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1 Le vendredi 30 janvier 2004
2 [Audience publique]
3 --- L'audience est ouverte à 9 heures 02.
4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez l'affaire.
6 M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, il s'agit de
7 l'affaire IT-01-47-T, le Procureur contre Enver Hadzihasanovic et Amir
8 Kubura.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Je vais demander à l'Accusation de
10 se présenter.
11 M. WITHOPF : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame et
12 Monsieur les Juges. Bonjour, les conseils de la Défense. Je suis Ekkehard
13 Withopf avec Kimberly Fleming, la substitut d'audience.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie.
15 Je vais demander aux Défenseurs des accusés de se présenter.
16 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame et
17 Monsieur les Juges. La Défense du général Hadzihasanovic est représenté par
18 Edina Residovic, conseil; Stéphane Bourgon, co-conseil et Mirna Milanovic,
19 assistant juridique.
20 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Bonjour. L'accusé Kubura est représenté
21 par moi-même, M. Ibrisimovic, Rodney Dixon et notre assistant juridique, M.
22 Mulalic.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. La Chambre salue toutes les
24 personnes présentes. L'Accusation représentée par M. Withopf, les
25 défenseurs, les accusés et tout le personnel de cette salle d'audience.
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1 Avant d'aborder l'audition du témoin qui est prévu aujourd'hui, je voudrais
2 apporter quelques précisions sur différents sujets. Le premier sujet, hier,
3 on a évoqué à un moment donné la question de la durée de l'interrogatoire.
4 Comme vous le savez, dans un document qui a été remis avant le procès,
5 l'Accusation a fait la synthèse de la déclaration écrite du témoin en
6 prévoyant une durée d'interrogatoire qui varie entre 30 minutes, 45
7 minutes, une heure et demie, deux heures voire un jour, deux jours. Cette
8 durée est une durée purement indicative. L'heure qui est indiquée sur ce
9 document n'a aucune force contraignante. Si l'Accusation estime qu'elle a
10 besoin d'une durée supplémentaire, elle peut dépasser cette durée. S'il est
11 indiqué trois-quarts d'heure et que l'Accusation a besoin d'une heure et
12 demie, elle utilise une heure et demie. Il n'y a aucune limite quant à la
13 durée de l'interrogatoire. Le seul risque qu'on peut avoir, c'est que si
14 l'audition d'un témoin ne se termine pas le jour même, à ce moment-là, le
15 témoin sera obligé de revenir le lendemain. Cette règle vaut également pour
16 la Défense qui aussi, dans le cadre du contre-interrogatoire, a tout le
17 temps nécessaire pour poser ses questions, à la condition, évidemment, que
18 si l'Accusation a utilisé une heure, que la Défense n'en utilise pas deux.
19 Concernant la durée, les durées qui ont été mentionnées sont des durées
20 purement indicatives, qu'il appartient dans le cadre de l'interrogatoire
21 principal, à l'Accusation d'utiliser le temps qui lui paraît nécessaire
22 pour poser ses questions. De même, la Défense, dans le cadre de la
23 présentation de ses témoins, elle utilisera tout le temps qu'elle voudra.
24 Je tenais à apporter cette précision pour clarifier ce point.
25 Le deuxième point concerne le contre-interrogatoire. Comme vous le savez,
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1 vous nous aviez fait une requête aux fins d'éclaircissement de la décision
2 qui avait été rendue oralement le 17 décembre 2003 concernant la portée du
3 contre-interrogatoire. Nous avons rendu une décision que vous avez. Je
4 rappelle le terme de cette décision, que les questions de contexte sont
5 admissibles dans le cadre du contre-interrogatoire, mais que, lorsque l'on
6 pose une question de contexte, dans la mesure du possible, avant de poser
7 la question au témoin, indiquer à la Chambre dans quel but vous posez la
8 question, quelle est l'utilité, la pertinence, informer la Chambre des
9 conditions mêmes dans lesquelles vous allez poser la question, pour pas
10 qu'on ait l'impression que la question n'ait aucun lien avec le témoin.
11 Jusqu'à présent, cela c'est bien passé. Veillez à nous informer du contexte
12 général de la question.
13 S'agissant des témoignages par ouï-dire, comme vous le savez, ils sont
14 admissibles. En règle générale, à la condition également, que lorsqu'on
15 pose ce type de question, si le témoin rapporte la preuve, enfin, il fait
16 part d'éléments de faits qu'il tient de quelqu'un d'autre, encore faut-il
17 qu'on précise bien de qui il tient cet élément. Il faut toujours essayer
18 d'identifier l'origine de la source de la connaissance du témoin. Jusqu'à
19 présent, on n'a pas eu de problèmes. S'il y en a, il sera toujours temps de
20 les régler au fur et à mesure.
21 Le troisième point concerne le droit des accusés et les droits de la
22 Défense d'avoir connaissance des pièces qui sont versées. Compte tenu de la
23 disposition des lieux, les accusés ne sont pas à côté de leurs défenseurs.
24 Dans les pays de common law, aux Etats-Unis par exemple, l'accusé est juste
25 à côté de son défenseur. Dans les pays de droit continental, les accusés
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1 sont à côté des avocats et peuvent échanger. La disposition des lieux, fait
2 que les accusés ne sont pas à côté des Défenseurs. On a trouvé un système
3 comme quoi ils peuvent correspondre par papier, ce qui est bien. Je pense
4 qu'il serait également utile, notamment, dans les semaines à venir,
5 lorsqu'il y aura des documents importants qui pourront être produits par
6 l'Accusation, que ces documents, il y a des exemplaires; un exemplaire pour
7 le Greffier, trois exemplaires pour les Juges, deux exemplaires pour les
8 Défenseurs. Je souhaiterais qu'il y ait également un exemplaire pour chacun
9 des accusés, qu'au moins l'accusé ait le document sous les yeux, quitte à
10 ce qu'il puisse informer ses Défenseurs que ce document, de sa part,
11 s'appelle tel ou tel problème. Encore faut-il pour qu'il puisse utilement
12 le faire valoir à ses avocats, qu'il ait le papier sous les yeux.
13 Jusqu'à présent, les exemplaires donnés, on les donne aux Défenseurs, mais
14 les accusés, ils en n'ont pas. Comme on fait un certain nombre
15 d'exemplaires, en faire deux de plus pour chacun des accusés, à mon avis,
16 cela ne doit pas être trop compliqué. Cela peut être utile pour tout le
17 monde.
18 C'étaient les trois petits points que je voulais aborder avant l'audition
19 du témoin.
20 Nous allons introduire le témoin. Je vais demander à Monsieur l'Huissier
21 d'aller chercher notre témoin.
22 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour Monsieur. Je vais vérifier si vous entendez
24 la traduction de mes propos dans votre langue.
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous comprends et je vous entends,
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1 Monsieur.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez cité à comparaître pour témoigner dans ce
3 procès à la demande de l'Accusation. Pour témoigner, vous devez prêter un
4 serment. Avant de vous faire prêter le serment, je me dois de recueillir
5 les éléments permettant de vous identifier. Vous allez me décliner votre
6 nom et prénom.
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Ivo Fisic. Je viens de Travnik en
8 Bosnie-Herzégovine. Je suis né le 6 novembre 1942 à Nevica Polje, dans la
9 municipalité de Novi Travnik. Mon père s'appelle Marko, et ma mère
10 Andjelka.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Activité professionnelle ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis un économiste et je travaille dans la
13 comptabilité des entreprises.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. A l'époque des faits, en 1993, que
15 faisiez-vous comme métier, ou qu'aviez-vous comme occupation?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Au cours de ces événements, j'exerçais le
17 métier de directeur d'une entreprise qui faisait partie de la société Borac
18 à Travnik.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.
20 Vous allez lire le serment que vous devrez prêter dans votre langue
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
22 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.
24 LE TÉMOIN: IVO FISIC [Assermenté]
25 [Le témoin répond par l'interprète]
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur, comme vous deviez voir à répondre à des
2 questions qui vont vous être posées par le représentant de l'Accusation qui
3 se trouve à votre droite, essayez de répondre dans la mesure du possible de
4 la façon la plus complète, et de la façon la plus précise. Par la suite,
5 les Défenseurs, les avocats des accusés qui sont eux situés à votre gauche,
6 vous poseront également des questions. Le cas échéant, les trois juges qui
7 sont devant vous pourront, à tout moment lorsqu'ils estimeront que c'est
8 nécessaire, vous poser des questions. Si une question vous pose une
9 difficulté de compréhension ou une difficulté quelconque, vous pouvez
10 demander qu'on vous repose la question. Si vous ne voulez pas répondre à
11 une question, vous nous le dites, vous indiquez pourquoi ? Sachez que comme
12 vous avez prêté serment, il faut dire toute la vérité, et que si un témoin
13 était amené à faire des déclarations mensongères, il pourrait être exposé à
14 des poursuites pour faux témoignage. Par ailleurs, une disposition de notre
15 procédure permet à un témoin lorsqu'il fait des déclarations, si ces
16 déclarations sont susceptibles de l'incriminer, à ce moment-là, il peut
17 refuser de répondre. Si la Chambre l'oblige à répondre à ce moment-là, il
18 est informé que ce qu'il dira ne pourra pas être retenu contre lui. Si au
19 cours de l'interrogatoire vous avez un problème quelconque, vous demandez
20 des éclaircissements utiles.
21 Dans ces conditions, nous allons procéder au début du
22 contre-interrogatoire, et pour cela je vais donner la parole aux
23 représentants de l'Accusation.
24 M. WITHOPF : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président, Madame
25 et Monsieur les Juges. Avant de commencer l'interrogatoire de ce témoin, je
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1 souhaite exprimer ma reconnaissance en raison des clarifications fournies
2 par le Président, notamment en ce qui concerne les délais prévus pour
3 l'interrogatoire principal en vertu de l'Article 65 ter, et notamment en ce
4 qui concerne les résumés des dépositions de témoin.
5 Interrogatoire principal par M. Withopf :
6 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Fisic.
7 R. Bonjour.
8 Q. Monsieur Fisic, vous avez informé la Chambre de première instance du
9 fait que vous êtes né à Travnik. Est-ce que vous pourriez également dire
10 aux Juges où vous avez grandi ?
11 R. Je suis né à Nevica Polje qui se trouve à 3 kilomètres et demi de la
12 ville de Travnik, et 7 kilomètres de Novi Travnik, la nouvelle partie de
13 Travnik. Mais d'après les arrangements territoriaux, il a été décidé que
14 mon hameau appartienne à la municipalité de Novi Travnik. Dans mon village,
15 j'ai vécu jusqu'en 1974. Ensuite, j'ai déménagé à Travnik, dans mon
16 appartement. A partir de ce moment-là, jusqu'au début du conflit et même
17 jusqu'à jour d'aujourd'hui, j'ai vécu toujours à la même adresse.
18 Q. Merci. Est-ce que vous pourriez informer la Chambre de première
19 instance si vous avez fait votre service militaire au sein de la JNA, et si
20 oui, est-ce que vous pourriez nous dire quelles étaient les dates de votre
21 début et de la fin du service ?
22 R. J'ai fait partie, j'ai servi au sein de la JNA depuis le 18 septembre
23 1963, et j'ai terminé mon service militaire vers la fin du mois de février
24 1965. J'ai fait mon service militaire en Istria à Umag.
25 Q. Monsieur Fisic, est-ce que vous aviez un grade suite au service
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1 militaire au sein de la JNA ?
2 R. Oui. Suite à mon service militaire au sein de la JNA, j'ai eu le grade
3 du caporal.
4 Q. Avez-vous un diplôme de l'université ?
5 R. J'ai fait les études à Sarajevo à l'école supérieure du commerce à
6 Sarajevo qui fait partie de l'université de Sarajevo.
7 Q. Vous avez déjà informé la Chambre de première instance du fait qu'en
8 1992 et 1993 vous viviez à Travnik. Où vous avez travaillé à l'époque ?
9 Quel était votre travail à ce moment-là ?
10 R. A ce moment-là, j'étais directeur d'une entreprise, ce que l'on
11 appelait à l'époque chez nous "Organisation de travail," qui faisait partie
12 de la société de Borac de Travnik. Je travaillais dans le domaine de
13 l'édition, et notamment, en matière de l'imprimerie.
14 Q. Vous avez vécu et travaillé à Travnik en 1992 et 1993. Est-ce qu'à un
15 moment donné vous avez remarqué des étrangers dans cette région-là dans la
16 région de Travnik ?
17 R. Oui. Au cours de l'année 1992 des étrangers venaient à Travnik. On
18 pouvait facilement les remarquer en raison de leur apparence physique. Il
19 était facile de conclure qu'ils étaient des Arabes. Je ne pouvais pas
20 savoir de quel pays, mais il était évident qu'ils étaient des Arabes. Puis
21 leur vêtement était caractéristique. Je remarquais cela lorsqu'ils se
22 rendaient aux mosquées pour prier. Parfois une certaine partie de ces
23 personnes portait également des uniformes de camouflage.
24 Q. Ceux qui portaient des uniformes de camouflage, est-ce que vous avez vu
25 qu'ils portaient des armes ?
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1 R. Oui, certains d'eux, et ce n'était pas en masse, mais certains d'eux
2 portaient des fusils dans la rue. Ils avaient leur siège dans un bâtiment
3 dans lequel j'avais travaillé auparavant. C'est un bâtiment qui appartenait
4 à une entreprise commerciale. C'est là que se trouvait leur commandement,
5 ou leur siège. D'ailleurs leur drapeau flottait devant ce bâtiment. Ce
6 drapeau était frappant puisque c'était un drapeau que je n'avais jamais vu
7 en Bosnie-Herzégovine. Le fond était noir et l'instruction était en lettre
8 dorée brodée en soie, ou quelque chose de semblable, et l'inscription était
9 en arabe.
10 Q. Le siège ou ce commandement de ces étrangers dont vous avez parlés,
11 afin de clarifier les choses, dites-nous dans quelle ville ceci se
12 trouvait ?
13 R. C'était à Travnik, dans la rue du maréchal Tito, dans le bâtiment dans
14 lequel j'avais travaillé auparavant, appartenait avant à l'entreprise
15 commerciale. Avant que cette entreprise pour laquelle j'avais travaillé ait
16 acheté ce bâtiment, l'hôtel Vlasic s'y trouvait. C'était un bâtiment au
17 centre-ville.
18 Q. A ce moment-là, en 1992 et au début de l'année 1993, est-ce qu'au sein
19 de votre communauté, vous utilisiez un mot en particulier pour décrire ces
20 étrangers-là ?
21 R. Oui. On les appelait dès le départ "Moudjahiddines." Pour moi, c'était
22 la première fois que j'ai entendu parler de cette appellation, et je ne
23 savais pas ce que cela voulait dire. Mais le peuple les reconnaissait en
24 tant que Moudjahiddines.
25 Q. Savez-vous si, à ce moment-là ou par la suite, ces Moudjahiddines ont
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1 obtenu la nationalité bosniaque ou pas ?
2 R. Oui, j'ai certaines connaissances. Au cours de la période entre 1981 et
3 1984, j'étais le président du conseil Exécutif, autrement dit, du
4 gouvernement de Travnik. Un employé du secrétariat de la Défense nationale
5 m'a fait comprendre que ces étrangers-là obtenaient la nationalité
6 bosniaque.
7 Q. Afin de clarifier les choses, est-ce que la nationalité qu'ils
8 obtenaient était la nationalité de l'état de Bosnie-Herzégovine ?
9 R. Le plus probablement. En 1992, je ne me souviens plus si la Bosnie-
10 Herzégovine était un état reconnu sur le plan international, mais ils
11 recevaient les certificats émanant du secrétariat sur la base duquel ils
12 pouvaient obtenir la nationalité.
13 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Un petit commentaire, Monsieur le
14 Président, page 8, lignes 10 à 11, lorsque le témoin a parlé de ce drapeau
15 noir qu'il a vu sur le bâtiment de l'entreprise commerciale, il a dit une
16 phrase qui n'a pas été interprété. Je demanderais soit que le témoin
17 confirme s'il l'a dit ou pas, ou soit de reposer la question. Le témoin
18 avait dit : "C'est un drapeau que je n'avais jamais vu auparavant chez les
19 Musulmans de Bosnie." N'est-ce pas, vous avez bien dit cela ?
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je l'ai dit et je le maintiens.
21 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci beaucoup. Simplement, ce n'était pas
22 consigné au compte rendu d'audience et c'est cela que j'ai souhaité
23 compléter la réponse.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Ceci ayant été dit, le témoin confirme qu'il n'avait
25 jamais vu ce drapeau avant chez les Musulmans de Bosnie.
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1 Monsieur Withopf, cette précision ayant été apportée. Poursuivez.
2 M. WITHOPF : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
3 Q. Monsieur Fisic, est-ce qu'à un moment donné vous avez commencé à avoir
4 des contacts avec le HVO soit de façon militaire ou de façon civile ?
5 R. La présidence de la municipalité de Travnik, du 20 au 23 juillet 1992,
6 avait dégagé huit conclusions suivant lesquelles certaines reconstructions
7 ou transformations du pouvoir exécutif de Travnik devraient être mises en
8 place. L'objectif étant d'essayer de résoudre la tension et de la résoudre
9 puisque l'animosité était assez évidente dans cette région. D'après
10 certaines considérations, ils pensaient que moi-même et d'autres étaient
11 des personnes qui, justement, pourraient contribuer à rasséréner la
12 situation. Ils ont suggéré que moi-même ainsi que d'autres personnes du
13 HVO, ce que l'on appelait le gouvernement du HVO, essaie d'adopter des
14 positions qui seraient en quelque sorte plus proches de celles des
15 représentants des autorités musulmanes. En fait, l'intention était la
16 suivante : la structure du pouvoir devrait être une structure unique à un
17 moment donné. Mais cela n'a donné aucun résultat. Je fais maintenant état
18 des unités militaires et des unités de police et des unités que l'on a
19 appelé les unités paramilitaires. Je dois dire que nous n'avons pas su les
20 rallier à notre camp ce qui fait que ce gouvernement a échoué, en fait, et
21 ce, jusqu'au moment où le conflit a éclaté.
22 Q. Monsieur Fisic, pendant tout le temps ou toute la période que vous avez
23 travaillé pour le HVO en tant que civil, avez-vous jamais porté un uniforme
24 militaire ?
25 R. Non. Les représentants du gouvernement ne portaient pas d'uniformes.
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1 Nous portions des habits civils. Aucun des représentants de ce gouvernement
2 n'a jamais porté d'uniforme, quelqu'il soit d'ailleurs.
3 Q. Pourriez-vous, je vous prie, décrire à l'intention de la Chambre de
4 première instance les relations qui existaient entre les Croates et les
5 Musulmans au début de 1993, et ce, dans la région de Travnik ?
6 R. A partir de ce moment critique, à partir du moment où nous en avions
7 conclu que des efforts devraient être déployés pour diminuer les tensions,
8 l'animosité et la méfiance, autant que je sache et que je comprenne la
9 situation, la situation ne faisait que se compliquer de jour en jour. Nous
10 avons essayé d'avoir une unité de certains services, tels que le service
11 des postes, l'approvisionnement de vivres alimentaires destinés à la
12 population. Toutefois, à cette époque, il y avait des forces invisibles que
13 je n'ai pas reconnu immédiatement mais qui, de toute évidence,
14 fonctionnaient et qui ont perturbé toutes ces tentatives qui ont été faites
15 et qui ont empêché que la population qui souhaitait avoir ce genre d'unités
16 ou d'organes uniques, tous ces efforts ont été faits en vain. De toute
17 façon, nous ne portions pas d'uniformes.
18 Q. Quel est le rôle joué par les Moudjahiddines si t'en est qu'ils ont
19 joué un rôle pour ce qui est de la création de la tension et de l'animosité
20 entre les deux groupes ethniques ?
21 R. Je pense que le rôle qu'ils jouaient était extrêmement important parce
22 que cette méfiance, ce manque de confiance devenait de plus en plus
23 manifeste. Il y avait des conflits entre eux et les unités qui se
24 trouvaient dans le village de Ovcarevo ou de Miskica Brdo. Justement, des
25 conflits pouvaient éclater dans cette zone. Ces personnes ne représentaient
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1 pas les autorités auxquelles on aurait pu avoir confiance. En fait, ils
2 suscitaient l'appréhension chez les autres. On pouvait entendre, à l'époque
3 "Allah-U-Ekber" ou bien "Tekbir", et ce genre d'appel effrayait la
4 population. On pouvait voir que c'étaient des personnes qui avaient été,
5 par exemple, délinquants lorsqu'ils étaient encore mineurs, ou c'étaient
6 des personnes qui avaient déjà eu des condamnations. Les ressortissants de
7 Travnik et de la municipalité le remarquaient et, de toute évidence, cela
8 effrayait la population.
9 Q. Monsieur Fisic, est-ce qu'à un moment donné ces tensions et cette
10 animosité ont véritablement débouché sur un véritable conflit ?
11 R. Oui. Dans la ville, à proprement parler, dans la ville et ses
12 délimitations, cela ne s'est pas vraiment passé, mais dans la partie
13 occidentale, dans la partie du sud-ouest, dans le quartier de Kalibunar, ce
14 genre d'incidents se sont produits. Le soir, il y avait des échauffourées
15 entre la police, le HVO, qui se trouvaient basés là-bas. Il y avait des
16 unités régulières et des unités qui ne l'étaient pas. Le soir, cela pouvait
17 représenter véritablement un problème pour la population qui vivait à
18 Travnik.
19 Q. Est-ce que vous pourriez décrire à l'intention de la Chambre de
20 première instance, de façon un peu plus concrète, la situation qui
21 prévalait en juin 1993 ?
22 R. En juin 1993, ils ont commencé à établir de nombreux postes de
23 contrôle. Ils procédaient à des vérifications pour toute personne qui
24 passait par là. En plus, ils procédaient à des vérifications mutuelles. Il
25 était parfois difficile de passer à travers ces postes de contrôle. Je vous
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1 parle de l'année 1993.
2 A Travnik, en mai, il me semble, des Croates furent arrêtés et furent
3 emmenés. Certains Croates qui se trouvaient dans la rue, ils ont été
4 emmenés à Stari Grad, dans la vieille ville. Je me suis rendu compte qu'ils
5 avaient été arrêtés, parce que nous avions obtenu des informations suivant
6 lesquelles dans la partie sud-est de Travnik, un incident s'était produit
7 au cours duquel plusieurs unités avaient été capturées. A l'époque, la
8 réaction consistait à arrêter des Croates de Travnik, afin de les emmener à
9 Stari Grad où ils restaient pendant un certain temps. Ensuite, ils étaient
10 transférés à Plava Voda. En fait, il s'agit d'une source où se trouve un
11 restaurant. Cela se trouve assez proche de Medresa. Ils y restaient un
12 certain temps. Ensuite, après l'intervention de certains hommes politiques
13 du côté musulman, ils ont été libérés. On les a autorisés à rentrer dans
14 leur foyer. Rien ne leur est arrivé, hormis le fait qu'ils ont été arrêtés,
15 qu'ils ont été emmenés à Stari Grad, puis ensuite, transférés à Plava Voda
16 où ils ont passé la journée. Ils y sont restés jusqu'à un certain moment de
17 la nuit, de la soirée. Ensuite, ils sont rentrés chez eux sans avoir subi
18 aucun sévice. C'est l'un des détails qui peut expliquer ou décrire le fait
19 que le manque de confiance commençait à s'installer.
20 J'ai participé à une réunion de combattants de l'unité de Travnik. Il
21 s'agissait de commandants militaires, le président de la présidence de la
22 municipalité de Travnik était présent. Lors de cette réunion, ils ont
23 essayé de voir comment régler la situation. Le président du HVO était
24 également présent à cette réunion.
25 Q. Monsieur Fisic, je me permets de vous interrompre, car vous avez
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1 mentionné qu'en juin 1993, ils ont commencé à établir des postes de
2 contrôle. Lorsque vous dites "ils", à qui faites-vous référence ? Lorsque
3 vous dites : "Ils ont établi de nombreux postes de contrôle" ?
4 R. Je fais référence à toutes les personnes qui, à l'époque, étaient en
5 mesure de porter l'uniforme et de porter des armes. Il s'agissait des
6 membres de toutes les unités; des unités de police, des unités militaires,
7 des unités paramilitaires, à savoir, toutes les personnes qui portaient des
8 armes à l'époque, et qui portaient un uniforme. Toutes les personnes qui
9 avaient le pouvoir.
10 Q. En juin 1993, qui étaient les commandants militaires de l'ABiH à
11 Travnik ?
12 R. Feu colonel Alagic, M. Fikret Cuskic, Sipic dont je ne connais pas le
13 prénom, Ahmet Mesanovic, Enes Balagija, Osman Poric. Voilà les personnes
14 dont je connais le nom.
15 Q. Pourriez-vous, je vous prie, nous expliquer par le menu, les unités
16 militaires dont ils assuraient le commandement à l'époque, autant que vous
17 le sachiez ?
18 R. Il s'agissait d'unités de la Défense territoriale. Il s'agissait
19 d'unités de la Krajina. Je ne sais pas vraiment comment elles étaient
20 organisées. Il y avait également des unités des forces armées croates, du
21 HOS. C'est ce que je sais de ces unités qui se trouvaient à Travnik.
22 Q. Pour poursuivre, Monsieur Fisic, nous allons passer au mois d'octobre
23 1993. Avez-vous été arrêté en octobre 1993 ?
24 R. Avec votre permission, j'aimerais ajouter quelque chose d'autre à
25 propos de l'animosité, à propos d'un événement ou d'autres événements
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1 importants qui se sont produits à Travnik.
2 Q. Je vous en prie. Poursuivez, mais soyez bref.
3 R. Je serai très bref. A l'époque, le commandant du HVO de Travnik, Ivica
4 Stojak a été tué, alors qu'il sortait de Travnik pour aller vers l'est. Il
5 a été tué par des unités qui se trouvaient présentes dans la zone à
6 l'époque. Il s'agissait d'unités de l'armée. Deuxièmement, Dana Gaso a été
7 tuée dans son appartement. Elle a été tuée par une unité militante, c'est
8 ce qui avait été dit. Il s'agissait de deux victimes à Travnik. Cela n'a
9 fait qu'exacerber l'animosité et le manque total de compréhension.
10 Certes, j'ai été arrêté le 18 octobre. J'ai été arrêté dans mon
11 appartement, de façon particulièrement brutale. Lorsqu'ils m'ont arrêté,
12 ils ne se sont pas contentés de m'arrêter. Ils ont dérobé des affaires que
13 j'avais dans mon appartement. Ils ont très maltraité ma femme et certains
14 de mes voisins qui se trouvaient chez moi à ce moment-là. L'un de mes
15 voisins croates a été arrêté en même temps que moi, alors que mon autre
16 voisin M. Kulovac et sa femme ont subi des sévices pendant très longtemps,
17 du fait qu'ils se trouvaient dans mon appartement, et cetera.
18 Q. Monsieur Fisic pourriez-vous nous expliquer de façon détaillée, qui vous
19 a arrêté ainsi que votre voisin croate ? Est-ce que vous pourriez également
20 le nom de votre voisin croate ?
21 R. Environ une heure et demie avant mon arrestation officielle, je me suis
22 rendu de l'appartement de ma sœur qui s'appelle Marija Martinovic qui se
23 trouvait à quelques 300 mètres de mon appartement dans le quartier de
24 Zvijezda, dans le bâtiment de Zvijezda. Alors que je quittais son
25 appartement, il était environ
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1 18 heures, 18 heures 30. Je me trouvais sur la route en direction de mon
2 appartement, une voiture s'est arrêtée près de moi. Les gens qui se
3 trouvaient dans cette voiture m'ont demandé de les aider, de leur indiquer
4 où se trouvait l'appartement de M. Salko Beba. J'ai remarqué qu'un homme
5 local, un homme de notre région se trouvait dans le véhicule, en tout cas,
6 c'est l'apparence qu'il avait, puis il y avait un Arabe. Je n'étais pas en
7 mesure de répondre à leurs questions, parce que je ne savais pas où vivait
8 Salko Beba. Je leur ai parlé d'un groupe de personnes qui habitait dans le
9 quartier. Je leur ai dit qu'ils devraient leur demander où se trouvait
10 l'appartement de Salko Beba.
11 Ensuite, j'ai poursuivi mon chemin pour entrer dans mon appartement.
12 Lorsque je suis arrivé chez moi, je me suis rendu aux toilettes. Ensuite,
13 j'ai décidé de rester dans la salle de bain pour prendre une douche, et
14 cetera. Alors que je m'apprêtais à prendre ma douche, ma femme m'a appelé
15 et m'a dit que quelqu'un se trouvait à la porte, que cette personne voulait
16 entrer dans l'appartement. Elle m'a dit que cette personne lui avait
17 indiqué que c'était l'un de mes amis, mais qu'il ne voulait pas se
18 présenter. Bien entendu, ma femme ne l'a pas autorisé à pénétrer dans notre
19 appartement. J'ai abandonné l'idée de toute douche.
20 Nous avons appelé la police locale. Une partie de la force de la police se
21 trouve dans le bâtiment où je réside. C'est un bâtiment qui s'appelle
22 Amerikanka. La police est d'ailleurs arrivée immédiatement. Ils ont écouté
23 ce que ma femme avait à leur dire à propos de la personne qui s'était
24 présentée. Ils ont consigné ce qu'elle avait dit. Ils ont regardé dans le
25 hall d'entrée du bâtiment. Ils n'ont rien remarqué, mais ils m'ont dit que
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1 si quelque chose devait se produire, nous devions les appeler
2 immédiatement. Mon voisin Kulovac est venu dans l'appartement
3 immédiatement. Il avait entendu que quelque chose s'était passée. Il
4 voulait savoir ce qui s'était passé, afin de voir s'il pouvait me prêter
5 main forte, ou peut-être qu'il voulait juste me parler. Sa femme est
6 également venue dans l'appartement, dans notre appartement où elle est
7 restée.
8 Ensuite Kazimir Pobric est également venu. Il vivait également dans le même
9 bâtiment, mais à quelques étages plus haut. Il travaillait pour le
10 personnel de la Défense territoriale de la municipalité de Travnik. Il
11 revenait d'ailleurs du travail. Il pensait que sa femme était chez nous, ou
12 avec nous. C'est pour cela qu'il est venu.
13 D'autres personnes sont venues. Ils voulaient pénétrer dans l'appartement,
14 mais tout comme la fois précédente, nous n'avons pas ouvert la porte,
15 puisqu'ils ne se sont pas présentés. Ils sont repartis. Une demi-heure plus
16 tard, peut-être un peu plus ou un peu moins, quelqu'un d'autre a frappé à
17 la porte. Apres cette deuxième tentative, nous avons informé la police. La
18 police est arrivée. La police s'est présentée en tant que police. Nous
19 avons ouvert la porte. Les personnes qui m'ont arrêté, ont pénétré dans
20 l'appartement. La première personne qui est entrée portait un sabre. Cette
21 personne avait un foulard de type palestinien. Il était suivi par un
22 certain nombre d'autres personnes qui appartenaient à des unités. Je me
23 suis dissimulé derrière un meuble pour éviter de me trouver à portée de ce
24 sabre. Certains des membres sont arrivés, et sont entrés après cette
25 personne. Il n'y avait pas d'électricité à l'époque dans la ville. Il y
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1 avait une bougie qui brûlait dans une partie de notre appartement. Devant
2 cette bougie, il y avait un homme qui se trouvait là. Il avait mon carnet
3 de téléphone dans ses mains. En fait, ce carnet de téléphone, ou ce carnet
4 d'adresse m'avait été pris lorsque j'avais été attaqué une fois. Cela avait
5 été fait par des forces musulmanes qui se trouvaient dans le Stari Grad. Je
6 l'ai vu avec mon carnet d'adresse. J'ai pensé que cette personne était un
7 civil. Je ne pouvais pas le voir très bien, mais j'ai reconnu mon carnet
8 d'adresse qui m'avait été pris.
9 Il m'a donné l'ordre de mettre mes chaussures, de m'habiller. Il m'a dit
10 que j'étais sur le point d'être arrêté. J'étais véritablement perplexe.
11 C'est ainsi qu'ils m'ont fait sortir de mon appartement. J'habitais au 2e
12 étage. Il y avait deux soldats postés aux sorties des différents étages du
13 bâtiment. Je voyais qu'il s'agissait de soldats qui portaient des
14 uniformes, des tenues de camouflage. Ils avaient des armes. En fait, ils
15 portaient des fusils. Ils m'ont amené dans un véhicule de type tout-
16 terrain. Je pense que c'était une Niva tout-terrain. Ils m'ont mis dans le
17 véhicule à l'arrière. Ils m'ont mis un masque sur la tête, ou une casquette
18 sur la tête. Ils m'ont demandé de me mettre par terre.
19 Q. Monsieur Fisic, permettez-moi de vous interrompre. J'aimerais vous
20 poser deux questions à titre de précision. Vous nous avez dit que la
21 personne qui avait un sabre, était accompagnée de soldats. Est-ce que vous
22 savez à quelle armée appartenaient ces soldats ?
23 R. Ce groupe s'appelait MOS, les forces armées musulmanes. Je pense que
24 c'est ce que cela signifie. Ils étaient stationnés à Stari Grad à Travnik.
25 Q. Une deuxième question, Monsieur. Les deux soldats qui se trouvaient à
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1 l'extérieur, à quelle armée ou à quelles forces armées appartenaient-ils ?
2 R. Je pense qu'ils appartenaient à la même force. Il me semble qu'il
3 s'agissait de la même unité. Ils appartenaient à une unité MOS.
4 Q. Une troisième question à titre de précision. Avez-vous été la seule
5 personne arrêtée, ou est-ce qu'une autre personne a été arrêtée à cette
6 occasion ?
7 R. Pobric Kazimir a également été sorti de mon appartement, a été amené
8 dans le même véhicule. On lui a également recouvert la tête. Il a reçu les
9 mêmes ordres que j'avais reçus. Ensuite, le véhicule est parti vers une
10 direction inconnue. La voiture a roulé pendant un certain temps. A un
11 moment donné, le véhicule s'est arrêté. Ils nous ont fait sortir de ce
12 véhicule. La nuit était déjà tombée. Il y avait des torches. Nous sommes
13 entrés chez quelqu'un. Il y avait une grille de fer. La maison se trouvait
14 à quelque 20, 30 ou 50 pas de l'endroit où ils nous ont fait sortir de la
15 voiture. Ils nous ont emmené dans la maison. Je ne savais pas très bien où
16 nous nous trouvions à l'époque. Je pense que nous étions assez loin de
17 Travnik, puisque le parcours avait duré assez longtemps.
18 Lorsqu'ils nous ont amené dans la maison, ils nous ont placé dans une
19 pièce. Lorsque j'ai pénétré dans cette pièce, j'ai remarqué qu'il y avait
20 d'autres personnes dans la pièce. J'ai reconnu immédiatement Dragan
21 Popovic, le professeur Ivo Rajkovic, et puis il y avait une troisième
22 personne que je ne connaissais pas à l'époque. Cette personne était
23 mineure. Il s'appelait Dalibor Adzaip.
24 Lorsque nous nous trouvions dans cette salle, Popovic, Kazimir et moi-même
25 sommes entrés dans la salle, et c'est là que les passages à tabac ont
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1 commencé. Je pense que c'est Popovic qui a reçu le plus de coups. J'ai
2 remarqué que la personne qui organisait le passage à tabac était très, très
3 bien formée dans le domaine du karaté. Il s'agissait d'un Arabe, alors que
4 le groupe de soldats nous donnaient des coups de pied ou nous donnaient des
5 coups de poing, cela dépendait. Puis, le passage à tabac s'est terminé. On
6 nous a demandé d'enlever nos montres, nos bagues, nos chaussures, la veste
7 que je portais, par exemple. Ils ont pris tout cela et ils nous ont laissé
8 habillé tout simplement de nos chemises, en chaussettes. Puis, ils nous ont
9 attaché avec une sorte de corde et ils nous ont emmené, finalement, une
10 couverture sur laquelle nous nous sommes assis. Puis, cet Arabe est arrivé
11 à nouveau. Il nous a donné des surnoms à tous d'après notre apparence
12 physique. Nous étions tous des porcs, certains étaient des petits porcs,
13 d'autres des gros porcs, d'autres, un port maigre, un porc serbe. Voilà le
14 genre de surnoms qu'il nous donnait. Puis, le passage à tabac s'est
15 poursuivi et si vous n'étiez pas en mesure de dire que vous étiez un gros
16 ou un petit porc, le passage à tabac continuait. Si vous saviez que dire,
17 le passage à tabac s'arrêtait.
18 Q. Monsieur Fisic, est-ce que je peux me permettre de vous interrompre
19 pour vous poser un certain nombre de questions à titre de précisions. Les
20 trois personnes qui se trouvaient détenues dans le même bâtiment que vous,
21 en d'autres termes, ceux que vous avez mentionnés, Dragan Popovic, le
22 professeur Ivo Rajkovic, et Dalibor Adzaip, qu'elle était leur appartenance
23 ethnique ?
24 R. Je suis Croate, Rajkovic est Croate, Popovic était issue d'un mariage
25 mixte et Dalibor Adzaip également était issu d'un mariage mixte. Son père
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1 est Serbe et sa mère est Croate. Je ne sais pas ce qu'avaient déclaré les
2 deux derniers pour ce qui est de leur appartenance ethnique. En fait,
3 Dragan Popovic est également issu d'un mariage mixte, son père est Serbe et
4 sa mère est orthodoxe.
5 Q. Pourriez-vous répéter, je vous prie, et préciser l'appartenance
6 ethnique de M. Dragan Popovic et de la mère de M. Popovic ?
7 R. Elle était Croate.
8 Q. Vous souvenez-vous de la profession de M. Dragan Popovic à l'époque où
9 vous vous trouviez avec lui ?
10 R. Dragan Popovic est économiste. A l'époque, il était le directeur
11 financier de la société Sebesic Somartso [phon]. Avant cela, il avait été
12 membre de la force de réserve de la police d'après la structure de la
13 police.
14 Q. Vous et les autres personnes dont vous avez parlé qui ont été détenues
15 avec vous, où habitaient-elles avant leurs arrestations ?
16 R. Nous vivions tous dans ce quartier de Travnik, c'est-à-dire, dans les
17 quartiers de Zvijezda, Amerikanka. C'est un complexe urbain qui couvre à
18 peu près 400 mètres de long. Nous nous connaissions tous pendant la guerre
19 et d'ailleurs déjà avant la guerre.
20 Q. Monsieur Fisic, vous avez parlé d'un Arabe et vous avez parlé de
21 soldats qui se trouvaient là et qui frappaient les prisonniers. Vous
22 rappelez-vous à quelle armée appartenaient ces soldats ?
23 R. A ce moment-là, je ne savais pas mais plus tard, j'ai appris qu'il
24 s'agissait des forces d'El Mujahed qui se trouvaient regroupées dans un
25 camp où il y avait un certain nombre de citoyens étrangers mais également
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1 des gens de la région. Il s'agissait d'une unité militaire.
2 Q. Vous avez décrit les passages à tabac, Monsieur Fisic, que vous avez
3 subis. Pouvez-vous, je vous prie, poursuivre maintenant votre récit en
4 détail.
5 R. Quand ils pénétraient dans la salle où nous nous trouvions et cela a
6 duré jusqu'à la moitié de la nuit, en tout cas, c'est ce que je pense, mais
7 ils nous frappaient un peu partout. Certains à la tête, d'autres dans le
8 dos, mais la seule exception, c'était Dragan Popovic qui, en général, était
9 frappé de manière quasi-professionnelle par cet Arabe.
10 Un peu après minuit, les passages à tabac dans notre pièce ont cessé mais
11 j'ai commencé à entendre des gémissements et des cris venant de la pièce
12 voisine. J'ai reconnu la voix d'un de mes voisins qui s'appelle Zvonko, un
13 ancien collègue à moi, qui avait été arrêté en même temps que le prêtre de
14 la paroisse de Travnik. Tout cela se passait avant notre arrestation. Le
15 prêtre de la paroisse de Travnik avait été arrêté ainsi que des
16 responsables de Caritas et des religieuses avant nous. A partir de ce
17 moment-là, ces hommes ont fait irruption dans la pièce où nous nous
18 trouvions et les bruits venant de la pièce voisine ont cessé. C'était
19 vraiment pénible d'entendre ces bruits de torture dans la pièce d'à côté
20 ainsi que les gémissements et les cris. La nuit du 18 au 19 octobre 1993,
21 s'est passée de cette façon-là.
22 Q. Suis-je en droit de comprendre, Monsieur Fisic, que tous les
23 prisonniers qui étaient détenus avec vous ont été frappés à des degrés
24 divers ?
25 R. Popovic a été terriblement plus frappé que nous. C'est Popovic qui a
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1 subi les tortures les plus importantes, toutes sortes de coups très
2 violents.
3 Q. Les coups que vous avez subis ont-ils entraîné des lésions chez vous ?
4 R. Bien sûr. Je dois dire une chose, c'est que le lendemain, c'est le
5 mercredi 19, nous avons dû quitter la pièce où nous nous trouvions pour
6 aller dans l'autre pièce où se trouvait auparavant le collègue dont j'ai
7 parlé, mais il n'était plus là. En entrant dans cette pièce, j'ai vu du
8 sang sur les murs. La pièce était dans l'obscurité car il y avait un rideau
9 noir qui cachait la fenêtre. Nous étions passés de la salle où nous nous
10 trouvions avant, dans cette autre pièce, et nous n'y avons trouvé ni le
11 prêtre de la paroisse qui s'appelle Vinko, ni aucun des autres hommes qui
12 s'y étaient trouvés auparavant. Nous y sommes restés jusqu'à tard dans la
13 nuit. La deuxième nuit, nous avons subi quelques passages à tabac mais
14 moins que la veille. Cette nuit du mercredi au jeudi, 20, s'est écoulée de
15 cette façon.
16 Le matin très tôt, le jeudi, 20, la porte s'est ouverte, et cet Arabe dont
17 j'ai déjà parlé, m'a montré du doigt en me disant qu'il fallait que je
18 sorte de la pièce. Il en a appelé également d'autres, et nous avons tous
19 été attachés à l'aide d'une ficelle et nous sommes sortis de la maison.
20 A la sortie de la maison, j'ai remarqué un "sticker" que les catholiques
21 ont l'habitude de coller sur le mur au moment de fêtes telle que Noël, par
22 exemple, le 6 janvier. Je ne savais pas exactement où je me trouvais, mais
23 je pouvais le deviner.
24 On nous a fait sortir de la maison et on nous a emmenés de l'autre côté de
25 la route jusqu'à un pré. Nous marchions dans ce pré et nous étions entourés
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1 de soldats en uniforme qui ont fini par former un demi-cercle. Nous, nous
2 étions quatre parce que le professeur Rajkovic n'était pas avec nous. Il y
3 avait simplement Popovic, Fisic et Adzaip ainsi que Kazimir Pobric, donc
4 quatre. Les soldats ont formé un demi-cercle, et alors que nous arrivions
5 sur le pré, ils ne cessaient de crier "Tekbir", "Allah-U-Ekber," et
6 d'autres slogans, mais je ne comprenais pas tout ce qu'ils disaient. Nous
7 avions déjà subi pas mal de sévices. Je ne vais pas entrer dans les
8 détails.
9 Mais finalement, nous avons été amenés au bout de ce demi-cercle, et j'ai
10 remarqué qu'une tombe avait été creusée par deux ou trois hommes sans
11 doute, en tout cas, au moins deux. Il y avait un Arabe qui se tenait debout
12 là, un Arabe en uniforme, et c'est celui qui lançait les slogans d'une voix
13 très haute penchée. Tous les soldats criaient. J'avais les mains ligotées.
14 Popovic était le dernier de la file. Ils m'ont détachés les mains en
15 donnant la corde qui m'avait lié les mains à un soldat qui formait le demi-
16 cercle. A ce moment-là, sur la route, j'ai vu un véhicule arrivé que
17 j'avais déjà vu à Travnik auparavant. Il avait des vitres teintés, et il
18 s'est arrêté un peu en sur plan, de façon à ce que les passagers puissent
19 voir ce qui se passait en dessous. Nous avons tous été détachés, et à ce
20 moment-là, on a fait avancer Popovic avec une grande violence, bien
21 entendu, et on lui a ordonné de se coucher sur la terre.
22 A ce moment-là, les soldats ont commencé à sauter sur lui. L'Arabe dont
23 j'ai parlé, a dit à Hasan de faire un pas en avance, ce qu'Hasan a fait. A
24 ce moment-là, quelqu'un lui a tendu un couteau et, ensuite, il a tranché la
25 gorge de Popovic qui gisait sur le sol, sous la botte d'un soldat. Je
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1 n'étais pas tout près, mais j'ai vu qu'Hasan a eu du mal à accomplir sa
2 tâche et qu'il ne l'a, pas achevé. Un autre soldat, à ce moment-là, s'est
3 approché du corps, un homme très corpulent et très fort, qui a fini de
4 trancher la gorge de Popovic d'une façon particulièrement violente. J'ai
5 beaucoup de mal à décrire d'ailleurs ce qui s'est passé à ce moment-là.
6 Une fois que la tête de Popovic a été séparée de son corps, l'Arabe dont
7 j'ai parlé, a apporté la tête de Popovic jusqu'à moi et m'a forcé à
8 l'embrasser sur le visage. Voilà ce qui s'est passé.
9 Puis ensuite, le cadavre, enfin, le corps, le tronc et la tête, ont été
10 placé dans la tombe en même temps que le couteau qui avait servi à ce
11 massacre, et tout cela d'une façon rituelle parce que le soldat a placé le
12 couteau d'une façon particulière par rapport à la position du corps.
13 Ensuite, on nous a ordonné de combler la tombe avec nos mains et nos pieds.
14 Pendant tout ce temps-là, les soldats n'ont pas cessé de hurler. Toute la
15 vallée de la Lasva résonnait de ces cris et de ces hurlements. Ensuite, les
16 soldats sont approchés de moi et ils m'ont tordu le bras dans le dos et
17 m'ont emmené jusqu'à la maison d'où nous étions sortis peu avant.
18 Alors que je retournais vers la maison, je descendais une pente et j'ai
19 remarqué l'école de Guca Gora. J'ai vu aussi le tas de sable
20 caractéristique de cette localité. J'ai supposé que nous étions dans la
21 région de Mehurici, au nord de la municipalité de Travnik. Je ne savais pas
22 quel était le nom du village mais, par la suite, j'ai appris qu'il
23 s'agissait d'Orahovac, et plus précisément du hameau de Bobasi. C'est
24 accompagné des enquêteurs que, par la suite, que j'ai appris que le cadavre
25 de Popovic avait été enterré dans cette région et, plus précisément, dans
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1 de village d'Orahovac. Que c'était le nom du hameau où l'exécution s'est
2 déroulée. Bobasi, avec le terril de sable caractéristique, tout cela
3 faisant partie de la communauté locale de Mehurici. Je connaissais
4 Mehurici, mais je ne connaissais pas les différents hameaux de la
5 communauté locale.
6 Je suis retourné dans la maison et, alors que je marchais vers la maison,
7 le soldat qui me gardait, m'a dit : "Demain, ce sera ton tour. C'est ce que
8 nous avons prévu pour toi". On nous a replacés dans la même pièce où nous
9 nous trouvions auparavant. Kazimir Pobric a dû expliquer en détail le
10 rituel. Chaque fois qu'il omettait un détail important, il était frappé et
11 devait reprendre son récit depuis le début. Il a raconté l'histoire à
12 Rajkovic, qui n'était pas présent pendant l'exécution.
13 Q. Je me permettrais de vous arrêter, Monsieur Fisic, en vous demandant si
14 vous vous rappelez combien de soldats étaient présents lorsque cette
15 décapitation rituelle de M. Dragan Popovic a eu lieu.
16 R. Je pense qu'ils étaient au moins 50 membres de cette unité présents sur
17 les lieux, peut-être même davantage.
18 Q. Monsieur Fisic, vous avez décrit l'endroit où tout cela s'est passé
19 comme vous le pouviez.
20 M. WITHOPF : [interprétation] Mais j'aimerais maintenant, avec
21 l'autorisation du Président de la Chambre, soumettre au témoin une
22 photographie, et nous recourrons à la technique informatique habituelle.
23 J'indique également que nous disposons d'un certain nombre de copies papier
24 qui seront distribuées aux personnes présentes dans le prétoire.
25 J'aimerais qu'une copie papier soit remise également au témoin. J'indique
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1 aux Juges de la Chambre et au conseil de la Défense que ce sont des
2 photographes du service de polices scientifiques néerlandais qui ont pris
3 ces photographies durant l'année 2002.
4 Q. Monsieur Fisic, pourriez-vous, je vous prie, dire aux Juges de cette
5 Chambre ce que l'on distingue sur cette photographie.
6 R. Je vous demande de me remettre un marqueur. Si vous en avez un pour que
7 je puisse annoter certaines choses sur la photographie.
8 M. WITHOPF : [interprétation] Que l'on remette un marqueur au témoin, je
9 vous prie.
10 Q. Avant que vous n'annotiez la photographie, M. Fisic, je vous
11 demanderais d'abord de nous dire ce que l'on distingue sur cette
12 photographie.
13 R. Je vois sur cette photographie l'endroit où nous étions, que j'ai pu
14 voir à nouveau lorsque j'ai apporté mon aide aux enquêteurs, afin de leur
15 montrer où le cadavre de M. Popovic avait été enterré. Ce jour-là, j'ai eu
16 la possibilité de regarder plus en détail les lieux, en tout cas, davantage
17 que le jour où j'ai assisté à l'exécution dont j'ai parlé. Je reconnais le
18 bâtiment où nous avons été maintenus en détention.
19 Q. Pour que tout soit clair, je vous demanderais si l'on voit sur cette
20 photographie, le lieu où M. Popovic a été décapité ?
21 R. Je ne peux pas être totalement précis, mais je pense que c'est à
22 travers ce pré que nous avons marché. Ici, vous voyez une ruine, et à côté
23 l'endroit où se trouvait le véhicule dont j'ai parlé. Ici, le lieu de
24 l'exécution. Tout cela est distant de 300 à 400 mètres. En haut, à gauche,
25 c'est le hameau de Pese, à droite, le hameau de Bobasi. Je vois aussi cet
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1 ensemble relativement important, dont j'ai appris plus tard qu'il
2 s'agissait du camp d'entraînement des Moudjahiddines. Ce bâtiment que vous
3 voyez là, appartenait à un berger qui gardait son troupeau au moment où je
4 me trouvais là-bas. C'est tout ce que je reconnais sur cette photographie.
5 Q. Monsieur Fisic, vous avez annoté un certain nombre d'endroits sur la
6 photographie. Pourriez-vous, je vous prie, indiquer quels sont les
7 différents bâtiments, ainsi que le lieu de l'exécution, et les annoter à
8 l'aide de chiffres allant de 1 à 4 ou 5.
9 R. Numéro 1, c'est le bâtiment où nous nous trouvions; numéro 2, c'est une
10 maison devant laquelle s'est déroulé l'exécution; numéro 3, c'est la
11 portion de la route couverte par le véhicule dont j'ai parlé, ce véhicule
12 dans lequel se trouvaient des personnes qui ont assisté à l'exécution; le
13 numéro 4, c'est le camp des Moudjahiddines, cette maison qui appartenait à
14 un berger qui gardait son troupeau dans la région.
15 Q. Pouvez-vous, je vous prie, écrire ce que signifie ces chiffres au bas
16 de la photographie ?
17 R. [Le témoin s'exécute]
18 Q. Monsieur Fisic, étant donné que j'ai très peu de connaissances de la
19 langue croate, je vous demanderais de nous dire ce que vous avez écrit.
20 R. Au niveau du numéro 4, j'ai écrit, bâtiment où se trouvait "le camp des
21 Moudjahiddines," nouvelle construction qui n'existait pas avant le conflit,
22 construite pendant le conflit --
23 Q. Monsieur Fisic, je vous demande simplement un éclaircissement, à
24 savoir, ce que vous avez écrit, mais sans explication complémentaire.
25 Veuillez simplement lire ce que vous avez écrit.
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1 R. Numéro 1, "La maison où nous nous trouvions." Numéro 2, "La maison
2 devant laquelle a eu lieu l'exécution." Numéro 3, "L'endroit où se trouvait
3 le véhicule." Numéro 4, "Le camp des Moudjahiddines."
4 Q. Merci beaucoup, Monsieur Fisic.
5 Cet espace que l'on voit sur la photographie, correspond-t-il exactement à
6 la dénomination de Guca Gora ?
7 R. Non, pas vraiment. Parce que Guca Gora, c'est l'ensemble de la
8 localité. Ici, le lieu précis s'appelle Mehurici. Guca Gora, c'est un
9 endroit un peu différent.
10 Q. Monsieur Fisic, je vous demanderais de signer et de dater la
11 photographie sur laquelle vous venez d'apposer un certain nombre
12 d'annotations.
13 R. Le 29 ou le 30, on est le combien ?
14 Q. Monsieur Fisic, nous sommes le 30 janvier, aujourd'hui.
15 R. [Le témoin s'exécute]
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, donnez-moi un numéro
17 définitif.
18 M. WITHOPF : [interprétation] L'Accusation demande le versement au dossier
19 de cette photographie, effectivement.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : On veut avoir un numéro.
21 M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, il s'agira de la
22 pièce P52.
23 M. WITHOPF : [interprétation] Merci beaucoup.
24 Avec votre permission, Monsieur le Président, j'aimerais poursuivre
25 l'interrogatoire principal pendant encore quelques minutes avant la pause,
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1 si c'est possible. Merci.
2 Q. Monsieur Fisic, vous avez parlé des coups que vous-même et les autres
3 détenus avec lesquels vous vous trouviez, avez reçus au cours de votre
4 détention. Vous avez montré à quel endroit vous aviez été détenus sur la
5 photographie. Quel a été le résultat de ces passages à tabac pour vous ?
6 Souffrez-vous de lésions graves ?
7 R. Je peux vous dire comment je me sentais. Nous n'avons reçu aucuns soins
8 médicaux. C'est au niveau de la tête que j'ai reçu le nombre le plus
9 important de coups. D'ailleurs, je saisis l'occasion qui m'est donnée pour
10 demander que quelqu'un, un spécialiste, m'examine ici, parce que j'ai
11 toujours des douleurs à la tête. J'ai eu la tête frappée sur le mur. J'ai
12 eu des côtes fracturées, des contusions sur tout le corps. J'étais couvert
13 d'hématomes. Maintenant, quelle est la gravité précise de ces lésions, je
14 n'en sais rien. Je ne pouvais me plaindre à personne. Personne ne m'a posé
15 la question jusqu'au jeudi suivant. Le 4 octobre, c'est la première fois
16 que quelqu'un m'a demandé quel était mon état et ce, officiellement. Entre-
17 temps, pratiquement toutes les nuits, un Arabe pénétrait dans la pièce où
18 nous nous trouvions pour parler. Il ne faisait que parler, il ne frappait
19 pas. Le jeudi, ensuite il y a eu le vendredi --
20 Q. Monsieur Fisic, je me permets de vous interrompre et je vous pose la
21 dernière question avant la pause. Vous venez de dire aux Juges de la
22 Chambre que vous aviez eu des côtes fracturées. Qu'en est-il de votre nez ?
23 R. C'était le résultat de la première nuit. J'avais le devant de la
24 chemise couvert de sang. Je n'ai pas pu me changer, et j'ai eu des os
25 brisés sur la face. Je ne sais pas exactement ce qu'il en était. Je suis un
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1 homme assez fort. Je supporte assez bien les coups. En tout cas, j'avais
2 pas mal saigné, et les traces de sang sont restées sur ma chemise jusqu'au
3 4 octobre. Nous n'avons pas eu la possibilité de nous baigner ou nous
4 débarbouiller. Nous n'avions aucune condition d'hygiène.
5 Q. Merci Monsieur Fisic, ce sera tout pour le moment.
6 M. WITHOPF : [interprétation] Je propose que la pause ait lieu maintenant
7 avant la suite de l'interrogatoire principal.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Nous allons interrompre l'audience pendant 25
9 minutes. L'audience reprendra à 11 heures moins 05. Monsieur le Témoin,
10 vous allez être conduit dans une salle où vous allez pouvoir vous reposer,
11 et nous reprendrons exactement dans 25 minutes.
12 --- L'audience est suspendue à 10 heures 29.
13 --- L'audience est reprise à 10 heures 58.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Nous allons reprendre l'interrogatoire principal.
15 Monsieur Withopf vous avez la parole.
16 M. WITHOPF : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.
17 Q. Monsieur Fisic, avant la pause vous avez informé la Chambre de première
18 instance que vous ne pouviez pas laver votre visage et puis que les
19 conditions hygiéniques étaient inexistantes, et puis vous avez informé
20 également les Juges de la Chambre que certainement un os de votre nez avait
21 été cassé.
22 Est-ce qu'en conséquence des passages à tabac vous avez perdu connaissance
23 à un moment donné ?
24 R. Cela m'est arrivé le 20 dans l'après-midi lorsqu'on m'a fait sortir de
25 cette pièce dans le couloir de cette maison, ce Hasan s'est approché de
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1 moi, et puis le sanguinaire qui a terminé l'exécution. Ils m'ont forcé à
2 reconnaître lequel des deux qui avait commis cela. Moi, vraiment, je savais
3 qui l'avait fait et je savais que c'était les deux. Je les ai reconnus,
4 mais j'avais décidé de ne pas l'avouer. Je pensais que c'était mieux pour
5 moi. Comme je n'ai pas dit que je les reconnaissais en tant que personnes
6 qui avaient commis cela, ils me passaient à tabac.
7 Hasan était plutôt petit et maigre, et ces coups n'étaient pas tellement
8 violents. Cependant, à un moment donné, l'autre personne qui était très
9 costaud, le sanguinaire, il a dit, "Maintenant l'Oustachi va voir comment
10 je bats." Effectivement, il m'a frappé tellement fort que je suis tombé par
11 terre. Lorsque je me suis relevé, j'ai été dans une pièce dans laquelle il
12 y avait d'autres détenus. Je ne sais pas pendant combien de temps j'étais
13 resté allongé à même le sol, et au bout de combien de temps j'avais repris
14 connaissance. Je ne sais pas encore aujourd'hui. C'est le pire passage à
15 tabac que j'ai reçu ce jeudi-là dans l'après-midi.
16 Dans la soirée, je n'ai pas été soumis au mauvais traitement particulier.
17 Mais au contraire, l'un des locaux, je pense qu'il s'appelait Muradif, je
18 pense qu'il était de Kakanj, et je pense qu'il ait eu pitié de moi. En
19 cachette, vraiment en cachette il m'a donné un demi litre de lait, et puis
20 il a dit que je devrais faire attention et cacher cela vraiment très bien.
21 Ceci m'a beaucoup aidé, parce que c'était un acte vraiment humain. Cela
22 c'était la nuit entre jeudi et vendredi.
23 Le vendredi, 21, la journée n'était pas tellement difficile en ce qui
24 concerne les passages à tabac. Puis nous avons reçu des repas dans des
25 petits plats. Je ne sais pas si on n'avait vraiment besoin de cela ou pas,
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1 cela est une autre question. Mais on recevait des repas, et de toute façon,
2 le professeur Rajkovic, à un moment donné, on l'a fait sortir de notre
3 cellule pour qu'il subisse un interrogatoire. Lorsqu'il est revenu il a dit
4 que quelqu'un était venu de Travnik. Il ne l'avait pas reconnu. Il ne
5 savait pas qui c'était, et il n'avait pas le temps de nous dire qui
6 c'était. A ce moment-là, on m'a demandé que j'aille parler avec quelqu'un.
7 Q. Je vais vous interrompre là, Monsieur Fisic. Vous avez informé la
8 Chambre de première instance du fait que vos côtes avaient été cassées.
9 Vous avez parlé également de l'os de votre nez qui était cassé. Est-ce que
10 vous pourriez dire à la Chambre de première instance s'il est arrivé
11 quelque chose à vos mains ?
12 R. Je pense que cela s'est passé ce vendredi-là. L'un de ces gardes était
13 vraiment méchant. Il disait toujours qu'il venait de la région de Maglaj,
14 qu'il avait été expulsé par les Croates et que le traitement que les
15 Croates qui lui avaient réservé était bien pire que celui qu'il nous avait
16 réservé à nous. A un moment donné, il nous a donné une sorte de matraque ou
17 de bâton pour que je frappe Rajkovic et vice versa, mais après j'ai compris
18 qu'il s'agissait plutôt d'une barre métallique. Je l'ai pris. J'ai brûlé ma
19 main. Après il n'insistait pas pour que je reprenne cela du sol. C'était
20 pratiquement une plaisanterie de sa part. C'était pour lui un petit détail.
21 C'était typiquement le genre de chose qu'il faisait. Mais ce garde, il
22 était très brutal vis-à-vis de tout le monde. Voici ce qui est arrivé en ce
23 qui concerne mes mains.
24 Q. Monsieur Fisic, est-ce qu'à un moment donné vous avez été transféré
25 ailleurs ?
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1 R. Je vais terminer en ce qui concerne cet entretien qui a eu lieu le
2 vendredi. Je n'ai pas pu le terminer. Je n'étais pas vraiment concentré,
3 mais je me souviens de certains détails. La personne qui interrogeait
4 c'était un local. Je ne le connaissais pas bien. Il m'a demandé qui étaient
5 les Croates éminents de Travnik, et en particulier, il m'a demandé où se
6 trouvait Mme Saric qui était une enseignante. Je n'ai pas pu répondre à
7 cette question. Puis il m'a demandé, "Les autres Croates de renom ?"
8 Ce qui est important, c'est de savoir Kazimir Pobric est allé subir le même
9 type d'interrogatoire. Après cet interrogatoire, il n'était plus avec nous
10 dans le camp. J'ai appris, on m'a dit, qu'il est retourné à Travnik.
11 Effectivement, c'était le cas. Il est rentré à Travnik ce vendredi-là.
12 Vendredi était une journée plutôt normale et à partir de ce jour-là,
13 jusqu'à notre retour à Travnik, les mauvais traitements n'étaient pas aussi
14 important qu'avant. En fait, de temps en temps, il y avait certaines
15 personnes plus brutales que les autres.
16 Q. Je vais vous interrompre. Au cours de la période pendant laquelle vous
17 avez été détenue, pendant laquelle vous avez subi des sévices, est-ce que
18 qui que ce soit a essayé d'informer qui que ce soit au pouvoir, en votre
19 nom, concernant votre enlèvement ?
20 R. Oui. S'il vous plaît, n'insistez pas pour que je dise le nom et le
21 prénom. C'était un de mes amis qui, à l'époque, exerçait des fonctions
22 importantes sur le plan professionnel à Zenica. Il a trouvé le moyen pour
23 vérifier où nous étions. Il a informé ma femme que je n'avais pas été
24 exécuté, ce jeudi-là. Mais, s'il vous plaît, je souhaite que les choses se
25 passent de manière correcte et n'insistez pas pour que je dise son nom et
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1 son prénom. Mais il a trouvé le moyen d'obtenir l'accès, de contacter les
2 Moudjahiddines, d'avoir accès au camp et de vérifier si nous étions encore
3 vivants.
4 Q. Est-ce que votre femme ou qui que ce soit d'autre a contacté qui que ce
5 soit dans le but d'essayer d'obtenir votre libération ?
6 R. Oui. Un médecin de Travnik qui, tout comme cet ami de Zenica, a pu
7 obtenir certaines informations. Il est venu une nuit, la nuit peut-être de
8 vendredi à samedi, et il a informé ma femme du fait que j'étais encore
9 vivant et je n'avais pas été exécuté. C'est un médecin. C'est la deuxième
10 personne qui a pu réjouir ma femme avec une bonne nouvelle comme cela.
11 Q. Est-ce que votre épouse a fait des efforts afin d'obtenir votre
12 libération ?
13 R. Oui. Mon épouse et ma femme étaient à Travnik, dans leurs appartements.
14 Elles ont toute essayé auprès des représentants internationaux à Travnik,
15 puis les représentants politiques locaux, les gens de la police comme M.
16 Alagic et Cuskic de même qu'auprès des commandants militaires, également
17 comme Alagic et Cuskic. Je dois dire que ces représentants militaires,
18 notamment, messieurs Alagic et Cuskic, ils ont fait tout ce qu'ils
19 pouvaient afin d'aider mon épouse. Je sais que de nombreux citoyens de
20 Travnik ont demandé que l'on clarifie notre situation, notamment, en ce qui
21 concerne moi-même et Dragan Popovic. Cette coopération entre ces forces-là
22 a une très bonne réaction, bonne ambiance. Alagic et Cuskic, ils ont
23 entrepris certaines mesures et ils ont informé ma femme de ce qu'ils
24 faisaient afin d'obtenir notre libération du camp.
25 Je souhaite souligner également que ceci a duré du 20 au 4, ces efforts à
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1 nous faire libérer, la pression qui était exercée afin d'obtenir notre
2 libération de ce camp.
3 Q. Monsieur Fisic, est-ce que votre épouse et votre sœur ont informé M.
4 Alagic et les autorités militaires de l'endroit où se trouvait le camp où
5 vous étiez détenu ?
6 R. Oui. Ils considéraient que nous étions la communauté locale de
7 Mehurici. Ils disaient toujours que c'est dans ces hameaux-là qu'ils
8 pouvaient nous trouver. Ma femme a réussi à obtenir l'information que
9 c'était possible que messieurs Alagic et Cuskic puissent le faire
10 puisqu'ils avaient déjà libéré un de leurs membres qui avait été détenu par
11 ces unités de Moudjahiddines. Elles se disaient que s'ils avaient réussi à
12 faire libérer cette personne, ils pouvaient le faire pour les autres. Ils
13 avaient suffisamment d'influence. Cette information que ma femme avait
14 obtenue a surpris Alagic et Cuskic. Ils se demandaient comment elle le
15 savait. Ils insistaient pour qu'elle le dise mais ma femme ne souhaitait
16 pas révéler ses sources, mais elle insistait pour qu'ils disent si c'était
17 la vérité ou pas. Si ceci n'est pas vrai, elle allait retirer sa demande
18 mais si c'était vrai, elle a dit qu'ils devaient prendre les mêmes mesures
19 afin d'obtenir notre libération. Effectivement, ils ont fait les mesures
20 nécessaires afin d'obtenir notre libération.
21 Le 4 avril, on m'a fait sortir de ma pièce. On m'a fait entré dans une
22 autre pièce où j'ai subi un interrogatoire. Le tout ressemblait à un procès
23 devant un tribunal avec les personnes qui s'y trouvaient.
24 Q. Monsieur Fisic, passons à votre transfert. Vous nous avez dit que le 6
25 novembre 1993, le samedi, vous avez été transféré à Travnik de nouveau ?
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1 R. Oui, le 6 novembre 1993. Je dois dire cette date-là, c'est la date de
2 mon anniversaire ou proche de cette date puisque c'était le 2. On m'a
3 emmené à Travnik et tout le monde était surpris d'ailleurs parce que notre
4 transfert d'Orasac à Travnik a duré du 4 au 5, lorsque le feu M. Alagic a
5 informé ma femme, le 5, vers 18 heures que vraiment, il n'y avait plus
6 d'espoir de notre libération et qu'ils ne pouvaient plus rien faire. Il a
7 dit : "Maintenant, je ne peux plus rien faire pour sauver votre époux et
8 les autres qui sont détenus avec vous."
9 Le samedi, le 6 novembre, on nous a conduit dans la caserne. C'était une
10 caserne qui existait bien avant la guerre, même pendant le règne austro-
11 hongrois. On m'a emmené là. J'avais les yeux bandés et là, ils m'ont emmené
12 au sous-sol là où se trouvait la prison réservée pour les membres de l'ABiH
13 qui s'étaient rendus coupable de quelque chose et qui étaient emprisonnés.
14 Puis, il y avait un groupe de dix, je pense, membres du HVO qui de manière
15 différente étaient emprisonnés, d'abord capturés, ensuite emprisonnés par
16 l'ABiH. Vers 12 heures 30, le 6 novembre, ils m'ont conduit à cet endroit
17 dans un véhicule tout-terrain. Ils ont délié mes mains et ils ont enlevé la
18 bande qui était sur mes yeux et ils m'ont pris. Ils m'ont emmené dans une
19 autre pièce et j'y ai vu le professeur Rajkovic qui était en train de
20 pleurer et un membre de l'ABiH que je ne connaissais pas. Il était assis
21 sur une chaise et il a expliqué quelque chose au professeur Rajkovic
22 concernant notre arrestation.
23 Lorsque je suis entré dans cette pièce, un membre m'a appelé en citant mon
24 nom. Il m'a dit, "Vous ne devez plus avoir peur. Vous êtes entre de bonnes
25 mains maintenant. Plus rien ne va vous arriver". Mais j'avais mes soupçons.
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1 Je lui ai dit, "Qui êtes-vous ? Comment pouvez-vous me promettre ce genre
2 de choses ?" Il m'a dit, "Je suis Salko Beba." J'avais entendu parler de
3 Salko Beba, mais je ne le connaissais pas personnellement. Ensuite, je lui
4 ai demandé si c'était le cas. "Si tout va bien ici, est-ce que vous pouvez
5 en informer ma famille ? Mon épouse et ma sœur, est-ce que nous pouvons les
6 informer du fait que je suis ici ? Est-ce que vous pouvez leur dire que je
7 suis dans cette caserne ?" Il a fait cela. Je dois souligner qu'avant cela,
8 Alagic avait déjà informé ma famille que j'y étais arrivé, et puis il a
9 félicité ma femme à cause de mon anniversaire. Cela est en ce qui concerne
10 le jour de mon arrivée.
11 Q. Monsieur Fisic, vous parlez de la caserne de Travnik. Pour clarifier
12 les choses, est-ce que vous pouvez nous dire s'il s'agissait-là de
13 l'ancienne caserne de la JNA à Travnik ?
14 R. Oui, c'est l'ancienne caserne de la JNA. C'est une enceinte que l'on
15 appelait la caserne et qui est constitué de plusieurs bâtiments.
16 Q. Très bien. Vous avez mentionné un certain individu qui répondait au nom
17 de Salko Beba, que vous avez rencontré au cours de votre détention dans
18 l'ancienne caserne de la JNA à Travnik. Est-ce que vous pourriez informer
19 les Juges de la Chambre de la position de M. Salko Beba à l'époque, de ses
20 fonctions au moment où vous l'avez rencontré ?
21 R. Je peux dire avec certitude qu'à l'époque il était l'adjoint d'Alagic,
22 chargé de la sécurité. Je l'ai appris au bout de deux, trois jours parce
23 que je suis allé le voir pour subir un interrogatoire ou faire une
24 déclaration.
25 Q. Cette déclaration que vous avez faite auprès de lui portait sur quoi ?
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1 R. M. Salko Beba m'a fait venir dans son bureau, qui faisait partie de
2 l'enceinte de cette caserne, et il voulait savoir tout ce qui nous était
3 arrivés à partir du moment de notre arrestation, et puis en ce qui concerne
4 également les conditions qui régnaient là où on avait été détenus. Je lui
5 ai répondu en donnant même plus de détails qu'ici aujourd'hui. Il m'a
6 écouté jusqu'au moment de l'exécution, Il écoutait avec attention. Il y
7 avait un secrétaire qui prenait note de tout cela, qui faisait un procès-
8 verbal. A ce moment-là, il a sauté, il est sorti de la pièce, furieux,
9 plutôt excité. Il nous a laissés derrière, tout comme le secrétaire. Il
10 n'est jamais revenu pour finir cette déclaration. Une autre personne qui
11 travaillait avec lui, qui s'appelait Jasmin, a continué à prendre cette
12 déclaration. J'ai fait cette déclaration de manière semblable à celle dont
13 je le fais ici aujourd'hui.
14 Q. Monsieur Fisic, est-ce que vous avez pu informer M. Salko Beba,
15 l'officier chargé de la sécurité auprès de M. Alagic, des faits et des
16 circonstances liés à la décapitation de M. Popovic ?
17 R. Oui, en détails. J'ai expliqué à Salko en détails. C'est la dernière
18 chose qu'il a écoutée.
19 Q. Avez-vous également informé d'autres individus des expériences que vous
20 avez vécues dans le centre de détention de la région d'Orasac ?
21 R. Lorsque nous avons demandé d'être reçus par M. Fikret Cuskic afin qu'il
22 puisse nous expliquer pourquoi nous étions là, pourquoi nous faisions
23 maintenant partie du groupe de détenus croates ou des membres du HVO, nous
24 avons été reçus par M. Cuskic, qui était très gentil et très humain. I nous
25 a dit que vraiment, en ce qui le concerne, il n'avait rien contre nous,
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1 qu'il avait reçu l'ordre de nous accueillir. Mais il nous a promis qu'au
2 bout de cinq jours maximum, nous n'allions plus faire partie du groupe de
3 détenus appartenant au HVO.
4 A ce moment-là, nous ne sommes pas entrés dans tous les détails, mais nous
5 avons quand même raconté les éléments les plus importants de ce qui nous
6 était arrivé. Il a écouté cela et, à mon avis, il n'était pas très content
7 de l'entendre, mais nous avons quand même raconté cela. Et il a dit, "Je
8 n'en peux plus, en ce qui concerne certaines des unités ici. Je vais
9 clarifier des choses, ou sinon je vais partir. Je vais appeler le président
10 Izetbegovic." Effectivement, c'est ce qu'il a fait. M. Izetbegovic est venu
11 à Travnik pendant que l'on était encore au sous-sol de la prison, dans ce
12 bâtiment où était la prison.
13 La chose suivante que M. Cuskic a fait, c'est que, compte tenu du fait que
14 M. Rajkovic était malade, il a pu aller au dispensaire, qui était dans
15 l'enceinte et, moi, je suis parti deux jours après Rajkovic, et je pense
16 qu'il a fait pour nous tout ce qu'il pouvait. Il nous a donné une pièce à
17 côté de la pièce réservée pour les patients, et nous étions placés sous la
18 surveillance médicale à partir de ce moment-là. J'ai demandé d'avoir un
19 examen médical, et cela a été effectué. Ils ont pu constater que j'avais
20 subi des blessures graves. Je n'ai pas reçu des documents médicaux.
21 Probablement, cela se trouve encore dans les archives de l'hôpital de
22 Travnik.
23 Dans cette caserne, le nom du docteur était Begzad. Il était de Kljuc, et
24 il m'a traité de manière tout à fait correcte lorsque nous sommes arrivés.
25 Je pense que nous n'avions plus beaucoup de problèmes. Au contraire, les
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1 conditions étaient très bonnes, compte tenu de leurs moyens à l'époque.
2 Q. Monsieur Fisic, au moment où vous êtes arrivé dans la caserne de
3 Travnik, et lorsque vous avez rencontré M. Salko Beba, est-ce que vos
4 blessures étaient encore visibles ?
5 R. Oui, les blessures étaient encore visibles et puis notre aspect
6 physique était pitoyable parce que nous n'étions pas rasés, puis nous
7 n'avions pas pu nous laver depuis longtemps. Notre aspect était terrible.
8 On pouvait voir les ecchymoses et d'autres blessures sur nos corps. Mais
9 nous étions, néanmoins vivants.
10 Q. Vous avez mentionné plusieurs fois, Monsieur Fisic, le nom de Fikret
11 Cuskic. Est-ce que vous pourriez informer les Juges de la Chambre qui était
12 M. Fikret Cuskic et quelles étaient ses fonctions à l'époque.
13 R. Je l'ai rencontré pendant qu'il avait le grade de commandant. Il était
14 le commandant de la 27 unité de Krajina. C'était un officier par
15 excellence, et c'était un être humain avec beaucoup d'humanité. Je parle
16 tout simplement de l'expérience qui me concerne, qui concerne moi-même et
17 Rajkovic, et les autres qui étaient détenus avec nous. Il était très
18 correct vis-à-vis de nous. Il connaissait le code de conduite. Il
19 connaissait très bien le domaine militaire et il était tout à fait correct
20 envers nous. Je ne sais pas comment il traitait les autres, mais en ce qui
21 nous concerne, nous, il a tout fait pour que l'on ne soit pas traités comme
22 un détenu de l'ABiH. Il a tout fait pour éviter cela. Lorsque ma famille et
23 la famille de Pobric a demandé notre libération, suite à cela, il a écrit
24 un document pour ma famille, de même que la famille à Adzaip. Il a écrit
25 cette autorisation nous permettant de partir --
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1 Q. Vous avez parlé des détails de vos expériences subies au camp d'Orasac
2 à M. Salko Beba et M. Fikret Cuskic. Mise à part cela, avez-vous informé
3 les membres des organisations internationales en ce qui concerne vos
4 expériences ?
5 R. Deux heures après notre arrestation, tout le monde était déjà au
6 courant. Des cercles bienveillants à mon égard m'ont informé de cela. Ils
7 ont informé ma femme et ma sœur du fait qu'il m'était favorable, mais
8 personne n'est venu à Orasac. Lorsque je suis arrivé à la caserne de
9 Travnik, la première personne qui est venue était le représentant des
10 observateurs internationaux. Ensuite Mme Mary Jo est arrivée. Elle était à
11 la tête du centre régional de la Croix rouge dont le siège était à Zenica.
12 Nous avons raconté tout à ces représentants avec plus de détails même. Ils
13 avaient connaissance de première main concernant ces événements-là.
14 M. Cuskic nous a rendu cela possible et nous ne craignons aucun mauvais
15 traitement en raison de cela. Ils ont été informés de cela. Ils étaient au
16 courant. Mme Mary Jo a pris charge de l'ensemble de l'affaire et elle a
17 pris des mesures afin d'obtenir notre libération de la caserne. Nous avons
18 reçu l'accord de la direction de la caserne pour aller en ville, lorsque
19 l'on souhaitait on pouvait le faire au jour le jour. Mais il devrait être
20 informé de cela et nous devions nous rendre en ville escorter. Nous devions
21 être escortés par deux gardes, deux soldats armés. A l'époque, lorsque
22 j'allais dans la ville, j'ai pu entendre un nombre d'allégations portant
23 sur moi. Ils disaient que j'avais commis certains crimes et puis ce genre
24 de choses. C'est ce que j'entendais lorsque j'allais en ville avec les deux
25 soldats qui nous escortaient.
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1 Notre liberté était limitée. Cette situation a duré jusqu'à un moment où
2 nous avons posé la question de savoir quel était le sort qui nous était
3 réservé. Si on était coupable de quelque chose, est-ce que l'on pouvait
4 recevoir un acte d'accusation, être traîné en justice. Ceci ne s'est pas
5 passé. Compte tenu du fait qu'Ivo Rajkovic était l'initiateur de ce succès
6 auprès de Salko Beba, il a arrangé les choses pour qu'il soit transféré en
7 Croatie - je pense que c'était en décembre - puisque sa femme était Croate,
8 je pense qu'elle venait de la région de Dubrovnik. Sa femme et ses frères
9 et ses enfants y étaient déjà, donc, lui aussi il a été transféré. J'ai
10 demandé à cette femme ce que l'on pouvait faire. J'ai demandé à ma femme ce
11 qu'on pouvait faire. Elle a dit que M. Cuskic avait dit
12 que : "La meilleure chose était si on quittait Travnik."
13 Q. Est-ce qu'à un moment donné vous avez été vraiment libéré ? Est-ce que
14 vous pourriez dire à la Chambre de la manière dont ceci s'est produit ?
15 R. Officiellement, je n'ai jamais été libéré. Voici ce qui s'est passé :
16 Lorsque la FORPRONU et la Croix rouge internationale ont organisé une autre
17 libération, évacuation de Travnik, et lorsque le 18 janvier 1994 nous
18 devions partir, quelqu'un a contesté, quelqu'un s'est opposé à cette
19 libération. C'est ce que Mary Jo a dit. Ceci était lié à la présidence
20 militaire à Travnik et le commandement du 3e Corps d'armée à Zenica. Les
21 autorités de Travnik ne nous permettaient pas de partir et les autorités
22 militaires ne le permettaient pas, les autorités de Zenica. Mary Jo ne
23 pouvait pas résoudre cela. Le 18, ces véhicules tout-terrain sont arrivés
24 afin de nous transférer mais la libération n'a pas eu lieu.
25 Je suis resté dans la caserne encore dix jours. Puis un soir, - je pense
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1 que c'était le 30, dans l'après-midi ou le 31 - j'ai demandé d'être reçu
2 par Cuskic. Je lai demandé par le biais du docteur Begzad. Cuskic m'a dit
3 que vraiment il ne pouvait faire rien de plus et il était tout à fait
4 contre ma détention. Il a dit que peut-être quelqu'un allait l'éliminer à
5 cause de cela mais il allait s'opposer à ma détention.
6 Lorsque M. Begzad est retourné, le médecin, il m'a dit ce qui a déjà été
7 dit et que Cuskic n'avait plus rien à faire avec moi. J'ai pris mes biens
8 personnels et je suis allé à l'accueil. Personne ne m'a arrêté. J'ai
9 demandé pourquoi je ne partais pas avec une escorte mais j'ai pu rentrer
10 chez moi. C'est ainsi que j'ai quitté la caserne de baraques. C'est ainsi
11 que j'ai été libéré.
12 Q. Merci beaucoup.
13 M. WITHOPF : [interprétation] Monsieur le Président, Madame et Monsieur les
14 Juges, je n'ai plus de questions pour ce témoin.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur Withopf.
16 Monsieur, je vais donner la parole à la Défense pour vous poser des
17 questions. Avant de leur donner la parole, j'aurais quelques petites
18 questions à vous poser précisant les réponses que vous avez déjà formulées.
19 Questions de la Cour :
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous nous avez parlé de la personne dont la tête
21 avait été décapitée, M. Dragan Popovic. Qui était cette personne ? Quelle
22 fonction officielle avait-elle à votre connaissance ? Qui était cette
23 personne ?
24 R. Cette personne était originaire de Travnik. Il avait une licence en
25 économie. Il travaillait pour la société Sebesic. C'était un expert
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1 financier. D'après l'ancien système, avant les élections, il était membre
2 de la police de réserve de la municipalité de Travnik. Il a continué à
3 faire partie de l'effectif de la police de réserve, et ce, jusqu'à l'année
4 1993, jusqu'au début de 1993. A la suite de quoi, il devint directeur
5 financier de la société où il travaillait, et ce, jusqu'au moment où il a
6 été arrêté. Sa femme était également une économiste, sa femme qui était ma
7 voisine. Elle travaillait pour une société de foresterie en tant qu'employé
8 du département du transport. C'était des ressortissants tout à fait normaux
9 de Travnik.
10 Je parle d'une personne qui était originaire de Travnik, qui était né, qui
11 avait grandi. Comme je vous l'ai déjà dit, il était issu d'un mariage
12 mixte. Son père étant Serbe de confession orthodoxe et sa mère était
13 Croate.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.
15 Vous avez amené sur le lieu de l'exécution, alors même que vous aviez été
16 détenu avec lui, pourquoi le choix s'est porté sur lui ? Pourquoi il ne
17 s'est pas porté sur d'autres personnes ? Pourquoi lui, spécialement ?
18 R. Je n'ai pas véritablement de réponse précise à apporter à votre
19 question. Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas, j'ai été, moi-même,
20 détenu jusqu'à ce jour.
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Une autre question : Vous avez indiqué que, sur les
22 lieux, il y avait 50 Moudjahiddines, une cinquantaine de personnes. Puis,
23 vous avez indiqué qu'il y avait aussi un véhicule. Les 50 personnes qui
24 étaient là, que vous avez vues, est-ce que, d'après vous, il y avait une
25 autorité, un chef qui commandait ces personnes où elles agissaient de
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1 manière totalement indépendantes ? Est-ce qu'il y avait, selon vous, une
2 structure hiérarchique et un chef ?
3 R. Je n'ai pas reconnu ce genre de structure. Si j'avais su à qui
4 m'adresser, je l'aurais fait, mais personne ne nous l'avait dit, nous
5 n'étions que des pions. Ce que j'ai vu, c'est qu'il y avait un rituel qui,
6 de toute évidence, était dirigé par un Arabe, mais je ne sais pas s'il
7 assurait le commandement ou pas. Je dois vous dire qu'il y avait deux
8 personnes de Travnik. Il s'agissait d'un Nektib [phon], un citoyen étranger
9 qui était à Travnik avant la guerre. C'était un étudiant à l'université de
10 Sarajevo. Puis, il y avait un interprète, Huso Delic qui, à l'époque, était
11 le secrétaire de l'Intérieur pour la municipalité de Travnik. Ces personnes
12 pouvaient entrer tout à fait librement dans le camp, le dernier étant
13 l'interprète officiel et le premier que j'ai mentionné étant une personne
14 de confiance qui était toujours avec eux. Ils nous ont transportés dans un
15 véhicule de type Niva. Je sais que c'était l'une de ces personnes qui se
16 trouvaient là, le vendredi, lorsque Kazimir a eu l'autorisation de rentrer
17 à Travnik.
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien.
19 Vous avez parlé également du fait qu'il y avait un véhicule qui était à
20 proximité du lieu de l'exécution que vous avez mentionné sur le document
21 qui a été versé en la procédure. Est-ce que vous confirmez qu'il y avait un
22 véhicule et, s'il y avait un véhicule, il y avait qui dedans ?
23 R. Je ne peux pas vous donner le type de véhicule. Il s'agit d'un vieux
24 véhicule tout-terrain avec des fenêtres teintées. Il était gris métallique.
25 C'est un véhicule que j'avais l'habitude de voir à Travnik. Il appartenait
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1 au MOS. Qui se trouvait dans le véhicule, je ne suis pas en mesure de vous
2 le dire parce que je ne l'ai pas vu. Je n'ai pas véritablement essayé de
3 voir. J'ai reconnu le véhicule parce que je le reconnaissais depuis
4 Travnik. C'était un véhicule que j'avais déjà vu auparavant.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie pour cette précision. Une dernière
6 précision qui ressort également de la réponse : Vous avez indiqué que
7 M. Fikret Cuskic, qui a entendu ce que vous lui avez dit, et qui était,
8 d'après vous, le commandant de la 27e unité, aurait appelé le président
9 Izetbegovic, qui serait venu dans la caserne. Est-ce que pour vous, d'après
10 ce que vous avez dit, la venue de M. Izetbegovic est liée directement à ce
11 que vous avez dit à
12 M. Cuskic ?
13 R. Je vais répéter ce que j'ai dit afin de préciser. Lorsque nous sommes
14 allés trouver M. Cuskic, il nous a écouté avec beaucoup de patience, avec
15 beaucoup d'intérêt, mais il a réagi de façon très nerveuse. Il nous a dit :
16 "Je ne puis plus être soldat dans cette zone si les choses continuent à
17 être comme cela et je vais demander à M. Izetbegovic de traiter cette
18 situation." Ensuite, M. Izetbegovic est venu à Travnik et à Bugojno. Je ne
19 sais pas s'il y a eu des discussions à ce sujet lors de cette réunion.
20 Toutefois, j'ai remarqué qu'à la suite de cela Mektauf ne pouvait plus
21 pénétrer dans le complexe de la caserne. Le portail lui en était fermé, et
22 sa présence n'a plus été remarquée dans ces casernes.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.
24 Je vais donner la parole aux Défenseurs pour le contre-interrogatoire.
25 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
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1 Contre-interrogatoire par Mme Residovic :
2 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Fisic. Je suis Edina Residovic et je
3 représente le général Enver Hadzihasanovic.
4 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je vais m'en tenir, Monsieur le Président,
5 au contexte des questions qui ont posées par l'Accusation. Mais afin
6 d'obtenir certaines précisions, je vais également demander à M. Fisic de
7 répondre à certaines questions à propos de la situation générale à Travnik.
8 Q. Monsieur Fisic, avant la guerre, vous étiez une personnalité connue à
9 Travnik. Est-ce bien exact ?
10 R. Oui, c'est exact.
11 Q. Je suis peut-être un peu trop éloigné du microphone. Je vais m'en
12 rapprocher. Vous aviez différentes fonctions. Vous étiez le directeur
13 général de Borac Travnik pendant une période très, très longue. Est-ce bien
14 exact ?
15 R. C'est exact.
16 Q. En sus de ces fonctions professionnelles, vous étiez extrêmement actif
17 également dans le cadre de votre vie politique et dans le cadre de votre
18 vie sociale. Vous vous êtes également acquitté de plusieurs fonctions au
19 sein de la Ligue des communistes et de l'Alliance socialiste, mais il
20 s'agissait d'une fonction volontaire. Est-ce bien exact ?
21 R. C'est tout à fait exact.
22 Q. En 1981, vous avez été élu président du comité exécutif de la
23 municipalité, à savoir du gouvernement municipal. Est-ce bien exact ?
24 R. C'est exact.
25 Q. En 1990, nous avons eu ce qui a été appelé les premières élections
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1 multipartites et, lors de ces élections, le parti ethnique a remporté les
2 élections. Est-ce bien exact ?
3 R. C'est vrai pour Travnik.
4 Q. Les partis gagnants ont été le SDA, le HDZ et, dans une moindre mesure,
5 le SDS. Ils ont formé un gouvernement composé de partis avec représentation
6 ethnique. Est-ce bien exact ?
7 R. C'est ainsi que le gouvernement fut formé.
8 Q. A cette époque, vous n'avez jamais opté pour l'un ou l'autre de ces
9 partis. Est-ce bien exact ?
10 R. C'est exact.
11 Q. Vous nous avez dit qu'au début de la guerre, vous étiez le directeur
12 général d'une société qui faisait partie de la société Borac et qui
13 s'occupait d'imprimerie. Vous nous avez dit que vous avez conservé cette
14 fonction jusqu'au milieu de l'année 1993. Est-ce bien exact ?
15 R. C'est exact.
16 Q. Du fait de la guerre et des événements que vous avez mentionnés lors de
17 votre déposition, il y a eu une division qui est apparue très rapidement au
18 sein du gouvernement, gouvernement qui était composé des différents partis
19 à représentation ethnique. Le HDZ a quitté le gouvernement et a formé son
20 propre gouvernement HVO.
21 R. Il serait plus exact de dire qu'à l'époque, le président de la
22 présidence de la municipalité de Travnik, M. Tamburic, s'est rendu compte
23 que ce conflit existait et il s'est rendu compte également qu'il y avait
24 une discorde. Il y a une session qui a été organisée. La conclusion
25 consistant en huit points. C'est pour cela qu'il a recherché de nouvelles
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1 personnes qui pourraient l'aider à surmonter la situation qui prévalait.
2 C'est la raison pour laquelle j'ai adhéré à la structure du HVO. Nous
3 voulions créer un seul gouvernement. Je vous parle, bien entendu, de mon
4 rôle. Je n'entrerai pas dans d'autres détails. En fin de compte, nous avons
5 réussi à former un gouvernement que personne ne respectait. Dès que ce
6 gouvernement a été créé, un nouveau conflit commençait.
7 Q. Cela était justement ma question suivante. Les efforts déployés pour
8 former un gouvernement unique n'ont pas été couronnés de succès. Cela n'a
9 donné aucun résultat. Ce sont des efforts qui ont été stériles. Est-ce bien
10 exact ?
11 R. C'est tout à fait vrai.
12 Q. Les tentatives de formation d'un seul gouvernement ont été le résultat
13 de la mauvaise relation entre la présidence de Guerre et les représentants
14 du HDZ, à la fin d'avril 1993. C'est à ce moment-là qu'il a été demandé aux
15 autorités du HVO de quitter le bâtiment de la municipalité, bâtiment où,
16 jusqu'à cette date, ils avaient établi leur quartier général.
17 R. C'est tout à fait exact.
18 Q. Nous allons passer à un autre thème. Vous avez participé à la tentative
19 de création d'un gouvernement unique. Vous savez que la présidence de
20 Guerre de la municipalité ainsi que le gouvernement HVO civil étaient des
21 filiales civiles, en quelque sorte, des autorités de la municipalité de
22 Travnik. Est-ce bien exact ?
23 R. C'est exact.
24 Q. Pendant la guerre à Travnik, il n'y a jamais eu de gouvernement
25 militaire, en d'autres termes. Pendant cette époque, les formations
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1 militaires étaient séparées du gouvernement civil.
2 R. Les forces de police étaient également séparées des forces civiles. La
3 police était placée sous le commandement de quelqu'un d'autre. Ils
4 n'étaient pas placés sous le commandement du gouvernement civil de Travnik.
5 J'entends la présidence et le secteur civil du HVO.
6 Q. Je souhaiterais préciser un peu cela. La police civile avait sa ligne
7 de commandement, et l'organe supérieur était le ministère de l'Intérieur de
8 la Bosnie-Herzégovine. Est-ce bien exact ?
9 R. A l'époque, il existait des forces invisibles qui assuraient le
10 commandement. Je ne peux pas vous dire qui elles étaient. Quoi qu'il en
11 soit, ce n'est pas une situation qui émanait de la situation en matière de
12 sécurité à Travnik. Nous voulions essayer de régler le problème, mais ils
13 n'ont pas tenu compte ou respecter de ce que nous disions.
14 Q. En tant que citoyen de Travnik et en tant que participant aux organes
15 de pouvoir, pouvez-vous confirmer à la Chambre de première instance que la
16 situation générale à Travnik avant le début de la guerre était très
17 complexe ? Il fallait ajouter à cela le problème des réfugiés qui
18 arrivaient à Travnik en nombre très important.
19 R. Je pense que la situation à Travnik était compliquée par l'échec de
20 l'accord entre les forces internationales. Je fais référence au plan Vance-
21 Owen et au plan Stoltenberg. Je pense que cela a créé davantage de tension
22 à Travnik. C'est beaucoup plus cela que les réfugiés qui a suscité cette
23 tension. Il est vrai qu'il y avait des réfugiés ici et là, et que les gens
24 quittaient Travnik dans des circonstances particulièrement désagréables. Ce
25 que je vous dis, c'est qu'il y avait des personnes qui ne pouvaient aller
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1 nulle part ailleurs et qui étaient obligées de rester à Travnik. Quoi qu'il
2 en soit, il y avait un nombre important de réfugiés. Ils étaient indigents.
3 Il y avait de nombreux réfugiés.
4 Q. Merci. Est-il vrai qu'à Travnik, à l'époque, de nouveaux organes de
5 pouvoir ont été formés pour représenter ces réfugiés ? Vous avez, par
6 exemple, le district de Travnik, le district de Banja Luka. Soudainement à
7 Travnik, il y avait différents organes gouvernementaux, différents organes
8 qui essayaient d'exercer une influence sur la population qui résidait à
9 l'époque, à Travnik.
10 R. Cela n'est pas exact. Pour ce qui est de la formation de la présidence
11 de Guerre et d'autres organes qui représentaient d'autres régions et
12 d'autres personnes qui résidaient à Travnik, existait. Il faut savoir que
13 cela n'existait pas avant le 4 juin. Cela est le résultat du conflit entre
14 les Croates et les Musulmans. Ces organes ont été créés après le 4 juin,
15 après le conflit entre les Croates et Musulmans. Cela s'est passé le 4 juin
16 ou, en tout cas, entre le 4 et le 6 juin.
17 Q. Je ne suis pas absolument sûr des dates, mais nous parlons de l'année
18 1993 ?
19 R. En 1993, certes, ces organes existaient et ont existé. Après le 4 juin,
20 il y a eu un conflit, et ces organes ont été établis à Travnik pour
21 justement représenter les personnes qui avaient fui d'autres régions de la
22 Bosnie-Herzégovine.
23 Q. A la question posée par l'Accusation, vous avez répondu que pendant
24 l'été de 1992, vous avez commencé à remarquer la présence d'étrangers à
25 Travnik. Ces personnes sont arrivées à Travnik par le truchement de pays
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1 tiers. Vous nous avez dit qu'il s'agissait d'Arabes.
2 R. Je pense que j'avais raison lorsque je pensais qu'ils étaient arabes.
3 Je pense qu'ils étaient d'origine arabe. Je ne sais pas s'ils étaient
4 originaires d'Algérie ou de Tunisie. Hamza, par exemple, était arabe.
5 C'était un homme arrogant. Il était très connu à Travnik. Il était bien
6 connu.
7 Q. Je n'étais pas moi-même à Travnik; vous y étiez vous-même. J'aimerais
8 vous poser une question. Est-il exact que le commandant de ces Arabes était
9 une personne connue sous le nom de Hamza ?
10 R. Oui. Il a essayé d'instaurer un nouvel ordre à Travnik. Par exemple, il
11 n'autorisait pas les bars et les cafés à servir des boissons alcoolisées.
12 Il est venu du fait du conflit avec les gens de la Krajina, et il a essayé
13 véritablement d'instaurer la crainte et l'appréhension.
14 Q. Essayons de procéder par ordre. Dès le début, il y a quelque chose qui
15 provoquait l'anxiété et la crainte chez les Croates et les Musulmans.
16 R. Je pense qu'une grande partie de la population musulmane considérait
17 leur présence comme tout à fait indésirable. Ils n'essayaient pas de lutter
18 contre eux, mais ils n'étaient pas particulièrement heureux de leur
19 présence. Très vite, ils se sont rendus compte que ces personnes pourraient
20 représenter un péril pour tout le monde.
21 Q. Ribo Haso est quelqu'un qui s'est opposé à leur influence dans la
22 région. Est-ce bien exact ?
23 R. Je connais Haso Ribo, mais je n'hésiterais pas à dire que je ne sais
24 pas dans quelle mesure il s'y est opposé. S'il a essayé de le faire, en
25 tout cas, il n'a eu aucun pouvoir. C'est ce que je peux subodorer. Ils
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1 dépendaient de leurs hommes religieux qui préparaient le terrain pour leurs
2 actions. Ils disaient qu'ils n'appartenaient à aucune unité, et qu'ils
3 pouvaient faire ce que bon leur semblait.
4 Q. Il semblerait que vous sachiez exactement ce que je veux vous poser
5 comme question. Vous avez déjà répondu à ma question suivante. Il est
6 évident que ces personnes se ralliaient autour de différentes organisations
7 religieuses et humanitaires musulmanes. Merhamet et d'autres personnes, ils
8 ont trouvé le soutien de ces religieux.
9 R. A Travnik, je pense que c'est ce qui s'est passé.
10 Q. De toute façon, il était évident que ces personnes avaient beaucoup
11 d'argent. Cela a eu une incidence sur la population locale qui a commencé à
12 se rallier à eux et à les imiter.
13 R. Je pense qu'il y avait une relation de symbiose entre ces étrangers qui
14 avaient des objectifs politiques et qui pouvaient s'intégrer assez
15 facilement dans la structure. Certaines personnes trouvaient que leurs
16 documents étaient intéressants. D'autres, au contraire, étaient convaincus
17 que c'était la route à suivre pour les Musulmans de Bosnie.
18 Q. Vous avez dit que le commandant, Fikret Cuskic, était le commandant de
19 la 27e Brigade de Krajina. Si je vous dis qu'il s'agit de la 17e Brigade de
20 Krajina, est-ce que vous seriez en mesure de marquer votre accord avec
21 moi ?
22 R. Je peux accepter cela. C'était la 17e et non pas la 27e. Vous pouvez
23 tout à fait me corriger.
24 Q. Lorsque vous parliez de cette tentative de former un gouvernement
25 unique, il y a quelqu'un qui vous a offert certaines fonctions. Est-ce que
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1 cela s'est passé même après le conflit de juin ? Il vous a offert de
2 participer à l'administration locale. Il s'agissait du Dr Genjac qui était,
3 à l'époque, président du SDA local, le parti à composition ethnique de la
4 population musulmane. Est-ce bien exact ?
5 R. Oui.
6 Q. Après le conflit, vous êtes resté à Travnik avec votre famille. Vous y
7 résidez toujours. Toutefois, pendant quelques jours, vous n'êtes pas allé
8 travailler. Quand vous avez repris vos fonctions au travail, vous vous êtes
9 rendu compte que les autorités locales avaient remplacé le conseil
10 d'administration de votre société. Est-ce bien exact ?
11 R. Je vais préciser la question. Je suis resté avec ma famille à Travnik,
12 non pas avec toute ma famille. Mes deux enfants, en ce jour fâcheux ou
13 malheureux, qui ont vu le déroulement du conflit, étant donné qu'il n'y
14 avait pas d'école, mes enfants sont allés dans ma belle-famille. La famille
15 de ma femme habitait à 3 à 5 kilomètres de Travnik. Ils ont abandonné leur
16 foyer. Ils y sont allés pieds nus, parce qu'ils étaient pieds nus chez eux.
17 Je suis resté à Travnik avec ma femme, ma sœur également. Son fils est
18 resté également. Pour vous donner une réponse un peu plus précise pour ce
19 qui est de la composition de la famille à Travnik, voilà ce qu'il en est.
20 Pour ce qui est de M. Genjac, il est vrai qu'il nous a fait une proposition
21 pour que nous pénétrions, c'est l'expression qu'il a utilisée, dans les
22 organes du pouvoir. Nous n'avons pas pu accepter, parce que nous n'étions
23 pas élus au nom du HDZ. Nous aurions été des intrus. Nous voulions avoir un
24 statut légitime. Il leur incombait de défendre les citoyens qui étaient
25 minoritaires.
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1 Q. Lorsque vous êtes retourné dans votre entreprise dont vous étiez le
2 directeur général, vous vous êtes rendu compte qu'un nouveau conseil
3 d'administration avait été mis en place. Vous n'avez pas souhaité
4 travailler avec ces personnes. C'est la raison pour laquelle vous avez
5 démissionné et abandonné le poste de directeur général, n'est-ce pas ?
6 R. Non, ce n'est pas exact. En effet, pendant quelques jours, je suis
7 resté à la maison. J'ai reçu un certain nombre de visiteurs, des amis à
8 moi, des Musulmans, notamment, qui pensaient que je ne devrais pas sortir
9 de chez moi, parce qu'il y avait des gens qui me voulaient du mal. Quelques
10 jours plus tard, je suis retourné dans mon entreprise. J'ai rencontré le
11 président du conseil de vérification, comme on l'appelle dans cette
12 entreprise. Je me suis rendu compte que des dégâts avaient eu lieu dans
13 cette entreprise. Rien de particulièrement important, mais enfin, quelques
14 dégâts, comme dans la plupart des autres entreprises d'ailleurs. Je me suis
15 rendu compte que le secteur chargé de l'aspect économique de la vie dans la
16 municipalité de Travnik avait nommé Dalo Muhar [phon] et Mersad Halilovic à
17 des postes de direction. L'un de ces hommes était chargé du marketing, et
18 l'autre des affaires municipales. Je n'avais pas été consulté avant ces
19 décisions. Compte tenu des dispositions en vigueur régissant le
20 fonctionnement des entreprises en temps de guerre, j'aurais dû être
21 consulté. J'ai considéré que c'était un signe de méfiance. J'ai entamé la
22 procédure requise pour présenter ma démission.
23 Q. Vous avez remplacé un certain nombre de personnes à Travnik, à
24 l'époque, Huso Delic, dont vous avez déjà parlé, était chef de la police,
25 du MUP de Travnik. Vous avez mentionné le nom d'un certain nombre d'autres
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1 personnes. C'est bien cela ?
2 R. Oui.
3 Q. Le chef de la police a pénétré dans le camp d'Orasac et a servi
4 d'interprète pour les Moudjahiddines et d'autres hommes, n'est-ce pas ?
5 R. Cela, je le sais avec certitude.
6 Q. A l'époque, le président des autorités civiles de la présidence de
7 Guerre était Mehmet Curcic, n'est-ce pas ?
8 R. Oui.
9 Q. Répondant à une question du président de la Chambre, vous avez dit ce
10 que vous avez dit dans votre déposition. Vous avez dit que vous aviez été
11 emmené à bord d'une voiture de type Lada Niva. Répondant à une question du
12 président, vous avez dit que cette voiture appartenait à Mektauf, n'est-ce
13 pas ?
14 R. Oui.
15 Q. Mektauf était un Arabe qui résidait à Travnik et qui collaborait avec
16 d'autres Arabes à l'accomplissement d'un certain nombre de tâches, n'est-ce
17 pas ?
18 R. Je pense que tous les habitants de Travnik peuvent le confirmer, moi
19 aussi par conséquent, oui, effectivement. Il résidait à Travnik jusqu'à la
20 guerre. Il gérait une boîte de nuit et il vivait sans doute avec bonheur au
21 côté de sa femme.
22 Q. Il y avait un autre Arabe qui habitait à Travnik avant la guerre. Son
23 nom est Tafija, n'est-ce pas ? Il était dentiste.
24 R. Oui, il habite encore aujourd'hui à Travnik.
25 Q. A l'époque où on vous a emmené à Orasac, votre femme vous a appris,
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1 d'ailleurs vous l'avez entendu dire par la femme du défunt Popovic par la
2 suite, que des efforts avaient été déployés pour obtenir des renseignements
3 à votre sujet et obtenir votre libération. Vous avez appris que ces deux
4 hommes s'étaient adressés à Mektauf et à Tafija, car ils pensaient qu'il
5 s'agissait de personnes influentes parmi les étrangers en question, n'est-
6 ce pas ?
7 R. Mon épouse et ma sœur ne sont pas allées les voir. Ma sœur est allée
8 voir le mufti de Travnik. Elle pensait qu'il pouvait exercer une certaine
9 influence. Elle le connaissait. Il a refusé de la rencontrer ou de l'aider.
10 Mektauf est un ami de Kazimir Popovic. Il était ingénieur et travaillait
11 pour lui. Il s'est chargé de la construction de sa boîte de nuit. Ils se
12 connaissaient.
13 Ljilja Popovic était une amie de mon épouse et de Tafija. Elle est allée le
14 voir. Ma famille, par conséquent, n'est pas allée voir Mektauf, mais est
15 allé voir Efendija et d'autres responsables religieux afin de demander ma
16 libération.
17 Q. Votre épouse et Mme Popovic, pour autant que j'ai compris ce que vous
18 avez répondu aux questions qui vous étaient posées tout à l'heure, ont pris
19 contact avec un certain nombre de personnes. Elles ont contacté le
20 président de la municipalité. Elles ont contacté Huso Delic, le chef de la
21 police civile. Elles ont contacté d'autres personnes, comme vous l'avez
22 expliqué pour obtenir des renseignements au sujet de Mektauf. Elles ont
23 contacté, en particulier, le président de la présidence de Guerre, M. Sela
24 Cuskic. Est-il exact qu'elles sont également allées voir le commandant
25 Cuskic et M. Alagic ?
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1 R. J'aimerais confirmer que le défunt Alagic et Cuskic ont fait tout ce
2 qu'ils pouvaient pour obtenir ma libération. En tout cas, c'est
3 l'impression que j'ai. Quant à ce qui s'est passé au cours de la guerre, je
4 ne tiens pas à en parler, mais s'agissant de nous et de moi, en
5 particulier, et s'agissant de ce qu'ont fait mon épouse et ma sœur, ces
6 hommes se sont montrés justes et ont réagi correctement.
7 Q. Il y a quelques instants vous avez dit qu'au moment de votre
8 arrestation, Fikret Cuskic commandait la 17e Brigade de Krajina. A cette
9 époque, Mehmet Alagic commandait un groupe opérationnel, n'est-ce pas ?
10 R. Je pense que c'est exact.
11 Q. Vous avez été libéré le 6.
12 R. Mais j'ai été enlevé.
13 Q. Vous avez été emmené à la caserne d'Orasac le 6 novembre, n'est-ce pas
14 ?
15 R. Oui.
16 Q. Jusqu'au moment où vous avez quitté la caserne pour entrer chez vous,
17 vous n'avez vu que le commandant Cuskic, n'est-ce pas ?
18 R. Oui.
19 Q. Je ne vais pas répéter tout ce que vous avez déjà dit dans votre
20 déposition, tout ce que vous avez dit au sujet de cet homme, mais est-il
21 exact qu'à l'époque vous n'avez pas rencontré le commandant Alagic, car il
22 s'était rendu à Zenica où il a exercé les fonctions de commandant du 3e
23 Corps d'armée, n'est-ce pas ?
24 R. Je n'ai pas rencontré le défunt Alagic à ce moment-là. Il était encore
25 à Travnik et, selon les rumeurs, il était sur le point d'être transféré à
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1 Zenica. Je n'ai pas pris contact avec lui, je n'ai pas rencontré M. Alagic.
2 Q. Le commandant Cuskic a remplacé le commandant Alagic, après le départ
3 de ce dernier pour Zenica, et a repris les fonctions de commandant du 3e
4 Corps d'armée, n'est-ce pas ?
5 R. Cela s'est passé au mois de décembre, je pense, en effet.
6 Q. Cette information figure dans les documents.
7 R. Oui, je pense que c'est ainsi que les choses se sont passées.
8 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai plus de
9 questions pour ce témoin. Monsieur le Témoin, je vous remercie.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.
11 Je me tourne vers les autres Défenseurs pour les questions.
12 M. DIXON : [interprétation] Monsieur le Président, étant donné qu'il n'y a
13 aucune charge relative à M. Kubura qui figure dans la déposition de ce
14 témoin, nous n'avons pas de questions pour ce témoin. Je vous remercie,
15 Monsieur le Président.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie, Monsieur Dixon.
17 Je me retourne vers l'Accusation pour lui demander s'il y a lieu de poser
18 d'autres questions supplémentaires ?
19 M. WITHOPF : [interprétation] Très rapidement, Monsieur le Président,
20 Madame et Monsieur les Juges.
21 Nouvel interrogatoire par M. Withopf :
22 Q. [interprétation] Monsieur Fisic, les soldats que vous avez vus dans le
23 camp d'Orasac, étaient-ils tous des Moudjahiddines, autrement dit des
24 soldats étrangers où avez-vous également vu des hommes de la région ?
25 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je n'ai posé aucune question au sujet de
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1 Orasac, donc il n'y a aucun fondement pour des questions supplémentaires de
2 la part de l'Accusation au sujet de questions qui n'ont pas été abordées
3 par la Défense au cours du contre-interrogatoire.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : La Défense a fait observer que cette question ne lui
5 ayant pas été posée, normalement, vous réintervenez pour des précisions qui
6 doivent être apportées suite aux questions qui ont été posées par la
7 Défense. Comme elle n'a pas posé aucune question sur ce groupe de 50
8 individus, c'est une question qu'il aurait fallu poser au départ.
9 Poursuivez.
10 M. WITHOPF : [interprétation] Monsieur le Président, les Juges ont posé
11 cette question, mais je souhaitais simplement obtenir des éclaircissements
12 complémentaires de la part du témoin.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Nous allons nous retirer pour délibérer quelques
14 minutes pour savoir si on peut vous autoriser à poser cette question.
15 --- L'audience est suspendue à 12 heures 10.
16 --- L'audience est reprise à 12 heures 15.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. La Chambre a délibéré sur la question de
18 savoir si l'Accusation pouvait, dans le cadre des questions
19 supplémentaires, refaire préciser par le témoin quelle était la composition
20 du groupe de 50 personnes. Bien, la Chambre a pris note de l'opposition
21 formée par la Défense -- considérant la requête de l'Accusation et la
22 position de la Défense, la Chambre, sur le fondement de l'Article 89, va,
23 elle-même, poser la question au témoin; bien que les réponses qu'il a
24 formulées auparavant donnent déjà la réponse.
25 Questions de la Cour :
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1 M. LE JUGE ANTONETTI :Aux fins de clarification, Monsieur le Témoin, je
2 vais vous poser une question qui est très simple, qui est dans la ligne de
3 ce qui vous a été déjà demandé.
4 Les 50 personnes qui étaient là, étaient-elles toutes des Moudjahiddines, à
5 moins qu'il y avait d'autres personnes que des Moudjahiddines ? Vous voyez,
6 c'est très simple. Répondez.
7 R. Je peux dire que la majorité de ces soldats faisaient partie de l'unité
8 d'El Mujahed, bien qu'il était assez difficile de distinguer les
9 Moudjahiddines des autres. La majorité faisait partie de cette unité d'El
10 Mujahed. Il y avait aussi parmi eux des gens de la région.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous nous dites que la majorité faisait partie de
12 l'unité d'El Mujahed, mais vous rajouter, de vous-même, sans qu'il y avait
13 des gens de la région. Il y avait des Musulmans locaux.
14 R. Oui, tout à fait, des Musulmans de Bosnie, d'un certain nombre de
15 localités, mais qui faisaient, eux aussi, partie de cette unité d'El
16 Mujahed.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Voilà votre réponse.
18 Alors, je redonne la parole à M. Withopf, mais pour poser des questions par
19 rapport aux questions qui avaient été posées dans le cadre du contre-
20 interrogatoire. Le cas échéant, la Chambre peut toujours poser des
21 questions pour éclaircir, si la nécessité s'en fait sentir.
22 M. WITHOPF : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.
23 L'Accusation n'a plus de questions supplémentaires à poser au témoin.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie, Monsieur Withopf.
25 Monsieur le Témoin, vous avez répondu aux questions qui ont été posées tant
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1 par l'Accusation que dans le cadre du contre-interrogatoire mené par la
2 Défense d'un des deux accusés. Vous avez répondu également aux questions
3 des Juges dans le cadre de votre témoignage. Nous vous remercions pour être
4 venu témoigner.
5 A un moment donné, lors des questions, vous avez dit ceci en vous adressant
6 à la Chambre, vous nous avez dit que vous demandiez à ce que votre état
7 médical soit, ici même à La Haye, constaté. Vous sembliez dire que vous
8 souffriez encore de séquelles. Alors, sur cette question qui était adressée
9 à la Chambre, je dois vous dire que le Règlement de procédure ne donne, en
10 la matière, à la Chambre, aucun pouvoir. Si nous serions dans un autre
11 système, cela serait possible, mais dans le système qui est régi par notre
12 Règlement de procédure, la Chambre ne peut pas faire droit à votre requête
13 aux fins d'être examiné par un médecin. En revanche, il existe, ici même,
14 une section des témoins et victimes, où vous pouvez, tout à l'heure,
15 lorsqu'on va vous ramener à la porte de la salle d'audience et vous allez
16 pris en charge par le personnel de cette section, leur poser la question.
17 Vous aurez une réponse. Indépendamment de la question que vous avez posée
18 et de la réponse qui vous sera donnée, il vous appartient, en tant
19 qu'individu et citoyen dans votre pays, de vous adresser à un avocat pour
20 avoir tout conseil sur des procédures diverses à mener. Nous ne pouvons, en
21 ce qui concerne la Chambre elle-même, vous donner satisfaction sur le
22 point très précis que vous avez formulé.
23 Ceci étant dit, je vous remercie pour votre témoignage. Nous vous
24 souhaitons un bon voyage de retour, et je vais demander à
25 M. l'Huissier de vous raccompagner à la porte de la salle d'audience.
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci. Si j'ai été utile pour faire éclater la
2 vérité, tant mieux. Merci beaucoup.
3 [Le témoin se retire]
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Nous allons poursuivre l'audience. Nous
5 n'avons plus de témoins prévus au planning.
6 Hier, j'avais indiqué que nous reprenions le cours de nos audiences à
7 compter de mardi matin puisque nous sommes en audience du matin la semaine
8 prochaine, lundi étant un jour férié. Nous reprendrons mardi matin.
9 Nous avons toujours, en stand-by, la question des CD-ROM, mais question
10 sera résolue dès que possible. La Chambre doit rendre encore quelques
11 décisions qui sont actuellement pendantes et qui vont être rendues très
12 rapidement puisqu'elles sont en voie de finalisation.
13 Par ailleurs, en début de la semaine prochaine, compte tenu -- nous n'avons
14 pas, aujourd'hui, reçu cette fameuse lettre émanant de l'Union européenne.
15 Je ne l'ai pas. On nous la promis. Nous l'attendons pour la lire. Peut-être
16 que vous aurez d'autres éléments d'information que vous nous communiquerez
17 à la reprise de l'audience mardi.
18 Voilà. Il n'y a plus d'autres questions ou observations ? Dans ces
19 conditions, je vais mettre fin à l'audience de ce jour en demandant à tout
20 le monde de revenir la semaine prochaine à 9 heures du matin, mardi.
21 --- L'audience est levée à 12 heures 24 et reprendra le mardi 3 février
22 2004, à 9 heures 00.
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