Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mardi 16 juin 2009

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 9 heures 05.

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes

  6   présentes dans le prétoire et à l'extérieur du prétoire.

  7   Madame la Greffière d'audience, veuillez  appeler l'affaire, je vous prie.

  8   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, bonjour. Il

  9   s'agit de l'affaire IT-02-54-R77.5-T dans la procédure ouverte contre

 10   Florence Hartmann.

 11   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je voulais juste que les parties

 12   confirment leur présence aujourd'hui, en commençant par M. MacFarlane.

 13   M. MacFARLANE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

 14   les Juges.

 15   Bruce MacFarlane au nom de l'Accusation et Lori Ann Wanlin se trouve à mes

 16   côtés aujourd'hui, et nous sommes tous les deux originaires du Canada.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie. Maître Khan.

 18   M. KHAN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

 19   Juges.

 20   Je suis Maître Karim Khan, accompagné de Me Guenal Mettraux et ainsi que de

 21   Samrina Mohamad et nous représentons Mme Hartmann.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

 23   Maître Khan, je pense -- vous aviez terminé votre contre-interrogatoire,

 24   vous avez terminé en fait ?

 25   M. KHAN : [interprétation] Oui, tout à fait, Monsieur le Président. J'en

 26   avais terminé, mais je souhaiterais soulever une question auprès de la

 27   Chambre.

 28   Dans un premier temps, il s'agit d'une question d'intendance, car j'ai fait

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  1   référence à un certain nombre de documents présentés au témoin et j'ai fait

  2   référence aux cotes du classeur. Il s'agit des cotes de plusieurs

  3   documents. Juste aux fins du compte rendu d'audience, je voulais donner

  4   leur équivalent de la liste 65 ter. Cela ne va pas durer très longtemps.

  5   Pour ce qui est de l'intercalaire 12 du classeur qui a été montré à M.

  6   Vincent, il s'agit de l'intercalaire 43 de la liste 65 ter. Pour ce qui est

  7   de l'intercalaire --

  8   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je m'excuse, mais je ne vous comprends

  9   pas tout à fait, Maître. Vous êtes en train de nous dire que le document de

 10   l'intercalaire 12 correspond à --

 11   M. KHAN : [interprétation] Non, nous vous avons remis un classeur pour M.

 12   Robin Vincent et il y avait des intercalaires.

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.

 14   M. KHAN : [interprétation] Pour qu'il n'y ait pas de malentendu ou de

 15   confusion, je voulais vous donner les deux cotes, car ces documents font

 16   partie de la liste 65 ter, car vous ne disposez que des intercalaires par

 17   opposition aux cotes de la liste 65 ter.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous comprends tout à fait, Maître.

 19   Mais vous nous avez dit que l'intercalaire 12 correspondait à

 20   l'intercalaire 53 [comme interprété]. Vous ne me donnez pas de cote 65 ter;

 21   vous me parlez de deux intercalaires.

 22   M. KHAN : [interprétation] Oui. Pour ce qui est de l'intercalaire 12, le

 23   document correspond au numéro 43 de la liste 65 ter.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ok.

 25   M. KHAN : [interprétation] L'intercalaire 31 correspond à la cote 64 de la

 26   liste 65 ter. L'intercalaire 32 correspond à la cote 65 de la liste 65 ter.

 27   L'intercalaire 36 correspond à la cote 71 de la liste 65 ter.

 28   L'intercalaire 39 correspond à la cote 74 de la liste 65 ter.

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  1   L'intercalaire 37 correspond à la cote 72 de la liste 65 ter.

  2   L'intercalaire 38 correspond à la cote 73 de la liste 65 ter. Les

  3   intercalaires 41 et 42 correspondent aux cotes 41, 42 de la liste 65 ter.

  4   L'intercalaire 43 correspond à la cote 76 de la liste 65 ter.

  5   Je vous remercie.

  6   Puis, deuxièmement, nous avons distribué, avant que vous n'entriez, des

  7   classeurs destinés aux Juges et, Messieurs les Juges, je souhaiterais en

  8   fait que ces classeurs vous soient maintenant remis. Monsieur le Président,

  9   ce sont des documents qui sont pertinents à la discussion juridique que

 10   nous avons eue hier, juste avant de lever l'audience. Je souhaiterais tout

 11   simplement que ces documents fassent partie du dossier en l'espèce et je

 12   souhaiterais qu'on leur attribue des cotes, parce qu'il y a plusieurs

 13   questions qui ont été posées à propos de la correspondance de la Défense et

 14   l'orientation de ces questions.

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais est-ce que l'Accusation a reçu

 16   ces documents ?

 17   M. KHAN : [interprétation] Oui, la lettre émane de l'Accusation. De toute

 18   façon, l'Accusation a vu tous ces documents il y a un certain temps.

 19   Vous verrez, Messieurs les Juges, que vous avez l'intercalaire 4 qui

 20   correspond à la réponse de la question numéro 2 et vous avez ce que la

 21   Défense qualifie d'engagement qui avait été pris par l'Accusation,

 22   engagement sur lequel nous avions compté. Je vais vous en donner lecture

 23   dans un moment, Monsieur le Président.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous avez parlé de l'intercalaire 4;

 25   c'est cela ?

 26   M. KHAN : [interprétation] L'intercalaire 4, oui, qui porte sur la question

 27   numéro 2 --

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, la question numéro 2 en chiffres

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  1   romains; c'est cela ?

  2   M. KHAN : [interprétation] Non, vous voyez, cela est surligné.

  3   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Il s'agit de votre demande auprès des

  4   Nations Unies; c'est cela ?

  5   M. KHAN : [interprétation] Je ne vous ai pas tout à fait compris, Monsieur

  6   le Président.

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous faites référence à la

  8   question qui commence par la phrase suivante : "Votre demande aux Nations

  9   Unies…" c'est de cette phrase que vous souhaitez parler ?

 10   M. KHAN : [interprétation] De toute façon, "aucun de ces documents ne va

 11   être versé au dossier par l'Accusation." Donc je pense qu'il y a une

 12   numérotation différente maintenant. Il s'agit de l'intercalaire 3 en fait.

 13   Je m'excuse.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Manifestement, nous n'avons pas vu ce

 15   document. Je vous remercie. Je ne sais pas -- vous voulez souhaiter

 16   demander le versement au dossier de ce document; c'est cela ?

 17   M. KHAN : [interprétation] Oui. Non seulement le versement au dossier du

 18   document, mais vous verrez, Monsieur le Président, qu'à l'intercalaire

 19   numéro 1, il y a le document que voulait utiliser mon estimé confrère. Je

 20   dirai juste aux fins du compte rendu d'audience que je n'ai jamais obtenu

 21   de traduction anglaise. Je ne parle pas le français. Donc je n'ai jamais

 22   obtenu de traduction anglaise et je n'ai pas essayé d'en obtenir une, parce

 23   que mon estimé confrère a indiqué qu'il n'allait pas l'utiliser.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Cela ne me sert absolument à rien,

 25   parce que je ne parle pas non plus le français. Donc je ne comprends pas le

 26   document.

 27   M. KHAN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Mais je

 28   voulais tout simplement vous dire que cela fait partie des questions qui

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  1   ont été soulevées dans le cadre des questions juridiques qui avaient été

  2   soulevées par mon estimé confrère hier.

  3   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane, est-ce que vous

  4   avez une réponse à tout cela ? Parce que je ne suis pas très sûr de ce qui

  5   est versé au dossier.

  6   M. MacFARLANE : [aucune interprétation]

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Voilà, tous ces documents dont on

  8   demande le versement au dossier, avez-vous quoi que ce soit à nous dire en

  9   matière de recevabilité, Monsieur MacFarlane ?

 10   M. MacFARLANE : [interprétation] Oui, j'ai quelques observations à faire.

 11   Je viens de recevoir cette liasse de documents. Je n'ai pas d'objection.

 12   Vous avez donc toute la chaîne de correspondance à ce sujet et la Chambre

 13   décidera si cela est versé au dossier et lui accorder le poids qu'elle

 14   jugera judicieux, mais je ne comprends pas en fait. Je ne sais pas s'il

 15   s'agit de toute la chaîne de la correspondance. Je ne le pense pas

 16   d'ailleurs. Je ne sais pas très bien où cela va nous mener. Donc à moins

 17   que nous n'ayons toute la correspondance que la Chambre pourra étudier et à

 18   laquelle elle pourra accorder le poids qu'elle souhaitera accorder --

 19   voilà, c'est justement l'une de ces tangentes dont je parlais au début. Là,

 20   je pense que l'on digresse. C'est ce dont je parlais au début --

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Certes.

 22   M. MacFARLANE : [interprétation] -- mais pour ce qui est de la lettre du

 23   greffier qui a fait l'objet d'une présentation et d'une décision hier, je

 24   pense que cette décision a été rendue à huis clos partiel, me semble-t-il,

 25   donc il faudra que nous passions à huis clos partiel.

 26   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que la Chambre peut passer à

 27   huis clos partiel.

 28   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes maintenant à huis clos

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  1   partiel, Monsieur le Président.

  2   [Audience à huis clos partiel]

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 28   [Audience publique]

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  1   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

  2   Oui, Monsieur Khan.

  3   M. KHAN : [interprétation] Mon estimé confrère a décrit la proposition de

  4   la Défense et elle n'a pas d'objection à ce que cette correspondance vous

  5   soit fournie, mais elle indique qu'il s'agit d'une digression. Ce n'est pas

  6   ainsi qu'il faut considérer cela. Si mon estimé confrère souhaite présenter

  7   une correspondance supplémentaire à ce sujet, il n'y aura pas d'objection,

  8   mais il faut savoir que ce qui est important pour la Chambre d'appel, si

  9   cela est nécessaire ainsi que pour votre délibéré, de savoir quel poids

 10   accorder au document. Pour ce faire, il faut considérer les circonstances.

 11   Nous avons indiqué que nous voulions nous enquérir par rapport à la chaîne

 12   de conservation des documents. Mon estimé confrère a indiqué de façon tout

 13   à fait catégorique qu'il n'allait absolument pas présenter ce document et

 14   que la chaîne de conservation de documents n'était pas pertinente, mais je

 15   voudrais que cela fasse partie du compte rendu d'audience.

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous vous avons bien pris. Cela fera

 17   partie du dossier en l'espèce.

 18   M. KHAN : [interprétation] Je vous remercie.

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 20   Est-ce que vous pouvez appeler votre premier témoin, Maître ?

 21   M. KHAN : [interprétation] Mais il faudrait que mon estimé confrère termine

 22   la présentation de ses moyens à charge.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je pensais que cela avait été fait

 24   hier. Je m'excuse.

 25   Monsieur McFarlane.

 26   M. MacFARLANE : [interprétation] Je pense à toutes les questions qui ont

 27   été présentées à la Chambre et il y a notamment un dépôt d'écritures

 28   présentés par mon estimé confrère à propos de la transcription d'un

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  1   entretien et de sa traduction. Avant d'indiquer que je suis arrivé à la fin

  2   de la présentation des moyens à charge, je dirais que je pense qu'il est

  3   absolument essentiel et capital que la Chambre entende mon point de vue à

  4   ce sujet.

  5   J'espère en fait que je ne vais pas semer la confusion, mais mon

  6   estimé confrère a posé un certain nombre de questions à propos de la

  7   traduction de l'entretien à ce moment-là par opposition à la transcription

  8   de la traduction qui a été versée au dossier. Il avait demandé certaines

  9   informations. Il a demandé que la Chambre pose trois questions, et je suis

 10   sûr que la Chambre se penchera là-dessus en temps voulu. Alors je ne sais

 11   pas en fait. C'est de cela que je voulais parler. Je ne sais pas s'il est

 12   plus judicieux que j'en parle juste avant de vous indiquer que j'ai terminé

 13   la présentation de mes moyens à charge ou est-ce que cela fait partie de la

 14   présentation des moyens à décharge. Mais pour ce qui est de la pièce

 15   présentée par l'Accusation, il me semble que cela doit être entendu dans le

 16   cadre de la présentation des moyens à charge. Je pense que si la Chambre le

 17   pense, il serait plus judicieux que j'en parle maintenant.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, je vous en prie.

 19   M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous remercie.

 20   Je dirais, à propos du dépôt d'écriture d'hier, que mon estimé confrère

 21   avait indiqué qu'il n'avait pas d'objection à ce que soit traduit les

 22   propos attribués à l'accusé. Il semblerait qu'il y ait une certaine

 23   fiabilité à ce sujet. Donc, si je ne m'abuse, il n'y a pas eu d'objection

 24   soulevée pour que cela soit versé au dossier. Donc il ne semblerait pas

 25   qu'il y a un problème par rapport à ce qui a été versé au dossier. Mais le

 26   problème surgi par rapport à la traduction qui a été effectuée à l'époque

 27   de l'entretien. Il fallait savoir si cela a eu un impact sur l'enquêteur

 28   amicus curiae et son rapport présenté à la Chambre. Il semblerait que c'est

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  1   l'orientation indiquée par mon estimé confrère. Je dirais, et cela fait

  2   partie du décor du contexte, que le rapport de l'enquêteur --

  3   M. METTRAUX : [interprétation] Je m'excuse, Monsieur le Président,

  4   d'interrompre mon estimé confrère, mais je dirais que la réponse à laquelle

  5   fait référence M. MacFarlane recherchait de la part de la Chambre deux

  6   recours.

  7   Le premier recours est l'admissibilité. M. MacFarlane l'a indiqué. Nous

  8   n'avons pas d'objection à ce que cela soit admis en l'espèce, mais ce que

  9   nous voulions, c'était que la Chambre considère ce document recevable dans

 10   son intégralité, à savoir sans l'expurgation de ce qui avait été traduit à

 11   M. MacFarlane à l'époque.

 12   Le deuxième recours, et ce pour être juste à l'égard de M. MacFarlane, est

 13   la requête présentée par la Défense, avec l'aval de la Chambre d'ailleurs,

 14   à savoir M. MacFarlane s'était vu demander de répondre à trois questions.

 15   Nous pensons que ce sont des questions auxquelles il faut répondre dans la

 16   mesure où l'amicus souhaite répondre.

 17   Mais pour ce qui se passe, il faut savoir que M. MacFarlane essayait

 18   d'obtenir des éléments de preuve à propos de la procédure retenue lors de

 19   ces entretiens. Nous avons demandé l'aide de M. MacFarlane pour -- si M.

 20   MacFarlane souhaite maintenant présenter des éléments de preuve à ce sujet,

 21   nous l'invitons à prendre place à la place du témoin et nous poserons des

 22   questions dans le cadre d'un contre-interrogatoire à ce sujet. Nous

 23   rejetons toute éventualité que M. Macfarlane présente des éléments de

 24   preuve directement, Monsieur le Président.

 25   M. MacFARLANE : [interprétation] En dépit de tout le respect que je dois à

 26   mon estimé confrère, je penserais qu'il serait plus utile de me laisser

 27   terminer ce que j'avais à dire. Je n'ai pas l'intention de fournir des

 28   éléments de preuve à propos de l'entretien en question. Ce n'est pas du

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  1   tout mon intention. Je voulais juste vous donner des éléments de contexte,

  2   parce que je pense que c'est un document qui est absolument essentiel et

  3   dont vous ne disposez pas.

  4   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane, j'ai vu très

  5   rapidement, je dois dire, mais j'ai vu toutefois les dernières écritures

  6   présentées et je pense que le dernier document a été présenté conformément

  7   à l'accord retenu lors de la dernière Conférence de mise en état lorsque

  8   vous aviez présenté un exemplaire du document sans que soit prise en

  9   considération l'interprétation chuchotée. Cela a été fait. C'est ce

 10   qu'avait demandé la Défense. Voilà. Si autre chose doit être déposé, je

 11   pense que vous pouvez présenter une requête.

 12   Alors nos estimés confrères sont d'avis que vous êtes en train de témoigner

 13   maintenant. Je suggère que s'il s'agit d'un document qui, à vos yeux, est

 14   absolument capital et essentiel, si vous souhaitez demander le versement au

 15   dossier de ce document, faites-le donc maintenant.

 16   M. MacFARLANE : [interprétation] Je vais demander le versement au dossier

 17   du document.

 18   En fait, il s'agit d'un mémorandum, d'une lettre. Ce n'est pas un document

 19   que j'ai rédigé ou que je présente moi-même. Ce n'est pas mon estimé

 20   confrère qui le présente. C'est un document de la Chambre et vous ne l'avez

 21   pas. Je pense qu'il est quand même important que vous ayez cette lettre de

 22   la Chambre, parce que je souhaiterais dire que cette lettre vous donne le

 23   récapitulatif de toutes les questions soulevées par mon estimé confrère.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien, demandez son versement au

 25   dossier, Monsieur.

 26   M. MacFARLANE : [interprétation] J'ai d'ailleurs fourni à deux occasions

 27   cette lettre à mon estimé confrère.

 28   M. METTRAUX : [interprétation] Je vais tout simplement dire, de façon très

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  1   simple, que notre confrère ne nous a jamais indiqué quelle était son

  2   intention, à savoir soulever ces questions maintenant ou ne nous a jamais

  3   indiqué que cette lettre serait utilisée.

  4   M. MacFARLANE : [interprétation]  C'est un document qui est versé au

  5   dossier en réponse à un dépôt très récent, mais la lettre indique --

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Juste une petite seconde, car Me

  7   Mettraux a dit quelque chose à propos de cette lettre. Voyons ce qu'il

  8   avait à dire à ce sujet.

  9   [Le conseil de la Défense se concerte]

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, nous attendons votre

 11   réponse.

 12   M. METTRAUX : [interprétation] Je vais attendre que mon confrère ait

 13   terminé et je réagirai --

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais pour ce qui est du versement

 15   au dossier de cette lettre, vous avez toujours une objection ?

 16   M. METTRAUX : [interprétation] Ce n'était pas une objection, Monsieur le

 17   Président. Pas pour le moment. Je voulais tout simplement vous dire que

 18   nous n'avions pas été informés de l'intention de M. MacFarlane. Nous allons

 19   réagir.

 20   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais vous avez pris connaissance de la

 21   lettre. Maintenant, comment réagissez-vous vis-à-vis de cette intention de

 22   versement au dossier ?

 23   M. METTRAUX : [interprétation] Ecoutez, je voudrais attendre que l'on me

 24   présente le fondement de la lettre, la pertinence de la lettre, ensuite je

 25   réagirai.

 26   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane.

 27   M. MacFARLANE : [interprétation] Comme indiqué il y a quelques minutes de

 28   cela, c'est une lettre qui émane de la Chambre, ou c'est une lettre

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  1   relative à la -- il s'agit en fait de la signature d'un juriste hors pair

  2   qui, à l'époque, agissait sous la gouverne de la Chambre, et ce, pendant

  3   l'enquête.

  4   Alors, pour vous présenter des éléments de contexte. Le rapport de

  5   l'enquêteur amicus curiae a été déposé le 12 juin de l'année 2008. Cette

  6   lettre a été envoyée le 18 juin. Donc une semaine après la réception du

  7   rapport, la Chambre est revenue là-dessus et a indiqué que le rapport

  8   devait être étudié, mais que la Chambre demandait ou avait besoin de plus

  9   amples renseignements. Les renseignements qui étaient recherchés étaient au

 10   nombre de trois.

 11   Il s'agit du rapport de l'enquêteur amicus curiae qui est

 12   confidentiel, me semble-t-il. Donc je pense qu'il faut que nous passions à

 13   huis clos partiel.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je souhaiterais que la Chambre passe à

 15   huis clos partiel.

 16   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes maintenant à huis clos

 17   partiel, Monsieur le Président.

 18   [Audience à huis clos partiel]

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 13  Pages 227-230 expurgées. Audience à huis clos partiel.

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  5   [Audience publique]

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane, je vous en prie.

  7   M. MacFARLANE : [interprétation] Cela m'amène à parler des documents dont

  8   je vais demander le versement au dossier. Donc une fois de plus je demande

  9   l'orientation de la Chambre. Il se peut que cela fasse partie de nos moyens

 10   à charge, mais mon estimé confrère a demandé et obtenu une ordonnance eu

 11   égard à un document. Il y a un autre document dont je souhaiterais demander

 12   le versement au dossier, un document qui découle en quelque sorte de cet

 13   autre document qui vient d'être versé au dossier par la Défense. Ce

 14   document que je souhaiterais verser au dossier est une ordonnance de la

 15   Chambre, une ordonnance qui est encore confidentielle, Monsieur le

 16   Président.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Elle est confidentielle, mais pour qui

 18   ?

 19   M. METTRAUX : [interprétation] Ecoutez, est-ce que le Procureur pourrait

 20   nous indiquer de quel document il s'agit, parce que nous n'avons pas la

 21   moindre idée de quoi il s'agit.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pour qui est-ce que ce document est

 23   confidentiel, Monsieur MacFarlane ?

 24   M. MacFARLANE : [interprétation] Je m'excuse, je n'ai pas entendu votre

 25   question.

 26   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous m'avez dit que le document était

 27   confidentiel. Donc il est toujours confidentiel, c'est cela ? La

 28   confidentialité n'a pas été supprimée ?

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  1   M. MacFARLANE : [interprétation] Non.

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais est-ce que les personnes qui se

  3   trouvent dans le prétoire ont le droit de voir ce document ? Est-ce qu'ils

  4   sont inclus comme étant les destinataires de cette lettre ?

  5   M. MacFARLANE : [interprétation] Je pense que je peux répondre par

  6   l'affirmative.

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc en d'autres termes, il s'agit

  8   d'un document qui émane de cette Chambre; c'est cela ?

  9   M. MacFARLANE : [interprétation] Oui.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien.

 11   [La Chambre de première instance se concerte]

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Si cela émane de la Chambre, par

 13   la force des choses, cela doit faire partie du dossier.

 14   M. MacFARLANE : [interprétation] Non, cela ne fait pas partie des écritures

 15   en l'espèce.

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous êtes en train de nous

 17   dire qu'il y a des documents qui émanent de la Chambre qui ne font pas

 18   partie du dossier ?

 19   M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous demande juste un petit moment pour

 20   conférer avec mon assistante.

 21   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

 22   M. MacFARLANE : [interprétation] Si je pouvais décrire le document que je

 23   tiens en main, il serait peut-être nécessaire de passer à huis clos partiel

 24   pour donner à la Chambre un petit plus d'informations. J'ai mal compris la

 25   question qui a été posée. Ce n'est pas une ordonnance de cette Chambre en

 26   particulier, mais c'est une ordonnance qui vient d'une Chambre de ce

 27   Tribunal, donc il n'appartient pas à cette Chambre. Je serais tout à fait

 28   heureux de vous donner de plus amples détails si nous passons à huis clos

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  1   partiel, et je ne vais pas entrer dans les détails maintenant.

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Avant de passer à huis clos partiel,

  3   j'ai besoin de préciser certaines choses.

  4   Vous dites qu'il est confidentiel et que la Chambre n'a pas levé la

  5   confidentialité de ce document ?

  6   M. MacFARLANE : [interprétation] Oui.

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc cela signifie --

  8   M. MacFARLANE : [interprétation] Que la confidentialité n'a pas été levée;

  9   c'est exact.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous avez demandé la

 11   permission à cette Chambre d'utiliser le document dans ces procédures et

 12   est-ce que vous avez obtenu cette permission ?

 13   M. MacFARLANE : [interprétation] Cela faisait partie --

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La première partie de votre réponse ne

 15   répond pas à ma question.

 16   M. MacFARLANE : [interprétation] Je fais en sorte d'être très prudent.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous mets en garde, soyez tout à

 18   fait prudent, parce que je ne veux pas que vous révéliez le contenu si

 19   c'est confidentiel --

 20   M. MacFARLANE : [interprétation] Non. Je pense que je peux dire en toute

 21   sécurité que cette ordonnance s'inscrit dans le mandat qui a été donné à

 22   l'enquêteur amicus curiae dès le début.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] -- et aurait dû faire partie de vos

 24   écritures dès le début, et ce que vous avez donc divulgué au début.

 25   M. MacFARLANE : [interprétation] Cela a été divulgué au début de cet

 26   entretien. Il fait l'objet de nombreuses discussions au cours de

 27   l'entretien.

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] S'il a été divulgué, pourquoi est-ce

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  1   qu'il n'a pas été versé à ce moment-là ? Pourquoi est-ce que cela ne fait

  2   pas partie de vos écritures ?

  3   M. MacFARLANE : [interprétation] Je peux essayer de répondre à cela, mais

  4   je pense que mon éminent confrère pourrait peut-être être quelque peu

  5   préoccupé par la réponse, et je pense qu'il serait bon de passer à huis

  6   clos partiel. Je m'excuse, je --

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'espère que l'audience à huis clos

  8   partiel permettra de balayer ces préoccupations.

  9   Est-ce que la Chambre peut passer maintenant à huis clos partiel.

 10   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

 11   [Audience à huis clos partiel]

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 26   [Audience publique]

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 28   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Président.

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  1   Cela fait partie de la présentation des moyens à charge.

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

  3   Maître Khan.

  4   M. METTRAUX : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,

  5   Président.

  6   La Défense va appeler comme premier témoin, M. Louis Joinet.

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous pourriez épeler son

  8   nom ?

  9   M. METTRAUX : [interprétation] Il s'écrit L-o-u-i-s, c'est son prénom, et

 10   son nom de famille, Joinet, s'écrit J-o-i-n-e-t.

 11   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 12   M. METTRAUX : [interprétation] Nous voudrions reprendre le classeur de la

 13   Cour avec l'aide de l'huissier. Je vous en remercie.

 14   M. MacFARLANE : [interprétation] Avant le témoignage du témoin suivant, je

 15   voulais demander si je pouvais parler à la Cour de la nature des éléments

 16   de preuve et de la recevabilité.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] De quelle déposition ?

 18   M. MacFARLANE : [interprétation] Il s'agit de la déposition du premier

 19   témoin.

 20   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Vous pouvez poursuivre.

 21   M. MacFARLANE : [interprétation] Mon éminent confrère m'a très gentiment

 22   donné des documents concernant cette déposition et ma préoccupation est la

 23   suivante : ce témoignage est essentiellement une description du droit ou de

 24   ce que devrait être le droit, et il me semble que cette déposition porte

 25   essentiellement sur des divers points que la Chambre devra examiner, à

 26   savoir ce qu'est le droit, comment est-ce qu'il s'applique et également des

 27   éléments concernant ce que devrait être le droit, des considérations de

 28   politiques sous-jacentes à la loi et au droit, et donc l'avis du témoin sur

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  1   ce qu'est le droit ne va pas faire avancer cette affaire. Cela me semble

  2   superflu.

  3   Par exemple, le dernier point concerne la déposition du témoin dans le

  4   cadre de son poste aux Nations Unies concernant les restrictions à la

  5   liberté d'expression.

  6   Ce qui me préoccupe, c'est que nous risquons d'avoir un mélange confus

  7   d'éléments de preuve concernant ce qu'est le droit au sens du témoin, ce

  8   que devrait être le droit et les considérations politiques sous-jacentes au

  9   droit. Je dirais, avec tout le respect que je vous dois, qu'il n'y a là

 10   qu'un seul point, qu'est-ce que le droit et cela doit être déterminé par la

 11   Chambre.

 12   Donc le risque de confusion, découlant de ce mélange d'éléments

 13   De preuve politique et de ce que devrait être le droit, et ce qu'il est,

 14   fait courir le risque d'avoir quelque chose d'extrêmement confus, qui ne me

 15   permettra pas de faire avancer cette affaire et qui est superflu.

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane, votre éminent

 17   confrère vous a donné cette description. La Chambre ne dispose pas de ce

 18   document et je vous demanderais, si vous considérez cela approprié, de

 19   faire objection lorsqu'une question de la sorte est posée.

 20   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 22   M. METTRAUX : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait maintenant faire

 23   entrer le témoin ?

 24   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 25   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour, Monsieur.

 26   Je vais vous demander de lire, s'il vous plaît, la déclaration solennelle.

 27   LE TÉMOIN : Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la

 28   vérité et rien que la vérité.

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  1   LE TÉMOIN: LOUIS JOINET [Assermenté]

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup. Vous pouvez prendre

  3   place.

  4   Monsieur Mettraux.

  5   M. METTRAUX : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  6   Peut-être qu'avant de commencer, avec l'aide de l'huissier, nous avons donc

  7   des dossiers pour la Chambre, le Registre, l'Accusation et également le

  8   témoin.

  9   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Une minute, s'il vous plaît. S'agit-il

 10   d'un témoin qui va déposer sur les faits - comment l'appelez-vous - un

 11   témoin expert ?

 12   M. METTRAUX : [interprétation] Nous allons demander à M. Joinet de nous

 13   faire quelques commentaires sur un certain nombre de documents qu'il a

 14   préparés au cours de sa carrière et nous allons également lui demander ses

 15   commentaires sur ces documents, également un certain nombre de questions et

 16   de faits sur lesquels il pourrait témoigner, y compris ses contacts avec

 17   Mme Hartmann, un certain nombre de documents, de papiers, d'ouvrages et

 18   d'articles qu'il a écrits sur des sujets pertinents dans cette affaire.

 19   L'élément le plus important sera, bien entendu, des rapports qu'il a

 20   rédigés à l'époque où il travaillait pour les Nations Unies ou le

 21   gouvernement français.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous en prie.

 23   Interrogatoire principal par M. Mettraux : 

 24   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Joinet. Je suis Guenal Mettraux et

 25   je suis le conseil de Mme Hartmann.

 26   Monsieur Joinet, pourriez-vous décliner votre identité, votre nom et prénom

 27   pour le procès-verbal d'audience ?

 28   R.  Oui. Je m'appelle Louis Joinet, J-o-i-n-e-t. Je suis né le 26 mai 1934.

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  1   J'habite Paris.

  2   Q.  Pouvez-vous brièvement nous indiquer votre parcours universitaire ?

  3   Quelles sont les études que vous avez suivies ?

  4   R.  Très classiques. J'ai passé le baccalauréat, qui est la première étape

  5   avant d'accéder à l'université. J'ai préparé ma licence en droit à

  6   l'Université de Panthéon Sorbonne. J'ai obtenu la licence, après quoi j'ai

  7   préparé le concours de l'Ecole nationale de la magistrature, où j'ai été

  8   reçu. A la suite de cela, je suis devenu magistrat. J'ai fait également

  9   l'Institut de criminologie de Paris, donc j'ai un diplôme de criminologie.

 10   Mais dans ma jeunesse, tout cela.

 11   Q.  Pour parler très rapidement de votre CV, est-ce que vous avez eu des

 12   postes élevés au sein du gouvernement français ?

 13   R.  Oui, j'ai eu des fonctions indépendamment de mes fonctions de juge,

 14   mais seulement à partir de 1978. J'avais travaillé pour le Conseil de

 15   l'Europe et j'étais devenu spécialiste de la question de la protection des

 16   données. Le Conseil de l'Europe m'avait pris comme consultant et le

 17   gouvernement français m'a demandé après d'étudier la question. Une

 18   commission indépendante a été créée, qu'on appelle la Commission nationale

 19   informatique et liberté. En anglais, on dirait "Data Inspection." Donc j'ai

 20   été le premier directeur jusqu'en 1981. C'était gouvernemental, mais

 21   j'avais un statut d'indépendance. En 1981, le premier ministre de l'époque,

 22   M. Pierre Marois, m'a demandé de le rejoindre dans son cabinet, son staff,

 23   comme conseiller juridique sur la justice et les droits de l'homme. J'ai

 24   travaillé avec lui dans son staff jusqu'en 1974, puis les premiers

 25   ministres suivants m'ont demandé de rester. J'ai donc été conseiller

 26   juridique pour la justice et les droits de l'homme de cinq premiers

 27   ministres successifs.

 28   Q.  Je vous remercie. Peut-être pourriez-vous indiquer aux Juges quel était

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  1   le poste juridique que vous avez pu occuper en France ou ailleurs ?

  2   R.  J'ai eu essentiellement des postes en tant que juge, que magistrat. Je

  3   dis bien "magistrat," parce que j'étais au début comme juge, ensuite au

  4   parquet. J'ai commencé dans un petit tribunal comme juge au tribunal de

  5   Melun. Ensuite, j'ai été substitut du procureur de la République à Paris.

  6   Ensuite, avocat général, c'est-à-dire procureur adjoint à la cour d'appel

  7   de Paris. Puis je suis devenu ensuite membre de la cour de cassation, qui

  8   correspond à la Cour suprême, et j'ai terminé comme premier avocat général,

  9   c'est-à-dire procureur général adjoint à la cour de cassation où j'ai siégé

 10   pendant 14 ans.

 11   Pour ce qui est juste de fonctions spéciales lorsque j'étais à la cour de

 12   cassation, outre que j'avais le contentieux de la presse, j'étais pendant

 13   deux années procureur à la Haute cour de justice de la République, c'est

 14   celle qui est compétente pour juger les ministres qui ont commis des

 15   indélicatesses, pour ne pas dire des infractions. Ensuite, j'étais

 16   procureur devant la commission qui siège à la Haute cour, la commission

 17   chargée d'indemniser les personnes qui ont été emprisonnées injustement,

 18   donc qui ont été acquittées ou qui ont eu un non-lieu. Puis ce fut la

 19   retraite.

 20   Q.  Est-ce que vous avez également occupé un certain nombre de postes aux

 21   Nations Unies, et si tel est le cas, pourriez-vous très rapidement nous

 22   indiquer lesquels en nous parlant des plus importants.

 23   R.  Très rapidement, puisque j'ai exercé ces fonctions pendant 30 ans. J'ai

 24   commencé sous la Guerre froide, la Glasnost, la chute du Mur de Berlin,

 25   bref jusqu'en 2007. J'ai d'abord été élu comme expert indépendant de la

 26   Sous-commission des droits de l'homme, qui est l'organe subsidiaire de la

 27   commission, qui prépare des études et des rapports pour la commission. J'en

 28   ai été --

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  1   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous allez trop vite. Les interprètes

  2   essayent de vous suivre. Pourriez-vous ralentir.

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai compris. Je m'excuse auprès des

  4   interprètes. Qu'ils n'hésitent pas à me faire un petit signe.

  5   Oui. J'ai donc commencé en 1979, où j'ai été élu expert indépendant à cette

  6   Sous-commission des droits de l'homme, qui est un organe subsidiaire de la

  7   commission, qui prépare des études et des rapports. Puis après en avoir été

  8   le président, j'en avais été d'abord le rapporteur général. J'ai cessé mes

  9   fonctions en 1991, car à ce moment-là, la Commission des droits de l'homme,

 10   suite à un rapport qu'elle m'avait confié sur la détention arbitraire, a

 11   décidé de créer une commission d'enquête sur la détention arbitraire, qu'on

 12   appelle groupe de travail, et m'a élu président de ce groupe. J'ai donc

 13   présidé le groupe de travail sur la détention arbitraire pendant neuf ans.

 14   Au cours de ce mandat, j'ai visité une quinzaine de pays sur tous les

 15   continents et j'ai visité, je crois, si mon assistant a fait le compte, 170

 16   prisons ou camps d'internement.

 17   Lorsque en 2002, le secrétaire général des Nations Unies m'a nommé expert

 18   indépendant sur la situation des droits de l'homme en Haïti, fonction que

 19   j'ai exercée jusqu'en juin 2007, c'était le 17, où j'ai pris pour la

 20   dernière fois la parole à l'ONU après 30 ans de fonction onusienne.

 21    M. METTRAUX : [interprétation]

 22   Q.  Monsieur Joinet, votre CV est assez long, donc je souhaiterai attirer

 23   votre attention sur certains points pertinents.

 24   Peut-être qu'avec l'aide de l'huissier, nous pourrions remettre un dossier

 25   à M. Joinet.

 26   Monsieur Joinet, lorsque vous recevrez ce classeur, je vous demanderai de

 27   prendre l'onglet 56 de ce classeur. Il s'agit de votre CV en français. Pour

 28   les non francophones, nous avons donc une traduction de ce curriculum vitae

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  1   à l'onglet 56 bis.

  2   Monsieur le Président, nous avons indiqué que la traduction du CV se trouve

  3   au 56 bis pour ce qui est de la version anglaise et il s'agit de l'onglet

  4   56 pour ce qui est de la version française.

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [hors micro]

  6   M. METTRAUX : [interprétation] Il s'agit de l'onglet 2, Monsieur le

  7   Président.

  8   Q.  Monsieur Joinet, si je pouvais vous demander de regarder la première

  9   page de ce document en français.

 10   C'est la deuxième page du document en anglais, à la date du 1899 --

 11   L'INTERPRÈTE : Si l'interprète a bien entendu.

 12   M. METTRAUX : [interprétation]

 13   Q.  -- il est écrit que vous avez préparé un rapport en anglais sur la

 14   liberté d'opinion et d'expression. Est-ce que vous le voyez ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Peut-être que, très brièvement, vous pourriez indiquer en quelques mots

 17   comment vous en êtes arrivé à préparer ce rapport ? Quelles sont les

 18   circonstances qui vous ont emmené à préparer ce rapport ?

 19   R.  Oui, ce sont des circonstances très particulières, puisque ce fut une

 20   première, si je puis dire, à l'ONU, en ce sens que le thème de la liberté

 21   d'opinion et d'expression était devenu un thème récurrent au sein de la

 22   commission des droits de l'homme, donc de la sous-commission et même dans

 23   certains cas, de l'assemblée générale, mais faisons bref. Il y avait toute

 24   évolution, c'était l'époque de la Glasnost, donc le problème de repenser

 25   que la liberté d'opinion et d'expression se posait.

 26   La commission a demandé à la sous-commission de lui faire rapport et de

 27   réfléchir à cette évolution. J'ai été désigné par mes collègues et l'idée

 28   m'est venue dans la conjecture de cette époque, on était à deux ans de la

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  1   chute du mur de Berlin, d'obtenir que ce soit un rapport conjointement fait

  2   avec un des mes collègues, un co-rapporteur, donc ce fut M. Denis Loteur

  3   [phon], qui lui était de nationalité yougoslave à l'époque, venu du groupe

  4   à l'ONU de l'est, et moi-même de ce qu'on appelle le groupe occidental. Ça

  5   avait une portée symbolique à l'époque. M. Denis Loteur et moi avons

  6   présenté notre travail. Nous y avions proposé en conclusions que la

  7   commission des droits de l'homme crée un mandat, crée la fonction de

  8   rapporteur spécial sur la promotion et la protection de la liberté

  9   d'expression dans le monde, qui serait chargé de veiller au respect de

 10   cette liberté fondamentale.

 11   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je ne comprends pas du tout où nous

 12   allons --

 13   M. METTRAUX : [aucune interprétation] 

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

 15   M. METTRAUX : [interprétation] Bien, nous allons demander d'identifier le

 16   rapport en question. Il s'agissait simplement --

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous ne pouvez pas

 18   simplement demander le versement de ce rapport --

 19   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, nous pensons qu'il

 20   est extrêmement important, car nous devons établir un certain nombre de

 21   faits qui, à notre sens, sont pertinents.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous devons écouter tous ces faits ?

 23   M. METTRAUX : [interprétation] Nous voulons simplement établir qu'il a la

 24   capacité et les connaissances lui permettant de déposer et de dire ce qu'il

 25   va nous dire. Nous allons ensuite poursuivre en lui montrant les rapports.

 26   Si les Juges souhaitent que l'on passe directement au rapport, il n'est pas

 27   nécessaire de passer par tout ce processus qui permettra ensuite de

 28   demander l'adoption de ces rapports. Donc nous allons lui demander de

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  1   commenter ces rapports, Monsieur le Président.

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien.

  3   M. METTRAUX : [interprétation]

  4   Q.  Monsieur Joinet, nous allons passer au contenu du document. Je voudrais

  5   d'abord vous demander de passer à l'onglet 55 de ce classeur.

  6   Il s'agit donc du 54 pour la version anglaise, Monsieur le Président.

  7   Pourriez-vous nous indiquer, Monsieur Joinet, s'il s'agit du rapport que

  8   nous avons évoqué il y a un instant et dont il est fait mention dans votre

  9   curriculum vitae ?

 10   R.  C'est cela.

 11   Q.  Très brièvement, peut-être, est-ce que vous pourriez nous indiquer où

 12   était envoyé le rapport de la sous-commission et est-ce que vous pourriez

 13   nous dire s'il a été adopté par les Nations Unies ?

 14   R.  Il a été adressé à la Commission des droits de l'homme qui l'a étudié

 15   et qui a analysé les recommandations qui étaient faites.

 16   Le processus décisionnel est le suivant : La commission décide de suivre ou

 17   non les recommandations. En l'espèce, elle a suivi la recommandation,

 18   puisqu'elle a créé un rapporteur spécial. Par conséquent, en vertu du

 19   principe juridique selon lequel l'accessoire suit le principal, le

 20   principal ayant été adopté en terme de recommandation, le rapport est

 21   adopté.

 22   Q.  Est-ce que je pourrais vous demander de vous reporter à la page 3 dans

 23   la version anglaise, qui correspond à la page 5 de la version française, et

 24   c'est le paragraphe 11 qui m'intéresse plus particulièrement ? Page 5,

 25   Monsieur Joinet. Intercalaire 54. Pour la version française, Monsieur

 26   Joinet, je m'excuse, il s'agit de l'intercalaire 55. Je vous demanderais de

 27   bien vouloir vous pencher sur le paragraphe 11 de la page 5 du document

 28   français.

Page 246

  1   Est-ce que vous l'avez trouvé ?

  2   R.  Oui.

  3   Q.  J'aimerais attirer votre attention sur la dernière phrase de ce

  4   paragraphe, et je vais vous en donner lecture.

  5   "L'assemblée générale des Nations Unies, par sa résolution 59/1 du 14

  6   décembre 1946, a réaffirmé que, et je cite : 'la liberté de l'information,'

  7   est un droit de l'homme fondamental et la pierre angulaire de toutes les

  8   libertés auxquelles aspirent les Nations Unies."

  9   Alors j'aimerais vous poser une question : J'aimerais savoir si vous avez

 10   préparé le rapport que nous avons maintenant tous sur la base de cette

 11   résolution ?

 12   R.  Sur la base de cette résolution, certainement, puisque c'est la

 13   matrice, si je puis dire, en la matière, notamment la date, et la haute

 14   autorité de l'instance que vous venez de citer. Ce fut un des enjeux de la

 15   Conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'homme, et précisément,

 16   c'est donc une suite normale de ce que vous venez d'énoncer.

 17   Q.  J'aimerais vous demander de bien vouloir prendre la page suivante. Donc

 18   page 4 dans la version anglaise et page 6 de la version française. Je vais

 19   vous demander de bien vouloir vous pencher sur le paragraphe 20, je vous

 20   prie.

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Je vais vous donner lecture du passage en question. Voilà ce qui est

 23   dit :

 24   "D'une part, le rapport est parti des prémisses selon lesquelles le droit à

 25   la liberté d'opinion et d'expression doit faire l'objet d'une

 26   interprétation extensive à l'inverse des limitations qui peuvent lui être

 27   apportées et qui doivent faire l'objet d'une interprétation restrictive;

 28   d'où la nécessité d'élaborer des 'restrictions aux restrictions.'"

Page 247

  1   Est-ce que vous pourriez nous expliquer brièvement pourquoi vous avez

  2   adopté pour votre travail ces prémisses, et pourquoi cela a été important

  3   pour le point de vue de la sous-commission ?

  4   R.  C'était important, parce que même si tout à fait au début nous avons

  5   commencé le rapport en - je ne m'en souviens plus, je crois que c'est en

  6   1987 - entre-temps, s'est développée notamment la guerre du Golfe et le

  7   Koweït. Vous savez qu'il y a eu toute une discussion sur les restrictions

  8   que l'on pouvait apporter à l'exercice de leur profession par les

  9   journalistes, donc leur promettait certes de ne pas considérer que ce droit

 10   était tellement fondamental au sens où l'assemblée générale l'avait dit

 11   qu'il ne supportait aucune restriction. Il fallait admettre que des

 12   restrictions soient possibles. Mais comme toujours dans ce cas-là, c'est

 13   jusqu'où les restrictions peuvent-elles aller. Autrement dit, la règle

 14   c'est la liberté d'expression et vous avez des restrictions admissibles, et

 15   la règle doit être interprétation extensive et les cas de restrictions

 16   restrictives.

 17   Q.  Est-ce que cette position de principe correspond et est en harmonie

 18   avec la sous-commission dont vous étiez membre, Monsieur Joinet ?

 19   R.  Oui, c'était en harmonie pour des raisons de juriste. Enfin, puisque

 20   nous étions quand même essentiellement entre juristes. Mais l'harmonie est

 21   prévenue aussi du fait, comme je l'ai indiqué - mais ça n'a peut-être pas

 22   de rapport direct avec le cas ici - mais que nous étions originaires l'un

 23   du groupe de l'est, et de l'autre, de l'ouest. C'est donc à une époque une

 24   valeur symbolique fondamentale et un consensus se dégage sur l'exercice de

 25   la liberté d'expression de manière consensuelle quel que soit le groupe

 26   géographique en cause.

 27   Q.  J'aimerais vous demander maintenant de bien vouloir prendre la page 6

 28   de la version anglaise, et pour la version française il s'agit de la page

Page 248

  1   numéro 8. Monsieur Joinet, j'aimerais vous demander de bien vouloir étudier

  2   le paragraphe 25 de votre rapport et du rapport de la sous-commission.

  3   Vous voyez la lettre D, l'alinéa intitulé : "La question du - entre

  4   guillemets - "contempt of court, outrage au Tribunal ?" Vous voyez cela ?

  5   R.  Tout à fait.

  6   Q.  Je vais vous donner lecture du premier passage. Voilà ce qui est écrit

  7   :

  8   "Un autre membre a suggéré que les rapporteurs approfondissent la question

  9   du 'contempt of court,' en anglais dans le texte, en vue de réfléchir à une

 10   interprétation restrictive de cette notion."

 11   Donc je m'interromps ou j'interromps ma lecture, Monsieur Joinet, et

 12   j'aimerais vous demander de nous expliquer pourquoi vous et vos collègues

 13   de la sous-commission des Nations Unies avez estimé qu'une interprétation

 14   restrictive de cette notion devrait être envisagée ?

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur MacFarlane ?

 16   M. MacFARLANE : [interprétation] J'aimerais intervenir à propos de la

 17   pertinence. Je le fais en dépit de tout le respect que j'ai à l'égard du

 18   témoin pour qui j'ai le plus grand respect, un témoin qui a été au service

 19   de la France et du monde.

 20   Mais essentiellement en fait, et c'est cela qui m'a préoccupé dès le début,

 21   c'est que nous nous penchons sur un rapport de 1991 qui aborde et se

 22   concentre essentiellement sur la politique juridique sous-jacente aux

 23   droits, à savoir ce que le droit devrait être. Je pense que c'est une

 24   digression en quelque sorte, car il appartient en fait, il incombe à la

 25   Chambre de déterminer quel est le droit. Ce que je veux dire de façon très

 26   respectueuse c'est que nous ne pouvons pas avoir une discussion à propos de

 27   considérations juridiques, ou nous ne pouvons pas nous permettre de nous

 28   demander ce que le droit devrait être. Parce qu'en fait, il appartient

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  1   finalement, en fin de compte, à la Chambre, de se tourner vers la Chambre

  2   d'appel pour demander des conseils à propos de la forme et des modes ou des

  3   modalités de la notion de la liberté d'expression.

  4   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous avez une réaction, Maître

  5   Mettraux ?

  6   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait, Monsieur le Président.

  7   Car voilà le problème auquel nous nous trouvons confrontés. Comme l'a dit

  8   M. MacFarlane, de façon d'ailleurs tout à fait quasiment ingénue lors de sa

  9   déclaration liminaire, il aborde le droit et cette affaire de façon très,

 10   très étroite et restrictive, ce qui d'ailleurs est une erreur.

 11   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez, non, non. Je vais vous

 12   interrompre, car vous devez nous présenter votre objection. Vous ne devez

 13   pas nous indiquer comment votre estimé confrère a présenté ces éléments à

 14   charge.

 15   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, j'y arrive.

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

 17   M. METTRAUX : [interprétation] Car il y a un certain nombre de faits qui

 18   sont pertinents. Il y a un certain nombre de considérations qui sont

 19   également pertinentes lorsque l'on se penche sur le problème de la

 20   restriction de la liberté d'expression, qu'il s'agit du concept ou du

 21   contexte, plutôt, de l'outrage à la justice ou non. Pour ce qui est du

 22   droit, je pense qu'il faut dans un premier temps savoir si ces faits sont

 23   pertinents à l'étude de la restriction de la liberté d'expression et nous

 24   voulons faire appel à la compétence de ce témoin. Il y a ces rapports qu'il

 25   a utilisés, qui sont utilisés par les Nations Unies et qui sont utilisés

 26   par d'autres juridictions.

 27   Pour vous donner un exemple à titre d'illustration, Monsieur le Président,

 28   l'Accusation n'a absolument pas mentionné aucun des faits et des

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  1   circonstances qui sont pertinentes par rapport à ce que nous appelons le

  2   principe de proportionnalité. Alors manifestement, il appartient à la

  3   Chambre d'en décider --

  4   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais ce ne sont pas des faits en

  5   l'espèce, Maître Mettraux, dans un premier temps. Deuxièmement, dans un

  6   deuxième temps, je ne pense pas qu'il y a un litige, un contentieux entre

  7   les parties à propos de la liberté d'expression.

  8   M. METTRAUX : [interprétation] Bien, nous, nous pensons très franchement

  9   que tel est le cas, Monsieur le Président. Car notre confrère a présenté

 10   des suggestions pour indiquer, par exemple, que le fait d'enfreindre une

 11   ordonnance du Tribunal représente une entrave au cours de la justice, et

 12   que de ce fait cela suffit pour envisager une condamnation. Alors que nous,

 13   nous souhaitons attirer l'attention de la Chambre sur le fait que tous ces

 14   faits existent, mais il y a également un autre fait qui doit être établi,

 15   et je ne sais pas si nous pouvons de ce fait en conclure qu'il y a eu

 16   entrave au cours de la justice.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, de toute façon,

 18   lorsque vous avez une affaire, il faut que vous présentiez des éléments de

 19   preuve. Les éléments de preuve, il gravitent autour de l'actus reus, et

 20   s'il y a un élément de droit qui peut être utilisé et appliqué à l'actus

 21   reus, vous pouvez évoquer cet élément de droit, bien entendu, vous pouvez

 22   citer cet élément de droit. Ici le témoin, ici, qui a beaucoup rédigé à

 23   propos de la liberté d'expression a écrit quelque chose à ce sujet. Vous

 24   pouvez, bien entendu, citer ce qu'il a rédigé, mais le convoquer, le faire

 25   venir ici pour qu'il nous parle de la liberté d'expression et pour lui

 26   demander ce qu'il en est en matière de guerre et en matière d'outrage au

 27   Tribunal, je ne sais pas, Maître Mettraux, si c'est ainsi que vous pouvez

 28   procéder.

Page 251

  1   M. METTRAUX : [interprétation] En fait, nous, s'il n'y a pas d'explication

  2   préalable par rapport au rapport, la Chambre ne pourra pas prendre en

  3   considération tous les tenants et les aboutissants de la question. Ce que

  4   nous avançons, c'est que ce témoin peut témoigner très clairement à propos

  5   des faits sous-jacents qui aboutissent à ces conclusions.

  6   Ceci étant dit, si vous souhaitez ne pas prendre en considération

  7   cela, il vous appartient de le faire. Mais nous - et cela fait partie de la

  8   présentation de nos éléments à décharge - nous pensons qu'il y a une

  9   question de restriction de la liberté de parole, de la liberté d'opinion.

 10   Nous n'allons pas d'ailleurs demander au témoin de tirer des conclusions

 11   juridiques.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais vous pouvez lui poser des

 13   questions de faits alors que vous lui posez des questions sur ce qu'il a

 14   rédigé, dans son domaine juridique.

 15   M. METTRAUX : [interprétation] Ecoutez, ce que je pourrais faire, Monsieur

 16   le Président, c'est que je lui demanderais tout simplement quels sont les

 17   faits et les considérations qui l'ont fait aboutir à ces conclusions, si

 18   vous le préférez.

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux, parce que je ne

 20   sais pas quand est-ce que nous allons terminer alors.

 21   M. METTRAUX : [interprétation] Je peux vous assurer, Monsieur le Président,

 22   que nous terminerons demain à l'heure prévue.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Bien.

 24   M. METTRAUX : [interprétation]

 25   Q.  Monsieur Joinet, est-ce que vous pourriez réfléchir à nouveau à cette

 26   première phrase dont je vous ai donné lecture. Est-ce que vous pouvez nous

 27   indiquer quels sont les faits qui vous ont poussé ou incité, vous et vos

 28   collègues, à tirer cette conclusion ?

Page 252

  1   R.  Bien évidemment, ce n'est pas dans le rapport auquel vous faites

  2   allusion, puisque nous n'avons pas eu le temps finalement de traiter la

  3   question dans le rapport lui-même, mais dans la phase préparatoire. Le

  4   débat était le suivant : le "contempt of court" est une limitation à la

  5   liberté d'expression admissible pour la sérénité de la justice pour

  6   différentes raisons. Le débat était de savoir s'il pouvait y avoir une

  7   différence d'appréciation au regard de la liberté d'expression selon que le

  8   "contempt of court," les faits qui conduisaient aux poursuites pour

  9   "contempt of court" étaient des faits qui s'étaient produits pendant le

 10   déroulé [phon] de la procédure, ou bien si des faits révélés étaient

 11   postérieurs au déroulement de la procédure, c'est-à-dire une fois que

 12   l'action publique est éteinte. Il y avait une différence. Autant on admet

 13   que pendant le procès, le "contempt of court" est parfaitement justifié,

 14   mais une fois que l'action publique est terminée, est-ce qu'elle peut être

 15   encore admise comme une restriction admissible ?

 16   Notre point de vue était que non, puisqu'une fois que la justice a

 17   été administrée, il n'y a plus d'atteinte à l'administration de la justice,

 18   puisque l'affaire est close, par décès, que ce soit par restriction ou

 19   toute autre raison qui met fin à l'action publique.

 20   C'était une différence d'appréciation, mais nous n'avons pas eu le temps de

 21   le soumettre dans un débat à la sous-commission, de telle sorte que ce

 22   paragraphe est très bref. Mais voilà quelle était la raison du débat et de

 23   la brièveté de ce paragraphe.

 24   Q.  Toujours au même paragraphe, vous dites :

 25   "Compte tenu de sa portée en tant que mesure restrictive de la liberté, on

 26   craint qu'elle ne devienne d'un usage trop courant devant les tribunaux."

 27   Est-ce que vous pourriez expliquer quels sont les faits et les

 28   considérations qui sous-tendent cette observation ou cette déclaration,

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  1   plutôt, à l'époque ?

  2   R.  Brièvement, cette phrase est motivée par la raison

  3   suivante : il y avait la crainte que le fait d'évoquer trop fréquemment ou

  4   de plus en plus fréquemment le "contempt of court" puisse un jour être

  5   opposé au rapporteurs spéciaux qui sont donc les membres de la sous-

  6   commission chargés de faire des enquêtes, et qui nécessairement apportent

  7   des critiques. Effectivement, j'ai moi-même été l'objet de critiques de

  8   certains gouvernements qui regrettaient que "contempt of court" n'existe

  9   pas à mon égard. Il était simplement rapporteur. Mais il est difficile

 10   lorsque l'on fait une enquête, comme c'était le cas quand j'ai fait une

 11   mission avec M. Madojleski [phon] de ne pas faire de critique sur le

 12   comportement de telle ou telle autorité à un moment donné. C'était un peu

 13   notre crainte qu'il y ait une sorte de culture du "contempt of court" qui

 14   déborde les tribunaux.

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous pensez que nous

 16   pourrons faire la pause maintenant ?

 17   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, oui, tout à fait.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] L'audience est levée.

 19   --- L'audience est suspendue à 10 heures 18.

 20   --- L'audience est reprise à 10 heures 48.

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.

 22   M. METTRAUX : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

 23   Q.  Monsieur Joinet, j'ai juste une seule question à vous poser à propos,

 24   une seule dernière question à vous poser à propos de ce rapport, très

 25   brièvement. Alors, en-dessous du paragraphe, vous avez le paragraphe D,

 26   vous avez le paragraphe E, la protection des journalistes, toujours à la

 27   même page. Est-ce que vous pourriez nous expliquer quels sont les faits et

 28   circonstances qui sont à la base de ce passage, et pourquoi est-ce que vous

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  1   avez estimé, avec les membres de votre sous-commission, que les

  2   journalistes devaient faire l'objet d'un paragraphe ou d'un alinéa dans le

  3   rapport ?

  4   R.  La raison en était la suivante qui était un peu le fruit de

  5   l'expérience des fonctions de rapporteurs spéciaux, c'est-à-dire

  6   d'enquêteurs. Sur le terrain, dans des situations de violations massives,

  7   l'information n'est pas facile à trouver parce que, généralement, les

  8   témoins sont les victimes ou bien les auteurs, mais on trouve rarement des

  9   témoins un peu extérieurs. L'importance du journaliste, c'est que les

 10   journalistes sont souvent informés ou au courant ou à la recherche d'un

 11   certain nombre d'informations et il y a nécessairement une conjonction

 12   entre les investigations qu'on peut faire ne tant qu'expert ou enquêteur,

 13   les journalistes, d'où l'importance de ne pas restreindre au-delà de ce qui

 14   est nécessaire, la liberté d'opinion et d'expression sous la forme de la

 15   liberté de la presse.

 16   Q.  J'aimerais que nous abordions un autre aspect de votre travail. Ce

 17   matin, lors de la première séance, vous avez mentionné le fait que vous

 18   aviez travaillé avec la commission que l'on appelle la Commission

 19   Mazowiecki. Est-ce que vous pourriez nous expliquer, en fait, ce que vous

 20   avez fait avec cette commission ?

 21   R.  Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'étais président de la commission

 22   qui enquêtait sur la détention arbitraire. Quand M. Mazowiecki a été

 23   désigné comme rapporteur spécial sur l'ex-Yougoslavie, il a souhaité que je

 24   l'assiste. La Commission des droits de l'homme a été d'accord et c'est donc

 25   à ce titre que je suis venu,  rapporteur adjoint dans le cadre de sa

 26   mission. J'ai un autre collègue, M. Biji [phon], qui a de hautes fonctions

 27   au Commissariat aux droits de l'homme, qui a également été pressenti et qui

 28   est venu. Il était le rapporteur sur les exécutions sommaires, c'était la

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  1   question des charniers.

  2   Q.  Monsieur Joinet, j'aimerais vous demander de bien vouloir prendre

  3   l'intercalaire 65 de votre classeur.

  4   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, je devrais peut-être

  5   attirer votre attention sur deux éléments.

  6   J'aimerais dans un premier temps vous dire que le document n'est

  7   disponible qu'en anglais. Nous avons essayé dans le système du prétoire

  8   électronique de trouver les documents, il n'y a pas de document anglais.

  9   Etant donné qu'il s'agit d'un document extrêmement volumineux et qu'il n'y

 10   a que deux ou trois passages très courts qui m'intéressent, je me propose

 11   de vous donner lecture ou de donner lecture du texte français à M. Joinet

 12   pour que vous puissiez entendre l'interprétation. Nous n'allons pas

 13   demander le versement au dossier de ce document.

 14   Deuxièmement, nous aimerions attirer votre attention sur le fait que

 15   nous n'avons pas pu trouver la date précise sur le document. Sur le

 16   document, à proprement parler, mais à l'annexe 2 du document, il y a une

 17   lettre qui, je pense, date du 16 janvier 1993. Vous verrez en fait que le

 18   document suivant, en fait qui est un document de transmission de ce

 19   document porte la date du 12 février 1993, ce qui fait que le document a

 20   été préparé à un moment donné entre janvier et février 1993.

 21   Q.  Donc, Monsieur Joinet, je m'excuse. Est-ce que vous connaissez ce

 22   document, et le cas échéant, est-ce que vous pourriez nous expliquer

 23   brièvement ce dont il s'agit dans ce document ?

 24   R.  Oui. Je connais bien ce document qui a été rédigé par une commission

 25   d'expert créée par le ministère français des Affaires étrangères, dont j'ai

 26   fait partie en tant qu'expert des Nations Unies comme un expert "sachant,"

 27   si je puis dire, qui était présidée par un très haut magistrat, un très

 28   grand magistrat français qui avait présidé les affaires de crimes contre

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  1   l'humanité. Bien. L'idée des autorités françaises c'était, comme d'autres

  2   pays; nous étions en liaison avec l'Italie, entre autres, de contribuer à

  3   la réflexion et faire des propositions au secrétaire général à l'intention

  4   des autorités compétentes, en l'espèce, le Conseil de sécurité, puisque

  5   l'idée était de créer pour la première fois dans l'histoire, si je mets à

  6   part Nuremberg, de créer un tribunal international qui était en quelque

  7   sorte pionnier, comme le vôtre. Là, on ne pouvait plus dire qu'il

  8   s'agissait d'un tribunal de vainqueurs sur les vaincus, ce qui était un

  9   débat pour le tribunal de Nuremberg. D'où l'importance de réussir cette

 10   démarche pionnière et c'était une des contributions parmi d'autres pour que

 11   ce tribunal se mette en place dans les meilleures conditions possibles de

 12   faisabilité.

 13   Q.  Monsieur Joinet, je vais vous demander de ralentir votre rythme pour

 14   les interprètes. Je vais peut-être vous poser une question de suivi pour ne

 15   pas trop perdre de temps.

 16   Est-il exact, Monsieur Joinet, que dans votre rapport, vous aviez

 17   recommandé l'établissement de ce tribunal; est-ce exact ?

 18   R.  C'est exact.

 19   Q.  J'aimerais donc que vous preniez la page 25 de ce rapport que vous avez

 20   préparé avec vos collègues et j'aimerais vous donner lecture d'un passage,

 21   page 25. Il s'agit du premier paragraphe qui commence par les mots suivants

 22   : "En deuxième lieu;" est-ce que vous pouvez voir ?

 23   R.  [aucune interprétation]

 24   Q.  Je vais en donner lecture pour les anglophones.

 25   "Deuxièmement, ce n'est pas raisonnable d'admettre devant le Tribunal la

 26   constitution de parties civiles qui entraînerait un flot de demandes que la

 27   juridiction internationale ne serait pas en mesure de traiter utilement. Il

 28   semble préférable de poser le principe selon lequel il appartiendra aux

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  1   tribunaux nationaux, sur les demandes de réparations des victimes ou de

  2   leurs ayant droits."

  3   Est-ce que vous pourriez nous expliquer brièvement comment se fait-il que

  4   cette suggestion ait été présentée et pourquoi est-ce qu'elle a été

  5   présentée dans le rapport ?

  6   R.  C'est un des points qui a donné lieu aux discussions les plus

  7   importantes entre nous; il y avait deux tendances : une première, je

  8   l'appellerais celle des légalistes pragmatiques et l'autre, les légalistes

  9   à principes. Les légalistes pragmatiques partaient de l'idée suivante : ce

 10   Tribunal, comme je l'ai dit tout à l'heure, à une démarche pionnière; il

 11   faut donc qu'il y ait le maximum de conditions pour qu'il réussisse. Il a

 12   semblé donc à cette tendance qu'il serait prématuré, l'ennemi, le mieux

 13   étant l'ennemi du bien, d'admettre dès cette première juridiction

 14   internationale la constitution, parties civiles et [imperceptible],

 15   critique des ONG, vous pouvez vous en douter.

 16   En revanche, la deuxième tendance des légalistes de principes, si je puis

 17   dire, estimait qu'un procès équitable supposait que la victime puisse être

 18   partie au procès, grand débat, ce qui l'emportait, c'était finalement le

 19   pragmatisme, toujours pour la même idée. Ce Tribunal, qui est un tribunal

 20   ad hoc, ouvre la voie des pionniers. Il faut mettre toutes les conditions

 21   de sa réussite, et là, si vous permettez l'expression, admettre la

 22   constitution parties civiles serait trop charger la barque.

 23   Je dois dire, je peux avouer que, dans un premier temps, j'étais pour les

 24   légalistes, mais en phase finale, j'étais pour le pragmatisme, l'idée étant

 25   que le temps permet de voir à l'expérience, si un jour la partie civile

 26   peut être admise sous une forme ou une autre, et je crois d'ailleurs que

 27   c'est la démarche que suit maintenant la Cour pénale internationale. Mais

 28   ça aurait été prématuré de le faire.

Page 259

  1   Q.  Je vais revenir, dans un petit moment, à -- au sort, en fait, réservé à

  2   ce rapport, mais avant de ce faire, Monsieur Joinet, est-ce que vous

  3   pourriez me dire si ce modèle, pour l'appeler de la sorte, ce modèle, donc

  4   qui est proposé dans votre rapport, signifiait, dans la pratique, que pour

  5   permettre aux victimes d'obtenir une compensation ou une réparation plutôt

  6   devant des tribunaux nationaux, il faudrait, en fait, qu'ils aient accès à

  7   une information qui leur permettrait justement de demander cela; est-ce que

  8   cela exact ?

  9   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le seul problème que j'ai, c'est que

 10   vous posez des questions très directrices au témoin.

 11   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait, Monsieur le Président. Je

 12   vais essayer de reformuler la question.

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, parce que vous lui avez déjà

 14   soufflé la réponse, en fait.

 15   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, je vous remercie, Monsieur le

 16   Président.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur MacFarlane.

 18   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 19   Au fait, j'ai une autre préoccupation. Ce n'est -- enfin, un peu les

 20   questions directrices, mais autre chose, car je dois dire que j'ai le plus

 21   grand respect pour ce témoin éminent et nous parlons essentiellement d'un

 22   rapport qui a été, en fait, à l'origine de la création de ce Tribunal. Je

 23   vois très bien la ligne qui va être suivie par mon estimé confrère qui va

 24   vouloir jeter une passerelle entre le rapport et le Tribunal. Mais je me

 25   permets de poser une question. Si mon estimé confrère veut verser au

 26   dossier ce rapport, il n'y a absolument aucune objection.

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez, j'ai posé cette question à

 28   votre estimé confrère au début -- dès le début, j'ai posé la question. Il a

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  1   dit qu'il souhaitait poser des questions au témoin. Voilà.

  2   M. METTRAUX : [interprétation] Mais, écoutez, je vais reformuler la

  3   question, Monsieur Joinet.

  4   Q.  Mais j'aimerais savoir s'il y a eu des discussions ou si vous avez

  5   envisagé, dans le contexte, de cette sous-commission la possibilité donnée

  6   aux victimes d'obtenir devant les tribunaux nationaux une compensation et

  7   une réparation ? Le cas échéant, quelles ont été ces considérations ?

  8   R.  La question est complexe, mais je vais essayer d'être bref.

  9   Qu'est-ce que l'on met dans le concept réparation ? La réparation, elle est

 10   certes matérielle, indemnisations, mais l'expérience montre que la vraie

 11   réparation de la victime, c'est aussi de connaître la vérité et je

 12   distingue bien la vérité, le droit à la vérité, le droit à la justice. Là

 13   où c'était exemplaire, c'est tout le travail que je dois faire sur les

 14   disparitions forcées. J'ai présidé le groupe qui a rédigé le projet de

 15   convention -- l'avant-projet de convention. Une famille de disparus

 16   aimerait savoir ce que les auteurs soient condamnés, mais avant tout, elle

 17   veut connaître la vérité. Elle veut savoir où est le corps, comment c'est

 18   arrivé, et par conséquent, il y a deux formes de réparations, la réparation

 19   morale et la réparation matérielle. L'absence de réparations matérielles ne

 20   fait qu'ajouter la pauvreté à la misère, si je puis dire, parce que

 21   souvent, ce sont des personnes démunies.

 22   Concrètement, la nécessité de donner réparation, à partir du moment où on

 23   ne peut pas être constitué partie civile devant la juridiction, impliquait

 24   que ce soit devant la juridiction nationale. Il reste le problème dans le

 25   droit, un procès équitable, égalité des armes. Est-ce que la victime aura

 26   autant de possibilités de prouver devant la juridiction nationale que si

 27   elle avait été admise devant la juridiction internationale ? C'est un débat

 28   juridique qui a des conséquences humaines très importantes. C'est des

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  1   termes du débat, mais je ne suis pas là, je crois, pour faire ouvrir un

  2   débat juridique sur cette question qui est posée par le fonctionnement

  3   d'une juridiction internationale devant lesquelles il ne peut pas y avoir

  4   de partie civile. Il y a un risque, pour bien résumer, que le procès

  5   devienne inéquitable dans sa phase réparation devant la juridiction

  6   nationale puisqu'on opposera la confidentialité des preuves.

  7   Q.  Alors, je vais enchaîner sur ce que vous venez de dire. Est-ce que la

  8   restriction à  la libre circulation d'informations qui dessert l'intérêt

  9   public, à votre avis, entrave le droit et l'aptitude des victimes à obtenir

 10   justement des réparations devant les tribunaux nationaux ?

 11   R.  Entrave, en termes de droit de la preuve, si la circulation ne se fait

 12   pas et qu'elles n'ont pas accès aux preuves. Mais même sans aller jusque-

 13   là, la réparation au sens matériel, c'est toujours le problème de la

 14   réparation par l'établissement de la vérité. Si, par conséquent, vous avez

 15   des limitations excessives, on ne pourra pas satisfaire cette

 16   [imperceptible] de la vérité en tant que forme de réparation morale pour la

 17   victime.

 18   Ce point est d'autant plus important devant les juridictions

 19   internationales que, comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai constaté dans

 20   des missions de l'IST [phon], qu'il y a de témoins que des victimes ou

 21   presque. Les autres témoins sont les auteurs. Or, il se trouve que, pour

 22   l'administration internationale de la justice, les témoins que l'on entend

 23   sont très souvent - ça n'est pas mon cas, fortement heureusement - sont

 24   très souvent des anciennes victimes. Donc il y a cette difficulté. La

 25   victime, qui est convoquée devant un Tribunal international comme témoin et

 26   qui ne se voit pas convoquer comme victime, ce qui créé effectivement une

 27   difficulté, et par conséquent, le débat, ce qui a provoqué ce débat même au

 28   sein de la Commission Mazowiecki.

Page 262

  1   Q.  Alors nous allons nous éloigner de ce rapport, Monsieur Joinet, mais

  2   est-ce que vous pourriez nous indique toutefois à qui est-ce que ce rapport

  3   a été envoyé - je pense au rapport donc de votre "Comité de Réflexion" ?

  4   R.  Il a été adressé au secrétaire général des Nations Unies, à toutes fins

  5   utiles comme cela a été le cas pour d'autres pays qui apportaient les

  6   contributions. C'est le secrétaire général qui avait sollicité des Etats

  7   membres de contribuer à la mise en place de ce tribunal, par leurs

  8   réflexions.

  9   M. METTRAUX : [interprétation] Je dirais tout simplement qu'il s'agit de

 10   l'intercalaire 69, mais je ne fais examiner ce document.

 11   Q.  Je souhaiterais, Monsieur Joinet, que vous vous référiez à

 12   l'intercalaire 67 bis pour la version française du document et 67 pour la

 13   version anglaise.

 14   Est-ce que vous pourriez me dire, dans un premier temps, bon, vous pouvez

 15   voir qu'il s'agit d'une résolution du Conseil de sécurité du 25 mai 1993,

 16   la Résolution 827, pour être plus précis; est-ce que vous connaissez ce

 17   document ?

 18   R.  Bien entendu.

 19   Q.  Alors j'aimerais vous demander de bien vouloir étudier le paragraphe 6

 20   de ce document, qui se trouve à la deuxième page.

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Je vais vous en donner lecture. Voilà ce qui est écrit :

 23   "Le Conseil de sécurité décide également que le travail du Tribunal

 24   international sera effectué sans préjudice aux droits des victimes qui

 25   voudront, par les moyens appropriés, obtenir des compensations pour les

 26   dégâts encourus à la suite de violations du droit international

 27   humanitaire."

 28   Vous le voyez ? Est-ce que vous pourriez me dire si cette conclusion, si je

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  1   peux me permettre de parle de conclusion ou de constatation de la part du

  2   Conseil de sécurité, est conforme à la proposition ou à la recommandation

  3   que vous aviez présentée au nom d votre comité ?

  4   R.  Si je comprends bien la question, ma réponse serait de dire que cela

  5   peut paraître ou ne peut pas paraître tout à fait conforme en ce sens que

  6   nous avons préconisé que la constitution de -- civile ne soit pas possible,

  7   mais ne soit pas possible devant la juridiction internationale; nous

  8   n'avons pas dit qu'elle devait avoir lieu nulle part d'où le renvoi la

  9   juridiction nationale. Je pense que si l'on veut appliquer à la lettre,

 10   enfin de manière légale, si je puis dire, la rédaction de ce paragraphe 7,

 11   il faut admettre une réparation. Tout l'enjeu, je connais bien les nuances

 12   onusiennes dans le langage c'est la -- par des moyens appropriés. Alors on

 13   peut très bien soutenir que le fait de renvoyer à la juridiction nationale

 14   c'est un moyen qui est approprié par rapport à les difficultés qui seraient

 15   inondées votre Tribunal de trop de demandes. On peut considérer que le

 16   moyen approprié ce sert de constituer partie civile devant le Tribunal

 17   international, mais de manière à adapter pour éviter cet inconvénient, ce

 18   que fait d'ailleurs actuellement la CPI.

 19   Mais on ne doit pas prendre cette évolution devant la Chambre de première

 20   instance comme un critique de la position fragmatique [phon] qui est

 21   arrêtée pour ce Tribunal, pionner, je répète le mot, parce que la CPI a

 22   plus profité de l'expérience de la vôtre, celle du Tribunal d'Arusha, pour

 23   avoir peut-être un meilleur processus d'indemnisation avec des moyens plus

 24   appropriés, parce que l'expérience a permis de progresser.

 25   Q.  je vous remercie, Monsieur Joinet. Je pense que vous avez répondu à

 26   toutes les questions que je vous ai posées à propos de ce document, et

 27   j'aimerais passer à autre chose.

 28   Car j'aimerais vous poser quelques questions à propos de vos liens avec Mme

Page 264

  1   Hartmann. Dans un premier temps, j'aimerais savoir si vous la connaissez,

  2   personnellement, Mme Hartmann ?

  3   R.  Je ne sais pas comment la phrase est en anglais, en français je le

  4   connais pas personnellement, mais professionnellement, puisque j'ai fait sa

  5   connaissance sur le terrain, en ex-Yougoslavie, lorsque j'étais co-

  6   rapporteur adjoint de M. Mazowiecki.

  7   Q.  Est-ce que vous vous souvenez dans quelles circonstances vous avez

  8   rencontré Mme Hartmann en ex-Yougoslavie ?

  9   R.  Je l'ai rencontrée, ça rejoint un peu ce que j'ai dit tout à l'heure

 10   sur le rôle de la presse, je l'ai rencontrée dans les mêmes conditions que

 11   j'ai rencontré d'autres journalistes dans d'autres pays où j'avais d'autres

 12   missions. Le paradoxe dans des enquêtes difficiles de cette situation dans

 13   les contacts avec la presse, je ne parle pas des services de communication

 14   de l'ONU, je parle de l'enquêteur vis-à-vis d'un journaliste, c'est

 15   d'habitude les journalistes, ils essaient de savoir --

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez, ralentissez. Monsieur,

 17   ralentissez votre rythme pour les interprètes.

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Veuillez m'excuser.

 19   L'usage c'est que le journaliste essaie d'obtenir des informations de

 20   l'enquêteur, et dans ces situations, c'est souvent l'enquêteur, et c'était

 21   mon cas par rapport à cette dame, qui lui posait des questions, car quand

 22   nous sommes arrivés avec M. Mazowiecki, [imperceptible] si vous me

 23   permettez l'expression, yougoslave était énorme, les parcelles de terrain

 24   qui étaient sous telle influence ou telles autres, il y avait les forces

 25   paramilitaires, je me souviens quand j'ai enquêté sur M. Arkan, qui est

 26   décidé, ou M. Seselj, il y avait un besoin de connaître, exactement enfin

 27   avec le plus de précision possible quel était tout ce puzzle. Là, Mme

 28   Hartmann, l'autre journaliste aussi, réputée pour avoir une bonne

Page 265

  1   connaissance de la situation dans la région, c'est un peu de cette manière

  2   qu'elle a contribué à nos investigations donc des conversations de cet

  3   ordre.

  4   Q.  Brièvement, peut-être que saviez-vous de la réputation de Mme Hartmann,

  5   que saviez-vous de sa réputation professionnelle en tant que journaliste,

  6   ou de sa réputation en tant que personne ? Est-ce que vous pourriez nous le

  7   dire brièvement ?

  8   R.  Il m'est difficile de répondre. C'était une relation professionnelle,

  9   et pas personnelle, donc je ne la connais pas au-delà de cette approche

 10   professionnelle. Simplement M. Mazowiecki m'avait demandé un peu de me

 11   renseigner et elle était à l'époque, je crois, pas envoyée spéciale mais

 12   correspondante dans l'un des plus grands journaux français, qui était le

 13   journal "Le Monde." Donc on pouvait en déduire que si ce journal l'avait

 14   envoyée, elle avait des capacités et une honnêteté professionnelle

 15   probablement établies. En tout cas, c'était mon sentiment.

 16   Q.  Puisque nous avons mentionné le journal "Le Monde, j'aimerais vous

 17   demander de prendre l'intercalaire 68 de votre classeur.

 18   Où vous trouverez une traduction de ce document d'ailleurs à l'intercalaire

 19   68 bis.

 20   Monsieur Joinet, il s'agit d'un article du journal "Le Monde, qui est

 21   intitulé : "Mauvais procès à La Haye." Vous l'avez trouvé ?

 22   R.  [hors micro]

 23   Q.  Vous voyez que c'est un article qui est paru dans l'édition du 28

 24   décembre 2008; est-ce que vous connaissez ce document ?

 25   R.  [hors micro]

 26   Q.  Est-ce que vous en êtes un des auteurs, ou est-ce que vous êtes l'un

 27   des co-auteurs ou des signataires de ce document ?

 28   R.  Je ne suis pas un co-auteur, mais je suis devenu signataire à la

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  1   condition qu'on introduise une phrase, et je peux vous lire. C'est la

  2   phrase :

  3   "Nous estimons, au contraire, que la justice internationale, dont nous

  4   avons toujours défendu la mission, se renforcera dans son combat contre

  5   l'impunité en favorisant la plus large réflexion sur son rôle et son

  6   fonctionnement. Il y va de sa crédibilité."

  7   Cette phrase est de moi, et elle est inspirée par les dix années pendant

  8   lesquelles j'ai travaillé sur ce rapport sur la lutte contre l'impunité que

  9   m'avait demandé la commission et dans lequel, dans ce rapport, j'insiste

 10   sur l'importance de juridiction internationale, et notamment le rôle

 11   d'exemplarité par rapport aux auteurs de violations [imperceptible]. 

 12   Q.  Monsieur Joinet, est-ce que vous pourriez nous expliquer pourquoi vous

 13   avez estimé qu'il fallait que vous signiez un article qui critiquait en

 14   fait le procès intenté à Mme Hartmann ? Est-ce que vous pourriez nous

 15   fournir une explication rapide à ce sujet ?

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur MacFarlane.

 17   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 18   Je pense que je dois être un peu plus précis ou préciser mon

 19   observation précédente qui était assez générale. Je pense que mon estimé

 20   confrère essaie de demander au témoin ou essaie de poser au témoin des

 21   questions relatives à un article qui critique ce procès, et je dois dire

 22   que je ne comprends absolument pas la pertinence de cette question. Donc je

 23   soulève une objection à cette question qui vient d'être formée.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.

 25   M. METTRAUX : [interprétation] Manifestement, l'article est tout à fait

 26   pertinent, car c'est un article qui indique le point de vue de ce témoin

 27   vis-à-vis du procès et il en va de sa crédibilité en tant que témoin,

 28   d'ailleurs. Nous n'essayons pas d'établir si M. Joinet a tort ou a raison,

Page 268

  1   mais nous essayons plutôt d'établir quelles ont été ses raisons à apporter

  2   sa contribution à cet article. Nous pensons en fait que les observations

  3   qui sont faites dans l'article sont importantes. Nous voulons savoir,

  4   également, sur quelle base ces observations ont été faites.

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Objection retenue.

  6   M. METTRAUX : [interprétation]

  7   Q.  Je vais aborder la teneur, et je ne vais pas vous demander pourquoi

  8   vous l'avez signé, Monsieur Joinet, ce document. Mais j'aimerais quand même

  9   vous demander de prendre en considération la première page.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pendant qu'il cherche la première page

 11   --

 12   M. METTRAUX : [interprétation] Je m'excuse. Je vais chercher la traduction

 13   anglaise.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais c'est la version anglaise que

 15   j'ai. Vous voyez, il est indiqué : "Le Monde, mauvais procès à La Haye,

 16   point de vue." Est-ce que c'est une traduction exacte du français ?

 17   M. METTRAUX : [interprétation] Non, pas tout à fait. En fait, il faudrait

 18   qu'il y ait "point de vue."

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais qui a fait la traduction ?

 20   M. METTRAUX : [interprétation] C'est une traduction du CLSS. Mais je pense

 21   que c'est une coquille, probablement. Il faudrait qu'il y ait "point de

 22   vue" en anglais.

 23   Q.  Monsieur Joinet, j'aimerais attirer votre attention sur la deuxième

 24   phrase du troisième paragraphe de cet article. Il s'agit de Mme Hartmann et

 25   voilà ce qui est indiqué :

 26   [en français] "-- qui décidèrent de restreindre l'accès aux archives de

 27   Belgrade, y compris aux victimes."

 28   [interprétation] Pourriez-vous nous expliquer pourquoi cela est pertinent

Page 269

  1   pour vous, pourquoi vous avez voulu attirer l'attention sur le fait qu'elle

  2   avait décidé d'évoquer ce que les Juges avaient dit ou avaient motivé ?

  3   Pourquoi est-ce que cela a une pertinence pour vous ?

  4   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane.

  5   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  6   Même objection qu'auparavant. Cela n'a aucune pertinence par rapport

  7   aux faits définis par l'ordonnance tenant lieu d'acte d'accusation, et je

  8   ne vois pas très bien où tout cela va nous mener.

  9   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.

 10   M. METTRAUX : [interprétation] Mon confrère ne cesse de soulever des

 11   objections, mais je dirais qu'il s'agit de déclarations qui ont été

 12   présentées par un magistrat honorable qui a adopté un point de vue par

 13   rapport à cette affaire. Ce que nous allons présenter, Monsieur le

 14   Président, entre autres, c'est le caractère raisonnable du point de vue

 15   adopté par M. Joinet, point de vue qui, à l'époque d'ailleurs, a été

 16   partagé par Mme Hartmann. Bien entendu que cela découle de notre mémoire,

 17   et je pense que mon confrère intervient sans cesse et essaie de s'immiscer

 18   dans ce que je veux  dire.

 19   Par exemple, la raison pour laquelle nous avons mentionné la résolution du

 20   Conseil de sécurité, la Résolution numéro 827, et mon collègue m'a

 21   interrompu avant que je ne puisse le mentionner, c'est parce que justement

 22   il était mentionné par Mme Hartmann, dans son livre, dans les pages

 23   contestées, et elle cite précisément les paragraphes qu'il faut lire pour

 24   étayer son point de vue suivant lequel elle agissait en toute légalité.

 25   Comme nous l'avons mentionné dans notre mémoire préalable au procès, nous

 26   adoptons la position suivant laquelle cette interprétation n'est pas

 27   exacte, et nous n'avons pas essayé de suggérer que l'ordonnance qui a été

 28   octroyée était illicite. Ce que nous indiquons dans notre mémoire, c'est

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  1   que le point de vue adopté par Mme Hartmann à l'époque était tout à fait

  2   raisonnable. Ce n'est pas un point de vue qui n'était pas raisonnable.

  3   Ce que nous souhaitons faire et demander à M. Joinet pour le moment, c'est

  4   pourquoi les affirmations et déclarations que l'on retrouve également dans

  5   le livre de Mme Hartmann peuvent être considérées par une personne

  6   raisonnable comme des éléments raisonnables.

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, oui, mon problème

  8   c'est qu'il y a une objection qui a été soulevée par rapport à ce document.

  9   Vous avez répondu à l'objection à propos de la Résolution 827, en disant

 10   qu'il s'agit d'un document sur lequel vous basez vos arguments. C'est pour

 11   cela que je ne comprends pas.

 12   M. METTRAUX : [interprétation] Mais j'essaie de dire --

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Moi, ce que je ne comprends pas c'est

 14   la pertinence de votre réponse par rapport à l'objection.

 15   M. METTRAUX : [interprétation] Je vais prendre cette phrase, justement. Il

 16   y a deux questions mentionnées dans ce paragraphe. Dans un premier temps,

 17   est-ce que la motivation des magistrats est quelque chose qui pourrait

 18   aboutir à une entrave à la liberté d'expression d'une personne avec

 19   l'outrage au Tribunal en l'occurrence, et cela fait partie, en fait, de la

 20   procédure outrage au Tribunal. Nous avons déterminé cela lors de

 21   l'interrogatoire ou du contre-interrogatoire de la déposition de M.

 22   Vincent, en fait.

 23   Deuxièmement, et c'est la deuxième partie de la phrase, il ne faut

 24   pas oublier les victimes, car c'est quelque chose qui est mentionné dans

 25   les pages contestées justement, les pages contestées envisagées par M.

 26   MacFarlane et par l'article en question.

 27   Ce que nous essayons de faire c'est d'aborder quelque chose qui n'a

 28   toujours pas été soulevé jusqu'à présent. Car le principe de la liberté

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  1   d'expression qui est en jeu ne se limite pas seulement aux droits de notre

  2   client à communiquer des informations. Mais ce que nous allons avancer à la

  3   fin de la présentation des moyens à décharge c'est que la limite qui

  4   émanera d'une condamnation pour outrage au Tribunal sera une infraction

  5   très nette aux droits des victimes qui ont le droit de recevoir

  6   l'information et qui ont le droit de discuter librement ces faits. Nous

  7   allons reprendre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de

  8   l'homme que nous allons utiliser pour considérer les intérêts des victimes

  9   qui ne doivent pas être frustrées par une condamnation --

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous présenterez ces arguments à la

 11   fin de vos moyens à décharge.

 12   M. METTRAUX : [interprétation] Je voulais juste être exhaustif.

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais vous pouvez vous en tenir aux

 14   faits. Si vous persistez à demander son point de vue, au témoin, vous le

 15   transformez en témoin expert. Il peut confirmer ce qui est indiqué dans le

 16   document, il peut dire qu'effectivement cela est indiqué dans le document,

 17   et c'est tout. Lui demander son point de vue, lui demander son opinion, en

 18   fait c'est le transformer en témoin expert.

 19   M. METTRAUX : [interprétation] Ce n'est absolument pas ce que j'essaie de

 20   faire, et je vais reformuler mes questions pour ne pas lui demander son

 21   avis ou son opinion. J'essayais tout simplement d'établir la base de ce

 22   document. Mais je vais passer à autre chose.

 23   Q.  Justement à propos de cette phrase, pour nous en tenir à des questions

 24   ou des éléments factuels, est-ce que vous pourriez me dire quelles furent

 25   les considérations qui vous ont poussé à inclure cette déclaration ou cette

 26   phrase dans cet article ? Est-ce que vous pourriez nous le dire, Monsieur ?

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, mais quelle est la

 28   pertinence de ses considérations ? Parce que vous voulez verser ce document

Page 272

  1   au dossier comme pièce à conviction, c'est votre intention. Si telle est

  2   votre intention, nous allons prendre en considération ce à quoi pensait le

  3   témoin par rapport à ce document.

  4   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, nous avons

  5   l'intention d'utiliser les déclarations de cet article pour vous indiquer

  6   que le point de vue présenté par l'article est un point de vue raisonnable

  7   et M. Joinet peut nous aider à comprendre cela. Il peut nous aider à le

  8   comprendre de façon juridique. Mais pour ce faire, il faut que nous

  9   demandions à M. Joinet quelles furent les considérations qui ont été

 10   présentées pour l'article ici; sinon, tout ce que nous pourrons faire,

 11   c'est indiquer quelles sont les observations qui ont été faites, ni plus ni

 12   moins. A moins que la Chambre ne nous autorise à poser des questions au

 13   témoin - et nous n'aurons pas la possibilité de le faire à la fin de la

 14   présentation des moyens à décharge - mais ce que nous voulons en fait

 15   déterminer, c'est le caractère raisonnable de ces déclarations.

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous êtes en train de nous dire que le

 17   caractère raisonnable de cette déclaration ne vous a pas été communiqué ?

 18   M. METTRAUX : [interprétation] A moins que notre confrère accepte que tout

 19   ce qui est écrit dans l'article est raisonnable et peut être considéré

 20   comme un point de vue raisonnable par une personne raisonnable telle que

 21   notre cliente, si M. MacFarlane est disposé à accepter cela, nous pouvons

 22   passer à autre chose et oublier ce document.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais il ne nous appartient pas. Il

 24   n'appartient pas aux Juges de demander à M. MacFarlane ce qu'il pense du

 25   caractère raisonnable de ce document, mais il faut savoir si ce que vous

 26   faites est raisonnable et pertinent en l'espèce.

 27   M. METTRAUX : [interprétation] J'espère être raisonnable et je pense l'être

 28   d'ailleurs également.

Page 273

  1   Comme je vous l'ai indiqué il y a un petit moment, il n'y a pas

  2   accord entre les parties à propos d'un grand nombre de faits. Ce que nous

  3   avons l'intention de déterminer, Monsieur le Président, c'est qu'il y a

  4   tous ces éléments de désaccord, mais il y a également un dénominateur

  5   commun en l'espèce, notamment cette question et notamment d'autres

  6   déclarations que l'on trouve dans cet article.

  7   Ce que nous voulons faire, Monsieur le Président, c'est vous

  8   convaincre que ce point de vue, qui était partagé à l'époque par Mme

  9   Hartmann et qui fait partie du fond de notre affaire, pourrait être adopté

 10   par la Chambre comme une base d'acquittement pour Mme Hartmann. A moins que

 11   nous ne soyons autorisés à établir et déterminer le caractère raisonnable

 12   de ce point de vue, nous ne pourrons pas le faire.

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vais vous poser une toute dernière

 14   question. Après cela vous pourrez poser vos questions.

 15   Est-ce que vous pensez que l'on reproche à Mme Hartmann un caractère non

 16   raisonnable ?

 17   M. METTRAUX : [interprétation] C'est ce que je pense, très franchement,

 18   Monsieur le Président.

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Si c'est votre point de vue.

 20   Poursuivez.

 21   M. METTRAUX : [interprétation] Merci.

 22   Q.  Monsieur Joinet, je vais revenir à cette phrase. Donc je vous redonne

 23   lecture.

 24   [en français] -- "qui décidèrent de restreindre l'accès aux archives

 25   de Belgrade, y compris aux victimes."

 26   [en anglais] Monsieur Joinet, est-ce que vous pourriez nous expliquer

 27   la base de ces affirmations et observations qui se trouvent dans l'article

 28   que vous avez co-signé ?

Page 274

  1   R.  Ce dont j'ai pu témoigner de la connaissance de l'affaire, c'est

  2   qu'il n'était pas reproché à Mme Hartmann d'avoir révélé des faits, des

  3   noms, des preuves. Le but, je suppose, de l'autorité serbe, c'était que

  4   précisément reste confidentiel le contenu, si je puis dire. Ce qui est

  5   écrit ici, c'est qu'elle n'a pas dévoilé de noms, et cetera, elle a

  6   simplement discuté les motivations des magistrats, c'est-à-dire le

  7   contenant et pas le contenu, si vous me permettez l'expression.

  8   Bien évidemment, si les motivations elles-mêmes, l'argumentation

  9   juridique doivent être confidentielles, c'est un risque grave pour le

 10   contrôle de la légalité, pas d'apostrophe. Légalité. Il faut bien que l'on

 11   sache quelle est la raison qui conduit à ça. Je ne sais pas dans le système

 12   du Tribunal, mais par exemple, en France, si on déclare un huis clos pour

 13   une audience, on doit motiver la raison pour laquelle le huis clos est fait

 14   et on doit le faire publiquement.

 15   Donc on peut critiquer l'argumentation juridique dès lors que ça ne touche

 16   absolument pas les preuves que veut préserver dans la confidentialité

 17   l'auteur des violations, en l'espèce la Serbie. C'est cela qu'on a voulu

 18   dire. Alors la petite phrase, y compris aux victimes, est la conséquence de

 19   ce que je viens de dire, parce que si on ne communique pas, ça inclut la

 20   non-communication aux victimes, et c'est la discussion que j'ai eue tout à

 21   l'heure, conséquence sur l'équité du procès si la victime n'a pas accès à

 22   certains éléments de preuve, surtout dans le cas des violations graves, des

 23   violations de masse, comme on dit.

 24   Q.  Peut-être qu'avant que je ne vous montre un autre document, Monsieur

 25   Joinet, j'aimerais vous poser une question. Vous avez été magistrat en

 26   France pendant 40 [comme interprété] ans, et lors de vos 25 ans de travail

 27   auprès des Nations Unies, est-ce que vous avez jamais été informé d'une

 28   affaire où une personne aurait été condamnée pour avoir communiqué le

Page 275

  1   raisonnement d'une Chambre ? Est-ce que vous êtes informé d'un tel exemple

  2   ?

  3   R.  Non, je n'ai pas connaissance de cas de ce type.

  4   Q.  J'aimerais vous demander de bien vouloir prendre l'intercalaire 68 ter

  5   de votre classeur.

  6   Je vous dirais qu'il s'agit du document numéro 9 sur la liste d'articles 65

  7   ter.

  8   Monsieur Joinet, nous allons brièvement voir les éléments généraux.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Lorsque vous dites "numéro 9 de la liste

 10   65 ter," qu'entendez-vous ? Quelle page ? De quoi s'agit-il ?

 11   M. METTRAUX : [interprétation] Non, cela fait partie de votre classeur. Il

 12   s'agit --

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

 14   M. METTRAUX : [interprétation] Voilà, c'est cela, Monsieur le Président. Je

 15   me contentais tout simplement de donner à la greffière d'audience la cote

 16   65 ter.

 17   Q.  Vous avez trouvé ce document, Monsieur Joinet ? Il s'agit en fait d'une

 18   information mise à jour TPIY pour le 20 mai 2008. Vous l'avez trouvée ?

 19   R.  [hors micro]

 20   Q.  Je vais vous donner lecture du passage, parce que nous n'avons pas la

 21   traduction française, mais je vais vous dire ce dont il s'agit. Le titre du

 22   document est comme suit : "Appel de la part d'un ancien Procureur pour une

 23   réforme du Tribunal."

 24   "Sir Geoffrey Nice dit lors d'un colloque de l'IWPR que le TPIY devrait

 25   étudier à nouveau ses procédures relatives à la confidentialité."

 26   Puis il y a une description de circonstances. Ensuite, voilà ce qui est

 27   indiqué.

 28   "Un ancien Procureur, dans le procès de feu le président serbe, Slobodan

Page 276

  1   Milosevic, a remis en question la politique suivie par le Tribunal

  2   international pou l'ex-Yougoslavie (TPIY) en matière d'utiliser des mesures

  3   confidentielles pour des documents d'Etat, et ce, du fait de la sécurité

  4   nationale."

  5   Ensuite, il est indiqué :

  6   "Nice a fait part de son expérience en tant que Procureur du TPIY lorsqu'il

  7   a pu observer directement comment étaient traités les procès-verbaux des

  8   réunions du Conseil de la Défense suprême. Dans ces documents, il est

  9   indiqué que l'on pouvait trouver des détails qui auraient pu décrire de

 10   façon plus précise la participation de la Serbie aux guerres yougoslaves."

 11   Ensuite, il est indiqué :

 12   "Les Juges du Tribunal ont octroyé à ces documents le statut

 13   confidentiel pendant le procès Milosevic lors d'une audience privée."

 14   Puis il est indiqué, deux paragraphes plus bas :

 15   "Avec trois autres personnes invitées à participer au débat, Nice a

 16   parlé du caractère confidentiel des documents du CDS."

 17   J'aimerais vous poser une question à ce sujet, Monsieur Joinet, car

 18   il y a en fait un paragraphe, le sixième paragraphe à partir du haut, qui

 19   commence par les mots suivants : "Nice a également dit…" et  je vais vous

 20   en donner lecture :

 21   "Nice a également dit que la décision d'octroyer aux documents du CDS

 22   un statut confidentiel du fait de 'l'intérêt national vital' de la Serbie

 23   n'est pas une raison qui est prise en considération par le Règlement du

 24   Tribunal. Le Règlement stipule que la confidentialité ne peut être octroyée

 25   qu'en cas de protection de la sécurité nationale."

 26   Puis il y a une autre citation qui est attribuée à Sir Geoffrey Nice,

 27   et voilà ce dont il s'agit :

 28   "Je ne sais pas ce que signifient les 'intérêts nationaux vitaux,' parce

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  1   que cela n'a certainement rien à voir avec les intérêts en matière de

  2   sécurité nationale."

  3   Alors, Monsieur, au terme de cet article, est-il exact de dire que Sir

  4   Geoffrey --

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous êtes en train de

  6   témoigner maintenant, Maître Mettraux ? Je pense que vous devez poser la

  7   question au témoin : d'après lui, à quoi fait référence Sir Geoffrey ?

  8   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait, Monsieur le Président.

  9   Q.  A quoi fait référence Sir Geoffrey dans cet article ? De quoi parle-t-

 10   il ?

 11   R.  Permettez juste une seconde, pour que j'intègre bien la version

 12   anglaise de M. Nice. Je pense que cette discussion que pose l'auteur, ce M.

 13   Nice, je crois, c'est une discussion sur une argumentation juridique. Il ne

 14   parle pas, apparemment, ni des faits confidentiels. Il discute d'un

 15   problème de qualifications. En d'autres termes, il y a deux thèses qui

 16   s'affrontent dans sa tête. Ce qui justifie la confidentialité et le concept

 17   d'intérêt vital de la nation ou il y a un autre concept qui est le concept

 18   de protection de la sécurité nationale. Puis, si je comprends bien dans mon

 19   mauvais anglais, pardonnez-moi, il se réfère aux règlements. Son propos

 20   revient à dire que j'ai une difficulté, parce que je travaille sur

 21   l'anglais, n'est-ce pas, que l'intérêt vital national n'est pas un argument

 22   prévu dans le statut permettant de restreindre l'accès aux informations ?

 23   Le seul concept juridique, c'est celui de protection de sécurité nationale.

 24   L'enjeu de ce passage, si je comprends bien la question, et c'est pas pour

 25   moi, en tout cas, de savoir si c'est la thèse de l'intérêt vital national

 26   qui est fondée ou bien si c'est la thèse de la sécurité nationale, c'est

 27   simplement de savoir si on peut discuter de cette argumentation sans porter

 28   atteinte à la confidentialité du dossier. C'est comme cela que je le

Page 278

  1   comprends. Effectivement, cette discussion ne porte absolument pas sur le

  2   contenu, mais seulement sur le contenant. C'est une discussion classique de

  3   juristes sur deux qualifications qui peuvent être retenues; moi, je retiens

  4   celle-ci; vous, vous retenez celle-là. Peu importe ce qui est retenu ou pas

  5   en l'espèce, ce qui importe c'est si on a le droit de discuter, si ça n'est

  6   pas couvert par la confidentialité, ce que je pense. C'est substantiel au

  7   contrôle de la légalité. Si on ne peut pas même évoquer l'argumentation

  8   juridique de qualification sans aborder le fond, il faut bien, pour

  9   contrôler la légalité, si le texte invoqué est prévu dans le code ou pas,

 10   en l'espèce dans le statut ou non.

 11   Seul est prévu dans le statut sécurité nationale, pas l'intérêt

 12   vital, alors certains juristes pourront dire : oui, mais je soutiens

 13   l'interprétation extensive, donc "l'intérêt vital" est contenu dans la

 14   sécurité nationale. L'autre dira : non, puisque c'est une limitation, et

 15   toute limitation doit être d'interprétation stricte, donc seule la

 16   protection de la sécurité nationale peut être admise. C'est une discussion

 17   purement d'argumentation juridique, je ne vois pas, évidemment, qu'elle

 18   puisse être couverte par la confidentialité.

 19   Ce qui importe aux autorités serbes, c'est pas la discussion de la

 20   qualification, c'est que restent confidentiels des faits qui entraînaient

 21   une violation massive dans une chaîne de décisions.

 22   Q.  Je vais prendre un petit peu de recul. Partons de l'hypothèse, comme il

 23   le faut, que Sir Geoffrey Nice n'avait pas l'intention de commettre un

 24   outrage à la cour, semblerait-il d'après cette article, que cette personne

 25   extrêmement qualifiée, avocat auprès de la Reine et donc avait une

 26   connaissance personnelle de l'affaire Milosevic; est-ce qu'il pouvait

 27   débattre en public du raisonnement juridique du Tribunal et penser qu'il ne

 28   s'exposait pas une accusation d'outrage à la cour ?

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  1   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane.

  2   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  3   J'hésite une fois à m'exprimer sur ce que dit mon éminent confrère.

  4   M. METTRAUX : [aucune interprétation]

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Maître.

  6   Q.  Monsieur Joinet, je retire mon argument. J'aimerais que vous passiez à

  7   l'intercalaire 62 dans la version anglaise et 62 bis dans la version

  8   française.

  9   Avez-vous le document devant vous, Monsieur Joinet ? Il s'agit d'une

 10   transcription d'une audience publique de la Cour internationale de justice

 11   datée 8 mai 2006. Est-ce que vous l'avez trouvée ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  [aucune interprétation]

 14   R.  Oui.

 15   Q.  [aucune interprétation]

 16   R.  [interprétation] Oui.

 17   Q.  Une question factuelle avant de passer aux autres paragraphes.

 18   Est-il exact de dire, d'après cette transcription, que la Serbie semblerait

 19   divulguer en audience publique devant la CIJ.

 20   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Souhaitez-vous changer de place avec

 21   le témoin ?

 22   M. METTRAUX : [interprétation] Non, pas à ce stade, Monsieur le Président.

 23   Merci beaucoup.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Alors, pourquoi vous comportez-vous de

 25   cette façon, de façon répétée ?

 26   M. METTRAUX : [aucune interprétation]

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Posez des questions au témoin et

 28   laissez-le répondre.

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  1   M. METTRAUX : [interprétation]

  2   Q.  Monsieur Joinet, à la première, à la deuxième phrase -- pardon. A la

  3   première phrase du paragraphe 58, pourriez-vous me dire à quoi se

  4   rapportent ces déclarations du premier représentant de la Serbie ? Pouvez-

  5   vous me dire ce sur quoi porte cette déclaration ?

  6   R.  J'avoue ne pas bien saisir la portée de cette phrase. Elle se réfère à

  7   quel document ? Au document de la Cour internationale de justice, verbatim

  8   de la Cour internationale de justice ?

  9   Q.  Alors, peut-être devrais-je vous ramener à la page précédente, si vous

 10   voulez bien, Monsieur Joinet. A nouveau, au paragraphe 55 de ce document,

 11   où vous verrez que les documents auxquels le représentant de la Serbie fait

 12   référence, il s'agit du Conseil suprême de la Défense de la République

 13   fédérale de Yougoslavie. Vous voyez cela au paragraphe 55 ?

 14   R.  Oui, oui.

 15   Q.  Donc si nous pouvions revenir au paragraphe 58 et la phrase que je

 16   viens de vous lire il y a un instant. Pourriez-vous me dire comment vous

 17   comprenez cette phrase, à votre avis, à quoi fait référence le représentant

 18   serbe ?

 19   R.  Je crois comprendre que selon le représentant serbe, il y a un intérêt

 20   de sécurité nationale qui devrait protéger ces informations et que, par

 21   conséquent, on ne peut pas les discuter.

 22   Q.  Merci, Monsieur Joinet. Pourriez-vous passer au paragraphe 59, à savoir

 23   la première phrase :

 24   "Madame le Président, sauf tout le respect qu'ils portent à cette honorable

 25   juridiction, des représentants de la Serbie-et-Monténégro ne sont pas

 26   habilités à l'heure actuelle à débattre du contenu des sections caviardées

 27   des documents du Conseil suprême de la Défense --" et ce, pour deux raisons

 28   majeures; vous voyez cela ?

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  1   R.  Oui, c'est exact.

  2   Q.  Au risque de dire quelque chose d'évident, s'agissait-il du contenu ou

  3   le raisonnement de la cour que le représentant de la Serbie ne se sentait

  4   pas habilité à aborder ?

  5   R.  Là, il s'agit, bien évidemment, du contenu. A partir du moment où il y

  6   a débat et que la confidentialité s'impose, elle s'impose à toutes les

  7   parties en présence, donc y compris un Etat. C'est comme ça que je

  8   l'interprète.

  9   Q.  Toujours au paragraphe 59, il y a un sous-paragraphe 2 où il est dit :

 10   "A l'heure actuelle, les sections caviardées des documents du CSD font

 11   l'objet de mesures de protection imposées par l'ordonnance du TPIY,

 12   ordonnance à laquelle nous sommes tenus de nous conformer."

 13   Vous le voyez, Monsieur Joinet ?

 14   R.  Oui, oui.

 15   Q.  Puis à la phrase suivante, les représentants de la Serbie-et-

 16   Monténégro, comme tels qu'ils étaient à l'époque, fait référence à

 17   l'article 77, paragraphe A-2, du Règlement de procédure et de preuve. Puis

 18   vous verrez qu'il s'agit d'information liée aux procédures qui peuvent

 19   mener à un outrage à la Cour.

 20   Monsieur Joinet, pourriez-vous nous dire si d'après vous, dans ce passage,

 21   quel était l'objet de l'article 77. Est-ce que c'était le raisonnement de

 22   la Chambre ou est-ce que c'était les sections caviardées ?

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur MacFarlane.

 24   M. MacFARLANE : [interprétation] Ma préoccupation porte sur la même chose.

 25   Mon éminent confrère demande au témoin de tenter de faire un commentaire

 26   sur une autre personne, dans un autre cadre. Donc je ne vois pas très bien

 27   quel est l'objectif.

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Mettraux.

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  1   M. METTRAUX : [interprétation] Bien. Nous verrons cela lorsque nous

  2   présenterons nos arguments à la fin de notre plaidoirie.

  3   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Maître Mettraux.

  4   M. METTRAUX : [interprétation]

  5   Q.  Monsieur Joinet, pourriez-vous passer à l'intercalaire 68 à nouveau. 68

  6   bis en français -- Pardon. 68 en français, 68 bis en anglais.

  7   A nouveau, il s'agit de l'article que vous avez cosigné. Il y a un passage

  8   à la première page de la version française et également à la première page

  9   de la version anglaise. Donc troisième paragraphe, dernière phrase, et

 10   j'aimerais vous la lire. L'article dit :

 11   "Bien après avoir acquitté ses fonctions au Tribunal, faisait en réalité

 12   l'objet de controverses publiques dès le 26 février 2007."

 13   Monsieur Joinet, comme auparavant, quelle est la raison sous-jacente pour

 14   le fait que vous -- qu'a motivé cette déclaration de votre part dans

 15   l'article ?

 16   R.  C'est que c'était en l'état de nos informations, de souligner que la

 17   confidentialité qui avait été redonnée était dans les faits, toute

 18   relative, puisqu'un débat a été ouvert d'où résultait un certain nombre

 19   d'informations qui avaient atténué le degré de confidentialité de ces

 20   documents et que, par conséquent, il y avait l'amorce de fait, sinon de

 21   droit, du niveau de confidentialité.

 22   Q.  Pourquoi pensiez-vous que c'était pertinent à cette affaire, l'affaire

 23   que vous mentionnez dans l'article ?

 24   R.  Bien, je répondrai pour faire bref par un exemple que j'ai vécu dans

 25   une affaire d'espionnage, par exemple, où la confidentialité est

 26   fréquemment évoquée. En l'espèce, il s'agissait brièvement d'un

 27   scientifique qui était accusé d'avoir fourni à l'époque à l'Union

 28   soviétique, des données scientifiques. Nous avons, en France, supprimé la

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  1   Cour sûreté de l'Etat, qui était une cour d'exception. L'affaire est

  2   devenue devant une juridiction normale la cour d'assise, et il a pu être

  3   prouvé que chacun des documents en réalité avait déjà fait l'objet d'une

  4   publication dans la presse spécialisée, scientifique et généralement de

  5   diffusion très restreinte d'ailleurs et que, par conséquent, ce qui était

  6   couvert par le secret et la confidentialité devant la cour d'exception,

  7   Cour sûreté de l'Etat, s'est avéré ne pas l'être, puisqu'on a prouvé qu'il

  8   y avait eu publicité de ces informations. C'est un peu la même situation,

  9   des informations dans le débat public apparaissent alors que la

 10   confidentialité, juridiquement, est établie, mais de facto elle devient

 11   relative.

 12   Q.  J'aimerais maintenant vous demander de passer à la page suivante de ce

 13   document.

 14   M. METTRAUX : [interprétation] A la page suivante, également, Monsieur le

 15   Président, dans la version anglaise, le paragraphe qui démarre en anglais :

 16   "As such…"

 17   Q.  Monsieur Joinet, pourriez-vous regarder dans la version française le

 18   deuxième paragraphe, l'avant-dernière phrase. Je vais lire aux fins du

 19   compte rendu : 

 20   "Elle n'a fait qu'exercer son droit de citoyenne et son devoir de

 21   journaliste en examinant les tenants et aboutissants d'une cause publique.

 22   "Elle a combattu cette prime à l'impunité qu'aurait constitué la

 23   dissimulation de faits majeurs relatifs à un génocide."

 24   Je vais tout d'abord me tourner sur une question soulignée dans cette

 25   partie, la question de "cause publique."

 26   Pourriez-vous nous expliquer, Monsieur Joinet, quelle était la pertinence,

 27   quel était le fondement, pourquoi avez-vous mentionné cela dans l'article ?

 28   R.  Bien, le moins qu'on puisse dire, c'était que la crise que subissaient

Page 285

  1   les peuples d'ex-Yougoslavie donnait lieu à des débats publics quotidiens.

  2   Il y avait l'impact de M. Mazowiecki. Moi, j'ai fait deux missions, les

  3   deux premières avec lui, mais je crois qu'il en a fait 17, et je me

  4   souviens même que lorsque j'ai rédigé mon premier rapport pour M.

  5   Mazowiecki, puisque je n'étais que son adjoint, je l'ai rédigé très vite,

  6   tellement la situation que j'avais ressentie était atroce. Je le lui ai

  7   envoyé, et contrairement aux règles applicables devant la commission, il

  8   m'a demandé de le rendre public tout de suite pour alerter la communauté

  9   internationale. Son rapport est sorti, à lui, bien par la suite. Donc c'est

 10   un peu dans ce cadre que cette phrase doit être resituée. Il y a un débat

 11   public, aussi bien citoyens que dans la classe politique et que, par

 12   conséquent, ces éléments-là ne peuvent pas être cachés dans un état de

 13   droit.

 14   Q.  Merci, Monsieur Joinet. J'aimerais maintenant que vous regardiez la

 15   dernière phrase. Vous l'avez déjà dit aujourd'hui, mais j'aimerais que vous

 16   vous tourniez à la dernière phrase de ce paragraphe où vous dites :

 17   "Durant cette phase finale et cruciale de son mandat, s'il veut triompher

 18   de ses détracteurs durant cette phase finale et cruciale de son mandat, le

 19   TPIY doit pleinement s'approprier les principes de transparence, dans la

 20   liberté de la presse constitue l'ultime garantie.

 21   Pourriez-vous nous expliquer, Monsieur Joinet, quelles étaient les raisons

 22   pour lesquelles vous pensez qu'il était important de dire cela dans

 23   l'article ?

 24   R.  Deux raisons à cela : un constat et une opinion personnelle.

 25   Un constat, lors de la création de ce tribunal pionnier, j'y tiens

 26   beaucoup, il y a eu des contestations, non seulement des Etats qui

 27   trouvaient, pour certains, qu'ils étaient allés trop loin, du côté de la

 28   société civile, les ONG disant que cela n'est pas allé assez loin, et pour

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  1   nous, en tout cas, pour moi, je l'ai dit tout à l'heure, il fallait

  2   absolument que ce tribunal pionnier qui n'était pas des vainqueurs sur les

  3   vaincus réussisse.

  4   La crédibilité du fonctionnement de la justice, en général, est liée non en

  5   totalité, mais en partie à la transparence. Vous connaissez tous mieux que

  6   moi, puisque mon anglais est très faible, mais le fameux adage qui doit

  7   toujours nous guider : "Justice must not only be done, but it must also

  8   seek [sic] to be done." Donc c'était cela.

  9   La crédibilité de cette juridiction pionnière reposait en partie sur sa

 10   transparence; et bien évidemment, la transparence sans intervention de la

 11   presse.

 12   Ce n'est pas une audience publique qui assure par elle-même la

 13   transparence; c'est le "minimum minimorum." Mais si la transparence qu'est

 14   l'audience publique, principe fondamental du droit, n'est pas répercutée

 15   par les médias, bien, à ce moment-là, c'est la crédibilité qui tombe ou qui

 16   s'atténue. A partir du moment où cette transparence positive peut faire

 17   apparaître qu'on cache des choses, la crédibilité est encore plus

 18   compromise.

 19   Donc on en revient toujours au même problème. Liberté d'expression et la

 20   règle, elle est fondamentale en ce qui concerne la transparence pour la

 21   justice. Des limitations sont possibles, mais à la condition que ces

 22   limitations ne soient pas telles que l'objectif à atteindre et la

 23   crédibilité sont trop compromis. C'est un peu le droit des traités, le

 24   traité de Vienne. Vous avez le droit de faire des réserves, mais il ne faut

 25   pas que ces réserves atteignent un degré tel qu'elles vident sa convention

 26   de son contenu. Mais vous pouvez limiter la liberté d'expression dans le

 27   fonctionnement de la justice, mais pas à un point tel qu'elle vide le

 28   tribunal de sa vocation qui est de punir les auteurs de violation de crimes

Page 287

  1   rares, selon le droit international.

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je crois que le moment est venu pour

  3   faire une pause.

  4   M. METTRAUX : [aucune interprétation]

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] On se retrouve tout à l'heure.

  6   --- L'audience est suspendue à 12 heures 02.

  7   --- L'audience est reprise à 12 heures 30.

  8   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.

  9   M. METTRAUX : [interprétation] -- problème d'interprétation.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous entendons l'interprétation

 11   française sur le canal anglais, mais les interprètes pensent que le

 12   problème a été réglé.

 13   M. METTRAUX : [interprétation] Certainement.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc est-ce que vous pourriez

 15   recommencer, Maître Mettraux.

 16   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je vous

 17   remercie.

 18   Q.  Monsieur Joinet, juste avant la pause vous étiez en train de parler de

 19   transparence, et je voudrais juste vous poser une question de traduction.

 20   Vous avez utilisé à plusieurs reprises le terme "crédibilité.".

 21   R.  [aucune interprétation]

 22   M. METTRAUX : [interprétation] Apparemment, le témoin n'entend pas

 23   l'interprétation.

 24   Q.  Est-ce que vous m'entendez maintenant, Monsieur Joinet.

 25   R.  [aucune interprétation]

 26   Q.  Donc avant la pause, Monsieur Joinet, je disais que vous étiez en train

 27   de parler de transparence, de la transparence de la justice, et vous avez

 28   fait plusieurs déclarations à propos de -- et vous avez utilisé un terme,

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  1   le terme "crédibilité" du Tribunal. Le terme "crédibilité" a été traduit

  2   par le terme "reliability" en anglais. Alors, je ne voudrais surtout pas

  3   chercher noise au CLSS, mais est-ce que vous pourriez nous dire ce que vous

  4   entendez exactement par le terme de "crédibilité" ou de "reliability,"

  5   puisque c'est ainsi que cela était traduit ?

  6   R.  Je ne vois pas bien la différence, mais je vais essayer d'expliquer.

  7   La notion de crédibilité, ce passage est très lié, de mon point de vue, au

  8   rôle important de l'exemplarité. Je vais résumer par un exemple, C'était

  9   l'époque où j'étais au cabinet du premier ministre, la crise était à son

 10   plein. C'était avant Srebrenica. A la fin, le colonel, commandant de

 11   cabinet militaire - c'était une réunion de cabinet - on évoque la question

 12   de la situation, la FORPRONU, et le chef de cabinet me donne la parole en

 13   disant, en plaisantant : Qu'en pense le droit de l'homiste [phon] ? C'est

 14   le surnom qu'on m'avait donné en raison de mes fonctions. Le colonel qui

 15   commandait le cabinet militaire a répondu à cette boutade de manière très

 16   sérieuse, en disant : écoutez, je sors d'une tournée dans le Caucase et les

 17   Balkans, et je dois vous dire qu'un certain nombre de responsables

 18   militaires commencent à prendre très au sérieux l'existence de ce Tribunal,

 19   et que la crainte commence à s'installer d'avoir à rendre des comptes un

 20   jour.

 21   Il est clair que la justice internationale est nécessairement lente,

 22   surtout si elle veut une bonne justice, mais tôt ou tard, il est rare que

 23   des violations massives des droits de l'homme demeurent enfouies. Donc

 24   cette crédibilité, à partir du moment où la transparence est insuffisante,

 25   où on ne peut pas disposer de preuves pour établir la vérité à défaut de la

 26   justice, qui vient dans un deuxième temps, la crédibilité est amenuisée et

 27   l'exemplarité préventive, qui est aussi le rôle de la justice

 28   internationale, ne peut pas accomplir suffisamment son rôle.

Page 289

  1   C'était cela le sens du mot "crédibilité." J'ignore si cette nuance

  2   fondamentale ressort du concept anglais.

  3   Q.  J'ai entendu quelque chose que vous avez dit, Monsieur Joinet, qui n'a

  4   pas été consigné au compte rendu d'audience. Est-ce que vous avez dit quoi

  5   que ce soit à propos de la fonction préventive de la justice internationale

  6   il y a quelques secondes ? Si vous l'avez dit, est-ce que vous pourriez

  7   répéter cette déclaration à propos de la fonction préventive ?

  8   R.  Oui, il en est de la justice internationale dans ce domaine, comme de

  9   la justice en général, et je pense à la justice pénale. L'exemplarité de la

 10   peine est, certes, pour punir, mais c'est aussi pour prévenir. Par

 11   conséquent, plus s'accroissent les responsables de violations massives,

 12   qu'un jour peut-être, il faudra rendre des comptes devant une justice

 13   équitable, impartiale et indépendante, c'est-à-dire qui n'est pas une

 14   justice de vainqueurs sur les vaincus, joue cet effet préventif. Je pense

 15   que plus la justice internationale progresse, plus cet effet sera efficace.

 16   C'est en tout cas le vœu que je forme.

 17   L'importance, dans le cas particulier, je m'excuse de le répéter, mais le

 18   grand espoir vient que le Tribunal pénal sur l'ex-Yougoslavie a un rôle de

 19   pionnier.

 20   M. METTRAUX : [interprétation] Je vous remercie.

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous en avez pour combien de temps

 22   encore, Maître Mettraux ?

 23   M. METTRAUX : [interprétation] J'ai véritablement écourté mon

 24   interrogatoire et j'espère pouvoir terminer en une demi-heure.

 25   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

 26   M. METTRAUX : [interprétation]

 27   Q.  Monsieur Joinet, est-ce que vous pourriez, je vous prie, prendre

 28   l'intercalaire 72 de votre classeur.

Page 290

  1   R.  Oui.

  2   Q.  Nous n'avons pas de traduction française, donc il va falloir que je

  3   vous donne lecture d'un certain nombre de passages de ce document.

  4   Monsieur Joinet, il s'agit d'un article de presse de l'IWPR. Il s'agit en

  5   fait du rapport qui porte la date du 17 mai 2005 et le titre de ce document

  6   est : "Enquête spéciale : La justice à quel

  7   prix ?

  8   "Le fait d'autoriser Belgrade à conserver des éléments clés de preuves dans

  9   l'affaire Milosevic pourrait avoir des répercussions très graves pour la

 10   justice et la réconciliation."

 11   J'aimerais vous demander de vous concentrer sur le premier paragraphe du

 12   texte du document où il est indiqué ce qui suit :

 13   "Le Tribunal de La Haye a autorisé Belgrade à présenter des documents

 14   essentiels dans le procès de Slobodan Milosevic à condition qu'ils soient

 15   conservés sous pli scellé, en infligeant un camouflé à ceux qui veulent que

 16   justice soit faite."

 17   Est-ce que vous l'avez vu cela ?

 18   R.  [hors micro]

 19   Q.  Puis deux paragraphes plus bas, voilà ce qui est écrit :

 20   "Et le manque de transparence signifie que d'autres personnes, qui

 21   souhaiteraient utiliser les archives de Belgrade comme moyens de preuve,

 22   n'auront pas le droit d'y avoir accès.

 23   Je vous prie de bien vouloir tourner la page, page 2, je vous prie,

 24   deuxième paragraphe, voilà ce qui est écrit :

 25   "Mais le prix qui a été payé a été très fort. Le gouvernement serbe a

 26   obtenu que des documents essentiels qui auraient pu exposer la

 27   participation de Milosevic dans la guerre en Bosnie doivent rester

 28   confidentiels dans le cadre de la mesure appelée - entre guillemets -

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  1   'mesures de protection'."

  2   Je vous demanderais maintenant de prendre la page 3 du document. A la page

  3   3, il y a un paragraphe où on vous donne le détail de ces documents :

  4   "Les documents qui bénéficient maintenant d'un statut protégé au

  5   Tribunal sont connus pour contenir des références à la participation du

  6   régime pendant la guerre de Bosnie. Les documents les plus importants font

  7   référence aux activités de l'organe politique et militaire supérieur de

  8   l'Etat yougoslave de l'époque, à savoir le Conseil de la Défense suprême,

  9   le Conseil de sécurité, entre 1992 et 1999."

 10   Je vais vous demander de tourner à nouveau la page, car je voudrais

 11   ensuite vous lire une déclaration et vous posez une question. Il y a une

 12   déclaration attribuée à un journaliste et voilà ce qui est dit :

 13   "Peut-être encore plus nuisible que l'impact de l'affaire de la CIJ à

 14   long terme est le fait que le public des Balkans n'aura pas le droit de

 15   voir ce document. Il est toujours considéré que les victimes comme les

 16   citoyens des Etats devraient pouvoir se voir communiquer les faits et leur

 17   empêcher cela n'est pas une façon d'encourager la réconciliation."

 18   Je vais m'interrompre, Monsieur Joinet. J'aimerais savoir si cela

 19   correspond aux conclusions qui ont été dégagées par la sous-commission

 20   lorsqu'elle a présenté son rapport relatif aux questions d'impunité ?

 21   Lorsque cela est conforme à ces conclusions de la sous-commission ?

 22   R.  Vous permettez que je regarde -- le temps que je lise le texte ?

 23   Q.  Oui, faites donc.

 24   R.  La question revient un peu en somme à dire que la réconciliation

 25   pourrait être impossible avec la vérité, pour faire bref. C'est un peu le

 26   sens du propos, me semble-t-il. J'aurai une réponse nuancée sur cette

 27   question, ne serait-ce que d'expérience.

 28   La justice internationale, comme les investigations des rapporteurs

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  1   spéciaux, nécessite à un moment d'obtenir la coopération de la partie

  2   concernée, l'Etat. Cela suppose des discussions. Je suppose qu'il y en a

  3   eu. Cela peut aboutir à des mesures de confidentialité sous deux réserves

  4   minimum, c'est que ce soit l'exception et non pas la règle. Bien évidemment

  5   que ce soit le plus limité possible. C'est là où il y a une difficulté.

  6   Il se trouve que lorsque j'exerçais les fonctions de directeur de la "Data

  7   Inspection" en France, j'ai fait un stage aux Etats-Unis sur le" Free for

  8   Information Act," où il y a des méthodes qui permettent de noircir des

  9   passages d'archives lorsqu'on doit les communiquer -- expurger, je crois,

 10   c'est le mot en français. Quand on dit que cette limitation doit être plus

 11   restreinte possible, c'est moins le problème quantitatif que qualitatif.

 12   Vous pouvez très bien noircir 30 passages, ça donnera l'impression que vous

 13   avez vraiment limité la liberté d'expression énormément. Mais l'important,

 14   c'est le ou les deux ou trois passages fondamentaux pour établir la

 15   responsabilité d'un responsable d'Etat. Par conséquent, dans le choix des

 16   passages à noircir, ce qui compte, c'est l'importance dans la preuve du

 17   passage, l'importance, j'allais dire, qualitative.

 18   J'ai eu le même problème lorsque j'étais désigné par le secrétaire général

 19   en Haïti, puisqu'il y a eu un coup d'Etat du général Cedras. Les Américains

 20   qui étaient en Haïti sont repartis avec le président d'Haïti, qui

 21   s'appelait Aristide, et ont emmené les archives.

 22   Une de mes tâches lorsque je suis revenu avec l'état de droit, lorsque la

 23   dictature est tombée, nous nous sommes battus pour obtenir le rapatriement

 24   des archives. Les archives sont finalement revenues, mais avec des passages

 25   noircis par les autorités américaines. Donc j'ai pu constater que

 26   l'importance du noircissage [phon] est moins le problème quantitatif que

 27   qualitatif. Il suffit de cacher une ou deux preuves déterminantes et on

 28   vous dira : Mais voyons, on a très peu censuré. Très peu. Oui, mais c'est

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  1   l'essentiel.

  2   Par conséquent, toute cette procédure admissible qui consiste à rendre

  3   confidentiel un certain nombre de documents est admissible, mais c'est

  4   toujours la question fondamentale dans tout système juridique : doit être

  5   respecté le principe de proportionnalité entre le but à atteindre et le

  6   moyen employé.

  7   Quel est le but à atteindre, entre autres, d'une juridiction internationale

  8   ? C'est évidemment d'établir la vérité, et pour établir la vérité, il faut

  9   disposer de preuves. Tel est, pour l'essentiel, le sens de mon propos.

 10   Q.  Merci beaucoup. Pour reprendre cet exemple que vous venez de donner à

 11   propos de Haïti, et vous connaissez peut-être d'autres situations

 12   également, lorsque vous mentionnez le principe de proportionnalité qui a sa

 13   pertinence, comme vous l'avez dit, est-ce que le droit des victimes avec le

 14   régime dictatorial en Haïti, donc est-ce que le droit de ces victimes à

 15   obtenir des informations est pertinent pour déterminer si les expurgations

 16   qui ont été faites sont proportionnées en quelque sorte ?

 17   R.  Oui, mais il y a deux sortes de responsabilité à établir selon la forme

 18   du contentieux : La responsabilité d'un Etat, ce n'est pas sur ce plan-là

 19   que je réponds. La question porte sur le droit d'une victime à obtenir

 20   réparation. Je mets de côté la réparation symbolique, qui est de connaître

 21   la vérité à défaut d'avoir la justice, et la réparation matérielle, il n'y

 22   a pas de réparation de préjudice sans preuve. L'intérêt pour agir, comme

 23   disent les juristes, suppose que l'on puisse prouver que l'on est victime

 24   et quel est l'auteur de votre dommage.

 25   Plus les preuves sont couvertes, les preuves factuelles, qu'est-ce qui

 26   s'est passé quel jour à quel endroit, qui était le responsable militaire,

 27   qui était dans le commissariat de police dans lequel j'étais arrêté -

 28   situation que j'ai connue en ex-Yougoslavie - si la victime ne peut pas

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  1   rapporter cette preuve, le Juge sera fondé à lui dire qu'elle ne peut pas

  2   obtenir réparation; d'où l'importance fondamentale de la dissémination de

  3   la preuve, non seulement entre l'Etat, le Tribunal et le Procureur, mais

  4   également la tierce partie qui est la victime.

  5   Q.  Justement je vais enchaîner sur ce que vous venez de dire, Monsieur

  6   Joinet. Je vais vous demander de bien vouloir sauter trois pages -- donc à

  7   la fin de cet article, trois pages à partir de la fin.

  8   M. METTRAUX : [interprétation] En fait, il s'agit de l'avant-dernière page,

  9   et cela commence par : "La recherche, l'accès partiel…"

 10   Alors nous n'avons pas de traduction française. Je vais en donner lecture

 11   lentement pour que vous puissiez suivre.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais vous n'avez pas le document?

 13   M. METTRAUX : [interprétation] Oui. Le problème, c'est que l'exemplaire que

 14   j'ai est beaucoup plus long à cause du format que j'ai utilisé, mais vous

 15   avez le même format que M. Joinet. Il s'agit de l'avant-dernière page, au

 16   premier paragraphe, le paragraphe qui commence par les mots suivants : "Un

 17   tel accès partiel."

 18   Q.  Monsieur Joinet, donc je m'excuse car je vais vous donner lecture de la

 19   version anglaise. Voilà comment cela commence.

 20   R.  [hors micro]

 21   Q.  Le paragraphe, Monsieur Joinet, commence par les mots suivants : "Un

 22   tel accès partiel."

 23   R.  [hors micro]

 24   Q.  [aucune interprétation]

 25   R.  Ça commence en anglais par quels mots ? Je n'ai pas le français.

 26   Q.  "Un tel accès partiel."

 27   R.  Ok.

 28   Q.  Je vais vous donner lecture de ce paragraphe très, très lentement :

Page 296

  1   "Un tel accès partiel à la vérité n'est pas quelque chose que le Tribunal

  2   s'était proposé de faire au départ, et ce, de l'avis de nombreux experts de

  3   la justice dans les Balkans. L'un des objectifs du Tribunal, objectifs qui

  4   se scindaient en quatre volets, outre le fait qu'il fallait traduire en

  5   justice des personnes soupçonnées de crimes de guerre, outre le fait qu'il

  6   fallait que justice soit faite pour les victimes, qu'il fallait que cela

  7   dissuade par rapport à d'autres crimes et de continuer à la restauration de

  8   la paix en promouvant la réconciliation au sein de l'ex-Yougoslavie."

  9   Puis il y a une citation qui est attribuée à un chercheur de "Human Rights

 10   Watch." Voilà ce qu'il dit :

 11   "En supposant que la conséquence des mesures de protection et effectivement

 12   que les procès verbaux du CDS, ainsi que ces transcriptions, restent

 13   dissimulés du peuple Balkan, cela ne sera pas un service rendu aux efforts

 14   déployés pour établir la vérité historique à propos d'événements qui sont

 15   profondément contestés."

 16   Puis il y a une autre citation qui est attribuée à James Lyon, qui est le

 17   directeur du ICG, donc du "International Crisis Group" en Serbie et qui dit

 18   ce qui suit :

 19   "Cet accord est mauvais, parce qu'en Serbie, le public continue à ne pas

 20   comprendre les mensonges répandus par le régime de Milosevic à propos de la

 21   guerre en Bosnie."

 22   Puis cela se poursuit :

 23   "Si nous devons avoir une véritable authentique réconciliation, alors le

 24   public serbe doit être informé de ce qu'ont fait Milosevic et ses sbires."

 25   Monsieur Joinet, est-ce que ces déclarations sont conformes à toute requête

 26   ou demande présentée par des organisations qui oeuvrent dans le domaine des

 27   droits de l'homme ou des groupes de victimes dans d'autres pays que vous

 28   connaissez et où vous avez travaillé au nom des Nations Unies ?

Page 297

  1   R.  Je puis témoigner que ce type de position est fréquemment effectivement

  2   la position qu'adoptent les organisations de la société civile, en

  3   particulier les organes des nations non gouvernementales de droits de

  4   l'homme.

  5   Pour ma part, je suis d'accord, mais plus nuancé, entre le

  6   pratiquement possible et l'idéalement souhaitable. Dans un premier temps,

  7   en tout cas, on doit tenir compte du pratiquement possible.

  8   Dans une situation de crise avec des violations de droits de l'homme

  9   massives, on ne peut pas, en un délai réduit, rétablir l'état de droit,

 10   mettre un terme à ces violations. Il faut du temps. C'est d'ailleurs le

 11   rôle dans près d'une vingtaine de pays maintenant, qui ont joué les

 12   commissions dites vérité et réconciliation dont la plus exemplaire était

 13   celle de l'Afrique du Sud. Elle prépare les esprits des deux côtés, y

 14   compris du côté de l'oppresseur qu'il faut habituer à voir la situation

 15   évoluer pour parvenir à ce que, dans mon rapport, je n'appelle pas la

 16   réconciliation, je distingue la conciliation de la réconciliation.

 17   Le premier but à atteindre, que ce soit par la justice pour obtenir

 18   les preuves, que ce soit par des en-têtes type rapporteurs spécial, "le

 19   tout ou rien" est négatif. Il faut donc, dans un premier temps, obtenir une

 20   conciliation. La réconciliation, elle vient très longtemps après.

 21   Je veux dire par là, l'exemple le plus frappant sur lequel j'étais

 22   associé, celui du Chili. Lorsque a été créée la commission du dialogue

 23   phase de conciliation, il a fallu du temps. La justice a finalement réussi

 24   à mettre autour d'une table des militaires qui connaissaient un certain

 25   nombre d'exactions ou qui y avaient participé, les avocats, la société

 26   civile et des représentants du gouvernement. C'est ainsi qu'on a découvert

 27   des charniers, qu'on les a identifiés, qu'on a permis de satisfaire le

 28   besoin de vérité, que s'est-il passé pour les victimes, décrire l'histoire

Page 298

  1   de comment -- c'est le nom de la commission argentine, comment en est-on

  2   arrivé là et plus jamais ça. C'est donc dans cet esprit que je pense que la

  3   recherche de la vérité peut parvenir à une conciliation des parties en

  4   présence pour que suive, le temps passant, la réconciliation.

  5   Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question. Je comprends

  6   bien, cette ONG a une position un peu radicale. C'est son rôle. Mais ce qui

  7   est clair, c'est que l'établissement des faits est incontournable. Que ça

  8   puisse se faire rapidement, c'est rarement le cas, mais que ça doit se

  9   faire un jour, c'est indispensable, car c'est un peu ce mot facile, j'en

 10   conviens : dis-moi ce qu'est ton passé, je te dirai ton futur.

 11   C'est là où la justice internationale joue un rôle important. On

 12   critique beaucoup sa lenteur. Toutes les formes de justice ont leur

 13   lenteur, mais c'est aussi un facteur méconnu, qui est très important de mon

 14   expérience, c'est que le temps qui passe peut être aussi un investissement

 15   pour la recherche de la vraie vérité et, par conséquent, la réconciliation

 16   et phase finale, le rétablissement de l'état de droit. Il y aurait un

 17   paradoxe à soutenir, que révéler des atteintes à un état de droit

 18   compromettrait le rétablissement de l'état de droit.

 19   C'est un peu, d'une autre manière, le principe de proportionnalité.

 20   C'est le facteur temps, donnons un peu de temps au temps. Les ONG sont

 21   impatientes, c'est normal. La justice fait son travail lentement pour le

 22   faire sûrement, mais c'est véritablement le sens, qu'à mon avis, j'aurais

 23   donné si j'avais été cette ONG et peut-être une phrase plus nuancée que

 24   celle qui figure dans le rapport. Mais le but c'est d'arriver à découvrir

 25   la vérité, si possible, ensemble.

 26   Q.  Je vous suis extrêmement reconnaissant, Monsieur Joinet, et nous

 27   arrivons quasiment au terme du temps qui nous a été imparti. Donc

 28   j'aimerais vous présenter deux documents.

Page 299

  1   Le premier se trouve à l'intercalaire 58 et vous trouverez -- non, je

  2   m'excuse, le document français se trouve à l'intercalaire 59.

  3   Très brièvement, Monsieur Joinet, premièrement, je vais vous demander si

  4   vous connaissez ce document; et si tel est le cas, est-ce que vous pourriez

  5   nous décrire très, très, très rapidement ce dont il s'agit ?

  6   R.  -- il y avait une interférence de l'anglais sur le français, sur ma

  7   parole. Donc la sous-commission m'a désigné pour faire ce rapport. Il y a

  8   eu un débat, mes collègues ont souhaité que je propose que la commission

  9   crée un rapporteur spécial de plus qui réenquêtait [phon] sur la promotion

 10   et la protection de la lutte contre l'impunité, son développement. Je n'ai

 11   pas été d'accord, parce que la lutte contre l'impunité est transversale.

 12   Elle concerne toutes les formes de violation. Donc il y aurait eu des

 13   interférences avec le rapporteur sur la torture, sur les disparitions, sur

 14   la détention arbitraire.

 15   J'ai donc dit : il vaut mieux, pour une fois, jouer la carte de la

 16   pédagogie. Donc j'ai proposé que nous proposions pour la commission des

 17   "guidelines," principes directeurs, aussi bien l'intention des Etats pour

 18   qu'ils ne restreignent pas trop l'accès aux preuves notamment, et aux ONG

 19   aussi pour qu'elles comptent pragmatiquement des réalités. C'est donc sous

 20   forme de principes directeurs, de "guide-lines" à l'intention de ses

 21   destinataires que finalement a été proposée comme recommandation et qui a

 22   été approuvé par la commission.

 23   Q.  J'aimerais vous demander de consulter l'un des principes qui se trouve

 24   à la page 21 de la version anglaise. Il s'agit du principe numéro 15, et

 25   vous le trouverez à la page 22 du document français. Le titre de ce

 26   principe est comme suit : "Coopération des services d'archives avec les

 27   tribunaux et les commissions non judiciaires d'enquêtes." Le texte commence

 28   comme suit :

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  1   "Les tribunaux et les commissions non judiciaires d'enquêtes, ainsi que les

  2   enquêteurs travaillant sous leur responsabilité, doivent avoir librement

  3   accès aux archives."

  4   Puis vous avez la deuxième phrase qui est comme suit :

  5   "Le secret défense [comme interprété] ne peut pas leur être opposé."

  6   Je m'interromps. J'aimerais, en fait, savoir quelle était la raison

  7   fondamentale qui vous a poussé à présenter cette proposition sous forme de

  8   principe ?

  9   R.  Tout d'abord, ce paragraphe illustre ce débat sur où est la règle, où

 10   est l'exception. La règle d'interprétation large, l'exception

 11   d'interprétation stricte.

 12   Les mots importants à la fin de ce paragraphe consistent à dire que,

 13   certes, les limitations peuvent être apportées, mais à titre exceptionnel,

 14   je souligne - et seulement sur certaines informations - les principes de

 15   finalité, dans la mesure où ces informations, si on les révélerait,

 16   pourraient compromettre le procès de rétablissement de l'Etat de droit.

 17   Bien.

 18   C'est une question difficile. J'ai participé à deux accords de paix, celui

 19   sur le Guatemala et celui sur le Salvador. Il est sûr que la recherche des

 20   preuves ne facilite pas, autour d'une table, pour arriver à un accord, la

 21   solution. Mais la finalité, sur le long terme, c'est quand même bien le

 22   rétablissement de l'Etat de droit. Il serait donc paradoxal de soutenir

 23   qu'il faut limiter la preuve de violations graves et massives parce que

 24   cela, en limitant l'existence de ces violations et leurs preuves, ça

 25   permettrait de rétablir un Etat de droit. C'est le contraire. C'est un

 26   problème de le faire dans le temps. Je répète ce que j'ai dit. C'est ça qui

 27   est difficile à faire comprendre aux ONG.

 28   Il ne faut pas tout de suite, évidemment, considérer que toute la page va

Page 301

  1   être tournée. Comme je l'ai écrit dans mon rapport, avant de tourner la

  2   page --

  3   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ralentissez, Monsieur.

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Comme je l'ai dit dans mon rapport, avant de

  5   tourner la page, encore faut-il l'avoir lue, et l'avoir lue ensemble si

  6   possible.

  7   Par conséquent, des limitations, oui, à titre exceptionnel, oui, seulement

  8   certaines, mais pas des violations massives. En les cachant, on ne peut pas

  9   soutenir que cela va permettre de rétablir l'Etat de droit, ou l'inverse,

 10   ce qui est écrit, si on ne les cache pas, si on ne cache pas qu'il y a eu

 11   des violations, on va compromettre le retour à l'Etat de droit. C'est cela

 12   que ça veut dire. On peut l'interpréter dans les deux sens. Là, il y a un

 13   paradoxe.

 14   Donc j'insiste beaucoup, parce que c'est lié au temps qu'intègre la justice

 15   internationale. Ces évolutions demandent du temps, et la justice

 16   internationale est probablement l'institution qui en tient le plus compte,

 17   même si on peut parfois regretter ses lenteurs.

 18   M. METTRAUX : [interprétation]

 19   Q.  Monsieur Joinet, je dois vous dire que nous en sommes arrivés au

 20   dernier document à propos desquels je vais vous demander de faire des

 21   observations. Il s'agit de l'intercalaire 57 de votre classeur.

 22   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, je vais être très

 23   franc à propos de ce que je me propose de faire. Il s'agit d'un document --

 24   ah, non, ce n'est pas le bon document.

 25   [Le conseil de la Défense se concerte]

 26   M. METTRAUX : [interprétation]

 27   Q.  Monsieur Joinet, est-ce que vous pourriez confirmer à quoi correspond

 28   le document de votre intercalaire 57 ? Vous avez une lettre du 19 octobre

Page 302

  1   2007. Est-ce que c'est cela qui correspond à l'intercalaire 57 ?

  2   R.  [aucune interprétation]

  3   M. METTRAUX : [interprétation] Monsieur le Président, nous avions indiqué

  4   que nous souhaitions être très francs à propos de ce que nous allons faire.

  5   Nous ne suggérons absolument pas que M. Joinet connaît se document, en a

  6   été informé, l'a vu auparavant, et peut nous faire des observations à

  7   propos du bien-fondé ou non de ce document. Toutefois, hier, nous avions

  8   indiqué que nous nous trouvions dans une situation assez étrange puisque

  9   nous n'avons pas convoqué de témoins qui auraient pu répondre à ces

 10   questions ou nous n'avons pas posé des questions aux témoins à charge.

 11   L'autre raison pour laquelle nous voulons poser des questions à M. Joinet à

 12   propos de ce document vient du fait que ce document n'est pas disponible en

 13   anglais.

 14   Je comprends que le poids que vous souhaiterez accorder à la

 15   déposition de M. Joinet sera peut-être d'une importance limitée au vu du

 16   fait qu'il n'a pas été informé de ce document. Toutefois, nous demandons

 17   quand même à la Chambre l'autorisation de poser quelques questions à M.

 18   Joinet au sujet de ce document.

 19   Comme je vous l'ai indiqué, il ne s'agit pas du premier choix retenu

 20   par la Défense, mais je dois vous dire que nous n'avons pas le choix, en

 21   quelque sorte, et c'est pour cela que nous vous demandons l'autorisation de

 22   pouvoir procéder de la sorte, Monsieur le Président. 

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je suppose qu'il s'agit de la lettre

 24   que M. MacFarlane voulait verser au dossier hier ou ce matin; c'est cela ?

 25   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, hier.

 26   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Elle est confidentielle, me semble-t-

 27   il.

 28   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, la lettre est confidentielle.

Page 303

  1   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc vous souhaitez passer à huis clos

  2   partiel, Maître Mettraux ?

  3   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait, pour en parler.

  4   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Est-ce que la Chambre peut

  5   passer à huis clos partiel.

  6   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes maintenant à huis clos

  7   partiel, Monsieur le Président.

  8   [Audience à huis clos partiel]

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 13  Pages 304-305 expurgées. Audience à huis clos partiel.

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 19   [Audience publique]

 20   M. METTRAUX : [interprétation] Je m'excuse d'ailleurs.

 21   Je voulais juste revenir sur deux choses. Premièrement, il s'agit du

 22   versement au dossier d'un certain nombre de documents que nous avons

 23   présentés à M. Joinet. Je pense qu'il serait beaucoup plus raisonnable que

 24   la Défense rencontre M. MacFarlane pendant la pause pour pouvoir décider le

 25   sort qui sera réservé en matière de recevabilité de ces documents, et cela

 26   sera un gain de temps pour tout le monde, y compris pour les Juges.

 27   Puis deuxièmement, et je pense que cela peut également être fait par la

 28   suite, vous vous souviendrez peut-être d'une décision de cette Chambre

Page 307

  1   rendue le 19 mai 2009, et en note en bas de page, en note numéro 25, vous

  2   aviez indiqué que la Défense pourrait poser un certain nombre de questions

  3   au Procureur par le truchement de la Chambre, avec l'aval de la Chambre.

  4   Nous avons quelques questions à poser au Procureur à propos de ce témoin.

  5   Toutefois, et parce que nous n'avons plus beaucoup de temps à notre

  6   disposition, nous nous proposons, si la Chambre n'y voit pas

  7   d'inconvénient, de réserver ces questions pour demain. Ainsi l'Accusation

  8   pourra procéder à son contre-interrogatoire, et nous pourrons poser ces

  9   questions demain.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui. Est-ce que nous pouvons le faire

 11   ? J'aimerais savoir si vous avez terminé votre interrogatoire principal,

 12   ceci étant dit, Maître Mettraux.

 13   M. METTRAUX : [interprétation] Oui, tout à fait, et je remercie M. Joinet.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien.

 15   Monsieur MacFarlane.

 16   M. MacFARLANE : [interprétation] Monsieur le Président, je vous remercie.

 17   Contre-interrogatoire par M. MacFarlane : 

 18   Q.  [interprétation] Monsieur Joinet, j'ai quelques questions à vous poser.

 19   Certaines de ces questions sont très générales et d'autres seront plus

 20   précises. Certaines vont porter sur certains documents que vous avez déjà

 21   étudiés.

 22   Lors de votre déposition, vous avez à plusieurs reprises fait référence au

 23   droit à la liberté d'expression et à d'autres droits, et je souhaiterais

 24   justement obtenir une précision auprès de vous et voir si vous êtes

 25   d'accord avec ce que j'avance. En matière de droits, en règle générale,

 26   tous les droits, quasiment tous les droits, ont des limitations.

 27   R.  Pas tous, mais enfin --

 28   Q.  Ils ont tous des limitations ?

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  1   R.  La plupart des droits ont des limitations admissibles. Mais il y a

  2   certains droits indérogeables [sic]. C'est le rapport de la sous-commission

  3   transmis à la commission sur les états d'exception qui établit un certain

  4   nombre de droits indérogeables [sic] auxquels donc on ne peut pas apporter

  5   de limitations. Par exemple, la prohibition de la torture.

  6   Q.  Faisons abstraction de la torture pour le moment. Je pense, par

  7   exemple, aux droits des médias, à la liberté de la presse, la liberté

  8   d'expression. Lorsque vous pensez à tous ces droits, est-ce que vous

  9   convenez que tous ces droits ont des limitations ?

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux.

 11   M. METTRAUX : [interprétation] Je m'excuse d'intervenir si rapidement, mais

 12   on nous a demandé de limiter nos questions à des éléments non juridiques et

 13   non experts, et c'est exactement ce que l'Accusation essaie de faire. Donc

 14   j'aimerais proposer la suggestion suivante : je pense que l'Accusation

 15   devrait avoir les mêmes limites qui nous ont été imposées, car là, je pense

 16   qu'il vous appartient d'en décider, Monsieur le Président.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Mettraux, vous savez, à ce

 18   sujet, vous avez abordé des questions qui dépassaient de loin ce qui avait

 19   été limité. Je pense que cette question qui vient d'être posée est tout à

 20   fait légitime, donc je vous autoriserai à la poser et je ne retiens pas

 21   votre objection.

 22   M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous remercie.

 23   Q.  Alors, Monsieur Joinet, puisque nous parlons de limites aux droits,

 24   pouvons-nous dire que, très souvent, il y a conflit entre les droits ?

 25   R.  Conflit entre les droits ? Vous voulez dire par là, est-ce que dans

 26   certains cas, pour concilier deux droits qui peuvent être contradictoires,

 27   on en limite un par rapport à l'autre ? Je n'ai pas bien saisi la question.

 28   Q.  Je vais peut-être la reformuler. Très souvent, il y a une situation,

Page 309

  1   par exemple, où le défenseur a le droit d'avoir un procès équitable, la

  2   victime peut avoir un autre droit, les médias peuvent avoir également un

  3   autre droit, et parfois donc il y a conflit entre ces différents droits,

  4   confrontation.

  5   R.  Il y a des situations où il peut y avoir, entre deux droits positifs,

  6   l'un qui doit être choisi par rapport à l'autre, si c'est ça le sens de la

  7   question. Concrètement, si je comprends bien, Maître, cela revient à dire

  8   peut-il être admis qu'il y ait certaines restrictions dans un certain

  9   nombre de droits fondamentaux, dans l'exercice d'un certain nombre de

 10   droits fondamentaux ? La réponse est oui. Tout le problème --

 11   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Les interprètes sont en train de

 12   demander à ce que quelqu'un parle dans le micro. Je n'ai pas très bien

 13   compris ce que l'interprète a dit, je dois dire.

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Ces limitations sont admissibles dans tout

 15   système juridique, donc des restrictions admissibles à l'exercice de

 16   certains droits dans certaines circonstances, mais toujours sous la

 17   supervision, si je puis dire, du principe de proportionnalité. Donc la

 18   restriction est possible, mais il y a des restrictions à la restriction.

 19   C'est, par exemple, consacré maintenant dans la convention sur les

 20   Disparitions qui vient d'être adoptée il y a plus d'un an par l'assemblée

 21   générale, je le connais bien puisque j'ai présidé le groupe qui a rédigé

 22   l'avant-projet à la sous-commission des droits de l'homme, qui dit qu'un

 23   Etat ne peut -- ne peut pas opposer, interdire la communication d'une

 24   information. Il peut le faire - donc ça répond à votre constatation - sauf

 25   s'il s'agit d'une disparition.

 26   Donc il y a une restriction. L'Etat peut ne pas communiquer - mais il y a

 27   une restriction à la restriction - sauf si la gravité est telle qu'il ne

 28   peut pas refuser de communiquer.

Page 310

  1   Cette évolution, qui est relativement récente dans le droit international,

  2   a été consacrée il y a maintenant deux ans - mais là, je ne m'attendais pas

  3   à votre question, je n'ai pas la référence - par un arrêt de la Cour

  4   interaméricaine, précédée d'ailleurs d'une décision de la commission, qui

  5   pose cette règle plus largement, qui dit qu'en cas de violation massive des

  6   droits de l'homme, l'Etat ne peut pas opposer la confidentialité des

  7   violations.

  8   Je ne sais pas si j'ai satisfait à votre question, je me suis efforcé

  9   de le faire. Excusez-moi.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Mettraux.

 11   M. METTRAUX : [interprétation] Je m'excuse. Ce n'est pas une objection,

 12   mais je pense qu'il s'agit de la dernière phrase de l'intervention de M.

 13   Joinet. Je pense qu'il y a un problème d'interprétation. J'ai entendu le

 14   mot "imposer," alors que cela a été traduit par "opposer." C'est ce que je

 15   pense, Monsieur Joinet, mais peut-être que le Procureur posait des

 16   questions à ce sujet au témoin. Je ne voudrais surtout pas témoigner à ce

 17   sujet.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur MacFarlane.

 19   M. MacFARLANE : [interprétation] Ecoutez, peut-être que je pourrais

 20   justement lire la dernière phrase qui est affichée à l'écran et demander

 21   ainsi au témoin s'il est d'accord. La dernière phrase telle que je la vois

 22   est comme suit :

 23   "Cela a été adopté par un décret du tribunal interaméricain après une

 24   décision de la commission qui stipulait quant à des violations massives de

 25   droits de l'homme, l'Etat ne peut pas opposer la confidentialité de la

 26   violation."

 27   Q.  Est-ce que ce sont les propos que vous avez tenus, Monsieur, ou est-ce

 28   qu'il y a quelque chose qui fait défaut dans la traduction ?

Page 311

  1   R.  La traduction, c'est bien "ne peut pas opposer", ne peut pas refuser de

  2   donner les informations. La terminologie exacte, je n'ai pas le texte de

  3   cette décision, je ne peux pas garantir à

  4   1 000 % que ce sont des mots exacts. Mais c'est l'idée. C'est lorsque la

  5   violation est d'une gravité telle que l'Etat ne peut pas refuser de

  6   communiquer en évoquant la confidentialité. Ceci dit, ce n'est qu'une cour

  7   régionale et vous êtes une Cour internationale.

  8   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Joinet, vous avez fourni une

  9   réponse très, très longue. Pour la Chambre, pour que tout soit très clair,

 10   quelle est votre réponse en un mot ? Oui ou non à la question ? Est-ce que

 11   vous acceptez qu'il y a conflit entre certains droits ? Est-ce que vous

 12   acceptez cette proposition ou non ? Mais répondez juste par oui ou par non,

 13   parce que je ne suis pas très sûr d'avoir saisi.

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Le sens de la question. Moi, de mon

 15   expérience, quand on me --

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La question est simple : Acceptez-vous

 17   qu'il y ait conflit entre certains droits ? Je dirais, à titre

 18   d'illustration, donc le droit à la liberté d'expression peut être en

 19   conflit avec le droit à l'information. Alors, je ne sais pas si vous

 20   voulez, par exemple, me relater quelque chose, et je dis que j'ai des

 21   informations privées que vous n'avez pas, enfin, voilà.

 22   Je n'ai pas entendu votre réponse.

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Il peut exister des contradictions.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 25   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci, Monsieur.

 26   Q.  Ceci étant dit, donc il se peut qu'il y ait des contradictions, voire

 27   des conflits. Convenez-vous que l'un des objectifs du droit est d'essayer

 28   de trouver la méthode qui permettra de réconcilier ces principes qui

Page 312

  1   peuvent être conflictuels, ces droits qui peuvent être conflictuels ?

  2   R.  C'est un concept qui m'échappe un peu. Le but, c'est de trouver la

  3   vérité. Donc s'il y a deux droits en conflit, il faut opter pour celui qui

  4   permettra d'approcher le mieux possible la vérité. Est-ce que c'est cela le

  5   sens ? Je ne sais pas si ma réponse correspond à votre question. C'est

  6   comme ça que je l'entends.

  7   Q.  Passons à un point distinct mais néanmoins lié.

  8   Souvent, un tribunal a besoin d'émettre une ordonnance, qu'il s'agisse du

  9   Tribunal international ou autre, concernant des moyens à charge qu'il a en

 10   sa possession; est-ce exact ?

 11   R.  Oui, cela existe.

 12   Q.  Passons à l'étape suivante. Convenez-vous qu'il est impératif, tout au

 13   moins dans un environnement démocratique, qu'un tribunal puisse mettre en

 14   œuvre les ordonnances que le tribunal a émises ?

 15   R.  S'il a pris une décision, il doit l'appliquer, mais tout dépend du

 16   motif, de la motivation de la décision. S'il n'y a pas de contestation sur

 17   la légalité de la décision, la réponse est oui. Mais il peut très bien y

 18   avoir débat sur la légalité de la décision qui a, par exemple, prononcé la

 19   confidentialité.

 20   Je suis peu familier du droit anglo-saxon, j'ai peur de ne pas

 21   répondre très exactement à votre préoccupation.

 22   Je m'efforce, mais est-ce que c'est bien de cela dont il s'agit. La

 23   réponse est oui, il doit l'exécuter, mais ça ne peut pas empêcher qu'il

 24   puisse y avoir débat en amont sur la légalité de cette décision qu'il a

 25   prise et dont on parle de l'application.

 26   Q.  Partons de l'hypothèse pour un instant qu'une décision a été

 27   prise par un tribunal, qu'il n'y a plus d'appel, que c'est la décision

 28   finale, définitive, du tribunal. Convenez-vous qu'il est essentiel de

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  1   s'assurer que le tribunal puisse effectivement mettre en application sa

  2   décision ?

  3   R.  Bien, si j'ai bien compris la question, à partir du moment -- vous

  4   faites allusion à l'hypothèse où l'affaire est terminée. Je m'excuse, je ne

  5   comprends pas bien la question. L'affaire étant terminée, il n'y a plus de

  6   problème d'administration de la justice, donc la question ne se pose plus.

  7   J'ai peur d'avoir mal saisi.

  8   Q.  Dans une situation où un tribunal national ou international, lorsqu'il

  9   y a une décision qui a été prise, qu'il n'y a plus d'appel, on ne plus

 10   recourir aux appels, qu'il s'agisse d'une affaire qui est arrivée à son

 11   terme ou non, n'est-il pas important de s'assurer que ce tribunal ait les

 12   moyens de mettre en œuvre cette ordonnance ou cette décision en tout état

 13   de cause ?

 14   R.  Oui. Il et normal qu'un tribunal, s'il en a les moyens - et par

 15   principe, il devrait les avoir - mette en œuvre sa décision. Tout le

 16   problème est de savoir, puisque je pense que vous raisonnez dans

 17   l'hypothèse de la confidentialité, est-ce que la confidentialité doit

 18   s'appliquer également à l'existence de la décision qui en a décidé ainsi et

 19   qu'elle va mettre en œuvre. Je pense que la limitation par la

 20   confidentialité ne concerne que le contenu de cette décision mais pas le

 21   fait que la décision qui va décider de la confidentialité, elle ne peut pas

 22   être confidentielle. Sinon, alors il y a plus aucune transparence de

 23   justice.

 24   C'est l'exemple que j'ai donné tout à l'heure. Dans mon pays, si vous

 25   ordonnez un huis clos, c'est une forme de confidentialité. Vous êtes obligé

 26   d'en décider dans une audience publique et de la motiver, ensuite tout

 27   devient confidentiel. Mais pas la décision elle-même.

 28   Par conséquent, lorsque le tribunal met en œuvre sa décision, tout reste

Page 314

  1   confidentiel pour qui vient l'appliquer, sauf la décision qui a décidé de

  2   la confidentialité; sinon, on est dans une justice secrète.

  3   Q.  Monsieur Joinet, je ne vous avais pas posé de questions sur la

  4   confidentialité, des décisions sur la confidentialité. J'aimerais procéder

  5   par étapes. Je vais vous demander de me donner votre avis sur un tribunal,

  6   une cour devrait être à même de mettre en œuvre ses propres décisions, tout

  7   simplement. Je vous posais une question très simple à ce stade.

  8   R.  La mettre en œuvre, oui. Tout dépend si la mise en oeuvre est

  9   confidentielle ou pas, mais vous ne semblez pas aborder la question.

 10   Q.  Alors allons-y par étapes, une étape à la fois. J'aimerais vous dire

 11   que l'incapacité d'un tribunal ou d'une cour de mettre en œuvre ses

 12   décisions amoindrit le respect que l'on a pour ce tribunal et le rend moins

 13   efficace. Je vous soumets cette hypothèse.

 14   R.  Je vous demande juste deux secondes de réflexion.

 15   Q.  D'accord.

 16   R.  Si vous vouliez bien répéter la question exactement.

 17   Q.  Ma question est la suivante : Je vous soumets que l'incapacité d'une

 18   cour ou d'un tribunal de mettre en œuvre ses décisions amoindrit le respect

 19   que l'on a pour ce tribunal ou cette cour et la rend moins efficace.

 20   R.  Oui, ça peut la rendre moins efficace. Tout dépend de la nature de la

 21   décision. Est-ce qu'elle donne lieu à débat ou pas ? Je parle dans

 22   l'opinion, puisque pour que la justice soit crue, ce n'est pas uniquement

 23   le problème d'une salle d'audience. C'est le contexte général spécialement

 24   dans les affaires de violation massive des droits de l'homme.

 25   Q.  Revenons à la question de décisions et si une ordonnance devrait être

 26   mise en œuvre ou non et qui prend ces décisions, nous y reviendrons dans un

 27   instant. Mais ma question suivante est la suivante : n'est-il pas exact de

 28   dire que les moyens pour mettre en œuvre cette décision est en général

Page 315

  1   défini par le tribunal ou la cour par son dispositif juridique ? Donc la

  2   décision de mettre en œuvre les ordonnances ou les décisions est en fait du

  3   ressort du tribunal ou de la cour ?

  4   R.  Elle est dans l'état de ma compréhension de notre débat, oui, ma

  5   réponse est oui en ce qui concerne - toujours, j'y reviens - le contenu de

  6   la décision. Maintenant on ne peut pas empêcher qu'une critique juridique

  7   puisse se faire autour de la question en cause. J'ai cru comprendre, par

  8   exemple que - je l'ai évoqué tout à l'heure - il y a un débat sur la

  9   sécurité nationale ou intérêt vital de la nation. Qu'est-ce qui figure dans

 10   le règlement. La décision est mise en œuvre, ce débat est un autre débat

 11   mais publiquement il peut être débattu. Y a-t-il ou non dans le règlement

 12   telle base juridique sur laquelle se base la décision ? On ne peut pas

 13   empêcher la mise en œuvre du contenu de la décision mais on peut très bien

 14   discuter et critiquer ces discussions de juristes bien connues dans de

 15   nombreux domaines, cet aspect, par exemple, de la question. C'est ce qu'on

 16   appelle le contrôle de la légalité, il doit toujours y avoir référence à un

 17   texte. Il peut y avoir des divergences sur l'interprétation du texte, mais

 18   ça reste uniquement le débat, une critique sur cet aspect de la légalité et

 19   pas du tout sur le fond que l'on met en œuvre, les preuves, les documents,

 20   et cetera.

 21   Q.  Si j'ai bien compris votre réponse - et corrigez-moi si je me trompe -

 22   vous parlez à deux différents niveaux. Tout d'abord la légalité qui

 23   contrôle la mise en œuvre des décisions, et d'autre part, le grand public

 24   et sa capacité à critiquer ou à discuter des décisions prises par le

 25   tribunal ?

 26   R.  Enfin, le grand public en tout cas, le débat de juristes qui naît

 27   toujours dans une affaire de cette envergure. Ce n'est pas propre à cette

 28   affaire. C'est effectivement très important de savoir si le concept - c'est

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  1   uniquement pour illustrer mon raisonnement - si le concept de l'intérêt

  2   vital de la nation est intégré dans ce concept de sécurité nationale, ou

  3   autre thèse, que c'est nécessairement d'interprétation stricte et que, par

  4   conséquent, l'intérêt vital n'est pas intégré dans la sécurité nationale.

  5   Ça c'est un débat d'argumentation. Cela on ne peut pas le couvrir par

  6   la confidentialité. Je cite l'exemple dans -- je pense dans votre règlement

  7   ça doit être pareil. Si on ordonne un huis clos, on doit le faire en séance

  8   publique et on doit le motiver. Pour le reste, on ne doit pas en parler.

  9   Pour me résumer, on ne doit pas empêcher la mise en œuvre du fond,

 10   mais on doit pouvoir discuter l'argumentation d'où découle la décision

 11   qu'on va mettre en œuvre.

 12   Q.  Ainsi le processus de mise en œuvre, la capacité de la cour à mettre en

 13   œuvre ses décisions, ne doit pas être "minores," ne doit pas être amoindri.

 14   R.  Oui, mais certains vont considérer qu'il y a un débat sur la

 15   qualification, par exemple, sécurité nationale ou intérêt vital vont

 16   soutenir que cela amoindrit la mise en œuvre. Je ne le considère pas.

 17   Q.  Passons à la question suivante qui est peut-être plus concrète dans ce

 18   contexte, à savoir le principe de liberté d'expression. Vous nous avez

 19   expliqué que vous avez passé votre carrière à œuvrer dans le domaine des

 20   droits de l'homme et vous êtes probablement un des chefs de file, mondiaux

 21   dans ce domaine. Vous avez passé donc un temps considérable à traiter des

 22   questions de liberté d'expression. Ma question est la suivante : au départ,

 23   vous avez dit que vous étiez d'accord sur le fait qu'il y avait des

 24   limites, enfin, que les droits se heurtaient à certaines limites, et pour

 25   revenir un instant sur la liberté d'expression, est-ce que vous êtes

 26   d'accord sur le principe que la liberté d'expression connaît des limites au

 27   sein du système judiciaire et que c'est un aspect, une composante

 28   nécessaire de quasiment tout système pénal de par le

Page 317

  1   monde ?

  2   R.  La réponse est oui, mais toujours par référence à la théorie selon

  3   laquelle des limitations à certains droits - et alors spécialement vous

  4   visez assez directement et je suis d'accord, l'administration de la

  5   justice, par exemple. Oui, il y a des limitations admissibles, ça c'est

  6   clair, mais c'est toujours le principe de proportionnalité. Elles sont

  7   admissibles jusqu'au moment où elles finiraient par empêcher la justice de

  8   parvenir à sa fin qui est la recherche de la vérité.

  9   Je prends toujours cet exemple que j'ai cité tout à l'heure, les réserves

 10   dans le traité de Vienne sont admissibles. Ça diminue l'efficacité des

 11   traités mais elles ne sont pas admissibles si elles vident le traité de son

 12   contenu. Bien, là, c'est pareil. Si la limitation est admise dans

 13   l'administration de la justice, oui, mais pas quelle détourne à un point

 14   tel quelle détourne la justice de sa finalité et l'établissement de la

 15   vérité.

 16   Q.  Sur la question de la proportionnalité, vous avez évoqué ce principe --

 17   M. LE JUGE GUNEY : D'après la convention de Vienne sur le droit de traités,

 18   une réserve est admissible aussi longtemps qu'il est en compatibilité avec

 19   l'objet et le but.

 20   LE TÉMOIN : [interprétation] C'est ça. C'est la phrase exacte, oui.

 21   M. LE JUGE GUNEY : Merci beaucoup.

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Le but de la justice, étant la recherche de la

 23   vérité -- pardon, est admissible aussi longtemps qu'il est en conformité

 24   avec le but et l'objet du traité ?

 25   LE TÉMOIN : [interprétation] Donc tous les débats c'est : quel est le but

 26   et l'objet de la justice ?

 27   Je comprends beaucoup mieux maintenant le débat. Je m'excuse, je n'avais

 28   pas bien saisi. Excusez-moi. Maître.

Page 318

  1   M. MacFARLANE : [interprétation]

  2   Q.  J'aimerais maintenant faire référence au système pénal au sein d'un

  3   tribunal, qu'il soit international ou national. Voilà le contexte dans

  4   lequel je pose cette question, à savoir : la notion de liberté d'expression

  5   est-elle limitée dans un tribunal pénal où il faut protéger certaines

  6   informations, car elles pourraient exposer quelqu'un au danger, par

  7   exemple, ou pourrait créer un risque pour une personne ?

  8   R.  Vous faites allusion à ce qu'on appelle en français, le témoignage sous

  9   X, c'est-à-dire sans identifier le témoin. Seul le tribunal connaît le nom

 10   du témoin, mais il n'apparaît pas publiquement. C'est bien cela le cas

 11   concret que vous évoquez, un cas de limitation que vous évoquez ?

 12   Q.  Oui, cela pourrait être un exemple. Mais ma question était beaucoup

 13   plus générale. Alors dans le contexte d'un système de justice pénale,

 14   parfois le besoin est ressenti de protéger l'information pour des raisons

 15   absolument impérieuses, même si cela va à l'encontre du droit à la liberté

 16   d'expression.

 17   R.  Oui, il est clair que c'est même la règle dans la phase d'instruction.

 18   Il faut bien distinguer, dans la terminologie française en tout cas, la

 19   phase d'instruction de la phase du jugement. Dans la phase d'instruction,

 20   c'est même la règle, le secret de l'instruction, c'est dans [inaudible] des

 21   cas où la limitation est la règle et la dérogation, l'exception.

 22   Vous pourrez avoir une violation du secret de l'instruction organisée par

 23   le Procureur, qui va faire un communiqué, par exemple, pour essayer de

 24   rétablir la vérité sur une information ou une rumeur. Donc la règle, c'est

 25   le secret, mais une fois que vous arrivez dans la phase de jugement, c'est

 26   l'inverse. C'est la publicité et la transparence qui est la règle et la

 27   dérogation, la limitation admissible, l'exception. On l'a vécu tout à

 28   l'heure quand, M. le Président, vous avez ordonné le huis clos pendant une

Page 319

  1   dizaine de minutes.

  2   M. MacFARLANE : [interprétation] Je suis conscient de l'heure qu'il est,

  3   mais je dois dire que je pourrais peut-être terminer cette partie de mon

  4   contre-interrogatoire en posant une toute dernière question, puis demain

  5   j'aborderais un autre thème si je peux le faire ainsi, Monsieur le

  6   Président.

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, faites donc.

  8   M. MacFARLANE : [interprétation] Merci.

  9   Q.  Monsieur Joinet, à plusieurs reprises vous avez fait référence à la

 10   proportionnalité. Vous avez dit que la proportionnalité était une

 11   composante importante à la restriction aux droits. Voilà la question que

 12   j'aimerais vous poser : Si l'on prend des décisions à propos de la

 13   proportionnalité, si l'on veut évaluer le degré de proportionnalité qui est

 14   nécessaire, est-ce que vous convenez qu'il appartient en fait au tribunal

 15   de procéder à cette évaluation ?

 16   R.  Il appartient au tribunal de procéder à cette -- vous parlez d'un

 17   tribunal national ou de la Cour ici ?

 18   Q.  L'une ou l'autre.

 19   R.  Dans le cas d'un tribunal national, la question à laquelle j'ai été

 20   constamment confronté, puisque beaucoup de mes enquêtes ont débouché sur

 21   des procès et la question s'est posée du principe de proportionnalité.

 22   C'est donc le tribunal qui va en décider, mais sous réserve des procédures

 23   d'appel, des recours. Les recours, ce sera la Cour d'appel nationale, ça

 24   sera la Cour de cassation, la Cour suprême nationale, ensuite ce sera -- ou

 25   la Cour européenne des droits de l'homme ou la Cour interaméricaine, ou

 26   bien, dans un contentieux quasi juridictionnel, le comité des droits de

 27   l'homme.

 28   Quand on vérifie la jurisprudence de ces entités supérieures - je n'ai pas

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  1   dit suprêmes, mais supérieures, aucune n'est suprême - on constate que les

  2   juges qui étaient compétents pour apprécier la proportionnalité ont été

  3   contredits par la juridiction du contrôle supérieur ou l'instance. Donc le

  4   juge est compétent pour apprécier sa proportionnalité sous réserve des

  5   contrôles, ce qui permet de forger une jurisprudence qui montre, et on

  6   revient au raisonnement de tout à l'heure, à partir du moment où la

  7   restriction n'est pas proportionnelle par rapport au but à atteindre, à ce

  8   moment-là, elle n'est pas admissible, d'où l'expression dans tous les

  9   traités, limitation admissible dans une société démocratique -- enfin il y

 10   a toujours ce mot de l'admissibilité. L'admissibilité ça veut dire, à

 11   condition que la proportion soit respectée. Ça vous le trouverez dans

 12   toutes les Cours interaméricaines, Cours européennes, Comité des droits de

 13   l'homme. Voilà.

 14   M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur.

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie beaucoup, Monsieur

 16   MacFarlane.

 17   Monsieur Joinet, je voulais juste vous dire que votre déposition n'est pas

 18   terminée, donc vous êtes encore témoin et tant que vous resterez témoin

 19   ici, vous ne pouvez parler à personne de l'affaire.

 20   Ceci étant dit, nous nous retrouverons demain à 9 heures. Nous nous

 21   retrouverons dans ce même prétoire, le prétoire numéro I, à 9 heures demain

 22   matin.

 23   L'audience est levée.

 24   [Le témoin quitte la barre]

 25   --- L'audience est levée à 13 heures 52 et reprendra le mercredi 17

 26   juin 2009, à 9 heures 00.

 27  

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