Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mardi 5 mai 2009

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 06.

  5   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour.

  6   Madame Kravetz.

  7   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci. Bonjour, Monsieur le Président,

  8   Messieurs les Juges. Avant l'arrivée dans le prétoire du témoin prochain,

  9   je voudrais faire le point sur le calendrier des témoins de cette semaine.

 10   L'Unité d'aide aux Victimes et aux Témoins vient de nous informer juste

 11   avant le début de cette audience que du fait que M. Brakovic n'est plus

 12   hospitalisé. Son état de santé, et c'est tant mieux, s'est amélioré, on

 13   nous a fait savoir qu'il pourrait être disponible pour déposer juste après

 14   M. Abrahams. Toutefois, je me dois d'indiquer que nous n'avons pas encore

 15   été en mesure de lui parler. Nous le ferons cet après-midi ou dans la

 16   courant de l'après-midi, et je serai donc en mesure de vous donner

 17   davantage d'informations à la fin de l'après-midi, le cas échéant, pour

 18   confirmer ce que je viens d'évoquer.

 19   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bien. Nous sommes heureux pour le

 20   témoin, et nous sommes heureux de pouvoir éventuellement entendre ce témoin

 21   avant la fin de la semaine. Cela dépend, bien sûr, du progrès de la

 22   déposition de M. Abrahams.

 23   Mme KRAVETZ : [interprétation] Je tenais également à ajouter que les deux

 24   témoins de fait dont nous avons avancé la déposition au cas où M. Brakovic

 25   ne pourrait pas déposer cette semaine, M. Latifi et Mme Hajrizi, nous avons

 26   réussi à obtenir leurs visas, les dispositions ont été prises pour

 27   organiser leur déplacement. Donc au cas où M. Brakovic ne se sentirait pas

 28   suffisamment bien pour déposer à la fin de la déposition de M. Abrahams,

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  1   dès jeudi, nous entendrons Mme Hajrizi. Mais nous ne serons en mesure de le

  2   confirmer qu'en fin d'après-midi aujourd'hui.

  3   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci beaucoup. Bien.

  4   Nous pouvons peut-être faire entrer M. Abrahams.

  5   Monsieur Djurdjic.

  6   M. DJURDJIC : [interprétation] Monsieur le Président, avant de faire entrer

  7   le témoin, j'aimerais faire quelques remarques et quelques propositions

  8   s'agissant de la déposition de M. Fred Abrahams.

  9   La Défense souhaite marquer son opposition eu égard à certaines

 10   parties de la déclaration de M. Abrahams. En effet, nous pensons que ces

 11   parties sont dépourvues de pertinence et de fiabilité et qu'il ne serait

 12   pas convenable de les entendre de la bouche d'un témoin factuel. La Défense

 13   souhaite insister sur le fait que M. Abrahams a été cité ici en tant que

 14   témoin de fait, et non pas en tant qu'expert dans quelque domaine que ce

 15   soit, d'où notre objection qui porte sur les parties de sa déclaration dans

 16   lesquelles il agit en tant qu'expert à toutes fins utiles. S'il avait été

 17   cité à ce titre, nous nous conformerions à l'article 94 bis du Règlement de

 18   procédure et de preuve, me semble-t-il.

 19   La Défense fait donc objection à la présentation de la pièce P386

 20   dont le versement au dossier a été demandé par l'Accusation. Il s'agit d'un

 21   rapport intitulé, "Le viol, une forme de nettoyage ethnique." Après analyse

 22   des comptes rendus d'audiences au cours desquelles ce témoin a été entendu

 23   dans le cadre d'affaires préalables et compte tenu de ses déclarations,

 24   nous partons du postulat qu'il a été demandé de verser ce document au

 25   dossier pour prouver que les autorités serbes savaient ce qui se passait au

 26   Kosovo-Metohija, que des rapports avaient été reçus, mais sachant que ce

 27   rapport a été publié en mars, en mars 2000, et que l'acte d'accusation

 28   couvre la période allant jusqu'au 20 juin 1999, nous pensons que ce rapport

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  1   est en l'occurrence dépourvu de pertinence, même s'il a été envoyé, il l'a

  2   été après la période qui nous intéresse. La teneur de la pièce en question

  3   montre que ce rapport a été publié au cours de l'année 2000. Nous aimerions

  4   donc demander que cette pièce ne soit pas versée au dossier, du fait de son

  5   manque de pertinence, et nous aimerions le faire dès maintenant.

  6   La pièce 2228 pose problème --

  7   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] J'aimerais mieux comprendre ce que

  8   vous dites sur l'absence de pertinence de la pièce P386. Vous avez dit que

  9   ce document était un peu postérieur à la période couverte par l'acte

 10   d'accusation, mais que c'est un rapport qui se penche rétrospectivement sur

 11   des événements qui se sont passés. Alors, je ne comprends pas très bien

 12   quelle est la base de votre objection.

 13   M. DJURDJIC : [interprétation] Monsieur le Président, compte tenu de toutes

 14   les pièces examinées par la Défense et compte tenu de la situation qui a

 15   prévalu jusqu'à ce procès qui se tient ici aujourd'hui, et à la lumière des

 16   faits que j'ai déjà évoqués, à savoir que ce rapport ne découle pas

 17   directement de la connaissance directe du témoin du fait, qu'il n'a pas

 18   participé lui-même au recueil des déclarations de personnes qui sont

 19   énumérées dans ce rapport, c'est même l'inverse, ce sont d'autres personnes

 20   qui l'ont fait, et compte tenu du fait que l'Accusation a utilisé ceci pour

 21   démontrer que les autorités serbes étaient informées, mais dans une période

 22   qui ne présente aucune pertinence ici puisque le rapport a été publié après

 23   la période couverte par l'acte d'accusation, tout document tel que celui-ci

 24   ne peut présenter la moindre pertinence. Il est sans objet pour l'affaire

 25   qui nous occupe, Monsieur le Président.

 26   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Le témoin fonde son point de vue sur

 27   des déclarations recueillies par quelqu'un autre que lui-même auprès de

 28   certaines personnes. Je ne comprends pas très bien ce que vous dites à

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  1   propos de la date du rapport. Pourquoi cette date a-t-elle une importance

  2   déterminante au moment de déterminer la recevabilité du rapport ?

  3   M. DJURDJIC : [interprétation] Monsieur le Président, cette pièce a été

  4   utilisée par l'Accusation pour montrer que les autorités yougoslaves

  5   avaient été informées des crimes commis au Kovoso-Metohija au cours de la

  6   période qui nous concerne, et même avant cette période au cours des années

  7   1998 et 1999. Le témoin a participé à certains projets de recherche en 1998

  8   et 1999. Toutefois, le témoin affirme que son organisation a transmis ces

  9   rapports aux gouvernements, y compris le gouvernement serbe, par le biais

 10   de son site internet, et cela étant, ce rapport sous cette forme n'a été

 11   disponible qu'au cours de l'an 2000, après la fin de la guerre. Ce rapport

 12   aurait été envoyé au gouvernement serbe et au gouvernement de la République

 13   fédérale yougoslave, et c'est la raison pour laquelle je pense que ce

 14   rapport n'est en fait pas parvenu aux autorités en question en temps et en

 15   heure. Il leur aura été envoyé ex post facto, en d'autres termes, ils n'ont

 16   pas informé les autorités en temps et en heure. Et bien entendu, une fois

 17   que ces rapports ont été transmis après la fin de la guerre, des procédures

 18   pénales ont été engagées dans un certain nombre de cas, mais cela n'a pas

 19   été fait au cours de la période présentant une pertinence dans le cadre de

 20   cet acte d'accusation. Nous disposons de plusieurs éléments de preuve à

 21   propos de ce processus d'envoi de rapports, je crois que c'était en 1998.

 22   Mais j'en reparlerai, bien sûr, au cours du contre-interrogatoire.

 23   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Djurdjic. Je pense que

 24   je voie maintenant où vous voulez en venir. C'est à dires dans la mesure où

 25   ce rapport sera utilisé par l'Accusation pour démontrer que les autorités

 26   gouvernementales serbes étaient au courant. Le rapport ne leur a été

 27   communiqué qu'après la période correspondant à l'acte d'accusation. Je vous

 28   remercie.

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  1   M. DJURDJIC : [interprétation] En outre, Monsieur le Président, j'aimerais

  2   dire quelques mots à propos de la pièce P2228. Il s'agit d'un jeu de

  3   déclarations recueillies au titre de l'article 92 bis de ce témoin, et ce

  4   sont des déclarations de 1999 -- oui, oui, Monsieur le Président, il s'agit

  5   en effet de la pièce 65 ter, 2228, qui n'ont fait l'objet que d'une demande

  6   de versement au dossier, merci de me corriger. Nous avons donc trois

  7   déclarations. Je dirais d'abord que ces déclarations recueillies au titre

  8   de l'article 92 bis n'ont pas été versées au dossier dans l'affaire

  9   Milutinovic dans leur intégralité, seuls certains passages l'ont été, en

 10   réponse à des objections qui ont été soulevées à l'époque. Notre Défense

 11   souhaite également soulever une objection par rapport à cette pièce pour

 12   les raisons suivantes : d'abord, il manque une page de la déclaration dans

 13   la version dont nous disposons dans le système électronique. Elle a été

 14   expurgée, or elle devrait se trouver dans le système électronique. Il y a

 15   sans doute eu erreur de manipulation.

 16   Nous avons également les objections suivantes à formuler. Les parties des

 17   déclarations qui n'ont pas été versées au dossier se fondent sur des

 18   éléments de preuve indirects, c'est une première chose; par ailleurs, elles

 19   contiennent des conclusions inappropriées de la bouche d'un témoin de

 20   faits. Ce témoin est un témoin de faits, ce n'est pas un témoin expert, je

 21   le rappelle. C'est notamment vrai de la déclaration de 1999 qui contient

 22   des résumés reposant sur des déclarations de témoins qui n'étaient pas des

 23   témoins oculaires.

 24   Nous avons aussi des déclarations de personnes qui sont résumées; or, nous

 25   n'avons aucun moyen de vérifier si ces propos sont le reflet exact de ce

 26   que ces personnes ont dit. Je parle ici et surtout de la déclaration de M.

 27   Bosko Drobnjak. Il me semble donc que ces parties des déclarations sont

 28   irrecevables.

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  1   Dans les parties qui n'ont pas été versées au dossier dans l'affaire

  2   Milutinovic, nous trouvons certaines conclusions inappropriées pour un

  3   témoin de faits. Il témoigne comme aurait pu le faire un témoin expert, un

  4   témoin expert en histoire. Or, nous pensons qu'il devrait communiquer les

  5   sources d'où il tire ses avis et opinions sur certaines questions. Ce

  6   serait le cas, bien sûr, s'il était témoin expert. Il ne l'a pas fait, il

  7   n'a pas fourni les sources en question, et pourtant, il s'autorise à tirer

  8   un certain nombre de conclusions.

  9   Par ailleurs, nous estimons que ce témoin, M. Abrahams, n'est pas un

 10   observateur impartial, et nous pensons que les rapports qu'il a rédigés de

 11   sa main, entres autres, se fondent sur des données retenues de manière

 12   sélective et que ses rapports et sa déclaration, plutôt ses déclarations

 13   auraient pu être influencé par le lien qui le lie ou le rattache au bureau

 14   du Procureur de ce Tribunal.

 15   Il est manifeste que les conclusions ne se fondent pas sur

 16   l'intégralité des informations disponibles; en outre, nous ne connaissons

 17   pas les sources sur lesquelles se fondent ces conclusions historiques. Or,

 18   il s'agit de conclusions que seule la Chambre de première instance est

 19   habilitée à tirer et à exposer dans son jugement. C'est à la Chambre de

 20   première instance donc de tirer ce genre de conclusions, de les reprendre,

 21   et de les exposer dans son jugement à la fin de l'intégralité de la

 22   procédure.

 23   J'aimerais maintenant souligner les points les plus saillants de la

 24   déclaration, qui touchent notamment à la question de la constitution de

 25   1974 et qui renvoient à l'analyse faite par ce témoin des processus

 26   politiques en jeu au cours des années 1970, 1980, et 1990. Je dirais, tout

 27   d'abord, que ce témoin n'a pas été un observateur ou un témoin direct de

 28   ces événements, et que ce n'est pas un témoin expert. S'il avait été cité

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  1   ici en tant qu'expert, il aurait dû nous communiquer ses sources, les

  2   sources qui lui ont permis de se livrer à certaines conclusions d'expert.

  3   Or ici, nous avons les conclusions d'un témoin de faits, des conclusions à

  4   propos d'événements auxquels il n'a pas participé, et c'est la raison pour

  5   laquelle nous pensons que les parties correspondantes de ses déclarations

  6   sont irrecevables.

  7   En outre, le témoin n'a pas dressé la liste des sources qui

  8   permettraient de vérifier ses allégations ou ses affirmations. "Human

  9   Rights Watch" a procédé à une étude, à une analyse complète, historique,

 10   d'événements sur la période de 1990 à 1995 - c'est l'objet de leur premier

 11   rapport - ce travail a été fait alors que le témoin ne travaillait pas

 12   encore pour l'organisation. Il n'a donc pas participé à cette enquête, à

 13   cette recherche. Et s'il témoigne sur la base de ce rapport, nous dirons

 14   que ceci ne peut être accepté, c'est la raison pour laquelle nous pensons

 15   que les parties correspondantes de sa déclaration ne doivent pas être

 16   versées au dossier.

 17   Enfin, le témoin a formulé certaines conclusions sur la base de

 18   rumeurs, des rumeurs qui n'ont été pas été vérifiées, sur des faits et des

 19   sources qui ne sont pas citées. Voici encore donc quelques raisons qui nous

 20   poussent à faire objection au versement au dossier de ces déclarations.

 21   Par ailleurs, la Défense demande à ce que la pièce P438 de la liste

 22   65 ter ne soit pas versée au dossier. J'ai l'impression que nous revenons à

 23   un certain nombre de problèmes que nous avons déjà rencontrés avec les

 24   documents dont le versement au dossier a été demandé par l'intermédiaire de

 25   M. Neill Wright, et cette Chambre a déjà rendu une décision en la matière.

 26   Cette pièce est un rapport, un rapport de l'organisation "Human Rights

 27   Watch" intitulé "Under Orders," "Sous les ordres," elle repose sur des

 28   déclarations de personnes que l'on peut qualifier d'éléments de preuve

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  1   indirects. Il est impossible de vérifier ces affirmations, ce sont là des

  2   éléments factuels dépourvus de fiabilité. Par ailleurs, la Défense n'est

  3   pas en mesure de procéder au contre-interrogatoire de l'un quelconque des

  4   témoins qui ont fait part de ces déclarations.

  5   J'ajouterais également, que dans aucune des déclarations en question,

  6   contrairement aux déclarations qui sont recueillies aux fins d'être

  7   utilisées dans ces procès, dans aucune de ces déclarations les témoins

  8   n'ont été invités à déposer au mieux de leurs connaissances et de leurs

  9   souvenirs. Quant à moi, je ne sais même pas à quoi ressemblent ces

 10   déclarations. Ont-elles été enregistrées sur cassette audio ? Ont-elles été

 11   manuscrites ? Ont-elles été dactylographiées, puis signées par les

 12   personnes qui les ont faites, ou bien ceci a-t-il été fait par la personne

 13   qui les a interrogés ? Nous ne savons pas à quoi ressemble ces

 14   déclarations, et j'ajouterais, par ailleurs, que dans cette pièce, même si

 15   nous ne parlons que des faits alors qu'on pourrait évidemment aussi parler

 16   de la structure de la direction, de la question du commandement et de la

 17   direction des informations disponibles à partir de 1991, et du contexte

 18   historique - même donc si l'on ne parle que des faits à l'origine des

 19   crimes reprochés à l'accusé, je pense qu'il y a vraiment irrecevabilité

 20   parce que ces déclarations ont été recueillies en étroite collaboration

 21   avec le Procureur de ce Tribunal d'une manière sélective, et non pas à

 22   l'issue d'un procédé d'échantillonnage aléatoire.

 23   Le témoin nous expliquera comment les personnes entendues ont été

 24   choisies, comment et pourquoi les déclarations ont été recueillies, à

 25   quelle fin. Mais je crois que la raison que j'ai déjà avancée à l'appui de

 26   mon objection est une raison tout à fait valable.

 27   Notamment, si nous gardons à l'esprit le fait que M. Abrahams a été

 28   en contact avec le bureau du Procureur depuis 1998, depuis son séjour en

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  1   Albanie. Sa première déclaration a été recueillie en mars 1999 avant

  2   l'attaque contre la RSFY, je pense que c'était le 15 ou le 13 mars, en tout

  3   cas la date donc de sa première déclaration. Et nous vérifierons auprès de

  4   lui de quelle manière a fonctionné la coopération entre le témoin et son

  5   organisation d'une part, et le Procureur de l'autre. Mais une chose est

  6   sûre : le témoin -

  7   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

  8   M. DJURDJIC : [interprétation] -- en l'an 2000 et en 2001 le témoin a été

  9   employé par le bureau du Procureur de ce Tribunal, en qualité d'enquêteur;

 10   et au moins dans deux affaires, il a, en sa qualité d'enquêteur, recueilli

 11   des déclarations auprès de témoins. Malheureusement, il me semble que l'une

 12   des déclarations a été versée au dossier au titre de l'article 94 du

 13   Règlement, et il nous reste encore à entendre la déposition de l'autre

 14   témoin.

 15   Ce rapport contient des conclusions complètement inappropriées pour un

 16   témoin de faits, ces conclusions portent notamment sur la responsabilité

 17   pénale de l'accusé, sur la chaîne de commandement, et sur la structure de

 18   la RFSY, sur le fonctionnement du MUP et de l'armée yougoslave. Il tire des

 19   conclusions que seule la Chambre de première instance est habilitée à tirer

 20   dans son jugement. Là encore, les sources de ces conclusions ne sont pas

 21   fiables, en fait elles sont totalement méconnues, et certaines se fondent

 22   sur des entretiens avec certaines personnes.

 23   Nous estimons -- en fait, je voudrais revenir aux six déclarations

 24   recueillies au cours de la période entre le mois de février 1998 et juin

 25   1999. Tout cela passe au fond de sur la déclaration donnée par 600

 26   personnes. Tout ceci est sélectionné par un critère qui est connu que par

 27   l'organisation dans laquelle travaillait le témoin, ou plutôt, dans une

 28   petite partie. Il procédait au recueil des entretiens en Albanie, c'est-à-

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  1   dire au Kosovo-Metohija, avec les victimes supposées.

  2   Nous estimons aussi que les raisons mentionnées donnent à la Défense,

  3   sur la base du Règlement de procédure et de preuve, le droit de faire en

  4   sorte que cette pièce ne soit pas versée au dossier non plus. Je

  5   souhaiterais ajouter, concernant cette pièce qui porte la cote P2228 -- ou,

  6   en fait, non, ce n'est pas vraiment important. Non, je ne vais pas ajouter

  7   ce que je voulais dire. Alors, merci beaucoup, Monsieur le Président, de

  8   m'avoir donné l'occasion de m'exprimer ainsi.

  9   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie, Maître

 10   Djurdjic.

 11   Madame Kravetz.

 12   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je

 13   vais essayer de faire de mon mieux pour répondre à toutes ces objections

 14   qui ont été soulevées par mon éminent confrère.

 15   Je voudrais d'abord commencer par la pièce P2228 [comme interprété], qui

 16   est un recueil 92 bis pour ce témoin. Mon éminent confrère a soulevé une

 17   objection indiquant qu'il y avait certaines conclusions inappropriées

 18   concernant un témoin expert plutôt qu'un témoin de faits. En fait, c'est

 19   une présentation très incorrecte des éléments de preuve qui se trouvent

 20   dans ces déclarations, et les conclusions et les observations qui ont été

 21   faites dans ces déclarations ou dans diverses déclarations faites par M.

 22   Abrahams, en fait, ont été fondées sur ses observations personnelles,

 23   c'est-à-dire son travail de très longue haleine dans la région, et à la

 24   suite d'entretiens qui ont été menés avec des survivants et des témoins

 25   oculaires pour ce qui est des témoins qu'il décrit. Donc je suis tout à

 26   fait en désaccord avec mon collègue pour ce qui est de ceci.

 27   Il est tout à fait juste, toutefois, que certains éléments de preuve

 28   ou certaines déclarations que fait M. Abrahams dans sa série de

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  1   déclarations est basé sur des éléments de preuve basés sur ouï-dire. Mais

  2   le ouï-dire est admissible dans ce Tribunal, et c'est à la Chambre de

  3   déterminer le poids qu'elle donnera à ses déclarations qui sont basées sur

  4   des éléments de preuve recueillis par ouï-dire.

  5   Je voudrais également corriger mon éminent confrère pour ce qui est

  6   de décisions. Il a dit que nous sommes dans une situation semblable à la

  7   décision Neill Wright. Mais je voudrais indiquer que pour ce qui est de la

  8   décision Neill Wright dans l'annexe 4, nous n'avons pas trouvé cette annexe

  9   inadmissible puisqu'elle contient des éléments de preuve par ouï-dire. Mais

 10   je voudrais dire que le témoin devrait être contre-interrogé sur ces

 11   parties-là afin qu'il puisse nous donner plus d'éléments, à savoir de

 12   quelle façon ces  déclarations aient été recueillies et de quelle façon

 13   ceci a été rédigé.

 14   Donc pour ce qui est de ceci, de ce que vient de dire mon éminent

 15   confrère concernant ceci, n'est pas précis, n'est pas exact, puisque le

 16   témoin pourra nous expliquer le tout et il nous a déjà expliqué dans sa

 17   déclaration la méthodologie employée, et il pourra également nous décrire

 18   son travail et ses voyages effectués dans la région.

 19   Pour ce qui est des allégations qui ont été faites concernant son

 20   impartialité ou peut-être le manque d'impartialité de ce dernier, ainsi que

 21   pour sa coopération avec le bureau du Procureur qui s'est faite dans le

 22   passé, nous voudrions vous dire que c'est une question qui devrait être

 23   abordée dans le cadre du contre-interrogatoire, et nous pourrons poser

 24   cette question à M. Abrahams dans le cadre de son contre-interrogatoire.

 25   Pour ce qui est maintenant des déclarations qui ont été faites dans ses

 26   déclarations, l'affirmation qu'il a donnée dans ses diverses déclarations

 27   pour ce qui est du conflit au Kosovo, de nouveau nous aimerions souligner

 28   que ce sont des conclusions qui se trouvent dans ses déclarations, et que

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  1   ces observations sont des observations qui ont été données à la suite de

  2   plusieurs années passées dans la région et ce sont ses propres conclusions

  3   qu'il a pu tirer après de nombreuses années de travail qu'il a fait dans

  4   cette région.

  5   Donc je voudrais vous dire, Monsieur le Président, Messieurs les

  6   Juges, qu'il ne pouvait pas donner une décision tout de suite pour ce qui

  7   est de cette décision 0228 [comme interprété], et il faudrait proroger la

  8   prise de la décision jusqu'à ce que nous ayons eu l'occasion d'entendre le

  9   témoin et jusqu'à ce que nous ayons la possibilité de contre-interroger le

 10   témoin.

 11   Pour ce qui est maintenant de la pièce 0386, il s'agit d'un rapport

 12   sur le viol en tant qu'outil de nettoyage ethnique, et  j'aimerais vous

 13   dire que je suis en désaccord avec ceci. Ceci n'est pas précis. Le témoin

 14   nous parle dans sa déclaration du mois de juillet 2006, au paragraphe 5, il

 15   s'agit de la pièce 0227 [comme interprété]. Il nous dit qu'il a pris part

 16   au préparatif de ce rapport et qu'il a mené des entretiens qui, plus tard,

 17   ont fait partie du rapport même. Il a dit qu'il a pris part personnellement

 18   au travail, à la recherche qui a mené à bien pour la rédaction de ce

 19   rapport.

 20   Mon éminent confrère dit que nous aimerions verser ce document au

 21   dossier pour faire en sorte que ce document soit publié après la période de

 22   l'acte d'accusation. Mais nous offrons ce rapport, en réalité - et de

 23   nouveau, je vais vous demander, Monsieur le Président, de proroger la

 24   décision et je vais vous demander de ne pas rendre cette décision jusqu'à

 25   la fin de l'audition du témoin - car nous aimerions pouvoir prouver que les

 26   déclarations générales qui ont été faites dans les rapports du témoin sont

 27   faites sur la base des entretiens qu'il a menés sur la base de ce qu'il a

 28   pu apprendre des témoins qui lui ont parlé de la violence sexuelle menée à

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  1   l'encontre des femmes albanaises par les forces de la RFY et en Serbie.

  2   Donc de nouveau, j'aimerais vous demander de ne rendre votre décision

  3   qu'après avoir entendu le témoignage du témoin sur cette question.

  4   Concernant maintenant le document 65 ter 00438, "Sous les ordres,"

  5   mon éminent confrère a donné plusieurs explications, des objections assez

  6   longues. Je ne crois pas qu'il faudrait demander le versement au dossier de

  7   l'ensemble du rapport. Nous avons préparé des extraits du rapport qui ont

  8   été téléchargés sur le logiciel Sanction, et nous avons également identifié

  9   ces extraits par les chiffres 00438.01. Nous aimerions demander le

 10   versement au dossier que des parties de ce rapport, non pas des parties que

 11   le témoin a rédigées lui-même, mais lui-même ait pris part aux enquêtes qui

 12   ont été faites sur le terrain, à savoir les enquêtes concernant les témoins

 13   oculaires et les témoins. Donc ces parties du rapport y contiennent le ouï-

 14   dire, et nous estimons que c'est du ouï-dire de première main directe de

 15   ouï-dire, et c'est la raison pour laquelle nous estimons que ceci corrobore

 16   aux éléments qui soit ont déjà été entendus ou qui seront entendus pour ce

 17   qui est des crimes commis et font référence ou contiennent des observations

 18   personnelles du témoin qui ont été faites pendant ses voyages au Kosovo.

 19   Voilà ce que je voudrais vous dire, Monsieur le Président. Je ne sais

 20   pas si j'ai omis de répondre à un ou deux points. Si vous le souhaitez,

 21   vous pouvez me le dire ou me le demander. Bien sûr, je serai heureuse de

 22   pouvoir répondre à tous les points qui vous intéressent.

 23   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Madame Kravetz.

 24   Monsieur Djurdjic.

 25   M. DJURDJIC : [interprétation] Excusez-moi. Je suis vraiment désolé,

 26   Monsieur le Président, Messieurs les Juges. Si vous décidez de reporter

 27   votre décision, nous sommes prêts à donner nos explications par écrit, si

 28   vous estimez que c'est une bonne chose et que ceci pourrait vous aider à

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  1   rendre la meilleure décision possible. Merci.

  2   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

  3   [La Chambre de première instance se concerte]

  4   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre de première instance est

  5   d'opinion qu'elle ne serait pas en mesure de réfléchir à toutes les

  6   questions qui ont été soulevées par la présentation faite par Me Djurdjic

  7   dans une décision extempore [phon] aujourd'hui. Le cours pratique, selon la

  8   Chambre, serait d'entendre les éléments de preuve ou d'entendre le témoin,

  9   et de décider plutôt aux objections qui ont été apportées en réponse par

 10   Mme Kravetz, à savoir quels sont les extraits qui seront versés au dossier

 11   pour ce qui est des objections qui ont été faites. Si nous estimons que

 12   certaines parties qui ont fait l'objet d'une objection ne devraient pas

 13   être versées au dossier, nous mettrons, pour ces raisons, ces éléments de

 14   preuve de côté et nous, nous en tiendrons pas compte de cela.

 15   C'est sur cette base que l'objection est notée et qu'elle fera

 16   l'objet de notre décision. Nous allons maintenant attendre les éléments de

 17   preuve qui seront donnés entre-temps.

 18   Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, je voudrais ajouter

 19   que si vous le souhaitez, nous pourrions également vous présenter une

 20   requête écrite, si vous le souhaitez, pour ce qui est des éléments de

 21   preuve également.

 22   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous vous remercions, Madame Kravetz,

 23   Maître Djurdjic, mais nous n'avons pas besoin de vous demander de mettre le

 24   tout par écrit. Nous vous avons bien suivi, donc il n'est pas nécessaire de

 25   faire une requête par écrit. Merci.

 26   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 27   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour, Monsieur. Nous sommes désolés

 28   de vous avoir gardé jusqu'à maintenant, mais nous voulions et nous avions

Page 3931

  1   quelques questions dont nous voulions débattre.

  2   Pourriez-vous, je vous prie, faire votre déclaration solennelle.

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

  4   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

  5   LE TÉMOIN : FREDERICK CRONIG ABRAHAMS [Assermenté]

  6   [Le témoin répond par l'interprète]

  7   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie. Veuillez vous

  8   asseoir.

  9   Madame Kravetz.

 10   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 11   Interrogatoire principal par Mme Kravetz : 

 12   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur le Témoin. Pourriez-vous, je vous

 13   prie, décliner votre identité pour le compte rendu d'audience.

 14   R.  Je m'appelle Frederick Cronig Abrahams.

 15   Q.  Où êtes-vous né, Monsieur Abrahams ?

 16   R.  Je suis né dans la ville de New York, aux Etats-Unis, le 2 novembre

 17   1967.

 18   Q.  Quelle est votre profession actuelle ?

 19   R.  Je suis un analyste enquêteur avec le "Human Rights Watch," et pour

 20   l'instant j'ai pris un congé de six mois à partir du 1er mai.

 21   Q.  Et de quoi s'occupe le "Human Rights Watch" ?

 22   R.  Le "Human Rights Watch" est une organisation non gouvernementale qui

 23   surveille et vérifie tout ce qui se passe en violation des droits de

 24   l'homme à travers le monde. Nous acceptons les fonds du gouvernement et

 25   nous vérifions ce qui se passe dans plus de 70 pays dans le monde, et nous

 26   n'avons pas d'orientation politique. Nous ne soutenons pas un groupe

 27   particulier, religieux ou autre. Pour l'instant, je suis en train de

 28   vérifier, de rendre compte de ce qui se passe dans le monde pour ce qui est

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  1   des violations des droits de l'homme dans le cadre de conflits armés.

  2   Q.  Très bien. Nous essaierons de ménager des pauses entre nos questions et

  3   nos réponses.

  4   Depuis quand est-ce que vous êtes employé auprès du "Human Rights Watch" ?

  5   R.  J'ai commencé à travailler pour cet organisme en 1995.

  6   Q.  Et au cours de votre travail pour cet organisme, est-ce que vous avez

  7   eu l'occasion de couvrir les événements qui se sont déroulés dans l'ex-

  8   Yougoslavie ?

  9   R.  Oui, tout à fait.

 10   Q.  Est-ce que vous avez eu l'occasion de couvrir les événements qui se

 11   sont déroulés dans la province du Kosovo ?

 12   R.  Oui, tout à fait et de façon très étendue.

 13   Q.  Depuis quand est-ce que vous aviez commencé à vous concentrer sur les

 14   événements de l'ex-Yougoslavie et plus particulièrement sur la province du

 15   Kosovo ?

 16   R.  J'ai commencé à travailler dans la région des Balkans en Albanie, et

 17   c'était entre 1995 à 1997. Je me suis d'abord rendu au Kosovo au cours de

 18   l'été 1995, mais ma première enquête dans le cadre du "Human Rights Watch"

 19   s'est faite en 1996. En fait, c'était à l'été 1996. Je crois que c'était au

 20   mois de juillet. Et jusqu'en 2000, donc à partir de cette année-là jusqu'en

 21   2000, je me suis rendu sur le territoire, sur le terrain dans le cadre de

 22   plusieurs missions. Je crois qu'il y en avait à peu près dix pour rendre

 23   compte de ce qui se passait pour ce qui est des violations du droit

 24   humanitaire international pour ce qui est de tous les partis du conflit.

 25   Q.  Et dans le cadre de votre travail, est-ce que vous avez donné plusieurs

 26   déclarations au bureau du Procureur de ce Tribunal, l'une qui remonte en

 27   1999, la première, la deuxième 2002, et la troisième en 2002, au mois de

 28   mai 2002, donc janvier 2002 et mai

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  1   2002 ?

  2   R.  Oui, tout à fait.

  3   Q.  Et avant de venir témoigner aujourd'hui, est-ce que vous avez eu

  4   l'occasion de revoir ces déclarations ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Est-ce qu'après avoir relu les déclarations que vous aviez données,

  7   est-ce que vous êtes d'accord pour dire que ces déclarations sont

  8   véridiques et précises, du meilleur de votre connaissance ?

  9   R.  Oui.

 10   Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, je voudrais vous

 11   demander de bien vouloir verser au dossier la pièce 0228 [comme interprété]

 12   dépendamment, bien sûr, votre décision.

 13   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Donc le document sera versé

 14   au dossier aux fins d'identification.

 15   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce portera la cote P00738 [comme

 16   interprété] aux fins d'identification.

 17   Mme KRAVETZ : [interprétation]

 18   Q.  Monsieur Abrahams, est-ce que vous avez donné d'autres déclarations au

 19   bureau du Procureur en juillet 2006 ?

 20   R.  Oui, mais je ne me souviens pas de la date exacte.

 21   Q.  Est-ce que vous avez eu l'occasion de relire ces déclarations récemment

 22   ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Et est-ce que vous êtes satisfait du fait que les faits contenus dans

 25   ces déclarations sont véridiques et ont été donnés de façon précise et

 26   véridique au meilleur de votre connaissance ?

 27   R.  Oui.

 28   Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, il s'agira de la

Page 3934

  1   pièce 65 ter 0227, et j'aimerais demander que ce document soit versé au

  2   dossier.

  3   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien.

  4   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce portera la cote P00739 [comme

  5   interprété], versée au dossier aux fins d'identification.

  6   Mme KRAVETZ : [interprétation] En fait, Monsieur le Président, eu égard à

  7   l'objection de mon éminent confrère, je ne voudrais pas -- en fait, je ne

  8   sais pas s'il y a une objection quant au document 65 ter P227.

  9   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Y a-t-il une objection quant au

 10   versement au dossier de cette pièce-là, Monsieur Djurdjic ?

 11   M. DJURDJIC : [interprétation] Non, pas du tout, Monsieur le Président. Mme

 12   Kravetz, mon éminente consoeur, a tout à fait raison.

 13   Mme KRAVETZ : [interprétation] Très bien. La pièce sera versée au dossier à

 14   ce moment-là.

 15   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce portera la cote P000739,

 16   Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

 17   Mme KRAVETZ : [interprétation]  Merci.

 18   Q.  Monsieur Abrahams, avez-vous déjà témoigné préalablement devant ce

 19   Tribunal, et ce, dans l'affaire Milutinovic et consorts ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Avant de venir témoigner dans ce prétoire aujourd'hui, est-ce que vous

 22   aviez eu l'occasion de relire également le compte rendu d'audience de votre

 23   témoignage ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Et si l'on vous posait les mêmes questions aujourd'hui, est-ce que vous

 26   donneriez les mêmes réponses ?

 27   R.  Oui, du meilleur de ma capacité, de mes possibilités, oui.

 28   Q.  Monsieur le Président, il s'agit de la pièce 65 ter 05187, et

Page 3935

  1   j'aimerais demander le versement au dossier de cette pièce-là également.

  2   05187.

  3   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je ne crois pas que cette pièce ait

  4   fait l'objet d'objections. Dans ce cas-là, cette pièce sera versée au

  5   dossier.

  6   M. LE GREFFIER : [interprétation] Très bien. Elle portera la cote P00740,

  7   Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

  8   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci.

  9   Q.  Monsieur Abrahams, avant de passer aux faits concernant votre travail

 10   dans le cadre du "Human Rights Watch" au Kosovo, j'aimerais vous poser un

 11   certain nombre de questions générales quant au travail de votre organisme

 12   dans la région. Dans votre déclaration, et ce, à la page 10 de la pièce

 13   0228 qui a été versée au dossier avec une cote MFI, vous dites que le

 14   "Human Rights Watch" a commencé à travailler et à faire rapport quant aux

 15   violations des droits de l'homme au Kosovo en 1990. Et vous dites qu'entre

 16   1990 et 2001, il y a eu environ 16 rapports publiés par le "Human Rights

 17   Watch," en plus de centaines de rapports, de briefings et de déclarations

 18   faits à la presse.

 19   Est-ce que vous pourriez nous expliquer quelle est la procédure, de

 20   quelle façon est-ce que le "Human Rights Watch" fonctionne lorsque vous

 21   donnez ou lorsque vous procédez aux rapports de ce qui se fait dans la

 22   région ?

 23   R.  La méthodologie employée, lorsqu'il s'agit de cette région du Kosovo,

 24   des Balkans et dans tous les autres pays où nous travaillons, nous

 25   travaillons d'abord sur le terrain. Donc des enquêteurs, tout comme moi,

 26   qui ont la formation pour mener ce type d'enquête mènent des enquêtes que

 27   l'on appelle des missions. Cela veut dire que nous nous rendons dans le

 28   pays ou dans la région en question et nous procédons à l'entretien de

Page 3936

  1   plusieurs personnes, des témoins, des victimes qui ont fait l'objet de

  2   violations du droit international humanitaire ou du droit de l'homme. Nous

  3   essayons également d'obtenir des informations, nous essayons d'interviewer

  4   des auteurs. Nous essayons également de nous rendre sur les scènes où les

  5   violations alléguées ont eu lieu. Nous essayons également de recueillir des

  6   documents qui pourraient jeter plus de lumière sur ces allégations

  7   apportées, qu'il s'agisse de prouver des faits ou de montrer que ces faits

  8   ne se sont pas déroulés. Donc il s'agit, bien sûr, de rapports médicaux, de

  9   rapports d'autopsie, de registres des tribunaux. Mais il y a également des

 10   sources secondaires que l'on entend, non pas pour nous donner ou pour nous

 11   appuyer directement sur ces sources-là, mais simplement parce que ces

 12   dernières peuvent nous donner un autre angle pour nous informer de

 13   certaines choses, pour venir témoigner à l'appui.

 14   Q.  De quelle façon est-ce que vous vous documentez, de quelle façon est-ce

 15   que vous enregistrez l'information que vous recueillez dans le cadre de ces

 16   missions sur le terrain ?

 17   R.  La plupart des cas, ce sont des notes écrites et avec l'âge, bien sûr,

 18   numérique, mes collègues ont de plus en plus d'entretiens enregistrés. Mais

 19   chaque fois que l'on procède à l'enregistrement d'un entretien, il y a

 20   toujours des notes manuscrites ou écrites qui sont prises car les piles

 21   peuvent expirer. Donc c'est très important d'avoir également des notes

 22   écrites. Ce sont donc des déclarations des témoins, mais nous appelons cela

 23   à "Human Rights Watch" témoignage. Nous essayons toujours de rencontrer ces

 24   personnes directement, soit juste d'avoir la personne devant nous qui, soit

 25   a des informations ou qui a été une victime. Nous essayons de les avoir

 26   devant nous. Nous sommes formés de sorte à ne pas employer des questions

 27   directrices. C'est un entretien qui a la forme d'un narratif ouvert, de

 28   sorte que la personne peut nous donner toutes les informations qu'elle

Page 3937

  1   souhaite donner. Nous leur posons des questions afin de les diriger quelque

  2   peu, mais nous évitons à tout prix les questions directrices, bien sûr.

  3   Et en dernier lieu, nous essayons d'obtenir une image complète afin

  4   de ne jamais faire une accusation, une allégation, sur la base d'un témoin

  5   ou de rapports faits par un témoin. Nous avons besoin de plusieurs témoins

  6   dont les déclarations corroborent les faits, et il arrive souvent que nous

  7   entrions dans un très grand nombre de détails. Et il s'agit également de

  8   déclarations qui prennent beaucoup de temps, soit plusieurs heures. Il nous

  9   arrive également de devoir nous déplacer sur le terrain à plusieurs

 10   reprises pour vérifier des points et également pour déterminer la véracité

 11   de la déclaration apportée par le témoin.

 12   Q.  Vous avez parlé des rapports préparés par "Human Rights Watch" lorsque

 13   ces missions ont lieu sur le terrain. Je m'intéresse à ces rapports qui ont

 14   été préparés à propos des événements du Kosovo. J'aimerais savoir si vous

 15   pourriez nous expliquer en peu de mots la procédure suivie par "Human

 16   Rights Watch" pour diffuser les rapports ainsi produits une fois que ce

 17   genre d'enquête a eu lieu.

 18   R.  Nos rapports sont largement distribués à un grand nombre d'organismes,

 19   de personnes et d'organisations. Ils sont envoyés aux médias. C'est un

 20   destinataire très important dans notre travail. Ils sont envoyés aux

 21   organisations internationales, que ce soit des ONG ou des organisations

 22   internationales type Nations Unies, et ils sont communiqués également aux

 23   pouvoirs publics, largement aux gouvernements, bien sûr, qui s'intéressent

 24   ou qui sont concernés par la question qui est évoquée dans le rapport, les

 25   violations qui y sont traitées, mais également aux gouvernements impliqués

 26   dans ces violations ou que nous accusons d'avoir commis par le biais de

 27   représentants émanant de leurs services. Même chose pour les groupes armés,

 28   dans les zones de conflit notamment. Vous avez des conflits internationaux

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  1   dans lesquels sont impliqués plusieurs gouvernements, ou en tout cas dont

  2   les forces armées de ces gouvernements sont impliquées, mais il y a

  3   également les groupes armés autres dont nous parlons dans ces rapports.

  4   L'Armée de libération du Kosovo est un exemple pour le Kosovo, mais c'est

  5   une règle qui vaut pour le reste des conflits dans le monde. Nous faisons

  6   de notre mieux donc pour diffuser auprès de ces groupes armés nos rapports

  7   et nos déclarations.

  8   Ces rapports sont distribués de différentes manières. Il y a une

  9   version papier en général qui est envoyée par courrier postal. A l'époque

 10   c'est ainsi que la chose se faisait, beaucoup moins aujourd'hui grâce au

 11   développement de l'internet, mais à l'époque c'est ainsi que l'on

 12   procédait. Nous distribuons également nos communiqués de presse par

 13   télécopie. Chaque rapport est précédé par un communiqué de presse qui

 14   annonce la sortie de ce rapport; et par courrier électronique également. Et

 15   je crois qu'à partir de 1996, nous avons instauré un système de diffusion

 16   par courriel, de sorte que chaque déclaration, chaque rapport était diffusé

 17   ainsi.

 18   Q.  Bien. Si nous parlons maintenant surtout du Kosovo, vous avez parlé de

 19   l'envoi de rapports aux gouvernements impliqués dans les violations que

 20   vous illustriez dans vos travaux. Alors, si l'on parle de violations dont

 21   vous pensez qu'elles ont été commises par des entités appartenant soit au

 22   gouvernement serbe, soit au gouvernement yougoslave, vos rapports auraient-

 23   ils été transmis aux autorités faisant partie de ces gouvernements, aux

 24   services faisant partie de ces gouvernement ?

 25   R.  Oui, tout à fait. Je ne parle que de la période à partir de laquelle

 26   j'ai commencé à travailler sur ces questions, c'est-à-dire pour le Kosovo à

 27   partir de 1996, et de 1995 plus généralement. Nous avons effectivement fait

 28   les efforts nécessaires pour veiller à ce que toutes nos déclarations et

Page 3939

  1   nos rapports, tout ce que nous produisions et qui était public soit diffusé

  2   et envoyé aux représentants officiels concernés aux niveaux serbe et

  3   yougoslave.

  4   Q.  Vous avez parlé d'envoi par e-mail. Comment faisiez-vous pour les

  5   autorités yougoslave et serbe ?

  6   R.  Nous avions une liste, une liste de diffusion pour chaque pays dans

  7   lequel nous intervenions. A l'époque, bien sûr, il y avait tous les pays

  8   des Balkans qui figuraient sur cette liste et plus précisément la liste

  9   yougoslave était mise à jour, bien sûr, de sorte que chacun sur cette liste

 10   recevait nos produits.

 11   Q.  Donc cette liste était mise à jour régulièrement ? Si, par exemple, il

 12   y avait rotation de personnel à un poste donné, votre liste était-elle mise

 13   à jour pour tenir compte de ces changements de personnel ?

 14   R.  Oui. Cette liste était affinée, mise à jour et adaptée périodiquement

 15   en fonction des besoins.

 16   Q.  Et en ce qui concerne les autorités serbes, y avait-il dans cette liste

 17   des représentants du ministère de l'Intérieur, du ministère de l'Intérieur

 18   serbe, le MUP ?

 19   R.  Oui, en effet. Des personnes du ministère de l'Intérieur serbe ainsi

 20   que des personnes du ministère yougoslave de l'Intérieur.

 21   Q.  Vous souvenez-vous des autres entités du gouvernement serbe qui

 22   figuraient sur cette liste de diffusion ?

 23   R.  L'armée yougoslave y figurait, les présidences, je crois, serbe et

 24   yougoslave, étaient sur ces listes, ou en tout cas sur certaines de ces

 25   listes, parce que peut-être que la liste de diffusion postale et la liste

 26   de diffusion par courrier électronique n'étaient pas toujours les mêmes. Le

 27   ministère de la Justice au niveau de la république et au niveau fédéral.

 28   Donc les ministères de l'Intérieur, de la Justice, ainsi que l'armée, et

Page 3940

  1   les présidences, si mon souvenir est exact.

  2   Q.  Merci. J'aimerais en venir maintenant au travail que vous avez accompli

  3   au Kosovo en 1998. Vous avez parlé de différentes missions de recherche que

  4   vous avez menées dans la région. Etes-vous dans ce cadre allé au Kosovo en

  5   1998 ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Quand a eu lieu la première mission que vous avez menée au Kosovo ?

  8   R.  La première a eu lieu en mai 1998 jusqu'en juin, je crois. Une mission

  9   de trois semaines donc sur la période mai/juin 1998.

 10   Q.  Quel était le but de cette mission ?

 11   R.  A ce moment-là, les hostilités avaient commencé entre les forces serbes

 12   et yougoslaves d'un côté et l'UCK de l'autre. Il y avait eu une série

 13   d'incidents violents au cours desquels des civils avaient perdu la vie, et

 14   on nous signalait de plus en plus de violations graves des droits humains

 15   ainsi que du droit humanitaire international. Nous souhaitions donc mener

 16   l'enquête sur ces allégations et pour ce faire, nous devions aller sur le

 17   terrain, comme nous le disons, pour effectuer ces recherches.

 18   Q.  Et l'avez-vous fait dans une zone particulière du Kosovo ?

 19   R.  Oui, en effet, nous nous sommes concentrés au final sur quelques zones

 20   en particulier, mais surtout sur la région de Drenica, c'est-à-dire le

 21   centre du Kosovo qui couvre deux municipalités, je crois, Glogovac et

 22   Srbica. C'est l'un des secteurs dans lequel l'UCK était très actif.

 23   Certains ont baptisé cette région le berceau de l'UCK, là où tout a

 24   commencé. Il y avait eu des incidents très violents sur place, incidents

 25   dans lesquels un grand nombre de civils avaient été tués dans au moins

 26   trois villages, à ma connaissance. Nous nous sommes donc rendus sur place

 27   pour déterminer les circonstances du décès de ces civils. Voilà l'objet

 28   principal de notre mission.

Page 3941

  1   Il me semble que j'ai passé également certains temps dans l'autre

  2   secteur largement touché par les hostilités, la partie occidentale du

  3   Kosovo, et notamment entre Pec et Djakovica, Decan, où il y avait des

  4   nombreux affrontements et où étaient arrivées jusqu'à nous des allégations

  5   de violations graves.

  6   Q.  Vous avez parlé de trois villages dans lesquels des civils avaient été

  7   tués. Vous souvenez-vous du nom de ces villages où vous avez enquêté ?

  8   R.  Oui, à Drenica les trois cas majeurs étaient Prekaz, Likosane et Cirez.

  9   Likosane et Cirez sont des villages voisins. Alors, on pourrait considérer

 10   que c'était un seul et même incident qui est survenu le 28 février/le 1er

 11   mars, et je crois que 20 personnes que nous considérions comme étant des

 12   civils ont été tuées dans ces deux villages, y compris dix membres d'une

 13   même famille dont nous pensions qu'ils ont été exécutés, les membres de la

 14   famille Ahmeti, d'après des récits de témoins oculaires qui nous ont dit ce

 15   qui s'était passé.

 16   A Prekaz, autre chose s'est passée. Il y a eu deux incidents à Prekaz; un

 17   en janvier et un autre en mars, je crois, le 5 mars. L'incident du 5 mars a

 18   été le plus grave. Adem Jashari, un membre de l'UCK, de plus en plus

 19   notoire, a eu de très nombreuses altercations avec la police. C'était un

 20   véritable militant. Les forces de la sécurité ont encerclé sa propriété,

 21   l'ont assiégée, et je crois qu'au final, 58 membres de sa famille ont été

 22   tués. Jashari et certains membres de sa famille ont riposté, mais

 23   finalement 58 membres de sa famille sont morts, à l'exception d'une

 24   survivante, Besart [comme interprété], une petite fille de 11 ans.

 25   Mais je n'ai pas enquêté en profondeur sur l'incident de Prekaz. Je me suis

 26   concentré davantage sur Likosane et Cirez. Et là, nous avons déterminé

 27   qu'il y avait eu quelques attaques de l'UCK et que quelques policiers

 28   avaient été tués, et que c'est en riposte à ceci qu'un nombre important de

Page 3942

  1   civils est mort. Il y en avait plus de 25, je crois. Je me souviens de

  2   quatre frères d'une seule et même famille, puis d'une femme enceinte,

  3   Rukija Nebija, qui a été tuée au cours de ces attaques.

  4   Q.  Très bien. Etiez-vous seul dans le cadre de cette mission de recherche

  5   ou y avait-il d'autres membres de "Human Rights Watch" ?

  6   R.  Au cours de cette mission, au cours de cette enquête, j'étais seul.

  7   Q.  Avez-vous préparé un rapport suite à ce que vous avez découvert lors de

  8   cette enquête ?

  9   R.  Oui.

 10   Q.  Quel était le titre de ce rapport, vous en souvenez-vous ?

 11   R.  "Violations du droit humanitaire au Kosovo." C'est le rapport que j'ai

 12   rédigé juste après cette mission de recherche. Juste après, je me suis

 13   rendu dans le nord de l'Albanie, parce que dans la zone occidentale il y

 14   avait au moins 10 000 Albanophones qui avaient fui le Kosovo, qui avaient

 15   traversé les montagnes pour arriver jusqu'en Albanie. Je les ai donc

 16   entendus dans le nord de l'Albanie, et ceci a servi à fonder largement nos

 17   conclusions, les conclusions qui figurent dans ce rapport.

 18   Q.  Bien. Avez-vous été le seul à rédiger ce rapport ou d'autres personnes

 19   de "Human Rights Watch" ont-elles collaboré dans la rédaction de celui-ci ?

 20   R.  Non, j'étais le seul auteur de ce rapport, mais comme pour tous nos

 21   rapports, celui-ci et les autres, il y a un processus de relecture

 22   rigoureux. D'abord, ils sont examinés par la division géographique

 23   correspondante au thème du rapport, et ici il s'agissait de la division

 24   Europe et Asie centrale; ensuite, ils sont examinés par notre bureau de

 25   programmes; ensuite par le bureau juridique. Donc ce rapport, comme tous

 26   les autres, a fait l'objet d'un processus tel que celui-ci.

 27   Q.  Quand ce rapport a-t-il été publié par "Human Rights

 28   Watch" ?

Page 3943

  1   R.  Je ne m'en souviens plus. Sans doute en fin 1998, si je m'abuse,

  2   octobre, peut-être. Je ne sais plus exactement.

  3   Q.  Nous avons parlé de la diffusion de ces rapports. Ce rapport a-t-il été

  4   diffusé conformément à la procédure habituelle de "Human Rights Watch",

  5   c'est-à-dire par envoi, par le biais de la liste de diffusion aux

  6   différentes autorités et aux médias ?

  7   R.  En effet, oui.

  8   Mme KRAVETZ : [interprétation] Ce rapport est la pièce 00437. Je demande à

  9   ce qu'il soit versé au dossier.

 10   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, il sera versé au dossier.

 11   M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce P00741, Monsieur

 12   le Président.

 13   Mme KRAVETZ : [interprétation]

 14   Q.  Très brièvement, Monsieur Abrahams, en préparant ce rapport, avez-vous

 15   tenté d'obtenir des informations des autorités serbes après ce qui s'était

 16   passé dans le secteur de Drenica ?

 17   R.  En effet, oui.

 18   Q.  Comment avez-vous essayé d'obtenir de telles informations ?

 19   R.  Au cours de la mission, j'ai demandé et l'on a fait droit à ma requête

 20   à rencontrer un représentant serbe de Pristina. Il était le représentant

 21   local du ministère de l'Information. Il s'appelait Bosko Drobnjak. J'ai eu

 22   une discussion avec M. Drobnjak. Je lui ai fait part de certaines de nos

 23   préoccupations. Je lui ai remis une liste d'Albanais de souche qui avaient

 24   disparu, une liste qui, je crois, contenait au moins une douzaine de noms.

 25   Il a répondu que le gouvernement menait une lutte légitime contre ce qu'il

 26   a qualifié de terrorisme, et qu'il ne relevait pas de son mandat de me

 27   donner des réponses sur les personnes disparues, ainsi que sur certaines

 28   des autres questions que j'avais soulevées en sa présence, à savoir la

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  1   conduite des forces de sécurité serbes et yougoslaves.

  2   Alors, lorsque je suis rentré à New York, j'ai préparé une série de lettres

  3   que nous avons envoyées de New York par télécopie aux autorités compétentes

  4   de Serbie et de Yougoslavie, lettres dans lesquelles nous posions un

  5   certain nombre de questions et demandions certaines réponses par rapport à

  6   certaines allégations qui étaient venues à nos oreilles, à mes oreilles en

  7   tout cas, pendant cette mission de recherche au Kosovo.

  8   Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que la pièce 00542 de la liste 65

  9   ter soit affichée à l'écran.

 10   Q.  Vous allez le voir apparaître devant vous, Monsieur Abrahams, à

 11   l'écran.

 12   Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que l'on se contente de présenter

 13   l'anglais au témoin. Merci.

 14   Q.  Reconnaissez-vous ce document ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Pourriez-vous nous expliquer ce dont il s'agit ?

 17   R.  Il s'agit du courrier dont j'ai parlé tout à l'heure contenant des

 18   questions que nous adressions au ministre Stojiljkovic, ministre de

 19   l'Intérieur de la République de Serbie, le ministre Stojiljkovic, donc.

 20   C'est le courrier que j'ai envoyé après la mission de recherche en mai et

 21   juin.

 22   Mme KRAVETZ : [interprétation] Malheureusement, j'ai un problème avec mon

 23   écran. Il semblerait que le système ne soit pas très stable, mais nous

 24   allons essayer de poursuivre ainsi.

 25   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] On me dit que pour l'instant aucun des

 26   systèmes ne fonctionne dans les prétoires.

 27   Mme KRAVETZ : [interprétation] Je suis heureuse d'apprendre que ce n'est

 28   pas un problème qui me concerne moi seulement.

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  1   J'aimerais que l'on fasse défiler le document vers le bas.

  2   Q.  On constate que la lettre a été envoyée par Mme Holly Cartner. Pouvez-

  3   vous nous dire qui était cette personne ?

  4   R.  Holly Cartner était et est toujours directrice de la division Europe et

  5   Asie centrale. C'était donc mon supérieur à l'époque.

  6   Q.  Avez-vous reçu une réponse à ce courrier envoyé à M. Stojiljkovic en

  7   juillet 1998 ?

  8   R.  Non.

  9   Q.  Je remarque dans la lettre que vous demandez des informations sur des

 10   policiers qui auraient perdu la vie, et vous demandez des informations sur

 11   des violations commises par les autorités gouvernementales, et vous dites

 12   ce qui suit :

 13   "Des policiers ont-ils fait l'objet de sanctions disciplinaires ou ont-ils

 14   été mis en accusation pénalement pour avoir outrepassé les limites fixées

 15   par la loi dans l'exercice de leurs fonctions au Kosovo…"

 16   Etait-ce le cas en général lorsque vous meniez votre enquête ? Essayiez-

 17   vous d'enquêter sur les violations commises par toutes les parties au

 18   conflit ?

 19   R.  Nous ne faisions pas qu'essayer. Il s'agissait véritablement de notre

 20   mandat, de notre mission, d'enquêter sur les violations commises par toutes

 21   les parties au conflit, pas seulement dans l'affaire du Kosovo, mais dans

 22   tout conflit armé quel qu'il soit. C'est vrai que j'ai couvert de nombreux

 23   conflits armés. Donc nous souhaitions, évidemment, recueillir des

 24   informations sur des attaques commises contre des membres de la police,

 25   ainsi que contre l'armée, et entendre des informations à propos des

 26   allégations de violations commises par l'UCK également.

 27   Q.  Pour comprendre, la pratique de "Human Rights Watch" était-elle

 28   d'essayer d'obtenir de la part des autorités une déclaration sur leur

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  1   position, les autorités, bien sûr, dont vous pensez qu'elles pouvaient être

  2   impliquées dans les violations que vous aviez observées sur le terrain, ou

  3   était-ce là quelque chose d'exceptionnel, le fait d'envoyer des lettres aux

  4   autorités du gouvernement en Serbie ?

  5   R.  Non, nous tâchions toujours de recueillir les vues du gouvernement ou

  6   des forces dont nous pensions qu'elles auraient pu commettre de telles

  7   violations.

  8   Q.  Bien. Est-ce aurait été le cas pour toute personne participant à ces

  9   missions de recherche, et c'est le cas, n'est-ce pas, dans le cadre de

 10   toutes les missions que vous avez menées au Kosovo au cours de la période

 11   que vous avez passée là-bas ?

 12   R.  Oui, dans la mesure où nous le pouvions, nous faisions de telles

 13   demandes, oui.

 14   Mme KRAVETZ : [interprétation] Très bien. Je vais demander le  versement au

 15   dossier de cette pièce avant de passer à la suivante.

 16   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien.

 17   Mme KRAVETZ : [interprétation] Pourrait-on avoir la cote.

 18   M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce P00742.

 19   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci. J'aimerais qu'on affiche à l'écran le

 20   document 00544 de la liste 65 ter. Pourrait-on afficher la deuxième page de

 21   cette pièce en anglais seulement pour le témoin. Merci.

 22   Q.  Reconnaissez-vous ce document, Monsieur Abrahams ?

 23   R.  Oui. C'est une autre version de la même lettre que nous avons envoyée à

 24   l'issue de ma mission à l'armée yougoslave.

 25   Q.  Toutes les lettres que vous avez envoyées à l'issue de cette mission,

 26   avaient-elles plus ou moins la même teneur, ou avez-vous modifié la demande

 27   d'information en fonction des entités destinataires ?

 28   R.  Non, bien sûr, nous avons modifié les questions en fonction du

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  1   destinataire. En l'occurrence, nous avons posé des questions sur des

  2   incidents, ou en tout cas nous avons demandé des informations concernant la

  3   VJ, l'armée yougoslave.

  4   Q.  C'est un courrier qui a été envoyé dans le cadre du même effort de

  5   recherche dont nous avons parlé tout à l'heure, n'est-ce pas, qui

  6   concernait la zone de Drenica ?

  7   R.  En effet.

  8   Mme KRAVETZ : [interprétation] Je demanderais le versement au dossier de

  9   cette pièce, Monsieur le Président. Il s'agit de la pièce 00544 de la liste

 10   65 ter.

 11   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Elle sera versée au dossier.

 12   M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce P00743.

 13   Mme KRAVETZ : [interprétation] Il y a tout un ensemble de ces courriers,

 14   sept au total, auxquels il est fait référence dans la pièce dont j'ai déjà

 15   demandé le versement. C'est la pièce 2227 65 ter. Elles y sont décrites aux

 16   pages 2 et 3. Je ne vais pas passer en revue avec le témoin chacune de ces

 17   lettres, mais comme elles sont contenues dans la déclaration qui a déjà été

 18   versée au dossier par vous-même, je vais demander le versement des cinq

 19   autres courriers qui sont décrits dans la déclaration.

 20   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous autorisons le versement au

 21   dossier de ces cinq lettres.

 22   Mme KRAVETZ : [interprétation] Je vais vous donner les numéros 65 ter de

 23   façon à ce qu'une cote leur soit attribuée. D'abord, 00540.

 24   M. LE GREFFIER : [interprétation] P00744.

 25   Mme KRAVETZ : [interprétation] 00541.

 26   M. LE GREFFIER : [interprétation] P00745.

 27   Mme KRAVETZ : [interprétation] 00543.

 28   M. LE GREFFIER : [interprétation] P00746.

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  1   Mme KRAVETZ : [interprétation] 00545.

  2   M. LE GREFFIER : [interprétation] P00747.

  3   Mme KRAVETZ : [interprétation] Et enfin, 00546.

  4   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce P00748.

  5   Mme KRAVETZ : [interprétation] Je vais passer à autre chose, Monsieur le

  6   Président. Je ne sais pas si vous pensez qu'il serait bon de faire la pause

  7   sans attendre.

  8   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Effectivement, le moment s'y prête

  9   sans doute bien. Nous allons faire une pause d'une demi-heure et nous

 10   reprendrons à 15 heures 55.

 11   --- L'audience est suspendue à 15 heures 24.

 12   --- L'audience est reprise à 15 heures 59.

 13   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Kravetz.

 14   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 15   Q.  Monsieur Abrahams, avant la pause, nous parlions de votre travail, de

 16   vos missions au Kosovo en 1998. J'aimerais maintenant vous demander de nous

 17   parler d'un rapport dont vous avez fait référence dans votre déclaration du

 18   mois de juillet 2006, et dans certaines déclarations précédentes également.

 19   Il s'agit du paragraphe 19 à la page 739. Et vous intitulez ce paragraphe

 20   "La semaine de terreur à Drenica." Pouvez-vous nous en parler un peu, s'il

 21   vous plaît. Il a été --

 22   R.  Je suis retourné au Kosovo en septembre 1998 et au cours de cette

 23   période, les forces serbes et yougoslaves avaient lancé une offensive

 24   militaire pour pousser les Albanais, l'UCK du territoire, car ils avaient

 25   pris le territoire -- enfin, les combattants albanais avaient pris ce

 26   territoire. Et nous avions entendu parler d'un incident - je crois que

 27   c'est le 28 septembre que j'en ai entendu parler - il s'agissait d'un

 28   incident dans la région de Drenica, incident dans lequel un très grand

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  1   nombre de personnes d'une seule famille avaient été tuées, il s'agissait de

  2   civils. Mon collègue et moi, nous sommes donc rendus dans ce village où

  3   l'offensive du gouvernement avait eu lieu mais s'était arrêtée à ce moment-

  4   là. Je crois qu'elle s'était arrêtée le 26 septembre. Nous avions réussi à

  5   nous rendre jusqu'au village. Il y a un endroit qui s'appelait Obrinje,

  6   Gornje Obrinje pour être plus précis. Et lorsque nous sommes arrivés sur

  7   place, nous avons vu des villageois qui prenaient d'une zone boisée des

  8   corps de civils qui avaient été tués. Lorsque nous étions arrivés, ils

  9   étaient en train de porter sur un brancard improvisé des civils, y compris

 10   des enfants. En fait, il y avait sept corps en tout composés de femmes et

 11   d'enfants, et ils étaient en train de les enterrer dans un terrain non loin

 12   de là, dans un champ. Et quatre [comme interprété] membres de la famille

 13   Delijaj avaient été tués. Donc nous, nous avons vu les corps de sept

 14   personnes plus les trois qu'ils avaient ramenés de ce petit bois.

 15   Nous avons mené une enquête qui a duré environ trois semaines. Et

 16   nous sommes ensuite retournés, mon collègue et moi avons quitté le Kosovo

 17   et nous sommes revenus en novembre pour mettre fin à cette enquête. Et nos

 18   conclusions ont été compilées dans ce rapport que vous avez mentionné,

 19   intitulé "La semaine de terreur à Drenica."

 20   Q.  Vous avez également parlé d'un collègue à vous qui avait pris part à

 21   cette enquête. Pouvez-vous nous dire son nom, s'il vous plaît.

 22   R.  Son nom était Peter Bouckaert.

 23   Q.  Vous nous avez dit avoir appris de cet incident qui s'est déroulé dans

 24   ce village le 28 septembre. Pourriez-vous nous dire avant de passer à ma

 25   question, pourriez-vous, je vous prie, épeler le nom de famille de votre

 26   collègue.

 27   R.  B-o-u-c-k-a-e-r-t.

 28   Q.  Je vous remercie.

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  1   R.  A-e-r-t. Donc B-o-u-c-k-a-e-r-t.

  2   Q.  Merci. Alors, vous nous avez dit avoir entendu parler de cet incident

  3   le 28 septembre. Pourriez-vous nous dire quelle est la source de cette

  4   information ?

  5   R.  J'en ai entendu parler d'un Albanais d'origine ethnique, c'est un ami,

  6   en fait, Albanais, qui était un journaliste à Pristina, et il travaillait

  7   pour le quotidien "Koha Ditore." Il ne connaissait pas les détails de cet

  8   incident. Mais il m'a dit quelque chose était arrivé dans ce village de

  9   Gornje Obrinje. Donc en me fondant sur cette information, nous avions

 10   décidé d'aller mener une enquête.

 11   Q.  Vous nous avez dit que votre enquête a duré environ trois semaines.

 12   Pourriez-vous nous expliquer brièvement la méthodologie employée au cours

 13   de cette recherche, au cours de cette enquête que vous avez menée dans le

 14   cadre de cet incident ?

 15   R.  Dans ce cas-ci, nous étions nous-mêmes témoins oculaires d'événements.

 16   Nous n'avons pas, bien sûr, revu les meurtres qui avaient été commis, nous

 17   n'avons pas vu ces personnes tuées. Mais nous avons vu les corps, les corps

 18   allongés sur le sol. Et donc, c'était très important, car les blessures

 19   correspondaient aux informations que nous avions recueilles des témoins. Je

 20   pourrais vous raconter en détail ce que nous avons vu comme traces de

 21   blessures sur les corps si cela peut vous aider. Mais de toute façon,

 22   l'enquête consistait à mener une enquête ou des entretiens avec les

 23   personnes qui ont vu les incidents, c'est-à-dire les membres de la famille,

 24   plus des entretiens avec d'autres personnes qui vivaient dans le village

 25   d'Obrinje et dans les environs.

 26   Il y a également eu un autre incident dans un village non loin de là

 27   qui s'appelait Golubovac, dans lequel 14 hommes avaient été aussi tués.

 28   Donc il nous faudrait consulter nos rapports pour vous dire quel a été le

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  1   nombre de personnes que nous avons interrogées. Mais nous avons tous les

  2   noms, nous avons toutes les informations dans les notes en bas de page. Et

  3   j'ai également mes notes à moi, bien sûr, et je pourrais vous dire combien

  4   de personnes nous avons interviewées. Mais il est certain que nous avions

  5   interviewé plus de  24 personnes environ, des personnes qui avaient des

  6   informations sur cet incident.

  7   Nous avons également examiné des déclarations officielles provenant

  8   des gouvernements serbe et yougoslave. Et dans ce cas-ci effectivement, il

  9   y avait eu un combat dans le village d'Obrinje entre l'UCK et les forces

 10   serbes, et il y avait eu des combats dans cette région. Et certains

 11   policiers serbes, indiquent les témoins, étaient tués. Leurs noms ont été

 12   rendus publics par le gouvernement. Donc nous avons inclus ces détails

 13   aussi; le fait que ces derniers avaient mené des opérations de combat dans

 14   cette région, c'était très pertinent pour savoir si effectivement, il y

 15   avait eu violation ou pas. Et donc tout ceci mis ensemble nous a permis

 16   d'en arriver à nos conclusions.

 17   Q.  Vous avez dit avoir enquêté environ 24 personnes qui aient pu vous

 18   donner des informations sur cet incident. Est-ce que vous avez interrogé

 19   chaque personne de façon individuelle ?

 20   R.  Je dois consulter mes notes pour vous dire si chacune des personnes que

 21   nous avons interviewées était interviewée de façon individuelle, mais c'est

 22   une procédure, c'est la procédure que nous employons lorsque ceci est

 23   possible. Bien sûr, nous déployons de très grands efforts pour nous assurer

 24   que l'atmosphère est amicale et détendue, mais il y a des moments où ceci

 25   n'est pas tout à fait possible. Donc je ne peux pas vous dire que chacun

 26   des entretiens qui se sont déroulés a été fait dans cette atmosphère

 27   détendue, comme ça.

 28   Q.  Ces personnes qui ont été interrogées quant aux événements de Gornje

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  1   Obrinje, que vous ont-elles dit ? Qu'avaient-elles vu ?

  2   R.  Elles avaient dit que des combats avaient lieu dans la région et que

  3   l'UCK avait établi une base dans un village non loin de cet endroit, qui

  4   s'appelait Likovac. Les forces serbes, avec l'appui probablement de l'armée

  5   yougoslave, avaient encerclé la zone et pilonné également la zone.

  6   Maintenant, pour les civils, pour la plupart, les femmes et les enfants

  7   avaient fui le village d'Obrinje et avaient essayé de se réfugier dans une

  8   forêt qui se trouvait environ à 1 kilomètre du village en question. Et

  9   c'est là que nous avons vu les corps plus tard. D'autres membres des

 10   familles et d'autres villageois, non pas seulement les membres de la

 11   famille Delijaj, mais c'était d'autres personnes, avaient fui un peu

 12   partout, et certaines personnes avaient essayé de se réfugier dans les

 13   forêts, et ces dernières, également, avaient été tuées. Pour la plupart, il

 14   s'agissait de personnes plus âgées qui étaient trop vieilles pour fuir à

 15   pied.

 16   Ensuite, ils nous ont parlé du retour, le 28, et non pas le 27. Donc

 17   les personnes sont revenues dans la région et ont vu des corps des membres

 18   de leurs familles dans d'autres parties mais également dans le village. Il

 19   y a une autre personne qui a vu deux meurtres. Il s'agissait des membres de

 20   la famille Hysenaj. Il y avait donc une femme de la famille Hysenaj qui se

 21   trouvait dans une autre partie du village d'Obrinje. Cette dernière a vu

 22   ceci : elle a vu que la police interrogeait et a tué par la suite trois

 23   personnes plus âgées qui étaient restées derrière. Il ne s'agissait pas des

 24   membres de la famille Delijaj, mais il s'agissait de personnes appartenant

 25   à une autre famille. Il me faudrait vérifier pour vous donner ces noms,

 26   mais je les avais notés.

 27   Et ceci a corroboré ce que nous avions conclu, c'est-à-dire que

 28   lorsque nous sommes entrés dans le village, le 29, nous avions vu,

Page 3954

  1   effectivement, ces corps; donc nous avons vu nous-mêmes trois corps. Je

  2   crois qu'il y avait deux personnes âgées; deux hommes âgés et une femme

  3   âgée. Nous avons vu leurs corps, simplement, gisant par terre. Et par la

  4   suite, nous sommes allés rencontrer les membres de la famille Delijaj, et

  5   c'est là que nous les avons vus retirer les corps qu'ils avaient trouvés

  6   dans la forêt. Ensuite, nous les avons interviewés, nous leur avons posé

  7   des questions, à savoir de quelle façon ces personnes avaient été tuées.

  8   Q.  Et pour ce qui est de ces corps, est-ce que vous avez pu vous-même voir

  9   de quelles blessures il s'agissait ?

 10   R.  J'ai examiné les sept corps qui se trouvaient dans une espèce de

 11   ruisseau séché, si vous voulez. Il y avait deux enfants et les autres

 12   étaient des adultes; donc cinq adultes et deux enfants. Et la plupart

 13   d'entre eux avaient des traces de blessures à la tête, et l'une de ces

 14   personnes avait été enceinte. Je n'ai pas moi-même vu ceci, mais le mari de

 15   la victime nous l'a dit. Il y avait également des victimes qui semblaient

 16   porter des signes de mutilation et c'étaient des blessures par couteau, ce

 17   qui m'a semblé être des blessures faites par une lame. Il y avait également

 18   une autre personne qui se trouvait sur une route non loin de là et c'était

 19   une personne plus âgée. Son nom était Piazit [phon], et dans son cas à lui,

 20   sa gorge avait été tranchée.

 21   Q.  Vous avez également parlé du fait que vous avez réussi à contacter les

 22   autorités serbes. Que contenaient les déclarations concernant cet incident

 23   des autorités serbes, si vous vous en souvenez ?

 24   R.  Du meilleur de ma connaissance, ces déclarations avaient été déniées

 25   par ce qui était appelé le centre serbe médiatique -- ou peut-être

 26   s'appelait-il le centre médiatique -- établi à Pristina dont le quartier

 27   général était à l'hôtel Grand. C'était l'hôtel principal à Pristina. Cette

 28   agence n'avait pas été réellement officiellement liée au gouvernement, mais

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  1   tout le monde comprenait qu'il s'agissait d'un centre de presse appuyé par

  2   le gouvernement.

  3   Ces derniers donnaient des déclarations de façon régulière sur la

  4   police ou sur l'armée, et dans ce cas-ci, ils avaient donné une déclaration

  5   de presse avec le nom d'une personne, je crois qu'il s'agissait de

  6   policiers. Il y avait des membres de la police de réserve et l'un d'eux

  7   avait été tué autour d'Obrinje et avait pris part au combat qui a eu lieu

  8   et dont je fais référence.

  9   Q.  Est-ce que vous ou votre collègue avez pris des photos de l'endroit que

 10   vous aviez visité ?

 11   R.  Oui.

 12   Mme KRAVETZ : [interprétation] Pourrait-on avoir la pièce 65 te 00642 à

 13   l'écran.

 14   Q.  Reconnaissez-vous la photographie qui se trouve affichée à l'écran

 15   devant vous ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Pourriez-vous nous dire ce que l'on voit là ?

 18   R.  C'est deux enfants de la famille Delijaj. Leurs cadavres avaient été

 19   retirés de cette forêt pour être enterrés dans un champ tout près de là.

 20   Donc leurs corps avaient été retirés par un brancard improvisé. En fait,

 21   c'était deux morceaux de tissus, si vous voulez, entre eux. Donc cette

 22   photographie représente ce que je viens de vous dire, elle a été prise par

 23   mon collègue, Peter Bouckaert.

 24   Q.  Merci.

 25   Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais demander

 26   que ce document soit versé au dossier. Il s'agit de la pièce 65 ter 00642.

 27   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Cette pièce sera versée au

 28   dossier.

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  1   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce portera la cote P00749,

  2   Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

  3   Mme KRAVETZ : [interprétation] Pourrait-on passer à la pièce 65 ter 00653.

  4   J'aimerais que cette pièce soit montrée au témoin par le biais de

  5   l'affichage à l'écran.

  6   Q.  Pourriez-vous nous parler de cette photographie.

  7   R.  C'est un membre de la famille Delijaj, il s'agit d'une femme telle que

  8   nous l'avons trouvée dans ce ruisseau asséché à l'extérieur du village

  9   d'Obrinje et cette photographie a été prise par mon collègue, Peter

 10   Bouckaert.

 11   Q.  Et de nouveau encore pour le compte rendu d'audience, cette photo a été

 12   prise dans le cadre de cette même visite que vous aviez effectuée à cet

 13   endroit ?

 14   R.  Oui. C'est un des sept corps que j'ai vus à cet endroit, dans ce

 15   ruisseau.

 16   Mme KRAVETZ : [interprétation] Je demanderais que cette pièce soit versée

 17   au dossier, Monsieur le Président.

 18   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien.

 19   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce portera la cote P00750.

 20   Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que l'on affiche la pièce 00679,

 21   s'il vous plaît.

 22   Q.  Reconnaissez-vous cette photographie, Monsieur ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Pourriez-vous nous dire ce qu'elle représente ?

 25   R.  C'est l'un des enfants Delijaj, tel que nous l'avons vu lorsque son

 26   corps a été trouvé dans cette rigole à l'extérieur d'Obrinje le 29

 27   septembre.

 28   Q.  Vous souvenez-vous de la personne qui a pris cette photographie ?

Page 3957

  1   R.  Oui, c'est Peter Bouckaert.

  2   Q.  Vous nous avez parlé du fait d'avoir vu sept cadavres. Est-ce que vous

  3   vous souvenez combien y avait-il de cadavres de femmes et d'enfants ?

  4   R.  Je ne me souviens pas précisément. Je crois que deux corps

  5   appartenaient aux enfants et les autres, c'étaient des corps de femmes.

  6   Mais je dois vous dire qu'après un si grand nombre d'années, je ne me

  7   souviens pas très, très bien. Le tout est toutefois consigné dans mon

  8   rapport.

  9   Q.  Très bien.

 10   Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que cette pièce soit versée au

 11   dossier avant de passer à la pièce suivante.

 12   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien.

 13   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce obtiendra la cote 00751,

 14   Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

 15   Mme KRAVETZ : [interprétation] Je voudrais que l'on passe maintenant à la

 16   pièce 00703 [comme interprété].

 17   Q.  Reconnaissez-vous cette photo, Monsieur Abrahams ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Pouvez-vous nous dire ce que vous voyez sur la photo ?

 20   R.  Cette photographie a été prise dans un village appelé Plocica. Ce

 21   village se trouve dans la région de Drenica, à peine à quelques kilomètres

 22   de la route Pristina-Pec. Lorsque nous sommes entrés dans le village,

 23   c'était le 26 septembre, c'était réellement peu de temps après que

 24   l'offensive yougoslave serbe se soit arrêtée. Nous avons vu un très grand

 25   nombre de véhicules militaires, un convoi militaire appartenant à l'armée

 26   serbe qui quittait cette région. Et lorsque nous sommes entrés dans

 27   Plocica, les villageois étaient sur le point de revenir. Ces derniers

 28   avaient fui dans la forêt. Ils nous ont dit que leur village avait fait

Page 3958

  1   l'objet d'une attaque de pilonnage, et lorsque les forces sont entrées les

  2   forces de la police sont entrées dans le village, ces derniers, les

  3   villageois, avaient fui vers la forêt.

  4   Le village avait été très endommagé, et il nous a semblé de voir

  5   comme si un très grand nombre d'infrastructures civiles avaient été

  6   intentionnellement incendiées. Je le dis, je dis ceci, parce que dans cette

  7   photographie ici, nous pouvons apercevoir les maisons encore en fumée.

  8   C'était à l'intérieur et les murs étaient encore érigés, ils étaient encore

  9   là. Il n'y a donc pas de traces à l'extérieur, des traces de feu à

 10   l'extérieur, mais les structures brûlaient depuis l'intérieur. Je me

 11   souviens d'avoir vu au moins trois bottes de foin qui avaient été

 12   incendiées, qui, selon moi, avaient été incendiées intentionnellement. Et

 13   j'avais trouvé également une bouteille en plastique qui sentait la benzine.

 14   Je me souviens également d'avoir vu non loin de là une boîte de munitions

 15   vide. C'était probablement une boîte dans laquelle il y avait un mortier

 16   avant.

 17   Il y avait une structure qui servait d'entrepôt de nourriture à

 18   l'intérieur de cette maison en question, donc que l'on voit ici. Il y avait

 19   un feu. Donc la maison avait été mise en feu, avait été incendiée, et des

 20   melons et des pastèques, ainsi que des sacs de farine, étaient entreposés

 21   dans cette maison. Et cette photographie a été prise par quelqu'un qui

 22   travaillait pour le New York Times et qui voyageait avec nous.

 23   Je devrais également vous dire que je me souviens avoir vu des

 24   animaux de ferme. J'avais remarqué qu'une vache avait été tuée à la tête

 25   par une balle. Par la suite, j'ai remarqué qu'il y avait ailleurs au moins

 26   dix vaches qui avaient été tuées de cette façon-là mais pas à Plocica.

 27   Q.  Est-ce que vous étiez en mesure de voir s'il y avait eu des combats à

 28   Plocica avant que vous n'arriviez ?

Page 3959

  1   R.  Nous n'avons pas vu de traces ou d'éléments de preuve montrant que des

  2   hostilités avaient lieu. Par cela, je veux dire que nous n'avons pas trouvé

  3   d'armes ou de munitions. La seule preuve de combat, c'était cette boîte qui

  4   contenait des mortiers, et nous avons vu une inscription en cyrillique.

  5   Nous avons donc pensé que ceci provenait sûrement de l'armée yougoslave,

  6   mais nous n'avons pas vu de chemises de balles. Nous n'avons pas vu non

  7   plus des traces d'impact de balles sur les structures.

  8   Nous n'avons pas vu non plus des signes de positions de défense ou

  9   d'autres signes physiques nous indiquant que l'UCK avait été présente. Il

 10   n'y avait pas eu de casernes, de bunkers qui avaient été préparés, et c'est

 11   quelque chose que nous avions pu apercevoir dans d'autres villages où on

 12   avait vu la présence de l'UCK.

 13   Mme KRAVETZ : [interprétation]  Monsieur le Président --

 14   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, je vous écoute, Maître Djurdjic.

 15   M. DJURDJIC : [interprétation] Il me semblait que ce témoin allait parler

 16   des faits, et maintenant on lui demande de nous parler d'un sujet sur

 17   lequel pourrait parler un expert militaire.

 18   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La seule chose qu'il nous ait dit

 19   concernant l'armée, c'est qu'il n'y avait pas eu de présence de bunkers, de

 20   combats, et c'est tout. Ce n'est que cela qu'il a dit pour ce qui est de

 21   ses observations militaires. C'est quelque chose que toute personne peut

 22   observer, Monsieur Djurdjic.

 23   Alors, Madame Kravetz, poursuivez, je vous prie.

 24   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 25   Q.  Maintenant, dites-moi, les dégâts que l'on voit sur cette photographie,

 26   est-ce que ces dégâts correspondent aux dégâts qui avaient été décrits et

 27   causés à la population civile du village de Plocica ?

 28   R.  Oui, tout à fait. Ceci correspond tout à fait.

Page 3960

  1   Q.  Merci.

  2   Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, je voudrais que cette

  3   photographie soit versée au dossier. Il s'agira de la pièce 67 ter 00702.

  4   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Cette pièce sera versée au

  5   dossier.

  6   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent] 

  7   M. LE GREFFIER : [interprétation] La pièce portera la cote P00752.

  8   Mme KRAVETZ : [interprétation]

  9   Q.  Nous avions parlé d'une enquête que vous aviez faite concernant

 10   l'incident portant sur le meurtre des villageois de Gornje Obrinje, d'un

 11   rapport qui avait été rédigé par vous et votre collègue. Est-ce que vous

 12   souvenez à quel moment ce rapport a été rendu public, "Une semaine de

 13   terreur à Drenica" ?

 14   R.  Oui, et je crois que c'était en février 1999.

 15   Q.  Et est-ce que vous avez envoyé cette information ou ce rapport aux

 16   autorités serbes et yougoslaves ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Est-ce que vous vous souvenez si le rapport a également été communiqué

 19   à la presse ? Est-ce que des exemplaires avaient été envoyés à la presse ?

 20   R.  Oui, tout à fait. Je devrais ajouter également que cet incident avait

 21   reçu une attention médiatique internationale très importante. J'ai

 22   mentionné le photographe de New York Times, bien sûr, qui nous

 23   accompagnait, mais nous travaillions également, nous étions accompagnés

 24   d'un journaliste du New York Times également, Jane Perlez. Il avait écrit

 25   un article dans le New York Times, et il a publié ces photographies sur la

 26   page couverture du New York Times avec ces victimes. Donc cette affaire qui

 27   s'est déroulée à Gornje Obrinje a reçu une couverture médiatique très

 28   importante, comme je le mentionne plus tard dans mon rapport.

Page 3961

  1   Q.  Est-ce que vous vous souvenez si ces articles avaient également été au

  2   New York Times, ou plutôt, pendant que vous étiez dans la région que ça

  3   avait été publié ou quelques jours après que le journaliste et le

  4   photographe s'étaient rendus sur le lieu ?

  5   R.  J'ignore la date précise, mais ceci aurait sans doute été en septembre,

  6   soit vers le 30 septembre ou au début du mois d'octobre.

  7   Q.  Merci. Je demanderais que cette pièce soit versée au dossier. Il

  8   s'agira de la pièce 65 ter 00441.

  9   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Cette pièce sera versée au

 10   dossier.

 11   M. LE GREFFIER : [interprétation] La cote est la P00753, Monsieur le

 12   Président.

 13   Mme KRAVETZ : [interprétation]

 14    Q.  Monsieur Abrahams, je voudrais maintenant parler de votre travail au

 15   Kosovo en 1999. Est-ce que vous êtes retourné au Kosovo au début de 1999,

 16   en plus de votre mission d'enquête ?

 17   R.  Je me suis rendu au Kosovo à quatre reprises en 1998 pour y mener des

 18   enquêtes, et de nouveau en février de 1999.

 19   Q.  Et quel était l'objectif de votre mission au Kosovo en février de

 20   l'année 1999 ?

 21   R.  Ma mission consistait à continuer l'enquête que nous avions entreprise

 22   concernant les violations des droits humanitaires internationaux et des

 23   droits de l'homme, et je voulais enquêter sur les allégations de

 24   destruction de biens des civils. Nous avions continué, mais puisque les

 25   bombardements de l'OTAN sur la Yougoslavie avaient commencé le 24 mars,

 26   nous n'avons jamais publié le rapport avec nos conclusions, nous n'avons

 27   jamais mis un terme à cette enquête.

 28   Q.  Est-ce que vous étiez seul à mener cette enquête ou bien étiez-vous

Page 3962

  1   accompagné de quelqu'un d'autre, dont votre collègue du "Human Rights

  2   Watch" ?

  3   R.  En février, oui, j'étais accompagné d'un collègue.

  4   Q.  Est-ce que vous aviez pris des photos dans le cadre de cette mission

  5   qui s'est déroulée en février ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Vous souvenez-vous si vous vous êtes trouvés dans d'autres régions de

  8   la province ? En d'autres mots, est-ce que votre enquête consistait à aller

  9   dans d'autres municipalités ?

 10   R.  Nous nous sommes beaucoup déplacés, mais je me souviens que nous nous

 11   sommes concentrés sur la partie occidentale, particulièrement les environs

 12   de Pec, et également Suva Reka et ses environs.

 13   Q.  Et pourquoi avoir décidé de vous concentrer sur ce secteur de la partie

 14   occidentale du Kosovo et Suva Reka ?

 15   R.  C'est à propos de ce secteur-là que nous avions entendu les allégations

 16   les plus répétées et crédibles, allégations de violations graves.

 17   Q.  Des violations graves perpétrées par qui, par quelles parties au

 18   conflit ?

 19   R.  Par les deux parties.

 20   Q.  Et d'où vous venaient ces allégations ?

 21   R.  D'une longue liste de sources, telles que d'autres organisations

 22   travaillant dans le domaine des droits humains, tant locales

 23   qu'internationales, des médias, des autorités locales, de réseaux de

 24   personnes que j'avais développés au fil du temps au Kosovo, des gens dont

 25   le récit des choses nous inspirait la confiance.

 26   Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que l'on montre au témoin à

 27   l'écran la page 5 de la pièce 00700. Oui, voilà, de la liste 65 ter.

 28   Q.  Reconnaissez-vous cette photo que vous avez devant vous, Monsieur

Page 3963

  1   Abrahams ?

  2   R.  Oui. Je crois que c'est une photo du village de Lodja, juste à

  3   l'extérieur de Pec.

  4   Q.  Qui a pris cette photo, si vous vous en souvenez ?

  5   R.  C'est moi.

  6   Q.  C'est une photo qui a été prise pendant la mission dont vous parliez,

  7   la mission en février 1999 ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Avez-vous été en mesure d'obtenir des informations sur ce qui s'y était

 10   passé ? On voit que des maisons ont été décapitées, par exemple,

 11   incendiées.

 12   R.  Je suis allé à Lodja pour la première fois en septembre 1998 -- ou

 13   plutôt, j'ai essayé d'aller à Lodja. A ce moment-là, Lodja était occupée

 14   par la police serbe. Nous les avons vus en uniforme, et ils nous ont refusé

 15   l'accès au village. Je dirais qu'avant cela, l'UCK s'était trouvée dans ce

 16   village, en juillet, je crois, mais lorsque j'y suis arrivé, moi, en

 17   septembre, la police s'y trouvait. La police nous a refusé l'accès au

 18   village.

 19   Lorsque je suis revenu, donc en février 1999 et que j'ai pris cette

 20   photo, la police était partie. Nous avons été en mesure d'accéder au

 21   village, et c'est à ce moment-là que nous avons observé les lieux et pris

 22   les photos des dégâts que l'on constate ici.

 23   Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que l'on voie la page 7 de la

 24   même pièce.

 25   Q.  Reconnaissez-vous ce que représente cette photo ?

 26   R.  Oui.

 27   Q.  Qu'y voit-on ?

 28   R.  Ce sont des maisons albanaises typiques, juste en dehors de Suva Reka,

Page 3964

  1   des maisons des particuliers. Je ne me souviens pas du nom du lieu mais

  2   c'est à quelques kilomètres de Suva Reka.

  3   Q.  Et qui a pris cette photo ?

  4   R.  C'est moi.

  5   Q.  Une photo qui a été prise également au cours de la même mission de

  6   février dont vous avez parlé ?

  7   R.  Tout à fait, oui.

  8   Q.  Avez-vous été en mesure d'obtenir des informations sur l'identité de

  9   ceux qui ont incendié ces maisons lorsque vous vous êtes trouvé sur place ?

 10   R.  D'après les témoins, les forces serbes avaient incendié ces

 11   habitations. Je ne me souviens plus aujourd'hui tous les détails relatifs à

 12   ces incidents. Toutefois, ce qui m'est apparu clairement, c'est qu'elles

 13   avaient brûlé de l'intérieur, compte tenu de l'absence de toits, les toits

 14   en bois donc, qui étaient partis en fumée, et du manque finalement de

 15   marques d'incendie à l'intérieur des maisons. Compte tenu de tout ceci, il

 16   apparaît que les flammes sont sorties de l'intérieur de la maison vers

 17   l'extérieur.

 18   Q.  Très bien.

 19   Mme KRAVETZ : [interprétation] Examinons la page 8, toujours de la même

 20   pièce.

 21   Q.  Reconnaissez-vous cette photo ?

 22   R.  Oui, mais malheureusement, je ne sais pas avec certitude quel est le

 23   village qui est représenté ici. Je pense que c'est une photo qui a été

 24   prise dans la zone de Drenica, à Obrinje, peut-être, mais je ne suis pas

 25   sûr.

 26   Q.  Et que voit-on sur cette photo ?

 27   R.  C'est une mosquée détruite. Je me souviens d'avoir vu un certain nombre

 28   dans le secteur de Drenica, mais je ne sais plus très bien de quel village

Page 3965

  1   exactement il s'agit. Je m'en excuse.

  2   Q.  Ce n'est pas grave. C'est vous qui avez pris cette photo ?

  3   R.  Oui.

  4   Mme KRAVETZ : [interprétation] Examinons la page 10, maintenant, de la même

  5   pièce.

  6   Q.  Monsieur Abrahams, pourriez-vous nous dire ce qu'on voit sur cette

  7   photo ?

  8   R.  Il s'agit également d'une mosquée. On constate des dégâts tant sur le

  9   minaret que sur le toit, toujours dans le secteur de Drenica. Je pourrais

 10   facilement déterminer de quel village il s'agit en examinant mon rapport et

 11   mes notes, mais ici, sans ces documents, je ne sais plus très bien quel est

 12   le village ici.

 13   Q.  Avez-vous eu des informations pendant votre séjour sur place sur les

 14   dégâts occasionnés à la mosquée, et qui était à l'origine de ces dégâts ?

 15   R.  Les habitants locaux nous ont dit que la mosquée avait été endommagée

 16   par les forces serbes, mais je ne me souviens plus des détails liés à cette

 17   allégation.

 18   Q.  Très bien.

 19   Mme KRAVETZ : [interprétation] Passons à la page suivante, la page 11.

 20   Q.  Il s'agit d'une photo de la même mosquée qu'il y a un instant ?

 21   R.  Oui, c'est la même mosquée, effectivement, que celle qu'on voit sur la

 22   photo précédente.

 23   Q.  Merci.

 24   Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, je voudrais demander

 25   le versement au dossier de cette pièce. Il y a d'autres pièces que je n'ai

 26   pas montré au témoin qui font partie de la même pièce. Il s'agit du

 27   document 00700 de la liste 65 ter. Les photos que je n'ai pas montrées au

 28   témoin sont décrites ou expliquées dans sa déclaration aux pages 12 et 13,

Page 3966

  1   la déclaration de mai 2002.

  2   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous demandez donc le versement au

  3   dossier de cinq photos ?

  4   Mme KRAVETZ : [interprétation] En effet, oui, les photos que je lui ai

  5   montrées.

  6   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Elles seront versées au dossier.

  7   M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce P00754, la pièce

  8   contenant les pages 5, 7, 8, 10, et 11 du document de la liste 65 ter.

  9   Mme KRAVETZ : [interprétation]

 10   Q.  Monsieur Abrahams, j'aimerais passer à la période marquée par les

 11   bombardements de l'OTAN. Pourriez-vous nous dire comment "Human Rights

 12   Watch" a coordonné la couverture, en quelque sorte, des bombardements de

 13   l'OTAN de 1999 ?

 14   R.  Lorsque le bombardement a commencé, nous avons mobilisé une équipe de

 15   chercheurs que nous avons envoyée à la zone frontalière avec le Kosovo. Les

 16   médias, la communauté internationale et les moniteurs de l'OSCE quittaient

 17   les lieux soit volontairement, soit après expulsion du Kosovo. Donc l'accès

 18   à la province n'était pas possible pour nous. Nous n'y serions pas

 19   autorisés de toute façon. Mais du point de vue de la sécurité, nous ne

 20   pouvions pas le faire non plus. Nous avons donc décidé d'aller les

 21   chercher, en tout cas, dans le nord de l'Albanie, en Macédoine, où ils

 22   étaient chargés d'interviewer, d'entendre les réfugiés qui partaient et,

 23   comme ils nous l'ont dit, qui demeuraient au Kosovo.

 24   Je suis resté à New York au début pour coordonner le projet. Nous

 25   avons envoyé notre premier chercheur ou enquêteur en quelques jours dans la

 26   région nord de l'Albanie. Je crois que c'était trois jours même après le

 27   début du bombardement, donc aux environs du 27 ou 28 mars. De toute façon,

 28   nous avions quelqu'un sur place pendant toute la durée de la campagne de

Page 3967

  1   l'OTAN, qui a duré, je crois, 78 jours. J'y suis allé en avril dans le nord

  2   de l'Albanie, après quelques semaines, pour y entendre les réfugiés qui

  3   arrivaient dans le secteur de Kukes, la ville, et dans le nord. Je suis

  4   ensuite allé en Macédoine pour faire la même chose. Dans ces deux lieux,

  5   des camps de réfugiés importants avaient été mis en place. Nous avons

  6   entendu les réfugiés dès leur passage de la frontière ainsi que dans les

  7   camps où ils avaient trouvé refuge.

  8   Q.  Très bien. Vous avez parlé d'entretiens avec les réfugiés au moment où

  9   ils passaient la frontière pour passer dans le nord de l'Albanie, vers

 10   Kukes. Que disaient-ils, quelles raisons étaient les leurs, les raisons

 11   justifiant leur départ et leur passage en Albanie, d'après les entretiens

 12   que vous avez pu avoir avec eux, d'après ce que vous ont dit ces personnes

 13   ?

 14   R.  Les répondants, tous, nous ont dit qu'ils étaient partis de chez eux,

 15   parce qu'ils avaient subi des expulsions forcées de la part des forces de

 16   sécurité serbes ou yougoslaves, c'est-à-dire de l'armée. D'autres

 17   craignaient d'être expulsés, d'être chassés. Peut-être que cela veut dire,

 18   en d'autres termes, qu'ils ne l'ont pas été directement, mais que compte

 19   tenu du fait que des personnes des villages environnants l'avaient été, ils

 20   avaient compris le message et ils avaient jugé bon de partir avant d'être

 21   chassés eux-mêmes.

 22   Dans de nombreux cas, ces personnes ont parlé de meurtres survenus dans

 23   leur village. Je vous donne un exemple : une zone est encerclée, les forces

 24   de sécurité séparent les hommes des femmes. Les femmes doivent quitter les

 25   lieux et sont envoyées vers la zone frontalière où elles doivent traverser

 26   pour quitter le Kosovo, et les hommes sont maintenus, gardés en captivité.

 27   Ils font l'objet de fouilles, ils sont interrogés. Mais dans un nombre de

 28   cas très important, dans des villages dont je pourrais vous donner les

Page 3968

  1   noms, ces hommes ont été exécutés. Il y a des exemples tout à fait concrets

  2   de ce genre de situation. En route, beaucoup de ces personnes nous ont dit

  3   qu'elles avaient fait l'objet de harcèlement, de vol, de pillage. On leur

  4   prenait leur alliance, leur argent et d'autres effets personnels, et ce,

  5   par des hommes appartenant à la police, à l'armée, ainsi que par des hommes

  6   membres d'unités paramilitaires qui opéraient à l'époque.

  7   Ils parlaient également de ce que nous avons appelé un nettoyage

  8   identitaire. En route, et particulièrement à la frontière, on leur volait

  9   leurs documents, leurs papiers d'identité. Parfois, les plaques

 10   d'immatriculation des véhicules étaient retirées, et l'on forçait les

 11   personnes à entrer en Albanie ou en Macédoine sans aucun document sur eux.

 12   Nous avons interprété ceci comme étant une tentative de limiter, de

 13   restreindre ou de prévenir leur retour au Kosovo. Mais je ne voudrais pas

 14   me livrer à des conjectures quant au motif. Simplement, beaucoup de gens

 15   nous ont dit que leurs documents leur avaient été retirés par les forces de

 16   sécurité.

 17   Q.  Bien. Ces personnes que vous avez entendues au moment où elles

 18   traversaient vers Kukes, venaient-elles d'une zone en particulier du Kosovo

 19   ou de différentes municipalités ?

 20   R.  Ils venaient d'un secteur étendu, mais surtout de Djakovica, de Pec,

 21   même de la zone se trouvant nord-est de ce périmètre; Istok, Suva Reka. En

 22   général, les gens qui allaient vers le sud et vers la Macédoine venaient

 23   des parties orientales du Kosovo, Pristina, Lipljan, Vucitrn, et cetera.

 24   Q.  Très bien. Vous avez parlé de cas dans lesquels les personnes que vous

 25   avez entendues ont parlé de meurtres survenus dans leur village, et vous

 26   avez dit qu'il y avait des exemples concrets de tout cela. Avez-vous en

 27   tête certains de ces exemples ?

 28   R.  Oui. L'un est survenu à Bela Crkva, l'un de ces cas, de ces exemples.

Page 3969

  1   Les hommes ont été séparés des femmes et des enfants, et on les a menés

  2   dans le cours d'un ruisseau. A ce moment-là, les forces ont ouvert le feu

  3   sur ces hommes. Nous avons entendu de multiples témoins, pas seulement de

  4   la fusillade mais également de l'incident dans son intégralité, en d'autres

  5   termes, des femmes qui ont dit qu'elles avaient été séparées de leurs époux

  6   et des hommes de leur famille. Nous avons aussi entendu parler des hommes

  7   qui avaient survécu. A Bela Crkva, je me souviens très clairement d'un

  8   survivant qui a parlé de corps qui lui tombaient dessus. Lui-même, il avait

  9   été touché par une balle. Nous l'avons emmené voir le médecin, et en effet,

 10   si je me souviens bien, une balle s'était logée dans son épaule. Il me

 11   semble qu'une trentaine de personnes est morte à Bela Crkva.

 12   Je me souviens également du témoignage d'habitants du village de

 13   Meja. Ils nous ont dit que dans ce village il se peut que 300 personnes

 14   aient été tuées, et c'est là un exemple très intéressant. Je ne sais pas si

 15   ces détails vous intéressent. Je peux poursuivre ou m'arrêter.

 16   Q.  Je vous en prie, allez-y brièvement.

 17   R.  L'exemple de Meja est intéressant, parce que nous en avons entendu

 18   parler pour la première fois le matin au moment où des femmes sont passées

 19   en Albanie sans leur mari et sans les membres masculins de leur famille.

 20   Nous leur avons demandé pourquoi elles venaient elles seules avec leurs

 21   enfants, et elles nous ont expliqué qu'elles arrivaient de Meja et qu'elles

 22   avaient été séparées de leurs maris, de leurs fils, de leurs pères, et

 23   cetera.

 24   Puis au milieu de la journée, je crois que nous étions le 27 avril,

 25   au milieu de cette même journée, j'ai entendu des femmes, des réfugiées qui

 26   m'ont dit qu'elles avaient suivi ce même itinéraire, qu'elles étaient

 27   passées par Meja et qu'elles avaient vu des hommes à genoux le long de la

 28   route sous la garde de la police. Ensuite, nous avons entendu des femmes

Page 3970

  1   qui sont arrivées toujours le même jour mais en fin de journée, donc le 27

  2   avril, et elles nous ont dit : nous avons vu encore plus de gens, et deux

  3   témoins au moins ont dit avoir vu des cadavres empilés sur le côté de la

  4   route. Et elles ont estimé le nombre de corps à 300, environ. Et je me

  5   souviens leur avoir demandé comment elles avaient ce chiffre en tête, parce

  6   que lorsque l'on est effrayé, peut-on vraiment compter le nombre de

  7   cadavres empilés au bord de la route. En fait, elles ont décrit la hauteur

  8   de la pile, du tas de cadavres qui se trouvait là. Cela dit, elles ont

  9   effectivement déclaré qu'il devait y avoir 300 cadavres.

 10   Cette affaire de Meja m'a marqué, parce qu'après la fin des combats

 11   nous sommes allés à Meja et nous y avons mené une longue enquête. Mon

 12   collègue y est allé deux jours après la fin de la guerre, donc le 14 juin,

 13   je pense, et a vu un certain nombre de cadavres au bord de la route, là

 14   même où les réfugiés nous avaient dit que l'incident s'était produit, ainsi

 15   que des bribes de papiers d'identité et quelques effets personnels.

 16   Je suis allé à Meja en juillet moi-même et j'y ai mené de longs

 17   entretiens avec les habitants du secteur, et il se trouve qu'effectivement

 18   il manquait à peu près 300 personnes du village à l'époque, et tous leurs

 19   témoignages allaient dans le même sens et étaient très crédibles. J'ai été

 20   surpris par le degré de concordance entre les témoignages des témoins du

 21   Kosovo et ce que nous avons appris en Albanie de la bouche des réfugiés.

 22   Cela m'a frappé. Bien sûr, il y aurait d'autres cas dont je pourrais vous

 23   parler.

 24   Q.  Parlez-nous un peu des entretiens que vous avez menés. Vous avez dit

 25   être allé à Meja, avoir parlé à des personnes qui s'y trouvaient à propos

 26   des allégations formulées par ces personnes quittant le Kosovo au début du

 27   mois d'avril 1999. Comment meniez-vous ces entretiens ? Quelle était la

 28   durée de ces entretiens ? Nous parlons ici, bien sûr, de l'incident de Meja

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  1   ?

  2   R.  Chaque entretien était différent, bien sûr. Je ne peux pas vous dire

  3   que tous les entretiens étaient menés de la même manière, non, ce n'était

  4   pas le cas. Mais de manière générale, nous essayions toujours d'être seuls

  5   avec la personne que nous entendions. Cela peut durer longtemps, deux

  6   heures, trois heures, plus parfois. Nous ne posions pas de questions

  7   directrices. Nous tâchions de faire en sorte que ces personnes nous disent

  8   ce qu'elles jugeaient important, pertinent, le lieu et les activités de

  9   l'UCK, au cours de cette période, bien sûr, également les forces de l'OTAN

 10   qui n'étaient pas -- enfin, en tout cas, de la campagne aérienne menée par

 11   l'OTAN. Alors, est-ce que ceci vaut pour tout entretien, je ne sais pas,

 12   mais en tout cas c'était le but.

 13   Q.  Bien. Quand avez-vous mené l'enquête à Meja ?

 14   R.  En juillet 1999.

 15   Q.  Et pendant combien de temps êtes-vous resté sur place ?

 16   R.  Il faudrait que je vérifie mes notes pour en être certain, mais j'y

 17   suis resté au moins trois jours. Parce que, bien sûr, cet incident ne

 18   concernait pas seulement les habitants de Meja. Il y avait tout un ensemble

 19   de villages le long de cette vallée, et tous passaient par Meja. C'est

 20   aussi à Meja que les hommes ont été séparés des autres. Donc j'ai visité au

 21   moins trois de ces villages dans le secteur. J'ai également passé un peu de

 22   temps à Djakovica, tout proche. J'y suis resté deux jours, c'est sûr,

 23   ensuite trois jours à Djakovica, je crois, puis dans le village voisin de

 24   Kostajnica -- ou peut-être que je me trompe et que je confonds le nom du

 25   village avec le nom d'un homme politique que nous connaissons tous. Je suis

 26   désolé, j'ai oublié. Kolica [phon], peut-être. Je ne sais plus.

 27   Q.  En menant l'enquête sur le village de Meja, comment avez-vous essayé de

 28   trouver les personnes susceptibles de vous fournir des informations sur ce

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  1   qui s'était passé ?

  2    R.  Comment avons-nous identifié les personnes auxquelles nous souhaitions

  3   poser les questions ?

  4   Q.  Oui.

  5   R.  La première question était la suivante : Qui se trouvait là le jour en

  6   question ? En réponse à cette question : Les villageois nous ont dit quels

  7   étaient les membres de quelles familles qui se trouvaient là au moment où

  8   l'incident s'est produit. Je crois que nous avions le nom également de

  9   certaines personnes que nous avions entendues à Kukes auparavant, et nous

 10   sommes retournés voir ces personnes. Puis ce sont des toute petites

 11   bourgades. Il est aisé de trouver les personnes qui disent qu'elles

 12   disposent d'informations dont elles souhaitent parler sur l'incident en

 13   question. Vous trouvez ces personnes, vous vous asseyez avec elles dans un

 14   lieu tranquille, calme, et vous menez l'entretien.

 15   Q.  Vous y étiez en juillet. Les villageois de Meja étaient-ils revenus ?

 16   Etait-il facile de trouver les personnes qui étaient en mesure de vous dire

 17   quelque chose sur ces événements ?

 18   R.  Oui, bien sûr, très facile, parce qu'à ce moment-là quasiment tous,

 19   voire même tous les habitants étaient revenus au Kosovo. Ils sont rentrés

 20   quasiment juste après la fin de la campagne de bombardement de l'OTAN.

 21   Q.  Bien. Pendant que vous meniez ces entretiens à Meja, avez-vous été en

 22   mesure de constater des destructions occasionnées sur les infrastructures

 23   civiles du village ?

 24   R.  A Meja ? Je ne m'en souviens pas.

 25   Q.  Très bien. Vous avez parlé du bref séjour que vous avez passé à

 26   Djakovica quelques jours. Avez-vous eu la possibilité de faire le tour de

 27   tous les districts de Djakovica ?

 28   R.  Oui.

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  1   Q.  Avez-vous vu des dégâts qui auraient été occasionnés aux bâtiments

  2   civils ?

  3   R.  Oui. Dans la vieille ville de Djakovica, des dégâts importants ont été

  4   occasionnés aux maisons et à d'autres objets civils.

  5   Q.  Qu'avez-vous vu exactement au cours des jours que vous avez passés sur

  6   place ?

  7   R.  La plupart des dégâts semblaient avoir été occasionnés par le feu,

  8   comme si les structures avaient été incendiées de l'intérieur. Là encore,

  9   parce que les murs tenaient toujours, que les toits en bois étaient partis

 10   en fumée, et parce qu'il restait bien des choses calcinées, mais à

 11   l'intérieur des habitations.

 12   Q.  Avez-vous entendu des personnes, des résidents de Djakovica pour savoir

 13   ce qui s'était passé dans la ville pendant la période du conflit ?

 14   R.  Oui.

 15   Q.  De façon générale, quels sont les récits qui vous ont été faits ?

 16   R.  C'était le chaos, parce que la ville est assez grande, elle compte plus

 17   de 150 000 habitants et il y a eu de nombreux incidents différents qui se

 18   sont produits. Mais de manière générale, c'est là que l'on a compté le

 19   nombre de décès le plus élevé. Je crois qu'environ 200 personnes sont

 20   mortes. Et les témoins m'ont dit que les forces de sécurité serbes et

 21   yougoslaves opéraient de manière très coordonnée. Notamment, il y a eu deux

 22   vagues distinctes, ou en tout cas deux opérations distinctes. La première a

 23   commencé très rapidement après le début des bombardements de l'OTAN le 24

 24   mars, et l'autre a commencé le 7 mai. Chacune a duré une semaine environ.

 25   Les témoins m'ont dit que les forces de sécurité avaient ratissé la ville

 26   rue par rue de manière très systématique, en procédant à des rafles

 27   d'individus avant de les expulser de la ville.

 28   Il semble qu'il y ait eu également une tentative visant à cibler,

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  1   disons, les personnalités de Djakovica, telles que les avocats, des

  2   médecins et des hommes politiques, parce qu'un certain nombre de ces

  3   personnes a été tué et des témoins m'ont dit qu'ils avaient été arrêtés

  4   avant d'être tués sous la garde des forces de sécurité.

  5   Q.  Vous nous avez dit avoir entendu des récits faisant état de meurtres

  6   dans la ville de Djakovica. Y a-t-il eu un incident particulier qui a fait

  7   l'objet d'une enquête de votre part et qui vous a particulièrement marqué,

  8   un incident qui se serait produit dans cette ville au cours de la période

  9   dont nous parlons en 1999 ?

 10   R.  Oui, l'incident qui m'a le plus marqué, qui a le plus marqué ma mémoire

 11   est survenu dans une rue appelée la rue Milos Gilic. Il y a eu ce qui

 12   semble être une opération de police, d'après les témoins, visant à faire le

 13  ménage, ratisser la rue. C'était le soir du 1er avril jusqu'au 2. Un certain

 14   nombre de civils ont été tués dans cette rue, mais il y a un numéro en

 15   particulier, le numéro 163 de la rue Milos Gilic, auquel quelque 20

 16   personnes de cinq familles différentes s'étaient réunies, dont, si je me

 17   souviens bien, 12 enfants de moins de 16 ans. J'ai entendu deux témoins me

 18   dire avoir vu les forces de sécurité entrer dans la maison. L'un d'entre

 19   eux a dit avoir entendu des tirs et des cris. Et les 20 personnes se

 20   trouvant dans cette maison ont été tuées et l'intérieur de la maison a été

 21   incendié.

 22   Par la suite, j'ai entendu un membre, Faton Polashku [phon], je crois

 23   qu'il s'appelait. C'était un membre de la municipalité de Gjakove. Les

 24   autorités serbes l'avaient autorisé à intervenir avec son équipe pour

 25   rassembler les corps dans Djakovica à ce moment-là. Il m'a dit qu'il est

 26   entré dans la maison au numéro 163 Milos Gilic, et qu'il avait retiré 20

 27   corps qui avaient été tellement calcinés qu'ils étaient méconnaissables.

 28   J'ajouterais - ça ne concerne pas directement cet incident, mais puisqu'on

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  1   parle de Faton Polashku, ça me le rappelle - ce M. Polashku m'a dit qu'il y

  2   avait eu de très nombreux cadavres enterrés au cimetière de Djakovica à

  3   l'époque, et qu'à un moment donné ces corps avaient été retirés par les

  4   forces serbes. J'ai entendu séparément et de manière privée, il y avait

  5   donc que lui et moi, un membre de son personnel qui a dit la même chose.

  6   Aucun de ces hommes n'a assisté au retrait des cadavres personnellement,

  7   mais ils avaient enterré les cadavres sur place, et le lendemain - je crois

  8   que c'était en mai, il faudrait que je vérifie le témoignage pour en être

  9   sûr, je ne me souviens plus de l'heure par contre - en tout cas, ils sont

 10   venus au cimetière et ils ont constaté que plus de 70 cadavres avaient été

 11   exhumés. J'ai visité le cimetière, le cimetière de Djakovica en juillet, et

 12   j'ai remarqué effectivement de la terre retournée dans le cimetière et des

 13   marques de chenilles semblant correspondre à du gros matériel, du matériel

 14   de terrassement, là exactement où ces deux hommes avaient dit que les corps

 15   avaient été retirés.

 16   Q.  Très bien. Et il s'agissait, à votre avis, de corps de personnes qui

 17   avaient été tuées au cours de cette offensive dont vous avez parlé, des

 18   personnes qui auraient été tuées en masse à Djakovica, ou bien ces cadavres

 19   avaient-ils été enterrés avant cette opération de nettoyage dont vous avez

 20   parlé tout à l'heure ?

 21   R.  Il s'agissait des cadavres de personnes qui ont été tuées après le 24

 22   mars, lorsque les bombardements de l'OTAN ont commencé, qui avaient été

 23   enterrés par ce groupe d'hommes, ensuite retirés.

 24   Q.  Et ce sont là des corps de civils ou des corps de personnes impliquées

 25   dans des activités de combat avec les forces de sécurité, d'après ce que

 26   l'on vous a dit ?

 27   R.  D'après ce que l'on m'a dit, la grande majorité de ces personnes

 28   étaient des civils. Je ne peux pas exclure que certaines étaient des

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  1   combattants, puisqu'il y a eu des combats aussi au sein de la ville de

  2   Djakovica. Donc ces personnes étaient peut-être des combattants. Je ne peux

  3   pas dire qu'elles étaient toutes des civils.

  4   Q.  Monsieur Abrahams, nous allons devoir nous interrompre pour la journée,

  5   parce que nous avons épuisé le temps dont nous disposions cet après-midi.

  6   Nous devrons poursuivre demain matin.

  7   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Si le moment s'y prête, nous allons

  8   lever l'audience pour aujourd'hui et nous reprendrons demain, demain matin.

  9   Nous allons devoir vous demander de rester à La Haye ce soir afin de

 10   poursuivre votre déposition demain matin. Mme l'Huissière va vous

 11   communiquer davantage d'information avant votre départ du Tribunal ce soir.

 12   L'audience est levée.

 13   --- L'audience est levée à 17 heures 00 et reprendra le mercredi 6

 14   mai 2009, à 9 heures 00.

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