Affaire n° : IT-95-14-R

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Fausto Pocar, Président
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Liu Daqun
Mme le Juge Andrésia Vaz
M. le Juge Wolfgang Schomburg

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
24 janvier 2006

LE PROCUREUR

c/

TIHOMIR BLASKIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L'ACCUSATION AUX FINS DE MODIFICATION DE MESURES DE PROTECTION DANS L’AFFAIRE LE PROCUREUR c/ STJEPAN SESELJ ET DOMAGOJ MARGETIC

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Le Bureau du Procureur

Mme Carla Del Ponte
M. Peter McCloskey
M. David Akerson
M. Salvatore Cannata
Mme Rebecca Graham

Le Gouvernement de la République de Croatie

M. Thomas Osorio, Bureau du Président

Le Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro

Les Conseils de Tihomir Blaskic

M. Anto Nobilo
M. Russell Hayman

Les Conseils de Stjepan Seselj et de Domagoj Margetic

M. Zeljko Olujic pour Stjepan Seselj
M. Domagoj Margetic (se représentant lui-même)

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (respectivement la « Chambre d’appel  » et le « Tribunal international »), saisie de la procédure aux fins d’examen en l’espèce,

SAISIE de la requête de l’Accusation aux fins de modification de mesures de protection (Prosecution’s Motion for a Variance of Protective Measures ), déposée à titre confidentiel le 26 septembre 2005 (la « Requête »), par laquelle l’Accusation, dans l’affaire d’outrage Le Procureur c/ Stjepan Seselj et Domagoj Margetic1, demande que les mesures de protection accordées en l’espèce par la Chambre de première instance en ce qui concerne le témoin Stjepan Mesic (le « Témoin ») soient annulées,

ATTENDU que l’Accusation demande plus particulièrement i) que toutes les mesures de protection qui ont été accordées les 6 juin 19972, 16 mars 19983 et 1er décembre 20004 en ce qui concerne le Témoin soient annulées et ii) que les parties dans l’affaire Seselj et Margetic soient autorisées à désigner le Témoin par son véritable nom, à mentionner que le Témoin a témoigné en l’espèce et à faire référence à sa déposition et aux comptes rendus de celle-ci en tout ou en partie5,

ATTENDU que le conseil de Tihomir Blaskic a informé la Chambre d’appel que celuici ne s’opposait pas à la Requête de l’Accusation,

ATTENDU que, selon l’article 75 A) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement »), « [u]n juge ou une Chambre peut […] ordonner des mesures appropriées pour protéger la vie privée et la sécurité de victimes ou de témoins […] »),

ATTENDU que l’article 75 F) i) du Règlement précise qu’« [u]ne fois que des mesures de protection ont été ordonnées en faveur d’une victime ou d’un témoin dans le cadre d’une affaire portée devant le Tribunal (la première affaire) », comme c’est le cas en l’espèce, « ces mesures […] continuent de s’appliquer mutatis mutandis dans toute autre affaire portée devant le Tribunal (la deuxième affaire ) », comme par exemple dans l’affaire Seselj et Margetic, « et ce, jusqu’à ce qu’elles soient annulées, modifiées ou renforcées selon la procédure exposée dans le présent article […]6 »,

ATTENDU que, selon l’article 75 G) i) du Règlement, l’Accusation, en tant que « partie à la deuxième affaire, qui souhaite obtenir l’annulation, la modification ou le renforcement de mesures ordonnées dans la première affaire », doit soumettre sa demande « à toute Chambre encore saisie de la première affaire, quelle que soit sa composition […] », ce qu’elle a fait par la voie de la Requête,

ATTENDU, par conséquent, que la Requête de l’Accusation a été portée justement devant la Chambre d’appel, Chambre saisie de la première affaire au sens de l’article  75 du Règlement,

ATTENDU que, dans sa Décision du 6 juin 1997, la Chambre de première instance a ordonné de façon générale « à l’accusé, ses avocats et leurs mandataires de ne […] divulguer au public ou aux médias ni le nom des témoins séjournant sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, ni quelque donnée permettant de les identifier, sous réserve des besoins rendus strictement nécessaires par la préparation de la défense ») et a aussi ordonné que des mesures de protection soient mises en œuvre par les deux parties afin d’assurer une protection satisfaisante des témoins en question7,

ATTENDU que du fait que des mesures de protection ont été ordonnées par la Décision du 6 juin 1997 à la suite de la divulgation de l’identité du Témoin et de la publication de sa déposition8 dans la presse croate, et que la Chambre a exprimé son souci quant à la sécurité des témoins « séjournant sur le territoire de l’ex-Yougoslavie » susceptibles d’être appelés à déposer devant elle dans le cadre du procès9, il va de soi que ces mesures de protection sont applicables au Témoin,

ATTENDU qu’à l’audience du 16 mars 1998, la Chambre de première instance a ordonné que le Témoin dépose à huis clos, donnant suite à la demande que l’Accusation , préoccupée par les risques considérables encourus par le Témoin et sa famille, avait présentée en ce sens (l’« Ordonnance du 16 mars 1998 »)10,

ATTENDU que, selon l’article 79 A) ii) du Règlement, « [l]a Chambre de première instance peut ordonner que la presse et le public soient exclus de la salle pendant tout ou partie de l’audience ») à titre de mesure de protection « pour assurer la sécurité et la protection d’une victime ou d’un témoin ou pour éviter la divulgation de son identité en conformité à l’article 75 ci-dessus […] »),

ATTENDU que la Chambre de première instance, par l’Ordonnance du 16 mars  1998, a bien accordé des mesures de protection en faveur du Témoin comme le permet l’article 79 du Règlement,

ATTENDU que, le 1er décembre 2000, la Chambre de première instance a ordonné qu’il soit mis un terme immédiat à la publication des déclarations ou des témoignages du Témoin et, en général, de tout témoin protégé, sous peine de poursuites pour outrage devant le Tribunal international, mais n’a accordé aucune autre mesure de protection11,

ATTENDU que l’Ordonnance du 1er décembre 2000 ne contient donc aucune mesure de protection susceptible de modification comme suite à la Requête de l’Accusation ,

VU l’argument de l’Accusation avancé dans la Requête, selon lequel les principaux éléments de preuve dans l’affaire d’outrage Seselj et Margetic sont des articles parus dans la presse croate qui mentionnent le Témoin par son nom en tant que témoin protégé en l’espèce et reproduisent des extraits de sa déposition à huis clos devant la Chambre de première instance12,

VU l’argument de l’Accusation selon lequel si les mesures de protection accordées au Témoin en l’espèce ne sont pas annulées, « il sera difficile pendant le procès [Seselj et Margetic] d’évoquer le contenu des articles en cause sans devoir plusieurs fois passer à huis clos ou à huis clos partiel et ce, afin de ne pas enfreindre les mesures de protection toujours en vigueur13  »,

ATTENDU en outre que, au dire de l’Accusation, le Témoin n’est pas opposé à la mesure demandée dans la Requête14 et souhaite, en fait, que cette mesure soit accordée par la Chambre d’appel,

ATTENDU qu’en application de l’article 78 du Règlement, la procédure devant une Chambre de première instance est publique, à moins que son déroulement à huis clos soit justifié,

ATTENDU qu’il n’existe aucune raison de maintenir les mesures de protection initialement ordonnées par la Décision du 6 juin 1997 et à l’audience du 16 mars  1998 en ce qui concerne le Témoin, compte tenu 1) du temps qui s’est écoulé et du stade où en est la procédure en l’espèce, 2) du fait que le Témoin a affirmé que les mesures de protection en question n’étaient plus nécessaires, et 3) du fait que passer constamment d’une audience publique à une audience à huis clos serait , dans ces conditions, inutilement astreignant pour la Chambre de première instance et les parties dans l’affaire d’outrage Seselj et Margetic,

PAR CES MOTIFS, en application de l’article 75 G) i) du Règlement, FAIT DROIT en partie à la Requête de l’Accusation et ORDONNE ce qui suit :

1) toutes les mesures de protection accordées par la Décision du 6 juin 1997 en ce qui concerne le témoin Stjepan Mesic sont annulées ;

2) toutes les mesures de protection accordées à l’audience du 16 mars 1998 en ce qui concerne le témoin Stjepan Mesic sont annulées ; et

3) le véritable nom du témoin Stjepan Mesic, le fait qu’il a déposé, ses déclarations à l’Accusation ainsi que les comptes rendus de sa déposition en l’espèce peuvent être mentionnés en public et pendant les audiences publiques.

REJETTE la Requête de l’Accusation pour le surplus15.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 24 janvier 2006
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
___________
Fausto Pocar

[Sceau du Tribunal international]


1 - Affaire n° IT-95-14-R77.3.
2 - Décision de la Chambre de première instance I sur les requêtes du Procureur des 12 et 14 mai 1997 en matière de protection des témoins, 6 juin 1997 (la « Décision du 6 juin 1997 »).
3 - Ordonnance rendue oralement par la Chambre de première instance aux fins de passer à huis clos, compte rendu confidentiel de l’audience du 16 mars 1998 (l’« Audience du 16 mars 1998 »).
4 - Ordonnance aux fins de mettre un terme immédiat à la violation des mesures de protection octroyées à des témoins, 1er décembre 2000 (l’« Ordonnance du 1er décembre 2000 »). La Chambre d’appel relève que l’Accusation, dans la Requête, mentionne par erreur la date du 2 décembre 2000 en ce qui concerne ladite ordonnance.
5 - Requête, p. 2 et par. 10 et 14.
6 - Guillemets internes non reproduits.
7 - Décision du 6 juin 1997, par. 10 et 12.
8 - Id., par. 10.
9 - Id., par. 10 et 12.
10 - Audience du 16 mars 1998, compte rendu p. 7079 à 7083 et 7088.
11 - Ordonnance du 1er décembre 2000, p. 3.
12 - Requête, par. 5, 7 à 9 et 12.
13 - Requête, par. 13.
14 - Requête, par. 13.
15 - La Chambre d’appel fait observer que du fait que la présente décision lève la confidentialité de l’Audience du 16 mars 1998 en ce qui concerne le Témoin, que la Décision du 6 juin 1997 et l’Ordonnance du 1er décembre 2000 n’ont pas été rendues à titre confidentiel, et que la confidentialité de la présente procédure aux fins d’examen a été levée le 5 décembre 2005, il n’est pas nécessaire de rendre la présente décision à titre confidentiel.