pense qu'il est très important de comprendre ces tensions.

22 Q. Une question qui apparaît est la création d'une grande Serbie. Pouvez-

23 vous nous faire un commentaire à ce sujet ?

24 R. Les Serbes n'ont jamais fait des plans pour créer une grande Serbie.

25 Ils étaient prêts à rester au sein de la fédération à partir du moment où

Page 24366

1 tous les Serbes restaient vivre dans un même pays. Ils ne voulaient pas,

2 forcément, avoir la grande Serbie. Ils voulaient, tout simplement, rester

3 dans un même et un seul état. Ensuite, vous aviez cette position qui était

4 plus radicale, à savoir la position qui consistait à créer une grande

5 Serbie. Par exemple, l'extrême droite de Seselj avait invoqué de tels

6 projets, une Serbie qui irait jusqu'à Zagreb, et cetera. Il y a une grande

7 différence entre ces deux positions, ces deux points de vue.

8 Ensuite, les Serbes qui étaient en Bosnie ou en Croatie et qui voulaient,

9 désespérément, joindre la Serbie, ils n'étaient pas pour la création d'une

10 grande Serbie, ils voulaient tout simplement rester en Serbie. Ils

11 voulaient faire partie de la Serbie. Par exemple, les Serbes de Bosnie,

12 dans la Krajina, n'étaient pas tellement préoccupés par la question du

13 Kosovo car si tel avait été le cas, ils auraient été à fond pour la grande

14 Serbie. Mais ce n'était pas le cas. Ce qu'ils voulaient, c'était de rester

15 en Serbie. Je vais parler de la position de Milosevic qui quant à lui

16 prônait l'idée de grande Serbie. Il a fait cela pendant toute la guerre en

17 Bosnie.

18 M. ACKERMAN : [aucune interprétation]

19 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Nous allons prendre une pause de 25

20 minutes.

21 --- L'audience est suspendue à 15 heures 42.

22 --- L'audience est reprise à 16 heures 16.

23 [La Chambre de première instance se concerte]

24 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, M. Ackerman.

25 M. ACKERMAN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

Page 24367

1 Q. Professeur, il faut que nous soyons gentils avec les traducteurs.

2 R. Oui.

3 Q. Mais il faut que nous avancions également un peu plus vite, parce

4 qu'autrement, nous n'aurons jamais terminé.

5 R. Oui, vous avez raison.

6 Q. Maintenant, je vais vous référer à la page 5 de votre rapport, et

7 environ à deux tiers du haut de la page. Vous disiez que avec le

8 démantèlement de la Yougoslavie, il y avait la violence, et l'éruption

9 d'une guerre civile en Bosnie était virtuellement inévitable. Pourquoi en

10 arrivez-vous à cette conclusion ?

11 R. Oui. Je pense parfois que les gens qui ont observé la guerre en Bosnie,

12 étaient parfois détachés, et assez irréalistes. Si le reste de la

13 Yougoslavie vivait dans la violence, en particulier dans ce cas, la guerre

14 entre la Serbie et la Croatie, il y avait un nationalisme euphorique qui

15 s'étendait à travers la Yougoslavie, et ce qui était le cas à la fin des

16 années 1991 en Slovénie et en Croatie, et bien sûr en Serbie, et il est

17 absolument impossible de penser que cela n'aurait pas été le cas en Bosnie

18 également. C'est la manière la plus claire, la plus simple que je puis

19 exprimer ceci. Il y avait également d'autres facteurs, par exemple lorsque

20 la guerre a commencé entre la Serbie et la Croatie, les militaires sont

21 arrivés dans la région, et les Nations Unies sont arrivés en tant que force

22 de maintien de la paix, et les paramilitaires ne savaient plus où aller,

23 alors ils sont allés en Bosnie. Il s'agissait d'une force qui dérangeait

24 les choses, et ce qu'ils cherchaient, c'est une nouvelle guerre. Et en

25 fait, tout cela aurait pu être évité, s'il y avait une résolution pacifique

Page 24368

1 du conflit entre la Serbie et la Croatie.

2 Q. A la page 6, vous parlez, et je crois que dans ce deuxième paragraphe

3 de la page 6, ce dont vous parlez, c'est qu'au moment où la guerre commence

4 en avril 1992, vous dites la chose suivante :

5 Nous avons parlé avant du fait que tout le monde s'entendait très bien en

6 ex-Yougoslavie ainsi qu'en Bosnie, et tout à coup, tout est parti en

7 [imperceptible]. Alors que les Musulmans de Bosnie qui étaient censés être

8 très peu tolérants appelaient ceux qui étaient de l'autre côté des

9 barricades, les Serbes Chetnik. Les Serbes étaient convaincus du fait que

10 les Musulmans étaient infiltrés par les Moudjahiddines et allaient créer un

11 état musulman. Les Croates de Herzégovine occidentale étaient appelés

12 Oustachi, ces perceptions, on pourrait même ajouter, n'est pas inventé par

13 les dirigeants nationalistes, bien qu'il y ait eu beaucoup de propagande de

14 chaque côté, mais cela avait une résonance très profonde à cause du passé

15 de la Bosnie, et dans l'ensemble du peuple bosniaque.

16 Est-ce que vous dites que ce type de discours qui s'est développé, ce type

17 de comportement qui on a vu par la suite était simplement du fait de la

18 Bosnie à l'intérieur, et qui n'a pas eu beaucoup de mal à faire ressortir

19 cela à la surface. C'est-ce que vous êtes en train de dire ?

20 R. Non, cela n'a pas demandé de grande chose pour que cela revienne à la

21 surface. Si vous écoutiez les conversations privées entre les Serves et les

22 Croates, la notion, le fait, l'idée que les Oustachi étaient toujours là ou

23 qu'ils avaient toutes ces choses aux Serbes pendant la guerre, les gens en

24 parlaient toujours dans la vrai vie sous le régime de Tito cela n'avait pas

25 d'importance. Mais lorsque le Titoisme s'est écroulé, lorsque le communisme

Page 24369

1 s'est écroulé, je pourrais dire la chose suivante : Le présent -- le passé

2 a capturé le présent. Il faut penser en ces termes. C'étaient exactement

3 les termes qui étaient utilisés et discutés lorsque les gens avaient des

4 conversations privées dans leur cuisine. Tel que moi, j'ai pu entendre ces

5 conversations à maintes reprises à l'époque de la paix.

6 Q. Nous avons parlé des formations des partis fondées sur l'appartenance

7 ethnique le SDA, le SDZ et HDZ. Il s'agissait, il y avait une campagne

8 politique qui avait eu lieu parce qu'il y avait les élections. A la page 14

9 de votre rapport, vous décrivez, vous parlez du rapport de l'institut

10 Néerlandais, et vous décrivez une manifestation politique qui a eu lieu le

11 10 septembre 1990 à et elle est décrite de la manière suivante par

12 l'institut Néerlandais. Le 10 septembre 1990, la plus grande manifestation

13 du SDA lors de la campagne électorale à Velika, Kladusa a poussé un nom qui

14 est inaudible par l'interprète au-delà de ces limites. Je vais faire une

15 pause. Nous avons entendu un peu parler de cette personne. Nous en avons

16 entendu parler hier sur la cassette. Alors dites-moi, qu'il était et quel

17 rôle il jouait à un moment où ces événements avaient lieu.

18 R. Bien. Il s'agissait d'un homme d'affaire très riche. Un Musulman

19 bosniaque qui vivait à Zurich, et qui avait vu les atrocités qui avaient

20 été commises pendant la Deuxième Guerre mondiale, parce qu'il était jeune.

21 Il est revenu en Bosnie, pour essayer de devenir un ministre de la Défense.

22 Il a ensuite quitté pour essayer d'avoir un peu d'influence

23 L'INTERPRÈTE : L'interprète se reprend et non pas ministre de la Défense --

24 R. il a ensuite fait partie du SDA, et ensuite, il a quitté le parti,

25 parce qu'il avait trouvé que le pari était trop extrême, que je ne savais

Page 24370

1 pas lorsque j'ai lu ce rapport concernant la manifestation politique, le

2 meeting politique à Velika Kladusa c'était à ce moment-là, a joué un rôle

3 particulier dans sa décision. Il pensait que le SDA était trop extrême, et

4 ensuite il a continué son action politique. Il a créé un nouveau parti

5 musulman qui a participé aux élections mais qui n'a pas obtenu de voix.

6 Q. S'agit-il du MBO ?

7 R. MBO, effectivement, excusez-moi.

8 Q. Continuons sur ce que Duijzings dit : "A la présence d'environ 200 000

9 personnes, les partis ont dit clairement que les Musulmans n'étaient pas

10 prêts à vivre dans une Yougoslavie croupion et que s'il le fallait, ils

11 allaient prendre les armes pour défendre la Bosnie-Herzégovine. Il y avait

12 des centaines de drapeaux verts à des gens qui étaient habillés en vêtement

13 arabe, et des portraits de Saddam Hussein. Les gens chantaient 'Longue vie

14 à Saddam Hussein' nous allons tuer VUK," et entre on voit que c'est

15 Draskovic. Alors de qui s'agit-il ?

16 R. Il s'agit d'une des régions politiques de Serbie, également, un

17 romancier qui avait écrit des romans sur la Deuxième Guerre mondiale "Les

18 Musulmans contre les Serbes". Ces personnes réagissent à qui considère être

19 comme un nationaliste, un Serbe nationaliste.

20 Q. Nous continuons. Après cela il n'a plus fait confiance à Izetbegovic,

21 le 18 septembre avec un certain nombre d'alliés, juste une semaine après en

22 quelques termes, lui et Mohamed Filopovic ont quitté le SDA sans

23 hésitation. La Chambre sait qu'il y a deux Mohamed Filipovic. Un qui vient

24 de Kljuc et un qui était professeur à Sarajevo.

25 R. Il s'agit du professeur de Sarajevo.

Page 24371

1 Q. Lors de cette réunion politique, il y avait 200 000 personnes d'après

2 ce qui est écrit dans ce rapport. Ceci aurait-il pu avoir lieu dans un vide

3 de façon à ce que personne à Velika Kladusa soit au courant.

4 R. Bien sûr que non. Je n'étais pas en Yougoslavie à ce moment-là. Mais ce

5 que je peux dire c'est que la nouvelle se serait répandue très rapidement.

6 On aurait dit que des Serbes pensaient que les Musulmans prenaient chacun

7 une voix différente.

8 Q. Le passage dit que cela a eu pour résultat qui ne faisait plus

9 confiance à Izetbegovic.

10 R. [Le témoin opine]

11 Q. Savez-vous nous dire s'il s'agissait de quelques choses qu'a fait

12 Izetbegovic ou si c'est quelques choses d'autres ?

13 R. Oui. Je ne crois pas que cela soit dans le rapport, mais si vous

14 continuez à lire le rapport du professeur Duijzings vous verrez qu'il dit :

15 Nous allons nous battre pour une Bosnie dans laquelle les Musulmans", je

16 veux pas vous donner la phrase exacte, s'il le faut nous allons nous battre

17 pour être sûr que la Bosnie est un état indépendant et je ne me souviens

18 pas exactement ce qu'il dit sur le rôle musulman, mais il a un ton

19 extrêmement agressif, et pour Zulfikarpasic, lorsque Izetbegovic se prétend

20 être un modéré alors qu'en fait, il était prêt à aller jusqu'aux extrêmes

21 si c'est le but qu'il souhaite atteindre. Je suis désolé, je ne peux pas

22 vous donner la phrase exacte.

23 Q. Alors je vais revenir en arrière de quelques secondes, je crois qu'il

24 s'agit de la page 17 de votre rapport, il y avait une disposition dans la

25 constitution de 1974 pour la création d'après ce que vous avez écrit vous

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1 dans votre rapport pour un conseil de légalité nationale. Il s'agissait

2 d'un amendement qui a été adopté bien après 1974. C'est un amendement qui

3 avait pour but de créer ce conseil pour l'égalité nationale. Est-ce que

4 vous pouvez nous dire pourquoi ce conseil n'a jamais vraiment été formé, il

5 n'a jamais vraiment pris naissance ?

6 R. Cet organe dont pour lequel il y avait eu un amendement qui avait été

7 fait à la constitution de 1974 et qui a été adopté en 1990, aurait dû

8 entrer en vigueur avant les élections même de la fin de 1990. J'ai demandé

9 à mes collègues de Sarajevo de me donner plus d'informations sur cette

10 question constitutionnelle et je n'ai rien obtenu. Malheureusement je ne

11 peux pas vous donner de vraie réponse. Ce que je pense c'est que ni les

12 Serbes, ni les partis musulmans étaient vraiment intéressés par la

13 formation de cet organe et avoir un dialogue, une sorte de consensus pour

14 essayer de sauver la Bosnie. Mais ce qu'ils voulaient faire, c'était

15 diviser les actifs entre eux. C'est cela qu'ils voulaient faire. Ils

16 n'étaient pas prêts à s'asseoir et à faire de arrangements constitutionnels

17 entre eux, de façon à ce que la Bosnie fonctionne.

18 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Un instant, Maître Ackerman.

19 Mme KORNER : [interprétation] Je ne pense pas que nous puissions ne pas

20 voir que je veux faire une objection sur ce point, lorsque j'entends ?mon

21 impression est qu'est ce que j'en pense," c'est plutôt la même chose que de

22 dire "ma supposition est la suivante."

23 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, merci Madame Korner, vous avez

24 tout à fait raison. Ce qui me surprend, Professeur Shoup, c'est quelque

25 chose, juste après ce que vous venez de dire, après avoir lu votre rapport

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1 et votre livre, et le rapport du Professeur Donia et bien sûr, ma propre

2 connaissance des événements. Comment réconciliez-vous le fait que, les

3 Serbes et les Croates essayaient de se partager la Bosnie, aurait pu être

4 quelque chose que voulaient, à la fois les Serbes et les Croates, mais

5 certainement pas les Musulmans puisque vous dites que les Serbes étaient

6 intéressés par le fait de diviser, de se partager, d'attraper les actifs.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous vous apercevrez, en lisant le livre,

8 qu'il y a un moment après les élections où les trois partis nationalistes

9 s'entendaient très bien ensemble. La raison de cela est qu'ils étaient

10 anti-communistes. Ils étaient heureux. C'était une victoire que les

11 communistes n'étaient plus au pouvoir et ensuite, ils allaient pouvoir se

12 réunir ensemble et célébrer la victoire.

13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Mais c'était quand ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] C'était en janvier 1992. Au même moment, un

15 processus a commencé : celui de diviser, de se partager les actifs de

16 l'état. Les trois partis étaient d'accord sur le fait que c'était ce qu'il

17 fallait faire.

18 Je vais vous donner un exemple de cela. Exemple 1 : Avant le début de la

19 guerre, on parle maintenant du 2 mars 1992, c'est-à-dire huit mois [comme

20 interprété] avant que la guerre ne commence, il y avait des barricades à

21 Sarajevo. Les Serbes font certaines demandes et ces demandes, c'est la

22 division de la police, de la télévision, et cetera.

23 En réalité, le SDA n'était pas nécessairement contre ce type de division.

24 Jusqu'à ce moment-là, il s'agissait d'une télévision yougoslave. Par

25 exemple, Utel, la télévision yougoslave, fonctionnait toujours à Sarajevo

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1 jusqu'en mai 1992. Les trois partis nationalistes étaient contre la

2 couverture faite par Utel de la Bosnie, parce qu'il s'agissait d'une

3 couverture assez large. On montrait les points de vue, les opinions des

4 trois côtés. Moi, ce que je dis, c'est qu'ils avaient, tous les trois, un

5 intérêt à diviser la télévision, les communications, les actifs des

6 municipalités, selon les critères ethniques. Le problème, c'est qu'ils ont

7 commencé à se disputer pour savoir qui aurait quoi, et cetera. A la fin,

8 les Serbes ont cherché à utiliser ce qu'ils avaient déjà reçu pour créer

9 leur propre région à l'intérieur de la Bosnie. Et, petit à petit, ils ont

10 eu le pouvoir d'organiser leur propre région serbe. En fait, il n'y a pas

11 de contradiction, entre ces diverses choses qu'ils ont pu faire, au

12 printemps 1992.

13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien, Monsieur Ackerman, vous

14 pouvez continuer.

15 M. ACKERMAN : [interprétation]

16 Q. Alors, je vais en venir trois mois en arrière, au parlement bosniaque

17 en octobre. Il y a un débat très important sur un mémorandum, la

18 déclaration de souveraineté de la Bosnie-Herzégovine. Pour attirer votre

19 attention sur le point où nous en sommes, c'est le débat où la fameuse

20 déclaration de Karadzic, qui a été appelée une menace, a été faite. A la

21 page 77 de votre ouvrage, vous parlez de cela en détail, je ne vais pas

22 moi-même les citer, si ce n'est simplement vous poser la question suivante

23 :

24 Il y a eu d'abord le refus de la création de ce conseil de l'égalité des

25 nationalités, [imperceptible] le refus de renvoyer l'affaire devant ce

Page 24375

1 conseil parce qu'il n'existait pas encore. Ensuite, vous pouvez peut-être

2 regarder rapidement votre livre, il s'agit de la page 77, il dit : "Je vous

3 demande à nouveau, je ne menace pas, mais je vous demande de prendre

4 sérieusement l'interprétation de la volonté politique du peuple serbe qui

5 sont représentés ici par,? et la citation dit le SDP, ?et le Mouvement de

6 renouveau serbe et un certain nombre d'autres partis serbes. Je vous

7 demande de prendre sérieusement le fait que ce que vous faites n'est pas

8 bon. Est-ce que c'est la voix sur laquelle vous voulez emmener la Bosnie-

9 Herzégovine, la même autoroute vers l'enfer ? Et la souffrance que la

10 Slovénie et la Croatie ont pris ? Ne pensez-vous pas que vous allez emmener

11 la Bosnie-Herzégovine vers l'enfer ? Ne pensez-vous pas que vous n'allez

12 peut-être pas emmener le peuple musulman à l'extinction parce que le peuple

13 musulman ne peut pas se défendre, s'il y a une guerre. Comment allez-vous

14 empêcher tout le monde d'être tué en Bosnie-Herzégovine ??

15 Izetbegovic répond à cela en parlant de ce que vient de dire Karadzic : "Et

16 ses manières, sa façon, son message, explique peut-être pourquoi d'autres

17 ont refusé également de rester dans ce type de Yougoslavie. Personne ne

18 voulait le type de Yougoslavie que M. Karadzic voulait, personne, peut-être

19 le peuple serbe. Si une telle Yougoslavie, ce type de Yougoslavie voulue

20 par Karadzic était tout simplement haï par le peuple de Yougoslavie. Et

21 lorsque je dis au peuple de Bosnie-Herzégovine qu'il n'y aurait pas de

22 guerre, c'est ma prédiction fondée sur des faits confirmant -- donc, dormez

23 en paix, il n'y a pas besoin d'avoir peur parce qu'il faut être deux pour

24 danser le tango."

25 Il semblerait presque, dans ce que dit Izetbegovic qui ne prend pas

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1 Karadzic au sérieux. Pourquoi répond-il qu'il n'y aura pas de guerre ?

2 R. D'abord, dans le rapport, j'ai déjà dit plusieurs fois : Tous les côtés

3 étaient prêts à la guerre, y compris du côté musulman, qui était prêt à

4 l'autodéfense. Ce commentaire de Izetbegovic avait pour but de rassurer la

5 communauté internationale, même au cas où elle prêtait attention, qui était

6 que personne, rien de terrible n'allait arriver avant que la Bosnie ne soit

7 reconnue comme un état indépendant.

8 A d'autres occasions, dans le livre, vous dites que Izetbegovic semble être

9 en contradiction totale avec ce qu'il dit : Tout va bien, il n'y a pas de

10 problèmes, tout est paisible. La raison est simple, il ne veut pas que la

11 menace de la guerre, la peur de la guerre, soit un obstacle à la

12 reconnaissance de l'indépendance de la Bosnie. Je comprends très bien, pour

13 lui c'est le seul moyen pour eux d'être saufs, d'éviter qu'il y ait une

14 guerre dans laquelle ils risqueraient de perdre.

15 Q. Ce qui suit ensuite, c'est que les députés serbes ont quitté. C'est ce

16 que vous décrivez. Ensuite, il y a eu à nouveau un affrontement, après le

17 référendum sur, il devait avoir une résolution ou pas sur l'indépendance. A

18 nouveau, les serbes quittent le parlement.

19 R. Oui.

20 Q. A deux occasions importantes, les Musulmans et les Croates ont décidé

21 d'être contre les positions du peuple serbe, enfin les délégués serbes. Ma

22 question est donc la suivante : Pensez-vous que les Musulmans et les

23 Croates adoptèrent ces positions au parlement bosniaque parce qu'ils

24 savaient que la guerre en résulterait ?

25 R. Absolument. Ce dont ils avaient peur, c'est que, la guerre allait

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1 arriver de toute façon, et que ce qu'il fallait faire, c'était se préparer

2 à la guerre en essayant d'obtenir l'indépendance. Donc ils étaient, en

3 octobre, très avancés de l'idée de la souveraineté de la Bosnie en tant que

4 première étape. Ensuite ils allaient rattraper la balle, que Badinter leur

5 avait lancée en janvier 1992, se préparer au référendum pour l'indépendance

6 en tant que deuxième étape pour amener à la reconnaissance de la Bosnie.

7 D'après eux, c'était la seule manière qu'ils avaient de se défendre, s'il y

8 avait une guerre, s'ils avaient déjà reçu la reconnaissance en tant qu'état

9 indépendant.

10 Ces actions étaient, bien quelles soient très provocantes de bien des

11 manières, une façon très logique pour eux de se préparer à l'indépendance.

12 Il y aurait dû avoir plus d'interventions de la part de la communauté

13 internationale, mais cela c'est une autre histoire.

14 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Un moment, Maître Ackerman, s'il vous

15 plaît.

16 Ceci est en train de ramener quelque chose, mais en fait je suis un peu

17 perdu. Ce qui me rend encore plus confus, c'est que je reçois

18 l'interprétation en Serbo-croate.

19 Monsieur Shoup, s'il vous plaît, laissez-moi comprendre les choses.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

21 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Tout cela arrive en octobre, novembre,

22 décembre, janvier ?

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, et cetera.

24 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Au moment où il y a le référendum. Plus

25 tôt, lorsque vous avez dit que lorsque les trois partis s'entendaient très

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1 bien et célébraient leurs victoires, et cetera, et cetera.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

3 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je vous ai demandé une période de temps

4 à nouveau et vous m'avez dit : 1992, alors que se passe-t-il à ce moment-

5 là, les partis sont tous ensemble et célèbrent la victoire alors qu'en fait

6 ils sont en train de se préparer à la guerre. On n'a pas entendu quoi que

7 ce soit sur ce qui se passait à Sarajevo, à l'intérieur des quartiers

8 bosniaques, à la même période. Je trouve très difficile à comprendre,

9 comment vous pouvez maintenir la position qu'en janvier 1992 tout était si

10 rose et si parfait.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas entendu ce que vous avez dit.

12 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] En 1992, ils étaient si heureux ces

13 trois partis.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Et c'était le cas. Je voudrais simplement dire

15 quelque chose, tous ces partis n'étaient pas inconnus l'un de l'autre. M.

16 Karadzic, ils se connaissaient très bien. M. Karadzic était un psychiatre

17 très aimé à Sarajevo avant la guerre. Il savait s'asseoir ensemble à la

18 façon yougoslave et boire ensemble. Donc peut-être qu'on pourrait remettre

19 les choses à leur place, dans une perspective. Il y avait toujours un

20 espoir que peut-être il y arriverait à sauver la Yougoslavie, grâce à des

21 négociations internationales, d'une manière ou d'une autre, même à sauver

22 peut-être la Bosnie. Je ne crois pas que ces partis nationalistes n'étaient

23 pas prêts à aller à la guerre pour aucune raison. Ils s'étaient préparés à

24 la guerre et ils avaient des programmes concrètement opposés mais en même

25 temps ils étaient Bosniens car il y avait une certaine camaraderie. Et cela

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1 n'a rien d'inhabituel. Ils n'avaient pas appris à se haïr comme ils l'ont

2 fait par la suite extrêmement rapidement. C'est la meilleure façon que je

3 puis décrire cela. Nous avons une citation dans le livre où ils

4 s'asseyaient ensemble pour partager un moment ensemble au printemps 1992.

5 C'est tout ce que je puis dire. Je ne peux pas expliquer les choses, mieux.

6 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Alors, je vais essayer de replacer les

7 choses dans le contexte historique. Cela est juste après décembre 1991.

8 Nous savons ce qui s'est passé en ce qui concerne la Croatie et la Slovénie

9 en décembre 1991.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous êtes en train de dire qu'ils savaient

11 déjà qu'il y avait la guerre en Croatie.

12 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Non. La reconnaissance internationale

13 de la Slovénie et de la Croatie.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

15 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Il était très clair pour tout le monde,

16 d'après ce que nous avons entendu dire ici, que tout le monde savait que

17 tout ce qui allait se passer après en ce qui concerne la Bosnie-

18 Herzégovine.

19 LE TÉMOIN : [interprétation] A ce moment particulier, en décembre 1991, et

20 janvier 1992, il y avait une petite lumière d'espoir encore parce qu'une

21 offensive serbe contre la Croatie, après la reconnaissance de la Croatie,

22 n'a pas eu lieu. En fait Milosevic a même baissé le ton en décembre 1991,

23 janvier 1992. Il s'est fait plus doux en décembre 1991. Il a tenu une

24 convention, ce qu'il a appelé une convention pour la nouvelle Yougoslavie

25 qui aurait dû être composée de la Serbie et du Monténégro. Il n'a pas parlé

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1 des autres en tant que membres. Deux ou trois mois plus tôt, la position

2 officielle de Belgrade était que ?nous allons créer une Serbie avec tous

3 les Serbes dedans.? En décembre, maintenant nous disons, non. Ceux qui ne

4 sont pas en Serbie et au Monténégro devront attendre. Il espérait peut-être

5 qu'en attendant, il aurait réussi à obtenir ce qu'il voulait mais il y

6 avait eu un moment d'espoir, très bref, à ce moment-là.

7 Si je peux conclure, il y a quelque chose de très intéressant. Notre

8 ambassadeur, Warren Zimmerman, qui était contre la reconnaissance de la

9 Croatie, qui pensait que cela aurait avoir pour résultat une étendue de la

10 guerre lorsqu'il a vu que Milosevic avait adopté un ton plus souple, il

11 s'est aperçu que la reconnaissance marchait vraiment. Il s'est dit, nous

12 allons reconnaître la Bosnie et Milosevic va réagir de la même façon comme

13 il a réagi à la reconnaissance de la Croatie, et c'était la situation à ce

14 moment-là. C'est à ce moment-là que ces gens se sont assis ensemble pour

15 boire une bière ensemble.

16 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Dans d'autres cas, nous avons parlé

17 d'une comédie d'erreurs et ici il s'agit d'une tragédie d'erreurs. Alors

18 continuons.

19 M. ACKERMAN : [interprétation]

20 Q. Je crois que, Professeur, que nous allons peut-être pouvoir aider le

21 Président et les Juges à comprendre, si on parle de ce qui s'est passé en

22 janvier 1992. La session, d'après ce que vous dit votre livre, a duré

23 jusqu'à trois heures trente le matin et après le discours de Karadzic,

24 c'est après que le discours d'Izetbegovic en octobre, c'est après qu'il se

25 soit passé beaucoup de choses qui n'auguraient pas du bien pour l'avenir.

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1 Mme KORNER : [interprétation] Monsieur le Président, je suis désolée. M.

2 Ackerman, à chaque fois, avant de poser une question, fait un résumé de sa

3 perception de la situation. Et il s'agit toujours d'un témoin et cela

4 devrait être une question, Maître Ackerman, et pas un résumé.

5 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Vous avez raison, Maître Korner.

6 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui, vous avez raison.

7 Mme KORNER : [interprétation] Il s'agit d'un témoin expert.

8 M. Ackerman devrait lui poser une question directe et ensuite le professeur

9 Shoup peut donner une explication.

10 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Alors passons tout de suite à la

11 question, Maître Ackerman.

12 Après tout, professeur Shoup a écrit le livre, il sait exactement quels

13 sont les événements précédents et ceux qui ont eu lieu juste avant.

14 M. ACKERMAN : [interprétation] J'essayais simplement de nous faire gagner

15 du temps, Monsieur le Président,

16 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je sais.

17 M. ACKERMAN : [interprétation] Mais si Mme Korner ne veut pas que je gagne

18 du temps --

19 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je suis désolé, je vous interromps. Je

20 ne devrais pas vous interrompre tant que ça, mais j'essaie de comprendre

21 moi aussi.

22 M. ACKERMAN : [interprétation]

23 Q. Alors dites à la Chambre, lors de cette session marathon, qui a eu lieu

24 le 25 janvier, ou si toutes ces personnes étaient en train de s'attraper

25 par la gorge ou est-ce qu'ils essayaient de trouver une position commune

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1 sur la question d'indépendance ?

2 R. Nous avons une longue citation, le professeur Burg et moi-même sur

3 cette session que nous avons prise du journal Oslobodjenje, qui bien sûr,

4 il s'agit d'un journal, d'un quotidien serbe. A ce moment-là, il s'agissait

5 d'un journal indépendant auquel on pouvait se fier. C'est un passage

6 extrêmement intéressant. Tout à coup ces personnes qui se provoquaient les

7 unes et les autres de différentes façons, semblent arriver à un moment, où

8 ils se rendent compte qu'ils sont au bord du précipice. La question est

9 devons-nous essayer de trouver un arrangement constitutionnel avant de

10 déclarer l'indépendance de la Bosnie, parce que la constitution actuelle

11 pour un état unitaire, ou devons-nous offrir au peuple de Bosnie un

12 référendum avec aucune référence à la constitution, vous savez une

13 accommodation pour les Serbes et les Croates, et ensuite, essayer de

14 trouver une solution à cette question, de réviser l'unité de la

15 constitution. Je crois que tout le monde lors de cette réunion a pensé

16 qu'il était indispensable, d'au moins s'intéresser à la question de la

17 réforme constitutionnelle. On voit même que Cengic qui était le chef des

18 députés du SDA, dit que : "On devrait se poser cette question de la réforme

19 constitutionnelle." D'abord dites quelques choses, et ensuite nous allons

20 lancer le référendum. A ce moment-là, tard dans la nuit, il semblerait

21 qu'il y ait un progrès qui était fait, et puis tout à coup, les députés

22 sont d'accord avec cette proposition. Izetbegovic lui par contre, se lève,

23 et dit non. Il dit qu'il va d'abord soumettre le référendum sans référence

24 à la réforme constitutionnelle, que cela pourra être discuté ensuite après

25 la déclaration de l'indépendance qui était adoptée par le peuple de Bosnie.

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1 C'est un moment extrêmement important, cela veut dire qu'il faut le mettre

2 en valeur, parce qu'en fait, on n'a aucun d'autre article ou rapport sur

3 cet événement. En fait, on voit que les députés à l'assemblée étaient très

4 conscients de ce qui allait se passer. Ils essayaient vraiment de se mettre

5 d'accord les uns avec les autres, et cela a été un moment extrêmement bref,

6 et ensuite cela s'est arrêté. Peut-être que cette interprétation n'est pas

7 correcte, mais je pense que cela méritait d'être mis dans le livre.

8 Q. Si on regarde la page 106 à cette longue citation que vous avez pris

9 dans Oslobodjenje, on voit que lors -- un moment dans la soirée, Karadzic

10 et Cengic ont partagé la scène et ont dit, ont annoncé qu'ils étaient près

11 d'un accord, et qu'il y avait eu des applaudissements de la part des

12 députés. Izetbegovic, a annoncé qu'il n'y aurait pas d'accord.

13 R. On ne peut pas savoir vraiment si les acteurs à ce moment-là, étaient

14 sincères. Je ne peux pas dire que je sais exactement, parce qu'à ce moment-

15 là, les Serbes avaient déjà pris des positions extrêmes concernant

16 l'autonomie de différentes entités autonomes qu'ils avaient créées. Il y

17 aurait été extrêmement difficile d'arriver à un compromis constitutionnel.

18 En fait, à ce moment-là, le seul moment que j'ai pu détecter dans ce long

19 débat constitutionnel, c'était que les trois côtés essayaient désespérément

20 de chercher une sorte d'accommodement ensemble avant qu'il ait un vote sur

21 le référendum.

22 Q. Je vais continuer, à la page 26 du votre livre, vous parlez du plan de

23 Milosevic et de Tudjman. Ils s'étaient rencontrés, ils avaient parlé en

24 gros de la partition de la Bosnie entre la grosse Croatie et la Serbie.

25 Vous dites la chose suivante : "Si la Bosnie n'était pas vu comme ayant le

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1 droit d'être un état, l'histoire de la Bosnie suggère par contre à quel

2 point elle était peu préparée à ce type de situation, et qu'il n'y aurait

3 pas d'objection en principe à cette solution." La seule question que j'ai

4 est; pourquoi avez-vous cette conclusion que la Bosnie n'était pas prête à

5 être un état ?

6 R. La Bosnie c'est un état en négatif. Elle a existé comme province de la

7 Yougoslavie, comme partie de Austro Hongrois, dans une sorte de

8 développement arrêté. Le système ethnique était de type très ancien, et

9 cela parce que l'état bosniaque était fort, la conscience nationale était

10 développée parce que personne ne pouvait arriver à comprendre comment

11 diviser la Bosnie. En d'autres termes, il s'agissait d'une sorte de résidu

12 historique. Plus tôt, nous avons parlé du fait, les autres états

13 entouraient la Bosnie, il n'y avait pas de conscience nationale bosniaque.

14 Il n'y avait jamais eu d'état bosniaque depuis le moyen âge. La notion

15 d'indépendance était quelque chose de choquant. Les Musulmans eux-mêmes

16 n'avaient jamais fait autre chose de plus que de demander l'autonomie à

17 l'intérieur de la Yougoslavie où dans l'état indépendant de Croatie pendant

18 la Deuxième Guerre mondiale. Ce fait historique est en contradiction avec

19 le développement de la perception poste communiste des Républiques en état

20 communistes, que ce soit artificiel ou pas, on pensait qu'il fallait

21 qu'elle reste dans leurs frontières. Il faut vous souvenir que ce qui s'est

22 passé en Union soviétique, lorsqu'on regarde la Bosnie, il semble naturel

23 et tout à fait correct de dire que malgré le passé de la Bosnie, ces

24 frontières devaient rester où elles étaient, où elles seraient s'il y avait

25 un conflit ethnique, et cetera, et cetera. Mais il semblait garder ces

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1 frontières, amènerait à un conflit ethnique et cela était le cas. Il y a eu

2 la guerre civile. Si vous êtes d'accord avec le fait que la Bosnie avait

3 vraiment le droit d'être un état, vous pouvez peut-être trouver d'autres

4 solutions. Il y avait d'autres solutions, mais on en parle dans le rapport

5 et dans le livre, c'est-à-dire par exemple un retour à l'accord entre la

6 Croatie, et la Serbie de 1939, mais je ne vais pas en parler plus avant.

7 Mais en fait, la Bosnie n'avait aucune raison de penser qu'elle pouvait

8 demander l'indépendance à moins que les Musulmans ne deviennent à ce

9 moment-là, titulaire d'une nationalité.

10 Q. Je vais maintenant passer à autre chose, la page 44 de votre livre sous

11 l'intitulé "Haine ancienne" et vous dites : "La notion des personnes de

12 Bosnie était, qu'ils étaient prisonnier de leur passé violent." Cela

13 enrageait les critiques de la théorie des haine anciennes, mais le fait

14 était que les familles se souvenaient très bien des personnes qui avaient

15 participé aux atrocités durant la Deuxième Guerre mondiale, et la vengeance

16 est devenue l'ordre du jour, et le régime ainsi s'est effondré même avant

17 la guerre en Bosnie."

18 R. Je comprends tout à fait que lorsque je parlais de la vengeance qui est

19 devenue l'ordre du jour. En fait, Monsieur Ackerman, si j'avais la

20 possibilité de réécrire ces phrases, je le ferais.

21 Q. Comment écrieriez-vous ces phrases ?

22 R. Comme Duijzings a écrit dans son rapport, il a dit que la vengeance est

23 devenu l'ordre du jour après que les atrocités avaient commencé. Pendant

24 cette guerre, si -- on fait il y avait une tradition de vengeance vous

25 savez, il s'agit d'une société cruelle, si vous voulez d'une certaine

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1 façon, c'est la raison pour laquelle j'ai cité cette petite histoire de la

2 famille à Medjugorje comme exemple. Mais je n'essaye certainement pas de

3 dire que toutes les personnes essayaient de se venger pour ce qui c'était

4 passé pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je ne veux certainement pas dire

5 cela, ce n'est pas ce qui j'insinue.

6 Q. Bien, mais je ne vais peut-être pas dire ce que j'ai l'intention de

7 dire. Je vais passer à une autre question. La vengeance quel rôle joue-t-

8 elle d'abord dans les Balkans ?

9 R. La vengeance joue un rôle important surtout dans les régions rurales de

10 Bosnie et ailleurs. La vengeance joue un rôle important. Permettez-moi de

11 l'expliquer. Si vous vivez dans un petit village, par exemple dans les

12 montagnes perdues en Bosnie, cela peut être également en Serbie ou en

13 Macédoine, toute votre vie, tourne autour de la vie du village. Vous avez

14 une notion très restreinte de ce -- enfin vous connaissez très bien ce qui

15 s'est passé dans le village. On sait très bien ce qui a été dit il y a cinq

16 ans, il y a dix ans, ce qui a été fait, il y a cinq ans, dix ans, ou peut-

17 être une génération. C'est la vie d'une personne et c'est tout. C'est la

18 raison pour laquelle l'anthropologue qui sera dans un village en Bosnie-

19 Herzégovine, peut se rendre chez les personnes, et il peut transcrire en

20 détail l'histoire de la famille, parce que chacun se souvenait très bien de

21 qui a fait quoi à qui. C'est ainsi que l'on se souvenait des événements, de

22 toutes les choses, de tous ces détails. Lorsque la violence éclate à cause

23 par exemple du conflit ethnique, et que les atrocités surviennent, et bien

24 les gens décident de se venger pour ce qui s'est passé. Dans le cadre de la

25 guerre, je sais que c'est peut-être extrême ce que je dis là, mais il

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1 s'agit d'homme des montagnes. Vous savez, il n'y a rien d'exceptionnel ici.

2 Vous devez bien sûr tenir en tête que les personnes qui commettaient les

3 atrocités très souvent, même si c'étaient des personnes qui se trouvaient

4 dans des villages avoisinants n'étaient pas nécessairement eux-mêmes les

5 meilleurs, la crème de la crème, les meilleurs personnes au monde. Leurs

6 raisons initiales de faire les choses n'étaient pas nécessairement toujours

7 la vengeance mais ce sont ce genre d'actions qui ont mené à Srebrenica en

8 1995.

9 Q. Bien. Passons maintenant à la page 47 de votre rapport, soit intitulé

10 "Responsabilité pour la guerre." La question que je souhaite vous poser à

11 présent est quelque chose qui découle de votre premier paragraphe. La

12 dernière phrase de votre paragraphe se lit comme suit : "Ce que vivait la

13 Bosnie était en fait une guerre civile." C'était précisément ceci qui

14 différenciait ce conflit des autres conflits qui sont survenus sur le

15 territoire bosnien, et qui avaient trait aux violences ethniques

16 précédentes."

17 Je souhaiterais que vous nous expliquiez ce que vous voulez dire par là. Je

18 vais vous demander également que vous nous parliez de la guerre civile.

19 Vous dites qu'il s'agissait d'une guerre civile et bien sûr il s'agit d'une

20 dispute importante, à savoir -- une question importante à savoir s'il

21 s'agissait d'une guerre civile ou non.

22 R. Oui. Certainement. Mais pourriez-vous revenir à votre question

23 initiale ? Quelle est votre question ? La question que vous m'avez posée

24 dans la première partie de votre question ?

25 Q. Vous avez dit que c'était cette histoire de guerre civile qui a

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1 différencié les choses qui ont fait en sorte que cela ne ressemblait pas à

2 la violence qui existait auparavant.

3 R. Dans les années précédentes les choses étaient dans le contexte de la

4 Deuxième guerre mondiale. C'est-à-dire, qu'il y avait eu un pouvoir

5 étranger sur le territoire bosnien. Les conflits ethniques en Bosnie

6 dépendait bien sûr de ce qui allait se passer de la guerre qui se déroulait

7 sur leur territoire. Je parle de la Deuxième guerre mondiale et ces

8 guerres-là, bien sûr, ont pris leurs propres cours. La Bosnie à ce moment-

9 là, était tombée sous le contrôle sous le contrôle du parti qui gagnerait

10 la guerre. Mais lorsqu'on parle de guerre civile, nous avons trois groupes

11 ethniques qui à ce moment-là, avaient commencé à se battre les uns contre

12 les autres, et cette guerre aurait pu durer plus longtemps. Il s'agissait

13 d'une situation particulière, et je crois que certaines observations qui

14 avaient été faites par l'institut néerlandais, nous pouvons retrouver

15 également dans certains documents que la plupart des guerres n'avaient pas

16 été aussi destructrices, et n'ont pas duré aussi longtemps. Parce que ce

17 n'était pas selon moi simplement une guerre civile, mais il s'agissait

18 d'une guerre menée entre trois groupes ethniques, trois communautés

19 ethniques.

20 Maintenant, parlons de la guerre civile qui est la deuxième partie de votre

21 question. Il me semble que les tensions existaient en Bosnie, après

22 l'éclatement du communiste ces tensions étaient bien réelles, elles ont

23 créées vraiment des antagonismes entre les trois communautés ethniques. Les

24 Serbes et les Bosniens pour simplifier des choses avaient des idées tout à

25 fait divergentes de ce que l'avenir de la Bosnie devait être, ils ont

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1 mobilisé leurs supporteurs pendant cette campagne électorale avant le mois

2 de décembre 1991. Surtout ceci fait partie de l'histoire tout ceci est

3 consigné dans le compte rendu de l'histoire, et cela a eu lieu en Bosnie.

4 Le parti serbe, le SDS n'a pas été créé par Belgrade. Je dis ici, si l'on

5 peut prouver, je me trompe peut-être que le parti de Karadzic était

6 simplement une création de Belgrade et dont tous ces événements qui ont

7 mené à ce conflit avant même que la guerre n'éclate représentaient

8 simplement le résultat d'une manœuvre du pouvoir provenant de l'extérieur

9 et je concéderais à ce moment-là, si l'on pouvait prouver ceci, mais je

10 n'accepterais pas autre chose ou d'autre thèse, je ne vais pas parler plus

11 longtemps de la guerre, mais je ne veux pas dire que Pale et Belgrade était

12 en conflit. Enfin, on peut voir que ce n'est pas un rapport établi de la

13 sorte.

14 Q. Bien. Ce qui m'intéresse. Je ne sais pas si vous savez la réponse. Mais

15 le HDZ, le parti croate de Bosnie, était la partie le [imperceptible] si

16 vous voulez d'une impartie en Croatie, n'est-ce pas ?

17 R. Oui.

18 Q. Dites-nous pourquoi croyez-vous que ceci était ainsi ?

19 R. Dans mon livre, on se pose des questions pourquoi Milosevic n'a

20 simplement pas créé son propre parti. Parce que ces processus se

21 déroulaient par eux-mêmes en Bosnie les racines étaient très profonde en

22 Bosnie alors qu'en Croatie les choses étaient un peu différentes, en fait,

23 Belgrade jouait un rôle beaucoup plus importants lorsqu'il s'agissait

24 d'influencer la direction dans laquelle la Serbie irait, et il y avait

25 Vareskovic en Croatie qui en réalité avait été expulsé du pouvoir par

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1 Belgrade. Cela n'a pas vu le jour à Bosnie. Mais je ne peux pas expliquer

2 en réalité pourquoi Milosevic n'a pas procédé de la sorte.

3 Q. Je me demande pourquoi j'ai éteint mon micro. Puisque je parle trop

4 rapidement de toute façon. Je ferais peut-être mieux pour l'interprète si

5 j'éteignais mon micro tout court.

6 Voilà vous faites une citation du Professeur Robert Hayden, à la page 49,

7 et vous écrivez la chose suivante, mais avant que l'on ne parle de lui, je

8 souhaiterais que vous informiez la Chambre de qu'il s'agit.

9 R. Le professeur Robert Hayden est un expert sur la question de

10 Yougoslavie. Il est le professeur de l'université de Pittsburgh. Il est

11 anthropologue et il est également un spécialiste juridique, et il a

12 témoigné à plusieurs reprises devant ce Tribunal. Je crois qu'il était

13 peut-être appelé comme témoin expert dans l'affaire Tadic, le témoin de la

14 Défense. Je ne sais pas si vous vous souvenez de lui.

15 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Madame Korner,

16 Mme KORNER : [interprétation] Monsieur le Président, puisque nous sommes

17 sur le sujet si nous lisons la note en bas de page et l'on peut voir que

18 l'on nous réfère par un manuscrit qui n'a pas été publié par en fait un

19 manuscrit non publié par cet auteur.

20 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui.

21 Mme KORNER : [interprétation] Je me demandais si le professeur avait ce

22 manuscrit non publié, s'il pouvait nous les donner puisqu'il s'appuie sur

23 cette citation, puisque le livre n'a pas encore publié. Nous ne l'avons

24 pas.

25 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui.

Page 24392

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien. Je comprends tout à fait ce que vous me

2 dites, mais avant de partir on m'a informé que la Chambre aurait besoin de

3 ces documents. Malheureusement je n'ai pas eu le temps de me procurer ce

4 document et de l'apporter avec moi. Si j'ai envoyé un email au prof. Hayden

5 je lui ai demandé de vous envoyer un email, d'envoyer un email à la

6 Chambre. Je ne sais pas si vous l'avez déjà reçu l'email de ce professeur.

7 Je pourrais peut-être l'appeler et lui demander de vous l'envoyer de vous

8 le faire parvenir par courrier électronique. J'ai en fait une copie à la

9 maison, mais je n'ai pas eu le temps.

10 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui. M. Ackerman.

11 M. ACKERMAN : [interprétation] La demande a été faite pour qu'il m'envoie

12 un email -- en fait pour qu'il me l'envoie par courrier électronique, mais

13 malheureusement je ne sais pas s'il est à l'extérieur de la ville, mais je

14 ne l'ai pas encore reçu.

15 Mme KORNER : [interprétation] En réalité, je souhaiterais soulever une

16 objection, Monsieur le Président, puisqu'on ne peut s'appuyer sur un

17 document qui n'a pas encore été publié.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Je crois que vous avez tout à fait raison. En

19 fait, j'avais cru que le professeur Hayden serait en mesure de nous envoyer

20 ce document.

21 M. ACKERMAN : [interprétation] En fait, Monsieur le Président, je croyais

22 que ce document me parviendrait.

23 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Bien, le témoin a confirmé qu'il n'a en

24 sa possession ce document.

25 M. ACKERMAN : [interprétation] En réalité, moi, je ne l'ai pas non plus.

Page 24393

1 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui.

2 M. ACKERMAN : [interprétation]

3 Q. Votre citation du professeur, se lit comme suit : "L'état avait échoué,

4 les autorités politiques n'ont pas pu établir le contrôle sur une partie de

5 la population. Elle ne le pouvait également pour la guerre civile c'est

6 lorsque le gouvernement perd le contrôle sur certaines personnes, sur des

7 civils et perd le contrôle sur certains territoires. Mais la différence

8 avec la Bosnie, c'était qu'un gouvernement reconnu internationalement

9 n'avait pas

10 l'allégeance de la moitié de ces citoyens et n'avaient pas non plus le

11 contrôle de son territoire dans son ensemble. En fait, l'indépendance

12 bosnienne a été reconnue par la communauté internationalement non pas parce

13 que les habitants de Bosnie le voulaient mais plutôt parce que -- et

14 précisément pour cela, c'est la raison pour laquelle la plupart ne le

15 voulaient pas. C'est ce que l'on peut appeler une souveraineté négative,

16 c'est-à-dire, une insistance à l'externe pour que la moitié, en fait la

17 moitié de la population de ce pays voulait que ce pays se divise."

18 Quelle est votre réaction à cette citation ?

19 R. Je comprends que vous ayez besoin d'explications. Si j'avais eu la

20 possibilité de le refaire j'aurais expliqué cette citation.

21 Vous savez cela a trait au referendum qui a eu lieu à la fin du mois de

22 février car lorsqu'on parle du référendum, dans le référendum on a du

23 demander aux habitants de Bosnie s'ils désirent l'indépendance, 64 % de la

24 population s'est exprimée voulant l'indépendance.

25 Ce que le professeur Hayden dit ici c'est qu'il parle du problème du vote

Page 24394

1 croate. Cela a été élaboré dans mon rapport, dans mon livre en fait, plus

2 en détails. En réalité ce que cela signifie c'est que le vote croate est

3 décevant. Ils ont voté pour l'indépendance de la Bosnie mais il y a une

4 certaine partie de ce vote qui en réalité n'était pas pour l'indépendance

5 même de la Bosnie mais pour la sécession de la Bosnie. Pourquoi voteraient-

6 ils pour l'indépendance de la Bosnie ? Parce qu'a ce moment-là

7 particulièrement il y eu une importance -- très importance -- qui prônait -

8 - enfin Zagreb disait que l'intégrité de la Bosnie devait être défendue

9 puisque l'intégrité de la Croatie même était menacée. C'est la raison pour

10 laquelle Zagreb a dit clairement aux Croates de Bosnie qu'ils doivent voter

11 pour l'indépendance. Vous verrez si vous avez lu le livre que non longtemps

12 après le dirigeant principal, Mate Boba du HDZ, s'est assis autour d'une

13 table avec Mate Boba [comme interprété] à Grac et a décidé de partager la

14 Bosnie. La référence au professeur Hayden c'est qu'un grand nombre de

15 Croates, y compris les Serbes, étaient vraiment en réalité résolus à

16 scissionner la Bosnie.

17 Même si les résultats du referendum sont bien décevants, cela ne reflétait

18 pas ce que les Croates et les Bosniens voulaient. Par contre le professeur

19 Hayden pousse peut-être les choses un peu trop loin, en fait, il y avait

20 des Croates qui vivaient à Sarajevo, en Bosnie centrale, qui sincèrement

21 souhaitaient que la Bosnie demeure un état indépendant. Ils avaient voté

22 lors du référendum pour l'indépendance que ce soit une équivoque. Je dis

23 dans la note en bas de page : si l'on veut calculer très précisément les

24 Croates sécessionnistes, et si vous additionnez le vote serbe, on obtiendra

25 40 à 45 % du vote. En fait c'était les personnes de Bosnie qui ne voulaient

Page 24395

1 pas que la Bosnie déclare son indépendance et qui voulaient participer à

2 une certaine forme de partage.

3 Q. Très bien. Je souhaiterais passer maintenant à autre chose et changer

4 de sujet de nouveau. Bien maintenant, je souhaiterais que l'on regarde, que

5 l'on parle de la guerre et non pas seulement de l'année 1992, il y a un bon

6 nombre de documents qui parlent de ceci et je ne veux certainement pas

7 m'asseoir ici et donner une lecture à haute vois de tous ces documents à la

8 Chambre. La Chambre peut en prendre connaissance par elle-même. Je

9 souhaiterais même parler du rapport qui existait entre le SDS et la VRS,

10 quel était ce rapport ? Ce rapport a-t-il changé au cours de la guerre ?

11 Par exemple, élaborez, là-dessus, je vous prie.

12 R. J'essaierai d'être bref. Ce problème, le problème du rapport qui

13 existait entre le parti politique du mouvement de l'indépendance serbe et

14 de la VRS, qui est la voice ska de la Republika Srpska, l'armée serbe de

15 la Republika Srpska, ce n'est pas quelque chose dont nous avons parlé en

16 beaucoup de détails le professeur Hayden et moi-même. Il y a un grand

17 nombre d'experts qui ont élaborés là-dessus.

18 Par contre dans le livre vous verrez quelque chose de très important qui

19 saute aux yeux c'est que vers la fin de la guerre, le général Mladic avec

20 le soutien de ses officiers, je le présume, Karadzic s'était disputé.

21 Karadzic avait licencié Mladic en tant que chef de la VRS et Mladic

22 demeurait tout près de Belgrade et opérait par lui-même à ce moment-là. Le

23 rapport militaire et politique pour ce qui est des Serbes était

24 particulièrement étrange.

25 Nous pouvons apprendre sur ce rapport qui existait à l'interne, par les

Page 24396

1 rapports de la CIA, intitulés "Guerre dans les Balkans", vous allez voir

2 que l'expert militaire qui analyse dit que : les politiciens s'émissaient

3 énormément dans les affaires militaires et pour ce qui est du côté civil,

4 le SDS était pas mal corrompu et c'était quelque chose qui était très

5 difficile d'accepter par l'armée. Je voudrais simplement conclure par dire

6 que ces tensions se sont faites particulièrement vues et ont atteint leur

7 apogée lors de Srebrenica en 1995. Je dois dire que Mladic avait des motifs

8 militaires pour mener à bien ce massacre. Si Karadzic lui-même aurait

9 approuvé ce massacre, je ne le sais pas, nous le verrons. Je ne veux pas

10 présumer rien de la sorte mais je veux simplement dire que ce qui est

11 arrivé en juillet 1995 est une situation assez intéressante mais je ne vais

12 pas élaborer plus longtemps, longuement là-dessus.

13 Q. Après que la VRS ait été formé et que le général Mladic a pris le

14 contrôle de la VRS, est-ce que vous savez quelle était son attitude envers

15 les forces paramilitaires ?

16 R. Oui, tout à fait. Ils ne les tenaient pas en haut estime. De nouveau

17 après avoir lu ces nouveaux documents dont je fais constamment référence,

18 nous apprenons que les généraux au sein de la VRS ont essayé de faire en

19 sorte que ces groupes paramilitaires tombent sous leur propre contrôle.

20 Q. Si nous examinons la pièce DB371, à la page 266, nous verrons que le

21 rapport de la CIA dit que : "Karadzic, le président des Serbes de Bosnie"

22 Mme KORNER : [interprétation] Je ne comprends pas de quoi il s'agit ? Vous

23 parlez de quoi exactement ?

24 M. ACKERMAN : [interprétation] ""Balkan Battlegrounds Deux"", à la page

25 166, Madame Korner. Mais il s'agit également de la pièce

Page 24397

1 DB 371.

2 M. LE JUGE AGIUS : [aucune interprétation]

3 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président, je souhaite tout

4 simplement jeter pour le compte rendu d'audience que le livre "Guerre des

5 Balkans," c'est un livre qui n'a pas encore été publié, je ne sais pas

6 comment cela se fait-il que le professeur Shoup ait ce livre; il a

7 probablement des liens très étroits avec la CIA, mais il semble qu'aucun de

8 nous n'a pu se le procurer.

9 Q. Dans tous les cas, on peut lire que : "Le président des Serbes de

10 Bosnie, Karadzic a formalisé les choses avec la proclamation d'un décret le

11 13 juin 1992, empêchant toutes les formations et l'opération des groupes

12 armés et des individus qui n'étaient pas sous le contrôle des forces armées

13 et des forces policières."

14 Vous avez parlé de Karadzic qui a essayé de tirer sur Mladic plus tard en

15 1995.

16 R. Oui. En fait c'était un peu plus tôt.

17 Q. Il semblerait qu'en juin 1992, il ait essayé de l'aider en éliminant

18 les paramilitaires --

19 R. Oui, c'est cela. Je n'ai absolument aucun problème avec ceci et je suis

20 d'accord avec vous.

21 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Monsieur Ackerman, est-ce que je peux

22 vous demander qui est l'auteur de ces lignes à la page 266.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis l'auteur de ces lignes.

24 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien.

25 M. ACKERMAN : [interprétation] Tous les passages surlignés sont faits, sont

Page 24398

1 surlignés par le professeur Shoup, il a procédé. Il a souligné ces passages

2 en Virginie avant même de venir ici.

3 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] J'espère que je ne vais pas

4 -- je n'ai pas de la sorte exposée le témoin à des problèmes en le disant

5 de façon publique ?

6 M. ACKERMAN : [interprétation] En réalité, ce n'est pas un document secret,

7 c'est simplement que ce document n'est pas disponible encore, il n'a pas

8 encore été imprimé.

9 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] J'espère que ce n'est pas le cas.

10 M. ACKERMAN : [interprétation] Ce document sera certainement publié et nous

11 allons peut-être pouvoir le trouver sur un site Web. Mais le document

12 n'était pas là, la semaine dernière.

13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien.

14 M. ACKERMAN : [interprétation] Ce qui m'intéresse, c'est cette question de

15 paramilitaires. Si nous prenons la page 266, pour ce qui est de notes en

16 bas de page il y a une description d'une interview qui a eu lieu avec le

17 lieutenant général Milan Gvero, qui, il semblerait, était très près des

18 dirigeants de la VRS. On peut lire Mladic, Gvero, et plusieurs autres

19 officiers de l'ex-JNA n'avaient pas en haute estime les commandements qui

20 n'étaient pas unifiés, et ils estimaient que la VRS était la seule force

21 armée officielle.

22 M. ACKERMAN : [aucune interprétation]

23 Q. "En prenant les contrôles opérationnels sur tout des unités du MUP

24 pendant le combat. Ils ont particulièrement détesté les paramilitaires et

25 les autres volontaires qui réservaient un penchant particulier pour le

Page 24399

1 pillage, plutôt qu'au combat." En 1993, dans une interview donnée par le

2 commandant le général Slavko Lisica, on peut lire que ces volontaires :

3 "Ils sont des aventuriers qui sont désorganisés. Ils sont irresponsables et

4 n'ont jamais fait partie du concept que j'ai moi-même du combat. Ces

5 personnes peuvent tuer un homme de 90 ans simplement pour s'être procuré de

6 la viande de mouton. On m'a demandé de faire du nettoyage et j'ai dit :

7 'Bien, il y a des mines, des champs miniers que vous pouvez nettoyer tant

8 que vous voulez.' Ces volontaires m'ennuyaient beaucoup dans ma zone de

9 responsabilité. C'est pour cela que j'ai essayé de les désarmer," dit-il.

10 Est-ce que vous savez si ce problème a changé à un certain moment donné ?

11 Est-ce que les paramilitaires se sont adonnés à ce genre d'activités tout

12 au cours de la guerre ? Est-ce que Mladic a réussi à les mettre sous un

13 commandement unifié ?

14 R. Bien, ils ont continué à opérer indépendamment de la VRS, je crois, je

15 suis sûr, jusqu'à la fin de la guerre. Il y avait donc certains

16 paramilitaires qui étaient sous le gouvernement des Bérets rouges et du

17 ministère de l'Intérieur de Serbie. Il y avait certains paramilitaires qui

18 n'opéraient pas de façon tout à fait indépendamment. Je crois que je peux

19 trouver des exemples des forces paramilitaires qui fonctionnaient tout à

20 fait de façon indépendante après 1992, mais il n'y en a pas eu beaucoup. En

21 fait, il y avait des forces paramilitaires qui étaient intégrées dans la

22 VRS et ils avaient les tâches les plus difficiles à exécuter. Ce qui est,

23 bien sûr, en contradiction avec ce que vous venez de lire, car très souvent

24 ils étaient de meilleurs combattants que des conscrits ordinaires. Vous

25 pouviez les voir sur la ligne de front de Sarajevo. Vous pouviez rencontrer

Page 24400

1 ces groupes paramilitaires vêtus de leurs uniformes colorés et ils

2 faisaient partie des opérations de l'armée de la VRS. Je présumais qu'ils

3 étaient sous leur commandement, bien sûr. Maintenant, si vous parlez de

4 forces paramilitaires qui opéraient complètement indépendamment en 1992, à

5 l'exception peut-être des --

6 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas saisi le nom. Jaune quelque chose.

7 R. -- Je crois qu'il n'y en avait pas beaucoup, mais il y en avait en

8 Bosnie orientale.

9 Q. Merci. Si l'on examine la pièce DB361, à la page 303, document de la

10 CIA, on peut lire la citation. Je sais que vous connaissez bien cette

11 partie. Il s'agit de la partie du rapport qui parle très particulièrement

12 des Serbes de Bosnie et de la prise du pouvoir des Serbes de Bosnie au mois

13 d'avril 1992. On parle de ce qui a été présenté comme éléments de preuve

14 devant cette Chambre. On parle de Kljuc, de Prijedor, de Sanski Most. On

15 parle également de nettoyage ethnique dans ce paragraphe. On analyse aussi,

16 jusqu'à une certaine mesure -- il y a un passage que je voulais vous

17 demander, c'est le dernier paragraphe. Je souhaiterais que vous nous

18 donniez vos commentaires là-dessus. A la page 306, il s'agit de quelque

19 chose que le rapport de la CIA appelle "analyse finale." Et de nouveau, je

20 parle trop rapidement. Je m'en rends compte.

21 Page 306, on peut lire comme suit : "L'armée serbe de Bosnie a entrepris de

22 faire ses opérations de nettoyage ethnique, puisqu'elle croyait que la

23 population musulmane pouvait représenter un conflit armé ou pouvait agir en

24 tant que cinquième colonne pendant la guerre avec le gouvernement bosnien.

25 La VRS s'est focalisée sur le fait de prendre les armes de la population et

Page 24401

1 de détenir les hommes en âge de porter les armes. Cette paranoïa était

2 largement exagérée, ce qui ne veut pas dire que la VRS ne croyait pas en

3 cette paranoïa. Les forces armées musulmanes ou les groupes armés musulmans

4 qui ont pu survivre aux attaques serbes, se sont adonnés à des guérillas

5 sporadiques dans cette région qui a été menée par la paranoïa."

6 Maintenant, si l'on met de côté ces mots qui sont assez forts, que pouvez-

7 vous nous dire pour nous expliquer ce paragraphe ?

8 R. Revenons quelques pas en arrière. Nous avons déjà parlé du fait que des

9 tensions existaient entre le côté politique et le côté militaire du

10 mouvement serbe pendant la guerre. Je ne suis pas tout à fait certain que

11 nous ayons parlé du général Mladic et des autres officiers et qu'ils

12 avaient été élevés dans une tradition partisane. Cette tradition ne

13 s'apprêtait pas au nettoyage ethnique pour le simple plaisir du nettoyage

14 ethnique. C'est la façon pour laquelle il est bien intéressant de savoir

15 pourquoi la VRS s'est adonnée à des opérations de nettoyage ethnique,

16 puisqu'on peut le lire clairement dans ce rapport, plusieurs des officiers

17 de haut niveau n'avaient pas été élevés de traiter les civils et les

18 Musulmans de cette façon-là, de façon brutale. Cela représente le premier

19 élément de preuve que je n'ai jamais vu. Je crois que le rapport de la CIA

20 était compétent, mais je crois que la CIA avait un objectif, que la VRS

21 avait un objectif militaire lorsqu'elle s'est adonnée au nettoyage

22 ethnique.

23 Maintenant, je vais vous fournir quelques preuves. Si vous examinez les

24 autres parties de la Bosnie, vous verrez que les tactiques étaient

25 utilisées là aussi, les mêmes tactiques. Je sais qu'il y avait une

Page 24402

1 composante militaire là. Permettez-moi de vous donner un exemple de la

2 ville de Tarcin, qui se trouve au sud de Sarajevo. Il s'agit d'une ville

3 qui, dans mon rapport, m'a beaucoup intrigué, puisque des Serbes l'avaient

4 encerclée et ils l'avaient gardée dans des conditions très mauvaises

5 pendant la guerre. Cela ressemblait beaucoup à ce qui se passait dans

6 certaines autres parties de la Bosnie du nord, pour ce qui est des

7 Musulmans. Ensuite, j'ai compris qu'il y avait une réponse stratégique à

8 cela : Il s'agissait d'une partie très importante du front musulman. C'est

9 là que le front musulman poussait dessus de toucher le Sarajevo, la raison

10 pour laquelle ils ont procédé au nettoyage de la population civile, pour

11 assurer le contrôle de cette zone. Je crois que les Croates ont fait la

12 même chose à Kupres. Les Musulmans ont fait la même chose. Ils ont procédé

13 de la même sorte qu'ailleurs. En fait, c'est quelque chose qui s'est passé

14 partout en Bosnie.

15 Maintenant, ceci étant dit, je vais vous parler d'une histoire dans

16 laquelle nous pouvons voir des exemples de brutalité. Je peux vous donner

17 un exemple des villages dans lesquels on persuadait les paysans, on les a

18 trompés, on les a tués. On a tué les femmes et les enfants. Si la VRS

19 l'avait fait, je ne le comprends pas. Il semblerait que c'est

20 contradictoire à leur façon de procéder. Mais je vais vous donner une

21 anecdote pour vous montrer le rôle du civil dans cette guerre, puisque je

22 sais qu'il s'agit d'une vraie histoire.

23 -- homme qui était originaire de Bosnie et qui se trouvait en Bosnie à

24 l'époque où Tuzla était assiégé par les forces serbes, lui il avait des

25 cousins là-bas qui étaient au centre même de la ville. Il avait aussi des

Page 24403

1 cousins qui étaient en dehors de la ville et qui bombardaient la ville. Ce

2 sont les Serbes qui sont en dehors de la ville, qui l'ont appelé, ils ont

3 appelé son père plus tôt qui était aux Etats-Unis, qui ensuite a passé un

4 coup de fil à ses cousins au centre de la ville. Les gens qui étaient en

5 train de bombarder demandaient quel était le résultat du bombardement.

6 Ensuite, il rappelait pour dire, exactement, où les obus avaient tombé.

7 C'est comme cela qu'ils pouvaient établir la précision des tirs. Cela peut

8 paraître complètement incroyable, mais cela montre à quel point il est

9 difficile de faire la différence entre les civils et les militaires dans

10 cette guerre.

11 Q. A présent, je voudrais revenir sur un point que vous avez soulevé tout

12 à l'heure. Vous avez fait une opposition entre la guerre civile et la --.

13 La question de la guerre civile dans ce conflit, à la page 275 du document

14 DB371A, la CIA arrive à la conclusion suivante, c'est dans la colonne de

15 droite et il y est écrit : "Parmi différentes choses que l'on croit au

16 sujet de la JNA et des rapports qui prévalent entre la JNA et la VRS, la

17 chose qui est la plus étonnante, c'est qu'un grand nombre de troupes de

18 l'armée yougoslave se sont battues dans le conflit et qu'elles étaient

19 placées sous le commandement de la VRS. Il n'y a pas de preuve qui

20 corroboreraient ceci, malgré beaucoup d'affirmations venant de journalistes

21 mal informés."

22 Est-ce que ceci corrobore les conclusions auxquelles vous avez abouti ?

23 R. Oui, ceci confirme tout ce que je connais au sujet de la situation. Je

24 suis très étonné et très intéressé par la façon dont la CIA aborde ce

25 problème, puisque eux ils sont en mesure de retrouver la trace de,

Page 24404

1 pratiquement, chaque unité au cours du conflit. Je ne sais pas de quelle

2 façon ils ont réussi à le faire, peut-être par la surveillance aérienne, je

3 ne sais pas. Mais en tout cas, dans les deux volumes de leur étude, on

4 trouve des tableaux qui nous montrent exactement où se trouvait chaque

5 armée et à quel moment. C'est certainement très correct.

6 Je ne veux pas, vraiment, parler de cela. Dans notre volume, nous disons

7 qu'au début de la guerre en 1992, quand les Serbes de Bosnie étaient coupés

8 de la Serbie à cause de la coupure du corridor, car le corridor entre Banja

9 Luka à l'ouest et Bijeljina et la Serbie à l'est avait été coupé par les

10 forces jointes croates et musulmanes. Suite à une offensive, le corridor a

11 été repris par les Serbes. Il s'agissait, là, d'un effort désespéré

12 puisqu'ils étaient, complètement, isolés dans la Bosnie de l'ouest. Nous

13 avons écrit cela puisque nous avons dit que ceci a été fait avec l'aide de

14 la JNA, mais cette JNA n'était plus la JNA. Mais de toute façon, sans cela,

15 ils n'auraient pas pu le faire, ils n'auraient pas pu avoir un quelconque

16 succès. La CIA dit que les armées serbes ont tout fait eux même, sans aide

17 de Belgrade. Moi, j'ai été très étonné en lisant cela, car c'était

18 tellement important pour la cause serbe, que de reprendre ces corridors.

19 C'est pour cela que j'avais des suspicions quant à l'attitude de Belgrade

20 vis-à-vis de la Bosnie, car il s'agissait d'une attitude de manipulation où

21 ils ne faisaient que défendre leurs propres intérêts.

22 Q. Je voudrais passer à un autre sujet. Maintenant, je voudrais parler de

23 matériaux qui viennent de l'institut néerlandais pour la Documentation de

24 la guerre. Avant de faire cela, je voudrais savoir si vous avez pu lire ces

25 documents en détail, et ensuite, nous dire comment vous évaluez ces

Page 24405

1 documents ?

2 R. Je n'ai pas lu tout le rapport. C'est un rapport immense comme vous

3 devez le savoir. Tous ceux, qui ont pu jeter un regard sur ce document, ont

4 pu s'en rendre compte. Je trouve que ceci est, tellement, important par

5 rapport à tout ce que nous savons sur la situation en Bosnie. Beaucoup de

6 choses sont très, très bien résumées là-dedans. Ils donnent beaucoup de

7 détails. Apparemment, ils avaient des ressources illimitées pour

8 reconstituer la situation. Je pense que c'est, effectivement, l'étude la

9 plus détaillée qui fait foi sur la Bosnie. Jamais quoi que ce soit de

10 semblable n'en a été fait jusqu'alors. Je suis content que les choses que

11 j'ai écrites avec le professeur Burg ont été confirmées et corroborées par

12 cette étude. Mais nous, nous n'avons pas écrit avec autant de détails

13 qu'eux. Je recommanderais surtout la partie qui a été rédigée par Ger

14 Duijzings qui est allé en Bosnie, et qui a reconstitué tout ce qui s'est

15 passé là-bas depuis la période d'avant la guerre, les politiques, les

16 personnalités au niveau local, et cetera. C'est fascinant, c'est,

17 absolument, fascinant.

18 Q. A l'appendice 5 du rapport, au début de cet appendice DB361, à la

19 deuxième page, je voudrais parler avec vous de quelque chose qui y est

20 écrit. Entre 1980 et 1991, ce rapport de l'institut néerlandais, au début

21 de ce paragraphe, parle du Pays-Bas comme l'état constitutionnel le plus

22 ancien de l'Europe, qui est le moins violent, où il y a très peu de

23 meurtres et peu de crimes. Ensuite, ils disent : "Et en l'espace de dix

24 ans, l'économie était en train de s'écrouler presque complètement. Le

25 gouvernement central n'était plus capable de maintenir la loi et l'ordre.

Page 24406

1 L'ordre ne régnait plus dans le pays. Le pays se démantèle et les pouvoirs

2 passent entre les mains des chefs locaux qui encouragent, ouvertement,

3 l'utilisation de la force. Apparemment, la même chose qui s'est passée au

4 Pays-Bas, s'est passée en Yougoslavie entre 1980 et 1991."

5 Ceci nous montre un déroulement assez dramatique de la situation.

6 Mme KORNER : [interprétation] Ça y est, nous y sommes à nouveau.

7 M. ACKERMAN : [interprétation] Mais effectivement.

8 Mme KORNER : [interprétation] Posez-lui une question, c'est un expert.

9 M. ACKERMAN : [interprétation] Je vais m'arrêter. Vous pouvez arrêter votre

10 objection.

11 Q. Pourriez-vous me dire ce qui s'est passé avec l'économie ? Pouvez-vous

12 dire aux Juges de la Chambre ce qui s'est passé avec l'économie yougoslave

13 entre 1980 et 1991 ?

14 R. Je vais essayer d'être bref à nouveau. L'économie en Yougoslavie s'est

15 trouvée dans un état de déclin rapide, qui a commencé, déjà, dans les

16 années 1980. Ceci a été très, très bien décrit.

17 Les problèmes étaient beaucoup plus sévères dans la République de Bosnie,

18 que dans la Slovénie qui avait de très bons contacts commerciaux avec

19 l'Autriche et l'Italie. Moi, j'ai parlé aux Bosniaques qui se rappellent de

20 quelle façon tous leurs contacts avec l'étranger ont été coupés. Par

21 exemple, ils essayaient de vendre des meubles aux Etats-Unis. C'était une

22 industrie purement bosniaque. Ils avaient de plus en plus de mal et, avec

23 le début de la crise, ces contacts se sont complètement interrompus. Leur

24 industrie lourde ne convenait plus à une économie en proie aux reformes.

25 Ils ne faisaient pas d'argent, tout simplement. Ils ne faisaient pas de

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1 profit. Ils ont commencé à licencier des ouvriers en masse.

2 Finalement, en 1991, Milosevic a imposé un embargo ou des sanctions contre

3 la Bosnie-Herzégovine, des sanctions économiques. Pourquoi ? Parce que

4 Izetbegovic, comme j'ai dit, a décidé qu'il allait garder sa neutralité par

5 rapport à la guerre en Croatie. Milosevic voulait le punir pour cela, et il

6 l'a fait. Pouvez-vous imaginer à quel point cela a achevé l'économie en

7 Bosnie. C'était un coup de grâce. La crise économique était effectivement

8 très, très sévère en 1990.

9 Q. Milosevic a fait cela à cause de la guerre en Serbie, parce que

10 Milosevic n'a pas pris de position par rapport à la guerre en Croatie ?

11 R. Oui, en effet.

12 Q. [aucune interprétation]

13 R. [aucune interprétation]

14 M. LE JUGE AGIUS : [aucune interprétation]

15 M. ACKERMAN : [interprétation]

16 Q. Maintenant je voudrais passer à nouveau sur le document DB361. A

17 nouveau l'institut néerlandais, à la page 3 de ce rapport, à peu près à la

18 moitié, il est écrit : "La télévision avait un effet pratiquement

19 hypnotisant. C'était surtout le cas en Serbie." Et ensuite : "La population

20 en Serbie était devenue beaucoup trop pauvre pour acheter des journaux.

21 R. Oui, oui, oui, c'est absolument vrai.

22 Q. Mais, c'est incroyable que les gens ne pouvaient plus acheter des

23 journaux. Vous pensez que cela s'est passé partout en Yougoslavie ? Est-ce

24 que vous êtes au courant de cela ?

25 R. Mais oui. Mais je vais vous donner l'exemple du Herald Tribune

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1 d'aujourd'hui qui parle d'un paysan russe, en dehors de Moscou, qui vit

2 tout seul dans son petit village. Il a plus de 70 ans et tout le monde l'a

3 abandonné. Il peut, à peine, trouver du bois de chauffage pour se chauffer.

4 La seule chose qui lui reste, c'est son poste de télévision. Donc, il

5 regarde cet "opéra de sitcom" brésilien toute la journée. C'est tellement

6 triste mais tout ce qu'il a, c'est son poste de télé, rien d'autre.

7 Q. Très bien. Le document suivant. A nouveau la même source DB362, page 9.

8 Il y a, juste, une phrase qui m'intéresse : "La population", là il parle de

9 la population yougoslave, "n'a jamais eu l'occasion d'en finir avec les

10 événements tragiques qui se sont produits entre 1941 et 1945." A quoi font-

11 ils référence quand ils parlent qu'ils n'ont jamais eu l'occasion d'en

12 finir avec ces événements ?

13 R. A cause de cette période communiste. Il n'y a, jamais, eu d'analyse

14 sérieuse au sujet de ces événements, au sujet de ce qui s'est vraiment

15 passé en Yougoslavie. De ma propre expérience, je peux vous dire que les

16 gens se rappelaient très bien de ce qui est arrivé à leur propre famille.

17 Ils se rappelaient très bien de leur propre histoire familiale. Rien

18 d'autre, vraiment. Un grand vide. Je ne dirai pas qu'il en va de même pour

19 la Slovénie, puisqu'ils pouvaient se procurer des journaux étrangers. Mais

20 en Serbie, c'était un fait avéré. A Belgrade, effectivement, il y avait

21 beaucoup d'étrangers. C'était un petit peu différent, mais, je voudrais

22 ajouter quelque chose. Je voudrais attirer l'attention des Juges de la

23 Chambre sur le fait qu'on n'apprend pas les choses de la même façon là-bas,

24 qu'ici. On ne peut pas les observer de la même façon dont nous observons

25 les événements ici, à l'ouest. C'est comme si vous essayiez de redresser la

Page 24409

1 rivière Drina. Je n'ai jamais réussi à les accrocher de cette façon là.

2 C'étaient des efforts vains. A chaque fois que j'essayais de leur dire ce

3 qui s'était vraiment passé au cours de la Deuxième Guerre mondiale, j'avais

4 du mal car leur position était ancrée profondément dans leur passé

5 ethnique, dans leur histoire ethnique.

6 --- L'audience est suspendue à 17 heures 44.

7 --- L'audience est reprise à 18 heures 15.

8 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Avant que nous recommencions, Maître

9 Ackerman, le témoin m'a demandé de vous informer du fait qu'il allait lui-

10 même appeler le professeur Hayden et allait lui demander de vous envoyer

11 par email, de vous envoyer le document. Cela veut dire que vous n'avez pas

12 besoin vous-même de faire le problème.

13 Mme KORNER : [interprétation] Je pense qu'il serait préférable qu'étant

14 donné que le professeur Shoup est en train de témoigner, de déposer ici, ce

15 serait mieux que ce soit Me Ackerman lui-même qui demande, qui rappelle au

16 professeur Hayden que c'est à lui, qu'il est censé lui donner un document

17 non publié.

18 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Moi, je ne suis qu'un ambassadeur. Je

19 dis simplement -- j'attendais une réaction de votre vous-même et de Me

20 Ackerman.

21 M. ACKERMAN : [interprétation] Je n'ai aucune idée comment joindre le

22 professeur Hayden. Je n'ai aucune idée.

23 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Est-ce que vous pensez que vous serez

24 capable de terminer aujourd'hui ?

25 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui, je pense, oui.

Page 24410

1 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Ne perdons pas du temps.

2 M. ACKERMAN : [interprétation]

3 Q. Vous nous avez dit, plus tôt, que les partis nationalistes avaient

4 adopté cette idée de se partager la Bosnie. Il y a plusieurs références à

5 cela auxquelles j'aimerais vous demander d'avoir à nous parler. Il s'agit

6 des documents DB366, il s'agit du rapport de l'institut néerlandais, à la

7 page 8. On parle d'une réunion du SDA en septembre 1990 à Nova Kasaba. Au

8 haut de la page 8, on lit la chose suivante : "Pourtant la réunion montrait

9 que la question la plus importante pour les élections, pour le SDA et le

10 SDS, était le contrôle de l'économie locale. Le représentant du SDA de

11 Zvornik s'est plaint du fait que tous les revenues, qui étaient générées

12 par l'usine aluminium locale de Benicia, iraient à la Serbie. Il promettait

13 que la première chose qu'il ferait après avoir gagné les élections était de

14 prendre lui-même le contrôle de la société de façon à ce qu'il puisse

15 financer les armes dont il avait besoin pour se battre contre les Serbes."

16 J'imagine qu'il s'agit là d'un des exemples que vous citez comme étant une

17 décision de prendre le contrôle des actifs de l'économie dans les

18 différentes municipalités. Est-ce que j'ai tort ou pas ?

19 Mme KORNER : [interprétation] Il s'agit à nouveau d'une question

20 directrice. Je renouvelle mon objection à tout cela.

21 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Votre objection est acceptée, Madame

22 Korner.

23 Mme KORNER : [interprétation] Monsieur le Président, je vais regarder les

24 documents. Comment ce fait-il que -- ce qui y est dit est absolument clair.

25 Notre sujet, ici, est les événements dans la région autonome de Krajina. Je

Page 24411

1 comprends qu'au sujet du tableau général de ce qui se passait, Me Ackerman

2 pose des questions au professeur Shoup, qui sont des détails, mais ce que

3 j'en dis c'est que c'est totalement non pertinent. Pour redire ce que je

4 disais, je renouvelle mon objection à l'acceptation de ces documents comme

5 éléments de preuve dans le dossier. Je ne vois pas en quoi cela est

6 pertinent.

7 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Il y avait un autre endroit, Maître

8 Ackerman, d'après ce que j'ai compris, j'allais dire que cette déclaration

9 était attribuée à M. untel, le représentant du SDA du Zvornik, qui ne

10 mentionne rien concernant une prise du contrôle de cette société, comme

11 vous l'avez dit, une ligne de défense, comme le témoin l'a dit. Mais c'est

12 plutôt comme un moyen à viser à un but.

13 M. ACKERMAN : [interprétation] Vous avez tout à fait raison, Monsieur le

14 Président.

15 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Lisez le paragraphe et reformulez votre

16 question complètement. Prenez, en fait, en compte ce que je viens de dire

17 et l'objection faite par Mme Korner.

18 M. ACKERMAN : [interprétation] Ecoutez, il faut que je réponde tout de même

19 à cette objection parce que, d'après moi, cela est mal compris. Il ne sait

20 pas tout ce qui s'est passé en Bosnie en 1992 et cela ne s'est pas passé

21 dans le plus grand secret, dans un vide total. Les gens à Banja Luka

22 savaient ce qui se passait à Srebrenica, les gens savaient ce qui se

23 passait à Banja Luka.

24 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] C'est une déclaration que vous faites,

25 Me Ackerman, qui est peut-être fondée mais qui peut également être

Page 24412

1 gratuite. Je ne ferais pas de commentaires à ce sujet. Mais je préfèrerais

2 que vous ne fassiez que la déclaration que nous acceptions, que rien ne

3 s'est passé dans un vide total, ni en Bosnie ni en Krajina, ni où que ce

4 soit.

5 Nous allons, de toute façon, passer cela et revenir à votre question,

6 Maître Ackerman.

7 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui.

8 Q. Ma question est la suivante : Les événements qui ont eu lieu en Bosnie

9 en 1991 et 1992, ont-ils eu lieu dans un vide total ou les choses qui se

10 sont passées en Bosnie occidentale ont-elles été connues en Krajina et les

11 choses qui avaient lieu en Krajina étaient-elles connues en Bosnie

12 occidentale ? En d'autres termes, y avait-il des communications à

13 l'intérieur du pays ? Est-ce que le téléphone fonctionnait ?

14 R. Oui, le téléphone marchait. Les gens s'informaient les uns les autres

15 de ce qui se passait. Ce qui est beaucoup plus important, c'est que les

16 incidents étaient transmis rapidement à la presse à Belgrade qui les

17 transmettaient rapidement à tout l'ensemble de la Serbie. En d'autres

18 termes, la plupart de l'information que les gens transmettaient était de

19 source qui était en dehors de la Bosnie. Et que la presse serbe rapidement

20 reprenait des événements, par exemple, de façon à semer la méfiance ou la

21 peur au sein de la population serbe. Il s'agit d'un exemple type, de type

22 de choses qui avaient eu lieu et que dès le lendemain on trouvait dans

23 Vecene Novoste.

24 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Mais simplement les gens étaient trop

25 pauvres pour acheter les journaux.

Page 24413

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, cela n'empêche pas les gens d'acheter le

2 journal et de transmettre les informations à d'autres, en particulier, dans

3 la ville de Banja Luka qui est pleine de journaux, bien entendu.

4 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien. Passons, continuons, Maître

5 Ackerman.

6 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président, j'hésite quelque peu

7 de poursuivre car je commence à avoir l'impression que la Chambre éprouve

8 certains désintérêts, enfin n'est plus tellement intéressée à l'historique

9 et à entendre l'histoire du conflit du pays.

10 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Maître Ackerman, je ne vous ai pas

11 arrêté, vous savez. J'écoute attentivement et je peux tout à fait

12 comprendre que ce qui s'est passé en Bosnie ne s'est passé hormis un

13 contexte historique. Je vous écoute attentivement.

14 M. ACKERMAN : [interprétation] Bien, mais la Chambre ou peut-être vous-

15 même, Monsieur le Président, comprenez ce qui s'est passé en Bosnie

16 occidentale et vous savez que cela a eu un certain effet sur la Krajina.

17 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Ne m'imputez pas ce que je n'ai pas

18 dit. J'ai dit que l'objection de Mme Korner, pour ce qui est de la question

19 directrice en tant que telle, était une objection valide et que je la

20 maintenais et que c'est ce que j'ai dit. J'ai également insisté sur le fait

21 que malgré que le fait que la question ne se rapportait qu'à une partie de

22 ce que le témoin a dit, il y a également eu un deuxième élément de la

23 question qui a été posée au témoin, à savoir, si le représentant du SDA ou

24 qui était le représentant du SDA à Zvornik. Mais le témoin n'a jamais dit

25 que cela s'était passé avec le motif que cet homme de Zvornik auquel il

Page 24414

1 s'est référé -- je parle en énigme mais j'espère que vous comprenez ce que

2 j'essaie de dire, plutôt j'espère que vous comprenez ce que j'essaie de

3 dire.

4 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui, tout à fait.

5 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Veuillez poursuivre, je vous prie. Je

6 ne vais pas vous interrompre. Vous pouvez poursuivre le cours de votre

7 interrogatoire principal.

8 M. ACKERMAN : [interprétation]

9 Q. Professeur, ce qui m'intéresse ce sont les aspects économiques dans le

10 contexte de ce qui est arrivé. Je souhaiterais vous référer à une autre

11 partie du rapport, DB369, annexe 4, intitulé "Remarques finales." En

12 conclusion, c'est ce qui figure au bas de la page.

13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Quelle page, Maître Ackerman ?

14 M. ACKERMAN : [interprétation] C'est la page 3 du document coté DB369.

15 Q. Je vois que Duijzings résume les choses. Il fait un commentaire final.

16 Il exprime sa conclusion, en réalité. Il parle de la crise économique et

17 politique après la mort de Tito en 1980 et de quelle façon cela a affecté

18 Srebrenica. Ensuite, il dit ce qui suit : "A toutes fins pratiques, la

19 crise économique était dramatique. On a réduit les salaires à une fraction

20 de ce qu'ils étaient. Les gens sont restés sans emploi et ont commencé à

21 craindre l'avenir. Du point de vue serbe, la crise économique était

22 exacerbée par la menace d'une marginalisation politique résultant d'une

23 croissance démographique de la nation musulmane. Les Serbes locaux étaient

24 très susceptibles à la propagande de Belgrade qui, très bientôt, a commencé

25 à appeler ce processus le fondamentalisme islamique. Par contre, c'était la

Page 24415

1 lutte pour les aspects économiques qui ont créé un contexte pour la plupart

2 des conflits. L'histoire était une raison symbolique retirée du folklore

3 nationaliste. C'était un outil efficace pour mobiliser la population."

4 Ma question est la suivante : Duijzings parle, là, de l'effet que tout ceci

5 a eu sur Srebrenica. Votre recherche et vos lectures selon vous, est-ce que

6 cela, selon les lectures que vous avez faites et selon la recherche que

7 vous avez faite, est-ce que cela a effectivement affecté une certaine

8 incidence sur la situation en Bosnie-Herzégovine ?

9 R. Je suis tout à fait d'accord avec les conclusions du professeur

10 Duijzings. Je crois qu'elles sont très équilibrées. Je crois que ces

11 conclusions peuvent être appliquées à l'ensemble de la Bosnie, eu égard

12 particulièrement, en fait, qu'il ne parle pas de la situation bosnienne. Il

13 parle plutôt des problèmes économiques et de la crise économique et de la

14 marginalisation économique et politique possible des Serbes, la crainte du

15 fondamentalisme islamiste qui représente une ressource symbolique. Et de

16 tout ceci s'appliquait à une Bosnie qui se trouvait dans une situation de

17 détresse extrême. Franchement, je ne suis pas tout à fait surpris que tout

18 le monde ait adopté cette attitude de "sauve qui peut." Je n'ai absolument

19 rien vu d'étrange. Tout ceci était enveloppé par une rhétorique

20 nationaliste, les personnes très dangereuses, malheureusement, ont pris

21 avantage de cette situation. Et il n'a absolument aucune question. Je ne

22 conteste pas ce qu'il vient de dire. J'aurais peut-être redit certaines

23 choses d'une autre façon mais la crise était profonde et je suis d'accord

24 avec ces conclusions.

25 Puis-je ajouter quelque chose là-dessus pendant que vous cherchez le

Page 24416

1 passage suivant.

2 Q. Oui.

3 R. En fait, ce que l'on ne dit pas assez souvent, c'est qu'après les

4 élections en Bosnie de 1991, la Bosnie n'était plus pareille. Le

5 multiculturalisme qui avait existé, c'était auparavant et cette

6 multiethnicité qui n'avait jamais menacé de devenir un vrai pouvoir

7 politique. Maintenant en 1991, 110 municipalités différentes ont essayé de

8 s'approprier le pouvoir, et ce qui en a suivi, c'était un désastre. Selon

9 moi, mais je ne peux pas simplement écrire une opinion, j'y ai réfléchi par

10 contre longuement. C'est que, tôt ou tard, la Bosnie aurait perdu son

11 caractère multiethnique. Les régions nationales se seraient vues voir le

12 jour, un état bosnien serait disparu, cette vieille Bosnie que nous aimions

13 tous, tant, était vouée au désastre et à l'échec.

14 Q. Duijzings dit en conclusion, à la page 4 du document DB363, en fait

15 c'est en parlant de ce sujet qu'il dit et je cite :

16 "Mon approche est basée sur une présomption fondamentale que les hommes

17 créent l'histoire de deux manières : l'une des manières est en imaginant et

18 en construisant un passé qui est pertinent avec le présent; et

19 deuxièmement, dans la façon dont ils choisissent de se comporter en prenant

20 le passé et le présent. Cela laisse présupposer que l'histoire est une

21 toile tissée de personnes qui ont des motifs différents et des intérêts

22 différents et une chimie différente ce qui mène à un résultat final."

23 Etes-vous d'accord avec ceci ?

24 R. Oui, absolument. Cela concorde avec la recherche que j'ai entreprise.

25 Je dois dire que cette recherche est souvent mal comprise. On a

Page 24417

1 l'impression que l'on est trop tolérant envers l'un parti ou l'autre, mais

2 cela n'est pas vrai. Je crois que le professeur Duijzings a réussi à

3 démontrer que l'on peut décortiquer cette question de toutes les façons. On

4 peut voir les choses sous toutes les facettes et il est arrivé à donner une

5 compréhension nuancée de tout ceci. Et je crois que cela devrait être

6 publié quelque part plutôt que d'être caché sous forme électronique, sur un

7 site quelconque.

8 Q. Je souhaiterais que l'on examine DB370 et la page 3 de ce document en

9 dernier lieu. Je lis le dernier paragraphe de cette page et je cite :

10 "La connaissance de l'histoire est importante pour bien comprendre le

11 contexte historique du conflit yougoslave. Il est très difficile

12 d'expliquer les guerres par contre seulement sur la base d'une analyse

13 historique sans prendre en considération les luttes de pouvoir entre partis

14 politiques. Par contre, il faut comprendre que les différents partis aient

15 utilisé l'histoire pour justifier leurs politiques agressives envers

16 d'autres groupes ethniques et pour cacher et dissimuler les vrais objectifs

17 politiques, qui très souvent imposent la prise de frontières de leurs

18 voisins."

19 Je souhaiterais que vous élaboriez là-dessus.

20 R. De nouveau, je souhaite dire qu'il s'agit de conclusions d'un groupe de

21 chercheurs qui ont fait un travail absolument formidable. Ce sont des

22 chercheurs de l'institut Néerlandais sur la guerre. Je trouve qu'il s'agit

23 d'une conclusion très puissante. Par contre, je souhaiterais rappeler la

24 Chambre d'un fait. Ce que l'on peut lire là, c'est qu'il y a eu des élites

25 politiques. En fait, le pouvoir s'est partagé entre eux. Mais c'était la

Page 24418

1 question nationaliste qui était à la base de tout ceci. De quelle façon

2 est-ce qu'un état devrait être formé ? Est-ce qu'on devrait joindre ou

3 annexer certaines parties à d'autres, c'est le problème qui a fait éclater

4 la Yougoslavie. Et c'est le problème qui existait également en Bosnie. Il y

5 a une différence très profonde. Les dirigeants serbes, si vous voulez dire

6 qu'ils étaient peut-être extrémistes, vous pouvez le dire, mais ils le

7 croyaient, ils pensaient que la partie de la Bosnie avait droit de se

8 séparer et de joindre la mère terre, "la matica". Et ils croyaient que le

9 terme bosnien, qui était une terre sainte et ils croyaient qu'ils pouvaient

10 vivre sur ce terrain, sur cette terre avec les autres ethnies. Mais ce sont

11 les questions qui ont contribué à l'éclatement de la Bosnie. C'était peut-

12 être mal, une mauvaise interprétation de l'histoire de tous les côtés, mais

13 les buts sous-jacents de ces groupes étaient tels que j'essaie de vous les

14 expliquer. En fait, c'était un désaccord sur l'état de Bosnie.

15 Q. Cette citation se poursuit et conclut par dire :

16 "Afin de pouvoir dissimuler les vrais objectifs politiques, afin de

17 s'emparer des frontières de leurs voisins."

18 La chose qui m'intrigue le plus ici est de savoir, s'il y avait une

19 différence entre les objectifs que les dirigeants pouvaient avoir, et s'il

20 y avait une différence entre ces objectifs-là et les objectifs que pouvait

21 avoir un soldat sur le terrain en Bosnie ? C'est-à-dire y a-t-il quelque

22 indication que ce soit que ces objectifs étaient partagés avec les

23 soldats ? Ou est-ce que les soldats avaient un autre objectif ?

24 R. La question est fort intéressante. Excusez-moi, je dois trouver une

25 partie de la réponse dans le livre que je sors à l'instant de mon sac.

Page 24419

1 Chapitre 4, guerre sur le terrain, dans ce passage, en conclusion ou

2 presque le passage en conclusion, en réalité l'officier, Milovan Stankovic

3 dit et avec votre permission, je vous donnerai lecture de ce passage. Il

4 s'agit d'un paragraphe, cela ne durera pas trop longtemps. Il s'agit de la

5 page 185. Puis-je ?

6 Q. Bien.

7 R. Notre politique, ainsi de suite : "Voici un homme qui est découragé."

8 Nous sommes en 1984 [comme interprété] et il parle librement et il dit :

9 "Notre politique n'a jamais défini les buts principaux, de la lutte

10 politique, nationaux, économiques, militaires ou les buts régionaux. Il n'a

11 jamais été dit très clairement de quel état, il s'agit, de quelle

12 dimension, il s'agit et quelles sont les villes qui devraient être prises.

13 La politique dit que les frontières sont aussi lointaines que peuvent les

14 atteindre la botte militaire. Lorsque nous avons pris Doboj, au cours des

15 premiers jours de la guerre, et ainsi de suite. Je ne vais pas donner

16 lecture de tout ce passage. Mais regardez ce qu'il y a à la page suivante,

17 au deuxième paragraphe de la page 186. Il s'agit d'une phrase très

18 importante. Il dit : "La défaite militaire cache les vrais objectifs

19 politiques. Je vais vous donner un exemple qui m'a vraiment étonné. J'ai

20 dit que, puisque nous avons des intérêts communs, nous devrions donner

21 certains territoires à l'ennemi, et que ce soit après la guerre seulement,

22 dans la condition où nos personnes sont compensées. Et l'un des députés a

23 dit : est-ce que vous croyez que c'est dans l'intérêt de l'état d'attendre

24 la fin de la guerre et ensuite vous donnerez quelque chose à un homme,

25 l'argent à un homme, lui disant que sa maison vaut 100 000 deutsche Marks.

Page 24420

1 Cela est meilleur s'il sait qu'il a" --

2 Je recommence les interprètes m'ont demandé de ralentir.

3 "Est-ce que vous croyez que c'est dans l'intérêt de l'état pour qu'un homme

4 attende la fin de la guerre pour qu'il se fasse dire par un comité que sa

5 maison vaut 150 mille marks allemands. Si vous lui donnez, par contre une

6 chemise, il sera content d'être en vie. Il sera heureux s'il obtient

7 quelque chose à la fin. Je ne peux pas me réconcilier, bien sûr, avec de

8 tels jeux.?

9 Et cela est très révélateur du régime de Karadzic.

10 M. ACKERMAN : [interprétation]

11 Q. Professeur, je vais vous demander de consulter votre bibliothèque et de

12 voir quels sont les livres principaux publiés relatifs aux événements en

13 Yougoslavie, entre 1991 et 1995, et dites moi si vous voyez le nom de

14 Brdjanin dans quelque publication que ce soit. Je vous ai déjà demandé de

15 faire ceci. Est-ce que vous l'avez fait ?

16 R. Oui, j'ai cherché dans ma bibliothèque personnelle. Elle est très

17 large. Je n'ai pas vu le nom de Brdjanin dans l'index d'aucun des livres

18 que j'ai lu.

19 Q. C'est tout.

20 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Madame Korner, vous pensez que vous

21 terminerez dans les cinq minutes qui nous restent ?

22 Mme KORNER : [interprétation] Oui, bien sûr. Cela étant dit, cela ne me

23 dérangerait pas de poser quelques questions préliminaires.

24 Contre-interrogatoire par Mme Korner :

25 Q. Professeur, savez vous qui est Radoslav Brdjanin ?

Page 24421

1 R. Je ne vous comprends pas. Pourriez-vous parler plus lentement.

2 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Apparemment, il fait équipe, à présent,

3 avec les interprètes.

4 Mme KORNER : [interprétation]

5 Q. Savez-vous qui est Radoslav Brdjanin ?

6 R. Oui, membre du comité de crise de la RAK et qui a eu plusieurs

7 fonctions avant de devenir le vice-président de --

8 Q. Puisque dans votre bibliothèque personnelle vous n'avez trouvé aucune

9 référence à M. Brdjanin, comment avez-vous appris cela ?

10 R. Je l'ai appris en parcourant la documentation qui m'a été envoyée et

11 que j'ai utilisée ici. Franchement, je ne me souviens pas comment j'ai

12 appris cela. C'est probablement après être venu ici. Cela étant dit, peut-

13 être que je l'ai appris autrement. Vous avez très bien posé la question.

14 C'est vrai que si j'avais voulu vraiment poser la question, j'aurais pu

15 consulter LexisLexis ou bien lire des dépêches de la BBC de l'époque, et

16 cetera. J'aurais pu le trouver comme cela. Je ne suis pas sûr si je l'ai

17 fait.

18 Q. Est-ce que vous avez lu l'acte d'accusation en l'espèce ?

19 R. Non.

20 Q. Vous n'avez aucune idée de ce qu'il a fait à part les fonctions qu'il a

21 tenues. Est-ce exact ?

22 M. ACKERMAN : [interprétation] Je soulève une objection, Monsieur le

23 Président, car dans l'acte d'accusation ne sont pas décrits les faits

24 actuellement commis par Brdjanin. Il ne s'agit que de ce que ce les

25 tribunaux pensent qu'il a fait et ce dont il est accusé.

Page 24422

1 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, effectivement. Pourriez vous poser

2 votre question autrement, Madame Korner ?

3 Mme KORNER : [interprétation]

4 Q. Professeur, savez-vous quelles sont les allégations, les charges

5 retenues contre Radoslav Brdjanin ?

6 R. Non, certainement pas.

7 Q. Savez-vous quels ont été les moyens de preuve présentés au cours de

8 cette affaire ?

9 R. Attendez. Oui, en effet, j'ai lu une partie de la déposition du

10 Professeur Donia. C'est vrai que, de temps en temps, on rencontre le nom de

11 Brdjanin au cours de cette déposition.

12 Q. Est-ce que vous ne l'avez jamais rencontré, je parle de Brdjanin ?

13 R. Non, jamais.

14 Q. Pourriez-vous, Professeur, dire aux Juges de la Chambre quel est

15 l'objectif de votre déposition, la déposition que vous êtes en train de

16 faire depuis quelques jours ?

17 R. Je pense qu'il est très important de dire, de faire savoir que la

18 Bosnie était un endroit qui ne fonctionnait plus du tout après les

19 élections de 1991. Les gens ont essayé de répondre à cette nouvelle

20 situation, à s'en accommoder de la meilleure façon dont ils pouvaient. Les

21 Serbes, ils considéraient que cette situation était agressive ou

22 inexplicable mais ils étaient, tout de même, dans la situation où ils

23 étaient et ils devaient prendre une direction. Je crois qu'ils ont pris la

24 mauvaise. Mais le contexte montre que leur réponse n'était pas vraiment

25 étonnante. Aussi, quand il s'agit de parler du nettoyage ethnique, et

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1 cetera, qu'il convient de dire que ces choses se sont produites de tous les

2 côtés, qu'il y en a eu de tous les côtés, peut-être plus ou moins.

3 S'agissait-il d'un nettoyage ethnique plus ou moins grave, mais il y en a

4 eu partout.

5 Q. Il y a des choses qui me viennent à l'esprit suite à votre réponse. La

6 première : vous n'essayez pas de dire, n'est-ce pas, qu'à cause de ce

7 mauvais fonctionnement de la Bosnie, on peut excuser la commission de

8 crimes de guerre, des crimes de guerre qui ont été commis par différents

9 individus ?

10 R. Non, je ne peux pas dire cela. Mais je dis qu'il faut observer ces

11 crimes qui étaient employés dans une situation particulière qui était celle

12 des Balkans. Je pense qu'il faut essayer de s'imaginer la situation dans

13 laquelle se trouvait la Bosnie à l'époque, qui était vraiment très, très

14 compliquée. Il s'agissait de la guerre. Il s'agissait d'une situation très,

15 très compliquée, d'une agression. Cela ne suffit pas de dire qu'il y avait

16 une guerre, il faut placer tout cela dans le contexte. Je pense que pour

17 les Juges, au moment où ils vont rendre leur jugement, il serait important

18 d'être conscient de la situation telle qu'elle était, du contexte.

19 Q. Est-ce que vous dites que le disfonctionnement de la Bosnie, la

20 situation dans les Balkans, excuse la commission des crimes de guerre ?

21 R. Non, non. Je dis justement le contraire. J'ai dit qu'il y avait des

22 crimes de guerre qui ont été commis et je considère que ces crimes qui ont

23 été vraiment terribles, ont été commis par les gens qui tiraient sur leurs

24 propres civils.

25 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Attendez, Madame Korner. C'est

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1 impossible. Personne ne peut suivre, même moi-même, je ne peux pas suivre.

2 Je pense que nous devons nous arrêter.

3 Mme KORNER : [interprétation] Un dernier point, s'il vous plaît.

4 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien. Ensuite je pense que nous

5 allons lever la séance tout simplement pour la journée.

6 Mme KORNER : [interprétation]

7 Q. Professeur, est-ce que je peux vous expliquer quelque chose ? Ces Juges

8 ne sont pas ici pour décider si le massacre qui a eu lieu sur le marché de

9 Sarajevo a été causé par les Musulmans qui tiraient sur leurs civils ou sur

10 les Serbes. Ceci est l'objet d'un autre procès. Est-ce que vous comprenez

11 cela ?

12 R. Oui, oui, mais je ne suis pas d'accord, je ne suis pas du tout d'accord

13 avec vous. Moi, j'utilisais cela comme un exemple, un exemple pour vous

14 expliquer mon approche de la situation. Moi, je me situe dans les intérêts

15 de la justice. Vous, vous insinuez que tel n'est pas le cas. Je ne suis

16 absolument pas d'accord. Moi, je suis terriblement touché par ce qui s'est

17 produit là-bas. Je connais très bien cette partie du monde. Je pense qu'il

18 faut être absolument honnête et prendre en compte tous les points de vue

19 quand on parle de cette situation. C'est aussi simple que cela.

20 Q. Très bien. Vous considérez que si les Juges doivent juger des crimes

21 commis par les Serbes de Banja Luka, ils doivent, en même temps, examiner

22 la situation à Sarajevo. C'est ce que vous dites ?

23 R. Oui, c'est certainement ce que je dis. Je parlais de cette stratégie de

24 victimisation. Je dis et j'affirme qu'elle avait pour but de tromper les

25 gens. Il y avait beaucoup de fausses informations qui étaient propagées.

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1 Ceci s'applique aussi à ce qui a été fait à Banja Luka mais aussi pour

2 d'autres parties de Bosnie. Il y avait des grosses opérations de propagande

3 qui étaient en cours là-bas. Moi, je ne dis pas la même chose que les

4 Serbes, à savoir, "on ne nous comprend pas." D'ailleurs, je rejette

5 complètement cela, je le rejette d'emblée. Mais si quelque chose se produit

6 à Banja Luka qui concerne les Serbes, toute la région de la Bosanska

7 Krajina, je pense que cela doit être placé dans le contexte. Dans les

8 Balkans, les choses se produisent comme cela, vous essayez de vous

9 présenter comme une victime et de mal interpréter et de le faire exprès,

10 les actes des autres. Et je supplie les Juges de la Chambre de ne pas se

11 laisser tromper par cette attitude et ceci s'applique à tout le monde. Dans

12 mon rapport, je dis que les Serbes, aussi, ont fait de fausses

13 déclarations. Je n'ai pas hésité de le dire. Je l'ai dit au moment où nous

14 avons examiné cette cassette vidéo hier. Nous avons vu et déterminé les

15 erreurs sur la cassette. Je me suis demandé si d'autres personnes l'ont

16 fait. Vous savez au moment où ils parlaient de Mostar -- peut-être au

17 moment où ils ont parlé de Mostar, ils ont dit, "Qu'il y a eu des Serbes

18 tués à Mostar. Ensuite, ils ont continué à parler, ils ont parlé des

19 combats féroces qui ont eu lieu à Mostar, et cetera. Ils ont dit que

20 c'était bien pire qu'en Bosnie." Quand vous écoutiez cette cassette, vous

21 aviez l'impression que se sont les Serbes qui se sont faits massacrer à

22 Mostar. Alors, que là, il s'agissait de combats entre les Musulmans et les

23 Croates. Ce sont des choses qui se sont produites sans arrêt dans cette

24 guerre. Il convient d'examiner chaque cas, au cas par cas.

25 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien. Nous allons nous arrêter

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1 aujourd'hui. Je ne suis pas sûr quel est le prétoire où nous avons

2 travaillé aujourd'hui, est-ce que cela serait celui-ci ou celui ou bien la

3 salle d'audience numéro 2. Toujours est-il que nous allons nous revoir

4 demain à 9 heures.

5 Est-ce que vous savez si vous allez pouvoir terminer votre contre-

6 interrogatoire demain, Madame Korner.

7 Mme KORNER : [interprétation] Ecoutez, cela dépend du professeur, car il ne

8 peut pas continuer comme cela. Ce n'est, absolument, pas possible.

9 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Au moins, il a reçu votre message et il

10 peut comprendre de quoi il s'agit.

11 Mme KORNER : [interprétation] Est-ce que j'aurais le droit, s'il vous

12 plaît, de vous faire part de mes observations et de ma requête que j'ai

13 faite au début au sujet de cette déposition.

14 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] S'il ne s'agit pas de répéter ce que

15 vous avez déjà dit, vous pouvez le faire.

16 Mme KORNER : [interprétation] Ecoutez, il n'est pas acceptable. Le moyen de

17 défense tu quoque, cela aussi n'est pas acceptable. C'est notre argument.

18 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je pense que Me Ackerman le sait.

19 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui, elle l'a déjà dit. Mais lui, il ne dit

20 pas cela, il a nié qu'il s'agissait là d'un moyen de défense tu quoque, il

21 ne fait pas cela, il fait autre chose. Il faudrait qu'elle lui pose des

22 questions, il faudrait qu'elle obtienne ses réponses et elle verra pourquoi

23 il est là.

24 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien. Nous n'allons pas parler de

25 cela. Nous allons parler de cela demain. La séance est levée, et nous nous

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1 voyons ---

2 --- L'audience est levée à 18 heures 53 et reprendra le vendredi 6 février

3 2004, à 9 heures 00.

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