Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 6 juillet 2009

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 22.

  5   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour, et la Chambre présente à

  6   chacun ses excuses pour ce léger retard dans le début de l'audience, car

  7   les Juges ont été retenus par plusieurs questions. Nous sommes sur le point

  8   d'entendre un témoin qui a fait l'objet d'une demande de mesures de

  9   protection, demande qui a été complétée par des documents supplémentaires

 10   pendant le week-end.

 11   Maître Djordjevic, bonjour. Souhaitez-vous vous exprimer au sujet de cette

 12   demande de mesures de protection ?

 13   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, le motif qui

 14   justifie que la Défense considère qu'il importe de n'accorder aucune mesure

 15   de protection à ce témoin repose principalement sur le fait qu'il va être

 16   entendu au sujet de circonstances qui ont déjà fait l'objet pour lui

 17   d'interrogatoires menés ailleurs. S'il y a vraiment eu des menaces, je ne

 18   sais pas de la part de qui, et je ne connais pas la nature. Ce sont des

 19   éléments confidentiels dont nous parlerons vraisemblablement à huis clos

 20   partiel, mais que je ne connais pas pour le moment. Nous nous exprimons

 21   donc préliminairement contre l'octroi de quelque mesure de protection que

 22   ce soit à ce témoin.

 23   Sous réserve, bien sûr, de l'évolution de la situation, et dès lors

 24   que nous aurons entendu des arguments sérieux justifiant un motif valable

 25   pour que ce témoin bénéficie de mesures de protection, la Défense pourrait

 26   se dire d'accord avec l'octroi de ces mesures. Pour le moment, la Défense

 27   estime que ce soit vraiment exagéré, car sur la base de ce que j'ai pu lire

 28   en rapport avec ce témoin et de ce que j'ai entendu vraiment de sa bouche,

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  1   je crois savoir qu'il a dit lui-même qu'il ne souhaitait pas témoigner sous

  2   pseudonyme, car tout ce qu'il pourrait dire, même avec déformation de la

  3   voix, permettrait très aisément de déterminer que chacun dans l'opinion

  4   pourrait déterminer facilement quelle est son identité. Voilà pourquoi,

  5   Monsieur le Président, je considère qu'il n'existe pas de raisons

  6   justifiant pour le moment l'octroi de ces mesures de protection.

  7   Je vous remercie, Monsieur le Président. Bien entendu, je suppose que la

  8   Chambre va demander à entendre le témoin pour qu'il s'exprime lui-même sur

  9   ces mesures de protection, ce qui nous permettrait finalement de nous

 10   prononcer de façon plus argumentée, plus fondée.

 11   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie de ce que vous venez

 12   de dire. Très succinctement, Maître Djordjevic, la Chambre, pour le moment,

 13   n'a pas l'intention d'entendre quoi que ce soit de plus, mais comprend très

 14   bien que vous vous opposiez pour le moment à l'octroi de ces mesures de

 15   protection tant qu'elles ne sont pas justifiées de façon plus démontrée.

 16   Y aurait-il quelque chose, Monsieur Stamp, que vous souhaiteriez ajouter

 17   sur ce sujet ?

 18   M. STAMP : [interprétation] Non, Monsieur le Président. Je vous remercie.

 19   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

 20   [La Chambre de première instance se concerte]

 21   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre considère que cette requête

 22   est à la frontière entre une requête suffisamment justifiée et une requête

 23   insuffisamment justifiée, et au vu de ces circonstances, la Chambre

 24   considère que dans l'esprit de l'accusé pour le moins, une véritable menace

 25   a été formée qui pourrait viser le témoin s'il s'apprêtait à répéter dans

 26   la déposition qu'il va faire ici ce qu'il a déjà dit dans une déposition

 27   antérieure. Il se sent donc menacé.

 28   Dans ces conditions, la Chambre est convaincue qu'elle devrait ordonner des

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  1   mesures de protection. Elle reconnaît toutefois au vu des aspects très

  2   spécifiques de la déposition de ce témoin, que ces éléments devraient

  3   permettre assez aisément de l'identifier au cours de sa déposition, et dans

  4   ces conditions par conséquent, la Chambre estime que la meilleure mesure de

  5   protection devrait consister à entendre la déposition de ce témoin à huis

  6   clos partiel. Voici quelle est la décision de la Chambre.

  7   Maître Djordjevic.

  8   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Très brièvement, car je n'ai aucunement

  9   l'intention de commenter la décision de la Chambre puisque cette décision

 10   ne m'appartient pas. Je voudrais simplement faire remarquer qu'au compte

 11   rendu d'audience, il est écrit que quelque chose s'est formé dans l'esprit

 12   de l'accusé, l'accusé étant mon client, mais l'accusé pourrait également se

 13   référer au témoin puisque le témoin vient ici sous le coup d'une accusation

 14   d'outrage à la Chambre. Veuillez, je vous prie, vous pencher sur la page 2

 15   023 du compte rendu en anglais, "in the mind of the accused at least."

 16   Je pense que ceci mérite d'être éclairci.

 17   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie, Maître Djordjevic,

 18   d'avoir mis en exergue une erreur qui vient de moi. J'avais l'intention,

 19   lorsque je me suis ainsi exprimé, de faire référence à l'accusé assis dans

 20   le prétoire, et pas aux témoins potentiels. Mes commentaires avaient pour

 21   objet d'indiquer que les Juges de la Chambre admettent l'existence d'une

 22   inquiétude sincère, et que la Chambre estime pouvoir influer d'une façon

 23   favorable allant dans le sens des désirs du témoin dans le respect des

 24   critères imposés pour que mes mesures de protection soient octroyées.

 25   Si le témoin peut entrer dans le prétoire, nous allons l'entendre.

 26   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

 27   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Faisons entrer le témoin.

 28   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Pendant que nous attendons l'entrée du

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  1   témoin, Monsieur le Président, m'autorisez-vous à prononcer encore quelques

  2   mots devant la Chambre ?

  3   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Mais voulez-vous bien m'autoriser

  4   d'abord à rendre une deuxième décision orale, Maître Djordjevic. Sous

  5   réserve de l'admission de deux documents versés par l'Accusation et

  6   enregistrés aux fins d'identification, qui sont les pièces P97 et P102.

  7   Chacune de ces pièces attendant une traduction, et une fois que la

  8   traduction sera reçue, les documents pourront être téléchargés dans le

  9   prétoire électronique et leur statut de documents enregistrés aux fins

 10   d'identification sera levé.

 11   Monsieur Djordjevic, nous allons maintenant passer à huis clos.

 12   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos, Monsieur le

 13   Président.

 14   [Audience à huis clos]

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  5   [Audience publique]

  6   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

  7   Vous avez suggéré que c'est le bon moment de faire une pause. Ai-je raison

  8   de l'affirmer, Monsieur Stamp ?

  9   M. STAMP : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 10   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Cela donnera suffisamment de temps au

 11   témoin pour se rendre dans la salle d'audience ? Mais je crois avoir

 12   remarqué que vous vous êtes levé, Maître Djordjevic.

 13   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Puisque je

 14   suis conseiller principal de la Défense dans ce procès, je souhaite

 15   demander la permission des Juges de la Chambre pour que ce soit notre

 16   collègue Mlle Marie O'Leary qui interroge le témoin suivant. Merci.

 17   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci à vous, Maître Djordjevic. Nous

 18   avons reçu une requête écrite concernant Me Popovic. Notre avis a été

 19   positif à l'égard de cette requête et la même chose vaut pour Mme O'Leary.

 20   Nous avons statué de même dans ce cas-là. A présent, nous aurons le plaisir

 21   d'entendre quatre conseils de la Défense différents.

 22   M. DJORDJEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Ce que nous

 23   souhaitons faire, c'est d'offrir une occasion à nos jeunes collègues qui

 24   arrivent avec beaucoup d'impétuosité d'élargir leur pratique, qui n'est pas

 25   de petite taille de toute manière, mais je pense que cela leur permettra de

 26   se perfectionner davantage et de gagner de l'expérience.

 27   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Nous allons faire une pause

 28   et juste pour s'assurer que le témoin viendra à l'heure, nous allons

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  1   reprendre les débats à 17 heures 40.

  2   --- L'audience est suspendue à 17 heures 04.

  3   --- L'audience est reprise à 17 heures 43.   

  4   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame O'Leary, vous avez la parole.

  5   Mme O'LEARY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Avant de

  6   commencer, nous avons un argument que nous souhaitions présenter avant la

  7   déposition de ce témoin. Dans notre requête où nous soulevons une objection

  8   à sa déposition en vertu de l'article 92 ter, nous présentons notre manière

  9   d'envisager cette chose, et nous pensons que sa déclaration écrite peut

 10   apporter une confusion, parce que le témoin dégage un certain nombre de

 11   conclusions et il confond ce qu'il a pu voir comme témoin oculaire avec ce

 12   qu'il a entendu dire par les autres. Par ailleurs, il émet un certain

 13   nombre d'opinions qui seraient plus appropriées à entendre harassées par un

 14   témoin expert que par un témoin sur les faits.

 15   Nous tenons compte de la décision adoptée par la Chambre quant à la

 16   façon dont ce témoin doit être entendu, et nous l'avons pris en compte en

 17   nous préparant pour le contre-interrogatoire.

 18   Toutefois, nous souhaitons soulever une objection quant au versement

 19   au dossier des pages 6 à 9, en version anglaise de la déclaration écrite

 20   qui porte la cote 2235 sur la liste 65 ter. Plus concrètement, ce qui nous

 21   intéresse dans la version anglaise, c'est la phrase qui commence par les

 22   mots : "Sur la base de l'enquête que j'ai menée…" Aussi, il y a un autre

 23   point qui fait objet d'une contestation. C'est à la page 7, où le témoin

 24   déclare : "J'ai entendu," et aussi ce qui commence par les mots "…en 1998."

 25   C'est ce qui se trouve à la page 8 de sa déclaration écrite.

 26   Par ailleurs, à la page 9, version anglaise, il y a une phrase qui

 27   commence aussi par "Suite de cette audition…"

 28   Tous ces passages ne sont pas suffisamment détaillés pour qu'on

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  1   puisse effectuer un contre-interrogatoire sur ces points. D'ailleurs, ce ne

  2   sont pas des informations dont il a pris connaissance personnellement.

  3   Donc, il est impossible de mettre en doute tous les détails qui concernent

  4   ces événements, notamment les personnes qu'il accuse d'être les auteurs des

  5   événements énumérés dans les passages précités, et nous demandons que ces

  6   parties-là de la déclaration soient effacées du dossier de l'affaire,

  7   puisque ce sont des choses sur lesquelles il n'avait pas de connaissance

  8   personnelle.

  9   Nous comprenons que la Chambre peut-être souhaite entendre à la fin

 10   de sa déposition avant de statuer sur ce point.

 11   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Madame O'Leary.

 12   Madame Kravetz.

 13   Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Juge, sur un autre point de vue,

 14   la Chambre a déjà statué sur ce point. Donc, c'est quelque chose que la

 15   Défense aurait dû aborder dans la réponse à la requête que nous avons

 16   déposée en vertu de l'article 92 bis. Donc, je me réfère à la décision

 17   prise par la Chambre le 1er juillet. Dans sa décision, la Chambre a décidé

 18   de verser au dossier la déclaration écrite du témoin, et nous pensons que

 19   cette affaire a déjà été réglée.

 20   De notre point de vue aussi, le point qui a été soulevé par mon

 21   collègue peut faire objet dans le contre-interrogatoire.

 22   Donc, à mon avis, je ne pense pas qu'il s'agit de questions qui ne

 23   sauraient être examinées pendant le contre-interrogatoire. D'ailleurs,

 24   c'est la raison pour laquelle nous avons le témoin dans la salle

 25   d'audience.

 26   [La Chambre de première instance se concerte]

 27   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame O'Leary, la Chambre estime que

 28   ce n'est pas à présent qu'elle doit statuer sur cette affaire. La Chambre a

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  1   déjà décidé d'admettre cette déclaration écrite, bien que peut-être

  2   certains aspects ne remplissent pas les exigences habituelles sur le plan

  3   de la forme.

  4   Mais nous pensons que cela est de moindre importance que ce que le

  5   témoin aura déclaré personnellement, concernant les choses qu'il a

  6   observées lui-même, les connaissances directes qu'il a pu avoir.

  7   La Chambre va évaluer la valeur probante à accorder aux différentes parties

  8   de cette déclaration écrite en tenant compte de tous les arguments qui

  9   viennent d'être présentés. Nous allons en tenir compte pendant le contre-

 10   interrogatoire.

 11   Je pense que nous avons expliqué quelle est notre position sur ce

 12   point.

 13   Peut-on faire entrer le témoin dans la salle d'audience, s'il vous plaît.

 14   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 15   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour, Monsieur.

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

 17   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ayez l'obligeance de lire à haute voix

 18   la déclaration solennelle qui vient de vous être remise.

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

 20   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 21   LE TÉMOIN : FUAT HAXHIBEQIRI [Assermenté]

 22   [Le témoin répond par l'interprète]

 23   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci. Vous pouvez vous asseoir.

 24   Mme Kravetz représente l'Accusation, elle souhaite vous poser quelques

 25   questions.

 26   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge.

 27   Interrogatoire principal par Mme Kravetz : 

 28   Q.  [interprétation] Monsieur le Témoin, veuillez décliner votre nom et

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  1   votre prénom aux fins du compte rendu d'audience.

  2   R.  Bonjour. Je m'appelle Fuat Haxhibeqiri.

  3   Q.  Où et quand êtes-vous né, Monsieur Haxhibeqiri ?

  4   R.  Je suis né à Gjakove le 24 mars 1956.

  5   Q.  Où habitiez-vous en 1999 ?

  6   R.  A Gjakove.

  7   Q.  A cette époque-là, où étiez-vous employé ? Je parle de l'année 1999.

  8   R.  J'ai travaillé pour une entreprise privée qui s'appelait Agimi.

  9   Q.  Hormis les fonctions que vous avez exercées pour le compte de cette

 10   entreprise, vous êtes-vous engagé aussi dans d'autres activités ? Je parle

 11   de l'année 1999.

 12   R.  Oui. J'ai été militant au sein du Conseil pour la défense des droits de

 13   l'homme et de liberté à Gjakove.

 14   Q.  Quel était le type d'emploi que vous exerciez au sein de ce conseil à

 15   Gjakove ?

 16   R.  Notre tâche consistait à rassembler des informations sur le terrain.

 17   Ces informations avaient trait à la violation des droits de l'homme sur le

 18   territoire de notre municipalité. Il s'agissait de violations commises par

 19   les forces serbes. En d'autres mots, nous allions sur le terrain, nous y

 20   rassemblions des informations pertinentes, et ces informations-là, nous

 21   sommes allés les chercher auprès des personnes qui en informaient mon

 22   bureau.

 23   Q.  Pouvez-vous nous expliquer brièvement quelle méthode vous avez adoptée

 24   pour rassembler les informations ? Quelles étaient les activités dans

 25   lesquelles vous étiez impliqué pour pouvoir rassembler toutes les

 26   informations pertinentes ?

 27   R.  Les gens se rendaient dans notre bureau, ils nous racontaient ce qu'ils

 28   avaient vécu, ils nous montraient des photos, s'ils en avaient, pour étayer

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  1   leurs propos sur les sévices dont ils ont été victimes et qui ont été

  2   perpétrés par les forces de la police ou de l'armée. Puis, nous avons fait

  3   suivre ces informations à nos bureaux qui se trouvaient à Pristina, soit

  4   par fax, soit par un autre moyen de transmission.

  5   Donc, nous nous rendions sur le terrain pour réunir la documentation

  6   nécessaire, et nous ajoutions des photographies dans nos dossiers, si nous

  7   en disposions.

  8   Q.  Avez-vous donné une déclaration aux représentants du TPIY concernant

  9   les événements qui sont survenus dans votre municipalité et dont vous avez

 10   été témoin oculaire ?

 11   R.  Oui.

 12   Q.  Avant de venir au Tribunal aujourd'hui, avez-vous eu l'occasion de

 13   relire votre déclaration écrite ?

 14   R.  Oui.

 15   Q.  Et après l'avoir relue, vous êtes-vous assuré que toutes les

 16   informations qui figurent dans cette déclaration écrite reflètent la vérité

 17   et qu'elles sont exactes d'après vos souvenirs ?

 18   R.  Oui.

 19   Mme KRAVETZ : [interprétation] Messieurs les Juges, je demande le versement

 20   de ce document au dossier. Il s'agit du document 02235.

 21   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien.

 22   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce P1068.

 23   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci. Je vais à présent donner lecture d'un

 24   résumé de la déclaration écrite de ce témoin.

 25   Le témoin habite dans le quartier Hadum dans la ville de Djakovica. Il

 26   était président du Conseil pour la défense des droits de l'homme et des

 27   libertés à Djakovica. Il explique comment les forces militaires ont été

 28   renforcées dans la ville à partir de 1998 et quelles étaient les positions

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  1   des armes lourdes et des casernes.

  2   Le 23 mars 1999, le témoin est entré en clandestinité en se cachant

  3   dans le quartier Blloku i Ri de la ville. Les locaux de l'organisation du

  4   témoin avaient été fouillés par la police, et les membres du personnel ont

  5   été arrêtés. Au matin du 25 mars, les forces serbes sont arrivées dans le

  6   quartier de Carshia e Madhe dans la vieille ville, et le témoin a vu des

  7   bâtiments brûler.

  8   Le 26 mars 1999, des bâtiments ont été incendiés dans Blloku i Ri

  9   dans le quartier où il se cachait. Le témoin a nommé six personnes qui ont

 10   trouvé la mort au cours de cette nuit-là. Le 2 avril 1999, la police a

 11   expulsé les occupants de la maison où le témoin avait trouvé un abri. A ce

 12   moment-là, il a trouvé abri dans un égout de canalisation dans le jardin

 13   arrière, où il a échappé à la détection. Il est resté là-bas pendant quatre

 14   jours. Une fois retourné à son domicile, il a été témoin oculaire des

 15   incendies des biens immobiliers appartenant aux Albanais au Kosovo qui ont

 16   été perpétrés par les forces serbes du jour au jour.

 17   Le témoin cite les statistiques municipales répertoriant les morts, les

 18   personnes portées disparues, les personnes déplacées ainsi que les bien

 19   mobiliers détruits en 1998 et 1999. Il cite les détails de recherche qui

 20   ont été effectués par son organisation concernant plusieurs décès et

 21   expulsions pour la ville de Djakovica.

 22   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

 23   Mme KRAVETZ : [interprétation]

 24   Q.  Maintenant, je voudrais commencer en vous posant quelques questions sur

 25   les événements survenus au mois de mars 1999 décrits dans votre déclaration

 26   écrite. Vous indiquez dans une déclaration écrite que le 23 mars 1999, les

 27   bureaux de votre organisation ont été fouillés, que les membres du

 28   personnel ont été arrêtés.

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  1   Mme KRAVETZ : [interprétation] Je le cite aux fins du compte rendu

  2   d'audience, ce paragraphe se trouve à la fin de la page 5 en version

  3   anglaise, qui correspond à la page six en version B/C/S. Je crois qu'il

  4   s'agit du second paragraphe.

  5   Q.  Alors, suite à cette arrestation, cette fouille qui a eu lieu dans les

  6   locaux de votre organisation, vous avez trouvé refuge dans Blloku i Ri,

  7   dans ce quartier-là. Pouvez-vous nous dire exactement où vous vous êtes

  8   rendu dans ce quartier ?

  9   R.  Oui. J'ai trouvé refuge auprès d'un certain Gani, qui était le

 10   propriétaire de la maison où je me suis caché. Il était médecin de

 11   profession.

 12   Q.  Y avait-il quelqu'un d'autre dans cette maison hormis vous-même lorsque

 13   vous êtes allé chercher refuge dans cette maison ?

 14   R.  Oui. Il y avait le propriétaire lui-même, donc le médecin; son épouse,

 15   ses deux fils qui étaient étudiants, et un autre voisin accompagné de ses

 16   deux filles qui étudiaient à l'époque aussi. Il y avait également huit

 17   membres de ma famille.

 18   Q.  Vous dites que vous vous êtes rendu à cette maison accompagné de huit

 19   membres de votre famille. S'agissait-il de personnes que vous n'avez pas

 20   déjà énumérées ? S'agissait-il de personnes qui avaient des liens de

 21   famille avec le médecin ?

 22   R.  La famille de ce médecin a des liens de parenté avec la famille de ma

 23   mère.

 24   Q.  Pourquoi avez-vous décidé de chercher un abri dans cette maison-là en

 25   particulier ?

 26   R.  Quand j'ai appris que les locaux de notre organisation étaient

 27   entourés, qu'une perquisition avait été faite sur les lieux, et que les

 28   membres du personnel ont été arrêtés, j'ai décidé de trouver un refuge, de

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  1   trouver un abri dans la maison des parents de ma mère.

  2   Q.  Dans votre déclaration écrite, en haut de la page 6 en version anglaise

  3   aussi bien qu'en version B/C/S, vous indiquez que plusieurs jours plus

  4   tard, le 26 mars, vous aviez vu six maisons brûler dans le quartier où vous

  5   vous aviez caché, et que ces maisons-là, ils appartenaient aux militants

  6   politiques.

  7   Pouvez-vous nous dire où vous vous trouviez exactement au moment où

  8   vous avez vu ces maisons brûler ?

  9   R.  Je me trouvais dans la maison du médecin. Depuis le deuxième étage,

 10   nous avons pu voir ces maisons brûler.

 11   Q.  Ces maisons-là se trouvaient-elles dans le même quartier à proximité de

 12   la maison où habitait le médecin ?

 13   R.  Oui, oui. Ils se trouvaient à une distance de peut-être 60 ou 80

 14   mètres.

 15   Q.  Vous dites que ces maisons appartenaient à des militants politiques.

 16   Savez-vous quelle était leur appartenance ethnique ?

 17   R.  Ils étaient des Albanais. Ils étaient tous des Albanais de souche.

 18   Q.  Nous allons nous concentrer à présent sur le début du mois d'avril

 19   1999. Dans la partie pertinente de votre déclaration écrite, vous dites que

 20   le 2 avril, deux membres de la police portant des uniformes bleus se sont

 21   rendus à la maison où vous aviez trouvé refuge.

 22   Mme KRAVETZ : [interprétation] Cette information se trouve à la page

 23   6 de la version anglaise, vers le bas de la page, qui correspond à la page

 24   7 en version B/C/S, paragraphe 4.

 25   Q.  Vous dites que cela s'est produit dans le quartier Blloku i Ri,

 26   où vous aviez entré en clandestinité. Vous indiquez dans votre déclaration

 27   que les policiers ont ordonné aux personnes présentes de quitter les lieux.

 28   Alors, dites-nous si les personnes présentes à la maison ont effectivement

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  1   sorti après que la police en a donné l'ordre ?

  2   R.  Oui, les policiers leur ont adressé des menaces, et ils ont été obligés

  3   de partir. J'ai entendu la police de mes propres oreilles leur ordonner de

  4   sortir de la maison, ils devaient se rendre à l'église où un autobus les

  5   attendait pour les emmener en Albanie. Ils ont reçu l'ordre de laisser les

  6   clés de leurs véhicules à la maison,  et ils les ont forcés à se rendre à

  7   pied à l'église.

  8   Q.  Savez-vous si les policiers ont pénétré également dans les maisons des

  9   voisins, ou si au contraire ils n'ont pénétré que dans la maison où vous

 10   vous trouviez vous-même ?

 11   R.  Ils allaient d'une maison à l'autre et adressaient des menaces aux

 12   propriétaires des maisons. Ils leur disaient qu'ils allaient jeter une

 13   grenade à main sur la maison s'ils ne sortaient pas.

 14   Q.  Les voisins, qu'ont-ils fait une fois que les policiers ont pénétré

 15   dans la maison ?

 16   R.  Tous les habitants du quartier Blloku i Ri ont été obligés de partir

 17   sous très peu de temps. Entre 20 000 et 30 000 personnes ont reçu l'ordre

 18   de partir.

 19   Q.  Vous l'avez dit, les habitants du quartier Blloku i Ri ont dû partir

 20   sous très peu de temps. Comment le savez-vous ? L'avez-vous vu

 21   personnellement ou le savez-vous par ouï-dire ?

 22   R.  Je n'ai vu personne pendant les jours que j'ai passés dans cette

 23   maison. Je m'étais caché dans un ravin derrière la maison du médecin. J'y

 24   suis resté pendant quatre jours et pendant cette période-là, je n'ai pas vu

 25   un seul Albanais. Je n'ai vu que des membres de la police ainsi que leurs

 26   épouses. Ils arrivaient dans la soirée, et se livraient à des vols, à des

 27   pillages. Tout ce qu'ils trouvaient dans les maisons, ils l'ont chargé à

 28   bord de leurs voitures.

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  1   Q.  Vous venez de dire que 20 000 à 30 000 personnes ont été obligées de

  2   partir de leurs maisons. Vous avez précisé que tous les habitants du

  3   quartier Blloku i Ri ont dû partir. Comment le savez-vous ? Les avez-vous

  4   vu partir ? Quelqu'un vous a-t-il transmis cette information ? Comment le

  5   savez-vous ?

  6   R.  Lorsque quelqu'un vous adresse de telles menaces, à savoir qu'il fera

  7   exploser votre maison, vous n'avez pas à réfléchir énormément. Personne ne

  8   resterait chez eux si la menace de faire exploser leur maison leur est

  9   adressée.

 10   Q.  Si j'ai bien compris votre propos, vous dites que tous les habitants

 11   sont partis le 23 avril parce que, selon vous, ils ont obéi aux ordres qui

 12   leur ont été adressés, ainsi que les menaces dont ils ont fait l'objet ?

 13   R.  Oui. Oui. La menace planait sur nos têtes, nous ne pouvions pas dormir,

 14   nous n'osions pas nous déshabiller. Nous nous attendions à ce qu'ils

 15   arrivent d'un moment à l'autre. Nous nous attendions au pire, et c'est

 16   effectivement ce qui s'est produit dans notre municipalité ainsi que dans

 17   de nombreuses autres.

 18   Q.  Pourquoi croyez-vous que les policiers allaient arriver ? Quelles

 19   étaient les informations dont vous disposiez qui vous faisaient croire

 20   qu'ils allaient se rendre à la maison où vous vous trouviez ?

 21   R.  Trois jours auparavant, plus de 100 personnes ont été tuées. Nous avons

 22   entendu dire que dans ce quartier-là, on avait tué un tel nombre de

 23   personnes, on en avait tué 20 dans un autre quartier et 30 dans un

 24   troisième, et cetera. A cette époque-là, les lignes téléphoniques

 25   fonctionnaient toujours, nous avons pu recevoir des informations provenant

 26   d'autres quartiers concernant le nombre de personnes tuées et le nombre de

 27   maisons incendiées.

 28   Q.  Revenons au 2 avril. Vous dites que des policiers sont arrivés à votre

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  1   maison. Avez-vous vu d'autres membres de la police dans le quartier le jour

  2   où ces deux policiers ont débarqué chez

  3   vous ?

  4   R.  L'un de ces membres de la police était l'homme de cru, un Albanais

  5   ethnique.

  6   Q.  Et hormis cet Albanais que vous avez vu, avez-vous vu d'autres membres

  7   de la police ou d'autres personnes en uniforme, le 2 avril ?

  8   R.  Non.

  9   Q.  Vous avez dit que vous vous êtes caché pendant plusieurs jours et

 10   lorsque vous êtes sorti de votre abri, vous avez constaté que les policiers

 11   étaient partout. Pouvez-vous préciser ce que cela signifie au juste ?

 12   R.  Ils étaient partout dans la rue.

 13   Q.  Mais pouvez-vous préciser encore un petit peu ? Voulez-vous dire qu'ils

 14   se trouvaient dans les rues de ce quartier-là ou dans les rues d'un autre

 15   quartier, dans la ville toute entière ? Où les avez-vous vus, précisément ?

 16   R.  Quand je suis rentré chez moi, après avoir passé trois ou quatre jours

 17   là où je m'étais caché, vers le 5 avril, je suis retourné chez moi. C'est

 18   là que j'ai vu les policiers, les paramilitaires défiler devant ma porte.

 19   Q.  Quand vous dites que vous êtes retourné chez vous, pouvez-vous préciser

 20   où, dans quel quartier se trouvait votre maison ?

 21   R.  Ma maison se trouve dans le quartier Hadum, dans la vieille ville.

 22   Q.  Quand vous êtes parti de la maison du médecin pour revenir chez vous,

 23   dans le quartier Hadum, y avait-il toujours des habitants dans le quartier

 24   de médecins ? Est-ce que le voisin était toujours

 25   là ?

 26   R.  Tous les habitants de ce quartier étaient déjà partis. J'ai vu un

 27   certain nombre d'individus le long de la route, je leur ai expliqué que

 28   j'ai dû partir de ce quartier puisque je ne m'y sentais plus en sécurité.

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  1   Je me sentais obligé de revenir chez moi.

  2   Q.  Ces personnes que vous avez rencontrées en chemin, de qui s'agissait-il

  3   ?

  4   R.  C'était des résidants de Gjakove, des Albanais de souche.

  5   Q.  Vous l'avez dit, le 5 avril, vous êtes revenu chez vous dans le

  6   quartier de Hadum. Vous l'avez indiqué tout à l'heure, pendant que vous

  7   vous trouviez dans la maison du médecin, vous avez vu un certain nombre de

  8   maisons brûler. C'étaient des maisons appartenant aux militants politiques.

  9   Lorsque vous êtes arrivé dans le quartier de Hadum, avez-vous vu d'autres

 10   maisons incendiées ?

 11   R.  Oui. Dans ce quartier-là, j'ai également pu voir des maisons qui

 12   avaient été endommagées par le feu. Il s'agissait d'environ 200 maisons

 13   différentes et aussi, des locaux appartenant à des entreprises. L'incendie

 14   a eu lieu le 24 ou le 25 mars.

 15   Q.  Vous dites que 200 maisons ont été incendiées ?

 16   R.  Oui, 200 maisons.

 17   Q.  Mais de quel quartier parlez-vous exactement ? Où se trouvaient ces

 18   maisons et ces entreprises ?

 19   R.  Dans la vieille ville, dans le quartier de Hadum. En d'autres mots,

 20   dans les alentours de ma maison, plus de 15 magasins ont été brûlés. La

 21   maison de mon oncle, qui se trouve dans la même cour que la mienne, a

 22   également été incendiée. C'était une maison toute neuve. A une distance

 23   d'environ 500 mètres de ma maison, plusieurs autres maisons ont été

 24   brûlées, ainsi que plusieurs magasins. Je l'ai vu de mes propres yeux.

 25   Q.  Donc, il s'agit du quartier Hadum dans la vieille ville de Djakovica ?

 26   R.  Oui. Et ce quartier fait partie de la vieille ville, de la partie de la

 27   ville qu'on appelle la vieille ville. Cette partie de la ville est très

 28   riche en architecture horizontale. C'est une partie de la ville protégée.

Page 6943

  1   Q.  Y a-t-il une mosquée dans la vieille ville de Djakovica ?

  2   R.  Oui. La mosquée elle-même s'appelle la mosquée Hadum, qui a été

  3   construite il y a environ 400 ans.

  4   Q.  Avez-vous pu passer devant la mosquée pour en constater l'état ?

  5   R.  Oui. Je suis passé devant la mosquée et je la voyais de chez moi, car

  6   elle se situe, à vol d'oiseau, à 50 mètres de chez moi. Les annexes de la

  7   mosquée ont été également incendiées. La mosquée elle-même a été endommagée

  8   pour ce qui est de la partie intérieure.

  9   Q.  Avez-vous pu obtenir des informations à ce moment-là pour savoir

 10   comment la mosquée avait été incendiée ?

 11    R.  Non. Il n'y avait personne à qui interroger. Pardon, il n'y avait

 12   personne que je pouvais questionner. A ce moment-là, tout le monde avait

 13   été expulsé de la vieille ville; on les obligeait à aller en Albanie. Comme

 14   je vous l'ai dit, il n'y avait personne. Il n'y avait que des policiers. Il

 15   n'y avait pas de témoin quant au fait que la mosquée avait été incendiée.

 16   Ce soir-là, six personnes ont été tuées. Ils tuaient des personnes,

 17   expulsaient des personnes et incendiaient les bâtiments dans le quartier de

 18   la vieille ville. On obligeait, on menaçait les gens de façon à ce qu'ils

 19   partent.

 20   Les premiers assassinats ont eu lieu le 24 mars, c'est-à-dire plus

 21   précisément à 1 heure du matin le 25 mars, c'est à ce moment-là que ces

 22   activités ont démarré et que la mise à feu des maisons --

 23   Q.  J'aimerais éclaircir certaines de vos réponses, procédons par étape.

 24   Tout d'abord, je vous ai demandé si vous avez vu des dégâts, des maisons

 25   endommagées. Vous nous avez parlé de 200 maisons, y compris des petites

 26   entreprises, qui auraient eu lieu le 24 ou le 25. Comment savez-vous tout

 27   cela ? Comment avez-vous obtenu cette information ?

 28   R.  Mes frères me l'ont dit. Ils m'ont informé par téléphone. Ils m'ont dit

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  1   que le magasin dans lequel je travaillais avait été incendié, tout comme

  2   d'autres magasins dans le quartier.

  3   Q.  Pourriez-vous nous dire à qui appartenait ces magasins ? Là je fais

  4   référence à ces magasins.

  5   R.  Ces magasins appartenaient tous à des Albanais de souche.

  6   Q.  Qu'en était-il des maisons qui avaient été incendiées ?

  7   R.  Elles appartenaient toutes à des Albanais de souche.

  8   Q.  Vous nous dites que vos frères vous ont fourni ces informations. Où se

  9   situaient vos frères pour savoir cela ?

 10   R.  Ils se trouvaient chez eux lorsque les maisons ont été mises à feu.

 11   Ensuite, ils ont fui leurs maisons et se sont rendus dans des quartiers

 12   plus sûrs.

 13   Q.  Vous avez parlé de tueries qui ont démarré le 23 mars et se sont

 14   poursuivies par la suite. Comment savez-vous cela ? Comment saviez-vous

 15   qu'il y avait des tueries qui avaient lieu à Djakovica ?

 16   R.  Les tueries ont démarré le 24 mars, tout de suite après le début des

 17   bombardements de l'OTAN à minuit, ou très peu après minuit. C'était des

 18   tueries planifiées et organisées par les Serbes.

 19   Q.  Pardonnez-moi de vous interrompre, Monsieur le Témoin, mais ce que je

 20   vous demande, c'est comment avez-vous obtenu ces informations ? Est-ce que

 21   c'est quelque chose que vous avez vu vous-même ? Est-ce que c'est des

 22   informations qui vous ont été données ?

 23   R.  On m'a informé par téléphone, et également de la part des habitants de

 24   ce quartier. Voilà comment j'ai appris cela.

 25   Q.  Quand vous dites que les habitants de ce quartier vous ont informé, de

 26   quel quartier parlez-vous ?

 27   R.  Les habitants du quartier de Hadum.

 28   Q.  Que vous ont dit les habitants du quartier de Hadum à propos de ce

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  1   quartier ?

  2   R.  Trois d'entre eux étaient des amis, ils vivaient à 30, 50 mètres de

  3   chez moi, ainsi que trois autres. J'ai entendu -- pardon. Des personnes

  4   m'ont téléphoné, ils m'ont donné les noms des personnes qui avaient été

  5   tuées.

  6   Q.  Est-ce qu'ils vous ont dit comment ils avaient obtenu les informations

  7   concernant ces personnes qui avaient été tuées dans votre quartier ?

  8   R.  Lorsque votre frère vous donne des noms de personnes qui ont été tuées,

  9   je savais que la source était sûre. Il s'agissait de faits qui avaient été

 10   constatés de visu.

 11   Q.  J'ai compris d'après votre déposition que vous êtes resté dans votre

 12   maison jusqu'à la fin de la guerre. Est-ce exact ?

 13   R.  Pendant dix jours j'ai séjourné avec mon oncle dans un autre quartier,

 14   le quartier Hanke [phon] où j'ai séjourné pendant dix jours. En fait, je

 15   n'avais plus de nourriture. C'est la raison pour laquelle je m'y suis

 16   rendu.

 17   Q.  Après les dix jours, vous êtes rentré chez vous dans le quartier de

 18   Hadum ?

 19   R.  Oui, c'est là où j'ai séjourné la plupart du temps.

 20   Q.  Vous nous avez dit que lorsque vous êtes rentré dans le quartier de

 21   Hadum, vous avez constaté des dommages qui avaient été infligés à la

 22   mosquée. Est-ce que pendant la période jusqu'à la fin de la guerre d'autres

 23   dégâts ont été faits à la mosquée de Hadum que vous avez pu constater vous-

 24   même ?

 25   R.  Oui. Le 7 ou le 8, je ne me souviens plus exactement, je me trouvais

 26   dans la cour de ma maison lorsque le minaret de la mosquée, du fait de ce

 27   que je pensais être une explosion à l'intérieur de la mosquée, le minaret

 28   s'est effondré. A ce moment-là, je suis allé au deuxième étage et du toit

Page 6946

  1   j'ai suivi les événements, et en cinq minutes le minaret s'est effondré, et

  2   je n'ai vu personne sur ce lieu, alors que la mosquée elle-même a été

  3   endommagée pour moitié.

  4   Q.  Avez-vous pu obtenir des informations par la suite sur l'auteur des

  5   dégâts infligés au minaret de la mosquée ?

  6   R.  Non, car cela a eu lieu le 7 mai, lorsqu'il y avait des combats sur la

  7   colline Cabrat, qui se trouve dans la partie occidentale de la ville. Des

  8   combats avaient lieu entre l'UCK et les forces serbes. De ce fait, plus de

  9   100 personnes ont été tuées. Une centaine de maisons ont été incendiées, et

 10   plus de 300 personnes arrêtées.

 11   Q.  La colline Cabrat, se trouve-t-elle à proximité de la mosquée ou dans

 12   un quartier différent ?

 13   R.  Ce n'est pas loin de chez moi. A vol d'oiseau, à 300 mètres.

 14   Q.  Comment saviez-vous que ces personnes ont été tuées dans les combats ?

 15   R.  Trois des personnes tuées et deux des personnes arrêtées étaient des

 16   fils de mon oncle, à savoir les trois personnes tuées. Deux des personnes

 17   arrêtées comprennent mon frère, et le fils de mon oncle a également été

 18   arrêté dans la rue. Ils ont été expulsés des maisons dans lesquelles ils

 19   résidaient, et ceux qui n'étaient pas séparés de la colonne de personnes,

 20   les personnes âgées, ont continué en direction de l'Albanie. Mais les

 21   jeunes ont été arrêtés devant le bâtiment de l'assemblée municipale, et

 22   plus de 300 personnes ont été emmenées dans la banlieue de la ville,

 23   étaient emmenés dans un atelier de menuisier dans lequel ils ont été

 24   détenus pendant six jours.

 25   155 des 300 personnes se sont retrouvées incarcérées dans la prison

 26   de Peja. Pendant six jours, on ne leur a donné aucune nourriture ou on leur

 27   a donné insuffisamment de nourriture : deux tranches de pain pendant 36

 28   heures et très peu d'eau. Lorsqu'au bout de six jours ils étaient

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  1   affaiblis, on les a emmenés à la prison de Peja.

  2   Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que la pièce P823 soit affichée à

  3   l'écran. Il s'agit d'une carte.

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] J'aimerais poursuivre pendant quelques

  5   instants pour vous brosser un tableau complet.

  6   De la prison de Peja, ces personnes ont été transférées à la prison de

  7   Dubrava. 26 des 155 détenus ont été tués. On les a tués par arme à feu, à

  8   l'exception des deux personnes qui ont été tuées dans un bombardement. Le

  9   reste a été exécuté par le personnel de la prison de Dubrava. Il s'agit de

 10   gardiens de prison serbes qui ont abattu ces personnes.

 11   Q.  Monsieur le Témoin, je vais vous arrêter maintenant car nous avons très

 12   peu de temps à notre disposition et je sais que vous avez beaucoup

 13   d'informations à fournir au Tribunal. Mais la Chambre dispose de votre

 14   déposition et nous n'avons pas le temps d'en revoir tous les aspects.

 15   Mme KRAVETZ : [interprétation] Pourrions-nous afficher à l'écran la pièce

 16   823. Il s'agit d'une carte. Il s'agit d'un plan de la ville de Djakovica.

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne vois pas le plan.

 18   Mme KRAVETZ : [interprétation]

 19   Q.  Ça devrait apparaître à l'écran.

 20   Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que l'huissier aide le témoin

 21   afin d'indiquer de marquer à l'aide du stylet électronique.

 22   Q.  Pouvez-vous nous indiquer sur le plan où se trouvait le quartier Blloku

 23   i Ri ? Pouvez-vous, à l'aide du chiffre romain VII nous indiquer l'endroit

 24   où vous vous cachiez ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  Pouvez-vous également nous dire où vous vous trouviez au moment des

 27   événements que vous avez décrits et l'indiquer par un X ?

 28   R.  Oui.

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  1   Q.  Pourriez-vous nous indiquer la maison du médecin en indiquant un X et

  2   pourriez-vous nous indiquer également où se trouvaient les maisons

  3   incendiées ? Pourriez-vous également nous indiquer le quartier Hadum, celui

  4   que vous avez évoqué à la date du 5 avril ? Vous le voyez à l'écran.

  5   Pouvez-vous dessiner un cercle autour de ce quartier ?

  6   R.  C'est ici.

  7   Q.  Pouvez-vous dessiner un cercle plus large afin que nous identifiions le

  8   quartier que vous avez évoqué ?

  9   R.  C'est ça.

 10   Q.  Pourriez-vous nous indiquer où se situent les magasins et les maisons

 11   qui ont été incendiés que vous avez évoqués si la carte vous permet de le

 12   faire.

 13   R. S'il s'agit de la mosquée, ma maison devrait se trouver aux environs de

 14   cet emplacement.

 15   Q.  Pouvez-vous dessiner le chiffre 1 à l'emplacement de votre maison ?

 16   R.  [Le témoin s'exécute] 

 17   Q.  Vous avez indiqué la mosquée. Pouvez-vous apposer le chiffre 2 à

 18   l'emplacement de la mosquée.

 19   R.  S'il s'agit bien de cela, je n'en suis pas certain.

 20   Q.  Vous avez évoqué les magasins, les maisons. Où se trouvent-ils par

 21   rapport à votre maison ?

 22   R.  Si la rue est celle-ci, tout ça se trouvait le long de la rue jusqu'à

 23   cet endroit-là.

 24   Q.  On ne voit rien si vous ne dessinez pas sur la carte.

 25   R.  La rue est indiquée en rouge mais effectivement, je vais dessiner un

 26   trait et elle continue au-delà de la mosquée.

 27   Q.  Vous dites que les magasins et les maisons se trouvaient le long de

 28   cette rue que vous avez marquée en rouge ?

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  1   R.  Oui. Des deux côtés de la rue.

  2   Q.  Pourriez-vous -- merci au témoin qui a dessiné la rue sur laquelle les

  3   magasins et les maisons ont brûlé, ainsi qu'un cercle autour du quartier de

  4   Hadum.

  5   Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que la carte soit versée au

  6   dossier.

  7   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous l'admettons.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agit de la pièce portant la cote

  9   P1069.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Cette rue s'appelle la rue Ishmajl Qamali

 11   [phon].

 12   Q.  Je vous remercie.   

 13   Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai plus de

 14   questions pour le témoin.

 15   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

 16   Mme O'LEARY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 17   Contre-interrogatoire par Mme O'Leary : 

 18   Q.  [interprétation] Bonsoir, Monsieur Haxhibeqiri. Je m'appelle Marie

 19   O'Leary et je représente la Défense de M. Djordjevic et j'ai avec moi Me

 20   Djordjevic ainsi que Me Popovic.

 21   J'ai deux ou trois questions, des points d'éclaircissement.

 22   Tout d'abord, je souhaitais en savoir davantage pour ce qui est du Conseil

 23   de défense des droits de l'homme et des libertés à Gjakove. Il me semble

 24   que cette organisation fonctionne toujours ?

 25   R.  Non. Nous avons de nombreux projets devant nous, mais la nature de

 26   notre travail, en fait, nous avons une charge de travail moindre et

 27   l'intérêt est moindre. Nous ne travaillons pas sur les mêmes questions.

 28   Q.  Donc vous participez à ces activités de façon plus sporadique; est-ce

Page 6950

  1   exact ?

  2    R.  Oui, c'est exact.

  3   Q.  Alors je vais faire référence au CDHRF, votre organisation. Quand cette

  4   organisation a-t-elle été fondée ?

  5   R.  Si je ne me trompe, en 1991.

  6   Q.  Êtes-vous un membre fondateur de cette organisation ?

  7   R.  Non. J'ai rejoint l'organisation vers la fin de 1995.

  8   Q.  Vous avez participé aux activités d'organisation de 1995 à 2001; est-ce

  9   exact ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  Vous avez été président de l'organisation pendant trois ans, de 1998 à

 12   2001 ?

 13   R.  Au début, je n'étais pas président, mais après la guerre,

 14   effectivement, je l'étais.

 15   Q.  Comment êtes-vous devenu président ? Est-ce qu'on se porte volontaire,

 16   est-ce qu'on est élu par les membres de l'organisation ?

 17   R.  Il s'agissait d'une élection. J'ai été élu président.

 18   Q.  Combien de membres comptait l'organisation à cette époque, environ ?

 19   R.  Trente-huit.

 20   Q.  Merci. Etes-vous toujours actif au sein de l'organisation lorsque c'est

 21   nécessaire ?

 22    R.  Le siège est à Pristina. Lorsqu'un projet démarre, par exemple,

 23   lorsque des élections générales sont organisées, nous participons à ces

 24   activités pendant les deux mois précédant la tenue des élections.

 25   Dans ce cas, je fais appel au personnel. Evidemment, il s'agit de

 26   projets particuliers, car sinon, j'ai mes propres activités. Pour

 27   l'essentiel, il s'agit de participer à la préparation d'élections au niveau

 28   national.

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  1   Q.  Qui décide de la participation à des projets ?

  2   R.  C'est le siège de l'organisation à Prishtina. Nous sommes un sous-

  3   conseil du conseil de Prishtina. 

  4   Q.  Merci.

  5   Mme O'LEARY : [interprétation] J'aimerais que l'on affiche à l'écran votre

  6   déclaration qui porte la cote 1068. Pourrions-nous avoir la page 2 de la

  7   version anglaise qui est, je crois, la page 2 également de la version

  8   albanaise.

  9   Q.  J'aimerais revenir un peu aux objectifs que vous avez évoqués,

 10   objectifs de l'organisation, notamment en 1998 et 1999. Dans la version

 11   anglaise - attendons un instant que la version albanaise apparaisse, au

 12   paragraphe 3, vous nous dites que :

 13   "Les objectifs de l'organisation sont de recueillir des informations, des

 14   données et des éléments de preuve concernant des abus de droits de

 15   l'homme." Est-ce exact ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  S'agissait-il d'abus à l'encontre de citoyens de souche albanais ou ces

 18   abus concernaient-ils tous les groupes ethniques ?

 19   R.  Uniquement les Albanais de souche.

 20   Q.  S'il s'agissait, entre autres, des objectifs de l'organisation, quels

 21   étaient les autres objectifs de l'organisation, donc outre la collecte

 22   d'éléments de preuve, de données et d'informations sur les abus en 1998 et

 23   1999 ?

 24   R.  L'activité principale concernait le recueil d'informations exactes

 25   concernant la violation des droits de l'homme qui avait lieu dans notre

 26   municipalité.

 27   Q.  J'aimerais avoir un éclaircissement. A partir de votre déposition, il

 28   s'agit uniquement de violations des droits de l'homme concernant les

Page 6952

  1   Albanais de souche; est-ce exact ?

  2   R.  Oui. Uniquement les droits de l'homme des Albanais, car seuls des

  3   Albanais de souche faisaient état de violations. Nous ne recevions aucun

  4   état de violations de la part d'autres groupes ethniques. En partie, les

  5   Rom, bien qu'il s'agissait là d'une minorité.

  6   Q.  J'aimerais revenir un peu sur les entretiens et comment ils étaient

  7   menés. Tout d'abord, ces entretiens étaient menés en lien avec l'ICG; est-

  8   ce exact ?

  9   R.  Cette déposition a été recueillie pour le Tribunal pénal international

 10   pour l'ex-Yougoslavie.

 11   Q.  C'est exact. Pardonnez-moi. J'ai été un peu trop vite.

 12   Mme O'LEARY : [interprétation] La page 7 de la version anglaise.

 13   Q.  Vous nous dites que suite à des entretiens menés auprès de plus de 1

 14   000 personnes à Gjakove, vous avez participé également au Groupe de crise

 15   internationales; est-ce exact ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Vous avez dit que plus de 1 000 personnes avaient été interrogées à

 18   Gjakove et que vous-même, vous aviez personnellement interrogé environ 1

 19   000 [comme interprété] personnes ?

 20   R.  C'est exact. Nous étions dix ou 11 à mener des entretiens, et chacun

 21   d'entre nous interrogions des personnes selon un découpage territorial de

 22   quartiers ou de villages.

 23   Q.  Lorsque vous dites vos "zones respectives," voulez-vous dire

 24   géographiquement ou professionnellement ?

 25   R.  D'un point de vue géographique.

 26   Q.  Est-ce que ce type de couverture s'appliquait à l'ensemble du Kosovo ou

 27   uniquement à Djakovica ?

 28   R.  Uniquement pour Gjakove.

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  1   Q.  Donc 1 000 entretiens ont été menés dans la municipalité de Gjakove, et

  2   vous indiquiez que vous avez lu tous ces 1 000 entretiens ou vous

  3   connaissez les informations qu'elles contiennent ?

  4   R.  Oui, pratiquement toutes.

  5   Q.  Pourquoi avez-vous lu les 900 autres rapports d'entretien ? Est-ce que

  6   vous souhaitiez établir une synthèse à partir de ces informations ?

  7   R.  Il s'agissait d'obtenir des informations concernant la municipalité

  8   dans son ensemble afin de pouvoir compiler des statistiques concernant les

  9   personnes tuées, arrêtées, détenues, car les crimes n'étaient pas étayés

 10   d'éléments de preuve. Certains étaient encore non résolus ou inconnus car

 11   on nous rapportait des cadavres de Batajnica, et encore aujourd'hui nous

 12   avons des personnes disparues.

 13   Q.  Lorsque vous dites - il y a quelques lignes dans le compte rendu

 14   d'audience - vous dites que "les personnes arrêtées et mises en détention

 15   étaient albanaises de souche et que c'était la raison de leur détention."

 16   Mais n'y a-t-il pas eu des Serbes mis en détention ?

 17   R.  Nous ne parlons que des Albanais de souche, parce que si on était

 18   Albanais de souche, on était persécuté, on était roué de coups et on

 19   subissait les pires exactions en raison du simple fait qu'on était

 20   Albanais.

 21   Q.  Avez-vous effectué un travail de recherche ou avez-vous mené des

 22   enquêtes auprès de Serbes placés en détention qui auraient pu avoir été les

 23   auteurs de tels actes ?

 24   R.  J'ai enregistré tous les éléments de preuve apportés par les gens qui

 25   venaient me voir dans mon bureau, et dans mon bureau, il n'y a pas un seul

 26   Serbe qui est venu rendre compte de quoi que ce soit.

 27   Q.  Donc, apparemment, ils ont recueilli des informations par deux voies

 28   différentes. D'une part, certaines personnes venaient vous voir à la porte

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  1   de votre bureau, et une deuxième façon consistait pour vous à sortir de

  2   votre bureau pour vous rendre sur le terrain, si j'ai bien lu ce qui figure

  3   au compte rendu d'audience et que vous avez dit aujourd'hui. Quand vous

  4   alliez sur le terrain -- vous y alliez, n'est-ce pas ?

  5   R.  Oui, c'est exact. Lorsque nous allions sur le terrain, il nous arrivait

  6   de rencontrer des Serbes qui avaient été blessés, mais la police et l'armée

  7   serbe nous interdisait de nous approcher de ces gens-là, car ils ne

  8   reconnaissaient pas l'existence de notre conseil des droits de l'homme et

  9   des libertés.

 10   Q.  Quand vous étiez sur le terrain et quand vous alliez sur place

 11   interroger les gens, comment choisissiez-vous les personnes que vous

 12   souhaitiez interroger ?

 13   R.  Il y avait avec nous un représentant du Groupe de crise international

 14   quand nous allions sur le terrain, et ce représentant nous guidait. C'est

 15   lui qui nous remettait les formulaires et nous indiquait les questions à

 16   poser, puisque c'est en nous fondant sur ce que contenait le questionnaire

 17   que nous procédions à nos interrogatoires. Nous déterminions les villages

 18   où nous allions interroger des gens, et eux nous aidaient à mener à bien

 19   ces interrogatoires.

 20   Dans les villages où nous nous sommes rendus, il ne restait que très

 21   peu d'habitants, car ces villages avaient été incendiés. Mais les personnes

 22   que nous avons rencontrées lors de nos visites dans ces villages, nous les

 23   avons interrogées, et toutes ces personnes nous ont raconté leur histoire.

 24   La majorité des habitants de ces villages avaient été expulsés de leurs

 25   domiciles et envoyés vers l'Albanie, et n'étaient pas rentrés dans leurs

 26   villages, car il n'y avait plus de maisons où ils auraient pu se loger dans

 27   ces villages.

 28   Q.  Donc c'est le Groupe de crise international qui déterminait

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  1   quelles étaient les personnes à interroger, n'est-ce pas ? Vous hochez du

  2   chef affirmativement ?

  3   R.  Oui, oui.

  4   Q.  Disposiez-vous de listes de noms bien précises lorsque vous alliez dans

  5   les villages ? Ou bien, est-ce que vous consigniez des noms par écrit une

  6   fois que vous aviez rencontré les personnes qui se trouvaient encore là ?

  7   R.  Non, c'était simplement des gens que nous rencontrions. Ces personnes

  8   étaient très peu nombreuses et avaient le sentiment d'être des victimes

  9   puisqu'elles avaient subi toutes sortes d'exactions. Leurs maisons avaient

 10   été incendiées. Sur les 84 villages composant notre municipalité, plus de

 11   60 de ces hameaux avaient été incendiés à plus de 90 %.

 12   Q.  Je suppose que les statistiques que vous venez de citer vous ont été

 13   fournies par votre organisation ?

 14   R.  Non. C'est la municipalité qui m'a remis ces statistiques détaillées.

 15   Nous avons aussi reçu quelques statistiques de l'Association de Mère

 16   Térésa.

 17   Q.  Le Groupe de crise international vous a-t-il dispensé une espèce de

 18   formation à la façon dont se mènent des entretiens avant que vous n'alliez

 19   sur le terrain pour pratiquer ces entretiens ?

 20   R.  Oui, quelques jours avant que nous ne prenions la route. Oui.

 21   Q.  De quoi se composait cette formation ?

 22   R.  Oui. Il y avait des avocats qui nous ont enseigné la façon dont se

 23   menait un entretien. Mais de notre côté, nous avions aussi cinq ou six

 24   avocats de profession.

 25   Q.  Vous a-t-on conseillé de chercher à obtenir des éléments précis dans

 26   les réponses que ces personnes allaient vous faire ?

 27   R.  Oui, mais l'élément de base, c'était le questionnaire. Nous avons reçu

 28   pour consignes de nous en tenir au questionnaire.

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  1   Q.  D'accord. Et ce questionnaire, lorsque vous le complétiez au fur et à

  2   mesure de ce que ces personnes vous disaient, c'est bien ce que vous

  3   faisiez, n'est-ce pas, durant les entretiens ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Est-ce que vous consigniez par écrit les propos de ces personnes repris

  6   littéralement par vous ? Ou est-ce que vous paraphrasiez ce que ces

  7   personnes vous avaient dit ?

  8   R.  Dans certains cas nous consignions par écrit littéralement ce que ces

  9   personnes avaient dit. La plupart des éléments que nous consignions par

 10   écrit étaient tout à fait authentiques, car repris littéralement de la

 11   bouche des personnes qui les avaient exposés --

 12   Q.  Et vous avez dit que --

 13   R.  Donc nous mettions par écrit les mots exacts que les témoins avaient

 14   prononcés.

 15   Q.  Et cela se faisait manuellement, n'est-ce pas ? De façon manuscrite ?

 16   R.  Oui. Oui, oui, tout cela était manuscrit.

 17   Q.  Vous rappelez-vous, puisque vous avez rempli pas mal de ces

 18   formulaires, vous rappelez-vous les questions qui figuraient sur ces

 19   formulaires ?

 20   R.  Oui. Ces questions couvraient l'ensemble des actes criminels possibles.

 21   Finalement, ce que nous demandions à toutes ces personnes, c'était : Est-ce

 22   que votre maison était incendiée ? Est-ce que vous avez été roué de coups ?

 23   Est-ce que vous avez été insulté ? Est-ce que l'un ou l'autre des membres

 24   de votre famille a été tué ? Est-ce que vous avez été placé en détention

 25   vous-même ou les membres de votre famille ? Est-ce que quelqu'un aurait été

 26   violé ? Est-ce que vous avez été chassé de votre domicile ?

 27   Q.  La première question figurant sur ce formulaire

 28   était-elle : Etes-vous prêt, oui ou non, à témoigner au Tribunal de La Haye

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  1   ?

  2   R.  Oui. Oui, oui.

  3   Q.  Ensuite, les questions portaient sur les diverses catégories de crimes

  4   possibles pour lesquels ces personnes vous disaient qu'elles en avaient été

  5   victimes ou témoins oculaires, n'est-ce pas ?

  6   R.  Oui. Est-ce que votre maison a été incendiée ? Qui vous a mis à la

  7   porte de votre domicile ? Etait-ce la police ou les paramilitaires ou les

  8   soldats de l'armée ? Et si c'était la police, qui était les officiers de

  9   police responsables ?

 10   Donc voilà les questions les plus courantes que nous leur posions.

 11   Mais beaucoup de temps s'est écoulé depuis, donc je n'ai plus un souvenir

 12   précis de chacune des questions.

 13   Q.  C'est tout à fait compréhensible. Lorsque ces personnes étaient

 14   interrogées au sujet des auteurs des crimes, vous répondaient-elles, par

 15   exemple l'armée yougoslave, la police, les paramilitaires ou des civils ?

 16   R.  Les paramilitaires, c'est exact.

 17   Q.  Y avait-il d'autres réponses possibles s'agissant de déterminer les

 18   auteurs des crimes ?

 19   R.  Voyons un peu. Nous demandions à ces personnes, A quel moment avez-vous

 20   quitté votre village; à quel moment avez-vous été expulsés; a-t-on déchiré

 21   vos papiers d'identité. La majeure partie de ces personnes envoyées vers

 22   l'Albanie se sont vues retirer leurs papiers d'identité qui ont été brûlés.

 23   Q.  Monsieur Haxhibeqiri --

 24   R.  Les papiers étaient brûlés sous les yeux des personnes qui étaient

 25   envoyées vers la frontière albanaise.

 26   Q.  D'accord. Nous avons pas mal de sujets à voir, manifestement vos sujets

 27   que vous avez déjà évoqués dans votre déclaration écrite. J'aimerais que

 28   nous avancions point par point et je me demandais s'il y avait simplement

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  1   d'autres options que les quatre qui sont énumérées, s'agissant de

  2   déterminer les auteurs des crimes commis. Vous vous rappelez ma question ?

  3   R.  Oui. Vous avez parlé de civils, il y a quelques instants.

  4   Q.  Oui. Je suppose que telles étaient bien les quatre catégories entre

  5   lesquelles se faisait le choix des personnes interrogées ?

  6   R.  Je ne me souviens plus exactement, mais vous avez le questionnaire sous

  7   les yeux, vous pouvez nous le dire.

  8   Q.  En fait, je n'ai pas le questionnaire sous les yeux. C'est justement le

  9   problème. C'est pourquoi je vous pose la question.

 10   R.  Je peux vous en apporter un exemplaire demain, si vous le souhaitez. 

 11   Q.  Ce serait --

 12   R.  Bien sûr, je peux faire ça.

 13    Q.  Je me fonde, en fait, sur votre déposition dans l'affaire Milutinovic,

 14   où vous avez parlé de ce formulaire, Monsieur Haxhibeqiri.

 15   Mme O'LEARY : [interprétation] En page 1 242 du compte rendu d'audience, si

 16   quelqu'un souhaite la référence exacte.

 17   Q.  Je le fais en lieu et place de la consultation du formulaire, car je ne

 18   l'ai pas sous les yeux en ce moment.

 19   Encore une question, si vous voulez bien. Savez-vous qui a rédigé ce

 20   formulaire que vous utilisiez ?

 21   R.  C'est le Groupe de crise internationale, comme je l'ai déjà dit.

 22   Q.  Je vous remercie.

 23   Mme O'LEARY: [interprétation] Monsieur le Président, je crois que nous

 24   allons maintenant passer à un nouveau sujet.

 25   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Cela semble un très bon moment pour

 26   suspendre.

 27   Mme O'LEARY: [interprétation] Je vous remercie.

 28   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous allons maintenant suspendre pour

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  1   la soirée, Monsieur Haxhibeqiri, et nous reprendrons nos débats demain à 14

  2   heures 15, si je ne m'abuse. Un représentant du Tribunal va vous aider pour

  3   la suite de votre soirée, Monsieur, et nous entendrons la suite de votre

  4   déposition demain.

  5   --- L'audience est levée à 19 heures 00 et reprendra le mardi 7 juillet

  6   2009, à 14 heures 15.

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