Page 84
1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-95-13a-T
2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE
3 Mardi 20 Janvier 1998
4 LE PROCUREUR
5 C/
6 SLAVKO DOKMANOVIC
7 L’audience est ouverte à 8 heures 30.
8
9
10
11
12
13 pages 84-142 expurgées – audience à huis clos
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 143
1 (expurgée)
2 (expurgée)
3 (expurgée)
4 (expurgée)
5 (expurgée)
6 (expurgée)
7 (expurgée)
8 L'audience est suspendue à 10 h 25
9 L’audience est reprise à 11 heures.
10 M. le Président (interprétation). - Le greffe peut-il introduire
11 l'affaire ?
12 M. le Greffier. - Affaire IT-95-13a-T, le Procureur contre
13 Dokmanovic.
14 M. le Président (interprétation). - Les parties peuvent-elles se
15 présenter ?
16 M. Niemann (interprétation). - Je m'appelle maître Niemann, je
17 comparais avec mes collègues, Me Williamson, Me Waespi, Me Sutherland et
18 Me Bos, au nom de l'accusation.
19 M. le Président (interprétation). - Merci. Maître Fila ?
20 M. Fila (interprétation). - Je m'appelle Toma Fila. Je comparais
21 avec mes confrères, Me Lopicic et Me Petrovic, au nom de l'accusé. Avec
22 votre permission, j'ai apporté le rapport que vous aviez demandé.
23 M. le Président (interprétation). - Merci, nous l'avons reçu.
24 Nous vous en savons gré.
25 Si j'ai bien compris, l'accusation va citer un témoin.
Page 144
1 M. Niemann (interprétation). - Effectivement, je voudrais citer
2 Mark Crawford Wheeler.
3 (Le témoin est introduit dans la salle.)
4 M. le Président (interprétation). - M. Wheeler, veuillez prêter
5 la déclaration solennelle conformément à l'article 90.
6 M. Wheeler (interprétation). - Je déclare solennellement que je
7 dirai la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
8 M. le Président (interprétation). - Pourriez-vous vous
9 présenter ?
10 M. Wheeler (interprétation). - Je m'appelle Mark Wheeler.
11 M. le Président (interprétation). - Merci. Veuillez prendre
12 place. Dr Wheeler,
13 avant que l'interrogatoire principal ne commence mené par l'accusation,
14 nous avons reçu votre déclaration qui a été lue par les Juges. Ceci nous
15 permettra d'avoir connaissance de ce que vous avez indiqué dans ce
16 document. Je m'interroge. Pourrions-nous essayer de nous concentrer sur
17 les événements qui se sont produits en 1991. Loin de moi l'idée bien sûr
18 de limiter l'accusation dans les questions qu'elle voudra poser. Je tenais
19 simplement à souligner que la Chambre s'attache surtout aux événements qui
20 se sont produits en 1991.
21 M. Niemann (interprétation). - D'accord. Etes-vous pour le
22 moment employé en tant que chef du service du département des Humanités à
23 l'université de Derby, plus exactement à la faculté d'études
24 internationales européennes.
25 M. Wheeler (interprétation). - C'est exact.
Page 145
1 M. Niemann (interprétation). - Vous avez été formé à
2 l'université de Michigan aux Etats-Unis et vous avez fait votre doctorat à
3 Cambridge, n'est-ce pas ?
4 M. Wheeler (interprétation). - C'est exact.
5 M. Niemann (interprétation). - Vous avez été le chef des études
6 en civilisation slave à Lancaster jusqu'en 1983 ?
7 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
8 M. Niemann (interprétation). - Vous êtes passé à l'étude au
9 service des études d'Europe de l'est à Londres et puis vous avez enseigné
10 l'histoire yougoslave et celle des Balkans jusqu'en 1994 ?
11 M. Wheeler (interprétation). - Exact.
12 M. Niemann (interprétation). - Vous avez des publications, des
13 recherches académiques qui se sont concentrées sur la Yougoslavie au cours
14 de la Deuxième Guerre Mondiale ?
15 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
16 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous été désigné par le
17 ministère
18 britannique pour écrire l'histoire officielle de la direction des
19 opérations spéciales lors de la guerre en Yougoslavie ?
20 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
21 M. Niemann (interprétation). - En 1994, êtes-vous devenu
22 directeur des programmes pour l'ex-Yougoslavie avec l'organisation
23 caritative HAI (Help Age International) ?
24 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
25 M. Niemann (interprétation). - En 1996, êtes-vous devenu le
Page 146
1 représentant et le directeur du projet à Sarajevo pour l'Institut de la
2 paix et de la guerre ?
3 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
4 M. Niemann (interprétation). - En 1997, êtes-vous devenu
5 président de la commission d'experts en média, établie par la commission
6 de mise en oeuvre conjointe pour les élections en Slovénie orientale, en
7 Baranja et en Slavie occidentale ?
8 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
9 M. Niemann (interprétation). - De surcroît, en plus des trois
10 années que vous avez consacré à travailler en ex-Yougoslavie, avez-vous
11 vécu et étudié dans le pays ?
12 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
13 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous fait une ou plusieurs
14 visites en République yougoslave ou aux républiques yougoslaves au moins
15 deux fois chaque année depuis 1969 ?
16 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
17 M. Niemann (interprétation). - Parlez-vous yougoslave ?
18 M. Wheeler (interprétation). - Je parle serbo-croate.
19 M. Niemann (interprétation). - Votre déposition se fonde-t-elle
20 sur vos connaissances personnelles provenant de travaux que vous avez
21 menés et qui sont
22 reconnus par d'autres dans le domaine ?
23 M. Wheeler (interprétation). - J'espère que oui.
24 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous basé votre connaissance
25 sur la connaissance de documents et de personnes qui vous ont été
Page 147
1 communiqués par le Bureau du Procureur ?
2 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
3 M. Niemann (interprétation). - Depuis 1990, avez-vous publié de
4 nombreux articles et des ouvrages ?
5 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
6 M. Niemann (interprétation). - Pourriez-vous confirmer que c'est
7 bien le curriculum vitae que vous nous avez fourni ? Je demande à
8 Monsieur l'huissier de vous le remettre.
9 M. Wheeler (interprétation). - Oui, c'est effectivement mon
10 curriculum vitae.
11 (La pièce a été identifiée, enregistrée et l'accusation demande
12 que la pièce soit enregistrée comme étant la pièce N° 1 de l'accusation et
13 versée au dossier.)
14 M. Niemann (interprétation). - La pièce est-elle acceptée ? Oui,
15 fort bien.
16 Docteur Wheeler, puisque les Juges ont insisté sur la nécessité
17 d'agir vite, nous allons parler des événements de 1991. Je me contenterai
18 de vous demander de nous dire rapidement s'il y a eu des poursuites de
19 persécutions ethniques réalisées par les participants à la Deuxième Guerre
20 Mondiale dans l'ex-Yougoslavie ?
21 M. Wheeler (interprétation). - Tout à fait. Il est à remarquer
22 que ce qui s'est passé au cours de la Deuxième Guerre Mondiale, en
23 Yougoslavie, était tout à fait unique, exceptionnel, s'agissant de la
24 dimension, de l'envergure et de la férocité de ce qui s'est passé. Il y a
25 eu bien sûr des problèmes avant 1941, mais jamais de l'envergure connue au
Page 148
1 cours de la Deuxième Guerre Mondiale.
2 M. Niemann (interprétation). - Quelle a été la démarche des
3 communistes yougoslaves s'agissant de la question nationale au cours de
4 cette guerre ?
5 M. Wheeler (interprétation). - Ces partis ont utilisé la
6 question nationale comme étant un des vecteurs permettant de mener avec
7 succès une politique de résistance et pour s'installer au pouvoir. Au
8 contraire, de leurs rivaux, de leurs opposants, dont les efforts se sont
9 soldés par un échec, ils ont fait de la question nationale un des plans
10 leur permettant de parvenir au pouvoir.
11 M. Niemann (interprétation). - Pourriez vous d'écrire la nature
12 des violences ethniques qui se sont produits au cours de la Deuxième
13 Guerre Mondiale ?
14 M. Wheeler (interprétation). - Les événements se sont
15 précipités, notamment au niveau de la violence entre les Slaves du sud.
16 Cela est dû à l'installation du pouvoir par les Allemands de
17 l'organisation terroriste Oustachi, c'était une organisation fasciste qui
18 avait été constituée en 1929, qui avait été soutenue surtout par l'Italie
19 et la Hongrie avant la Deuxième Guerre Mondiale, mais avait été installée
20 au pouvoir par Hitler. Les Oustachis, sous Ante Pavlic, avaient, dès après
21 avoir pris le pouvoir en 1941, déclaré qu'ils allaient assurer la
22 purification ethnique de la Croatie. Comment ? En expulsant environ un
23 tiers des Serbes ou autres parties dite orientale de la population, en
24 apposant la conversion forcée des Serbes au Catholicisme et aussi en
25 charcutant beaucoup de personnes. Il y a eu des persécutions à grande
Page 149
1 échelle entre les Slaves du nord, Mais la force principale venait de la
2 politique des Oustachis, politique de génocide qui s'est fortement
3 développée au moment de la guerre.
4 M. Niemann (interprétation). - Comment les communistes ont-ils
5 traité de cet héritage qu'ils ont reçu ?
6 M. Wheeler (interprétation). - Après la Deuxième Guerre
7 Mondiale, s'agissant des luttes intestines, qui avaient eu lieu au cours
8 de la Deuxième
9
10 Guerre Mondiale, cette politique avait été en fait la faute des pouvoirs,
11 des puissances occupantes, ou de leur laquais de l'ancien régime, par
12 exemple de la bourgeoisie, et donc ceci n'avait rien à voir avec les
13 parties au pouvoir, avec le nouvel état des travailleurs qui était en
14 train de se constituer.
15 Donc ce que les communistes ont fait s'est d’essayer en fait
16 d'oublier ce qui s'était passé après la Deuxième Guerre Mondiale pour
17 inciter aussi la population à oublier ce qui s'était passé. Par la suite,
18 ceci a été constaté comme étant une erreur car il n'y a pas eu de
19 processus d'expurgation ni de réconciliation à la suite de la guerre.
20 Les gens avaient l'impression qu'ils étaient d’une certaine
21 manière obligés de pardonner et d'oublier. Ce qui veut dire que certaines
22 de leurs plaies sont restées ouvertes.
23 M. Niemann (interprétation). - Comment Tito a-t-il établi sa
24 structure constitutionnelle ?
25 M. Wheeler (interprétation). - Il avait une idée bien précise à
Page 150
1 l'esprit. Il y avait déjà en Yougoslavie la volonté. Les communistes
2 s'estimaient être des spécialistes depuis les premières années du
3 19ème siècle. Ils avaient décidé que la forme de l'Etat devait être
4 national, mais communiste au niveau du contenu. Ce qui veut dire, après la
5 prise de pouvoir des communistes en 1944, qu’ils avaient déjà un modèle
6 dont ils pouvaient s'inspirer c'était celui de l'union soviétique. Sinon,
7 les républiques et provinces autonomes n'avaient qu'un effet de
8 décoration, n'avait pas de fonction véritable le parti n'avait pas la
9 moindre intention de renoncer au monopole du pouvoir qu'il avait. Mais il
10 y avait des particularités nationales, des sensibilités nationales, dans
11 différents groupes ethniques en Yougoslavie. Cela avait été le cas en
12 Union soviétique. Tout ceci devait être pris en compte et encouragé en
13 donnant un simulacre de fédéralisme
14 M. Niemann (interprétation). - Comment la structure de la
15 République fédérative socialiste a-t-elle changée ?
16 M. Wheeler (interprétation). - Au contraire de ce que, par
17 exemple, Staline avait envisagé, alors qu'on s'attendait à ce que les
18 choses s'établissent en fonction des principes d'architecture
19 constitutionnels, cela s'est passé à l'inverse en Yougoslavie, la forme a
20 suivi la fonction, à savoir que les différentes Républiques aux fils des
21 ans, au contraire des attentes des communistes, ont pris de plus en plus
22 de pouvoirs effectifs, de plus en plus d'autonomie. Les Républiques et
23 partis communistes respectifs commençaient de plus en plus à considérer
24 les autres partis communistes comme des rivaux. Ceci a été un processus
25 qui a effectivement commencé au début des années 1960. Il a trouvé son
Page 151
1 apogée dans la Constitution de 1974, laquelle a transformé la Fédération
2 yougoslave en une Confédération.
3 M. Niemann (interprétation). - Je vous demanderai de parler avec
4 un débit plus lent, nous avons des interprètes qui doivent interpréter en
5 plusieurs langues et leur tâche n'est pas simple. Merci de nous aider en
6 ralentissant le débit.
7 M. Wheeler (interprétation). - Je vais essayer.
8 M. Niemann (interprétation). - Docteur Wheeler, vous avez parlé
9 de la Constitution de 1974. Ladite constitution a-t-elle eu un effet
10 quelconque sur la JNA ?
11 M. Wheeler (interprétation). - Oui. Au début des années 1970, la
12 question nationale et les écueils qu'elle présentait étaient à ce point
13 manifeste que Tito avait été forcé, dans le cadre de ce qu'on a appelé le
14 mouvement populaire, le MASPOK, en Croatie, de menacer de recourir à
15 l'armée afin de protéger les succès du socialisme et pour garantir au
16 parti le maintien du monopole du pouvoir et de l'unité.
17 Du fait de cette expérience, en 1971 et en 1972, la Constitution
18 de 1974 précise, de fait, que la JNA, l'armée populaire yougoslave, outre
19 le devoir qu'elle a de défendre le pays, a aussi le devoir de défendre le
20 régime social politique, le pouvoir communiste en d'autres termes.
21 M. Niemann (interprétation). - La Constitution de 1974, comment
22 fonctionnait-elle en pratique avant et après la mort de Tito ?
23 M. Wheeler (interprétation). - Avant la mort de Tito, il
24 faudrait dire d’emblée que cette Constitution de 1974 avait notamment pour
25 objet de créer un système qui survivrait à Tito. En d'autres termes, c'est
Page 152
1 une constitution conçue pour qu'un nouveau Tito ne soit plus nécessaire,
2 pour pouvoir gérer la question de la succession et pour assurer un
3 mécanisme perpétuel qui serait autonome et qui se nourrirait de lui même.
4 Alors que Tito était toujours en vie, ce système a semblé
5 fonctionner, mais c'est bien là que le bas blesse. Cela n'a marché que
6 parce Tito était encore en vie. Cela a marché parce qu'il était là comme
7 arbitre, comme juge ultime, dans toutes les questions, dans tous les
8 différents qui opposaient les républiques, entre les groupes d'intérêts
9 géographiques ou socio-économiques.
10 Dès lors, le fait que la Constitution de 1974 présentait des
11 problèmes a été dissimulé. A la mort de Tito, ces problèmes sont devenus
12 apparents. Le rôle d'arbitre ultime que jouait Tito n'avait plus lieu. Il
13 y avait un présidence collective qui lui a succédé et celle-ci a en
14 général était incapable de parvenir à un consensus opérationnel.
15 Ce qui compte peut-être en plus c'est que les bons moments qui
16 ont caractérisé la Yougoslavie des années 1970, à savoir qu'il y avait un
17 niveau de vie sans cesse croissant, sans cesse amélioré, des formes
18 d'emprunts à l'étranger sans cesse développées, furent révolus.
19 Etant donné que Tito n'était plus là, il ne pouvait plus être le
20 père de la famille, le pater familias, le patriarche dont avait besoin
21 l'Etat. L'économie était délétère et ceci a renforcé, a montré
22 l'incapacité ou les échecs que présentait le système constitutionnel.
23 M. Niemann (interprétation). - Quel est ce mémorandum et quelle
24 est l'importance de ceci ?
25 M. Wheeler (interprétation). - A Sanu, en 1986, un sous comité
Page 153
1 des arts et sciences sertes a préparé un projet de texte de mémoire qui
2 décrivait l'état de la Serbie, la condition dans laquelle se trouvait la
3 Serbie au sein de la Fédération yougoslave, et regrettant les abîmes dans
4 lesquels on était tombé, regrettant notamment le fait qu'il y avait une
5 aliénation démographique sans cesse supérieure de Kosovo et le fait que la
6 majorité albanaise ne cessait d'augmenter, regrettant le fait que le
7 système économique en Yougoslavie apparemment opérait contre la Serbie.
8 Tout ceci n'a existé qu'à l'état de projet, mais cela a été
9 publié et s'est devenu un catalyseur qui a montré à quel point il y avait
10 un sentiment de peur, de réprobation, de désespoir, au sein d'une bonne
11 partie de l’intelligentsia serbe, et peut-être aussi finalement auprès des
12 masses populaires serbes, s'agissant de la façon dont la Yougoslavie
13 d'après Tito évoluait.
14 Cette manifestation de l’humeur populaire a eu un effet profond
15 sur la carrière d’une personne qui était en train de monter dans le
16 système, il s'agissait de Milosevic qui, tout en condamnant initialement
17 le mémorandum de Sanu, comme tous les communistes l'on fait d'ailleurs, il
18 y a bien vite vu d'où venait le vent, il a utilisé ce mémorandum comme un
19 véhicule, comme un vecteur, qui lui a permis de remplacer peu à peu les
20 mots d'ordre socialistes par des mots d'ordre sertes, nationalistes.
21 M. Niemann (interprétation). - Dans quelle mesure cet héritage
22 de la Deuxième Guerre Mondiale était il encore perçu au début des
23 années 1990 ?
24 M. Wheeler (interprétation). - Etant donné l'atrophie du système
25 communiste yougoslave, avec la fin de la guerre froide, avec les
Page 154
1 événements qui se sont produits dans d'autres parties de l'Europe
2 orientale, on voyait à quoi pouvait s'attendre tous ces régimes, quel est
3 le sort qui allait leur être réservé, on a commencé à sentir une crise de
4 confiance, une crise de légitimité, dans le chef du régime communiste, en
5 Yougoslavie.
6 Les Serbes surtout avaient déjà consacré plusieurs années à
7 pourfendre l'héritage de Tito et à critiquer Tito lui-même. Quelque part,
8 ceci signifiait que les gens commençaient à croire de moins en moins en
9 cette idéologie qui avait prévalu. Ce vide ainsi installé a fait la part
10 belle à ce nationalisme qui devenait la nouvelle foi, le nouveau credo. Il
11 y avait aussi un souhait de reprendre les conflits ou la lutte nationale
12 qui avait prévalu au cours de la Deuxième Guerre Mondiale.
13 En d’autres termes, les communistes avaient passé 40 ans à dire
14 aux Yougoslaves que la victoire de la révolution socialiste, au cours de
15 la Deuxième Guerre Mondiale, était la réponse à tous leurs besoins, à tous
16 leurs maux, à tous leurs voeux. Il y a eu une tendance, dans l'ensemble du
17 territoire yougoslave, à voir les gens se tourner vers ce que le
18 communisme avait critiqué. Tout ce que le communisme avait dit, même si,
19 dans bien des cas, historiquement parlant, ces termes avaient leur
20 véracité, tout ceci était contesté.
21 Dans ce climat d’échec socialiste, ceci s'est constaté dans
22 toute l'Europe orientale. Ceci a rendu la réalité de l'Etat yougoslave de
23 plus en plus insignifiante, étant donné la fin de la guerre froide. Les
24 gens ont abandonné leurs croyances antérieures ou en ont cherché de
25 nouvelles. La foi nationale était une nouvelle foi. Cette question était
Page 155
1 bien sûr concernée par ce qui s'était passé ou ne s'était pas passé au
2 cours de la deuxième guerre mondiale.
3 M. Niemann (interprétation). - Qu'est-ce qui a entraîné la chute
4 du communisme en Yougoslavie, du parti communiste en Yougoslavie ?
5 M. Wheeler (interprétation). - Il y a, bien sûr, toute une
6 structure d'événements qu'on a constaté en Europe orientale. Mais pour ce
7 qui est de la Yougoslavie, il y avait le tremplin qu'avait utilisé
8 Milosevic pour parvenir à la suprématie en Serbie. Il y avait ce qu’il
9 appelait « la réunification de la Serbie ». Comment se
10 débarrasser des provinces autonomes de Voïvodine et du Kosovo ? Comment,
11 afin d'apaiser Milosevic, les autres partis républicains avaient, en 1988
12 et 1989, en fait conspiré pour le laisser faire ? Qu'est-ce que ceci
13 signifiait ? C'est que des groupes de plus en plus importants dans la
14 population, des Républiques contrôlées par des non-Serbes. Voyez ce qu’il
15 se passait, voyez qu'on laissait la partie belle à Milosevic. Et ceci
16 signifiait que leurs propres partis n'étaient pas en mesure de défendre
17 les intérêts républicains.
18 Ce que j'essaie de dire, c'est qu'en janvier 1990, lors du
19 quatorzième et dernier congrès de la ligue des communistes yougoslaves,
20 d'abord les Slovènes, et puis les Croates sont sortis en guise de
21 protestation. Ce faisant, ils ont marqué leurs dissensions avec le parti
22 et l'ont ainsi détruit, reconnaissant leurs erreurs précédemment commises,
23 lorsqu'ils avaient acquiescé à l'élan donné par Milosevic pour créer une
24 Serbie unie.
25 Il y avait bien sûr la crainte, de la part des Républiques non-
Page 156
1 Serbes, de voir qu'elles allaient être les suivantes à tomber sous le coup
2 du centralisme serbe.
3 M. Niemann (interprétation). - Pourquoi la Yougoslavie a-t-elle
4 eu des élections multipartites en 90 ?
5 M. Wheeler (interprétation). - Les partis communistes de
6 Slovénie et Croatie, ayant marqué leurs dissensions avec le parti fédéral,
7 devaient obtenir un nouveau mandat démocratique. Ils ont donc décidé
8 d'avoir des élections multipartites, s'attendant bien sûr à en sortir
9 vainqueurs. Mais, dans les deux cas, en Slovénie et en Croatie, ils se
10 sont trompés.
11 M. Niemann (interprétation). - Quel fut le résultat des
12 élections en Croatie, en 1990 ?
13 M. Niemann (interprétation). - En Croatie, contrairement aux
14 attentes de la ligue des communistes, qui voulait se réformer et se
15 rebaptiser, il y a eu un nouveau parti, présidé par Fanjo Tudjman : HDZ,
16 l’union démocratique croate. Il a gagné les élections,
17 non pas parce qu'il a obtenu un nombre supérieur de voix, mais parce qu'il
18 a franchi les étapes du système électoral, obtenant ainsi une majorité
19 générale au Parlement croate, avec 41 ou 42 % des voix. C'est un système
20 que les anciens communistes de Croatie pensaient pouvoir utiliser à leur
21 escient, mais cela s'est produit contre eux.
22 M. Niemann (interprétation). - Quelles ont été les réactions des
23 Serbes en Croatie, face au régime instauré par Tudjman ?
24 M. Wheeler (interprétation). - La réaction des Serbes était une
25 réaction de peur, d'inquiétude. La minorité serbe en Croatie, tout comme
Page 157
1 les Serbes de Bosnie ou les Serbes au Kosovo ou en Voïvodine, avait été
2 profondément touchée par le fait qu'une hystérie collective avait été
3 déclenchée par Milosevic, à la fin des années 80, pour imposer ce qu'il a
4 appelé sa : « révolution anti-bureaucratique ».
5 Il est certain que les médias installés en Serbie avaient aidé
6 Milosevic à cet égard. En fait, ils avaient été les agents principaux, les
7 principaux vecteurs de cette campagne de radicalisation des Serbes, en
8 excitant les Serbes au vu de leur sort, du sort qui les attendait, des
9 revendications qu'ils pouvaient faire en Serbie ou dans le reste de la
10 Yougoslavie, pour obtenir une unification effective des Serbes.
11 L’avénement au pouvoir de Tudjman, dont la rhétorique, en cours
12 de campagne électorale, avait été dénuée de prudence -c'est le moins qu'on
13 puisse dire-, a convaincu un grand nombre de Serbes, et surtout les Serbes
14 de Croatie qui vivaient dans des régions rurales souvent très
15 défavorisées, et qui avaient été les plus touchés par le génocide des
16 Oustachis au cours de la deuxième guerre mondiale. Cela voulait dire pour
17 eux, effectivement, que les Oustachis étaient de retour au pouvoir, et que
18 Fanjo Tudjman n'était ni meilleur ni pire que Ante Pavelic l'avait été en
19 41.
20 M. Niemann (interprétation). - Quelle politique Slobodan
21 Milosevic appliquait-il à ce moment-là ?
22 M. Wheeler (interprétation). - En 1990-1991, Slobodan Milosevic
23 s'attachait à découvrir quelle partie de la Yougoslavie il pourrait
24 contrôler. La minorité serbe en Croatie, en Bosnie ou où qu'ils soient,
25 d'ailleurs, ces Serbes, étaient des véhicules qui lui permettaient
Page 158
1 d'étendre les rênes de son pouvoir.
2 A ce moment-là, effectivement, il est également devenu manifeste
3 que ce jeu d'augmentation du territoire serbe, ou du pouvoir serbe, aurait
4 été beaucoup plus simple si les Slovènes ne faisaient plus partie de
5 l'image générale. Milosevic ne cessait de dire que les tendances
6 sécessionnistes de la Slovénie pourraient être satisfaites de façon aisée.
7 Milosevic essayait aussi de renforcer sa position dans ce qui était, à
8 l'époque, encore considéré comme étant le centre principal, le rempart
9 principal, de la fédération de Yougoslavie, de l'Etat yougoslave et de la
10 JNA.
11 M. Niemann (interprétation). - Quel était le rôle de la JNA, à
12 ce moment-là ?
13 M. Wheeler (interprétation). - En 1990, des rébellions
14 populaires se sont exprimées dans la partie croate, dans le nord de la
15 Dalmatie, vers Kordun. Quand les Serbes s’y sont installés, différentes
16 communautés serbes ont érigé des barricades, ont conquis des stations de
17 police, etc. La JNA a fourni des conseils, des encouragements. A ce
18 moment-là, c'était sans doute quelque chose qui ne traduisait pas
19 forcément les visions générales adoptées par les hauts commandements.
20 Cependant, cela reflétait qu'il y avait un entremêlement, qu'il y avait
21 une communauté d'intérêt entre la JNA et Milosevic et son régime.
22 M. Niemann (interprétation). - Peut-être pourrions-nous
23 maintenant regarder une carte sur l'écran. Il s'agit de la carte B2/6.
24 J'ai une version en papier que je peux vous présenter, Madame et
25 Messieurs les Juges, si vous le souhaitez. La défense également.
Page 159
1 M. Niemann (interprétation). - Docteur Wheeler, reconnaissez-
2 vous la carte qui apparaît maintenant sur l'écran ?
3 M. Wheeler (interprétation). - Oui, effectivement c'est une
4 carte même si la reproduction sur l'écran ou l'image n'est pas d'une trait
5 bonne qualité, c'est une image une carte qui montre les différentes
6 installations, la localisation des Serbes en Croatie. Les zones bleues
7 foncées montrent l'endroit où les Serbes étaient majoritaires. Donc c'est
8 ce que montrent les zones bleues foncées. Cela correspond à peu près aux
9 vieilles frontières des Habsbourg, les frontières militaires des 15ème et
10 16ème siècles. Il s'agissait du bastion qui leur permettait de se défendre
11 contre les Turcs.
12 M. Niemann (interprétation). - Je demander le versement de cette
13 pièce au dossier.
14 M. Wheeler (interprétation). - Ce qui est important c’est qu'on
15 voit sur cette carte que les zones où les serbes sont en absolue majorité
16 étaient des zones qui étaient très peu peuplées. Au niveau territorial,
17 les majorités serbes, qui étaient habitées donc par les Serbes, étaient
18 extrêmement grandes en dimension, mais petite en termes de population. La
19 plupart des Serbes habitaient dans les grandes villes croates.
20 M. le Président (interprétation). - Puis-je demander au conseil
21 de la défense si cette carte peut être enregistrée sous la cote 2, la
22 pièce n° 1 étant la déclaration du Pr Wheeler ?
23 M. Fila (interprétation). - Monsieur le Président, je n'ai pas
24 d'objection quant à l'admission du curriculum vitae du Pr Wheeler, j'ai
25 regardé la carte, elle est authentique et nous l'acceptons en tant que
Page 160
1 telle. Mon témoin expert, qui est également historien, amènera ces propres
2 cartes.
3 M. le Président (interprétation). - Très bien, il s’agira donc
4 de la pièce n° 2.
5 M. Niemann (interprétation). - Professeur Wheeler, vous avez
6 mentionné, en passant, l'attitude de Slobodan Milosevic face à la
7 sécession de la Slovénie. Quelle était son attitude à l’égard de la
8 sécession de la Croatie ?
9 M. Wheeler (interprétation). - Là, c’était une situation plus
10 complexe. En fait, cette situation, son attitude, a évolué avec le temps.
11 Je pense que Milosevic peut être vu en termes politique comme un
12 opportuniste du plus au niveau, qui profite de toutes les situations
13 possibles. Peut-être qu'à la fin des années 1980, il a pensé qu'il pouvait
14 serbianiser, si je puis dire, ou exercer le contrôle serbe sur toute la
15 fédération yougoslave. Il est devenu manifeste évidement au fur et à
16 mesure que le temps passait que cela ne serait pas possible. Il a dû
17 s'adapter à l'idée ou plutôt revoir à la baisse les ambitions. Et
18 débarrasser la Yougoslavie des Slovènes, qui posaient extrêmement de
19 problèmes à la Fédération, car ils étaient très tournés vers l'occident,
20 aller lui rendre la tâche plus facile. Il allait pouvoir mieux gérer les
21 républiques restantes ou les minorités serbes étaient plus importantes.
22 Le principe qui est devenu finalement le principe principal de
23 Milosevic était de savoir si d'autres Républiques aller vouloir quitter la
24 Yougoslavie. Aussi l'autant qu'elles ne voudraient pas emmener les Serbes
25 avec elles, il pensait que les zones occupées par les Serbes devaient
Page 161
1 rester au sein de la Yougoslavie.
2 Milosevic n'aurait jamais pensé, jusque sans doute à la fin de
3 l'année 1990 ou au début 1991, qu'il allait avoir des problèmes à
4 convaincre les Musulmans de la Bosnie-Herzégovine qu'ils devaient rester
5 au sein de la Bosnie-Herzégovine et de la Yougoslavie. Il avait mal
6 calculé et il s’en est rendu compte à la fin.
7 M. Niemann (interprétation). - A votre avis l'attitude de
8 Milosevic était-elle compatible avec le maintien en l'état de la
9 Fédération ?
10 M. Wheeler (interprétation). - Non, c'était le premier
11 secessionniste, si l'on peut dire, en Yougoslavie, c'était la première
12 personne qui a entamé la destruction de la Fédération. C'est ce qui était
13 si intelligent dans sa stratégie. Car il n’a cesse d’annoncer ou de
14 proclamer à chaque occasion possible qu'il défendait la Yougoslavie alors
15 que depuis
16 qu'il avait entamé la destruction de l’autonomie du Kosovo, de la
17 Voïvodine et du Monténégro, en 1988 et 1989, il était en train de détruire
18 la Yougoslavie.
19 M. Niemann (interprétation). - Comment l'indépendance de la
20 Croatie a-t-elle évolué au début de 1991 ?
21 M. Wheeler (interprétation). - Les Croates ont eu une attitude
22 assez saccadée. Ils étaient tout à fait conscients des dangers de lâcher
23 les Slovènes en quelque sorte. Les Slovènes avaient décidé au cours d'un
24 grand référendum en descendre 1990 qu’ils allaient déclarer leur
25 indépendance ou comme ils dit à l’époque ils allaisent se dissocier de la
Page 162
1 Yougoslavie si le pays n'était pas transformé, n'avait pas le statut d'une
2 association d'ici à juin 1991. Les Slovènes avaient donc décidé une
3 association de Républiques slovènes d'ici à juin 1991. Les Slovènes
4 avaient donc décidé également pour les Croates en quelque sorte.
5 La personne, Tudjman, qui a pris le pouvoir en avril/mai 1990,
6 sans jouir d’une force armée efficace, même pas d'une force de police,
7 était obligé de laisser les Slovènes fixer le calendrier pour eux.
8 Les Slovènes étaient beaucoup plus préparés à affirmer leur
9 souveraineté que les Croates. Cependant les Croates ne pouvaient pas
10 courir le risque d'être laissés à la traîne et étaient donc soumis, comme
11 ils l'ont pensé, à une éventuelle opposition par le régime de Belgrade ou
12 par la JNA. C'est pourquoi ils ont emboîté le pas à la Slovénie, même
13 s'ils n'ont pas tenu leur référendum d'indépendance avant la mi-mai 1991,
14 c'est-à-dire juste un mois avant les événements et avant la déclaration
15 d'indépendance finale finale le 25 juin 1991.
16 Cependant, il est juste de dire que lorsque la Croatie a déclaré
17 son indépendance, elle ne savait pas comment elle allait faire et comment
18 elle allait pouvoir l'affirmer alors que les Slovènes le savaient.
19 M. Niemann (interprétation). - Je suppose que le résultat est
20 évident, d'après ce que vous dites, du référendum de mai 1991 ?
21 M. Wheeler (interprétation). - Oui, l'immense majorité de ceux
22 qui ont voté l’ont fait en faveur de l'indépendance, même si là encore
23 toutes les options n'ont pas été exclues. Les Croates comme les Slovènes
24 avant ont continué à envisager des circonstances dans lesquelles la
25 Yougoslavie à leur goût, pourrait être à leur avantage. C'était en tout
Page 163
1 cas ce que pensait la majorité des gens en Croatie et en Slovénie. Tudjman
2 en personne était toujours un défenseur fervent d'une indépendance totale
3 par rapport à d'autres personnes de son parti ou d'autres personnes
4 croates. Cependant, il était préparé à être indépendant, à progresser plus
5 lentement.
6 M. Niemann (interprétation). - Quand Milosevic a accepté
7 l'indépendance de la Croatie, qu'il a vu que c'était inévitable, qu'elle a
8 été son attitude ?
9 M. Wheeler (interprétation). - En fait, on peut envisager
10 différents aspects. Milosevic a accepté la notion selon laquelle les
11 Croates avaient le droit de faire sécession, de suivre leur propre chemin.
12 Il l'a dit souvent au début de 1991. Mais il y avait toujours une réserve.
13 Les Croates avaient le droit de faire sécession, mais il n'avait
14 pas le droit d'emmener des territoires occupés par des Serbes avec eux.
15 Bien sûr Slobadan Milosevic et ses partisans loyalistes sertes en Croatie
16 devaient définir quels étaient ces territoires. Cela leur revenait. Si
17 l'on repense à la carte que l'on a vue, et on voit que du point
18 ethnographique c'est une zone serbe, il y a des zones serbes, Milosevic et
19 ses suivants n’étaient pas prêts à s’arrêter là. Ils voulaient plus.
20 L'une des définitions serbes de se qu’étaient leurs attentes en
21 termes de territoires croates qui avaient quitté la Fédération, allait
22 de : « Karlovac sur la côte à Karlovac à l’intérieur du territoire » et
23 cela représentait évidemment une partie très
24 importante de la Croatie qui était évidemment habitées par des Croates
25 plutôt que par des Serbes.
Page 164
1 M. Niemann (interprétation). - Pourriez-vous nous aidez en nous
2 montrant cela sur la carte du mieux que vous le pouvez, si cette carte
3 peut apparaître sur les écrans, la carte B1/1. Je peux également la
4 présenter aux Juges si c'est nécessaire.
5 M. Wheeler (interprétation). - Je vais essayer avec cette
6 machine. Est-ce que le technicien pourrait me montrer la ville de
7 Karlobac, je ne la vois pas sur ma carte.
8 M. Niemann (interprétation). - Peut-être pourrions-nous agrandir
9 l'image, ou la resserrer ?
10 Pourriez-vous mettre votre pointeur sur cette ville ? Je vais
11 demander l'aide du technicien, lui demander s'il peut marquer ce point sur
12 la carte.
13 M. Wheeler (interprétation). - Je n'arrive même pas à lire. Je
14 ne vois pas les îles, je ne peux pas lire. En fait, c'est en face de l'île
15 de Pac. On y voit Karlobac.
16 M. Niemann (interprétation). - Sans être vraiment précis...
17 M. Wheeler (interprétation). - Sans être trop précis, vous voyez
18 ici mon pointeur.
19 M. Niemann (interprétation). - Merci. Je crois que vous avez
20 mentionné le nom de la ville, ce qui nous aidera si nous devons y revenir
21 par la suite.
22 M. le Président (interprétation). - Excusez-moi de vous
23 interrompre. Puis-je demander à M. Fila s'il fait objection à ce que cette
24 carte soit proposée au dossier, en tant que pièce n° 3 ?
25 M. le Greffier (interprétation). - Oui, c'est cela.
Page 165
1 M. Fila (interprétation). - J'ai une objection quant à
2 l'authenticité sur ce qu'a dit Milosevic. C’est ce qu'a dit Seselj, et pas
3 Milosevic.
4 M. le Président (interprétation). - Merci. Donc il s’agit de la
5 pièce numéro 3.
6 M. Wheeler (interprétation). - Je n'ai pas dit que Milosevic
7 avait défini le territoire idéal. J'ai dit que c'était une expression
8 commune. Dans les premiers mois de 1991, la presse serbe ne cessait de
9 proférer des spéculations quant à l'ampleur du territoire qui devrait être
10 extirpé, en quelque sorte, de la Croatie. C'était une définition commune
11 et c'était une version extrême de ce que l'Etat serbe devrait prendre de
12 la Croatie.
13 M. Niemann (interprétation). - Etes-vous d'accord avec ce que
14 M. Fila vient de dire, que l'un des partisans de ces opinions était en
15 fait Seselj ?
16 Avez-vous entendu ma question ?
17 M. Wheeler (interprétation). - Vous me demandez ? Effectivement,
18 Seselj était connu pour avoir propagé cette notion, à savoir que les
19 frontières de la Serbie devaient empiéter partout où il y avait des
20 Serbes, où les Serbes étaient enterrés. Bien entendu, cela a donné cours à
21 de nombreuses blagues, à l'époque, que la Serbie devrait être extrêmement
22 étendue. En fait, Seselj était un allié de Milosevic, qui encourageait le
23 nationalisme et les votes nationalistes pour son parti, le parti radical
24 qui aurait considéré Milosevic comme un ancien communiste, comme quelqu'un
25 qui, en fait, était blasphématoire. Il se ralliait les suffrages des
Page 166
1 nationalistes pour Milosevic.
2 M. Niemann (interprétation). - En parlant de la Slavonie
3 orientale, quel impact la Seconde Guerre Mondiale a-t-elle eu sur cette
4 région ?
5 M. Wheeler (interprétation). - En fait, la Slavonie orientale
6 était inclue dans l'Etat de cette partie du monde, l'Etat indépendant de
7 Croatie, et, par conséquent, les Serbes, dans cette partie du monde,
8 étaient sujets aux mêmes problèmes que ceux survenus ailleurs, dans l'Etat
9 croate indépendant. Mais on doit dire que, par exemple, dans le nord de la
10 Bosnie ou de l’Herzégovine, une région connue pour abriter un certain
11 nombre -un nombre très important, même- soit de Croates nationalistes
12 fervents, soit de nationalistes Serbes fervents. Etant donné la
13 topographie de la région (c'est un pays
14 extrêmement plat), il n'y avait pas beaucoup d'activités de résistance,
15 parce que la région ne s'y prêtait pas. Mais la Slavonie orientale et la
16 Voïvodine étaient des bases d'appui pour le mouvement des partisans, au
17 cours de la seconde guerre mondiale.
18 M. Niemann (interprétation). - Après la seconde guerre mondiale,
19 y a-t-il eu une population allemande qui est venue s'installer en Slavonie
20 orientale, et qu'est-il advenu ?
21 M. Wheeler (interprétation). - Effectivement. La Slavonie
22 orientale, et ailleurs, abritaient une minorité allemande d'environ un
23 demi-million de personnes, avant la seconde guerre mondiale. Après la
24 guerre, à la fin, cette minorité allemande soit a fui les lieux, soit en a
25 été expulsée par la suite. La même chose s'est produite dans d'autres
Page 167
1 parties de l'Europe de l'Est. Il s'agissait du sud-est.
2 M. Niemann (interprétation). - Après cela, que s’est-il
3 produit ?
4 M. Wheeler (interprétation). - En fait, ceci a permis de libérer
5 un grand nombre de terres extrêmement fertiles et de villages prospères.
6 Ceci a permis la réinstallation de personnes défavorisées, de Yougoslaves
7 venant des régions passives, des benarec. Par exemple, en Slavonie
8 orientale, un grand nombre de Serbes du nord de la Dalmatie, de Kordun,
9 sont venus; de nombreux Croates d’Herzégovine, également, sont venus s’y
10 installer. Ces personnes, contrairement à la passivité politique, en
11 quelque sorte, que l'on pouvait remarquer dans les régions riches de la
12 Yougoslavie, ces personnes étaient plus tournées vers la politique. Elles
13 pensaient que l’arrivée des Serbes et des Croates, de ces hommes
14 notamment, avait un effet négatif sur les relations inter-ethniques entre
15 Serbes et Croates, ces hommes des montagnes, comme on les appelait, et
16 leur famille.
17 M. Niemann (interprétation). - Quelle était la composition
18 ethnique de la municipalité de Vukovar ?
19 M. Wheeler (interprétation). - En ce qui concerne le recensement
20 de 1991, la municipalité de Vukovar avait une population d'un peu plus de
21 84 000 habitants. 43,7 % étaient des Croates, 37,4 % étaient des Serbes,
22 et 7,3 % étaient des Yougoslaves -en tout cas, ils se déclaraient être des
23 Yougoslaves. Et la complexité ethnique est montrée par la catégorie
24 Autres, qui est constituée de 11,6 %, c'est-à-dire des Slovaques, des
25 Hongrois, et d'autres personnes qui s'étaient implantées ici avec la
Page 168
1 monarchie des Habsbourg, au cours du seizième siècle.
2 M. Niemann (interprétation). - Je me demandais si la carte B1/5
3 pouvait apparaître maintenant sur l'écran. J'ai également une copie de
4 cette carte que je peux vous proposer, Madame et Messieurs les Juges. Je
5 voudrais verser cette pièce au dossier.
6 Cette carte a été également montrée à la défense. Peut-être
7 pourriez-vous la montrer de nouveau à M. Fila, simplement pour confirmer
8 que c'est bien une carte qu'il a reçue. Il s'agira donc de la pièce P4.
9 Pourriez-vous la faire passer à M. Fila ? J'en demande le
10 versement.
11 Après un coup d'oeil à la carte que vous voyez maintenant, et
12 qui est également sur l'écran, pouvez-vous nous dire ce que cette carte
13 représente ?
14 M. Wheeler (interprétation). - C'est une carte de la Slavonie
15 orientale et du (...) occidental qui se trouvent en Croatie. Cette carte
16 ne montre pas véritablement les frontières municipales. Peut-être que oui,
17 en fait, mais je ne peux pas les voir, en tout cas.
18 Si le but de la question est de me demander de décrire la
19 municipalité de Vukovar, je suppose que je peux dire que c'était une
20 municipalité extrêmement grande, en terme de dimension. Toutes les
21 municipalités de Yougoslavie étaient géographiquement grandes, même si la
22 population n'était pas importante. Lorsque j'ai dit plus tôt que la
23 population de Vukovar était de 84 000, il s'agissait de toute la
24 municipalité, le district comme on dit. C'est-à-dire d’Ilok, à l'est de la
25 carte, sur le Danube, jusqu'aux portes
Page 169
1 d’Osijek, au nord-ouest. En fait, c'est une distance extrêmement
2 importante, 40, 50 kilomètres.
3 M. Niemann (interprétation). - On voit Osijek au bout de la
4 carte.
5 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
6 M. Niemann (interprétation). - Vous avez mentionné Ilok, Osijek.
7 Vukovar se situe-t-elle à peu près au centre ? S’agit-il de la ville ?
8 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
9 M. Niemann (interprétation). - A quelle distance, à l'ouest,
10 s’étend cette opcina ?
11 M. Wheeler (interprétation). - L'opcina de Vukovar va au-delà de
12 Trpinja. En fait, cela va jusqu'à l'endroit où vous voyez l'aérodrome de
13 Klisa. Cela doit être à peu près la frontière de la municipalité. Je ne
14 vois pas très bien où elle est. En fait, cela recouvre des villages tels
15 que Trpinja, Bobota.
16 M. Niemann (interprétation). - Si cette pièce n'a pas encore été
17 versée, j'en demande le versement, Monsieur le Président. Je demande le
18 versement de cette carte
19 M. le Président (interprétation). - Oui, il n'y a pas eu
20 d'objection de Maître Fila, donc j’ai dit que... Peut-être n’avais-je pas
21 allumé mon micro... Il s'agit de la pièce 4.
22 M. Fila (interprétation). - Non, il n'y a pas d'objection. Nous
23 l'avons reçue hier.
24 M. Niemann (interprétation). - Professeur Wheeler, je crois que
25 vous en avez parlé très rapidement. Je crois que vous avez dit que la
Page 170
1 région de Vukovar, dans le contexte de la Yougoslavie, était considérée
2 comme une région assez prospère.
3 M. Wheeler (interprétation). - Oui, même si elle avait subi tout
4 ce qu’avait subi la Yougoslavie du point de vue économique, en 1980. Elle
5 n'était plus aussi prospère
6 qu'auparavant, mais, bien sûr, c'était une pré-condition politique pour la
7 séparation des différentes parties de la Yougoslavie. La crise économique
8 touchait toutes les régions.
9 M Niemann (interprétation). - Quand les tensions ont-elles
10 débuté dans les régions de Vukovar, cela s’est-il manifesté dans la région
11 de Borovo Selo ?
12 M.Wheeler (interprétation). - Oui, elles se sont déclarées peut-
13 être plus tard que dans les autres régions dans les différentes colonies
14 serbes de Croatie. Il s'agit de l'été 1990, quand la révolution des
15 barricades a commencé à l'époque. Et ce n'est qu'en avril ou en mai qu'il
16 y a eu des violences, des affrontements physiques, il s'agit de 1991 bien
17 sûr, avril-mai 1991. C'est là que les violences ont éclaté en Slavonie
18 orientale.
19 M Niemann (interprétation). - Est-ce que des groupes
20 paramilitaires ont contribué à cette exacerbation des tensions de cette
21 violence ?
22 M.Wheeler (interprétation). - Oui, c'est un des traits
23 caractéristiques de ce qui s'est passé en Slavonie orientale.
24 En fait, une quantité non négligeable de cette incitation à la
25 violence provenait de l'extérieur, au printemps de 1991, des groupes
Page 171
1 paramilitaires basés en Serbie se sont établis dans un certain nombre de
2 territoires de la Slavonie orientale aux alentours de Vukovar. Ces groupes
3 ont essayé de pousser la population locale serbe à dresser des barricades,
4 à se défendre à se protéger des "Oustachis", à ces hordes brutales -comme
5 elles étaient qualifiées- de Croates qui allaient déferler sur eux. En
6 fait, ces groupes plus la population ont généré toutes sortes de troubles.
7 M Niemann (interprétation). - Certains de ces groupes
8 paramilitaires ont-ils été identifiés ? Certains d'entre eux du moins ?
9 M.Wheeler (interprétation). – Oui, tout à fait, au début de ces
10 événements, un certain nombre de ces groupes se sont rassemblés dans la
11 partie nord-ouest de la municipalité de Vukovar. Ces groupes avaient des
12 identités distinctes et ne se sont pas fait
13 connaître par la suite nominalement, je ne me rappelle pas avoir vu un nom
14 en particulier, mais je sais que les deux groupes militaires les plus
15 importants par la suite ce sont fortement ancrés dans la région. Il y
16 avait bien évidemment Vojislav Seselj dont nous avons parlé tout à l'heure
17 et il y avait son groupe les " aigles blancs " aussi connus sous le nom de
18 Chetniks et ce groupe s'était approprié toutes les caractéristiques des
19 guérillas serbes de la seconde guerre mondiale et ces " aigles blancs ",
20 ces Chetniks se sont installés à Borovo Selo. Il y avait également Arkan,
21 c'est-à-dire Razjanovic Arkan et les tigres d'Arkan, comme on les a
22 appelés, se sont installés à Erdut, une ville sur le bord du Danube. Je ne
23 crois pas que cela soit là un pur hasard parce que, par la suite, des
24 éruptions de violence se sont produites dans cette région de la Croatie
25 vers le mois de mai, le 2 mai plus précisément à Borovo Selo, là où les
Page 172
1 " aigles blancs " de Seselj s'étaient établis.
2 M Niemann (interprétation). - Je ne suis pas sûr que nous soyons
3 entrés suffisamment dans le détail sur une question en particulier, je
4 vais y revenir, si vous me le permettez. Vous avez déclaré que la Croatie
5 avait déclaré son indépendance le 25 juin 1991. Est-elle devenue
6 indépendante de facto à cette même date ?
7 M.Wheeler (interprétation). – Là, vous touchez une question
8 éminemment technique et juridique. A priori, oui, l'indépendance est
9 devenue effective, mais, à cette époque-là, du fait de l'arrivée de la
10 troïka de la communauté européenne et du fait également de la conclusion
11 de l'accord de Brioni au mois de juillet, les déclarations d'indépendance
12 de la Slovénie et de la Croatie respectivement ont été suspendues pendant
13 quelque temps. En fait, un moratoire a été déclaré pour cette déclaration
14 d'indépendance. Alors, maintenant, la question de savoir si cette
15 indépendance a été effectivement appliquée à cette date-là, c'est un sujet
16 de débat qui est encore ouvert.
17 M Niemann (interprétation). - Je vous demande simplement quelle
18 a été l'évolution de la question. Je ne vous demande pas de vous prononcer
19 précisément sur ce
20 fait.
21 Revenons à ce que nous étions en train de dire et plus
22 précisément à ces groupes paramilitaires qui s'étaient installés dans
23 cette partie de la Slavonie orientale ? Quel a été le rôle de la JNA dans
24 tout cela ?
25 M.Wheeler (interprétation). - En Slavonie orientale, la JNA a
Page 173
1 joué un rôle beaucoup plus clair que celui qu'elle a pu jouer dans
2 d'autres parties de la Croatie à des époques antérieures. La raison pour
3 laquelle je dis cela, c'est que les raisons invoquées pour l'implication
4 de la JNA dans l'éruption de certaines tensions, de certaine violences
5 dans la région a été que la JNA était arrivée pour séparer les
6 combattants, pour imposer un climat de paix, elle se présentait, en fait,
7 comme une force de maintien de la paix, mais au printemps de 1991, en
8 fait, il était très clair que la JNA ne pouvait en aucun cas être
9 considérée comme une force de maintien de paix. Il était évident que la
10 JNA intervenait, non pas dans l'objectif de maintenir la paix, mais, bien
11 au contraire, dans l'objectif d'établir la communauté serbe dans cette
12 partie-là du monde.
13 Et il était de même évident que les groupes paramilitaires dont
14 nous avons parlé précédemment étaient en train de devenir partie
15 intégrante de la JNA et d'être contrôlés par la JNA. Je crois que c'est
16 très révélateur. Cela montre bien que la JNA était en train de se
17 distancer totalement d'une idée qui revenait à dire qu'elle se chargeait
18 du maintien de la paix dans la région.
19 M Niemann (interprétation). - A quelle époque le siège de
20 Vukovar a-t-il commencé ?
21 M.Wheeler (interprétation). - Plusieurs dates sont avancées. En
22 fait, pour ce qui est du centre même de la ville de Vukovar, cette zone de
23 la ville a été quasiment coupée du reste de la Croatie au mois de juillet.
24 Mais en fait, la grande offensive qui a été lancée sur la ville, et sur le
25 coeur de la ville, qui était contrôlée par les Croates, a été
Page 174
1 lancée le 25 août. C'est en tout cas la date généralement proposée.
2 D'autres parlent du 19 août.
3 M Niemann (interprétation). - Quel était l'objectif de ce siège
4 de Vukovar ?
5 M.Wheeler (interprétation). - L'objectif c'était bien évidemment
6 de s'assurer le contrôle de Vukovar. En août, la communauté serbe locale
7 avait déclaré son indépendance, son autonomie et ils avaient créé en fait
8 le deuxième mini Etat serbe de Croatie et Vukovar avait été désignée comme
9 étant la capitale de ce mini Etat. Le fait de s'assurer le contrôle de la
10 ville était quelque chose d'absolument crucial pour des raisons
11 politiques. Et bien évidemment, le plus longtemps le siège durait, plus
12 ferme était la résistance des Croates. La question de la prise de Vukovar
13 est devenue une question précise pour la JNA, il fallait qu'elle démontre
14 qu'elle était capable de s'assurer le contrôle de la ville. On pourrait
15 dire en troisième lieu que toute avancée territoriale en Croatie supposait
16 qu'il fallait s'assurer une base arrière solide. Il fallait s'assurer des
17 positions arrières bien solides et Vukovar semblait être la ville indiquée
18 pour ce faire. Il y avait également ces raisons politiques et de prestige
19 que j'ai invoquées tout à l'heure.
20 M Niemann (interprétation). - Quelles ont été les forces serbes
21 qui ont participé à la prise de Vukovar ?
22 M.Wheeler (interprétation). - Dans une grande mesure, la JNA,
23 les groupes paramilitaires. Les forces de la JNA étaient commandées depuis
24 la Serbie, et c'est le Général Zivota Panic qui commandait le premier
25 district militaire de Belgrade. Il y avait également des unités de la JNA
Page 175
1 qui provenaient de la Bosnie et même du Monténégro. Elles ont également
2 pris part à cette bataille, à cette offensive de Vukovar. On parle de
3 30000 hommes de la JNA et des groupes paramilitaires, 35000 à peu près
4 auraient participé à la prise et à la destruction de la ville.
5 M Niemann (interprétation). - Y a-t-il eu des unités de défense
6 territoriale
7 déployées au cours de cette attaque ?
8 M.Wheeler (interprétation). - Oui, l'une des raisons pour
9 lesquelles Tudjman s'est trouvé dans cette position extrêmement gênante
10 pour ce qui était d'affirmer l'indépendance de la Croatie à partir du mois
11 de juin 1991, c'est que la défense territoriale en Croatie, avait été
12 désarmée. C'est la JNA qui s'était saisie des armes de la défense
13 territoriale lors de la préparation des élections de 1990. Cela signifiait
14 que les éléments croates de la défense territoriale ne disposaient
15 d'aucune arme et la JNA s'était bien entendu assurée que la partie serbe
16 de la défense territoriale était, elle, dotée d'armes appropriées. En
17 fait, cette défense territoriale était constituée des vieilles milices de
18 la défense territoriale qui se trouvait en Slavonie orientale. Ces
19 anciennes milices avaient été armées par la JNA et même si, par la suite,
20 elles ont dû elles-mêmes se trouver des armes, elles restaient. En fait,
21 il s'agissait là des vestiges de l'ancien système de défense territoriale.
22 M Niemann (interprétation). - Quelles ont été les forces croates
23 qui se sont opposées aux forces serbes au cours de ce siège ?
24 M.Wheeler (interprétation). - On dit qu'il y a eu entre 1000 et
25 1800 défenseurs croates à Vukovar au moment où le siège a atteint son
Page 176
1 point culminant, c'est-à-dire que la proportion d'attaquants par rapport
2 aux défenseurs était de 15 pour 1, il y avait un déséquilibre manifeste et
3 dramatique évidemment.
4 M Niemann (interprétation). - Y avait-il des unités
5 particulières ou des unités spécifiques des forces croates qui ont pris
6 part à la défense de la ville ?
7 M.Wheeler (interprétation). - Oui absolument, trois unités y ont
8 pris part. Tout d'abord l'ensemble constitué par la défense territoriale
9 et la police locale. Ensuite, il y a eu la garde nationale croate qui
10 venait d'être créée, c'est-à-dire la ZNG, cette force avait été créée au
11 cours de l'été 1991. Elle a réussi à rassembler un certain nombre
12 d'unités, à les
13 faire rentrer dans Vukovar et le troisième élément de la défense croate,
14 c'était ce qui était appelé le HOS, les force des défenses croates et, en
15 fait, c'était l'équivalent croate des groupes paramilitaires dont je
16 parlais précédemment pour la Serbie.
17 Il s'agissait de forces paramilitaires néofascistes qui avaient
18 prêté allégeance à Dubroslav Paraga, chef d'un parti d'extrême-droite.
19 On ne peut pas donner de chiffres précis pour ce qui est des
20 défenseurs croates, en tout cas, je ne peux pas vous les donner. Quelle
21 était la proportion d'éléments du HOS ou de ces groupes paramilitaires ou
22 de ces forces de défense locale ou de la ZNG qui forment en fait le coeur
23 d'une nouvelle armée croate qui était en train de se mettre sur pied ? La
24 seule chose que nous pouvons dire avec certitude, c'est que le HOS était
25 l'unité la plus réduite.
Page 177
1 M Niemann (interprétation). - Est-ce que la campagne militaire
2 de la JNA ou serbe à cette époque-là se limitait simplement à la ville de
3 Vukovar ou bien est-ce qu'elle avait d'autres visées sur d'autres villes ?
4 M.Wheeler (interprétation). - En aucun cas. Elle ne se limitait
5 en aucun cas à Vukovar. Les objectifs étaient extrêmement ambitieux.
6 En fait, les objectifs de Milosevic et de la JNA s'étendaient
7 bien au-delà des régions qui comptaient parmi les habitants une communauté
8 serbe et les 25 et 26 août 1991 par exemple, la JNA ainsi que ces alliés
9 paramilitaires ont pris tout le district de Baranja. Et Baranja est une
10 région qui comptait très peu de Serbes parmi ses habitants, peut-être 25 %
11 de la population au maximum, le gros de la population était constitué de
12 Croates et de Hongrois. Par la suite, au cours de l'automne, ils ont
13 avancé sur une autre région, là aussi où les Serbes étaient en minorité,
14 la région d'Ilok qui se trouve sur les bords du Danube. Ilok est une
15 petite ville, la population serbe devait être de 7 % environ, l'écrasante
16 majorité de la population était croate et il y avait aussi une importante
17 communauté de Slovaques. Et dans ces deux cas, c'est-à-dire Baranja à la
18 fin du mois d'août et puis la prise d'Ilok au milieu de l'automne, en
19 octobre, était très révélatrice de la façon dont la JNA était en train de
20 mettre en place la politique qualifiée par la suite de nettoyage ethnique.
21 Qu'est-ce que cela voulait dire ? La population qui n'était pas serbe
22 était chassée.
23 Cela s'entend pour Baranja et pour ce qui est de Ilok qui était
24 une petite ville où avaient trouvé refuge nombre de réfugiés des petites
25 villes qui se trouvaient au sud d'Ilok et qui avaient déjà été l'objet du
Page 178
1 nettoyage ethnique par la JNA. Au départ, cette petite ville avait 9500
2 habitants et elle s'était retrouvée habitée par plus de 12000 personnes en
3 octobre 1991. Dans le cas d'Ilok, la JNA est entrée dans la ville, a émis
4 un ultimatum et a déclaré que la majorité croate qui, d'ailleurs n'était
5 pas armée, devait absolument quitter les lieux et c'est ce qu'a fait la
6 population croate. Ils ont vraiment été éjectés de la ville par la JNA qui
7 ne leur a pas laissé d'alternative. Là, c'est un exemple manifeste d'une
8 armée qui manipule la population dans le cadre d'un nettoyage ethnique de
9 très grande envergure.
10 M Niemann (interprétation). - Qui a gagné le siège de la ville
11 de Vukovar ?
12 M.Wheeler (interprétation). - C'est bien évidemment la JNA qui a
13 triomphé dans le siège, mais il est bien clair aussi que si les Serbes ont
14 gagné cette bataille, ils ont perdu la guerre.
15 Il est bien clair que les scènes de dévastation, de cruauté, de
16 barbarie, ajoutées à ce qui a pu se passer à Dubrovnik sur les bords de
17 l'Adriatique et qui ont été diffusées, ont fait que les Serbes ont perdu
18 leur campagne de propagande, en tout cas aux yeux du monde extérieur,
19 alors que jusqu'à présent ils s'étaient plutôt bien débrouillés. Je
20 rappelle que le régime de Fanjo Tudjman était regardé d'un oeil
21 extrêmement sceptique par la scène internationale. Mais la défense
22 héroïque des Croates à Vukovar et la souffrance endurée
23 par la population locale ont eu pour effet de retourner complètement la
24 situation. Les Croates sont apparus aux yeux du monde comme étant les bons
25 et les Serbes étaient considérés comme étant les méchants, les ennemis.
Page 179
1 Même si en termes militaires, les Serbes ont gagné, il faut bien
2 dire qu'à long terme, ils ont perdu leur campagne de propagande. De plus,
3 bien évidemment, au cours de l'année 1995, il y a eu la création de la
4 République serbe de Krajina et, à cette date-là, cette république s'est
5 effondrée, a disparu. Contrairement à ce qu'a dit Milosevic à l'époque
6 en 1995, il n'a pas levé le petit doigt pour défendre les habitants de la
7 République serbe de Krajina.
8 M. Niemann (interprétation). - Je n'ai plus de question.
9 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie.
10 Maître Fila, vous avez la parole. Voulez-vous commencer votre contre-
11 interrogatoire ?
12 M. Fila (interprétation). - Si c'était possible, pourrions-nous
13 attendre demain ? Sinon, bien évidemment, je commence mes questions
14 immédiatement.
15 Nous n'avons reçu qu'une partie de la traduction dont j'avais
16 besoin. Je n'ai pas eu le temps de m'entretenir avec mon client de la
17 teneur de cette déclaration. Bien évidemment, je peux commencer mon
18 contre-interrogatoire aujourd'hui, mais il me semble qu'il serait
19 préférable que nous ne commencions que demain, ce qui me permettrait de
20 m'entretenir avec mon client de la teneur de la déclaration du témoin. Je
21 sais bien que nous sommes tous ici pour la rapidité et l'efficacité de ces
22 travaux, mais il faut bien que nous agissions en toute connaissance de
23 cause.
24 M. le Président (interprétation). - Etant donné qu'il nous reste
25 57 minutes exactement puisque nous étions supposés nous arrêter à une
Page 180
1 heure et quart, je me demande si malgré tout vous auriez l'obligeance de
2 commencer, dès à présent, votre contre-interrogatoire justement dans le
3 but d'accélérer ces travaux.
4 M. Fila (interprétation). - Oui, je voulais simplement savoir
5 s'il n'était pas possible d'attendre demain, mais je suis prêt.
6 Monsieur Wheeler, sur les cartes que nous avons observées tout à
7 l'heure, vous avez indiqué quels avaient été les déplacements des Serbes
8 quand ils s'étaient déplacés vers la République de Krajina au quinzième
9 siècle. Y avait-il un état serbe dans ce territoire à cette époque-là ou
10 un autre état ?
11 M. Wheeler (interprétation). - Oui, en théorie, il y avait un
12 état croate après 1102. Cet Etat croate s'était trouvé sous la couronne
13 hongroise dans un rapport de forces qui n'a cessé de faire l'objet de
14 contestations, par la suite, par les universitaires, mais il y avait un
15 état croate.
16 M. Fila (interprétation). - Mais dans le cadre de l'empire
17 austro-hongrois ?
18 M. Wheeler (interprétation). - Tout à fait.
19 M. Fila (interprétation). - Je vous remercie. Pourriez-vous nous
20 dire quelle était la composition de la population à l'époque ? La
21 proportion de Serbes, la proportion de Croates et quelles étaient les
22 régions qui appartenaient véritablement à la Croatie ? Quelles régions
23 étaient croates ? Y avait-il d'autres districts, d'autres régions telles
24 que la Croatie, la Dalmatie et la Slovénie, ou bien l'ensemble de ces
25 régions était-il appelé Croatie ? Je parle de ce qui prévalait au 15ème
Page 181
1 siècle et ce qui a prévalu par la suite.
2 M. Wheeler (interprétation). - Bien sûr, il était connu comme le
3 Royaume de Croatie, de Dalmatie, de Slovénie. Bien sûr, l'essentiel de la
4 côte se trouvait sous le régime dalmate, mais il est difficile de
5 reconstruire tout ceci. L'intérêt qu'il y avait à avoir des frontières
6 militaires, du moins aux yeux des Habsbourg, était d'assurer la
7 repopulation de régions qui se trouvaient vidées de leur population, car
8 il y avait eu des guerres incessantes entre les Habsbourg et les Turcs
9 ottomans au cours des siècles précédents. L'idée, en effet, était
10 d'implanter une frontière, un obstacle humain, avec des colons tant serbes
11 que croates
12 qui venaient d'autres parties de l'empire ottoman. Donc des Croates
13 avaient été installés et il y avait des quantités importantes et des
14 personnes de toutes sortes se trouvaient pratiquement implantées là. Il y
15 avait des colons soldats et c'était vraiment une implantation importante.
16 M. Fila (interprétation). - C'est la première fois qu'on
17 m'apprend qu'il y avait des Croates qui se trouvaient également là et qui
18 provenaient de l'empire ottoman. Quels sont les Croates qui sont arrivés
19 en Vojvodina-Krajina et se sont implantés dans cette région ? D'où
20 provenaient-ils ? Enfin je veux dit que ce n'était pas seulement des
21 Serbes.
22 M. Wheeler (interprétation). - Loin de là. Il y avait des
23 Croates qui venaient de la Croatie civile et je suppose aussi de la
24 Bosnie, mais je n'en suis pas sûr.
25 M. Fila (interprétation). - Vous avez le droit d'émettre vos
Page 182
1 propres opinions sur la question. Après la Première guerre mondiale, un
2 Etat a été créé. Quel nom portait-il ?
3 M. Wheeler (interprétation). - Royaume des Serbes, des Croates
4 et des Slovènes, établi le 1er décembre 1918.
5 M. Fila (interprétation). - Par la déclaration de Corfou, n'est-
6 ce pas ?
7 M. Wheeler (interprétation). - Celle-là était en 1917. C'était
8 une déclaration d'intention aux fins de constituer effectivement ce
9 royaume.
10 M. Fila (interprétation). - Absolument oui. Quelles étaient les
11 frontières de ce royaume des Serbes, Croates et Slovènes ?
12 Correspondaient-elles aux frontières qui ont été dessinées par la suite
13 dans la Yougoslavie de Tito ?
14 M. Wheeler (interprétation). - L'Etat ou plutôt le Royaume des
15 Slovènes, Croates et Serbes a pris naissance en 1918 sans que des
16 frontières aient été établies. Elles ne seront établies qu'en 1921 avec le
17 traité de Repello qui déterminait les limites territoriales avec l'Italie.
18 La région qui nous intéresse le plus dans cette affaire, la Slavonie
19 orientale, Seselj et Baranja, faisait aussi l'objet de différends
20 importants. Il y avait la partie méridionale de Baranja qui reste pour
21 l'essentiel en Hongrie. Cette partie n'a été acquise par l'Etat yougoslave
22 qu'après une lutte militaire importante contre le régime bolchevik de
23 Balakun, en Hongrie à l'époque.
24 Je suppose, Maître Fila, que vous me posez une question à propos
25 des délimitations territoriales internes ?
Page 183
1 M. Fila (interprétation). - Absolument, les frontières internes.
2 Les frontières extérieures étaient quelque chose d'autre. Bien sûr, il y a
3 eu des modifications. En 1945 par exemple, les frontières ont été
4 entièrement revues. Là je parle uniquement des frontières internes. Quand
5 ont-elles été établies et décidées et dans quelles circonstances ?
6 M. Wheeler (interprétation). - Le nouvel Etat yougoslave, en
7 1918, était dirigé par des personnes qui pensaient que si l'on voulait
8 créer une véritable Yougoslavie et des Yougoslaves à partir des Slovènes,
9 des Croates et des Serbes, cet Etat devait disposer de la forme la plus
10 centralisée de gouvernement, l'existence nationale séparée de personnes
11 comme des Musulmans de Bosnie, des Montenegrins n'ayant pas été reconnue à
12 l'époque. C'est à ce moment-là qu'on a établi des (...) pratiques en
13 Europe. L'autorité a été dévolue à des régions. L'autonomie régionale, à
14 ce moment-là, n'était pas considérée comme une bonne chose et ceux qui ont
15 établi la constitution de Vidovdan dans ce royaume des Croates, des Serbes
16 et des Slovènes ont surtout adopté les principes français. A l'époque, la
17 France était un Etat éminemment centralisé. Cela veut dire que la
18 Yougoslavie...
19 M. Fila (interprétation). - ... est mononationale.
20 M. Wheeler (interprétation). - C'est l'objectif, malheureusement
21 ce n'est pas devenu une réalité.
22 M. Fila (interprétation). - Quand ces frontières internes ont-
23 elles été établies ?
24 Je parle ici de de la Banovina.
25 M. Wheeler (interprétation). - La structure des Banovina a été
Page 184
1 créée au moment où le roi Alexandre, en janvier 1929, établit sa dictature
2 royale.
3 M. Fila (interprétation). - Quelle en était l'idée ?
4 M. Wheeler (interprétation). - Les Banovina -je crois que le
5 terme de province est une bonne façon de le traduire en anglais- sont
6 toutes dénommées à partir de particularités géographiques importantes
7 comme des rivières par exemple, et c'était une façon permettant de mettre
8 un terme à ce processus qui consistait à se libérer de ce qui restait des
9 identités nationales, puisque nous avions un régime nationaliste royaliste
10 qui voulait y parvenir. Cela veut dire aussi que ces Banovina ont empiété
11 sur les frontières historiques héritées du passé. C'était donc
12 l'imposition d'une idéologie de ce qui semblait être un bon système
13 d'administration, imposition de ceci sur des frontières géographiques et
14 historiques.
15 M. Fila (interprétation). - Est-ce ce que le roi Alexandre
16 souhaitait ? Souhaitait-il faire une nation yougoslave unie ?
17 M. Wheeler (interprétation). - Tout à fait, c'était bien ce que
18 recherchait le roi Alexandre. Le problème est que ce yougoslavisme ne
19 pouvait pas se distinguer de son serbisme. C'était le problème pour les
20 non Serbes...
21 M. Fila (interprétation). - ... Qui représentaient une minorité.
22 Le Roi Alexandre a-t-il déclaré que l'idée yougoslave allait être
23 perpétuée par le biais d'écoles et de casernes militaires ?
24 M. Wheeler (interprétation). - Tout à fait, mais j'aimerais
25 revenir sur la question des minorités et des majorités. Tous les peuples
Page 185
1 de Yougoslavie, après 1918, étaient des minorités. Il n'y a jamais eu de
2 majorité, il y a eu une pluralité, mais jamais de majorité.
3 M. Fila (interprétation). - Oui, enfin tout est relatif. Bien.
4 Passons. Vous avez déclaré que le régime de Tito avait essayé de
5 concrétiser l'idée de la création d'une nation yougoslave. Pouvons-nous
6 dire que cette idée émanait en fait du cerveau du roi Alexandre ?
7 M. Wheeler (interprétation). - Il n'était pas l'auteur de
8 l'idée. S'agissant de l'idée de créer une nation yougoslave, c'est vrai
9 qu'en tant que dirigeant, on pourrait établir un héritage linéaire, un
10 lien entre les objectifs poursuivis par Alexandre et ceux poursuivis par
11 Tito, à savoir qu'ils voulaient que l'Etat yougoslave soit fondé sur des
12 bases solides, en renforçant la mesure dans laquelle chaque individu
13 embrassait une idéologie yougoslave.
14 Cependant, la façon qu'avait Tito de le faire différait de ce
15 qu'Alexandre avait en tête. Le Roi Alexandre voulait simplement
16 serbianiser la population de Yougoslavie dans la plus grande mesure
17 possible, pas absolument -ce n'était pas un homme brutal-, alors que Tito
18 lui voulait utiliser l'idéologie marxiste-léniniste socialiste pour
19 parvenir à la création d'un nouvel homme yougoslave et d'une nouvelle
20 femme yougoslave, tout en parallèlement permettant à cet homme et à cette
21 femme, d'être un Serbe, un Croate, un Albanais par exemple.
22 M. Fila (interprétation). - Oui, c'est une façon de dire les
23 choses.
24 S'agissant de cette idée de "yougoslavisme", pour ce qui est de
25 la Yougoslavie de Tito, pourriez-vous me dire quelles nations se sont
Page 186
1 déclarées comme étant yougoslaves ?
2 Voici pourquoi je pose cette question. Je sais qu'il ne faut pas
3 gaspiller le temps du Tribunal, mais vous aviez dit qu'il y avait des
4 recensements en 1971 et en 1991 et que la proportion de Yougoslaves avait
5 diminuée entre ces deux recensements. Pouvez-vous me dire quelles étaient
6 les personnes qui se déclaraient Yougoslaves dans la Yougoslavie de Tito ?
7 M. Wheeler (interprétation). - Il y a de nombreuses raisons au
8 fait que quelqu'un décide de se déclarer Yougoslave. La plus commune de
9 ces raisons est simplement que ces personnes étaient le fruit de mariages
10 mixtes. A ce moment-là, il était plus facile de dire que vous étiez
11 Yougoslave si vous aviez une mère musulmane et un père serbe, par exemple.
12 Vous avez parlé de 1971. Ce référendum est intéressant.
13 M. Fila (interprétation). - Oui, le recensement de 1981.
14 M. Wheeler (interprétation). - Vous avez parlé de 1971 aussi
15 parce que l'on voit des hauts et des bas. Le recensement de 1971 a permis
16 de montrer qu'il y avait une diminution importante après l'invasion par
17 l'Union soviétique de la Tchécoslovaquie. Dans le recensement de 1981, on
18 a un nombre important de Yougoslaves parce que ceci s'est passé juste
19 après la mort de Tito. Aujourd'hui, pour des citoyens des République de
20 l'ex-Yougoslavie, il est difficile de se souvenir à quel point ils ont
21 pleuré la mort de Tito, à quel point ils étaient terrifiés de ce qui
22 pouvait se passer. Effectivement, en 1981, il y a eu une forte
23 augmentation de Yougoslaves. Avec 1991, nous avons déjà eu dix ans
24 d'euphorie nationaliste ce qui veut dire que le nombre de Yougoslaves se
25 déclarant comme tel a beaucoup diminué.
Page 187
1 Ces recensements permettent de voir quel est le nombre de
2 mariages mixtes. Mais la déclaration de la Yougoslavie était aussi le
3 fruit de circonstances politiques et de convictions idéologiques. Il y a
4 donc de nombreuses raisons qui président à tout cela.
5 M. Fila (interprétation). - Pourriez-vous être plus précis, s'il
6 vous plaît, pour ce qui est de cette idée de yougoslavisme ? Etait-ce une
7 idée qui pouvait être acceptée par les Serbes et est-il exact que plus de
8 Serbes se sont déclarés Yougoslaves que de Croates, Macédoniens ou
9 Musulmans ? Outre les personnes issues de mariages mixtes, où là je vous
10 rejoins entièrement sur ce que vous avez dit.
11 M. Wheeler (interprétation). - En termes statistiques, le nombre
12 de
13 Yougoslaves était surtout le résultat de mariages mixtes et ceci en soi
14 est un indicateur tout à fait sain de la mesure dans laquelle les peuples
15 slaves du sud communiquaient entre eux, dans le sens charnel du terme.
16 Mais je crois qu'on peut dire, sans risque de se tromper, que
17 plus de Serbes dans la plupart des contrées du pays ont éprouvé moins de
18 difficultés à se déclarer Yougoslaves, à la fin du 20ème siècle, que ceci
19 n'avait été le cas pour d'autres peuples de Yougoslavie. Bien sûr, si nous
20 parlons de 1918, là il y avait beaucoup plus de Croates et de Slovènes que
21 de Serbes qui croyaient être yougoslaves. Mais à la fin du 20ème siècle
22 effectivement, sans doute plus de Serbes étaient prêts à se déclarer
23 Yougoslaves qu'il n'y avait de Croates.
24 M. Fila (interprétation). - Y avait-il certains problèmes issus
25 d'autres nations qui disaient que l'idée de la Yougoslavie était une autre
Page 188
1 manière, une nouvelle tentative par les Serbes d'assurer encore plus leur
2 domination, de devenir la nation leader dans la Yougoslavie ?
3 M. Wheeler (interprétation). - Effectivement, dans ce cas-là
4 aussi, il y avait des nationalistes parmi les peuples slaves du sud qui
5 voyaient, en la Yougoslavie, un véhicule de domination serbe. Mais il y
6 avait aussi des Serbes qui voyaient la Yougoslavie comme étant un véhicule
7 de domination croate, puisque Tito était croate après tout.
8 M. Fila (interprétation). - Oui, mais ils n'ont pas
9 véritablement mis en avant l'idée qu'ils devaient tous devenir
10 yougoslaves. Les nationalistes croates n'ont pas prétendu qu'ils devaient
11 devenir des Yougoslaves. Ils ont insisté sur le fait qu'ils étaient avant
12 tout croates. Puisque les juges souhaitent accélérer la procédure, je vais
13 maintenant en arriver au coeur de mes questions.
14 Vous avez parlé du régime de Tito, c'est une autre histoire.
15 Mais, cependant, une question reste importante. Vous avez parlé de la
16 Constitution de 1974. Avez-vous lu
17 la constitution croate ? Je suppose que vous l'avez lue.
18 M. Wheeler (interprétation). - Vous voulez parler de la
19 constitution de 1990. Non, je ne l'ai pas lue.
20 M. Fila (interprétation). - Non, je vous parle de celle de 1974
21 lorsque la Yougoslavie s'est transformée ?
22 M.Wheeler (interprétation). - J'ai lu la constitution fédérale
23 de 1974, mais je n'ai pas lu la constitution républicaine de Croatie
24 promulguée à la même époque.
25 M. Fila (interprétation). - Vous ne pouvez donc pas nous dire
Page 189
1 quelles sont les nations constituantes en vertu de la constitution croate
2 de 1974 ?
3 M.Wheeler (interprétation). - Je crois que, bien sûr, cette
4 question est importante, car la constitution croate avant Fanjo Tudjman
5 disait que les Croates, les Serbes et toutes autres nations ou
6 représentants des autres nations, toutes autres nations yougoslaves
7 résidant sur le territoire de Croatie étaient les personnes constituant la
8 République croate.
9 M. Fila (interprétation). - Cela veut-il dire que les Serbes
10 avaient les mêmes droits que les Croates ?
11 M.Wheeler (interprétation). - Tout à fait. Non seulement les
12 serbes étaient considérés comme étant un élément constitutif de la
13 République de Croatie, mais la Croatie dans sa constitution avant Tudjman
14 donnait les mêmes droits aussi par exemple pour ce qui est de l'alphabet
15 cyrillique.
16 M. Fila (interprétation). - Aux deux nations. Très bien.
17 Vous avez parlé du référendum organisé par la Croatie. Les
18 Serbes ont ils voté ?
19 M.Wheeler (interprétation). - Non, ils ont boycotté ce
20 référendum.
21 M. Fila (interprétation). - Ont-ils peut-être tenu leur propre
22 référendum au
23 cours duquel ils ont décidé de rester au sein de la Yougoslavie ?
24 M.Wheeler (interprétation). - Effectivement, ils l'ont fait en
25 août 1990. Les Serbes qui se trouvaient dans la partie qui était alors
Page 190
1 contrôlée par les Serbes ont tenu leur propre référendum.
2 M. Fila (interprétation). - Qu'ont-ils décidé à ce moment-là au
3 cours de ce référendum ?
4 M.Wheeler (interprétation). - Comme vous l'avez dit vous-même
5 Maître Fila, ils ont décidé de rester au sein de la Yougoslavie.
6 M. Fila (interprétation). - Quand ont-ils disparu de la
7 constitution croate ?
8 M.Wheeler (interprétation). - La question est difficile. Il y a
9 aussi la volonté de la Croatie à se faire reconnaître par la communauté
10 internationale et beaucoup de modifications ont été apportées à la
11 constitution de Croatie, en tous cas, Tudjman dans son projet de
12 constitution proposé l'été 1990, peu après son arrivée au pouvoir, a
13 commis une erreur politiquement incroyable de démettre les Serbes de leur
14 statut qu'ils avaient de peuple constitutif pour les reléguer au rang de
15 simple minorité et ceci, bien sûr, dans le parti yougoslave qui est
16 vraiment particulier à cet égard, cela représente quelque chose d'énorme.
17 Dans d'autres pays, cela ne prendrait pas une importance considérable,
18 mais étant donné la distinction qu'il y avait en Yougoslavie entre les
19 nations et les minorités nationales, les nations étaient des Slaves du sud
20 et les minorités étaient toutes des non Slaves, le fait d'être relégués au
21 rang de simple minorité a été considéré par les Serbes de Croatie comme
22 étant une insulte, mais aussi une menace potentielle.
23 M. Fila (interprétation). - Se sont-ils mis en quelque sorte à
24 vivre au sein des Serbes en tant que personnes craignant leur sort ?
25 M.Wheeler (interprétation). - Effectivement, c'est bien la
Page 191
1 raison pour laquelle j'ai parlé du projet de constitution promu par
2 Tudjman en été 1990 comme étant une
3 erreur colossale pour lui, car, en fait, il a fait le jeu de ceux qui
4 propageaient la haine, propagande qui venait de Belgrade depuis un certain
5 temps où ils étaient considérés depuis Belgrade par des Oustachis qui
6 allaient placer tous les Serbes à Jasenovac par exemple ou dans des
7 endroits pareils. Effectivement, les Serbes se sont sentis menacés, cela
8 ne fait pas l'ombre d'un doute.
9 M. Fila (interprétation). - Je vois que vous connaissez le cas
10 de Jasenovac, je suis sûr que vous avez dû lire quelque chose sur
11 Jasenovac ou que vous avez vu des émissions à ce sujet.
12 Que s'est-il passé ? Qu'est-il advenu des Serbes dans ces
13 régions notamment en Slavonie orientale, en Croatie et combien de
14 personnes sont-elles décédées à cause de cela ?
15 M.Wheeler (interprétation). - Je ne connais pas le nombre exact
16 de personnes qui ont trouvé la mort à Jasenovac, ce chiffre n'est pas
17 connu. Ceci fait l'objet de contestations, de différends incessants
18 motivés pour la plupart par des préjugés de nationalisme exacerbés de
19 haine. Fanjo Tudjman est un exemple parfait de la façon dont les Croates
20 ont joué un certain jeu, ont essayé de revoir à la baisse le nombre de
21 victimes qu'il y a eu à Jasenovac, il n'y a pas eu que des Serbes, il y a
22 eu aussi des Juifs, des antifascistes, des tziganes par exemple. Tudjman a
23 essayé de minimiser ces chiffres, alors que d'autres dans leur effort de
24 propagande ont essayé d'augmenter ces chiffres. Tudjman descend
25 jusqu'à 35000, alors que les chiffres avancés par les Serbes augmentent,
Page 192
1 par exemple ils parlent de 700000, c'est un historien dénommé Dedijer,
2 mais comme il est mort, d'autres propagandistes serbes ont aussi gonflé,
3 grossi ces chiffres, mais on pourrait, si l'on veut estimer, dire que de
4 16 à 80000 personnes ont trouvé la mort à Jasenovac.
5 Il n'aurait pas été possible que davantage de personnes aient
6 péri parce que les allemands ont mis terme à ces activités et le camp de
7 concentration n'était pas vraiment la
8 mort industrialisée, ce dont étaient capables les Allemands dans d'autres
9 parties du monde, c'était un camp assez primitif.
10 M. Fila (interprétation). - Y avait-il d'autres camps dans cette
11 zone où des Serbes ont été liquidés par l'état indépendant de Croatie ? Je
12 ne parle pas seulement de Serbes, mais d'autres personnes également ?
13 M.Wheeler (interprétation). - Il est certain qu'il y a eu
14 d'autres camps. Le plus notoire était Jasenovac, mais il y en a eu
15 d'autres, notamment en Bosnie-Herzégovine qui faisaient encore partie de
16 l'état indépendant, il y a eu aussi des camps en Slavonie orientale, mais,
17 à ma connaissance, ces camps n'ont pas eu un fonctionnement aussi massif
18 que les camps les plus tristement célèbres. Je suis peut-être ignorant là.
19 M. Fila (interprétation). - Il y avait d'autres camps, il
20 existait d'autres camps ?
21 M.Wheeler (interprétation). - Sans doute.
22 M. Fila (interprétation). - Je reviens sur ce que vous avez dit.
23 Vous avez dit que Tudjman n'avait pas repris les Serbes dans la
24 constitution et que cela les avait touchés, mais vous avez également parlé
25 du mémorandum de Sanu, vous savez sans doute que l'Académie des Arts et
Page 193
1 des Sciences serbes n'a jamais reconnu ce mémorandum comme étant son
2 propre document, est-ce exact ?
3 M.Wheeler (interprétation). - Oui, c'est exact le mémorandum
4 existe à l'état de projet, un projet effectivement et la façon dont il a
5 été publié était tout à fait irrégulière. L'exemplaire avait été volé,
6 mais c'était surtout dans l'intérêt d'un des auteurs d'avoir cette
7 publication. Ce document n'avait pas de caractère officiel.
8 M. Fila (interprétation). - Et le projet de Fanjo Tudjman
9 consistant à effacer les Serbes de la constitution était-il officiel ?
10 M.Wheeler (interprétation). - Tout à fait, c'est certain.
11 M. Fila (interprétation). - Je vous remercie. Je vous demande
12 cela parce que
13 la défense va vous proposer de visionner une cassette reprenant ce qui est
14 arrivé aux Serbes à Jasenovac au cours de la guerre, puisque vous savez
15 qu'un référendum a eu lieu sur le statut des Serbes, connaissez-vous le
16 résultat du référendum sur la municipalité de Vukovar ? Ont-ils déclaré
17 qu'ils voulaient rester au sein de la Yougoslavie ou non ?
18 M.Wheeler (interprétation). - Quand ce référendum aurait-il eu
19 lieu ?
20 M. Fila (interprétation). - Le référendum serbe, le référendum
21 qui a été tenu par les Serbes.
22 M.Wheeler (interprétation). - En août 1990, je ne sais pas quels
23 furent les résultats pour Vukovar même. Nous parlons de choses officielles
24 ou officieuses, parce que le référendum serbe en 1992 s'est déroulé sur
25 plusieurs jours. Seuls les Serbes pouvaient participer et c'était
Page 194
1 éminemment officieux.
2 Je ne connais pas les résultats de Vukovar.
3 M. Fila (interprétation). - Si je vous ai bien compris, les
4 Croates ont participé aux référendums qui ont été organisés par les
5 Croates et lors du référendum organisé par les Serbes, ce sont des Serbes
6 qui y ont participé, n'est-ce pas ?
7 Mais les résultats ont été différents. L'un des référendums a
8 exprimé la volonté de faire sécession de la Yougoslavie et l'autre a dit
9 le contraire.
10 M.Wheeler (interprétation). - On ne peut pas faire véritablement
11 une équation entre ces deux référendums, les placer sur un même pied au
12 plan juridique parce que la République de Croatie a tenu un référendum
13 officiel le 19 mai 1991 en matière d'indépendance. Et tous les citoyens de
14 Croatie avaient le droit de voter, alors que les Serbes durant l'été 1992
15 avaient organisé eux-mêmes un référendum qui n'admettait que la
16 participation des Serbes qui devaient s'exprimer sur la poursuite ou non
17 de leur statut au sein de l'état yougoslave.
18 M. Fila (interprétation). - Mais vous acceptez le fait que les
19 Serbes tout
20 comme les Croates étaient un peuple constituant de l'état de Croatie.
21 Donc, ils ont les mêmes droits, l'un ou l'autre.
22 Passons maintenant à Vukovar. Nous n'allons pas réussir à nous
23 mettre d'accord, je crois.
24 Vous avez dit que la JNA armait les Serbes et la défense
25 territoriale des Serbes et que la défense territoriale des Croates a été
Page 195
1 désarmée. Donc la Croatie n'avait pas d'armes. Qui a armé la Croatie ?
2 M.Wheeler (interprétation). - Les forces croates, la police
3 croate ne bénéficiaient pas de la confiance de Tudjman quand il est arrivé
4 au pouvoir. Il n'avait pas de force à lui tout seul bien sûr, mais, à
5 partir de l'été 1990, des efforts considérables ont été consentis surtout
6 par le Ministre Martin Spegelj, Ministre de la défense de Croatie, afin
7 d'acheter des armes et le régime croate voulait acheter des armes, d'où
8 qu'elles viennent. Il en cherchait partout.
9 M. Fila (interprétation). - Par exemple ?
10 M.Wheeler (interprétation). - Il a fait preuve de beaucoup
11 d'imagination, beaucoup d'armes circulaient après la fin du pacte de
12 Varsovie. Beaucoup d'armes circulaient en Europe orientale.
13 M. Fila (interprétation). - A ce moment-là, la Croatie était
14 elle partie intégrante de la République socialiste de Yougoslavie ?
15 M.Wheeler (interprétation). - Dans la deuxième partie de 1990 ?
16 M. Fila (interprétation). - Non, quand la Croatie a commencé à
17 importer des armes, lorsque l'affaire Spegelj a éclaté et lorsque son
18 procès a été tenu à Zagreb, vous vous en souvenez sans doute ?
19 M.Wheeler (interprétation). - En fait, cet armement se déroulait
20 au cours du deuxième semestre 1990 et le film qui exposait Spegelj a été
21 diffusé en janvier 1991, ce
22 qui veut dire que les activités en matière d'armements se déroulaient
23 entre juin et décembre 1990.
24 M. Fila (interprétation). - Et est-ce que la Croatie faisait
25 partie encore de la fédération ?
Page 196
1 M.Wheeler (interprétation). - Effectivement.
2 M. Fila (interprétation). - Selon la constitution de la RSFY que
3 vous avez lue, pouvait-on importer et faire la contrebande d'armes ?
4 M.Wheeler (interprétation). - Je suppose que non.
5 M. Fila (interprétation). - Merci. La dernière fois, je vous ai
6 demandé le résultat du référendum croate à Vukovar. Nous avons mentionné
7 le référendum serbe, qu'en était-il du référendum croate à Vukovar, quel a
8 été le résultat de ce référendum ? Qu'a dit la population de Vukovar à
9 l'issue de ce référendum croate ?
10 M.Wheeler (interprétation). - Là non plus, je ne connais pas les
11 chiffres pour Vukovar. Les résultats globaux me sont connus, mais je ne
12 sais pas comment cela s'est passé à Vukovar.
13 Il y avait le parti du changement démocratique, parti des ex-
14 communistes qui avaient gagné les élections à Vukovar et je suppose que
15 les sentiments en faveur d'une Croatie indépendante étaient peut-être
16 moins manifestes que pour le reste.
17 M. Fila (interprétation). - Moins.
18 Passons maintenant à la situation sur les lieux, puisque vous
19 connaissez l'histoire, de quel pays la JNA était-elle l'armée ?
20 M.Wheeler (interprétation). - Excellente question.
21 M. Fila (interprétation). - Quel état ?
22 M.Wheeler (interprétation). - L'armée yougoslave est une armée
23 sans état.
24 M. Fila (interprétation). - Quand a été créée l'armée populaire
25 yougoslave et
Page 197
1 de quelle armée s'agissait-il, de quel pays ?
2 M.Wheeler (interprétation). - Elle a été constituée. C'était
3 bien évidemment l'armée du parti communiste de Yougoslavie, cela ne fait
4 pas l'ombre d'un doute. En 1991, le problème c'est que l'armée cherche un
5 nouvel état qu'elle puisse servir, puisque l'ancien état a péri.
6 M. Fila (interprétation). - La question porte sur la date de sa
7 fin d'existence, mais savez-vous quand elle a été formellement créée et
8 quand la République fédérale de Yougoslavie a été créée. Je vous rappelle
9 que je suis un citoyen de ce pays.
10 M.Wheeler (interprétation). - Vous parlez de la République
11 fédérale de Yougoslavie, elle n'a pas été officiellement établie avant
12 l'été 1992.
13 M. Fila (interprétation). - La République fédérale de
14 Yougoslavie avait-elle une armée ?
15 M.Wheeler (interprétation). - Elle en a une maintenant.
16 M. Fila (interprétation). - Est-ce la JNA ?
17 M.Wheeler (interprétation). - La JNA n'existe plus.
18 M. Fila (interprétation). - Merci beaucoup, c'est ce qui
19 m'intéressait.
20 Lorsque Vukovar a connu ces événements, savez-vous quelle était
21 la composition ethnique de la JNA qui luttait aux portes de Vukovar ?
22 M.Wheeler (interprétation). - Oui, plus ou moins, en effet.
23 M. Fila (interprétation). - Excusez-moi, je vous ai interrompu.
24 M.Wheeler (interprétation). - Ce qui s'était passé, c'est que,
25 après l'incursion de la JNA en Slavonie et après toute cette suite
Page 198
1 d'évolutions politiques, il y a eu un phénomène de désertion massive de la
2 part des non Serbes dans la JNA, ce qui veut dire qu'au moment où la
3 bataille commence autour de Vukovar, la JNA est surtout constituée de
4 Serbes. Il n'y a plus de Slovènes, plus de Croates, les Macédoniens
5 partent aussi en
6 masse. Je suppose qu'il y avait aussi beaucoup de désertion parmi ceux
7 venant du Kosovo, ce qui veut dire qu'au niveau des cadres supérieurs, des
8 officiers, mais aussi parmi les conscrits, l'armée, à ce moment-là, -nous
9 parlons ici de l'automne 91- était devenue pratiquement exclusivement
10 serbe.
11 M. Fila (interprétation). - Avez-vous entendu parler du Général
12 Kadijevic ? D'où vient-il ?
13 M.Wheeler (interprétation). - Il est le fruit d'un mariage
14 mixte. Mère croate ou père croate, en tous cas, il est de Croatie.
15 M. Fila (interprétation). - Et l'Amiral Brovet ?
16 M.Wheeler (interprétation). - Je crois qu'il était slovène.
17 M. Fila (interprétation). - Donc, il y avait des Slovènes au
18 sein de la JNA, n'est-ce pas ? Et quelle était la fonction de M. Brovet ?
19 M.Wheeler (interprétation). - Je crois qu'il était commandant
20 supérieur adjoint représentant de la défense.
21 M. Fila (interprétation). - Oui, c'est exact. Si unetelle
22 personne à ce poste était slovène, cela veut dire qu'il y avait donc des
23 Slovènes ? Peut-être voulez-vous que je vous donne des noms d'officiers ?
24 Je vous demande juste.
25 M.Wheeler (interprétation). - Bien sûr qu'il y a encore des
Page 199
1 officiers, des individus qui ont dû faire face à un dilemme affreux quant
2 à leur loyauté et, à l'évidence, dans bien des cas, des officiers surtout
3 des officiers de haut rang, parce qu'on a raconté beaucoup de sornettes à
4 propos de la mesure dans laquelle la JNA était dominée, mais au niveau
5 supérieur de la hiérarchie militaire, on avait une composition
6 multinationale, puisqu'on ventilait par clés ethniques. Donc, il y avait
7 une bonne proportion de Croates, de Slovènes, pas d'Albanais, mais il y
8 avait quand même pas mal de Croates et de Slovènes au sommet de la
9 hiérarchie militaire et il y avait des officiers qui avaient une carrière,
10 des
11 privilèges, toute une idéologie, une conception d'eux-mêmes. Ils étaient
12 liés à l'armée, ils se sont trouvés dans un dilemme effroyable et ont
13 décidé de rester loyaux à l'institution qu'ils servaient.
14 M. Fila (interprétation). - Des officiers musulmans et des
15 officiers macédoniens occupaient-ils leur poste encore à ce moment-là, ou
16 pour mieux exprimer ma question, y avait-il des soldats de Bosnie-
17 Herzégovine -ne les définissons pas comme musulmans ou croates- ?
18 M.Wheeler (interprétation). - De moins en moins, car dans toutes
19 les républiques et aussi en Serbie, au fur et à mesure que la guerre se
20 développait, de plus en plus d'hommes jeunes ont refusé de rejoindre les
21 drapeaux, s'ils se trouvaient déjà dans l'armée, ils se sont vite dépêchés
22 de la quitter et si la JNA a notamment éprouvé tant de difficultés à
23 prendre Vukovar et si l'armée a persévé dans cette bataille en essayant de
24 détruire la ville par l’artillerie plutôt que d'engager une action
25 d'infanterie c'est parce que qu'elle n'avait pas suffisamment d’hommes.
Page 200
1 Elle avait des craintes parce qu’avec les qu’elle avait, elle n’avait pas
2 forcément des hommes loyaux. Avec le déclin de la Yougoslavie la JNA avait
3 vraiment enregistré une forte diminution du moral des troupes.
4 M. Fila (interprétation). - A l'époque de la lutte à Vukovar y
5 avait-il une présidence de la SFRY et, si oui, qui y participait en
6 novembre 1991 ?
7 M. Wheeler (interprétation). - En novembre 1991, la présidence
8 fédérale a cessé de fonctionner au moment où Mesic n'a pas occupé le poste
9 présidentielle, le 15 mai 1991. Finalement, pour des raisons liées aux
10 insistances de la communauté internationale, afin qu'il y ait une
11 succession à ce poste par les Croates Mesic est devenu en théorie le
12 président du collège, mais il était à peine à Belgrade, il n'aurait pas
13 été sûr pour lui de se trouver à Belgrade.
14 La présidence n'a existé qu'en théorie, ce fut une fiction et
15 non pas une réalité.
16 Dans les faits, la JNA ce trouvait sans commandant constitutionnel
17 titulaire. M. Kostic assurait la gestion de la présidence, même si en
18 principe c’était Mesic qui était à ce poste.
19 M. Fila (interprétation). - Qui participait à cette présidence ?
20 Tupurkovski était-il représentant de la Macédoine ? Au moment où les
21 combats ont commencé à Vukovar, à partir du mois d’août, y avait-il un
22 représentant de la Macédoire ?
23 M. Wheeler (interprétation). - (...) Bosnie-Herzégovine. Il y
24 avait aussi Bogic Bogicevic qui n'a plus assisté aux réunions
25 présidentielles au cours de l'automne, comme aussi peu à peu Ante Markovic
Page 201
1 a abandonné sa participation fédérale. La période était particulièrement
2 difficile, chaotique, au plan des principes constitutionnels.
3 M. Fila (interprétation). - A ce moment-là, on peut dire
4 qu’Ante Markovic était premier ministre de la Yougoslavie, en tout cas
5 d'un point de vue nominal, théorique, il était le premier ministre. A ce
6 moment-là Mesic n’a-t-il pas dit qu'il allait assumer ses fonctions, qu’il
7 allait démanteler la Yougoslavie et qu’il en serait le dernier président ?
8 M. Wheeler (interprétation). - Il l'a peut-être dit dans ses
9 mémoires et il a été cité dans ce sens par la presse. Mais la seule fois
10 où Stipe Mesic, au cours de cette période-là, a essayé vraiment d’exercer
11 ces fonctions présidentielles c'est quand il était à la tête d'une armada
12 (de Feries) qui ont essayé de lever le siège à Dubrovnik en 1991. Il
13 aurait dit à Stane Brovet par téléphone qu’il commandé la flotte pour
14 lever le siège à Dubrovnik.
15 M. Fila (interprétation). - Très bien. Quand les Croates ont
16 commencé à quitter leur fonction au sein de la présidence ?
17 M. le Président (interprétation). - Tout cela sera un de nos
18 éléments de preuve.
19 M. Wheeler (interprétation). - Ils ont quitté peu à peu.
20 Officiellement, Markovic a donné sa démission en décembre. Stipe Mesic n'a
21 plus assisté à aucune réunion
22 présidentielle après une réunion qui s'était déroulée, je pens, en
23 septembre.
24 Mais la raison pour laquelle des non-Serbes sont restés dans ces
25 institutions fédérales, c’est l'insistance de la communauté
Page 202
1 internationale. En effet, la communauté internationale a insisté sur le
2 fait qu'il devrait y avoir une Etat yougoslave reconnu, avec lequel on
3 pourrait négocier, en d'autres termes pour des buts internationaux ceci
4 serait plus conseillé plutôt que des institutions fédérales qui ne
5 fonctionnaient plus.
6 M. Fila (interprétation). - Je voudrais conclure par les
7 questions suivantes. Selon la constitution de 1974, le droit à l'auto-
8 détermination des peuples, pour les Républiques existait-il ? Y avait-il
9 un droit à l'auto-détermination jusqu'à la sécession ou ce droit était-il
10 inexistant ? Y avait-il une théorie selon laquelle on en avait profité une
11 fois ?
12 M. Wheeler (interprétation). - La théorie communiste était que
13 ce droit avait été exercé une fois, le 29 novembre 1943, ce droit avait
14 été exercé, c'était un exercice d'auto-détermination et il s’agit de la
15 deuxième réunion du conseil antifasciste de libération.
16 Mais selon la Constitution de 1974, et d'ailleurs dans son
17 introduction plus précisément, on trouve la réinsertion du droit des
18 personnes, mais pas des Républiques, à l'auto-détermination jusqu'à, et y
19 compris, la sécession des personnes. Ce droit appartient aux personnes et
20 non pas aux Républiques. C’est très étrange parce que l'idée même de la
21 Constitution de 1974 ans était, en fait, de donner le pouvoir aux
22 Républiques et non pas au peuple, à la population, mais en l'occurrence
23 c'est exact et M. Fila a parfaitement raison dans ce qu'il dit pour
24 l'instant.
25 M. Fila (interprétation). - Pouvons-nous nous mettre d'accord
Page 203
1 sur le fait que les Serbes sont un peuple qui avaient également ce droit ?
2 M. Wheeler (interprétation). - Absolument.
3 M. Fila (interprétation). - Merci. Quand les frontières
4 Républiques ont été mentionnées pour la première fois au sein de la SFRY ?
5 Nous avons parlé des Banovina, mais allons plus loin. Quand ces frontières
6 républicaines ont-elles été établies ? Y a-t-il eu des référendums ? Ou
7 les communistes ont-ils dessiné eux-mêmes leurs frontières ? En d'autres
8 termes, ces frontières sont-elles une des raisons qui ont mené à ce bain
9 de sang qui a ravagé notre pays ?
10 M. Wheeler (interprétation). - Les disputes frontalières sont
11 une des raisons qui ont conduit précisément à ce bain de sang qui a duré
12 sept années.
13 Mais lorsqu'il s'agit de parler de frontières de ces républiques
14 un problème réel se pose qui découle du fait que dans une certaine mesure,
15 de même que je l’ai dit précédemment en réponse à des questions de
16 M. Niemann, les communistes en 1945/1946 n'ont pas donné beaucoup
17 d'importance à ce système de Républiques. Ils désiraient avoir un système
18 national. Ils n'ont pas donné beaucoup d'importance à cette idée de la
19 frontière des Républiques.
20 Donc cces frontières généralement ont été établies sur la base
21 de principes historiques ou géographiques extrêmement solides. En fait les
22 frontières actuelles sont des frontières historiques de la Bosnie-
23 Herzégovine, à une exception près, c’est qu’à l'époque turque la Bosnie-
24 Herzégovine avait une petite partie de territoires qui lui appartenaient
25 dans la baie de Kotor et qu’elle a par la suite perdue.
Page 204
1 M. Fila (interprétation). - Il y avait Sandzak également ?
2 M. Wheeler (interprétation). - Sandzak c’est un peu différent,
3 mais Kotor a été perdue en 1946. Puis, il y a eu de part et d'autres des
4 pertes et des gains. La Croatie, puisque nous nous intéressons aux
5 environs de Vukovar, a perdu la Srème occidentale, à la fois sur la base
6 de principes démographiques, mais également sur la base de principes
7 économico-sociologiques. Il fallait que cette partie soit rattachée à la
8 Voïvodine. Donc là
9 les frontières ont été tirées sur des bases ethnographiques et socio-
10 économiques.
11 Mais de la même façon, la Croatie a obtenu la Baranja, alors
12 qu’elle n’avait jamais fait partie de la Croatie. Donc, la Croatie perd la
13 Srème, obtient la Baranja, de la Hongrie, absolument, comme vous le dites
14 Monsieur Fila. Je précise qu’autrefois cette région faisait partie de la
15 Serbie.
16 Il y a, en tout cas, un mélange de principes et de raisons
17 historiques, et ethnographiques, pour l’établissement de ces frontières.
18 Bien évidemment, il y a eu des conflits, des disputes interminables sur
19 l’établissement de ces frontières.
20 Pour ce qui nous occupe aujourd’hui, la dispute la plus
21 intéressante portait sur Ilok, cette petite avancée de terre dont il a été
22 dit que la Croatie devait l’obtenir parce que c’était en fait un endroit
23 qui séparait la Voïvodine, la Srème et la Croatie.
24 Donc il y a eu nombre de disputes et de conflits sur
25 l’établissement de ces frontières. Beaucoup de propositions ont été faites
Page 205
1 pour la création de régions autonomes. Mose Pijade, un des dirigeants
2 communistes, a proposé au cours de la Seconde Guerre Mondiale qu’il y ait
3 une région autonome serbe en Croatie, en Croatie ! Il était probable
4 jusqu’à pratiquement la fin de la guerre que la région de Sandzak devienne
5 une république. Sandzak avait son propre conseil antifascite. Il y a eu
6 toutes ces évolutions à la fois très importantes et insignifiantes.
7 Pourquoi insignifiantes ? Parce que les communistes étaient convaincus
8 qu’elles n’avaient aucune importance. Mais pourquoi étaient-elles
9 également importantes ? Parce qu’il s’agissait là de l’affirmation de
10 l’identité des nations yougoslaves distinctes ; c’était très important et
11 c’est cela que les communistes cherchaient à promouvoir.
12 Mais dans les années 1980 l’idée serbe selon laquelle la Serbie
13 avait été particulièrement pénalisée, et avait particulièrement souffert,
14 par rapport aux autres républiques, était une exagération monumentale.
15 M. Fila (interprétation). - Le but de ma question était le
16 suivant. Ces frontières ont-elles été considérées comme des frontières
17 administratives où les peuples avaient leur mot à dire, d’un point de vue
18 démocratique, en 1945 et 1946 sur l’endroit où ils souhaitaient vivre ?
19 Par exemple, il n’y a jamais eu de frontière entre la Serbie et la
20 Macédoine, c’est pour ça qu’il y a des problèmes aujourd’hui, je suppose
21 que vous le savez, parce que les parlements de ces deux Etats ne l’ont pas
22 ratifiée, mais c’est une autre question.
23 Donc les peuples ont-ils eu le droit de décider de l’endroit où
24 ils allaient vivre, de quel côté de la frontière, sous le régime
25 communiste ?
Page 206
1 M. Wheeler (interprétation). - Eh bien, non, pas exactement,
2 mais pendant tout le processus il avait été reconnu que cela avait été le
3 cas. Si en pratique cela ne l’a pas été, en théorie, oui, cela l’a été.
4 M. Fila (interprétation). - Je voudrais vous poser quelques
5 questions. La Serbie, officiellement, en tant que République de la SFRY,
6 avait-elle une certaine compétence sur la JNA et la Défense territoriale
7 en Croatie et en général ?
8 M. Wheeler (interprétation). - Oui.
9 M. Fila (interprétation). - Y a-t-il eu une décision prise à un
10 moment donné pour annexer ces différentes parties de territoires ou
11 territoires de la Serbie ?
12 M. Wheeler (interprétation). - Non, cela n’a pas été le cas. Ils
13 ont essayé de s’annexer à la Serbie, mais la Serbie ne les a pas acceptés.
14 M. Fila (interprétation). - Y a-t-il eu une institution
15 officielle en Serbie, et notamment le Président de la Serbie, Milosevic,
16 qui a demandé ce type d’annexion, je ne parle pas de ce que pensait
17 Milosevic, mais de ce qui s’est fait ?
18 M. Wheeler (interprétation). - Non, pas pendant la période qui
19 nous concerne. En fait, la première fois que la région autonome de Knin a
20 proclamé son union à
21 la Serbie, Milosevic a été très ennuyé, enfin c’est ce qui a été dit.
22 Et pour ce qui est de votre question relative au contrôle exercé
23 sur la JNA et la Défense territoriale par la Serbie, officiellement la
24 réponse est non.
25 M. Fila (interprétation). - Très bien. J’ai une série de
Page 207
1 questions qui portent principalement sur le gouvernement local. Je ne
2 pense pas avoir le temps de les poser. Je vais donc me limiter à
3 simplement une autre question pour aujourd’hui.
4 Au cours de la révolution de ce qu’on a appelé Balvan, ou de la
5 révolution des barricades comme on l’appelait communément, quelle était
6 l’attitude de la population croate envers les casernes des JNA ?
7 Nous en reparlerons plus en détail demain, mais vous savez sans
8 doute que dans les casernes qu’il y avait des membres de toutes les
9 nations, des recrues et pas des soldats professionnels. Je vous demande
10 donc cela. En tout cas, je vous parlerai du gouvernement local demain, de
11 l’autogestion, de l’organisation des municipaliés, etc. Donc cela n’a pas
12 trait à cette série de questions.
13 Je dois dire que je ne suis pas un communiste, mais j’ai dû
14 vivre dans ce système.
15 Ah, je crois qu’il n’y a plus de temps.
16 M. le Président (interprétation). - Effectivement, vous
17 poursuivrez votre contre-interrogatoire du témoin expert demain matin.
18 Avant de suspendre nos travaux, j’aimerais vous remercier,
19 Monsieur Fila, de vous conformer à ma demande de commencer votre contre-
20 interrogatoire aujourd’hui.
21 L’accusation pourrait-elle nous dire combien de témoins elle
22 compte appeler à la barre demain ?
23 M. Niemann (interprétation). - Deux autres témoins, Monsieur le
24 Président.
25 M. le Président (interprétation). - Parfait.
Page 208
1 M. Fila (interprétation). - Je suis désolé, s’agit-il de
2 personnes d’Ilok ? Pourriez-vous m’indiquer juste cela ?
3 M. Niemann (interprétation). - Oui, ces deux témoins viennent
4 d’Ilok.
5 M. Fila (interprétation). - Je vous remercie, merci beaucoup. Je
6 voulais juste me préparer.
7 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. La séance
8 est levée.
9 L'audience est levée à 13 heures 15.
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25