LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE I

Composée comme suit: M. le Juge Claude Jorda, Président

M. le Juge Fouad Riad

M. le Juge Almiro Rodrigues

Assistée de: Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le: 10 décembre 1998

 

 

LE PROCUREUR

C/

Mile MRKSIC
Veselin SLIJVANCANIN
Miroslav RADIC

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DECISION RELATIVE A LA PROPOSITION DU PROCUREUR AUX FINS DE DEMANDER A LA REPUBLIQUE FEDERALE DE YOUGOSLAVIE (SERBIE ET MONTENEGRO) DE SE DESSAISIR EN SA FAVEUR
DE L’ENQUETE ET DES PROCEDURES PENALES ENGAGEES

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Le Bureau du Procureur

M. Grant Niemann
M. Stefan Waespi

 

LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE I du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 (ci-après "le Tribunal"),

 

VU les articles 9 et 29 du Statut du Tribunal, 9, 10, 11, 54, 55 et 59bis du Règlement de procédure et de preuve (ci-après "le Règlement");

VU la proposition du Procureur aux fins de demander officiellement à la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de se dessaisir en sa faveur de l’enquête et des procédures pénales engagées à l’égard des accusés Mile Mrksic, Veselin Slijvancanin et Miroslav Radic, en date du 3 décembre 1998 (ci-après "la proposition du Procureur"), ainsi que la lettre annexée du Président de la Cour militaire de Belgrade, datée du 20 novembre 1998 (ci-après "la lettre de la Cour");

VU le corrigendum à la proposition du Procureur aux fins de demander officiellement à la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de se dessaisir en sa faveur de l’enquête et des procédures pénales engagées, en date du 7 décembre 1998;

VU l’acte d’accusation établi par le Procureur à l’encontre de Mile Mrksic, Veselin Slijvancanin et Miroslav Radic, confirmé par une ordonnance portant mandat d’arrêt du juge Fouad Riad, datée du 7 novembre 1995;

VU la décision portant examen par la Chambre de première instance I (alors composée des juges Jorda, président, Odio Benito et Riad) de l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du Règlement, en date du 3 avril 1996;

VU la résolution 1207 du Conseil de Sécurité (SC/RES/1207) adoptée le 17 novembre 1998;

VU la lettre, datée du 7 décembre 1998, du Greffe à son Excellence l’Ambassadeur de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) aux Pays-Bas, l’informant de la tenue d’une audience et du droit de l’Etat en question de se voir représenté en qualité d’amicus curiae, conformément à l’article 74 du Règlement (ci-après "la lettre du Greffe");

VU les requêtes ex parte et confidentielles du Procureur datées du 8 décembre 1998 adressées au juge de permanence de la Chambre, aux fins respectivement de la délivrance d’un mandat d’arrêt au Procureur en vertu des articles 54 et 55 du Règlement, et d’une ordonnance de transmission de mandats d’arrêt conformément à l’article 59bis du Règlement (ci-après "les requêtes du 8 décembre 1998");

VU la réponse de son Excellence l’Ambassadeur à la lettre du Greffe, en date du 9 décembre 1998 (ci-après "la réponse de son Excellence l’Ambassadeur")

VU les arguments oraux du Procureur présentés lors de l’audience tenue devant la Chambre le 9 décembre 1998;

 

ATTENDU que le Procureur constate qu’une procédure "Ki.No 578/98" contre les accusés Mile Mrksic, Veselin Slijvancanin et Miroslav Radic est actuellement en cours devant la Cour militaire de Belgrade, et sollicite de la Chambre qu’elle demande officiellement le dessaisissement de cette juridiction interne au profit du Tribunal, conformément aux articles 9 2) du Statut, 9 ii) et 9 iii) du Règlement; que le Procureur demande plus particulièrement que soit déférée à la compétence du Tribunal l’affaire "Ki.No.578/98" devant la Cour militaire de Belgrade; que toute enquête et poursuite pénale de cette Cour soient interrompues, y compris l’audience prévue pour le 17 décembre 1998, au cours de laquelle les accusés Mile Mrksic, Veselin Slijvancanin et Miroslav Radic seraient entendus comme témoins; et que le cas échéant, la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) transmette au Tribunal copie des résultats des enquêtes, poursuites ou jugements de la Cour militaire;

ATTENDU que le Procureur soutient à l’appui de sa proposition que les mandats d’arrêt délivrés à l’encontre des accusés les 7 novembre 1995 et 3 avril 1996 sont toujours en suspens; qu’en outre, le refus constant de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de livrer lesdits accusés indique que la procédure engagée sur son territoire ne serait ni impartiale ni indépendante et viserait à soustraire l’accusé de sa responsabilité pénale internationale; qu’enfin l’objet de la procédure porte sur des faits ou des points de droit qui ont une incidence sur des enquêtes ou des poursuites en cours devant le Tribunal;

ATTENDU que le Président de la Cour militaire de Belgrade requiert l’assistance du Tribunal, notamment en ce qui concerne la transmission de tous les éléments de preuve à sa disposition, en vue de l’audience prévue pour le 17 décembre 1998; que la réponse de son Excellence l’Ambassadeur réaffirme cette position;

ATTENDU que l’examen collégial de l’acte d’accusation par la Chambre de première instance en audience publique et la délivrance d’un mandat d’arrêt international le 3 avril 1996, ainsi que les différentes initiatives du Président du Tribunal, ne laissent subsister aucun doute en ce qui concerne la connaissance par les autorités de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de leurs obligations en l’espèce, en vertu de l’article 29 du Statut;

ATTENDU que depuis la délivrance des mandats d’arrêt internationaux, la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) n’a manifesté aucun signe de coopération en cette matière, même après l’adoption de la résolution S/RES/1207, par laquelle le Conseil de Sécurité a demandé, entre autres, l’exécution immédiate et inconditionnelle des mandats d’arrêt lancés contre les accusés;

ATTENDU que l’article 9 2) du Statut affirme sans aucune équivoque la primauté du Tribunal sur les juridictions nationales;

ATTENDU qu’il en résulte que, quelle que soit la réalité des enquêtes et procédures judiciaires en cours, telles qu’attestées par la correspondance du Président de la Cour militaire de Belgrade en date du 20 novembre 1998, le Tribunal peut requérir le dessaisissement de la juridiction interne concernée à son profit;

ATTENDU qu’en l’espèce, les termes mêmes de la lettre de la Cour montrent que la procédure suivie en République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) porte sur des faits ou des points de droit qui ont une incidence sur des enquêtes ou des poursuites en cours devant le Tribunal;

ATTENDU que cette seule circonstance justifie pleinement que la juridiction interne se dessaisisse en faveur du Tribunal;

ATTENDU par ailleurs que lors de l’audience du 9 décembre 1998, le juge de permanence, avec le consentement du Procureur, a saisi la Chambre de première instance des requêtes du 8 décembre 1998 déposées devant lui; que la Chambre a estimé qu’au vu de la connexité des requêtes, il était opportun d’y répondre conjointement;

 

PAR CES MOTIFS,

 

DEMANDE officiellement aux autorités de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de se dessaisir de la procédure en cours contre les accusés Mile Mrksic, Veselin Slijvancanin et Miroslav Radic en faveur du Tribunal;

RAPPELLE que, conformément à l’article 10 B) du Règlement, cette demande de dessaisissement porte également sur la transmission des éléments d’enquêtes, des copies du dossier d’audience et, le cas échéant, d’une expédition du jugement;

ORDONNE au Greffe de transmettre au Procureur du Tribunal et à la Cour militaire de Belgrade, conformément à l’article 59bis du Règlement, une copie du mandat d’arrêt international portant ordre de défèrement, aux fins qui leur appartiendra.

 

Fait en français et en anglais, la version française faisant foi.

Fait le 10 décembre 1998,

A La Haye

Pays-Bas

Juge Claude Jorda

Président de la Chambre de première instance I

[Sceau du Tribunal]