Affaire n° : IT-95-14-R77.2

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge O-Gon Kwon, Président
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
7 octobre 2005

LE PROCUREUR

c/

IVICA MARIJACIC
MARKICA REBIC

__________________________________________

DÉCISION RELATIVE AUX REQUÊTES POUR INCOMPÉTENCE INTRODUITES AUX FINS DU REJET DE L’ACTE D’ACCUSATION ET
ORDONNANCE FIXANT LA DATE D’UNE CONFÉRENCE DE MISE EN ÉTAT

__________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. David Akerson

Le Conseil d’Ivica Marijacic :

M. Marin Ivanovic

Le Conseil de Markica Rebic :

M. Kresmir Krsnik

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international ») est saisie de deux requêtes pour incompétence introduites par Ivica Marijacic et Markica Rebic (les « Accusés ») et rend la présente décision.

I. Rappel de la procédure

1. Dans l’acte d’accusation confirmé le 10 février 2005, les Accusés doivent répondre d’un chef d’outrage au Tribunal. Ivica Marijacic a déposé le 14 juin 2005 une demande de rejet de l’acte d’accusation en application de l’article 72 du Rcglement de procédure et de preuve (Defendant Ivica Marijacic’s Motion to Dismiss the Indictment Pursuant to Rule 72 of the Rules of Procedure and Evidence) et Markica Rebic a soulevé le 23 juin 2005 une exception préjudicielle aux fins de rejeter l’acte d’accusation (Preliminary Motion of the Accused Markica Rebic to Dismiss the Indictment) (toutes deux dénommées ci-après les « Demandes de rejet »).

2. Le 6 septembre 2005, la Chambre de première instance a rendu une Décision relative aux demandes de rejet de l’acte d’accusation et ordonnance relative aux demandes de modification de l’acte d’accusation (la « Décision relative aux demandes de rejet »), dans laquelle elle a d’abord débouté les Accusés des Demandes de rejet s’agissant des exceptions d’incompétence soulevées en application de l’article 72 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») et ce, en se fondant sur une décision rendue par la Chambre d’appel dans Le Procureur c/ Slobodan Milosevic-1-, et ensuite ordonné à l’Accusation de communiquer aux Accusés, le 9 septembre 2005 au plus tard, une copie de l’ordonnance ou des ordonnances que les Accusés auraient violées en particulier, en indiquant les parties en cause desdites ordonnances.

3. Le 9 septembre 2005, l’Accusation a déposé à titre confidentiel une réponse à la Décision relative aux demandes de rejet (Response to the Decision on Motions to Dismiss the Indictment and Order on Motions to Amend the Indictment). Le 15 septembre 2005, après avoir été saisie d’une demande de prorogation de délai présentée par Ivica Marijacic, la Chambre de premicre instance a rendu une ordonnance repoussant au 23 septembre 2005 la date limite qu’elle avait fixée pour le dépôt de toute réponse supplémentaire aux deux demandes d’autorisation de modifier l’acte d’accusation présentées par l’Accusation. Le 21 septembre 2005, Ivica Marijacic a déposé une réponse à la Décision relative aux demandes de rejet dans laquelle il s’opposait à la demande de modifier l’acte d’accusation présentée par l’Accusation, réponse qui contenait une requête en application de l’article 73 A) du Règlement aux fins du rejet de l’acte d’accusation pour incompétence ratione personae et pour incompétence ratione materiae (Defendant Ivica Marijacic’s Response to the Trial Chamber’s Order of 6 September 2005 Opposing the Prosecution’s Motion to Amend, and Motion Pursuant to Rule 73(A) to Dismiss the Indictment due to Lack of Personal Jurisdiction and Lack of Subject Matter Jurisdiction) (la « Réponse d’Ivica Marijacic »). Cette réponse contenait ainsi une nouvelle requête par laquelle la compétence du Tribunal était contestée, présentée cette fois en application de l’article 73 A) au lieu de l’article 72 du Règlement. Le 23 septembre 2005, Markica Rebic a déposé à titre confidentiel une réponse du même ordre aux demandes de modification de l’acte d’accusation présentées par l’Accusation et à la réponse de l’Accusation à la Décision relative aux demandes de rejet, réponse qui incluait elle aussi une requête en application de l’article 73 A) du Règlement aux fins de rejeter l’acte d’accusation pour incompétence ratione personae et pour incompétence ratione materiae (Response of the Accused Markica Rebic to the Prosecutor’s Motions to Amend and Prosecution’s Response to the Decision on the Motions to Dismiss the Indictment and Order on Motions to Amend the Indictment and Motion pursuant to Rule 73(A) to Dismiss the Indictment due to Lack of Personal Jurisdiction and Lack of Subject Matter Jurisdiction) (la « Réponse de Markica Rebic » ; les nouvelles requêtes qui sont comprises dans ces deux réponses et par lesquelles la compétence du Tribunal est contestée sont dénommées ci-après les « Requêtes pour incompétence »).

4. Le 27 septembre 2005, l’Accusation a déposé une réplique donnant suite à la Réponse d’Ivica Marijacic (Reply to the Defendant Marijacic’s Response to the Trial Chamber’s Order of 6 September 2005), réplique dans laquelle l’Accusation aborde aussi bien les questions soulevées par cet accusé en réponse aux deux demandes d’autorisation de modifier l’acte d’accusation qu’elle a présentées-2- que la nouvelle requête pour incompétence que celui-ci a introduite. Le même jour, l’Accusation a déposé une réplique similaire donnant suite à la Réponse de Markica Rebic (Reply to the Response of the Accused Markica Rebic to the Prosecutor’s Motions to Amend and Prosecution’s Response to the Decision on the Motions to Dismiss the Indictment and Order on Motions to Amend the Indictment and Motion pursuant to Rule 73(A) to Dismiss the Indictment due to Lack of Personal Jurisdiction and Lack of Subject Matter Jurisdiction) (ces écritures sont dénommées ci-après les « Répliques de l’Accusation »).

5. Le 29 septembre 2005, estimant que les parties des Répliques de l’Accusation qui concernaient les Requêtes pour incompétence étaient des réponses, Ivica Marijacic a déposé à titre confidentiel une réplique à l’appui de sa Requête pour incompétence (Defendant Ivica Marijacic’s Reply in Support of his Motion Pursuant to Rule 73(A) to Dismiss the Indictment due to Lack of Personal Jurisdiction and Lack of Subject Matter Jurisdiction) (la « Réplique d’Ivica Marijacic »). Il n’a pour ce faire présenté aucune demande d’autorisation à la Chambre de première instance-3-. Le 3 octobre 2005, l’Accusation a présenté une demande d’autorisation pour déposer une duplique (Reply to Defendant Ivica Marijacic’s Reply in Support of his Motion Pursuant to Rule 73(A) to Dismiss the Indictment due to Lack of Personal Jurisdiction and Lack of Subject Matter Jurisdiction) (la « Demande d’autorisation de déposer une duplique présentée par l’Accusation »). Le 4 octobre 2005, considérant lui aussi que les parties des Répliques de l’Accusation qui concernaient les Requêtes pour incompétence étaient des réponses, Markica Rebic a déposé à titre confidentiel une réplique (Reply of the Accused Markica Rebic to the Prosecutor’s Reply to Motion Pursuant to Rule 73(A) to Dismiss the Indictment due to Lack of Personal Jurisdiction and Lack of Subject Matter Jurisdiction) (la « Réplique de Markica Rebic »). Il n’a pas demandé l’autorisation de déposer cette réplique, mais il « prie la Chambre de première instance de bien vouloir la prendre en considération dans sa décision » relative aux Requêtes pour incompétence.

II. Arguments des parties

A. La Défense

6. L’argument fondamental mis en avant par les Accusés dans leurs Demandes de rejet initiales, puis dans leurs Requêtes pour incompétence, est que la présente espèce ne relève ni de la compétence ratione personae du Tribunal puisqu’ils ne sont pas présumés responsables de violations graves du droit international humanitaire, ni de sa « compétence incidente ou accessoire » puisqu’ils n’ont violé aucune ordonnance particulière rendue par une Chambre à leur endroit. Ils soutiennent que la présente espèce ne relève pas non plus de la compétence ratione materiae du Tribunal puisque l’acte d’accusation ne mentionne aucune ordonnance que leur aurait adressée la Chambre qui était saisie de l’affaire Blaskic, affaire dans laquelle ils sont supposés avoir commis un outrage au Tribunal.

7. Dans sa Requête pour incompétence, Ivica Marijacic présente en particulier les arguments suivants :

1) L’Accusation ne peut alléguer qu’il a violé l’ordonnance rendue le 6 juin 1997 dans l’affaire Blaskic puisqu’il n’était pas un « mandataire » de l’équipe de la Défense ;

2) Il n’a pas violé l’ordonnance du 16 décembre 1997 prévoyant que le témoin en question déposerait à huis clos puisqu’il n’a jamais publié le compte rendu de cette déposition ; en outre, il est clair que cette ordonnance orale était destinée à l’équipe de la Défense de Tihomir Blaskic, et elle ne pouvait pas s’appliquer dans son cas puisqu’elle ne lui avait jamais été adressée ni notifiée ; le Tribunal ne peut étendre sa compétence à des personnes qui ne sont pas des parties aux procès engagés devant lui, à moins qu’il ne leur ait expressément adressé une ordonnance particulière ;

3) L’Accusation n’a pas établi qu’il avait reçu notification de l’ordonnance du 1er décembre 2000, ni qu’il en connaissait la teneur, ni qu’il s’estimait personnellement lié par celle-ci ; il n’a pu enfreindre l’article 77 A) ii) du Règlement puisque cette ordonnance ne le concernait pas et qu’elle ne lui avait pas été personnellement notifiée ;

4) Dans l’affaire Blaskic, la Chambre de première instance a rendu l’ordonnance du 1er décembre 2000 précisément parce que les ordonnances antérieures portant mesures de protection n’étaient contraignantes que pour l’équipe de la Défense ;

5) Il ne relève pas de la compétence ratione personae du Tribunal puisque l’Accusation n’a pas démontré que la Chambre Blaskic lui avait adressé une ordonnance qu’il avait violée par la suite ;

6) Il est justifié que la Chambre de première instance statue sur les Requêtes pour incompétence avant l’ouverture du procès puisque les faits en cause sont incontestés et qu’il s’agit ici d’une question de droit.

8. Dans sa Réplique, Ivica Marijacic apporte d’autres arguments, à savoir :

7) L’Accusation n’a pas établi que le témoin dont l’identité et la déclaration ont été divulguées était un témoin « protégé » et la publication de ces informations ne peut donc être constitutive d’un outrage ;

8) L’article 73 A) du Règlement a un champ d’application bien plus large que celui de l’article 72 D) et permet de remettre en question la compétence du Tribunal.

9. Dans sa Requête pour incompétence, Markica Rebic affirme en outre ce qui suit :

1) Il conteste le fait que l’Accusation le considère comme un « mandataire » de l’équipe de la Défense de Tihomir Blaskic, et déclare en conséquence que l’ordonnance rendue le 6 juin 1997 par la Chambre Blaskic ne s’applique pas dans son cas ;

2) L’ordonnance orale du 16 décembre 1997 prévoyant que les débats se poursuivent à huis clos était exclusivement adressée aux intervenants dans le procès Blaskic ;

3) Il n’a jamais reçu notification de l’ordonnance du 1er décembre 2000 et n’en savait absolument rien.

10. Dans sa Réplique, Markica Rebic avance en outre que sa Requęte pour incompétence a été déposée en application de l’article 73 A) et qu’elle ne peut donc pas être assimilée à une exception préjudicielle.

B. L’Accusation

11. En réponse aux Requêtes pour incompétence, l’Accusation soutient que :

a) La Chambre de première instance a déjà rejeté les revendications de compétence dans sa Décision relative aux demandes de rejet ;

b) La Chambre d’appel a jugé que les mises en cause de la compétence du Tribunal n’ont pas lieu d’être dans les procédures engagées pour outrage ;

c) L’article qu’a publié Ivica Marijacic dans le journal Hrvatski List montre que celui-ci savait qu’une ordonnance concernant tous les témoins existait dans l’affaire Blaskic, et les questions relatives au caractère suffisant ou non des éléments de preuve doivent être tranchées au procès.

III. Le Règlement

12. L’article 72 régit les exceptions préjudicielles et dispose que :

A) Les exceptions préjudicielles, à savoir :

i) l’exception d’incompétence,

ii) l’exception fondée sur un vice de forme de l’acte d’accusation,

iii) l’exception aux fins de disjonction de chefs d’accusation joints conformément à l’article 49 ci-dessus ou aux fins de disjonction d’instances conformément au paragraphe B) de l’article 82 ci-après ou

iv) l’exception fondée sur le rejet d’une demande de commission d’office d’un conseil formulée aux termes de l’article 45 C),

doivent être enregistrées par écrit et au plus tard trente jours après que le Procureur a communiqué à la défense toutes les pièces jointes et déclarations visées à l’article 66 A) i). La Chambre se prononce sur ces exceptions préjudicielles dans les soixante jours suivant leur dépôt et avant le début des déclarations liminaires visées à l’article 84 ci-après.

[…]

D) Aux fins des paragraphes A) i) et B) i) supra, l’exception d’incompétence s’entend exclusivement d’une objection selon laquelle l’acte d’accusation ne se rapporte pas :

i) à l’une des personnes mentionnées aux articles 1, 6, 7 et 9 du Statut,

ii) aux territoires mentionnés aux articles 1, 8 et 9 du Statut,

iii) à la période mentionnée aux articles 1, 8 et 9 du Statut,

iv) à l’une des violations définies aux articles 2, 3, 4, 5 et 7 du Statut.

13. L’article 73 régit les autres requêtes et dispose que :

A) Chacune des parties peut, à tout moment après que l’affaire a été attribuée à une Chambre de première instance, saisir celle-ci d’une requête, autre qu’une exception préjudicielle, en vue d’une décision ou pour obtenir réparation. Les requêtes peuvent être écrites ou orales au gré de la Chambre de première instance.

[…]

IV. Discussion

14. Étant donné que la Chambre de première instance a débouté les Accusés des exceptions d’incompétence qu’ils ont soulevées dans leurs Demandes de rejet, il se pose la question procédurale de savoir s’ils peuvent à nouveau présenter ces mêmes moyens en invoquant l’article 73 du Règlement. Dans les affaires dont le Tribunal connaît habituellement, c’est-à-dire dans lesquelles les accusés sont présumés responsables de violations graves du droit international humanitaire, les exceptions d’incompétence sont soulevées et tranchées avant l’ouverture du procès, conformément aux dispositions de l’article 72 du Règlement. Cependant, la Chambre d’appel a dit que cet article, et notamment son paragraphe D) qui régit les exceptions préjudicielles d’incompétence, n’est pas applicable aux procédures engagées pour outrage. On pourrait donc en déduire à première vue que les personnes accusées d’outrage ne peuvent contester la compétence du Tribunal à les juger, mais cette possibilité est pourtant donnée dans certains cas que n’envisage pas l’article 72 D). Dans l’affaire Le Procureur c/ Dragan Nikolic par exemple, l’accusé a invoqué l’article 73 pour contester la compétence du Tribunal en raison de l’illégalité présumée de son arrestation et de son transfèrement-4-. Il est donc possible, dans certains cas de figure sortant du champ d’application de l’article 72, de contester la compétence du Tribunal en se fondant sur le droit plus général de saisir à tout moment la Chambre d’une requête, comme le prévoit l’article 73.

15. Par conséquent, la Chambre de première instance va se livrer à un examen des Requêtes pour incompétence afin de déterminer si elles donnent bien lieu à de véritables mises en cause de la compétence du Tribunal.

16. Les Accusés contestent aussi bien la compétence ratione personae que la compétence ratione materiae du Tribunal. L’argument fondamental qu’ils opposent dans les deux cas est le même : ils n’ont reçu aucune ordonnance contraignante qu’ils auraient ensuite violée en connaissance de cause, se rendant ainsi coupables d’outrage au Tribunal. La question qui se pose est donc de savoir si l’absence alléguée d’une telle ordonnance peut effectivement servir de fondement pour contester la compétence ratione personae et/ou la compétence ratione materiae du Tribunal.

17. En ce qui concerne la compétence ratione materiae, il est tout à fait évident que la réponse est négative. Par définition, le Tribunal a compétence ratione materiae lorsque le crime reproché participe de ceux dont il est chargé de poursuivre et de punir les auteurs. Quand il s’agit de violations graves du droit international humanitaire, le crime reproché doit bel et bien cadrer avec les dispositions pertinentes du Statut. Dans le cas d’outrages, la compétence ratione materiae du Tribunal, donc le pouvoir de poursuivre et de punir les auteurs de telles infractions, est bien établie. On se doit de souligner ici que l’infraction en question est un « outrage », et que les actes reprochés aux Accusés, à savoir la divulgation de certaines informations, constituent un mode de perpétration de l’outrage plutôt que l’infraction même. D’après l’article 77 A) du Règlement, toute personne qui entrave délibérément et sciemment le cours de la justice se rend coupable d’outrage, et la liste des modes de perpétration énumérés aux alinéas i) à v) n’est pas exhaustive. Il s’ensuit donc que la question de la compétence ratione materiae est étroitement liée à celle du pouvoir qu’a le Tribunal de poursuivre les auteurs de l’outrage en l’espèce, la question de savoir si l’élément matériel et l’élément moral des modes de perpétration sous-jacents sont établis ou non devant être tranchée au procès.

18. En ce qui concerne la compétence ratione personae, là aussi les Accusés confondent dans leurs arguments la compétence à juger les auteurs allégués de l’outrage avec l’établissement des éléments constitutifs du mode de perpétration sous-tendant l’infraction. Une remise en cause de la compétence ratione personae se traduit par la question de savoir si le Tribunal a le pouvoir de poursuivre la personne ou la catégorie de personnes présumée responsable d’une infraction pour outrage. Or, ce pouvoir ne se limite pas aux parties ni à aucune catégorie de personnes. Il s’étend au contraire à toute personne qui entrave délibérément et sciemment le cours de la justice-5-.

19. Lorsque, comme dans la présente affaire, une personne est accusée d’outrage sur la base du mode de perpétration sous-jacent qu’est la divulgation d’informations en violant en connaissance de cause une ordonnance, les questions de savoir s’il existait une telle ordonnance et si l’accusé en avait connaissance sont tranchées lorsqu’il s’agit d’établir l’élément matériel et l’élément moral dudit mode de perpétration. Par conséquent, il convient d’examiner et de trancher ces questions au procès, et elles ne peuvent servir de fondement pour contester la compétence ratione personae du Tribunal.

20. Cette analyse est étayée par la définition de la compétence que donne le Black’s Law Dictionary dans sa 6e édition, définition que la Chambre d’appel cite dans l’arrêt relatif à la compétence rendu dans l’affaire Tadic : « SLa compétenceC est le pouvoir d’un tribunal de statuer sur un litige et présuppose l’existence d’une cour dûment constituée dotée du contrôle sur la compétence matérielle et les Parties-6-. » Il ressort de cette définition que la question pertinente en matière de compétence est celle de savoir si cette cour exerce un contrôle, d’une part, sur l’infraction (l’outrage) et, d’autre part, sur les accusés (peut-on les poursuivre pour outrage, ou bien le pouvoir de la cour est-il limité à certaines personnes ou catégories de personnes définies, par exemple, en fonction de leur nationalité ?). À la lumière de cette analyse, il ne peut y avoir aucun doute quant à la compétence ratione personae et à la compétence ratione materiae du Tribunal.

III. Dispositif

21. En application de l’article 126 bis du Règlement, la Chambre de première instance ACCUEILLE la Demande d’autorisation de déposer une duplique présentée par l’Accusation.

22. En application des articles 73 et 54 du Règlement, la Chambre de première instance REJETTE les Requêtes pour incompétence.

23. En application de l’article 54 du Règlement, la Chambre de première instance CONVOQUE en l’espèce une conférence de mise en état pour le 26 octobre 2005 à 15 heures.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance

_______________
O-Gon Kwon

Le 7 octobre 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, affaire n° IT-02-54-A-R77.4, Décision relative à l’appel interlocutoire concernant les poursuites engagées contre Kosta Bulatovic pour outrage, 29 août 2005.
2. Le 23 juin 2005, l’Accusation a déposé une demande d’autorisation pour modifier l’acte d’accusation (Motion for Leave to Amend the Indictment) qui était en partie une réponse à la demande de rejet de l’acte d’accusation qu’avait déposée Ivica Marijacic. Le 29 aoűt 2005, l’Accusation a déposé une seconde demande d’autorisation pour modifier l’acte d’accusation (Second Motion for Leave to Amend the Indictment).
3. Dans la mesure où les Répliques de l’Accusation ont trait aux Requêtes pour incompétence, elles devraient être considérées comme des réponses auxdites Requêtes. Normalement, une partie souhaitant déposer une réplique supplémentaire doit, en application de l’article 126 bis du Règlement, en présenter la demande à la Chambre de première instance. Même si l’article 126 bis ne fait pas partie d’une section du Règlement qui s’applique mutatis mutandis aux procédures pour outrage en application de l’article 77 E), les parties ont occasionnellement présenté des demandes d’autorisation pour déposer des répliques, demandes que la Chambre a d’ailleurs accueillies. La Chambre considère que dans les affaires pour outrage il est approprié de présenter de telles demandes, comme c’est le cas dans les affaires principales dont le Tribunal connaît habituellement.
4. Le Procureur c/ Dragan Nikolic, affaire n° IT-94-2-AR72, Décision relative à l’acte d’appel, 9 janvier 2003.
5. Voir par exemple Le Procureur c/ Beqa Beqaj, affaire n° IT-03-36-R77, Jugement relatif aux allégations d’outrage, dans lequel l’accusé a été reconnu coupable d’outrage au Tribunal alors qu’il n’était une partie dans aucune procédure engagée devant le Tribunal.
6. BLACK’S LAW DICTIONARY, 712 (6e éd., 1990), cité dans Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-AR72, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2 octobre 1995, par. 10.