Affaire n° : IT-01-47-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Jean-Claude Antonetti

Mme le Juge Vonimbolana Rasoazanany
M. le Juge Albertus Swart

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
16 mars 2004

LE PROCUREUR

c/

ENVER HADZIHASANOVIC
AMIR KUBURA

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DÉCISION SUR LA REQUÊTE DE L’ACCUSÉ HADZIHASANOVIC CONCERNANT L’INTERROGATION DE TÉMOINS PAR L’ACCUSATION SUR DES VIOLATIONS ALLÉGUÉES NE FAISANT PAS PARTIE DE L’ACTE D’ACCUSATION

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Le Bureau du Procureur :

M. Ekkehard Withopf
M. Daryl Mundis
M. Chester Stamp
Mme Tecla Henry-Benjamin

Les Conseils de la Défense :

Mme Edina Residovic et M. Stéphane Bourgon pour Enver Hadzihasanovic
MM. Fahrudin Ibrisimovic et Rodney Dixon pour Amir Kubura

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (« Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’exYougoslavie depuis 1991 (« Tribunal »),

SAISIE de la «Requête de l’Accusé Hadzihasanovic concernant l’interrogation de témoins par l’Accusation sur des violations alléguées ne faisant pas partie de l’acte d’accusation », déposée par le Conseil de la Défense d’Enver Hadzihasanovic (« Défense ») le 23 février 2004 (« Requête »), dans laquelle la Défense prie la Chambre a.) de reconnaître que le Troisième Acte d’accusation modifié du 26 septembre 2003 ne contient aucune allégation concernant l’emploi de personnes pour creuser des tranchées sur les lignes de front, que ce soit directement ou indirectement par le biais de l’article 3 1) a) des Conventions de Genève ; b.) de déclarer non pertinente toute question posée par l’Accusation aux témoins concernant l’emploi de personnes pour creuser des tranchées sur les lignes de front ; et c.) de ne pas autoriser l’Accusation, le cas échéant, à modifier le Troisième Acte d’accusation modifié pour y ajouter une accusation liée à l’emploi de personnes pour creuser des tranchées alors même qu’une telle accusation a été retirée du Premier Acte d’accusation proprio motu par l’Accusation ;

VU les arguments de la Défense pour expliquer les mesures demandées, à savoir 1) le fait que le Troisième Acte d’accusation modifié ne contient aucune référence au fait que des personnes auraient été emmenées sur les lignes de front pour y creuser des tranchées, 2) que l’ajout par l’Accusation de références dans son Mémoire préalable au procès ne change rien au contenu de cet acte d’accusation, 3) qu’il serait contraire au principe non bis in idem ainsi qu’au droit de l’Accusé Hadzihasanovic à un procès juste et équitable, de permettre à l’Accusation de revenir en arrière et de modifier cet acte d’accusation pour y ajouter de nouveau de telles allégations , et 4) qu’il serait contraire aux droits de l’Accusé d’employer l’accusation générale de traitements cruels en vertu de l’article 3 1) a) des Conventions de Genève dans le but d’accuser quelqu’un d’avoir employé une personne pour creuser des tranchées sur les lignes de front, alors même que des dispositions spécifiques existent dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels pour régir ce type de conduite1 ;

VU le « Mémoire de l’Accusation faisant suite à la Décision rendue oralement le 18 février 2004 de la Chambre de première instance au sujet des moyens de preuve relatifs au creusement des tranchées », déposée par le Bureau du Procureur («Accusation  ») le 23 février 2004 (« Mémoire »), dans laquelle l’Accusation prie la Chambre d’admettre les éléments de preuve se référant au creusement de tranchées sur les lignes de front ;

VU les arguments de l’Accusation selon lesquels le fait d’amener des détenus sur les lignes de front pour creuser des tranchées peut être envisagé comme une forme de traitement cruel, a) que le traitement cruel constitue le chef d’accusation 4 du Troisième Acte d’accusation modifié, b) que, par conséquent, ledit fait est inclus dans le Troisième Acte d’accusation modifié, et c) que le Troisième Acte d’accusation modifié ainsi que le Mémoire préalable au procès, déposé par l’Accusation le 10 octobre 2003, ont fourni à la Défense suffisamment d’informations lui permettant de préparer sa défense2 ;

ATTENDU qu’aux termes de l’article 18 4) du Statut du Tribunal (« Statut  »), un acte d’accusation doit exposer succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochés à un accusé en vertu du Statut, que les articles 21 2), 4 a) et b) du Statut disposent, en outre, qu’un accusé a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, à être informé de façon détaillée de la nature et des motifs de l’accusation portée contre lui et à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, et que l’article 47 C) du Règlement de Procédure et de Preuve (« Règlement ») précise que l’acte d’accusation doit présenter une relation concise des faits de l’affaire et de la qualification qu’ils revêtent ;

ATTENDU que, d’après la jurisprudence du Tribunal, l’Accusation a pour obligation de présenter les faits essentiels qui fondent les accusations portées dans l’acte d’accusation et, qu’aux termes de cette jurisprudence, un acte d’accusation n’est suffisamment précis que s’il expose de manière suffisamment circonstanciée les faits incriminés essentiels pour informer clairement un accusé des accusations portées contre lui afin qu’il puisse préparer sa défense3 ;

ATTENDU en particulier que la Chambre d’Appel dans l’affaire Kupreškic a souligné que l’on ne peut décider dans l’abstrait qu’un fait est ou non essentiel , que tout dépend de l’objet de la poursuite, et qu’un élément décisif pour déterminer le degré de précision avec lequel l’Accusation est tenue de détailler les faits de l’espèce dans l’acte d’accusation est la nature du comportement criminel reproché à l’accusé4 ;

ATTENDU que la Chambre d’Appel du Tribunal Pénal International pour le Rwanda a précisé dans l’affaire Rutaganda qu’avant de considérer qu’un fait allégué n’est pas essentiel ou que des différences entre le libellé de l’acte d’accusation et les éléments de preuve présentés sont mineures, une Chambre doit normalement s’assurer qu’il n’en résulte aucun préjudice pour l’accusé, et que la question sera de déterminer si un accusé a raisonnablement été en mesure d’identifier le crime et le comportement visé dans chacun des paragraphes de l’acte d’accusation5 ;

ATTENDU que la jurisprudence de la Chambre d’Appel n’exclut pas la possibilité qu’un acte d’accusation qui ne ferait pas mention de tous les faits essentiels, puisse être rectifié si l’Accusation fournit en temps voulu à un accusé des informations claires et cohérentes concernant les faits sur lesquels reposent les accusations portées contre lui6 ;

ATTENDU que les chefs d’accusation 3 et 4 du Troisième Acte d’accusation modifié ont trait au « meurtre »  et aux « traitements cruels » (« killing » et « cruel treatment »), et que le paragraphe 42 de cet acte fait mention de « mauvais traitements physiques et/ou psychiques » et de «traitement inhumain » (« physical and/or psychological abuse » et « inhuman treatment ») ;

ATTENDU que les expressions « traitement cruel » et « traitement inhumain  » ont été apparemment utilisées dans le Troisième Acte d’accusation modifié comme synonymes; que, d’après la jurisprudence du Tribunal, l’utilisation des détenus pour des travaux forcés peut, dans certaines circonstances, être qualifiée de traitement inhumain ou de traitement cruel7, et que, par conséquent, la terminologie juridique employée par le Troisième Acte d’accusation modifié n’exclut pas, en elle-même, le traitement cruel ou inhumain consistant en l’utilisation de détenus pour creuser des tranchées au front ou dans d’autres circonstances ;

ATTENDU que le paragraphe 42 du Troisième Acte d’accusation modifié, en définissant les mauvais traitements physiques et/ou psychologiques et les traitements inhumains subis par des détenus, fait usage des formules à portée générale comme « parmi », « ainsi » et « comprenaient », indiquant que les traitements expressément décrits ne sont pas les seuls envisagés par l’acte en question ;

ATTENDU, de plus, que ce paragraphe 42 du Troisième acte d’accusation modifié ne fait pas expressément référence à des travaux forcés ;

ATTENDU toutefois que, dans la partie consacrée au traitement inhumain des détenus, le Mémoire préalable au procès du 10 octobre 2003 fait mention de creusement de tranchées et d’autres formes de travaux forcés aux paragraphes 116, 119, 121, 123, 125, 126 et 127; que dans la note de bas de page 331 dudit Mémoire il est précisé que le « fait de forcer des détenus à travailler dans ces conditions équivaut à des ’traitements cruels’, qui sont prescrits par les Conventions de Genève » ; que dans les notes de bas de page 350, 360, 380 et 388 référence a été faite à des personnes qui pourraient témoigner devant la Chambre à propos de travaux forcés effectués;

ATTENDU que, dans sa Requête du 23 février 2004, la Défense fait valoir que , s’agissant d’un comportement qui peut à la fois constituer un traitement inhumain et une astreinte illégale au travail, l’Accusation est obligée de viser les dispositions spécifiques existant dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels en ce qui concerne le travail forcé, et ne peut se contenter de se référer aux dispositions plus générales concernant le traitement cruel ou inhumain8;

ATTENDU que la Chambre ne partage pas ce point de vue, ne serait ce que pour la seule raison que les dispositions applicables dans le cas d’espèce protègent des valeurs différentes, l’incrimination du travail forcé protégeant la liberté humaine et celle du traitement cruel ou inhumain l’intégrité physique et psychique de l’être humain; que, d’ailleurs, la jurisprudence du Tribunal offre l’exemple d’un jugement dans lequel un accusé a été condamné pour traitement cruel pour avoir utilisé des détenus pour effectuer des travaux forcés dans des circonstances spéciales 9;

ATTENDU qu’il convient d’abord de procéder à une analyse textuelle plus approfondie du contenu des paragraphes 41-43 du Troisième Acte d’accusation modifié ;

ATTENDU que le paragraphe 42 de l’Acte, en détaillant les mauvais traitements physiques auxquels les détenus étaient exposés, fait mention de sévices infligés à l’aide d’une grande variété d’armes et donne quelques exemples des effets de ces sévices sur des détenus; que les exemples de traitement inhumain mentionnés dans ce paragraphe ont tous rapport aux conditions matérielles dans lesquelles des personnes étaient détenues dans des lieux de détention et à l’absence de biens de première nécessité; que les mauvais traitements psychologiques comprenaient des menaces d’atteinte à l’intégrité physique et de mort, et que, ainsi, des prisonniers ont été forcés à creuser leurs propres tombes et menacés d’amputation;

ATTENDU que la signification objective d’expressions à portée générale comme « parmi », « ainsi », et « comprenaient », utilisées par rapport aux traitements subis par des détenus, est surtout déterminée par rapport aux exemples spécifiques donnés de ces traitements; qu’il est donc raisonnable de supposer que d’autres formes de traitement non explicitement mentionnées sont de même nature que les exemples de traitement explicitement mentionnés;

ATTENDU que l’utilisation de détenus pour effectuer des travaux forcés sur le front ou dans d’autres circonstances constituerait une forme de traitement inhumain d’un caractère différent des autres formes de traitement inhumain explicitement mentionnées après le mot « ainsi » dans le paragraphe 42; qu’une lecture objective du texte ne suggère donc pas que cette forme de traitement est envisagée dans le texte; que la même conclusion semble s’imposer quant aux passages ayant trait aux mauvais traitements physiques et psychiques;

ATTENDU que cette analyse n’est pas réfutée par la partie du paragraphe 43 du Troisième Acte d’accusation modifié qui fait référence au meurtre de Mario Zrno par passage au tabac; qu’il découle du texte de l’alinéa d) de ce paragraphe que l’allégation que cette personne avait été transportée de son lieu de détention pour effectuer des travaux forcés n’était qu’une circonstance accompagnant sa mort et n’en était pas la cause;

ATTENDU que l’analyse textuelle du paragraphe 42 est renforcée par la lecture des paragraphes 41-43 du Troisième Acte d’accusation modifié dans leur ensemble; que ces paragraphes énumèrent les municipalités et les localités où les meurtres et les traitements cruels se seraient produits; que ces localités sont apparemment les localités dans lesquelles les détenus étaient privés de leur liberté; que le Troisième Acte d’accusation modifié ne répond pas à la question de savoir si ces localités étaient situées sur les lignes de front qui séparaient les forces armées de l’Accusé des forces armées ennemies, ou si elles se trouvaient dans le voisinage immédiat de ces lignes de front;

ATTENDU que, en deuxième lieu, il convient de rappeler certaines modifications apportées au texte de l’acte d’accusation ayant trait à la présente affaire;

ATTENDU que l’Acte d’accusation initial du 5 juillet 2001, en se fondant sur l’existence d’un conflit armé international, incluait les chefs d’accusation de meurtre et de traitement cruels (chefs d’accusation 6-10), auxquels les chefs d’accusation 3-4 du Troisième Acte d’accusation modifié correspondent mot pour mot ; que, de plus, l’Acte d’accusation initial incluait des chefs d’accusation concernant l’astreinte illégale au travail, la prise d’otages et la prise de civils en otages , ainsi que l’utilisation de boucliers humains (chefs d’accusation 11-15); que, en ce qui concerne l’astreinte illégale au travail, le paragraphe 22 de cet acte faisait référence à l’emploi de détenus croates et serbes à certains lieux; que ce paragraphe faisait mention de « l’emploi de détenus croates de Bosnie et serbes de Bosnie (dont certains en sont morts ou ont été blessés) pour creuser des tranchées , construire des bunkers et aller chercher les soldats blessés ou morts de l’ABiH dans des conditions difficiles et dangereuses sur les lignes de front avec le HVO et des forces serbes, dans les municipalités de Bugojno, Donji Vakuf, Gornji Vakuf et Zenica »; que le paragraphe 23 de cet acte initial mentionnait les noms de détenus qui auraient été tués ou blessés pendant qu’ils creusaient des tranchées sur les lignes de front;

ATTENDU que, de plus, le paragraphe 14 de l’Acte d’accusation initial précisait que: «Les Croates de Bosnie et les Serbes de Bosnie emprisonnés ou détenus de toute autre manière, ont été contraints notamment, à creuser des tranchées, construire des bunkers et recueillir des dépouilles dans des conditions difficiles, voire dangereuses . Certaines de ces personnes emprisonnées ou détenues de toute autre manière, ont été tuées alors qu’on les avait forcées à prendre part à de telles activités. Les Croates de Bosnie et Serbes de Bosnie emprisonnés ou détenus de toute autre manière , ont également été utilisés comme boucliers humains et otages.» ; que le paragraphe 16 de l’Acte d’accusation initial déclarait que les allégations formulées aux paragraphes 1) à 15) «sont reprises et incorporées dans chacun des chefs d’accusation» ; 

ATTENDU que, dans sa Décision du 7 décembre 2001, la Chambre de première instance II a formulé des critiques qui touchaient, entre autres, à la pertinence des articles 40 et 51 de la troisième Convention de Genève et les articles 49, 50 et 52 de la quatrième Convention de Genève au chef d’astreinte illégale10;

ATTENDU que, à la suite de ladite décision, l’Accusation a déposé un Acte d’accusation modifié le 11 janvier 2002, qui n’était plus basé sur l’existence d’un conflit armé international mais sur celle d’un conflit armé interne; que, en deuxième lieu, les chefs d’accusation d’astreinte illégale au travail, prise d’otages et prise de civils en otages, et utilisation de boucliers humains avaient été éliminés de cet acte modifié; que, en troisième lieu, les paragraphes 40-43 de cet acte modifié n’incluaient plus des allégations concernant le travail forcé et l’utilisation de boucliers humains et otages parmi les allégations qui, en vertu du paragraphe 44 , étaient « reprises et incorporées dans chacun des chefs d’accusation » ;

ATTENDU que la lettre jointe à l’Acte d’accusation modifié du 11 janvier 2002 indique que les modifications précitées ont été effectuées pour des « raisons d’économie judiciaire » ;

ATTENDU que le Deuxième Acte d’accusation modifié du 15 août 2003 et le Troisième Acte d’accusation modifié du 26 septembre 2003 ne contiennent pas de modifications qui soient pertinentes aux question auxquelles la Chambre est appelée à répondre dans la présente décision;

ATTENDU qu’une analyse textuelle et systématique des paragraphes 19-21 de l’Acte d’accusation initial du 5 juillet 2001 qui ont trait au meurtre et aux mauvais traitements des détenus conduit aux mêmes conclusions que celles qui découlent de l’analyse des paragraphes 41-43 du Troisième Acte d’accusation modifié, c’est à dire que le travail forcé consistant en l’utilisation de détenus pour creuser des tranchées sur le front ou pour d’autres buts n’y semble pas être inclu en tant que traitement inhumain; que cette analyse s’applique également aux paragraphes pertinents de l’Acte d’accusation modifié du 11 janvier 2002 et le Deuxième Acte d’accusation modifié du 15 août 2003;

ATTENDU qu’il est vrai que, dans son paragraphe 14, l’Acte d’accusation initial formulait une allégation générale concernant le travail forcé, qui était applicable à chacun des chefs d’accusation, mais que, comme la Chambre l’a déjà constaté, ce paragraphe n’a pas été retenu dans l’Acte d’accusation modifié du 11 janvier 2002 ;

ATTENDU que l’Acte d’accusation modifié du 11 janvier 2002 et le Deuxième Acte d’accusation modifié du 15 août 2003 n’étaient pas accompagnés d’un Mémoire préalable; que, par conséquent, l’Accusé n’était pas informé de façon claire et explicite de l’intention de l’Accusation de le poursuivre sur la base du chef d’accusation de traitement cruel consistant en l’utilisation de détenus pour effectuer des travaux forcés avant le moment où le Mémoire préalable du 10 octobre 2003 lui a été envoyé ;

ATTENDU que, au contraire, l’élimination des chefs d’accusation concernant l’astreinte illégale au travail, la prise d’otages – y compris de civils - et l’utilisation de boucliers humains de l’Acte d’accusation modifié du 11 janvier 2002, en même temps que l’élimination de l’allégation du travail forcé de la liste des allégations qui étaient reprises et incorporées dans chacun des chefs d’accusation, étaient de nature à pouvoir causer des malentendus et à donner la conviction à l’Accusé qu’il ne serait plus poursuivi au titre de l’utilisation alléguée de détenus pour effectuer des travaux forcés, ni en tant que astreinte illégale au travail ni en tant que traitement cruel;

ATTENDU que, dans ces conditions, l’Accusation aurait dû, dès le début de janvier 2002, informer l’Accusé qu’il avait toujours l’intention de le poursuivre au titre de l’utilisation de détenus pour effectuer des travaux forcés en tant que traitement inhumain, au lieu de donner des informations très succinctes concernant les motifs qui l’avaient amenés à modifier l’Acte d’accusation initial; que, en omettant de prendre cette initiative par le biais d’une modification appropriée de l’Acte d’accusation initial, elle a pu raisonnablement laisser l’Accusé penser que ce ne serait pas le cas;

ATTENDU qu’il ressort de l’examen du texte du Troisième Acte d’accusation modifié et de l’analyse de l’histoire de cet acte que la Chambre ne peut arriver qu’à la conclusion que le Troisième Acte d’accusation modifié n’inclut pas le chef d’accusation de traitement inhumain consistant en l’utilisation de détenus pour effectuer des travaux forcés;

PAR CES MOTIFS

EN APPLICATION des articles 18 4), 21 2) et 4) du Statut et 47 C) et 50 du Règlement,

DÉCLARE que le Troisième Acte d’accusation modifié n’inclut pas le traitement inhumain consistant en l’utilisation des détenus pour effectuer des travaux forcés,

REJETTE la demande de l’Accusation de produire des moyens de preuve en rapport avec ces allégations.

 

Fait en anglais et en français, la version en français faisant foi.

_____________
Le Président de la Chambre
Jean-Claude Antonetti

Le 16 mars 2004
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - La Chambre note que la Défense soutient à titre subsidiaire qu’il serait également contraire aux droits de l’accusé et à un procès juste et équitable de permettre à l’Accusation d’ajouter les allégations de creusement de tranchées sur des lignes de front car une telle démarche constituerait un abus de procédure.
2 - CR du 18 février 2004, page 2998; Mémoire, para. 9.
3 - Arrêt Kupreskic, para. 88; Le Procureur contre Milorad Krnojelac, Arrêt rendu par la Chambre d’Appel le 17 septembre 2003 (« Arrêt Krnojelac »), para.131, où la Chambre d’Appel rappelle les principes établis dans l’Arrêt Kupreskic.
4 - Arrêt Kupreskic, para. 89, cité dans l’Arrêt Krnojelac, para.132.
5 - Le Procureur contre Georges Anderson Nderubumwe Rutaganda, Arrêt rendu par la Chambre d’Appel le 26 mai 2003 (« Arrêt Rutaganda »), para.303, cité dans l’Arrêt Krnojelac, para.133;
6 - Arrêt Kupreskic, paras.114 et suivant; Arrêt Krnojelac, paras.136 et 138.
7 - Le Procureur contre Tihomir Blaskic, Jugement rendu le 3 mars 2000 («  Jugement Blaskic » ), paragraphes 186, 713 et 716.
8 - Requête, paragraphes 25-29.
9 - Jugement Blaskic.
10 - Le Procureur contre Enver Hadzihasanovic et Amir Kubura, Décision relative à la forme de l’Acte d’accusation, para. 32.