Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 14 septembre 2009

  2   [Jugement]

  3   [Audience publique]

  4   --- L'audience est ouverte à 9 heures 30.

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour, à toutes les personnes

  6   présentes dans le prétoire et hors du prétoire.

  7   Monsieur le Greffier, veuillez appeler la cause.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Monsieur

  9   les Juges.

 10   Il s'agit de l'affaire IT-02-54-R77.5, l'affaire contre Florence

 11   Hartmann.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le

 13   Greffier.

 14   Je demande aux parties de se présenter, en commençant par l'Accusation.

 15   M. MacFARLANE : [interprétation] Je vous remercie. Monsieur le Président.

 16   Je m'appelle Bruce MacFarlane, et j'ai été nommé amicus curiae dans

 17   l'espèce.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

 19   Qu'en est-il de la Défense.

 20   M. METTRAUX : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Me Mettraux

 21   au nom de Mme Florence Hartmann, et je présente mes excuses, au nom de Me

 22   Khan, qui, pour des raisons professionnelles, n'a pas pu être des nôtres

 23   aujourd'hui.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

 25   La Chambre de première instance spécialement désignée et réunie aujourd'hui

 26   pour rendre son jugement dans l'affaire contre Florence Hartmann. A cette

 27   fin, la Chambre résumera brièvement la procédure en l'espèce, le droit

 28   applicable, les arguments principaux des parties, et en dernier lieu, les

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  1   conclusions qu'elle a tirées. La Chambre tient à souligner que seul fait

  2   autorité l'exposé des conclusions de la Chambre que l'on trouve dans le

  3   jugement écrit, dont des copies seront disponibles à l'issue de l'audience.

  4   Je commencerai par le rappel de la procédure et l'acte d'accusation.

  5   L'ordonnance tenant lieu d'acte d'accusation sur la base duquel l'affaire a

  6   été jugée a été rendue le 27 octobre 2008. Dans cette ordonnance, il est

  7   reproché à Florence Hartmann, l'accusée, d'avoir entravé délibérément et

  8   sciemment le cours de la justice en divulguant dans un livre, ainsi que

  9   d'un article rédigé par elle la teneur, les faits présumés et la nature

 10   confidentielle de deux décisions rendues par la Chambre d'appel dans

 11   l'affaire Slobodan Milosevic. Pour ces faits, l'accusée devait répondre de

 12   deux chefs d'outrage infraction punissable au terme de l'article 77(A)(ii)

 13   du Règlement de procédure et de preuve de ce Tribunal.

 14   Le procès en l'espèce s'est déroulé du 15 au 17 juin et a pris fin le 1er

 15   juillet 2009. Les parties ont présenté leur mémoire en clôture le 2

 16   juillet, et le réquisitoire et la plaidoirie ont été entendus le 3 juillet

 17   2009. La Chambre a entendu la déposition de deux témoins à charge et de

 18   deux témoins à décharge. Une déclaration faite par un témoin à charge a été

 19   présentée dans le cadre d'un dépôt conjoint.

 20   Je vais à présent résumer les règles de droit applicable en l'espèce.

 21   Il est établi dans la jurisprudence que le Tribunal a le pouvoir inhérent

 22   de poursuivre et de punir les comportements d'outrage. Ce pouvoir inhérent

 23   découle du pouvoir judiciaire qu'a le Tribunal de garantir que rien ne

 24   vient l'empêcher d'exercer ses pouvoirs conformément au Statut, et que sa

 25   fonction judiciaire fondamentale est sauvegardée.

 26   L'accusée est mise en cause sur la base de l'article 77(A)(ii) du

 27   règlement, qui dispose que :

 28   "Dans l'exercice de son pouvoir inhérent le Tribunal peut déclarer coupable

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  1   d'outrage les personnes qui entravent délibérément et sciemment le cours de

  2   la justice, y compris notamment toute personne qui (ii) divulgue des

  3   informations relatives à ces procédures en violant en connaissance de cause

  4   une ordonnance de la Chambre."

  5   Les éléments constitutifs de cette forme d'outrage sont la divulgation

  6   d'information confidentielle à un tiers ou au public en violation d'une

  7   ordonnance du Tribunal. La personne qui révèle de telles informations doit

  8   avoir agi de la sorte en violant en connaissance de cause une ordonnance de

  9   la Chambre.

 10   J'en viens maintenant aux arguments des parties et à l'examen de la Chambre

 11   par lequel celle-ci a déterminé si les éléments constitutifs étaient réunis

 12   en l'espèce.

 13   La Défense a fait valoir que les faits mis en cause en l'espèce ne sont pas

 14   suffisamment graves pour justifier d'engager des poursuites conformément à

 15   l'article 77 du Règlement. Elle a également soutenu que le Tribunal n'a pas

 16   le pouvoir de mettre en œuvre l'article 77 à moins qu'il n'existe "un

 17   véritable risque" d'entrave au cours de la justice. Toutefois, la Chambre a

 18   estimé qu'une personne qui entrave délibérément et sciemment le cours de la

 19   justice par son comportement quel qu'il soit peut être dûment jugé pour

 20   outrage. Comme elle l'expliqué de façon plus détaillé dans le jugement, la

 21   Chambre a estimé qu'il convenait mieux d'apprécier ces éléments dans le

 22   cadre de la fixation de la peine.

 23   Pour ce qui est de l'actus reus, les parties ont convenu que l'accusée

 24   était le seul auteur du livre et de l'article sur lesquels se fondent les

 25   chefs d'accusation retenus contre elle.

 26   L'Accusation a soutenu que l'actus reus était établi en l'espèce pour

 27   chaque chef d'Accusation. La Défense a avancé, entre autres, que l'actus

 28   reus ne pouvait pas être établi parce que le Tribunal comme le requerrant

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  1   qui avait demandé les mesures de protection visés par les deux décisions de

  2   la Chambre d'appel avait déjà rendu public les informations que l'accusée

  3   était censée avoir divulguées. S'appuyant sur la jurisprudence du Tribunal,

  4   la Chambre a souligné qu'une décision reste confidentielle jusqu'à ce

  5   qu'une Chambre n'en décide autrement de façon expresse. Par conséquent,

  6   comme elle l'a expliqué de façon plus détaillée dans le jugement, la

  7   Chambre a conclu que l'argument de la Défense selon lequel la

  8   confidentialité des deux décisions de la Chambre d'appel avait été levée

  9   soit par un acte contraire, actus contrarius, du Tribunal, soit par la

 10   renonciation du requerrant à la confidentialité, était dénué de fondement.

 11   De surcroît, de nombreux arguments avancés par la Défense à cet égard se

 12   basent sur une interprétation erronée de la portée des chefs d'accusation

 13   en les limitant à quatre faits; à savoir premièrement, l'existence et la

 14   date des décisions de la Chambre d'appel; deuxièmement, le caractère

 15   confidentiel des décisions de la Chambre d'appel; troisièmement, l'identité

 16   du requerrant qui avait demandé des mesures de protection pour certains

 17   documents; et quatrièmement, le fait qu'il avait été fait droit aux mesures

 18   de protection demandées par le requerrant pour ces mêmes documents.

 19   En outre, la Défense a fait valoir qu'il n'est pas reproché à l'accusée

 20   d'avoir divulgué les motifs énoncés dans les deux décisions de la Chambre

 21   d'appel, avançant à ce sujet qu'aucun fondement juridique valable ne permet

 22   de sanctionner le fait de divulguer le raisonnement tenu par la Chambre. Le

 23   libellé de l'acte d'accusation, est toutefois clair. L'accusée doit

 24   répondre d'avoir divulgué la teneur, les faits présumés et la nature

 25   confidentielle des deux décisions de la Chambre d'appel. Comme il est

 26   expliqué en détail dans le jugement, cela n'exclut pas le raisonnement

 27   juridique tenu par la Chambre d'appel. De plus, la Chambre a conclu que

 28   l'accusée n'avait pas publié que les quatre faits auxquels se limiterait

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  1   l'acte d'accusation selon la Défense.

  2   La Chambre a conclu que dans son livre l'accusée avait divulgué des

  3   informations confidentielles figurant dans les décisions de la Chambre

  4   d'appel. Les informations figurant dans les pages pertinentes de son livre

  5   se trouvent aussi dans l'article qu'elle a écrit qui selon ses dires est

  6   une version anglaise des passages du livre. La Chambre a conclu que les

  7   décisions de la Chambre d'appel qui font l'objet des chefs d'accusation

  8   étaient confidentielles au moment de la publication du livre de l'accusée

  9   et le sont d'ailleurs encore à l'heure actuelle. Certain -- la Chambre a

 10   conclu que certaines informations divulguées par l'accusée dans ses

 11   publications étaient publiques mais ce fait en soi ne nie pas l'actus reus

 12   des chefs d'accusation retenus en l'espèce. La Chambre, après avoir

 13   soigneusement examiné les moyens de preuve dont elle disposait, est

 14   convaincue au-delà de tout doute raisonnable qu'en écrivant et publiant le

 15   livre et l'article, l'accusée a révélé des informations confidentielles

 16   contenues dans les décisions de la Chambre d'appel, et de ce fait, a

 17   divulgué des informations en violation d'une ordonnance de la Chambre.

 18   Pour ce qui est de la mens rea, l'Accusation a soutenu que l'accusée

 19   avait une connaissance effective pour chacun des deux chefs d'accusation en

 20   se fondant sur le fait que premièrement qu'elle avait expressément

 21   mentionné la nature confidentielle des décisions de la Chambre d'appel dans

 22   son livre; deuxièmement, qu'elle avait reçu après la publication de celui-

 23   ci mais avant celle de l'article une lettre du greffier du Tribunal qui je

 24   cite : "Avait renforcé sa connaissance," du problème posé par divulgation

 25   d'informations confidentielles; et troisièmement, qu'il existe des éléments

 26   du contexte des faits qui étaient une telle conclusion.

 27   La Défense a soutenu que l'Accusation n'avait pas prouvé que

 28   l'accusée ait l'intention spécifique d'entraver le cours de la justice.

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  1   Comme elle l'a expliqué de façon plus détaillée dans le jugement, la

  2   Chambre a rejeté la définition de l'élément moral proposé par la Défense.

  3   De surcroît, la Défense a avancé que l'accusée avait pu se tromper sur le

  4   plan des faits et/ou du droit en publiant les informations en question.

  5   Pour les motifs exposés dans le jugement, la Chambre a estimé que cet

  6   argument devait être rejeté en se fondant sur les propres dires et actes de

  7   l'accusée. La Chambre a également considéré que l'accusée en sa capacité de

  8   porte-parole de l'ancien Procureur du Tribunal, Carla Del Ponte entre 2000

  9   et 2006 était tout à fait consciente de ce que la confidentialité d'une

 10   décision impliquait. En somme, la Chambre a été convaincue au-delà de tout

 11   doute raisonnable que l'accusée possédait l'élément moral requis pour la

 12   forme d'outrage qu'il lui reprochait, à savoir le fait s'avoir rendu public

 13   des informations confidentielles en violant en connaissance de cause une

 14   ordonnance de la Chambre.

 15   Par conséquent, la Chambre est convaincue que l'Accusation a prouvé

 16   au-delà de tout doute raisonnable que l'accusée a entravé délibérément et

 17   sciemment le cours de la justice et a de ce fait commis le crime d'outrage

 18   au Tribunal pour chacun des deux chefs d'accusation retenus en l'espèce.

 19   J'en viens maintenant aux éléments pris en compte pour fixer la

 20   peine.

 21   Conformément à l'article 24 du Statut et à l'article 101 du

 22   Règlement, la Chambre a tenu compte de plusieurs éléments pour fixer la

 23   peine qui s'impose pour l'accusée ainsi qu'elle l'a expliqué de façon

 24   détaillés dans le jugement. La Chambre a notamment déterminé dans quelle

 25   mesure le comportement de l'accusée constituait un risque d'entrave au

 26   cours de la justice. La Chambre a estimé que ce risque est véritable et

 27   qu'il est grave. La Chambre a conclu que la conduite de l'accusé pourrait

 28   dissuader des Etats souverains de fournir des éléments de preuve dans le

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  1   cadre de leur coopération avec le Tribunal. Cette conclusion a forcément

  2   une incidence sur l'aptitude du Tribunal à exercer son pouvoir de

  3   poursuivre et de punir les violations graves du droit humanitaire tel que

  4   prévu par son mandat. La confiance du public dans l'efficacité des mesures

  5   de protection des ordonnances et décisions est indispensable au succès du

  6   travail du Tribunal. En fixant la peine qui s'impose, la Chambre a

  7   également considéré qu'il fallait dissuader l'accusée ou tout autre

  8   personne de divulguer à l'avenir des informations confidentielles.

  9   Néanmoins, la Chambre a aussi prise en compte le fait que certaines

 10   informations publiées par l'accusée étaient déjà publiques. Le manque de

 11   succès commercial du livre de l'accusée a également été pris en

 12   considération tout comme le fait qu'elle doit environ 10 000 euros à sa

 13   maison d'édition Flammarion. L'accusée a coopéré avec le Tribunal pendant

 14   l'enquête et le procès et a à la connaissance de la Chambre un casier

 15   judiciaire vierge.

 16   L'Accusation a fait valoir qu'une peine d'emprisonnement ne serait

 17   pas justifiée compte tenu des circonstances de cette affaire et a requis de

 18   7 000 à 15 000 euros d'amende. La Défense a proposé au cas où l'accusée

 19   viendrait à être déclarée coupable qu'elle pourrait être sommée, je cite :

 20   "De se tenir tranquille et d'avoir une bonne conduite," et de ne pas, je

 21   cite : "Evoquer publiquement les décisions de la Chambre d'appel ou leur

 22   teneur."

 23   En vertu de l'article 77(G) du Règlement, la peine maximum qu'encoure

 24   une personne convaincue d'outrage au Tribunal est de sept ans

 25   d'emprisonnement ou une amende de 100 000 euros ou les deux.

 26   Madame Hartmann, veuillez vous lever.

 27   Par ces motifs, après avoir examiné l'ensemble des éléments de preuve

 28   et les arguments des parties, la Chambre en application du Statut du

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  1   Tribunal et des articles 77 et 77 bis du Règlement, vous déclare coupable

  2   du chef 1, pour avoir délibérément et sciemment entravé le cours de la

  3   justice du Tribunal en divulguant des informations en violation d'une

  4   ordonnance rendue par la Chambre d'appel le 20 septembre 2005, et d'une

  5   ordonnance rendue par la Chambre d'appel le 6 avril 2006, dans son livre :

  6   "Paix et châtiment," publié aux éditions Flammarion, le 10 septembre 2007;

  7   et du chef 2, pour avoir délibérément et sciemment entravé le cours de la

  8   justice du Tribunal en divulguant des informations en violation d'une

  9   ordonnance rendue par la Chambre d'appel le 20 septembre 2005, et d'une

 10   ordonnance rendue par la Chambre d'appel le 6 avril 2006, dans son article

 11   intitulé : "Vital Genocide Documents Concealed," publié par le "Bosnian

 12   Institute," le 21 janvier 2008.

 13   L'accusé est condamnée à payer une amende de 7 000 euros en deux

 14   versements de 3 500 euros chacun, dont le premier doit être effectué au

 15   plus tard le 14 octobre 2009, et le deuxième au plus tard, le 14 novembre

 16   2009.

 17   Nous en avons terminé avec le prononcé du jugement.

 18   L'audience est levée.

 19   --- L'audience est levée à 9 heures 50.

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