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1 Le mercredi 3 octobre 2007
2 [Audience publique]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 17.
6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Désolé de commencer en retard.
7 Bon après-midi à tous.
8 Madame la Greffière, pourriez-vous, s'il vous plaît, citer l'affaire.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour. Il s'agit de l'affaire IT-04-
10 83-T, le Procureur contre Rasim Delic.
11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
12 Pourrions-nous maintenant avoir les présentations. L'Accusation d'abord.
13 M. MUNDIS : [interprétation] Bonjour à tous.
14 Pour l'Accusation Daryl Mundis et Kyle Wood, aidés d'Alma Imamovic,
15 notre commis aux affaires.
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
17 Qu'en est-il de la Défense.
18 Mme VIDOVIC : [interprétation] Bonjour à tous dans le prétoire.
19 Je suis Vasvija Vidovic, aidée de Nicholas Robson, pour le compte du
20 général Rasim Delic. Et nous sommes aidés de Mme Lana Deljkic, notre commis
21 aux affaires.
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
23 Bonjour, Monsieur Marinkovic.
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.
25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pourriez-vous lever, s'il vous plaît,
26 et faire la déclaration solennelle.
27 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
28 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
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1 LE TÉMOIN: KRSTAN MARINKOVIC [Assermenté]
2 [Le témoin répond par l'interprète]
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Vous pouvez vous asseoir.
4 Monsieur Wood, c'est à vous.
5 M. WOOD : [interprétation] Merci.
6 Interrogatoire principal par M. Wood :
7 Q. [interprétation] Monsieur Marinkovic, pourriez-vous, s'il vous plaît,
8 donner votre nom et prénom en entier ?
9 R. Oui. Krstan Marinkovic. Je suis né dans le village de Krcevine,
10 municipalité de Prnjavor, le 18 janvier 1947.
11 Q. Quel est le nom de votre père, s'il vous plaît ?
12 R. Petar. Petar Marinkovic.
13 Q. Et le nom de votre mère ?
14 R. Mladja.
15 Q. Quelle est votre appartenance ethnique, s'il vous plaît ?
16 R. Je suis Serbe.
17 Q. Que faites-vous à l'heure actuelle ?
18 R. Je suis agriculteur.
19 Q. Monsieur Marinkovic, en juillet 1995, étiez-vous déjà agriculteur ?
20 R. Oui, agriculteur depuis que je suis né.
21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Avez-vous entendu la question,
22 Monsieur Marinkovic ? On vous a demandé si "en juillet 1995" vous étiez
23 déjà agriculteur ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais oui, tout à fait. En
25 juillet 1995, j'étais aussi agriculteur.
26 M. WOOD : [interprétation]
27 Q. Monsieur Marinkovic, je vais vous poser des questions maintenant à
28 propos de ce qui s'est passé en juillet 1995.
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1 Où vous trouviez-vous en juillet 1995 ?
2 R. En juillet 1995, j'étais en esclavage, donc vers le
3 13 juillet, j'ai quitté la maison.
4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Désolé, Monsieur Wood, puisque
5 l'interprétation a dit "le 13 juin" alors que sur le compte rendu il est
6 écrit "le 13 juillet."
7 M. WOOD : [interprétation] Je vais voir ce qui se passe.
8 Q. Vous nous avez dit qu'en juillet 1995 vous étiez "en esclavage," et le
9 13 juillet de cette année vous aviez quitté votre maison. C'est ce qui est
10 écrit au compte rendu. Pouvez-vous nous expliquer cela ?
11 R. J'ai été capturé le 21 juillet 1995. C'est le
12 21 juillet 1995 que j'ai été capturé.
13 Q. Très bien. Pouvez-vous nous dire où vous avez été capturé le 21 juillet
14 ?
15 R. A Ozren, très exactement à Krcevine.
16 Q. Juste pour que nous soyons parfaitement au clair, pouvez-vous nous dire
17 de quelle année il s'agissait ?
18 R. C'était le 21 juillet 1995.
19 Q. Que faisiez-vous à Krcevine lorsque vous avez été capturé ?
20 R. J'étais soldat, soldat de la République Serbe et j'ai été sur la ligne
21 de front. Je n'ai absolument pas été sur la ligne de front de mon propre
22 gré. On m'y a envoyé.
23 Q. Depuis combien de temps étiez-vous à cet endroit-là, avant le 21
24 juillet 1995 quand vous avez été capturé ?
25 R. Comment vous dire. Depuis le 30 juin 1995, du 30 juin 1995 jusqu'au 21
26 juillet 1995. J'ai quitté mon domicile le 30 juin 1995 et j'ai été fait
27 prisonnier le 21 juillet 1995.
28 Q. vous dites qu'on vous a envoyé sur la ligne de front. Pouvez-vous nous
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1 dire qui vous a envoyé sur la ligne de front ?
2 R. La police.
3 Q. De quelle police s'agissait-il ?
4 R. La police de la Republika Srpska.
5 Q. Quand vous êtes arrivé sur la ligne de front, pouvez-vous nous dire
6 dans quelle unité vous avez servi ?
7 R. La Brigade légère de Prnjavor.
8 Q. Quel était votre poste au sein de cette Brigade légère de Prnjavor
9 entre le 30 juin 1995 au 21 juillet 1995 ?
10 R. On m'a envoyé dans une tranchée. J'étais dans une tranchée. Voilà. Mon
11 poste était dans une tranchée.
12 Q. Pourriez-vous nous décrire cette tranchée, s'il vous plaît. Pouvez-vous
13 nous dire déjà dans quelle direction vous étiez posté dans cette tranchée ?
14 R. Mais je peux vous dire la façon dont j'ai vécu la chose, j'imagine que
15 j'étais sans doute face à l'ouest. Je pense que cette tranchée était face à
16 l'ouest, en face de Podsijelovo.
17 Q. Pouvez-vous nous dire ce qu'est Podsijelovo ?
18 R. C'est une espèce de montagne, à ma connaissance. C'est un endroit,
19 Postjelevo.
20 Q. Je vais poser encore des questions à propos de ce qui s'est passé
21 exactement le 21 juillet. Etiez-vous dans la tranchée le
22 21 juillet 1995 ?
23 R. Bien, pour ce qui est du 21. Le soir du 21, nous étions dans la
24 tranchée. Le 21 on se, plus ou moins, promenait dans les bois en essayant
25 de s'en sortir puisque j'avais extrêmement peur.
26 Q. Très bien. Je vais vous poser des questions peut-être un peu plus
27 précises. Pourriez-vous me dire déjà à quelle heure vous vous êtes réveillé
28 le 21 juillet 1995 ?
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1 R. Vers 3 heures 30 du matin.
2 Q. Pourquoi vous êtes vous réveillé aussi tôt ?
3 R. Parce que quelqu'un m'a réveillé. Il m'a dit qu'on avait été attaqués.
4 Q. Qu'avez-vous vu lorsque vous vous êtes réveillé ?
5 R. Je n'ai pas vu grand-chose. Je n'étais pas sur la ligne de front.
6 J'étais là uniquement depuis 19 jours, voire à peine, donc c'est les autres
7 qui m'ont dit qu'on venait d'être attaqués. Ensuite, les tirs ont commencé.
8 Les tirs se sont intensifiés. Puis, quelqu'un avait été blessé au-dessus de
9 ma tranchée, quelqu'un était en train de gémir, en train de faire je ne
10 sais quoi, et quelqu'un a dit : "Il faut courir. Fuyez, fuyez." Alors j'ai
11 fui.
12 Q. Vous nous avez dit que les tirs ont commencé. Pouvez-vous nous dire
13 d'où venaient les tirs ?
14 R. Plutôt vers ma tranchée et les tirs venaient de Podsijelovo, dans notre
15 direction.
16 Q. Les tirs passaient la ligne de front et arrivaient sur votre tranchée;
17 c'est bien cela ?
18 R. Oui, oui, oui. Les tirs étaient très proches et venaient de la gauche.
19 Q. Oui, mais est-ce que ces tirs venaient du territoire aux mains de
20 l'ennemi ?
21 R. Non, pas à ce moment-là. Quant à plus tard, je n'en sais rien. Tout
22 était assez confus déjà. On savait vraiment pas à ce qui se passait, qui
23 faisait quoi.
24 Q. Revenant en arrière, vous avez entendu quelqu'un dire "Fuyez, fuyez."
25 Pouvez-vous dire si c'est ce qui vous a décidé à fuir et à vous enfuir en
26 courant ?
27 R. Mais oui, bien sûr. Qu'est-ce que vous voulez que je
28 fasse ? On courait tous. Les autres couraient, mais j'ai couru aussi.
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1 Q. Vous avez peur de quoi si vous ne vous enfuyiez pas ?
2 R. J'avais peur de me faire tuer.
3 Q. Après les tirs, quand les tirs ont commencé, pouvez-vous nous dire où
4 vous vous êtes enfui ? Dans quelle direction vous avez couru ?
5 R. J'ai couru vers notre poste de commandement.
6 Q. Quelle était la distance entre votre tranchée et le poste de
7 commandement ?
8 R. Pas très loin. Disons, peut-être 100 mètres à vol d'oiseau. Mais sur le
9 terrain, ça faisait 100, 300, 400 mètres. Je ne sais pas exactement.
10 Q. Qu'avez-vous fait une fois que vous êtes arrivé au poste de
11 commandement ?
12 R. Je me suis rendu compte que tout le monde courait, alors j'ai continué
13 à courir. J'ai dépassé le poste de commandement et je suis allé dans les
14 bois. Il y avait un voisin qui était avec moi, Petko Maric qui, alors que
15 j'étais dans la tranchée, lui était au poste de commandement, donc on s'est
16 plus ou moins rejoint. On a couru ensemble vers les bois et il a dit : "On
17 va rentrer à la maison. Mais depuis l'opération, je ne sais pas si j'aurais
18 pu réussir à retrouver la maison puisque je ne savais même pas où j'étais.
19 Je ne savais pas où j'allais, je ne connaissais pas du tout la zone. Je
20 n'avais aucune idée d'où était la maison.
21 Q. Je voudrais clarifier quelque chose avec vous. Dans le compte rendu
22 vous venez de dire qu'on vous a dit de rentrer chez
23 Vous. Qu'est-ce que ça veut dire ?
24 R. Oui, mais si quelqu'un m'avait dit : "Krstan, rentre chez toi," quand
25 j'étais dans les tranchées, je n'aurais même pas pu réussir à trouver la
26 direction de ma maison. Je ne savais pas où j'étais.
27 Q. Merci. Quand vous couriez dans les bois, vous étiez seul ?
28 R. Non, j'étais avec Petko Maric, un voisin.
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1 Q. Dans quelle direction vous êtes-vous enfui vers les bois ?
2 R. Je n'en ai aucune idée, vraiment aucune idée. Je n'ai aucune idée de
3 l'endroit vers lequel on s'est enfui. Vozuca ? Je ne sais pas ce qui était
4 devant nous. Je ne savais pas où j'étais. On courait dans les bois, on
5 n'avait aucune idée de l'endroit où on allait. Ensuite on a rencontré ce
6 Tosic, Velibor Tosic. Alors on était maintenant à trois; il y avait Tosic,
7 Maric et moi. On a passé, les trois, la journée entière à errer dans les
8 bois, puis au soir on s'est décidé qu'il fallait qu'on se rendre …
9 Q. Vous nous dites que le soir où vous avez dit que la seule solution
10 c'était de vous rendre, vous êtes vous bel et bien rendus ?
11 R. Oui, on s'est rendu. Vers 19 heures 30, 19 heures ou
12 19 heures 30. Je n'avais pas de montre. Si, si, j'avais une montre, mais
13 elle était prise, après. J'imagine que ça devait être vers
14 sept heures et demie du soir.
15 Q. Où vous trouviez-vous quand vous avez décidé de vous
16 rendre ?
17 R. On errait. On errait dans les bois. Je ne sais absolument pas où on
18 était arrivé. A Kcrevine, où il y avait notre ancien poste de commandement,
19 et depuis les bois on voyait le poste de commandement. Il y avait des
20 soldats qui se promenaient à droite à gauche. Il y avait des mouvements de
21 soldats. Certains étaient à cheval. Il y avait aussi des chevaux qui
22 battaient, qui portaient plusieurs choses. On observait un peu tout ça, en
23 se demandant : "Quoi faire ?" Je n'étais pas très optimiste quant à notre
24 reddition, mais voici ce qui s'est passé.
25 Petko a dit : "Allez, rendons-nous.". J'ai dit : "Non, non. Je ne pense pas
26 que ce soit une bonne idée. Si on se rend, on va nous torturer, puis on va
27 nous tuer." On ferait mieux -- enfin, je n'avais pas d'arme. J'avais un
28 fusil à un moment ou à un autre, mais je l'ai perdu, parce que j'ai
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1 trébuché sur une racine d'arbre. J'avais une grenade, alors quand même j'ai
2 décidé de me tuer, mais Petko a dit : "Non, il ne faut pas." Tosic a dit :
3 "Krle, on fera ce que tu penses qui est le mieux," ce qui veut dire qu'il
4 était d'accord avec moi. Mais Petko, lui, voulait absolument qu'on se rende
5 : "On survivra, on survivra." Puis après on ne savait pas. On a hésité sans
6 arrêt, on se rendait, on ne se rendait pas. On était au milieu des bois, on
7 errait. On s'est précipité vers un champ, puis ils nous ont vus -- on les a
8 vu arriver et nous, on a mis les mains sur la tête, puis on s'est dirigé
9 vers eux.
10 Ils nous ont encerclés. Ils ont commencé à nous battre, à nous
11 frapper avec leurs pieds. Tout ça se passait là ou il y avait notre poste
12 de commandement. Ensuite, ils nous ont dit de nous allonger par terre. Ils
13 nous ont attaché les mains derrière le dos. Ils nous ont donné des coups de
14 pied. Ils nous ont battus. Il y avait de la poussière partout. Je ne
15 voulais pas lever la tête, parce que je ne voulais pas respirer la
16 poussière, et un soldat a pris ma tête violemment et la réenficher dans le
17 sol, dans la poussière. A ce moment-là, il y avait deux Moudjahidines et un
18 Bosnien qui nous ont -- on leur a demandé de partir --
19 Voulez-vous que je vous en parle, que je vous dise exactement ce qui
20 s'est passé après que nous nous soyons rendus ?
21 Q. Oui, j'allais vous poser des questions à ce propos, mais
22 j'aimerais revenir à quelque chose que vous venez de dire.
23 Vous nous avez dit que vous étiez encerclés aussitôt que vous êtes
24 sortis de la forêt dans le champ. On vous a encerclés. Est-ce que vous
25 savez exactement par qui vous avez été encerclés ?
26 R. On est sorti du bois. Ils étaient près de notre poste de commandement.
27 Ils ont couru vers nous, et nous, on a marché vers eux. Ils nous ont
28 encerclés, et là, ils ont commencé à nous battre immédiatement, à nous
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1 frapper. Tout ça c'est passé près de notre poste de commandement.
2 Q. Vous dites, "ils, "ils," mais qui sont ces "ils ?"
3 R. Ceux qui nous ont capturés. C'est d'eux que je parle. Les Musulmans de
4 Bosnie et les Moudjahidines, c'est eux. C'était certainement pas ceux de
5 mon camp.
6 Q. Quand vous nous dites "les Musulmans de Bosnie et les Moudjahidines,"
7 pourriez-vous nous dire comment vous arrivez à faire la différence entre un
8 Musulman de Bosnie et un Moudjahidine ?
9 R. C'est facile. Il y en avait qui étaient plutôt très foncés de peau, les
10 autres étaient plutôt bleus, mais je n'ai jamais vu de Musulmans noirs.
11 Q. Le compte rendu dit : "Ils étaient plutôt bleus." Qu'est-ce que ça veut
12 dire ?
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Sur le compte rendu il est écrit : "Il
14 y en avait qui étaient plus noirs et d'autres qui étaient plus bleus."
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est la différence. On pourrait dire
16 qu'il y en avait qui étaient blancs et d'autres qui étaient noirs. Je ne
17 sais pas comment expliquer. Je ne vois pas comment vous expliquer ça
18 autrement. Il y en avait des --
19 M. WOOD : [interprétation]
20 Q. Pourriez-vous nous dire, dans le groupe de personnes que vous avez
21 vues, combien, selon vous, étaient des Moudjahidines et combien étaient des
22 Musulmans de Bosnie, pour nous donner une proportion ?
23 R. Environ 50/50. Je n'ai pas eu le temps de compter. Je n'avais pas la
24 tête à ça.
25 Q. Quand les soldats vous ont encerclés et vous ont capturés, est-ce que
26 vous avez entendu ce qu'ils disaient ?
27 R. Ils nous injuriaient, en injuriant notre mère chetnik, disant qu'ils
28 allait nous tuer. Quand on est sorti du bois, il y avait des haut-parleurs,
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1 puisqu'ils utilisaient des haut-parleurs, ils nous ont dit de nous rendre,
2 ensuite c'est pour ça qu'on est sorti, parce qu'on s'est dit qu'on allait
3 peut-être être échangés contre des Musulmans de Srebrenica.
4 Q. Avez-vous entendu ce que disaient les Moudjahidines ?
5 R. Oui, on entendait ce qu'ils disaient, mais on ne comprenait rien.
6 Q. Au cours de votre reddition, avez-vous été blessé ?
7 R. Oui. J'ai été frappé avec une crosse de fusil ici. J'ai encore la
8 marque d'ailleurs. Puis j'ai une lèvre qui a éclaté, puis quelqu'un m'a
9 frappé sur la tête avec un canon de fusil, et je n'aimais pas trop qu'ils
10 me frappent, mais ils ont continué à me frapper.
11 Q. Pour le compte rendu, je tiens à dire que lorsque le témoin a dit qu'il
12 avait été frappé "ici," il a porté sa main droite vers l'arrière de son
13 crâne.
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pourriez-vous me dire qu'est-ce qu'il
15 a pensé ?
16 M. WOOD : [interprétation]
17 Q. Oui, Monsieur Marinkovic, vous me dites que vous aviez fait une
18 hypothèse sur ce qui se passait. Pouvez-vous me dire exactement ce que vous
19 vouliez dire lorsque vous parliez de cette fameuse hypothèse ?
20 R. Je pensais que quelqu'un allait les arrêter, les empêcher de nous
21 frapper, mais que quelqu'un a frappé quelqu'un d'autre et c'est pour ça que
22 j'ai été frappé, parce que je n'ai pas été frappé directement, parce qu'il
23 devait en fait se pencher au-dessus de quelqu'un pour essayer de me
24 frapper. Parce que quelqu'un voulait s'interposer, finalement il n'a pas
25 réussi à s'interposer.
26 M. WOOD : [interprétation] Pourrions-nous montrer, s'il vous plaît, au
27 témoin, la pièce 06072. J'indique pour le compte rendu d'audience qu'il
28 s'agit d'une séquence vidéo.
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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Wood, P06 ?
2 M. WOOD : [interprétation] Oui, P06072. Le numéro ERN se termine par 5672.
3 [Diffusion de la cassette vidéo]
4 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
5 "Allez, allez-y. Par ici, de ce côté de la route. C'est là qu'il faut
6 venir, de ce côté. Par là, par là. Allez, avancez."
7 Une personne parle une langue étrangère, sans doute de l'arabe. "Et
8 Baride [phon], rien encore, rien. Et où ?"
9 L'homme parle une langue étrangère.
10 "Viens par ici. Un sourire."Allez. Oui, toi, toi. C'est à toi qu'on
11 parle. Un sourire. Fais un sourire, toi. T'es en plein milieu."
12 Et un homme parle une langue étrangère.
13 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
14 M. WOOD : [interprétation]
15 Q. Monsieur Marinkovic, est-ce que vous reconnaissez les hommes que l'on
16 voit sur ces images vidéo ?
17 R. Oui. Il s'agit de Krstan Marinkovic. C'est bien de moi. Petko Maric et
18 Velibor Tosic.
19 Q. Pour le compte rendu d'audience, j'indique à la fin de la séquence on
20 voyait trois hommes alignés. Lequel d'entre eux était vous ?
21 R. Celui qui est au milieu.
22 Q. Qui était la personne qui se trouvait sur la droite quand on fait face
23 à l'écran ?
24 R. Petko Maric.
25 Q. Pourriez-vous décrire pour le compte rendu d'audience quelle était la
26 tenue que portait Petko Maric sur ces images de la séquence vidéo ?
27 R. Les vêtements qu'il portait ? Il portait un pull-over et des pantalons
28 SNB [phon] de couleur vert olive.
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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Robson.
2 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Président, pendant l'exercice
3 auquel nous sommes en train de procéder, je me demandais s'il serait
4 possible de replacer les images de la vidéo sur l'écran et de faire un
5 arrêt sur image sur le cliché dont nous sommes en train de parler. C'est
6 une proposition de ma part simplement.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup. J'allais demander la
8 même chose, mais je pensais que M. Wood souhaitait obtenir quelque chose
9 avant que le témoin ne regarde les images.
10 Est-ce que vous seriez d'accord pour faire droit à cette demande ?
11 M. WOOD : [interprétation] Oui, oui, c'est une proposition tout à fait
12 excellente. Je vois que le cliché est maintenant à l'écran.
13 Q. Monsieur Marinkovic, est-ce que vous voyez le cliché à l'écran ?
14 R. Oui, oui, je le vois très bien.
15 Q. On y voit trois hommes. Vous vous êtes identifié comme étant l'homme
16 qui se trouve au milieu. Petko Maric est --
17 R. Oui, il est sur la droite par rapport à l'endroit où je me tiens.
18 Tosic, c'est celui qui est derrière moi, sur la gauche.
19 M. WOOD : [interprétation] Pour le compte rendu d'audience, le cliché que
20 nous sommes en train de regarder se trouve dans la séquence vidéo au code
21 de temps deux minutes 30 secondes point quatre.
22 Q. Vous rappelez-vous, Monsieur, à quel moment cette vidéo a été prise ?
23 R. Je n'en suis pas sûr, mais je suppose que c'était ce jour-là, le jour
24 où nous avons été fait prisonniers, mais je n'en suis pas sûr.
25 Q. Où vous a-t-on emmenés après votre capture ?
26 R. Ils nous ont emmenés depuis Krcevine vers Podsijelovo, vers Livade,
27 mais je ne connaissais pas ces endroits. J'ai simplement entendu qu'on
28 appelait cet endroit Livade.
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1 Q. Combien de temps vous a-t-il fallu pour arriver à cet endroit que vous
2 connaissez sous le nom de Livade ?
3 R. Je suppose que nous avons marché pendant une heure ou une heure et
4 demie, mais on a dû s'arrêter à plusieurs reprises. Quand on s'arrêtait,
5 eux s'asseyaient et nous restions debout. Ensuite, on nous disait de
6 repartir et comme ça à plusieurs reprises.
7 Q. Est-ce que vous savez à quelle distance de Krcevine vous êtes arrivés
8 quand vous étiez à Livade, combien de distance vous aviez parcouru ?
9 R. Je pense que nous avions parcouru à peu près 4 kilomètres.
10 Q. Qui était avec vous quand vous êtes arrivés à Livade ?
11 R. Il y avait deux Moudjahidines et un Bosniaque. Juste à côté de moi se
12 trouvait le Bosniaque, puis il y avait les deux Moudjahidines. A un certain
13 moment, nous sommes arrivés à côté d'un cours d'eau, c'était joli, l'eau
14 était claire, nous, nous avions soif donc l'homme qui était à côté de moi a
15 dit : "Bien, faites comme vous le voulez, je vous laisserais boire, mais je
16 ne peux pas le faire ouvertement à cause des autres."
17 Q. Qu'avez-vous pensé quand vous l'avez entendu dire cela, que pensiez-
18 vous qu'il voulait dire exactement ?
19 R. Je ne saurais pas vous dire pourquoi il a dit cela. J'ai du mal à
20 comprendre pourquoi il craignait de nous autoriser à boire de l'eau. Ça
21 vraiment je ne le sais pas.
22 Q. Avez-vous vu d'autres soldats entre Krcevine et Livade ?
23 R. Oui. Quand nous marchions vers Livade, nous avons croisé des
24 Bosniaques, des Moudjahidines. Il y a un homme, un Moudjahidine qui est
25 arrivé à un moment sur une motorisée. C'était un homme très corpulent.
26 Petko était devant, ensuite il y avait Tosic et ensuite moi. Il a donné un
27 coup à Petko, puis à Tosic, puis à moi. Ce coup de poing était si fort que
28 j'ai volé de l'autre côté de la route, ensuite j'ai été frappé par un
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1 soldat avec une crosse de fusil, et c'est à ce moment-là que ma lèvre a été
2 fendue. Ils nous ont tous frappés. Jusqu'à ce qu'on arrive à Livade, on a
3 reçu des tas de coups mais c'est une longue histoire.
4 Q. Vous dites qu'ils vous ont tous frappés. En disant cela vous voulez
5 dire aussi bien par les hommes que vous croisiez que par les hommes qui
6 vous escortaient, le Bosniaque et les deux autres ?
7 R. Non, pas ceux qui nous escortaient, eux, ils ne nous ont pas frappés.
8 Je suppose que leur commandement se trouvait quelque part à Livade et
9 alors, il y avait sans arrêt des allers-retours, des voitures, des motos
10 qui passaient, il y avait des civils aussi. A un moment, on est tombé sur
11 un groupe très important de soldats, de civils, de femmes qui se sont mis à
12 dire : "Voilà les Chetniks qui arrivent." Le Bosniaque a dit : "Ma mère,
13 les Chetniks sont là." Cette femme portait une fourche, elle était en train
14 d'apporter du foin aux vaches et elle a commencé à agiter sa fourche et
15 nous avons pensé, c'est la fin pour nous, c'est fini. Mais à ce moment-là,
16 elle a planté la fourche dans le sol et elle a pris un tuteur dont on se
17 servait pour rigidifier les haricots et elle a commencé à nous titiller en
18 disant : "Toi, tu as tué mon fils." Puis le Bosniaque s'est un peu écarté
19 de nous. Mais quand nous avons recommencé à marcher, nous avons vécu un
20 sort encore plus pénible. Nous avons croisé des femmes, des civils, des
21 soldats pendant que nous allions vers Livade, tout près de cette maison.
22 J'ai été frappé. On m'a ordonné de passer sous un fil de fer barbelé. Je
23 n'ai pas réussi à le faire. Quelqu'un m'a tiré et à ce moment-là, quelqu'un
24 m'a sauté dessus et une grand-mère a dit : "Les enfants, ne faites pas ça,
25 Allah vous regarde." Puis à ce moment-là quelqu'un m'a saisi par les
26 vêtements et m'a emmené jusqu'à sa maison.
27 Q. Monsieur Marinkovic, est-ce que c'est de cette maison que vous étiez en
28 train de parler ?
Page 3522
1 R. Je ne sais pas. Je veux dire, elle était à Livade. Je n'en sais pas
2 plus.
3 Q. Les gens qui vous escortaient, qu'ont-ils fait quand ces autres
4 personnes se sont mises à vous frapper et à vous faire subir toutes sortes
5 d'exactions ?
6 R. Ils nous ont demandé de nous arrêter. Mais un peu plus tard, je me suis
7 rendu compte qu'il y avait des préparatifs qui étaient en train de se
8 faire. Le soldat du commandement, un Bosniaque, m'a dit de baisser la tête,
9 toujours plus bas, toujours plus bas. Il tenait un enfant par la main.
10 L'enfant avait 10 ou
11 11 ans à peu près. Il portait un uniforme bigarré et des brodequins
12 militaires. Cet enfant a fini par me casser le nez. J'avais du sang partout
13 sur le visage. Mais le Bosniaque continue à lui dire : "Allez, encore plus
14 vite, encore plus vite, encore plus vite," alors le garçon a fait à peu
15 près tout ce qu'il voulait avec moi.
16 Q. Vous avez dit un peu plus tôt dans votre déposition qu'on vous avait
17 amenés dans une maison. Qui vous a amenés dans cette maison ?
18 R. Les trois hommes qui nous escortaient.
19 Q. Y avait-il quelqu'un dans la maison quand vous y êtes arrivés ?
20 R. Il y avait Velibor Trivicevic, Branko Cucic, je crois qu'il y avait
21 aussi Tutic [phon] et Samac. Ils étaient quatre, nous étions deux, ça fait
22 six et finalement dans la soirée, nous nous sommes retrouvés là à 12.
23 Q. Y avait-il des soldats ennemis dans cette maison ?
24 R. Il y avait un Moudjahidine à la porte d'entrée de la maison, et chaque
25 fois que l'un d'entre nous passait devant lui, on recevait un coup ou deux.
26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Robson.
27 M. ROBSON : [interprétation] Ma collègue vient d'appeler mon attention sur
28 une éventuelle erreur d'interprétation. Page 15,
Page 3523
1 ligne 23 du compte rendu d'audience. On lit au compte rendu d'audience,
2 "mais le Bosniaque ne cessait de lui dire,"plus vite, plus vite, plus
3 vite,' de sorte que le garçon se ruait sur moi."
4 Me Vidovic a cru comprendre que le Bosniaque parlait au témoin quand il
5 disait : "Plus vite, plus vite, plus vite." Donc je pense que c'est peut-
6 être un problème qu'on pourrait résoudre en demandant une précision à ce
7 sujet au témoin.
8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Wood.
9 M. WOOD : [interprétation]
10 Q. Monsieur Marinkovic, pourriez-vous, je vous prie, expliquer ce qu'il en
11 est quand vous avez dit que ce Bosniaque disait : "Plus vite, plus vite,
12 plus vite."
13 R. Le petit était en train de se préparer à me frapper, moi, je
14 m'abaissais pour arriver au niveau de garçon. Quand le petit garçon m'a
15 frappé, j'ai relevé la tête. A ce moment-là, le Bosniaque a dit : "Allez,
16 plus vite, plus vite, plus vite," du genre qu'on en finisse avec ça, parce
17 que là il y avait un monde fou, il y avait des enfants, des civils, des
18 soldats, des vieux. Chaque fois, il y avait quelqu'un qui disait : "Les
19 Chetniks sont là. Toi, tu as tué mon fils."
20 C'est à moi, à nous qu'il disait : "Plus vite, plus vite, plus vite."
21 Comme s'il voulait nous faire sortir de là, nous faire sortir de cette
22 situation.
23 Q. Merci de cet éclaircissement. Quand vous êtes arrivés dans la maison,
24 où vous a-t-on installés dans la maison ?
25 R. Dans une chambre. Dans une pièce. A l'entrée, il y avait des escaliers,
26 ensuite un couloir, ensuite une pièce, une chambre.
27 Q. Etiez-vous en détention dans cette pièce, étiez-vous assujettis d'une
28 façon ou d'une autre ?
Page 3524
1 R. Non. De toute façon, dès notre arrivée, le Moudjahidine nous a ligoté
2 les mains et les jambes. J'avais un pull-over alors il a relevé le dos de
3 mon pull-over qui m'a fait passer par-dessus la tête, ensuite il l'a
4 attaché avec un lien. On était ligoté, les mains, les jambes. Voilà,
5 c'était comme ça.
6 Q. Combien de temps êtes-vous restés dans cette pièce, dans cette maison,
7 Monsieur Marinkovic ?
8 R. On y est restés cette nuit-là et la journée du lendemain. Parce qu'on
9 est arrivé dans la soirée, donc on y a passé la nuit, puis la journée du
10 lendemain et le lendemain on a pris la route.
11 Q. Etes-vous restés ligotés de cette façon pendant toute la durée de votre
12 séjour à Livade?
13 R. Oui, oui. Je ne sais plus si j'ai dit une chose. J'ai dit cette nuit-
14 là, la journée du lendemain, la nuit, ensuite on est quoi, on est le
15 surlendemain. C'est à ce moment-là qu'on a pris la route. Alors, voilà
16 comment je vais vous dire et on verra comment vous comprenez.
17 On est arrivé dans la soirée, on y a passé la nuit, la journée du
18 lendemain, ensuite encore une nuit, et ensuite ça nous amène à quoi, le
19 surlendemain, c'est à ce moment-là qu'on a repris la route.
20 Q. Avez-vous subi des blessures suite à votre séjour à Livade ?
21 R. Non. Enfin, oui, évidemment, le fil de fer, un petit quelque chose ici
22 et là, c'était normal pour tout le monde mais enfin le sang n'a pas coulé.
23 Q. Avez-vous eu des contacts avec les soldats ennemis pendant le temps que
24 vous avez passé à Livade ?
25 R. Oui. Ils venaient nous voir, ils nous insultaient, nous injuriaient,
26 nous menaçaient : "On va vous tuer," on va vous faire ceci, cela. Il y
27 avait aussi des femmes qui venaient. Nous, on avait les yeux bandés. Elles
28 nous disaient : "Vous avez tué mon fils." Elles se mettaient à nous frapper
Page 3525
1 avec quelque chose ou avec les pieds, les jambes. Tout le monde nous
2 frappait. Quelquefois avec des bâtons.
3 Q. Vous a-t-on donné à boire ou à manger pendant le temps que vous avez
4 passé à Livade ?
5 R. Rien. Il y en a qui en a demandé mais on n'a rien reçu. Enfin, moi, en
6 tout cas, je n'ai rien reçu. Je ne sais pas ce qu'il en est des autres. Ils
7 ont demandé si on mangerait des "burek." Alors, je ne sais pas si certains
8 en ont reçu, moi, je n'ai pas mangé, j'ai rien reçu.
9 Q. Vous êtes restés plusieurs jours à Livade. Où est-ce qu'on vous a
10 amenés après ?
11 R. On nous a amenés, mais je ne sais pas où. Quelqu'un est arrivé, nous a
12 détaché les jambes, nous avions encore les mains ligotées, les yeux bandés.
13 Et quelqu'un nous a amenés à bord d'un véhicule, je suppose que c'était un
14 camion. Mais c'était difficile de monter dans le camion, parce qu'on
15 n'avait pas les mains libres. Alors quelqu'un s'est saisi de nous, on nous
16 a jetés dans le camion et c'est comme ça qu'on est parti.
17 La route a été assez longue. De temps en temps, il y avait des arrêts. Je
18 suppose que c'était quand on était sur le front. On entendait des tirs et
19 des soldats. Tout le monde criait. Quelquefois, on nous faisait descendre
20 du camion. Je me souviens très bien que je me tortillais pour sortir, parce
21 que je ne pouvais pas m'accrocher à quoi que ce soit. Je ne pouvais pas me
22 servir de mes mains, donc un moment je suis tombé en avant. Je crois que
23 c'était un fusil mitrailleur. Est-ce que c'était un calibre 84 ou 53, je ne
24 le sais pas. Mais enfin, des rafales ont été tirées tout autour de moi, qui
25 tombaient sur le sol. Ensuite je me suis jeté sur le sol, quelqu'un nous a
26 jetés encore une nouvelle fois dans le camion et on est arrivé à Gostovici.
27 Je suppose qu'on y ait arrivé vers 10 heures -- non, si on a quitté Livade
28 à 10 ou 11 heures, je suppose qu'on est arrivé là-bas vers midi ou peut-
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1 être 3 ou 4 heures de l'après-midi.
2 Q. Que s'est-il passé immédiatement après votre arrivée à Gostovici ?
3 R. Ce qui s'est passé, c'est qu'on était assis quelque part sur la route,
4 au bord de la route. A ce moment-là, on nous a enlevé les bandeaux qu'on
5 avait sur les yeux, on nous a fait asseoir. Il y avait des gens qui avaient
6 l'insigne de la Croix-Rouge. Alors, je me suis dit - il y avait aussi des
7 voitures - je me suis dit qu'on allait nous amener à la Croix-Rouge. A ce
8 moment, il y a un attroupement de Moudjahidines, Bosniaques avec toutes
9 sortes d'insultes, d'injures, de menaces, on était assis comme ça.
10 Un Moudjahidine est arrivé, il circulait à gauche, à droite. Il avait deux
11 couteaux bien pointus. Il a relevé ses manches et voilà, comme ça, ça m'a
12 fait un effet. J'ai vu cet homme se mettre à genou, relever ses manches.
13 J'étais assis, et ce que je sais, c'est qu'il m'a tiré par les cheveux pour
14 me pousser sur la gauche et il s'est mis à genou et il a placé un couteau
15 contre mon cou. Puis, ils se sont mis à parler les uns avec les autres, à
16 dire quelque chose. Le Bosniaque est arrivé, il a pris le couteau que cet
17 homme avait à la main et il a dit "Docteur." Puis, le Moudjahidine, a dit
18 "Docteur, Docteur." A ce moment-là, Sikanic, Branko Sikanic, a appelé
19 quelqu'un et c'était cet homme qui était le médecin. Il avait été capturé
20 avec nous. Il a répondu quand on a appelé son nom et le Moudjahidine s'est
21 approché de lui. A ce moment-là, le Bosniaque a donné le couteau à Branko,
22 puis Branko a reçu l'ordre de me couper la gorge, de me trancher la gorge.
23 On lui a dit que s'il ne le faisait pas, s'il ne me tranchait pas la gorge,
24 ce serait la sienne qui serait tranchée. Branko a refusé, il a dit :
25 "Monsieur, on m'a appris à aider les gens. Je ne peux pas faire ça."
26 Ensuite, il a remis le couteau au Moudjahidine et il s'est passé la même
27 chose qu'avant, c'est-à-dire qu'il s'est accroupi pour me tirer sur le
28 côté. J'ai pu jeter un coup d'œil. C'est ce qui est arrivé à cet homme, à
Page 3527
1 Branko. Il était dans la même situation.
2 Q. J'aimerais vous poser une question maintenant, Monsieur. Vous avez dit
3 dans votre déclaration écrite, "il avait été capturé avec nous," je me
4 demandais si vous pourriez préciser. Vous parlez de Branko Sikanic, et sur
5 les images de la vidéo, nous avons vu ---
6 R. Oui.
7 Q. -- qu'il avait été fait prisonnier. A quel moment avez-vous vu Branko
8 Sikanic ?
9 R. J'ai dit que nous avions été fait prisonniers, nous, les trois, Petko,
10 Tosic et moi à Krcevine. Ensuite, on a rencontré ce Sikanic, Trivicecic à
11 Livade. Ils avaient été fait prisonniers avant, ensuite nous sommes arrivés
12 à Livade.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Robson.
14 M. ROBSON : [interprétation] Excusez-moi d'interrompre encore une fois.
15 Mais c'est encore une fois ma consoeur qui m'indique une erreur potentielle
16 d'interprétation.
17 Ma consoeur a écouté le témoin dont elle comprend la langue, dont elle
18 parle la même langue que lui, et s'agissant de ce qui s'est passé avec le
19 couteau, elle a entendu le témoin dire que rien de particulier ne s'était
20 passé pendant cet incident. Donc Me Vidovic a compris le témoin, comme
21 voulant dire que rien ne s'était passé, mais ceci ne figure pas au compte
22 rendu d'audience. Donc je me demandais si on pouvait peut-être demander un
23 éclaircissement au témoin.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Wood.
25 M. WOOD : [interprétation]
26 Q. Monsieur Marinkovic, est-ce que vous avez été coupé avec un couteau
27 pendant cet incident ?
28 R. Non, non.
Page 3528
1 Q. Est-ce que le Dr Sikanic a été coupé avec un couteau pendant cet
2 incident ?
3 R. Non, non.
4 Q. Que s'est-il passé suite à cet incident impliquant le couteau qui a été
5 posé sur votre cou ?
6 R. Rien. Rien. Il est parti, Sikanic aussi. On s'en est tiré, je pense que
7 c'était simplement de l'intimidation. Rien de particulier ne s'est passé,
8 mais je ne savais pas que les choses allaient se finir comme ça, que rien
9 ne se passerait.
10 Q. Où étiez-vous exactement quand tout cela s'est passé, Monsieur. Vous
11 avez dit qu'on vous avait fait descendre du camion; est-ce que vous étiez à
12 l'intérieur ou à l'extérieur ?
13 R. A l'extérieur. On était assis là, le long de la route. Eux, ils se
14 baladaient devant nous. Ils nous insultaient, ils nous menaçaient.
15 Q. Quand vous dites "eux," vous pensez à qui, Monsieur.
16 R. Je pense aux Moudjahidines et aux Bosniaques.
17 Q. Est-ce que vous compreniez ce que les soldats ennemis disaient, au
18 moins certains d'entre eux ?
19 R. On entendait ce que disait les Bosniaques, bien sûr qu'on les
20 comprenait. "Nique ta mère. On va tous vous tuer," des insultes. "On va
21 vous trancher le cou," des menaces.
22 Q. Combien de temps avez-vous continué à vivre cette situation depuis le
23 moment où on vous a fait descendre du camion ?
24 R. Bien oui, ça a duré, quoi, peut-être deux heures. Disons, deux heures.
25 Q. Où vous a-t-on emmenés ensuite ?
26 R. A l'intérieur de la maison, à l'intérieur d'une maison qui avait été
27 touchée par des obus. Elle était à moitié démolie. Il n'y avait plus rien
28 dans cette maison. A l'intérieur tout était brûlé, calciné. Alors, on nous
Page 3529
1 a fait entrer dans une pièce. Ils ont mis une couverture par terre et c'est
2 comme ça qu'on a passé la nuit.
3 Puis le lendemain matin, on a entendu des bruits venant de la pièce
4 d'à côté et on s'est rendu compte qu'ils ont condamné les fenêtres avec des
5 planches clouées, et à ce moment-là, ils nous ont fait entrer dans cette
6 pièce.
7 Q. Vous avez dit que la maison était démolie, Monsieur. Pourriez-vous
8 décrire plus précisément l'état de cette maison ?
9 R. Cette maison avait l'air à moitié démolie. Elle n'avait plus de toit. A
10 l'intérieur tout avait été incendié. Il n'y avait pratiquement plus rien.
11 Il y avait encore simplement deux cheminées debout, et elle avait été
12 vidée.
13 Q. Monsieur Marinkovic, Mme l'Huissière va maintenant vous remettre des
14 photographies qu'il serait bon peut-être de placer sur le rétroprojecteur.
15 Entre-temps, j'indique que l'Accusation demande le versement au dossier de
16 la séquence vidéo tirée de la pièce P06072, et le passage dont le versement
17 demandé est la séquence qui va du code de temps 00.01.52.5, jusqu'au code
18 00.02.39.15.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le problème c'est que rien n'a été
20 annoté sur ces images. On ne sait pas qui est qui. Le témoin a parlé de
21 trois personnes qu'on voit sur les images de la séquence vidéo. Mais vous
22 ne lui avez pas demandé d'annoter un quelconque cliché. Est-ce que vous
23 pourriez reconnaître ces trois hommes par la suite ?
24 M. WOOD : [interprétation] Bien, il a fait consigné un certain nombre de
25 mots au compte rendu d'audience, Monsieur le Président, en indiquant où se
26 trouvait chacun de ces hommes par rapport à lui. Nous allons vérifier dans
27 un instant.
28 Si le temps le permet, nous pourrons soumettre un cliché papier au témoin
Page 3530
1 pour qu'il l'annote de façon à ce que tout soit absolument clair.
2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien. Vous le ferez peut-être
3 plus tard.
4 La pièce P06072 est versée au dossier. Je demande une cote.
5 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, il s'agira de la
6 pièce 540.
7 M. WOOD : [interprétation]
8 Q. Monsieur Marinkovic, regardez ces photographies. Je vous demande si
9 vous reconnaissez la maison dans laquelle vous avez été détenu à Gostovici
10 ?
11 R. Je ne reconnais rien ici. On voit deux cheminées, donc elle ressemble.
12 Mais comment est-ce que je pourrais vous dire ? A ce moment-là, elle était
13 démolie. Il n'y avait que les deux cheminées debout.
14 Q. Monsieur, vous avez ici un certain nombre de photographies. Est-ce que
15 vous pourriez commenter chacune d'entre elles lorsqu'elle sera placée sur
16 le rétroprojecteur à tout de rôle ?
17 R. Je regarde celle qui est en face de moi maintenant. Je veux dire, elle
18 ressemble. L'aspect est assez similaire, mais je ne sais pas si c'est
19 exactement la même ou pas.
20 Q. Peut-être pourriez-vous commenter les autres photographies également,
21 Monsieur ?
22 R. C'est la même chose. L'aspect extérieur est assez similaire. Elle a
23 l'air semblable. On voit les deux cheminées là aussi.
24 Q. Monsieur, est-ce que vous pourriez vous saisir d'un feutre pour tracer
25 un cercle autour de la maison dont vous êtes en train de parler ?
26 R. [Le témoin s'exécute]
27 Q. Merci, Monsieur. Pourriez-vous maintenant regarder la photographie
28 suivante ?
Page 3531
1 R. Mais c'est toujours la même chose. Il y a les deux cheminées debout.
2 Mais moi, la seule chose que je peux reconnaître, ce sont les deux
3 cheminées, parce que je les ai vues. Et la maison, elle n'avait pas de
4 toit. Alors maintenant, comment est-ce que je peux vous dire, du point de
5 vue de la taille, de la dimension, non, je ne peux rien dire de précis.
6 Q. Je vous demanderais encore une fois, Monsieur, de tracer un cercle
7 autour du bâtiment dont vous venez de parler, comme ayant deux cheminées.
8 R. Je peux le faire, bien sûr. Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas le
9 faire. [Le témoin s'exécute]
10 M. WOOD : [interprétation] Merci, Monsieur. Je demanderais le versement au
11 dossier de ces deux photographies, Monsieur le Président, les deux
12 photographies annotées par le témoin.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Robson.
14 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Président, je m'oppose au
15 versement au dossier de ces photographies, car nous avons entendu le témoin
16 dire au sujet de ces trois photographies, y compris des deux photographies
17 sur lesquelles il a tracé un cercle autour des cheminées, qu'il était
18 incapable de reconnaître ce bâtiment. Donc nous disons que ces
19 photographies n'ont pas de valeur probante.
20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Wood.
21 M. WOOD : [interprétation] Monsieur le Président, le témoin a indiqué que
22 ce bâtiment avait un aspect à la maison dont nous parlons, l'Accusation
23 estime donc que cela suffit pour que ces photographies soient admises en
24 tant que pièces à conviction.
25 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Monsieur Wood, qui a pris les
26 photographies et qui a tourné la séquence vidéo que nous avons vue il y a
27 un instant ? D'où proviennent ces pièces ?
28 M. WOOD : [interprétation] Bien, Monsieur le Juge, au risque d'avoir à
Page 3532
1 témoigner moi-même pour indiquer quelle est l'origine de ces documents, ce
2 que je peux vous dire, c'est que ces photographies figurent sur notre liste
3 de pièces à conviction. Elles sont tirées de la séquence vidéo que nous
4 avons visionnée il y a un instant et qui a été versée au dossier sous la
5 cote P06072. Je crois qu'elles proviennent des archives de l'ABiH. Quant à
6 la vidéo d'où ces clichés sont tirés, je ne dispose pas du renseignement
7 concernant son origine à l'instant, Monsieur le Président.
8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Robson.
9 M. ROBSON : [interprétation] Pour que la position de la Défense soit
10 claire, Monsieur le Président, je dirais, qu'au sujet de la deuxième vidéo
11 qui vient d'être évoquée par mon collègue de l'Accusation et d'où les
12 clichés ont été tirés, la Défense conteste l'authenticité de certains
13 éléments de cette vidéo. Donc nous n'admettons pas, bien sûr, qu'il s'agit
14 d'une origine fondée pour les clichés, les photographies.
15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous en train de dire que
16 ces photographies sont tirées d'une vidéo, parce que je ne m'en étais pas
17 rendu compte. Vous l'avez dit, c'est consigné au compte rendu d'audience ?
18 M. WOOD : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Ce sont des clichés
19 tirés d'une vidéo, et pour le compte rendu d'audience, j'indique qu'il
20 s'agit de la pièce P06032 qui figure sur la liste de pièces à conviction de
21 l'Accusation.
22 Mais c'est un exemple, Monsieur le Président, où je crois qu'il va falloir
23 qu'on obtienne d'autres témoignages, d'autres témoins plus tard, quant à
24 l'origine de ces éléments. C'est tout ce que je peux vous dire pour le
25 moment sur cette question, Monsieur le Président.
26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Qu'est-ce que vous laissez entendre à
27 présent ? Est-ce que vous laissez entendre qu'il faudrait enregistrer aux
28 fins d'identification ces documents pour voir ce qu'il en sera par la suite
Page 3533
1 ?
2 M. WOOD : [interprétation] Je crois que ce serait une excellente idée,
3 Monsieur le Président. Nous en demandons donc l'enregistrement aux fins
4 d'identification --
5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous allez entendre un autre témoin
6 qui reconnaîtra ces éléments ?
7 M. WOOD : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. C'est ce que prévoit
8 l'Accusation.
9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup. Les photographies sont
10 donc versées au dossier et enregistrées aux fins d'identification. Je
11 demande une cote.
12 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, ces
13 photographies constituent la pièce 541 enregistrée aux fins
14 d'identification.
15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.
16 [La Chambre de première instance se concerte]
17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Wood, vous pouvez poursuivre.
18 M. WOOD : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.
19 Q. Monsieur Marinkovic, avec qui vous trouviez-vous dans cette pièce de
20 cette maison dont nous venons de parler ?
21 R. Nous étions tous là, nous étions 12 à nous trouver là. Nous étions tous
22 réunis à Livade. Nous étions 12 dans cette pièce.
23 Q. Pour le compte rendu, pourriez-vous, s'il vous plaît, dire les noms de
24 ces 12 personnes -- ou plus exactement, les 11 autres ?
25 R. Oui. Bien sûr.
26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'entends -- si je peux interrompre.
27 Excusez-moi, j'ai l'impression -- je ne suis pas sûr, mais j'ai
28 l'impression d'être un peu perdu. Est-ce que nous sommes encore à Livade ou
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1 est-ce que nous sommes à Gostovici ?
2 M. WOOD : [interprétation] Non, Monsieur le Président, je pense que le
3 compte rendu indique, il a dit qu'ils avaient été amenés à Gostovici, et on
4 les avait jetés en bas du camion. Puis, il décrit l'incident avec les
5 couteaux, puis la maison dans laquelle ils se trouvaient.
6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ensuite, vous dites, la page 26, ligne
7 9, dit : "Nous étions tous là, tous les 12, à Livade." Je ne suis pas sûr
8 maintenant de l'endroit où ça se passe.
9 M. WOOD : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, je vais éclaircir ce
10 point avec le témoin.
11 Q. Monsieur Marinkovic, avec qui avez-vous été transporté depuis Livade
12 jusqu'à Gostovici ?
13 R. Nous étions tous les 12.
14 Q. Quels étaient les noms des 11 autres personnes avec qui vous avez été
15 transporté ?
16 R. Vous voulez dire, moi excepté ? Sans moi ? Bien. Branko Sikanic, Tosic,
17 Velibor, Trivicevic, Goran Stanic [phon] --
18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Veuillez ralentir, s'il vous plaît,
19 Monsieur Marinkovic.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne suis pas sûr de pouvoir me rappeler de
21 tous les noms maintenant. Est-ce que je devrais recommencer au début ?
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, s'il vous plaît.
23 Oui, Maître Robson.
24 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Président, le témoin a ce qui
25 semble être un cahier devant lui, ou un carnet, et il l'a maintenant pris
26 entre ses mains. Je ne sais pas s'il y a quoi que ce soit d'écrit là, mais
27 je pensais qu'il valait mieux que j'appelle l'attention de la Chambre sur
28 ce point.
Page 3535
1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Marinkovic, Monsieur
2 Marinkovic.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Regardez-moi.
5 Qu'est-ce que vous avez juste devant vous là ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Une sorte de calepin. Tout le monde peut le
7 regarder, si vous le souhaitez, mais je n'ai pas tous les noms. Je vais
8 juste essayer comme ça.
9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, essayez de le faire comme ceci,
10 Monsieur Marinkovic. La procédure dans cette enceinte c'est que vous ne
11 regardez pas de notes à moins qu'on vous donne des notes à regarder.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non, rien du tout. Bien.
13 Sikanic, Branko, Velibor Trivicevic, Velibor Tosic, Petko Maric, Vlado
14 Cucic, Dusko Pejicic -- ça fait combien jusqu'à
15 présent ? Gojko Vujicic. Ça fait combien jusqu'à maintenant ?
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Huit, en vous comptant.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien.
18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ce n'est pas un examen. Si vous ne
19 vous souvenez pas, ne vous inquiétez pas, ne vous préoccupez pas.
20 M. WOOD : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Il est difficile de me rappeler tous les noms.
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] C'est parfaitement compréhensible.
23 M. WOOD : [interprétation]
24 Q. Est-ce que je pourrais vous poser une question sur ces noms que vous
25 avez mentionnés. Vous avez mentionné quelqu'un qui s'appelait Gojko
26 Vujicic. Est-ce que vous vous rappelez ce qu'il lui est arrivé ?
27 R. Oui, je ne m'en souviens que trop bien. Mais savez-vous, si vous alliez
28 maintenant me demander quelle était exactement la date, la date précise, je
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1 sais c'est quand nous sommes arrivés à --
2 L'INTERPRÈTE : Les interprètes n'ont pas entendu le nom de lieu.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien, c'était la première ou la deuxième nuit
4 où nous étions arrivés là. Cette vieille femme nous a ensuite emmenés à la
5 cave, et c'est alors que cette nuit --
6 M. WOOD : [interprétation]
7 Q. Monsieur Marinkovic, il faut que je vous interrompe un instant. J'ai
8 besoin de faire en sorte que le compte rendu soit bien clair.
9 Vous dites vous ne vous rappelez pas le jour précis, mais vous dites : "Je
10 sais que c'était lorsque nous sommes arrivés à …," et l'interprète a
11 indiqué qu'il n'avait pas compris le nom de lieu dans votre réponse.
12 R. Etait-ce le jour, le lendemain ? Je ne sais pas.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le jour avant ou après quoi ?
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas compris la question.
15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien.
16 M. WOOD : [interprétation]
17 Q. Permettez-moi de demander : alors, vous êtes en train de décrire
18 quelque chose qui a lieu avec M. Vujicic. Juste si vous vouliez bien être
19 très clair, où exactement est-ce que ceci a eu
20 lieu ?
21 R. A Gostovici.
22 Q. Merci beaucoup. Si vous pouviez poursuivre votre réponse sur ce qui est
23 arrivé à Gojko Vujicici.
24 R. Ça, c'était le deuxième ou le troisième soir où nous étions là, disons,
25 le deuxième soir. Quelqu'un est venu ce soir-là, un Bosniaque. Gojko se
26 tenait à côté de la porte. Il a détaché ses jambes, puis un Moudjahidine a
27 apporté quelque chose qui était dans un bol; du poisson et du pain. Il a
28 coupé ses liens. Il nous a nourris, chacun d'entre nous, en nous donnant
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1 une bouchée de pain et un petit poisson. Nous avons essayé de mâcher et
2 avaler ce qu'au fur et à mesure l'on pouvait. Puis il nous a apporté un
3 litre d'eau et il nous a fait boire les uns après les autres. Tels étaient
4 les ordres qu'il avait reçus.
5 Nous étions là, puis 15 ou 20 minutes plus tard, je crois que c'était du
6 côté de huit heures et demie, c'était déjà nuit à ce moment-là, il y a eu
7 cette espèce de dîner pour nous, je suppose. Mais ensuite, quelqu'un est
8 venu et nous a détaché les mains et les pieds. Etait-ce dans cette maison
9 ou dans la cour qui se trouvait derrière ? Je n'en suis pas vraiment sûr,
10 mais c'était tout près.
11 Ensuite, d'une façon où d'une autre, j'ai été jeté à terre et je me suis
12 retrouvé la face contre terre et probablement tous les autres aussi. A ce
13 moment-là quelqu'un est venu et nous a à nouveau attaché les pieds. Je ne
14 suis pas sûr de ce qu'ils ont utilisé, mais ça donnait l'impression d'être
15 une sorte de tuyau. Ils nous ont attaché les pieds et nous étions tous en
16 train de gémir.
17 Il y avait là un Bosniaque, qui a dit : "Ne bougez pas." Il a parlé de ma
18 mère, et il a dit : "Je vais te liquider, je vais de battre avec un bâton."
19 Puis, le lien qui se trouvait autour de mes pieds en quelque sorte a
20 commencé à se détacher et ça c'est passé comme ça pendant toute la nuit.
21 Je n'ai pas vraiment vu cela, parce que j'étais quand même ligoté, mais cet
22 homme se tenait à côté de moi, et ensuite --
23 Q. Lorsque les liens étaient serrés, Monsieur le Témoin, quelle était
24 l'impression que vous aviez ?
25 R. Ça me coupait la peau. C'était si serré -- le lien était si serré que
26 j'avais l'impression que mes pieds finiraient par tomber. Gojko gémissait
27 et nous, nous gisions par terre. Nous voulions tous de l'eau. Certain entre
28 nous avait la fièvre et on entendait : "de l'eau, de l'eau." Des Bosniens
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1 ont dit : "Vous voulez de l'eau ? J'ai dit : "Bien sûr," et il a apporté
2 une bouteille et l'a mise dans ma bouche, et je me suis rendu compte que
3 c'était de l'urine. Je l'ai recrachée et il l'a répandue sur tout mon
4 visage. Voilà ce qui s'est passé.
5 Gojko, à ce moment-là, était en train de gémir et il a dit : "Donnez-moi de
6 l'eau. J'ai la bouche desséchée. Ces gens me tuent. Je ne peux plus tenir
7 le coup." Et alors, ils l'ont insulté : "Mais apportez-moi de l'eau, parce
8 que je n'en peux plus." Il faisait nuit et j'ai entendu du coup de fusil à
9 côté de moi, mais je n'avais aucune idée de ce qui s'était passé.
10 Ça s'est passé comme ça tout au long de la nuit, et le lendemain
11 matin - bien, matin ou la nuit - quelqu'un est venu jusqu'à moi et il m'a
12 aidé à me retourner et à m'asseoir, puis quelqu'un a enlevé le bandeau que
13 j'avais sur les yeux et a mis la tête de Gojko sur mes genoux. J'ai eu un
14 malaise. Ils ont tiré cette tête par les cheveux, ont remonté sa tête
15 jusqu'au niveau de la mienne et ont
16 dit : "Embrasse ton frère." C'était le Moudjahidine. Ensuite, ils nous ont
17 emmenés de cette manière.
18 Quelqu'un m'a frappé juste à cet endroit-là. Je saignais. Je pensais que
19 tous les autres avaient déjà été tués et que ça allait être mon tour. Donc
20 ils nous ont emmenés là et lorsque nous sommes arrivés près de la maison,
21 je me suis rendu compte que tout le monde était là sauf Gojko.
22 Ensuite, le Moudjahidine est venu --
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pourrais-je vous poser une question,
24 Monsieur le Témoin ?
25 Lorsque vous dites : "quelqu'un m'a frappé," vous indiquez où ? Quel était
26 le point que vous avez désigné ?
27 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y avait deux hommes qui m'emmenaient, qui
28 me tenaient par le bras, parce que je ne pouvais pas marcher en m'appuyant
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1 sur une autre jambe, puisque j'avais été attaché pendant toute la nuit qui
2 précédait, donc j'avais les jambes engourdies.
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ma question était : à quel endroit
4 vous a-t-on frappé ? A quel endroit de votre corps ?
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Quand ils m'ont fait tourner, ils ont poussé
6 ma tête, embrassé ma tête, puis ensuite on m'a fait me lever. Ils m'ont
7 amené dans la maison où nous nous trouvions. Près de la maison, quelqu'un
8 m'a frappé tandis que les deux autres me tenaient.
9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie. Mais où avez-vous
10 été frappé sur le corps ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] A la tempe.
12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien, à la tempe. Je vous remercie
13 beaucoup.
14 Vous pouvez poursuivre, Monsieur Wood.
15 M. WOOD : [interprétation] Je vois qu'il est presque l'heure de suspendre
16 l'audience. J'aurais peut-être encore une ou deux questions à poser, mais
17 peut-être c'est l'heure qui convient, avec votre permission, Monsieur le
18 Président.
19 Q. Monsieur Marinkovic, s'il vous plaît, pourriez-vous décrire dans quel
20 état se trouvait la tête de Gojko Vujicic, lorsqu'elle vous a été montrée
21 ce matin-là ?
22 R. La tête de Gojko, je sais, elle était là, toute bleue. C'était la tête
23 d'un mort qui pendouillait là. Que pourrais-je vous dire ?
24 Q. Est-ce que vous avez remarqué s'il y avait des blessures sur sa tête,
25 par exemple ?
26 R. Nous avons vu cela dans la pièce, pas immédiatement. Lorsque j'ai été
27 amené dans cette pièce, et plus tard le Moudjahidine est venu, il y avait
28 une sorte de crochet, et la tête était comme ça et ils l'ont accrochée au
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1 mur. Les six d'entre nous qui se trouvaient là près du mur, les cinq,
2 ensuite ce mur qui était en face de nous, cette tête pendouillait et il y
3 avait une blessure causée par une balle d'arme à feu à la tempe.
4 M. WOOD : [interprétation] Pour le compte rendu, le témoin a indiqué de la
5 main droite sa tempe droite.
6 Ceci serait le moment qui conviendrait, peut-être, Monsieur le Président.
7 Il me reste encore peut-être dix ou 15 minutes pour poser des questions.
8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie. Juste une question
9 avant que nous suspendions la séance.
10 Juste pour être absolument au clair, Monsieur le Témoin, vous dites que
11 cette tête vous a été mise devant vous. Où était le corps ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Comment saurais-je ? Je n'ai jamais vu le
13 corps.
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc c'était la tête sans le corps. La
15 tête n'était pas attachée au corps. C'est bien ça que vous dites ?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai jamais vu le corps. Ils ont simplement
17 laissé tomber cette tête sur mes genoux. J'avais du sang sur mes jeans, mon
18 pantalon quand je suis rentré chez moi six mois plus tard.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie beaucoup.
20 Nous suspendons la séance et nous reviendrons à 16 heures.
21 La séance est suspendue.
22 --- L'audience est suspendue à 15 heures 33.
23 --- L'audience est reprise à 16 heures 02.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous pouvez reprendre, Monsieur Wood.
25 M. WOOD : [interprétation]
26 Q. Monsieur Marinkovic, avant la pause vous nous parliez de cet endroit où
27 l'on vous détenait. Vous avez dit qu'il s'agissait de "Gostovici." Pouvez-
28 vous me dire comment vous saviez qu'il s'agissait de Gostovici ?
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1 R. On se parlait entre nous et j'imagine que certaines personnes savaient
2 tout cela. Moi, je n'en savais rien. Je ne sais pas. Je suis encore
3 persuadé que c'était Gostovici.
4 Q. Pouvez-vous nous dire exactement qui vous gardait lorsque vous étiez à
5 Gostivici ?
6 R. Le Moudjahidine. Il montait la garde devant la porte. Il était armé
7 d'un fusil automatique.
8 Q. Quand vous nous dites "Moudjahidine" pouvez-vous le décrire s'il vous
9 plaît. A quoi il ressemblait ?
10 R. Non. Bien, un soldat.
11 Q. Avez-vous vu des soldats à Gostovici qui, selon vous, n'étaient pas des
12 Moudjahidines ?
13 R. Oui.
14 Q. A quelle fréquence voyiez-vous ces autres soldats ?
15 R. Pas très souvent. Ils venaient de temps en temps. On les entendait dire
16 de l'autre côté de la porte : "Laissez-moi rentrer pour leur montrer." Puis
17 après, ils nous insultaient en parlant de nos mères chetniks. A la droite
18 de l'entrée de la maison, il y avait une espèce de cellier et une salle de
19 bain, aussi un atelier. On entendait des bruits, donc je pense qu'ils
20 allaient chercher des outils. Puis, un Bosniaque est arrivé avec une bêche
21 ou quelque chose de ce type. Il est entré. Nous, on baissait la tête, on
22 mettait les mains sur les genoux. Il a frappé tout le monde dans la
23 poitrine, puis il a frappé tout le monde aussi dans le rachis, dans le dos.
24 Mais moi, il m'a aussi frappé la tête. Donc j'avais une blessure à la tête,
25 une coupure. Un morceau de cuir chevelu est parti avec les cheveux dessus,
26 d'ailleurs, donc j'ai encore la cicatrice.
27 Q. Avez-vous jamais parlé avec ces personnes qui parlaient une langue que
28 vous compreniez ?
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1 R. Non. On n'osait pas. Ils rentraient, ils sortaient tout le temps, nous
2 disant toutes sortes de choses, mais on ne répondait pas. On n'était pas
3 censés répondre.
4 Q. Combien de temps êtes-vous restés à Gostovici ?
5 R. On y est resté jusqu'au 24 août.
6 Q. Que s'est-il passé le 24 août qui a mis un terme à votre détention à
7 Gostovici ?
8 R. Le 24 août, on nous a emmenés. Nous étions enchaînés sur une seule
9 chaîne. On était 11, enchaînés sur une seule chaîne. Les Bosniaques avaient
10 apporté une espèce de chaîne. Le Bosniaque avait emporté cette chaîne. Il
11 faisait nuit, mais j'ai entendu sa voix. Il ne disait pas grand-chose. Ils
12 grommelaient. Ils nous ont enchaînés, ils ont enchaîné nos jambes, ensuite
13 ils nous ont mis des cadenas. Ils nous ont enchaînés tout les six, ensuite
14 les cinq autres. Il y avait encore de la chaîne jusqu'à la porte.
15 Le 24, quand ils nous ont emmenés, ils nous ont pris pour qu'on se lave, en
16 tirant la chaîne. On suivait tous en ligne. Si l'un d'entre nous
17 trébuchait, c'était très compliqué, très difficile. Ensuite on s'est assis
18 le dos au mur de la maison. Je ne sais pas très bien où soit la maison,
19 mais le Moudjahidine est arrivé, et le Bosniaque nous a dit -- a dit à
20 Tosic, qui était d'une petite stature et qui avait tendance à beaucoup
21 bégayer, ils lui posaient des questions et riaient, et ils disaient : "Tu
22 aboies comme un chien, alors pourquoi tu ne sais pas parler." Nous, on est
23 restés silencieux --
24 Q. Je veux vous interrompre, parce que j'aimerais qu'on soit clairs, parce
25 que vous parlez de cet incident avec Tosic et c'est arrivé le 24; c'est
26 bien ça ?
27 R. Oui.
28 Q. Les autres prisonniers de guerre, ont-ils subi le même traitement que
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1 M. Tosic ?
2 R. Oui, oui, je voulais en parler justement. Ils ont d'abord commencé à se
3 moquer de lui en le faisant aboyer, ensuite il arrivait, il nous frappait
4 tous et nous avons tous à aboyer. Il ne fallait pas qu'on aboie seulement,
5 il nous a demandé de faire le bruit de tous les animaux. Il fallait qu'on
6 hennisse, il fallait qu'on fasse le bruit de cygnes, il fallait qu'on
7 grogne comme des cochons. On n'avait pas le choix.
8 Q. Combien de temps après cet incident avez-vous pu quitter le camp de
9 Gostovici ?
10 R. On est resté là à peu près deux heures, puis quelqu'un est arrivé. Il
11 nous a mis un bandeau autour des yeux. Puis, ils sont arrivés avec les
12 chaînes et les cadenas. Ce jour-là, on n'est pas sorti. Le Bosniaque est
13 arrivé et m'a dit qu'il n'avait pas de clé pour le cadenas. Donc ils ont
14 utilisé un marteau pour déverrouiller le cadenas qui était sur mon pied.
15 Puis, un par un ils nous ont emmenés sur un bus, un autocar. Ils nous ont
16 dit : "Attention, il y a un marchepied." On est monté pour Zenica.
17 Ils nous ont jetés dans le bus. Ils nous ont jetés. On était entassés les
18 uns sur les autres. Ils étaient en train de frapper tout le monde avec leur
19 crosse de fusil et à nous faire monter dans le bus en nous jetant dans le
20 bus. Le Bosniaque, finalement, est monté dans le bus et a dit : "Bonté
21 gracieuse, nous sommes enfin au territoire libre. Vous avez tous un, deux,
22 trois ou quatre deutsche marks sur vous, alors on va prendre un petit
23 café." Nous, on n'avait pas d'argent. On n'avait plus d'argent du tout. Ce
24 qu'on a fait, c'est on a baissé notre tête. Puisque normalement, quand on
25 est passé devant le Moudjahidine, on était censé baisser la tête, mais je
26 ne sais pas où on allait. Il nous a permis quand même de rester sur nos
27 sièges. A un moment -- je ne sais absolument pas où on allait. On pensait
28 peut-être on serait échangés. On ne le savait pas. C'est ce qu'il disait,
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1 en tout cas.
2 Quand on s'est rendu compte qu'on était arrivé à Zenica, on est arrivé à un
3 endroit, ils nous ont mis face contre le mur, ils ont enlevé le bandeau de
4 nos yeux, l'un après l'autre, puis on est allé dans un centre de détention.
5 Je crois que c'est le KP Dom. On était aligné contre le mur, un par un, et
6 on a marché.
7 Q. Les personnes qui étaient dans le bus, dans l'autocar, et qui
8 conduisaient le car, est-ce que vous compreniez ce qu'ils disaient ? Est-ce
9 que vous compreniez la langue qu'ils parlaient ?
10 R. Oui. Oui, oui. C'étaient des Bosniaques.
11 M. WOOD : [interprétation] Pourrions-nous montrer au témoin la pièce
12 P02436.
13 Q. Voyez-vous le document à l'écran, Monsieur Marinkovic ?
14 R. Oui, je le vois, mais j'ai du mal à le lire.
15 Q. Est-ce parce que les caractères sont trop petits ? Il faudrait peut-
16 être agrandir la police de caractère.
17 R. S'il vous plaît. Mais je vois toujours rien. J'arrive maintenant.
18 Q. Voyez-vous les noms qui sont écrits sur ce document ?
19 R. Non.
20 Q. Je veux m'assurer que nous regardons le même document. Vous voyez bien
21 quand même ces chiffres allant de 1 à 11 sur le document ?
22 R. Oui, tout à fait, je le vois. Je vois bien.
23 Q. Vous voyez bien qu'après chaque numéro il y a un nom dactylographié ?
24 Pouvez-vous les lire ?
25 R. Oui, oui. Peut-être avec des lunettes je verrais mieux. Maintenant, je
26 vois beaucoup mieux.
27 Q. Que signifient tous ces noms, Monsieur ?
28 R. Je connais bien tous ces noms. Evidemment, tous ces noms me sont très
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1 familiers. C'étaient toutes les personnes qui étaient avec moi.
2 Q. Les gens qui étaient avec vous, mais où et quand, surtout quand ?
3 R. Dès le jour dont on a été capturé jusqu'au jour où l'on a quitté notre
4 lieu de détention.
5 Q. Voyez-vous le nom de "Gojko Vujicic" ?
6 R. Oui, je le vois.
7 M. WOOD : [interprétation] Je voudrais verser cette pièce au dossier.
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne vois pas bien --
9 M. WOOD : [aucune interprétation]
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous l'avez vu ou vous ne l'avez pas
11 vu, ce nom de Gojko Vujicic ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je ne le vois pas.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne vois pas le nom de Gojko. Il était le
15 numéro 12, et là sous votre nez il n'y a que 11 noms.
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous voulez verser cette pièce au
17 dossier ?
18 M. WOOD : [interprétation] Oui.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] On pourrait lui donner une cote.
20 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] La pièce recevra la cote 542.
21 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]
22 M. WOOD : [interprétation] Pourrions-nous, s'il vous plaît, montrer
23 maintenant la pièce P02508 au témoin.
24 Q. [aucune interprétation]
25 R. Oui, je vois le document à l'écran, mais je n'arrive pas à le lire. Je
26 n'arrive pas à le déchiffrer.
27 M. WOOD : [interprétation] Peut-être pourrions-nous agrandir la première
28 page du document.
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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Marinkovic, je pense
2 [inaudible] mais je crois que vous l'avez déjà fait.
3 M. WOOD : [interprétation]
4 Q. Monsieur Marinkovic, est-ce que maintenant vous arrivez à voir le
5 document et à le déchiffrer ?
6 R. Non, toujours rien.
7 Q. Maintenant, c'est en plein écran. Vous devriez être capable de mieux
8 voir, n'est-ce pas ?
9 R. Oui, je vois un petit peu mieux.
10 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, lire les noms qui suivent les points 1,
11 2 et 3 à l'écran ?
12 R. Très bien. Guljevati, Igor; Stokanovic, Goran; Sikanic, Branko.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je n'obtiens pas d'anglais dans mon
14 casque. Je suis pourtant sur le canal 4.
15 L'INTERPRÈTE : Les interprètes de la cabine anglaise, maintenant vous
16 devriez entendre de l'anglais sur le canal 4.
17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
18 M. WOOD : [interprétation]
19 Q. Pourriez-vous voir le nom qui est écrit juste à côté du point noir qui
20 est en bas à gauche de l'écran ? Vous avez lu le nom de Sikanic, Branko.
21 Pouvez-vous lire le nom suivant qui est au paragraphe suivant ?
22 R. "Krstan Marinkovic."
23 Q. Que veut dire ces noms pour vous ?
24 R. Ce sont les gens qui étaient avec moi.
25 M. WOOD : [interprétation]
26 Q. Je voudrais que cette pièce soit versée au dossier.
27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La pièce sera versée au dossier.
28 Pourrait-elle recevoir une cote.
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1 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] La pièce recevra la cote 543.
2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
3 M. WOOD : [interprétation] Nous pouvons maintenant revenir peut-être au
4 cliché que nous avons pris à partir de la séquence vidéo pour qu'il soit
5 peut-être mieux annoté avant d'être versé au compte rendu. J'ai une photo,
6 un cliché qui a été pris et on pourrait le mettre sur le rétroprojecteur.
7 Ce serait peut-être plus simple pour le témoin.
8 Pour le compte rendu, ceci est une séquence de la vidéo 06072 et pour ce
9 qui est du code de temps c'est le 00-02.30.4.
10 Q. Monsieur Marinkovic, pourriez-vous, s'il vous plaît, regarder le
11 document qui est sur le rétroprojecteur à votre droite. Je vois que vous
12 avez un stylo à la main. Pourriez-vous annoter à l'aide du stylo cette
13 photo et marquer la personne qui, selon vous, est Tosic de "1" ?
14 R. Ça c'est Tosic. J'écris là. [Le témoin s'exécute]
15 Q. Si vous avez suffisamment de place, pourriez-vous, s'il vous plaît,
16 écrire le nom de cette personne à côté de lui ?
17 R. [Le témoin s'exécute]
18 Q. La personne qui est juste à côté de M. Tosic, pouvez-vous marquer son
19 nom ?
20 R. Oui. [Le témoin s'exécute]
21 Q. Pourriez-vous faire la même chose pour la troisième personne sur ce
22 cliché ?
23 R. [Le témoin s'exécute]
24 Q. Merci.
25 M. WOOD : [interprétation] Pourrions-nous verser cette pièce au dossier ?
26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais pourriez-vous demander au
27 témoin de mettre un "2" à côté de la personne qui est au milieu de ce
28 cliché et un "3" à côté de la personne qui est sur la droite de ce cliché ?
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1 M. WOOD : [aucune interprétation]
2 LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Maintenant la pièce est admise
4 au dossier et sera versée. Pourrait-elle recevoir une
5 cote.
6 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] La pièce recevra la cote 544.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
8 M. WOOD : [interprétation] L'Accusation n'a plus de questions à poser au
9 témoin.
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien, Monsieur Wood.
11 Monsieur Robson, c'est à vous.
12 M. ROBSON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
13 Contre-interrogatoire par M. Robson :
14 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Marinkovic.
15 Je suis Nicholas Robson et je représente le général Delic. Je vais
16 donc vous poser des questions aujourd'hui.
17 R. Très bien.
18 Q. Monsieur Marinkovic, vous avez fait plusieurs déclarations portant sur
19 votre capture à Krcevine, n'est-ce pas ?
20 R. Oui.
21 Q. Vous avez fait déjà une déclaration devant un juge d'instruction à
22 Prnjavor, n'est-ce pas ?
23 R. Oui, oui. J'ai fait une déclaration en effet, mais je ne m'en souviens
24 pas bien. Cela dit, je suis sûr que si on m'aide à me rafraîchir la mémoire
25 je m'en souviendrai.
26 Q. Très bien. Vous avez fait aussi plusieurs déclarations devant le bureau
27 du Procureur de ce Tribunal, n'est-ce pas, vous avez fait des déclarations
28 à plusieurs enquêteurs de ce Tribunal ?
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1 R. Non, je ne m'en souviens que d'un.
2 Q. Très bien. Vous nous avez dit qu'en 1995, vous faisiez partie de la
3 Brigade légère de Prnjavor, n'est-ce pas ?
4 R. Oui.
5 Q. Conviendrez-vous avec moi, qu'auparavant vous étiez déjà soldat ?
6 Puisque vous avez servi dans les rangs de la défense locale de Potocani
7 depuis septembre 1991 ?
8 R. Oui, en effet.
9 Q. Vous avez expliqué ce qui s'était passé le 21 juillet 1995, vous avez
10 expliqué comment vous et deux autres hommes se sont enfuis de la tranchée
11 où vous vous trouviez et vous vous êtes finalement rendus à un groupe
12 d'hommes. Vous vous en souvenez, n'est-ce pas ?
13 R. Oui, j'ai dit tout cela.
14 Q. J'aimerais maintenant que nous nous référions à l'une des déclarations
15 que vous avez faite au bureau du Procureur, en date du 12 décembre 1999. Si
16 vous voulez voir le document je peux vous le montrer, mais je tiens à vous
17 rappeler vos propos uniquement.
18 Vous avez dit à l'enquêteur que le -- vous avez dit le
19 21 juillet : "J'ai été capturé dans un combat par des soldats
20 moudjahidines." Vous souvenez-vous avoir dit cela à l'enquêteur du bureau
21 du Procureur ?
22 R. Je ne comprends pas votre question. J'ai été capturé, ça je l'ai dit,
23 et je le maintiens, j'ai été capturé.
24 Q. Voici ce que je voudrais que vous conveniez avec moi : les personnes
25 qui vous ont capturés étaient des soldats moudjahidines; c'est bien cela ?
26 R. J'ai dit que nous avions été escortés par deux Bosniaques et un
27 Moudjahidine, on a été capturé par des Moudjahidines, en effet.
28 Q. Pour préciser ce fait avec vous, Monsieur Marinkovic, encore une
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1 question. Quand vous parlez des Bosniaques qui étaient avec les
2 Moudjahidines et qui vous ont capturés, vous parlez d'hommes de cette
3 région de Bosnie qui étaient aussi des Moudjahidines; ils présentaient des
4 similitudes avec les Moudjahidines et il était tout à fait clair qu'ils
5 étaient avec les hommes moudjahidines étrangers.
6 R. Ça pour moi ce n'est pas une question claire. Elle n'est pas claire la
7 question pour moi.
8 Q. Bien. Je vais essayer d'être plus clair, encore un peu plus clair.
9 Vous nous avez dit avoir fait une déclaration devant un juge d'instruction,
10 même si vous ne vous rappelez pas exactement ce que vous avez dit à ce juge
11 d'instruction. Mais pour ma part je peux vous renvoyer à un passage de
12 votre déclaration, et ce que vous avez dit à ce juge d'instruction c'est
13 que : "Pendant la capture," je cite :
14 "J'ai vu des Moudjahidines qui étaient présents sur place également, avec
15 les soldats musulmans."
16 R. Exact. Exact.
17 Q. "Il y avait d'autres Moudjahidines que les soldats musulmans qu'on
18 appelait aussi des Moudjahidines."
19 R. Non, je n'ai pas dit ça. J'ai dit la moitié. J'ai moitié/moitié. Je
20 n'ai pas dit qu'il y avait davantage de Moudjahidines que de soldats
21 musulmans. J'ai dit moitié/moitié.
22 Q. D'accord. J'admets ce que vous dites, le pourcentage était 50/50. Mais
23 ce qui m'intéresse, c'est la chose suivante : pendant que vous avez fait
24 votre déclaration devant le juge d'instruction, vous avez parlé de soldats
25 musulmans. Vous avez dit que ces soldats musulmans étaient également
26 désignés sous le nom de Moudjahidines ?
27 R. Inexact. Je n'ai jamais dit qu'on les appelait des Moudjahidines. Parce
28 qu'un Moudjahidine, c'est un Moudjahidine et les autres je les appelais les
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1 "Bosniaques." Je ne me rappelle pas avoir dit cela. Maintenant si c'est
2 écrit, je ne le sais pas.
3 Q. Bien, peut-être peut-on placer sur les écrans, le document D449 de la
4 Défense, page 2 aussi bien dans la version anglaise et dans la version
5 B/C/S. C'est cette page qui m'intéresse. Dans le texte en B/C/S cela se
6 trouve au troisième paragraphe, donc à peu près au milieu de la page. Dans
7 le texte anglais, c'est également le troisième paragraphe.
8 Monsieur Marinkovic, est-ce que vous voyez ce paragraphe qui commence par
9 les mots : "Pendant notre capture, je me suis aperçu qu'il y avait aussi
10 sur place des Moudjahidines ?"
11 R. C'est ici ou là ? Je ne vois pas. Je ne vois pas.
12 Q. Nous recherchons le paragraphe qui commence par les mots "Pendant notre
13 capture, je me suis aperçu qu'il y avait aussi à cet endroit des
14 Moudjahidines ?"
15 R. Je vois, je vois maintenant.
16 Q. Pourriez-vous lire à haute voix les deux premières phrases de ce
17 paragraphe à notre intention, je vous prie ?
18 R. "Pendant notre capture, je me suis aperçu qu'à cet endroit était
19 présent à côté des soldats musulmans, des Moudjahidines également. Il y
20 avait davantage de Moudjahidines que de soldats musulmans."
21 Ça suffit ?
22 Q. Non. Je vous demanderais de poursuivre votre lecture encore un peu.
23 R. "Il y avait davantage de Moudjahidines que des soldats musulmans, qui
24 portaient aussi la désignation de Moudjahidines. Après notre capture, nous
25 avons tous été ligotés avec les mains dans le dos --"
26 Q. Monsieur Marinkovic, est-ce que vous pourriez donner lecture de la
27 deuxième phrase encore une fois, je vous prie ?
28 R. La deuxième phrase ?
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1 Q. Oui.
2 R. "A côté des Moudjahidines, il y avait aussi des soldats musulmans. Il y
3 avait davantage de Moudjahidines que de soldats musulmans, qui portaient
4 aussi la désignation de Moudjahidines."
5 L'INTERPRÈTE : Le témoin semble avoir quelques difficultés à lire.
6 M. ROBSON : [interprétation]
7 Q. Je vais vous lire encore une fois ce que vous venez de nous dire.
8 R. Très bien.
9 Q. Donc selon ce que vous avez dit au juge de l'instruction en 1997, vous
10 auriez déclaré, je cite :
11 "Il y avait davantage de Moudjahidines que de soldats musulmans, qui
12 étaient également désignés sous le nom de Moudjahidines."
13 Est-ce que vous conviendrez avec moi que c'est bien ce que stipule votre
14 déclaration écrite ?
15 R. Je n'ai pas dit cela. Je ne suis pas d'accord. Peut-être que c'est
16 écrit ici, mais je ne l'ai pas dit qu'il y avait davantage de Moudjahidines
17 et qu'ils portaient des insignes. Je n'ai pas dit ça. Ça c'est quelque
18 chose qui vient de la traduction.
19 Q. D'accord. Mais --
20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le témoin est en train de dire qu'il
21 n'a pas dit que ces hommes portaient des insignes. Or, je ne crois pas que
22 le mot "insigne" figure dans la phrase. Donc peut-être êtes-vous en train
23 d'avoir un dialogue de sourd avec le témoin. Vous pourriez peut-être lui
24 faire préciser ce point, à moins que le mot insigne n'ait été prononcé que
25 je ne l'ai pas trouvé dans la phrase.
26 M. ROBSON : [interprétation]
27 Q. Monsieur Marinkovic, est-ce que vous êtes d'accord avec moi que dans le
28 passage dont vous avez donné lecture il y a un instant aux Juges de la
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1 Chambre, il n'ait fait aucune mention nulle part d'insigne ?
2 R. Je ne sais pas. Je n'ai pas dit que les Bosniaques avaient des insignes
3 comme quelqu'un d'autre. Je n'ai jamais dit ça et je ne l'ai pas lu. Ils
4 n'en avaient pas. En tout cas, je ne m'en souviens pas, ça je ne m'en
5 souviens.
6 Q. Vous ne vous rappelez pas que les Bosniaques auraient arboré des
7 insignes ?
8 R. Non, non.
9 Q. Bien, je vais revenir à ma question initiale.
10 Ce qui m'intéresse dans cette phrase, c'est ce que vous avez dit au juge
11 d'instruction, lorsque vous parliez des soldats musulmans et que vous avez
12 dit, ils étaient également désignés sous le nom de Moudjahidines. Est-ce
13 que vous pourriez nous expliquer ce que vous pensiez exactement quand vous
14 avez dit cela au juge d'instruction ?
15 R. Je n'ai pas dit cela. Et ce n'est pas exact. Je ne me souviens
16 absolument pas de ça. Je n'aurais pas pu dire qu'ils portaient quelque
17 chose de particulier, parce que je ne l'ai pas vu. Ça vraiment, vraiment ça
18 c'est quelque chose qui est créé de toutes pièces, parce que moi, j'étais
19 là-bas, je voyais quand même, je voyais bien les Moudjahidines et les
20 soldats bosniens, que s'il y avait eu des insignes j'aurais vu les
21 insignes. Mais des insignes similaires, je n'en ai pas vu, non.
22 Q. D'accord oui. Je comprends. Je vais reformuler ma question.
23 Il est exact, n'est-ce pas, Monsieur Marinkovic, que vous avez dit au juge
24 d'instruction que ces soldats musulmans portaient aussi le nom de
25 Moudjahidines. Donc ce qui m'intéresse, ce n'est pas le nom de chacun
26 séparément, mais en tant que groupe, ces soldats de la région de Bosnie
27 faisaient partie intégrante du groupe des Moudjahidines, n'est-ce pas ?
28 R. Non, non. Je n'ai pas dit cela, je ne me souviens pas de ça.
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1 Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose là, mais ça ne s'est pas fait dans la
2 réalité. Au cours des combats, ils criaient tous "Allah Akbar," c'est peut-
3 être ça. Alors, comme les soldats de Bosnie criaient aussi "Allah Akber,"
4 peut-être que c'est ça qui a fait qu'on s'est imaginé qu'ils étaient tous
5 des Moudjahidines, je ne sais pas. C'est la seule chose que je vois.
6 Q. Monsieur, si nous pouvons obtenir un peu plus de précision dans votre
7 déposition, le document qui est affiché à l'écran devant vous ne
8 m'intéresse plus. Je vous pose la question suivante : quand vous avez été
9 fait prisonniers, est-ce que vous avez pensé que tous les hommes qui vous
10 avaient capturés étaient des étrangers et des soldats de la région qui
11 étaient avec ces étrangers ? Est-ce que vous avez pensé qu'ils étaient tous
12 des Moudjahidines ?
13 R. Non. Je répète encore une fois la même chose de ce que j'ai dit tout à
14 l'heure. Pendant l'action, quand nous les entendions crier "Allah Akber" et
15 pendant que l'action avait lieu, nous pensions que c'étaient des
16 Moudjahidines. Mais encore une fois, je dis bien que c'était une hypothèse
17 de ma part. Je pensais qu'ils étaient Musulmans aussi puisqu'ils criaient
18 "Allah Akber," tous. Alors, nous avons pu penser qu'ils étaient tous
19 Moudjahidines. Peut-être que c'est cela dont je parle là.
20 Q. Donc vous avez pensé qu'ils pouvaient tous éventuellement être des
21 Moudjahidines ?
22 R. En tout cas, c'est ce que moi j'ai pensé.
23 Q. Quand vous avez été interrogé par le représentant du bureau du
24 Procureur en 1999, vous avez dit à l'enquêteur, je cite :
25 "Le 21 juillet, j'ai été fait prisonnier par des soldats Moudjahidines
26 durant le combat.
27 R. Oui.
28 Q. Les hommes qui vous ont fait prisonniers vous ont ensuite emmenés dans
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1 un village dont vous nous avez dit il y a quelques instants que c'était
2 Livade ?
3 R. Oui.
4 Q. Mais à ce moment-là, vous ne connaissiez pas le nom de ce village ?
5 C'est quelqu'un qui vous l'a dit ?
6 R. Non, non, je ne le connaissais pas. Mais oui, on l'a entendu. Peut-être
7 que parmi ceux qui étaient avec moi, il y en avait un qui savait que cet
8 endroit s'appelait Livade. Moi, je ne le savais pas.
9 Q. Vous avez déjà dit qu'il y avait avec vous deux Moudjahidines et un
10 Bosniaque. En dehors de ces personnes, qui encore était avec vous ?
11 R. Petko, moi et Tosic. En dehors des gens qui nous
12 emmenaient ? J'ai pas compris la question.
13 Q. Vous y avez répondu.
14 R. Non, non. Je n'ai pas bien -- la question c'était : qui était avec
15 nous. J'ai dit qu'on était trois : Maric, Tosic et moi. Mais qui nous
16 escortait, c'étaient les deux Moudjahidines et le Bosniaque.
17 Q. Merci, Monsieur Marinkovic. C'est clair. Quand vous êtes arrivés dans
18 le village de Livade, vous avez dit qu'il y avait là des Moudjahidines, des
19 civils, et vous avez parlé aussi de Bosniaques. Est-ce que vous seriez
20 d'accord avec moi pour dire que dans ce village, en dehors des civils du
21 coin, tous les autres faisaient partie du groupe des Moudjahidines ?
22 R. Ça, je n'ai pas bien compris. La question n'est pas claire pour moi. Il
23 va falloir que vous me la répétiez. Enfin, si vous voulez.
24 Q. D'accord. Quand vous êtes arrivé dans le village de Livade, vous y avez
25 trouvé des civils, n'est-ce pas ?
26 R. Je n'ai pas dit que c'était des "civils." Il y avait là, à notre
27 arrivée, des civils, des soldats et d'autres. Tout ça, mélangé.
28 Q. Vous avez expliqué qu'à votre arrivée dans ce village, vous avez été
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1 attaqués par des représentants de la population civile du village, n'est-ce
2 pas ?
3 R. Oui, mais l'armée était là aussi. Les civils y étaient, des femmes
4 âgées, des hommes âgés qui nous injuriaient, qui nous menaçaient, qui
5 disaient : "Toi, t'as tué mon fils," et cetera, et cetera. Voilà, c'est
6 comme ça que ça se passait. Il y en avait qui donnait des coups. Le soldat
7 bosniaque m'a donné l'ordre de me baisser. Je me suis baissé, baissé,
8 baissé le plus que je pouvais. A ce moment-là, le petit garçon dont j'ai
9 parlé m'a donné un coup de pied dans le nez et m'a cassé le nez.
10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Un soldat bosniaque de quelle armée,
11 Monsieur ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] C'était sans doute l'ABiH. Je ne sais pas très
13 bien comment l'appeler autrement. Soldats de Bosnie-Herzégovine. Je ne sais
14 pas comment en parler autrement.
15 Il faut bien que vous vous rendiez compte que je n'ai fait que quatre ans
16 d'école primaire et que vraiment, quand vous m'interrogez, je vais essayer,
17 m'efforcer au maximum d'être le plus sincère possible, mais il faut me
18 poser des questions faciles pour que je puisse les comprendre.
19 M. ROBSON : [interprétation]
20 Q. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi sur les points suivants : quand
21 vous parlez de soldats bosniaques --
22 R. Oui.
23 Q. -- êtes-vous d'accord que ce soldat bosniaque aurait pu en fait être un
24 Bosniaque de la région qui était membre du groupe des Moudjahidines ?
25 R. Ça, je ne sais pas. Je ne sais pas s'il est du coin ou s'il ne l'est
26 pas. Ça, je ne sais pas. Vraiment, je ne sais pas.
27 Q. D'accord. Vous avez été très clair dans votre déposition jusqu'à
28 présent en disant que ces hommes que vous appeliez des soldats vous
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1 aidaient. Ils vous protégeaient contre les agressions des villageois de
2 cette région ?
3 R. Je n'ai pas dit ça. Ce que j'ai dit, c'est que c'est le soldat
4 bosniaque qui était avec moi et les deux Moudjahidines, ils s'occupaient de
5 Petko et de Tosic. Quand on a commencé à nous frapper et quand l'enfant m'a
6 fracturé le nez, le Bosniaque nous a dit : "Allez, allez, plus vite, plus
7 vite," comme s'il essayait de nous faire sortir de là, de nous tirer
8 d'affaire.
9 Parce qu'il y avait tout un attroupement et tout le monde était sur le
10 point de nous frapper, donc le Bosniaque a fait son travail et je le
11 remercie.
12 Q. Quand ils ont réussi à vous faire sortir de là, ils vous ont emmenés
13 dans une pièce dont vous avez parlé, mais où se trouvait cette pièce ? Dans
14 quel bâtiment ?
15 R. C'était une maison, une maison qui n'était pas démolie. En tout cas,
16 c'est ce que j'ai cru voir. J'ai eu l'impression qu'elle avait encore un
17 toit, mais comment est-ce que je pourrais savoir ?
18 Q. Vous êtes entré dans cette maison avec vos deux compagnons, et vous
19 nous avez dit avoir vu dans cette maison trois autres hommes; Velibor
20 Trivicevic --
21 R. [aucune interprétation]
22 Q. Enfin, qui avez-vous trouvé sur place ?
23 R. Trivicevic, Sikanic, Guljevati et Trivicevic. Ils étaient quatre. Nous,
24 nous étions trois, donc ça fait sept, et le soir le nombre s'est accru et
25 nous avons été 12.
26 Q. Quand vous avez été maintenus en tant que prisonniers dans cette pièce,
27 vous avez dit aux Juges de la Chambre que la population du coin - et vous
28 avez parlé de femmes - venaient dans cette pièce et vous faisaient subir
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1 toutes sortes d'exactions, n'est-ce pas ?
2 R. Oui, exact.
3 Q. Est-ce que vous êtes certain du temps que vous avez passé dans cette
4 pièce, en réalité ? Parce que dans votre déposition vous avez dit y avoir
5 passé un jour et demi, et que c'est seulement le deuxième ou troisième jour
6 suivant ce moment-là que vous êtes parti. Est-ce que vous êtes certain de
7 la durée --
8 R. Et je le maintiens. J'ai dit qu'on nous avait emmenés là dans la
9 soirée, donc on y a passé une nuit, puis la journée du lendemain, puis
10 encore une nuit, et voilà ce qui s'est passé. C'est le surlendemain qu'on
11 nous a emmenés à Gostovici. C'est ce que je sais. Je ne sais pas que cela
12 se soit passé différemment. Je pense qu'il s'est passé deux nuits et deux
13 jours. En tout cas, deux nuits, nous les avons passées sur place. Restons-
14 en là. Nous avons passé là deux nuits, ce qui fait finalement deux jours et
15 demi.
16 Q. Puis, vous nous avez expliqué qu'on vous avait emmenés à bord d'un
17 camion de Livade jusqu'à un autre endroit et que vous aviez les yeux bandés
18 pendant le trajet; c'est bien cela ?
19 R. Oui, c'est exact.
20 Q. L'endroit dont vous parlez comme étant Gostovici, vous ne saviez pas
21 que l'endroit où vous êtes arrivés après ce trajet en camion était
22 Gostavici à ce moment-là, n'est-ce pas ?
23 R. Non, non. En effet.
24 Q. Donc quelqu'un vous a dit que le lieu s'appelait
25 Gostovici ?
26 R. Oui. On a simplement découvert que cet endroit c'était Gostovici, près
27 de Zavidovici. Ça, c'est le souvenir que j'ai. C'est pour ça que ça me
28 reste gravé dans la mémoire.
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1 Q. Donc ce n'est pas un secteur que vous connaissez particulièrement bien
2 ? Vous ne vous y étiez jamais rendu avant ?
3 R. Non, non, non. Je n'y suis jamais allé à Zavidovici ou dans ce coin.
4 Q. Vous nous avez dit qu'on vous a fait pénétrer dans une pièce de cette
5 maison et qu'on vous a donné des couvertures; c'est bien cela ?
6 R. Non. Je n'ai pas dit des couvertures qu'on nous a données. J'ai dit
7 qu'on avait mis des couvertures par terre, parce que tout était brûlé, tout
8 était noir, calciné. Il y avait de la poussière, de la saleté. Il est
9 probable qu'ils ont eu l'idée de mettre des couvertures par terre tant que
10 la pièce d'à côté n'était pas prête pour qu'on puisse s'allonger par terre.
11 Q. A votre arrivée, n'est-ce pas, on vous a donné à boire et à manger ?
12 R. Ça, c'était le deuxième soir.
13 Q. Pendant le temps que vous avez passé dans ce camp, est-ce que vous
14 conviendrez avec moi que vous n'avez vu dans le camp que des Moudjahidines
15 étrangers ou de la région, qu'ils étaient les seuls logés dans ce camp ?
16 R. C'est ça. Je crois que c'est ça.
17 Q. J'aimerais maintenant vous poser quelques questions au sujet de Gojko
18 Vujicic.
19 R. Allez-y.
20 Q. Vous avez expliqué ce qu'avait vécu cet homme.
21 R. Oui.
22 Q. J'aimerais essayer de vous faire préciser à quel moment il a été tué,
23 parce que dans votre déclaration écrite, dans votre déposition orale, vous
24 dites que cela s'est passé la première ou la deuxième nuit. Par ces mots,
25 est-ce que vous entendez que cela s'est passé la première ou la deuxième
26 nuit succédant à --
27 R. La deuxième nuit.
28 Q. Donc c'était la deuxième nuit après votre arrivée dans le camp ?
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1 R. C'est exact. C'est ce que j'ai dans mon souvenir. Est-ce que c'était la
2 deuxième ou non, oui, mais je pense que c'était la deuxième nuit.
3 Q. Oui. C'est exact, n'est-ce pas, que Gojko Vujicic avait été gravement
4 blessé pendant l'attaque contre Krcevine, puisqu'il avait été touché par
5 une balle à l'aine ?
6 R. Ça, je ne sais pas. Ça, je n'en sais rien.
7 Q. Vous avez passé quelque temps avec lui.
8 R. Non, non, ça ce n'est pas exact. C'est quand on est arrivé à Livade que
9 j'ai vu Gojko pour la première fois ce soir-là. C'est la première fois que
10 j'ai jeté les yeux sur lui. Je n'avais pas la moindre idée du fait qu'il
11 était blessé. Je ne le connaissais pas jusque-là.
12 Q. Bien. J'aimerais vous renvoyer à une déclaration faite par Velibor
13 Trivicevic le 14 décembre 1999 --
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur Wood.
15 M. WOOD : [interprétation] Monsieur le Président, l'Accusation élève une
16 objection par rapport au fait que la Défense s'apprête à citer le contenu
17 d'une déclaration écrite d'un autre témoin. Ce témoin viendra témoigner
18 ultérieurement. L'Accusation ne croit pas que ce soit acceptable de
19 confronter le témoin qui est ici aujourd'hui avec la déposition d'un autre
20 témoin.
21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Robson.
22 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Président, je ne cherche pas à
23 confronter le témoin qui est ici avec la déposition d'un autre témoin. Je
24 cherche à confronter ce témoin à la déclaration d'un autre témoin,
25 déclaration écrite. C'est comme si je lui présentais un document, une
26 écriture, qui constituerait un élément de preuve, et je ne vois aucune
27 raison qui m'empêcherait de soumettre cette déclaration écrite au témoin.
28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je cherche l'article du Règlement qui
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1 s'applique. J'essaie de me le remettre en mémoire. Est-ce que quelqu'un
2 peut me rappeler l'article pertinent.
3 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Président, je crois que les
4 articles du Règlement sont silencieux sur ce point au sujet des
5 déclarations émanant d'autres témoins.
6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien, mais je vérifie tout de même
7 dans le Règlement. Les directives sont peut-être silencieuses, mais pas
8 forcément le Règlement. Je n'ai pas retrouvé cet article du Règlement. Dans
9 l'intervalle, j'autorise cette question.
10 M. ROBSON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
11 Peut-être que l'on pourrait également présenter à l'écran la pièce de la
12 Défense portant la cote D501. On retrouve ceci à la
13 page 6 du texte anglais et de la page 7 de la version en B/C/S. Ça se
14 trouve tout au bas du texte anglais. Il n'y a malheureusement que deux mots
15 sur cette page, malheureusement, mais on va le faire défiler. Ça se trouve
16 au milieu de la page pour ce qui est de la version en B/C/S.
17 C'est la page suivante pour la version en B/C/S. Excusez-moi. La page
18 suivante pour la version en B/C/S.
19 Q. Pouvez-vous voir le texte à l'écran, Monsieur Marinkovic ?
20 R. Je vois.
21 Q. Au paragraphe tout en haut, voyez-vous la toute dernière phrase de ce
22 paragraphe ?
23 Dans la version anglaise, si on pouvait faire défiler vers le bas, s'il
24 vous plaît.
25 Voyez-vous, Monsieur Marinkovic, où il est dit :
26 "Deux hommes ont été blessés. Stokanovic avait reçu un coup de feu dans la
27 jambe, et l'autre a été blessé à l'aine."
28 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]
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1 M. ROBSON : [interprétation] Vous pouvez voir, Monsieur le Président,
2 Madame, Monsieur les Juges, vous pouvez voir le reste de la phrase si on
3 fait défiler un peu. Ça devient la page 7 pour l'anglais. Vous voyez qu'il
4 est écrit : "Deux hommes," pour la version anglaise. Il y en a un qui a été
5 blessé à la jambe droite. "Stokanovic avait reçu une balle dans la jambe
6 droite et Vujicic avait été touché par une balle dans l'aine."
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous dites que c'est la déclaration de
8 qui ?
9 M. ROBSON : [interprétation] C'est une déclaration faite par Velibor
10 Trivicevic.
11 Q. Pour commencer, Monsieur Marinkovic, Velibor Trivicevic, c'est
12 quelqu'un qui se trouvait avec vous pendant la période où le camp existait,
13 n'est-ce pas ?
14 R. Oui.
15 Q. Est-ce quelqu'un que vous connaissez ?
16 R. Oui, mais pas seulement lui, les 11 autres, tous les 11, ceux qui sont
17 encore en vie. Enfin, Gojko n'est plus avec nous maintenant, Gojko.
18 Q. Donc il dit qu'ici que Gojko Vujicic avait été blessé par une balle à
19 l'aine. Est-ce que vous avez quelque observation à faire à ce sujet ? Est-
20 ce que vous le saviez ? Vous êtes d'accord ?
21 R. Non. Pour Stokanovic, oui, mais pour Gojko.
22 Q. Bien. Vous avez expliqué comment dans la soirée en question M. Vujicic
23 est mort, il avait appelé, il avait demandé de l'eau. Vous rappelez-vous
24 avoir dit cela ?
25 R. Oui.
26 Q. C'est bien cela, n'est-ce pas, il jurait, il disait des jurons, il
27 criait des jurons ?
28 R. C'est exact.
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1 Q. C'est bien ça, n'est-ce pas, il a maudit Dieu, il a fait référence à
2 Dieu ?
3 R. C'est exact.
4 Q. C'est à ce moment-là que vous avez entendu le coup de
5 fusil ?
6 R. Non, non. Je vais expliquer.
7 Tout est exact sauf ceci : Gojko a demandé qu'on lui donne de l'eau. Nous
8 tous demandions de l'eau. Il a dit : "Donnez-moi de l'eau à boire. Nique le
9 soleil et toutes les autres planètes. Mais allez me chercher de l'eau à
10 boire, et après ça vous pouvez me liquider." Alors, le Bosniaque était là,
11 est allé chercher de l'eau et est revenu avec de l'urine. A ce moment-là,
12 c'est ce qu'ils m'ont dit, donc : "Ce n'est pas ça qu'il faut, une balle
13 tout de suite, immédiatement, non." Mais c'est une supposition, parce que
14 le Moudjahidine nous a dit quand nous avons été fait prisonniers, il a
15 traduit cela en anglais, et Samac connaissait un peu l'anglais et il a
16 alors traduit cela pour nous.
17 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas compris ce qu'a dit le témoin.
18 M. ROBSON : [interprétation]
19 Q. Seriez-vous d'accord avec moi -- enfin, un peu plus tôt vous étiez
20 d'accord avec moi.
21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez-moi, mais l'interprète n'a pas
22 compris ce qu'a dit le témoin.
23 Mme LE JUGE LATTANZI : Je profite pour rappeler que je suis en français et
24 que la traduction en français arrive au moins 30 secondes peut-être même
25 une minute après la version anglaise.
26 M. ROBSON : [interprétation] Nous allons ralentir.
27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je voudrais que l'on revienne sur ce
28 point.
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1 [La Chambre de première instance et le Greffière se concertent]
2 Mme LE JUGE LATTANZI : Je voudrais dire que l'interprète français est en
3 train de dire, ce que quand même je savais aussi, qu'ils ne traduisent pas
4 du B/C/S, mais ils traduisent de l'anglais. Donc il arrive le B/C/S après
5 la traduction en anglais et après seulement la traduction en français. Je
6 voudrais que tout le monde se rappelle cela.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Madame le Juge. Je ne savais
8 pas cela.
9 Les deux points que je voulais évoquer avec vous sont les suivants : Le
10 témoin a dit l'interprète a dit qu'il n'avait pas entendu ce qu'a dit le
11 témoin, et les directives sur ce point que vous évoquez, en fait, ne sont
12 pas silencieux sur ce point. Si vous regardez au paragraphe 4 et au
13 paragraphe 11. Mais vous pouvez faire cela dans votre temps libre, quand
14 vous aurez un moment.
15 Alors, tout ce que je voudrais dire, c'est qu'ils vous interdisent de dire
16 au témoin le nom de témoin dont on a pris une déclaration pour la lui
17 citer. Et je pense que vous lui avez déjà dit.
18 M. ROBSON : [interprétation] Bien, Monsieur le Président, je retiens cela.
19 Q. Monsieur Marinkovic, pourrions-nous revenir au point où vous étiez en
20 train de nous expliquer quelque chose, parce que les interprètes n'ont pas
21 réussi à saisir la dernière partie de votre réponse.
22 Pourriez-vous à nouveau expliquer ce qu'a dit le Moudjahidine lorsqu'il a
23 entendu Gojko Vujicic qui jurait, qui maudissait ?
24 R. Ce n'était pas -- ce que je disais n'était pas au sujet de ce qu'a dit
25 le Moudjahidine. Comment pourrais-je le savoir, moi, ce qu'a dit le
26 Moudjahidine. Peut-être qu'il disait ---
27 L'INTERPRÈTE : Note de l'interprète, est-ce que le témoin pourrait, s'il
28 vous plaît, enlever la main qu'il a mise devant sa bouche parce que nous ne
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1 pouvons pas l'entendre.
2 M. ROBSON : [interprétation]
3 Q. Monsieur Marinkovic, s'il vous plaît, pourriez-vous, s'il vous plaît,
4 ne pas mettre votre main devant votre bouche. Les interprètes le demandent.
5 Merci beaucoup.
6 Juste que je puisse éclaircir ceci avant qu'on passe à autre chose. Vous
7 étiez d'accord avec moi tout à l'heure que Gojko Vujicic avait maudit Dieu.
8 C'est bien cela, avait juré contre Dieu ?
9 R. Le soleil. Il maudissait le soleil, Dieu, non.
10 Q. Bien. Donc un moment un peu plus tard, après qu'il ait fait cela, il y
11 a eu ce coup de fusil et vous avez appris qu'il avait été tué ?
12 R. Non, pas tout de suite. Pas tout de suite. Non, non. Non, pas
13 immédiatement. Le coup de feu -- d'abord il a demandé qu'on lui donne de
14 l'eau, et ceci et cela, et un peu plus tard, quelque temps plus tard, on a
15 entendu un fusil qui tirait. Nous ne savions pas ce qui s'était passé, nous
16 ne l'avons pas su jusqu'au lendemain matin.
17 Q. Bien. Je vous remercie. Je vous remercie. Donc ceci s'est passé lors de
18 la deuxième nuit où vous vous trouviez au camp. Ce que je vais vous
19 demander c'est ceci : après que cet événement ait eu lieu, est-ce que vous
20 vous rappelez qu'un Moudjahidine très grand est venu, vous a rendu visite à
21 vous et aux autres hommes qui se trouvaient dans cette pièce ?
22 R. Oui. Oui, oui, ils sont venus. C'est exact.
23 Q. Est-il vrai, n'est-ce pas, qu'il vous avait dit que vous n'auriez plus
24 à subir de coups, mais qu'il fallait que vous évitiez de jurer ou de dire
25 des jurons ?
26 R. Non, ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit. Nous avons été fait
27 prisonniers, nous avons été ramenés à cet endroit-là, et c'est à ce moment-
28 là que le Moudjahidine est venu. Je n'ai jamais dit qu'il était grand.
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1 Etait-il grand, n'était-il pas grand ? Il était assez corpulent en fait. Il
2 a dit ceci en anglais, puis Miodrag Samac nous a dit ce qu'il avait dit :
3 "Pas de jurons, pas de mots grossiers. Dès que l'un d'entre vous fera cela
4 ou dira 'foutre,' par exemple, il y a des têtes qui vont tomber." Alors, je
5 ne sais pas s'il a dit cela ou non, mais c'est ça ce qu'il nous a dit. Cet
6 homme juste est venu. Il était grand, un Moudjahidine. Oui, un
7 Moudjahidine, je suppose, il était corpulent et fort.
8 Q. Maintenant, seriez-vous d'accord avec moi qu'à partir de ce moment-là,
9 après que le Moudjahidine soit venu vous voir, il y a eu un moment où votre
10 traitement au camp s'est amélioré ?
11 R. En fait, ça ne s'est jamais vraiment amélioré, si vous le permettez.
12 Non, en gros - mais c'est juste ma façon de voir. Il y avait ce camp,
13 ensuite ils sont allés au front où ils sont revenus du front, de la ligne,
14 et nous pouvions les entendre qu'ils revenaient et ceci c'était vers deux
15 heures et demie. Le Moudjahidine a crié - je ne sais pas ce qu'ils ont dit
16 - ensuite, tout le monde est parti, et a dit "Allah Ekber." C'était comme
17 tout un peloton qui, à ce moment-là, revenait de quelque part et qui nous
18 amenait tous, nous les Chetniks, ils ont dit, ils ont dit : "Regardez-vous.
19 Ensuite, ils nous ont réunis, ils nous ont alignés et ils ont commencé à
20 cracher sur nous. Nous étions littéralement en train de dégouliner de leur
21 crachat.
22 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai la déclaration
23 d'un autre témoin qui était là. Je ne vais pas révéler son identité. Mais
24 je voudrais demander la permission de la Chambre de présenter cette
25 déclaration qui fait référence devant ce témoin.
26 Je ne suis pas sûr de ce que le témoin pourra en faire ou en tirer,
27 si je ne suis pas autorisé à révéler l'identité de celui qui a fait cette
28 déclaration.
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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez-moi, je ne sais pas. Qu'est-ce
2 que cette déclaration a à voir avec le nom, ou est-ce que ce nom a à voir
3 avec la teneur ?
4 M. ROBSON : [interprétation] Bien, Monsieur le Président, devant ce témoin
5 avec cette déclaration en ce qui concerne l'autre témoin qui était là --
6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous pouvez le confronter avec une
7 déclaration sans mentionner le nom de son auteur. Les directives disent
8 précisément de ne pas mentionner le nom.
9 Mais avant que vous ne fassiez cela, voudriez-vous nous dire ce qu'il faut
10 faire de la pièce D449 ?
11 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Président, je ne demande pas qu'il
12 soit versé au dossier comme élément de preuve.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien, très bien. Je vous remercie.
14 M. ROBSON : [interprétation]
15 Q. Monsieur Marinkovic, je voudrais vous présenter
16 maintenant la déclaration qui a été faite par l'un des autres hommes qui se
17 trouvait avec vous au camp. Ce qu'il dit c'est ceci : "Pendant notre
18 période, la période que nous avons passée au camp de Kamenica, il y a eu
19 une sorte de tournant en ce qui concerne le traitement que nous avions le
20 26 juillet 1995. Et ce jour-là, on nous a donné la possibilité de prendre
21 une douche."
22 Donc, Monsieur Marinkovic, l'un des hommes qui se trouvait avec vous a dit
23 que le 26 juillet, seulement peu de temps après que vous soyez arrivés, il
24 y a eu un changement dans le traitement qui vous était donné et que vous
25 avez été autorisés à prendre des douches. Etes-vous d'accord avec cela ?
26 R. Non, ce n'est pas vrai. Non, j'ai expliqué comment ça se passait en ce
27 qui concernait les douches. Je ne sais pas ce qu'a dit ce témoin. Demandez-
28 lui, si vous voulez. Si vous me demandez à moi ce qu'était la situation
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1 concernant les douches, je peux vous le dire.
2 Q. Bon, alors à l'évidence vous n'êtes pas d'accord avec ce témoin. Est-ce
3 que vous seriez d'accord avec moi qu'on vous a donné à manger et on vous a
4 donné à boire tous les jours après l'incident qui concernait M. Vujicic ?
5 R. Oui, ça c'est vrai. On nous a donné un casse-croûte, un petit déjeuner,
6 et un repas tous les jours. Parfois nous avions du choux vert, et parfois
7 de la nourriture en conserve, mais nous n'avions pas de cuillères, donc
8 lorsque nous avions un peu de pain, chacun de nous, un tout petit peu de
9 pain, lorsqu'il restait un fond dans la boîte, on pouvait à ce moment-là le
10 prendre à la main.
11 Quant aux douches, si vous voulez que je vous dise, je peux vous dire
12 quelque chose à ce sujet aussi.
13 Q. Je voudrais vous poser la question suivante, Monsieur Marinkovic : est-
14 il vrai aussi que la suite de l'incident concernant M. Vujicic, le Dr
15 Sikanic a reçu des médicaments de façon à pouvoir soigner les blessures des
16 hommes qui se trouvaient dans cette pièce, n'est-ce pas, le cas; n'est-ce
17 pas vrai ?
18 R. C'est en partie vrai. C'était plusieurs jours plus tard. Stokanovic
19 avait une blessure juste en dessous du genou, et Petko et l'autre gars
20 avaient des marques de fil de fer aux mains. C'était plusieurs jours plus
21 tard. Ça a commencé d'ailleurs à sentir mauvais, et ils ont jeté quelque
22 chose dans un sac, des bandages ou des pansements, quelque chose. Il n'y
23 avait pas d'autres médicaments, juste des bandages ou des pansements pour
24 les blessures, bien sûr, ce genre de chose.
25 Q. Est-il vrai que Vinko Aksentic, l'un de ces autres hommes, avait une
26 blessure à la main, et que le Dr Sikanic a pu soigner cette blessure aussi
27 ?
28 R. Je ne sais pas. Ce n'était pas seulement Vinko Aksentic, c'était aussi
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1 Petko. Ils portaient des blessures, tous deux avaient des blessures à cause
2 du fil de fer. Ils avaient eu les tendons entamés par le fil de fer.
3 C'était ça leurs blessures. Ce n'était pas seulement Stokanovic. Il y avait
4 deux ou trois autres personnes qui avaient ces blessures. Ce n'est pas
5 vraiment un problème s'il avait été en mesure de soigner qui que ce soit,
6 il est probable qu'il aurait soigné tout le monde de la même manière.
7 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas compris la dernière partie de la
8 réponse du témoin.
9 M. ROBSON : [interprétation]
10 Q. Monsieur Marinkovic, l'interprète n'a pas compris la dernière partie de
11 votre réponse. Pourriez-vous, s'il vous plaît, répéter cette dernière
12 partie ? Vous avez dit qu'il aurait probablement soigné tout le monde de la
13 même manière.
14 R. Oui, oui, tout à fait. Très probablement, il y avait Vinko qui avait
15 des blessures aux mains, mais pas seulement Vinko. Petko, Vinko et Stokan
16 [phon], eux aussi avaient des blessures, de sorte qu'il n'a pas simplement
17 soigné Vinko sans traiter les deux autres aussi. C'est ça que j'ai dit. Il
18 aurait soigné tous les trois. Il a pansé leurs blessures, pour les trois,
19 oui, ça c'est vrai, et il n'a pas fait de discrimination entre eux. C'est
20 simplement qu'il n'a pas pu, il ne pouvait pas du tout.
21 Q. Serait-il vrai de dire, n'est-ce pas, que juste avant que vous ne
22 quittiez le camp et que vous n'alliez à Zenica, un jour ou deux avant cela,
23 un Moudjahidine est venu c'était un médecin, et il a travaillé avec le Dr
24 Sikanic pour donner des soins aux hommes qui se trouvaient dans la pièce ?
25 R. Je sais que quelqu'un a apporté cela, un Moudjahidine ou un Bosniaque,
26 quelque chose en nylon, un sac en nylon, un sac en plastique ce soir-là, et
27 il l'a donné, "Docteur, docteur," il lui a parlé, "Bon, ça va."
28 Q. Bien, alors n'est-il pas vrai que le médecin moudjahidine a travaillé
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1 avec le Dr Sikanic pour préparer des pansements, et que le Dr Sikanic a
2 préparé et soigné ces hommes ?
3 R. Non, je n'ai pas vu cela. Il se peut que quelqu'un l'ait fait, mais je
4 ne l'ai pas vu, et j'étais sur place.
5 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai plus beaucoup
6 de questions à poser, mais je pense que ceci serait peut-être le bon moment
7 pour suspendre l'audience.
8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Effectivement.
9 Nous allons suspendre maintenant la séance et nous la reprendrons à six
10 heures moins quart.
11 La séance est suspendue.
12 --- L'audience est suspendue à 17 heures 15.
13 --- L'audience est reprise à 17 heures 48.
14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Robson, veuillez poursuivre.
15 M. ROBSON : [interprétation]
16 Q. Monsieur Marinkovic, vous avez dit que vous avez été transportés du
17 camp jusqu'à Zenica. Lors de ce transport, y avait-il des signes de sévices
18 soit sur vous, soit sur les autres hommes qui eux aussi été dans le camp ?
19 R. En ce qui nous concerne, je sais que moi, on voyait que j'avais été
20 battu. Pour ce qui est des autres, eux aussi ils avaient des séquelles
21 suite au fil de fer qui avait été utilisé, et cetera. En tout cas moi, on
22 voyait que j'avais été battu.
23 Q. Très bien. J'aimerais savoir s'il y avait des séquelles visibles peut-
24 être sur vos membres ou sur votre visage ?
25 R. Pas sur le visage. Mais sur mes jambes, oui. Enfin sur mon visage,
26 j'avais la cicatrice de là où j'avais été frappé par la crosse du fusil
27 avec le soldat, là où on m'avait cassé une dent. Et la dent avait percé la
28 lèvre. Pour ce qui est de la tête, j'ai encore une blessure ouverte. Ça
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1 c'est quand ils ont cassé le cadenas avec un marteau pour libérer mes
2 jambes qui étaient entravées.
3 Q. J'aimerais que l'on comprenne bien. Vous nous dites que vous aviez
4 quand même encore des séquelles des blessures sur votre visage, mais pour
5 ce qui est des autres hommes, vous ne savez pas si leur visage montrait des
6 cicatrices ou des séquelles ?
7 R. Non. Pour eux je ne peux pas le dire. Je ne sais pas. Sur Petko,
8 Stokanovic et sur Vinko j'ai vu qu'il y avait les traces du fil de fer qui
9 avait été employé. Ça je l'ai vu. Pour les autres, je ne sais pas. D'autres
10 signes de sévice, je n'en sais rien.
11 Q. Très bien. Maintenant regardons la pièce 2471.
12 Pouvez-vous lire, s'il vous plaît, l'intitulé de ce document, Monsieur
13 Marinkovic, et de nous dire ce dont il s'agit ? Vous êtes d'accord avec moi
14 pour dire qu'il s'agit d'un document du
15 28 août 1995 et intitulé "Note officielle" ?
16 R. Je ne sais absolument rien de tout cela.
17 Q. Je ne m'attends pas à ce que vous ayez vu ce document, mais j'aimerais
18 que vous regardiez le premier paragraphe --
19 R. En effet, je ne l'ai jamais vu.
20 Q. Il s'agit d'une note officielle qui a été rédigée le
21 28 août 1995, et compilée suite à un entretien avec vous, Krstan Marinkovic
22 ?
23 R. De toute façon, je ne vois absolument rien, car c'est écrit en
24 caractères qui sont beaucoup trop petits.
25 M. ROBSON : [interprétation] En effet, l'exemplaire sur l'écran n'est pas
26 très clair. Peut-être pouvons-nous donner copie papier au témoin.
27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pourriez-vous, s'il vous plaît, passer
28 dans le bas de la page en anglais.
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1 M. ROBSON : [interprétation]
2 Q. Voyez-vous mieux ce qui est écrit sur le document papier qui vous a été
3 donné ?
4 R. C'est écrit petit, mais je vais essayer de le déchiffrer. Puis-je le
5 lire ?
6 Q. Vous n'avez pas besoin de le lire à haute voix, mais on voit bien qu'il
7 y a des informations que vous avez données à une personne qui vous a
8 interrogé, n'est-ce pas ?
9 R. Oui, j'ai vu mon nom "Krstan Marinkovic." J'ai beaucoup de mal à savoir
10 de quoi il s'agit, il faut que vous m'aidiez. Je vois mon nom "Krstan
11 Marinkovic." Est-ce que c'est une personne que je suis censé rencontrer ?
12 Enfin dites-moi un peu qui a écrit ce document.
13 Q. Nous allons voir les informations. Il est écrit : "Compilé le 28 août
14 1995, suite à un entretien avec Krstan Marinkovic."
15 Ensuite on met certains détails : "Fils de Petar et Mladja." Il s'agit bien
16 de vos parents, n'est-ce pas ?
17 R. Oui.
18 Q. Ensuite nous avons une date de naissance, le
19 18 janvier 1947. Il s'agit bien de votre date de naissance, n'est-ce pas ?
20 R. Le 18 janvier 1947, c'est en effet ma date de naissance. Oui, tout va
21 bien. C'est bien moi.
22 Q. Ensuite, il y a encore certains détails à propos de votre état civil,
23 que vous êtes marié, que vous êtes père d'un enfant, que vous êtes
24 agriculteur.
25 R. Tout à fait.
26 Q. Que vous avez été à l'école primaire pendant quatre ans. Vous avez fait
27 vos quatre premières années d'école primaire.
28 R. Correct.
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1 Q. Résidence permanente à Crkvena ?
2 R. Correct.
3 Q. Donc il s'agit bien de vous, n'est-ce pas ?
4 R. Oui.
5 Q. Lorsque vous êtes arrivé au KP Dom à Zenica, vous avez été interrogé
6 par des membres de l'ABiH, n'est-ce pas ?
7 R. Oui.
8 Q. Donc si on regarde un peu plus bas dans le document, on voit que vous
9 avez donné des informations sur votre père Petar, sur votre femme, sur
10 votre fille, donc vous avez donné des informations --
11 R. Oui. Tout ça doit être vrai.
12 Q. Il y a des informations à propos du mari de votre fille.
13 R. Oui.
14 Q. Si nous passons à la page 2 en anglais et si nous descendons dans le
15 document dans la version B/C/S.
16 Nous voyons que vous parlez de votre famille encore. Ensuite vous parlez
17 d'un Croate extrêmement riche, Petar Sombrski, qui avait emmené des
18 Musulmans pour qu'ils travaillent dans ses champs.
19 R. Oui, oui. Mais je n'ai pas dit ça. Ce n'est pas correct. Ce n'est pas
20 vrai. Je n'ai pas dit cela. Allez-y, je vous dirai exactement ce qui
21 correct et ce qui ne l'est pas. Ça, en tout cas, ce n'est pas correct.
22 Q. Nous n'allons pas nous attarder sur ce détail, mais vous conviendrez
23 avec moi que dans ce document vous avez expliqué à la personne qui vous
24 interrogeait comment vous avez été envoyé dans votre section, comment vous
25 avez été muté dans la section. Vous avez ensuite des informations sur votre
26 unité, n'est-ce pas ? C'est bien ce dont il s'agit, n'est-ce pas, M.
27 Marinkovic ?
28 R. Non, ce n'est pas correct. Ce n'est pas vrai. Petar Sombrski n'a
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1 absolument pas fait venir des Musulmans pour travailler dans ses champs. Je
2 le sais, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai.
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le témoin a-t-il compris qu'il s'agit
4 d'information qu'il avait donnée à la personne qui faisait
5 l'interrogatoire, enfin du moins, a-t-il accepté cet état de fait ? Parce
6 que pour l'instant, je vous entends dire que vous avez dit ceci à
7 l'enquêteur, mais il n'a pas l'air d'avoir bien compris.
8 M. ROBSON : [interprétation]
9 Q. Monsieur Marinkovic, vous avez vu le document, donc regardez-le. Vous
10 avez donné beaucoup d'informations, d'abord sur vous et sur vos membres de
11 la famille, n'est-ce pas ?
12 R. Oui, je suis d'accord avec vous. Il m'a demandé beaucoup d'informations
13 à propos de ma famille, il m'a demandé si j'avais un père, une mère, mes
14 frères, et cetera.
15 Q. Vous êtes d'accord aussi pour dire que dans ce document quelqu'un a
16 écrit toutes les informations que vous donniez à l'enquêteur, à cette
17 personne qui vous a interrogé à propos des membres de votre famille ?
18 R. Ça, je n'en sais absolument rien.
19 Q. Nous avons un document sous les yeux. Ce document donne des
20 informations détaillées à propos des membres de votre famille, cela vous en
21 convenez avec moi, n'est-ce pas ?
22 R. Oui, tout à fait.
23 Q. Donc conviendriez-vous avec moi que la raison pour laquelle la personne
24 qui a préparé ce document a écrit autant d'informations détaillées à propos
25 des membres de votre famille c'est parce que c'est vous, vous-même, qui
26 avez donné toutes ces informations ?
27 R. Croyez-moi, je n'en sais rien. De qui s'agit-il ? C'est sans doute la
28 personne à qui j'ai tout dit qui a écrit tout cela. Tout ce qui concerne ma
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1 famille, et cetera, est correct, mais ce qui est écrit à propos Petar
2 Sombrski, ça ce n'était pas correct. Ça je n'en sais absolument rien.
3 Q. Très bien. Reprenons. Vous êtes quand même d'accord avec moi pour dire
4 que l'on vous a interrogé lorsque vous êtes arrivé à Zenica ?
5 R. Très certainement.
6 Q. Conviendriez-vous avec moi que lorsqu'on vous a interrogé, la personne
7 qui vous a interrogé ou les personnes qui vous ont interrogé ont noté les
8 informations que vous donniez, n'est-ce pas ?
9 R. Pourquoi voulez-vous que je sache ce qu'ils faisaient ?
10 Q. Vous pourriez peut-être en tirer cette conclusion, puisque vous avez
11 maintenant sous les yeux un document qui nous dit justement que suite à
12 l'interrogatoire du 28 août 1995, toutes sortes d'informations sur vous
13 étaient montées sur ce document.
14 R. Comment voulez-vous que je sache quel jour c'était.
15 Q. Nous allons étudier un passage précis de ce document.
16 Page 3 en anglais, je vais essayer de trouver le passage dans la version en
17 B/C/S.
18 Il s'agit malheureusement de la seule copie papier, celle que le témoin n'a
19 pas non plus, si l'on pouvait l'avoir pour que je puise repérer le passage
20 en question.
21 Nous avons trouvé le passage en question. Il faudrait maintenant rendre ce
22 document au témoin. Pour ce qui est de la version anglaise de la page 3, il
23 s'agit du texte qui se trouve à peu près au milieu de la page et qui
24 concerne les Moudjahidines.
25 Monsieur Marinkovic, pourriez-vous, s'il vous plaît, lire cette page à voix
26 basse et trouver le passage qui parle des Moudjahidines ?
27 R. Ecoutez, j'ai du mal à lire, mais je vais prendre mon temps. Vous
28 voulez que je lise tout à haute voix --
Page 3576
1 Q. Ce qui m'intéresse, c'est le passage qui commence par : "Dans sa
2 déclaration, la personne interrogée a dit qu'il ne savait pas qu'ils
3 avaient été attaqués par les Moudjahidines." Est-ce que vous voyez ce
4 passage ?
5 R. Non. J'ai trouvé.
6 Q. Je vais peut-être vous le lire, Monsieur Marinkovic.
7 R. Allez-y.
8 Q. "Dans sa déclaration, la personne interrogée a dit qu'il ne savait pas
9 qu'ils avaient été attaqués par les Moudjahidines. Sinon, ils ne se
10 seraient jamais rendus, parce qu'on leur a dit après l'opération du 27 mai
11 1995, que les Moudjahidines n'avaient pas de pitié, qu'ils tuaient et
12 qu'ils ne prenaient pas de prisonniers. Il a dit que les survivants de
13 l'opération viendraient compter des histoires épouvantables, mais il a dit
14 qu'il voyait qu'il avait eu de la chance et que toutes ces histoires
15 n'étaient pas entièrement véridiques."
16 Le voyez-vous ?
17 R. Je ne trouve pas ça très clair, même pas clair du tout.
18 Q. Veuillez répondre à ma question. Vous trouvez le passage, n'est-ce pas,
19 vous avez le passage sous les yeux ? Vous l'avez trouvé, n'est-ce pas ?
20 R. Oui, je l'ai vu.
21 Q. Conviendriez-vous avec moi que ce jour-là vous avez dit à la personne
22 qui vous interrogeait qu'en fait vous aviez entendu des histoires horribles
23 à propos des Moudjahidines, mais qu'en fait, les Moudjahidines n'étaient
24 pas aussi épouvantables qu'on vous avait laissé croire; est-ce que vrai ?
25 R. Non, non, pas du tout. Ça tout cela n'est pas vrai. Ça n'a rien à voir
26 avec moi.
27 Q. Mais pour ce qui est de ces passages à propos des Moudjahidines, vous
28 avez regardé le document, il n'y a aucune autre information à propos des
Page 3577
1 Moudjahidines dans ce document, n'est-ce pas, pas ce passage que je vous ai
2 lu.
3 R. Je ne peux pas le lire de toute façon. Donc je n'en sais rien. Mais
4 j'écoute, j'écoute vos questions, et tout ce que je peux vous dire c'est
5 que je ne comprends pas très bien votre question, je ne vous comprends pas
6 bien. Que j'aurais entendu des histoires épouvantables et qu'en fait ce
7 n'était pas vrai. Je n'ai jamais dit cela. Ça a été rajouté. Je ne le sais
8 pas. Je n'ai jamais dit cela à qui que ce soit, [inaudible] qu'étaient les
9 Moudjahidines, et cetera.
10 Q. Mais vous êtes d'accord avec moi quand même pour dire que c'est la
11 seule référence aux Moudjahidines que vous avez fait dans cette
12 déclaration, déclaration où vous avez donné énormément d'informations très
13 détaillées sur vous-même, sur votre famille, et cetera ?
14 R. Je ne sais absolument pas d'où vient ce document, je ne me souviens pas
15 de tout cela et je ne me souviens même pas que quelqu'un m'est jamais posé
16 ce type de questions d'ailleurs.
17 Q. Très bien, Monsieur Marinkovic. J'ai une dernière chose à vous
18 demander. Vous vous souvenez que ce matin, plus tôt dans la journée, on
19 vous a montré trois photographies ?
20 R. Oui.
21 Q. Montrant des maisons endommagées. Vous vous en souvenez ?
22 R. Oui.
23 Q. Conviendriez-vous avec moi que dans ces photographies, les maisons que
24 nous avons vues, les maisons endommagées avec ces deux cheminées c'était
25 une vision assez courante dans cette partie de la Bosnie-Herzégovine ?
26 R. Oui.
27 Q. On voit ce type de maisons un peu partout ?
28 R. Ça, c'est vrai.
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1 M. ROBSON : [interprétation] Merci, Monsieur Marinkovic. Je n'ai plus de
2 questions à vous poser.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie.
4 M. ROBSON : [interprétation] Avant de me rasseoir, j'aimerais demander le
5 versement au dossier de cette pièce.
6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La pièce 2471 sera versée au dossier.
7 Il faudra lui donner une cote.
8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Elle recevra la cote 545.
9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
10 Monsieur Wood, avez-vous des questions supplémentaires.
11 M. WOOD : [interprétation] Je n'ai plus de questions à poser.
12 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]
13 Mme LE JUGE LATTANZI : [hors micro]
14 Questions de la Cour :
15 Mme LE JUGE LATTANZI : Monsieur le Témoin, pourriez-vous nous dire comment
16 le soldat bosniaque, ce que vous avez qualifié comme soldat bosniaque,
17 quand vous avez été capturé, il y avait aussi les deux autres que vous
18 avez qualifié comme des Moudjahidines, comment ce soldat bosniaque était-il
19 habillé, si vous vous rappelez ?
20 R. Je ne peux pas. Je n'ai pas regardé. Tous les trois avaient un
21 uniforme. Est-ce que c'était un uniforme de plusieurs couleurs ou vert
22 olive, ça non, non, je ne peux pas vous le dire. Je ne sais pas.
23 Mme LE JUGE LATTANZI : Mais tous les trois avaient un
24 uniforme ?
25 R. Oui, bien sûr.
26 Mme LE JUGE LATTANZI : Et les soldats qui sont venus et venaient
27 quelquefois dans la maison où vous étiez à Gostovici, je pense, et comment,
28 vous vous rappelez comment étaient-ils habillés les soldats que vous avez
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1 qualifiés comme soldats bosniaques ?
2 R. Les soldats bosniaques portaient un uniforme bigarré de plusieurs
3 couleurs. Les Moudjahidines, je ne sais pas comment ils étaient habillés
4 quand ils allaient en action. Mais là quand ils venaient nous voir, ils
5 n'avaient que des baskets et ils avaient une espèce de vêtement comme une
6 draperie - je ne sais pas comment vous appelez ça - comme une jupe. Ce
7 n'était pas un uniforme.
8 Mme LE JUGE LATTANZI : Merci.
9 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Merci, Monsieur Marinkovic.
10 La présente affaire, comme vous le comprendrez aisément, a un rapport avec
11 les activités des Moudjahidines, donc j'ai une question à vous poser qui
12 concerne certaines de ces activités qui n'ont pas encore fait l'objet de
13 votre témoignage.
14 Ma question est la suivante : vous rappelez-vous si des Moudjahidines sont
15 venus vous enregistrer au moment où vous avez été fait prisonnier ?
16 R. Non.
17 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Est-ce que cela veut dire que vous ne
18 vous en souvenez pas ou est-ce que cela veut dire que vous savez avec
19 certitude que vous n'avez pas été enregistré ?
20 R. Je ne me rappelle pas tout dans le moindre détail, s'ils nous ont
21 inscrits ou pas. Mais d'après moi ils ne l'ont pas fait.
22 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Un enregistrement en bonne et due
23 forme, cela signifie que quelqu'un vient vous demander votre nom, votre
24 prénom, votre grade --
25 R. Je crois que les Bosniaques, oui, mais les Moudjahidines, non. Comment
26 est-ce qu'ils auraient pu m'interroger les
27 Moudjahidines ? Comment ils auraient pu me poser leurs questions ? Non,
28 non, je ne m'en souviens pas de ça. Peut-être en présence d'un Bosniaque,
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1 mais des Moudjahidines.
2 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] D'accord. Donc un soldat bosniaque
3 est venu vous enregistrer. Est-ce cela dont vous vous souvenez ? Est-ce que
4 vous vous rappelez avoir donné votre nom, votre prénom, votre grade, à qui
5 que ce soit après le moment où vous avez été fait prisonniers ?
6 R. Bien, il est fort probable, qu'on a été inscrit, enregistré, mais je
7 crois que ce sont les Bosniaques qui l'ont fait. Parce que comment est-ce
8 qu'on aurait pu se comprendre avec les Moudjahidines ? Il faut bien que
9 quelque chose ait été écrit, mais --
10 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Très bien. Ensuite quand on vous a
11 transférés du camp de Kamenica à Zenica, est-ce que d'une façon ou d'une
12 autre vous avez été échangés contre d'autres prisonniers --
13 R. Moi, je suis parti le 23, 24 août pour Zenica, et je suis parti de
14 Zenica le 25 pour rentrer à la maison, le 25 décembre.
15 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Donc vous avez passé à peu près
16 quatre mois à Zenica ?
17 R. Oui. Avec la totalité sur le front, Gostovici, et tout le reste, je
18 suppose que ça ne fait pas plus de six mois. Oui, oui. En fait, je suis
19 parti de chez moi le 30 juin et j'y suis rentré le
20 25 décembre 1995. Donc il manquait encore cinq jours pour qu'on soit en
21 1996. Moi, je compte tout.
22 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Vous avez été relâché après la fin de
23 la guerre.
24 R. Exact. Le 21 novembre, à Zenica, nous avons entendu parler de la
25 signature de l'accord de Dayton, donc nous le savions, mais moi, je suis
26 rentré chez moi sans avoir été enregistré par la Croix-Rouge.
27 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Mais l'aspect qui m'intéresse c'est
28 le suivant, si vous êtes au courant : comment le transfert a-t-il été
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1 organisé à partir du camp de Kamenica vers Zenica ? Vous étiez détenus dans
2 le camp de Kamenica par les Moudjahidines, après quoi vous avez été
3 transférés dans un centre de détention tenu par les soldats de l'ABiH à
4 Zenica. Savez-vous comment ce transfert a été organisé ?
5 R. Ça je l'ai déjà raconté, mais je vais le répéter. Le
6 24, dans l'après-midi, on nous a fait sortir à Gostovici et on nous a mis
7 ces chaînes. Quelqu'un est venu. On nous ligoté les mains et on nous a mis
8 un bandeau avec les mains ligotées, et on nous a conduits à Zenica.
9 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Oui, oui. Je sais dans quelles
10 conditions cela s'est passé, j'ai compris. Mais ce que je vous demande,
11 c'est si vous savez quelles ont été les dispositions qui ont été prises
12 entre le Détachement des Moudjahidines --
13 R. Non, non, --
14 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] -- et l'ABiH.
15 R. Non, non, ça je ne sais pas.
16 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Vous ne savez rien de tout cela.
17 R. Non, non, je n'en sais rien.
18 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Merci, Monsieur. Je n'ai plus de
19 questions, Monsieur le Président, pour ce témoin.
20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge Harhoff.
21 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Sauf --
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous en prie.
23 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Non, non, ce que je voulais c'était
24 exprimer notre compassion pour les souffrances vécues par le témoin. Merci.
25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Marinkovic, quelques petites
26 questions encore.
27 Quand vous étiez dans la tranchée le 21 juillet 1995, vos unités se
28 battaient contre quelle armée ?
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1 R. Ça non plus je ne sais pas. Le plus probablement - enfin, je ne sais
2 pas. Cette question n'est pas claire pour moi. J'étais du côté, je pense,
3 que c'est le plus probable que cela faisait partie de la Republika Srpska,
4 alors que les autres ils étaient dans la fédération. Maintenant, quelle
5 armée c'était ? Je ne sais pas. Il y avait l'armée bosniaque et les
6 Moudjahidines.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] D'accord. Vous dites que c'est l'armée
8 bosniaque et les Moudjahidines qui se trouvaient là. Merci beaucoup.
9 Peut-être trouverez-vous que ma question suivante est encore moins claire.
10 Vous nous avez parlé de soldats qui étaient en uniforme quand vous-même
11 vous vous trouviez quelque part à l'intérieur d'une maison. Savez-vous de
12 quelle armée dépendaient ces uniformes ? A quelle armée appartenaient ces
13 uniformes, si vous le savez.
14 R. Voyez-vous, il était très difficile à cette époque-là de reconnaître
15 les gens par leur uniforme, parce qu'il y avait l'uniforme SNB du
16 gouvernement de Tito et l'uniforme bigarré qui se ressemblaient beaucoup.
17 Alors, comment on pouvait savoir qui faisait partie de telle armée. Non,
18 non, non.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Si vous ne savez pas, contentez-vous
20 de dire je ne sais pas.
21 R. Je ne le sais pas.
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous n'avez cessé de dire pendant
23 votre contre-interrogatoire mené par Me Robson que : "Si on voulait que
24 vous nous parliez des douches, vous pouviez le faire." Que voulez-vous dire
25 au sujet des douches ?
26 R. Vous me demandez - c'est moi qui dois répondre ?
27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, tout à fait.
28 R. Voilà, par exemple, cette histoire qu'on a entendue sur un bain, nous,
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1 nous étions enchaînés, une chaîne unique. Donc on passe sur une rive, on
2 longe la rive, on arrive à une rivière. Je crois que la rivière s'appelait
3 - maintenant j'ai oublié de nom - je m'en souvenais à l'époque. C'est une
4 rivière qui n'est pas très profonde, elle est pleine de cailloux et des
5 galets. Alors, on nous a mis le long de la rive, on nous dit de coucher par
6 terre et de laper l'eau, tous enchaînés, puis on nous dit de nous relever.
7 Il faut bien que finalement on sèche, parce qu'on ne peut pas enlever nos
8 vêtements puisqu'on est enchaîné, il y a une chaîne qui nous relie les uns
9 aux autres. Alors, on ne peut pas se déshabiller. Si on appelle ça prendre
10 une douche, tous les matins on allait à la rivière, mais on ne pouvait
11 jamais ni se sécher correctement ni rien. Donc les vêtements séchaient sur
12 nous jusqu'à la prochaine fois. Voilà ce que c'était la douche.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pour finir - et c'est seulement si
14 vous le souhaitez, parce que si vous le souhaitez pas, je n'aurais aucun
15 problème à renoncer à cette question. Seriez-vous prêt à nous montrer la
16 blessure que vous avez au pied ?
17 R. Oui, je suis prêt.
18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien, faites-le, je vous en prie ?
19 R. Comment est-ce que je vais faire ça. Je peux enlever les écouteurs ou
20 je dois les garder ? La voilà ma plaie, la voilà. Ils l'ont vue ou ils ne
21 l'ont pas vue. Je vais enlever cela et comme ça je pourrais me mettre
22 debout. C'est là qu'était attachée la chaîne avec le cadenas.
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.
24 Y a-t-il des questions faisant suite aux questions des Juges.
25 M. WOOD : [interprétation] Une question, Monsieur le Président, qui
26 découle de certaines questions posées par M. le Juge Harhoff. Je pense que
27 le compte rendu d'audience n'est pas tout à fait clair sur ce point.
28 Nouvel interrogatoire par M. Wood :
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1 Q. [interprétation] Monsieur Marinkovic, page 74, ligne 2 du compte rendu,
2 puis encore, la ligne 9 de cette même page, vous avez dit : "Ce sont les
3 Bosniaques qui sont venus nous enregistrer. Si nous avons été enregistrés
4 ce sont les Bosniaques qui l'ont fait."
5 J'aimerais que tout soit très clair au compte rendu - ce n'est peut-être
6 pas le cas jusqu'à présent. Est-ce qu'en fait, vous savez que vous avez été
7 enregistrés pendant le temps que vous avez passé là-bas ?
8 R. C'est possible, je ne le sais pas. Je ne peux pas savoir si on nous a
9 enregistrés avant Zenica. Peut-être que ça été le cas. Mais à Zenica, ça je
10 sais que le soir de notre arrivée, un par un, on nous faisait entrer dans
11 un bureau. D'ailleurs, j'ai eu le droit, parce que je n'ai pas dit
12 "bonsoir." Je ne savais pas qu'il fallait dire bonsoir à ce monsieur, et il
13 m'a dit : "Dis d'abord bonjour, sors du bureau et rentre ensuite." Alors je
14 suis rentré une deuxième fois et j'ai dit "bonsoir" et on m'a enregistré.
15 Mais là-haut, avant, peut-être, je ne le sais pas, c'est possible, mais je
16 ne le sais pas.
17 M. WOOD : [interprétation] C'était la seule question que je voulais poser
18 au témoin, Monsieur le Président.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.
20 Maître Robson.
21 M. ROBSON : [interprétation] Un seul point, Monsieur le Président.
22 Contre-interrogatoire supplémentaire par M. Robson :
23 Q. [interprétation] Monsieur Marinkovic, répondant aux questions de Mme le
24 Juge Lattanzi qui vous demandé ce qu'il en était de ces soldats qui
25 entraient et sortaient de la maison, vous avez dit que les soldats
26 Bosniaques portaient un uniforme de camouflage. Alors, si j'ai bien compris
27 ce que vous avez dit dans votre déposition auparavant, vous n'avez pas
28 vraiment eu la possibilité de regarder de très près ces hommes que vous
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1 appelez des soldats bosniaques, n'est-ce pas ?
2 R. Vous n'avez pas raison. La tête, il fallait la garder comme ça, mais
3 les Bosniaques étaient à côté de nous. Par exemple, nous, nous n'avions
4 rien sur les pieds, mais lui avec ses brodequins militaires, il saute comme
5 ça. Il saute sur les pieds de chacun d'entre nous et il dit : "Est-ce qu'il
6 y a quelqu'un qui oserait se battre avec moi ?" Comment je n'ai pas eu la
7 possibilité, bien sûr, du coup de l'œil, on n'avait pas le droit, mais on
8 le faisait quand même.
9 Q. Ces hommes que vous appelez des soldats portaient des uniformes
10 différents, qui n'étaient pas tous les mêmes ?
11 R. C'est exact.
12 Q. Vous étiez obligés de garder la tête baissée ?
13 R. Oui.
14 Q. Vous n'avez vu aucun insigne sur leurs uniformes ?
15 R. Nous n'en avons pas vu, parce que si tu regardais en l'air - mais quand
16 même, moi-même en regardant en bas, je pouvais voir certaines choses au
17 moins en partie, mais les insignes non.
18 M. ROBSON : [interprétation] D'accord. Merci. Pas d'autres questions.
19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
20 Monsieur Marinkovic, ceci met un point final à votre déposition. Nous
21 tenons à prendre le temps nécessaire pour vous remercier chaleureusement
22 d'être venu témoigner. Vous pouvez maintenant vous retirer, donc vous
23 pouvez vous lever. Mais avant de sortir de cette salle, nous tenons à vous
24 exprimer l'espoir que votre blessure va finalement se cicatriser. Je sais
25 que pas mal de temps s'est écoulé depuis, mais nous espérons que cela ira
26 pour vous.
27 Vous pouvez maintenant vous lever et sortir. Je vous remercie.
28 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, peut-être qu'avant la
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1 sortie du témoin, il serait bon de le mettre en garde, car il y a peut-être
2 d'autres témoins qui résident au même hôtel que lui.
3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] D'accord.
4 Monsieur, je ne sais pas si vous connaissez le témoin qui va être entendu
5 après vous et si vous êtes dans le même hôtel. Mais nous vous mettons en
6 garde contre le risque de discuter de cette affaire avec ce témoin.
7 Maître Vidovic.
8 Mme VIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, oui, nous comprenons
9 tout à fait. Mais vraiment, nous vous demandons de faire en sorte que ce
10 témoin n'habite pas dans le même hôtel que l'autre parce que vraiment cela
11 n'a aucun sens. Si les deux témoins habitent dans le même hôtel, ils
12 peuvent discuter ensemble de tout.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Est-ce que je pourrais poser une ou deux
14 questions aux Juges de la Chambre. Une ou deux phrases ?
15 Je peux ?
16 Alors, par exemple, cet homme du premier jour au dernier jour, il était
17 avec moi dans le camp, cet homme qui est avec moi maintenant, alors je ne
18 vois vraiment pas ce que je pourrais faire pour influer sur lui vraiment,
19 aucune influence. Nous avons pensé six mois côte à côte. Ça n'a pas de
20 logique. C'est un homme éduqué. Moi, vous voyez, je suis un homme simple,
21 j'ai fait quatre ans d'école primaire. Comment est-ce que je pourrais lui
22 dire quoi que ce soit. D'ailleurs ce n'est pas nécessaire. Je ne comprends
23 pas. Mais enfin, si c'est comme ça, s'il le faut.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous comprenons ce que vous dites.
25 Tout ce que nous vous disons, c'est vous, personnellement, de faire le
26 travail qui vous incombe, donc de ne pas parler de votre déposition avec
27 lui.
28 Donc tenir votre promesse.
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1 Puisque nous en sommes là, Maître Vidovic, la question du même hôtel
2 a été évoquée par moi pour la première fois. Si je peux citer ce qui a été
3 dit, je cite :
4 "Je ne sais pas si vous savez que le témoin qui sera entendu après vous,
5 est-ce que vous le connaissez, est-ce qu'il réside dans le même hôtel que
6 vous." Et je ne sais pas si les deux hommes sont dans le même hôtel,
7 Maître, et malheureusement, les dispositions pratiques n'incombent pas à la
8 Chambre, donc ne sont pas du ressort de la Chambre. Je ne sais pas si je
9 peux vous aider, hormis de mettre en garde le témoin, comme je viens de le
10 faire. Je ne sais pas s'ils résident dans le même hôtel, mais c'est
11 possible.
12 Merci beaucoup, Monsieur Marinkovic. Vous pouvez maintenant vous lever et
13 quitter la salle. Je vous souhaite un bon voyage de retour chez vous.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
15 [Le témoin se retire]
16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Mundis.
17 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, l'Accusation n'a pas
18 d'autre témoin prévu pour aujourd'hui. Le témoin suivant sera disponible
19 demain et nous prévoyons que son audition devrait durer toute la journée,
20 mais que nous serons sans doute en mesure de terminer son audition durant
21 la journée de demain.
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien.
23 Suspension d'audience jusqu'à demain 14 heures 15 dans le même prétoire.
24 Excusez-moi, Maître Robson.
25 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais simplement,
26 si vous me le permettez, vous soumettre deux questions.
27 La première sera brève, je pense.
28 Je ne voudrais en aucun cas manquer de respect aux Juges de la Chambre,
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1 mais la Défense souhaite simplement exprimer ces quelques préoccupations
2 par rapport à l'expression de compassion pour le témoin.
3 Nous nous rendons bien compte que le sujet traité aujourd'hui était un
4 sujet qui a suscité pas mal d'émotions. La déposition du témoin a
5 effectivement été assez lourde. Certains pourraient dire, bien sûr, que ce
6 ne sera pas le cas, mais certains pourraient dire que la compassion
7 exprimée par la Chambre est une façon d'être partielle vis-à-vis du témoin.
8 Ce n'est pas que je suis en train de dire, mais cette perception peut
9 exister et, par conséquent, j'ai évoqué ce point. Nous estimons que c'était
10 de notre devoir.
11 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Puis-je répondre ?
12 M. ROBSON : [interprétation] Je vous en prie.
13 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] C'est moi qui ai exprimé ma
14 compassion, et je l'ai fait après mûre réflexion, car je crois que dans
15 toutes les affaires jugées par ce Tribunal, et pas seulement celle-ci, les
16 témoins qui viennent ici pour être entendus en tant que témoins et qui
17 étaient également des victimes, le font en déployant des efforts très
18 importants pour venir ici raconter leurs histoires une nouvelle fois. C'est
19 épuisant et cela constitue un sacrifice important pour la plupart d'entre
20 eux, et j'estime que si le Tribunal ne trouve pas un moyen d'exprimer une
21 forme de sentiment par rapport à ce que ces témoins ont vécu, si le
22 Tribunal ne reconnaît pas le courage dont ont fait preuve ces témoins pour
23 témoigner, dans ce cas, il me semble que le Tribunal ne remplirait pas sa
24 tâche de façon satisfaisante.
25 Je considère qu'il est très important que les Chambres de première
26 instance, pas seulement en l'espèce mais dans d'autres affaires également,
27 montrent que les Juges ressentent de la compassion pour ce que les témoins
28 ont dû vivre, et ceci, à mon avis, n'est en aucun cas un signe de
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1 partialité quelconque de la part des Juges d'une Chambre. Cela signifie
2 simplement qu'un homme exprime son respect pour un autre homme dès lors
3 qu'il se rencontre que cet autre homme a vécu des souffrances très
4 importantes et a réuni le courage pour venir en parler devant un Tribunal.
5 C'est une question d'éthique, et je crois que mes explications devraient
6 suffire.
7 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Juge, aucune critique n'était à
8 entendre dans mes propos. Bien entendu, je comprends très bien la
9 perception qui est la vôtre. Je ne suggère en aucun cas que la Chambre
10 aurait un préjugé quelconque, et je comprends les explications que vous
11 venez de fournir, qui sont très certainement des motifs très valables pour
12 dire ce qui a été dit au témoin.
13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je souhaite simplement m'exprimer
14 également car j'ai déjà dit quelques mots à ce sujet. J'ai demandé au
15 témoin de montrer les blessures qu'il a sur le corps et je lui ai souhaité
16 de se remettre de ses blessures. Mais je tiens à dire encore quelques mots
17 sur ce point, en ajoutant également quelques mots à ce qu'a dit M. le Juge
18 Harhoff, l'existence de ces blessures n'est pas contestée en l'espèce,
19 n'est-ce pas ? Vous ne la contestez pas, vous ne contestez pas que cet
20 homme ait été blessé. Tout ce que vous dites c'est que l'accusé n'est pas
21 responsable de cela. C'est cela que dit la Défense. Je n'ai pas entendu un
22 mot de contestation au sujet de ces blessures, donc je ne vois pas très
23 bien où il pourrait y avoir partialité, même si les perceptions sont
24 autorisées à avoir leur place dans la globalité, dans l'ensemble.
25 Toutefois, je crois comprendre que ce que vous avez dit était un
26 commentaire sur un point, un fait non contesté et que vous l'avez dit après
27 les propos du Juge Harhoff, dans les mêmes conditions que celles dans
28 lesquelles se trouve un témoin qui s'assied sur la chaise des témoins et
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1 prononce sa déclaration solennelle et qui manifeste de ce fait un grand
2 respect pour la Défense. Nous devons faire preuve de compassion vis-à-vis
3 des deux parties, et si un témoin de la Défense vient ici et dit : "On m'a
4 tiré dessus," les membres de la partie adverse doivent montrer de la
5 compassion.
6 M. ROBSON : [interprétation] Je vous remercie de tout cela, Monsieur le
7 Président, je vous remercie des explications fournies. Toutefois, si je
8 pouvais évoquer un deuxième point, j'aimerais le faire rapidement.
9 Il s'agit d'un point de procédure qui est apparu au cours du contre-
10 interrogatoire, le fait de soumettre à un témoin une déclaration écrite
11 provenant d'un autre témoin que celui qui témoigne.
12 Monsieur le Président, j'ai vérifié les directives, et le paragraphe 4 --
13 plutôt paragraphe 11 des directives concerne précisément une situation de
14 ce genre, à savoir qu'une partie soumet à un témoin une déclaration
15 provenant d'un autre témoin en l'espèce ou dans une autre affaire, autre
16 témoin donc que celui qui est en train de témoigner à ce moment-là.
17 Ce que je voudrais dire c'est que lorsque quelqu'un met sa position par
18 écrit sur un problème particulier, cela peut se faire dans une lettre, à ce
19 moment-là la lettre est montrée au témoin sans poser le moindre problème.
20 C'est la même chose si cette personne consigne sa position dans un journal
21 intime. Le journal intime peut être présenté au témoin qui est en train de
22 témoigner dans le prétoire sans que cela pose le moindre problème.
23 Mais le témoin qui a été interrogé par un enquêteur du bureau du Procureur,
24 a vu ses propos consignés dans une déclaration écrite sur une feuille de
25 papier, il semble que c'est de cela que nous parlons aujourd'hui, et qu'en
26 raison de cela il est impossible de soumettre cette déclaration écrite à un
27 autre témoin. A mon avis, les choses devraient être comprises différemment.
28 Dans le cas d'un témoin qui rencontre un enquêteur du bureau du Procureur,
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1 on le met en garde contre le risque de faux témoignage, on lui dit que ceci
2 pourrait avoir des conséquences graves s'il ne dit pas la vérité, et donc
3 je propose que la déclaration écrite de témoin établie par le bureau du
4 Procureur a une valeur encore plus importante qu'une lettre ou un journal
5 intime, ou n'importe quel autre document écrit. Sur la base des directives
6 et sur la base de ce que je viens de dire, Monsieur le Président,
7 j'espérais que des déclarations écrites d'autres témoins pourraient être
8 soumises au témoin en train de témoigner dans le prétoire.
9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Lisons ce passage.
10 Les parties sont invitées à éviter toute interprétation ou paraphrase de ce
11 qu'un témoin a dit précédemment dans une déclaration écrite ou dans une
12 déposition orale. La Chambre de première instance considère qu'une telle
13 paraphrase augmente le risque de déformation d'une déclaration antérieure
14 ou d'une déposition antérieure. Donc ce libellé concerne aussi bien les
15 déclarations écrites que les dépositions orales. Je pensais vous avoir
16 entendu dire qu'au paragraphe 4 et 11, il n'était pas question de
17 déclarations écrites, or il est question de déclarations écrites et de
18 témoignages oraux.
19 M. ROBSON : [interprétation] Monsieur le Président, si je comprends bien le
20 paragraphe 4, il porte sur les déformations des propos ou les mauvaises
21 paraphrases d'une déclaration écrite ou d'un témoignage oral. Par
22 conséquent, je suis tout à fait d'accord avec le fait qu'une déclaration
23 écrite de témoin peut être soumise à un autre témoin en train de déposer,
24 et que dans ce cas il faut qu'on lise dans le texte exactement ce qu'a dit
25 ce témoin. Qu'il ne faut pas qu'il y ait déformation des propos.
26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] C'est exact. Le paragraphe 11 des
27 directives régit l'obligation de "ne pas dire au témoin interrogé quel est
28 l'auteur de la déclaration écrite, que l'on soumet".
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1 M. ROBSON : [interprétation] La différence avec le paragraphe 11, Monsieur
2 le Président, c'est qu'on ne parle que de témoignage, alors qu'il faudrait
3 établir une distinction entre une déclaration écrite de témoin et une
4 déposition orale. Le paragraphe 11 prévoit l'interdiction de confronter un
5 témoin avec le témoignage d'un autre témoin, mais ne dit rien des
6 déclarations écrites.
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'entends ce que vous avez à l'esprit.
8 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Puis-je dire quelques mots ?
9 En fait, c'est Mme le Juge Lattanzi qui a appelé mon attention sur ce
10 point, et peut-être que c'est elle qui aurait dû s'exprimer la première,
11 mais montrer à un témoin qui a déjà témoigner et ne témoignera plus par la
12 suite ce que d'autres témoins ont dit dans leur déposition est probablement
13 autorisé, mais c'est un peu compliqué, pour le moins, de montrer à un
14 témoin qui est en train de témoigner, ce que d'autres témoins qui seront
15 appelés plus tard vont dire.
16 M. ROBSON : [interprétation] S'agissant des déclarations écrites de
17 témoins, j'ai été forcé de confronter le témoin avec cette déclaration
18 écrite, et elle concernait un témoin qui témoignera ultérieurement. Mais si
19 on laisse ça de côté --
20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce un témoin de la Défense ?
21 M. ROBSON : [interprétation] Non, c'est un témoin de l'Accusation.
22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc vous ne savez pas s'il a des
23 chances d'être entendu, s'il a des chances de témoigner ?
24 M. ROBSON : [interprétation] Peut-être qu'il ne le fera pas. En fait, c'est
25 une possibilité, absolument.
26 M. MUNDIS : [interprétation] Excusez-moi d'interrompre, mais pour que tout
27 soit clair, vis-à-vis du témoin Trivicevic, il témoigne demain. C'est
28 demain qu'il est entendu.
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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] D'accord. Mais pour ce qui nous
2 intéresse ici, s'agissant d'un témoin qui n'a pas encore témoigné,
3 l'Accusation pourra encore décidé de retirer ce témoin de la liste. Il est
4 possible encore que ce témoin ne soit pas entendu. C'est tout ce que je
5 disais.
6 M. ROBSON : [interprétation] S'agissant d'une déclaration écrite de témoin,
7 j'essayais de confronter le témoin qui était ici dans le prétoire à une
8 déclaration écrite d'un autre témoin qui n'est pas un témoin en l'espèce.
9 Ce que j'aimerais ajouter, c'est que j'ai parlé à d'autres conseils de la
10 Défense dans d'autres affaires au sujet de cette question particulière, et
11 il semble qu'il y est une pratique assez diversifiée au Tribunal à ce
12 sujet. Ce que je peux vous dire, c'est que suite à mes contacts avec des
13 conseils de la Défense de l'affaire Haradinaj, de l'affaire Boskoski, il
14 est certain que dans ces deux affaires, les déclarations écrites de témoins
15 provenant d'autres témoins que celui qui est en train de témoigner peuvent
16 lui être soumises à condition que ce témoin ait déjà déposé, bien entendu.
17 Cela se passe régulièrement dans ces deux autres affaires.
18 Finalement, ce que j'invite la Chambre de première instance à faire, c'est
19 de suivre la même pratique que celle qui est suivie dans ces deux autres
20 Chambres de première instance.
21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien. Je ne suis pas sûr que nous
22 soyons liés par la pratique d'une autre Chambre de première instance. Peut-
23 être que les parties voudraient préparer des écritures sur ce sujet. Nous
24 les examinerons et nous déciderons si oui ou non il importe ou il convient
25 d'en modifier les directives. Est-ce que cela ne serait pas une meilleure
26 façon de traite le problème ?
27 M. ROBSON : [interprétation] Cela me satisferait tout à fait, bien entendu,
28 Monsieur le Président.
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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup. Nous en restons là.
2 Je vous remercie.
3 D'autres questions ? Non ? Merci beaucoup.
4 Ceci met un terme à l'audience d'aujourd'hui. Suspension jusqu'à 14
5 heures 15 demain dans le même prétoire.
6 --- L'audience est levée à 18 heures 43 et reprendra le jeudi
7 4 octobre 2007, à 14 heures 15.
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