Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-95-17/1-T

2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

3

4 Mme F.N.M. Mumba, président

5 M. A. Cassese

6 M. R.G. May

7 LE PROCUREUR

8 C/

9 ANTO FURUNDZIJA

10

11 Le Bureau du Procureur

12 Mme Patricia Sellers, M. Mike Blaxill, Mme Ljeoma Udogaranya

13 Les Conseils de la Défenses

14 M. Luka Misetic, M. Sheldon Davidson

15

16 Lundi, 8 juin 1998

17

18 L’audience est ouverte à 9 h 30.

19

20 Mme le Président (interprétation). - Bonjour. Le Greffe peut-il

21 citer l'affaire.

22 Mme le Greffier (interprétation). - Il s’agit de

23 l'Affaire IT-95-17/1. Le Procureur du Tribunal contre Anto Furundzija.

24 Mme le Président (interprétation). - Les parties peuvent-elles

25 se présenter.

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1 Mme Sellers (interprétation). - Bonjour Mesdames et Messieurs

2 les Juges. Je m’appelle Patricia Sellers, je représente le Bureau du

3 Procureur, en présence de mon co-conseil M. Mike Blaxill et de notre

4 substitut d’audience, Mme Udogaranya.

5 M. Misetic (interprétation). - Bonjour, je m’appelle Luka

6 Misetic. Je représente M. Furundzija et je vous présente mon co-conseil,

7 M. Sheldon Davidson.

8 Mme le Président (interprétation). - Monsieur Anto Furundzija,

9 m’entendez-vous dans une langue que vous comprenez ?

10 M. Furundzija (interprétation).- Oui, Madame la Présidente.

11 Mme le Président (interprétation). - Nous avons plusieurs

12 questions d’intendance avant de passer à huis clos à la demande

13 l’accusation.

14 Tout d’abord, examinons l’acte d’accusation proprement dit, tel

15 qu’il fut expurgé et modifié.

16 Je voudrais m'adresser à l'accusation à propos du paragraphe 18

17 dudit acte d'accusation.

18 Mme Sellers (interprétation). - Oui, madame la Présidente.

19 Mme le Président (interprétation). - Avez-vous l’intention de

20 garder ce paragraphe 18 dans l’acte d’accusation dans sa dernière

21 mouture ?

22 Mme Sellers (interprétation). - Parlez-vous du paragraphe où

23 l’on dit : « les témoins A et B... » ?

24 Mme le Président (interprétation). - Non, il s’agit de

25 l’acte 18, tous les actes et omissions qui sont présentés ici étant des

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1 infractions graves aux conventions de Genève de 1949 et sanctionnées par

2 l’article 2 du Statut du Tribunal. La présentation nous donnait

3 l’impression qu’il s’agissait simplement d’une expurgation. Mais tout est

4 clair désormais.

5 M. Misetic (interprétation). - De quoi parlez-vous, Madame la

6 Présidente ?

7 Mme le Président (interprétation). - Il s’agit du paragraphe 13

8 qui porte sur les infractions graves dans l’acte d’accusation. Je parle de

9 l’acte d’accusation expurgé.

10 M. Misetic (interprétation). - Pour ma part, j’ai comme document

11 de référence l’acte d’accusation modifié.

12 Mme le Président (interprétation). - Celui qui a été déposé le

13 2 juin ?

14 M. Misetic (interprétation). - Oui, et mon paragraphe 13

15 n’évoque pas les infractions graves.

16 Mme le Président (interprétation). - Manifestement, nous lisons

17 deux documents différents. Je pense que vous avez l’original, la première

18 mouture.

19 M. Misetic (interprétation). - Mais dans celui-ci, il n’y avait

20 plus de référence aux infractions graves. Est-ce que la Chambre peut

21 m’aider ou le Bureau du Procureur ?

22 Mme le Président (interprétation). - Oui, pouvez-vous remettre à

23 Me Misetic le document qui convient ?

24 Est-ce que cette mouture-là n’avait pas été retirée ?

25 M. Misetic (interprétation). - Est-ce que vous me donnez le

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1 temps de parcourir ce document puisque je n’ai pas encore eu l’occasion de

2 le faire ?

3 Mme le Président (interprétation). - Je vous en prie.

4 (Les conseils de la défense prennent connaissance du document.)

5 M. Misetic (interprétation). - Je vous remercie.

6 Mme le Président (interprétation). - Tout va bien ?

7 M. Misetic (interprétation). - Oui.

8 Mme le Président (interprétation). - Effectivement, la requête

9 initiale avait été déposée par erreur.

10 M. Misetic (interprétation). - Nous avons reçu cette mouture-là

11 où il y avait une erreur. Pour le moment, nous n'entrevoyons aucune

12 difficulté à l’encontre du document dont nous nous servons.

13 Mme le Président (interprétation). - Passons à la deuxième

14 question d'intendance. Combien de témoins l'accusation a-t-elle

15 l'intention d'appeler à la barre ? Manifestement, il y a eu des

16 modifications.

17 Mme Sellers (interprétation). - Effectivement, madame

18 le président. C'est la raison pour laquelle nous aimerions avoir une

19 audience à huis clos. Nous avons aujourd'hui des témoins prêts à

20 comparaître, mais il y a peut-être quand même des modifications.

21 Mme le Président (interprétation). - Mais combien de témoins

22 aurez-vous en tout en audience publique ?

23 Mme Sellers (interprétation). - Nous aurons cinq témoins, avec

24 la possibilité d'un sixième témoin. Mais nous aimerions discuter avec les

25 juges des problèmes relatifs à l'éventuelle modification de la liste des

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1 témoins.

2 Mme le Président (interprétation). - Qu'en est-il de l'ordre ?

3 Mme Sellers (interprétation). - Effectivement, ceci ayant une

4 incidence sur la présentation et l'ordre de présentation des témoins, nous

5 aimerions en discuter à huis clos.

6 Mme le Président (interprétation). - D'accord.

7 (Les juges se consultent sur le siège.)

8 Mme le Président (interprétation). - (Hors micro.) D'abord nous

9 allons entendre les remarques liminaires de l'accusation et nous passerons

10 à huis clos.

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12 Mme Sellers (interprétation). - Fort bien, madame le président.

13 Mme le Président (interprétation). - Je veux m'assurer que la

14 défense n'a rien à évoquer avant que nous entendions les remarques

15 préliminaires de l'accusation.

16 M. Misetic (interprétation). - Une des questions qui se posent à

17 moi est que je ne sais pas quels seront les témoins appelés à la barre.

18 Ceci aura une incidence sur mes remarques préliminaires. Nous aurions

19 préféré commencer par l'audience à huis clos pour savoir quels seront les

20 chefs d'accusation retenus contre nous. De surcroît, en fin d'après-midi

21 vendredi, nous avions reçu quelques exceptions préjudicielles qui

22 devraient être d'abord évoquées. Ensuite, nous pourrions passer au procès

23 proprement dit. Il faudrait d'abord évacuer les requêtes.

24 Mme le Président (interprétation). - Nous allons nous en tenir à

25 la proposition de la défense. Il faut terminer tout ce qui précédait le

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1 procès avant de commencer la présentation des remarques liminaires.

2 Inutile d'avoir une suspension d'audience, cela ne me semble pas

3 nécessaire. Le greffe suggère que nous ayons un arrêt de quelques minutes.

4 (Audience à huis clos)

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13 Pages 7-41 expurgées – audience à huis clos

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13 (Audience publique)

14 Mme le Président (interprétation). - La requête orale présentée

15 par la défense, pour ce qui est de la mise au secret des témoins, est

16 accordée dans les termes demandés par la défense, et nous demandons à

17 l'accusation quel sera l'ordre de comparution des témoins. Etant donné que

18 de nombreuses questions se sont posées, vous pourriez nous rappeler quel

19 est le temps que vous envisagez de consacrer pour chaque interrogatoire

20 principal.

21 M. Blaxill (interprétation). - Bonjour Madame la Présidente,

22 Messieurs les Juges, conseils de la défense. La situation actuelle vous a

23 été présentés pour savoir quelle était la disposition des témoins. Voici

24 l'ordre que nous envisageons quant à la comparution des témoins. Nous

25 commencerons par le Docteur Muhamed Mujezinovic. Les Juges seraient-ils

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1 assistés, si je vous précisais les paramètres généraux de cette

2 déposition, les points que nous essaierons de prouver ?.

3 Mme le Président (interprétation). - Non, simplement le temps

4 que vous envisagez de consacrer.

5 M. Blaxill (interprétation). - Je pense que cela prendra

6 pratiquement toute une journée d'audience, à savoir six heures d'audience.

7 Je crois que ceci nous suffira.

8 Mme le Président (interprétation). - Uniquement pour

9 l'interrogatoire principal ?

10 M. Blaxill (interprétation). - Effectivement. Un peu moins peut-

11 être, mais nous aimerions garder cette période de six heures.

12 Mme le Président (interprétation). - Témoin suivant.

13 M. Blaxill (interprétation). - Nous aurons ensuite le témoin B.

14 Là nous prévoyons que deux heures d'interrogatoire principal suffiront. Ce

15 sera le témoin C ensuite. Même estimation de temps.

16 Mme le Président (interprétation). - Deux heures ?

17 M. Blaxill (interprétation). - Effectivement. Puis nous aurons

18 le témoin D, et nous nous attendons à ce qu'il nous faille quatre ou cinq

19 heures d'interrogatoire principal. Peut être moins. Enfin, nous aurons le

20 témoin A à la barre. Là, nous pensons également qu'il nous suffira d'avoir

21 cinq ou six heures, ou quatre ou cinq heures d'interrogatoire principal.

22 J'ai peut-être exagéré le temps que nous voulions consacrer au témoin D,

23 mais un peu de prudence n'est pas inutile dans la préparation du

24 calendrier pour cette Chambre.

25 Mme le Président (interprétation). - Je vous remercie Maître

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1 Blaxill. La défense veut-elle ajouter ? Vous venez d'entendre l'ordonnance

2 rendue. On vous a soumis le temps prévu que l'on consacrera à chacun de

3 ces témoins.

4 Etes-vous prêts à passer au procès puisque nous avons réglé la

5 question du témoin et que l’ordre a été précisé ?

6 M. Misetic (interprétation).- Nous sommes prêts avec la réserve

7 que j’ai déjà formulée, à savoir que nous voulons nous réserver le droit

8 d’interjeter appel.

9 Mme le Président (interprétation). - La Chambre de première

10 instance estime qu'au vu de la décision déjà rendue, ce n'est pas vraiment

11 nécessaire. Ce que nous voulons savoir de votre part, c’est si vous êtes

12 sans aucune ambiguïté prêts à passer au procès au vu de l’acte

13 d’accusation se présentant comme tel. Vous avez eu suffisamment de temps ?

14 M. Misetic (interprétation). - Je ne pense pas que la Chambre

15 soit en mesure de le faire, avec tout le respect que je lui dois. Pour ce

16 qui est de la formulation de la question, nous demandions une précision

17 pour les cinq premiers chefs d’accusation en vertu de l’Article 7.1. Le

18 fait d'avoir rejeté la demande de la défense n'a pas d'influence ici. Nous

19 ne pouvons pas dire que nous sommes prêts à passer au procès sur des

20 questions qui restent encore incertaines. Nous ne savons pas sur quoi

21 l’accusation s’est fondée pour affirmer que M. Furundzija aurait ordonné

22 le viol de la victime A.

23 Aucune de ces allégations selon lesquelles M. Furundzija aurait

24 donné l’ordre à qui que ce soit de faire quoi que ce soit n’a été prouvé.

25 Mme le Président (interprétation). - Mais c’est une question de

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1 plaidoirie. Après la présentation des témoins à charge, vous pourrez

2 conformer votre défense suite à ce que vous avez entendu.

3 M. Misetic (interprétation). - Je l’ai dit aux fins du compte

4 rendu, je ne sais pas pourquoi ces chefs ont été formulés s’il n’y a pas

5 de témoins qui viendront à l’appui de ceux-ci. Mais quelque chose devrait

6 émaner du procès lorsque les témoins à charge apparaîtront et diront :

7 « J’ai entendu M. Furundzija ».

8 Mme le Président (interprétation). - Non, non. Ce sont les

9 témoins qui sont prévus dont vous avez reçu les déclarations préalables.

10 M. Misetic (interprétation). - Fort bien. Nous sommes donc prêts

11 à passer au procès.

12 Mme le Président (interprétation). - Nous pourrons passer à ces

13 déclarations liminaires. Nous terminerons notre audience du matin à

14 12 heures 30. Pensez-vous en avoir terminé d’ici là ?

15 M. Misetic (interprétation). - Pas de problème en la matière.

16 Une question d'intendance. Nous commençons à interroger des témoins, mais

17 à propos du témoin A, par exemple, comment procédons-nous techniquement ?

18 Par exemple, nous avons le Dr Mujezinovic qui va comparaître en audience

19 publique, le premier témoin, je suppose qu’il connaît l’identité des

20 témoins.

21 Mme le Président (interprétation). - Non.

22 M. Misetic (interprétation). - Ce témoin sait-il qui est le

23 témoin A ?

24 Mme le Président (interprétation). - Vous ne pourriez pas

25 évoquer cette question en audience publique car ceci invaliderait notre

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1 ordre.

2 M. Misetic (interprétation). - Comment vais-je faire alors ?

3 Mme le Président (interprétation). - Vous pouvez poser une

4 question à un témoin en présentant les déclarations que vous avez,

5 d’autres allégations, sans pour autant, par là même, identifier le

6 témoin A. C’est tout à fait du domaine du faisable. Vous pouvez présenter

7 des allégations sur tel ou tel aspect, vous pouvez poser une telle

8 question au témoin.

9 M. Misetic (interprétation). - Si je pose la question de savoir

10 si ce témoin connaît le témoin B, alors qu’il ne connaît pas l’identité de

11 ce témoin B, que va-t-il faire ?

12 Mme le Président (interprétation). - Je me tourne vers

13 l’accusation, peut-être peut-elle nous être d’une certaine assistance.

14 Mme Sellers (interprétation). - Si j’ai bien compris, le conseil

15 de la défense demande s’il peut prononcer le nom d’autres témoins en

16 audience publique, alors qu’il procède au contre-interrogatoire d’un autre

17 témoin. Si cette question se pose du côté de l’accusation, par exemple, si

18 nous devons faire référence à un autre témoin, nous demanderons à la

19 Chambre de passer à huis clos. Nous prendrons toutes les mesures de

20 précaution qui s’imposent et je suppose que la défense fera de même, à

21 savoir qu’elle ne mentionnera pas les noms des témoins protégés.

22 Si un témoin veut connaître l’identité d’un autre témoin aux

23 fins du contre-interrogatoire ou pour l’interrogatoire principal, nous

24 nous trouverions dans la situation inverse. Je suppose qu’il est possible

25 de trouver une modalité pour montrer le nom du témoin protégé sur un

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1 morceau de papier. Je crois que c’est là la nature de l’inquiétude

2 formulée par Me Misetic.

3 M. Misetic (interprétation). - Effectivement, je me demandais si

4 nous allions recevoir une feuille papier disant que le témoin A était

5 l’ex-témoin D ou le témoin Y. Telle était la nature de mon inquiétude.

6 Mme le Président (interprétation). - Fort bien. Commencez votre

7 déclaration

8 préliminaire.

9 M. Blaxill (interprétation). - Madame la Présidente, Messieurs

10 les Juges. L’affaire qui est portée à votre connaissance, est la première

11 de son genre portée à la connaissance du Tribunal à ce jour. Elle se

12 concentre surtout sur une journée d’effroi dans la vie d’une femme, d’une

13 civile. Elle se concentre sur les faits intervenus ce jour-là. C’est là

14 que nous vous inviterons à déclarer l’accusé coupable des chefs

15 d’accusation retenus contre lui.

16 Ces chefs d’accusations qui vous ont été présentés allégués

17 contre l’accusé sont ceux de la torture et d'atteinte à la dignité

18 humaine, y compris le viol. Seize allégations englobent des infractions

19 que le Statut du Tribunal et le Règlement de procédure et de preuve ont

20 évoqué de façon explicite en incorporant des dispositions pour les

21 victimes et les victimes de violence sexuelle et de viol au cours de la

22 guerre suite aux inquiétudes manifestées par le Secrétaire général des

23 Nations Unies dans son rapport du 3 mai 1993.

24 Cette Chambre de première instance a maintenant pour obligation

25 de se prononcer sur ces deux chefs d’accusation de violation grave ou

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1 d’infraction grave du droit international humanitaire en vertu de

2 l’Article 3 du Statut du Tribunal. Le mandat du Tribunal international

3 s’étend aux crimes de guerre les plus lourds et les plus connus comme au

4 cours du conflit en ex-Yougoslavie. Les expériences vécues par cette

5 victime sont de notoriété publique.

6 Cette affaire s’attache aux événements qui se sont produits au

7 cours d’une seule journée, le 15 mai 1993. Ils portent sur ce qui a été

8 infligé à une femme, une civile qui a été enlevée de chez elle par des

9 membres d’une unité militaire, des forces du HVO, le conseil de défense

10 croate, dans cette région de la Bosnie centrale qui est connue comme étant

11 devenue la communauté croate d’Herceg-Bosna.

12 Cette unité avait pour nom « les Jokers ». Ce sont des membres

13 de cette unité qui ont emmené la femme au quartier général de cette unité

14 où elle a été interrogée. La preuve sera faite que c’est bien l’accusé qui

15 était membre de cette unité et que c’est lui qui a mené

16 l’interrogatoire avec un autre membre de son unité.

17 Peu de temps après le début de l’interrogatoire, l’autre membre

18 de l’unité des Jokers a contraint la victime, le témoin A, à se

19 déshabiller. Alors a commencé ce qui allait devenir une série prolongée de

20 sévices sexuels physiques et mentaux, y compris des viols répétés. Preuve

21 sera faite que l’accusé a mené l’interrogatoire et qu’après un certain

22 moment, il a organisé une confrontation avec un autre détenu,

23 confrontation au cours de laquelle les deux personnes furent battues et la

24 victime féminine a été de nouveau soumise à de nouveaux sévices sexuels

25 innommables en présence de celui qui l’interrogeait.

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1 Vous apprendrez que c’est vers 10 heures 30 du matin, ce jour-

2 là, que des membres des « Jokers », une unité spéciale du HVO bien connue

3 dans la région entourant Vitez, en Bosnie centrale, ont emmené la femme de

4 chez elle à Vitez vers le quartier général, dans un hameau qui s'appelle

5 Nadioci à peu de distance de Vitez.

6 Ici, je voudrais faire intervenir une carte que vous voyez sur

7 le chevalet du prétoire. C'est un document public qui vous montre où se

8 trouvent Vitez et les alentours. Afin que vous ayez quelques notions

9 géographiques, j'ai préparé quelques exemplaires à votre intention car il

10 est difficile de voir clair sur cette carte. Ce sont les documents que

11 j’ai déjà remis à la défense. Vous y trouverez également un schéma qui

12 vous montre où se trouve Vitez en Bosnie, et qui vous permettra aussi de

13 situer deux villes importantes de la région, Zenica et la capitale

14 Sarajevo.

15 Mme le Président (interprétation). - Peut-on attribuer une cote

16 à ces documents ?

17 Mme le Greffier. - Pièce de l'accusation n° 1.

18 M. Blaxill (interprétation). - Madame et messieurs les Juges,

19 lorsque vous aurez l'occasion de consulter cette carte, vous vous rendrez

20 compte que, marqué en vert, apparaît la ville de Vitez, en rose, à l'autre

21 bout de la vallée de la Lasva, se trouve la ville de Busovaca et, entre

22 ces deux villes, au nord de la route principale qui part de Vitez, vous

23 verrez le hameau de Nadioci. C'est ce secteur qui nous concerne. C'est à

24 Nadioci que les événements se sont produits le 15 mai et c'est là aussi

25 qu'est intervenu le conflit armé qui a sévi pendant ces mois-là.

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1 Le bâtiment du quartier général était un petit restaurant connu

2 dans la région comme "Le bungalow". S'y trouvaient, adjacentes, quelques

3 petites habitations utilisées par les Jokers comme leur quartier. Lorsque

4 la victime a été amenée au Bungalow, elle a été placée dans le dortoir des

5 Jokers dont quelques-uns étaient présents. On lui a dit qu'ils attendaient

6 le chef. Peu de temps après, elle a entendu les soldats dire : Furundzija

7 est ici. Elle a vu un homme faire irruption dans la pièce et en a conclu

8 que cet homme était Furundzija dont elle avait entendu le nom. Preuve sera

9 faite que l'accusé tenait un papier en main et a dit quelque chose

10 signifiant qu'il avait un motif d'accusation contre elle. Il a commencé à

11 l'interroger à propos d'une liste de noms croates avec qui elle aurait

12 éventuellement des contacts. Il lui a posé des questions sur ses fils et

13 sur la question de savoir s'ils se trouvaient dans l'armée de Bosnie-

14 Herzégovine.

15 Le témoin A a répondu qu'elle ne connaissait pas les noms qu'il

16 énumérait. Ceci n'a pas semblé être du goût de l'accusé qui a dit qu'elle

17 aurait bientôt à répondre à ses questions.

18 C'est alors que, soudainement, elle a été saisie par les cheveux

19 et un autre membre des Jokers lui a dit, celui qui répondait au surnom de

20 Cisco, qu'elle saurait bientôt qui il était. Ce membre des Jokers a exigé

21 du témoin A qu'elle se déshabille. Elle s'est exécutée. Il a commencé à

22 placer un couteau sur son corps dénudé et l'a menacé de l'insérer dans son

23 vagin si elle ne disait pas la vérité. Il a commencé à la violer par

24 pénétrations vaginale et orale. Alors que ceci se produisait, l'accusé a

25 insisté pour poursuivre son interrogatoire. Il n'a pas arrêté son

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1 interrogatoire alors que ceci se produisait. Cela s'est passé en présence

2 du groupe des Jokers.

3 Le témoin A nous dira qu'elle a eu l'impression qu'après avoir

4 donné une réponse insatisfaisante aux questions posées par l'accusé, de

5 nouveaux sévices sexuels lui furent infligée par cet homme surnommé Sisko.

6 Un certain temps s'est écoulé nous dira le témoin A et l'accusé

7 a commencé à se fâcher devant son refus de manifestement répondre à ses

8 questions. Il lui a dit qu'il allait la confronter avec quelqu'un d'autre.

9 C'est alors que tout à coup, elle s'est rendu compte que les accusés et

10 les autres soldats avaient quitté la pièce. Elle s'est retrouvée seule

11 avec Cisco. Elle a subi de nouveaux viols et sévices de sa part, avant

12 qu'un autre soldat n'arrive, lui donne une couverture et l'emmène dans une

13 autre pièce plus petite qu'elle a décrite comme étant une espèce

14 d'appentis.

15 Cisco l'a suivie dans cette pièce. Là elle a rencontré la

16 personne qui sera ici mentionnée comme étant le témoin D. Cette personne a

17 été amenée par l'accusé, Anto Furundzija. La victime B ou plutôt le

18 témoin D avait le visage tuméfié. Pour le témoin A, il était manifeste

19 qu'il avait été roué de coups. Cet homme était habillé d'un uniforme de

20 policier du HVO. C'est alors que le témoin A nous dira que l'accusé a dit

21 pratiquement ceci : "Nous allons voir qui dit la vérité". C'est alors que

22 se poursuit, dans sa seconde phase, l'interrogatoire au cours duquel, tant

23 l'accusé que son compagnon des Jokers, Cisco, ont été des participants et

24 le sont toujours.

25 Les deux victimes furent alors frappées surtout aux pieds avec

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1 des matraques utilisées par Cisco et un autre membre de l'unité. Le

2 témoin A se souvient avoir entendu Cisco dire qu'il n'était pas nécessaire

3 de continuer à la frapper car il avait d'autres méthodes pour les femmes.

4 Cisco a commencé à la violer une fois de plus par pénétrations vaginale,

5 anale et orale. Le témoin A nous dira se rappeler que d'autres questions

6 lui ont été posées par l'accusé à propos de ses fils. Nous avons donc le

7 témoin A qui est battue, violée alors que ceci se passe sous les yeux de

8 l'accusé.

9 Le témoin A nous dira qu'il y avait d'autres Jokers qui étaient

10 debout près de la porte de l'entrée et qui observaient ce qui se passait.

11 Finalement, tout s'est terminé et cette femme, en état de choc, fut

12 emmenée par un autre Joker dans la première pièce où il lui fut permis de

13 se rhabiller.

14 Ce sont les faits essentiels qui devraient vous permettre de

15 déclarer l'accusé coupable ou innocent des chefs d'inculpation de tortures

16 et d'atteintes à la dignité humaine, y compris le viol. Alors que

17 l’Article 96 n'exige pas la corroboration du témoignage de la victime,

18 l'accusation entend appeler à la barre la victime B qui sera en mesure de

19 corroborer en partie les événements atroces subis par le témoin A, ce

20 jour-là.

21 De surcroît, le lien à établir entre les crimes et le conflit

22 armé sera prouvé par le fait que ceci s'est produit dans le contexte d'un

23 interrogatoire prolongé, mené par l'accusé dans l'exercice de ses

24 fonctions, puisqu'il travaillait ce jour-là, aux fins de recueillir des

25 informations importantes pour ses fonctions. Avant d'entendre le

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1 témoignage du témoin A et de la victime B, l'accusation apportera la

2 preuve des événements nécessaires pour établir les circonstances de ces

3 événements qui ont débouché sur le conflit armé dans la région. Nous

4 parlerons des divisions politiques, des tensions ethniques et des

5 éruptions de violence qui ont mené graduellement au conflit armé dans la

6 région.

7 Madame et messieurs les Juges, nous avons l'intention d'apporter

8 ces preuves, surtout par le truchement des témoins civils qui ont été

9 impliqués dans les événements dans cette région. Ils pourront vous parler

10 des signes concrets de l'existence d'un conflit. Un des premiers témoins

11 que vous entendrez est un médecin qui devint, par la force des choses,

12 participant dans la vie politique de la communauté et aux négociations

13 entre les entités ethniques et politiques dans la région, avant et pendant

14 le conflit armé.

15 Ce témoin nous parlera aussi des manifestations du conflit pour

16 les civils de la région et du fait qu'en tant que médecin, il a soigné des

17 blessés des deux côtés, des militaires et des civils, dans un hôpital de

18 guerre. Ceci constitue une des manifestations du conflit armé et de la

19 durée de ce conflit dans le secteur de Vitez. D'autres témoins parleront

20 aussi de l'existence d'un conflit armé, mais ils identifieront aussi

21 l'accusé, l'unité des Jokers et leur quartier général. Ils dirons qu'ils

22 faisaient tous partie d'une entité de combattants, que c'étaient des

23 combattants

24 en uniforme dans l'exercice de leurs fonctions, placés sous les armes dans

25 le conflit armé.

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1 A ce titre, l'accusé était régi par les lois et coutumes de

2 guerre et à ce titre aussi, le témoin A aurait dû bénéficier de leur

3 protection. Ceci a été évoqué par la Chambre d'appel, dans l'affaire

4 Tadic, lorsqu'elle discutait du conflit armé et des paramètres à respecter

5 pour l'application du droit international humanitaire.

6 Je cite : « Un conflit armé existe lorsqu'il y a recours à la

7 force armée entre Etats, ou violences armées prolongées entre des

8 autorités gouvernementales et des groupes armés organisés, où entre de

9 tels groupes, à l'intérieur d'un seul et même Etat. «

10 Je continue une autre citation : « L'application du droit

11 international humanitaire nous dit qu'un tel droit s'applique dès le début

12 de tels conflits armés et s'applique encore après la cessation des

13 hostilités, jusqu'au moment où une conclusion, ou une fin générale des

14 conflits est obtenue et que la paix est établie ou, dans le cas de conflit

15 interne, si un règlement pacifique est obtenu. Le droit continue à

16 s'appliquer sur tout le territoire d'un état belligérant, ou sur tout le

17 territoire contrôlé par une partie à un conflit interne. »

18 Madame et Messieurs les Juges, preuve sera faite qu'un état de

19 conflit armé se poursuivait dans la région au moment de la commission de

20 ces crimes. Je parle maintenant des points de droit invoqués pour prouver

21 la responsabilité pénale par l'accusation.

22 Les chefs retenus contre l'accusation allèguent une

23 responsabilité pénale de l'accusé pour sa participation aux crimes visés

24 par l’Article 7.1 du Statut du Tribunal.

25 Comme l'accusation l'a dit dans sa réplique à la requête déposée

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1 devant cette Chambre en matière d'application de l’Article 7.1,

2 l'accusation rappelle que l’Article contient une série de dispositions

3 autonomes, qui chacune suscite et entraîne la responsabilité pénale

4 individuelle ou combinée.

5 Tout d'abord, en vertu de l’Article 7A, je cite : « Une personne

6 qui planifie,

7 instigue, ordonne, commet un crime, se voit encourir une responsabilité

8 individuelle ».

9 Nous affirmons que, du fait qu'il a conduit un interrogatoire

10 dans les circonstances décrites en transférant la victime dans une autre

11 pièce en faisant entrer dans cette autre pièce une autre personne, aux

12 fins de confrontation avec la victime, alors que de nouveaux sévices

13 physiques et sexuels étaient infligés à la victime, tout ceci caractérise

14 l'accusé comme étant un auteur direct ayant commis des crimes de torture

15 et d'atteinte à la dignité personnelle, y compris le viol.

16 Vous aurez peut-être le sentiment, après avoir entendu tous les

17 moyens de preuve, que d'autres éléments de cet article tels que le fait

18 d'instiguer, peuvent être aussi établis. Mais l'accusation estime qu'il

19 s'agit d'élément autonomes qui chacun peuvent être appliqués pour établir

20 la responsabilité pénale.

21 Nous estimons et nous faisons valoir qu'il vous est libre, à

22 vous membres de la Chambre de première instance, d'établir si un ou

23 plusieurs de ces éléments doivent intervenir, après avoir entendu tous les

24 moyens de preuve à charge.

25 Dans cet article 7.1, on trouve aussi des personnes qui ont aidé

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1 et encouragé à la planification, à la préparation ou à l’exécution d'un

2 crime visé aux articles 2 à 5 du Statut, et que de telles personnes

3 peuvent encourir une responsabilité pénale individuelle.

4 L'accusation, là aussi, fait valoir que ce sont là des éléments

5 individuels mais complémentaires de la responsabilité, et que vous

6 estimerez peut-être, après avoir entendu les moyens de preuve, que l'un ou

7 plusieurs de ces éléments s'appliquent.

8 Il y a déjà une certaine jurisprudence du tribunal pour cette

9 question sur le fait d'aider ou d'encourager. Ceci a été rappelé dans le

10 mémoire préalable déposé le 22 mai par l'accusation.

11 Et là, le Procureur fait valoir que l'accusé, du fait qu'il a

12 mené l'interrogatoire du

13 témoin A et assuré la confrontation du témoin A avec la victime B, tout en

14 restant présent, sans marquer par le moindre mot ou par le moindre acte,

15 qu'il était en désaccord avec ce qui s'est passé, a de ce fait, appuyé de

16 façon suffisante et a suffisamment encouragé son compagnon à commettre les

17 actes de viol.

18 L'accusation fait valoir que ces actes sont des éléments

19 constitutifs du fait d'aider et d'encourager à la commission d'un crime.

20 Je m'attache maintenant particulièrement aux éléments concernant

21 les chefs d'accusation spécifiques et l'application de l’Article 3 du

22 Statut du Tribunal pour déterminer la portée des droits et coutumes du

23 NAK. Ici, je cite la décision rendue par la Chambre d'appel dans l'affaire

24 Tadic : « L'article 3 est une clause générale couvrant toutes les

25 violations du droit humanitaire, ne relevant pas de l’Article 2 ou

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1 couvertes par les articles 4 ou 5, plus spécifiquement ».

2 Les violations des règles de La Haye sur les conflits

3 internationaux, les atteintes aux dispositions des Conventions de Genève (

4 autres que celles classées comme étant des infractions graves par les

5 dites conventions), les violations de l’Article 3 commun et autres règles

6 coutumières relatives aux conflits internes et les violations des accords

7 liant les parties au conflit, considérés comme relevant du droit

8 conventionnel, c'est-à-dire des accords qui ne sont pas devenus du droit

9 international coutumier.

10 Il a été précisé que l’Article 3 opère comme une clause

11 supplétive visant à garantir qu'aucune violation grave du droit

12 international humanitaire n'échappe à la compétence du Tribunal

13 International.

14 La Chambre d'appel précise aussi les critères de compétence à

15 respecter pour qu'il y ait infraction au titre de l’Article 3 du Statut.

16 Ceci a déjà été évoqué dans le mémoire préalable déposé par l'accusation

17 et, effectivement, les éléments de preuve que nous avançons réuniront les

18 conditions nécessaires.

19 De plus, la Chambre d'appel a conclu que tant que ces conditions

20 sont réunies, peu importe que l’infraction ou la violation grave se soit

21 produite dans le contexte d'un conflit international ou d'un conflit armé

22 interne.

23 L'intention de l'accusation est de montrer qu'il y a existence

24 d'un conflit armé, sans pour autant s'attacher à la qualification de ce

25 conflit.

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1 La Chambre d'appel, dans sa décision en matière de compétence

2 dans l'affaire Tadic, se prononce aussi sur la connexité entre les crimes

3 et le conflit.

4 Permettez-moi une paraphrase à ce propos : et bien, cette

5 connexité permet qu'un cadre temporel et géographique s'appliquent pour

6 que la protection visée par l’Article 3 commun des Conventions de Genève

7 s'applique donc en dehors du contexte géographique étroit de l'événement

8 ou de l'acte commis ou du théâtre actuel des opérations de combats.

9 La Chambre d'appel estime que la connexité requise ne concerne

10 que le rapport entre le conflit et les actes et ne concerne pas les actes

11 qui se sont produits au plein coeur de la bataille.

12 En l'espèce, l'accusé est accusé de violation de l’Article

13 commun 3 des conventions de Genève et de l’Article 4.2E du deuxième

14 protocole additionnel à ces Conventions de Genève. La Chambre d'appel

15 estime que le droit international coutumier impose une responsabilité

16 pénale pour les violations graves de l’Article 3 commun, complété par

17 d'autres principes et règles générales sur la protection des victimes des

18 conflits armés internes et pour les atteintes à certains principes et

19 règles fondamentales relatifs au moyens et méthodes de combats dans les

20 conflits civils.

21 Le Procureur interprète ces garanties fondamentales protégées

22 par l’Article 4 du deuxième protocole additionnel, comme complément à

23 l’Article 3 communs des Convention de Genève.

24 L'article 3 commun s'applique dans certains cas. Il faut que les

25 actes illégaux ou

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1 illicites soient commis dans le contexte d'un conflit armé, que l'auteur

2 soit lié à une des parties impliquées dans le conflit (ce qui était le cas

3 pour l'accusé), que les victimes ou personnes n'ayant pas de participation

4 active aux hostilités, ce qui inclut les civils, des membres des forces

5 armées qui auraient déposé leurs armes ou qui étaient rendus hors de

6 combats par la maladie, la blessure, la détention ou pour tout autre

7 motif, et enfin un des actes énumérés dans l’Article commun des

8 Conventions de Genève, au cas où un tel acte aurait été commis.

9 De l'avis de l'accusation, les moyens de preuve que nous

10 apporterons répondent à chacune de ces conditions.

11 Je vais maintenant établir une distinction entre les éléments

12 des deux chefs d'accusation. L'accusation a déjà donné des définitions de

13 la torture et de l'atteinte à la dignité humaine dans son mémoire

14 préalable.

15 Que va prouver l'accusation ? Pour définir l'acte de torture,

16 l'accusé doit, par acte ou omission, avoir délibérément infligé des

17 souffrances et des douleurs physiques ou mentales sévères à la victime.

18 Pourquoi ?

19 Premièrement, pour obtenir des informations ou un aveu, de cette

20 personne ou d'une tierce personne. Or, ici, il s'agissait d'un

21 interrogatoire.

22 Deuxièmement, pour punir la victime ou un tierce personne pour

23 un acte dont on pense qu'il a peut-être été commis par l'un ou l'autre.

24 Troisièmement, aux fins d'intimider ou de contraindre la victime

25 ou un tierce personne. Ici, il s'agit de la deuxième phase de

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1 l'interrogatoire, lorsque vous avez la confrontation entre le témoin A et

2 le témoin D. Là on peut donc parler d'intimidation et de contrainte.

3 Quatrièmement, pour tous motifs fondés sur la discrimination

4 quelle qu'elle soit.

5 Il faut alors apporter la preuve du fait que l'accusé était lui-

6 même un fonctionnaire, quelqu'un qui agissait à l'instigation de... ou

7 avec le consentement de... ou en sa capacité de

8 fonctionnaire ou de personne dans l'exercice de ses fonctions.

9 Rappelez-vous que l'accusé était un officier exerçant ses

10 fonctions.

11 Le délit de torture est établi lorsque des douleurs ou

12 souffrances sévères ont été infligées, et il ne faut pas nécessairement

13 qu'il en découle des blessures graves ou d'autres souffrances. Nous

14 apporterons la preuve de cela également.

15 Voici quels sont les faits : nous avons un officier dans

16 l'exercice de ses fonctions qui interroge une personne civile dans le but

17 de recueillir des informations ou des aveux de sa part qu'il intimide, qui

18 utilise aussi des mesures de contrainte pour obtenir de telles réponses.

19 Les faits que vous allez entendre corroboreront le chef

20 d'accusation de torture.

21 Lorsqu'il s'agit d'atteintes à la dignité humaine, les

22 définitions sont brèves, mais elles englobent des actes qui sont

23 humiliants, qui dénigrent l'intégrité personnelle, voire l'intégrité

24 sexuelle de la victime.

25 Dans l’Article commun 3, les atteintes à la dignité humaine

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1 incluent une conduite particulièrement dégradante ou humiliante.

2 Je reviens au coeur même de ce procès. Je reviens au témoin A et

3 aux expérience horribles qu'elle a vécues du fait des actes de l'accusé et

4 de ses camarades des Joker.

5 Elle s'est trouvée dénudée devant l'accusé, elle fut interrogée

6 par cet homme surnommé Sisko, puis elle a été soumise à des actes forcés

7 de viol vaginal et de viol oral en face de tous les autres membres de

8 l'unité des Joker. De nouveau, elle fut frappée, de nouveau elle fut

9 violée lorsqu'elle s'est trouvée dans cette autre pièce avec le témoin B,

10 alors que l'accusé était présent, lui qui était le responsable officiel de

11 l'interrogatoire et qui était apparemment content de ce qui se passait et

12 de ce que cela se passe au vu et au su de tous les autres membres de

13 l'unité.

14 Nous faisons valoir que, même s'il n'y avait rien eu d'autre que

15 l'interrogatoire de cette femme dans l'état de dignité forcée, les

16 éléments constitutifs de l'infraction auraient été

17 établis. Mais ici, il s'est encore passé bien d'autres choses.

18 Madame la Présidente, Madame et Messieurs les Juges, cette

19 affaire est tributaire de quelques témoins d'une grande noblesse d'âme,

20 qui sont prêts à venir déposer devant vous. Certains ne le feront pas pour

21 la première fois, ils sont prêts à revivre ces événements horribles afin

22 de soutenir la communauté internationale dans ses efforts pour que justice

23 soit faite.

24 Cette cause n'est pas celle du Procureur, elle n'est pas celle

25 de la défense, c'est celle des hommes et des femmes qui acceptent en

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1 confiance l'arbitrage du Tribunal.

2 Mme le Président (interprétation). - Je vous remercie

3 Nous disposons d'une vingtaine de minutes, puisque nous devons

4 suspendre vers 12 heures 30. Je pense qu'il serait bon que nous en

5 finissions des déclarations liminaires ce matin, afin de commencer à citer

6 les témoins à comparaître cet après-midi.

7 M. Misetic (interprétation). - Nous avons une déclaration

8 liminaire nous aussi, Madame la Présidente.

9 Mme le Président (interprétation). - Mais qu’en est-il

10 exactement ? Parce que nous, nous avions pensé que vous feriez votre

11 déclaration liminaire avant la présentation de vos témoins.

12 M. Misetic (interprétation). - Je crois que le Règlement prévoit

13 que nous sommes autorisés à faire notre déclaration liminaire à ce stade

14 du procès. C'est ce que nous souhaitons faire.

15 Mme le Président (interprétation). - Dans ce cas, vous avez la

16 parole.

17 M. Misetic (interprétation). - Merci Madame la Présidente,

18 Messieurs les Juges. Je le rappelle, je m'appelle Luka Misetic. Je

19 représente M. Anto Furundzija en compagnie de M. Sheldon Davidson.

20 L'accusation va tout faire pour vous convaincre du fait qu'il faut

21 déclarer Anto Furundzija coupable.

22 L'accusation va raconter certains événements qui n'ont rien à

23 voir avec ce qui s'est passé le 15 mai 1993, et ce dans le but

24 d'influencer les Juges de ce Tribunal alors que les faits allégués n'ont

25 rien à voir avec les événements reprochés à l'accusé.

Page 63

1 Mais quels que soient les efforts déployés par l'accusation, ils

2 ne pourront pas montrer ou démontrer quoi que ce soit. Anto Furundzija n'a

3 jamais été témoin de violences sexuelles ou de viols dont le témoin a ou

4 aurait été victime. On accuse M. Furundzija d'avoir interrogé une femme

5 alors qu'elle était soumise à des violences physiques et à des viols.

6 Or, dans le cadre d'une autre présentation de l'affaire, nous

7 vous prouverons qu'Anto Furundzija n'est pas coupable des charges retenues

8 contre lui. Contrairement à ce qui est dit aux paragraphes 25 et 26 de

9 l'acte d'accusation modifié, nous vous ferons savoir par le biais de nos

10 témoins, qu'Anto Furundzija n'était pas présent lorsque le témoin A a été

11 soumis à des violences sexuelles.

12 Vous devrez, Madame et Messieurs les Juges, vous convaincre du

13 fait que la déposition du témoin A, et sa déposition seule, est tellement

14 convaincante qu'elle vous permet de déclarer qu'Anto Furundzija est

15 coupable des chefs retenus contre lui. Et je vous le rappelle,

16 l'accusation fait reposer tous ces arguments sur la seule déposition du

17 témoin A.

18 Les autres témoins ne disposent d'aucune connaissance

19 personnelle, connaissance relative aux faits qui sont reprochés à l'accusé

20 dans l'acte d'accusation.

21 Le quatrième témoin, le témoin D contredira le témoin A et

22 contredira tout ce que celle-ci aura pu dire sur les actes commis par

23 M. Furundzija, faits qui lui sont reprochés dans l'acte d'accusation. Il y

24 a un témoin dans cette affaire qui pourra faire toute la vérité, et ce

25 témoin vous devrez l'écouter et l'entendre. Le témoin A, dans le cadre de

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1 l'interrogatoire principal, paraîtra sincère, confiant et convaincant.

2 Et vous, plus que personne d'autre, Madame et Messieurs les

3 Juges, vous compatirez avec le sort enduré par cette femme. Mais le fait

4 de sentir de la compassion pour quelqu'un ne veut pas dire que cette

5 personne, ainsi que ce qu'elle dit, est fiable. Je ne dirais pas que c'est

6 quelqu'un qui ment, mais je dirais qu'elle a tort d'affirmer ce qu'elle

7 dit.

8 D'autre part, les éléments d'identification que va nous

9 communiquer ce témoin, ne permettent pas d'affirmer que c'est

10 M. Furundzija qui a commis ces actes, au-delà de tout doute raisonnable.

11 Il existe un doute raisonnable dans cette affaire. M. Blaxill, dans les

12 arguments qu'il a choisis de présenter, n'est pas du tout dans la droite

13 ligne de ce qui est dit dans l'acte d'accusation.

14 Vous, Madame et Messieurs les Juges, à la fin de la présentation

15 de cette affaire, vous aurez l'occasion de comparer la déclaration qui a

16 été faite en 1995, l'acte d'accusation et ses modifications et la

17 déclaration liminaire faite à l'instant par M. Blaxill. Le témoin A va

18 comparaître devant vous. C'est un témoin qui, bien sûr, suscite la

19 compassion et chacun d'entre nous peut comprendre quels sont les

20 traumatismes qu'elle a endurés.

21 Elle va comparaître devant vous et vous raconter son histoire.

22 Une histoire qu'elle a dû raconter encore et encore au cours des cinq

23 années qui se sont écoulées. On lui a demandé de revenir sur cette

24 histoire, de la corriger et de la raconter maintes et maintes fois. Des

25 événements qui se sont passés en 1993, plus précisément au mois de mai,

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1 juin et juillet 1993, sont au coeur de son histoire. Vous allez être les

2 témoins d'une reconstruction des événements qui se sont passés à cette

3 époque.

4 Nous pensons que les éléments de preuves qui vous seront soumis,

5 montreront que sa reconstruction des événements n'est pas fiable, n'est

6 pas fidèle. Or, c'est sur les seuls souvenirs de ce témoin, que l'acte

7 d'accusation se base. Nous pensons que la déposition du témoin A ne

8 présente pas suffisamment d'indices de fiabilité, et nous vous demanderons

9 de vous appuyer sur ce manque d'indices de fiabilité pour déclarer

10 M. Furundzija non coupable. Ce témoin dira qu'en 1995, elle a déclaré au

11 représentant du bureau du Procureur, qu'au matin du 15 mai 1993, elle a

12 été emmenée par trois membres de l'unité des Jokers qui l'ont tirée de

13 son appartement à Vitez pour l'emmener dans un pavillon d'été près d'un

14 bungalow à Nadioci en Bosnie.

15 D'après ce qu'elle a dit en 1995, ce témoin s'est ensuite vu

16 poser certaines questions relatives à des personnes dont elle ne

17 connaissait rien. Elle affirme, dans sa déclaration de 1995, qu'elle a

18 ensuite été saisie par derrière par Bralo. Celui-ci lui a mis un couteau

19 sous la gorge et l'a directement menacée. Ensuite, il l'a agressée

20 sexuellement.

21 Or, M. Furundzija n'était pas présent, cela apparaît non

22 seulement dans la déclaration de 1995, mais également dans l'acte

23 d'accusation qui est au coeur de cette affaire. Bralo a donc été l'auteur

24 de certains actes et, comme le déclare le témoin en 1995, Anto Furundzija

25 est entré dans la pièce, mais à ce moment là seulement. Elle affirme qu'il

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1 s'agissait d'Anto Furundzija, et que cet homme lui a posé des questions,

2 du moins c'est ce qu'elle affirme en 1995.

3 Elle prétend que pendant qu'il lui posait ces questions, Bralo a

4 saisi un couteau qu'il a glissé le long de ses jambes tout en la menaçant.

5 Mais Anto Furundzija ne l'a ni touchée ni frappée en quelque façon que ce

6 soit. Le témoin, en 1995, n'a jamais dit qu'elle avait été frappée ou

7 agressée par qui que ce soit dans cette pièce. En tout cas pas en présence

8 d'Anto Furundzija ou de la personne qu'elle affirme être Anto Furundzija.

9 Le témoin A en 1995 a déclaré...

10 Mme le Président (interprétation). - Pitié pour les interprètes,

11 Monsieur Misetic.

12 M. Misetic (interprétation). - Le témoin A précisera donc

13 qu'elle a été objet d'un interrogatoire et de menaces verbales. C'est ce

14 qu'elle soutient dans sa déclaration de 1995. Elle vous dira dans le cadre

15 du contre-interrogatoire, qu'elle a été emmenée dans une pièce qu'elle

16 qualifie d’appentis dans sa déclaration. C'est Bralo qui l'a emmenée dans

17 ce lieu. C'est aussi l'homme qu'elle affirme être Anto Furundzija qui l'y

18 a emmenée. Une tierce personne se trouvait également présente.

19 Ensuite, elle affirme que le témoin D a été introduit dans ce

20 petit appentis, tandis

21 que tous les autres soldats se trouvaient dans le couloir menant à cette

22 pièce. C'est ce qu'indique le paragraphe 26 de l'acte d'accusation. Que

23 s'est-il passé au cours de ces quelques petites minutes qui se sont

24 déroulées dans l’appentis ? Eh bien, ces quelques minutes sont au coeur

25 même de cette affaire, et il faudra que vous décidiez si le témoin vous

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1 convainc au-delà de tout doute raisonnable, et s'il faut déclarer Anto

2 Furundzija coupable, sur la base de ces quelques minutes.

3 Le témoin déclarera qu'elle-même et le témoin D ont été à

4 nouveau agressé par Bralo, et ont été victimes de violences sexuelles.

5 Elle vous dira qu'Anto Furundzija était présent, et qu'il la soumettait,

6 elle et le témoin D, à un interrogatoire soutenu. C'est sur la base de

7 cette déclaration que l'accusation a rédigé un acte d'accusation contre

8 M. Furundzija, et c'est sur cette même base que cet acte d'accusation a

9 été confirmé. Mais que voyons-nous ?

10 Qu'aujourd'hui, l'accusation désavoue ce qui a été dit en 1995.

11 Aujourd'hui, l'accusation sait que d'autres dépositions ont été faites

12 dans le cadre d'autres affaires qui ont été entendues par d'autres

13 Chambres de ce Tribunal. Et la théorie élaborée par l'accusation jusqu'à

14 ce jour s'est effondrée.

15 Il y a deux semaines l'accusation a pu localiser le témoin D, et

16 ce dernier, a dit le témoin A, a tort, il s'est trompé. Le témoin D, un

17 témoin de l'accusation, vous dira que les allégations formulées contre

18 M. Furundzija au paragraphe 26 de l'acte d'accusation sont erronées. Le

19 témoin D a dit aux enquêteurs, je cite : "Je suis sûre, convaincue, qu'au

20 cours de la période que nous avons passée moi et le témoin A, dans cette

21 pièce du pavillon d'été, le témoin A a été agressé sexuellement par Bralo,

22 mais j'affirme qu'Anto Furundzija n'était pas présent dans cette même

23 pièce au moment des faits " . Fin de citation. Le témoin D contredit donc

24 tout ce que peut dire le témoin A, ainsi que tous le souvenirs qu'elle

25 peut avoir quant à ces événements.

Page 68

1 La simple déclaration du témoin D créée le doute raisonnable.

2 L'accusation, dans le

3 cadre de ces interrogatoires principaux, essaiera de minimiser

4 l'importance de la déclaration du témoin D. Elle dira que le témoin D

5 n'est pas en train d'exonérer Anto Furundzija. Mais, en fait l'accusation

6 a admis que dans une certaine mesure le témoin D était un témoin à

7 décharge en communiquant une partie de sa déclaration dans le cadre de

8 l’Article 68. Nous pensons que la déclaration du témoin D crée le doute

9 raisonnable dans le cadre de la détermination de la culpabilité d'Anto

10 Furundzija .

11 Le témoin A a été échangé le 15 août 1993. Elle est arrivée dans

12 la ville de Zenica. Elle vous dira qu'elle a vu l'homme, qu'elle a reconnu

13 comme étant Anto Furundzija, que quelques minutes en ce jour du 15

14 août 1993. Jamais elle ne l'avait vu auparavant et jamais elle ne l'a revu

15 par la suite.

16 Vous découvrirez que la déposition du témoin, et ce n'est pas de

17 sa faute, n'est pas fiable ni crédible, ni convaincante, et donc ne peut

18 vous convaincre au-delà de tout doute raisonnable. Nous pensons que les

19 dépositions du témoin A et d'autres témoins soumis à ce type d'expérience

20 ont été viciés par les chocs, les traumatismes expérimentés par ces

21 témoins.

22 Le témoin A, et cela est bien normal, oblitère de sa mémoire un

23 certain nombre de souvenirs, refuse de se rappeler de certains événements

24 qui nous permettrait d'établir la vérité sur ce qui s'est passé le 15 mai.

25 Nous allons essayer de vous prouver pourquoi la déclaration du témoin a

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1 évolué au fil des jours, des mois et des années, pour devenir une

2 déposition qui n'est plus fiable.

3 Nous allons travailler ensemble dans cette affaire pendant un

4 certain temps, et lorsque nous reviendrons chez nous pour en parler à nos

5 familles, peut être omettrons-nous certains détails ? Nous ne serons plus

6 à même de dire s'il y avait trois femmes, quatre hommes, cinq hommes,

7 trois femmes présents dans le prétoire. Sans doute serons-nous incapables

8 de nous souvenir des noms des intervenants ici, que ce soient ceux de

9 l'accusation ou de la défense. Nous nous souviendrons simplement des

10 événements et du contexte général qui entourent les

11 événements au coeur de cette affaire. Les gens se trompent, les témoins se

12 trompent. La mémoire est faillible, elle n'est pas un appareil photo qui

13 saisit l'instant de façon permanente. Notre mémoire ne peut tout garder.

14 Je vous rappelle que ces événements se sont déroulés il y a cinq

15 ans, et ce simple fait nous permet d'affirmer que la mémoire des témoins

16 n'est plus aussi précise qu'elle a pu l'être. La mémoire se fonde parfois

17 sur un sentiment, sur une conviction de ce qui a pu se passer à l'époque.

18 L'intégralité de l'affaire de l'accusation se fonde sur la capacité du

19 témoin, non seulement à se rappeler d'événements généraux, mais de faits

20 très précis.

21 Par exemple, le témoin dit pouvoir se souvenir à quel instant

22 telle ou telle personne est entrée dans telle pièce pour y faire tel ou

23 tel acte. Nous, nous démontrerons que la mémoire du témoin est faillible,

24 qu'elle présente des lacunes et que l'accusation ne peut satisfaire son

25 devoir qui est de faire la charge de la preuve.

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1 Je suis persuadé, Madame et Messieurs les Juges, que vous en

2 arriverez à la même conclusion que moi. Vous vous apercevrez que

3 l'accusation ne peut prouver les faits au-delà de tout doute raisonnable,

4 que M. Furundzija est coupable de ces actes. Et l'absence d'éléments de

5 preuves fiables vous convaincra, Madame et Messieurs les Juges, de

6 déclarer M. Furundzija non coupable. Je vous remercie.

7 M. May (interprétation). - Maître Misetic, pourriez-vous nous

8 aider dans cette question ? Nous allons entendre des moyens de preuve

9 relatifs à l’existence d'un conflit armé au moment des faits. Y a-t-il

10 litige sur l'existence d'un conflit armé ?

11 M. Misetic (interprétation). - Eventuellement oui, Monsieur le

12 Juge.

13 M. May (interprétation). - Fort bien.

14 Mme le Président (interprétation). - Nous allons commencer à

15 entendre les témoins cet après-midi, mais j'aimerais vous donner un aperçu

16 général du calendrier pour cette semaine et pour la semaine suivante.

17 Le matin, nous commencerons à 9 heures 30 et terminerons à 12

18 heures 30. L'après-midi, de 14 heures à 17 heures. Le vendredi, nous

19 travaillerons uniquement jusqu'à 11 heures du matin, car nous avons

20 d'autres engagements dans une autre salle d'audience. Et l'après-midi nous

21 devons entendre les arguments dans une autre affaire.

22 Nous reprendrons, lundi prochain, pour cette affaire-ci

23 à 9 heures 30. Nous garderons les mêmes horaires jusqu'à jeudi. Nous ne

24 siégerons pas vendredi de la semaine prochaine. J'espère que nous aurons

25 d'ici là, entendu tous les témoins à charge. Y a-t-il d'autres questions

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1 avant que nous ne levions l'audience ?

2 M. Sellers (interprétation). - Oui. Vous avez fait droit à une

3 requête de la défense, en matière de mise au secret des témoins. Je

4 suppose que nous devrons appliquer ces critères aux témoins. Nous avons

5 déjà parlé à nos témoins des inquiétudes manifestées par le Conseil de la

6 défense. Je suppose donc, que votre ordonnance s'appliquera dès

7 maintenant.

8 Mme le Président (interprétation). - Effectivement, nous avons

9 déjà fait droit à cette requête. Ces mesures s'appliquent donc tout de

10 suite.

11 M. Sellers (interprétation). - Je vous remercie.

12 Mme le Président (interprétation). - L'audience est levée. Nous

13 reprendrons à 14 heures précises.

14 L’audience est levée à 12 heures 25.

15

16 L’audience est ouverte à 14 heures 05

17 (Le témoin, M. Mujezinovic, est introduit dans la salle

18 d’audience)

19 Mme le Président (interprétation). - Le greffe peut-il

20 introduire l'affaire.

21 Mme le Greffier (interprétation). - L’affaire IT-95-17/1, le

22 Procureur du Tribunal contre Anto Furundzija.

23 Mme le Président (interprétation). - Accusé, m'entendez-vous

24 dans une langue que vous comprenez ?

25 M. Furundzija (interprétation).- Oui.

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1 Mme le Président (interprétation). - Je suppose que nous avons

2 les mêmes parties que ce matin. Veuillez prêter serment.

3 M. Mujezinovic (interprétation). - Je déclare solennellement que

4 je dirai la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

5 Mme le Président (interprétation). - Veuillez prendre place.

6 Maître Blaxill, au nom de l’accusation ?

7 M. Blaxill (interprétation). - Merci Madame le Président et

8 Messieurs les Juges. J’appelle à la balle le premier témoin de

9 l’accusation, M. Mujezinovic.

10 Monsieur, m’entendez-vous bien ?

11 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, je vous entends bien.

12 M. Blaxill (interprétation). - Veuillez décliner votre identité

13 à l'intention des juges.

14 M. Mujezinovic (interprétation). - Je m’appelle Muhamed

15 Mujezinovci, médecin, fils d’Edhem, né au village de Vrhovine dans la

16 municipalité de Vitez.

17 M. Blaxill (interprétation). - Vous parlez de l'exercice de la

18 profession de docteur. Quelle est votre profession exacte ?

19 M. Mujezinovic (interprétation). - Je suis docteur en médecine

20 spécialiste de médecine interne et spécialiste de médecine du travail.

21 M. Blaxill (interprétation). - Où et quand avez-vous fait votre

22 formation de médecin généraliste.

23 M. Mujezinovic (interprétation). - J’ai terminé mes études à

24 Sarajevo en 1978. J'ai également fait la spécialisation de médecine

25 interne en 1974. Pour ce qui est de la médecine du travail, c'est en 1989,

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1 après quoi j’ai eu mon diplôme de spécialisation également suite à des

2 études post-universitaires à l’université de Sarajevo que j’ai poursuivies

3 après, tout cela à Sarajevo.

4 M. Blaxill (interprétation). - Où avez-vous exercé l'essentiel

5 de votre profession.

6 M. Mujezinovic (interprétation). - Mon premier emploi a eu lieu

7 à Doboj. Après quoi, un an et demi plus tard, répondant à l’invitation

8 des autorités de cette époque-là de Vitez, je suis allé à Vitez.

9 D'ailleurs, c'est à Vitez que j’ai fait mon école élémentaire. C'est à

10 Vitez que je suis depuis le 1er septembre 1979, en tant que médecin

11 généraliste. A deux reprises, j’ai été nommé directeur du dispensaire de

12 Vitez.

13 En 1980, pendant deux mois, j'ai occupé la fonction de directeur

14 jusqu’au mois de novembre 1992.

15 M. Blaxill (interprétation). - Puis-je vous interrompre un

16 instant ? Pour les besoins des autorités sanitaires, avez-vous fait

17 d'autre travail que le simple exercice de votre profession de médecin ?

18 Avez-vous fait du bénévolat, par exemple ?

19 M. Mujezinovic (interprétation). - En tant que médecin, j'ai pu

20 collaborer au club sportif de Vitez, toujours à titre de bénévole. J'ai

21 suivi tous les sportifs de Vitez, en tant que médecin. J'ai travaillé

22 aussi pour le compte des sociétés humanitaires quand le temps me le

23 permettait.

24 M. Blaxill (interprétation). - Pourriez-vous nous dire, en

25 quelques mots, comment se présentait la communauté de Vitez et quels

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1 étaient les groupes ethniques qui vivaient à Vitez avant 1990 ?

2 M. Mujezinovic (interprétation). - Vitez est une petite ville

3 industrielle, une ville de sport aussi. La municipalité de Vitez comprend

4 environ 28 000 habitants de différentes nationalités. La plupart étaient

5 des Croates (un peu plus de 12 000) et environ 11 000 Musulmans, environ

6 5 000 Serbes. Par conséquent, c'était une municipalité multiethniques.

7 Cette municipalité comptait donc environ 28 000 habitants, dont

8 8 600 employés. Les gens travaillaient généralement à Vitez, mais

9 également dans les localités voisines, dont Zenica et Travnik, mais il y

10 avait également des gens de Zenica et de Travnik qui venaient travailler à

11 Vitez.

12 M. Blaxill (interprétation). - Quels étaient les rapports entre

13 les groupes ethniques de la région jusqu'en 1990.

14 M. Mujezinovic (interprétation). - Dans cette région, les

15 rapports internationaux étaient très bons. Depuis septembre 1979, époque à

16 laquelle j’ai été nommé pour une première occupation de travail à Vitez,

17 je ne crois pas me souvenir d'aucun conflit international. Très souvent,

18 j'ai pu collaborer avec les autorités de police locale, avec les juges

19 d'enquête, notamment, et d'instruction. Pour la plupart, il s'agissait

20 d'accidents de la route, ou même d'autres accidents qui auraient pu se

21 produire dans le cadre de la municipalité de Vitez. Je ne me souviens

22 absolument pas d'avoir pu enregistrer aucun incident international.

23 M. Blaxill (interprétation). - En 1990, est-ce que des partis

24 politiques sont apparus dans la région de Vitez ou, de façon plus

25 générale, en Bosnie ?

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1 M. Mujezinovic (interprétation). - Dans toute la Bosnie en

2 général et à Vitez des nouveaux partis se manifestèrent. Ils se

3 réclamaient de nationalisme. Les Croates ont organisé le HDZ, les

4 Musulmans ont organisé le parti d’action démocratique. Les Serbes ont

5 organisé le

6 parti démocratie serbe.

7 C’est donc au cours de cette année 1990, ou peut-être un peu

8 avant, que trois partis nationaux ont été organisés pour regrouper ces

9 ethnies de Vitez.

10 M. Blaxill (interprétation). - Ces partis représentaient-ils ou

11 défendaient-ils de façon ouverte les intérêts de tel ou tel groupe

12 ethnique ?

13 M. Mujezinovic (interprétation). - A lire les déclarations de

14 programme de chacun de ces partis, étant donné que chacun d’entre eux

15 était censé avoir une configuration et structuration ethnique, il y avait

16 pratiquement une représentation à égalité des Musulmans, des Croates et

17 des Serbes, pour parler de notre localité.

18 M. Blaxill (interprétation). - Pourriez-vous nous dire qui est

19 devenu le dirigeant du parti croate HDZ ?

20 M. Mujezinovic (interprétation). - Autant que je puisse me

21 rappeler, c’est M. Anto Valenta qui était le premier président du HDZ de

22 Vitez. Karic Hajrudin a été le premier président de ZDA et Mijatovic

23 Jovica était le premier président du SDS.

24 M. Blaxill (interprétation). - Des élections ont-elles été

25 organisées en novembre 1990, dans votre région et à l’échelon national ?

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1 M. Mujezinovic (interprétation). - Les élections ont eu lieu en

2 1990, au mois de novembre, ainsi que dans notre municipalité. Aux

3 élections, ont triomphé les partis ayant justement cet emblème national.

4 Le ZDA fut le premier, HDZ le second et le SDS, compte tenu du nombre peu

5 important de nationaux serbes, n’a pu obtenir que deux votes.

6 Par conséquent, on pouvait compter sur un certain nombre de

7 sièges pour composer le Parlement municipal. Le parti SK, par exemple,

8 pour des changements démocratiques (7), le HDZ (13), le SDA (8),

9 l’Alliance socialiste de la Jeunesse démocratique (2 députés ou

10 conseillers), et l’Union démocratique des socialistes (1). On a pu compter

11 sur environ 60 sièges, soit 60 conseillers municipaux à pourvoir et qui

12 devaient représenter la population locale auprès

13 du Parlement.

14 M. Blaxill (interprétation). - C’étaient pratiquement les

15 organes de gestion et de pouvoirs locaux qui étaient élus.

16 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, c’était le Parlement

17 municipal, que l’on appelle « assemblée municipale », considéré

18 pratiquement comme étant l’autorité suprême de la municipalité.

19 M. Blaxill (interprétation). - Aviez-vous un engagement

20 politique dans la vie de la collectivité locale à cette époque-là ?

21 M. Mujezinovic (interprétation). - J’ai été membre du SDA, sans

22 y prendre vraiment une participation active. Je suis membre du SDA de

23 Vitez depuis août 1990.

24 J’ai été l’observateur, celui qui observait toutes ces tribunes

25 et assemblées publiques organisées par ces différents partis de notre

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1 localité. J’ai pu entendre parler les différents représentants de parti et

2 voir ainsi leur programme de développement, programme concernant la ville

3 et la municipalité, c’est-à-dire les objectifs que poursuivaient chacun de

4 ces partis.

5 M. Blaxill (interprétation). - Après cette année 1990, avez-vous

6 eu une participation active à la vie politique de la commune ?

7 M. Mujezinovic (interprétation). - En septembre 1991, j'ai été

8 pratiquement le premier homme près du président du SDA de Vitez. C’est

9 alors que j’ai pris une participation active dans les activités du SDA.

10 M. Blaxill (interprétation). - Vous avez déclaré, je crois, que

11 le SDA défendait les intérêts de la population musulmane à l'époque ?

12 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, en général c’est

13 correct.

14 M. Blaxill (interprétation). - Quel était le rapport entre le

15 Comité exécutif du parti et l’Assemblée municipale ?

16 M. Mujezinovic (interprétation). - A cette époque-là, on peut

17 dire qu'il y avait

18 d'assez bons rapports. Pour parler de septembre 1991, oui, il régnait

19 d’assez bons rapports.

20 M. Blaxill (interprétation). - Mais le Comité exécutif, qu’a-t-

21 il fait s’agissant des pouvoirs qu’il avait au niveau de la collectivité ?

22 M. Mujezinovic (interprétation). - Le Comité exécutif du parti

23 du SDA recevait, à chaque occasion, une liste de questions à délibérer au

24 sein du Parlement pour prendre une attitude au sujet de problèmes en

25 suspens à Vitez. Or, pour ce qui concerne notre comité, nous étions censés

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1 confirmer et défendre les attitudes prises au Comité exécutif. Pour ainsi

2 dire, ce n’était pas vraiment une force de loi qu'on devait respecter,

3 mais disons que c'était souhaitable.

4 M. Blaxill (interprétation). - Dans le cadre de vos fonctions au

5 Comité exécutif, avez-vous eu affaire à vos interlocuteurs, à vos

6 homologues dans d’autres partis ?

7 M. Mujezinovic (interprétation). - C’est une petite localité,

8 donc nous nous rencontrions régulièrement. La fonction que j’occupais

9 était assez importante et publique à Vitez, donc je connaissais la plupart

10 des nationaux et des habitants de Vitez et des environs. J'ai pu

11 rencontrer les conseillers municipaux des autres partis également, tout

12 ceux qui prenaient part aux travaux de la municipalité. Autrement dit, je

13 collaborais avec chacun d’eux.

14 M. Blaxill (interprétation). - Qui était le Président de

15 l'Assemblée municipale à l'époque ?

16 M. Mujezinovic (interprétation). - Aux premières élections

17 démocratiques à Vitez, M. Ivan Santic a été élu à la fonction de

18 Président. Il est technologue diplômé, ingénieur technologique.

19 M. Blaxill (interprétation). - Monsieur Santic est-il Croate ?

20 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, il est de nationalité

21 croate.

22 M. Blaxill (interprétation). - Nous avançons dans le temps, vers

23 la fin de 1991, moment où les relations entre les groupes ethniques et

24 leurs représentants restent

25 harmonieuses ?

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1 M. Mujezinovic (interprétation). - Pour toute l'année 91, je

2 peux dire que, autant que je sache, il n'y avait pas vraiment de problèmes

3 ou de problèmes graves. Pour parler des rapports interethniques, il y

4 avait des discussions. Chacun représentait l'attitude de son parti, chacun

5 devait discuter de la question à l'ordre du jour du Parlement pour voter.

6 M. Blaxill (interprétation). - Des événements se sont produits à

7 Vitez. Quand avez-vous pour la première fois entendu prononcer le terme

8 Herceg-Bosna ?

9 M. Mujezinovic (interprétation). - J'ai entendu prononcer pour

10 la première fois le terme Herceg-Bosna par nos délégués du parti d'action

11 des démocrates, par M. Santic. Il portait à la connaissance des

12 conseillers municipaux qu'il y avait une communauté croate portant le nom

13 Herceg-Bosna. Vers la fin de l'année 91, à cette occasion-là, disait-il,

14 cette communauté culturelle des Croates de Bosnie-Herzégovine ne devait

15 aucunement empiéter sur les intérêts de Bosnie-Herzégovine, ainsi que de

16 menacer les autres ethnies présentes en Bosnie-Herzégovine.

17 M. Blaxill (interprétation). - ...par la suite, nous avançons et

18 nous arrivons à mars 1992, quelle était la position adoptée par

19 l'Assemblée municipale en mars 1992 ?

20 M. Mujezinovic (interprétation). - Au mois de mars 1992, si mes

21 souvenirs sont bons, il y avait eu une dernière Assemblée commune de

22 conseillers municipaux élus au Parlement municipal. C'est à cette occasion

23 qu'une proposition a été lancée par la collectivité démocratique croate, à

24 savoir créer un quartier général à l'état-major de crise qui devait

25 reprendre toutes les prérogatives et fonctions du Conseil exécutif

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1 municipal.

2 Par conséquent, une dernière Assemblée a eu lieu au mois de mars

3 et les conseillers municipaux essayaient de savoir ce que représentait la

4 communauté des Croates Herceg-Bosna.

5 Madame Nevenka Rajic, déléguée de notre parti, voulait savoir si

6 les rumeurs selon lesquelles les croates devaient s'armer étaient vraies.

7 Pero Skopljak, Chef de la police de Vitez a dénigré toutes possibilités

8 concernant cette interrogation.

9 Il a répété que Herceg-Bosna était une communauté culturelle des

10 Croates, qu'elle ne devrait pas plus présenter des menaces pour l'Etat de

11 Bosnie-Herzégovine que pour les autres ethnies de Bosnie-Herzégovine.

12 M. Blaxill (interprétation). - Quelles furent les circonstances

13 qui poussaient à l'idée qu'il fallait un état-major ou une cellule de

14 crise à Vitez ? Qu'est-ce qui a poussé les gens à penser que c'était

15 nécessaire ?

16 M. Mujezinovic (interprétation). - En Bosnie-Herzégovine et à

17 Vitez même, nous avons ressenti beaucoup de problèmes concernant la

18 situation des réfugiés qui venaient de la Croatie orientale, mais

19 également de Bosnie orientale et de Bosnie occidentale. L'Assemblée

20 municipale étant un corps important, les représentants croates voulaient

21 créer un corps qui serait plus opérationnel, qui aurait moins de problèmes

22 pour se réunir. Midhat Varupa, qui était juriste et membre du Conseil

23 exécutif de SDA, essayait d'interpréter à sa façon que cela n'était pas

24 conforme à la constitution de Bosnie-Herzégovine, qu'il fallait créer une

25 présidence de guerre de la municipalité de Vitez, rien que pour faire

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1 régner la paix dans la maison et pour voir le tout confirmer, vérifier à

2 l'Assemblée de Vitez.

3 M. Blaxill (interprétation). - Il est donc exact de dire qu'un

4 état-major ou une cellule de crise a été constituée ? Est-ce bien exact ?

5 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui.

6 M. Blaxill (interprétation). - Quelle en était la composition ?

7 M. Mujezinovic (interprétation). - Cet état-major, cette cellule

8 de crise, supposait une certaine parité. La composition supposait

9 cinq Musulmans, cinq Croates. Ivan Santic devait être à sa tête, son

10 suppléant a été Fuad Kaknjo, qui lui a été le Président du gouvernement,

11 du conseil exécutif de Vitez, Pero Skopljak, Chef de la police de Vitez,

12 Silic Josip à leurs côtés et Vlado Santic. Pour représenter les Musulmans,

13 il y avait le représentant de SDA, Munib Kainovic, Fuad Kaknjo, il y avait

14 moi qui étais chargé des questions de santé, Hasimovic Sulejman ainsi que

15 le commandant de la Défense territoriale Hakija Cengic, toujours pour la

16 municipalité de Vitez.

17 M. Blaxill (interprétation). - Vu la fuite de ces réfugiés,

18 connaissiez-vous le pourquoi de cet arrivage de réfugiés à Vitez ?

19 M. Mujezinovic (interprétation). - Nous en connaissions bien la

20 cause. Il y avait la guerre en Croatie, les actions de combats. Je me

21 souviens qu'il y avait trois croates qui étaient des volontaires et un

22 Musulman de Vitez qui était parti. Mais lorsque la guerre se propageait

23 vers la Bosnie, tous les soirs on pouvait, à la télévision et à la radio,

24 entendre parler des opérations de guerre. Ce sont de ces régions-là

25 qu'affluaient les réfugiés. La majeure partie d'entre eux étaient de

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1 Tjentiste près de Foca, de Kozarac, de Kljuc, de Sanki Most.

2 M. Blaxill (interprétation). - Avez-vous essayé de préparer la

3 situation sur le plan sanitaire pour essayer de soigner les personnes

4 arrivant dans ces conditions ?

5 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, préalablement la Croix-

6 Rouge était bien organisée à Vitez. Tous les réfugiés ont été enregistrés

7 auprès de la Croix-Rouge et par la Croix-Rouge de Vitez. Il y avait

8 également lieu de parler d'actions humanitaires, Caritas parlait croate,

9 et Merhamet parlait musulman.

10 Nous avons réuni toutes les conditions nécessaires pour que ces

11 personnes puissent être installées quelque part dans des maisons de

12 campagne, des résidences ou auprès des gens dont les maisons étaient plus

13 spacieuses. Etant donné qu'à Vitez j'ai été suppléant du Président de

14 Merhamet, il y avait plus de 4 000 réfugiés musulmans.

15 M. Blaxill (interprétation). - Au cours de cette période, vous

16 travailliez au sein de la cellule de crise. Quelle était la fréquence de

17 réunions des membres de cette cellule de crise, réunions visant à régler

18 les problèmes posés dans ces circonstances ?

19 M. Mujezinovic (interprétation). - Les réunions de cette cellule

20 de crise étaient fréquentes, presque quotidiennes. La cellule devait être

21 parfois réunie deux fois par jour. Je veux dire par là que tout devait

22 être en fonction des problèmes qui ont été soulevés au cours de la

23 journée, c'est M. Ivan Santic qui devait les convoquer en réunion.

24 M. Blaxill (interprétation). - On peut donc dire que la cellule

25 de crise était devenue l'autorité suprême dans la région, n'est-ce pas ?

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1 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui.

2 M. Blaxill (interprétation). - Quels étaient les rapports entre

3 les membres croates de la cellule de crise et les membres musulmans de

4 cette cellule ? Quelle était la nature de leurs rapports quand il

5 s'agissait d'apporter une solution à ces problèmes ?

6 M. Mujezinovic (interprétation). - Pour parler de la première

7 moitié de l'année 1992, les relations étaient correctes. Les décisions y

8 ont été prises en général à l'unanimité.

9 M. Blaxill (interprétation). - Dans le courant du mois

10 d'avril 1992, une réunion particulièrement importante a-t-elle eu lieu,

11 une réunion relative à la communauté croate d'Herceg-Bosna ? Une

12 allocution particulièrement importante n'a-t-elle pas été prononcée en

13 cette occasion ?

14 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, fin avril 1992, une

15 importante réunion a eu lieu, réunion de cette cellule de crise de Vitez,

16 réunion à laquelle on devait discuter de la prise des armes dans Vitez.

17 En effet, préalablement, c’était la JNA qui s’occupait de la

18 prise des armes des différentes municipalités. Or, ces mêmes armes ont été

19 prises en charge, les paiements ont été réglés par la municipalité

20 elle-même.

21 Voilà pourquoi, à la fin de la réunion de la cellule de crise,

22 en dehors de tout ordre du jour, comme quoi les Musulmans de Vitez

23 devaient être mis sous le commandement de la communauté croate de Herceg-

24 Bosna. Autrement, ils n’auraient aucune chance de rester debout dans le

25 cadre de la République. A cette époque-là, il a mentionné que les Croates

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1 étaient armés

2 par les HVO à 90 % et que les Musulmans n'étaient armés qu’à hauteur de

3 10 %.

4 A Vitez, existait une formation militaire intitulée HOS pour

5 laquelle il y avait lieu de parler d'une force vraiment importante. A

6 cette époque, quelqu'un a dit au Président : « Tu sembles compliquer un

7 petit peu la situation ». Le Président a répondu : « Non, non je suis très

8 sérieux en vous le disant ».

9 La réunion s'est terminée sur ces paroles.

10 M. Blaxill (interprétation). - Monsieur Mujezinovic, quelle a

11 été l'évolution des rapports existant entre les Croates et les Musulmans

12 de Bosnie à Vitez ? Quelle a été leur évolution après cette déclaration de

13 M. Anto Valenta ?

14 M. Mujezinovic (interprétation). - Nous ne l'avions pas pris au

15 sérieux. Pour autant que j’aie pu le constater, les représentants croates

16 ne l'ont pas fait non plus, à ce moment. Nous avons poursuivi chacun nos

17 activités normales, en coopération les uns avec les autres.

18 M. Blaxill (interprétation). - Est-ce que dans le courant du

19 mois de mai certains incidents se sont survenus pouvaient laisser supposer

20 que les relations n'étaient pas si harmonieuses que cela ?

21 M. Mujezinovic (interprétation). - Un premier incident dans le

22 domaine des relations entre Croates et Musulmans de Vitez a eu lieu

23 le 22 mai. Le Président de cette cellule m'a appelé vers minuit, minuit

24 quinze, pour me convier à une importante réunion de cellule de crise.

25 M. Blaxill (interprétation). - Etait-ce bien M. Santic ?

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1 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, dans son bureau j'ai pu

2 retrouver presque tous les membres de la cellule de crise. Ils étaient

3 vraiment au grand complet. Outre Santic, il y avait M. Cerkez Mario,

4 commandant du HVO de Vitez. Il était, je crois, presque en état d'ébriété.

5 M. Santic, a pris la parole afin de nous exposer la raison de cette

6 réunion, et nous parler d'un incident qui s'était produit dans l'enceinte

7 de l'hôtel municipal, et au cours duquel un représentant de la communauté

8 musulmane, membre de la Défense territoriale, a péri. Deux personnes ont

9 été arrêtées.

10 A ce moment-là, Mario Cerkez disait que ces deux jeunes avaient

11 provoqué le personnel de l'hôtel, et qu’à la sortie de l'hôtel un garde du

12 HVO leur avait tiré dessus. Ce garde en a liquidé un ; deux autres

13 personnes ont été arrêtées.

14 Lors cette réunion, on a pu conclure qu'une enquête devait

15 évidemment être poursuivie, qu'il fallait notifier aux familles des

16 accidentés et des tués qu'il y avait des victimes, et que les deux

17 personnes arrêtées devaient être transférées vers le HVO qui, à cette

18 époque-là encore, portait des uniformes de civils.

19 M. Blaxill (interprétation). - Il s'agit donc là du premier

20 incident violant qui se soit produit, n’est-ce pas ?

21 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui.

22 M. Blaxill (interprétation). - Je vois. Nous allons avancer

23 quelque peu et nous en arrivons au milieu du mois de juin. C'est la date

24 du 18 juin qui m'intéresse plus particulièrement. Est-ce qu'un incident

25 précis est survenu dans la région, à cette date ?

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1 M. Mujezinovic (interprétation). - Le 18 juin, dans l'après-

2 midi, des formations de HVO se sont emparées du bâtiment de la police

3 locale, du bâtiment de la municipalité. Elles ont aussi occupé le

4 bâtiment, ancien siège de la Défense territoriale de Vitez. Elles ont

5 désarmé tous les agents de police de nationalité musulmane et ont

6 évidemment arboré le drapeau de l'état croate.

7 M. Blaxill (interprétation). - Quelle a été la réponse que vous-

8 même et les autres membres de la cellule de crise avez apportée à cette

9 manifestation ?

10 M. Mujezinovic (interprétation). - Nous voulions savoir les

11 raisons pour lesquelles tout cela s’était produit. M. Santic n'était pas à

12 Vitez. Nous étions tous à la recherche de Santic pour le lui demander.

13 Personne ne savait expliquer. Le commandant de quartier général de la

14 Défense territoriale n'en savait rien. Le Président du gouvernement

15 municipal non plus. On pouvait rencontrer en pleine rue des soldats de HVO

16 en uniforme militaire complet, y compris les casques.

17 Je me souviens bien -c'était en fin de semaine, un week-end, de

18 retour à Vitez- de Santic convoquant en réunion les membres de la cellule

19 de crise, réunion au cours de laquelle Pero Skopljak, chef de la police de

20 Vitez, a déclaré que le peuple croate s'impatientait et devait s'occuper

21 des affaires de la municipalité. Anto Valenta, représentant du HDZ de

22 Vitez, a dit que c'était l'acte d'un milieu, d'un groupe de gens

23 irresponsables et qui n'étaient pas placés sous leur contrôle.

24 A la même réunion on a demandé aux représentants des nationaux

25 musulmans de se placer sous le commandement de l'armée de la Bosnie-

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1 Herzégovine, à savoir que sous le même commandement devait être placée la

2 police publique et que les fonctionnaires employés à la municipalité

3 devaient être incorporés dans le gouvernement ainsi créé par le HVO à

4 Vitez.

5 Les représentants des Musulmans ont refusé séance tenante,

6 considérant cela comme une attaque contre les autorités légales qui

7 avaient été élues aux élections de novembre 1990, comme une attaque contre

8 l'Etat de Bosnie-Herzégovine. Ainsi donc, les Musulmans ont refusé de

9 composer ce gouvernement que nous avons considéré comme étant une espèce

10 de putsch.

11 M. Blaxill (interprétation). - Après cela, quel était l'état des

12 relations entre les deux communautés, entre les mois de juin et

13 octobre 1992 plus particulièrement ?

14 M. Mujezinovic (interprétation). - Le gouvernement ainsi formé

15 -le gouvernement du HVO de Vitez- créait des points de contrôle à l'entrée

16 et à la sortie de Vitez. Tous les piétons, tous ceux qui empruntaient les

17 voies, qui circulaient en camions ou en voitures privées, devaient être

18 soumis au contrôle. De nouvelles taxes également étaient imposées.

19 Autrement dit, ces gens-là prenaient en main l'ensemble du pouvoir des

20 autorités, le travail des entreprises, des sociétés qui restaient encore.

21 L'ensemble des fonds devait affluer vers les caisses du gouvernement ainsi

22 créé.

23 Les représentants des Musulmans réclamaient encore la

24 possibilité de composer ce nouveau gouvernement. Tous ceux qui n’étaient

25 pas prêts à souscrire à un schéma d'organisation de la vie économique,

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1 c'est-à-dire de postes et d'emplois ainsi prévus, risquaient de perdre

2 leur poste de travail préalablement occupé.

3 M. Blaxill (interprétation). - Qu’en était-il pour l'homme de la

4 rue ? Les gens pouvaient-ils circuler librement dans la ville sans

5 craindre d'être agressés ou gênés par qui que ce soit ?

6 M. Mujezinovic (interprétation). - Au début même de la formation

7 de ce nouveau gouvernement, on pouvait se rendre compte de quelques

8 mauvais traitements de citoyens auprès des points de contrôle. Plus tard,

9 ces mauvais traitements ont concerné également les quartiers de la ville,

10 c’est-à-dire qu’il n’y avait pas que les points de contrôle.

11 A l'une de ces réunions, l'une des toutes premières choses à

12 arrêter -l'auteur en fut M. Skopljak- consistait à placer l'ethnie serbe

13 de Vitez sous la protection du HVO. A cette occasion-là, il a sorti une

14 liste pour dire que les habitants du village de Traveoci près de Vitez,

15 avaient remis 120 fusils, deux canons sans recul et pas mal de munitions.

16 M. Blaxill (interprétation). - Nous allons maintenant passer à

17 un autre sujet. La communauté musulmane a-t-elle répondu à cette situation

18 par la création d'une instance quelconque ? S’est-elle organisée d'une

19 façon quelconque ?

20 M. Mujezinovic (interprétation). - A cette époque-là, nous avons

21 dû organiser une réunion à laquelle devaient se rendre les représentants

22 de tous les partis, mais surtout nous avons pensé à des Musulmans, à des

23 citoyens de bonne renommée de nationalité musulmane. Nous leur avons

24 exposé l'attitude du SDA à l'égard du gouvernement nouvellement créé par

25 le HVO à Vitez.

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1 A cette occasion -je pense que c'était entre le 10 et le

2 12 juillet-, un comité de coordination, ayant pour fonction la protection

3 des Musulmans de Vitez, a été créé, lequel comité était composé de

4 19 membres. Les citoyens réputés de Vitez représentaient également les

5 collectivités locales. A cette occasion, nous avons également formulé une

6 déclaration à l'intention de l'opinion publique suivant laquelle les

7 Musulmans de Vitez ne reconnaissaient pas le gouvernement monoethnique

8 créé par le HVO à Vitez et les décisions prises par le gouvernement du HVO

9 n’étaient pas obligatoires pour les Musulmans de Vitez. De même, nous

10 avons demandé à tous les fonctionnaires qui occupaient les postes

11 importants de par leurs responsabilités de poursuivre leurs actions, ainsi

12 que le voulaient les élections de 1990 au mois de novembre.

13 Il a été dit, entre autres, qu'à Vitez, l'ethnie musulmane ne

14 respecterait que les décisions prises par l'assemblée municipale de Vitez

15 et les décisions prises conformément à la loi, et évidemment par la

16 présidence de Yougoslavie cette fois.

17 M. Blaxill (interprétation). - D'un point de vue pratique, alors

18 que nous allons du mois de juin au mois d’octobre 1992, que s’est-il passé

19 exactement à Vitez ? Notamment, qu’est-il advenu des commerces ou des

20 autres entreprises appartenant à des Musulmans et qui se trouvaient en

21 ville ?

22 M. Mujezinovic (interprétation). - De juillet à août 1990, j'ai

23 bien dit qu'il y avait des points de contrôle où maints mauvais

24 traitements ont été observés ainsi que des pillages. Plus tard, en

25 novembre, on a pu voir que nombre de points de commerces, de cafés, de

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1 restaurants, de points d'artisanat, de magasins, de coiffeurs avaient été

2 attaqués.

3 M. Blaxill (interprétation). - Je vous entends faire référence à

4 l'année 1990. Etes-vous bien sûr que c'est de cette année-là que vous

5 voulez parler ?

6 M. Mujezinovic (interprétation). - Excusez-moi. Je pensais bien

7 à l'année 1992.

8 M. Blaxill (interprétation). - Vous venez de dire qu’il y avait

9 eu certains incidents relatifs à des entreprises ou à des commerces

10 appartenant à des Musulmans. Pouvez-vous préciser un peu les choses ?

11 M. Mujezinovic (interprétation). - Je voulais dire qu'au début,

12 le premier incident qui s'est produit à Vitez s’est produit le 20 mai, le

13 second le 22 octobre. Deux conflits ouverts se sont produits à Vitez

14 après.

15 A cette époque-là, je dois dire qu'il y a eu le conflit entre le

16 HVO et les représentants de Bosnie-Herzegovine de Novi Travnik, parce que

17 des fortifications avaient été dressées par les représentants de la

18 Défense territoriale, pour ne pas que les membres militaires de HVO

19 puissent pénétrer dans Novi Travnik.

20 M. Blaxill (interprétation). - Il y a donc eu conflit ouvert

21 opposant les forces de l’armée de Bosnie-Herzégovine et celles du HVO.

22 Cela s’est passé à Novi Travnik et à Vitez. C’est bien ce que vous avez

23 dit ?

24 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui.

25 M. Blaxill (interprétation). - Les 17 et 18 octobre, vous êtes-

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1 vous rendu à Travnik même pour y travailler à l'hôpital ?

2 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui. Outre mes occupations

3 régulières à Vitez, je travaillais à titre honoraire à la section de

4 médecine interne de l'hôpital de Travnik.

5 M. Blaxill (interprétation). - Au cours de ce week-end des 17

6 et 18 octobre, les patients que vous avez vu arriver à l'hôpital

7 comptaient-ils, dans leur rang, des soldats ?

8 M. Mujezinovic (interprétation). - Je n'ai pas eu de clients à

9 examiner pendant la période où j'ai pu travailler, mais étant de garde,

10 lorsque je devais me rendre à Vitez, j'ai pu voir des ambulances emmener

11 des personnes blessées. Je voulais m'informer un peu pour savoir qui

12 étaient les victimes. On m'a répondu que c'étaient des personnes venant de

13 Travnik, qu'il y avait des conflits avec le HVO à Travnik.

14 M. Blaxill (interprétation). - Puis, vous êtes retourné à Vitez,

15 je suppose. Avez-vous entendu dire quoi que ce soit d'autre portant sur

16 des incidents impliquant des personnes armées et qui se seraient produits

17 dans la région ?

18 M. Mujezinovic (interprétation). - Non. A cette époque-là, j'ai

19 terminé tout ce que j'avais à faire. J'étais directeur du dispensaire de

20 Vitez. Comme j'étais très fatigué après ces heures de garde, je me suis

21 rendu à la maison pour me coucher.

22 Pour ce qui est des conflits à Vitez, je ne pouvais pas en

23 entendre parler avant mardi matin, lorsque je me suis rendu à mon poste de

24 travail régulier.

25 M. Blaxill (interprétation). - Lorsque vous êtes arrivé sur

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1 votre lieu de travail, avez-vous vu des personnes amenées à l'hôpital à

2 cause de leurs blessures ?

3 M. Mujezinovic (interprétation). - Vous pensez bien à Vitez ?

4 M. Blaxill (interprétation). - Oui, absolument.

5 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, beaucoup plus tard, mais

6 pas le matin même. Au cours de l'après-midi, j'en ai aperçu.

7 M. Blaxill (interprétation). - De quel type de blessures ces

8 personnes souffraient-elles ?

9 M. Mujezinovic (interprétation). - Pour ce qui est des citadins

10 des parties suburbaines, c'était en général des blessures par balles.

11 C'était en général des représentants de l'ethnie musulmane. Nous n'avons

12 pas eu, parmi eux, de militaires du HVO qui auraient été blessés, pour

13 parler de cette journée-là. En général, c'étaient des civils.

14 M. Blaxill (interprétation). - Vous avez parlé de ce qui s'était

15 passé le 20 octobre. Y a-t-il eu d'autres incidents qui se sont produits à

16 cette même date ou au courant d'octobre 1992 ?

17 M. Mujezinovic (interprétation). - J'ai dit que j'ai été

18 directeur du dispensaire de Vitez. Or mon personnel me disait que la

19 veille, on a vu Mario Cerkez, commandant du HVO de Vitez, et

20 Sefkija Dzidic qui était commandant de la Défense territoriale de Vitez.

21 Ils ne pouvaient pas se mettre d'accord et on devait s'attendre à un

22 conflit ouvert.

23 Au cours de la journée, un Croate de Vitez, Safradin Ilija, est

24 venu me voir parce qu'on lui a réquisitionné sa voiture et si je pouvais

25 intervenir pour qu'on la lui restitue. Avec Stipo Victenki, chauffeur de

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1 nos ambulances, je me suis rendu au commandement du HVO à Vitez qui se

2 trouvait dans le bâtiment de l'école secondaire de Vitez où j'ai pu voir

3 qu'il y avait environ une quinzaine de soldats. Je voulais savoir où était

4 leur commandant. En réponse, ils m'ont dit qu'on avait tiré, au cours de

5 la nuit, sur le siège de leur commandement et que le commandant

6 Ivan Santic devait être à Stari Vitez. J'ai poursuivi mon chemin vers

7 Stari Vitez pour voir le commandant et lui demander la cause de la

8 réquisition de la voiture du monsieur dont je viens de parler.

9 Le commandant a donné l'ordre à l'un des agents de la police

10 militaire de remettre les clefs de cette voiture et m'a demandé également

11 d'entrer en contact avec Ivan Santic car, suivant l'ordre de l'état-major

12 de Zenica, il y avait eu des fortifications pour endiguer les routes de

13 Ahmici, qu'il fallait s'occuper des effectifs qui étaient engagés dans les

14 opérations contre les Serbes et il m'a demandé d'ajourner cette réunion

15 pour que l'on puisse attendre l'apaisement de la situation de Vitez. C'est

16 ce que j'ai d'ailleurs fait en ce qui me concerne. J'ai essayé d'ajourner

17 cette réunion, grâce à l'action de Mahmoud Cera. Sefkija Dzidic était venu

18 à cette réunion, de même que Sulejman Caskic qui était chef de l'état-

19 major de la Défense territoriale de Vitez. Je devais m'y rendre également

20 parce qu'à cette réunion, il n'y avait aucun représentant de la politique

21 officielle.

22 En me rendant à cette réunion, on a pu entendre des tirs

23 importants venant de la direction de Gradina. Je me suis informé auprès

24 d'Ivan Santic. Lui en commentaire, disait simplement :"Les Musulmans

25 attaquent." Ils se sont dispersés. J'ai regagné le dispensaire à cette

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1 occasion. Le quartier général de la Défense territoriale de Vitez a été

2 attaqué. Les militaires du

3 HVO ont pris le bâtiment surtout du côté cour, ont pénétré dans les locaux

4 où il y avait des bureaux du SDA de Vitez, emportant tout ce qu'il y avait

5 comme documentation. Plus tard, j'ai pu apprendre que les représentants

6 militaires du HVO avaient fini par démolir l'hôtel Plavac de Vitez,

7 propriété privée de Hakia Jelilovic. Or il était le commandant local de

8 l'armée de Bosnie-Herzégovine de Cruscica, près de Vitez.

9 Dans une telle évolution, à l'hôtel Plavac de Kruscica, un

10 représentant du HVO a été tué et plusieurs militaires du HVO capturés.

11 C'est ainsi que j'ai entendu parler, pour la première fois, de

12 Ante Furundzija qui a été capturé. A cette époque-là, avec les contacts

13 que j'ai eus ultérieurement avec les représentants militaires, tous ont

14 été surpris par cette nouvelle, car Ante Furundzija a été l'un des

15 commandants de la Défense territoriale, quittant cette formation en

16 septembre, ayant remis toutes les armes et les équipements lui

17 appartenant. Il y aurait plus tard lieu de parler de son acquittement et

18 de sa libération, mais il a eu des capturés des deux côtés.

19 M. Blaxill (interprétation). - Bien. Nous avançons un petit peu.

20 Après tous ces événements du mois d'octobre, quelles sont les mesures

21 prises par la communauté musulmane un peu plus tard, en 1992, pour ce qui

22 est de l'établissement de leurs propres autorités ? Avez-vous essayé

23 d'apporter des modifications aux structures que vous aviez mises en

24 place ?

25 M. Mujezinovic (interprétation). - En 1992, nous étions toujours

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1 en contact avec les représentants du HDZ pour parler de Vitez. Ce n'est

2 qu'en novembre -je pense que c'était fin novembre, vers les

3 25-26 novembre- qu'on a interdit l'accès aux bâtiments de la municipalité

4 à tout Musulman qui n'avait pas signé un serment d'allégeance auprès du

5 HVO, ceci étant valable pour tous les fonctionnaires qui représentaient

6 les Musulmans de Vitez.

7 En octobre, le 20 octobre plus précisément, dans le cadre des

8 ces évolutions, les représentants de la sécurité publique ont quitté les

9 bâtiments de la police conjointe pour créer leur propre police au HVO. Les

10 fonctionnaires musulmans devaient organiser les autorités de

11 Stari Vitez. Ces autorités-là ont été pratiquement composées jusqu'à la

12 fin d'après une ordonnance émise par la République de Bosnie-Herzégovine.

13 Une présidence de guerre a été composée et établie et, à partir du 22 mars

14 pratiquement, j'ai été Président de cette présidence de guerre.

15 M. Blaxill (interprétation). - Pour parler de cette expression,

16 "présidence de guerre musulmane", pouvez-vous nous préciser le moment de

17 sa création ?

18 M. Mujezinovic (interprétation). - C'est le 15 janvier 1993 que

19 cette présidence de guerre a été formée. On a vraiment tout fait pour me

20 convaincre que je devais être Président de cette présidence de guerre, moi

21 qui antérieurement n’avait jamais fait de politique.

22 Je n’ai jamais été un politicien. J'ai donc essayé de

23 tergiverser, d'éviter d’accepter cette nomination. D'autres, par contre,

24 pensaient que j’avais de très bonnes relations avec tous les gens de Vitez

25 et que je pouvais peut-être faire quelque chose de bon pour qu’il n’y ait

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1 pas trop de conflits dans Vitez.

2 C’est donc le 2 février 1993 que j'ai accepté ma nomination.

3 Mais j’ai continué à travailler en qualité de médecin.

4 M. Blaxill (interprétation). - Pourriez-vous nous expliquer

5 quels étaient les pouvoirs détenus par la présidence de guerre ?

6 M. Mujezinovic (interprétation). - Qui dit présidence de guerre

7 dit pouvoir suprême de la municipalité, concernant les militaires, les

8 civils et la vie économique. Tous les ordres devaient être exécutés, ces

9 ordres étant émis sous forme de conclusion, d'ordonnance. C'est

10 pratiquement la principale autorité de la municipalité, pour ce qui est de

11 la population musulmane.

12 M. Blaxill (interprétation). - La présidence de guerre avait-

13 elle un pouvoir exécutif particulier par rapport à l’armée de Bosnie-

14 Herzégovine ?

15 M. Davidson (interprétation). - Il y a un moment où finalement

16 on commence à

17 donner une réponse tendancieuse. La réponse du témoin ne suffit pas au

18 représentant de l'accusation et du coup il pousse plus loin. Je crois

19 qu'il faut mettre un terme à cette habitude prise de poser des questions

20 tendancieuses.

21 M. May (interprétation). - Monsieur Davidson, la question que

22 vous avez choisie n’était pas une question tendancieuse, elle était

23 d’ordre général. On demandait si la présidence de guerre bénéficiait d'un

24 pouvoir exécutif particulier par rapport à l’armée. C’est une question

25 tout à fait ouverte qui ne devrait pas mériter d'objection.

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1 Bien sûr, si l'avocat du Procureur commence à poser des

2 questions tendancieuses, nous veillerons à ce que cela ne se reproduise

3 pas, mais je pense que celle-là était tout à fait correcte.

4 M. Blaxill (interprétation). - Merci, monsieur le Juge.

5 Avez-vous eu des contacts avec l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

6 M. Mujezinovic (interprétation). - En qualité de Président de la

7 présidence de guerre, je devais avoir un pouvoir sur l'armée de Vitez.

8 Nous avons nous-mêmes nommé le commandant local des forces armées de

9 Bosnie-Herzégovine. Ce représentant de l'armée ne devait pas faire quoi

10 que ce soit sans avoir préalablement un ordre donné par la présidence de

11 guerre. Il en était de même pour la police.

12 Du point de vue commandement, nous étions placés ainsi, encore

13 que l’armée, au niveau régional, devait avoir ses commandements, entre

14 autres pour Zenica. C’était Dzemal Merdan qui était le commandant de

15 l’état-major de la Défense territoriale.

16 M. Blaxill (interprétation). - Saviez-vous où se trouvaient les

17 forces de l’armée de Bosnie-Herzégovine, à cette époque-là ?

18 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui.

19 M. Blaxill (interprétation). - Avez-vous maintenu des contacts

20 avec des représentants du HVO au cours de cette période ?

21 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui.

22 M. Blaxill (interprétation). - Jusqu’en janvier 1993, quelles

23 étaient les conditions prévalant dans la région située autour de Vitez ?

24 M. Mujezinovic (interprétation). - Ces conditions rendaient

25 impossible toute vie. Il y avait beaucoup de suicides dans la communauté

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1 locale, dont deux représentants de grande renommée parmi les commerçants

2 musulmans : Skopljak Hasan et Esad Salkic.

3 A la sortie de la ville, de nombreuses personnes ont été

4 tabassées, maltraitées, pillées. On les a incarcérées, emmenées.

5 On a vu des cas comme par exemple Suad Habdzic, quelqu’un de

6 très connu à Vitez, qui, en pleine nuit, a vu des gens faire irruption

7 dans sa maison, des gens qui l’ont maltraité et lui ont pris de l’argent.

8 Des personnes ont également fait irruption, au cours de la nuit,

9 dans la maison de Zehad Delizanovic, Docteur en sciences technologiques.

10 Le 27 janvier, Vitez a été totalement bloqué par les effectifs

11 du HVO. Chaque route a été pratiquement bloquée. En masse, les

12 représentants de l'armée, les représentants des civils, la police civile,

13 étaient désarmés. Sur cette route-là furent minés nombre d’établissements,

14 de firmes, toutes propriétés de gens de Travnik ou de Zenica.

15 M. Blaxill (interprétation). - Toujours dans la ville de Vitez,

16 comment se passaient les journées si on les comparait aux nuits que

17 vivaient les habitants de la ville à cette époque-là ?

18 M. Mujezinovic (interprétation). - Au cours des heures

19 matinales, c'était encore supportable. Mais au cours de l'après-midi ou de

20 la nuit, la vie devenait insupportable. Nombre de gens se plaignaient de

21 ces irruptions dans leurs maisons, des mauvais traitements subis.

22 M. Blaxill (interprétation). - Avançons. Quelles furent les

23 conditions qui régnèrent de janvier jusqu'à fin mars 1993 ?

24 M. Mujezinovic (interprétation). - Pour parler de cette

25 situation, des contacts ont

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1 été établis fin janvier. Ainsi, à Vitez, nous avons pu avoir une

2 délibération, avec Fatim Huad et Ivan Santic et Munib Kajmovic, Dragan

3 Rados également, je crois, pour essayer de parvenir à une conclusion, pour

4 apaiser la situation, pour proposer que la situation à Vitez soit mise à

5 l'ordre du jour des deux partis, pour essayer de créer un gouvernement de

6 guerre de Vitez, sans appartenance nationale ethnique aucune.

7 Monsieur Darko Kordic, dans une allocution donnée pour la

8 télévision -que je n’ai pas entendue personnellement- a dit qu’on devait

9 respecter toutes les ordonnances émises par l’Herceg-Bosna de Croatie et

10 que celles-ci devaient être exécutées et protégées, de toute façon.

11 Pour ce qui est des contacts entre milieux militaires, pour

12 parler des chefs, Sefer Halilovic, qui était à la tête de la Bosnie-

13 Herzégovine, et Milivoj Petkovic, commandant suprême du HVO, ont pris

14 contact. Après quoi, le contact a été établi entre le commandant des

15 armées de Herceg-Bosna et le commandant du 3ème corps d’armée de Bosnie-

16 Herzégovine. Des commissions mixtes ont été créées également, composées de

17 représentants de la police militaire et civile, avec pour tâche de tout

18 faire pour que calmer la situation.

19 Une commission devait également s’occuper de tout accident et

20 incident et rendre compte de la situation sur le terrain. Elle devait en

21 avertir aussitôt la commission générale dont le siège se trouvait à

22 l’hôtel Tisa de Busovaca.

23 La situation se trouva ainsi quelque peu améliorée, mais au mois

24 de mars, au mois d’avril, encore une fois on a vu des actions de

25 désarmement. D’abord tous les travailleurs qui étaient chargés de la

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1 sécurité des différentes usines de Vitez ont été désarmés, puis divers

2 représentants militaires de l’armée de Bosnie-Herzégovine. Lors d’une

3 réunion, le 15 avril, j'ai pu informer que les représentants des Croates

4 exigeaient d'urgence une réunion des gens responsables de Vitez où la

5 situation était insupportable.

6 J'ai aussitôt convoqué en réunion les représentants de la

7 présidence guerre. On avait accepté pour le 16 avril une réunion à

8 16 heures. Pourtant, le 16 avril au matin, le HVO de

9 Vitez et d'autres unités qui étaient en coopération ont lancé une attaque.

10 M. Blaxill (interprétation). - Permettez-moi de vous interrompre

11 un instant. Effectivement, intéressons-nous à cette date du 16 avril 1993.

12 D’abord, pourriez-vous nous dire où vous vous trouviez la veille, à savoir

13 le 15 avril 1993 ?

14 M. Mujezinovic (interprétation). - Le 15 avril, je vaquais

15 normalement à mes occupations de médecin au dispensaire. On m'a appelé du

16 bureau de la présidence de guerre de Vitez. Je me suis rendu à la

17 commission chargée des incidents. Dzidic Sefkija était là ; Sivro Sifet et

18 Sivro Nijaz également. Ces gens-là m’ont demandé de convoquer la

19 présidence de guerre.

20 Pour quelles raisons ? On m'a dit que les Croates proposaient

21 une réunion de responsables de Vitez des deux côtés, musulman et croate,

22 laquelle réunion devait se tenir le 16 avril à midi. Nous avons accepté ce

23 terme. Nous avons accepté également l'ordre du jour proposé, à savoir

24 qu’il fallait placer sous un commandement conjoint tous les effectifs de

25 toutes les unités, par conséquent établir une autorité conjointe.

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1 M. Blaxill (interprétation). - Avez-vous observé quoi que ce

2 soit dans les rues de Vitez ? Avez-vous constaté quelque chose

3 d'inhabituel ?

4 M. Mujezinovic (interprétation). - Notre réunion s'est achevée

5 vers les 15 heures. Non, plutôt 17 heures.

6 De retour à la maison, j'ai dû me rendre à deux visites

7 médicales. D'abord une visite médicale dans une maison, puis examiner deux

8 patientes, Bekavac Marija, croate, et une autre femme, Krucevac Marija,

9 croate également, que je n'ai pas pu examiner parce que je me suis rendu à

10 la maison de Bekavac Zvonko accompagné d'un Croate parce qu'on m'a tout

11 simplement demandé de secourir cette femme.

12 De retour à la maison, je me suis rendu compte qu’il y avait eu

13 beaucoup d’appels de citoyens de Vitez au cours de la nuit. A cette

14 époque-là, à Vitez, il était tout à fait normal d'entendre des explosions.

15 Nous avions déjà pris l'habitude d'entendre des coups ou de voir que tel

16 ou tel bâtiment était miné.

17 Qu'avons-nous fait ? J'ai dû convoquer cette réunion pour le

18 16 avril, disons à midi. Probablement qu'à cette réunion on devait

19 résoudre les problèmes en suspens.

20 M. Blaxill (interprétation). - Permettez-moi de vous interrompre

21 à ce stade. Vous avez dit avoir entendu des explosions pendant la nuit.

22 Est-ce que c'était la première fois, ou bien est-ce que cela s'était

23 produit auparavant ?

24 M. Mujezinovic (interprétation). - C'était au début du mois de

25 novembre et en janvier qu'on entendait des explosions, mais je disais que

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1 pour d'autres périodes les explosions se feraient rares. Mais c'est

2 surtout début novembre et au mois de janvier qu'on en a entendu pas mal.

3 Et puis le 16 avril, lorsque l'attaque générale a eu lieu.

4 M. Blaxill (interprétation). - Permettez-moi une fois de plus de

5 vous interrompre. Avez-vous eu l'occasion de constater les effets, les

6 résultats de ces explosions ?

7 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui.

8 M. Blaxill (interprétation). - Quels furent ces effets ?

9 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, d'abord on a miné, on a

10 fait sauter la Banque économique de Vitez, puis le siège de Zmajvica,

11 ensuite pas mal de sociétés artisanales. Il n'y a pas que moi qui ai pu

12 m'en rendre compte. Tous les habitants de Vitez ont pu voir les résultats

13 de la nuit passée, de ces plastiquages.

14 M. Blaxill (interprétation).- Merci, docteur. Revenons

15 effectivement à la nuit du 15 au 16 avril 1993. Vous avez dit, je crois,

16 avoir passé la nuit chez vous, dans votre appartement. C'est bien exact ?

17 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui. Il s'agit bien sûr de

18 l'année 1993.

19 M. Blaxill (interprétation)°-° Que s'est-il passé le lendemain ?

20 M. Mujezinovic (interprétation). - J'étais chez moi avec mon

21 épouse, mes trois

22 enfants, mon beau-père et ma belle-mère réfugiés de Logatitsa. Ce matin-

23 là, vers 5 heures 30, nous avons été réveillés par des explosions, des

24 détonations terribles. Nous nous sommes tous levés pour voir de quoi il

25 s'agissait. J'ai tout de suite appelé par téléphone le commandant de la

Page 103

1 Défense territoriale de Stari Vitez pour lui demander de m'expliquer ces

2 détonations. Lui disait en réponse que le HVO avait lancé une attaque

3 contre l'armée de Bosnie-Herzégovine, les attaques générales se propageant

4 à Vitez et qu'à Stari Vitez c'étaient les combats rapprochés déjà qui se

5 déroulaient.

6 Je lui ai demandé aussitôt : "Alors, que reste-t-il de notre

7 réunion ?" L'autre m'a répondu : "Il n'en sera jamais rien". Moi, je

8 voulais savoir ce qu'il fallait faire. Il m'a répondu : "Reste là où tu

9 es".

10 J'ai entendu quelqu'un sonner à la porte. On a regardé à travers

11 la vitre. C'était Katava Marinko, mon premier voisin. Alors on lui a

12 ouvert la porte, mon épouse et moi. Il m'a dit : "Bonjour, voisin. Je

13 viens pour vous dire tout simplement que vous n'existez plus. Je vous

14 avais maintes fois lancé des avertissements comme quoi vos enfants ne

15 devaient pas laisser de graffitis sur les murs, pas plus que crier quoi

16 que ce soit pour saluer l'Armée de Bosnie. Vous n'avez jamais suivi mon

17 conseil, aussi vous ne devez pas être surpris maintenant, vous devez

18 comprendre que vous pouvez courir le risque".

19 Cet homme s'en est allé.

20 M. Blaxill (interprétation). - Qu'avez-vous fait par la suite,

21 après la visite de votre voisin ? Etes-vous resté chez vous ou êtes-vous

22 sorti ?

23 M. Mujezinovic (interprétation). - Je suis resté chez moi.

24 M. Blaxill (interprétation)°-° Excusez-moi, auriez-vous été en

25 mesure d'observer quoi que ce soit de ce qui se passait autour de vous

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1 depuis votre appartement ?

2 M. Mujezinovic (interprétation). - Ce que j'ai pu observer,

3 c'était des détonations terrifiantes. Par la fenêtre, on pouvait voir pas

4 mal d'obus qui tombaient sur les toits des maisons. Là, c'étaient des

5 maisons qui appartenaient à des Musulmans de Vitez, dans la ville même.

6 M. Blaxill (interprétation)- Avez-vous vu des personnes dans la

7 rue ?

8 M. Mujezinovic (interprétation). - Par la fenêtre, depuis mon

9 appartement, je pouvais voir une rue et près d'un bâtiments qui avait

10 quatre ou cinq entrées, on pouvait voir toujours une sentinelle de garde.

11 C'étaient des gens armés en uniforme. Je les connaissais bien, c'étaient

12 tous des gens de nationalité croate. Ce n'était pas loin, on pouvait bien

13 voir et on pouvait bien les reconnaître.

14 M. Blaxill (interprétation).°-° Ces hommes armés portaient-ils

15 un uniforme quel qu'il soit ?

16 M. Mujezinovic (interprétation). - Parmi ceux qui se tenaient à

17 l'entrée même des bâtiments, je peux dire que certains portaient des

18 jaquettes en treillis de camouflage. Mais on ne peut pas dire que c'était

19 un uniforme habituel propre à un soldat.

20 M. Blaxill (interprétation).- Que s'est-il passé un peu plus

21 tard, toujours au cours de cette même matinée, vers 8 heures et demie

22 disons ?

23 M. Mujezinovic (interprétation). - Quelques heures plus tard, le

24 même voisin qui était venu sonner à la porte à 5 heures 30 est revenu,

25 vers 9 heures, 9 heures 30. Cette fois-ci, il a demandé à me parler en

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1 tête à tête. Nous nous sommes retirés dans une pièce pratiquement vide.

2 C'était une pièce réservée aux enfants. Or ce voisin, Marinko Katava,

3 voulait savoir en quoi je devais mériter mon salut pour sauver ma peau

4 d'abord, en quoi j'avais pu obtenir ce mérite auprès des gens.

5 Par la même occasion, il m'a dit qu'il me dirait qui devrait me

6 sauver la vie, mais que tous ces tirs, ces explosions et le reste devaient

7 se calmer d'ici lundi et qu'il m’informerait de tout. Il m'a remis aussi

8 deux paquets de cigarettes.

9 Alors même qu'on se parlait, un autre Croate, Dragan Sefradin,

10 ingénieur de

11 technologie, un de mes amis aussi, est entré dans la maison. Il a fondu en

12 larmes et m'a dit : "Peut-être que le pire vient de passer" et que le

13 mieux pour moi serait de garder ma maison. Lui aussi m'a remis un paquet

14 de cigarettes. Les deux hommes ont quitté mon appartement.

15 M. Blaxill (interprétation).- Docteur Mujezinovic, combien de

16 temps avez-vous passé dans votre appartement avant de sortir ?

17 M. Mujezinovic (interprétation). - Je suis resté dans mon

18 appartement jusqu'au lundi, c'était le 19 avril, jusqu'à 10 heures, moment

19 auquel un agent de police militaire, du HVO, ne serait-ce qu'à en juger

20 d'après sa ceinture et son uniforme, est venu me chercher.

21 M. Blaxill (interprétation).°-° Aviez-vous observé autre chose

22 entre le 16 et le 19 avril 1993, lorsque le 19 avril un policier militaire

23 est venu à votre appartement ?

24 M. Mujezinovic (interprétation). - Il nous a été interdit de

25 quitter nos maisons. Il nous a été interdit de nous rendre dans des lieux

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1 prévus comme refuges. Nous étions pratiquement dans les couloirs de nos

2 appartements respectifs où on se sentait peut-être le plus en sûreté. Mais

3 préalablement, Stipo Krizanas, un autre voisin, et encore un autre voisin,

4 Safradin, dont le nom de famille m'échappe, se sont rendus auprès de tous

5 nos voisins parce que l'entrée de la maison que j'habitais comptait

6 environ douze appartement. Ils s'informaient auprès de tous de la quantité

7 d'armes pour dire que ces armes devraient être remises et que si jamais

8 les agents représentant le HVO venaient perquisitionner, ils finiraient

9 par tuer chaque personne chez qui des armes pourraient être trouvées. Moi,

10 je n'avais pas d'armes tout simplement.

11 On a dit également pour notre voisin que lui avait sorti quatre

12 grenades à main, qu'il les avait mises sur le balcon. Zeljko Sajevic qu'il

13 s'appelait, lui. Moi, j'ai dit tout simplement que je ne savais pas ce

14 qu'il fallait faire. Ma femme a dit qu'elle devrait s'en charger et elle a

15 pris ces grenades à main, ces quatre grenades, pour les porter, évidemment

16 pour dire que ce n'était pas à nous et que c'était notre voisin qui les

17 avait placées sur le balcon de notre appartement.

18 M. Blaxill (interprétation).- Le 19, où êtes-vous allé avec

19 Dragan Calic ? Docteur, où vous êtes-vous rendu en compagnie de cet homme

20 dont vous avez parlé ?

21 Mme le Président (interprétation). - Peut-on ménager une pause ?

22 M. Blaxill (interprétation).- Tout à fait.

23 Mme le Président (interprétation). - Vingt minutes, est-ce que

24 cela suffira ?

25 M. Blaxill (interprétation).- Oui, nous progressons bien. Mieux

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1 que je n'avais prévu.

2 Mme le Président (interprétation). - Nous faisons une pause de

3 vingt minutes.

4

5 L’audience, suspendue à 15 heures 35, est reprise à 16 heures.

6 Mme le Président (interprétation). - Nous reprenons.

7 Maître Blaxill, pouvez-vous reprendre votre interrogatoire principal ?

8 M. Blaxill (interprétation). - Merci. Docteur Mujezinovic, nous

9 en étions arrivés au 18 avril 1993. Vous aviez précisé qu’un homme appelé

10 Dragan Calic était arrivé dans votre appartement. Pourriez-vous nous dire

11 ce qui s'est passé ensuite ?

12 M. Mujezinovic (interprétation). - Le 19 avril, c’était un

13 lundi, vers 10 heures, un agent de la police militaire du HVO que je

14 connaissais très bien est arrivé dans mon appartement ; il souhaitait me

15 voir. Ma belle-mère essayait de comprendre ce qui se passait, mais lui

16 voulait simplement me voir.

17 Je suis allé le voir, je l'ai salué. Il m'a dit ensuite qu'il

18 fallait que je l'accompagne. Il m'a dit qu’il avait été envoyé par l’un

19 des commandants locaux à Vitez, Darko Kraljevic. Il a dit que plusieurs

20 soldats avaient été blessés et qu’ils avaient besoin de moi, de mes soins.

21 Il m'a dit

22 qu’il ne fallait pas que j'aie peur de quoi que ce soit. J'ai pris ma

23 sacoche et je l’ai accompagné.

24 M. Blaxill (interprétation). - Où êtes-vous allés ?

25 M. Mujezinovic (interprétation). - Nous nous sommes rendus dans

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1 un petit abri qui faisait partie de l'Ecole des arts et métiers. Ces

2 installations avaient été mises sur pied pour pouvoir faire face à la

3 situation de guerre. En tant que membre de la cellule de crise, j’avais

4 pris part à tous ces préparatifs et notamment à l’installation de cet

5 abri. C'était en fait un des bras du dispensaire de Vitez ; il était

6 destiné à recevoir des personnes blessées au cours des combats.

7 Je suis donc arrivé dans cet abri. J’y ai rencontré un des

8 membres du personnel médical. Il était très surpris de me voir. Une des

9 infirmières s’est levée, est venue vers moi, m'a embrassé et a dit :

10 " Vous voyez bien que le docteur est vivant ". Je dois expliquer une

11 chose : le samedi précédent, j’avais entendu à la télévision une

12 information selon laquelle j'avais été tué. Cela explique leur mouvement

13 de surprise ; ils ont été très surpris de me voir.

14 Ce jour-là effectivement, il y avait beaucoup de travail :

15 beaucoup de blessés arrivaient à cet abri. On m’a donné une blouse blanche

16 et tous les accessoires dont j'avais besoin et j'ai commencé à administrer

17 des soins de première urgence à tous les blessés. Le premier jour, la

18 plupart des blessés étaient des soldats.

19 M. Blaxill (interprétation). - C’est la question que j’allais

20 vous poser. Qui étaient les personnes qui ont été admises à l’hôpital ce

21 jour-là ?

22 M. Mujezinovic (interprétation). - Pour la majorité d’entre eux,

23 il s’agissait de soldats du HVO. Il y avait également quelques civils

24 parmi eux, des Musulmans. Ce jour-là, nous avons admis un certain nombre

25 de blessés qui provenaient du village de Dubravica. D’autres sont arrivés

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1 du village de Veceriska. Je ne sais pas exactement combien ils étaient,

2 mais nous avons été submergés de travail ce jour-là, nous étions

3 extrêmement occupés.

4 Une heure environ après mon arrivée, M. Darko Kraljevic est

5 arrivé. J’ai précisé

6 tout à l'heure que je le connaissais très bien. Il m'a salué, m'a demandé

7 comment je me portais, puis il s’est tourné vers les membres du personnel

8 médical et leur a dit : " A partir de maintenant, le responsable de ces

9 installations, c’est le Dr Mujezinovic. Consultez-le dès que vous avez

10 besoin de quelque chose ".

11 Il m’a laissé deux numéros de téléphone et m’a dit qu’il fallait

12 que je l’appelle dès que cela me semblait nécessaire. Il était escorté de

13 plusieurs personnes, des hommes très bien armés. Lui portait un grand

14 couteau glissé dans sa ceinture.

15 M. Blaxill (interprétation). - A ce moment-là, Docteur, avez-

16 vous appris quoi que ce soit quant aux explosions que vous aviez entendues

17 le 16 avril ? Avez-vous appris quelles installations avaient été

18 plastiquées ?

19 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, effectivement, il y

20 avait deux infirmières qui vivaient dans le village d'Ahmici. L’une

21 s'appelle Akica Ljubac -c’est son nom de jeune fille, elle est mariée à un

22 certain Pudzab. Cette infirmière travaillait dans le service de médecine

23 interne de Travnik. J’avais demandé qu’elle me soit envoyée parce qu'elle

24 était particulièrement compétente. Je le répète, elle était très

25 compétente. L’autre ne travaillait pas pour nous.

Page 110

1 M. Blaxill (interprétation). - Pardon de vous interrompre,

2 Docteur, mais franchement il n'est pas nécessaire de nous donner les noms

3 de ces personnes.

4 Vous avez déclaré que les membres du personnel vous avaient

5 parlé. De quoi vous ont-ils parlé ?

6 M. Mujezinovic (interprétation). - Ces deux infirmières m’ont

7 appris qu'au cours de la nuit du 16 avril, des habitants du village

8 d'Ahmici, des habitants croates, avaient quitté le village pour se rendre

9 dans la vallée de la rivière Lasva. Elles ont également précisé que vers

10 5 heures et demie du matin, une attaque avait été lancée contre le village

11 d’Ahmici, attaque menée de trois directions différentes. Elles ont dit

12 également que plusieurs maisons avaient été incendiées, que beaucoup de

13 femmes et d'enfants avaient été abattus, que les têtes de bétail

14 avaient été laissées sans surveillance : plus personne ne s’en occupait.

15 Elles pleuraient toutes les deux en me racontant ces histoires.

16 Elles disaient que tout ce qu’elles avaient vu à Ahmici était absolument

17 horrible, qu’il y avait eu un véritable massacre dans ce village.

18 M. Blaxill (interprétation). - Docteur Mujezinovic, pour que

19 tout soit clair, vous-même n’avez pas été le témoin oculaire de quelque

20 incident que ce soit à Ahmici, n’est-ce pas ? Ce sont des événements que

21 l’on vous a relatés ?

22 M. Mujezinovic (interprétation). - Absolument. Ces deux

23 infirmières m'ont appris ce qui s'était passé sur place ; moi, je n’ai

24 rien vu de mes propres yeux.

25 M. Blaxill (interprétation). - Avez-vous continué à travailler

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1 dans cet hôpital de guerre après le 19 avril ?

2 M. Mujezinovic (interprétation). - J’y ai travaillé toute la

3 journée et vers 20 heures, peut-être un peu plus tard, deux membres de la

4 police militaire du HVO sont arrivés. Je les connaissais très bien. Il y

5 avait Anto Kovac et Ratko Nuk. Ils m'ont dit qu'il fallait que je les

6 accompagne. Le personnel a essayé de savoir où ils m'emmenaient, mais eux

7 m’ont donné l'ordre de les suivre. Ils étaient armés. Ils m'ont emmené à

8 Vitez. Ils m'ont emmené dans le bâtiment qui était autrefois l'Université

9 du peuple. C'était en fait le quartier général de la brigade de Vitez.

10 Je suis arrivé dans le bureau du commandant de cette brigade,

11 Mario Cerkez.

12 M. Blaxill (interprétation). - Cette brigade de Vitez

13 appartenait à quelles forces armées ?

14 M. Mujezinovic (interprétation). - Eh bien ils étaient tous

15 membres du HVO. Je pense qu'il s’agissait du HVO.

16 M. Blaxill (interprétation). - On vous a donc amené dans un

17 bureau. C’est bien ce que vous étiez en train de dire ?

18 M. Mujezinovic (interprétation). - Effectivement.

19 M. Blaxill (interprétation). - Qui avez-vous rencontré dans ce

20 bureau ?

21 M. Mujezinovic (interprétation). - J’y ai retrouvé Mario Cerkez,

22 Zeljko Sajevic, Vlonimir Cilic, M. Zivoja, M. Rebac et Boro Jozic. Je

23 connaissais toutes ces personnes, je les connaissais même bien.

24 M. Blaxill (interprétation). - Y avait-il parmi toutes ces

25 personnes des militaires.

Page 112

1 M. Mujezinovic (interprétation). - A ce moment-là, ils portaient

2 tous un uniforme. Ils étaient membres de la police militaire.

3 M. Blaxill (interprétation). - Mais de quelles forces armées

4 parlez-vous ? A quelles forces armées appartenaient-ils ?

5 M. Mujezinovic (interprétation). - Pour autant que je le sache,

6 ils appartenaient à la brigade du HVO de Vitez.

7 M. Blaxill (interprétation). - Vous a-t-on dit quoi que ce soit

8 lorsque vous êtes arrivé dans ce bureau ?

9 M. Mujezinovic (interprétation). - Mario Cerkez, le commandant,

10 m'a adressé la parole. Il m'a dit : "Docteur, vous comprenez la situation

11 dans laquelle vous vous trouvez actuellement." J'ai répondu que oui. Il

12 m'a demandé si je connaissais la situation de Ahmici. J'ai dit que oui. Il

13 m'a dit alors : "Vous savez tout." Il m'a dit qu'il fallait absolument que

14 je me conforme aux ordres qui allaient être donnés. Les autres n'ont rien

15 dit. Je l'écoutais attentivement. Il a continué de parler. Il a dit que

16 les unités avaient réussi à percer les ligne du HVO à la hauteur du

17 village de Dubravica et vers Zabrdje également. Il m'a dit qu'il fallait

18 que j'appelle le commandant du 3e Corps. Il m'a dit qu'il fallait que je

19 leur dise que le HVO à Vitez retenait 2 203 habitants prisonniers. Je

20 crois que c'est le chiffre qu'il m'a donné. Il m'a dit de leur dire que

21 s'ils continuaient d'avancer, ils allaient tuer tous ces détenus.

22 M. Blaxill (interprétation). - A quelle distance de Vitez se

23 trouvent les villages du

24 Dubravica et Saponie ?

25 M. Mujezinovic (interprétation). - La distance qui sépare le

Page 113

1 quartier général de Dubravica, l'endroit où l'on m'a dit que le front

2 avait été percé, est d’environ 3,5 à 4 kilomètres. Pour l'autre village,

3 il s'agit en fait d'un village très touristique, à quelques kilomètres

4 plus loin de Vitez. Il se trouve de 9 à 12 kilomètres peut-être, cela

5 dépend de la route que vous empruntez.

6 M. Blaxill (interprétation). - Vous dites avoir reçu des

7 instructions. On vous a demandé d'appeler le commandant du 3e Corps. Le

8 3e Corps de quelle armée ?

9 M. Mujezinovic (interprétation). - Le 3e Corps de l’Armée de

10 Bosnie-Herzégovine. Le quartier général était à Zenica. A cette époque,

11 c'est Hadzihasanovic qui commandait ce 3e Corps. Je ne connais pas son

12 prénom.

13 M. Blaxill (interprétation). - On vous a donc dit de passer un

14 certain nombre de coups de fil. Vous a-t-on demandé quoi que ce soit

15 d'autre ?

16 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, j'ai d'abord passé ces

17 quelques coups de fil, puis Mario Cerkez m'a demandé de passer à la

18 télévision locale. Il voulait que je m'adresse aux Musulmans qui

19 résidaient dans la vieille ville, Stari Vitez. Il m'a dit qu'il fallait

20 que je leur dise de déposer les armes. Ensuite, il m'a demandé de passer à

21 nouveau à la télévision locale pour que je demande aux Musulmans de

22 Stari Vitez de déposer les armes. Puis, il voulait que je réunisse une

23 équipe qui serait chargée de négocier avec les représentants du HVO. Je

24 voulais savoir à qui il pensait et qui devait figurer dans cette équipe.

25 Il m'a dit : "Docteur, dans la cave de ce bâtiment, il y a trois

Page 114

1 cents prisonniers qui attendent." Il m'a dit qu'il fallait que je descende

2 dans la cave et que je choisisse les membres de cette équipe parmi les

3 prisonniers qui s'y trouvaient. C'est ce que j'ai fait. J'étais surveillé

4 par des membres de la police militaire.

5 M. Blaxill (interprétation). - Avez-vous passé tous les coups de

6 fil qu'on vous a

7 demandé de faire ? Les avez-vous passés avant ou après de descendre dans

8 la cave ?

9 M. Mujezinovic (interprétation). - Non, je les ai passés avant.

10 Je connaissais le numéro de téléphone de M. Dugalic qui était responsable

11 de la sécurité du 3e Corps de l’Armée de Bosnie-Herzégovine. Il vient de

12 Vitez. Je l'ai donc appelé. Je lui ai donc expliqué ce que m'avait demandé

13 Mario Cerkez. Je lui ai dit que Mario Cerkez m'avait dit qu'il allait

14 abattre tous les prisonniers qui étaient en sa possession, soit

15 2 203 personnes, si l’Armée de Bosnie-Herzégovine ne mettait pas un terme

16 à ses avancées. Je lui ai demandé ensuite de me communiquer les numéros de

17 téléphone de ses commandants, de M. Izetbegovic, de M. Ganic, de

18 M. Haris Silajdilic, parce que Mario Cerkez voulait également que je leur

19 explique quelle était la situation. M. Dugalic m'a demandé de lui donner

20 le numéro du bureau où je me trouvais.

21 C'est ce que j'ai fait et ensuite, il m'a dit qu'il me

22 rappellerait dans la demi-heure qui allait suivre. C'est effectivement ce

23 qu'il a fait. Il a dit qu'il fallait absolument satisfaire les demandes de

24 Mario Cerkez. Il fallait absolument que je fasse ce que Mario Cerkez

25 m'ordonnait de faire. Il a dit que l’Armée de Bosnie-Herzégovine allait

Page 115

1 cesser son avancée. M. Haris Silajdilic m'a également appelé, ainsi que

2 M. Ejup Ganic qui, à l'époque, était membre de la présidence de Bosnie-

3 Herzégovine. C'est après tous ces entretiens téléphoniques que je me suis

4 rendu en bas à la cave.

5 M. Blaxill (interprétation). - Lorsque vous êtes arrivé dans la

6 cave, qui avez-vous vu ?

7 M. Mujezinovic (interprétation). - Lorsque j'y suis arrivé, j'y

8 ai trouvé tout un groupe de personnes, pour la plupart des Musulmans, des

9 habitants de Vitez. Parmi eux, il y avait des enseignants, des retraités,

10 des malades également, des handicapés. Je les connaissais tous pour la

11 plupart. J'ai déambulé dans la cave. J'ai fait quelques allées et venues

12 et j'ai dit à Fuad Kaknjo, à M. Sivro Bahtija, à M. Mulahalilovic,

13 directeur du lycée, à M. Djidic qui était enseignant à l'école secondaire,

14 de venir avec moi. Je crois que M. Puric nous a également accompagnés.

15 Sous l'escorte des membres de la police militaire, nous sommes

16 repartis. Il y avait également Muazer Gerim à qui cet immeuble

17 appartenait. Nous nous sommes rendus dans ses bureaux qui faisaient partie

18 du même bâtiment. Zvonko Cilic est resté avec nous ainsi que Boro Jozic.

19 Il souhaitait que d'autres personnes soient présentes également.

20 Il voulait que toutes les personnes dont j'ai parlé passent également des

21 coups de fil. Il voulait qu'ils expliquent quelle était la situation dans

22 laquelle ils se trouvaient. Il fallait qu'ils expliquent le sort réservé à

23 ces prisonniers si l’Armée de Bosnie-Herzégovine décidait d'entrer à

24 Vitez.

25 Après un certain temps, j'ai quitté le bureau accompagné de

Page 116

1 Zvonko Cilic et, vers 13 heures, je suis passé à la télévision locale, me

2 conformant aux ordres qui m'avaient été donnés par M. Cerkez. J'ai fait

3 une déclaration. J'ai lancé un appel aux deux parties leur demandant de

4 cesser le feu, de mettre un terme à cette situation grotesque qui ne

5 servait que les intérêts de Milosevic. Ensuite, nous sommes retournés dans

6 le bureau où nous sommes restés jusqu'aux environs de 2 heures du matin. A

7 ce moment-là, M. Cilic et M. Bojc nous ont dit qu'ils n'avaient plus

8 besoin de nous. Ils nous ont recommandé de rester dans ce bureau où nous

9 nous trouvions. Nous pouvions également retourner dans la cave si nous le

10 voulions. Je crois que Fuad Kaknjo est redescendu. Nous, nous sommes

11 restés dans le bureau de M. Muazer Gerim. Toutes les demi-heures, un

12 membre de la police militaire venait voir ce qui se passait, venait nous

13 surveiller. Zvonko Cilic et Boro Jozic nous ont également dit que

14 Ivan Santic allait arriver le lendemain matin vers 6 heures, accompagné de

15 Pero Skopljak, et ils nous ont dit qu'ils allaient eux aussi avoir un

16 entretien avec nous.

17 Ils sont arrivés en fait à 5 heures du matin. Nous avons parlé

18 ensemble de la situation qui régnait. C'est d'abord Ivan Santic qui a pris

19 la parole. Il a dit qu'il était vraiment

20 navré de l'état des choses. Il a dit qu'il y avait eu des blessés, des

21 morts, mais qu'après tout, ce n'était pas de leur faute, mais celle de

22 M. Izetbegovic qui, à l'époque, était président de la présidence de

23 Bosnie-Herzégovine. Santic a dit que la politique de Izetbegovic n'était

24 pas réaliste, qu'il voulait une Bosnie-Herzégovine unie. Ivan Santic a dit

25 que, de toute façon, la Bosnie-Herzégovine s'était désintégrée depuis un

Page 117

1 bon moment.

2 Il a ajouté que les plus forts finiraient par s'octroyer le

3 pouvoir à Vitez. Il a réitéré ses menaces. Skopljak a fait la même chose.

4 Je ne sais plus très bien quel terme il a employé, mais il a dit qu'à

5 plusieurs reprises, il avait attiré l'attention des dirigeants musulmans

6 sur le fait qu'Alija Izetbegovic menait le peuple bosniaque à sa perte. Il

7 a dit que si nous n'acceptions pas l'existence de l'Herceg-Bosna, il y

8 aurait des conflits, des combats. Je ne sais plus qui parmi nous a pris la

9 parole, mais quelqu'un a suggéré que moi, en tant que membre de la

10 présidence de guerre, je fasse une déclaration publique afin d'expliquer à

11 la population ce qui se passait.

12 On m'a fait passer un texte qui avait été rédigé et tapé. Il y

13 avait cinq points sur ce texte. J'ai signé ce document, de même que

14 Santic. Ce texte a été lu à plusieurs reprises au cours des cinq jours

15 suivants à la télévision locale.

16 M. Blaxill (interprétation). - Lorsque vous avez mis un terme à

17 ces entretiens, que s'est-il passé ? Le lendemain, par exemple, qu'avez-

18 vous fait ?

19 M. Mujezinovic (interprétation). - Les membres de la police

20 militaire m'ont emmené au travail et les autres sont retournés dans la

21 cave. Le lendemain, il y a eu un arrêt des combats et je me suis rendu au

22 centre médical. J'étais absolument épuisé. Je me suis étendu sur une

23 paillasse que nous avions là et j'ai essayé de dormir quelques heures.

24 Personne ne m'a dérangé, pas ce jour-là en tout cas.

25 Ce jour-là et le jour suivant, il ne s'est rien passé. Je ne me

Page 118

1 suis entretenu avec personne du côté bosniaque. Mais nous avons entendu

2 dire que les responsables de l'état-major de l’Armée de Bosnie-Herzégovine

3 étaient arrivés à Vitez. Il apparaissait que l'officier responsable de

4 l'état-major du HVO, M. Sefer Halilovic, M. Petkovic, et d'autres encore

5 étaient en train d'entamer des négociations.

6 M. Blaxill (interprétation). - Avez-vous admis des malades à

7 l'hôpital au cours de ces journées-là ? Et si oui, de quel type de

8 blessures ces personnes souffraient-elles ?

9 M. Mujezinovic (interprétation). - Je l'ai déjà dit. Le premier

10 jour, nous avons accueilli des soldats du HVO et des Musulmans, des civils

11 qui avaient été blessés. Plus tard, vers la fin de la semaine, j'ai été

12 averti d'abord, par Iveta Delabic, surnommée Tutso, une infirmière qui

13 avait reçu de nombreuses femmes violées et qui a demandé du secours.

14 M. Blaxill (interprétation). - Juste une seconde pour reprendre

15 ma question sur les militaires que vous avez dû secourir. Pendant la

16 première journée, y a-t-il eu des militaires hospitalisés ?

17 M. Mujezinovic (interprétation). - J'ai dit que le premier jour,

18 il y a eu quelques militaires hospitalisés, mais il y en avait déjà. Mais

19 la journée d'après, il n'y a pratiquement pas eu de travail, alors qu'il y

20 avait encore de nombreux médecins.

21 M. Blaxill (interprétation). - Vous disiez que vous aviez un

22 certain nombre de militaires représentants du HVO ?

23 M. Misetic (interprétation). - Objection. L'accusation a déjà

24 reçu plusieurs réponses à cette question. Le témoin ne fait que se

25 souvenir de ce qui s'est passé avec les militaires.

Page 119

1 Mme le Président (interprétation). - Oui, cette question est

2 retirée. Me Blaxill se propose de poser une autre question.

3 M. Blaxill (interprétation). - Effectivement, avez-vous pu

4 identifier ces militaires d'après leur uniforme ?

5 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, ces gens portaient un

6 uniforme de camouflage, un treillis. Je ne pouvais vraiment pas m'attarder

7 trop pour enregistrer leur grade et

8 le reste. En général, ils étaient tous des représentants du HVO, mais pour

9 parler unités et formations, vraiment je n'avais ni le temps ni la

10 possibilité de le deviner. Si ces gens restaient au dispensaire pour être

11 hospitalisés, ils ôtaient leur uniforme. Certaines personnes grièvement

12 blessées ont été transférées vers Zenica, Travnik et d'autres vers Split.

13 Nous n'avions pas vraiment une salle d'opération. Seuls les blessés légers

14 pouvaient être hospitalisés chez nous, à Vitez.

15 M. Blaxill (interprétation). - Avez-vous reçu la visite de

16 militaires ? Je ne pense plus à des malades ou des patients, mais des

17 militaires qui se rendraient au dispensaire.

18 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, des militaires se sont

19 rendus au dispensaire pour rendre visite à des blessés qui étaient

20 hospitalisés. Oui, j'en ai vu, je ne pouvais certainement pas les empêcher

21 de le faire. Un jour, on m'a dit qu'Anto Furundzija m'appelait et que je

22 devais sortir. C'est ce que j'ai fait.

23 M. Blaxill (interprétation). - Pourrais-je vous interrompre une

24 seconde ? Vous avez dit "on m'a appelé". Pouvez-vous vous rappeler leurs

25 uniformes ?

Page 120

1 M. Mujezinovic (interprétation). - Je dis bien en tenue de

2 camouflage portant les insignes du HVO.

3 M. Blaxill (interprétation). - Oui, continuez, s'il vous plaît.

4 M. Blaxill (interprétation). - A la sortie du dispensaire se

5 tenait M. Anto Furundzija. Je ne le connaissais pas bien, je n'ai jamais

6 eu de rencontres préalablement. Mais je le savais être un des chefs

7 responsables de la police militaire de la Défense territoriale.

8 Il me demandait tout simplement : "Docteur, vous devez me

9 remettre les clefs de votre voiture". J'ai répondu que ma voiture avait

10 été volée, chose faite en vérité, que cela avait été déjà notifié auprès

11 de la police civile et militaire, et que, par conséquent, je ne pouvais

12 pas lui remettre les clefs de voiture que je n'avais pas sur moi. En

13 réponse, il m'a dit qu'il savait où se trouvait mon garage, qu'il y

14 viendrait personnellement pour vérifier et que s'il trouvait ma voiture

15 dans mon garage, il reviendrait pour m'achever. M. Furundzija n'y est pas

16 revenu parce que je n'avais pas de voiture.

17 M. Blaxill (interprétation). - Docteur, cet homme,

18 Anto Furundzija, que vous mentionnez quel uniforme portait-il ?

19 M. Mujezinovic (interprétation). - Il portait un uniforme

20 militaire.

21 M. Blaxill (interprétation). - Pouvez-vous décrire mieux cet

22 uniforme, les couleurs, les insignes, les grades, ou quoi que ce soit du

23 genre ?

24 M. Mujezinovic (interprétation). - Je me souviens tout

25 simplement de ce treillis de camouflage, uniforme militaire de camouflage.

Page 121

1 M. Blaxill (interprétation). - Etait-il armé ?

2 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, son escorte également.

3 M. Blaxill (interprétation). - A quelle distance étiez-vous de

4 lui dans cette conversation ?

5 M. Mujezinovic (interprétation). - Il m'a abordé directement.

6 J'observais vraiment une crainte à ce moment-là, mais disons qu'il se

7 trouvait à un demi-mètre, même plus près.

8 M. Blaxill (interprétation). - Oui, d'accord. Etait-ce au cours

9 de la journée ?

10 M. Mujezinovic (interprétation). - C'était en plein jour.

11 M. Blaxill (interprétation). - Pouvez-vous reconnaître

12 M. Furundzija encore une fois ?

13 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, c'est bien ce Monsieur.

14 M. Blaxill (interprétation). - Voyez-vous qui que ce soit qui

15 correspond à son signalement ? Si oui, veuillez montrer la personne.

16 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, je le reconnais bien, il

17 porte le costume de ville comme le mien.

18 M. Blaxill (interprétation). - La personne que vous désignez

19 maintenant qui est-ce ?

20 M. Mujezinovic (interprétation). - C'est bien lui,

21 Anto Furundzija.

22 M. Blaxill (interprétation). - Monsieur le Président, je demande

23 que soit enregistrée l'identification par le témoin de M. Furundzija.

24 Merci.

25 Après, vous avez toujours travaillé dans votre dispensaire, dans

Page 122

1 cet hôpital ?

2 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, jusqu'au 19 mai 1993

3 puis j'ai fait l'objet d'échange.

4 M. Blaxill (interprétation). - Vous avez fait mention de femmes

5 qui venaient à votre dispensaire et qui se plaignaient d'avoir été

6 violées. Les avez-vous examiné ?

7 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, un accord était passé

8 avec le directeur du dispensaire, Zvonko Kahic. On m'a dit qu'il y avait

9 eu des femmes violées. Nous avons eu à notre disposition des femmes

10 médecins qui devaient examiner toutes ces femmes qui disaient avoir été

11 violées. Personnellement, je ne les ai pas examinées. Mais ces visites

12 médicales ont été passées par (expurgé)

13 (expurgée)

14 M. Blaxill (interprétation). - Je voudrais vous interrompre une

15 seconde, ne parlez plus de noms, je vous prie de biffer tous les noms que

16 vient de mentionner ce témoin.

17 M. Blaxill (interprétation). - Avez-vous pu apprendre d’où

18 venaient ces patientes ?

19 M. Mujezinovic (interprétation). - Je connaissais

20 personnellement quelques-unes d’entre elles. D'autres, en revanche, je ne

21 les connaissais pas. Parmi elles, il y avait une femme âgée, pour laquelle

22 j'ai pu constater que c'était une femme déjà éprouvée et usée qui me

23 disait qu'elle venait de Tjentiste, une réfugiée. Mes collègues médecins

24 m'ont appris que cette femme avait fait objet de viols. Elle avait des

25 hémorragies vaginales et annales. Après tout, cette femme n'avait vraiment

Page 123

1 aucun attrait féminin. C'était une personne âgée de 57 ans.

2 Parmi les membres du HVO, Ramljak Stipan, que je connaissais du

3 village de Poculica, se trouvait en face de moi. Il me souffla tout

4 simplement : « tu vois ce que nous avons fait de cette baljinka. Vous tous

5 qui êtes des balijas, vous connaîtrez le même sort. »

6 Après quoi, j'ai regagné les locaux de mon hôpital. Autant que

7 je puisse m'en souvenir, environ cinq ou six femmes étaient venues plus

8 tard pour les mêmes raisons. Je répète que je n'ai pas passé de visites

9 médicales. J'ai dit simplement que si leurs lésions étaient plus graves,

10 elles devaient être automatiquement transférées vers l'hôpital de Travnik.

11 M. Blaxill (interprétation). - Ces femmes, parvenues au

12 dispensaire, étaient-elles venues au même moment que les soldats qui ont

13 été blessés pendant les actions de combat ?

14 M. Mujezinovic (interprétation). - Nous avons utilisé les

15 ambulances qui ont été mises à notre disposition. Probablement qu'elles

16 étaient transportées par la même occasion. Je ne peux pas savoir ce que

17 les dames médecins en ont fait, mais étant donné du peu d’ambulances à

18 notre disposition, nous avons dû faire en sorte que toutes soient

19 ramassées en vrac, civils, militaires, etc.

20 M. Blaxill (interprétation). - Merci, Docteur.

21 Passons maintenant à une autre matière. Officiellement, vous

22 avez été membre de la présidence de guerre. Oui ou non ?

23 M. Mujezinovic (interprétation). - Oui, officiellement. Je l’ai

24 été d’office.

25 M. Blaxill (interprétation). - Depuis le 19 avril, y a-t-il eu

Page 124

1 lieu de signaler les fonctions qui étaient les vôtres à accomplir en tant

2 que membre de la Présidence de guerre ?

3 M. Mujezinovic (interprétation). - Voulez-vous répéter la

4 question ?

5 M. Blaxill (interprétation). - Depuis le 19 avril, avez-vous eu

6 des fonctions à accomplir en qualité de membre de la Présidence de

7 guerre ?

8 M. Mujezinovic (interprétation). - Non.

9 M. Blaxill (interprétation). - Durant ces activités-là, avez-

10 vous eu des contacts avec des militaires de guerre, quelles qu’elles

11 soient, en dehors ceux que vous avez déjà signalés tels que les rencontres

12 que vous avez eues avec M. Cerkez ? Bien sûr, je ne parle pas des contacts

13 avec les blessés.

14 M. Mujezinovic (interprétation). - Non. Cela étant, jusqu'au

15 vendredi 16 mai 1996, je peux dire que je n’avais pas de contacts avec les

16 représentants autorisés de la partie croate,

17 sauf ceux que j’avais signalés préalablement, à savoir qu’à deux reprises

18 j’ai été emmené à Busovaca où j’ai dû évidemment passer des visites

19 médicales auprès des militaires et des civils également. C’est le mardi et

20 le jeudi que je me rendais à Busovaca, toujours à bord d’une ambulance. On

21 me prenait à bord de cette voiture pour me ramener.

22 Le Docteur Drago Munis partait avec moi. Un jour, il quitta

23 Vitez, je ne sais plus dans quelles circonstances et à partir de ce

24 moment-là, j’ai dû me rendre seul à ces visites médicales.

25 M. Blaxill (interprétation). - Quel est le travail, précisément,

Page 125

1 que vous avez effectué à Busovaca ?

2 M. Mujezinovic (interprétation). - Pendant que j’étais avec le

3 Dr Drago Muris, qui était chirurgien, nous avons dû traiter les blessures,

4 les plaies. Pendant qu'il était là, je devais l'assister. Plus tard, lui

5 n’étant plus là, je devais le faire seul. J’ai dû faire aussi tout le

6 reste. En effet, à cette époque-là à Busovaca, il n’y avait vraiment

7 personne capable de le faire, ou des personnes ayant quelques

8 connaissances en médecine.

9 D'abord j'ai dû travailler à Busovaca dans les locaux d’un

10 jardin d’enfants, ou d’une crèche où s’était établi une espèce d’hôpital

11 de guerre. Ensuite, j’ai dû m’occuper également de ces civils de Travnik.

12 Parmi eux, il y avait des Musulmans, ceux qui étaient employés aux travaux

13 de tranchées à creuser. Ils se plaignaient de durillons. Je ne pouvais que

14 panser leurs plaies et soigner leurs maux et leur proposer une thérapie

15 sans émettre une opinion.

16 M. Blaxill (interprétation). - Lors de ces visites effectuées à

17 Busovaca, avez-vous soigné beaucoup de personnes ?

18 M. Mujezinovic (interprétation). - Je ne faisais que des examens

19 de contrôle de gens considérés comme blessés légers. Les personnes

20 grièvement blessées devaient être transférées vers la Croatie. D’après ce

21 que j’ai pu apprendre de la part de Bruno Bozuk, ministre de la Santé du

22 gouvernement HVO, certains d’entre eux ont été transférés à Split par

23 hélicoptère, d’autres à Zenica.

24 M. Blaxill (interprétation). - Quels étaient les types de

25 blessures subies par ces personnes ? Pourriez-vous indiquer quelles

Page 126

1 étaient les causes de ces blessures ?

2 M. Mujezinovic (interprétation). - En général, c’étaient des

3 soldats qui avaient des plaies profondes, des blessures portées à coup

4 d'armes aux poumons, à leur poitrine, à la tête ou aux membres. Certains

5 ont été amputés de leurs membres.

6 M. Blaxill (interprétation). - Qu’en est-il des blessures subies

7 par les civils ? D’après votre diagnostic de médecin, quelle était la

8 cause de ces blessures infligées aux civils ?

9 M. Mujezinovic (interprétation). - J’ai dû examiner aussi des

10 civils, ne serait-ce qu’à Vitez. Personne ne pouvait me renseigner en la

11 matière. Une fois, on m’a apporté un membre de la défense territoriale du

12 nom de Causevic. Je l’avais rencontré dans la cave du cinéma municipal.

13 D'après ce qui m’a été dit, il avait eu la mâchoire cassée parce qu’il

14 avait été tabassé par les militaires du HVO. Il était évident que c’était

15 dû à des coups portés. Il s’appelait, je crois, Causevic Kelif

16 M. Blaxill (interprétation). - Merci, Docteur.

17 Pendant le temps que vous avez passé à la présidence de guerre,

18 aviez-vous une idée générale du nombre d’effectifs des forces en présence,

19 c’est-à-dire combien d’effectifs avait le HVO et combien d’hommes avait

20 l’Armée de Bosnie-Herzégovine ?

21 M. Mujezinovic (interprétation). - En tant que président de la

22 Présidence de guerre, j’ai été informé de la situation des unités des

23 forces de l’équipement et des capacités de l’arme de Bosnie-Herzégovine.

24 Quant aux capacités, au déploiement ou à la hiérarchie du commandement au

25 sein du HVO, je ne pouvais que faire des hypothèses n’ayant aucune

Page 127

1 information.

2 M. Blaxill (interprétation). - J'ai peut-être oublié de vous

3 poser cette question. Aviez-vous une idée des forces numériques de l’Armée

4 de Bosnie-Herzégovine dans la région ?

5 M. Mujezinovic (interprétation). - S’agissant des militaires de

6 Bosnie-Herzégovine de Vitez, pour parler d’eux, ils se rendaient sur le

7 terrain de guerre en équipe. Ils étaient en roulement continuel. Moi, qui

8 suis de la présidence de guerre, je ne me rendais pas compte qu'il avait

9 un front et donc un conflit ouvert. Nous avons dû exécuter l'ordre strict,

10 à savoir que nous ne devions certainement pas entrer en conflit avec le

11 HVO.

12 D'une part, nous avons eu une guerre terrible à faire. Je me

13 souviens d'une occasion où le gouverneur municipal de Vitez a appelé

14 M. Alija Izetbegovic pour se plaindre de la gravité de la situation. Après

15 cette conversation, il nous a rapporté comme suit : "Alija Izetbegovic

16 vous demande de ne pas provoquer les Croates, de ne surtout pas faire la

17 guerre avec eux. Seulement dans le cas où vous seriez physiquement

18 menacés, vous devez vous défendre ". Et moi Président de la présidence de

19 guerre, suivant cet ordre, j'ai dû agir sur tous pour leur demander

20 d'éviter tout conflit possible.

21 M. Blaxill (interprétation). - Merci beaucoup. Je crois que nous

22 écartons de la question que j'avais posée au départ. Je vous avais demandé

23 si vous aviez une idée de la quantité d'effectifs appartenant à l’Armée de

24 Bosnie-Herzégovine. Vous avez parlé de ligne de front. Avez-vous une idée

25 quelconque du positionnement de cette ligne de front à Vitez et aux

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1 alentours ?

2 M. Mujezinovic (interprétation). - Après le 16 avril, furent

3 établies les lignes face au HVO depuis le 18 avril 1993, et tout le long

4 de 1993, il y a eu peu d'évolution quand aux lignes de front. Je peux vous

5 le montrer sur une carte.

6 M. Blaxill (interprétation). - Eh bien, je m'interroge. Puisque

7 la carte a été versée au dossier, elle pourrait être présentée au témoin

8 qui pourrait éventuellement nous donner quelques indications. Je crois

9 qu'il y a un pointeur quelque part qui lui serait utile.

10 Mme le Président (interprétation). - Pouvons-nous placer cette

11 carte sur le rétroprojecteur.

12 M. Misetic (interprétation). - Objection quant au fondement. Sur

13 quoi le témoin se fonde-t-il pour dire qu’il avait connaissance de ces

14 lignes de front ? Il était dans un appartement pendant trois jours, me

15 semble-t-il ?

16 Mme le Président (interprétation). - Oui, mais il était le

17 président de la Présidence de guerre.

18 M. Misetic (interprétation). - Mais par quelles sources a-t-il

19 obtenu des renseignements ?

20 M. Blaxill (interprétation). - Je vais poser cette question.

21 Quelles étaient les sources grâce auxquelles vous disposiez de ces

22 renseignements ? Comment avez-vous appris où se trouvaient ces lignes de

23 front ?

24 M. Mujezinovic (interprétation). - Je ne l’ai appris qu’après le

25 19 mai, lorsque j’ai quitté Vitez et que j’ai été échangé. C’est là-dessus

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1 que je peux me prononcer quelles étaient les lignes de front. Maintenant,

2 pour ce qui est de la première moitié de mai, je ne pourrais pas vous le

3 dire car j’ai été tout le temps dans un village de Poculica, président de

4 la Présidence de guerre. Par conséquent, je suis censé savoir où se

5 trouvaient les lignes de front.

6 M. Blaxill (interprétation). - Je vous pose donc la question

7 suivante, car ce qui nous intéresse c'est votre connaissance des faits à

8 des dates précises. Qui vous a fourni ces éléments ? De qui avez-vous

9 obtenu ces renseignements ?

10 M. Misetic (interprétation). - Objection. Si les événements

11 connus commencent à partir du 19 mai, notre objection porte sur la

12 pertinence.

13 Mme le Président (interprétation). - 19 mai 1993 ?

14 M. Misetic (interprétation). - Effectivement, la déposition du

15 témoin nous apprend -je consulte l’écran : « lorsque j’ai quitté Vitez, au

16 moment où j'ai été échangé, c’est alors que je peux savoir. En ce qui

17 concerne le début du mois de mai, je n'étais pas au courant de ces

18 positions car en tant que médecin, je devais être présent. »

19 Si le témoin a des connaissances postérieures au 19 mai, notre

20 objection porte sur la pertinence car ceci n’a pas d’intérêt au moment des

21 faits incriminés ici.

22 M. Blaxill (interprétation). - La pertinence, aux yeux de

23 l’accusation, provient du fait que le conflit armé existe toujours dans la

24 région en date du 19 mai. Ceci englobe les moments visés par l’acte

25 d’accusation, à savoir le 15 mai. Peu importe où se trouvaient exactement

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1 ces lignes de front le 15 mai, ce qui importe c'est de savoir que des

2 lignes de front ont été établies et ont continué d’exister, ce qui est la

3 manifestation de la poursuite d’un conflit armé.

4 M. Misetic (interprétation). - Sur le plan de l’administration

5 de la preuve, le témoin ne peut pas affirmer que les lignes de front qu’il

6 connaissait le 19 mai avaient été établies avant cette date.

7 Mme le Président (interprétation). - Effectivement, il ne peut

8 parler que de ce qu’il connaît au moment de son échange.

9 M. Misetic (interprétation). - Tout à fait. C’est bien ce que

10 nous disons.

11 Mme le Président (interprétation). - Il indique quelle était la

12 situation. Mais il s’agissait d’une situation qui n’était limitée qu’à ce

13 temps.

14 M. Misetic (interprétation). - Je ne vois pas l’intérêt.

15 Mme le Président (interprétation). - Poursuivez, Maître Blaxill.

16 M. Blaxill (interprétation). - Monsieur le témoin, pourriez-vous

17 nous indiquer le lieu sur la carte, pour autant que l’on mette en route le

18 rétroprojecteur ?

19 (Le témoin s'exécute et montre la carte avec le pointeur.)

20 M. Mujezinovic (interprétation). - Je ne peux vous montrer que

21 pour la municipalité de Vitez.

22 Les lignes de front délimitant les forces étaient Gola Kosa,

23 c’est-à-dire Kubir appelée aussi Kratine. Ensuite, la ligne suit la

24 direction de Banovac, Sivrino Selo, puis Tolovici, Grabak, les lignes en

25 dessous de Bukve en empruntant la direction de Sadovace, c’est-à-dire

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1 Sadovace et le hameau de Zabilje.

2 De l'autre côté, au dessus du village de Gacice, Gornja

3 Veceriska entre les villages de Kruscica et Rijika, passant par le village

4 de Vranjska. Il y a aussi la côte de Cvrno Brce. Ensuite Vranjska Rovna,

5 pour descendre sur le territoire de la municipalité de Busovaca pour

6 laquelle j’ignore comment se présentaient les lignes.

7 Sur l’une des rives de la Lasva, j’ai pointé le village de

8 Gacice, Gornja Veceriska, au dessus des villages de Vranjska et Rijeka.

9 C'est un mont intitulé Crvno Brce.

10 De l’autre côté, la ligne suivrait Kratine, Banovac pour passer

11 au dessus du territoire de Sivrino Selo reliant Dubrovica pour passer en

12 dessous de Tolovici vers Grabak, Gacice jusqu’au village de Sadovace,

13 autant que j’ai pu le savoir.

14 A Vitez, la vieille ville de Vitez, à environ un kilomètre, se

15 trouvait à cette époque-là prise pratiquement par ces lignes de front.

16 M. Blaxill (interprétation). - Merci, Docteur.

17 Madame et messieurs les Juges, vous nous aviez indiqué l’horaire

18 prévu pour la journée. Il est 17 heures 05. Je me demande si le moment

19 n’est pas bien choisi pour suspendre l’audience plutôt que de passer à un

20 autre sujet.

21 Mme le Président (interprétation). - Avez-vous d’autres

22 questions à poser ?

23 M. Blaxill (interprétation). - Oui, il y a d’autres domaines que

24 je voudrais explorer.

25 Mme le Président (interprétation). - Nous allons lever

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1 l’audience et reprendrons nos travaux demain à 9 heures 30.

2 L’audience est levée à 17 heures 05.

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