Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mercredi 23 février 2011

  2   [Jugement]

  3   [Audience publique]

  4   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 16.

  6   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre de première instance s'est

  7   réunie aujourd'hui pour rendre son jugement dans l'affaire le Procureur

  8   contre Vlastimir Djordjevic.

  9   Au cours de la présente audience, la Chambre de première instance résumera

 10   brièvement la procédure en l'espèce, mais nous tenons à souligner qu'il

 11   s'agit uniquement d'un résumé. Seul fait autorité l'exposé des

 12   constatations et conclusions de la Chambre de première instance que l'on

 13   trouve dans le jugement écrit, dont des copies seront disponibles à l'issue

 14   de l'audience.

 15   L'accusé, Vlastimir Djordjevic, est accusé d'avoir participé aux crimes

 16   commis par les forces serbes, notamment l'armée, la VJ, et la police, le

 17   MUP, contre les Albanais du Kosovo au Kosovo en 1999, plus particulièrement

 18   de mars à juin 1999.

 19   Il est allégué dans l'acte d'accusation que les forces serbes ont

 20   systématiquement pilonné des villes et des villages, incendié des

 21   habitations et des fermes, assassiné plus de 800 hommes, femmes et enfants

 22   albanais du Kosovo, endommagé ou détruit des édifices religieux et

 23   culturels albano-kosovar et ont fait subir des violences sexuelles aux

 24   femmes albanaises du Kosovo. Il est aussi allégué que ces agissements ont

 25   abouti à l'expulsion d'environ 800 000 Albanais du Kosovo obligés de

 26   quitter ce territoire.

 27   Ces allégations étayent les cinq chefs de crime contre l'humanité et

 28   violation des lois et coutumes de la guerre exposés dans l'acte


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  1   d'accusation. Il y est allégué que l'accusé est responsable d'expulsion, de

  2   transfert forcé, deux chefs de meurtre et assassinat, l'un étant qualifié

  3   de violation des lois et coutumes de la guerre, l'autre de crime contre

  4   l'humanité et de persécution.

  5   Lors de la période couverte par l'acte d'accusation, l'accusé occupait les

  6   fonctions de ministre adjoint du MUP. Le ministère de l'Intérieur serbe

  7   sera dénommé ci-après le MUP ou le ministère.

  8   L'accusé occupait le poste de chef de la sécurité publique, le RJB, au sein

  9   de ce ministère. C'est un poste qui peut être rapproché de celui de chef

 10   des forces de police d'un grand nombre de pays. Il détenait le grade de

 11   général, c'est-à-dire le grade le plus élevé du MUP. C'est l'équivalent, en

 12   France, d'un général cinq étoiles. Il est allégué qu'en tant que chef de la

 13   sécurité publique, il commandait et avait le contrôle effectif de

 14   différentes forces, plus particulièrement des Unités spéciales de la

 15   police, les PJP, et de l'unité spéciale antiterroriste, la SAJ, de la

 16   police, ainsi que des forces de police de réserve et d'active, des groupes

 17   de volontaires et d'autres unités opérant de concert avec la police.

 18   L'accusé doit répondre au titre de l'article 7(1) du Statut du Tribunal de

 19   crimes qu'il aurait planifiés, incité à commettre, ordonnés ou aidés et

 20   encouragés.

 21   L'accusé doit aussi répondre, au titre de l'article 7(1), d'avoir commis

 22   ces cinq crimes dans le cadre d'une entreprise criminelle commune, une ECC,

 23   qui aurait visé à modifier l'équilibre ethnique du Kosovo afin que les

 24   Albanais du Kosovo ne soient plus majoritaires, ce qui aurait permis de

 25   maintenir cette province sous le contrôle serbe.

 26   D'après l'acte d'accusation, l'accusé est également tenu responsable, au

 27   regard de l'article 7(3) du Statut, de n'avoir pas empêché les crimes

 28   commis par les policiers sous son commandement et de ne pas avoir pris les


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  1   mesures nécessaires pour les punir.

  2   L'accusé a fait l'objet d'un premier acte d'accusation en 2003 dressé

  3   contre lui, le général Nebojsa Pavkovic, le général Vladimir Lazarevic et

  4   le général des forces de police, Sreten Lukic. L'affaire a ensuite fait

  5   l'objet d'une jonction d'instance afin d'être regroupée avec l'affaire

  6   Milan Milutinovic, président de la Serbie; Nikola Sainovic, vice-premier

  7   ministre de la République fédérale de Yougoslavie, ou RFY; et le général de

  8   l'armée de terre, Dragoljub Ojdanic. Le procès de ces six personnes a

  9   commencé en 2006, mais l'affaire en l'espèce a été retardée car l'accusé

 10   était en fuite. Il a finalement été arrêté le 17 juin 2007 au Monténégro et

 11   transféré à La Haye.

 12   Il a plaidé non coupable de tous les chefs de l'acte d'accusation et a dû

 13   faire l'objet d'un procès séparé, qui a commencé le 27 janvier 2009. Cette

 14   affaire a été longue et complexe. La Chambre de première instance a entendu

 15   la déposition de plus de 140 témoins et a versé au dossier quelque 2 500

 16   pièces à conviction, comprenant de nombreux ordres et rapports du MUP et la

 17   VJ, ainsi que des procès-verbaux de réunions de dirigeants politiques,

 18   militaires et policiers de Serbie.

 19   Afin que le Tribunal ait compétence pour juger des crimes reprochés à

 20   l'accusé, l'Accusation doit d'abord prouver que le Kosovo, à l'époque,

 21   était bel et bien le théâtre d'un conflit armé. En ce qui concerne les

 22   crimes contre l'humanité, l'Accusation doit prouver que les crimes allégués

 23   ont été commis dans le cadre d'une campagne de violence systématique et

 24   généralisée visant la population civile. Du fait de raisons énoncées de

 25   façon détaillée dans le jugement écrit, la Chambre de première instance est

 26   convaincue qu'à la fin mai 1998, un conflit armé existait au Kosovo entre

 27   les forces serbes, notamment la VJ et le MUP, et les forces habituellement

 28   appelées Armée de libération du Kosovo, l'UCK. Ce conflit armé a perduré au


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  1   moins jusqu'en juin 1999.

  2   De plus, le 24 mars 1999, les forces de l'OTAN ont lancé une opération

  3   militaire contre la République fédérale de Yougoslavie. La Chambre de

  4   première instance est donc aussi convaincue que du 24 mars 1999 jusqu'à la

  5   fin des hostilités en juin 1999, un conflit armé international existait bel

  6   et bien au Kosovo entre les forces serbes et les forces de l'OTAN.

  7   Ayant pris en compte, entre autres, l'envergure des destructions et des

  8   dégâts infligés aux biens civils des Albanais du Kosovo, le nombre de

  9   pertes civiles et les déplacements des Albanais du Kosovo sur ce territoire

 10   en 1998 et 1999, la Chambre de première instance est convaincue que les

 11   crimes allégués ont bien été commis dans le cadre d'un conflit armé associé

 12   à une campagne de violence systématique et généralisée visant la population

 13   de civils albanais du Kosovo.

 14   Donc les conditions préliminaires mentionnées à l'article 3, pour violation

 15   des lois ou coutumes de guerre, et à l'article 5, crimes contre l'humanité,

 16   du Statut ont été prouvées.

 17   Le chapitre IV [comme interprété] du jugement, qui commence tout

 18   naturellement le 24 mars 1999, décrit en détail la campagne

 19   systématiquement engagée contre de nombreux bourgs, villages et autres

 20   endroits du Kosovo. Un exemple pour illustrer cette campagne de violence :

 21   à l'aube, les forces de la VJ et du MUP se rapprochent d'un bourg, d'un

 22   village ou d'un tout autre endroit, la VJ utilise ses chars, ses blindés et

 23   son artillerie lourde pour pilonner les zones résidentielles, obligeant de

 24   la sorte les civils albanais du Kosovo à fuir en abandonnant leurs maisons.

 25   Les forces serbes, la plupart du temps les forces de police, entrent

 26   ensuite à pied dans l'agglomération et, en règle générale, se livrent au

 27   pillage des biens et à l'incendie des maisons. A plusieurs reprises

 28   d'ailleurs, suite à ces agissements, les forces de la VJ et du MUP ont


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  1   ensuite donné ordre à la population entière de quitter les lieux en se

  2   livrant parfois à des sévices physiques et au pillage.

  3   Dans un grand nombre de ces zones, après le pilonnage initial par la VJ,

  4   les forces serbes, qui ont à plusieurs reprises été identifiées comme étant

  5   des forces du MUP, ont pris contact ensuite avec les résidents et ont

  6   systématiquement séparé les hommes des femmes et des jeunes enfants. Ils

  7   ont ordonné aux femmes et aux enfants de partir pour l'Albanie et, en règle

  8   générale, ont tué tous les hommes, en les ayant d'abord divisés en petits

  9   groupes, chaque petit groupe étant emmené dans un endroit isolé.

 10   Un grand nombre de résidents et de personnes déplacées qui avaient

 11   assisté à la destruction de leurs biens ainsi qu'aux meurtres commis par

 12   les forces serbes ont décidé de leur propre chef de quitter leurs bourgs,

 13   villages ou villes en nombre, craignant pour leurs vies. Les forces serbes

 14   ont coordonné cet exode de résidents albanais du Kosovo en organisant

 15   souvent les transports par rail ou par route, en s'assurant la plupart du

 16   temps que ces gens atteignaient et surtout traversaient la frontière de

 17   l'Albanie ou de l'ex-République yougoslave de Macédoine. De longs convois

 18   d'Albanais du Kosovo se sont formés en direction de l'Albanie ou de la

 19   Macédoine dans tout le Kosovo pour traverser la frontière une fois celle-ci

 20   atteinte. Un certain nombre d'Albanais du Kosovo ont même traversé la

 21   frontière pour se rendre au Monténégro.

 22   La Défense a fait valoir qu'à l'époque, différentes raisons guidaient

 23   les gens à quitter le Kosovo, y compris l'état de guerre entre la RFY et

 24   l'OTAN, les bombardements de l'OTAN, les combats entre l'UCK et les forces

 25   serbes, les sanctions et les conditions de guerre qui prévalaient à

 26   l'époque, les évacuations et les déplacements de population délibérés

 27   dirigés par l'UCK. La Défense a aussi affirmé que la population non

 28   albanaise du Kosovo quittait aussi ce territoire à un même rythme.


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  1   Pour déterminer si le crime d'expulsion et de transfert forcé est

  2   avéré, la Chambre de première instance a fondé ses constatations sur les

  3   circonstances entourant la façon dont les résidents ont quitté les bourgs,

  4   villes et villages dans les 13 municipalités visées à l'acte d'accusation.

  5   Ces éléments de preuve ont permis à la Chambre de première instance de se

  6   convaincre que les crimes d'expulsion et de transfert forcé étaient bel et

  7   bien avérés pour 60 lieux bien précis énumérés dans le jugement écrit.

  8   En ce qui concerne ces lieux pour lesquels les crimes d'expulsion et

  9   de transfert forcé ont été avérés, les éléments n'ont pas montré que les

 10   résidents fuyaient les bombardements de l'OTAN ou les combats entre les

 11   forces serbes et l'UCK, ou qu'ils partaient à cause des sanctions ou des

 12   conditions de guerre, comme l'avançait la Défense.

 13   Au contraire, les éléments de preuve démontrent, et ceci est

 14   amplement exposé dans le jugement écrit, que les Albanais du Kosovo ont

 15   quitté le Kosovo soit parce que les forces serbes leur en avaient donné

 16   l'ordre, soit parce que le comportement des forces serbes les y ont

 17   obligés, particulièrement en les pilonnant, en leur tirant dessus, en les

 18   assassinant, en incendiant leurs maisons ou d'autres bâtiments de leurs

 19   villages, bourgs ou villes.

 20   Certains paramètres, comme les bombardements de l'OTAN ou les combats

 21   entre les forces serbes et l'UCK, ont pu avoir une incidence sur l'état

 22   d'esprit de certains Albanais du Kosovo. Néanmoins, la raison principale et

 23   impérieuse qui a poussé les Albanais du Kosovo à quitter leurs foyers, et

 24   souvent d'ailleurs à quitter le Kosovo, était la campagne systématique de

 25   violence et de terreur engagée par les forces serbes contre les civils

 26   albanais du Kosovo.

 27   Il faut noter à cet égard que la plupart du temps, les Albanais du

 28   Kosovo qui traversaient la frontière pour quitter le territoire se voyaient


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  1   dépouillés de leurs documents d'identité et de leurs plaques

  2   d'immatriculation par la police serbe ou la VJ. Si les Albanais du Kosovo

  3   s'étaient enfuis à cause des bombardements de l'OTAN ou des combats entre

  4   les forces serbes et l'UCK ou d'autres, il est difficile de comprendre

  5   pourquoi ces réfugiés albanais du Kosovo se seraient vus confisquer leurs

  6   documents d'identité.

  7   Les éléments de preuve apportés par le général Karol John

  8   Drewienkiewicz et le colonel Richard Ciaglinski, deux officiers

  9   britanniques, sont éloquents. Ils ont observé des officiers du MUP en train

 10   de brûler des dizaines de milliers de documents d'identité dans une cour

 11   contiguë au bâtiment du MUP à Pristina/Prishtine les 12 et 13 juin 1999,

 12   c'est-à-dire juste avant la cessation des hostilités au Kosovo, alors que

 13   les forces serbes s'apprêtaient à quitter le territoire.

 14   Comme cela a été mentionné ci-dessus, la Chambre de première instance

 15   est donc convaincue que les crimes d'expulsion et de transfert forcé ont

 16   bien été avérés pour les 60 lieux consignés dans le jugement écrit. Ces

 17   lieux se trouvent répartis dans les 13 municipalités visées à l'acte

 18   d'accusation.

 19   Plus de 800 000 Albanais du Kosovo ont quitté ce territoire au cours

 20   de la période concernée par l'acte d'accusation, mais le procès en l'espèce

 21   ne traite que des personnes venant des villages, bourgs et lieux inscrits à

 22   l'acte d'accusation. Les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour

 23   chiffrer de façon fiable le nombre d'Albanais du Kosovo qui auraient été

 24   expulsés depuis ces lieux vers l'Albanie, la Macédoine, voire le

 25   Monténégro, entre le 24 mars 1999 et le 20 juin 1999. Les éléments de

 26   preuve permettent cependant d'estimer ce chiffre à plus de 200 000. Il

 27   s'agit néanmoins d'une estimation incomplète et extrêmement prudente. Le

 28   vrai chiffre est très certainement beaucoup plus élevé.


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  1   Dans l'acte d'accusation, Vlastimir Djordjevic est aussi présenté

  2   comme étant pénalement responsable du meurtre de centaines d'Albanais du

  3   Kosovo, y compris 840 personnes dont le nom est connu et qui sont

  4   mentionnées nommément dans les tableaux joints à l'acte d'accusation.

  5   La Chambre de première instance est convaincue que les accusations

  6   d'assassinat, telles qu'elles sont précisées dans l'acte d'accusation, ont

  7   été prouvées en ce qui concerne différents lieux mentionnés dans le

  8   jugement. Plus précisément, la Chambre a conclu que plus de 724 Albanais du

  9   Kosovo ont été assassinés par les forces serbes, la plupart du temps par

 10   les forces de police. Dans la majorité des cas, les victimes, qui

 11   comprenaient des femmes et des enfants, étaient des civils sans armes et ne

 12   participant d'aucune manière que ce soit au moindre conflit armé.

 13   Je tiens à souligner que le procès en l'espèce ne traite pas des

 14   membres de l'UCK tués par les forces serbes lors de combats. Certaines de

 15   ces personnes assassinées auraient pu être des membres de l'UCK, mais elles

 16   ont été tuées alors qu'elles étaient prisonnières des forces serbes, sans

 17   armes et dans l'impossibilité de participer à tout conflit armé. Aucune

 18   tentative d'identifier ou d'arrêter quiconque n'a été engagée, que ce soit

 19   aux fins d'enquête ou de poursuite éventuelle contre des terroristes ou des

 20   personnes suspectées de terrorisme.

 21   La Chambre de première instance tient aussi à faire remarquer qu'au vu des

 22   éléments de preuve présentés, il est clair que les crimes reprochés dans

 23   l'acte d'accusation ne sont que des exemples et ne sont absolument pas une

 24   liste exhaustive des crimes commis par les forces serbes, surtout les

 25   forces de la police, contre les Albanais du Kosovo dans le cadre de la

 26   campagne de violence systématique et généralisée précisée ci-dessous.

 27   A titre d'exemple, je vais vous en donner trois. Aux environs du 26 mars

 28   1999, environ 114 hommes et garçons, habitants d'un village de la


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  1   municipalité d'Orahovac/Rahovec, ont été obligés par la police de rentrer

  2   dans une étable du village. L'un des hommes était handicapé et sa chaise

  3   roulante a été utilisée par la police pour bloquer la porte d'entrée. Alors

  4   que tous ces hommes et ces garçons se trouvaient à l'intérieur de l'étable,

  5   la police les a abattus aux fusils automatiques. Ensuite, la police a

  6   répandu du carburant sur leurs corps, les a recouverts de maïs et a mis feu

  7   à l'étable.

  8   Autre exemple : plus de 45 membres d'une même famille ont été tués à Suva

  9   Reka/Suhareke par la police le 26 mars 1999. Certains ont été tués chez

 10   eux. Un couple âgé a été abattu alors qu'il essayait de s'enfuir. Et

 11   ensuite, les 35 membres restant de cette famille, principalement des femmes

 12   et de jeunes enfants, se sont réfugiés dans un café avoisinant. La police a

 13   jeté des grenades à main dans le café puis a ouvert le feu, tuant 32 femmes

 14   et enfants.

 15   Dans une autre ville, à Podujevo/Podujeve, dans la cour de leur maison, les

 16   forces serbes ont aligné et tiré sur 19 femmes et enfants, membres de deux

 17   familles, tuant 14 d'entre eux, femmes et enfants. Cinq des enfants ont

 18   survécu à cet événement, mais en ont gardé des séquelles graves, souvent

 19   permanentes.

 20   Ces exemples illustrent que ce comportement n'était pas celui d'une police

 21   chargée d'une opération visant à repérer et arrêter des terroristes.

 22   La Chambre de première instance est aussi convaincue que les crimes

 23   de transfert forcé, d'expulsion et d'assassinat avérés dans le jugement et

 24   détaillés dans celui-ci ont été commis dans l'intention d'exercer une

 25   discrimination envers la population albanaise du Kosovo du fait de leur

 26   appartenance ethnique.

 27   Il semble que nous avons un problème technique, qui vient d'être réparé.

 28   Nous pouvons reprendre.


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  1   La Chambre est aussi convaincue que le crime de persécution commis par le

  2   biais de la destruction délibérée des mosquées par les forces serbes a bel

  3   et bien été avéré. Ces mosquées ont été détruites lors de la campagne de

  4   violence systématique engagée par les forces serbes comprenant la

  5   destruction des monuments culturels et des édifices musulmans sacrés de la

  6   population albanaise du Kosovo.

  7   Bien que la Chambre ait constaté l'existence de violence sexuelle, il n'a

  8   pas été avéré que les auteurs avaient agi avec l'intention de discriminer.

  9   L'intention de discriminer est un élément essentiel qui doit être prouvé.

 10   Par conséquent, l'accusation de persécution commise par des violences

 11   sexuelles n'a pas été avérée.

 12   L'accusé n'a pas personnellement commis les crimes reprochés. Ces crimes

 13   ont été commis par des forces serbes, dont beaucoup étaient des membres de

 14   la police placés sous son commandement. Toutefois, le Procureur a allégué,

 15   en s'appuyant sur plusieurs éléments, que l'accusé était responsable

 16   pénalement pour la commission de ces crimes. Dans ce résumé, la Chambre va

 17   mentionner brièvement trois de ces éléments constitutifs pour la

 18   responsabilité pénale, à savoir l'entreprise criminelle commune, le fait

 19   d'aider et d'encourager les crimes et la responsabilité du supérieur

 20   hiérarchique.

 21   Dans l'acte d'accusation, une allégation fondamentale est dressée à

 22   l'encontre de l'accusé, à savoir qu'il a participé à une entreprise

 23   criminelle commune, ou encore, à un plan commun qui, comme cela a été

 24   indiqué un peu plus tôt, avait pour objectif allégué la modification de

 25   l'équilibre ethnique au Kosovo. Cet objectif devait être atteint par des

 26   moyens criminels s'inscrivant dans le cadre d'une campagne généralisée et

 27   systématique de terreur et de violence contre les Albanais du Kosovo et qui

 28   incluaient les crimes reprochés.


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  1   L'accusé a nié l'existence d'un tel plan commun fomenté par un groupe de

  2   personnes dont il faisait partie. La Défense avance que lorsque des crimes

  3   ont été commis au Kosovo pendant la période retenue par l'acte

  4   d'accusation, il s'agissait d'incidents isolés commis par des forcenés.

  5   Comme cela a été déjà mentionné, la Défense soutient que toute action

  6   coordonnée de la VJ et du MUP en 1998 et 1999 visait seulement les forces

  7   terroristes et était, de ce fait, légitime conformément au droit coutumier

  8   international.

  9   La Chambre n'a pas pu accepter ces arguments. Alors que des opérations qui

 10   ont abouti à la mort de certains Albanais du Kosovo aient pu être menées à

 11   bien sous couvert d'opérations antiterroristes et aient pu constituer l'un

 12   des objectifs, les moyens de preuve démontrent clairement et de façon

 13   catégorique que ces opérations ne se limitaient pas aux membres de l'UCK.

 14   La nature des crimes qui ont été avérés et les circonstances dans

 15   lesquelles ces crimes ont été commis prouvent de façon claire que la

 16   population albanaise du Kosovo était la cible de cette campagne.

 17   La Chambre de première instance a conclu qu'en règle générale, les

 18   opérations visaient à terroriser la population civile albanaise du Kosovo

 19   dans les villes, agglomérations et villages. Pour parvenir à cette fin,

 20   plusieurs moyens ont été utilisés, tels que le pilonnage de zones peuplées

 21   à l'aide d'armes lourdes; le fait que la population a été terrorisée par

 22   des menaces, des violences et des meurtres et assassinats; le fait que les

 23   biens des civils albanais du Kosovo ont été incendiés; et leurs villages

 24   détruits.

 25   La population civile, ou les membres de cette population qui n'avaient pas

 26   été tués ont souvent été contraints de quitter leurs foyers, villages ou

 27   villes. Dans la plupart des cas, ils ont été forcés de se joindre à

 28   d'autres pour être transportés de l'autre côté d'une frontière avoisinante


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  1   ou ils ont été contraints de joindre les colonnes de personnes déplacées

  2   que les forces serbes dirigeaient par-delà les frontières. L'ampleur et la

  3   coordination des actions des forces serbes confirment l'existence d'un plan

  4   commun. Le plan commun nécessitait l'accord et la participation des

  5   dirigeants politiques de la RFY et de la Serbie, des dirigeants de la VJ,

  6   notamment du corps présent au Kosovo, et des dirigeants du MUP, notamment

  7   de son état-major au Kosovo. Pour des raisons énoncées dans le jugement

  8   écrit, la Chambre est convaincue que les personnes exerçant ces fonctions

  9   ont agi de concert afin de mettre en œuvre l'entreprise criminelle commune.

 10   Parmi le noyau dur de ce groupe de personnes, la branche politique

 11   comprenait Slobodan Milosevic, président de la République fédérale de

 12   Yougoslavie; ainsi que Nikola Sainovic, vice-premier ministre de la RFY et

 13   responsable du Kosovo. Les membres du MUP qui faisaient partie de

 14   l'entreprise criminelle commune incluaient Vlajko Stojiljkovic, ministre de

 15   l'Intérieur; l'accusé, Vlastimir Djordjevic, chef du RJB; Radomir Markovic,

 16   chef du département chargé de la Sûreté de l'Etat; et Sreten Lukic, chef de

 17   l'état-major du MUP pour le Kosovo.

 18   De surcroît, la Défense a affirmé que l'accusé n'avait pas pu

 19   apporter une contribution importante à ce type de plan commun. L'essentiel

 20   de la thèse de la Défense repose sur des éléments de preuve et des

 21   communications de l'accusé suivant lesquels il n'exerçait pas le contrôle

 22   effectif de l'utilisation des forces du MUP au Kosovo parce que feu le

 23   ministre Stojiljkovic l'avait exclu. L'accusé a également nié l'existence

 24   du commandement conjoint pour le Kosovo, organe qui a coordonné les forces

 25   serbes, notamment la police, au Kosovo.

 26   Contrairement à la thèse adoptée par la Défense, la participation de

 27   l'accusé à l'entreprise criminelle commune a été primordiale pour son

 28   succès. La Chambre a conclu qu'en tant que chef du RJB et en tant que


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  1   ministre adjoint de l'Intérieur, l'accusé avait des pouvoirs légitimes et

  2   exerçait le contrôle effectif sur la police au Kosovo, notamment sur la

  3   police de métier et la police de réserve, les PJP, la SAJ, et ce, pendant

  4   la période retenue par l'acte d'accusation. Les éléments de preuve révèlent

  5   que l'accusé avait une connaissance détaillée des événements sur le terrain

  6   et a joué un rôle capital dans la coordination du travail des forces du MUP

  7   au Kosovo en 1998 et 1999. L'accusé faisait partie du commandement

  8   conjoint, qui, contrairement aux éléments de preuve apportés par l'accusé,

  9   a coordonné les forces serbes, notamment la police, au Kosovo.

 10   L'accusé était souvent présent sur le terrain au Kosovo en 1998 et

 11   1999 et a également assisté aux réunions de l'état-major du MUP au Kosovo.

 12   Il était informé du comportement criminel de la police et des autres forces

 13   serbes au Kosovo de par ses observations personnelles et de par les

 14   renseignements fournis par autrui. Il savait également que la population

 15   serbe au Kosovo avait été armée par l'armée et par le MUP pour constituer

 16   une force serbe supplémentaire.

 17   Contrairement aux éléments de preuve apportés par l'accusé suivant

 18   lesquels il avait été exclu par le ministre Stojiljkovic, l'accusé a

 19   représenté la République de Serbie lors de négociations internationales sur

 20   le rôle de la police au Kosovo en octobre 1998.

 21   La Défense a soutenu pendant le procès qu'il n'y avait pas de forces

 22   paramilitaires serbes au Kosovo pendant la période retenue par l'acte

 23   d'accusation. En dépit de ces dénégations, les éléments de preuve ont

 24   permis de déterminer la présence de forces paramilitaires serbes actives au

 25   Kosovo pendant la période retenue par l'acte d'accusation, dont beaucoup

 26   servaient dans les unités de la police. De surcroît, l'accusé a participé

 27   personnellement et directement au recrutement de l'une de ces unités, les

 28   Skorpions, dans la force de réserve du MUP en 1999. Cette unité a


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  1   directement été impliquée dans la fusillade de 19 femmes et enfants

  2   albanais du Kosovo dans une ville, fusillade qui en a tué 14. L'accusé a

  3   été informé de ces meurtres quasiment immédiatement après qu'ils se sont

  4   produits. L'unité fut retirée du Kosovo, mais il n'y a pas eu d'enquête

  5   véritable diligentée à la suite de cela. L'accusé savait qu'aucune enquête

  6   n'avait été diligentée, mais a néanmoins autorisé le redéploiement des

  7   membres de la même unité au Kosovo quelques jours plus tard.

  8   La Chambre a également été convaincue, de surcroît, que l'accusé a

  9   pris une part active dans les efforts déployés par le MUP pour dissimuler

 10   les meurtres des Albanais du Kosovo pendant la période comprise par l'acte

 11   d'accusation. Tel que cela est expliqué de façon détaillée dans le jugement

 12   écrit, les éléments de preuve confirment qu'à partir de la deuxième semaine

 13   du mois d'avril 1999, à au moins six reprises sur une période de plusieurs

 14   semaines, des camions contenant des corps d'Albanais du Kosovo tués par les

 15   forces serbes au Kosovo sont arrivés au 13e Centre de la SAJ, au 13e Centre

 16   Maj à Batajnica, près de Belgrade. Le MUP contrôlait ce centre. Il se

 17   trouve à plus de 400 kilomètres de l'endroit où ces personnes avaient été

 18   tuées au Kosovo. A deux reprises au moins, des corps ont été emmenés au

 19   centre des PJP à Petrovo Solo, autre site du MUP en Serbie. Des corps ont

 20   également été retrouvés dans le lac Perucac, en Serbie, et enterrés dans

 21   une fosse commune près de ce lac. Les corps se trouvaient dans un camion

 22   qui avait été trouvé dans le lac.

 23   En 2001, les restes de 744 personnes ont été exhumés du centre de la

 24   SAJ à Batajnica, 61 ont été exhumés de Petrovo Selo, et 84 du lac Perucac.

 25   Les restes étaient les restes d'Albanais du Kosovo qui avaient été tués au

 26   Kosovo en 1999. En dépit de l'état des restes enterrés pendant plus de deux

 27   ans, il a été déterminé que la cause la plus probable du décès de la grande

 28   majorité de ces corps était des blessures par balles multiples ou était, en


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  1   tout cas, compatible avec des blessures par balles.

  2   L'accusé a joué un rôle prépondérant dans les efforts déployés par le MUP

  3   pour dissimuler ces meurtres. Il a donné des consignes pour que soient

  4   transportés de façon clandestine les corps trouvés dans un camion réfrigéré

  5   dans le Danube, corps qui ont été transportés vers le centre d'entraînement

  6   de la SAJ à Batajnica, près de Belgrade, et qui ont été, de façon

  7   clandestine, réenterrés dans une fosse commune au centre de la SAJ. Il a

  8   donné des consignes pour que soient immédiatement enterrés les corps

  9   trouvés dans le lac Perucac et pour qu'ils soient enterrés sur le site.

 10   Dans les deux cas, l'accusé a donné des ordres très précis pour empêcher

 11   toute enquête judiciaire.

 12    La Chambre de première instance a conclu que le transport des corps du

 13   Kosovo vers les terrains du MUP pour être enterrés de façon clandestine a

 14   été effectué dans le cadre d'une opération coordonnée visant à effacer

 15   toute trace des crimes commis par les forces serbes contre les Albanais du

 16   Kosovo au Kosovo pendant la période retenue par l'acte d'accusation.

 17   La Chambre de première instance a conclu que cette opération avait été

 18   exécutée sous la direction de l'accusé, en consultation avec le ministre

 19   Stojiljkovic, en application d'un ordre du président de la RFY, Slobodan

 20   Milosevic.

 21   Alors que, de par la loi, son devoir était de diligenter des enquêtes

 22   en bonne et due forme à propos de la découverte de ces corps, le rôle joué

 23   par l'accusé a garanti que les corps n'ont pas fait l'objet d'enquête à

 24   l'époque.

 25   La Chambre a également été convaincue que l'accusé, en dépit du fait qu'il

 26   était informé des crimes commis par les forces du MUP au Kosovo, n'a

 27   jamais, pendant la période retenue par l'acte d'accusation ou après alors

 28   qu'il était resté chef du RJB, pris aucune mesure pour assurer qu'une


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  1   enquête soit diligentée sur ces crimes ou pour que soient punies les

  2   personnes ayant participé à la commission de ces crimes.

  3   La Chambre est également convaincue que le comportement de l'accusé, tel

  4   qu'il est décrit dans le résumé des conclusions ci-dessus, a contribué de

  5   façon importante à la campagne de terreur et de violence extrême menée à

  6   bien par les forces serbes contre les Albanais du Kosovo, campagne dont le

  7   but était de modifier la composition démographique du Kosovo.

  8   La Chambre est également convaincue que par sa participation directe dans

  9   la dissimulation des corps des Albanais du Kosovo victimes de meurtre et de

 10   par son incapacité totale à assurer qu'une enquête soit diligentée pour les

 11   crimes commis par les forces du MUP pendant la période retenue par l'acte

 12   d'accusation, l'accusé a aidé et encouragé les crimes recensés dans le

 13   jugement. Ces faits sont suffisamment impérieux pour nécessiter une

 14   condamnation pour avoir aidé et encouragé, ainsi qu'une condamnation pour

 15   avoir participé en tant que membre de l'entreprise criminelle commune, et

 16   ce, afin de récapituler pleinement le comportement criminel de l'accusé.

 17   Pour des raisons énoncées dans le jugement écrit, la Chambre est également

 18   convaincue de la responsabilité de l'accusé en application de l'article

 19   7(3) pour son incapacité à prévenir la commission des crimes recensés dans

 20   ce jugement par des personnes placées sous son contrôle effectif et pour

 21   son manquement à punir les auteurs de ces crimes. Toutefois, en raison de

 22   la conclusion défavorable en application de l'article 7(1), il n'est pas du

 23   ressort de la Chambre de condamner également l'accusé en application de

 24   l'article 7(3).

 25   Vlastimir Djordjevic, veuillez vous lever, je vous prie.

 26   La Chambre vous déclare coupable, en application de l'article 7(1) du

 27   Statut, des crimes suivant :

 28   Chef 1, expulsion, un crime contre l'humanité en application de l'article 5


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  1   du Statut, pour avoir commis le crime d'expulsion par votre participation à

  2   une entreprise criminelle commune et pour avoir aidé et encouragé

  3   l'expulsion des Albanais du Kosovo des lieux précisés dans le jugement.

  4   Chef 2, autres actes inhumains, transfert forcé, en application de

  5   l'article 5 du Statut, pour avoir commis le crime de transfert forcé de par

  6   votre participation à une entreprise criminelle commune et pour avoir aidé

  7   et encouragé le transfert forcé d'Albanais du Kosovo des lieux précisés

  8   dans le jugement.

  9   Chef 3, assassinat, un crime contre l'humanité en application de l'article

 10   5 du Statut, pour avoir commis le crime d'assassinat de par votre

 11   participation à une entreprise criminelle commune et pour avoir aidé et

 12   encouragé le meurtre d'au moins 724 Albanais du Kosovo identifiés dans

 13   l'annexe à ce jugement.

 14   Chef 4, meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre, en

 15   application de l'article 3 du Statut, pour avoir commis le crime de meurtre

 16   de par votre participation à une entreprise criminelle commune et pour

 17   avoir aidé et encouragé le meurtre d'au moins 724 Albanais du Kosovo qui

 18   n'avaient pris aucune part active aux hostilités identifiées dans l'annexe

 19   à ce jugement.

 20   Chef 5, persécution, pour des raisons raciales, un crime contre l'humanité,

 21   en application de l'article 5 du Statut, pour avoir commis le crime de

 22   persécution par votre participation à une entreprise criminelle commune et

 23   pour avoir aidé et encouragé les persécutions contre les Albanais du Kosovo

 24   par les actes suivants : expulsion, transfert forcé, meurtre et assassinat,

 25   destruction ou dégâts aux bien culturels et religieux importants pour les

 26   Albanais du Kosovo dans des lieux précisés dans le jugement.

 27   Eu égard à la peine, la Chambre a énoncé dans son jugement écrit les

 28   différents paramètres pris en considération pour déterminer la peine


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  1   appropriée.

  2   Vous êtes condamné à une peine unique de 27 ans d'emprisonnement. Le temps

  3   que vous avez passé en détention sera déduit de la durée totale de la

  4   peine. Vous resterez sous la garde du Tribunal en attendant que soient

  5   prises toutes les dispositions relatives à votre transfert dans l'Etat où

  6   vous purgerez votre peine.

  7   Vous pouvez vous asseoir.

  8   Ce procès est ainsi terminé.

  9   L'audience est levée.

 10   --- L'audience est levée à 15 heures 06.

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