Page 3977
1 Le mercredi 6 mai 2009
2 [Audience publique]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 05.
5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour. Pourrait-on faire entrer le
6 témoin, s'il vous plaît.
7 Madame Kravetz, je vous écoute.
8 Mme KRAVETZ : [interprétation] Très brièvement, Monsieur le Président, je
9 voulais simplement vous informer du calendrier pour ce qui est du reste de
10 la semaine. Nous nous sommes entretenus avec M. Brakovic hier vers la fin
11 de l'après-midi et il pourra venir témoigner demain après-midi, car je
12 crois que nous siégerons demain dans l'après-midi. Il nous a informés
13 toutefois qu'il ne pouvait pas rester à La Haye après vendredi soir, car il
14 a des obligations personnelles et familiales chez lui et il a donc demandé
15 à ce qu'on termine son audition vendredi à la fin ou avant la fin de la
16 journée de vendredi car nous siégeons dans la matinée.
17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous siégeons dans la matinée et nous
18 ne savons pas si nous allons pouvoir faire droit à sa requête.
19 Mme KRAVETZ : [interprétation] Et je voulais simplement vous informer
20 qu'après le témoignage de M. Brakovic, nous allons continuer avec les
21 témoins que nous avions prévus, M. Latifi et les autres témoins et Mme
22 Hajrizi ainsi que d'autres témoins que nous avions prévus. Merci.
23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.
24 Monsieur Djurdjic, je vous écoute.
25 M. DJURDJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. La Défense est
26 tout à fait prête à ce que ces deux témoins soient terminés avant vendredi.
27 Mais toutefois je voudrais vous dire quelque chose. Très souvent il arrive
28 que l'Accusation nous informe que les témoins ont des obligations
Page 3978
1 personnelles et ne peuvent rester qu'un jour ou un jour et demi et que
2 c'est de cette façon-là qu'on nous limite le temps qui nous est alloué.
3 Dans la plupart des cas, il s'est avéré que ceci n'était pas exact. Pour ce
4 qui est de M. Brakovic. Dans l'information que nous avions reçue la semaine
5 dernière, il avait insisté qu'il devait absolument terminer son audition
6 avant le 4 et le 5, il ne pouvait absolument pas rester à La Haye après le
7 4, alors que nous voyons maintenant qu'il sera à La Haye le 5, le 6 et le
8 7. Il est arrivé la même chose avec le témoin Dunjic et d'autres témoins.
9 Je n'ai pas leurs noms en tête maintenant.
10 Et nous avons également reçu de cette même façon deux notices pour
11 deux autres témoins, un autre témoin expert qui avait dit qu'il ne pouvait
12 absolument pas rester au-delà d'une certaine date car il avait absolument
13 besoin de rentrer chez lui. Je crois que ceci fait une pression
14 supplémentaire sur la Chambre de première instance et la Défense pour ce
15 qui est de la durée des témoignages des témoins, et la Défense toutefois
16 est prête à respecter cette demande, la demande de ce témoin, M. Brakovic,
17 et du témoin qui est venu ici afin que ces derniers puissent vaquer à leurs
18 occupations. Mais je crois que ce n'est pas une pratique qui ne devrait pas
19 devenir une habitude, il faudrait prévoir et préparer les témoins et les
20 informer qu'ils doivent être à notre disposition jusqu'à la fin de leurs
21 témoignages. Merci.
22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Djurdjic, nous comprenons
23 très bien ce que vous nous dites et nous apprécions le fait que vous et M.
24 Djordjevic soyez toujours prêts à coopérer pour ce qui est des besoins
25 personnels des témoins. Et pour ce qui est d'essayer de faire en sorte que
26 ce procès se termine de la façon la plus rapide, je vais tenir compte de ce
27 que vous me dites certainement à l'avenir.
28 [Le témoin vient à la barre]
Page 3979
1 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour, Monsieur. J'aimerais vous
2 rappeler que vous avez déjà prononcé une déclaration solennelle selon
3 laquelle vous vous engagez à dire la vérité, toute la vérité, rien que la
4 vérité. Mme Kravetz poursuivra son interrogatoire maintenant.
5 Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
6 LE TÉMOIN : FREDERICK CRONIG ABRAHAMS [Reprise]
7 [Le témoin répond par l'interprète]
8 Interrogatoire principal par Mme Kravetz : [Suite]
9 Q. [interprétation] Monsieur, avant de lever l'audience hier vous nous
10 avez parlé de la mission au Kosovo du "Human Rights Watch"
11 en juillet 1999, et vous nous aviez expliqué que vous aviez mené des
12 enquêtes dans la municipalité de Djakovica. Au cours de cette mission
13 d'enquête en juillet 1999, est-ce que vous vous êtes rendu dans d'autres
14 municipalités de la province du Kosovo ?
15 R. J'étais certainement à la municipalité de Pristina. C'est là que je me
16 suis trouvé pour la plupart de cette période. Je suis également allé dans
17 les municipalités de Srbica et Glogovac, et j'ai passé pas mal de temps
18 dans la municipalité de Pec et à d'autres municipalités sans doute aussi,
19 mais je ne me souviens peut-être pas nécessairement de leurs noms, quoi que
20 ce que je viens d'énumérer étaient les municipalités principales.
21 Q. Et au cours de cette période, est-ce que vous vous êtes rendu dans la
22 ville même de Pec ?
23 R. Oui.
24 Q. Est-ce que vous étiez en mesure d'interroger les résidents de Pec ?
25 R. Oui.
26 Q. Et sur la base des récits qu'ils vous ont donnés, que vous ont-ils dit,
27 que vous ont dit les résidents de Pec, à savoir de ce qui s'est passé dans
28 la période qui a suivi les bombardements de l'OTAN ?
Page 3980
1 R. L'histoire sur le récit de tous les habitants de Pec était qu'on nous
2 parlait des expulsions forcées. Les forces de la sécurité les ont
3 encerclés, enfin, leur ont ordonné de partir de leurs maisons de façon
4 ordonnée. Très souvent les autocars étaient organisés par les autorités
5 locales et les gens étaient forcés à monter à bord de ces autobus, ils
6 étaient évacués à l'extérieur de la province, et ce, vers le Monténégro.
7 Dans certains cas, des familles avaient des histoires, d'autres histoires à
8 raconter, d'autres récits, tels les meurtres. Je me souviens de deux cas
9 particuliers, deux familles qui pensaient que ces meurtres avaient été
10 perpétrés par les mêmes auteurs. Ils ont également parlé des meurtres à
11 plus grande échelle dans certains villages.
12 Q. Avant de passer aux meurtres, nous allons parler de ces meurtres. Mais
13 pourriez-vous nous dire pendant combien de temps êtes-vous resté à Pec pour
14 mener ces entretiens ?
15 R. Je pourrais vérifier mes notes et ainsi vous donner les chiffres précis
16 avec les dates précises. J'ai dû certainement passer cinq jours dans la
17 région, sinon pas une semaine, car un des villages avoisinants était devenu
18 le point ou le village principal pour ce qui est de notre travail.
19 Q. Pourriez-vous nous parler de la méthodologie que vous avez employée
20 lorsque vous meniez les entretiens avec les habitants de
21 Pec ? Est-ce que la méthodologie était semblable ? Est-ce que les
22 entretiens étaient menés de façon similaire à ceux que vous aviez menés à
23 Djakovica et ailleurs ?
24 R. La méthodologie pour notre entretien est toujours la même pour ce qui
25 est de l'ensemble du Kosovo et c'était toujours la même méthodologie pour
26 ailleurs également.
27 Q. Est-ce que ces entretiens étaient menés en albanais ?
28 R. Pour la plupart, oui. Il y avait certaines personnes qui parlaient
Page 3981
1 anglais mais pour la plupart les entretiens étaient menés en albanais.
2 Q. Est-ce que vous parlez albanais vous-même, ou bien est-ce que vous
3 aviez l'aide d'un interprète ?
4 R. Je parle albanais, quoique la plupart des entretiens se sont faits par
5 le truchement d'un interprète.
6 Q. Pendant la période pendant laquelle vous êtes resté à Pec, est-ce que
7 vous étiez en mesure de voir s'il y avait des dégâts ou une destruction
8 causés à la propriété et aux biens civils ?
9 R. Je voulais simplement vous apporter une précision pour ce qui est de ce
10 que je vous ai dit concernant les interprètes. Je me présentais en
11 albanais. Je parlais l'albanais pour me présenter, mais les entretiens ils
12 étaient menés par le truchement d'un interprète.
13 Q. Merci. Au cours de la période qui a suivi, est-ce que vous étiez en
14 mesure de voir si des dégâts avaient été causés aux biens civils ?
15 R. Oui.
16 Q. S'agissant des villages avoisinants de Pec ou des hameaux entourant
17 Pec, est-ce que vous savez s'ils étaient également endommagés ?
18 R. Je ne me souviens pas. Je me souviens de la destruction très étendue
19 faite pour ce qui est de Pec. Je ne sais pas ce qui en était pour les zones
20 périphérales [phon], mais je vous parle du centre-ville de Pec. Alors oui,
21 effectivement, des dégâts étaient assez importants et les dégâts que j'ai
22 pu observer étaient également des dégâts causés par les incendies.
23 Q. S'agissant des personnes que vous avez interrogées, les résidents de
24 Pec que vous avez interrogés, interviewés, est-ce que ces derniers ont pu
25 vous donner d'autres informations, à savoir de la façon dont ces dégâts
26 avaient été causés à leurs biens ?
27 R. Oui, certainement. L'information provenant de Pec correspondait - et à
28 mon avis cette information était fiable - car les personnes se trouvaient
Page 3982
1 dans la ville, elles se trouvaient dans la ville même de Pec jusqu'à une
2 étape assez avancée de la guerre, car tous les habitants de la ville
3 n'étaient pas expulsés. Donc ces derniers pouvaient nous dire que les
4 structures avaient été incendiées par les forces de la sécurité d'Etat soit
5 par la police ou autres. Je ne me souviens pas maintenant si les forces de
6 l'armée yougoslave étaient présentes dans la ville, si c'est ce qu'ils
7 m'ont dit, mais il est certain que la police était présente et ceux qu'ils
8 ont appelés également les membres de la milice locale.
9 Q. Est-ce que vous avez vu des dégâts causés aux mosquées dans la ville de
10 Pec ?
11 R. Oui, je me souviens avoir vu au moins une mosquée qui ait subi des
12 dégâts, mais je ne me souviens pas très précisément de d'autres détails.
13 Q. Très bien. Dites-nous, s'il vous plaît, si vous avez entendu des récits
14 s'agissant de meurtres qui auraient eu lieu dans la ville de Pec ou
15 ailleurs. Pourriez-vous nous parler de ces incidents-là, de quels incidents
16 est-ce que vous nous avez parlé.
17 R. Au cours de mon enquête, de l'enquête que j'ai menée à Pec, nous avons
18 entendu des récits de personnes qui nous ont parlé de meurtres de grande
19 envergure dans un village de Cuska ou en albanais Qyshk. C'est un village
20 qui se trouve à 5 ou 6 kilomètres environ de la ville vers l'est, et selon
21 les récits, les récits étaient suffisamment crédibles et correspondaient
22 aux autres informations, de sorte à ce que nous ayons pu nous-mêmes nous
23 rendre sur place pour enquêter.
24 Q. Est-ce que vous savez de quelle façon ces massacres ont eu lieu ? Est-
25 ce que vous avez parlé à des témoins oculaires ?
26 R. J'ai passé beaucoup de temps, quatre ou cinq jours pendant ce voyage,
27 et je suis revenu sur place à de nombreuses reprises. Je me suis entretenu
28 avec un très grand nombre de personnes. Je dirais, que c'était environ 20
Page 3983
1 personnes différentes soit du village ou des villages avoisinants, Cuska,
2 Zahac et Pavlan. Les crimes allégués se seraient déroulés le même jour. Je
3 me suis entretenu avec des personnes qui étaient des témoins qui ont vu ce
4 qui s'est passé.
5 Q. Est-ce que vous pourriez nous dire ce qu'ils vous ont dit, que s'est-il
6 passé à Cuska ?
7 R. Oui, j'ai publié un livre entier où j'ai collaboré à la rédaction du
8 livre de Cuska. Ce qui est arrivé à Cuska c'est l'un des cas uniques du
9 conflit du Kosovo non pas seulement à cause du nombre de personnes qui
10 aient été tuées. Car 41 personnes ont trouvé la mort le 14 mai 1999. Ces
11 chiffres mêmes ne sont pas uniques dans ce sens. Ce sont des chiffres très
12 élevés que je n'avais jamais rencontrés en tant qu'enquêteur du "Human
13 Rights Watch."
14 Des personnes m'ont informé que les forces de la sécurité qui sont
15 entrées dans le village le 14 mai dans la matinée avaient envoyé un très
16 grand nombre de femmes et d'enfants, renvoyé donc expulsé, après avoir pris
17 leurs biens, leur argent et d'autres choses qui leur appartenaient; et par
18 la suite, il y avait un groupe de 29 hommes qui ont été séparés et qu'on a
19 emmenés dans trois maisons différentes. Dans chacune de ces maisons
20 différentes, les forces de la sécurité les ont alignés et ils ont ouvert le
21 feu sur eux en tuant les hommes qui se trouvaient dans ces maisons; et par
22 la suite ils incendiaient les maisons. Ce qui était assez singulier
23 s'agissant de ces témoignages c'est que dans chacun de ces cas il y avait
24 un survivant. Il y avait un homme qui se trouvait dans une maison qui avait
25 réussi avec peu de blessures de survivre à ce meurtre.
26 Donc j'ai pu retrouver ces personnes, et ces personnes ont pu me
27 faire un récit très dramatique de témoin oculaire, bien sûr. Nous avions
28 reçu d'autres récits ailleurs à Kosovo, mais c'était quand même assez rare
Page 3984
1 d'avoir des témoignages comme ceux-ci. J'ai mentionné Bela Crkva hier où il
2 y avait également un témoin qui avait survécu à un meurtre, mais j'ai parlé
3 à une personne qui pouvait donner un très grand nombre de détails qui
4 correspondaient à ce que nous avions entendu d'autres personnes.
5 Alors ceci, en tant qu'enquêteur, m'a alerté, si vous voulez, d'une
6 certaine façon, puisque les villageois, y compris ces hommes qui avaient
7 survécu, disaient qu'ils avaient reconnu les auteurs de ces crimes et que
8 c'étaient des personnes qu'ils connaissaient personnellement, qu'ils
9 avaient connues personnellement. Nous avons également obtenu des
10 photographies de ce qui m'a été dit qu'il s'agissait de membres de la
11 milice et des membres de la police de la région de Pec. J'ai obtenu ces
12 photos de façon séparée du village de Cuska. Les villageois ne savaient pas
13 du tout que ces photographies existaient. Je les ai obtenues à Pec. Je les
14 ai scannées sur mon ordinateur portable et j'ai montré ces photos non pas
15 seulement aux villageois de Cuska, mais également aux personnes. De façon
16 générale, et je leur avais dit : J'ai obtenu ces photographies, est-ce que
17 vous savez qui sont ces personnes ? Et j'ai été très étonné de voir que les
18 villageois à Cuska ainsi que certains villageois de Zahac et Pavlan
19 pouvaient reconnaître ces hommes. J'ai donc moi-même déployé de très grands
20 efforts, parce que je ne voulais pas suggérer qui étaient ces personnes, je
21 prenais toutes les précautions nécessaires. J'ai pris les personnes une par
22 une, je ne faisais qu'ouvrir mon ordinateur portable et dire : Est-ce que
23 vous savez qui est cette personne ? Sans préciser que, Voilà, je crois que
24 c'est une personne de Pec ou ailleurs. Je n'ai pas posé de question
25 directrice, je n'ai pas non plus insinué certaines choses pour les
26 identifier. Nous avons reçu un très grand nombre d'identifications
27 positives. Et nous avions discuté entre nous de savoir comment pouvons-nous
28 donner un nom. Alors nous avions décidé de diffuser le nom de la personne
Page 3985
1 seulement si nous avions trois personnes les avoir identifiées. Ces noms
2 sont mentionnés dans les rapports et dans le livre. Donc nous avions besoin
3 de trois identifications minimums.
4 Q. Quel est le nom de ce rapport ?
5 R. Le nom de ce rapport que le "Human Rights Watch" a publié s'appelait
6 "Un village détruit." Et par la suite, nous avons compilé un livre avec des
7 photographies et un texte que j'ai rédigé avec un collègue, et nous avons
8 également bénéficié de l'aide d'un photographe qui s'appelle Gilles Peress.
9 C'était une publication indépendante.
10 Q. S'agissant de ce rapport, maintenant pourriez-vous nous dire,
11 s'agissant de ces villages détruits, quand avez-vous fait votre recherche ?
12 R. C'était en juillet. Ensuite la recherche ou l'enquête s'est poursuivie,
13 et je crois qu'elle s'est poursuivie tout au long de la deuxième partie de
14 1999, si ma mémoire est bonne.
15 Q. Hier nous avons parlé de la pratique du "Human Rights Watch" quant à la
16 dissémination des rapports. Est-ce que ces rapports auraient été envoyés
17 aux autorités yougoslaves tout comme les autres rapports dont vous nous
18 avez parlé hier ?
19 R. Oui, la procédure par laquelle nous communiquions ces rapports, la
20 divulgation de ces rapports était la même. Je voudrais ajouter quelque
21 chose également, que les enquêtes médiatiques se sont également rendues sur
22 place pour mener leurs propres enquêtes, et j'ai inséré dans mon rapport
23 certains de leurs rapports.
24 Q. Vous nous avez parlé qu'au cours de ces enquêtes vous avez découvert
25 qu'environ 40 personnes ou 41 personnes dans ce village avaient été tuées.
26 Sur la base des récits de survivants et de témoins oculaires, dites-nous,
27 est-ce que ces personnes qui ont été tuées dans ces villages avaient pris
28 part à des opérations de combat de quelque façon que ce soit ?
Page 3986
1 R. Dans les villages, les villageois avaient dit qu'il n'y avait
2 absolument aucune présence de l'UCK dans le village, qu'il n'y avait pas eu
3 de combats dans ce village, par exemple, ou dans ces villages. Ces
4 déclarations n'étaient pas prises pour acquis, bien sûr. Ces déclarations
5 font partie d'un recueil d'entretiens que nous avons menés pendant
6 plusieurs jours. Je dois également dire que je me suis rendu sur les sites.
7 Je suis allé dans les maisons où ces hommes avaient été tués et la preuve
8 physique que j'ai pu observer correspondait également avec les récits.
9 Q. Vous nous avez dit avoir obtenu des photographies de personnes qui,
10 ultérieurement, avaient été identifiées comme étant des auteurs de crimes.
11 Pour être tout à fait précis, est-ce que ces photographies figurent
12 également dans le rapport du "Human Rights Watch" intitulé "Un village
13 détruit" ?
14 R. Oui.
15 Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais demander
16 que ce rapport soit versé au dossier. Il s'agit de la pièce 65 ter 00397.
17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bien. Ce document sera versé au
18 dossier.
19 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il recevra la cote P00755, Monsieur le
20 Président, Messieurs les Juges.
21 Mme KRAVETZ : [interprétation]
22 Q. Monsieur Abrahams, j'aimerais vous demander de nous parler d'un autre
23 rapport. Dans d'autres rapports, vous parlez du "Human Rights Watch," vous
24 dites, vous avez rédigé un rapport qui est intitulé "Sous les ordres."
25 Pourriez-vous nous parler de votre implication.
26 R. J'ai été le coordonnateur du projet, c'est ainsi que je peux parler de
27 mon apport à moi, mais c'était une collaboration avec tout le personnel du
28 "Human Rights Watch." Plusieurs sections ont été abordées, la période avant
Page 3987
1 la conflit, la période entre 1990 à 1998; ensuite la période que nous
2 considérons être la période du conflit armé, 1998 à 1999; ensuite la
3 période ultérieure qui, pour nous, était très importante; en fait, ce qui
4 s'est passé après le 12 juin, en particulier les attaques de vengeance
5 contre les Serbes et les Romains et les non-Albanais du Kosovo. Mon rôle
6 était de coordonner et de faire en sorte que l'enquête soit faite sur le
7 terrain pendant les bombardements des forces de l'OTAN. Je me suis
8 également rendu sur le terrain en Albanie et en Macédoine. Moi-même et
9 d'autres enquêteurs, nous sommes entrés au Kosovo en juin et juillet en
10 1998, donc c'est moi qui ai eu la responsabilité de compiler tout ce
11 matériel que nous avions recueilli.
12 Q. Est-ce que vous avez personnellement rédigé des parties de ce rapport ?
13 R. Oui.
14 Q. Vous avez parlé également des enquêtes menées à Djakovica également
15 dans la municipalité de Pec, est-ce que l'information que vous aviez
16 recueillie est contenue dans ce rapport ?
17 R. Oui.
18 Q. S'agissant de la municipalité de Djakovica et de Pec, est-ce que c'est
19 vous qui avez participé, est-ce que c'est vous qui avez rédigé ces sections
20 du rapport ?
21 R. Oui, c'est moi-même.
22 Q. Est-ce que vous souvenez si le rapport "Sous les ordres" a été rendu
23 public par le "Human Rights Watch" ?
24 R. Oui, en octobre 2001.
25 Q. Je présume que ce rapport, suivant une procédure régulière du "Human
26 Rights Watch," a été distribué d'après les normes et les pratiques aux
27 autorités yougoslaves et serbes et autres personnes.
28 R. Oui, tout à fait. Le "Under orders," "Sous les ordres," nous avons
Page 3988
1 traduit le rapport en serbe et en albanais. Nous avons tenu des conférences
2 de presse à Pristina, ainsi qu'à Belgrade, et j'ai pris part aux deux
3 conférences de presse. La conférence de presse de Belgrade a été composée
4 de représentants du gouvernement faisant partie du panel public. Donc la
5 couverture de ce rapport était très étendue.
6 Q. Merci.
7 Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
8 nous avons préparé un extrait - j'en ai parlé hier - il s'agit d'un extrait
9 de ce rapport et des sections portant sur Djakovica et Pec. Ces sections
10 ont été téléchargées sur le prétoire électronique, il s'agit de la pièce 65
11 ter 004380.1. Je sais que mon éminent confrère a soulevé une objection
12 quant au rapport lui-même, mais je demanderais à ce que cette pièce soit
13 versée au dossier et que l'on y attribue une cote provisoire.
14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Alors nous allons lui
15 attribuer une cote provisoire.
16 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document sera versé au dossier aux
17 fins d'identification seulement, sous la cote P00756.
18 Mme KRAVETZ : [interprétation]
19 Q. Monsieur Abrahams, j'aimerais vous demander de nous parler d'un autre
20 rapport qui figure dans votre rapport de juillet 2006 et dans une autre
21 déclaration du mois de janvier 2002. C'est un rapport qui est intitulé :
22 "Viol en tant qu'arme de nettoyage ethnique." Pourriez-vous nous expliquer
23 de quoi s'agit-il.
24 R. Ce rapport a été rédigé par une de mes collègues, c'était une femme.
25 Nous pensions que c'était important qu'une femme puisse interroger les
26 victimes d'agressions sexuelles. J'étais son guide, si vous voulez. D'une
27 certaine façon, c'est moi qui lui ai donné des conseils et j'ai également
28 pris part d'une façon très importante et je l'ai aidée à préparer ce
Page 3989
1 rapport.
2 Q. Avez-vous participé à l'un ou l'autre des entretiens que contient ce
3 rapport ?
4 R. J'ai mené certains de ces entretiens avec des professionnels du secteur
5 médical, parfois avec une connaissance indirecte, parfois une connaissance
6 directe de la violence sexuelle, mais pas les victimes elles-mêmes, encore
7 une fois pour établir un lien de confiance.
8 Q. Comment avez-vous procédé pour essayer d'obtenir des informations
9 concernant ces cas de viol ou d'attaques sexuelles qui se sont déroulés au
10 cours du conflit de 1999 ?
11 R. La question des viols a attiré notre attention en premier lieu en avril
12 lors de la campagne de bombardements de l'OTAN. J'étais en Albanie du Nord
13 avec ma collègue, Joanne Mariner, et on a reçu un rapport d'allégations de
14 viol provenant d'un camp de réfugiés, trois femmes. Je ne me souviens pas
15 exactement des circonstances, mais il me semble qu'il s'agissait d'un
16 médecin dans un des camps de réfugiés qui nous a alertés, mais je ne suis
17 pas sûr. Donc je ne puis pas vous dire exactement comment ça s'est arrivé à
18 notre attention, mais c'est ma collègue, Joanne, qui a eu un entretien avec
19 ces personnes. Ces personnes ont témoigné de la violence sexuelle qu'elles
20 avaient subie et la déclaration basée sur ces entretiens a été publiée en
21 avril.
22 Puis lorsque nous sommes tous entrés au Kosovo, Joanne et notre
23 collègue, Martina Vandenberg, qui a porté la plus grande partie de ce
24 travail, est intervenue et elle a identifié les victimes par des moyens
25 différents, mais notamment en parlant avec les organisations locales de
26 femmes qui s'occupaient et apportaient leur assistance aux femmes qui
27 avaient été violées avec les gynécologues, les médecins qui avaient fourni
28 dans soins aux victimes de ces viols et de cette violence, puis d'autres
Page 3990
1 informations que je ne me souviens pas. Il faudrait que je retourne vers le
2 rapport.
3 Q. Mais la méthodologie que vous et votre collègue ont mise en avant
4 était-elle similaire à la méthodologie utilisée pour les autres rapports
5 que vous avez préparés dont vous avez parlé auparavant dans vos témoignages
6 ?
7 R. Oui, c'est le cas.
8 Q. Pouvez-vous nous parler du processus d'entretiens, comment ces
9 entretiens se sont tenus avec les victimes et les entretiens que vous avez
10 vous-même organisés avec des personnes en mesure de fournir des
11 informations ou des éléments de preuve.
12 R. Essentiellement, il s'agit toujours du même système, donc c'est un
13 entretien personnel. En ce qui concerne les violences sexuelles et le viol,
14 par contre, on ajoute un élément de confidentialité. C'est très important
15 pour établir la confiance entre la personne qui conduit l'entretien et la
16 personne qui est interrogée. Ceci est particulièrement important dans la
17 société albanaise, dans toute société d'ailleurs, mais dans la société
18 albanaise en particulier, le fait d'avoir subi des violences sexuelles ou
19 d'avoir été violé est un sujet de honte profonde. C'est un sujet tabou dans
20 la culture albanaise. Les femmes qui en sont les victimes éprouvent des
21 difficultés importantes à se marier si elles désiraient se marier, donc ces
22 entretiens avec ces femmes ont été tenus de la manière la plus
23 confidentielle qui soit et appropriée.
24 Q. Je vois --
25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Djurdjic.
26 Mme KRAVETZ : [interprétation] -- mon éminent collègue est debout.
27 M. DJURDJIC : [interprétation] Oui, le témoin a dépassé à nouveau les
28 limites du témoignage portant sur les faits, il partage avec nous des
Page 3991
1 conclusions, il ne devrait pas porter témoignage de cette manière. Nous
2 sommes maintenant entrés dans la sphère des questions de moralité et
3 d'éthique d'une communauté ethnique.
4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie. Je pense que nous
5 n'avons pas à faire d'observation spécifique à ce niveau.
6 Je vous propose, Madame, de continuer votre interrogatoire tout en
7 restant consciente de ce qui vient d'être dit.
8 Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
9 Q. Quand est-ce que les recherches pour la préparation de ce rapport ont
10 été conclues, si vous en avez souvenir ?
11 R. A peu près trois semaines. Je crois que les dates précises figurent au
12 rapport. Puis la rédaction, la révision ont pris plusieurs semaines après,
13 disons, deux mois, deux mois après la fin de la mission sur le terrain.
14 Donc je pense que le rapport a été publié fin 1999, peut-être même début
15 2000, si mes souvenirs sont exacts.
16 Q. Je vous remercie. Encore une fois, je présume que ce rapport a été
17 diffusé par les moyens habituels de "Human Rights Watch," envoyé à toutes
18 les autorités compétentes figurant dans votre liste, donc tant au niveau
19 des autorités serbes que yougoslaves --
20 R. Oui.
21 Q. -- est-ce exact ?
22 Mme KRAVETZ : [interprétation] Ce rapport c'est la pièce 00386. Je sais
23 qu'une objection a été reconnue en ce qui concerne sa recevabilité,
24 j'aimerais donc l'introduire à ce stade et le faire identifier.
25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ce sera effectivement identifié.
26 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il portera la cote P00757.
27 Mme KRAVETZ : [interprétation] Est-ce que vous pouvez produire 65 ter 00388
28 sur l'écran du prétoire électronique, et je vous demande que seul l'anglais
Page 3992
1 figure à l'écran pour le témoin afin que celui-ci puisse lire le texte.
2 Q. Monsieur Abrahams, reconnaissez-vous le document qui est porté à
3 l'écran ?
4 R. Oui.
5 Q. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ?
6 R. Il s'agit de la déclaration portant sur les viols dont j'ai parlé tout
7 à l'heure. Pendant la période des bombardements de l'OTAN, nous avons
8 produit ce que l'on appelle des flashs d'information sur les droits humains
9 au Kosovo, "Kosovo Human Rights Flashes." Il s'agissait de déclarations, de
10 communiqués de presse brefs qui étaient publiés pendant les combats portant
11 sur des thèmes spécifiques.
12 Q. Vous nous avez parlé hier de l'information que vous avez reçue lorsque
13 vous vous trouviez en Albanie du Nord concernant un incident qui avait eu
14 lieu à Meja. Est-ce que cette information aurait été contenue dans l'un de
15 ces flashs d'information à ce moment-là ? Etait-ce le type d'information
16 que vous auriez fait figurer dans ce genre de communiqué ?
17 R. Oui.
18 Q. Est-ce que ces communiqués sur les droits humains étaient émis
19 exclusivement par le "Human Rights Watch" pendant la période du conflit,
20 c'est-à-dire pendant la période du conflit de mars à juin 1999 ?
21 R. Nous avons émis des communiqués de presse ou des déclarations
22 régulières avant et après les bombardements de l'OTAN. Pendant les
23 bombardements de l'OTAN, étant donné l'intensité de la tension, ce qui est
24 compréhensible, dans la région nous avons produit ce que nous avons appelé
25 les flashs d'information.
26 Q. Comment est-ce que ces flashs d'information du "Human Rights Watch"
27 étaient diffusés ?
28 R. Ils étaient diffusés de la même manière que tout ce que nous produisons
Page 3993
1 par ailleurs, mais pas par la poste. Ils n'auraient pas été envoyés par la
2 poste. La plupart ont été envoyés par courriel, je ne suis pas sûr qu'on
3 ait utilisé les fax. Il faudrait que je vérifie, mais certainement par
4 courriel.
5 Q. Quand vous receviez des informations provenant soit de témoins directs
6 ou de survivants, comment est-ce que vous avez procédé pour essayer
7 d'obtenir des informations concordantes pour corroborer les témoignages ?
8 R. A ce moment-là, la corroboration était basée sur les entretiens que
9 nous tenions dans les camps de concentration en Albanie et en Macédoine et
10 nous nous sommes tenus à une norme très élevée. En ce qui concerne ce
11 rapport, je peux voir que nous avons en fait deux victimes directes, ainsi
12 que huit autres femmes dans le village qui ont apporté des éléments de
13 corroboration à ces témoignages. Donc ça c'est un bon exemple de la norme
14 élevée que nous avons appliquée.
15 Q. Donc avant de faire une déclaration publique, vous essayez
16 effectivement d'obtenir des témoignages concordants. Vous essayez de ne pas
17 vous baser sur le témoignage d'une personne unique, mais vous essayez
18 d'obtenir --
19 R. Non, ce n'était pas seulement essayer. Mais c'était une exigence, un
20 mandat qui faisait partie de nos responsabilités, qui exigeait que l'on
21 obtienne un niveau élevé de corroboration pour tous les témoignages.
22 Q. Je vois que le témoignage qui est ici porte deux dates. Donc il y a
23 mise à jour 22 février 2000, puis il y a une deuxième date en dessous, 28
24 avril 1999. Est-ce que les déclarations portant sur les viols qui se
25 trouvent ici étaient déjà contenues dans le flash de "Human Rights Watch"
26 publié en 1999 ?
27 R. Oui, certainement. Je ne sais pas exactement sur quelle partie a porté
28 l'actualisation du 22 février 2000, mais les allégations ont été portées et
Page 3994
1 publiées en 1999.
2 Q. Donc si j'ai bien compris, lorsque vous diffusiez un tel rapport
3 reprenant un incident qui s'était produit auparavant, si vous obteniez des
4 informations supplémentaires concernant cet incident, cela se retrouvait
5 dans un rapport actualisé du "Human Rights
6 Watch" ?
7 R. Non, généralement ça n'était pas le cas, à moins que l'information
8 supplémentaire ait une valeur substantive. Dans ce cas précis, je ne sais
9 pas exactement ce qui a fait l'objet d'une actualisation, mais c'est un
10 signe de transparence, car si une modification quelconque était apportée au
11 site Web, car c'est là que se produisait l'actualisation, nous voulions que
12 le lecteur soit mis au courant de cela.
13 Q. Merci.
14 Mme KRAVETZ : [interprétation] Messieurs les Juges, j'aimerais que cette
15 pièce soit versée au dossier, 65 ter 00388.
16 M. LE JUGE PARKER : [aucune interprétation]
17 M. LE GREFFIER : [interprétation] La pièce est versée au dossier et portera
18 la cote 00758.
19 Mme KRAVETZ : [interprétation]
20 Q. Au cours de la période de vos enquêtes en vue de la préparation du
21 rapport, est-ce que vous avez fait des enquêtes sur tous les rapports de
22 violation venant d'où qu'ils viennent ?
23 R. Ce n'était pas seulement au niveau des ordres, mais depuis le début de
24 nos enquêtes au Kosovo, nous avons essayé de manière vigoureuse d'enquêter
25 de part et d'autre du conflit.
26 Q. Est-ce que ces éléments de rapport se retrouvent dans des références
27 portant sur des infractions qui auraient été commises à l'encontre de
28 Serbes ou d'autres groupes ethniques, ou est-ce que c'était concentré
Page 3995
1 exclusivement sur la communauté kosovare ?
2 R. Non. Depuis le début, nous avons enquêté sur des déclarations faites au
3 sujet de l'UCK, différents rapports et plus tard des rapports d'infractions
4 commises par l'UCK. Nous avons aussi étudié le comportement et les
5 infractions allégués contre l'OTAN, nous avons, à maintes reprises,
6 critiqué l'emploi par les forces de l'OTAN d'armes à sous-munitions pendant
7 cette campagne et le nombre de pertes civiles provoquées par les
8 bombardements de l'OTAN.
9 Q. Il ne me reste que quelques questions à vous poser. Je voulais vous
10 poser une question sur la déclaration de janvier 2002. Dans cette
11 déclaration, vous discutez du contexte dans lequel se déroulait le conflit
12 et vous nous avez parlé des événements qui se sont produits au début des
13 années 90 et même avant cela. Pouvez-vous nous indiquer quelle est la base
14 des informations que vous avez fournies dans vos déclarations concernant
15 ces événements.
16 R. Deux sources fondamentales : une recherche universitaire et une
17 recherche individuelle, si je puis dire. Essentiellement l'histoire
18 générale disponible publique qui a été préparée dans des cercles
19 académiques acceptés; puis aussi mes conversations privées, la
20 compréhension que j'ai acquise ayant travaillé depuis 1993 dans la région
21 des Balkans, ayant étudié l'histoire de l'Europe orientale et, de ce fait,
22 ayant accumulé une connaissance de ces événements.
23 Q. Merci.
24 Mme KRAVETZ : [interprétation] Messieurs les Juges, je n'ai pas d'autres
25 questions pour ce témoin à ce stade.
26 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie, Madame Kravetz.
27 Monsieur Djurdjic, voulez-vous intervenir en contre-interrogatoire ?
28 M. DJURDJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Effectivement,
Page 3996
1 c'est mon intention.
2 Contre-interrogatoire par M. Djurdjic :
3 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Abrahams. Je m'appelle Veljko
4 Djurdjic, je suis membre de l'équipe de la Défense pour l'accusé, M.
5 Djordjevic, Vlastimir Djordjevic. Je suis accompagné de Marie O'Leary,
6 membre de mon équipe, et j'aurais quelques questions à vous poser,
7 questions auxquelles j'aimerais que vous nous fournissiez les explications
8 que vous pourrez.
9 M. DJURDJIC : [interprétation] Peut-on afficher la pièce P758, s'il vous
10 plaît.
11 Q. Monsieur Abrahams, il s'agit là du flash numéro 31, actualisé en
12 février 2000. Est-il exact pour moi de vous dire que vous n'êtes pas en
13 mesure de nous dire quelle partie du document a fait l'objet d'une
14 actualisation en 2000 ?
15 R. Je peux vérifier cette information si vous le désirez, mais pour le
16 moment je ne suis pas en mesure de vous le dire, non.
17 Q. Merci, Monsieur Abrahams. J'ai une question à vous poser sur ce
18 document et sur d'autres documents aussi. D'après ce flash d'information,
19 au moins, vous aviez à votre service un docteur en Albanie qui examinait
20 les victimes; est-ce exact ?
21 R. Non, il n'est pas exact que nous avions un médecin, mais nous nous
22 sommes entretenus avec un médecin qui avait apporté des soins à ces
23 victimes, oui.
24 Q. Je vois que vous vous identifiez à "Human Rights Watch." Mais ce que je
25 voulais dire, en fait, c'est qu'il y avait un médecin, un médecin en
26 Albanie qui a examiné certaines des victimes; est-ce exact ?
27 R. Oui, c'est exact.
28 Q. Avez-vous, en tant qu'enquêteur, demandé au médecin de vous fournir la
Page 3997
1 documentation médicale résultant de l'examen des victimes ?
2 R. Je n'ai pas souvenir de l'avoir demandé ou pas demandé. C'est une
3 question que je pourrais poser à Joanne Mariner qui était responsable de la
4 recherche.
5 Q. Je vous remercie. Est-ce qu'à un moment quelconque vous êtes entré en
6 possession d'une documentation médicale quelconque portant sur les victimes
7 ?
8 R. En ce qui concerne cette déclaration portant sur les violences
9 sexuelles ou en général ?
10 Q. Oui, en premier lieu, en ce qui concerne les violences sexuelles.
11 R. Oui, il faudrait que je vérifie le rapport pour pouvoir répondre
12 précisément à votre question. Mais dans certains cas, je pense que la
13 réponse est positive, oui.
14 Q. Bien. Donc vous nous dites ça sans vérification. Donc au vu des travaux
15 que vous avez effectués, avez-vous remis les pièces concernant les viols
16 aux enquêteurs du bureau du Procureur du TPIY ?
17 R. Cette déclaration, le flash 31, et les rapports suivants ont
18 effectivement été mis à la disposition des enquêteurs du Tribunal pénal
19 pour l'ex-Yougoslavie. Quant à savoir si nous les avons spécifiquement
20 informés au sujet de victimes particulières, je n'en ai pas souvenir
21 maintenant. Il est cependant possible que nous ayons procédé de la sorte,
22 mais je n'ai aucune certitude quant à savoir si ça s'est produit ou pas.
23 Q. Monsieur Abrahams, je suis assez surpris d'entendre cette réponse. Je
24 vous demande de répondre à ma question. Ma question porte sur les dossiers
25 médicaux et pas sur d'autres éléments de preuve, quels qu'ils soient. Donc
26 avez-vous, à un moment ou à un autre, remis des rapports médicaux
27 concernant les viols à l'Accusation ?
28 R. Moi-même personnellement, je ne l'ai pas fait, mais je ne peux pas dire
Page 3998
1 avec certitude si ma collègue Joanne ou Martina Vandenberg l'ont fait ou ne
2 l'ont pas fait.
3 Q. Je vous remercie. Il ne s'agit pas seulement d'elle, mais aussi Mme
4 Anderson qui a préparé le rapport sur les viols. Mais poursuivons. Puisque
5 c'est la troisième fois que vous témoignez devant le Tribunal pénal à La
6 Haye, vous a-t-on jamais donné à voir des conclusions médicales concernant
7 le viol de victimes avec lesquelles vous avez eu des entretiens en 1998 et
8 1999 ?
9 R. Je n'ai eu aucun entretien avec des victimes de viol ou de violences
10 sexuelles.
11 Q. Alors je ne sais pas s'il y a un problème d'interprétation. Monsieur
12 Abrahams, voulez-vous, s'il vous plaît, lire le compte rendu d'audience.
13 C'est la troisième fois que vous témoignez devant le Tribunal de La Haye.
14 Avez-vous eu sous les yeux des conclusions médicales concernant l'une
15 quelconque des victimes de viol que vous ou votre organisation ont
16 interviewées ? Voilà la teneur de ma question.
17 R. Je suis en train de lire pour être bien sûr que j'ai parfaitement
18 compris ce que vous me demandez. Personnellement, je crois que l'on ne m'a
19 jamais remis de dossiers ou rapports médicaux concernant les victimes. Il
20 s'agit d'information qui aurait été fournie à mes collègues qui avaient la
21 responsabilité de la recherche. Il s'agit de Joanne Mariner et Martina
22 Vandenberg.
23 Q. Je vais reposer la question. Au cours du procès Milosevic ou le procès
24 Milutinovic, lorsque vous avez témoigné, comme vous le faites aujourd'hui,
25 vous a-t-on à un quelconque moment montré des documents médicaux portant
26 sur les victimes de viol qui avaient été interviewées par votre
27 organisation ?
28 R. Pendant les procès, non, je n'ai pas souvenir que l'on m'ait montré ce
Page 3999
1 type de document.
2 Q. Je vous remercie. Vous a-t-on montré des documents médicaux quelconques
3 hier ou aujourd'hui portant sur les victimes de viol que votre organisation
4 a pu interviewées ou toute autre sorte de documents de nature médicale ?
5 R. Non.
6 Q. Je vous remercie.
7 Monsieur Abrahams, vous nous avez dit hier que vous étiez un chercheur
8 formé au sein de "Human Rights Watch." Pouvez-vous nous expliquer en quoi
9 consistait votre formation ?
10 R. Tous les chercheurs de l'organisation suivent une formation
11 approfondie, une formation maison approfondie quant à la manière de mener
12 une enquête, comment organiser des entretiens avec des témoins, des
13 victimes, concernant le recueil d'éléments de preuve et de sources
14 secondaires; et c'est ce qui constitue, en fait, la source principale de ma
15 formation.
16 Q. Je vous remercie. Hier vous nous avez déclaré que vous avez débuté vos
17 entretiens avec les victimes et les témoins. Vous avez commencé plutôt à
18 les enregistrer à partir du moment où la numérisation est intervenue.
19 Pouvez-vous nous dire si en 1998 ou 1999, cette méthode a été appliquée en
20 Macédoine et en Albanie et au Kosovo en général ?
21 R. En général, non, ça n'a pas été utilisé.
22 Q. Je vous remercie. Est-ce que des déclarations écrites fournies par des
23 victimes et des témoins étaient signées par
24 ceux-ci ?
25 R. Cela ne fait pas partie des procédures de "Human Rights Watch."
26 Q. Je vous remercie. Quoique vous ayez déjà fourni des explications là-
27 dessus dans une certaine mesure, pouvez-vous nous dire qui, en 1998,
28 servait d'interprète ou procédait à la traduction des entretiens que vous
Page 4000
1 avez tenus au Kosovo ?
2 R. Nos interprètes étaient des individus natifs du Kosovo. La plupart
3 d'entre eux à ce moment-là étaient des journalistes et ont ensuite suivi
4 des carrières de journalistes professionnels pour les médias internationaux
5 tels que AP, AFP, Agence France Presse et d'autres agences de presse.
6 Q. Je vous remercie. Quelle était l'origine ethnique des interprètes avant
7 qu'ils commencent à travailler en tant que journalistes ?
8 R. Mais ça dépend de la période et des enquêtes que l'on désire comprendre
9 [phon] en considération. Ceux auxquels je fais référence maintenant étaient
10 d'ethnicité albanaise. Nous avons aussi bénéficié des services de deux
11 ressortissants serbes qui étaient d'origine ethnique serbe, qui ont fait
12 partie de notre personnel. Une partie des enquêtes ont été entreprises --
13 pardon, non pas par eux, mais l'un d'entre eux. L'un d'entre eux était à
14 Belgrade, l'autre travaillait au Kosovo, cette personne, bien entendu,
15 parle serbe.
16 Q. Je vous remercie. Vous nous avez expliqué l'étendue de votre
17 connaissance de la langue albanaise. Puis-je vous demander ce qu'il en est
18 des autres, donc Fred Abrahams, Bogdan Ivanisevic, Andre Lommen, Joanne
19 Mariner, Martina Vandenberg, Benjamin Ward et James Ron. Est-ce que ces
20 personnes parlent albanais ?
21 R. Non.
22 Q. Je vous remercie. Comment pouvez-vous être certain de la précision de
23 l'interprétation effectuée par l'interprète d'ethnicité albanaise
24 recueillant la déclaration d'un témoin ou d'une victime d'ethnicité
25 albanaise ? Comment pouvez-vous être sûr que l'interprétation était exacte
26 ?
27 R. Il y a deux moyens : en premier lieu, ces interprètes étaient des
28 personnes avec lesquelles nous avions travaillé depuis longtemps et vis-à-
Page 4001
1 vis desquelles s'était développé un sentiment de confiance très élevé.
2 Deuxièmement, ces interprètes ont aussi travaillé avec nous, lorsque nous
3 avons procédé à des enquêtes concernant les crimes de l'Armée de libération
4 du Kosovo, et parfois d'ailleurs au risque, au péril de leurs vies.
5 Manifestement, l'UCK n'avait pas envie d'être un sujet d'enquête et nos
6 interprètes ont assumé ces risques, ont procédé à des traductions et des
7 interprétations honnêtes et ont consolidé notre confiance par le fait
8 qu'ils ont montré leur volonté aussi de porter l'enquête sur la partie
9 albanaise.
10 Q. Merci. Nous en venons au thème qui m'intéresse. Comment pouvez-vous
11 être sûr qu'ils n'étaient pas membres de l'Alliance démocratique du Kosovo
12 ni de l'UCK ? Comment être sûr qu'ils n'étaient pas membres d'autres
13 organisations ou entités du Kosovo ?
14 R. Vous parlez des interprètes ici ?
15 Q. Oui.
16 R. Pour autant que je le sache, ces personnes n'appartenaient à aucune
17 instance ou entité politique, et je connaissais beaucoup de choses parce
18 que le Kosovo est petit. Je m'y étais rendu, j'y avais travaillé déjà
19 depuis 1995; et les opinions politiques des uns et des autres sont connues.
20 Par ailleurs, leurs affiliations politiques étaient secondaires.
21 L'important pour nous était leur conduite professionnelle, quel qu'ait été
22 le groupe ou le parti auquel ils auraient pu appartenir. Ce qui était
23 important pour moi et pour mes collègues c'était la qualité et l'honnêteté,
24 l'exactitude de leur interprétation.
25 Q. Merci. Je ne peux pas ne pas vous poser la question suivante. Toutes
26 les déclarations que vous avez recueillies et dont vous dites qu'elles sont
27 crédibles, ne vous ont-elles pas paru singulières dans la mesure où
28 finalement elles convergent toutes, elles se ressemblent, alors même que la
Page 4002
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14 Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des
15 versions anglaise et française
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 4003
1 répétition mène généralement aux soupçons, à la suspicion ?
2 R. Non, elles ne m'ont pas du tout étonné. Elles contenaient des détails,
3 des informations particulières quant à ce que ces personnes avaient vu ou
4 vécu qui étaient crédibles. Je parle de ces personnes. Mais pour le rapport
5 intitulé "Under orders," par exemple, nous avons entendu plus de 600
6 personnes. Alors je ne veux pas ici généraliser. Mais en ce qui concerne la
7 répétition dont vous parlez, si elle existait bel et bien, elle était le
8 signe, en tout cas c'est ainsi que je l'ai interprété de la nature
9 généralisée des crimes dont ces personnes parlaient.
10 Q. Pouvez-vous exclure la possibilité que toutes ces personnes ont été
11 briefées quant à ce qu'elles étaient censées dire et à la manière dont
12 elles l'ont dit ?
13 R. Oui -- enfin, je reformule ma réponse. Bien entendu, l'Armée de
14 libération du Kosovo avait intérêt à dissimuler certaines de ses activités
15 et a présenté les crimes commis par les forces serbes sous un certain
16 angle. C'est incontestable; il y avait là un motif, un intérêt de leur
17 part. Bien sûr, toutes les forces en présence dans le conflit avaient
18 intérêt à contrôler l'information. C'est la raison pour laquelle le
19 processus d'audition était si important. C'est la raison pour laquelle nous
20 avons pris tant de précautions, pourquoi nous prenons tant de précautions
21 particulièrement en temps de conflit armé. Nous veillons à mener de manière
22 très professionnelle de longs entretiens avec les personnes que nous
23 entendons. Les cas dont nous avons fait l'écho dans "Under orders," par
24 exemple, et dans d'autres documents, me paraissent satisfaire aux critères
25 de la corroboration et de la confirmation en tout cas à mes yeux.
26 Q. Merci. Les victimes et les témoins que vous avez auditionnés ont-ils eu
27 la possibilité de prendre connaissance de la retranscription de leur
28 entretien écrite ?
Page 4004
1 R. S'ils en faisaient la demande, nous le permettions. Mais en général, ce
2 n'était pas le cas. Cela ne s'est donc passé que rarement.
3 Q. Je vous remercie. Pouvez-vous maintenant me dire quelle était votre
4 méthode de recueil des déclarations en 1998 et en 1999.
5 R. Nous les notions manuscritement surtout et parfois nous les
6 enregistrions. J'ai parlé plus tôt d'enregistrement numérique, mais bien
7 entendu, nous disposions de cassettes et nous les utilisions parfois.
8 Q. Merci. Dans quelle langue les déclarations étaient-elles consignées ?
9 R. En anglais.
10 Q. Merci.
11 R. Les déclarations, vous entendez par là les questions
12 posées ? Qu'entendez-vous par "déclarations formulées" ? Qu'entendez-vous
13 par là ? Enregistrées, consignées ? Alors si c'est bien consignées dont
14 vous parlez, oui elles étaient consignées en anglais.
15 Q. Monsieur Abrahams, vous avez dit qu'en 1998 et en 1999 vous preniez des
16 notes écrites de ces déclarations, vous les consigniez par écrit, alors ma
17 question était la suivante : Dans quelle langue ces déclarations écrites
18 étaient consignées ? Maintenant que vous avez bien compris la question, si
19 vous souhaitez répéter votre réponse, n'hésitez pas.
20 R. Oui, elles étaient consignées en anglais.
21 Q. Merci. Vous avez longuement parlé de la transmission des rapports au
22 cours de ces deux derniers jours. Hier vous nous avez dit qu'en 1998
23 jusqu'en juin 1999, vous envoyiez également des rapports à l'UCK. Etes-vous
24 en mesure de produire des preuves de ce que vous avancez, à savoir que vous
25 avez communiqué des rapports à l'UCK à partir de 1998 et jusqu'à la fin du
26 mois de juin 1999 ?
27 R. A l'époque il était difficile de faire parvenir des rapports à l'UCK,
28 parce qu'ils ne comptaient pas de présence officielle, ou en tout cas de
Page 4005
1 représentation diplomatique, mais les déclarations étaient communiquées aux
2 médias albanophones, tant au Kosovo qu'en Albanie et en Macédoine. Je les
3 remettais également personnellement, lorsque cela était possible lors de
4 mes séjours au Kosovo, et parfois l'UCK avait une représentation à
5 Pristina. En tout cas, ça a été le cas brièvement en 1998, ils disposaient
6 d'une représentation politique peut-être, plutôt qu'un bureau de
7 l'information, une représentation politique. J'ai rencontré certaines des
8 personnes qui travaillaient à ce bureau et je leur ai remis des exemplaires
9 de nos produits.
10 Q. Quels étaient ces produits, ces documents et à qui les avez-vous remis
11 ?
12 R. Le bureau à l'époque était administré par un certain Adem Demaqi qui a
13 reçu un certain nombre de ces documents. Je ne me souviens pas très bien ce
14 que je lui ai donné, mais je pense que l'on peut supposer que le rapport
15 intitulé "Violation du droit humanitaire au Kosovo" a fait partie des
16 documents qu'il a reçus.
17 Q. Merci. Hier vous nous avez dit qu'à partir de 1996 les rapports
18 communiqués aux représentants officiels en Serbie leur étaient envoyés par
19 courrier électronique. J'ai bien compris ?
20 R. En effet, oui. Ils ont été envoyés aux adresses de courrier
21 électronique dont nous disposions.
22 Q. Merci. Monsieur Abrahams, j'avance - et j'assume tout à fait la
23 responsabilité de ce que j'avance - j'avance qu'à partir de 1996, et ce,
24 jusqu'à la fin de la guerre en 1999, le MUP serbe n'avait pas de site
25 internet sur lequel on aurait pu trouver son adresse de courrier
26 électronique ou par le biais duquel il aurait pu communiquer avec des
27 tiers.
28 Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président --
Page 4006
1 LE TÉMOIN : [interprétation] Quel est --
2 Mme KRAVETZ : [interprétation] -- ce n'est pas vraiment une question. C'est
3 plutôt une déclaration de la part de mon éminent confrère de la partie
4 adverse. Je lui demanderais de bien vouloir poser une question au témoin et
5 d'éviter toute déclaration.
6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je crois qu'effectivement, Monsieur
7 Djurdjic, vous devriez songer à reformuler ceci.
8 M. DJURDJIC : [interprétation] Merci.
9 Q. Où avez-vous obtenu l'information selon laquelle le MUP serbe disposait
10 d'une adresse de courrier électronique en 1996, 1997, 1998 et 1999, et
11 pouvez-vous me dire quelle était cette adresse
12 email ?
13 R. Le MUP avait un site internet, mais je ne sais pas exactement quand il
14 a été placé en ligne. Mais je pourrais vérifier l'information. L'adresse
15 mail du MUP était, pour autant que je le sache, dans notre liste, mais il
16 faudrait que je vérifie la liste en question pour vérifier que c'est bien
17 le cas. Je dispose de cette liste.
18 Q. Monsieur Abrahams, vous parlez d'adresses mail et de site internet,
19 mais de quelle année parlez-vous exactement ? C'est ce que je cherche à
20 savoir.
21 R. Je ne sais plus exactement quand ce site internet du MUP est devenu
22 opérationnel, mais il serait aisé de le vérifier. En ce qui concerne la
23 liste contenant les différentes adresses mail, elle a été dressée à partir
24 de 1996 et elle a fait l'objet de mises à jour régulières par la suite.
25 Q. Merci. Vous ne vous êtes pas intéressé personnellement à ces activités,
26 disons, techniques ?
27 R. Je n'administrais pas la liste, mais lorsque j'obtenais une adresse
28 qu'il me paraissait utile de rajouter à cette liste, je la communiquais à
Page 4007
1 mes collègues chargés de ce genre de choses.
2 Q. Je vous remercie. Ce que j'essayais de vous demander, c'est que ce
3 n'était pas vous, n'est-ce pas, qui envoyiez ces courriers électroniques à
4 ces différentes entités, institutions publiques, et cetera ? Ce n'était pas
5 vous qui faisiez cela.
6 R. Je communiquais la matière - une déclaration, par exemple - et mes
7 collègues techniciens appuyaient sur le bouton, en d'autres termes, c'est
8 eux qui envoyaient la déclaration.
9 Q. Merci. Avez-vous eu une preuve quelconque que ces rapports avaient bien
10 été reçus par leurs destinataires ? Vous-même, avez-vous reçu une preuve
11 l'établissant ?
12 R. Les adresses de courrier électronique qui rejetaient en quelque sorte
13 les courriels que nous leur adressions étaient supprimées des listes. Je
14 savais donc quelles adresses ne fonctionnaient pas et celles auxquelles les
15 documents que nous envoyions ne parvenaient pas.
16 Q. Très bien. Nous y reviendrons. Mais avant cela, j'aimerais vous poser
17 la question suivante : suis-je en droit de considérer que tous les
18 documents que vous communiquiez aux représentants officiels de Serbie et de
19 Yougoslavie étaient aussi communiqués au bureau du Procureur de ce Tribunal
20 et qu'hier ils ont été versés au dossier ?
21 R. Je ne me souviens plus si les documents en question ont été transmis
22 officiellement, en tout cas pas à l'époque en 1996; en 1998, je ne sais
23 pas. En d'autres termes, je ne sais pas si nous les avons communiqués
24 officiellement, mais ces documents faisaient alors partie du domaine public
25 et ils sont certainement parvenus au bureau du Procureur.
26 Q. Merci.
27 M. DJURDJIC : [interprétation] J'aimerais que l'on montre au témoin la
28 pièce P742 à l'écran.
Page 4008
1 Q. Monsieur Abrahams, c'est la première page de ce document. Pourriez-vous
2 me dire si cette télécopie a été accompagnée par une lettre de couverture ?
3 R. Je ne la vois pas.
4 Q. Oui. Dans votre rapport, vous avez peut-être la page d'accompagnement
5 de cette lettre qui a été communiquée à M. Stojiljkovic le 20 juillet 1998
6 ?
7 R. Non, elle ne figure pas dans le rapport.
8 Q. Merci. J'aimerais que vous examiniez ce courrier. Informez-vous M.
9 Stojiljkovic de l'un quelconque des crimes dans cette
10 lettre ?
11 R. C'est une demande d'information. Nous sollicitons des informations de
12 la part du ministre Stojiljkovic.
13 Q. Je vous remercie. "Human Rights Watch" détient-il la moindre preuve
14 indiquant que l'un quelconque des rapports que vous avez préparés et
15 envoyés à M. Stojiljkovic à partir de 1998 et jusqu'à la fin de juin 1999 a
16 été reçu par celui-ci ?
17 R. Nous n'avons jamais reçu la moindre réponse de la part de M.
18 Stojiljkovic, alors je ne sais pas s'il a reçu la lettre en question.
19 Q. Je vous remercie. Au cours du procès Milosevic, au cours du procès
20 Milutinovic et au cours de ces deux derniers jours, vous a-t-on montré la
21 moindre preuve indiquant que M. Stojiljkovic a bien reçu l'un quelconque de
22 vos rapports préparés au cours des années 1998 et 1999 ?
23 R. Non.
24 Q. Merci. Vous conviendrez, n'est-ce pas, que l'adresse qui figure sur ce
25 courrier est l'adresse bien connue du ministère de l'Intérieur, 103 Knez
26 Milosa, 11000 Belgrade, et qu'il n'y a pas d'adresse de courrier
27 électronique correspondante au MUP serbe ici ?
28 R. Cette lettre a été envoyée par télécopie, une télécopie qui est bel et
Page 4009
1 bien passée. Nous avons obtenu un accusé de réception de la machine
2 indiquant que le fax était bien passé. Nous ne l'avons pas envoyé par e-
3 mail, je pense.
4 Q. Monsieur Abrahams, y a-t-il ici le numéro de télécopie du MUP serbe ?
5 Figure-t-il ici ?
6 R. Non.
7 Q. Le numéro de télécopie de l'appareil qui a servi à l'envoyer apparaît-
8 il ici ?
9 R. Bien, sur ce que je vois à l'écran, non.
10 M. DJURDJIC : [interprétation] Pourrait-on faire défiler la lettre jusqu'en
11 bas.
12 Q. Voilà, maintenant vous avez une vue d'ensemble.
13 R. D'après ce que je vois, non. Peut-être qu'il y a quelque chose tout en
14 haut de la page, mais je ne sais pas.
15 Q. Bien, vous voyez le haut de la page maintenant.
16 R. Ces fax étaient envoyés par un serveur informatique, ce qui pourrait
17 expliquer pourquoi aucun numéro n'apparaît sur la page que nous examinons à
18 l'écran.
19 Q. Suis-je en droit de dire que vous ne disposez pas de la moindre preuve
20 établissant que cette lettre a bien été envoyée comme vous venez de nous le
21 dire ?
22 R. Je pourrais consulter mes collègues de New York qui ont peut-être une
23 preuve informatique de l'envoi de cette télécopie, mais je n'ai pas,
24 effectivement, de preuve avec moi l'établissant.
25 Q. Je vous remercie.
26 M. DJURDJIC : [interprétation] Je demanderais à ce que l'on affiche
27 maintenant la pièce P743 à l'écran.
28 Q. Monsieur Abrahams, pourriez-vous me dire à qui ce fax a été envoyé,
Page 4010
1 page d'accompagnement et page suivante ?
2 R. A l'armée yougoslave.
3 Q. Mais ne pensez-vous pas que c'est là un terme très général. Vous êtes
4 expert en la matière, qu'en penseriez-vous si je vous disais que j'envoie
5 quelque chose à l'armée américaine, par exemple ?
6 R. Pour être plus précis, ce document a été envoyé au service
7 d'information du commandement de l'armée yougoslave Kosovo.
8 Q. Au service d'information. Et de quel commandement parlons-nous ici ? A
9 quel type d'unité militaire avez-vous transmis ce document ?
10 R. Au bureau chargé des communications ou des relations avec les médias de
11 l'armée yougoslave, donc qui s'occupait du Kosovo.
12 Q. Monsieur Abrahams, vous dites ici, commandement pour le Kosovo, mais de
13 quelle unité parlez-vous lorsque vous dites "commandement Kosovo" ? Qu'est-
14 ce que c'est ?
15 R. Pour autant que je m'en souvienne, c'était la 3e Armée qui était
16 chargée du SUP de la Serbie et du Kosovo. Il y avait également le Corps de
17 Pristina qui était responsable du Kosovo.
18 Q. Merci. A quel service d'information ceci a-t-il été envoyé, dans quelle
19 ville, dans quel bourgade se trouvait-il ?
20 R. Je ne sais plus.
21 Q. Comment cette lettre a-t-elle été envoyée, par quel moyen technique ?
22 R. Pourriez-vous me rappeler la date d'envoi de cette lettre ?
23 Q. Le 20 juillet - nous le verrons tout à l'heure - le 20 juillet 1998.
24 C'est là toute une série de lettres qui portent toutes la même date, mais
25 nous avons examiné ces deux lettres hier déjà. Accélérons un peu la
26 cadence, Monsieur Abrahams. Voyez-vous une adresse électronique où que ce
27 soit, une adresse de courrier électronique correspondant à cette entité à
28 laquelle vous avez adressé cette lettre ?
Page 4011
1 R. Non.
2 Q. Alors voyez-vous le numéro de télécopie, ou plutôt, le numéro de
3 téléphone ou…
4 R. Non.
5 Q. Merci.
6 M. DJURDJIC : [interprétation] Pouvons-nous examiner la page 2 de ce
7 document, et j'en terminerai sur ce document, et nous pourrons ensuite
8 lever l'audience pour la pause.
9 Q. Monsieur Abrahams, pouvez-vous lire le nom du destinataire.
10 R. Vojska Jugoslavije, Kneza Milosa 33, 11000 Belgrade, Yougoslavie.
11 Q. Bravo. Merci. L'une des questions que je voulais vous poser est de
12 savoir si vous êtes en mesure de parler et de comprendre le serbe, mais
13 j'ai déjà la réponse à ma question. Alors y a-t-il ici un numéro de
14 télécopie ou une adresse de courrier électronique.
15 R. Non. D'après ce que je vois à l'écran, non.
16 Q. Merci. Vous conviendrez avec moi que c'est une adresse de Belgrade ici,
17 qui n'a rien à voir avec le service d'information ou le commandement de la
18 3e Armée ou du Corps de Pristina, n'est-ce pas ?
19 R. Non, je n'en conviendrais pas avec vous. L'armée yougoslave avait son
20 QG à Belgrade.
21 Q. Oui, j'en conviens. Effectivement, le QG était à Belgrade. Mais le
22 service d'information de la 3e Armée ou du Corps de Pristina ne se trouvait
23 pas dans la rue Kneza Milosa de Belgrade, n'est-ce
24 pas ?
25 R. Je ne sais pas. Je ne sais pas où il se trouvait, je ne sais pas
26 quelles étaient les communications entretenues entre Pristina et Belgrade.
27 Q. Monsieur Abrahams, pourriez-vous me dire à qui vous avez envoyé cette
28 lettre ?
Page 4012
1 R. Nous l'avons envoyée au service d'information de ce que nous appelons
2 ici le commandement du Kosovo, je ne saurais être plus précis que cela.
3 Q. Bien. Merci.
4 M. DJURDJIC : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
5 je pense que l'heure est venue de faire une pause, la pause de rigueur.
6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Nous reprendrons à 11
7 heures.
8 --- L'audience est suspendue à 10 heures 30.
9 --- L'audience est reprise à 11 heures 06.
10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Djurdjic.
11 M. DJURDJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
12 Q. Monsieur Abrahams, nous nous sommes arrêtés sur votre lettre qui avait
13 été envoyée le 20 juillet 1998. J'aimerais savoir si dans cette lettre vous
14 parlez de crimes commis par les forces de la Yougoslavie ou de la Serbie ?
15 R. Cette lettre informe l'armée que nous sommes en train de mener une
16 enquête et que nous leur demandons de contribuer avec une information ou
17 des informations, de nous aider dans le cadre de notre enquête, à savoir de
18 recueillir des informations supplémentaires.
19 Q. Dans un point, vous dites :
20 "Pourriez-vous nous donner des informations sur les actions militaires de
21 l'armée au Kosovo depuis janvier 1998 ?"
22 J'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec moi pour dire qu'aucune armée
23 d'aucun Etat ne vous aurait donné des informations de ce type si vous leur
24 aviez demandé de vous donner des informations de ce type ?
25 R. Il était de mon devoir de poser des questions et il était de leur
26 devoir de soit répondre ou ne pas répondre. Nous leur avons donné la
27 possibilité de nous donner des informations, c'est quelque chose qu'ils
28 n'ont pas voulu faire.
Page 4013
1 Q. Merci. Est-ce que nous disposons de preuve ou de documents selon
2 lesquels on pourrait voir que vous auriez demandé aux forces de l'OTAN de
3 vous donner des informations de ce type au cours de cette période de
4 1998/1999, ou de l'UCK ?
5 R. Je n'ai pas de lettres de ce type, effectivement. Pour ce qui est des
6 forces de l'OTAN, mes collègues étaient les enquêteurs. C'est eux qui ont
7 fait la recherche quant à l'OTAN et de la campagne aérienne menée par les
8 forces de l'OTAN. Donc il me faudrait demander de quel type d'information
9 ils disposaient. Pour ce qui est maintenant de l'UCK, s'agissant de lettres
10 officielles, du meilleur de ma connaissance les lettres n'avaient pas été
11 envoyées mais il y a eu quelques communications avec eux d'après mes
12 informations.
13 Q. Merci. Maintenant dites-nous, dans les rapports que vous avez rédigés
14 indépendamment des recherches que vous avez faites même si vous n'étiez pas
15 l'enquêteur en question, est-ce que vous pourriez nous donner, nous dire si
16 concernant l'OTAN vous auriez obtenu de quelque type d'information ?
17 R. Je n'ai pas de lettres de l'OTAN en ma possession. Je n'ai pas de
18 connaissance, je ne sais pas si les lettres avaient été envoyées à l'OTAN,
19 c'était mes collègues qui s'occupaient de cela.
20 Q. Merci.
21 M. DJURDJIC : [interprétation] Je demanderais que l'on affiche le document
22 65 ter 00534.
23 Q. Monsieur Abrahams, ai-je raison de dire qu'il s'agit ici d'une lettre
24 qui a été envoyée le 12 juillet 1996 par vous. Cette lettre a été envoyée
25 au ministre de l'Intérieur de la République fédérale de Yougoslavie, M.
26 Jokanovic. Dans cette lettre, vous lui dites que vous aimeriez parler des
27 violations récentes sur les personnes de la région telles les policiers,
28 sur le statut des droits de l'homme, et vous lui demandez de vous donner
Page 4014
1 ses opinions sur le futur de cette région ?
2 R. Oui, c'est tout à fait juste. J'ai envoyé cette lettre au ministre
3 Jokanovic ainsi qu'à d'autres bureaux de Belgrade.
4 Q. Je vous remercie.
5 M. DJURDJIC : [interprétation] Je voudrais demander que cette lettre soit
6 versée au dossier, s'il vous plaît.
7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien.
8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette lettre obtiendra la cote D00097.
9 M. DJURDJIC : [interprétation] J'aimerais maintenant que l'on examine la
10 pièce 65 ter 00533.
11 Q. Monsieur Abrahams, ai-je raison de dire que cette lettre envoyée le 12
12 juillet 1996 a été envoyée par vous à M. Mirovic et que dans cette lettre
13 vous lui demandez de vous organiser une réunion avec M. Sokolovic, qui
14 était le ministre de l'Intérieur de la République de Serbie; avec le
15 ministre des droits de l'homme, Mme Margit Savovic; avec le ministre de
16 l'Intérieur Vukasin Jokanovic; ainsi qu'avec le représentant chargé de la
17 question des réfugiés, Mme Bratislava Morina; et vous aimeriez lui demander
18 de vous organiser un entretien concernant des activités terroristes qui se
19 sont déroulées peu de temps avant concernant le statut des droits humains,
20 le problème des réfugiés serbes et quelles étaient les perspectives du
21 gouvernement et le futur de la région ?
22 R. Oui, c'est tout à fait juste. Je dois simplement vous dire que je suis
23 désolé d'avoir employé ces termes, et nous les avons changés par la suite.
24 Q. Très bien. Merci. Pourriez-vous nous dire, Monsieur Abrahams, lorsque
25 le 29 septembre 1998, vous vous trouviez à Gornje Obrinje, si le village se
26 trouvait entre les mains des forces serbes ou pas ? Le savez-vous ?
27 R. Les forces serbes avaient quitté la région d'Obrinje et Drenica soit en
28 date du 27, peut-être le 26. Pour être tout à fait précis, il me faudrait
Page 4015
1 vérifier mes notes. Donc lorsque nous sommes entrés dans le village, ils
2 n'étaient plus sur place.
3 Q. Merci.
4 M. DJURDJIC : [interprétation] Je voudrais que l'on affiche maintenant la
5 pièce P750. J'aimerais que cette pièce soit versée au dossier.
6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous demandez que la dernière lettre
7 qui a été montrée soit versée au dossier, la lettre que nous avons vue il y
8 a quelques instants, celle qui a été envoyée à M. Mirovic ?
9 M. DJURDJIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. J'aimerais que
10 cette lettre soit versée au dossier.
11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Elle sera versée au dossier.
12 M. LE GREFFIER : [interprétation] Très bien. Cette pièce portera la cote
13 D00098 et il s'agit du document 65 ter 00533.
14 M. DJURDJIC : [interprétation]
15 Q. Monsieur Abrahams, pourriez-vous nous dire ce que nous voyons sur cette
16 photographie, je vous prie ?
17 R. Nous voyons le corps d'un des membres de la famille Delijaj qui avaient
18 été tués à Gornje Obrinje.
19 Q. Très bien. Merci. Je vous demande simplement de nous dire ce que nous
20 voyons sur cette photographie. Ai-je raison de dire que vous voyez un corps
21 gisant sur le sol ?
22 R. Je vois un corps entier et je vois également la tête et l'épaule d'un
23 deuxième corps.
24 Q. Très bien, je suis d'accord avec vous. Vous nous avez dit il y a
25 quelques instants que ces corps se trouvaient dans le lit d'un ruisseau
26 asséché. Sur la base de quoi pouvons-nous conclure cela ?
27 R. Cette conclusion a été faite d'après une observation personnelle qui
28 était la mienne.
Page 4016
1 Q. Très bien. Merci. Si je ne m'abuse, vous nous avez dit que s'agissant
2 de cette rivière asséchée, il y avait plusieurs corps.
3 R. Je ne dirais pas qu'il s'agit d'une rivière asséchée. C'est plutôt une
4 rigole et du meilleur de mon souvenir, il y avait sept corps. Mais le
5 chiffre exact figure dans le rapport.
6 Q. Merci, Monsieur Abrahams. Je ne sais pas si effectivement il s'agissait
7 d'une rigole ou d'un lit de rivière desséchée. Ce n'est pas vraiment
8 important. C'est ce que je lis dans mon rapport. Mais vous, en tant que
9 personne expérimentée ayant travaillé pour le "Human Rights Watch,"
10 pourquoi n'avez-vous pas pris une photographie des sept corps ?
11 R. Il y a des photographies de sept corps. Il y a plusieurs photographies
12 dans le rapport, mais il y a également des photos qui n'ont pas été
13 imprimées dans le rapport.
14 Q. Monsieur Abrahams, la question que je vous ai posée était la suivante :
15 En tant qu'enquêteur expérimenté, vous dites que vos enquêtes ont une force
16 probante très forte. Vous avez évoqué qu'on a trouvé sept corps dans cette
17 rigole alors que nous n'avons pas de photos de ces sept corps. Je ne vous
18 demande pas de me parler des photos de corps individuels, mais pourquoi
19 n'avez-vous pas pris une photo des sept corps ? Ne vous a-t-on pas informé
20 de ceci lorsque vous avez étudié, qu'il fallait toujours prendre une photo
21 de tout ce qu'on voit.
22 R. Il me faudrait vérifier nos archives vidéo pour vous dire exactement ce
23 que nous avons pris en photo. Je me souviens toutefois que cette zone était
24 assez étendue, si vous voulez l'appeler la scène de crime - effectivement
25 j'appelle ceci la scène de crime - de la première victime à la dernière
26 victime, au moins 30 mètres de distance et la rigole avait 10 mètres de
27 long dans une zone boisée. Donc le fait de photographier la scène de crime
28 et de prendre une photo de l'ensemble de tout ce qu'on voyait, il aurait
Page 4017
1 été assez difficile de le faire, mais je dois vérifier nos archives pour
2 vous dire si une telle photo existe.
3 Q. Très bien. Merci. Mais vous serez sans doute d'accord avec moi pour
4 dire que nous n'avons pas vu de telles photos ni hier ni aujourd'hui. Nous
5 n'avons pas vu de photographies d'une zone assez large.
6 R. Non, nous n'avons pas vu ni aujourd'hui ni hier une photographie qui
7 montre l'ensemble de la scène du crime.
8 Q. Merci. Monsieur Abrahams, j'aimerais vous poser une autre question. Il
9 me semble que vous étiez en présence à ce moment-là d'un photographe
10 professionnel du "New York Times," et j'ai oublié son nom. Nous pourrons
11 sans doute trouver ce nom dans nos documents, mais ai-je raison de dire
12 qu'il vous accompagnait ?
13 R. Oui, tout à fait, et son nom était Wade Goddard.
14 Q. Très bien. Merci.
15 M. DJURDJIC : [interprétation] J'aimerais que l'on affiche la pièce P751,
16 s'il vous plaît. Merci.
17 Q. Monsieur Abrahams, dites-nous, s'il vous plaît, ce que nous voyons sur
18 cette photo.
19 R. Cette photo représente un enfant de la famille Delijaj. Nous avons vu
20 ce corps et nous l'avons photographié. Mon collègue Peter Bouckaert a pris
21 cette photographie dans la forêt à l'extérieur d'Obrinje.
22 Q. Quand cette photo a-t-elle été prise ?
23 R. Le jour où nous sommes arrivés, c'était le même jour où nous avons vu
24 les corps. Je crois que c'était le 29 septembre 1998.
25 Q. Le 27 septembre vous dites -- ou le 29 septembre. Non, non, c'est le 29
26 septembre. Très bien, c'est maintenant corrigé.
27 Est-ce que vous voyez une blessure sur ce corps ?
28 R. Cette photographie ne me permet pas de répondre à votre question. Je ne
Page 4018
1 peux pas voir de blessures sur cette photo et je ne me souviens pas non
2 plus exactement où se trouvaient les blessures ou si on voyait des traces
3 de blessures sur cette personne, il me faudrait voir mes notes. Mais étant
4 donné que ces personnes n'étaient plus en vie, il est certain qu'elles
5 portaient des traces de blessures, mais je ne sais pas où exactement pour
6 ce cas-ci de toute façon.
7 Q. Merci. Monsieur Abrahams, nous ne voyons pas non plus la scène du crime
8 pour ainsi dire, n'est-ce pas ?
9 R. C'est une photo où on a zoomé sur un corps.
10 Q. Vous n'avez pas répondu à ma question. Mais très bien, merci. Si ma
11 mémoire est bonne - corrigez-moi si je me trompe - vous nous avez dit que
12 lorsque vous étiez à Gornje Obrinje, vous avez vu certains corps qui
13 étaient mutilés. Est-ce que j'ai raison lorsque je dis cela ?
14 R. Oui, vous avez raison, c'est exact.
15 Q. Est-ce que nous avons vu, soit hier ou aujourd'hui, des photos de ces
16 corps mutilés ?
17 R. Je ne sais pas, je ne pourrais pas vous dire par cœur comme ça - il me
18 faudrait voir le rapport - je ne sais pas quels étaient ces corps qui
19 étaient mutilés et quels sont les corps qui ont été photographiés. Donc il
20 me faudrait vérifier cette information dans le rapport.
21 Q. Monsieur Abrahams, je vous prierais de répondre à ma question précise
22 que je vous pose. Est-ce que nous avons vu aujourd'hui ou hier des photos
23 de corps mutilés ?
24 R. Peut-être.
25 Q. Peut-être ?
26 R. Oui, peut-être.
27 Q. D'accord. Très bien. Alors nous allons passer en revue toutes les
28 photos. Est-ce que sur cette photo vous voyez des traces de mutilation ?
Page 4019
1 R. Je ne sais pas. Je ne le vois pas sur cette photographie, il est
2 possible toutefois que ceci ait pu avoir lieu. Mais il me faudrait vérifier
3 mon rapport. Je ne me souviens pas de toutes les traces de blessures que
4 portaient les victimes.
5 Q. Monsieur Abrahams, je ne sais pas si l'interprétation est erronée ou si
6 vous refusez de me comprendre, mais je crois qu'au compte rendu d'audience
7 on voit très bien que mes questions sont bien interprétées. J'aimerais
8 savoir si hier ou aujourd'hui nous avons vu ici dans ce prétoire des photos
9 de corps mutilés ? La question est très simple et je vous prierais de
10 répondre simplement à cette question. Donc nous avons vu les photos de ce
11 type ou pas, nous ne parlons que de photographies de Gornje Obrinje que
12 nous avons vues ici ensemble.
13 R. Certains corps se trouvant sur ces photographies ont pu porter des
14 traces de mutilation ou être mutilés. Je ne le sais pas. Des blessures de
15 mutilation ne me sont pas visibles. Je ne pourrais pas constater de
16 mutilation à l'examen de ces photographies comme ça.
17 Q. Merci, Monsieur Abrahams.
18 M. DJURDJIC : [interprétation] Je demanderais que l'on affiche la pièce
19 P752.
20 Q. Que voyons-nous sur cette photo ?
21 R. Il s'agit d'un villageois de Plocica qui se tient devant sa grange à
22 nourriture qui est en feu.
23 Q. Pouvez-vous nous dire quel était le matériau de construction de cet
24 immeuble ?
25 R. Manifestement, le toit est en ardoise de bois, les parois, d'après la
26 photo, il doit s'agir d'une sorte de pierre avec un revêtement en plâtre
27 fin et des châssis en bois.
28 Q. Merci. Voyons-nous une quelconque autre structure faisant partie de ce
Page 4020
1 village qui, d'après vous, a été gravement endommagée ?
2 R. Non.
3 Q. Je vous remercie. Hier vous nous avez dit que vous avez vu une
4 bouteille en plastique qui avait été utilisée, qui était remplie d'essence.
5 En avez-vous pris une photo ?
6 R. Oui, je crois effectivement que je l'ai fait. Je devrais vérifier dans
7 mes archives photographiques, mais je pense effectivement me souvenir que
8 nous avons pris une photo de cette bouteille.
9 Q. Merci. Pouvez-vous marquer votre accord avec moi pour dire que ce type
10 de photo ne vous a pas été montré non plus que ce soit hier ou aujourd'hui
11 dans cette salle d'audience ?
12 R. Je suis d'accord avec vous, oui.
13 Q. Merci. Puis-je dire sans crainte de me tromper que vous avez aussi vu
14 une boîte de balles sur place ?
15 R. Il s'agissait d'une caisse de munitions vide qui, je crois, contenait
16 des obus de mortiers, mais je n'en suis pas sûr. Il me semble me souvenir
17 qu'il y avait à côté un tube lance-mortiers.
18 Q. Je vous remercie. Etes-vous d'accord si je dis que nous n'avons vu
19 aucune photo montrant cette caisse de munitions hier ou aujourd'hui ?
20 R. Oui, je suis d'accord.
21 Q. Je vous remercie. Avez-vous un élément quelconque de preuve démontrant
22 que les autorités yougoslaves recevaient ou ont reçu des rapports émanant
23 de "Human Rights Watch" intitulés "Une semaine de terreur à Drenica" ?
24 R. Pour être sûr que j'ai bien compris, confirmer qu'ils ont reçu une
25 copie du rapport ? Est-ce cela votre question ?
26 Q. Oui, oui.
27 R. Je ne suis au courant d'aucune information de cet ordre, non, quoique
28 je sache que j'ai donné des interviews multiples aux différents médias tant
Page 4021
1 en anglais qu'en serbe, et que l'incident a été largement couvert.
2 L'incident à Obrinje a été un événement qui a fait l'objet d'une publicité
3 importante, la fin de la campagne, et cela a provoqué une activité
4 diplomatique soutenue et a mené à la création d'une mission d'observation.
5 Notre point de vue sur cet incident, la documentation obtenue, a fait
6 l'objet d'une diffusion très large. Donc je suis fermement d'avis que tant
7 la population que le gouvernement serbe étaient au courant de cet incident.
8 Je me souviens par ailleurs que la RTS, la radiotélévision serbe, l'organe
9 de presse officiel de Serbie, a réfuté officiellement nos affirmations, en
10 disant que le corps d'une des victimes, un bébé de 18 mois, qui s'appelait
11 Valmir, était une poupée. Si je me souviens bien, était une poupée dont je
12 me souviens clairement à l'époque quelqu'un tenant une poupée et disant que
13 c'était précisément ce qui avait fait l'objet d'une prétention de la part
14 des organisations humanitaires concernant la victime. Mais cela est
15 effectivement passé sur les agences de presse de l'Etat.
16 Q. Monsieur Abrahams, je ne voulais pas vous interrompre, mais relisez
17 votre réponse, s'il vous plaît. J'aimerais vous demander de répondre à ma
18 question aussi brièvement que possible car nous avons des contraintes
19 temporelles.
20 Lors de votre témoignage dans l'affaire Milosevic et dans l'affaire
21 Milutinovic et au cours des deux derniers jours, vous a-t-on montré un
22 élément quelconque de preuve émanant de l'Accusation visant à démontrer que
23 ce rapport intitulé : "Semaine de terreur à Drenica" avait bien été reçu
24 soit par le gouvernement serbe ou le gouvernement yougoslave ?
25 R. Qu'il avait été remis et/ou délivré, oui; qu'il avait été reçu, non.
26 Q. Je ne sais pas, mais il me semble que l'interprétation est exacte. Ma
27 question était la suivante : Monsieur Abrahams, dans l'affaire Milosevic,
28 dans l'affaire Milutinovic et au cours des deux derniers jours, est-ce que
Page 4022
1 l'Accusation vous a montré un élément quelconque de preuve indiquant que le
2 gouvernement serbe ou le gouvernement yougoslave avait reçu votre rapport
3 intitulé : "Semaine de terreur à Drenica ?"
4 R. Non.
5 Q. Merci.
6 M. DJURDJIC : [interprétation] Pouvons-nous afficher P754, page 5.
7 Q. Monsieur Abrahams, reconnaissez-vous cette photo ?
8 R. Oui, effectivement.
9 Q. Il me semble que vous avez dit que c'était vous le photographe ?
10 R. Oui, c'est exact.
11 Q. Il me semble que vous avez aussi dit que cette photo a été prise en
12 février 1999; est-ce exact ?
13 R. C'est exact.
14 Q. Je vous remercie. Pouvez-vous nous dire de quel village il s'agit ?
15 R. Lodja.
16 Q. Merci. Pouvez-vous nous dire combien de maisons il y a dans ce village
17 de Lodja ?
18 R. Je ne peux pas vous le dire avec précision. J'ai souvenir d'à peu près
19 trois douzaines, peut-être un peu plus. Plus, je pense, mais je ne peux pas
20 vous donner un chiffre exact.
21 Q. Merci. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire qu'une fois encore nous
22 n'avons pas un plan d'ensemble, une photo d'ensemble permettant de voir le
23 village de Lodja ?
24 R. J'ai de nombreuses photos de Lodja. Cette photo-ci montre deux maisons.
25 Q. Je vous remercie. Savez-vous combien il y avait de maisons serbes dans
26 le village de Lodja en février 1999 lorsque vous avez pris la photo ?
27 R. Qu'entendez-vous par "maison serbe" ?
28 Q. Bien, vous nous avez dit il y a un instant combien il y avait de
Page 4023
1 maisons. Bien entendu, je ne fais pas de référence aux maisons elles-mêmes
2 mais à leurs occupants.
3 R. Je suis désolé. Je ne comprends pas la question.
4 Q. Disons les choses comme suit alors : combien y avait-il de maisons
5 albanaises dans le village de Lodja, c'est-à-dire occupées par des
6 habitants d'origine ethnique albanaise ?
7 R. Je ne connais pas la composition ethnique précise de Lodja, mais ma
8 compréhension des choses est qu'il s'agissait d'un village à prédominance
9 d'ethnicité albanaise et peut-être même entièrement albanais.
10 Q. Je vous remercie. Avez-vous tenté à un moment quelconque d'établir le
11 fait de savoir s'il y avait une population serbe dans le village lorsque
12 vous vous y êtes rendu en février ?
13 R. En février 1999, le village était inhabité.
14 Q. Je vous remercie. Mais alors comment pouvez-vous savoir à qui les
15 maisons que l'on voit dans ces photos appartenaient ? Comment pouvez-vous
16 le dire si elles appartenaient à des personnes d'ethnicité serbe ou
17 d'ethnicité albanaise ?
18 R. Nous avons essayé d'entrer à Lodja en septembre 1998 pour la première
19 fois et l'on nous a refusé l'accès. Nous voulions y avoir accès pour avoir
20 des entretiens avec des individus qui, nous le croyions, étaient des
21 personnes d'origine ethnique albanaise qui vivaient à Lodja, mais la police
22 serbe nous a interdit l'accès au village; celle-ci avait occupé un
23 immeuble, une maison à la lisière du village. Et sur cette base, j'ai formé
24 l'opinion que les villages étaient de manière prédominante, sinon
25 exclusivement habités par des personnes d'origine ethnique albanaise.
26 Q. Monsieur, encore une fois, Monsieur Abrahams, vous me donnez de longues
27 réponses sans répondre à ma question. La question était la suivante :
28 Comment avez-vous pu déterminer ou savoir en février 1999 où vous avez pris
Page 4024
1 ces photos, qui étaient les propriétaires de ces maisons et à quel groupe
2 ethnique ces personnes appartenaient ?
3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La réponse à cette question a été
4 fournie. Ce n'est peut-être pas la réponse que vous attendiez ou que vous
5 vouliez ou peut-être n'est-elle pas assez directe que celle à laquelle vous
6 vous attendiez, mais une réponse a été donnée à votre question sur la base
7 du fait que l'accès quelques mois auparavant avait été interdit, qu'une
8 maison avait été temporairement occupée par la police serbe, qui empêchait
9 l'accès. Et partant de cette circonstance, la destruction du village, le
10 témoin a inféré que ce village était donc, en a déduit que ce village était
11 essentiellement ou exclusivement habité par des personnes d'ethnicité
12 albanaise. Il ne peut pas aller plus loin. C'est l'élément de preuve dont
13 il dispose. Peut-être se trompe-t-il, peut-être ne se trompe-t-il pas.
14 M. DJURDJIC : [interprétation] Je vous remercie. Je vais poursuivre,
15 Monsieur le Président.
16 Q. Monsieur Abrahams, savez-vous quand les affrontements ont commencé à
17 Lodja ?
18 R. Pas précisément, mais je crois, grosso modo, que c'était en juillet
19 1998. C'est là que le premier gros affrontement a eu lieu. Il y avait
20 sûrement eu des affrontements violents autour de Lodja avant cette date.
21 Q. Je vous remercie. Vous avez raison de dire que les opérations ont
22 commencé en juillet. Excusez-moi. Est-ce que l'une ou l'autre des personnes
23 que vous avez interviewées vous a indiqué que l'UCK avait attaqué la maison
24 appartenant à la famille des Ujosevic le 6 juillet 1998 dans le village de
25 Lodja ?
26 R. Je ne suis pas au courant de cette allégation particulière.
27 Q. Je vous remercie. Etiez-vous au courant du fait que plusieurs policiers
28 serbes ont été blessés, que deux ont été enlevés par l'UCK en juillet 1998
Page 4025
1 ?
2 R. Je savais que des hostilités avaient lieu à ce moment-là, mais il
3 faudrait que je vérifie dans mes dossiers pour pouvoir répondre à votre
4 question quant au fait de savoir si j'étais au courant des détails de ces
5 hostilités.
6 Q. Je vous remercie, Monsieur Abrahams. Mais il ne s'agit pas d'un détail
7 que d'apprendre que Lodja a été prise par l'UCK au début 1998.
8 R. C'est exact, Lodja a été prise par l'UCK. Il y a eu une action qui a eu
9 lieu visant à reprendre Lodja. Lodja est assez proche de Pec. On peut
10 considérer qu'il s'agit d'une banlieue de Pec, et il ne fait aucun doute
11 que les autorités étaient très préoccupées par les activités de l'UCK et
12 ont donc pris des mesures pour reprendre le contrôle de Lodja.
13 Q. Merci. A ce moment-là ou plus tard, avez-vous appris que l'opération de
14 Lodja a été considérée comme étant un des grands succès de l'Armée de
15 libération du Kosovo au cours de 1998 et 1999 ?
16 R. Je ne suis pas au courant de cette affirmation.
17 Q. Merci. Très bien. En tant qu'individu ayant des connaissances, étant un
18 expert sur la région -- au cours de la période récente, est-ce qu'au cours
19 des sept à huit années écoulées, vous avez pu lire l'une ou l'autre des
20 publications décrivant cette période précise, c'est-à-dire le mois de
21 juillet 1998, à Lodja ?
22 R. Spécifiquement en ce qui concerne Lodja, je ne suis au courant d'aucun
23 matériel, mais bien sûr j'ai continué à suivre et je continue à suivre les
24 résultats de différentes recherches, puis diverses publications portant sur
25 le conflit du Kosovo.
26 Q. Je vous remercie. Est-ce que le nom Tahir Zemaj vous dit quelque chose
27 ?
28 R. Oui, effectivement.
Page 4026
1 Q. Avez-vous peut-être lu le livre, "Ainsi parlait Tahir Zemaj" ?
2 R. Je ne connais pas cet ouvrage.
3 Q. Je vous remercie. Savez-vous que Tahir Zemaj a pris part à l'opération
4 Lodja en juillet 1998 ?
5 R. Non, je n'avais jamais entendu dire cela auparavant.
6 Q. Avez-vous appris que M. Ratolin [phon] Haradinaj avait pris part à ces
7 opérations ?
8 R. Je n'avais pas non plus entendu parler d'une participation de M.
9 Haradinaj à ces opérations, mais en fait il était un des commandants dans
10 cette région, donc cela ne m'aurait pas surpris outre mesure.
11 Q. Je vous remercie, Monsieur Abrahams.
12 M. DJURDJIC : [interprétation] Pouvons-nous afficher le D002-6040. Non, la
13 page d'après, s'il vous plaît.
14 Q. Monsieur Abrahams, lorsque vous vous êtes trouvé à Lodja en février
15 1999 et lorsque vous avez traversé cet endroit, avez-vous pu voir cette
16 tranchée ?
17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Kravetz.
18 Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, peut-être est-ce que
19 je me trompe, mais il me semble que ce document ne figurait pas dans la
20 liste des documents soumis par mon éminent collègue concernant le contre-
21 interrogatoire du témoin. Divers autres documents, effectivement, mais ce
22 document précis ne le serait pas.
23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] En tout cas, en ce qui concerne ce que
24 nous avons pu voir au cours des éléments de preuve précédents cela y
25 figure.
26 Continuez, je vous en prie.
27 M. DJURDJIC : [interprétation] Merci, Madame Kravetz. Nous vous avons
28 envoyé un courriel, une notification supplémentaire contenant les deux
Page 4027
1 documents qui vous ont été notifiés tout à l'heure, plus celui-ci.
2 Q. Donc pour revenir à ma question, Monsieur Abrahams, avez-vous souvenir
3 de ma question ?
4 R. Je n'ai pas souvenir d'avoir vu des tranchées dans Lodja, mais il est
5 possible qu'il y en ait eu.
6 Q. Je vous remercie.
7 M. DJURDJIC : [interprétation] Pouvons-nous passer à la page suivante, s'il
8 vous plaît. Plus loin. Plus loin. Ce n'est pas cette page-ci.
9 Pouvons-nous afficher D002-6044, s'il vous plaît. La page suivante, s'il
10 vous plaît. Plus loin, s'il vous plaît. Plus loin. En fait, c'est la photo
11 suivante. Pouvons-nous afficher la photo suivante. C'est celle-là que je
12 cherche.
13 Q. Monsieur Abrahams, lorsque vous vous êtes rendu là-bas, avez-vous eu
14 l'occasion de voir cette maison dans le village de
15 Lodja ?
16 R. Je n'en ai pas le souvenir.
17 Q. Très bien. Je vous remercie.
18 M. DJURDJIC : [interprétation] Pouvons-nous afficher la pièce P754, page 7.
19 Q. Monsieur Abrahams, pouvez-vous nous dire quand ces maisons ont été
20 endommagées ?
21 R. Il faudrait que je vérifie mes notes pour pouvoir répondre à votre
22 question. La photo a été prise en février 1999, donc je pense que ça devait
23 être en janvier ou février de cette année, mais je n'ai pas un souvenir
24 précis à ce stade. Il faudrait que je vérifie dans mes archives.
25 Q. Pouvez-vous nous dire de quel village il s'agit ?
26 R. Il s'agit de la lisière de la ville de Suva Reka.
27 Q. Oui, et le nom du village c'est Restane; est-ce exact ?
28 R. Je pense que c'est juste. Il faudrait que je vérifie pour m'en
Page 4028
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14 Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des
15 versions anglaise et française
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 4029
1 assurer, mais je pense que c'est exact.
2 Q. Avez-vous reçu des informations des individus que vous avez interviewés
3 au sujet desquelles il y aurait eu des affrontements au cours de l'été 1998
4 autour de Restane ?
5 R. Il y a eu des combats là et à Lodja. Je ne nierai en aucune façon que
6 des combats aient eu lieu. Il y avait un conflit armé en cours dans de
7 nombreux endroits au Kosovo.
8 Q. Je vous remercie. Pouvez-vous exclure la possibilité que les dommages
9 aient été provoqués au cours des conflits armés entre l'UCK et les forces
10 serbes ?
11 R. En ce qui concerne Lodja, nous sommes arrivés à la conclusion que nous
12 pouvions effectivement exclure cette hypothèse, car à mon avis, les
13 destructions de Lodja apparaissaient comme ayant été systématiques, donc ne
14 résultant pas d'affrontements. Pour être plus précis, bon nombre des
15 habitations avaient perdu l'une des structures portantes qui avaient fait
16 s'effondrer l'étage, ce qui a été constaté dans bon nombre des structures.
17 Pour nous, ceci tendait à démontrer que ces colonnes de soutien avaient été
18 détruites par des engins lourds et pas au cours de combats.
19 Q. Je vous remercie. Avons-nous pu constater ce dont vous venez de nous
20 parler dans l'une ou l'autre des photos qui ont été produites ?
21 R. Oui.
22 Q. Je fais référence à Lodja, c'est-à-dire que les colonnes porteuses
23 avaient été abattues et que c'était la raison pour laquelle ces maisons
24 s'étaient effondrées. Etait-ce quelque chose que nous pouvions constater à
25 la vue des photos ?
26 R. Oui.
27 Q. Vous êtes un expert en architecture pour pouvoir tirer de telles
28 conclusions ?
Page 4030
1 R. Je suis arrivé à ces conclusions sur la base de mes propres
2 constatations.
3 Q. Merci. Nous parlions de Restane et vous reparlez de Lodja. Quelles sont
4 vos conclusions vis-à-vis de Restane ?
5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Mais c'est vous qui êtes revenu à
6 Lodja, je crois, alors que nous parlions de Restane. Mais peu importe. Vous
7 allez maintenant parler de Restane.
8 M. DJURDJIC : [interprétation] Nous parlions déjà de Restane lorsque M.
9 Abrahams, en réponse à ma question, a fait une digression vers Lodja, mais
10 peu importe. Revenons à Restane.
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Je dois consulter mes notes et mes rapports
12 pour pouvoir répondre en détail à votre question, parce que je n'ai plus en
13 tête les informations précises concernant Restane. Toutefois, je me
14 souviens bien que j'ai conclu que c'est à dessein que ces maisons ont été
15 incendiées de l'intérieur. Je ne me souviens plus avoir vu d'éléments qui
16 auraient pu indiquer qu'il y ait eu des combats, je parle notamment
17 d'impacts de balles sur l'extérieur des murs de ces habitations, de
18 tranchées ou autres signes d'activité militaire. Je me souviens, en
19 revanche, avoir vu des marques de feu à l'intérieur de ces habitations,
20 avoir constaté la destruction des toits en bois, mais les murs et les
21 cheminées tenaient toujours, ce qui, pour moi, indiquait que les incendies
22 avaient été allumés de l'intérieur.
23 M. DJURDJIC : [interprétation]
24 Q. Monsieur Abrahams, cette photo a été prise au moins cinq mois après les
25 incidents en question. D'après ce que je peux constater sur ces bâtiments
26 qui n'ont plus de toit, on voit du linge en train de sécher à l'extérieur.
27 Quelqu'un, vraisemblablement, y fait quelque chose dans cette maison,
28 c'est-à-dire qu'au moment où la photo a été prise, le lieu du crime avait
Page 4031
1 changé. Je ne vois pas pourquoi il y aurait eu traces de munitions ou
2 munitions sur place. Quelqu'un avait nettoyé les lieux au cours des six
3 mois en question.
4 R. Je dois vérifier mes notes avant de confirmer votre affirmation selon
5 laquelle la photo a été prise au moins cinq mois après l'incident.
6 Q. Merci.
7 M. DJURDJIC : [interprétation] Examinons la page 8 de cette même pièce.
8 Q. Monsieur Abrahams, que voit-on sur cette photo ?
9 R. On y voit une mosquée détruite dans le secteur de Drenica.
10 Q. Merci. Pourriez-vous nous dire plus précisément quelle partie de la
11 mosquée est détruite ?
12 R. Cette photo indique que c'est le sommet du minaret et le toit du
13 bâtiment.
14 Q. Pouvez-vous nous dire quand ces dégâts ont été causés à la mosquée ?
15 R. Il faudrait que je vérifie mes notes, mais si mon souvenir est exact,
16 cela s'est produit au cours de l'offensive en septembre 1998.
17 Q. Comment s'appelle cet endroit ?
18 R. C'est dans le secteur de Drenica. Où exactement, je n'en suis pas
19 certain. Aux alentours du village d'Obrinje, Obrinje, Golubovac, Likovac -
20 Drenovac je crois - mais je ne me souviens pas avec exactitude du nom du
21 lieu. Je pourrais obtenir cette information pour vous, si vous voulez.
22 Q. Monsieur Abrahams, en tant que chercheur expérimenté de "Human Rights
23 Watch," comment est-il possible que vous preniez une photo sans indiquer le
24 lieu de la photo, l'heure ou la date à laquelle la photo a été prise ? Vous
25 êtes maintenant obligé d'essayer de toute manière de vous rafraîchir la
26 mémoire, puisque ces informations manquent.
27 R. Toutes les informations sur le lieu et la date figurent dans mes notes.
28 Q. Merci. Sur cette même photo, y a-t-il d'autres bâtiments
Page 4032
1 endommagés à part le bâtiment dont nous avons parlé ? Je parle de dommages
2 visibles, bien sûr.
3 R. Non.
4 Q. Merci. Pouvez-vous exclure la possibilité qu'au moment où la mosquée a
5 été endommagée, une position de tirs s'y trouvait ?
6 R. Dans la mosquée proprement dite ?
7 Q. Dans la mosquée, sur la mosquée.
8 R. Il faudrait que je vérifie mes notes pour pouvoir répondre précisément
9 à votre question, mais je n'ai pas connaissance de témoignage de personnes
10 que j'ai interviewées faisant état de tirs provenant de la mosquée ou tirés
11 à proximité de la mosquée.
12 Q. Merci. Monsieur Abrahams, vous nous avez dit hier que vous aviez parlé
13 à quelqu'un qui avait survécu à l'incident dans le lit de la Bela Crkva,
14 n'est-ce pas ?
15 R. Oui.
16 Q. C'est un incident qui est survenu en 1999 au moment des frappes
17 aériennes au Kosovo-Metojiha ou en Serbie. Ces frappes aériennes avaient à
18 l'époque déjà commencé, n'est-ce pas ?
19 R. Oui.
20 Q. Merci. Vous nous avez dit que cette personne avait été blessée à
21 l'épaule, parce qu'elle avait subi un tir, donc elle avait été blessée par
22 balle.
23 R. Oui.
24 Q. Merci. Puis-je affirmer que cet entretien s'est tenu en Albanie ou en
25 Macédoine ? Je ne sais plus exactement, mais peut-être pourriez-vous nous
26 le préciser ?
27 R. Dans le nord de l'Albanie, à Kukes.
28 Q. Merci de votre aide. Vous avez bien emmené cette personne voir un
Page 4033
1 médecin, n'est-ce pas, afin que la balle soit retirée de son épaule ?
2 R. C'est exact. Nous avons aidé cette personne à aller jusqu'à Tirana,
3 c'est là qu'il a été pris en charge médicalement.
4 Q. Merci. Et vous êtes enquêteur, avez-vous pris une photo de cette
5 personne blessée à l'épaule au moment de votre entretien avec lui ?
6 R. Il faudrait que je vérifie mes notes pour en être sûr. Mais je me
7 souviens très clairement que cet homme était très effrayé, qu'il était
8 inquiet pour sa propre sécurité, puisqu'il était témoin et survivant d'un
9 crime grave. Il était très prudent à l'époque, ne souhaitant pas que son
10 identité soit révélée.
11 Q. Très bien. Nous allons y venir. Mais en 2002 dans votre entretien avec
12 le bureau du Procureur, vous avez invoqué l'article 70 du Règlement de
13 procédure et de preuve, mais à ce moment-là ça n'avait rien à voir. Vous
14 avez vu cette personne blessée, vous lui avez parlé et vous l'avez emmenée
15 chez le médecin. Avez-vous vu des photos - vous dites que vous n'en n'avez
16 pas le souvenir - mais je vous pose la question tout de même, avez-vous vu
17 des photos de cette personne hier ou aujourd'hui où l'on voit sa blessure
18 au cours de ce procès ?
19 R. Non.
20 Q. Merci. Le médecin qui a soigné cette personne, qui l'a opéré, vous-même
21 avez-vous pris des notes sur le type de la lésion subie par cet homme, sur
22 la gravité de sa blessure, avez-vous décrit la blessure en question ?
23 R. Non.
24 Q. Merci. Vous nous avez dit qu'à la fin des hostilités en 1999, vous êtes
25 allé au Kosovo-Metojiha. Pouvez-vous nous dire exactement quand vous y êtes
26 allé ?
27 R. J'y suis allé pour la première fois à la fin des hostilités en juillet
28 1999.
Page 4034
1 Q. Merci. Et vous souvenez-vous de la durée de votre séjour au Kosovo en
2 1999 ?
3 R. A ce moment-là, j'y suis resté environ trois semaines. J'y suis
4 retourné, je crois, en novembre de la même année.
5 Q. Merci. Etiez-vous seul en juillet 1999 ou étiez-vous accompagné par
6 l'un de vos collègues ?
7 R. A partir de juillet 1999, et ce, jusqu'à la fin de l'année, nous
8 disposions d'une présence quasi permanente au Kosovo, un petit bureau
9 occupé par mon collègue Benjamin Ward. En outre, d'autres collègues tels
10 que Martina Vandenberg, qui enquêtait sur les cas de viols, s'est rendue au
11 Kosovo au cours de cette période.
12 Q. Merci. Je peux en déduire que vous êtes allé sur place seul et que vous
13 y avez retrouvé ces personnes au Kosovo, là où elles se trouvaient déjà.
14 R. Oui.
15 Q. En novembre 1999, combien de temps êtes-vous resté sur place ?
16 R. Trois semaines en gros.
17 Q. Merci. Pouvez-vous me dire combien de personnes vous avez interviewées
18 en juillet 1999 lorsque vous avez séjourné là-bas pendant trois semaines ?
19 R. Le chiffre exact se trouve dans mes notes et dans la base de données
20 reprenant tous les entretiens de la base de données que nous avons créée,
21 mais certainement au moins 50.
22 Q. Je vous pose la question de savoir combien vous, personnellement, vous
23 avez interviewé de personnes. Je ne parle pas des autres représentants
24 officiels qui se trouvaient au Kosovo. Vous-même, avez-vous, oui ou non,
25 mené ces 50 entretiens dont vous venez de me parler ?
26 R. Il faudrait que je vérifie dans la base de données qui est facilement
27 accessible afin de vous donner un chiffre précis, mais je pense que oui, en
28 effet, disons, une cinquantaine de personnes.
Page 4035
1 Q. Merci. Et combien d'entretiens avez-vous menés en novembre 1999 ?
2 R. Je n'ai pas le nombre exact. Je dirais moins que cela, puisqu'en
3 novembre 1999 je me suis concentré davantage sur un incident, c'est-à-dire
4 les meurtres dans la prison de Dubrava, puis toujours au cours de la même
5 période sur des violences subies par les Serbes de la main des Albanais de
6 souche.
7 Q. Merci. Vous étiez au Kosovo-Metojiha en février 1999 lorsque ces photos
8 ont été prises. Combien de temps êtes-vous resté sur place à l'époque ?
9 R. Là encore, il faudrait vérifier les dates exactes. Mais comme cela,
10 spontanément, je dirais environ deux semaines.
11 Q. Merci. Combien de personnes avez-vous interviewées à ce moment-là ?
12 R. Il faut que je vérifie mes notes pour répondre à cette question.
13 Q. Merci. Vous souvenez-vous du nombre de personnes auxquelles vous
14 avez parlé à partir du 25 mars, ou en tout cas, à partir de la date de
15 votre arrivée en Albanie en avril et jusqu'à la fin de votre séjour en
16 Macédoine en Albanie ? Combien de personnes avez-vous interviewées vous-
17 même personnellement ?
18 R. Nous avons créé une base de données reprenant chacun de ces entretiens.
19 Il faudrait donc que j'examine cette base de données pour vous donner une
20 réponse précise.
21 Q. Merci. La raison qui me pousse à vous poser ces questions est que vous
22 m'avez donné un premier chiffre, et compte tenu du fait que j'ai lu dans
23 votre déclaration qu'entre la première fois que vous êtes allé là-bas et la
24 fin de 1999 vous vous êtes entretenu avec environ 600 personnes au total et
25 que de nombreux enquêteurs ont participé au projet --
26 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Kravetz.
27 Mme KRAVETZ : [interprétation] Je voulais demander une référence au témoin.
28 Où dans sa déclaration le témoin dit-il qu'il a eu des entretiens avec 600
Page 4036
1 personnes en 1999, 600 personnes environ.
2 M. DJURDJIC : [interprétation] Je n'ai pas dit en 1999. A partir de la date
3 de son arrivée au Kosovo pour la première fois, c'est-à-dire en mai 1998,
4 et ce, jusqu'à la fin de 1999, lorsqu'il a parlé à des personnes sur le
5 terrain. Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas la référence exacte, je
6 pourrai la rechercher pendant la pause.
7 Q. Mais est-il exact que "Human Rights Watch" s'est entretenu avec ce
8 nombre-là de personnes et que c'est là l'échantillon que vous avez utilisé
9 dans le cadre de vos analyses ultérieures ?
10 R. Pour être exact, entre le 24 mars et décembre 1999, lorsque nous nous
11 sommes penchés sur les violations commises au cours de la période marquée
12 par les bombardements de l'OTAN, donc entre le 24 mars et le 12 juin, dans
13 le cadre des recherches réalisées par moi-même et mes collègues, nous avons
14 entendu environ 600 personnes. Nos conclusions reposent surtout sur ces 600
15 entretiens pour la période des bombardements de l'OTAN. Tous les entretiens
16 que nous citons sont indiqués en note de bas de page dans le rapport
17 intitulé, "Under orders." Dans ces notes sont précisés le lieu et la date
18 de l'entretien. Mais nous avons également créé une base de données pour
19 tous ces entretiens. Je pourrais vous donner le nombre total, le nombre
20 d'entretiens que j'ai réalisés moi-même, ainsi que ceux réalisés par mes
21 collègues, ainsi que la date et le lieu de l'entretien. Tout ceci existe si
22 cette information peut vous être d'une quelconque utilité.
23 Q. Merci. Donc vous affirmez maintenant que les 600 entretiens qui ont
24 servi de base à la rédaction du rapport "Under orders" ont eu lieu entre le
25 début des frappes aériennes de l'OTAN contre la Serbie et la fin de l'année
26 1999 ?
27 R. Les entretiens sur lesquels repose la partie du rapport "Under orders"
28 consacrée à la période des frappes aériennes de l'OTAN sont à peu près au
Page 4037
1 nombre de 600.
2 Q. Merci. Dites-moi maintenant, avec combien de personnes vous vous êtes
3 entretenu, vous personnellement, entre mai 1998 et mars 1999, lorsque les
4 bombardements ont commencé ?
5 R. Il me faudrait pouvoir consulter mes notes pour répondre à cette
6 question. Je n'en sais rien. Je peux vous donner une approximation, mais je
7 n'ai pas le chiffre exact. Mais tout ceci figure dans mes notes. J'ai cinq
8 ou six carnets de notes au total. Mais je suis sûr que l'on parle ici de
9 centaines.
10 Q. Merci. Vous nous avez dit qu'en juillet vous étiez allé au Kosovo-
11 Metohija. Quand exactement êtes-vous parti pour Djakovica ? En avez-vous le
12 souvenir ?
13 R. Je n'ai plus le souvenir de la date exacte. Mais c'est indiqué dans
14 "Under orders." On y voit quand j'ai mené les entretiens. Cette information
15 existe donc, mais je ne l'ai pas en tête pour l'instant.
16 Q. Merci. Mais vous avez un assez bon souvenir des dates mentionnées par
17 les témoins à propos des événements de Meja, n'est-ce pas ?
18 R. Oui, effectivement, les événements de Meja se sont produits le 27
19 avril.
20 Q. Merci. Les photos ont été prises en juin, et vous ne pensez pas que la
21 scène des crimes a été perturbée, disons, entre le moment où les crimes
22 dont ont parlé les témoins auraient été commis et le moment où vous avez
23 pris les photos ?
24 R. De quelles photos parlez-vous ?
25 Q. Je parle des photos que vous avez prises à Meja. Vous nous avez dit
26 également avoir vu des cadavres le long de la route. Avez-vous pris des
27 photos de ces cadavres ?
28 R. Ces photos ont été prises par Joanne Mariner, ma collègue.
Page 4038
1 Q. Alors vous n'avez pas pris de photos à Djakovica, Meja en juillet 1999
2 ?
3 R. Il faut que je vérifie mes notes pour répondre précisément à la
4 question.
5 Q. Merci. Indépendamment de la personne qui a pris la photo, par quel
6 moyen fiable avez-vous pu vérifier que le corps qui se retrouvait sur la
7 photo était là depuis avril ou mai 1999 ?
8 R. Je ne suis pas disposé à faire de commentaires sur le temps qu'avait
9 passé ce cadavre à cet endroit, je n'étais pas présent moi-même. Il
10 faudrait que je consulte "Under orders" pour vous donner une réponse plus
11 exacte, plus précise.
12 Q. Mais, Monsieur Abrahams, hier vous nous avez dit qu'il y avait une
13 similitude frappante entre les déclarations que vous aviez recueillies en
14 Albanie auprès des personnes que vous avez entendues et vos constatations
15 au village de Meja où vous aviez vu ces corps le long de la route.
16 Mme KRAVETZ : [interprétation] Je demande encore une fois une référence à
17 mon éminent confrère de la partie adverse. Quand le témoin a-t-il dit qu'il
18 avait trouvé des cadavres au bord de la route. Ce n'est pas le souvenir que
19 j'ai gardé de sa déposition.
20 M. DJURDJIC : [interprétation] Ma consoeur va retrouver la référence en
21 question dans le compte rendu d'audience d'hier, Monsieur le Président.
22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.
23 Pendant ce temps-là, Monsieur Abrahams, peut-être pourriez-vous le rappeler
24 à la Chambre, avez-vous trouvé des cadavres le long de la route à Meja ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est ma collègue Joanne Mariner qui a
26 découvert ces cadavres, lorsqu'elle y est allée quelques jours après la fin
27 de la guerre, le 14 juin approximativement. Mais moi, non, puisque je suis
28 allé à Meja en juillet seulement et que je n'ai pas constaté la présence de
Page 4039
1 cadavres.
2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.
3 M. DJURDJIC : [interprétation] Je vais retrouver ceci, Monsieur le
4 Président, mais ça n'a pas d'importance, puisque nous disposons du compte
5 rendu d'hier, de la réponse d'aujourd'hui, et il appartiendra aux Juges de
6 la Chambre d'accorder le poids qu'il convient à ces deux éléments.
7 Q. Monsieur Abrahams, vous affirmez que lorsque vous vous êtes trouvés
8 dans le secteur de Djakovica, vous avez parlé aux villageois des frappes
9 aériennes de l'OTAN. C'est bien ce que vous avez dit hier ?
10 R. Nous avons parlé aux habitants de Djakovica et des villages
11 environnants de tous les événements, de tous les incidents survenus au
12 cours de la période de bombardements par l'OTAN.
13 Q. Merci. Avez-vous demandé à l'OTAN de vous communiquer des rapports sur
14 les cibles visées à Djakovica et dans les environs le 24 mars et le 20 juin
15 ?
16 R. Nous avons produit un rapport détaillé sur la conduite de l'OTAN au
17 cours de la guerre, qui a entraîné des morts parmi la population civile.
18 Mes collègues qui ont fait ce travail sont entrés en liaison avec l'OTAN
19 pour évoquer avec l'OTAN ces questions, à ma connaissance.
20 Q. Merci. Avez-vous demandé aux autorités yougoslaves et serbes de vous
21 communiquer des informations détaillées sur les frappes aériennes de l'OTAN
22 dans la zone où vous vous trouviez et où vous meniez vos recherches à
23 Djakovica et dans les environs ?
24 R. Oui.
25 Q. Merci. Et les faits qui vous ont été rapportés par les autorités serbes
26 figurent-ils dans votre rapport intitulé "Under orders" ?
27 R. L'information la plus détaillée figure dans le rapport consacré à la
28 conduite de l'OTAN. J'ai oublié le titre exact de ce rapport, mais il y est
Page 4040
1 question de 90 incidents environ dans lesquels environ 500 civils en Serbie
2 ont perdu la vie du fait des bombardements menés par l'OTAN, et les
3 principales conclusions de ce rapport sont reprises dans "Under orders".
4 Q. Merci.
5 M. DJURDJIC : [interprétation] Monsieur le Président, je crois que l'heure
6 est venue de faire la pause.
7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous allons faire notre seconde pause
8 de la matinée et nous reprendrons à 13 heures.
9 --- L'audience est suspendue à 12 heures 29.
10 --- L'audience est reprise à 13 heures 06.
11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous écoute, Maître Djurdjic.
12 M. DJURDJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
13 Q. Monsieur Abrahams, toujours en parlant des événements de Djakovica et
14 des environs en 1999, au mois de mars et après le mois de mars, est-ce que
15 vous vous entretenu avec des personnes d'origine ethnique serbe ?
16 R. S'agissant de la communauté serbe de Djakovica, elle était très petite,
17 presque inexistante, car un très grand nombre de personnes avait soit
18 quitté ou été expulsé par des personnes d'origine ethnique serbe, mais nous
19 nous étions néanmoins entretenus avec quelques Serbes, plus précisément à
20 Prizren où la population serbe était un petit peu plus présente.
21 Q. Corrigez-moi si je m'abuse, mais dans votre publication, je vois que la
22 date de la publication de cet ouvrage est 2001, le livre "Sous les ordres".
23 R. Oui, c'est exact.
24 Q. Mais en octobre 2001, vous ne pouviez pas trouver de Serbes de
25 Djakovica et de ses environs pour confirmer l'information que vous aviez.
26 R. Je dois vérifier mes notes pour savoir si nous avions interviewé des
27 Serbes de la région de Djakovica. Je n'arrive pas à m'en souvenir à
28 l'instant.
Page 4041
1 Q. Merci. Vous avez donné une déclaration aux enquêteurs du Tribunal au
2 mois de mars 1999; est-ce exact ?
3 R. Je crois que c'est exact, oui.
4 Q. Merci.
5 M. DJURDJIC : [interprétation] Je voudrais que l'on affiche la pièce P738,
6 s'il vous plaît. Je souhaiterais vous présenter mes excuses à l'avance si
7 je me trompe de document, car il y avait un problème concernant le nombre
8 de pages. Il s'agit de la déclaration 92 bis qui est composée de trois
9 déclarations et demie, donc j'espère que j'ai pu bien choisir les documents
10 lorsque je les ai choisis. Alors je demanderais que l'on affiche la page 11
11 du document en anglais. Je vais maintenant vous donner lecture du document.
12 Mais avant cela, permettez-moi de vous donner les numéros suivants. Il
13 s'agit des références pour la liasse de documents 92 bis et le numéro de la
14 page -- enfin, les pages vont de 41 à 1 et elles sont manuscrites.
15 L'extrait que je voudrais vous montrer se trouve à la page 11 de la
16 déclaration de 1999. Vous avez affiché la page 31 alors que j'ai besoin de
17 la page 11. Voilà, mon assistante m'informe que vous avez peut-être la page
18 38 correspondante à la page 11. Voilà, faites défiler vers le bas.
19 Effectivement, ici on voit la page 4. Mais en fait j'ai vraiment besoin de
20 la page 31.
21 Q. Monsieur Abrahams, voilà, nous avons la bonne page. Au paragraphe 2 de
22 votre déclaration, vous dites, je cite :
23 "Le 23 juin 1998, je me suis entretenu avec un certain nombre de soldats
24 blessés à Tirana…" alors que vous avez donné au Tribunal pénal
25 international certaines informations concernant ces témoins. Voyez-vous ce
26 qui figure vers la fin du deuxième paragraphe ?
27 "Le 23 juin 1998, j'ai aussi…" Voyez-vous cela ?
28 R. Effectivement, je vois ce passage.
Page 4042
1 Q. Pourriez-vous me dire, s'il vous plaît, si ces personnes vous ont
2 informé de la façon dont elles avaient été blessées ?
3 R. Il me faudrait vérifier mes notes pour répondre à cette question, mais
4 ceci aurait été une question que je leur aurais posée effectivement.
5 Q. Merci. Donc vous ne savez pas non plus où ces soldats auraient été
6 blessés ?
7 R. Je crois que cette information existe, mais que sur papier dans mes
8 notes, je n'ai pas le souvenir précis de ces informations.
9 Q. Merci. Vous dites plus loin que vous avez donné des informations au
10 Tribunal pénal international sur ces témoins. Pourriez-vous nous dire à
11 quel moment vous avez donné et à qui vous avez donné ces informations ?
12 Est-ce que c'était au Procureur du Tribunal; j'imagine que c'est le cas.
13 R. Je ne me souviens pas quand. Je crois que cette information aurait été
14 donnée à l'un des enquêteurs, probablement à l'enquêteur qui a pris ma
15 déclaration, mais je ne suis pas sûr de cela.
16 Q. Donc le Procureur, dans cette même déclaration, constate que vous lui
17 avez remis ces informations; c'est cela. Vous devez répondre.
18 R. Je ne vois pas ce que vous dites, je ne vois pas cela du tout.
19 Q. Deuxième paragraphe :
20 "J'ai donné les informations concernant ces témoins au Tribunal pénal
21 international."
22 R. A ce moment-là, oui, j'ai dû procéder de la sorte, mais je ne me
23 souviens pas qui était la personne à qui j'ai remis ces informations.
24 Q. Justement je vous pose la question. Avant de donner cette déclaration,
25 est-ce que vous aviez transmis ces informations au bureau du Procureur du
26 Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ?
27 R. Oui.
28 Q. Merci. Dites-moi, s'il vous plaît, est-ce que vous avez informé le
Page 4043
1 public quant à ces membres de l'UCK à qui on a prodigué des soins en
2 République d'Albanie ?
3 R. Je crois que cette information se trouve dans mes rapports, mais j'en
4 ai parlé effectivement à de nombreuses reprises. La présence de l'UCK dans
5 le nord d'Albanie n'était pas un secret. Nous en avions parlé.
6 Q. Merci. Est-ce que vous parliez ouvertement des centres de formation que
7 l'UCK tenait en Albanie ?
8 R. Oui, et nous en avons parlé de façon ouverte de ces centres, y compris
9 les centres de détention qui se trouvaient dans certaines parties
10 d'Albanie.
11 Q. Est-ce que vous avez également parlé de la contrebande d'armes qui
12 provenaient de l'Albanie et qui allaient vers le Kosovo-Metohija en 1998 ?
13 R. Oui, et de façon répétitive.
14 Q. Merci. Est-ce que le "Human Rights Watch" a pris une décision quant au
15 comportement de la République d'Albanie pour ce qui est de la situation au
16 Kosovo-Metohija ?
17 R. Qu'est-ce que vous voulez dire par là exactement ?
18 Q. Est-ce que vous aviez pris des positions conformément avec le droit
19 international, à savoir que les membres de parties faisaient introduire des
20 armes dans un pays et qu'ils avaient des centres de formation sur le
21 territoire en question ? Vous êtes un expert en politique internationale.
22 R. L'Albanie du Nord est une région sans loi et il y avait un très grand
23 nombre d'activités incontrôlées qui se passaient. Donc le fait d'avoir des
24 centres de détention et des centres de formation existait et on faisait
25 également la contrebande d'armes effectivement, et tout ceci n'était pas
26 sous le contrôle du gouvernement albanais. Cela dit, je suis convaincu que
27 le gouvernement albanais savait pertinemment qu'il y avait une existence de
28 l'UCK et de ses activités. Il savait très bien que l'UCK se trouvait sur le
Page 4044
1 territoire, qu'il y avait certaines activités et ils n'ont pas pris les
2 mesures nécessaires pour les arrêter. Voilà, c'est mon opinion.
3 Q. Merci.
4 M. DJURDJIC : [interprétation] Pourriez-vous, je vous prie, afficher la
5 page de la déclaration pour voir la page. Monsieur le Greffier, pourriez-
6 vous me donner le numéro de la page exact. S'agissait-il de la page 11 ou
7 de la page 4. Je crois que mes pages ne correspondent pas aux pages du
8 système du prétoire électronique.
9 M. LE GREFFIER : [interprétation] C'est la page 31 sur le prétoire
10 électronique.
11 M. DJURDJIC : [interprétation] Très bien. Alors ma référence maintenant se
12 trouverait page 9 de la version anglaise de cette déclaration faite en
13 1999, donc page 37 maintenant. Excusez-moi.
14 Q. Monsieur Abrahams, au paragraphe 5 en partant du haut de la page,
15 dernière phrase :
16 "…j'ai observé un schéma similaire : l'armée procédait à un tir
17 d'artillerie à une certaine distance pour obliger les villageois à
18 s'enfuir, ensuite la police occupait les lieux à pied."
19 Pouvez-vous nous dire si vous avez été témoin oculaire de ce schéma
20 dont vous faites rapport à un moment quelconque ?
21 R. L'occasion dont j'ai été le témoin, donc des tirs d'artillerie, c'était
22 à Obrinje en septembre 1998.
23 Q. Donc vous étiez dans le village au moment des tirs d'artillerie ?
24 R. Heureusement pas. Je me trouvais à Plocica et à Mlecan ce jour-là, j'ai
25 entendu les détonations des tirs d'artillerie et j'ai pu observer Gornje
26 Obrinje à distance en flammes, ou en tout cas j'ai vu la fumée s'élever du
27 village.
28 Q. Je vous remercie. Avez-vous pu aussi voir la police pénétrer dans le
Page 4045
1 village d'Obrinje ?
2 R. Non.
3 Q. Merci. Si l'interprétation que j'ai entendue est correcte, la partie du
4 texte que je vous ai lue indiquait :
5 "Dans un certain nombre de villages où j'ai effectué des recherches,
6 j'ai pu observer un schéma similaire…"
7 En d'autres termes, vous avez observé un schéma suivant lequel les forces
8 de police adoptaient cette méthode de manière systématique; est-ce exact ?
9 R. Oui, c'est exact.
10 Q. Merci. Monsieur Abrahams, est-ce qu'il vous a paru que c'était la même
11 histoire que l'on vous répétait systématiquement provenant de tous les
12 témoins que vous avez pu entendre en tant que "Human Rights Watch" ?
13 R. Je suis désolé, je ne comprends pas la question.
14 Q. Les témoins dont vous avez entendu les témoignages ont-ils déclaré la
15 même chose dans leurs déclarations, c'est-à-dire qu'il y aurait d'abord
16 encerclement par la police, puis tirs d'artillerie, puis pénétration du
17 village ?
18 R. Chacune des déclarations faites par les témoins est unique en son
19 genre, reflète les observations individuelles de la personne avec laquelle
20 se faisait l'entretien. En général, j'ai pu détecter un schéma de
21 comportement appliqué par la police et l'armée serbe me basant sur ces
22 entretiens. Pour nous, cela indiquait qu'il y avait un mode opératoire, car
23 nous l'avons vu se répéter dans tellement de villages du Kosovo.
24 Q. Je vous remercie. Monsieur Abrahams, avez-vous lu l'acte d'accusation
25 dressé contre M. Slobodan Milosevic ou celui qui a été dressé dans le cas
26 de Milutinovic et consorts ou l'acte d'accusation dressé contre l'accusé
27 Djordjevic dans l'affaire qui nous concerne aujourd'hui ?
28 R. J'ai lu l'acte d'accusation contre Slobodan Milosevic et Milutinovic et
Page 4046
1 al. mais pas l'acte d'accusation de la personne qui est le sujet de
2 l'audience d'aujourd'hui.
3 Q. Je vous remercie. Je vais maintenant vous poser une question concernant
4 les autres crimes où il est aussi indiqué que les forces serbes ont
5 encerclé les villages, procédé à des tirs d'artillerie, puis y ont pénétré.
6 S'agit-il là de quelque chose que vous avez remarqué pu constater dans les
7 deux actes d'accusation que vous avez lus ?
8 R. Je ne suis pas sûr de la manière dont je peux répondre à cette
9 question. J'ai lu les deux actes d'accusation et si cette citation est
10 effectivement extraite de ceci, alors j'aurais aussi lu cette ligne-là.
11 Mais je ne suis pas tout à fait sûr de ce que vous me demandez. Je suis
12 désolé.
13 Q. Je vous demande simplement au sujet de ce schéma de comportement
14 portant sur ces différents crimes, c'est-à-dire encerclement des villages,
15 tirs d'artillerie puis pénétration des villages, ensuite procéder aux
16 actions qui sont reprises dans l'acte d'accusation. Est-ce que vous avez lu
17 quelque chose de ce type dans ces actes d'accusation ?
18 R. Je n'ai pas souvenir de chaque détail contenu dans l'acte d'accusation
19 Q. Très bien. Poursuivons. Monsieur Abrahams, vous nous avez dit hier
20 qu'un journaliste albanais qui travaillait pour "Koha Ditore" et que
21 quelque chose se produisait à Gornje Obrinje, dès lors vous y êtes rendu le
22 29 septembre 1998. Est-ce que ma compréhension est exacte ?
23 R. Oui, c'est exact.
24 Q. A la lecture de votre déclaration de mars 1999, dans le passage qui se
25 trouve page 38, j'espère ne pas me tromper.
26 Je trouverai la référence exacte pour vous et nous allons le lire. Alors il
27 s'agit de la page 34. Il devrait s'agir du deuxième paragraphe à partir du
28 bas de la page.
Page 4047
1 "Dans la soirée du 28 septembre, on m'a rapporté que des incidents
2 avaient lieu à Obrinje…"
3 Avez-vous trouvé ce paragraphe ? C'est le deuxième paragraphe à
4 partir du bas.
5 R. Oui, je le vois.
6 Q. Est-ce que cette partie de votre déclaration signifie que vous avez eu
7 vent des incidents à Gornje Obrinje dans la soirée du 28 septembre à
8 l'ambassade des Etats-Unis à KDOM et que vous avez appris là que quelque
9 chose s'était passé à Obrinje ?
10 R. Mais je peux préciser les choses. J'ai eu vent en premier lieu d'un
11 incident le 28 septembre 1998 dans la soirée, donc un incident à Gornje
12 Obrinje. Le lendemain, mon collègue et moi-même, nous sommes rendus au
13 bureau de KDOM. Il s'agissait de la "Kosovo Diplomatic Observer Missions,"
14 la Mission d'observation diplomatique du Kosovo. Elle avait trois
15 composantes : Etats-Unis, Russie et Union européenne. Nous nous sommes
16 rendus dans la partie américaine. On leur a demandé s'ils avaient des
17 informations concernant un incident qui se serait produit là-bas. Ils ne
18 nous ont pas donné de détails, mais ils nous ont dit : Oui, nous avons
19 appris que quelque chose s'est produit dans ce secteur. Raison de plus pour
20 nous de continuer à intervenir, donc nous rendre en direction de ce
21 village.
22 Q. Merci. Avez-vous collaboré avec le bureau américain du
23 KDOM ?
24 R. Non. Nous ne l'avons pas fait. Mais peut-être pourriez-vous préciser ce
25 que vous entendez par "cooperate," coopérer, de manière à ce que je puisse
26 vous répondre de manière plus précise.
27 Q. Bien, par exemple, en procédant à des échanges d'information, c'est-à-
28 dire que vous leur auriez fourni des informations et eux vous auraient
Page 4048
1 fourni des informations.
2 R. Il n'y avait aucune coopération de type officiel, mais de manière
3 informelle, comme l'indique cet échange daté du 28 [comme interprété]
4 septembre, à un certain moment, ils se sont montrés prêts à nous fournir
5 quelques informations très basiques et rudimentaires telles que : Oui, nous
6 sommes au courant que quelque chose s'est produit dans tel village. Mais
7 ils ne nous ont jamais fourni quoi que ce soit qui ait plus de substance
8 que cela.
9 Q. Je vous remercie. Et leur avez-vous fourni les informations dont vous
10 disposiez afin de vous assurer qu'ils restaient au courant des événements
11 en tant que mission d'observation ?
12 R. Nous n'avons entrepris aucun effort spécifique pour informer ou mettre
13 au courant un KDOM, que soit les Etats-Unis, l'Union européenne ou les
14 Etats-Unis, mais tous nos rapports, quels qu'ils aient été, leur ont été
15 remis comme à tous les représentants diplomatiques et internationaux
16 d'ailleurs.
17 Q. Merci. Vu la réputation de "Human Rights Watch," aviez-vous une
18 connaissance quelconque de la nature et de l'étendue des relations
19 qu'entretenaient les échelons supérieurs de "Human Rights Watch" avec US
20 KDOM ou avec les autres organisations internationales qui étaient parties
21 prenantes de ce processus au cours de cette période ?
22 R. En tant qu'enquêteur responsable des Balkans à l'époque, j'aurais été
23 mis au courant de toute communication qui aurait pu exister entre mon
24 organisation et des organisations internationales ou des instances
25 gouvernementales.
26 Q. Merci. Examinons la page suivante de l'anglais. Paragraphe 3, Monsieur
27 Abrahams, voyez-vous la phrase qui commence ainsi :
28 "Certaines personnes qui nous ont dit ce qu'elles croyaient s'être
Page 4049
1 passé," et cetera. En anglais, "Some people who told us…" ?
2 R. Oui.
3 Q. Vous dites ceci, Monsieur Abrahams :
4 "Certaines personnes qui nous ont parlé de ce qu'elles pensaient qui
5 s'était passé s'étaient enfuies à l'arrivée de la police. Elles n'avaient
6 pas assisté elles-mêmes aux incidents en question."
7 C'est bien cela, n'est-ce pas ? C'est ce que vous avez dit dans votre
8 déclaration, Monsieur Abrahams ?
9 R. Oui, c'est exact.
10 Q. Merci. Il est exact, n'est-ce pas, que vous n'avez pas non plus
11 témoigné sur les incidents de Gornje Obrinje, vous n'en avez pas été le
12 témoin, je veux dire ?
13 R. Des meurtres, non. Je ne les ai pas vus moi-même.
14 Q. Puis-je dire qu'il y a eu des combats à Gornje Obrinje entre l'UCK et
15 les forces serbes ?
16 R. Effectivement, à ce moment-là, il y avait des combats, en tout cas les
17 25 et 26, oui.
18 Q. Merci. Est-il exact que les forces de l'UCK se sont retirées de Gornje
19 Obrinje et se sont repliées dans les bois ?
20 R. Je n'ai pas connaissance des mouvements précis de l'UCK. Mais de façon
21 générale, lorsque effectivement ils étaient dominés par une puissance de
22 tirs plus importante, ils avaient pour habitude de se replier et de
23 s'éloigner des zones de combat.
24 Q. Merci. Là encore, il s'agit d'un schéma que l'on retrouve, Monsieur
25 Abrahams. Au cours de vos enquêtes, avez-vous pu observer une pratique
26 répétée consistant, pour les hommes en âge de combattre, de fuir les
27 villages à la vue des forces serbes et se replier vers les bois ?
28 R. Il était courant que les hommes d'ethnicité albanaise fuient leur
Page 4050
1 village lorsqu'ils constataient que les forces de sécurité avançaient vers
2 eux. En général, ils disaient qu'ils avaient fui par peur de ce qui
3 risquait de leur arriver.
4 Q. Merci. Parlons maintenant de l'année 1998. L'Etat de Serbie ou l'Etat
5 de Yougoslavie, était-il suffisamment aisé pour pilonner des villages sans
6 qu'il y ait eu le moindre combat et pour que la pratique se répète encore
7 et encore ?
8 R. Je ne saurais me prononcer à la question de savoir si l'Etat serbe ou
9 l'Etat yougoslave était aisé ou pas, mais j'ai effectivement recueilli des
10 informations tendant à établir une tendance aux tirs indiscriminés sur les
11 villages ainsi que la commission de crimes graves, dont des exécutions,
12 après l'entrée des forces dans ces villages.
13 Q. Permettez-moi de vous poser la question suivante : pourquoi pilonner
14 quelque chose ou pourquoi tirer sur quelque chose alors que l'on pourrait
15 aisément entrer dans un village sans le pilonner ? Si on n'y oppose aucune
16 résistance, il serait alors facile de recourir à d'autres moyens pour
17 pénétrer dans un village. Vous en conviendrez avec moi ?
18 R. Je ne sais pas pourquoi on a recouru au pilonnage, mais je nie pas non
19 plus le fait que l'UCK était présent dans certains des villages en
20 question. Je ne nie pas que l'UCK n'a pas lancé des hostilités contre les
21 forces serbes et yougoslaves. Je ne nie pas non plus que l'UCK, à maintes
22 reprises, a agi en violation du droit international humanitaire dans le
23 cadre de ses propres actions, mais rien de tout ceci ne justifie le
24 comportement illicite des forces serbes et yougoslaves.
25 Q. Nous entrons ici dans un débat d'opinion. Il appartiendra à la Chambre
26 de juger de tout ceci. Monsieur Abrahams, est-il exact que vous étiez en
27 liaison avec certains membres de l'équipe médicolégale finlandaise censée
28 effectuer une exhumation à Gornje Obrinje ?
Page 4051
1 R. Oui, c'est exact.
2 Q. Pourriez-vous dire quand exactement vous avez été en liaison avec les
3 membres de cette équipe finlandaise ?
4 R. Il faudrait que je vérifie mes notes pour en être tout à fait certain,
5 mais je crois avoir eu des contacts avec des membres de cette équipe en
6 novembre et peut-être aussi en décembre 1999, lorsque cette équipe a tenté
7 d'accéder à Gornje Obrinje pour y procéder à une exhumation. Toutefois, ils
8 se sont vu refuser l'accès au secteur par la police serbe.
9 Q. Merci. D'après les informations dont je dispose, ceci s'est produit le
10 10 décembre. C'est le 10 décembre que l'équipe médicolégale finlandaise,
11 accompagnée d'un juge d'instruction du tribunal de Pristina, ainsi que
12 l'adjoint du Procureur ainsi que des membres de la police, ont fait route
13 vers Obrinje pour procéder à une exhumation de corps à Gornje Obrinje. Est-
14 ce l'information dont vous disposez également ?
15 R. Oui.
16 Q. Merci. Avez-vous su également qu'à côté du village de Trstenik, à
17 proximité de Gornje Obrinje, le convoi qui était censé procéder à
18 l'exhumation a dû stopper sa course du fait de la présence d'un poste de
19 contrôle de l'UCK à proximité ?
20 R. Je ne connais pas les détails de l'incident dont vous parlez, mais je
21 me souviens avoir parlé à un membre de l'équipe médicolégale qui a dit que
22 la police serbe avait limité les mouvements de l'équipe médicolégale.
23 Q. Qui était ce membre de l'équipe médicolégale ? Pouvez-vous nous donner
24 son nom ?
25 R. Il faudrait que je vérifie mes notes.
26 Q. Merci. Savez-vous que tant le KDOM que l'OSCE ont été informés de cette
27 tentative avortée d'exhumation ?
28 R. Je ne sais pas quelles sont les informations qui sont parvenues à la
Page 4052
1 KDOM ou à l'OSCE.
2 Q. Merci.
3 M. DJURDJIC : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
4 il me semble que le temps qui nous était imparti ce matin est écoulé.
5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Djurdjic.
6 Nous allons devoir lever l'audience pour aujourd'hui, nous reprendrons
7 demain à 14 heures 15. Un représentant de ce Tribunal vous donnera des
8 informations supplémentaires ainsi que certaines consignes. Nous ne sommes
9 saisis d'aucune autre question, nous allons donc lever l'audience.
10 --- L'audience est levée à 13 heures 47 et reprendra le jeudi 7 mai 2009, à
11 14 heures 15.
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28